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Institut des sciences du langage et de la communication TRAVAUX NEUCHÂTELOIS DE LINGUISTIQUE 2017 | N o 67 Evelyne Berger & Virginie Fasel Lauzon (éds.) Pratiques interactionnelles en contexte institutionnel

Pratiques interactionnelles en contexte institutionnel

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Institut des sciences du langage et de la

communication

T R A V A U X N E U C H Â T E L O I S D E L I N G U I S T I Q U E

2017 | No 67

Evelyne Berger & Virginie Fasel Lauzon (éds.)

Pratiques interactionnelles en contexte institutionnel

TRANEL (Travaux neuchâtelois de linguistique)

La revue TRANEL fonctionne sur le principe de la révision par les pairs. Les propositions de

numéros thématiques qui sont soumises au coordinateur sont d'abord évaluées de manière

globale par le comité scientifique. Si un projet est accepté, chaque contribution est transmise

pour relecture à deux spécialistes indépendants, qui peuvent demander des amendements.

La revue se réserve le droit de refuser la publication d'un article qui, même après révision,

serait jugé de qualité scientifique insuffisante par les experts.

Responsables de la revue Cécile Petitjean email: [email protected]

Etienne Morel email: [email protected]

Comité scientifique de la revue Marie-José Béguelin, Simona Pekarek Doehler, Louis de Saussure, Geneviève de Weck,

Marion Fossard, Corinne Rossari, Federica Diémoz, Martin Hilpert, Hélène Carles, Juan

Pedro Sánchez Méndez, Katrin Skoruppa et Elena Smirnova (Université de Neuchâtel)

Secrétariat de rédaction Florence Waelchli, Revue Tranel, Institut des sciences du langage et de la communication,

Université de Neuchâtel, Rue Pierre-à-Mazel 7, CH-2000 Neuchâtel

Les anciens numéros sont également en accès libre (archive ouverte / open access) dans la

bibliothèque numérique suisse romande Rero doc. Voir rubrique "Revues":

http://doc.rero.ch/collection/JOURNAL?In=fr

© Institut des sciences du langage et de la communication, Université de Neuchâtel, 2017 Tous droits réservés ISSN 2504-205X

Travaux neuchâtelois de linguistique

N° 67, 2017 • ISSN 2504-205X

Table des matières

Evelyne BERGER & Virginie FASEL LAUZON

Avant-propos ........................................................................................ 1-5

Sara KEEL

Générer des applaudissements lors de conférences de presse tenues par le mouvement des sans-papiers ............................ 7-30

Virginie DEGOUMOIS

Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire: de la prudence interactionnelle à l'affirmation de soi ................................................................................................ 31-48

Klara SKOGMYR MARIAN & Silvia KUNITZ

"Well if we're wrong it's your fault": Negotiating participation in the EFL classroom ..................................................... 49-77

Vasiliki MARKAKI-LOTHE & Laurent FILLIETTAZ

"Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?": une analyse interactionnelle des scissions des cadres participatifs dans la formation professionnelle des éducateurs de la petite enfance ................................................ 79-102

Evelyne BERGER

Se plaindre des enfants: positionnements épistémiques et rapports institutionnels dans les récits conversationnels entre au-pair et famille d'accueil ........................ 103-125

Adresses des auteurs ................................................................................... 127

Travaux neuchâtelois de linguistique, 2017, 67, 1-5

Avant-propos

Evelyne BERGER & Virginie FASEL LAUZON Centre de linguistique appliquée, Université de Neuchâtel

Les travaux en analyse conversationnelle d'inspiration ethnométhodologique (ci-après AC) ont apporté un regard nouveau sur le rôle du contexte dans les interactions sociales. Plutôt que d'être conceptualisé comme préexistant à l'interaction et déterminant les rôles et les actions des participants, le contexte est envisagé comme construit activement, pas à pas, par les conduites des participants (cf. Drew & Heritage 1992; Heritage & Greatbatch 1991; Heritage & Clayman 2010). Par exemple, une interaction sociale ne constitue pas une consultation médicale du seul fait qu'elle prend place dans un cabinet médical et qu'elle se déroule entre une personne exerçant la profession de médecin et une personne malade: l'événement 'consultation médicale' est instauré et construit tour après tour par les participants, qui s'orientent au cours de l'échange vers la pertinence des catégories 'médecin-patient' et vers un certain ensemble d'activités (p.ex. la description des symptômes, l'anamnèse, le diagnostic, etc.) qu'ils élaborent conjointement grâce à leurs actions respectives (p.ex. récits, séries de questions-réponses, etc.). L'orientation des participants vers un type d'événement communicatif n'est pas établie une fois pour toutes mais peut se transformer au fur et à mesure de l'échange, rendant ainsi les frontières entre interaction institutionnelle et conversation ordinaire malléables.

Les travaux en AC portant sur des interactions en contexte institutionnel ont mis au jour plusieurs spécificités interactionnelles communes à ce type d'interaction. En premier lieu, les interactions institutionnelles se caractérisent par l'orientation d'au moins un des participants vers un but spécifique (p.ex. 'formuler un diagnostic'). En second lieu, les interactions institutionnelles reposent généralement sur une asymétrie des 'droits et obligations' relatifs aux rôles institutionnels endossés par les participants, qui ont trait notamment à l'allocation des tours de parole et à l'organisation des séquences. Enfin, ces interactions se caractérisent par une réduction de l'éventail des pratiques interactionnelles déployées par les participants, qui se matérialise par exemple sous forme de routines séquentielles ou d'une complémentarité des actions accomplies (p.ex. les questions que pose le journaliste et les réponses que donne l'invité). En somme, chaque interaction institutionnelle possède une 'empreinte interactionnelle' (fingerprint, Heritage & Greatbatch 1991) unique, façonnée par les procédures et les contraintes spécifiques mises en œuvre par les participants pour accomplir leurs objectifs.

2 Avant-propos

Ce numéro de TRANEL se propose d'explorer la dimension institutionnelle des échanges verbaux – dans une diversité de contextes – telle qu'elle est accomplie à travers les conduites des acteurs qui y prennent part. Les contributions se focalisent sur la dimension interactionnelle des institutions sociales et placent au cœur de leurs démarches le recueil et l'analyse d'interactions authentiques, c'est-à-dire non provoquées par le chercheur. Les interactions ont été enregistrées sous forme audio et/ou vidéo, puis transcrites de façon à rendre compte le plus fidèlement possible non seulement de ce qui a été dit, mais aussi des détails de la production du dire (p.ex. intonations, répétitions, faux-départs, hésitations, pauses, chevauchements, mais aussi les regards, les gestes, etc.1). Ce sont précisément ces 'détails' qui témoignent des interprétations situées que les acteurs font de leurs conduites mutuelles. Ils révèlent ainsi la minutie avec laquelle les participants se coordonnent et ajustent leurs conduites les uns aux autres à chaque instant du déroulement de l'interaction. L'approche de l'AC suppose en outre d'accorder une attention centrale à l'organisation séquentielle des interactions sociales: ainsi, une action d'un participant sera comprise au regard du moment précis où elle se produit, c'est-à-dire en tenant compte à la fois des actions précédentes (les siennes et celles d'autrui) et des attentes qui sont projetées sur les actions à venir.

Ce numéro rassemble des contributions portant sur une diversité de terrains et de pratiques. L'article de Sara KEEL s'intéresse à la conférence de presse. Si le contexte médiatique constitue un terrain classique de la recherche sur les interactions institutionnelles (cf. p.ex. Heritage & Greatbatch 1991), l'étude de Sara KEEL se penche sur une situation moins habituelle: la conférence de presse hybride (CPH) où les orateurs, des 'sans-papiers' occupant illégalement une église, se trouvent face à un public hétérogène de journalistes et de partisans. Se penchant sur la clôture des interventions des orateurs, elle montre que les pratiques de clôture ont des conséquences interactionnelles sur les réactions du public: plus la clôture du discours est rendue reconnaissable, plus l'orateur reçoit rapidement une réponse approbative du public sous forme d'applaudissements. Il apparaît que les pratiques de clôture ne sont pas toutes efficaces au même degré. La clôture est une tâche interactionnelle éminemment complexe qui est porteuse d'enjeux institutionnels importants. En effet, c'est à travers les applaudissements que les orateurs sont légitimés en tant que représentants du mouvement des sans-papiers.

La salle de classe constitue un autre terrain classique des études sur les interactions institutionnelles (cf. Gardner 2013 pour une présentation). Il est revisité dans ce numéro par deux contributions. Virginie DEGOUMOIS s'intéresse à la classe de français L1 au secondaire obligatoire dans le contexte

1 Pour plus d’informations sur les pratiques de transcription : voir les conventions annexées à

chaque article.

Evelyne Berger & Virginie Fasel Lauzon 3

suisse romand. L'étude porte sur l'expression d'opinions personnelles des élèves dans le cadre d'activités pédagogiques de débat. L'auteure montre le travail de positionnement épistémique observable lorsque les élèves prennent la parole. L'empreinte institutionnelle de l'expression d'opinion se révèle d'une part dans le guidage de l'enseignant quant à la formulation d'opinion et d'autre part dans la 'prudence interactionnelle' qui caractérise les prises de position des élèves. La prudence interactionnelle des élèves témoigne de leur orientation vers une possible évaluation de l'enseignant, quand bien même l'action de donner son opinion ne peut à proprement parler être évaluée comme "juste" ou "fausse". De plus, les élèves semblent également réticents à prendre position face à leurs camarades de classe, craignant que leur opinion soit en porte-à-faux avec celle de la majorité.

L'article de Klara SKOGMYR MARIAN et Silvia KUNITZ s'intéresse à la classe de langue étrangère. Se basant sur un corpus d'interactions en classe d'anglais L2 au secondaire obligatoire en Suède, les auteures étudient l'évolution de la participation d'une élève au cours d'un travail en groupe (tâche de vocabulaire). Par une observation fine des conduites tant verbales que multimodales, les auteures montrent comment l'élève Emma passe d'une participation à la tâche d'abord marginale vers une participation de plus en plus active et légitime. En effet, plus le groupe progresse dans la tâche et plus Emma propose des solutions, complète, corrige ou commente les contributions de ses camarades, prend en charge l'avancement de la tâche et s'approprie physiquement le matériel à disposition (feuilles, crayon). L'évolution des formes de participation se traduit par des changements dans le positionnement épistémique de l'élève et dans la reconnaissance de son expertise par les autres participants.

La contribution de Vasiliki MARKAKI-LOTHE et Laurent FILLIETTAZ s'intéresse à la formation professionnelle des éducatrices de la petite enfance. L'étude porte sur les interactions entre référentes, stagiaires et enfants lors d'activités en crèche. Dans ce contexte, il est fréquent d'observer des schismes interactionnels, c'est-à-dire la scission temporaire d'une interaction en deux interactions parallèles. La référente s'adresse alors momentanément à un (ou plusieurs) enfant(s) dont le comportement est inapproprié, en prenant garde à ne pas entraver la poursuite de l'activité éducative menée par la stagiaire avec le reste des enfants. Les auteurs montrent comment les participants recourent au schisme pour gérer les contraintes et les besoins de la formation au travail. L'émergence et la transformation de cadres de participation complexes, notamment à travers le schisme, est ainsi une pratique spécifique à la situation institutionnelle étudiée.

La contribution d'Evelyne BERGER questionne les frontières entre contexte institutionnel et conversation ordinaire en s'intéressant à un contexte 'hybride'. L'article porte sur les interactions entre une jeune fille au-pair et sa famille d'accueil. Les conduites des participants au sein de ces conversations cristallisent par moments des rapports de type employeur-employé, notamment

4 Avant-propos

au cours de récits concernant les faits et gestes des enfants de la famille. L'étude révèle un travail sous-jacent au récit du narrateur et aux réactions du récipiendaire qui vise non seulement à définir leur expertise mutuelle en matière d'éducation mais aussi à négocier leur légitimité à évaluer le comportement des enfants.

Les articles regroupés dans ce volume mettent en évidence la nature foncièrement située et émergente de la dimension institutionnelle. Le contexte institutionnel se construit dans et grâce aux orientations des participants vers la nature de leurs relations et vers les objectifs qu'ils poursuivent. Par exemple, la fille au-pair et la mère d'accueil se positionnent dans un rapport employeur-employée lors de récits spontanés au sujet des enfants (cf. BERGER). Ou encore, par le schisme, l'éducatrice expérimentée se positionne comme tutrice en créant les circonstances adéquates pour que la stagiaire puisse mener à bien son projet éducatif (cf. MARKAKI-LOTHE & FILLIETTAZ).

Plusieurs articles révèlent le rôle central que les pratiques de mise en scène des savoirs et de leur légitimation par les co-participants jouent dans les interactions en contexte institutionnel. En effet, ces interactions se caractérisent typiquement par une spécialisation des rôles institutionnels, ce qui se reflètent dans les modalités de participation aux activités, mais également dans la mise en scène d'une asymétrie des droits et des responsabilités épistémiques. Au travers des ressources utilisées pour exprimer un point de vue ou réagir à l'expression du point de vue d'autrui, les participants construisent et négocient leurs rôles respectifs, la primauté des savoirs relatifs à certains domaines de connaissance, les droits à transmettre ou à évaluer ces savoirs (cf. DEGOUMOIS; BERGER) ainsi que la manière de procéder pour solliciter ou apporter de l'aide (cf. SKOGMYR MARIAN & KUNITZ).

Enfin, certains articles soulignent l'importance de l'environnement physique et des objets dans la configuration des interactions institutionnelles. La manipulation d'objets et d'artéfacts ou les mouvements des participants dans l'espace façonnent les conduites des participants et participent à la configuration du contexte institutionnel des interactions. Ainsi, des cadres de participation spécifiques à l'activité institutionnelle (p.ex. un travail en groupe en salle de classe, cf. SKOGMYR & KUNITZ, l'appel en crèche, cf. MARKAKI-LOTHE & FILLIETTAZ, la conférence de presse, cf. Sara KEEL) sont mis en place à travers les positionnements corporels des participants ou l'orientation de leurs regards. Ces cadres de participation créent les circonstances particulières dans lesquelles se produisent les échanges et sont réaménagés au gré des contingences de l'interaction (p.ex. émergence d'un schisme, cf. MARKAKI-LOTHE & FILLIETTAZ). Les articles documentent également la manière dont certaines conduites multimodales sont instituées par les participants comme pratiques interactionnelles légitimes (p.ex. les applaudissements après le discours des orateurs dans l'étude de KEEL et les déplacements lors de l'appel dans l'étude de MARKAKI-LOTHE & FILLIETTAZ).

Evelyne Berger & Virginie Fasel Lauzon 5

En somme, les contributions de ce volume contribuent à étoffer les connaissances sur les pratiques d'"institutionnalisation" des interactions sociales à travers les conduites et les ajustements des participants, en s'intéressant à une diversité de contextes et en se focalisant sur des aspects variés.

BIBLIOGRAPHIE

Drew, P. & Heritage, J. (1992): Analyzing talk at work: an introduction. In P. Drew & J. Heritage (éds), Talk at work. Cambridge (Cambridge University Press), 3-65.

Gardner, R. (2013): Conversation analysis in the classroom. In J. Sidnell & T. Stivers (éds.), The handbook of conversation analysis. Malden/MA (Blackwell), 593-611.

Heritage, J. & Clayman, St. (2010): Talk in action. Oxford (Blackwell).

Heritage, J. & Greatbatch, D. (1991): On the institutional character of institutional talk: The case of news interview interaction. In D. Boden & D. H. Zimmerman (éds.), Talk and social structure Berkeley (University of California Press), 93-137.

Travaux neuchâtelois de linguistique, 2017, 67, 7-30

 

Générer des applaudissements lors de conférences de presse tenues par le mouvement des sans-papiers

Sara KEEL Université de Bâle, Département de Linguistique et Littérature

On the occasion of a protest movement, launched in Fribourg, Switzerland, in 2001 by immigrants without residence permits – the "sans-papiers (undocumented)" – and their supporters constituted a hybrid setting, a mix between press conferences and demonstration/political actions. Most notably, the setting implied an important number of supporters attending the press conference as part of the audience. In contrast to journalists, who have an obligation of "neutrality", the supporters were expected to express their approbation at the end of the hosts' official interventions publicly, thus, enforcing the protest movement's democratic legitimacy. This paper offers detailed analyses of the different ways the speakers closed their interventions, and reveals that some types of closings engender an immediate and unequivocal manifestation of approbation by the supporters, most notably those composed by a more than minimal acknowledgement, whereas others have difficulties in mobilizing an approving response. The different accomplishments of the closing thus have an impact on the movement's capacity to constitute its members publicly and to be recognized by others, as members of a legitimate protest movement.

1. Introduction

Le 4 Juin 2001, vingt immigré(e)s vivant en Suisse sans permis de résidence et de travail occupent l'église St. Paul à Fribourg. Ils se rassemblent en tant que "collectif des sans-papiers", démarrant ainsi un mouvement de protestation avec une revendication politique spécifique: la régularisation collective de tous les sans-papiers vivant en Suisse. En collaboration avec des associations, des syndicats, des institutions religieuses et des partis politiques locaux et nationaux, le collectif organise régulièrement des conférences de presse pendant toute la période d'occupation1.

Cet article s'intéresse au format hybride que prennent ces conférences de presse, s'apparentant à la fois à la conférence de presse et à la réunion politique, notamment par la mobilisation d'une audience mixte constituée de journalistes et de partisans du mouvement. Au contraire des journalistes, qui se doivent de prendre une posture neutre tout au long de la conférence de presse, les partisans se rendent reconnaissables en tant que partisans à travers l'expression publique d'approbation, sous la forme d'applaudissements, de klaxons, de 'bravos', suite aux interventions officielles.

                                                       1   L'occupation de l'église St Paul se termine fin août 2001 et est suivie de l'occupation d'un

centre d'art contemporain à Fribourg jusqu'au 22 décembre 2001. 

8 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

Ainsi, la conférence de presse hybride (CPH) est utilisée comme une ressource militante.

En effet, la dimension militante des CPH est notamment produite par l'accomplissement interactif de l'auto-catégorisation "sans-papiers" comme "catégorie révolutionnaire" (Keel 2017), telle qu'elle a été discutée par Sacks (1992 I: 169-174, 396-403 [trad. française in] Bovet, Gonzalez-Martinez & Malbois 2014: 29-42). Contrairement aux catégorisations utilisées par les autorités publiques, telles que "clandestins", "illégaux" (EKM 2011: 3; Quassoli 2013), dont les membres sont conventionnellement associés à une vie dans l'ombre, dans l'illégalité, et à l'absence de droits civiques, l'auto-catégorisation "sans-papiers" renvoie à la détermination des membres de revendiquer et de se battre au grand jour afin d'obtenir une reconnaissance légale, économique et sociale (Akin 2000; Keel 2017). Mobiliser une catégorie révolutionnaire, telle que "sans-papiers", n'implique pas seulement qu'on "se soumet aux normes que l'ensemble des membres de la catégorie respecte et fait respecter" (Sacks 2014: 38). Cela implique aussi qu'on vise à amener les non-membres à changer leur "perception de la réalité" (Sacks 2014: 33) en adoptant la catégorie, selon le principe que: "what it takes to be a member, and what it is that's known about members, is something that the members enforce" (Sacks 1992 I: 173).

La mobilisation d'une catégorie révolutionnaire constitue ainsi à la fois un premier pas significatif dans une protestation collective et un outil de lutte pour un mouvement visant un changement politique (Bonnafous 1997/1998: 13). En revanche, son imposition dans la sphère publique et médiatique ne va pas de soi (Akin 1999). Bien au contraire, cela requiert une gestion compétente de la publicité du mouvement et une diffusion efficace du savoir partagé à l'égard de la population ainsi désignée (Sacks 1992 I: 173).

Nous soutenons que l'accomplissement interactif des CPH, à travers des manifestations d'approbation des partisans suite aux interventions militantes des orateurs officiels, permet à la fois de produire et de diffuser un autre savoir à l'égard des immigrés résidant en suisse sans permis de travail/résidence que celui qui est véhiculé par les catégorisations "clandestins", "illégaux" utilisées par les autorités. Dans les prochaines sections, nous discuterons ainsi des travaux d'analyse de conversation sur l'organisation interactive de la conférence de presse (§ 2.1) et des dispositifs rhétoriques mobilisés en vue d'obtenir des réponses approbatives (§ 2.2). Ensuite, les données sur lesquelles se base cet article seront brièvement présentées (§ 3). Finalement, neuf extraits de clôture d'interventions ponctuées de réponses approbatives de partisans seront analysés (§ 4). Nous relèverons les ressources linguistiques et incarnées, notamment des remerciements plus ou moins élaborés accompagnés de regards dirigés vers l'audience, à l'aide desquelles les orateurs des CPH closent leurs interventions officielles et parviennent ainsi à générer une réponse approbative de leurs partisans.

Sara Keel 9

 

2. La conférence de presse comme ressource militante

Les conférences de presse sont classiquement organisées comme un échange entre deux parties, comportant chacune plusieurs membres: les organisateurs de la conférence de presse incluent l'animateur et les orateurs officiels, et le corps de presse est constitué par des journalistes de la télévision, de la radio, de la presse écrite, etc. (Schegloff 1987: 222). Lors d'une conversation ordinaire à deux parties, les interlocuteurs disposent a priori des mêmes droits à la prise de parole (Sacks, Schegloff & Jefferson 1974). En contraste, les membres de chaque partie d'une conférence de presse sont responsables de certaines tâches et dotés de droits et d'obligations spécifiques (Clayman & Heritage 2002b). Les organisateurs sont libres de désigner l'animateur, les orateurs qui prononcent les interventions officielles, de choisir les thèmes adressés lors des interventions, d'organiser l'allocation des tours de paroles et d'animer les questions des journalistes, ce qui leur permet notamment de restreindre les opportunités des journalistes de poser des "questions de suivi" critiques (follow-up questions) (Schegloff 1987: 224). Les possibilités d'action des journalistes sont plus restreintes: ils peuvent poser des questions, éventuellement relancer une réponse, tout en maintenant une attitude "neutre" face aux propos des organisateurs (Clayman & Heritage 2002a). Les organisateurs disposent ainsi d'un pouvoir important sur la conduite des activités qui composent la conférence de presse dans son ensemble: 1) l'ouverture, 2) les interventions officielles, 3) la séquence questions-réponses, 4) la clôture (Bhatia 2006).

Comme nous allons le voir, ce contrôle des organisateurs sur la gestion et le déroulement de la conférence de presse peut être utilisé à des fins pratiques. Au-delà de l'occupation de l'église, d'actions politico-militantes et de manifestation publiques, le développement des CPH a permis au mouvement des sans-papiers de contrôler ses apparitions publiques en tant que mouvement de protestation, rendant ainsi la mobilisation et le soutien de ses partisans visible et audible.

2.1 La production d'une conférence de presse hybride

Les CPH mises en œuvre par le mouvement des sans-papiers incorporent des objets et des formes d'expressions caractéristiques de configurations protestataires et militantes: elles sont précédées ou suivies par des marches collectives et par la distribution systématique du manifeste des sans-papiers, des banderoles rappellent les revendications politiques, le mégaphone est utilisé comme moyen d'amplification, des chansons protestataires sont produites, les orateurs officiels sont déguisés, différentes formes de "sit-ins" sont organisées, et elles prennent place dans des lieux symboliques, comme par exemple devant ou même dans l'église occupée, sur la scène d'un théâtre, devant le palais fédéral (le siège du parlement et du gouvernement suisse;

10 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

voir aussi Keel 2017). Sur le plan de l'interaction, la CPH devient reconnaissable pour ce qu'elle est, ou dans les mots de Heritage (1984: 290) "talked into being", par les trois catégories de participants qui la caractérisent: 1) les organisateurs (animateur et orateurs officiels), 2) le corps de presse (journalistes) et 3) les partisans (voir figure 1), dont les droits, obligations et tâches sont distincts.

Figure 1: Les trois parties à une CPH

Lors d'une conférence de presse hybride, les droits, obligations et tâches des organisateurs (1) et du corps de presse (2) correspondent à ceux d'une conférence de presse 'classique'. Assis à une table allongée faisant face au corps de presse et aux partisans (Figure 1), les organisateurs sont aisément reconnaissables. L'animateur assure l'organisation générale de la conférence, en passant le mégaphone à tour de rôle aux orateurs désignés, lesquels assurent les interventions officielles et répondent ensuite aux éventuelles questions des journalistes. Les journalistes se rendent reconnaissables en adoptant une posture neutre, silencieuse et concentrée sur leur tâche professionnelle, qui consiste à recueillir les propos tenus et poser des questions suites aux interventions officielles (Figure 1).

Au niveau de l'organisation de l'espace, la troisième partie, les partisans, se trouve au même titre que les journalistes face aux organisateurs (Figure 1). En revanche, contrairement aux journalistes, ils se rendent reconnaissables à travers la production d'applaudissements, de "bravos", de klaxons, et d'autres manifestations d'approbations suite aux interventions des organisateurs. Par leur diverses manifestations publiques d'approbation (audible et visible), les partisans rendent publiquement tangible leur soutien aux propos tenus par les organisateurs et à la cause défendue par ces derniers, constituant ainsi un "baromètre d'appréciation" et de "popularité" (Atkinson 1984b: 371; Heritage, Clayman & Zimmerman 1988: 95; Relieu & Brock 1995: 95).

Sara Keel 11

 

L'obligation des journalistes d'enregistrer les événements et d'assurer une couverture médiatique succincte (Heritage, Clayman & Zimmerman 1988: 101) rend la clôture de l'orateur et la manifestation d'approbation accessibles à une audience qui va bien au-delà des participants à l'événement même. En effet, des études sur la sélection de courtes séquences vidéo enregistrées lors de réunions politiques montrent que les séquences retenues par la télévision incluent dans la grande majorité des cas d'assertions qui engendrent immédiatement une réponse approbative sans équivoque par les partisans (Heritage, Clayman & Zimmerman 1988: 100-1001).

Ainsi, la présence de partisans manifestant leur approbation permet au mouvement de protestation des sans-papiers de faire d'une pierre deux coups: de faire voir et entendre sa capacité à montrer ses membres comme appartenant à une catégorie révolutionnaire. Contrairement aux membres des catégories "clandestins" et "illégaux" (voir § 1), auxquels on associe conventionnellement une recherche d'invisibilité, surtout auprès des autorités publiques, les orateurs des CPH (voir § 3) mettent en scène leur capacité à mobiliser des citoyens pour la cause et les revendications qu'ils défendent, et à affirmer la légitimité démocratique de leur mouvement protestataire. Dans ce sens, le pouvoir qui incombe aux organisateurs de la conférence de presse (voir Bhatia 2006; Schegloff 1987) est utilisé comme une ressource militante importante (voir Ekström 2011 sur l'hybridité de formats médiatiques comme ressources interactives).

Pour comprendre comment les orateurs de la CPH parviennent à générer des réponses approbatives des partisans, le paragraphe suivant discute des études pionnières portant sur les méthodes rhétoriques et les ressources non-verbales et incarnées qui sont mobilisées par les orateurs de réunions politiques.

2.2 Production et format de clôtures et réponse approbative

Sur la base de ses études portant sur les prises de paroles publiques de politiciens (Atkinson 1983, 1984a+b, 1985), Atkinson affirme (2004: 291) qu'amener une intervention à sa fin et la clore de manière à ce qu'elle engendre une manifestation d'approbation par le public n'est pas une chose facile. Selon Atkinson (2004: 292), il faut disposer d'une stratégie pour clore l'intervention. Celle-ci peut consister à "retourner à la base" (returning to base) – reprendre un point évoqué auparavant et en tirer une conclusion – et/ou à utiliser un dispositif rhétorique. L'utilisation d'un dispositif permet à la fois d'accentuer le contenu d'un message, et de projeter un point de complétion reconnaissable qui offre à l'audience une opportunité imminente de répondre avec une manifestation d'approbation immédiate et sans équivoque (Relieu & Brock 1995: 96).

12 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

L'hypothèse d'Atkinson (1983, 1984a+b), qui attribue aux dispositifs rhétoriques une importance centrale dans la quête des faveurs du public, a été validée par une étude quantitative de Heritage et Greatbatch (1986). Les auteurs démontrent que sept dispositifs rhétoriques rendent compte de 67% des applaudissements produits lors de réunions politiques, et cela indépendamment de la politique défendue par l'orateur, donc du contenu du message, ou de l'expérience de l'orateur (Heritage & Greatbatch 1986: 137, 140). Trois d'entre eux constituent à la fois les dispositifs les plus utilisés et les plus efficaces pour parvenir à générer une réponse approbative de l'audience. Il s'agit d'abord de la paire contrastive consistant en un énoncé composé de deux parties juxtaposées sous forme d'une thèse et de son antithèse. Le second dispositif est la liste à trois éléments, dont le troisième est précédé par un "et", permettant à l'audience de le reconnaître comme dernier élément et donc comme point de complétion. Il peut enfin s'agir d'une combinaison de ces deux formats (Relieu & Brock 1995: 96-99).

En plus de l'utilisation de dispositifs rhétoriques, le déclenchement de manifestations d'approbation tient également à la capacité de l'orateur à accentuer son message à travers différentes ressources vocales et non-vocales, voire incarnées, telle que la direction du regard vers l'audience, l'utilisation de gestes, l'accélération ou le ralentissement du débit de production, le volume plus élevé ou encore l'intonation déployée lors de la production du dispositif rhétorique (Heritage & Greatbatch 1986: 143). Heritage & Greatbatch (1986: 144) affirment que dans la majorité des cas de dispositifs rhétoriques non-applaudis par l'audience, l'orateur ne regarde pas l'audience pendant sa production et ne parvient dès lors pas à lui communiquer l'importance de son message et le fait qu'elle mérite de faire l'objet d'une manifestation d'approbation. Notre recherche sur les clôtures d'interventions lors de CPH montre que les orateurs disposent de ressources incarnées supplémentaires, telles que rendre le mégaphone à l'animateur, baisser le document qui a servi de support pour l'intervention officielle, s'apprêter à s'assoir, pour indiquer qu'ils sont arrivés à la fin de leur intervention et qu'une réponse approbative des partisans devient pertinente.

Par ailleurs, Heritage & Greatbatch (1986: 122) soutiennent que dans le cadre des réunions politiques, les clôtures de discours engendrent de toute manière des applaudissements de l'audience, indépendamment du format qu'elles adoptent et du degré d'accentuation avec lequel elles sont produites. Lors de CPH étudiées dans le cadre de cet article, les partisans manifestent leur approbation, à quelques exceptions près, uniquement à la fin des interventions officielles. C'est donc cet environnement séquentiel précis qui permet de saisir les enjeux spécifiques à la CPH, à savoir l'utilisation d'un format hybride à des fins militantes. En contraste avec l'affirmation de Heritage & Greatbatch (1986: 112), selon laquelle "applause in our data was initiated within 0.3 seconds of sentence completion, and, on the basis of our observation, it is clear that the

Sara Keel 13

 

opportunity to applaud is effectively lost after approximately 0.5 seconds.", nous constatons des temps de réaction très variables, allant d'applaudissements qui sont produits en chevauchement avec la clôture des orateurs, à des applaudissements qui sont produits après un silence allant bien au-delà des 0.5 secondes mentionnées (jusqu'à 2.8 secondes).

Alors que la manifestation d'approbation par les partisans semble vraisemblablement attendue par les organisateurs de la CPH (voir aussi § 4.2.2 ci-dessous), sa réalisation temporelle peut donc fortement varier, d'où l'intérêt d'analyser diverses occurrences de clôtures pour comprendre le lien entre la production de clôture et le moment où les partisans initient une réponse approbative. Dans la section suivante (§ 3), nous présentons les données sur lesquelles se base cet article et discutons les observations issues d'un premier examen.

3. Données

Notre article est basé sur des enregistrements audiovisuels de douze conférences de presse hybrides (CPH) tenues par le mouvement des sans-papiers (environ 12 heures). Nous avons retenu uniquement les CP impliquant une audience composée de deux parties, les journalistes et les partisans, lors desquelles la clôture des interventions officielles suscite une manifestation d'approbation des partisans. Toutes les CPH retenues impliquent des interventions officielles d'au moins deux sans-papiers, de plusieurs représentant(e)s d'associations, de syndicats, d'institutions religieuses et/ou de membres de partis politiques soutenant le collectif des sans-papiers dans sa démarche et ses revendications.

Sur cette base, 42 occurrences de clôtures d'interventions officielles avec réponse approbative des partisans, à l'exception de quelques interventions ponctuelles qui ne parviennent pas à ce but (voir tableau 1 ci-dessous), ont été identifiées. Un premier examen de ce sous-corpus permet d'une part de constater la présence importante de remerciements comme élément de clôture et d'autre part de reconnaître que ces dernières suscitent dans 78% des cas une réponse approbative immédiate ou rapide de l'audience. En contraste, 79% des clôtures sans remerciements engendrent une réponse retardée, tardive ou même complétement absente:

14 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

Clôtures/

Temps de réaction

Avec remerciements

comme élément final

Sans remerciements TOTAL

Réponse immédiate

(chevauchement/silence < 0.5) 11 1 13

Réponse +/- rapide

(0.5 ≥ silence < 1.0) 7 2 8

Réponse retardée

(1.0 ≥ silence ≤ 1.3) 5 4 9

Réponse tardive, non-réponses

(1.3 > silence ≤ 3.0) 0 12 12

TOTAL 23 19 42

Tableau 1: Corrélation entre clôtures et temps de réaction des partisans

Pour approfondir notre compréhension de la relation observée entre format et production de la clôture et temps de réaction des partisans, nous allons examiner différentes occurrences du phénomène identifié.

4. Formats de clôtures et temps de réaction de l'audience avant de produire une réponse approbative

Notre analyse multimodale du phénomène interactif tient compte des différentes dimensions des clôtures: leur organisation séquentielle, leur formatage et leur production incarnée. Nous examinons dans un premier temps (4.1) le seul cas de clôture qui ne prend pas la forme d'un remerciement mais qui engendre néanmoins une réponse approbative immédiate de la part des partisans (voir tableau 1 ci-dessus). Ensuite, nous analysons différents types de remerciements qui sont utilisés par les orateurs de manière plus ou moins efficace pour clore leur intervention et pour générer une réponse approbative des partisans (4.2). La conclusion de l'article nous servira alors à discuter ces résultats en les recadrant dans leur contexte d'occurrence – une activité de protestation – afin de comprendre en quoi les remerciements en fin d'intervention et leur réception par des applaudissements constituent un phénomène intéressant d'un point de vue linguistique et sociologique.

4.1 Clôture sans remerciements et réponse approbative immédiate

Le tableau 1 ci-dessus comporte un cas de clôture sans éléments de remerciements, mais qui engendre néanmoins une réponse approbative de la part des partisans.

