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CAHIER DU « MONDE » N O 23436 DATÉ SAMEDI 16 MAI 2020 NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT TÉMOIGNAGES LES ÉTUDIANTS EN SANTÉ EN PREMIÈRE LIGNE FACE À L’ÉPIDÉMIE Pendant deux mois, 160 000 étudiants en médecine et élèves infirmiers se sont mobilisés aux côtés des soignants dans les hôpitaux et les Ehpad. Un baptême du feu qui a renforcé leur vocation PAGE 6 ORIENTATION PARCOURSUP A TENU BON Malgré la suppression des concours et le confinement des élèves, les futurs bacheliers inscrits sur la plate-forme vont recevoir les premières réponses à leurs demandes le 19 mai PAGE 2 ENSEIGNEMENT UN RISQUE D’ERREURS DE RECRUTEMENT C’est pendant l’épreuve orale que s’apprécie la capacité d’un futur professeur à communiquer avec sa classe. Cette année, beaucoup seront pourtant admis sur la seule foi des écrits PAGE 5 POST-PRÉPA LES GRANDES ÉCOLES REBATTENT LES CARTES Empêchées d’organiser des oraux, les écoles d’ingénieurs et de commerce ne se fient plus qu’aux épreuves écrites… Et les candidats aux classements des écoles PAGE 4 STÉPHANE KIEHL Les établissements ont dû s’adapter à la crise sanitaire et revoir les procédures habituelles de recrutement. Alors que les bibliothèques universitaires sont fermées, la période de confinement a accentué les inégalités entre les candidats ÉPREUVES ANNULÉES OU REPORTÉES SÉLECTION CHAMBOULE-TOUT *De l’audace, toujours ! audencia.com DEPUIS 18 ANNÉES CONSÉCUTIVES CLASSEMENT SIGEM 6 e AU CLASSEMENT DES ÉCOLES DE COMMERCE OÙ IL FAIT BON ÉTUDIER D’APRÈS LES ÉTUDIANTS 1 er PROGRAMME GRANDE ECOLE : CANDIDATS 2020, RENDEZ-VOUS SUR WELCOME.AUDENCIA.COM V1

ÉPREUVES ANNULÉES OU REPORTÉES SÉLECTIONCHAMBOULE …

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CAHIER DU « MONDE » NO 23436 DATÉ SAMEDI 16 MAI 2020NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

TÉMOIGNAGESLESÉTUDIANTSENSANTÉ

ENPREMIÈRE LIGNEFACEÀL’ÉPIDÉMIEPendant deuxmois, 160000 étudiants enmédecine

et élèves infirmiers se sontmobilisés aux côtésdes soignants dans les hôpitaux et les Ehpad.Unbaptêmedu feu qui a renforcé leur vocation

PAGE 6

ORIENTATIONPARCOURSUPATENUBON

Malgré la suppressiondes concours

et le confinementdes élèves, les futursbacheliers inscrits surla plate-forme vont

recevoir les premièresréponses à leurs

demandes le 19maiPAGE 2

ENSEIGNEMENTUNRISQUED’ERREURS

DERECRUTEMENTC’est pendant l’épreuveorale que s’apprécie

la capacitéd’un futur professeurà communiquer avecsa classe. Cette année,beaucoup serontpourtant admis

sur la seule foi des écritsPAGE 5

POST-PRÉPALESGRANDES

ÉCOLESREBATTENTLESCARTESEmpêchées

d’organiser des oraux,les écoles d’ingénieurs

et de commercene se fient plus qu’auxépreuves écrites…Et les candidats aux

classements des écolesPAGE 4

STÉPHANE KIEHL

Lesétablissementsontdûs’adapterà lacrisesanitaire

et revoir lesprocédureshabituelles

derecrutement.Alorsque lesbibliothèques

universitairessontfermées, lapériodedeconfinementa

accentué les inégalitésentre lescandidats

ÉPREUVES ANNULÉESOUREPORTÉES

SÉLECTIONCHAMBOULE-TOUT

*De l’audace, toujours !