Dans le premier extrait, l'orateur déploie un dispositif rhétorique classique pour clôturer son intervention – une liste à trois éléments – et projette, de manière précoce et à travers l'utilisation de ressources incarnées, la fin de son intervention:

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Extrait 1 (sp_clo_ex10)

01 VDC …rappelons* également* qu'a Lausa::nne/ (0.8) plus*ieurs <<reg bas*-reg AUD--*-reg bas-------------------*-reg AUD-> 02 collectifs de* sans-papie:rs,* (0.2) sont en train de ->*-reg bas-------*-reg AUD--> 03 s'organi*ser (0.7) *en vue d'élargir la lutte (0.3)* dans le ->*-reg bas--*reg AUD------------------------*-reg bas-> 04 canton d'vaud (0.4) et pour le* reste de la* suisse. (1.1) ->*-reg AUD----*-reg bas-> 05 -> cou*rage (.) détermination (.) et que vive la lu*tte\

->*-reg AUD------------------------------------*-reg bas->> *-s'assied->>

06 (0.4) 07 AUD XXXXXXXXxx(6.2)xxxxx ((cut))

Avant d'accomplir son message clôturant sous la forme d'une liste (5), l'orateur produit une affirmation positive quant à la multiplication des "collectifs des sans-papiers" et l'élargissement du mouvement protestataire dans le "canton de vaud" et "le reste de la suisse" (1-4). A la fin de son affirmation, l'orateur baisse le regard et le maintien baissé tout au long de la pause de 1.1 seconde. Ensuite, il produit une liste à trois éléments (5) (Atkinson 1984a: 57ff), qui constitue l'un des dispositifs rhétoriques les plus efficaces pour susciter des applaudissements (Heritage & Greatbatch 1986: 125-126). En composant sa liste avec des termes qui relèvent de la harangue, il produit un message militant clair. Alors que les deux premiers éléments sont accentués, suivis d'une mini-pause et produits avec une intonation projetant une suite, le troisième est précédé par un "et", et il est produit avec une intonation descendante, terminale. Pendant que l'orateur produit sa liste, il regarde l'audience, ne baissant le regard que sur la dernière syllabe du dernier mot de la liste, s'apprêtant simultanément à s'asseoir, indiquant ainsi qu'il a terminé son intervention.

Dans le cas discuté ci-dessus, l'orateur déploie un dispositif rhétorique efficace. En accentuant les deux premiers éléments par des ressources vocales et incarnées, en l'occurrence le regard, et en s'apprêtant à s'asseoir en même temps qu'il prononce le dernier élément de sa liste, l'orateur parvient à la fois à accentuer le message clôturant et à publiciser la complétion de son intervention. Il parvient ainsi à générer une réponse approbative immédiate, 0.4 secondes après sa complétion, et à susciter l'engagement des partisans dans "l'activité liée à leur catégorie d'appartenance", à savoir ratifier par des applaudissements le message combatif de l'orateur (voir Sacks 1992 I: 236-264; Keel 2014).

4.2 Clôturer avec un remerciement

Comme nous l'avons montré à l'aide du tableau 1, en dehors de l'exception discutée ci-dessus, les clôtures qui prennent la forme de remerciements impliquent des temps de réaction nettement inférieurs à celles qui ne le font pas. Dans ce qui suit, nous discuterons différents types de remerciements permettant aux orateurs de clôturer leur intervention. Nous montrerons d'abord

16 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

que les remerciements élaborés, répétés ou verbalisés suscitent une réponse approbative en chevauchement ou immédiatement après leur complétion (4.2.1). Ensuite, nous discuterons les simples "merci", qui sont utilisés pour relancer activement une réponse approbative des partisans en cas de non-réponse de leur part (4.2.2), et/ou qui peinent à engendrer une réponse approbative (4.2.3).  Nos analyses permettent de souligner l'importance centrale des remerciements dans le déclenchement d'une réponse approbative immédiate et sans équivoque dans le cadre des CPH étudiées.

4.2.1 Remerciements verbalisés, répétés et/ou amplifiés

Dans les deux cas suivants (extraits 2-3), l'élément final de la clôture constitue un remerciement verbalisé, et/ou répété, voire amplifié, suscitant une réponse approbative de l'audience en chevauchement ou immédiatement après complétion du remerciement (silence < 0.5 secondes 2).

Dans l'extrait 2, l'orateur, avant de remercier l'audience, prononce une accusation visant les églises en combinant deux dispositifs rhétoriques efficaces:

Extrait 2 (sp_clo_2)

1 MUG (0.5) >c'est pas nouveau que les églises en tout cas <<-reg AUD-> 2 (0.3) les églises catholiques une fois d'plus trouvent 3 plus important< d'se ba:ttre/ (0.4) co:ntre/ (.) >les 4 questions sexuelles et l'avortement< (0.2) plutôt de 5 soutenir les êtres vivants\ qui vivent chez nous\ (.) 6 je vous [re]merc[ie].= 7 AUD [x] [x] 8 AUD =*U*[:]::H[HHHHH Bravo::*:*:* mug *-reg vers KUN----------*reg droite->> mug *dir mégaphone v KUN, le donne à KUN* mug *-s'éloigne->> 9 AUD [X] [XXX(6.9)XXXXXXxx[xxx]xxxx= 10 KUN [merci] 11 KUN =( )

L'annonce "c'est pas nouveaux que les églises... " (1-2) de l'orateur constitue une "head-line" qui renvoie au comportement des églises. Il projette alors l'accusation qui suit comme un "punch-line/coup final" (2-5) (Heritage & Greatbatch 1986: 128ff.). L'audience est ainsi avertie qu'une réponse de sa part devient pertinente à la fin du "punch-line". En plus, le "punch-line" projeté est produit sous la forme d'un "contraste " (Heritage & Greatbatch 1986: 122ff.), composé de deux parties de longueur et structure syntaxique semblables: "les églises […] trouvent plus important d'se ba:ttre/ (0.4) co:ntre/ " (3) "plutôt de soutenir… " (4-5). La structure contrastive facilite la reconnaissance de son point de complétion et constitue donc un dispositif rhétorique très efficace (Heritage & Greatbatch 1986: 123-124). Après

                                                       2   Les extraits 2-5 illustrent 9 sur 11 cas des "clôtures en forme de remerciements, suscitant

une réponse approbative en chevauchement ou immédiatement après complétion" du tableau 1 ci-dessus.  

Sara Keel 17

 

complétion du contraste, l'orateur fait une mini-pause (5), après laquelle il verbalise un remerciement (6). Alors que le "je", accentue l'agentivité de l'orateur, le "vous" (6), ne laisse aucun doute sur le récepteur de son remerciement. La réponse approbative de l'audience commence en chevauchement avec le dernier mot du remerciement et s'amplifie immédiatement après sa complétion (7-8). Tout au long du "head-line/punch-line" et du remerciement, l'orateur regarde l'audience, réorientant le regard vers l'animateur pour lui rendre le mégaphone (8) seulement après que la réponse approbative des partisans ait été initiée en ligne 7.

Dans l'extrait 1, le comportement de l'orateur en fin de clôture (il s'apprête à s'asseoir) a vraisemblablement contribué à initier la réponse approbative des partisans. Dans l'extrait 2 son placement séquentiel nous indique qu'au lieu de contribuer à initier la réponse, il semble susciter une intensification rapide de la réponse (8-9).

Dans l'extrait suivant (3), la forme du message qui précède le remerciement ne projette pas un point de complétion aussi clair que dans l'extrait précédent (2) et sa production n'est pas accentuée par la mobilisation de ressources vocales ou incarnées. Sa contribution à la mobilisation d'une réponse en chevauchement avec le remerciement semble donc moins décisive:

Extrait 3 (sp_clo_6)

1 NEZ bis jetzt die pfarrerei hat nur über briefe jusqu'à présent la paroisse a uniquement communiqué par écrit nez <<-reg AUD-> 2 mit uns (.) kommuniziert, (0.3) direkt im tisch hat avec nous, elle ne s'est jamais assise autour d'une table 3 nie:: gesitzt* (0.7) mit uns zu reden/ (0.6) pour discuter avec nous nez *reg vers bas-> 4 und wir wollen *das (stoff) dieses hauses weiterlebt, (0.4) et nous voulons que l'(essence) de cette maison continue nez *reg AUD-> 5 >und i begrüsse euch und danke schön und danke et je vous salue et merci bien et merci 6 [vielmal wo sie da*gewesen kommen< sind.] [beaucoup que vous aviez venu, été là.] 7 AUD [X X Xx xxx xxXXXXXXXXXXXXXXXXXXX]XX(12.8)xxx nez *s'assied->>

Au début de l'extrait, l'orateur formule une paire contrastive, accusant la paroisse3 d'avoir "uniquement communiqué par écrit (hat nur über briefe mit uns kommuniziert)" et qu'elle ne s'est "jamais assise autour d'une table pour discuter (direkt im tisch hat nie:: gesitzt mit uns zu reden)" (1-3). L'orateur déploie une intonation montante à la fin de la deuxième partie du contraste, indiquant ainsi une suite (3). Après une pause de 0.6 secondes, il produit la particule de connexion "et" (4), qui lui permet d'étendre son tour sans projeter un contenu spécifique. Le connecteur est alors suivi d'une déclaration de                                                        3   L'orateur parle en Allemand. Plusieurs formulations ne correspondent pas à l'allemand

standard: "pfarrerei" au lieu de "pfarrei"; "direkt im tisch" au lieu de "direkt am tisch". L'orateur est ainsi reconnaissable comme un 'non-native speaker', tout en produisant un discours compréhensible.  

18 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

volonté collective qui marque la détermination de résister à la paroisse accusée: "nous voulons que l'(essence) de cette maison continue (wir wollen das (stoff) dieses hauses weiterlebt)" (4). L'orateur produit son intervention dans le cadre d'une CPH ayant lieu dans l'entrée de l'église occupée et qui concerne l'ultimatum prononcé par la paroisse, laquelle demande au collectif des sans-papiers de mettre fin à l'occupation. Alors que "l'essence (das (stoff))" est peu audible et plutôt obscure, la référence indexicale à "cette maison (dieses hauses)", suivie de la formulation du verbe "continuer (weiterleben)" à la troisième personne du singulier (4), est reconnaissable comme renvoyant au lieu d'occupation et au souhait que cette dernière continue.

La fin de la déclaration est produite avec une intonation continue, suivi d'une pause (4) et de la particule de connexion "et" (5), projetant une suite qui vient sous la forme d'une liste, dont chaque élément est précédé par un "et". Le premier élément est constitué d'une salutation et les éléments deux et trois accomplissent des remerciements amplifiés: "merci bien" (5), "merci beaucoup…" (5-6).

A travers le déploiement de cette liste, accentuée par un débit de production rapide et un regard fixé sur l'audience, l'orateur assure une réponse des partisans en chevauchement avec le "beaucoup" à la ligne 6. Comme dans l'extrait précédent (2), il s'apprête à s'asseoir après que les partisans ont déjà initié leur réponse approbative en ligne 6. A part son regard vers l'audience lors des remerciements, le comportement visible de l'orateur ne contribue donc pas à initier les applaudissements dans cet extrait.

Dans l'extrait suivant de cette section, l'oratrice produit un remerciement sous une forme standard et l'accentue par le regard, suscitant ainsi la réponse approbative des partisans immédiatement après la complétion:

Extrait 4 (sp_clo_40)

1 YGE (1.0)* cette décisio::n (.) e::st* (0.2) i*naccepta:ble, <<reg doc*-reg AUD---------------*-reg doc*-reg AUD-> 2 elle viole les* droits humains,* (1.0) e::t >je n'peux pas *-reg doc--------*-reg AUD-> 3 l'accepter moi personnellement en *tant ˚qu'socialiste\˚<* *reg doc---------------* 4 AUD1 *((tou[sse])) 5 YGE [me]rci pour votre atten*tion\ *-reg AUD---------------------*-baisse regard-> 6 (0.3) 7 AUD xXX&XXXXXXXX(10.0)XXxxxxxx x x cam &moves to AUD->>

Avant de prononcer son remerciement "merci pour votre attention\" (5), l'oratrice utilise la stratégie qu'Atkinson appelle "retourner à la base" (2004: 292), pour mener son intervention à son terme. Aux lignes 1-2, elle emploie une formulation indexicale, pour présenter "cette décisio::n", comme étant "inaccepta:ble," (1) et pour justifier son accusation par le fait qu'elle "viole les droits humains," (2), sans spécifier de quelle décision il s'agit, ni qui est visé

Sara Keel 19

 

par son accusation. Elle résume ainsi succinctement son intervention, au cours de laquelle l'intransigeance du conseiller d'Etat socialiste face aux revendications des sans-papiers a été critiquée. Le résumé est suivi d'une pause d'une seconde et d'un "e::t" contenant une élongation vocalique et projetant une suite. Ce ralentissement du débit est en contraste avec le déploiement d'un débit rapide par la suite: l'oratrice invoque son positionnement personnelle en la matière en se distanciant "personnellement" de "cette décisio::n", après l'avoir critiquée (2-3). A la fin de son positionnement personnel, l'oratrice déploie un volume bas et une intonation descendante. Elle commence ensuite son remerciement en chevauchement avec le bruit de toux venant de l'audience (4), qu'elle produit d'une voix monotone mais en maintenant son regard fixé sur l'audience jusqu'à la dernière syllabe.

Son remerciement de forme standard vient ainsi clore son intervention (5), engendrant une réponse approbative de l'audience trois dixième de secondes après sa complétion. Comme dans les extraits précédents (2-3), l'initiation des applaudissements par les partisans ne nécessite pas de ressources non-verbales supplémentaires pour rendre la clôture de l'intervention reconnaissable.

Dans le dernier extrait (5) de cette section, le remerciement est lexicalement amplifié. Si une première réponse individuelle venant de l'audience, "bravo::", est rapidement produite (0.4 secondes après complétion), l'applaudissement collectif ne vient que plus tard.

La CPH de laquelle cet extrait est tiré a lieu devant une école et porte sur le droit des enfants et des jeunes à la formation.

Extrait 5 (sp_clo_27)

1 ART >ich möchte in die schule* gehen, weil* der schule ist je veux aller à l'école, car l'école est <<-reg AUD---------------*-vers bas--*-reg KUN-> 2 für alle* kinder\< (0.3) >merci viel*mol\< pour tous les enfants merci beaucoup\ *reg AUD/sourit-------------* reg KUN-> *dir mégaph. v KUN-> 3 (0.4) 4 AUD1 br%av*o:: kun %mg prend mégaphone-> art *se tourne v l'arrière, s'éloigne-> 5 (0.2) 6 AUD xx[%XXXXXXX]XXxxxxx(3.4)xxx[xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx]xx… kun %pas en arrière, mg dirige mégaphone vers sa bouche-> 7 AUD [JUHU:::] 8 KUN [le témoignage de lakdar\]

Au début de l'extrait (1-2), l'orateur, un enfant, prononce un souhait personnel, "je veux aller à l'école (ich möchte in die schule gehen)", tout en le justifiant par l'obligation de l'école d'être au service de "tous les enfants". La justification est produite avec un débit rapide et une intonation terminale sur le dernier mot (2). Elle est suivie d'une petite pause et d'un remerciement amplifié "merci beaucoup" (2). Produit avec une intonation terminale sur le dernier mot, le

20 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

remerciement est accentué par le déploiement d'un débit rapide. Pendant que l'orateur énonce son souhait personnel et sa justification politique (1-2), son regard change souvent de direction (voir transcription multimodale). En revanche, à partir du dernier mot de sa justification (2), et durant le remerciement, il regarde l'audience et réoriente finalement son regard vers l'animateur après complétion du remerciement en même temps qu'il dirige le mégaphone dans sa direction (2).

Avec son changement de regard et la restitution du mégaphone à ce moment-là, l'orateur indique clairement la fin de son intervention. Son comportement vient ainsi confirmer visuellement que le remerciement amplifié (2) constitue bel et bien la complétion de son intervention. Cela permet à un partisan de répondre immédiatement (0.4 secondes après complétion) avec un "bravo::" (4), qui engendre peu après (5) des applaudissements (6) et d'autres manifestations d'appréciation (7).

Dans les quatre extraits (2-5) de cette section, l'orateur fait précéder son remerciement par une accusation, laquelle vise un des acteurs publics impliqués dans le sort que la Suisse réserve aux immigrés sans-papiers en général ou aux sans-papiers impliqués dans l'occupation plus particulièrement: l'église catholique (extrait 2), la paroisse (extrait 3), la décision prise par les autorités publiques (extrait 4) ou encore l'instruction publique (extrait 5). En revanche, les manières de formuler l'accusation se distinguent les unes des autres par leur forme et par la manière dont elles sont produites. Alors que certaines accusations sont composées selon l'art de la rhétorique et accentuées par l'utilisation du volume, par la mise en relief de certains termes clés, par le regard, etc. (extraits 2 et 4), d'autres orateurs manifestent une maîtrise linguistique limitée ou peinent à déployer des ressources verbales et corporelles pour accentuer leur point final (extraits 3 et 5). Finalement, trois des quatre orateurs (extraits 2, 3, 4) ne déploient pas de comportement visible pour indiquer qu'ils arrivent à la fin de leur intervention, par exemple en s'apprêtant à s'asseoir, avant l'initiation des applaudissements.

En revanche, les quatre extraits (2-5) ont en commun que la clôture se fait à travers un remerciement, projetant par convention une complétion imminente, qui prend en plus une forme plus ou moins élaborée. Dans les quatre cas, l'orateur parvient à accentuer ses remerciements par l'utilisation du regard qui fixe l'audience tout au long de sa production. Ainsi, le remerciement verbalisé (extrait 2) et les remerciements répétés (extrait 3) suscitent une réponse approbative de l'audience en chevauchement. Dans les deux autres cas, le remerciement amplifié engendre une réponse immédiate (0.3 ou 0.4 secondes après complétion du remerciement). Ces premiers constats suggèrent que suite à un message accusateur, les remerciements élaborés et accentués ont un effet accélérateur sur le temps de réaction des partisans.

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4.2.2 Remerciement minimal au service d'une relance de réponse approbative

Dans cette section, nous discutons un dispositif rhétorique qui consiste à "partir à la chasse aux applaudissements" (going in pursuit of applause) (Atkinson 1984a: 78). Un orateur peut relancer une réponse approbative par des dispositifs très divers, comme par exemple en re-complétant le point précédent ou en modifiant le "footing" de son message, en passant d'un message en son propre nom à un message au nom d'une collectivité, ou encore en reformulant le point central du message précédent (Atkinson 1984a: 78ff.; Heritage et Greatbatch 1986: 133ff.). Les cas que nous allons discuter dans cette section prennent une forme plus simple que ceux énumérés ci-dessus, mais s'avèrent presque aussi efficaces.

Les extraits 6-7 ci-dessous n'incorporent pas de remerciement au départ, et n'engendrent pas de réponse approbative spontanée de la part des partisans. Après au moins 0.8 secondes de silence, l'orateur vient combler cette non-réponse avec un simple "merci", assurant ainsi une réponse approbative rapide des partisans4.

Dans le premier extrait (6), l'oratrice ne déploie pas de dispositif rhétorique pour permettre au public d'anticiper la clôture de son intervention. Les partisans ne répondent pas immédiatement avec une manifestation d'approbation, ce qui engendre une relance active de la part de l'oratrice:

Extrait 6 (sp_clo_1)

3 4 5 6 1 MAR #et je peusse pas pa#rler (.) plus\#** pa(r)ce qué:-* <<-reg AUD->> <<-mains, palm ouv, sur poitrine* *mains v devant, v bas* *mains, palm ferm sur poitr* fig #figure 3 #figure 4 #figure 5 2 (*2.6*) *tous compren*dre *los que *je #vous dis\ *mains v devant, v bas* *mains v haut, palm ouv, mains v bas* *mains v haut, palm ferm* *mains sous table->> fig #figure 6 3 (0.8) 4 ˚mer*ci\˚ mar *-se laisse aller en arrière-> 5 (0.6) 6 AUD x= 7 NAS =˚merci ma[ria˚]

                                                       4 Les extraits 6-7 illustrent 5 des 7 cas de la case "clôture avec remerciements engendrant

une réponse rapide" du tableau 1 ci-dessus.  

22 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

8 AUD [x xx]xxxxxxxxx (8.0)

A la ligne 1, l'oratrice constate "je peusse pas parler plus\", qu'elle accompagne de gestes et mimiques (voir figures 3-5 et transcription multimodale) qui soulignent les émotions qui la submergent. Son constat est suivi d'un "pa(r)ce qué-", projetant une explication, qui ne se produit toutefois pas. En effet, après une longue pause de 2.6 secondes (2), l'oratrice attribue à l'audience une compréhension suffisante de ce qu'elle a à leur dire. En prononçant le dernier mot de son attribution avec une intonation descendante (2), et en laissant disparaître ses mains sous la table, l'oratrice indique de manière incarnée qu'elle est arrivée à la fin de son intervention (figure 6). Après un silence de 0.8 secondes (3), l'oratrice prononce un simple "˚merci\˚" (4), à voix basse et avec une intonation descendante, et se laisse aller en arrière pendant qu'elle produit la dernière syllabe (4). Elle suscite ainsi rapidement un premier applaudissement (6), qui est suivi d'un remerciement de la part de l'animateur (7), chevauché par une réponse collective prenant la forme d'une salve d'applaudissements (8).

On observe une re-complétion similaire de la prise de parole par un remerciement dans l'extrait 7:

Extrait 7 (sp_sp_7) 

39/40, 80u dessus de la loi/ *(0.4) il y a le droit\* (0.4) <<-reg vers le bas------------*-reg vers AUD---------* vers bas-> 2 avec un grand d (1.0) et le droi:t (.) n'est* la propriété *-reg AUD-> 3 de per*sonne (0.5) même pas des pouvoirs publics (0.5) *reg vers le bas-> 4 il appartient a tout l'monde\ (0.6) et c'est notre devoi:r/ 5 (0.6) de faire tout ce qu'il faut *(0.6) pour que la *reg AUD-> 6 *loi un jour (0.*5) devienne plus juste* et plus humaine\ *-reg v le bas--*-regarde AUD----------*reg v le bas-> 7 (1.*2) *reg AUD-> 8 >merci\< 9 (*0.5) *reg v le bas, s'assied-> 10 AUD XXXXXXX[XXXXX]XXX[XXXXXXXXX]Xx(38.1)xxxx((decrescendo)) 11 AUD [BRAVO::] [BRAVO::: BRAVO:: YEAH: BRAVO::]

La clôture (1-6) accomplit une prise de position 'complexe' qui implique la combinaison de plusieurs dispositifs rhétoriques (Heritage et Greatbatch 1986: 32). Au début de l'extrait, l'orateur décrit le "droit\ (0.4) avec un grand d", comme étant "au dessus de la loi/" (1-2). L'orateur présente ensuite sa compréhension de la notion à l'aide d'une paire contrastive, dont la première partie prend la forme d'une négation spécifiée: "le droi:t (.) n'est la propriété de personne (0.5) même pas des pouvoirs publics" (2-3), et la deuxième partie est formulée en termes positifs et en tant que trait caractéristique: "il appartient à tout l'monde \"(4). La complétion de la paire contrastive est accomplie à travers le déploiement d'une intonation descendante sur le dernier mot. Cette déclaration d'un état de fait concernant le "droit avec un grand d", constitue une "préface à une prise de position" (Heritage et Greatbatch 1986: 132). En

Sara Keel 23

 

effet, après une pause (4) suivie du connecteur "et", l'orateur opte pour un footing de type à la fois factuel et inclusif pour prendre position: "c'est notre devoi:r / de faire tout…" (4), "pour que la loi […] devienne plus juste et plus humaine\" (5-6). Alors que l'orateur utilise une rhétorique sophistiquée, tout en accentuant les termes clés pour souligner l'importance de sa prise de position et de la conclusion qu'il en tire, il fait constamment basculer son regard entre l'audience et le document qui lui sert visiblement de support, peinant ainsi à fixer l'audience. Il ne parvient donc pas à engendrer une réponse immédiate de l'audience (7). L'orateur lève alors le regard, fixe l'audience, et après 1.2 secondes de silence, produit un simple ">merci<" en déployant un débit rapide (8). Cela lui permet de susciter une réponse approbative sans équivoque des partisans (10-11) rapidement (après un silence de 0.5 secondes (9)).

Les deux extraits (6-7) constituent des illustrations emblématiques pour un ensemble de clôtures qui ne parviennent pas à engendrer une réponse d'audience immédiate. Dans ces cas, le simple "merci" de l'orateur semble constituer un dispositif à la fois simple et sans équivoque pour aller à la chasse d'une réponse approbative (Atkinson 1984a: 78). Si cette chasse est couronnée de succès, elle se distingue toutefois au niveau du temps de réaction des partisans avec des silences après le "merci" allant de 0.2 à 0.9 secondes.

Dans la dernière section analytique, nous allons nous pencher sur un type de remerciement identique à celui discuté ci-dessus – "merci"–, mais dont le positionnement séquentiel est différent.

4.2.3 Remerciement minimal, "merci", non précédé par une pause

Les clôtures des extraits 8 et 9 prennent la forme d'un remerciement minimal: "merci\". En contraste avec les cas discutés dans la section précédente, celui des extraits 8 et 9 n'est pas précédé d'une pause. Bien au contraire, il est produit en continuité prosodique avec ce qui précède et n'est ainsi pas aisément audible comme constituant une action à part entière. Nous constatons que ce type de remerciement peine à engendrer une réponse approbative de la part des partisans: cette dernière arrive de manière retardée, une seconde ou plus après la complétion du "merci"5.

L'extrait suivant (8), est tiré de la même CPH que l'extrait 5 ci-dessus. La conférence a lieu devant une école et porte sur le droit fondamental des enfants et des jeunes à la formation, indépendamment de leur statut légal en Suisse:

Extrait 8 (sp_clo_28)

1 LAK (0.6) e:::h tout c'que:: j'veux c'est de: de pouvoi:r me <<-reg vers bas->

                                                       5   Les extraits 8-9 illustrent 3 sur 5 cas de la case "clôtures avec remerciement engendrant une

réponse tardive" du tableau 1 ci-dessus. 

24 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

2 réintégrer eh:: (0.4) eh le plus vite tôt possible au: 3 cours de:: (0.5) >de mes études ici< à l'université d'fribourg 4 pour pouvoir (0.4) eh: atteindre mon but qui est d'avoir un 5 diplôme universi*taire*, merci\ *reg gauche/haut*reg vers bas-> 6 (*%1.1) *md dirige mégaphone vers bas-> kun %mg dirige vers mégaphone, 7 AUD x %x (2.2) x [x x x] x x(1.7)x[x x x kun %mg prend le mégaphone, le dirige vers sa bouche-> 8 KUN [merci] [( )

L'orateur formule d'abord sa volonté personnelle de poursuivre ses études "le plus vite" (1-3) en la justifiant par un but personnel d'obtenir "un diplôme universitaire,". En contraste avec l'orateur de l'extrait 5, qui articule son souhait personnel d'aller à l'école au droit à la formation de "tous les enfants", l'orateur de cet extrait formule toute son argumentation à la première personne "j[e]", "mes", "mon" (1, 3, 4), ne rendant pas explicitement reconnaissable le lien entre sa situation personnelle et les revendications politiques du mouvement des sans-papiers. En déployant une intonation continue à la fin de sa justification, et sans faire intervenir de pause, l'orateur complète son intervention avec un simple "merci \", qui est produit avec une intonation descendante. Pendant toute sa clôture, l'orateur ne déploie pas de ressources particulières pour accentuer l'importance de son message, bien au contraire: il regarde vers le bas tout au long de l'extrait, sauf lorsque son regard vagabonde vers la gauche et le haut (5). En revanche, en contraste avec les extraits 2-4, l'orateur dirige le mégaphone vers le bas immédiatement à la suite du "merci \", indiquant ainsi la fin de son intervention de manière gestuelle (6), bien avant que les partisans aient initié les applaudissements (7). Simultanément à la reprise du mégaphone par l'animateur, après 1.1 secondes de silence, les applaudissements des partisans commencent de manière plutôt hésitante.

Dans l'extrait suivant, le positionnement et le format du remerciement sont les mêmes:

Extrait 9 (sp_clo_32)

1 SEB la seule chose qu'on peut faire maintenant c'est <<-reg AUD-> 2 d'se réunir demain matin à huit heures et demi ici: 3 (0.5) pour pouvoir aller au:: tribunal (0.4) e:t 4 manifester notre mécontentement\ (0.5) alors j'vous attends 5 (.) demain, (.) ˚merci\˚ 6 (*1*.0) *mg dirige mégaphone vers bas-> *se tourne vers l'arrière, dirige mégaphone vers sa bouche-> 7 AUD x [xx xxx xxxxxxx xxxx xxx]x x x[x xx x xx x xx x x x x 8 SEB *eh[(j')passe la parole *à::](0.3)[monsieur bourgarel du *tourne vers audience*se tourne vers BOU-> 9 AUD x x x x x x x x x x] x x (3.3) xx ((cut)) 10 *mouvement d'souti*en\] *tourne vers AUD--*-tourne vers et se dirige vers BOU->>

Tout en regardant l'audience, l'orateur termine son intervention avec un appel à la mobilisation (1-6) qui prend la forme d'une liste à trois éléments,

Sara Keel 25

 

renvoyant 1) à l'heure exacte: "demain matin à huit heures et demi", 2) au lieu: "ici" et 3) à la raison du rassemblement "pour … manifester notre mécontentement\" (2-4). Le troisième élément n'est pas précédé par un "et" (4). Il n'est donc pas aisément reconnaissable comme étant l'élément clôturant. Après une pause de 0.5 secondes, l'orateur réitère son appel en la formulant à la première personne du singulier, accentuant son agentivité (4) et insistant sur l'indication temporelle, "alors j'vous attends (.) demain,", avant de clore, avec un simple "˚merci\˚", produit, après une mini-pause, d'une voix basse et avec une intonation descendante (5). Après un silence d'une seconde (6), pendant lequel il dirige le mégaphone vers le bas, indiquant ainsi qu'il a terminé, les applaudissements de l'audience commencent de manière hésitante et s'amplifient par la suite.

Alors que les clôtures des deux derniers extraits se distinguent à plusieurs niveaux – l'orateur de l'extrait 8 termine son intervention avec un positionnement purement personnel et ne déploie pas de ressources multimodales (regard, prosodie, rythme) pour accentuer son message, l'orateur de l'extrait 9 fait appel à une mobilisation collective en regardant l'audience et en recourant à la prosodie pour accentuer son message – le positionnement séquentiel et le format du remerciement sont identiques: le remerciement n'est pas précédé d'une pause et est produit dans un format minimal au niveau lexical et de la voix: "merci \". Il est ainsi difficilement reconnaissable comme une action à part entière qui mérite un espace propre et une accentuation. En plus, en contraste avec les extraits 2-4, les deux orateurs s'apprêtent à baisser le mégaphone immédiatement après le remerciement, indiquant ainsi de manière gestuelle qu'ils sont arrivés à la fin de leur intervention. L'applaudissement de l'audience n'intervient néanmoins qu'après une pause remarquable dans les deux cas, et de manière hésitante. Cette manière d'accomplir le remerciement ne constitue vraisemblablement pas un dispositif très efficace pour générer une réponse approbative immédiate et univoque de l'audience.

4. Conclusion

Cette étude s'est intéressée à un dispositif de conférence de presse hybride (CPH) mené par le mouvement des sans-papiers, où l'incorporation d'éléments caractéristiques des manifestations politiques, notamment la présence importante de partisans dans une audience habituellement composée exclusivement de journalistes, permet aux organisateurs de se constituer publiquement comme membres d'une catégorie révolutionnaire (voir § 1) et d'en assurer la couverture médiatique (voir § 2.2). En effet, les partisans répondent aux interventions officielles de la CPH avec des manifestations d'approbation visibles et audibles (applaudissements, "bravo", klaxon etc.) (voir extraits 1-9). A travers leur réponses approbatives, les partisans s'identifient et se rendent reconnaissables en tant que partisans

26 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

(versus journalistes), qui produisent et rendent public leur soutien aux propos militants et contestataires tenus par les orateurs – à ce sujet voir les accusations de ceux qui entravent la lutte des sans-papiers (extraits 2-5), les appels à la mobilisation ou les encouragements à l'engagement militant (extraits 1, 7, 9) en fin d'interventions. Ce comportement des partisans augmente fortement la probabilité que les événements soient couverts médiatiquement par les journalistes présents et deviennent donc accessibles à une population non-présente sur les lieux (voir § 2.2; Relieu et Brock 1995: 99-100), attribuant ainsi une légitimité démocratique au mouvement et aux revendications politiques qu'il défend.

Parvenir à générer une réponse approbative immédiate des partisans lors d'une CPH est un problème pratique pour les orateurs avant d'être une question pour les chercheurs. Afin de mieux comprendre comment les orateurs et les partisans arrivent à résoudre ce problème in situ, cet article offre une analyse détaillée de neuf extraits illustrant différentes méthodes, notamment des remerciements élaborés, à l'aide desquelles les orateurs officiels des CPH clôturent leurs interventions de manière à ce qu'elles génèrent une réponse approbative immédiate et sans équivoque de la part des partisans. Dans ce sens, nos analyses montrent bien que des systèmes d'échanges institutionnels, tels que des conférences de presse, ne sont pas établis une fois pour toute, préfigurant ainsi de manière déterministe les marges de manœuvre des uns et des autres. Bien au contraire, ils peuvent être ingénieusement modifiés in situ et à toute fin pratique, par exemple pour être utilisés comme ressource militante (Mondada et Keel 2017).

L'utilisation de dispositifs rhétoriques et de ressources verbales, vocales et non-verbales (telles que le regard, les gestes, mais aussi le débit de production et la prosodie), en vue de générer une réponse approbative des partisans est amplement discutée dans la littérature portant sur les réunions politiques (voir § 2.2: Atkinson 1984a+b; Hertiage et Greatbatch 1986, Relieu et Brock 1995). Nous argumentons qu'au-delà des dispositifs rhétoriques, l'utilisation de remerciements pour clore une intervention lors d'une CPH constitue à la fois un dispositif simple et efficace, donnant à l'orateur une apparence de contrôle et de maîtrise. Il peut par conséquent être déployé avec succès par des orateurs peu expérimentés et/ou ayant une maîtrise linguistique limitée. Nos analyses montrent en revanche que l'efficacité du remerciement pour générer une réponse approbative dépend non seulement de son degré d'élaboration au niveau de sa forme, mais aussi de sa position séquentielle et de sa production vocale et incarnée. En effet, nos analyses suggèrent que si le remerciement élaboré (extraits 2-5) engendre une réponse en chevauchement/immédiate, le remerciement minimal (au niveau lexical et au niveau de son accentuation à travers le volume et la prosodie: extraits 6-9), engendre, selon sa position séquentielle, soit une réponse rapide si il est utilisé comme une relance active et intervient après une pause (d'au moins 0.8

Sara Keel 27

 

secondes: extraits 6-7), soit une réponse retardée (et hésitante) si il n'est pas précédé d'une pause et si il est prononcé avec une prosodie en continuation avec ce qui le précède (extraits 8-9). L'analyse de son accomplissement multimodal suggère finalement que le regard fixé sur l'audience lors de sa production (extraits 1-7, 9) a un effet accélérateur sur la réponse des partisans.

On ne peut en revanche pas proposer, sur la base des neufs extraits (1-9), d'observations concluantes sur l'utilisation et l'efficacité d'autres ressources gestuelles, telles que diriger le mégaphone vers l'animateur, baisser la feuille qui a servi de support tout au long de l'intervention, ou encore s'apprêter à s'asseoir, qui permettraient aux partisans de reconnaître le remerciement comme clôture et donc comme moment pertinent pour répondre avec une manifestation d'approbation. En effet, les extraits (5, 6-9) lors desquels ces ressources incarnées sont mobilisées avant que les partisans aient initié les applaudissements ne sont pas ceux qui se démarquent par une réponse approbative immédiate. Bien au contraire, dans trois des quatre extraits (2-4) engendrant une réponse immédiate ou en chevauchement, l'orateur utilise les ressources mentionnées uniquement après que les partisans ont initié la réponse approbative.

Notre constat sur l'importance des remerciements en général (voir tableau 1 ci-dessus) et plus particulièrement des remerciements élaborés (voir extraits 2-5) pour la mobilisation de manifestations d'approbation immédiate et sans équivoque par les partisans, se base sur un nombre d'occurrences limitées (N=23). Le caractère représentatif de ce constat est par conséquent sujet à caution. Néanmoins, en se distinguant des travaux (voir § 2.2) se focalisant sur les dispositifs rhétoriques utilisés par des locuteurs natifs (et souvent expérimentés), notre étude invite à porter l'attention sur des dispositifs rhétoriques qui seraient efficaces indépendamment du niveau de maîtrise linguistique des orateurs et des membres de l'audience, contribuant ainsi à la compréhension "de la praxéologie du charisme" (Relieu et Brock 1995: 99) dans le contexte spécifiquement exolingue des mouvements de sans-papiers.

Remerciements

Les analyses présentées dans cet article ont été développées dans le cadre du projet "Speaking in Public: Social Interactions within Larger Groups", dirigé par Prof. Lorenza Mondada et financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (100014_1443761/1, 100012_162689/1). Je tiens vivement à remercier les deux reviewers anonymes pour la lecture attentive et leurs précieux commentaires sur une première version du texte et Alain Bovet pour ses remarques très appréciées et stimulantes et sa relecture de la version finale.

28 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

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Annexe: conventions de transcription

Pour les transcriptions nous avons utilisé les conventions développées par Gail Jefferson (2004).

BEA identification du participant

? participant non-identifié

(.) micro-pause (inférieure à 0.2)

(3.2) pause chronométrée en secondes et dixièmes de secondes

= enchaînement immédiat entre un tour et l'autre (latching)

[ ] début/fin du chevauchement

: allongement

int- troncation, amorce de mot

/ intonation montante

\ intonation descendante

30 Générer des applaudissements lors de conférences de presse 

 

merci accentuation

MERCI volume accru de la voix

°merci° voix basse

>merci< accélération du débit

(si) / ( ) transcription incertaine / segment produit et non compris par le transcripteur

((rit)) actions non transcrites mais décrites

xx XX applaudissements

Pour les transcriptions multimodales nous avons utilisé les conventions développées par Lorenza Mondada (voir http://franz.unibas.ch/fileadmin/franz/user_upload/redaktion/Mondada_conv_multimodality.pdf).

viv identification, en minuscules, du participant effectuant le mouvement

* * délimitation du mouvement corporel d'un participant

+ + délimitation du mouvement corporel d'un autre participant

*--> début du mouvement, continuant sur d'autres lignes

-->* fin du mouvement une/quelques ligne(s) plus bas

>>-- commencement du mouvement avant le début du fragment

-->> continuation du mouvement au-delà de la fin du fragment

fig image, capture d'écran

# instant précis auquel est rapportée l'image

Travaux neuchâtelois de linguistique, 2017, 67, 31-48

Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire: de la prudence interactionnelle à l'affirmation de soi

Virginie DEGOUMOIS Centre de linguistique appliquée, Université de Neuchâtel

The present study is interested in how oral expression is managed in classroom interaction and aims to contribute to our understanding of how personal opinion is sequentially organized in this context and what institutional practices are used by the teachers in order to lead students to reconfigure the way they proffer it during open discussion activities. Through a single case analysis and using Conversational Analysis, we analyze in detail a prototypic question-response sequence that regularly occurs in personal opinion exchange activities in our data. Based on a corpus of 7,5 hours of interaction that was audio and video recorded in French L1 classrooms of Western Switzerland, the data come from a degree of obligatory schooling referred to as secondary-1 and involve students aged between 13 and 14 years old. The expression of personal opinions holds our interest because this everyday activity is not explicitly evaluated in the classroom and yet, it is particularly challenging for students. Although students have at their disposal the linguistic resources to express their opinion, the interest lies in the way the teacher and the students adjust their interactional practices in order to display to each other the appropriateness of a given conduct.

1. Introduction

Exprimer son opinion est une des fonctionnalités fondamentales du langage humain. Seul l'être humain bénéficie de la possibilité, à travers l'expression langagière, de donner son avis sur le monde qui l'entoure. Il est d'ailleurs constamment amené à donner son point de vue ou se positionner sur des évènements ou des sujets de la vie quotidienne, et ceci dans une multitude de contextes différents entre amis, en famille ou au travail que ce soit dans la conversation de tous les jours ou dans les divers contextes institutionnels qui constituent notre société actuelle. Sur le plan de la sphère publique, donner son opinion est largement valorisé, comme le montre notamment l'importance donnée aux sondages ou aux enquêtes d'opinions dans la prédiction de certaines tendances politiques ou économiques, par exemple. C'est également une pratique essentielle dans la construction de nos relations personnelles avec autrui, et donc un élément central de la gestion de l'intersubjectivité. En effet, une majorité de nos conversations quotidiennes s'appuient sur l'échange d'opinion: demander un conseil, se positionner sur un sujet, partager une vision intime du monde avec les autres, ou encore négocier des solutions à un problème donné. Sur le plan social, le fait de partager ses opinions – autrement dit transmettre sa manière de percevoir le monde – implique également de confronter sa pensée à celle d'autrui, qui est potentiellement différente. En cela,

32 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

exprimer ses opinions permet aussi de se construire une identité sociale distinctive en tant qu'individu.

C'est au sein du contexte scolaire, un des premiers lieux de socialisation des jeunes, qu'interviennent des activités où l'expression d'opinion personnelle est travaillée, celle-ci étant par ailleurs particulièrement rattachée à l'apprentissage de l'argumentation et des activités de débats (voir le plan d'étude romand, PER, cycle 3). Les données observées pour cette étude consistent en des moments d'échanges d'opinions personnelles sur une thématique donnée où l'on demande simplement à l'élève de se positionner. Il ne s'agit donc pas d'une activité de débat où il est demandé à l'élève, par exemple, de réagir selon un rôle déterminé et prédéfini ou spécifiquement en réaction aux avis de ses camarades. Ces types de discussions ouvertes se présentent comme des moments d'animation conversationnelle en classe qui s'annoncent comme relativement agréables pour l'élève, qui a alors la possibilité de s'exprimer oralement sans être régulièrement évalué de manière explicite, à l'inverse d'autres types d'activités en classe.

Toutefois, exprimer son opinion personnelle en classe se profile dans nos données comme une activité relativement délicate pour de jeunes adolescents. En effet, durant cette période de leur vie, les élèves du secondaire 1, âgés de 13 à 14 ans, entrent dans la préadolescence (12 à 15 ans; Balleys 2015) et sont ainsi confrontés à la puberté et aux transformations d'ordre physique, psychique et identitaire qu'elle implique (Cannard 2015). Le développement identitaire des préadolescents est fortement lié à des processus de socialisation dont l'école polarise les enjeux: c'est principalement à travers l'entretien et l'affichage des liens sociaux que l'adolescent va construire son identité sociale et forger son identité (Cannard 2015; Balleys 2015; inter alia). Cette construction identitaire va également se jouer au travers d'un besoin accru de reconnaissance des pairs, sur la façon d'agir et de penser de l'adolescent (Brinthaupt & Lipka 2012; Harter 1999). Le regard d'autrui, l'importance donnée aux relations sociales – ici incarnés par les pairs – ou la peur d'être marginalisé sont des dynamiques fortement sollicitées qui visent justement ce besoin de se conformer au groupe des pairs (Gavin & Furman 1989; voir également Harter 1999). C'est donc dans cette période complexe où les élèves sont occupés à forger leur personnalité en regard des autres qu'interviennent plus fréquemment ces moments d'échanges d'opinions personnelles en classe. Or, exprimer son opinion, c'est révéler une part de sa subjectivité en public et rendre accessible aux autres des pensées foncièrement intimes et des positionnements sur des thématiques diverses. Cet acte de positionnement individuel peut potentiellement générer un comportement en désaffiliation de la part des coparticipants qui ne partageraient pas la même vision des choses (Degoumois et al. 2017), et donc potentiellement mettre en péril la place de l'adolescent au sein du groupe classe. D'autre part, les opinions formulées par les élèves sont susceptibles d'être évaluées publiquement par l'enseignant, mais aussi d'être critiquées par

Virginie Degoumois 33

une éventuelle intervention verbale – non sollicitée par l'enseignant – des autres camarades de classe.

Pour ces différentes raisons, et dans un contexte où la recherche en didactique du français souligne la difficulté de modéliser l'oral en tant que dispositif de formation et d'enseignement (voir Dolz 2016; inter alia), il est particulièrement intéressant d'observer des pratiques effectives liées à l'enseignement de l'expression orale en langue première, et tout particulièrement la manière dont les élèves vont mobiliser certaines ressources interactionnelles, en dépit d'autres, pour formuler leur opinion. Les élèves ayant à leur disposition les ressources linguistiques nécessaires pour exprimer leur point de vue, l'intérêt réside principalement dans la façon dont les enseignants et les élèves vont adapter leurs pratiques interactionnelles afin de se montrer mutuellement la pertinence de leur conduite. De manière plus globale, cette étude vise à révéler les spécificités et les enjeux institutionnels liés à l'expression d'opinion personnelle au sein du contexte scolaire, notamment dans la manière dont les élèves du secondaire 1 formatent tendanciellement leur opinion sur le plan linguistique, mais aussi dans la façon dont l'opinion produite est reçue et traitée par l'enseignant.

2. Une définition interactionnelle de l'opinion personnelle

Bien que la notion d'opinion et sa dimension "publique" soit un sujet largement traité dans l'approche sociologique, que ce soit dans les recherches reposant sur la politique ou l'étude des médias (Bourdieu 1973; Gamson & Modigliani 1989; Myers 1998, 2004; Quéré 1990, 1995; Herbst 1993; Carey 1995; Katz & Lazarsfeld 2008 inter alia), peu d'entre elles se sont concentrées sur l'opinion personnelle en tant que telle, et notamment sur sa dimension interactionnelle (mais voir Quéré 1990, 1995; Myers 1998, 2004). Sur la base des travaux de Quéré (1990, 1995), nous considérons l'expression d'opinion personnelle comme une action évaluative et subjective qui, en termes de finalités communicatives, signale la manière dont un individu appréhende des faits selon son propre point de vue. Exprimer une opinion relève de l'éphémère, puisqu'elle peut se modifier ou se nuancer continuellement (Myers 2004), mais également de l'universel, l'opinion étant indépendante du statut social ou du domaine d'expertise de l'individu (Sacks 1992). De ce fait, elle n'est pas nécessairement fondée dans le domaine du vérifiable ou évaluable sur le plan épistémique en termes de juste ou faux. Son évaluation se rapporte plutôt à un ordre moral (voir Melander 2017, sur l'ordre moral dans l'interaction): toutes les opinions ne sont pas moralement recevables ou acceptables sur le plan social. Elle se profile donc comme un objet complexe touchant de multiples sphères – sociales, épistémiques et morales – qui traversent l'action sociale (Degoumois 2017).

À notre connaissance, aucune étude travaillant sur des contextes interactionnels a porté son attention sur l'expression d'opinion personnelle en

34 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

tant que focus analytique per se. Certaines ont spécifiquement pointé cet objet analytique dans la conversation, mais elles s'inspirent encore largement de l'analyse du discours (Quéré 1995; Myers 1998; Mullan 2010). Ainsi, peu se sont attardés sur une définition typiquement interactionnelle de l'expression d'opinion, ni sur la manière dont elle s'organise séquentiellement dans l'interaction (Degoumois 2017; Degoumois et al. 2017). À travers l'approche de l'analyse conversationnelle, les manifestations d'opinions personnelles ne font pas non plus l'objet d'une attention particulière en tant qu'objet analytique singulier. Les expressions d'opinions sont généralement mentionnées à travers les études analysant des contextes d'entretiens et d'interviews (Houtkoop-Steenstra 2000; Antaki et al. 2000), ou les structures argumentatives (Thornborrow 2007; Hutchby 1996; Coulter 1990). Toutefois, c'est au travers des recherches portant sur les évaluations (d'après la terminologie anglaise: assessments) que l'expression d'opinion est implicitement abordée (Pomerantz 1984; Goodwin & Goodwin 1987; Mondada 2009; Sidnell 2012; inter alia). L'évaluation est généralement comprise dans ces travaux comme l'expression d'un positionnement positif ou négatif du locuteur à l'égard d'une thématique particulière (Sidnell 2012). Perakylä & Ruusuvori (2006) nous invitent aussi à considérer le positionnement interactionnel du locuteur lorsqu'il accomplit une évaluation:

An assessment involves that the speaker and (or recipients evaluate persons or events that are described in their talk (Goodwin & Goodwin 1987) show their stance towards them. (Perakylä & Ruusuvori 2006:129)

C'est en ce sens que nous considérons l'évaluation (assessment) dans l'interaction comme un type d'expression d'opinion, ces deux phénomènes étant connus pour indexer un acte d'évaluation et un positionnement interactionnel (voir Du Bois 2007). Nous comprenons donc l'action d'évaluer en interaction comme un des nombreux composants participant à l'activité d'expression d'opinion personnelle. Elle se présente comme un phénomène contextuellement sensible, qui implique un positionnement interactionnel du locuteur et qui peut se réaliser de manière variée tout en enchevêtrant différents types d'action (accord, évaluation, conseil, expérience, etc.) lors de son élaboration.

3. Organisation séquentielle de l'expression d'opinion en classe

Les échanges d'expression d'opinion observés en classe de secondaire 1 sont issus d'activités de discussion relativement libres et informelles au sein d'un contexte qui ne présume pas d'une évaluation explicite de l'enseignant. Dans ce type d'activité, il est principalement demandé à l'élève de s'exprimer et transmettre son opinion, c'est-à-dire sans consignes spécifiques lui demandant de défendre ou confronter sa position par le biais d'arguments ou par la mise en scène de rôles prédéfinis (p.ex.: débat didactisé). Séquentiellement, l'expression d'opinion personnelle y est abordée en tant que seconde paire

Virginie Degoumois 35

adjacente, c'est-à-dire une réaction à une question ouverte posée par l'enseignant, ce qui la démarque de ce que l'on peut entrevoir dans la conversation ordinaire où l'expression d'opinion constitue une action qui est réalisée de manière plus spontanée (première paire adjacente) et qui est souvent auto-initiée par le locuteur (voir Pomerantz 1984). L'expression d'opinion personnelle en classe est le fruit d'un accomplissement conjoint qui tend à s'organiser séquentiellement sous forme de structure tripartite de type IRE/IRF (IRF, Sinclair & Coulthard 1975; IRE, Mehan 1979; ou QAC question-answer-comment, Markee 2005; pour un développement et une critique récente, voir Hellerman 2003, 2005; inter alia) comprenant trois moments séquentiels distincts: une initiation, une réponse et une forme d'évaluation ou de feedback. Ces séquences typiques sont majoritairement gérées par l'enseignant qui se charge généralement de l'ouverture et de la clôture de la séquence, à l'image de l'exemple suivant:

1) CODI-Sec1-DS4 l.675

01 Ens: et puis y a keiran encore qui n'a rien dit. 02 (1.7) 03 I Ens: comment tu le trouves? 04 R Kei: ben euh:: ç- ç- ça lui va bien mais j'en porterai jamais je 05 sais pas. 06 F Ens: mhm mhm. 07 (0.2)

Cela rend compte d'une prise en charge séquentielle prépondérante de l'enseignant vis-à-vis des actions des participants, dans laquelle nous retrouvons l'asymétrie liée aux rôles et aux identités institutionnels des acteurs de la classe. Cette spécificité de la prise en charge séquentielle de l'enseignant se révèle propre aux interactions scolaires, en comparaison à ce à quoi l'on pourrait s'attendre dans une conversation ordinaire où l'expression d'opinion ne requiert pas nécessairement une forme d'évaluation de type pédagogique mais plutôt une réaction sous forme d'affiliation ou de désaffiliation de l'interlocuteur. Remarquons ici la ratification minimale de l'enseignant (mhm mhm, l.6) ponctuée par une intonation finale descendante, qui joue généralement le rôle du troisième mouvement séquentiel conclusif dans nos données, et qui manifeste une forme de feedback sommaire de l'enseignant (voir ligne 6, extrait 1 infra).

Les tours de parole à unités multiples (extended multi-unit turns) constituent une autre caractéristique montrant que l'opinion personnelle est construite et coproduite de manière dynamique par les participants et qu'elle ne se cantonne pas aux frontières du tour de parole (voir l'extrait 3 infra). De plus, nous observons régulièrement que les élèves du secondaire 1 doivent faire face, non seulement à l'évaluation de l'enseignant face à leur intervention orale, mais également aux potentielles réactions de leurs pairs en cours d'activité, qui peuvent être relativement critiques et délicates à gérer, à l'image de l'intervention de Dominique (l.4) dans l'exemple suivant:

36 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

2) CODI-Sec1-DS3 l.630

1 Car: [(mais pour la ↓vi:e)] 2 (0.4) 3 Ens: CH::UT. 4 Dom: mais c'qu'elle EST NU[:LLE. ] 5 Ens: [CH::UT.] 6 Ens: non non, 7 (0.2) vous vous taisez c'est difficile de (0.4) dire ses idées

8 j'aimerais que vous écoutiez *>s'il vous plait.<

C'est à partir de ces différentes caractéristiques, liées au contexte scolaire observé, que notre recherche développe une conceptualisation spécifique de la formulation d'opinion personnelle. L'expression d'opinion se présente comme un phénomène contextuellement sensible et séquentiellement variable qui implique un positionnement interactionnel du locuteur pouvant se réaliser de manière variée lors de son élaboration.

4. Données

La présente recherche se base sur le corpus CODI 1 qui se compose d'enregistrements audio et vidéo d'interactions authentiques dans des classes de français langue première (L1) en Suisse romande. Les données ont été récoltées au sein du degré intitulé secondaire inférieur (secondaire 1) qui correspond au dernier cycle de la scolarité obligatoire. Les élèves sont âgés de 13 à 14 ans et sont en train de terminer l'avant-dernière année de leur cursus obligatoire, en section moderne, à savoir la 10e année Harmos2. Les activités observées consistent en 7,5 heures d'enregistrement (10 leçons de 45 min.), dans lesquelles nous avons recensé une collection de 222 occurrences de séquences d'opinions personnelles au secondaire 1 (voir Degoumois 2017). Ces activités consistent en des discussions ouvertes visant l'expression orale, où l'enseignant sollicite les opinions des élèves dans une dynamique d'échange plus ou moins structurée à partir d'une thématique donnée, généralement proche des élèves et énoncée en début de leçon. Afin de saisir de manière détaillée les enjeux liés à l'accomplissement de l'opinion personnelle en classe, nous avons choisi de soumettre à l'analyse, selon l'approche de l'analyse conversationnelle, un extrait unique – ici une séquence prototypique de question-réponse issue d'un échange d'opinions – représentatif des tendances que nous avons régulièrement observées afin d'illustrer plus précisément les

1 Le corpus CODI a été constitué par Evelyne Berger et Virginie Fasel Lauzon en 2006-2007,

dans le cadre du projet PNR56 "L'organisation du discours-dans-l'interaction: acquisition, enseignement, évaluation". Ce corpus présente des interactions en classes de français langue première et seconde, enregistrées en Suisse romande et alémanique.

2 Le terme HarmoS est utilisé par la conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) pour désigner un concordat suisse sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire entre les différents cantons (http://www.edk.ch/dyn/25663.php) qui a été effectif dès le 1er août 2009.

Virginie Degoumois 37

microdétails de l'interaction qui sont en jeu dans ce type d'activité, où l'élève doit formuler son point de vue devant la classe.

Souvent perçue au travers d'activités aux contours définis en classe (débat, exposé oral, etc.), et généralement abordée en fonction des contenus qu'elle convoque (argumentation), l'expression d'opinion est envisagée dans cet article dans sa dimension interactionnelle. Nous nous focaliserons notamment sur l'identification des ressources linguistiques mobilisées par les élèves pour exprimer leur opinion, ainsi que sur le type de pratiques institutionnelles de l'enseignant durant ce type d'activité. Bien que les étudiants aient à leur disposition les ressources linguistiques nécessaires pour exprimer leur opinion, l'intérêt réside dans la façon dont les enseignants et les élèves adaptent mutuellement leurs pratiques interactionnelles afin d'élaborer ensemble une conduite attendue et considérée comme légitime.

5. Analyse: solliciter une opinion plus élaborée

L'extrait choisi pour observer les expressions d'opinion des élèves et les actions de l'enseignant au sein de ces échanges concerne une activité de discussion au cours de laquelle les élèves doivent se prononcer sur leur vie future, notamment au niveau de la gestion entre vie de famille et vie professionnelle. Lors de cette discussion, les élèves sont placés en forme de U en face de l'enseignant qui se trouve à son bureau. Après avoir explicité la thématique à discuter, l'enseignant a donné aux élèves la consigne de demander la parole en levant la main pour formuler leur opinion personnelle. Cet extrait s'inscrit dans les 10 premières minutes de la discussion, où la thématique s'est acheminée vers des questions d'organisation du travail des parents en lien avec l'éducation et la garde des enfants. Pour des raisons de lisibilité, l'extrait (3) est découpé en trois parties (3a; 3b; 3c):

(3a) IC-YOU CODI L1-Sec1-DS3 l. 159

01 Ens: maya. 02 May: ben: peut-être que pour des raisons financières 03 ils pourraient pas arrêter le travail? 04 (0.9) 05 pis (0.2) alors euh ils pourraient alterner les, 06 (0.9) alterner les les heures de: 07 (2.3) 08 de boulot? 09 (0.4) 10 °ch'↑ais pas°. 11 Ens: mhm quan- 12 (0.5) 13 quand tu dis arrêter le travail <c'est que-> tu veux dire 14 que l'un des deux arrête complètement?

À la ligne 1, l'enseignant permet à Maya de prendre le floor, cette dernière ayant levé la main pour demander la parole quelques secondes avant le début de l'extrait. À travers l'action de lever la main, l'élève affiche qu'elle souhaite

38 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

s'exprimer sur la thématique proposée. Maya se positionne de manière mitigée (l.2): son tour de parole débute par le marqueur "ben" qui présage ici d'une réponse allusive et incertaine (Schegloff & Lerner 2009), suivi de l'adverbe "peut-être" qui exprime de l'incertitude. Relevons aussi le conditionnel (l.3), de même que l'intonation finale montante, qui participent à l'expression d'un positionnement incertain. Cette première proposition de Maya est suivie par une pause inter-tour (l.4) où l'enseignant n'intervient pas, montrant par là qu'il ne traite pas sa réponse comme étant terminée ou complète. Maya poursuit d'ailleurs sa réponse aux lignes 5 à 8 tout en affichant des problèmes de progressivité dans sa formulation: la construction de son tour de parole présente des disfluences telles que des répétitions (alterner/les) (l. 5,6), une pause intra-tour de parole de 0,9 seconde (l.6), un allongement vocalique ainsi qu'une pause significative de 2,3 secondes (l.7). Ce tour de parole (l.8) se termine à nouveau par une intonation finale montante qui peut traduire une forme d'incertitude et qui présente le tour comme soumis à une forme d'évaluation (Fasel Lauzon 2009). Par ce biais, Maya manifeste aussi une orientation vers la clôture de la séquence dans la mesure où sa réponse exhibe une complétude prosodique et syntaxique. Toutefois, sans aucune réaction de l'enseignant après une nouvelle pause inter-tour (l.9), Maya rend compte à nouveau d'une certaine difficulté à poursuivre le développement de son opinion: elle incrémente sa réponse en ajoutant cette fois-ci le marqueur épistémique je (ne) sais pas (dès à présent intitulé JSP) "ch'ais pas" (l.10) prononcé avec une voix chuchotante suivie par une intonation conclusive franche marquant son retrait de la scène conversationnelle. En effet, l'instrumentalisation de ce type de marqueur épistémique en cooccurrence avec certaines caractéristiques prosodiques est une pratique fréquente pour se désengager de l'échange en cours (Pekarek Doehler 2016) et indiquer un positionnement épistémique incertain sur les propos précédemment exprimés (Weatherall 2011; Degoumois 2017). Les caractéristiques formelles de la réponse de Maya (l.2-10) ainsi que les microdétails de l'interaction présentent une opinion personnelle incertaine et formulée avec quelques difficultés. Néanmoins, il est intéressant de remarquer que les pauses inter-tours (l.4,9) dans la réponse de Maya indiquent qu'elle élabore sa parole en fonction des possibles réactions de l'enseignant, comme si le timing de la réaction de ce dernier était l'indice d'une organisation préférentielle de l'activité.

L'enseignant réagit pourtant à la ligne suivante (l.11), en produisant une reformulation partielle de la réponse de Maya qu'il initie par la locution caractéristique "quand tu dis que" (l.13-14). Par cette action, il invite l'élève à donner des informations plus détaillées dans sa réponse sous la forme d'une demande de clarification (tu veux dire que l'un des deux arrête complètement). Cette pratique reformulative lui permet d'une part de réaliser une évaluation implicite: il légitime une partie de la réponse de Maya tout en l'informant de sa nature insuffisante. D'autre part, sur le plan des contenus, il manifeste des attentes plus précises quant à l'expression d'opinion, dans laquelle il relève ici

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un manque de précision – ici, spécifier ce qu'elle entend par "arrêter le travail" – s'orientant ainsi vers une meilleure compréhension mutuelle des participants. Suite à cette reformulation sous forme de demande de clarification, l'enseignant reçoit une réponse contrastée de la part de Maya:

(3b) IC-YOU CODI L1-Sec1-DS3 l. 159

14 que l'un des deux arrête complètement? 15 (0.4) 16 May: ouais ↓ben ch'ais pas <*c'est ce que j'avais pens-> *regarde martin 17 c'est ce que j'avais compris avec euh [(ce qu'a dit)] martin. 18 Ens: [mhm mhm. ] 19 (0.4) 20 Ens: .hh donc toi tu dirais, mais:: ça risque de::: 21 (0.2) de représenter un salaire insuffisant 22 si les deux parents (0.4) ne travaillent pas¿ 23 ou si y a qu'un des deux parents 24 qui travaille [l'autre pas du tout]. 25 May: [ben ça dépend ] 26 (0.3) 27 ça dépend le:: le métier?

À la ligne 16, Maya manifeste un accord à travers un "ouais" qui lui permet d'exhiber un alignement avec la reformulation précédente de l'enseignant. Toutefois son tour de parole est suivi par la construction classique de type [ben + JSP] (Pekarek Doehler 2016; Degoumois 2017) qui témoigne à nouveau d'un positionnement incertain et qui préface la réponse à venir comme une action non préférentielle, voire non conforme (Heritage 2013). En effet, en tournant son regard vers Martin, Maya produit, ici une justification épistémique (l.16-17) où elle mentionne que son propos est lié à ce qu'il avait exprimé précédemment (Martin soulevait la possibilité que la mère s'arrête de travailler pour s'occuper de son enfant jusqu'à l'école). Par le biais de cette action justificative, Maya semble interpréter la reformulation précédente de l'enseignant comme une évaluation potentiellement négative, mais surtout elle modifie son positionnement épistémique en référant désormais sa compréhension au point de vue de Martin, ce qui lui permet d'atténuer la responsabilité de sa propre opinion.

L'enseignant réagit en chevauchement (l.18) et ratifie minimalement cette clarification épistémique au travers d'un "mhm mhm" avec une intonation finale descendante avant la fin du tour de l'élève. La réponse de Maya, quant à elle, est à nouveau accompagnée par une intonation conclusive (l.17) qui indique qu'elle abandonne le floor. L'enseignant ne réagit pas spécifiquement à cette justification, mais il initie une nouvelle reformulation (l.20-24) qui revient sur l'opinion précédemment formulée par Maya (voir extrait 3a), réalisée à travers des caractéristiques formelles similaires à la ligne 13 sous la locution "donc toi tu dirais". À travers ce procédé déjà observé aux lignes 13-14, il traite à nouveau l'opinion de Maya comme incomplète en lui demandant de poursuivre l'élaboration de ses propos. Par cette reformulation, l'enseignant développe des contenus sur le plan lexico-sémantique passant progressivement de la notion

40 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

"d'arrêter de travailler" à la notion "d'insuffisance salariale". Ces pratiques reformulatives invitent Maya à verbaliser son opinion de manière différente, de même qu'elles permettent à l'enseignant de diriger l'élève vers l'expression d'un contenu plus spécifique, en lui montrant à travers cet étayage comment être plus précise au sein de sa réponse. Bien que Maya réagisse (l.25) en chevauchant la fin du tour de l'enseignant, elle exhibe pourtant une réponse plutôt laconique "ben ça dépend", produite avec de nombreuses répétitions lexicales (ça dépend/le) et achevée par une intonation finale montante marquant à nouveau l'incertitude. Par cette action, elle s'oriente également vers une possible non-conformité de la reformulation de l'enseignant vis-à-vis de son opinion, voire également vers la difficulté à se projeter dans l'avenir qu'invite la thématique proposée par l'enseignant:

(3c) IC-YOU CODI L1-Sec1-DS3 l. 159

27 May: ça dépend le:: le métier? 28 Ens: *mhm mhm? *regarde son bureau et bouge verticalement la tête 29 (1.7) 30 May: *°°(c'est mieux non)°°? *regarde l'enseignant 31 Ens: donc tu dis que y a des gens qui::, 32 en fait n'auraient pas de choix¿ 33 (0.6) 34 May: ouais je pense. 35 Ens: mhm mhm? 36 (2.7) 37 °ça c'est encore une autre question° ça. 38 noémie.

L'enseignant réagit (l.28) au propos de Maya en produisant une ratification minimale terminée par une intonation finale montante. Sur le plan multimodal, elle est réalisée simultanément avec un mouvement vertical de la tête de l'enseignant qui regarde son bureau. Ces caractéristiques paraverbales manifestent une orientation de l'enseignant vers un prolongement de l'échange en cours et donc d'une contribution de Maya plutôt que vers sa clôture. Après un délai significatif de 1,7 seconde qui présume d'une réponse problématique à venir, Maya produit un commentaire personnel (l.29) en direction de l'enseignant en chuchotant "c'est mieux non", suivi d'une intonation finale montante (l.30) comme si elle développait son opinion en fonction de l'absence de réaction de l'enseignant, construisant ainsi ses réponses comme si elles étaient soumises à une évaluation en termes de juste ou de faux. De plus, cette réponse incertaine exhibe une nouvelle fois la nature problématique de la situation dans laquelle se trouve Maya, à savoir une certaine difficulté à répondre de manière conforme aux attentes de l'enseignant. La manière dont évolue le format de ses réponses dans le cours de l'échange montre qu'elle semble avoir de moins en moins de réponses alternatives à donner: ses tours de parole sont de plus en plus brefs et présentent des indices de positionnement incertain de plus en plus saillants (réponse retardée, intonation montante, voix chuchotée, pauses intra-tours, marqueurs épistémiques négatifs). Sur le plan

Virginie Degoumois 41

des contenus, malgré des reformulations de l'enseignant l'invitant à être plus précise dans sa prise de position, Maya propose des réponses de plus en plus évasives et, de ce fait, semble résister à la trajectoire interrogative de l'enseignant. Ce dernier réagit à cette intervention (l.31-32) en la reformulant à travers la même locution qu'employée précédemment "donc tu dis que". Sur le plan sémantique, il procède de la même manière en reformulant le contenu exprimé par Maya en passant de "ça dépend le métier" (l.27) à "des gens qui n'auraient pas le choix" (l.31-32). On observe dès lors un travail d'étayage argumentatif de l'enseignant sur le contenu de la réponse de Maya. Par ces actions reformulatives récurrentes, il s'oriente vers une élaboration positive de la réponse de l'élève et l'invite à développer plus substantiellement son opinion au sein de l'échange.

Suite à cette troisième reformulation, Maya répond (l.34) en s'alignant sur l'enseignant à travers un "ouais" à l'initiale du tour et un marqueur d'opinion classique "je pense" suivi d'une intonation conclusive. Par cette action, Maya construit son tour de parole de manière plus assertive et manifeste moins d'incertitude (volume standard, intonation conclusive franche, absence de disfluences). Cette réponse, qui désormais confirme la reformulation de l'enseignant, contraste avec celles précédemment formulées dans la mesure où elle répondait systématiquement de manière non préférentielle (hésitation, délai dans la prise de tour, marqueur épistémique, etc.). L'enseignant réagit (l.35 et suivantes) par une ratification avec une intonation montante finale qui indique une suite à venir: après une pause significative de 2,7 secondes où personne ne prend la parole, il produit, cette fois-ci, un commentaire général (l.37) à travers lequel il signale notamment la clôture de son interaction avec Maya, puis désigne Noémie comme prochaine locutrice.

6. Entre prudence interactionnelle et affirmation de soi

À partir de cet extrait, nous résumons ci-dessous les caractéristiques principales de cet échange en prenant en considération la manière dont l'élève formate linguistiquement son opinion personnelle mais également le type de réaction de l'enseignant lors de cet accomplissement interactionnel.