audencia.com

DEPUIS 18 ANNÉESCONSÉCUTIVES

CLASSEMENTSIGEM

6e

AU CLASSEMENT DES ÉCOLES DE COMMERCEOÙ IL FAIT BON ÉTUDIER D’APRÈS LES ÉTUDIANTS

1er

PROGRAMMEGRANDE ECOLE :

CANDIDATS 2020, RENDEZ-VOUS SURWELCOME.AUDENCIA.COM

V1Sortie par capdeville le 14/05/2020 18:37:19 Date de Publication 16/5/2020

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2 |à la une LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020

PASDEBUGDANSLAMACHINE PARCOURSUP

L e mercredi 19 mai n’est pas unjour comme les autres pour les658000 lycéens qui se sont inscritssurParcoursup cette année, dans lebut de poursuivre des études supé­

rieures. Le 19mai, c’est en effet le jour à partirduquel ils commenceront à recevoir les ré­ponses des formations qu’ils ont deman­dées: licences,BTS, écoles…Reçu?Recalé?Surlisted’attente?Admissousconditions?Rêvesbrisés, désirs exaucés, dilemmes cornéliensen cas d’hésitation entre deux admissions:des semaines décisives vont s’ouvrir.Dans les agendas des lycéens de terminale,

une autre date était marquée d’une pierreblanche. C’était celle du 12 mars 2020: ledernier jour pour établir, sur Parcoursup,sa liste de vœux de formations. Impossibled’imaginer que ce serait aussi le jour oùEmmanuelMacronannoncerait la fermeturedes lycées, jusqu’à nouvel ordre, pour luttercontre l’épidémie de Covid­19. La dernièrepartie de l’année scolaire, période durantlaquelle se scellent l’orientation et la sélec­tion des futurs bacheliers dans les filièresde l’enseignement supérieur, a ainsi pris untournant totalement inédit.Cette troisième édition de Parcoursup de­

vait pourtant être celle de l’accalmie, avantle grand chambardement attendu en 2021,avec l’arrivée des jeunes issus de la réformedu lycée, lourde de conséquences sur lesprocédures d’admission dans l’enseigne­ment supérieur. Des changements, en 2020,il y en avait tout de même eu certains. Acommencer par l’apparition des nouvellesvoies d’accès aux études médicales, et parl’intégration sur la plate­forme de plus de1000 formations: les licences de l’universitéParis­Dauphine, les Instituts d’études politi­ques (IEP), certaines écoles de commerce,certaines formations paramédicales…Si les élèves de terminale avaient établi

leur liste de vœux juste avant le début duconfinement, il leur fallait «confirmer»tous leurs choix avant le 2 avril, et compléter

les dossiers avec différentes pièces deman­dées. Pas évident alors que les lycéensétaient tous dispersés dans la nature. «Profsprincipaux et équipes de direction se sontmobilisés pour ne pas perdre des élèves enroute. Certains collègues ont passé plusieursjours au téléphonepour rappeler le calendrieraux étourdis», raconte Florence Delannoy,proviseure et secrétaire générale adjointedu syndicat SNPDEN­UNSA. «Le suivi à dis­tance des élèves a été très compliqué.D’autant que les remontées que nous avionsdu terrain, notamment des lycées accueillantles publics les plus fragiles, nous indiquaientque de nombreux élèves n’avaient toujourspas validé leurs vœux quelques jours avantla clôture du 2 avril», souligne par sa partClaire Guéville, secrétaire nationale duSNES­FSU chargée des lycées.