La manière dont Maya construit ses tours de parole en réponse à l'enseignant indique une tendance à formuler une opinion de façon incertaine et peu assertive, que l'on observe à travers différents indices récurrents:

Des indices séquentiels: Début de tour retardé, présence de pauses intra- et inter-tours de parole

Des indices lexico-syntaxiques: Présence de marqueurs épistémiques (JSP, peut-être), le mode verbal du conditionnel et de nombreuses disfluences (hésitations, répétitions)

Des indices prosodiques: Des intonations finales montantes, un volume bas et des allongements vocaliques

42 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

Cet échange est illustratif de la manière dont les élèves du secondaire 1 expriment une opinion personnelle: avec un faible degré d'engagement sur leurs propos. En exprimant à plusieurs reprises un positionnement incertain à travers la manière dont elle construit ses tours de parole en réponse à l'enseignant, Maya montre une expression d'opinion peu assertive et peu affirmée. Cette prudence interactionnelle lui permet de gérer en partie sa participation en classe dans la mesure où elle met en scène un positionnement social spécifique – dans son cas, un positionnement prudent et indirect lui permettant de ne pas prendre une position affirmée devant la classe. Sur le plan actionnel, Maya module ses réponses comme étant non préférentielles et non attendues, comme si elles ne satisfaisaient pas de prime abord la pertinence conditionnelle imposée par les questions de l'enseignant. Cette manière de répondre rend compte d'un certain "inconfort" progressif de l'élève au sein du déroulement séquentiel de l'échange. Cette difficulté à répondre se retrouve également dans les multiples occasions où Maya tente de se désengager de la scène conversationnelle. Elle manifeste un désir de terminer l'échange et résiste à la trajectoire interrogative de l'enseignant. Sur le plan des contenus communiqués à travers l'expression d'opinion, notons que plus l'enseignant produit des reformulations invitant Maya à élaborer son point de vue, plus cette dernière se déresponsabilise de ses propos et réalise des réponses allusives sur le plan des contenus informationnels. Notons à ce propos un certain décalage des trajectoires actionnelles des participants dans cette séquence, où l'enseignant s'oriente vers une participation plus active de l'élève sur le plan de l'élaboration de ses propos, tandis que Maya semble s'orienter plutôt vers une résistance à répondre à ces diverses sollicitations.

Si l'on observe désormais les contributions de l'enseignant et plus particulièrement les procédures de légitimation qu'il met en œuvre, on remarque ici deux pratiques récurrentes mises en place au cours de l'échange. Elles permettent de relancer l'élève, s'orientent vers un travail à la fois d'élaboration et d'articulation des contenus de l'opinion de l'élève:

Un format de ratification avec une intonation finale montante

Cette manière de traiter les réponses de l'élève permet à l'enseignant de légitimer une partie de la réponse de l'élève. Elle fonctionne à l'image des continuateurs comme signaux d'écoute et de réception. Néanmoins, le contour prosodique final montant, qui est souvent rattaché à des caractéristiques multimodales (regard, gestes de l'enseignant), invite l'élève à poursuivre sa réponse. Par ce moyen, l'enseignant montre également que la séquence est toujours en cours d'exécution et ne s'oriente pas vers la clôture.

Des reformulations

L'enseignant produit régulièrement des reformulations, sous forme de demandes de clarification, initiées par un format récurrent de type "quand tu dis", "donc toi du dirais", "donc toi tu dis", où il verbalise de manière plus précise le contenu de la réponse de l'élève. Cette pratique permet à l'enseignant de

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réintroduire différemment l'opinion de l'élève et de lui montrer un angle d'approfondissement possible dans la mesure où il développe un travail de structuration du contenu informationnel proposé. Cette manière de relancer l'élève est aussi un moyen de promouvoir positivement son point de vue tout en gérant simultanément l'intercompréhension des participants présents dans la classe. Dès lors, par ces différentes manières de réagir à la réponse de l'élève, l'enseignant vise à favoriser un plus grand engagement des élèves dans l'expression de leur opinion personnelle, ainsi qu'une plus grande affirmation de soi puisqu'il ne se contente pas des réponses incertaines proposées. Au niveau du contenu de l'opinion, sachant qu'elle ne peut être jugée en terme binaire de type juste ou faux, si ce n'est sur le plan de la moralité, l'enseignant s'oriente plutôt vers une élaboration suffisamment conséquente de l'expression d'opinion dans laquelle des arguments plus détaillés sont attendus, comme si l'attente d'une opinion personnelle recevable devait être sécurisée avec des éléments plus substantiels que ceux proposés dans les réponses de Maya.

En somme, les pratiques reformulatives de l'enseignant permettent d'articuler les contenus présents dans les réponses de l'élève vers une structuration argumentative et s'orientent plus clairement vers l'apprentissage du débat. À travers cette démonstration par étapes dans laquelle il produit trois reformulations, l'enseignant indique à l'élève comment argumenter son propos de manière modélisante et comment amener l'expression de son opinion vers plus de précision. Toutefois, nous pouvons également questionner ce type d'étayage dans l'extrait observé: si l'on se focalise sur les tours de parole de l'élève durant cet échange, on peut remarquer qu'ils deviennent de moins en moins élaborés au fil des relances de l'enseignant, ce qui pourrait s'interpréter comme une pratique de surajustement de l'élève qui confirmerait petit à petit ce que dit l'enseignant. En cela, un des risques potentiels de ces reformulations multiples consisterait à ce que l'enseignant prenne paradoxalement le relai dans le développement de l'opinion de l'élève en faisant office de "caisse de résonnance" (Sounding Box, Goffman 1981).

7. Discussion

Cet échange entre l'enseignant et Maya est prototypique de ce que nous observons au secondaire 1 dans ce type d'activité de discussion qui demande aux élèves de formuler une opinion personnelle. Cette tâche d'expression orale soulève certains enjeux pour l'élève. En effet, on remarque une forme de résistance à répondre, signalée par de nombreux dispositifs de désengagement du tour chez l'élève, pointant une certaine réserve à réaliser cette tâche. De même, l'activité semble relativement nouvelle pour l'élève, qui s'attache régulièrement à chercher des indices liés à une évaluation de l'enseignant, comme si elle développait son opinion en fonction de l'absence de réaction, construisant ainsi ses réponses comme soumises à une évaluation en termes de juste ou de faux. Néanmoins, nous remarquons que l'élève développe des

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ressources interactionnelles, i.e. la formulation incertaine, pour répondre à la demande de l'enseignant. La formulation incertaine de l'élève témoigne de son orientation vers l'expression d'opinion personnelle comme une activité délicate qui suppose une prise de risque. Le fait d'exprimer son opinion personnelle sous un positionnement épistémique de type incertain, c'est-à-dire un travail de mise en scène prudente de ses propos, lui permet de gérer ce qu'il présente de lui devant un groupe (sur cet aspect, voir Degoumois 2017). En effet, exprimer une opinion est une action qui invite à dévoiler une partie de soi en exprimant des convictions et des pensées personnelles sur une réalité du monde, et à montrer aux autres de quelle manière on l'appréhende. Du reste, se montrer peu sûr et éviter une position tranchée dans l'expression de son opinion est une conduite qui permet à l'élève d'éviter, ou plutôt de réduire, l'impact des évaluations potentielles des participants, et ainsi de gérer les contraintes liées à la parole publique, de même que la mise en scène de son identité en classe.

Si l'on se penche plus précisément sur ce que l'enseignant légitime à travers cette tâche, cet échange a permis de mettre en avant des attentes effectives de sa part vers une certaine prise en charge des contenus véhiculés par l'opinion: notamment vers une formulation plus affirmée et assertive de la part de l'élève, mais également à travers un degré d'élaboration de l'opinion personnelle autour d'une argumentation plus soutenue qui se matérialise ici par une demande de précision sur le plan des contenus informationnels. L'observation des pratiques de légitimation de l'enseignant durant cette activité d'échange d'opinions personnelles a permis de mettre en lumière des pratiques professionnelles qui ne sont pas mentionnées en tant que telles dans les curriculums officiels. Dans notre cas, les pratiques de légitimation de l'enseignant visent à promouvoir l'expressivité de l'élève tout en coconstruisant avec lui de manière dynamique le développement de son opinion personnelle. Il tend ainsi à l'aider à fournir une opinion plus affirmée et assumée au cours de l'échange, et à amener l'élève à ajuster et adapter finement sa réponse.

Ce type de dynamique au sein d'activités d'échange d'opinions en classe rend compte de quelle manière l'enseignant et l'élève tentent d'ajuster leurs pratiques interactionnelles, en observant ici des trajectoires actionnelles plutôt divergentes de la part des participants, dans le but d'arriver à une conduite attendue, relevant de pratiques institutionnelles perçues comme adéquates. De par cette organisation séquentielle spécifique, nous concevons la formulation d'expression d'opinion personnelle dans l'interaction scolaire comme un accomplissement collaboratif et dynamique, dans lequel les participants cherchent à adapter continuellement, de manière online, leurs conduites aux circonstances locales de l'interaction en cours. L'empreinte institutionnelle du contexte scolaire se reflète non seulement dans l'organisation séquentielle de l'expression d'opinion, qui est ici fortement guidée par l'enseignant, mais également dans la prudence avec laquelle l'élève formule son opinion, pointant ici l'enjeu public inhérent à toute interaction ayant lieu au sein du groupe classe

Virginie Degoumois 45

et plus particulièrement durant cette période de l'adolescence rattachée au degré du secondaire 13. Cette étude montre que l'expression d'opinion person-nelle en contexte scolaire répond à des enjeux institutionnels spécifiques, notamment sur le plan social lorsque l'élève perçoit l'expression d'opinion personnelle comme un objet interactionnel "à risque" et comme potentiellement soumis à l'évaluation de l'enseignant. Ce dernier s'oriente, quant à lui, vers une dynamique d'apprentissage lors de ses réactions, visant à amener l'élève à s'exprimer en élaborant plus amplement ses propos, notamment par un mouvement argumentatif.

Plus généralement, cette étude met en perspective la complexité de l'enseignement/apprentissage de l'oral en classe pour l'agir enseignant, notamment par le fait qu'elle requiert une évaluation online des diverses interventions des élèves. En effet, l'enseignement de l'oral reste à ce jour relativement problématique. Cet aspect est majoritairement soulevé par la recherche en didactique (De Pietro & Gagnon 2013; Gagnon 2009; Schneuwly et al. 1996; Nonnon 1992, inter alia) qui souligne la difficulté de modéliser l'oral en tant que dispositif de formation et d'enseignement (Dolz 2016). En cela, elle pointe la nécessité de clarifier davantage les objectifs liés à l'oral spontané, et par là même d'identifier des critères d'évaluation pour l'enseignement de l'oral (Gagnon 2016). C'est pourquoi nous avons porté notre attention sur les compétences interactionnelles des jeunes en langue première et sur la manière dont ils sont formés à l'expression orale en classe par le biais d'une activité favorisant l'expression d'opinion personnelle. Le contexte scolaire est un lieu privilégié pour observer le développement communicatif des jeunes avant l'entrée dans le monde du travail, tout en sachant que cette capacité à interagir de manière pertinente et adaptée au contexte constitue un instrument central de sélection sociale et d'accès tant à l'éducation supérieure qu'au monde du travail.

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3 Degoumois (2017) montre que les élèves du secondaire 2 ont plutôt tendance à formuler des

opinions personnelles de manière plus directe et de façon plus assumée qu'au secondaire 1.

46 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

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48 Les formulations d'opinions personnelles en contexte scolaire

Annexe: Convention de transcription

Courrier new Police utilisée

(0,2) pauses (chronométrées). Les pauses intra-tours sont positionnées dans le texte, les pauses inter-tours sur une ligne à part.

bonjou:::r allongement de syllabe (1, 2 ou 3: selon la durée) ? intonation montante ¿ Intonation légèrement montante , intonation continuative . intonation descendante bonj- bonjour troncation / interruption = enchainement rapide entre tours de parole & continuation du tour de parole bonjour accentuation bonJOUR volume plus fort bon°jour° volume plus faible >bonjour< débit rapide <bonjour> débit lent [ ] début et fin d'un chevauchement de tours de parole (bonjour) transcription incertaine (xxx) segment incompréhensible (un x par syllabe) .h .hh .hhh aspiration, prise d'air h. hh. hhh. expiration £bonjour£ voix souriante bonj(h)ou(h)r mot prononcé en riant bon#jour# voix ‘cassée' ((écrit: 1.0)) commentaire +jour ((lisant))+ indication du segment concerné par un commentaire

*bonjour indication du début d'un geste, d'un regard ou d'un mouvement, dans la ligne représentant les conduites verbales. L'élément multimodal est détaillé en italique sur la ligne inférieure.

h-et-m h-cinq-n-un les sigles et les acronymes sont transcrits avec des traits d'union

Gras Mise en évidence du segment sur lequel porte l'analyse ou le commentaire ELS désigne la prise de parole de plusieurs élèves de manière chorale ENS désigne la prise de parole de l'enseignant

VIN désigne l'acronyme pour l'élève qui prend la parole, par exemple VIN = Vincent

( ) désigne la prise de parole d'un élève non identifié

Travaux neuchâtelois de linguistique, 2017, 67, 49-77

"Well if we're wrong it's your fault": Negotiating participation in the EFL classroom

Klara SKOGMYR MARIAN1 & Silvia KUNITZ2 1Centre de Linguistique Appliquée, Université de Neuchâtel 2English Department, Stockholm University

This micro-longitudinal conversation analytic study investigates how a group of 7th grade students in Sweden negotiates participation frameworks in EFL group work. The analysis follows the changes in participation of one student, Emma, during a collaborative vocabulary quiz used to test a homework assignment. At first, Emma's participation in the task is limited and her contributions are questioned by the group members. As the activity progresses, though, Emma increasingly volunteers relevant answers and her coparticipants progressively orient to her as a knowledgeable and legitimate participant. We document the interactional means by which the students in the group enable and restrain participation in the task, and we relate these to the local physical/spatial and organizational affordances of the institutional setting. The study demonstrates how the right to active participation is negotiated on a moment-by-moment basis in and through interaction in the embodied ecology of the language classroom.

1. Introduction

In the institutional setting of language classrooms, collaborative group tasks in which students share a common goal are a frequent pedagogical practice and, as such, constitute an ecologically valid object of study (see for example: Foster & Skehan 1999; Ortega 1999). Prior research in task-based language teaching (TBLT), second language acquisition (SLA), and education in general (Cohen 1994; Council of Europe 2011; Donato 1994; Gass & Mackey 2006; Johnson & Johnson 1999; Long & Porter 1985; Mackey & Polio 2009; Storch 2005, 2008; Swain & Lapkin 2001; Truong & Storch 2007) has shown that collaborative group tasks lead to: (1) more speaking time in the second language; (2) more symmetrical interactional patterns; (3) collaboration and co-construction of knowledge, and (4) increased student autonomy. These elements, in turn, seem to have a positive effect on the students' learning process. In this ethnomethodological, conversation-analytic (EMCA) paper, however, we take a praxeological approach (e.g. Mondada 2016) that is agnostic in terms of the potential linguistic, social, and motivational benefits of specific features of task design. Instead we focus on how group tasks are collaboratively interpreted and interactionally achieved as situated activities on a moment-by-moment basis in the classroom (Kunitz & Skogmyr Marian 2017). Specifically, we track the embodied actions-in-conversation (Schegloff 2007) through which a group of 7th grade EFL students achieves and manages participation in a group task designed to test vocabulary knowledge. Our micro-longitudinal study focuses, in particular, on one student's observable

50 Negotiating participation in the EFL classroom

participation behaviors and shifting participatory roles over a short period of time. This student's active participation in the task increases considerably, albeit not in a linear fashion, under the course of approximately 15 minutes. At the methodological level, our emic approach to data analysis shows what kind of elements might be oriented to and "embodied" into relevance by the participants as they do participation in multiparty institutional settings. Specifically, our analysis will show that the students' level of agency, their epistemic positioning, and the material (physical/spatial) and organizational affordances of the local contextual configurations (Goodwin 2000) are all intertwined in the co-construction of emergent participatory frameworks in the institutional ecology of the classroom. During group work students may take more or less agentive roles that may be warranted or limited by physical/spatial affordances (e.g., proximity to the focal worksheet) and organizational concerns (e.g., the need to make class instruction progress by moving to the next task). At the same time, participation may go hand in hand with the students' epistemic positioning: when engaged in group work, students not only use and display their own subject-relevant competences, but also calibrate their epistemic rights and obligations in relation to their peers' knowledge claims. Finally, our findings have some pedagogical implications concerning the student and teacher management of classroom group work.

2. Literature review

Our work is inspired by three main lines of research within EMCA; that is, research on: (1) participation in multiparty, cooperative environments (Evnitskaya & Berger 2017; Goodwin 2013; Goodwin & Goodwin 2004; Hazel & Mortensen 2017); (2) task-as-workplan versus task-as-activity (Hellermann & Pekarek Doehler 2010; Mondada & Pekarek-Doehler 2004; Seedhouse 2005)1;

and (3) participants' management of epistemic positioning in the

classroom (Jakonen & Morton 2015; Melander 2012; Mori & Hasegawa 2009; Sahlström 2011; Sert 2013; Sert & Walsh 2013).

First, research on participation in multiparty, cooperative environments (see point 1 above) adopts a micro-analytical social-behavioral perspective that is inspired by Goodwin and Goodwin's (2004: 22) view of participation as "actions demonstrating forms of involvement performed by parties within evolving structures of talk". This emic perspective on participation focuses on the interactants' embodied orientations to their coparticipants' displays of engagement or disengagement. More specifically, in goal-oriented multiparty activities, participation in the ongoing course of action is achieved through the

1 The discussion on the discrepancy between tasks-as-work-plans and tasks-as-activities

started in the SLA field. See for example: Coughlan and Duff (1994).

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 51

co-construction of a shared attention focus that is at the root of collaborative work. Therefore, tracking participation frameworks also involves monitoring the interactants' shifting attention foci during the unfolding accomplishment of the ongoing activity. It is indeed through the interactants' embodied displays of attentiveness (or lack thereof) that their willingness (or unwillingness) to participate observably emerges (Evnitskaya & Berger 2017; Mortensen 2008; Sert 2013, 2015).

Second, our study is in line with EMCA research that explores how tasks as planned by the teacher are interpreted and implemented by students as situated activities in the classroom (see point 2 above). Findings in this area highlight the situated, interactional, and dynamic nature of classroom activities that often implicate large discrepancies between a teacher's planning and the students' in situ task accomplishment (see e.g. Hellermann & Pekarek Doehler 2010; Mondada & Pekarek-Doehler 2004; Mori 2002; Seedhouse 2004, 2005). Such research is in line with studies on planning as a situated activity, which treat work-plans and instructions as underspecified projections of potential courses of action (Suchman 2007). Research of this kind can be fruitfully employed for teacher training purposes, to prepare teachers for the unpredictability of what might (or might not) happen in the classroom.

The third area that is relevant to our study is research on the management of epistemic rights in the classroom and in other instructional settings (see point 3 above). Indeed, knowledge claims and knowledge displays are a core component of the activities conducted in such institutional settings. Much research in this field has focused on student-teacher interactions (e.g. Koole 2010, 2012; Sert 2013; Sert & Walsh 2013). The studies on peer interactions (Balaman & Sert 2017; Jakonen & Morton 2015; Mori & Hasegawa 2009) show how students continuously monitor each other's epistemic statuses and positionings and draw on each other's knowledge to complete educational tasks in the classroom and online.

Melander (2012) further suggests that it is possible to study participants' learning trajectories through their displays of epistemic positions. More specifically, the author traces the learning trajectory of a six-year-old girl who, together with a group of peers, engages in writing and learning Japanese signs and words in a Swedish pre-school. Throughout the 30-minute-long recording, the girl's local epistemic identity changes from "unknowing" to "knowing". Such process is afforded by constant negotiations of the participants' epistemic positions in the peer group, and physical reconfigurations (e.g., allowing or denying access to material resources).

Taken together, the literature on participation, task-based group work, and the management of epistemic identities in peer interactions points to the importance of empirically investigating how students achieve emergent participatory frameworks and, through these, accomplish group activities in the language classroom. Such literature has focused either on the resources that

52 Negotiating participation in the EFL classroom

are emergently used to achieve participation and task completion, or on longitudinal learning trajectories. The present study combines these approaches by following a student's participation trajectory over time, while also taking into account the situated emergent affordances that hinder or foster participation on a moment-by-moment basis during group work. At the same time, the present study also intends to make a methodological contribution to the field, in that it shows how to conduct a praxeological analysis of evolving participation frameworks in goal-oriented institutional interactions in a systematic and participant-relevant manner.

3. The present study

In what follows, we present the methodological approach of the study (Section 3.1) and then describe the setting and the data that is the object of our analysis (Section 3.2).

3.1 Methodological approach

The analytical procedures adopted in the study are similar to the ones used in the EMCA studies discussed above. That is, we focus on the observable embodied classroom behaviors through which the participants display to each other their practical reasoning (Lindwall & Lymer 2005) and their epistemic stances, statuses, and responsibilities (Heritage 2013; Stivers, Mondada, & Steensig 2011) in order to investigate how the participants, through talk and embodied actions (gestures, eye gaze patterns, artifact use etc.), establish an observable local educational order (Hester & Francis 2000) in the institutional ecology of classroom group work. Specifically, our analytical procedure is inspired by Markee's (2008, 2011) Learning Behavior Tracking (LBT) methodology for studying learning behaviors longitudinally in an emic manner. This methodology implies tracking the occurrence of a learning object in the participants' interactions and analyzing the participants' evolving orientations to such learning object. Instead of tracking learning objects and behaviors, however, we focus on the interactants' evolving participation behaviors during a particular classroom task. In doing so, we aim to monitor the array of emic resources through which interactants achieve (or constrain) participation micro-longitudinally; that is, over a relatively short period of time (see Greer 2016). Our analysis will show that, in the material ecology of the classroom, students achieve emergent and shifting participatory frameworks through the unfolding interplay of epistemic positions, agency, and material and organizational affordances of local contextual configurations (Goodwin 2000, 2013).

The study relies on video recordings of four 7th grade students working on a collaborative task designed to test vocabulary knowledge in a Swedish EFL

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 53

classroom. The analysis focuses specifically on the change in participation of one student, Emma, throughout the task accomplishment. Emma was chosen as the focal participant of the analysis because we observed that her participation changed considerably from the beginning of the task to the end, going from a marginal to a leading role (see overview of the task development in Section 4). We therefore wished to further investigate the events and actions leading to this dramatic change. To do this, we document in detail the resources that Emma and her coparticipants orient to and employ to configure and reconfigure participatory frameworks as they accomplish the task. That is, we identify the verbal and embodied means by which Emma and her coparticipants position themselves as more or less knowledgeable and take more or less agentive roles in accomplishing the task. At the same time, we also monitor how these actions are affected by emerging physical configurations (that limit or facilitate access to the joint worksheet, for example) and by the unfolding organization of the classroom instruction.

Overall, the present study contributes to the existing literature on participation in multiparty settings by analyzing how such participation is co-constructed at the micro-level in the institutional environment of the language classroom. The study also exemplifies methodologically how this type of praxeological analysis can contribute to the literature on L2 group work in general. Lastly, our findings lead to some pedagogical implications, which we discuss in the final section of the paper.

3.2 Setting and data

The data were collected in a 7th grade junior high school class in Sweden. The participants were around 13 years old. In the analysis we concentrate on one small group of students: Tim, Emma, Oscar, and Hanna2 (from left to right in Figure 1). The focal participant here is Emma.

2 All names are pseudonyms; Tim's face is blurred because of limited consent.

54 Negotiating participation in the EFL classroom

Figure 1: The four participants.

The analysis focuses on a picture-naming task that was assigned as a quiz testing classroom-related vocabulary (henceforth, the vocabulary quiz). The targeted vocabulary items, all listed in the homework sheet, were to be studied at home. During the vocabulary quiz, the students were instructed to work in groups of four. Each group received one worksheet, which consisted of a drawing of a classroom with 28 numbered classroom items, such as teacher, pupil, desk, pen, and pencil. The drawing was identical to the drawing on the original homework sheet3. The students were asked to write the names of as many items as possible below the drawing. Figure 2 displays the answers given by the targeted group of students after the teacher's correction, illustrating also that the group received 27 points out of 28.

Figure 2: The task as completed by the group.

The interaction has been transcribed following Jefferson's (2004) transcription conventions, with some minor modifications. Idiomatic translations of utterances in Swedish appear below the original talk, in italics. Italics are also used to describe embodied actions. A plus (+) sign marks the co-occurrence of talk and embodied actions. Especially relevant embodied actions are

3 Unfortunately, because of copyright issues we cannot display the original artifact.

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 55

illustrated through Frame Grabs; the time when the Frame Grab is captured is marked with a hashtag (#) sign in the line of talk.

4. Analysis

After examining the vocabulary quiz activity in its entirety, we have selected three excerpts that represent what we consider key moments for the participation trajectory of the focal participant. Figure 3 illustrates the unfolding of the task and indicates the timing of the three excerpts included in the analysis. These excerpts occur at three different phases of the vocabulary quiz: (a) during the main part of the task work (Excerpt 1); (b) during the teacher's instructions to a second activity – a speaking game (Excerpt 2); and (c) after the start of the speaking game (Excerpt 3).

Figure 3: Overview of the task

At the beginning, Emma displays difficulties with understanding the task instructions provided orally, in English, by the teacher. Hanna clarifies the instructions for Emma and subsequently takes a leading role in the accomplishment of the task. That is, Hanna self-selects as the writer for the group, she maintains the group worksheet in front of her, completes several vocabulary items on her own, and only occasionally refers to her coparticipants for help. Emma's participation is marginal at the beginning. She monitors the task work, and occasionally contributes to the discussion of some vocabulary items. As the task unfolds, however, Emma becomes increasingly involved and agentive in the task. Toward the end, Emma takes a leading role in the completion of the task, both by providing answers orally and by writing them down.

In what follows, we analyze the three excerpts mentioned above. These excerpts represent important turning points for Emma's participation in the task work. In our data-driven, emic, praxeological account of the interactants' emerging accomplishment of participation frameworks, we examine: (1) the

Activity Comment

1. Instructions for

vocabulary quiz

Instructions not understood by Emma; clarified by Hanna

2. Vocabulary quiz

Excerpt 1

Hanna leads group work; Emma monitors and occasionally

contributes to the discussion

3. Instructions for

speaking game

Excerpt 2

Teacher interrupts group work to introduce the next task, a speaking

game; some groups continue to engage in vocabulary quiz

4. Vocabulary quiz +

Speaking game

Excerpt 3

Schism in the focal group, with participants working either on the

vocabulary quiz or on the speaking game

5. End of vocabulary

quiz

Schism continues. Emma leads the vocabulary quiz work

56 Negotiating participation in the EFL classroom

spatial configurations of the group and other organizational aspects (such as the timing of task instructions) that contributed to the emergence of specific participation frameworks and to the shift from one participation framework to another; and (2) the embodied actions that reconfigure the participation frameworks and achieve Emma's more active role in the task completion. Specifically, we analyze the actions through which Emma increases her involvement in the task work and the actions through which her coparticipants enable or restrain Emma's participation (including their responses to Emma's active involvement).

4.1 Emma's first display of strong epistemic stance and agency

Excerpt 1 takes place after the participants have engaged in the identification of the items pen and pencil, which proved problematic. This discussion eventually leads Hanna to write pencil for item 7 on the worksheet, and pen for item 8. Since before the beginning of the excerpt, Emma has been leaning to her right, away from Hanna and the worksheet, with her chin resting in her hand, thereby physically distancing herself from the worksheet and displaying disengagement from the ongoing activity. As Hanna identifies item 8 and advances the task to item 9, Emma gazes alternately at Hanna and at the worksheet (not shown here), thus showing some level of engagement. Such engagement, however, is temporary, as indicated by Emma's shift in eye-gaze: in lines 2 and 4 of Excerpt 1.1

4 she looks at the small toy with which she

has been playing since before the excerpt (Frame Grab 1). That is, Emma again physically displays disalignment with the ongoing activity and does not achieve the "collaboratively sustained framework of mutual orientation" (Goodwin & Goodwin 2012: 275) that is essential to conduct group work; in other words, Emma displays unwillingness to participate (see Sert 2013, 2015).

4 Because of its length, Excerpt 1 has been divided into three parts.

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 57

Excerpt 1.1

1 HANNA: nine +is:::::. 2 +Emma looks at toy 3 +#(0.9) 4 +Emma plays with toy on desk, looking down

#FG1

5 HANNA: [eu::::h. ] 6 TIM: [can't we o::]ther- ((modulated voice)) 7 HANNA: +writes approx. two letters 8 +[e:ra:: ] 9 TIM: +[other peo]ple help too ell[er? ] ((modulated voice)) o[r? ] 10 EMMA: [°hal][lå:,º]

[ºhel][lo:,º] 11 HANNA: [ hh] +eh. 12 +Emma looks up 13 HANNA: [>okay.< ( )] 14 EMMA: [eh d- det är-] det är e- (.)

[uh d- it’s-] it’s e- (.)

15 +stops playing, sits up, looks at worksheet 16 +å ass[å,]

+and lik[e,] 17 HANNA: [ e]raser. 18 EMMA: +leans forward, stretches out hand to worksheet; Tim bends down 19 +ko[lla. ]

+lo[ok. ] 20 HANNA: [e det] här eraser¿

[is ] this eraser¿ 21 EMMMA: +#>kolla kolla kolla kolla:.<

+#>look look look look:.< 22 +turns worksheet toward herself

#FG2

23 OSCAR: +a, +yeah,

24 +starts leaning forward, looking at worksheet

25 +(0.3) 26 +Hanna looks at worksheet

58 Negotiating participation in the EFL classroom

As Hanna displays uncertainty in identifying item 9 (eraser) and in writing the word (see the elongated is::::: in line 1, the 0.9 second pause in line 3, the vocalization eu::::h in line 5, the incomplete verbal and written production of the word in lines 7 and 8), Tim jokingly (see modulated voice) suggests that the other group members collaborate as well (lines 6 and 9). While still looking down, at the end of Tim's turn in line 9, Emma says hallå:. ("hello:.", line 10), possibly in response to Tim's invitation. She then looks up (line 12) and seems to orient to the identification of an item, although it is impossible to determine which item is the focus of her attention since she abandons her turn (eh d. det är- det är e-, "uh d. it's- it's e-", line 14). She stops playing with the toy, however, and raises her body posture while looking at the worksheet (line 15), thus embodiedly displaying a stronger engagement in the joint activity. While Hanna provides the relevant word (eraser, line 17) and then questions its accuracy (line 20), Emma leans forward toward the worksheet (line 18) and turns it toward herself (line 22; Frame Grab 2), as she produces a series of directives (lines 19 and 21) with which she invites her coparticipants to look at the worksheet. Oscar and Hanna indeed relevantly respond to Emma's directives and direct their gaze to the worksheet (lines 24-26; see also Oscar's responsive a, "yeah", in line 23), while Tim bends down under his desk to pick up a paper sheet (see the beginning of his action in line 18). It seems thus that, albeit initially embodiedly distancing herself from the task by leaning away and playing with a toy (see e.g. lines 2 and 4), Emma has been quietly monitoring the task development and, at a moment where her coparticipants display uncertainty (Hanna) and explicitly invite collaboration (Tim), she decides to intervene.

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 59

After having mobilized the group's attention, Emma announces that the items should be ordered the other way around on the worksheet (line 27, Excerpt 1.2). Specifically, she points at the words pencil (line 31) and pen (line 34) and claims that they have been interchanged (lines 30 and 33). With these actions, which clearly perform an exposed correction of the answers previously provided by her coparticipants, Emma openly challenges Hanna's epistemic authority, since it was Hanna who had ultimately written the words as they currently appear on the worksheet. While Emma is performing such actions, in a rather competitive overlap, Tim again explicitly suggests a change in the participation framework, by proposing that they let Emma and Oscar participate (lines 28-29 and 32). The timing of his proposal (which effectively competes with Emma's participation in the ongoing activity), together with the modulated voice quality of his turn, might however suggest that his proposal is not serious.

Excerpt 1.2

27 EMMA: de- [>det ska va tvärtom.< ]= it- [>it should be the other way around.<]=

28 TIM: [let e:mma: ]= ((modulated voice)) 29 TIM: =+[and o:scar ]= ((modulated voice)) 30 EMMA: =+[>pen ska va där.< ]=

=+[>pen should be there.<]= 31 +points to where it says pencil

32 TIM: =+[do::: (i:t). ] ((modulated voice)) 33 EMMA: =+[>å pencil ska va ] där.<

=+[>and pencil should be] there.< 34 +points to where it says pen

35 HANNA: +#det här är väl en pen?

+#this is a pen right? 36 +holds up pencil; looks at Emma; Emma looks at pencil

#FG3

37 +(0.2) 38 +Emma looks down at worksheet 39 EMMA: >nej men jag< [kommer ihåg +den ordningen]=

>no but i< [remember +that order ]= 40 TIM: [that’s a +pencil (oh) ] 41 +Emma points to words, looks up 42 EMMA: =när jag läste det.

=when i read it.

60 Negotiating participation in the EFL classroom

Hanna responds to Emma's challenge by holding up a pencil and asking Emma to confirm that the object that she is holding is a pen (det här är väl en pen?, approx. "this is a pen right?", lines 35-36; Frame Grab 3). By doing so, Hanna visibly demonstrates the grounds (i.e., the physical object she is holding) that account for what she wrote (i.e., pen), while orienting to Emma as a possibly knowledgeable participant who could confirm Hanna's practical reasoning. With her turn, however, Hanna also seems to resist Emma's challenge. That is, instead of providing a straightforward acceptance of Emma's reversed identification of the two items, Hanna insists on the grounds that led her to identify item 8 as a pen. Moreover, Hanna's turn projects an affirmative response and thus a confirmation of Hanna's knowledge claims.

Before answering Hanna, Emma looks down at the worksheet (line 38). She rejects Hanna's reasoning with a straightforward no (line 39). Tim aligns with Emma's rejection by identifying the item as a pencil (line 40). In overlap with Tim, Emma immediately provides an account for her rejection: she remembers the order of the items when she read them on the homework sheet (lines 39 and 42)

5. As she invokes her prior learning experience, Emma points to the

two words on the worksheet and looks up at Hanna (line 41). In her account, then, Emma adopts a different line of reasoning. That is, instead of matching real-world objects with their names in English (following Hanna and Tim's line of reasoning), Emma invokes her memorization of the word order in the homework sheet as the grounds for providing accurate answers in the vocabulary quiz.

5 As mentioned in Section 3.2 above, the drawing with classroom items in the vocabulary quiz

is identical to that in the homework sheet, with an identical numbering of the items.

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 61

Excerpt 1.3

42 EMMA: =+när jag läste det. =+when i read it.

43 +Hanna turns worksheet toward herself and takes eraser 44 OSCAR: +°whatta?° 45 +turns to Emma

46 +(0.3) 47 +Hanna starts erasing “pen” and “pencil”

48 OSCAR: +smiles 49 +a:ha:, .hh [hhe hhe ]

+o:h:, .hh [hhe hhe ] 50 EMMA: [>jag läste det innan<]

[>i read it before< ]

51 [>jag kommer ihåg att det var den<] [>i remember that is was that< ]

52 TIM: [EY EY EY EY EY ]

53 EMMA: +>ordningen.< +>order.<

54 +Tim pulls out Emma's worksheet from under book

55 HANNA: [>då ( )<] [>then ( )<]

56 TIM: [+vi har fusk ] här. [+we have cheating] here.

57 +looks at Hanna 58 (0.2) 59 EMMA: >men< [jag la den ju un]der.

>but< [i put it underneath] right. 60 OSCAR: [det e ju fusk! ]

[that’s cheating! ] 61 +(0.7) 62 +Emma covers homework sheet with book and pen case

63 TIM: .h +shshshshsh 64 +looks at Hanna, makes hushing sign, smiles

65 HANNA: [+heh hah, ] 66 EMMA: [+jag hade lagt] den så:. man ser inte den.

[+i had put ] it like that:. you can’t see it. 67 +Tim laughs silently

68 (0.5) 69 HANNA: +hh okay. 70 +starts writing

71 TIM: +shshshsh 72 +makes hushing sign; smiles

73 HANNA: asså om vi har fel e det ditt fel [emma. ]

well if we are wrong it’s your fault [emma. ] 74 OSCAR: [ja:a, ]

[ye:es,] 75 EMMA: M[:EH! hhh ]

B[:UT! hhh ] 76 OSCAR: [det är det.]

[it is. ]

62 Negotiating participation in the EFL classroom

Figure 4: Hanna's final version of items 7 and 8.

In response to Emma's account, Hanna turns the worksheet toward herself, grabs an eraser (line 43, Excerpt 1.3) and starts erasing the words pen and pencil (line 47; see Figure 4, in which the deletion of pencil for item 7 is clearly visible). By doing so, Hanna accepts Emma's correction of the previously ratified solution, which is supported by two different lines of reasoning: Emma's memorization of the items and Tim's recognition of the material object that Hanna was holding as a pencil. Oscar, however, turns to Emma (line 45) and initiates repair (whatta?, line 44) on Emma's account. Then, as he smiles (line 48), he produces a:ha:, ("o:h:,"), immediately followed by laughter tokens (line 49); with the actions of smiling and laughing Oscar may further indicate his orientation to the problematic nature of Emma's account (for the use of smiles and laughter in the face of interactional trouble, see Petitjean & González Martínez 2015; Sert & Jacknick 2015). Indeed, his actions are interpreted by Emma as a possible challenge to her account, which she then repeats (lines 50-51 and 53). She thus insists in invoking her prior learning experience as a relevant support to her claims of epistemic primacy.

At this point, however, Tim launches an accusation sequence against Emma: he summons his coparticipants' attention with a loud EY EY EY EY EY (line 52), as he pulls out Emma's homework sheet, which is complete with all the answers and lies covered by a book and a pen case on her desk (line 54). Tim then, in overlap with Hanna's inaudible turn in line 55, announces that there is evidence of cheating, and looks at Hanna (lines 56-57). Oscar aligns with Tim's accusation against Emma (line 60), as Emma rejects it by specifying that she had put the homework sheet underneath the other objects (line 59); that is, she has no visible access to the correct answers. Emma then puts back the homework sheet under the book and pen case (line 62). In line 63, Tim invites hush as he looks at Hanna (line 64). Hanna and Tim start laughing (lines 65 and 67), as Emma continues her self-defense by reinstating that she had covered the sheet so that it was not possible to see it (line 66).

After a short pause (line 68), Hanna starts writing and says okay with a smiley voice (line 69). Whereas Hanna's verbal action may refer both to Emma's identification of the items pen and pencil and to her self-defense against the cheating accusations, the action of writing displays acceptance of Emma's solution to the item identification problem (see Figure 4 for the final version of items 7 and 8, which reflects Emma's correction). Hanna adds, however, that if they are wrong, it is Emma's fault (line 73). Hanna therefore holds Emma accountable for her solution, even though Hanna's statement is mitigated by the smiley voice with which she produces her turn. Oscar aligns with Hanna

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 63

(ja:a, det är det., "yea:h, it is.", lines 74, 76), whereby Emma responds with a loud protest: M:EH! ("B:UT!", line 75).

To sum up, six observations about Emma can be made in relation to Excerpt 1. That is: 1) Emma takes the floor when the current activity seems to be temporarily stalling due to a coparticipant's uncertainty and when another coparticipant invites the participation of others (whether jokingly or not); 2) she interrupts the progressivity of the task in order to mobilize her coparticipants' attention to items that had already been ratified in writing and at a point where the participants had already focused on the next item; 3) she challenges a coparticipant's item identification and thereby the coparticipant's epistemic authority; 4) she straightforwardly rejects a coparticipant's grounds for an answer; 5) she invokes her own epistemic authority and legitimate participation in providing accurate answers on the basis of a prior learning experience; and 6) she resists her coparticipants' (possibly joking) cheating accusations and invocations of accountability.

It thus seems that Emma monitors the ongoing activity and intervenes at a time when the affordances for participation are quite felicitous, in that Hanna has just displayed uncertainty and Tim explicitly suggests more collaboration in the task completion. At the same time, since Emma is physically distanced from the worksheet and is initially disengaged from the task, she needs to accomplish considerable embodied and verbal interactional work to mobilize her coparticipants' attention and to have access to the actual task. Emma then displays strong agency and epistemic positioning by shifting the coparticipants' focus of attention and challenging a previously ratified solution on the basis of her own homework learning experience. Her coparticipants, though, show resistance to Emma's knowledge claims. If they de facto accept Emma's alternative solution, they nevertheless display resistance to Emma's epistemic authority and increased participation by accusing her of cheating and by holding her responsible for any errors. These socially dispreferred actions are however done jokingly, perhaps to maintain social solidarity in the group (see Sert & Jacknick 2015).

4.2 Hanna's solicitation of help from Emma during speaking game instructions

The second excerpt takes place as the teacher introduces the next activity, a speaking game called "the talk-about-game", which the groups are supposed to do once they have finished the vocabulary quiz. Shortly before this, Emma took part for the first time as a writer in the vocabulary quiz by completing the spelling of items 11-13. Hanna nevertheless serves as the effective leader of the task and, at the start of Excerpt 2, she has the worksheet in front of her. In lines 3, 8, and 11, the teacher starts giving the instructions for the speaking game.

64 Negotiating participation in the EFL classroom

Excerpt 2

1 HANNA: +looks down at worksheet 2 +e::[:h] 3 TEACH: [so] we’re going to [warm up a bit now.] 4 HANNA: [withouts:::: ] 5 (0.2) 6 TIM: [( )] 7 HANNA: [even][thinking. ] 8 TEACH: [and we’re going] to do [the ] 9 TIM: [( ).] 10 (.) 11 TEACH: talkabout +[game. ] 12 HANNA: +[(v)a:d e: ] linjerade papper?

+[(wh)a:t i:s] linear papers? 13 +looks up 14 +(3.3) 15 +Hanna looks down; starts writing 16 +Teacher holds hand in “stop sign” shape, then shows game board

17 TEACH: this: is it. 18 (0.3) 19 TIM: °what?°

20 TEACH: +shows pretend token moving on the game board 21 +[you have to have some little thing ] to move around with. 22 HANNA: +[°hur skriver man #linjerade papper?°]

+[°how do you write #linear papers?° ] 23 +stops writing; leans slightly toward Emma; Emma looks forward

#FG1

24 (0.4) 25 HANNA: +°°emma.ºº 26 +leans toward and looks at Emma 27 (0.9) 28 HANNA: +#ººemma¿°° 29 +Emma looks at Hanna and nods

#FG2

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 65

30 TEACH: +shows starting point on game board 31 +and you [start here every[o:ne. ] 32 HANNA: [°°linjerade [papper?°°]

[°°linear [papers?°°] 33 TIM: [°°( )°°]

34 TIM: +°°( )°°# 35 +Tim looks toward teacher; Emma looks up; thinking face

#FG3 36 HANNA? [°°( )°°] 37 TEACH: [and then] +you 38 +Emma looks down and reaches hand toward Hanna 39 thro[w the ] die and 40 EMMA: [°( )°]

41 TEACH: [see where you end up. ] 42 HANNA: [°°hur fan stavade man?°° ]

[°°how the hell was it spelled?°°] 43 +Hanna hands pencil and worksheet to Emma 44 TEACH: +if you get three, [you end up here where it ] 45 HANNA: [°typ samma ( ) hrm°] ((clears throat))

[°kinda the same ( ) hrm°]

46 TEACH: says talk about your (1.2) old school for one minute.

47 +(1.0) 48 +Emma takes out an eraser from pen case

((23 lines omitted: Emma erases something, then starts writing))

72 +Hanna looks at Emma; Emma still writes 73 FRIDA: +[or do you] 74 TEACH: +[no you’re] going to [sit in (the) group.] 75 HANNA: [okej du kan ] skriva resten

[okay you can ] write the rest 76 emma du som är så duktig.

emma you who are so good/skillful.

Figure 5: Emma's writing of items 16 and 17.

In partial overlap with the teacher's turn in line 11, Hanna, who has been looking down at the worksheet (line 1) and has seemingly been talking to herself (lines 2, 4 and 7), looks up and asks (v)a:d e: linjerade papper? ("(wh)a:t i:s linear papers?", lines 12-13). It is impossible to determine whether

66 Negotiating participation in the EFL classroom

Hanna is looking specifically at one coparticipant, thereby selecting him/her as next speaker. In any case, she does not wait for a response from her coparticipants: she immediately turns her gaze down to the worksheet and starts writing (line 15). At the same time, the teacher holds her hand up in the shape of a stop sign to hush the students and shows them the board of the next task, i.e. the speaking game (lines 16-17). As the teacher instructs the students to move their tokens on the game board (lines 20-21), Hanna stops writing, leans with her torso slightly toward Emma (line 23; Frame Grab 1) and directs a question to her in low volume: hur skriver man linjerade papper? ("how do you write linear papers?", line 22). The question is formulated in Swedish and addresses a writing problem with the word linjerade papper; however, since the task consists in identifying the accurate English words corresponding to the selected items, we take Hanna's question as targeting her lack of knowledge of the English word for Swedish linjerade papper and of the spelling of this English word. Emma, though, displays no observable sign of having noticed Hanna's question; instead, she maintains her gaze directed at the teacher (line 23; Frame Grab 1) and seems to orient to the teacher's instructions. Finally, at Hanna's second summons in line 28 (see first summons in line 25), Emma directs her gaze to Hanna and nods (line 29; Frame Grab 2). As indicated by the coparticipants' gazes in Frame Grab 2 (line 29) and Frame Grab 3 (line 35), Tim and Oscar orient to the teacher, as they have done throughout most of the excerpt. Tim's inaudible turns in lines 33-34 do not seem to be directed to any of his coparticipants.

In partial overlap with the teacher's instructions (line 31), Hanna directs linjerade papper? ("linear papers", line 32) with a question intonation to Emma. Emma responds with a thinking face (line 35; Frame Grab 3), thereby showing uncertainty in producing an answer. Then, as the teacher continues with the game instructions (lines 37, 39 and 41), Emma looks down, reaches her hand toward Hanna (line 38) and utters something short and inaudible (line 40). Although it is not possible to determine what her verbal action does, it is clear that, with her hand movement, Emma requests access to the pencil and the worksheet. Overall, Emma's actions suggest that she now has the answer to Hanna's question and is ready to comply with Hanna's request for help by writing the accurate spelling of the targeted words. Hanna then explicitly reformulates the question as a spelling problem (line 42) and hands the pencil and worksheet to Emma (line 43). Hanna's turn in line 45 (typ samma ( ), "kinda the same ( )") seems to provide a hint to Emma by suggesting that the English word is similar to its Swedish equivalent.

From now on, Hanna will orient to the teacher's instructions (line 46). Emma, on the other hand, opens her pen case and takes out an eraser (line 48); she erases something on the worksheet, possibly Hanna's candidate translation of linear papers; finally, she starts writing (see omitted lines). As the teacher completes her clarifications of the task instructions, Hanna looks at Emma,

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 67

who is still writing (line 72), and grants Emma permission to complete the quiz based on her displayed skills as a writer/speller (okej du kan skriva resten emma du som är så duktig, "okay you can write the rest emma you who are so good/skillful", lines 75-76). However, Emma hands the worksheet back to Hanna, after writing linear papers and squared papers (Figure 5).

In Excerpt 2, Emma's active participation in the task is solicited by a coparticipant. In fact, Hanna goes through considerable interactional work to mobilize Emma's attention and help, instead of turning to the other coparticipants who are physically closer and therefore more accessible than Emma. Emma is thus oriented to by Hanna as a knowledgeable coparticipant who might effectively and competently contribute to the completion of the task. In the end, Hanna even verbally upgrades Emma's role as the appointed writer of the group for the remainder of the quiz. It seems therefore that Emma's prior knowledge displays (see her challenge to the answer provided by her coparticipants in Excerpt 1 and her contribution to the task by completing the spelling of three words prior to Excerpt 2) have given her an upgraded epistemic status in the group. In contrast to Excerpt 1, where Emma had to accomplish a number of first actions in order to actively participate in the task, here Emma's participation is responsive to Hanna's invitation. Nevertheless, Emma is quite agentive, in that she reaches for the pencil and the worksheet, thereby displaying her interpretation of Hanna's request as a request to write the words on the worksheet, rather than to spell the words aloud. Note also that Emma's interpretation might be related to the fact that the teacher is still engaged in providing instructions for the speaking game: spelling words aloud would be difficult in this context.

Emma's changed epistemic position and participation in the task in Excerpt 2 may also be related to its timing. The excerpt takes place relatively late in the vocabulary quiz, at a time when Emma has already demonstrated her strong epistemic status in providing relevant help in the task. At the same time, these events also take place as the teacher has shifted focus to the next activity, the speaking game. In fact, besides Hanna, who has the vocabulary quiz worksheet in front of her when the teacher initiates her instructions for the speaking game, the remaining group members attend to the teacher as she explains the game. There is thus limited competition from Emma's coparticipants when Hanna produces a request for help. Once the game instructions are clear, Hanna puts Emma in charge of the vocabulary quiz, while Hanna self-selects as the first player of the speaking game as soon as the teacher hands over the game board to the group. It then appears that, in terms of the overall organization of the activity, the timing of this episode offers affordances for participation that are different from the ones provided before, when all the participants focused on the vocabulary quiz.

68 Negotiating participation in the EFL classroom

4.3 Emma's continued display of epistemic authority and agency

After Excerpt 2, Emma rejects Hanna's invitation to continue writing and returns the worksheet to Hanna. Hanna identifies and writes down the name of one item without consulting her coparticipants. Then, after self-selecting as the first player in the speaking game, she hands over the vocabulary quiz worksheet to Tim. As Tim encounters some difficulties with items 20 and 22, Emma helps identifying these items and Tim writes them down. Excerpt 3 picks up the talk as Emma, while leaning her upper body toward Tim and the worksheet, orients to the identification of item 23 (lines 1-2; Frame Grab 1). Hanna and Oscar, in the meantime, are engaged in playing the speaking game (see lines 4-5). Excerpt 3

1 EMMA: +#vad e det sen då tjutre:¿ +#what’s next then twenty-three:¿

2 +leans over toward Tim and worksheet

#FG1

3 +det e s: sta:- +it’s s: sta:-

4 +Oscar moves token on the board game 5 HANNA: ne:j motha-fucka::=

no: motha-fucka::= 6 +Hanna reaches out and throws die to Tim 7 EMMA: =+det ä:r (.) p/ɵ/[n/ʃ /. ]

=+it i:s (.) p/ɵ/[n/ʃ /. ] 8 OSCAR: [>det e tim.<] [>it’s tim.< ] 9 EMMA: eh p/ʌ/[n/ʃ /. ] 10 TIM: [>pun/ʃ /][er.<] 11 OSCAR: [ <ti][+m!>] 12 EMMA: [+ pu]n/ʃ /. 13 +Tim starts writing 14 TIM: whade::::. 15 HANNA: tim +spela!= tim +play!= 16 +Tim stops writing; keeps pencil over worksheet; looks down 17 EMMA: +reaches out and takes pencil from Tim’s hand 18 =+ne:j [inte punch]er.

=+no: [not punch]er. 19 OSCAR: [<tim!> ]

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 69

20 EMMA: +Emma takes worksheet from Tim 21 +titta här. [kolla.] +look here. [look. ] 22 HANNA: [tim ] kör nu då. [tim ] go now. 23 TIM: +a:: okay let me play.

+yea::h okay let me play. 24 +takes up the die 25 +#(0.5) 26 +Tim throws the die; Emma gets ready to write

#FG2 27 +(0.3) 28 +Emma draws a line over “-er” in “puncher”

Figure 6: Emma's correction of Tim's writing

Immediately after orienting to item 23 (line 1) Emma starts identifying it, but cuts off what we take as the word stapler (det e s: sta:-, "it's s: sta:-", line 3), which is item number 24. She then self-repairs and identifies item number 23 as p/ɵ/n/ʃ/. (line 7); i.e., the word punch pronounced with Swedish-like phonetics. In line 9, Emma repeats the word and repairs her pronunciation of the vowel by pronouncing it as /ʌ/. Meanwhile, Hanna and Oscar try to engage Tim in the speaking game (lines 6, 8, and 11). However, Tim keeps orienting to the quiz. So, in partial overlap with Emma's turn in line 9, he says pun/ʃ/er. (line 10), which is then repaired by Emma with the recast pun/ʃ/ (line 12). Tim starts writing (line 13), but stops (line 16) as Hanna invites him to play the game (line 15). At this point, Emma reaches out and takes Tim's pencil from his hand (line 17), as she does an exposed correction directed at Tim's writing by saying ne:j inte puncher. ("no: not puncher", line 18). She then takes the worksheet from Tim (line 20) and directs him to look (line 21). But Tim, further solicited by Oscar (line 19) and Hanna (line 22), finally joins them in playing the speaking game. As Tim orients to the game (lines 23-24), Emma gets ready to ratify her oral correction in writing (line 26; Frame Grab 2), which she does by drawing a line over –er in puncher (line 28). Figure 6 shows Emma's written correction.

To sum up, in Excerpt 3 Emma: 1) advances the activity by introducing the next item on the list; 2) identifies the name of the item; 3) self-repairs her own

70 Negotiating participation in the EFL classroom

pronunciation of the word; 4) orally corrects (first through a recast and then through an exposed correction) her coparticipants' incorrect answer without any display of uncertainty; 5) claims physical access to the worksheet and pencil without prior offer or request for help from the coparticipants; and 6) ratifies in writing her oral correction. In other words, with her embodied actions Emma demonstrates both strong agency and strong epistemic stance. In terms of the coparticipants' responses to Emma's displays of agency and knowledge, the analysis has illustrated that, when Emma claims physical access to the worksheet to correct Tim's writing, Tim grants Emma's active participation without resistance. The other participants do not ostensibly attend to any of Emma's corrective actions.

As for the organizational affordances for participation, similarly to Excerpt 2 when Hanna requested help from Emma while the other coparticipants were orienting to the teacher's instructions, here Hanna and Oscar, later joined by Tim, are engaged in another task, thereby leaving Emma in charge of completing the vocabulary quiz. The affordances for participation offered to Emma here are therefore greater than in the cases where all participants orient to the vocabulary quiz. In other words, Emma does not have to compete for her rights to knowledgeably participate in the task (unlike what occurred in Excerpt 1). Moreover, the physical affordances for participation are also different in Excerpt 3 from before. Specifically, the writer is now Tim, who is sitting next to Emma. This change in participatory roles results in a decreased physical distance between Emma and the worksheet as compared to the phase when Hanna had the worksheet. The physical proximity gives Emma the possibility to better see the items on the picture and the writer's actions, and to correct the writer's errors.

4.4 Completion of the task

After correcting Tim's writing of punch, Emma, without consulting the coparticipants, identifies and writes down the remaining five items in the vocabulary quiz. Once she is done writing, she engages in the speaking game. Tim briefly looks at the worksheet before putting it away, after which he also orients to the game.

5. Discussion and conclusion

In this study, we have investigated the in situ achievement of an EFL group task from a micro-longitudinal EMCA perspective. In contrast to prior research within the fields of TBLT, SLA, and education (e.g. Cohen 1994; Council of Europe 2011; Donato 1994; Gass & Mackey 2006; Johnson & Johnson 1999; Long & Porter 1985; Mackey & Polio 2009; Storch 2005, 2008; Swain & Lapkin 2001; Truong & Storch 2007), we have not focused on the linguistic, social or motivational benefits that the completion of the targeted task might have

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 71

brought. Instead, we have analyzed the participation frameworks that emerged from the students' talk-in-interaction throughout the task accomplishment. In line with our goal of demonstrating how it is methodologically possible to track emergent participatory frameworks longitudinally through an emic, social-behavioral perspective, this section discusses the main points of the analysis with a particular focus on the analytical procedures used in the study.

Inspired by conversation analytic work on learning behaviors and trajectories (Markee 2008, 2011; Melander 2012), our study has tracked the participation trajectory of a focal participant as it unfolded throughout a specific classroom activity. The empirical and emic analysis of the data has shown that participation frameworks are constituted in situ through the lamination of various elements in shifting contextual configurations (Goodwin 2000). More specifically, such elements are: (1) the participants' epistemic stances and their orientations to such stances (see also Melander 2012); (2) the embodied actions through which the focal participant achieves different levels of participation and engagement with the task; (3) the embodied actions through which Emma's coparticipants enable and constrain her participation; and (4) the physical/spatial and organizational configurations of the institutional context to which the participants orient.

As we have seen in the analysis, Emma achieves active participation through a variety of actions. That is, she interrupts the ongoing activity by summoning the coparticipants and redirecting their attention to a previously ratified answer (Excerpt 1); she challenges a coparticipant's answer and gives grounds for her rejection of it (Excerpt 1); she complies with a coparticipant's request for help (Excerpt 2); she advances the activity by topicalizing the next item and identifying it without being prompted (Excerpt 3); she takes physical control of the task artifacts (Excerpt 3); and she corrects a coparticipant's answers orally and in writing (Excerpt 3).

With these actions, Emma has displayed various degrees of agency and epistemic authority. In both Excerpt 1 and 3, Emma's actions consist primarily of sequence-initiating actions. That is, in correcting a coparticipant's answer and challenging her epistemic authority (Excerpt 1) and in introducing an item, claiming physical access to the worksheet and correcting orally and in writing her coparticipant's answer (Excerpt 3), Emma produces first actions that display great initiative and thus strong agency. In Excerpt 2, on the other hand, Emma achieves participation upon Hanna's request for help; that is, Emma's engagement with the task is solicited by a coparticipant and is responsive to such solicitation. By volunteering to write, Emma nevertheless displays agency in advancing the progressivity of the task.

In line with Mori and Hasegawa (2009) and Jakonen and Morton (2015), we have argued that Emma's coparticipants (and Hanna in particular) may have monitored Emma's epistemic positioning throughout her involvement with the task-so-far. Specifically, in Excerpt 1, Emma observably demonstrates that she

72 Negotiating participation in the EFL classroom

has studied the vocabulary items that were assigned as homework and that she can contribute effectively to the task; so, in Excerpt 2, Hanna treats Emma as a potentially knowledgeable participant and solicits her help to solve a task problem. There is thus an interplay between Emma's early displays of agency and knowledge and her later involvement as a legitimate participant in the task, whose participatory role is increasingly recognized by her coparticipants.

Indeed, the coparticipants' stance toward Emma's role in the task changes over time. In Excerpt 1 the coparticipants question Emma's legitimate participation through (joking) accusations and invocations of accountability as well as resistance against her correction of a previously ratified solution. In Excerpt 2, on the other hand, Emma's participation is solicited and she is appointed as the writer of the group, while in Excerpt 3 Emma's initiative is uncontested. As mentioned above, the change in the coparticipants' responses to Emma's active involvement and their attempt at soliciting her participation may be explained in part by Emma's emerging displays of knowledge. However, the evolving local physical and organizational affordances of the institutional ecology of the classroom also play a role. Specifically, the teacher's management of the lesson, including her decision to provide the instructions for the second task while some groups were still working on the first one, created a schism in the targeted group, with two students (Hanna and Oscar) immediately orienting to the new task, while the other two (Emma and Tim) kept trying to complete the first one. Furthermore, the spatial configurations of the shifting participation frameworks affected visual and physical access to the worksheet.

More in detail, in Excerpt 1 Emma is physically distanced from the shared worksheet, since it lies in front of Hanna who is sitting across from Emma. At the same time, all the participants are focusing on the vocabulary quiz, a task in which Emma has been participating only marginally at first. Consequently, Emma needs to accomplish considerable interactional embodied work (repeated summons, leaning etc.) to gain physical access to the worksheet and to more actively contribute to the task work as a legitimate participant. In contrast, in Excerpt 2 Emma's participation is not only solicited by Hanna; there is also limited room for the coparticipants to intervene and compete for the floor because of the teacher's ongoing instructions for the speaking game. As mentioned above, the instructions project a new course of action and effectively divert the attention of some participants from the ongoing task. Finally, in Excerpt 3, the physical and organizational configurations are largely different from before. Emma's active participation appears facilitated by the fact that the worksheet is now in front of Tim, who is sitting next to her. Moreover, the participants orient to different attention foci; that is, the board of the speaking game and the worksheet of the vocabulary quiz. The lack of participants' responses to Emma's actions can be observably interpreted in light of this attentional and interactional schism.

Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 73

In sum, the analysis has illustrated the interplay between the interactional means through which students display agency and negotiate epistemic positions and statuses, and the spatial/physical and organizational affordances that are locally constituted in the institutional context of the classroom. More precisely, it is the lamination of all these elements that shapes the evolving participation frameworks during group work. Methodologically speaking, the interplay of these resources has emically emerged from the data. That is, in line with our EMCA approach, we did not set out to demonstrate the existence of such interplay. Nevertheless, in providing some insights on the spatial constellations of group work, on the overall organization of classroom activities, and on their impact on the students' task engagement, our findings suggest that the spatial and physical configurations of the participants and the timing of different classroom activities are integral to the interactional architecture of the language classroom and are likely to be relevant for the analysis of evolving participation frameworks. As such, they should not be overlooked in multimodal classroom-based research.

5.1 Pedagogical implications

Our study, albeit limited in its scope to a single case, also suggests some pedagogical implications that aim to foster students' active participation. First, to allow for more varied participation configurations and to foster equal participation from all students, teachers may want to take different measures to control and alternate the distribution of task roles in group work. This could happen through, for example, teacher-assigned leader roles whereby students alternate leading roles within the same group. Seating arrangements can also be changed regularly within the same groups to avoid that spatial configurations of the classroom systematically restrain participation. Changing groups so that students can work with other classmates may finally help avoiding "fossilized" participation configurations.

Second, our findings underline the importance for teachers to reflect critically on how they time and give instructions for different classroom activities. Here, the teacher chose to introduce the next activity to the whole class without waiting for all groups to complete the first task. As seen in the analysis, this resulted in a schism in our focal group, which eventually led to only one student completing the task on behalf of the whole group. As an alternative, the teacher could have given the instructions for the second task to one group at a time, as soon as each group had finished the first activity.

Third, it seems that a possible way to enhance individual students' affordances for participation in group work is to teach them how to effectively support their knowledge claims about task matters, as Emma does in Excerpt 1. More specifically, in learning how to provide grounds for opinions and epistemic claims (in either the L1 or the L2), instead of merely stating their position,

74 Negotiating participation in the EFL classroom

students may be better equipped to increase the legitimacy of their active involvement and enhance their individual rights to participate in the accomplishment of the task.

Ultimately, our theoretical, methodological, and pedagogical observations in this paper converge in a view of group task participation as being dynamically co-constructed through the interactional (vocal, embodied) work of active agents in a situated ecology of material and organizational resources that are afforded by the institutional setting of the classroom. Such co-construction is observable and scrutinizable through micro-level (longitudinal) analysis. The findings of such analysis contribute to our understanding of the organization of participation in classroom tasks and may relevantly be used for teacher-training purposes.

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Klara Skogmyr Marian & Silvia Kunitz 77

Appendix: transcription conventions

[ Point of overlap onset ] End of overlap = No break or gap (0.2) Pause of two tenths of a second (1.0) Pause of one second (.) Pause of approximately ten milliseconds _ (Underlining): Marked stress/emphasis :: Sound elongation (one colon equals ten milliseconds) ↑ High pitch ↓ Low pitch ! Strong emphasis, falling intonation . Falling intonation , Low-rising intonation, suggesting continuation ¿ Slightly rising intonation ? Rising intonation - Abrupt cut-off CAP Talk in especially loud volume SMALL CAP Talk in loud volume lower case Normal conversational volume °utterance° Lower volume than surrounding talk °°utterance°° Whisper .hhh In-drawn breath hhh Hearable aspiration or laughter token (h) Laughter token within words >word< Speeded up delivery <word> Slowed down delivery ( ) Unintelligible talk ((comment)) Verbal description of actions or voice quality /symbol/ Phonetic transcription (IPA) Dashed arrow in Frame Grab indicates eye gaze direction Italics English translations of Swedish talk / description of embodied actions + Indicates the start of embodied actions in relation to talk # Indicates the timing of a Frame Grab in relation to talk

Travaux neuchâtelois de linguistique, 2017, 67, 79-102

"Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?": une analyse interactionnelle des scissions des cadres participatifs dans la formation professionnelle des éducateurs de la petite enfance

Vasiliki MARKAKI-LOTHE1 & Laurent FILLIETTAZ2 1Laboratoire de Recherche sur les Apprentissages en Contexte BSHM, Université de Grenoble 2Equipe Interaction & Formation, Université de Genève

This paper focuses on a particular institutional context, that of the vocational training of early childhood educators in Switzerland. The paper is interested in the practical problems encountered by participants in the context of guided professional practice, namely situations characterized by contingencies related both to educational work with children and to training issues involving students learning to become childhood educators. To cope with the demands of these situations, participants such as trainees, tutors and children often engage in parallel interactions and must manage situations of splitting and reconfiguring participation frameworks. These phenomena have been documented in the literature as conversational "schisming". This article describes the conditions under which parallel participation frameworks emerge in a corpus of video data recorded in early childhood institutions and the nature and role of the multimodal resources mobilized by the participants when negotiating parallel interactions. It also highlights the practical functions associated with the emergence of schisming in the specific institutional contexts concerned.

1. Introduction

Cette contribution porte sur un contexte institutionnel particulier, celui de la formation des professionnel-le-s de l'éducation de l'enfance en Suisse. Plus spécifiquement, il s'intéresse à un ingrédient constitutif de cette formation dite "en alternance", à savoir les expériences de stages qu'effectuent les étudiant-e-s dans la composante "pratique" ou "de terrain" qui compose le parcours prescrit de la formation. Dans le champ de la formation des éducateurs de l'enfance, la "pratique professionnelle accompagnée" (PPA) désigne des situations dans lesquelles des participants novices accèdent à des activités de travail sous la supervision rapprochée de membres plus expérimentés d'une communauté professionnelle.

En référence au plan d'étude cadre qui régit cette pratique en Suisse et dans le canton de Genève en particulier, la PPA doit satisfaire plusieurs exigences

80 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

règlementaires (PEC-EDE, 2007)1. En premier lieu, elle doit permettre à des étudiants en formation d'accéder à des situations ordinaires de travail, au sein des institutions d'accueil de l'enfance (ex. des crèches, des jardins d'enfants, etc.). Cet accès doit être aménagé et permettre aux étudiants, selon leur degré d'avancement dans le cursus de formation, d'abord d'observer, puis d'expérimenter et enfin de maitriser les situations éducatives qu'ils rencontrent dans le cadre de leurs stages. Ces activités éducatives doivent être ensuite conduites non pas de manière autonome, mais sous la responsabilité de "référent-e-s professionnel-le-s". Dans le contexte institutionnel de la formation des éducateurs de l'enfance, les référents professionnels désignent des éducateurs qualifiés, au bénéfice d'une expérience professionnelle, et qui assurent l'accompagnement des étudiants durant leur stage. Cet accompagnement se concrétise d'abord par la tenue hebdomadaire d'entretiens pédagogiques, durant lesquels les référents partagent leur expérience, fixent et évaluent des objectifs avec les stagiaires et encouragent une posture réflexive. Mais cet accompagnement se manifeste aussi au quotidien, dans les situations ordinaires de travail que les référents co-animent avec les étudiants.

Ces enjeux institutionnels ne se réduisent pas à des prescriptions abstraites et décontextualisées. Elles se traduisent aussi, très concrètement, par des problèmes pratiques que rencontrent les acteurs de la formation, dans le quotidien de la PPA. A entendre les référents professionnels interrogés dans le cadre de recherches antérieures (Trébert 2008), la pratique du métier confronte les professionnels à l'exigence de gérer des événements interactionnels complexes. Les professionnels doivent faire face à ces situations, en accord avec des objectifs pédagogiques et éducatifs visés par la tâche choisie et définis à priori. Un des enjeux de la formation en alternance chez les professionnels de la petite enfance consiste alors à transmettre aux stagiaires des connaissances pertinentes permettant d'appréhender la complexité du contexte relationnel en crèche, émanant des activités menées auprès de plusieurs enfants en bas âge et avec la collaboration de plusieurs adultes potentiellement présents (éducateurs, éducateurs-référents, stagiaires, aides, auxiliaires, etc.) (Filliettaz, Rémery & Trébert 2014; Markaki & Rémery 2016; Filliettaz 2017). Cette transmission, et c'est là un second enjeu de la formation, ne se réalise pas en marge du travail mais au cœur de son effectuation, dans "l'effervescence" du métier en train de se faire, pour paraphraser les propos des acteurs eux-mêmes:

"dans l'effervescence de notre métier, il y a très peu d'instants vides […] enfin d'instants tranquilles […] c'est comment dire, de quelle façon dire, faire une remarque ou peut-être même faire réagir la stagiaire sur une action qu'elle vient de faire..." (Trébert, 2016: 93)

1 La version pdf du plan d’études cadre de l’école supérieure en éducation de l’enfance, 16 avril

2007 : http://www.avenirsocial.ch/cm_data/PEC_EDE_2007_04_16.pdf

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 81

Pour le dire autrement, la PPA se profile comme une activité institutionnelle hybride, sous-tendue à la fois par des enjeux éducatifs à l'adresse des enfants et des enjeux de formation orientés vers les stagiaires. C'est là un des traits saillants des situations d'apprentissage dans et par le travail (Mayen & Gagneur 2017).

Cette hybridité des enjeux ne se constitue pas en-dehors de l'ordre de l'interaction. Au contraire, elle est constituée et rendue manifeste à travers la manière dont les participants à la PPA s'engagent dans des actions conjointes et les processus de coordination qui émergent à cette occasion. De ce point de vue, les interactions agissent comme des ressources pour concilier simultanément les exigences du travail et de la formation (Filliettaz 2017). Elles peuvent être vues comme des révélateurs de la manière dont les participants s'orientent dans les multiples enjeux qui configurent leurs rencontres et ainsi comme des indicateurs de ce qui constitue la spécificité des environnements institutionnels concernés (Drew & Heritage 1992).