SÉLECTION SURDOSSIERLe 1er avril, les syndicats de la FSU ont ainsidemandé un report de la procédure Par­coursup, pour permettre «un traitementmoins inégalitaire» : «Avec le confinementdans les familles, les différences de condi­tions de vie et de logement devraient s’ajou­ter aux inégalités sociales préexistantes etcelles habituellement engendrées par Par­coursup», écrivaient­ils alors. Le ministèrede l’enseignement a pourtant maintenu le

calendrier initial. «La procédure essentiel­lement dématérialisée est un point de repèredans l’année pour les lycéens et leurs fa­milles. Cette stabilité, dans un paysage par­ticulièrement mouvant, permet d’organiserla rentrée en septembre», justifie JérômeTeillard, chargé de mission Parcoursup auministère. Mais un peu de souplesse a étéconcédé: 5000 candidats qui n’avaient pasconfirmé leurs vœux ont été accompagnéspour les finaliser dans les quelques joursqui ont suivi la limite officielle du 2 avril.Juste avant que les jurys semettent au tra­

vail, une décision du Conseil constitution­nel est arrivée à point nommé, le 3 avril. A lasuite des recours juridiques sur l’opacité desprocédures d’examen des vœux, ses mem­bres ont acté: le secret des délibérations estconforme à la Constitution, sous réserveque les établissements publient, à l’issuede la procédure, les critères d’examen descandidatures.Du 7 avril au 11 mai, chaque filière a exa­

miné les milliers de dossiers reçus, etclassé les candidats. Le tout entièrement àdistance. Pour les universités et classespréparatoires, cette dématérialisation n’apas entraîné de changements majeurs.«Nous travaillions déjà comme ça, chacundans son coin, depuis des années», confieun enseignant­chercheur.La tâche a été plus ardue pour les facultés

de médecine, en pleine réforme de leur sco­larité et mobilisées par l’épidémie. A la ren­trée, la première année commune aux étu­desde santé (Paces) sera remplacéepar deuxtypes de formation: le Pass (parcours spéci­fique accès santé), et les licences option ac­cès santé (LAS). Comment classer les étu­diants qui souhaitent s’inscrire dans ces for­mations inédites? Quels types de parcoursfaut­il valoriser? «Mettre en place ces nou­velles licences accès santé, pluridisciplinai­res, demande beaucoup plus de concertationentre les départements, surtout dans cettephase de lancement. Tout ne peut pas tou­jours se faire par visio, note Jean Sibilia,

doyen de la faculté de médecine de Stras­bourg. Dans les régions les plus touchées,l’énergie que nous a demandée la crise duCovid­19 nous a éloignés un temps de la fa­culté. Tout le monde était sur le pont, étu­diants et professeurs», concède le rhumato­logue, qui a, par exemple, été mobilisé sixsemaines d’affilée à l’hôpital.Si 80%des filières (licences, classes prépa,

la majorité des BTS et IUT…) présentes surParcoursup effectuent leurs procéduresd’admission sur la base d’une étude de dos­sier, ce n’est pas le cas d’un grand nombred’écoles postbac (commerce, ingénieurs,instituts d’études politiques, formationsparamédicales…), qui sélectionnent entemps normal par des concours. Certainsréunissent plusieurs milliers de candidats,entre avril et mai. Le 24 mars, le ministèrede l’enseignement supérieur a annoncél’annulation des épreuves écrites de tousles concours postbac, remplacées par unexamen de dossier. Un «coup de massue»pour le directeur de l’école de commercepostbac Ieseg, Jean­Philippe Ammeux:«Nous préparons pendant de longs mois cesconcours. Mi­mars, il a fallu se rendre à l’évi­dence: on déchire tout et on repart à zéro.»Les épreuves orales, dans la grande majo­

rité des cas, ont elles aussi été supprimées.La question a suscité un vif débat entre lesécoles et le ministère. Beaucoup d’écolesplaidaient pour les maintenir, à distance.«Nous avons l’habitude de faire des entre­tiens en visio,même demanière asynchrone,avec nos candidats internationaux parexemple», assure Nelly Rouyres, directricegénérale adjointe du pôle Léonard de Vinci.La crainte d’une iniquité dans le traitementdes candidats selon leur équipementinformatique et leur situation de confine­ment, et la possibilité de recours juridiquesont fait pencher la balance de l’autre côté.Seules quelques formations, dans le secteurparamédical ou pour les écoles d’art soustutelle du ministère de la culture notam­ment, ont conservé un oral.