Un programme épistémologique structuré découle de ce constat, celui d'identifier de manière méthodique les formes interactionnelles que peuvent prendre les pratiques de transmission dans le contexte de la PPA. C'est ce que nos travaux récents ont commencé à mettre en évidence, d'abord en identifiant des formats de participation à la fois récurrents et distincts repérables dans le cadre de la PPA dans le champ de la petite enfance (Filliettaz, Rémery & Trébert 2014), puis en soulignant l'instabilité et la dynamique de combinaison et d'alternance entre ces formats (Durand, Trébert & Filliettaz 2015; Filliettaz & Rémery 2015).

Dans le présent article, nous nous intéressons à une forme nouvelle de complexité de la participation rendue possible par les contingences propres de la PPA: la scission des cadres de participation. Dans les situations de pratique professionnelle accompagnée, nos observations montrent qu'il n'est pas rare que le format de participation se scinde en plusieurs foyers d'interaction conduits parallèlement. C'est le cas par exemple lorsque la référente conduit un échange avec un enfant pendant que la stagiaire continue d'animer son activité avec le reste d'un groupe. Ces formats de participation ont été documentés dans la littérature en analyse conversationnelle comme des "schismes" (Egbert 1997a, 1997b). Ils nous intéressent ici en ce qu'ils semblent apporter des solutions, du point de vue des acteurs, aux contingences spécifiques qu'ils rencontrent dans les environnements dans lesquels prennent place leurs interactions. Dans cette perspective, cet article vise un double objectif. Il a d'abord pour but de décrire comment les scissions des cadres de participation s'opèrent dans le contexte de la PPA de manière à la fois ordonnée, récurrente et repérable. Il vise d'autre part à montrer comment ces scissions peuvent constituer, pour les membres, des ressources leur permettant de s'orienter vers la pluralité des enjeux qui sous-tendent leur rencontre. C'est à travers cette démarche que nous souhaitons montrer comment le phénomène du schisme

82 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

interactionnel peut être perçu comme une caractéristique observable de l'institutionnalité des situations d'apprentissage en contexte de travail.

Pour ce faire, nous commencerons par expliciter le cadre théorique adopté et la démarche méthodologique qui sous-tend nos travaux. Nous définirons ensuite le phénomène du "schisme", ses caractéristiques interactionnelles et ses potentialités dans le contexte des pratiques de formation accompagnées. Nous procéderons alors à deux études de cas, qui illustrent des situations de scission de la participation dans des activités éducatives conduites par des stagiaires, en présence de leur référente professionnelle. Pour terminer, nous tenterons de mettre en évidence les spécificités des schismes interactionnels tels qu'ils émergent dans le contexte de l'éducation de l'enfance et les conséquences de telles spécificités sur les compétences interactionnelles exigées de la part des acteurs de la formation.

2. Une démarche d'analyse interactionnelle en formation professionnelle

La démarche de recherche adoptée ici s'inscrit dans une perspective interactionnelle en analyse du travail (Filliettaz 2014; Filliettaz, de Saint-Georges & Duc 2008). Cette perspective contribue à préciser les conditions dans lesquelles l'analyse du travail peut être réalisée, notamment dans ses dimensions langagières, communicationnelles et plus généralement interactionnelles. C'est là, de fait, une composante à la fois constitutive et significative de bon nombre d'activités de travail comme d'expériences de formation.

Adopter le point de vue de l'interaction sur les activités de travail et de formation, c'est considérer que les processus interactionnels constituent pour les chercheurs comme pour les praticiens à la fois des objets et des méthodes d'analyse. Ce sont d'abord des objets en tant qu'ils constituent un domaine de réalité qui médiatise l'accomplissement des activités de travail et de formation. Et ce sont des méthodes au sens où ils peuvent être considérés comme des moyens par lesquels les acteurs comme les chercheurs produisent une compréhension locale de ces activités dans les conditions dans lesquelles elles sont accomplies. De ce point de vue, les interactions tutorales ne sont pas appréhendées comme un processus abstrait et décontextualisé, mais comme un "accomplissement pratique", rendu manifeste par les conditions dans lesquelles il est réalisé par les participants (Filliettaz 2010, 2014).

Sur le plan théorique, adopter un point de vue interactionnel sur les pratiques professionnelles accompagnées revient à assumer trois postulats. Le premier postulat théorique reconnaît la relation indexicale qui s'établit entre les comportements observables des membres d'un groupe et les conditions à la fois pratiques, matérielles, historiques et sociales dans lesquels ils sont accomplis et interprétés. En continuité avec une perspective d'inspiration

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 83

ethnométhodologique (Garfinkel 2007), ces comportements n'acquièrent leur caractère ordonné et signifiant que dans les conditions dans lesquelles ils sont accomplis. Ils sont pour ainsi dire contingents des circonstances dans lesquelles ils sont observables. Le deuxième postulat théorique reconnaît le caractère conjointement construit et co-élaboré des réalités impliquées dans les interactions. Dans une perspective inspirée de l'analyse conversationnelle (Sacks 1992; Schegloff 1968; Pomerantz 1978), la signification et l'ordre des actions situées s'établit conjointement, étape par étape et dans un processus permanent de négociation entre les partenaires de l'interaction. Cette signification n'est pas donnée à priori; elle n'est pas non plus le fait d'actions isolées et appréhendées individuellement. Elle résulte d'une logique d'enchainement séquentiel et d'interdépendances entre les tours de parole (Schegloff 2007; Traverso 2016). Enfin, le troisième postulat théorique reconnaît le caractère à la fois langagier et plus généralement multimodal des processus par lesquels se co-construit et se négocie la signification en acte des comportements des participants aux interactions. En continuité avec les approches multimodales en analyse du discours et de l'interaction (Kress et al 2001; Goodwin 2000; Mondada 2004), ces significations sont fondées d'une part sur une large palette de ressources issues de systèmes sémiotiques variés (la parole, la prosodie, les gestes, les postures corporelles, les objets matériels, les pratiques scripturales etc.) et d'autre part sur des combinaisons et des formes d'articulation entre ces ressources.

En cohérence et en continuité avec ces principes théoriques, la démarche de recherche en analyse interactionnelle se fonde sur une documentation de pratiques tutorales authentiques recueillies en contexte naturel et non provoqué, au moyen de traces audio-vidéographiques. Les données empiriques exploitées dans le cadre de la présente recherche ont été recueillies entre 2012 et 20152 à l'occasion de stages effectués par 3 étudiantes engagées dans le dispositif genevois de formation professionnelle initiale dans les domaines de l'éducation de l'enfance. Les enregistrements ont été réalisés à l'aide d'un dispositif vidéographique mobile, dans des situations ordinaires et non provoquées de travail en institution de la petite enfance, avec le consentement des participants. Les stagiaires ont été observées dans des situations ordinaires d'animation d'activités éducatives, en présence des enfants et de leur référente professionnelle, et ce à trois reprises en début de formation et à deux reprises durant la troisième et dernière année de leur formation. Le corpus disponible consiste en une vingtaine d'heures d'enregistrements d'interactions et des transcriptions auxquelles ils ont donné lieu.

2 La recherche a été conduite avec le soutien du Fonds national suisse (FNS), sous les numéros

de requête 100019_149759 et 100019_169743.

84 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

3. Les scissions des formats de participation

Dans le corpus disponible, un phénomène interactionnel a particulièrement retenu notre attention en raison de son caractère hautement récurrent: les scissions des cadres de participation et l'émergence de conversations parallèles au sein de la pratique professionnelle accompagnée. L'émergence des conversations parallèles mérite une attention particulière dans le cadre d'une étude des processus de formation et d'apprentissage en situation de travail dès lors qu'elle implique des processus interactionnels hautement complexes, et qu'elle permet des échanges variés et simultanés au sein de groupes engageant plusieurs participants (Schegloff 1995).

Ceci devient particulièrement saillant lors de séquences d'interactions où l'animation d'un groupe d'enfants est laissée à la seule responsabilité de la stagiaire et ceci sous la surveillance rapprochée de sa référente professionnelle. En effet, nous pouvons observer dans nos données plusieurs occurrences du phénomène suivant: alors que la stagiaire est censée interagir seule avec les enfants, la réaction d'un des enfants entraîne l'intervention de la référente. Cette intervention, qui modifie la position de participation de la référente, allant de celle d'un observateur/évaluateur à celle d'un participant qui agit auprès des enfants, estampille la réaction non ratifiée de l'enfant, comme un événement qui doit être traité dans l'immédiat. Cette intervention accomplit également une scission du cadre participatif à partir du moment où la stagiaire poursuit son activité avec les autres enfants, comme illustré dans l'exemple qui suit et qui rend visibles les deux foyers interactionnels parallèles créés à la suite de l'intervention de la référente:

Extrait Jeu Memory Loane

#Im1a

#Im1b

1 2 3 4 5

REF: #Loane tu te souviens ce qu'on a #im1a dit/ on joue seulement quand c'est son tour sinon on fait shu::t (.) d'accord/

STA: #si tu veux tu peux te lever #im1b si tu veux. et tu peux PREndre la carte\

Cet exemple de scission est issu d'une séquence de jeu de cartes dont nous avons étudié les conditions de réalisation dans une publication récente (Markaki & Filliettaz 2017). Il illustre une séquence typique de deux échanges parallèles conduits entre les éducatrices et les enfants: un échange entre la référente et

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 85

l'enfant Loane, qui a pris la parole sans qu'elle lui soit donnée (ligne 1; image 1a); et un échange entre la stagiaire et l'enfant Natalia qui est la participante ratifiée (image 1b). Ce schisme intervient alors que la référente est censée laisser faire (Kunégel 2011) et simplement observer la stagiaire en train d'animer un jeu avec les enfants. L'émergence de cette configuration de participation permet d'accomplir, à des fins pratiques et pédagogiques, deux actions nécessaires pour la poursuite de l'activité du jeu: la production de la réponse par l'enfant désigné par le professionnel comme le joueur légitime; la non-communication de la réponse par les autres enfants participant au jeu.

Ce phénomène est déjà documenté dans la littérature en analyse conversationnelle sous la catégorie de "schismes". Initialement repéré par Simmel (1902), puis repris et étudié dans le cadre de l'analyse conversationnelle par Sacks, Schegloff & Jefferson (1974), et surtout Egbert (1997a, 1997b) et Traverso (2012), le phénomène des schismes désigne des situations réunissant au moins quatre participants, et dans lesquelles le format de participation se scinde en deux foyers d'interaction parallèles conduits de manière à la fois distincte et collaborative. Les schismes se caractérisent a) par la conduite d'une activité principale, collective, en amont du schisme impliquant plusieurs participants, b) par des changements d'adressage intervenant entre les participants de l'activité en question, c) par l'émergence de deux foyers interactionnels, d) par la conduite de deux thèmes conversationnels simultanés, e) par l'accomplissement conjoint et non concurrentiel de deux systèmes de tours de parole considérés dans leurs formats multimodaux (Filliettaz 2016).

Les travaux sur les schismes ont par ailleurs montré que ces derniers constituent des phénomènes interactionnels séquentiellement ordonnés (Egbert, 1997 a et b). Ils débutent par un processus d'induction (Schisming Induction Turn), par lequel les participants opèrent une scission dans le déroulement de la conversation. Ils se poursuivent par un processus de maintien (Schisming Maintenance), de durée variable, dans lequel s'accomplissent parallèlement deux systèmes d'organisation séquentielle des tours de parole à la fois distincts et présentant des relations d'interdépendances et de "porosité". Ils se terminent par un processus de clôture, dans lequel les deux foyers d'interaction convergent à nouveau vers une organisation homogène (Merging) (voir Figure 1).

86 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

Figure 1

Le phénomène du schisme a à ce jour été étudié dans un nombre limité de contextes, qui consistent essentiellement en des repas de famille (Egbert 1997a, 1997b) et des réunions internationales de travail (Traverso 2012). Par ailleurs, dans la littérature existante, rares sont les études qui mettent en relation ces processus de scission avec le type d'activités accomplies par les participants. Or, il est d'autant plus important de combler cette lacune que les travaux conversationnalistes ont montré que le formatage des tours de parole par les locuteurs est intrinsèquement lié aux interlocuteurs/destinataires du message produit (recipient-design) et aux types d'activités au sein desquels l'interaction émerge (speech-exchange systems) (Sacks, Schegloff & Jefferson 1974). Comprendre ce lien, dans le cas des schismes, revient à saisir le système de l'organisation de la préférence sous-jacente à l'organisation des tours de parole et donc à interroger les enjeux psycho-sociaux endossés par les participants dans la formation par le travail (Egbert 1997a; Pomerantz & Heritage 2012). La clarification de ces enjeux est essentielle pour mieux comprendre l'émergence et l'organisation des schismes dans l'interaction. Cette clarification est aussi importante pour saisir les enjeux interactionnels de la formation par alternance et pour améliorer les dispositifs de formation existants.

Dans ce contexte, la démarche analytique que nous proposons de mener ici, en prolongement du travail engagé au sujet des schismes interactionnels (Markaki & Filliettaz 2017), consiste d'abord à décrire les conditions dans lesquelles les scissions des cadres de participation émergent dans notre corpus, et la nature et le rôle des ressources multimodales mobilisées par les participants à cette occasion. Il s'agira également de mettre en évidence les fonctions pratiques associées à l'émergence des schismes dans les contextes dans lesquels ils émergent. Enfin, nous viserons par-là à interroger les potentialités offertes par les schismes pour la conduite simultanée des activités éducatives et de formation, dans le contexte institutionnel de la pratique professionnelle accompagnée.

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 87

4. Le schisme interactionnel dans la formation par le travail: le cas de l'activité de l'appel

La répartition des enfants en groupes dans les crèches est une tâche "banale" qui recèle une grande complexité pour les professionnels. Elle requiert une bonne connaissance des enfants et de leurs prénoms, une capacité à transmettre des informations et gérer des groupes avec des enfants en bas âge. La réalisation de l'appel semble relever d'un savoir pratique que le stagiaire doit acquérir pour pouvoir être autonome avec un groupe d'enfants. Cette compétence est développée de manière progressive, alternant des phases d'expérimentation en situation réelle avec des phases d'évaluation et d'analyses réflexives lors des entretiens pédagogiques entre le référent et le stagiaire. Certaines pratiques s'installent, sont mises en mots et sont transmises aux stagiaires telles que la préparation de listes comportant les prénoms des enfants à appeler. D'autres pratiques s'apprennent dans l'action lorsque les stagiaires sont confrontés à la complexité de la gestion d'un groupe d'enfants. L'appel visant la répartition des enfants en groupes est une activité régulièrement confiée aux stagiaires, et ceci dès la première année. Elle fait généralement partie des activités éducatives et en constitue la phase de mise en place.

Dans ce qui suit nous procéderons à deux études de cas fondées sur deux extraits issus de contextes de co-élaboration de l'activité de l'appel qui, comme nous montrerons, sont à la fois proches et distincts. Chaque étude de cas consiste tout d'abord en la présentation du problème pratique auquel est confronté le binôme de la référente/stagiaire, suivie d'une analyse séquentielle de l'extrait. Puis, une synthèse des actions des participants et de leurs attentions focalisées respectives rend compte des actions spécifiques distribuées entre les professionnelles impliquant la scission des cadres participatifs. Cette synthèse permet également de rendre compte de comment nous interrogeons ici la délimitation du phénomène des schismes introduite par Egbert, selon l'action humaine, au-delà des topics conversationnels. Enfin, la dernière partie est consacrée à la mise en évidence des transformations dynamiques de l'activité initiale et des rôles interactionnels des participants rendus disponibles à l'analyse à travers l'étude des schismes.

4.1 L'activité de l'appel: Sélectionner un enfant

L'extrait suivant est tiré d'une séquence d'appel qui doit permettre de répartir les enfants en deux groupes: ceux qui vont faire de la peinture avec la référente et la stagiaire et ceux qui iront jouer dehors avec d'autres accompagnateurs (les lignes de l'annonce des activités proposées ne sont pas montrées ici). L'activité de l'appel est assurée par la stagiaire, que les enfants connaissent et appellent par son prénom (ici le pseudonyme utilisé pour la stagiaire est Béatrice). La référente est assise à côté d'elle et regarde le groupe d'enfants. Celia, visible

88 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

dans le champ de la caméra à partir de la ligne 2 de l'extrait ci-dessous, est le premier enfant appelé:

Extrait Appel Celia (a)

1 STA #Fig2 alors celia/

#Fig.2

2 >>$#Fig3 t- ça t' d- << tu veux

cel $#s'avance------------------------------>

#Fig.3

3 ven$ir/+#Fig4$

cel ---$acquiesce$

sta +#r.groupe-------------------------->

#Fig.4

4 %#Fig5faire $ de la peinture

ref %#r.Cel,acquiesce-------------------------->

cel ------------$-avance vers la référente----->

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 89

Dans cet extrait, nous observons la construction collaborative d'une séquence d'actions composée de deux parties successives: une question posée par la stagiaire interrogeant la volonté de l'enfant de participer à l'activité pour laquelle il a été choisi ("tu veux venir/", l.2-3), suivie d'une consigne de déplacement adressée à l'enfant et formulée par la référente ("alors celia tu restes assise près de béatrice pour le moment", l.6-8). Ce type de séquence nous interpelle car il soulève un problème intéressant à la fois de l'activité de l'appel et de l'organisation du travail entre la stagiaire et la référente: comment pouvons-nous segmenter les différentes phases de l'activité de l'appel ? Dans quelles conditions et avec quelles ressources la référente intervient-elle lors d'une tâche explicitement confiée à la stagiaire ? L'extrait illustre un moment représentatif du problème pratique que la référente rencontre lorsqu'elle doit intervenir pendant que la stagiaire anime la répartition des enfants en groupe. L'analyse de l'extrait fournira une base empirique pour aborder ces questions.

#Fig.5

5 STA [xxx

6 REF [alors celia

7 % #Fig6tu restes assise près de

ref %-#-montre la place à côté---------------->

#Fig.6

8 béatrice +[pour le % moment/

9 STA +[bérénice:% t'as envie

sta -------- +r. Bérénice-------------------->>

ref -------------------%r. Bérénice---------->>

10 $ de faire de la peint*ure/

cel $s'asseoît------------------------------->>

90 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

4.1.1 Analyse séquentielle de l'extrait

L'agencement spatial entre les participants présents dans cet extrait organise un cadre participatif bipartite où le binôme des professionnelles se trouve face au groupe d'enfants et permet de rendre publiquement disponibles leurs regards et leurs gestes (Figure 2). La disposition des professionnelles dans l'espace met en scène les deux rôles définis en amont de l'activité de l'appel. La référente dans le rôle de l'observatrice, les mains posées sur les genoux, est assise en léger décalage vers l'arrière par rapport à la stagiaire. La stagiaire, dans le rôle de l'animatrice, est assise les jambes croisées et tient la liste avec les prénoms des enfants à appeler dans les mains. L'espace ainsi organisé conditionne à la fois la participation des enfants et celle des professionnelles.

Celia, interpellée par son prénom, regarde la stagiaire et fait quelques pas en avant (l.2, Figure 3). Ce mouvement vers l'avant de Celia anticipe la fin de la question de la stagiaire et projette une réponse affirmative (l.2). L'accord de Celia est confirmé par un geste d'acquiescement à un moment où la production de la question de la stagiaire pourrait être finale (l.3). La stagiaire s'oriente progressivement vers cette acceptation en dirigeant, dès la fin de la question et pratiquement au même moment que le début de l'acquiescement de Celia, son regard vers le groupe (l.3, Figure 4).

De manière intéressante, alors que la stagiaire ne regarde plus Celia, elle poursuit sa question avec l'insertion d'une précision au verbe "venir": ("faire de la peinture", l.4). Cet ajout produit un laps de temps pendant lequel la stagiaire cherche encore dans le groupe le prochain enfant à appeler; ce faisant, elle ne prête plus une attention focalisée sur ce que fait Celia: au moment où la stagiaire détourne le regard, Celia est encore en train d'acquiescer et ne s'avance plus (l.3-4).

Alors que la séquence de la sélection de Celia pour le groupe d'enfants qui feront de la peinture est visiblement traitée comme terminée par la stagiaire, la suspension de son déplacement projette une séquence suivante. La référente initie alors cette séquence en acquiesçant en retour à Celia (l.4, Figure 5). La séquence des acquiescements, pendant laquelle la stagiaire ne réagit pas de manière visible à la caméra, montre rétrospectivement l'interprétation de la posture de Celia de la part de la référente, comme un besoin d'une confirmation claire et visible de la sélection de l'enfant. Le déroulement de ces deux paires adjacentes consécutives (question/réponse; acquiescement/acquiescement) rend visible l'interprétation que fait Celia de la séquence de l'appel et transforme la portée de l'action réalisée par la stagiaire: obtenir l'accord de l'enfant n'implique pas sa sélection effective.

La réception positive de l'accord de Celia implémentée par l'acquiescement de la référente agit comme un catalyseur. Celia commence à se déplacer de nouveau en direction de la référente (l.4). Avancer vers la référente exhibe la modification, depuis la perspective de Celia, du statut de cette première dans

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 91

l'interaction, allant de celui de l'observatrice à un statut se rapprochant plutôt de celui de la co-animation.

La référente s'oriente alors immédiatement vers la réparation de la trajectoire de Celia (l.6-8; Figure 6). Tout comme la stagiaire à la ligne 1, elle commence son tour à voix haute avec l'adverbe "alors" (l.6) suivi du prénom de l'enfant, ce qui refocalise l'action sur ce dernier. Cette construction projette à la fois le caractère complémentaire et nécessaire de la consigne du déplacement à la consigne de l'appel. Elle implémente également la scission du cadre participatif en se refocalisant sur Celia alors que la stagiaire est à la recherche du prochain enfant à appeler - et ceci dès la ligne 3. En prononçant le prénom de la stagiaire et en demandant à Celia de s'asseoir à côté de celle-ci, la référente projette de façon multimodale la réorganisation du cadre autour de la stagiaire qui anime. Sans tarder, la référente clôt la scission du cadre participatif et se réoriente vers l'observation de l'appel du prochain enfant Bérénice (l.9-10).

4.1.2 Scission du cadre participatif

Dans l'extrait que nous venons d'analyser ci-dessus, nous avons pu observer une scission du cadre participatif de la ligne 4 à la ligne 9 (voir extrait Appel Celia b et les figures 7a et 7b).

Extrait Appel Celia (b): l'émergence de deux foyers interactionnels

#Fig7a #Fig7b STA %+faire $ de la peinture

sta +#regarde groupe-------------

-----------------------------

------------------------>

im #Fig7a

STA [xxx

sta -regarde groupe--------------

---------------------------->

STA +[bérénice:% t'as envie de

sta +regarde Bérénice-------->

ref % #r.Cel,acquiesce-------->

im #Fig7b

cel $avance vers la

référente----->

REF [alors celia

%tu restes assise près de

ref %montre la place à côté--->

cel ---avance vers la réf.---->

béatrice+[pour le% moment/

ref ---------------%r.Bérénice>

STA $de faire de la peinture/

cel $s'asseoît à côté de STA---------------------------------------->

92 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

L'ensemble des phases séquentielles du phénomène des schismes mis en évidence par Egbert (1997a et b), telles que l'induction ou le maintien, peuvent être identifiés dans cet extrait (voir deuxième colonne du Tableau 1 ci-dessous). La caractérisation de la séquence des schismes en des "sous"-séquences distinctes doit être considérée dans sa dimension progressive et ne saurait être déconnectée des finalités pratiques et situées de l'activité menée ici de manière collaborative et des relations mises en œuvre entre les différents participants. Par ailleurs, la prise en compte de l'analyse séquentielle de l'attention des participants, spécifiée par les modalités d'accomplissement des actions locales et situées de ces derniers, pointe la nécessité de considérer la scission des cadres participatifs à la lumière des activités menées, au-delà des échanges conversationnels entre les participants. En effet, deux foyers interactionnels sont clairement identifiés alors que la stagiaire n'est pas encore en interaction avec un enfant en particulier et que Celia n'adresse que des réponses non verbales à la référente. (voir Tableau 1).

SYNTHESE - ACTIVITÉ SCHISME

Appel de l'enfant 0. Activité principale Attention focalisée sur l'enfant appelé

Le schisme est induit par:

- Celia avec un mouvement d'arrêt

- la référente qui s'oriente avec un geste d'acquiescement vers le problème exhibé par l'enfant choisi Celia, alors que la stagiaire a commencé à chercher avec le regard le prochain enfant à appeler.

1. La séquence de

l'induction du

schisme

Attentions

focalisées

différenciées Le schisme est accompli de manière concomitante:

- par l'orientation mutuelle entre la référente et l'enfant, et la production verbale de la consigne de déplacement énoncée par la référente.

- par le maintien de la recherche de la part de la stagiaire du prochain enfant à appeler.

2. La séquence du maintien du schisme

Le schisme est terminé -

-au moment de l'appel du deuxième enfant avec la fin du tour de parole de la référente et l'orientation de son regard vers le deuxième enfant appelé dans l'extrait.

- le déplacement de Celia à côté de la stagiaire.

3. La séquence de la clôture du

schisme

Attention focalisée sur le prochain

enfant à appeler

Tableau 1: Caractérisation de la séquence du schisme de l'extrait Appel Celia

Enfin, comme Egbert l'avait souligné, les deux espaces interactionnels créés par la scission du cadre participatif sont "poreux" et se configurent mutuellement (Egbert 1997 a et b; Markaki & Fillettaz 2017). Dans notre extrait d'actions

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 93

parallèles, nous retrouvons cette porosité: si aucune modification au niveau du regard et/ou de la posture de la stagiaire n'est observée pendant ce court échange entre la référente et Celia, l'abandon de son tour de parole à la ligne 5 (moment où la référente initie la consigne de déplacement) ainsi que la prise de parole en chevauchement non problématique sur ce qui s'apparente à un élément terminal du tour de la référente à la ligne 8 (expansion: "pour le moment), sont des observables d'un monitorage online de l'action en-train-de-se-faire de la référente de la part de la stagiaire.

4.1.3 Réorganisation de l'activité et des rôles interactionnels au travail

L'apparition du schisme implémente en premier lieu une reconfiguration des rôles interactionnels des participants. En effet, la référente ne se contente plus d'observer la situation mais co-anime l'activité de l'appel. Cette reconfiguration contraste avec le rôle d'observatrice que la référente a contractualisé avec la stagiaire, et qu'elle avait endossé jusqu'ici. L'analyse fine et multimodale du schisme nous permet de comprendre comment l'activité est restructurée par la référente, indexant le moment où deux actions complémentaires s'avèrent nécessaires pour l'accomplissement de l'appel effectif de l'enfant. Le formatage de son tour décrit plus haut, réalisé avec un volume de voix élevé, montre publiquement, y compris à la stagiaire, son changement de statut de participant et du cadre participatif. Il projette également le caractère nécessaire de la prise en charge du déplacement des enfants en plaçant l'action du déplacement au même niveau que l'interpellation de l'enfant. La stagiaire s'aligne puisqu'elle ne prend la parole qu'à un moment de complétude possible de l'énoncé de la référente. Mais en partie seulement, dès lors qu'elle poursuit avec la recherche du prochain enfant.

Dans ce qui suit nous nous focaliserons sur l'analyse d'un deuxième exemple de schisme observable à l'occasion d'une activité d'appel des enfants, issu d'une autre crèche et d'un autre binôme de référente/stagiaire.

4.2 L'activité de l'appel: Refuser un enfant

Dans les lignes qui précèdent l'extrait ci-dessous, la référente demande à la stagiaire de réaliser l'appel des enfants qui iront jouer dans la salle polyvalente de la crèche. Les autres enfants feront d'autres activités sur place avec deux autres professionnelles, dont les pseudonymes dans l'extrait sont Lise et Ouada. La stagiaire récupère une liste écrite avec les noms des enfants, avant de se positionner près de la porte de sortie que le groupe d'enfants devra emprunter par la suite pour accéder à la salle en question. Pendant l'appel, l'enfant Anne, dont le prénom n'est pas inscrit sur la liste, sollicite les professionnelles en répétant son prénom (l.2):

94 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

Extrait Interruption Anne (a)

1 STA +% pierre\ sta + regarde Pierre (hors champ)-------------------------> ref % observe--------------------------------------------> 2 ANN >>* A#Fig8 [nne\ << ] anne:/ ann *regarde stagiaire----------------------------------> 3 STA #Fig8 [tu viens pierre/] sta ------------------------------------------------------>

#Fig.8 4 +#Fig9 (1,7) sta +regarde liste---------------------------------------->

#Fig.9 5 STA + anne pas aujourd'hui (.) une autre fois sta +r. Anne----------------------------------------------> 6 STA d'accord/* #Fig10 tu restes avec li:se ann ---------*pointe et avance vers la ref mais r. la sta>

#Fig.10 7 STA et * % ouada % ref %r. sta-%r. anne-------------------------------> 8 (0,4) ann -pointe et avance vers la ref mais r. la sta--------> 9 STA avec lise et ou+a%#Fig11a [da 10 REF [lise sta ---------------+r. liste et cherche le prochain enfant> ref -----------------%pointe vers lise et Ouada----------->

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 95

#Fig.11 11 REF et * + ouada moi je vais aller [ici ann ---* baisse le bras, recule et regarde la référente--->> sta -----+cherche le prochain enfant---------------------->> 12 OUA [tu vas faire la pâte à modeler

Face à l'insistance avec laquelle l'enfant Anne essaie de se joindre au groupe de la stagiaire et de la référente, nous observons la production collaborative de la consigne suivante: " tu restes avec lise et ouada", l.6-7. En effet, plusieurs énoncés sont produits par les professionnelles avant que l'enfant ne s'aligne sur la consigne: deux répétitions du syntagme nominal "lise et ouada" (répétition réalisée à la ligne 9 par la stagiaire et aux lignes 10 à 11 par la référente), complétées par une explication de la part de la référente ("moi je vais aller ici", l.11), suivies d'une précision apportée par Ouada ("tu vas faire de la pâte à modeler" l.12). La séquence de la consigne est construite selon le même format que dans le cas précédent: l'enfant s'aligne, cette fois-ci sur le refus (sa non sélection), après avoir reçu des précisions à la fois verbales et visuelles quant à son déplacement dans l'espace. Dans les deux cas, les gestes de pointage sont réalisés par la référente en situation de schisme.

Nous retrouvons ici le même problème pratique que rencontre la référente pour intervenir auprès d'un enfant alors que la stagiaire anime l'activité de l'appel, mais aussi la problématique de la gestion de l'activité de l'appel à travers les interruptions réalisées par des enfants qui ne sont pas sélectionnés.

4.2.1 Analyse séquentielle de l'extrait

Lors de l'appel des enfants, Anne prend la parole en répétant à deux reprises son prénom. Elle rend ainsi manifeste son envie de rejoindre le groupe d'enfants appelés (l.2; Figure 7). La stagiaire s'aligne à la question indirecte d'Anne de manière non verbale, en vérifiant la liste avant de lui répondre (l.4; Figure 8). En effet, la stagiaire face à l'insistance d'Anne, mobilise la lecture de la liste comme ressource visible et reconnue par les enfants, lui permettant de limiter la portée du tour d'Anne (l.4) et de légitimer la réponse négative ("anne pas aujourd'hui" l.5). L'ajout de l'énoncé qui suit ("une autre fois d'accord/", l.5-6) permet de proposer une alternative et de minimiser ainsi le refus produit au début du tour.

Au même moment, Anne pointe et avance vers la référente. Ce faisant elle propose de manière non verbale une autre alternative autour de la personne de la référente (l.6; Figure 9). La stagiaire répare immédiatement une possible

96 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

incompréhension de la part de l'enfant, en précisant les prénoms des professionnels avec qui elle doit rester ("avec lise et ouada" l.6-7). La référente semble regarder vers l'enfant dès le début de l'extrait mais à la fin du syntagme prépositionnel "avec lise et ouada", elle tourne son regard vers la stagiaire avant de regarder, désormais sans ambiguïté, Anne. Après une pause de 0.4 secondes (temps pendant lequel Anne se déplace et pointe encore vers la référente, l.8), la stagiaire répète la fin de la consigne, à savoir le syntagme prépositionnel (" avec lise et ouada", l.9). Juste avant de terminer son énoncé, elle se refocalise sur la liste des enfants à appeler et cherche le prochain enfant à appeler (l.9).

Pendant ce temps Anne ne modifie aucunement sa posture et continue à pointer vers la référente. En chevauchement terminal avec la stagiaire et en scindant le cadre participatif en deux espaces interactionnels, la référente pointe alors vers l'espace où se trouvent les deux autres professionnelles et répète le syntagme nominal "lise et ouada" (l.10-11) accompagné d'une explication ("moi je vais aller ici", l.11). Anne baisse son bras, recule légèrement et retourne pour la première fois dans la direction de la référente. La stagiaire recherche dans l'espace de manière visible le prochain enfant à appeler (l. 10-12). La triple répétition des prénoms des professionnelles avec qui Anne est censée rester projette de manière forte l'intervention qui va suivre: Ouada (hors champ) prend la parole et interpelle Anne en lui précisant l'activité qu'elle fera avec elle ("tu vas faire de la pâte à modeler", l.12).

4.2.2 Scission du cadre participatif

La référente n'intervient, malgré la ratification de sa présence à travers le pointage soutenu de la part d'Anne dans sa direction, que dans une configuration de schisme, au moment où la stagiaire reprend son activité.

Extrait Interruption Anne (b): l'émergence de deux foyers interactionnels

Fig12a Fig12b STA avec lise et ou+a%a[da sta --+r. liste/ cherche le prochain enfant------------------------------ ----------------------------------- ----------------------------------- ------------------------------------ -------------->>

REF %[lise ref %pointe vers Lise, Ouada--->> et * ouada moi ann ---* baisse le bras, recule et regarde la ref-->> je vais aller [ici OUA [tu vas faire la pâte à modeler

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 97

Dans cet extrait nous retrouvons les phases séquentielles de l'émergence, du maintien et de la clôture du schisme décrites par Egbert. Leur délimitation est affinée à l'aide d'une analyse multimodale du déroulement de l'attention des participants et (Tableau 2):

SYNTHESE - ACTIVITE SCHISME

Interruption lors de l'appel des enfants par l'enfant Anne.

0. Activité principale Attention focalisée sur

l'enfant qui s'auto-sélectionne

Le schisme est induit par:

- Anne qui pointe avec insistance vers la référente et insiste pour être sélectionnée

- la référente qui prend la parole au moment où la stagiaire a commencé à chercher avec le regard le prochain enfant à appeler.

1. La séquence de

l'induction du

schisme

Attentions focalisées

différenciées Le schisme est accompli de manière concomitante:

- par la prise de parole de la référente et l'établissement d'une orientation mutuelle entre la référente et l'enfant

- par le maintien de la recherche de la part de la stagiaire du prochain enfant à appeler.

2. La séquence du maintien du schisme

La clôture du schisme est réalisée par:

- l'intervention d'Ouada

- le repositionnement de la référente dans l'interaction en tant qu'observatrice de l'activité de l'appel animé par la stagiaire.

- l'alignement d'Anne à cette nouvelle proposition (lignes non montrées ici)

3. La séquence de clôture du schisme

Attention focalisée sur le prochain enfant à appeler

Tableau 2: Caractérisation de la séquence du schisme de l'extrait Interruption Anne

Tout comme dans la première étude de cas, la porosité entre les différents cadres participatifs implémentés par des espaces interactionnels contigus est rendue visible à travers la production de chevauchements non compétitifs intervenant sur la fin des tours de parole des professionnelles.

4.2.3 Réorganisation de l'activité et des rôles interactionnels au travail

Dans cet extrait nous observons de nouveau une modification du rôle initial d'observatrice de la référente implémentée par la procédure du schisme. Le schisme indexe et rend donc publiquement intelligible le moment où deux actions complémentaires deviennent nécessaires pour l'évolution de l'activité de l'appel. L'émergence du schisme indexe ainsi un moment de transformation

98 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

de l'activité projetant l'intervention d'une tierce personne (Ouada) endossant un rôle particulier dans l'interaction.

Alors que les échanges verbaux se chevauchent à peine, l'analyse multimodale de l'activité nous permet de mieux apprécier les limites temporelles de la mise en place des scissions des cadres participatifs et celles de l'émergence de deux espaces interactionnels concomitants réalisant des actions complémentaires et impliquant une coordination très fine entre les professionnelles. Ceci est d'autant plus complexe qu'elles doivent assurer ensemble un rôle d'éducatrice auprès des enfants et respectivement un rôle de formatrice et d'apprenant. Le schisme semble alors être une procédure systématique mobilisée par les professionnelles pour éviter les chevauchements qui perturberaient aussi bien une activité avec les enfants que l'accompagnement de la stagiaire, mais aussi pour éviter les suspensions qui ralentiraient le rythme de l'activité et pourraient perturber la gestion du groupe d'enfants.

5. Conclusion

Un des enjeux majeurs de la formation par le travail consiste à pouvoir former tout en travaillant, c'est à dire "dans l'effervescence du travail" (Rémery & Markaki 2016). Les extraits étudiés ici rendent observable comment des étudiantes stagiaires et des référentes professionnelles conduisent conjointement des activités d'appel des enfants, tantôt en invitant des enfants à se rapprocher d'un groupe en constitution, tantôt en maintenant des enfants en marge de ces groupes.

En dépit des différences qui les caractérisent, ces extraits présentent des traits communs et fondent des patterns repérables dans une pluralité de contextes institutionnels similaires. En particulier, ils rendent observable comment, à l'occasion de comportements publiquement affichés par les enfants, les référentes quittent une posture d'observation pour initier un nouveau foyer d'interaction dans la situation. Dès lors que ces interventions ne coïncident pas avec une interruption de l'activité de la stagiaire, mais qu'elles en permettent au contraire la continuité, elles donnent lieu à des phénomènes de scission et de conduite parallèle d'une pluralité de séquences interactionnelles.

Dans les données considérées, les séquences de schismes semblent opérer à deux niveaux, et ceci de sorte à ce que l'activité principale avec les enfants se poursuive. D'une part, elles permettent de prendre en charge un enfant, de réparer ce qu'il vient de faire, et qui ne s'aligne pas aux attentes repérables dans la situation. D'autre part, elles implémentent une aide apportée par la référente à la stagiaire pour gérer le groupe d'enfants. Cette aide, spontanée et non sollicitée, rend compte de la vision située et différenciée qu'ont les professionnelles de l'activité (Goodwin 1994), dans la mesure où elle a) catégorise les actions des enfants comme nécessitant une prise en charge particulière, b) rend disponible aux co-participants une des pratiques

Vassiliki Markaki-Lothe & Laurent Filliettaz 99

professionnelles possibles de prise en charge des enfants. C'est là son pouvoir configurant dans le contexte institutionnel particulier de la pratique professionnelle accompagnée dans le domaine de l'éducation de la petite enfance.

Au terme de nos analyses, nos extraits invitent à affiner la structuration du phénomène du schisme proposé par Egbert, selon l'ensemble de ressources que les participants mobilisent pour réguler l'activité de l'appel sans se limiter à la seule segmentation des topics conversationnels. En effet, contrairement aux situations de schismes repérables à l'occasion de dîners en famille, les phénomènes de scission repérés dans nos données ne se fondent pas systématiquement sur l'identification de deux topics conversationnels conduits parallèlement, sous la forme de séquences conversationnelles distinctes et interdépendantes. Les schismes observables dans les institutions de la petite enfance, et dont nous avons montré quelques exemples ici, ne sont repérables qu'à la condition de prendre en considération le caractère multimodal des interactions et en particulier les orientations corporelles et visuelles des participants. Ainsi, ce ne sont pas nécessairement des "conversations" qui se déroulent parallèlement, mais des processus interactionnels multiples, pluri-adressés, qui s'orientent vers différents acteurs pour en réparer les conditions de participation. Ce sont là des contingences pratiques très différentes de celles qui régissent les repas de famille, et qui rendent visibles les attentes institutionnelles qui pèsent sur les interactions en contexte d'éducation de l'enfance.

Les scissions des cadres participatifs observés dans nos données présentent donc des potentialités remarquables pour la formation professionnelle dès lors qu'elles permettent à une pluralité d'activités de se réaliser parallèlement et, pour les référentes, d'exercer une influence sur l'activité des stagiaires. A ce titre, elles constituent, de par leur écologie interactionnelle spécifique, à la fois une réponse aux attentes institutionnelles rendues manifestes dans la situation (on n'interrompt pas une activité animée par la stagiaire) et un moyen de guider ou d'étayer une activité que des professionnels en début de formation peinent à accomplir de manière autonome (quand un enfant ne comprend pas comment s'orienter dans la situation, on guide ses modalités de participation). De ce point de vue, l'accomplissement des schismes interactionnels illustre de manière emblématique les alternatives que les professionnels eux-mêmes trouvent à des formes explicites et descriptives des contenus de savoir dans les interactions tutorales. Plutôt que de "dire quoi faire", il s'agit de "montrer en aidant à faire". Dans les situations où ces "aides" et ces savoirs ne peuvent pas s'énoncer de manière explicite, faute "d'instants tranquilles", l'action portant sur les formats de participation devient un levier de l'activité des formateurs, une voie à travers laquelle est rendu visible leur rôle dans le contrat d'accompagnement qui les lie aux stagiaires. La réalisation de l'aide grâce aux modalités du schisme rend les actions entreprises par la référente visibles et

100 Comment faire les remarques dans l'effervescence du travail?

donc accessibles à la stagiaire. Elle constitue donc à la fois une aide pour sa propre activité, et une mise en œuvre d'action exemplaire à laquelle elle peut s'aligner. C'est là tout l'intérêt des schismes et de leur analyse que de reconnaître le vrai travail mis en œuvre dans ces contextes de formation dans et par le travail.

Pourtant, les potentialités éducatives et formatives des schismes ne s'expriment que si elles sont reconnues par les acteurs qui s'y engagent. Par exemple, les procédures de réparation non suspensives de l'activité ne permettent la continuité de l'activité des stagiaires que si les référentes n'interrompent pas pleinement les activités qu'elles supervisent, et si, réciproquement, les stagiaires catégorisent les interventions de leurs référentes comme non-suspensives et comme rendant légitime la poursuite de leur propre activité. Dès lors, la mise en place des schismes et la conduite parallèle d'une pluralité d'interactions ne se fait pas toute seule. Elle requiert au contraire des compétences interactionnelles d'une grande complexité, et ce aussi bien de la part des stagiaires que des professionnels qui les encadrent. C'est là que réside, en partie, le caractère incertain et le haut degré d'exigences, souvent tacites, de la pratique professionnelle accompagnée.

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Conventions de transcription et transcriptions multimodales3

[ ] (.) (2) / \ & (des) ((rit)) : xxx extra = quo-

chevauchement (début & fin) micro-pause (< 0,2 seconds) pause en secondes intonation montante/ descendante\ continuation du tour de parole essai de transcription délimitation des phénomènes allongement segment incompréhensible segment accentué latching troncation

°okay° NON >>okay<< *, +, £ . . . . - - - - *- - > *- ->> >- - - sop # r.

murmuré volume élevé accélération délimitent les gestes, regards, actions d'un participant amorce du geste geste est maintenu geste au delà de la fin de la ligne geste au-delà de la fin de l'extrait geste avant le début de la ligne pseudo du participant position d'une image dans la transcription regard

3 Voir aussi: http://icar.univ-lyon2.fr/projets/corinte/bandeau_droit/convention_icor.htm

Travaux neuchâtelois de linguistique, 2017, 67, 103-125

Se plaindre des enfants: positionnements épistémiques et rapports institutionnels dans les récits conversationnels entre au-pair et famille d'accueil

Evelyne BERGER Centre de linguistique appliquée, Université de Neuchâtel

The present study investigates how institutional relationships and identities are interactionally configured in a domestic context: the sojourn of an au-pair with a host family. While the au-pair regularly takes part in the family's ordinary life and becomes sort of a 'member' of the family over time, she is at the same time hired by the family as a childcare provider. Our study reveals that these institutional identities are oriented to by the participants, in particular during storytellings about the host family children's misconduct. The study is based on a corpus of 7 hours of dinner table conversations between Julie and her French-speaking host family. Drawing on Conversation Analysis, we show how, during storytelling, the au-pair and the host mother claim, display and negotiate their epistemic rights in relation to childcare in general or with these specific children.

1. Introduction

Le séjour au-pair est une forme d'échange linguistique bien ancrée en Suisse depuis plusieurs décennies. Si elle offre l'occasion unique à une jeune fille1 d'être immergée dans la langue et la culture d'une communauté donnée en vivant au sein d'une famille d'accueil, elle constitue aussi une solution de garde d'enfants économique pour les familles d'accueil. En effet, la jeune fille au-pair est nourrie et logée en contrepartie de services rendus comme gardienne d'enfants.

Le rôle de la jeune fille au-pair au sein de la famille d'accueil reste ambigu. Du fait qu'elle séjourne au sein de la famille d'accueil pendant plusieurs mois, elle devient un membre de la famille d'accueil, ou du moins tel est l'argument avancé dans les discours officiels sur le placement au-pair (Cox & Narula 2010). D'autre part, elle est employée par la famille et se trouve dans un rapport de nature institutionnelle avec les parents de la famille d'accueil. Il en résulte que les frontières entre travail et vie privée sont potentiellement très floues. Au-delà du rapport employeur-employé, la relation entre les parents de

1 Par souci de simplification, nous utiliserons la forme féminine dans la mesure où les jeunes

gens au-pair sont la plupart du temps des jeunes filles.

104 Se plaindre des enfants

la famille (notamment la mère) et la fille au-pair s'inscrit dans une distribution symbolique des tâches éducatives (ou "division of mothering labor" Macdonald 1998: 26). Cette distribution implique des ajustements de la part des participantes, parfois difficiles, quant aux pratiques et attentes en matière d'éducation, ainsi qu'une délimitation de leurs rôles mutuels à l'égard des enfants (Macdonald 1998). La question des rôles et des responsabilités du professionnel et du parent dans l'éducation des enfants est une problématique qui se retrouve aussi dans d'autres contextes de garde d'enfants, notamment dans les institutions de l'accueil de la petite enfance (voir p.ex. Cantin 2010).

La présente étude se propose d'explorer l'ambivalence des rapports entre une jeune fille au-pair et la mère de sa famille d'accueil dans un corpus de conversations lors des repas en famille. Dans le présent corpus, il est fréquent que les participants partagent spontanément des anecdotes concernant des enfants. Loin d'être des comptes rendus factuels neutres, les anecdotes sur les enfants véhiculent un regard critique sur les conduites des uns et des autres. Le fait même que ces récits portent sur les enfants soulève des enjeux quant aux savoirs de la mère d'accueil et de la fille au-pair en matière d'éducation et à leurs droits et responsabilités réciproques quant à l'évaluation des conduites des enfants. Ces récits matérialisent ainsi des attentes relatives aux compétences éducatives de même qu'ils mettent en exergue des rapports de force quant aux rôles de parent et fille au-pair. Les résultats mettent en évidence la configuration des rôles institutionnels non seulement dans le cadre des événements rapportés, mais aussi dans le hic et nunc de l'activité de récit à travers les mouvements d'affiliation/désaffiliation au cours et subséquemment au récit. Le récit apparait ainsi comme un lieu où les participants se positionnent par rapport aux savoirs des uns et des autres, et par là même forgent leurs rôles mutuels (parent vs. au-pair) au sein de la micro-institution que représente la famille, à l'instar de ce qui a été montré pour d'autres contextes institutionnels (Bangerter et al. 2011 pour les soins infirmiers; Bonu 2001 pour les entretiens d'embauche).

2. Récit, distribution du savoir et contexte institutionnel

2.1 Récit et contexte institutionnel

Raconter des événements et des expériences passés est une activité omniprésente dans les interactions sociales. Si ce phénomène représente une pratique usuelle au sein de la conversation ordinaire (cf. Goodwin 1984; Jefferson 1978; Sacks 1974, 1992), il est aussi fréquent dans bon nombre de contextes institutionnels (cf. Arminen 2004; Bonu 2001; Jefferson & Lee 1988; Maynard 1988; Pomerantz 1987).

Les interactions en contexte institutionnel ont été décrites comme étant orientées vers des objectifs relatifs à l'organisation, comme matérialisant des 'droits et des obligations' différenciés des participants en matière de gestion de

Evelyne Berger 105

l'interaction et des contenus et comme mobilisant un éventail prédéfini d'actions (Heritage & Greatbatch 1991). Ces particularités interactionnelles se reflètent dans l'accomplissement du récit. Ainsi, le récit permet de réaliser les objectifs de nature institutionnelle. Lors d'un procès par exemple, le récit d'un témoin permettra de confirmer ou d'invalider les faits reprochés à l'accusé (Pomerantz 1987). Dans le cadre de l'entretien d'embauche, le recruteur invitera le candidat à raconter certaines expériences passées dans le but de corroborer l'adéquation de son profil au poste prévu (Bonu 2001). Une asymétrie interactionnelle est visible dans la gestion du récit. Ainsi, les positions de narrateur et d'interlocuteur tendent à être distribuées en fonction des rôles institutionnels (Bercelli et al. 2008; Bonu 2001), alors que dans la conversation ordinaire elles peuvent être prises en charge de manière égale par les participants. Autrement dit, dans le cadre institutionnel, c'est généralement la même personne qui se trouve en position de story recipient, en général le représentant institutionnel (p.ex. le recruteur, le psychologue, le journaliste), et la même personne en position de storyteller (p.ex. le candidat, le client, l'invité). Enfin, en raison d'un déroulement de l'activité fortement pré-structuré, la production d'un récit est limitée à des positions séquentielles spécifiques: p.ex. comme expansion d'une réponse à une question oui/non dans les témoignages au tribunal (Galatolo & Drew 2008). A l'inverse, dans la conversation ordinaire, un récit peut émerger de façon imprévisible à tout moment du déroulement de l'interaction ('locally occasioned', Jefferson 1978).

Au-delà des aspects structurels, le récit dans les interactions institutionnelles est étroitement imbriqué dans des processus de construction, transmission et évaluation des savoirs. Des travaux s'intéressant aux interactions sur le lieu de travail ont notamment mis en évidence le rôle du récit comme lieu de partage et de préservation des savoirs expérientiels, de valeurs et d'attitudes au sein d'une communauté de professionnels (cf. Orr 1996 sur les 'war stories' entre techniciens de photocopieuses; Hafferty 1988 sur les 'cadaver stories' entre étudiants en médecine légale). L'étude de Bangerter et al. (2011) sur les réunions de relève d'équipes d'infirmières illustre l'usage du récit comme occasion de se présenter comme compétent professionnellement face à d'autres collègues ('doing being a professional'). Dans les récits sur leurs activités auprès des patients, les infirmières rapportent leurs propos et leur agir ainsi que ceux des différents acteurs avec lesquels ils interagissent (les patients, les médecins, d'autres collègues infirmières) de manière à rendre compte et à justifier du caractère approprié de leurs propres conduites dans des situations non-routinières.

Dans les interactions entre jeune fille au-pair et mère d'accueil, les anecdotes sur les enfants sont un lieu de partage d'expériences où les compétences et les valeurs en matière d'éducation sont affichées et négociées par les participants. Ces anecdotes servent cependant aussi à rendre compte des activités quotidiennes relevant notamment de l'agenda institutionnel. Les faits

106 Se plaindre des enfants

reportés offrent ainsi une démonstration des conduites éducatives appropriées de la narratrice tout en étant un objet potentiel d'évaluation de l'interlocutrice.

2.2 Une perspective interactionniste sur la gestion des savoirs

Les travaux en analyse conversationnelle d'origine ethnométhodologique ont mis en évidence la manière dont les participants s'orientent en temps réel vers une distribution des savoirs au cours de l'interaction (cf. Drew 1991; Heritage 2013; Stivers et al. 2011). Dans ce cadre, une distinction est posée entre epistemic status, qui désigne l'état (ou degré) de savoir des uns et des autres par rapport à un domaine de connaissance en particulier (lequel les participants se reconnaissent mutuellement), par exemple du fait de leurs identités ou rôles. La notion de epistemic stance renvoie au positionnement du locuteur par rapport à cet état de savoir tel qu'il est exprimé au cours de l'interaction. En effet, à travers le détail de leurs conduites, les participants affichent les savoirs qu'ils possèdent ou non, de même qu'ils anticipent et s'ajustent aux savoirs de leurs interlocuteurs. Ainsi par exemple, Heritage (2013) démontre comment le formatage grammatical (format déclaratif, interrogatif, etc.) d'un même contenu propositionnel d'une demande d'information peut exprimer différents positionnements épistémiques du locuteur au regard de son interlocuteur (c.-à-d. plus ou moins knowledgeable). L'orientation des participants vers une distribution des savoirs est également sensible au positionnement séquentiel des actions. Heritage & Raymond (2005) suggèrent que dans les séquences d'assessments, les participants s'orientent vers des droits incombant au positionnement séquentiel des tours évaluatifs. Notamment, il est attendu du locuteur produisant un premier tour évaluatif (first assessment) une certaine primauté à évaluer l'objet dont il est question (par exemple, parce qu'il a un accès privilégié à cet objet). Cependant, à travers une panoplie de stratégies discursives, les participants affichent ou au contraire déconstruisent ces attentes relatives à qui produit l'évaluation en premier. Ainsi, par le biais d'une évaluation neutre ou mitigée, un premier locuteur déclinera son autorité à évaluer l'objet. De la même manière, une première évaluation formulée avec un format interrogatif invitant à la confirmation de l'interlocuteur reconnaît la primauté du savoir au second locuteur.

Au-delà de la question de l'état de savoir affiché, les acteurs sociaux s'orientent aussi vers des responsabilités et des droits sociaux, voire 'moraux', relatifs à la possession, à la transmission ou à l'évaluation de savoirs et d'informations (Heritage 2011; Raymond & Heritage 2006; Stivers et al. 2011), délimitant dès lors des 'territoires de savoir' et des 'territoires d'expérience' (cf. Heritage 2011). Typiquement, les acteurs sociaux sont traités comme étant plus légitimes qu'autrui à s'exprimer sur leurs expériences personnelles, leurs activités ou leurs émotions, du fait de leur accès direct et privilégié au domaine de connaissance dont il est question (Heritage 2013). De par leurs rôles

Evelyne Berger 107

institutionnels, les acteurs sociaux peuvent également se voir attribuer ou faire preuve d'autorité dans certains domaines de connaissance (Drew 1991). Par exemple, un médecin se voit conférer une certaine autorité à poser un diagnostic sur des symptômes auxquels il n'a qu'un accès indirect par le biais du témoignage du patient. Le patient quant à lui possède un accès direct aux symptômes mais n'a pas de légitimité à les évaluer d'un point de vue médical (Heritage & Robinson 2006). Dans le même esprit, des 'territoires d'expérience' peuvent incomber à certaines catégories de relations sociales telles que les liens familiaux. Raymond & Heritage (2006) explorent cette dimension relationnelle par une étude de cas d'une conversation téléphonique entre deux voisines au sujet d'une visite ce jour-là des petits-enfants de l'une d'elles. L'analyse montre comment le formatage des tours évaluatifs de la voisine et les réponses de la principale concernée affichent la primauté de cette dernière, en tant que grand-mère, à évaluer ses petits-enfants, bien que la voisine ait été un témoin direct des faits rapportés.

La problématique de la distribution des savoirs relève d'un enjeu d'autant plus grand pour les interactions au sein de contextes qui se caractérisent par une forte asymétrie des champs d'expertise et une organisation hiérarchique des relations sociales, comme c'est typiquement le cas dans les échanges à caractère institutionnel.

2.3 Le séjour au-pair: un contexte institutionnel?

Les interactions ayant lieu entre une jeune fille au-pair et les membres de sa famille d'accueil lors des repas relèvent d'une situation de communication à la frontière entre conversation ordinaire et interactions institutionnelles (voir aussi Berger & Pekarek Doehler 2015; [Pochon-]Berger et al. 2015) à plusieurs égards. D'une part, la présence de la fille au-pair dans la famille d'accueil est de nature professionnelle: elle est engagée par les parents pour s'occuper des enfants pendant la journée. D'autre part, la famille elle-même s'apparente à une structure hiérarchique:

"Families are political bodies in that certain members review, judge, formulate codes of conduct, make decisions and impose sanctions that evaluate and impact the actions, conditions, thoughts and feelings of other members." (Ochs et Taylor 1992: 301)

A cet égard, Ochs et Taylor (1992) notent que le récit lors des repas de famille constitue une activité ordinaire à travers laquelle se configurent les rôles 'politiques': dans le modèle familial traditionnel, les récits sont très souvent à propos des enfants, ils sont relayés la plupart du temps par la mère et adressés en priorité au père. Dans ce contexte, la mère détient le pouvoir décisionnel de sélectionner quels événements méritent d'être thématisés publiquement et le père le pouvoir de juger les conduites d'autrui. L'accomplissement du récit incarne ainsi une 'hiérarchisation du contrôle' au sein de la famille (ibid. p. 303).

108 Se plaindre des enfants

Dans le présent corpus, les participants discutent en général "de tout et de rien" lors des repas en famille. Les échanges se caractérisent par une gestion libre et égalitaire des contenus et des activités par les participants adultes (c.-à-d. la jeune fille au-pair et les parents de la famille d'accueil). Cependant, certains moments de l'échange reflètent plus clairement des rapports hiérarchiques. Ainsi, par exemple, les parents de la famille d'accueil planifient les activités quotidiennes, donnent des instructions et des conseils à la jeune fille au-pair sur la manière de s'occuper des enfants ou encore lui attribuent des tâches. La jeune fille au-pair, quant à elle, rend des comptes sur ses activités quotidiennes, informe de son emploi du temps ou encore demande permission pour des sorties. Ces échanges relèvent ainsi d'un format hybride où la dimension institutionnelle émerge au fil des conversations qui sont à priori non-institutionnalisées.

Dans la suite de cet article, nous nous intéresserons à la manière dont, au cours de récits sur les enfants de la famille, les participants s'orientent vers leurs identités institutionnelles de parent vs. au-pair par le biais de leurs positionnements et droits épistémiques.

3. Données et méthodes

La présente étude2 se base sur un corpus se composant d'une vingtaine de conversations recueillies au cours du séjour de 9 mois que la jeune fille au-pair a effectué auprès d'une famille d'accueil en Suisse romande. Les conversations ont été enregistrées par les participants eux-mêmes, et en l'absence de l'équipe de recherche, lors des repas de famille et totalisent environ 7h de données audio.

Les échanges se déroulent principalement entre Julie3, jeune fille au-pair de 18 ans et apprenante avancée de français L2, et Marie, mère d'accueil francophone. Les deux enfants (Manon, 5 ans, et Jordan, 7 ans) participent aux discussions de manière ponctuelle, ils sont cependant souvent eux-mêmes objets des discussions entre Julie et Marie. Victor, le père d'accueil, quant à lui, est rarement impliqué dans les échanges enregistrés; on ne sait cependant pas s'il est présent ou non lors de ces occasions. Les enregistrements ont fait l'objet d'une transcription détaillée dans leur

2 La présente étude s'inscrit dans un projet de recherche mené de 2015-2016 à l'Université de

Genève et financé par le Fonds national suisse "Pratiques de structuration des récits oraux et interactions institutionnelles" (subside n° P3P3P1_16/588/1). Le corpus, quant à lui, a été recueilli dans le cadre d'un précédent projet "Tracking interactional competence in a second language: a longitudinal study of actional microcosms (FNS n° 100012_126868).

3 Les prénoms des participants mentionnés dans la transcription et dans le texte sont des pseudonymes.

Evelyne Berger 109

intégralité, en utilisant les conventions habituellement en usage en analyse conversationnelle.

Cette étude cherchera à décrire (1) la manière dont la jeune fille au-pair et la mère d'accueil affichent et forgent leur expertise mutuelle quant aux questions éducatives à travers le récit du comportement déviant d'un enfant et (2) comment elles établissent leur légitimité ou non à produire un récit concernant un membre de la famille et à évaluer le comportement de ce dernier. En élaborant à partir de résultats antérieurs sur ces mêmes données (Berger & Pekarek Doehler 2015; [Pochon-]Berger et al. 2015), ces différents aspects seront explorés à travers l'analyse de deux longs extraits, provenant de deux conversations distinctes, où soit Marie, la mère de la famille d'accueil, soit Julie, la fille au-pair, racontent un épisode où l'enfant Manon s'est mal comportée.

4. Evaluations morales et configuration de 'territoires d'expérience'

Le premier extrait illustre un cas de récits en série (cf. Sacks 1992) où une première anecdote sur Manon est racontée par la mère (first story), laquelle est suivie d'une anecdote semblable de Julie (second story). La comparaison de ces deux récits met à jour des différences dans la manière dont la critique envers l'enfant est exprimée par les deux participantes. L'analyse montre également que leur expertise en tant qu'éducatrice est affichée et construite à travers le récit, mais également dans les mouvements d'affiliation entre narrateur et récipiendaire (cf. aussi Berger & Pekarek Doehler 2015). Ces différentes pratiques matérialisent ainsi des 'territoires d'expérience' (Heritage 2011) propres à chaque participante. En raison de la longueur de l'extrait, celui-ci sera présenté et analysé en plusieurs parties (extraits 1a à 1e).

La séquence commence avec un récit de Marie, la mère d'accueil, au sujet d'une crise de larmes de sa fille Manon ce jour-là:

Extrait 1a 'pour rien du tout' (Julie_091028) 01 MAR: mh je crois que manon elle s'est endormie hein? 02 (1.6) 03 JUL: mh=ouais. 04 (2.5) 05 JUL: je crois que: déjà quand: moi je suis a- euh: 06 [(0.2) °(xx)° ] 07 MAR: [ON est allé sur la tour-] avec ana maria(hh), 08 +(1.4)((mange))+ 09 y a manon mais elle a fait une crise, 10 £>mais< je pense qu'on a [dû l']entendre dans tout ((LOCALITÉ))£& 11 JUL: [#ah:#] 12 MAR: &parce que en plus en- en ↑L'AIR comme ↑çA=(hh) 13 (1.3) 14 JUL: °↑oh:°=non. 15 (1.6) 16 JUL: mais pourquoi elle a fait une crise.= 17 MAR: =°>(bon) chais même pas<°.

110 Se plaindre des enfants

18 (1.6) 19 MAR: oui parce que ((déglutit)) el- elle a commencé à taper 20 ana [mar↑ia? [23 lignes omises: séquence de clarification] 44 MAR: <bon:>=chuis pas sûre que manon elle avait pas fait exprès. 45 (0.3) 46 MAR: enfin elles ont commencé à se bagarrer, 47 pis ana maria lui a fait mal. 48 (0.7) 49 MAR: ((mange)) alors elle a fait une [crISE,

Marie initie son récit par le biais d'une annonce (l.7-12) grâce à laquelle elle suscite d'abord l'intérêt de son interlocutrice avant d'en dire davantage. De manière intéressante, l'annonce de récit exprime déjà le jugement critique de la narratrice: la crise de larmes est dépeinte avec théâtralité (l.10 et 12), mettant ainsi en exergue le comportement inapproprié de Manon. De plus, la voix riante et les rires qui accompagnent la description confèrent dès l'abord un ton moqueur à l'anecdote qui va être relatée. Julie réagit d'abord à cette annonce de récit au moyen d'un marqueur non-lexical (cf. response cry, Goffman 1978) (cf. 'ah', l.11; puis 'oh non', l.14) qui témoignent de son affiliation avec la critique négative de la mère. Elle invite ensuite Marie à aller de l'avant avec son récit au moyen d'une question de développement (l.16). C'est ce que Marie fait dès la ligne 19 où elle revient sur la chronologie des faits de manière très factuelle et évoque ce qui a mené à la crise de larmes: une bagarre. Il est à noter que Marie semble attribuer la pleine responsabilité de la bagarre à sa fille (cf. l.44), ce qui rend la crise de larmes d'autant plus injustifiée.

La situation initiale étant posée, Marie poursuit son récit:

Extrait 1b 'pour rien du tout' (Julie_091028) [11 lignes omises: séquence de clarification] 61 MAR: enfin bref. 62 (0.3) 63 tsk. pis après >je leur ai dit< ↑ah: ben si vous voulez on va se 64 faire la tour.=>alors là< tout à coup elle a plus mal du tout? 65 (0.3) 66 MAR: ça allait très bien. 67 (0.3) 68 JUL: hh.=.hhe 69 (0.8) 70 MAR: mais à peine (h)on (h)était- £c'était comme si elle avait oublié 71 pis tout d'un coup elle s'est rappelée qu'elle devait avoir 72 mal.=alors elle a [commencé +de£ nou(h)veau(h) à crier(h)] 73 JUL: [A::::::H ↑NON: ] 74 MAR: (hh) (h) (h) [(.) °(h) (h)° ] 75 JUL: [pour rien du tout.] 76 (0.1) 77 MAR: £vraiment pour rien.£ 78 (0.3)

Evelyne Berger 111

Contrairement à la bagarre initiale qui avait été décrite en des termes simples, la suite des événements est restituée avec beaucoup plus de détails. En citant ses propres mots (l. 63-64), Marie rend compte de la manière dont elle a réagi elle-même en tant que protagoniste à la crise de Manon. Le discours rapporté direct la met en scène comme une personne posée, capable de résoudre une bagarre et de réconcilier les enfants en proposant une activité ludique4 (voir aussi Berger & Pekarek Doehler 2015). Elle démontre d'ailleurs le succès de sa stratégie en évoquant le retour au calme de Manon (l.64, 66). Ce retour au calme n'est cependant que temporaire, car Manon fera une nouvelle crise de larmes (l.70-72). Les adverbes 'tout à coup' (l.64), 'à peine' (l.70), 'tout d'un coup' (l.71) utilisés pour décrire les multiples renversements de situation font ressortir le comportement contradictoire de Manon tout autant qu'ils préparent le terrain pour la chute du récit en créant un effet de suspense. Le récit arrive à un point culminant avec l'évocation de la nouvelle crise de larmes de Manon.

Celle-ci est présentée comme un comportement irrationnel non seulement de par son côté dramatique (voir l'emploi du verbe 'crier', l.72, qui fait écho avec l'annonce de récit, l. 7-12, où la crise de Manon avait déjà été évoquée avec théâtralité), mais aussi de par sa nature infondée (voir les descriptions métacognitives 'c'était comme si elle avait oublié', l.70, 'elle s'est rappelée', l.71). Le climax est accompagné d'une voix riante et de rires qui expriment le point de vue moqueur de la mère quant au comportement de sa fille. Là aussi Julie produit une réponse empathique intense (voir 'ah non', l.73) et s'aligne avec Marie pour condamner le comportement de Manon. Notons d'ailleurs que sa réaction est produite avant la fin du tour de Marie, anticipant ainsi sur le climax. La prosodie quelque peu exagérée (volume de voix fort, allongement syllabique très long, hausse de tonalité) du marqueur non-lexical 'ah non' semble évoquer une compréhension intime de la scène décrite. Cette compréhension est d'autant plus renforcée par son commentaire subséquent 'pour rien du tout' (l.75) qui catégorise avec affirmation (cf. l'intonation finale descendante) le comportement de Manon, tel qu'il est dépeint par Marie, comme étant irrationnel. Il est à noter que ce commentaire est produit comme une expansion syntaxique du tour de Marie, œuvrant de la sorte comme une complétion collaborative du récit de Marie. Ce faisant, elle verbalise non seulement sa compréhension de la chute du récit, mais démontre aussi son expérience en matière de pleurs d'enfant. En somme, au cours de cette séquence, les réponses de Julie au récit de Marie s'inscrivent dans une sorte de crescendo où elle endosse une position de plus en plus ouvertement critique envers le comportement de Manon. Dans le tour suivant, Marie ratifie pleinement l'interprétation de Julie (cf. second assessments, Pomerantz 1984)

4 Marie propose aux lignes 63-64 de monter sur une tour d'observation qui offre une vue

panoramique sur la région.

112 Se plaindre des enfants

tout en insistant davantage sur l'irrationalité des pleurs de Manon sur une note moqueuse: 'vraiment pour rien' (l.77), produit avec une voix riante (indiquée dans la transcription avec le symbole £).