DES ALGORITHMESQUI DÉCIDENTRemplacer un concours par l’examen desnotes du lycée: pour les candidats à ces for­mations sélectives, cela change la donne.Elise, qui vise des écoles d’ingénieurs post­bac, attendait l’oral pourmontrer au jury samotivation. «J’ai 13 de moyenne générale.Même si mon dossier n’est pas excellent,j’aurais pu défendre mon projet.» Elle apeaufiné sa lettre de motivation, en espé­rant qu’elle puisse faire la différence: «Maisen 1500 caractères maximum, difficile d’êtreaussi convaincante que pendant un oral.»Joshua Palazy, en terminale ES à Bor­

deaux, misait aussi sur l’oral pour être ad­mis dans la seule formation qui l’intéresse:le bachelor de l’école de commerce Kedge.«Bien sûr, je le vis mal. Dans mes plans, lesbulletins scolaires n’entraient pas en ligne decompte. J’ai à peine la moyenne. Mon dos­sier scolaire ne reflète ni mon niveau réel, nima motivation. Avec ce nouveau système,mes chances d’entrer dans cette école sontbeaucoup plus faibles.» Chloë Lazard, enterminale S à La Celle­Saint­Cloud, avaitsuivi une prépa pendant les vacances de fé­vrier en vue des concours des écoles decommerce postbac. «Cela fait cinqmois queje me préparais.» Aucune épreuve n’auralieu. Selon les concours, les frais d’inscrip­tion ont été remboursés intégralement, à50 % ou pas du tout.Pour sélectionner les candidats sur dos­

sier, et non plus sur concours, ces forma­tions ont dû mettre au point, en urgence,des algorithmes pour trier les dossiers.Appréciations des bulletins, la «fiche ave­nir» et la lettre demotivationont été exami­nées par les écoles pour tenter, faute d’oral,de cerner la personnalité et le projet du can­didat. «Nous avons établi une quinzaine decritères et regardé par exemple l’implicationdans des activités extrascolaires commenous le faisons lors des entretiens», détaillePatrice Houdayer, vice­doyen de l’école decommerce Skema. A l’Ieseg, Jean­PhilippeAmmeux raconte qu’il a reçu de très nom­breux e­mails de candidats tentant de plai­der leur cause. «Certains lycéens nous ontenvoyé des vidéos pour nous montrer leurmotivation. D’autres ont fait état de leur casparticulier. Mais nous ne pouvons examinerque les données présentes sur Parcoursup»,affirme­t­il. La sélection sera­t­elle différentede celle réalisée au travers d’un concours? Ala veille des premiers résultats d’admission,Chloë est fataliste: «Si je n’ai pas la forma­tion que je voulais, c’est qu’il y a une raison.C’est le destin!» j

sylvie lecherbonnier

Lescandidatsàdesétudessupérieuresrecevront lespremières réponses des formations

àpartirdu19mai. Avec lasuppressiondesconcours, cesontsurtout lesécolespost-bac

quiontvu leursélectionchamboulée

«AVECCENOUVEAUSYSTÈME,

MES CHANCESD’ENTRERDANSCETTE ÉCOLE

SONT BEAUCOUPPLUS FAIBLES»

JOSHUAcandidat dans une écolede commerce post-bac

STÉPHANE KIEHL

LICENCES ET BTS TOUJOURS EN TÊTE DES VŒUX658000 lycéens se sont inscrits sur Parcoursup en 2020, soit 7000deplusque l’an dernier, selon les statistiquesministérielles disponibles fin avril, quine comprennent pas les candidats en réorientation. Au total, 98%des inscritsont confirmé aumoins un vœu, un chiffre enhausse deprès de deux pointspar rapport à la session 2019. Les formations plébiscitées restent inchangées:68%des lycéens ont formulé aumoins un vœuen licence, et un candidat surdeux a placé aumoins un vœuenBTS. Les études de santé continuent d’êtretrès attractives: 10%des candidats ont confirméun vœudans l’un des 227Pass(parcours spécifique accès santé), qui remplace la Paces (première année com-mune aux études de santé), et 19%ontmis un vœudans l’une des 457 licencesLAS (licence option accès santé). L’université Paris-Dauphine, qui faisait sonentrée sur la plate-forme, a enregistré 19000 candidatures contre 9000 en 2019.

V1Sortie par capdeville le 14/05/2020 18:36:57 Date de Publication 16/5/2020

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LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020 à la une | 3

Coupdechaudpour lesaspirantsmédecinsLesépreuvesd’accèsauxétudesdesantéontchangédeforme,déstabilisant lescandidats

I maginez: vous vous trouvez au beaumilieu du désert, une oasis se des­sine et, hop, une tempête balaie tout

sur sonpassage; vousn’avez plus aucunevisibilité. Supposez: depuis des mois,vous vous entraînez pour un sprint et,paf, on repousse la ligne d’arrivée.En pleine crise sanitaire, les étudiants

en première année commune aux étu­des de santé (Paces) – voie d’accès auxétudes de médecine, maïeutique, odon­tologie, kinésithérapie et pharmacie –ne manquent pas d’idées pour filer lamétaphore du report de leur concours,le dernier du genre avant la grande ré­forme des études de santé à la rentrée2020. Les épreuves ont été repousséesd’un mois, voire plus, selon les facultésde médecine, et se tiendront pendant laseconde quinzaine de juin.Pour les 60000 inscrits qui concourent

à ces épreuves ultrasélectives, chaqueminute compte, quand on sait que plusdes trois quarts d’entre eux échouent àdécrocher une place dans le numerusclausus. Aussi chacun a­t­il dû repenserses méthodes de travail, dans l’urgenceet l’incertitude, alors que, dans certainesuniversités, les épreuves ont mêmechangé de format en cours de route. Pluscourtes, plus condensées. Aucun droit àl’erreur n’est autorisé.La pression est d’autant plus forte que

tous les étudiants ne sont pas logés à lamêmeenseignepour réviser dans le con­texte du confinement, et même à partirdu 11mai, tant que lesmesures de distan­ciation physique resteront en vigueur.PourManon Camilli, 19 ans, redoublanteà Marseille, c’est mission impossible, oupresque. Enfermée dans un petit appar­tement du quartier de la Belle­de­Mai,

elle a installé une table de camping danssa chambre, faute de posséder un vraibureau. En temps normal, l’étudiante serend de 8 heures à 22 heures à la biblio­thèque universitaire (BU).Avant, comme grand nombre de ses ca­

marades,Manonne rentrait chezellequepour dormir: trop de bruit, trop d’agita­tion. Il faut dire que sa mère, assistantematernelle, s’occupe de quatre tout­pe­tits. «Leurs parents ont compris ma dé­tresse, raconteManon. Ils ont gardé leursenfants chez eux au début, mais là, ilssont obligés de les ramener.» dans quel­ques jours, il y aura deux lits de bébédans sa chambre, comme dans celle deson frère. Le salon redeviendra un ter­rain de jeu. «Il me reste le balcon, parterre», souffle Manon. Boursière d’unéchelon élevé, la jeune femme veut«kiné ou rien». «C’est ma dernière chan­ce de faire le métier de mes rêves», assu­re­t­elle, inquiète d’avoir déjà perdubeaucoup de temps, perturbée par ledécès de son grand­père, atteint duCovid­19, tandis qu’elle­même a étéclouée au lit plusieurs jours à cause duvirus. «C’est le concours de notre vie, onplonge corps et âme dans ces études, ondonne tout. Mais là, c’est plus du toutégalitaire. Internet, je ne l’ai qu’une foissur deux, même le réseau est saturé!»Alice Baguier, installée à Sarcelles