A partir de ce moment-là, les participants s'orientent vers la clôture du récit de Marie par une série de tours affiliatifs:

Extrait 1c 'pour rien du tout' (Julie_091028 79 JUL: ↑ah::(h) (0.3) elle pleure souvent pour ri[en(hh) 80 JOR: [ana maria elle m'a 81 aussi tapé mais elle fait hyper mal=moi j'ai dit 82 [(x-) 83 MAR: [+↑non mais: c'est- c'est tellement con ((voix aigüe))+ 84 quand elle pleure comme ça [pour RIEN ]& 85 JUL: [(r::)e:::h] 86 MAR: &et <FOrt> et [oh::.] 87 JUL: [oui: ] ah: .h et puis- euh une fois on est allé à 88 l'école, 89 (0.8)

A la ligne 79, Julie enchaîne sur les tours évaluatifs des lignes 75 et 77 (cf. supra), en produisant une nouvelle évaluation. Cette fois-ci, son tour de parole est empreint lui aussi d'un ton moqueur s'affiliant5 ainsi au point de vue affectif de la mère (cf. marqueur non-lexical au début du tour, puis le rire à la fin du tour). De manière intéressante, l'évaluation de Julie est encore plus forte que les précédentes du fait qu'elle généralise la crise de larmes de Manon décrite dans le récit de Marie à un comportement habituel. Ce faisant, Julie non seulement partage et renforce la critique de la mère, mais elle démontre aussi son expérience avec Manon, indépendamment de l'événement précis dont il est fait état. Marie réagit à cette évaluation généralisante par une critique explicitement dépréciative du comportement de sa fille (l.83-86). La nature problématique des pleurs de Manon est soulignée par l'usage d'une expression colloquiale péjorative (cf. 'con', l.83) accompagnée de l'adverbe 'tellement' et mise en scène prosodiquement par un ton plaintif (cf. 'pour rien et fort' produit à volume de voix élevé, suivi de 'oh' avec allongement syllabique). A nouveau, Julie affiche son affiliation au point de vue affectif de la mère (l.87) avec une marque d'accord suivi du marqueur non-lexical 'ah' (voir Heritage 2011) et initie un récit qui fait écho d'une expérience similaire (cf. second story, Sacks 1992) (l.87-88). Dans son récit, Julie racontera comment Manon s'était mise à pleurer sur le chemin de l'école simplement parce que les autres enfants l'avaient devancée.

Dans la suite de cet extrait, Julie initie le récit sur cet autre épisode de pleurs:

5 Stivers (2008) opère une distinction entre 'alignement' et 'affiliation'. L'alignement cristallise

l'accomplissement des cours d'action projetés; l'affiliation consiste à démontrer un point de vue convergent avec autrui. Ainsi, un story recipient pourra tout à fait ratifier la clôture d'une séquence narrative (p.ex. par un commentaire conclusif), sans pour autant exprimer son accord avec la perspective exprimée par le narrateur.

Evelyne Berger 113

Extrait 1d 'pour rien du tout' (Julie_091028) 90 JUL: et:: ehm ils ont <couru:>? 91 (0.7) 92 JUL: <ou:ais et ça m'était> ég↑al(h), 93 et p(h)uis(h) eH: lui il était devant et elle derriè:re, 94 MAR: mh. 95 (0.4) 96 JUL: ts. °et puis elle a::=commencé° à pleurer,= 97 =+a:::h moi=je=voulais être devant:(hhh) ((voix pleurnicharde))+ 98 moi j'ai dit c'est pour rien du tout(hh)? 99 (h)a(hh)(hh) non:: elle a <pleu:ré:>(h) 100 [(jusqu'on était:) >en-haut<] 101 MAR: [en plus quand elle pleure ]elle se jette par terre 102 et elle commence à cri↑er? 103 +(mais >je dis bon voilà<)? ((voix aigüe))+ 104 (0.4) 105 JUL: oui moi j'ai dit (0.1) moi j'y vais=hein?= 106 =°si tu veux tu peux venir avec nous 107 sinon tu restes° là(h)(ha), .hhh ((bruits de services)) 108 (0.4) 109 JUL: finalement elle est venue avec nous? 110 MAR: après elle pleure encore deux fois plus 111 quand tu lui dis ↑ça ↓donc(hh) [(hha) (hha) (h)]

Aux lignes 90 et 93, Julie donne des informations de cadrage pour la suite du récit. Le commentaire inséré 'ça m'était égal' (l.92) témoigne de son détachement, en tant que protagoniste, face à une situation qui pourrait potentiellement devenir problématique (si les enfants finissent par courir dans tous les sens ou se chamaillent). Julie se représente dans le récit comme une personne expérimentée qui sait qu'il faut laisser les enfants se dépenser après l'école au lieu de faire de la discipline. La suite de sa narration se base essentiellement sur la restitution des propos qu'elle a échangés avec Manon au moyen de bribes de discours rapporté direct, offrant ainsi un aperçu 'en live' de la scène de pleurs. Les voix des deux protagonistes ne sont pas animées de la même manière (voir Couper-Kuhlen 1999; Günthner 1999): celle de Manon (l.97) est fortement modulée, caractérisant typiquement la voix d'une enfant pleurnicharde, la sienne (l.98) est reproduite sur un ton neutre, caractérisant typiquement la voix d'un adulte pragmatique (cf. Berger & Pekarek Doehler 2015). Le dialogue est clos à ce stade au moyen d'un énoncé descriptif produit sur un ton plaintif: 'ah non elle a pleuré jusqu'on était en-haut' (l.99-100). Par le biais du dialogue rapporté, Julie prend Marie à témoin de la conduite inappropriée de Manon, sans devoir critiquer ouvertement l'enfant. Mais Julie ne se contente pas seulement de caractériser négativement le comportement de la petite fille, elle démontre aussi comment elle a elle-même géré de façon responsable cette situation tendue en faisant preuve de calme et d'autorité face aux pleurs excessifs de l'enfant.

Marie agrémente le récit de Julie par un commentaire expansif aux lignes 101-103 qui caractérise à nouveau de manière théâtrale les pleurs de l'enfant: 'elle se jette par terre'. Avec ce commentaire, Marie partage clairement le regard critique de Julie, tout en insistant sur la nature excessive de ces pleurs. Au-delà de l'affiliation avec le point de vue du narrateur, Marie démontre son

114 Se plaindre des enfants

indépendance épistémique par rapport aux faits rapportés: elle reconnaît dans cette anecdote un comportement récurrent de sa fille (cf. emploi du présent), même si elle n'était pas un témoin direct de la scène racontée. L'auto-citation (l.103) sous la forme d'un discours rapporté direct illustre son détachement face aux pleurs de sa fille et offre un exemple concret de l'attitude à adopter dans un tel cas de figure. C'est ce vers quoi Julie s'oriente avec l'expansion de son récit (l.105-109). En citant son intervention auprès de Manon par du discours rapporté direct, Julie démontre qu'elle a réagi avec fermeté aux excès de Manon. Sa stratégie s'est avérée productive, puisque Manon s'est finalement résignée à reprendre la route (l. 109).

Marie enchaîne sur la conclusion de Julie avec un nouveau commentaire expansif (l.110). Son commentaire renchérit la critique de Julie par une nouvelle exagération du comportement inapproprié de Manon tout en insinuant l'inefficacité de la stratégie adoptée par Julie: 'après elle pleure encore deux fois plus'. Par ce commentaire généralisant, Marie rappelle qu'elle connaît bien les réactions de son enfant indépendamment de l'événement qui est rapporté par Julie. Au cours de cette séquence, bien que les participantes semblent s'accorder sur la nature inappropriée du comportement de Manon, leurs tours affiliatifs manifestent cependant des positionnements épistémiques compétitifs (voir aussi Berger & Pekarek Doehler 2015): elles revendiquent tour à tour à leur manière la primauté de leur savoir quant au type d'événement qui est reporté.

La nature compétitive de leur positionnement épistémique se confirme dans la suite de cette séquence où Julie poursuit avec une expansion du récit:

Extrait 1e 'pour rien du tout' (Julie_091028 112 JUL: [OUI .hhhh ] 113 mais:: finalement euhm (0.4) QUAND on était à l'éCOLE 114 elle a plus euh (0.3) elle ét- elle avait fini?(hh) 115 .hh et:=euhm elle se- parce que j'ai: j'ai regardé euhm 116 (0.6) à jordan? 117 (0.6) 118 JUL: et après elle est >venait< ↑julie ↓euh: 119 e- e- elle m'a montré comme elle s'est habillée toute seule, 120 .hh (0.4) et moi (0.1) je dis- +hein? co↑mment ça maintenant 121 t'es:: tout va bien: quoi.(h)((voix aigüe))+ 122 (hh) c'était vraiment euh: .hhhh ah::: comme toujours. 123 (1.8) 124 MAR: ouais=ouais pis après deux minutes après 125 elle fait comme si <tout va bien: elle a déjà oublié>. 126 (0.5) 127 JUL: ouais. 128 (1.1) 129 MAR: >non=mais< elle a toujours été comme ça °elle°.= 130 °beaucoup. ° 131 (0.7) 132 °°une pleurnicheuse.°° 133 (0.5) 134 JOR: plus pleurnicheuse ana maria? 135 MAR: mh 136 (0.5)

Evelyne Berger 115

La suite du récit de Julie offre un contre-exemple à l'affirmation de Marie (cf. 'oui mais', l.112): cette fois-ci Manon s'est calmée. De manière intéressante, les bribes de discours que Julie choisit de restituer illustrent que le lien affectif avec Manon est maintenu: Manon continue de s'adresser à Julie avec tendresse (cf. 'Julie', l.118, produit avec une tonalité aigüe), de même que Julie réprimande l'enfant avec gentillesse (cf. l.120-121). Le discours rapporté direct lui permet de formuler de manière indirecte une critique du comportement irrationnel de la petite fille. Le récit est clos au moyen d'un commentaire évaluatif (l.122) qui condamne le caractère récurrent du comportement dépeint chez Manon (cf. ton plaintif marqué par le marqueur non-lexical 'ah' produit avec un allongement syllabique). Marie s'affilie à la critique de Julie par le biais d'une observation à caractère habituel (l.124-125). Elle renchérit encore, en guise de conclusion du récit (cf. volume de voix bas), par une nouvelle généralisation du comportement de Manon (l. 129-130, 132). Cette fois-ci cependant, Marie fait bien plus que de constater la nature itérative des pleurs de Manon: elle catégorise le comportement de la petite fille comme relevant d'un trait de personnalité ('une pleurnicheuse', l.132). Ce faisant, elle démontre la primauté de son savoir en tant que mère de Manon ('elle a toujours été comme ça').

L'ensemble de cette séquence permet de montrer plusieurs mécanismes interactionnels à travers lesquels les participantes affichent leurs savoirs en matière d'éducation (sur un plan général, mais aussi spécifiquement lié à ces enfants) tout en délimitant leurs rôles en tant que parent et jeune fille au-pair:

Le récit est le lieu où sont révélés, décryptés et évalués les comportements des enfants, et notamment les comportements problématiques. Les participantes rendent compte du caractère inapproprié des conduites des enfants par différentes stratégies narratives, que ce soit sous des formes descriptives ou 'rejouées' (p.ex. discours rapporté). Les faits et gestes de l'enfant sont présentés dans les deux récits de façon négative, justifiant ainsi la plainte, mais aussi typifiée (p.ex. l'imitation de la voix de l'enfant).

Les deux narratrices rapportent aussi leur propre comportement, lequel est d'ailleurs mis en contraste avec celui de l'enfant. Ce faisant, elles démontrent leur savoir-faire en tant qu'éducatrices dans la gestion de l'incident raconté (cf. 'doing being a caregiver', Berger & Pekarek Doehler 2015). Cette démonstration prend une signification sociale particulière en cela qu'elle est adressée à quelqu'un qui s'occupe de ces mêmes enfants et qui est donc en mesure de porter un jugement sur les conduites adoptées (cf. aussi les récits dans les relèves d'équipes d'infirmières, Bangerter et al. 2011). A travers ces séquences de récits sont donc manifestées les attentes normatives des deux participantes quant aux comportements acceptables ou non, typiques ou non,

116 Se plaindre des enfants

ordinaires ou extraordinaires, de la part des enfants, de même que sont invoquées et recréées les 'bonnes pratiques' en matière d'éducation.

En se plaignant l'une comme l'autre du comportement de l'enfant, et en manifestant leur accord tour après tour avec les propos de l'autre, les participantes prennent position 'ensemble' face aux enfants. La complicité qui en émane renforce ainsi le sentiment d'appartenance à la même entité institutionnelle (ici: la famille) (cf. Heinemann 2009 sur la solidarité entre collègues face aux plaintes d'un patient dans les soins à domicile).

Bien que chacune des deux participantes évalue négativement le comportement de l'enfant dans son récit, la critique est exprimée différemment par Marie et par Julie. En effet, la critique de Marie est beaucoup plus ouverte que celle de Julie: alors que Marie formule des descriptions exagérées et des évaluations explicitement négatives du comportement de Manon, Julie, elle, se limite à montrer, sans toutefois le nommer, le comportement problématique de l'enfant à travers l'usage du discours rapporté. Par la spécificité de leurs pratiques narratives, les participantes semblent s'orienter vers une différence de leurs droits et responsabilités épistémiques: Marie revendique son droit d'évaluer les conduites de son propre enfant, alors que Julie, en tant que personne externe, ne semble pas s'attribuer ce droit et laisse sa critique implicite la plupart du temps.

Lors des deux récits, les participantes affichent et entretiennent, dans un mouvement de crescendo, leur affiliation réciproque, par des réponses empathiques et des séries de tours évaluatifs. Néanmoins, au-delà de l'apparente convergence de leur perspective sur les faits évoqués, les participantes effectuent constamment des ajustements quant à leurs savoirs mutuels. En effet, des 'territoires d'expérience' semblent se dessiner dans la subtile négociation des savoirs invoqués. Ainsi, les participantes revendiquent, par des processus de généralisation, l'indépendance de leur savoir au-delà de l'événement spécifique qui est rapporté. Malgré l'asymétrie des savoirs expérientiels que l'une et l'autre sont en mesure de revendiquer, elles cherchent toutes les deux à établir la primauté de leur savoir par rapport à l'autre. C'est ce qui leur permet de se positionner comme éducatrices compétentes, tout en affirmant et négociant leur statut au sein du microcosme familial.

En somme, au fur et à mesure de ces récits, les participantes naviguent entre des positionnements symétriques, où elles partagent leurs expériences de même que leur perspective critique, et des positionnements asymétriques, où elles affichent, revendiquent et confrontent des savoirs potentiellement concurrentiels. Au-delà de la configuration de ces 'territoires d'expérience' qui délimitent leur rôle mutuel de parent vs. au-pair, les participantes s'orientent

Evelyne Berger 117

aussi vers une légitimité différenciée de l'une et de l'autre à raconter et évaluer les comportements des enfants. Cet aspect est traité dans la prochaine section analytique.

5. Droits épistémiques et architecture de l'interaction

Dans cette section, nous analyserons une autre séquence de récit où Julie se plaint auprès de Marie et Victor de l'usage d'un langage inapproprié par Manon ce jour-là à la place de jeux. Contrairement à l'extrait 1 (section 4), le récit de Julie ne suscite pas de prime abord de réponses affiliatives de la part de Marie et Victor. L'analyse illustre l'orientation des participants vers leur légitimité ou non à critiquer les comportements de l'enfant. En raison de la longueur de l'extrait, celui-ci sera présenté et analysé en plusieurs parties (extraits 2a à 2d).

La séquence de récit commence dès la ligne 5 où Julie relate en détail le déroulement des faits:

Extrait 2a 'caca' (Julie_100323) 01 JUL: ça va aller? 02 (2.3) 03 MAM: ouais. 04 (1.9) 05 JUL: .hh mais- (0.2) à la place de jeux- 06 manon- (1.2) ouais elle était <tout ch:ou toujou:rs>, 07 et pis à la fin (0.3)>parce que j'avais dit< (0.3) 08 >quand on était en-bas< j'ai dit euh (0.9) 09 <e:lle avait dit que:> elle voulait quand même rester en-bas, 10 °et pis j'ai dit° (0.2).h ou:a↑i:s alors (0.2) ça va, 11 mais: j'ai rien à bo↑ire hein. 12 (0.4) >°pis elle a dit°< (0.7) ah ça fait rie:n(h), h. 13 (0.5) >°alors j'ai dit d'accord°<. 14 JUL: .hh >et pis< (0.7) eu:hm (0.4) <aprè:s euhm> à la fin 15 elle a dit (1.0) +↑ah j'↑ai f- s↑oif, 16 j'ai s↑oi°f° ((voix pleurnicheuse))+ 17 °et >j'ai dit<° (0.4) ben manon moi j'ai ri↑en, 18 j'avais dit avant h↑ein on pouvait aussi r↑entrer, (0.7) 19 >et pis elle a dit< hh. <j'↑ai soif- t- (0.2)↓ca↓ca.> 20 .hh hhh.

La séquence est ouverte au moyen d'un cadrage spatial ('à la place de jeux', l.5) et de l'introduction d'un protagoniste ('manon', l.6) qui sont des ingrédients typiques d'une narration. Celle-ci prend d'ailleurs la forme d'une plainte (cf. Drew 1998). En effet, une transgression, qui sera l'objet de la plainte, est annoncée d'emblée: la mise en contraste 'elle était tout chou toujours et pis à la fin' (l.6-7) suggère que Manon s'est comportée de manière irrespectueuse. Les circonstances de la transgression sont ensuite restituées dans les moindres détails.

Similairement à ce que nous avons pu observer avec l'extrait 1 ci-dessus, la critique de Julie est exprimée de manière indirecte par le biais du discours rapporté direct grâce auquel Julie met en scène les faits. Julie rapporte ainsi

118 Se plaindre des enfants

comment elle a négocié avec Manon de rester plus longtemps à la place de jeux tout en l'avertissant des conséquences, soit qu'il n'y aura plus de possibilité de ravitaillement. Ce faisant, Julie démontre son expérience en tant qu'éducatrice qui sait anticiper les besoins de l'enfant, tout en étant ouverte au dialogue avec ces derniers. Le climax du récit est marqué par d'autres bribes de discours rapporté direct où Julie met en scène les plaintes répétées et de plus en plus pressantes de Manon ('j'ai soif', l.15, 16, 19) qui culminent avec l'usage d'un 'vilain mot' ('caca', l.19). Ainsi, en restituant par le discours rapporté direct les termes de l'accord auquel elle et Manon étaient parvenues, Julie défère la responsabilité du problème logistique à l'enfant. Cet accord préalable rend d'autant plus injustifié l'usage du terme injurieux. Le comportement impertinent de Manon est cependant relativisé par le fait qu'elle est 'était tout chou toujours' avant cet épisode (l.1) et puis par la suite aussi (cf. l.29, infra). Notons également que le récit est produit avec humour (cf. particules de rire, l.12, 20 et 25, 32 infra), ce qui contribue aussi à atténuer la force de la critique.

Dans la suite de cette séquence, Julie fait face à un manque de réactivité de la part de ses interlocuteurs qu'elle essaie de combler par une série de tours expansifs:

Extrait 2b 'caca' (Julie_100323) 21 (0.2) 22 JUL: <avANT> l'autre père, 23 °et pis ça c'était pas très° °°(xx)°°= 24 MAR: =MH.= 25 JUL: =.hh^he- (0.3) °°pis j'ai dit°° °euh manon°, (0.2) 26 °mais: je- ouais je savais pas quoi faire.° 27 (1.4) 28 MAR: [mais ça c'est:] 29 JUL: [mais: ↑après ] elle était gentille, 30 mais: ça(h) c'était vraiment une chose que: j'ai détestée? 31 .hh hh.=ah: (ha)(h)(h) 32 (0.4) 33 JUL: °(h)ouais:-° surtout si y a quelqu'un qui est avec? 34 (2.5) 35 JUL: mais bon: 36 (1.0)

Après une courte pause de 0.2 seconde (l.21) qui constituerait déjà une occasion pour les interlocuteurs de réagir au récit, Julie enchaîne avec la révélation d'une information qui s'avérera être cruciale: la présence d'un témoin (l.22). Elle amorce un commentaire évaluatif, formulé cependant 'en aparté' (cf. volume de voix bas, et en particulier sur le terme qualificatif qui est dès lors inaudible pour l'analyste), lequel est ratifié seulement minimalement par Marie (cf. marqueur 'mh', l.24). Julie poursuit en faisant part de sa stupeur face à cette situation, d'abord au moyen d'une bribe de discours rapporté direct (l.25), puis d'un commentaire métacognitif (l.26). Cette déclaration ne reçoit aucune réaction de la part de Marie ou de Victor, dont on pourrait attendre une réponse empathique à ce stade (cf. pause de 1.4s, l.27).

Evelyne Berger 119

S'orientant vers ce manque flagrant de réaction, Julie produit un tour expansif où elle décrit l'issue positive de l'incident et enchaîne avec un commentaire évaluatif qui condamne explicitement le comportement de Manon ('ça c'est vraiment une chose que j'ai détestée', l.30). La force de sa critique est atténuée par le rire qui l'accompagne (31) et le marqueur non-lexical 'ah' qui évoque un ton plaintif. Malgré l'intonation finale montante de ce commentaire qui invite la ratification de ses interlocuteurs, Marie et Victor restent silencieux (cf. pause de 0.4s, l.32). Une fois de plus, Julie produit une expansion (l.33) par laquelle elle insiste sur la nature publique de la mauvaise conduite, augmentant de cette manière la gravité de l'offense. Faisant face à nouveau à un long silence (cf. pause de 2.5s, l.34), Julie abandonne sa recherche d'affiliation et semble bouger vers une clôture séquentielle avec le marqueur discursif 'mais bon' (l.35).

Ainsi donc, dans cette deuxième partie de l'extrait, Julie s'engage dans un travail interactionnel dense pour obtenir l'approbation de Marie et Victor qui restent silencieux malgré les occasions de réagir qui leur sont données6. Leurs nombreux silences sont interprétés par Julie comme présageant un possible désaccord ou malentendu, puisqu'elle formule de plus en plus explicitement, bien que toujours avec modération, son point de vue critique sur les faits.

C'est seulement une fois que la séquence semble close (l.35-36) que Marie et Victor vont réagir au récit, ainsi qu'on peut l'observer dans la suite de l'extrait:

Extrait 2c 'caca' (Julie_100323) 37 MAR: >mh< et l'autre père là c'était aussi des gens d'ici ou: 38 (0.8) 39 JUL: °°(c'est-)°° °c'était=un: père de:° 40 (1.3) 41 VIC: .h ouais pis julie elle a quatre ans quand même, 42 il faut pas dire [(xx) toujours,& 43 JUL: [>ouais< 44 VIC: &mais si elle était chou tout l'après-midi (pis c'est: bon.)= 45 JUL: =ouAIS=mais: [bon je lui ai >quand même-< 46 VIC: [c'est vrai qu'(il faut lui dise) 47 mais faut pas non plus:: 48 (0.3) 49 MAR: ↑non mais bon c'est pas une bonne=euh: 50 VIC: ↑non c'est pas une bonne mais:[: 51 MAR: [une bonne habitude hein?=très 52 franchement elle le dit à chaque fois >maintenant<. 53 (1.6)

6 Le manque de réactivité de Marie et de Victor pourrait aussi s'expliquer par des éventuels

problèmes à structurer le récit en tant que locutrice non-native du français qu'on pourrait attribuer par exemple à l'absence de commentaire évaluatif ou explicatif directement après le climax '<j'↑ai soif- t- (0.2)↓ca↓ca.> (l.20) (mais voir Berger & Pekarek Doehler à paraître, pour une étude détaillée sur les compétences narratives de cette même locutrice en tant qu'apprenante de français L2). Cependant, la suite de l'extrait montre que ces silences sont traités comme un signe de désaffiliation des interlocuteurs.

120 Se plaindre des enfants

54 MAR: quand elle est énervée et fatiguée elle le dit tout le temps, 55 (1.1) 56 JUL: ouais. 57 (0.3)

La réaction de Marie prend la forme d'une question de développement qu'elle adresse à Julie (l.37). Si sa contribution enchaîne topicalement sur le récit de Julie, elle ne prend pas position (que soit de manière affiliative ou désaffiliative) quant au point de vue exprimé par Julie. De manière intéressante, la question de Marie porte sur l'identité du témoin ('des gens d'ici', l.37). Ceci, dans le contexte d'un petit village où tout le monde se connaît, prend toute son importance pour déterminer la gravité de l'incident. Julie amorce une réponse à voix très basse et avec quelques hésitations qui semblent indiquer un processus de recherche mentale (l.39), lequel n'aboutit pas (cf. pause de 1.3s, l.40).

Victor saisit l'occasion de ce temps mort pour enfin réagir au récit de Julie. Son intervention n'enchaîne pas à proprement parler sur les tours précédents de Marie et de Julie, ni topicalement, ni discursivement. Cependant, ce n'est probablement pas par hasard que Victor, qui était resté absolument silencieux jusqu'alors, choisisse précisément le moment où la discussion tourne autour de 'l'autre père' pour intervenir. Il a été documenté comment l'évocation de catégories sociales est interactionnellement pertinente, tant dans leur forme que par leur positionnement séquentiel (cf. Schegloff 2007; Stokoe 2012 pour une vue d'ensemble). Dans cette optique, la mention de la catégorie 'père' semble créer une pertinence pour une réaction de Victor en tant que père de la protagoniste à qui sont reprochés les faits, lequel prend position par rapport à un autre père, témoin des faits et potentiellement porteur de jugement sur ces mêmes faits.

La réponse de Victor est fortement désaffiliative: non seulement Victor relativise la gravité des faits étant donné le jeune âge de l'auteure de l'offense (l.41), mais il lui reproche aussi d'avoir réprimandé Manon pour ce comportement (l.42 et 44). Face à la position défensive de Julie (l.45), Victor en vient à modérer quelque peu son point de vue en reconnaissant le caractère inadéquat du comportement de Manon sans pour autant le sanctionner (l.46-47). C'est alors que Marie intervient pour prendre position contre Victor (l.49, 51-52) en invoquant le caractère réitératif de ce comportement (l.52, 54). Ce faisant, elle affiche indirectement son soutien à Julie. Là aussi, le moment de cette prise de position n'est pas anodine: alors que Marie n'avait ratifié que minimalement la critique de Julie, elle intervient en réaction non pas au récit de Julie, mais à la prise de position de Victor.

Julie s'oriente vers ce soutien soudain en élaborant sur la gravité de l'incident, qu'elle présente comme une véritable atteinte personnelle:

Evelyne Berger 121

Extrait 2d 'caca' (Julie_100323) 58 JUL: .hh (0.7) et j'avais rien f↑ait j'avais juste dit 59 que::=elle °sait- bien- que j'aime° ↑PAS ça: et tout,= 60 MAR: =mh. 61 (0.5) 62 JUL: >parce qu'< après elle était aussi gentille °°alors°° .hh 63 (0.8) elle a même reçu euh °°du chocolat et tout°° (hh)(h)(h) 64 +(2.7) ((bruits de déglutition))+ 65 JUL: >mais<=ouais.

L'explication que Julie fournit visant à justifier sa réaction face au comportement de Manon est ratifiée minimalement par Marie (l.60), ce qui mène Julie à contrebalancer son accusation par un compliment sur Manon (l.62-63) indiquant ainsi le retour à la normale et le maintien du lien affectif entre la fille au-pair et la jeune enfant malgré l'incident. Notons que cette expansion est produite avec une note d'humour (cf. particules de rire, l.62 et 63), ce qui atténue la portée générale de sa critique.

Si l'on considère l'extrait que nous venons d'analyser à la lueur de l'extrait 1, on constate une orientation des participants vers des droits et des responsabilités incombant spécifiquement à leur rôle institutionnel, lesquels sont sensibles au déploiement séquentiel du discours. Les deux extraits se contrastent sur plusieurs plans: l'extrait 1 illustre un récit de Julie raconté en deuxième instance (second story), lequel est suivi de marques d'affiliation de la part de Marie; l'extrait 2 présente un récit de Julie accompli en tant que first story et à la suite duquel Julie rencontre des problèmes d'affiliation de la part des parents de la famille d'accueil. Le manque de réactivité de Marie en particulier ne présage cependant aucun désaccord avec le récit de Julie, mais semble plutôt être l'indice d'une non-reconnaissance de la légitimité de Julie à raconter et évaluer ces faits. En effet, il s'avèrera plus tard dans la séquence qu'en réalité Marie soutient parfaitement le point de vue critique de Julie. Néanmoins, à aucun moment elle n'affiche explicitement son affiliation avec Julie: ses interventions auprès de Julie se limitent à indiquer minimalement un alignement interactionnel. Elle prend ouvertement position face à (et en désaccord avec) Victor lorsque celui-ci réprouve la critique de Julie. Autrement dit, s'il semble tout à fait acceptable pour Marie que Julie se plaigne de l'enfant en réponse à sa propre plainte (extrait 1), elle ne semble pas considérer légitime la plainte de Julie en première instance (extrait 2). Corollairement, elle reconnaît la légitimité de son mari à évaluer le comportement de l'enfant (et par association, celui de Julie). Ces observations sont corroborées par le fait que les prises de positions de Julie dans les deux extraits s'inscrivent elles aussi dans une logique de primauté séquentielle. Dans l'extrait 1, ses évaluations deviennent de plus en plus explicites en réponse aux tours évaluatifs très critiques de Marie (extrait 1) ou en réponse à l'absence de réactions des co-participants (extrait 2).

Distribution des droits et des responsabilités et catégories sociales sont ainsi étroitement imbriquées dans l'architecture de la conversation: un participant

122 Se plaindre des enfants

membre de la famille se voit accorder un droit privilégié à raconter, informer, évaluer en premier les conduites d'un membre de sa famille. A l'inverse, un participant 'non-membre' de la famille ne dispose pas de cette légitimité.

6. Conclusion

La présente étude s'est proposée d'explorer la constitution de rapports institutionnels dans un contexte domestique: le séjour au-pair. Dans les échanges entre fille au-pair et mère de la famille d'accueil, se plaindre des enfants relève d'un "membership-bound telling" (Bangerter et al. 2011: 210). En effet, à partir de l'analyse de deux séquences de récit relatant une transgression de l'enfant, l'étude montre non seulement comment les participantes affichent et évaluent leurs compétences d'éducatrices, mais aussi comment elles négocient et délimitent leurs rôles au sein de l'entité familiale: parent vs. fille au-pair. Les pratiques interactionnelles témoignent d'une orientation des participantes vers des enjeux institutionnels différents. La jeune fille au-pair semble chercher à démontrer sa capacité à bien s'occuper des enfants au quotidien, ce qui justifie sa présence dans la famille, sans pour autant se substituer à la mère (cf. aussi Macdonald 1998). La mère de la famille d'accueil cherche quant à elle à assoir la primauté de son rôle et de son expertise d'éducatrice à l'égard de toute autre personne s'occupant de ses enfants. Par conséquent, les participantes s'orientent vers une hiérarchisation des droits et des responsabilités quant à qui peut raconter ou critiquer les conduites des enfants (et, par association, de l'adulte qui s'en occupe !).

Cette asymétrie des droits épistémiques se manifeste ici dans les formes discursives de la narration et de l'évaluation, mais elle est aussi révélée à travers le positionnement séquentiel des activités narratives et évaluatives (cf. aussi Heritage & Raymond 2005). En effet, les participants semblent s'orienter vers une plus grande légitimité de Marie en tant que parent à produire certaines actions en première position séquentielle: p. ex raconter un first story relatant le comportement problématique de l'un de ses enfants ou produire un first assessment qui exprime une critique de ce comportement. Julie, la fille au-pair, quant à elle, peut légitimement exprimer son point de vue critique sur les conduites des enfants, pour autant qu'il soit produit en réponse aux actions de Marie. D'autre part, cette asymétrie des droits épistémiques se cristallise aussi dans la nature des savoirs que les participantes exhibent et revendiquent. En effet, les participantes naviguent entre la description d'événements spécifiques auxquels la narratrice a un accès privilégié en tant que témoin direct des faits et leur généralisation à des comportements plus habituels de l'enfant par l'interlocutrice, démontrant ainsi l'indépendance de son savoir vis-à-vis des faits rapportés. Mais si la jeune fille au-pair est présente dans la famille depuis suffisamment de temps pour pouvoir observer des comportements récurrents chez les enfants dont elle s'occupe, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut que difficilement concurrencer l'étendue de

Evelyne Berger 123

l'expérience de la mère d'accueil: ainsi, seule la mère peut légitimement reconnaître dans les faits rapportés un trait de personnalité de son enfant (cf. extrait 1e), affirmant dès lors la primauté absolue de son expérience.

En conclusion, le contexte du séjour au-pair constitue un terrain intéressant pour repenser l'institutionnalité. A l'instar du small talk se produisant en marge d'activités institutionnalisées (p.ex. les pauses café entre collègues), la présente étude révèle une frontière floue entre une interaction à caractère institutionnel et une conversation ordinaire. Dans le cas présent, l'institutionnalité ne relève pas de la situation de communication à proprement parler, mais s'immisce dans des formes de distribution et de légitimation du savoir en fonction de certaines catégories sociales.

Remerciements

Je remercie les deux relecteurs anonymes ainsi que les membres de l'équipe Interaction & Formation de l'Université de Genève qui ont participé au colloque de recherche du 18 janvier 2017 pour leurs commentaires constructifs sur une version antérieure de cet article.

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Annexe: Conventions de transcription

[ ] Chevauchement

& Continuation de tour non-terminé sur une nouvelle ligne

= Enchaînement rapide

(0.5) Pause

. Intonation descendante

? Intonation montante

, Intonation légèrement montante

bla::: Allongement syllabique

bla- Troncation de mot

bla Emphase

BLA Augmentation du volume

°bla° Baisse du volume

bla Hausse de tonalité

bla Chute de tonalité

>bla< Accélération du débit

<bla> Décélération du débit

.h .hh .hhh Inspirations

h. hh. hhh. Expirations

hh heh ha bla(h)

Particules de rire

£bla£ Voix souriante

#bla# Voix rauque

+ bla ((comment))+

Commentaire sur le segment délimité par +

(bla) Transcription incertaine

(bla;ble) Transcription incertaine avec plusieurs variantes

(xx) Segment incompréhensible

Travaux neuchâtelois de linguistique, 2017, 67, 127

 

Adresses des auteurs

Evelyne BERGER, [email protected] Université de Neuchâtel, Centre de linguistique appliquée Rue Pierre-à-Mazel 7, 2000 Neuchâtel, Suisse

Virginie DEGOUMOIS, [email protected] Université de Neuchâtel, Centre de linguistique appliquée Rue Pierre-à-Mazel 7, 2000 Neuchâtel, Suisse

Virginie FASEL LAUZON, [email protected] Université de Neuchâtel, Centre de linguistique appliquée Rue Pierre-à-Mazel 7, 2000 Neuchâtel, Suisse

Laurent FILLIETTAZ, [email protected] Université de Genève, Equipe Interaction & Formation 40, Boulevard du Pont-d'Arve, 1211 Genève 4, Suisse

Sara KEEL, [email protected] Université de Bâle, Département de Linguistique et Littérature Maiengasse 51, 5056 Bâle, Suisse

Silvia KUNITZ, [email protected] Stockholm University, Department of English S-106 91 Stockholm, Suède

Vasiliki MARKAKI-LOTHE, [email protected] Université de Grenoble, Laboratoire de Recherche sur les Apprentissages en Contexte BSHM 1251 Avenue Centrale, F-38400 Saint-Martin-d'Hères, France

Klara SKOGMYR MARIAN, [email protected] Université de Neuchâtel, Centre de linguistique appliquée Rue Pierre-à-Mazel 7, 2000 Neuchâtel, Suisse