(Val­d’Oise), a été obligée de se faireprêter un ordinateur: «Je me suis tué lesyeux à lire les annales surmon téléphone,relate­t­elle. C’est une catastrophe, j’aicomplètement arrêté de travailler alorsque j’étais classée dans le numerusclausus au premier semestre.» Alex (sonprénom a été modifié) lance «un appelau secours». Redoublant comme Alice, il

est inscrit à Paris­XIII, sur le campus deBobigny (Seine­Saint­Denis). Il rêve dedevenir orthodontiste. «On nous empê­chedenous rétracter d’un contrat dont lesclauses ont été changées», résume l’étu­diant, qui vit à Rosny­sous­Bois avec sescinq plus jeunes frères et sœurs et sesdeux parents. Commepour tant d’autrescamarades, la BU représentait sa bouéede survie : «On est deux enfants parchambre. Je mets des boules Quiès et uncasque par­dessus, imaginez­vous le dis­positif.» Sa parade pour grappiller quel­ques heures de concentration: décalerses horaires et travailler la nuit quand lamaisonnée est couchée.A l’instar de plus de 2600 personnes,

Alex a signé une pétition sur la plate­formeChange.orgpourdemander la sup­pression du deuxième semestre de Paceset ne prendre en compte que les classe­ments du premier. «Face à des conditionsinégales d’apprentissage, les résultats auconcours du second semestre ne serontque le reflet du cadre environnemental descandidats», argue le texte, dénonçant unénième «coup demassue» et «deuxmoissupplémentaires d’acharnement». Pour lamajorité des étudiants interrogés, cetteoption ne serait pas juste non plus. Ceuxqui n’entraient pas dans le numerus

clausus au premier semestre revendi­quent le droit à rattraper leur retard.«Les conditions sont les mêmes pour

tous les étudiants, je ne pense pas qu’il yait rupture d’équité, assume de son côtéPatrice Diot, président de la Conférencedes doyens de médecine. Je ne vois pascomment on pourrait tenir compte des si­tuations individuelles sans prendre le ris­que d’autres injustices. Je reconnais quenous sommes dans un mode dégradé,adapté à la crise sanitaire.Mais je n’ai pasde solution à tous les problèmes.»

UNEBIBLIOTHÈQUEVIRTUELLESelon une enquête ministérielle publiéeen 2015, les études en santé affichent«une surreprésentation des classes favo­risées» mais sont aussi «parmi les for­mations les plus clivées socialement».Parmi les inscrits en première année, unenfant de cadre a deux fois plus de chan­ces qu’un enfant d’ouvrier d’intégrerune deuxième année, cet écart s’élevantà 2,5 pour les études de médecine. Leconfinement du printemps 2020 cristal­lise de telles inégalités – d’autant plusface à un concours qui, pour beaucoup,«se joue à rien». Ce «rien» n’est pour­tant pas anodin. «C’est énervant de per­dre du temps pour faire les courses»,peste Yasmina, 18 ans, primante à Mar­seille, confinée seule dans sa chambredu Crous (9m2), quand d’autres sontnourris, logés, blanchis, dorlotés parleurs parents.Pour pallier les disparités de situations,

les tutorats des facultés ont mis les bou­chéesdoublesdepuis lami­mars. Faceauxorganismes privés de préparation auxconcours (les «écuries» demédecine), cesassociations étudiantes accompagnent à

l’année les jeunes en Paces, avec l’am­bition de rétablir une égalité des chan­ces. «Notre planning est bien plus char­gé qu’avant le confinement», note LéaChevreux, présidente du tutorat asso­ciatif marseillais, elle­même étudianteen troisième année demédecine.Dans un tel contexte, primants et dou­

blants ne subissent pas le même stress.Juliette Hode, étudiante sur le site deNîmesde l’université deMontpellier, saitdéjà qu’elle devra faire une deuxièmepremière année. Confinée chez ses pa­rents dans une maison avec jardin, dansle village de Cadenet (Vaucluse), elles’autorise de vraies pauses pour faire dusport. A l’inverse, Lucas, redoublant àBesançon, enrage de perdre l’avance qu’ilavait gagnée dans cette compétition.«Avec le report du concours, les primantsont eu le temps de nous rattraper. On n’aplus de contacts avec les autres étudiants:je surestime leur travail et je sous­estimele mien. On ne peut plus savoir qui estencore en course!» Pour se motiver, il serend régulièrement à la BU virtuelle,imaginée par le tutorat santé de sa fa­culté. Ouverte du lundi au samedi de8 heures à 20 heures (sans oublier lesnocturnes jusqu’à 23 heures les mardiset jeudis), elle permet, via l’applicationZoom, d’apercevoir d’autres visagesenfouis dans des bouquins.Car, si tout le monde n’est pas dans le

même bateau, les valeureux Paces fon­cent, la tête dans le guidon, dans lamême direction. Admiratifs de leursaînés qui sont au front. «Cette crise sani­taire me fascine, confie Ranim Ghdiri,étudiante à Lyon. Cela me fait aimerencore plus lemétier que j’ai choisi.» j

léa iribarnegaray

«ONNOUS EMPÊCHEDENOUS RÉTRACTER

D’UN CONTRATDONT LES CLAUSESONT ÉTÉ CHANGÉES»

ALEXredoublant à Bobigny

Repenser lanotion de savoirs

L’Expérience EM Normandie, c’est une vision globale tournée vers un seul objectif : donnerles moyens à ses étudiants d’être acteurs de leur épanouissement personnel et professionnel.À travers le Parcours Carrière, dispositif d’accompagnement réflexif unique à l’École, ilsapprennent à prendre conscience de leurs talents, des valeurs qui les animent et de leurmontée en compétence tout au long de leur parcours.

Des cours différents, une pédagogie innovanteLes étudiants qui choisissent l’EM Normandieoptent pour une version différenciante del’acquisition de connaissances. En mobilisant à lafois des savoirs fondamentaux (marketing, finance,droit…) essentiels à tous les étudiants en gestionet des connaissances électives (psychologie,éthique, histoire…) pour se spécialiser sur desmatières distinctives, les futurs diplômés de l’Écolese construisent un parcours qui leur ressemblentet développent leur attractivité. Au cours de ceprocessus d’apprentissage, ils apprennent àmaîtriser le savoir-faire comportemental essentielpour prendre des initiatives, avoir des idées et lesexprimer efficacement tout en adoptant le reculnécessaire pour travailler en équipe en respectantle rôle de chacun.

Une ouverture internationaleAméliorer son niveau d’anglais en partant enAmérique du Nord, découvrir d’autres manièresde penser aux portes de l’Europe, s’immerger dansune culture insolite en Asie…Vivre une expérienceà l’international est un choix fondateur dans unevie, une chance à saisir et une opportunité quel’EM Normandie offre à ses étudiants. En suivantle Programme Grande École, ils peuvent effectuerjusqu’à cinq années d’études à l’étranger sur lescampus de Dublin, d’Oxford ou dans l’une des 200universités partenaires de l’EM Normandie. Il neleur reste plus qu’à choisir !

S’investir dans ses passionsPosséder un savoir, c’est bien. L’utiliser dans desprojets qui ont du sens, c’est encore mieux. Avecla vie associative à l’EM Normandie, les étudiantsont la liberté de s’impliquer dans des sujets quiles passionnent. Lors des années précédentes, lesétudiants de l’École ont notamment participé à laconstruction d’une école au Pérou, se sont engagéspour la planète en faisant évoluer les habitudes duquotidien des campus et organisé de nombreuxévénements sportifs et sociaux à travers leursassociations.

Une professionnalisation continueChoisir et vivredesexpériencesprofessionnalisanteset complémentaires est le meilleur moyen defaciliter son intégration dans le monde du travail.En proposant un mélange de périodes de stagesobligatoires, cas concrets et missions d’entreprises,l’EM Normandie permet à ses étudiants de trouverleur voie et de se préparer pour le job de leursrêves. Pour ceux souhaitant acquérir encore plusd’expérience, la filière alternance de l’École est laréférence des écoles de commerce pour décrocherun emploi avant même l’obtention du diplôme.

Préparer l’avenirPour apprendre à construire aujourd’hui sanshypothéquer demain, des modules dédiés audéveloppementdurable,à laRSEet aumanagementdes technologies sont désormais inclus dans

chacun des programmes de l’École. Grâce à descours sur l’économie alternative et appliquée,l’entrepreneuriat social et solidaire ou les outilsdigitaux, les étudiants se forment pour anticiperles défis du quotidien, développer une ouverturesociétale et anticiper les évolutions du monde del’entreprise. Pour les étudiants souhaitant s’orientervers des métiers liés au conseil, le nouveau TrackStrategy and Consulting leur permet, en seulementdeux ans, de devenir des experts dans ce domaineet de jouer un rôle majeur dans la construction del’entreprise de demain.

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V1Sortie par capdeville le 14/05/2020 18:36:59 Date de Publication 16/5/2020

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4 |à la une LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020

GRANDESÉCOLES :

SÉLECTIONINÉDITE

Tous lesétablissements,saufPolytechnique,

ontdûannuler leursoraux,augranddamdescandidats.

Unepremière

C haqueannée, les gran­des écoles sélection­nent leurs étudiantsdes classes prépara­toires aumoyen d’un

dispositif bien rodé, à based’épreuves écrites communes etd’épreuves orales individuellesorganisées dans chaque établis­sement. En ce printemps 2020,marqué par le Covid­19, ce rituelest bouleversé. Non seulementles écrits ont été reportés de plu­sieurs semaines – ils se déroule­ront entre la fin juin et le débutdu mois de juillet –, mais lesoraux n’auront tout simplementpas lieu.«La décision n’a pas été facile à

prendre,affirmeAliceGuilhon,quipréside le Chapitre des écoles demanagementde laConférencedesgrandes écoles. Mais à contexteexceptionnel, mesures exception­nelles.» «Obliger des candidatsstressés à faire le tour de Francedes écoles en plein été n’était pasraisonnable», argumente le di­recteur d’ESCP Business School,Frank Bournois.Du côté des élèves, «c’est une

immense déception», se désole

Robins, en prépa économique etcommerciale àMontpellier. Com­me plusieurs de ses camarades, ilcomptait sur les oraux pour «re­monter des places» et se faire uneidée de l’ambiance de chaqueécole en s’y rendant pour passerles oraux. «Les langues, dans les­quelles je suis à l’aise, représen­tent un gros coefficient, notam­ment à l’Edhec. Et j’avais bien pré­paré l’entretien de personnalitéoù je comptais mettre en avantmon expérience associative…»

«CHOC» DES ENSEIGNANTSLaura, au lycée Voltaire d’Or­léans, est frustrée à l’idée de nepas pouvoir se confronter à cetteépreuve orale et mettre en prati­que les techniques d’affirmationde soi qu’elle avait acquises aucours des séances d’entraîne­ment. Sacha, qui redoublait sadeuxième année de «maths­spé», comptait capitaliser surcette année de prépa supplémen­taire pour décrocher de meilleu­res notes que les autres candi­dats à l’oral, et intégrer Saint­Cyrou l’Ecole navale. «Franchement,c’est pas de bol !», regrette­t­il.

Parmi lesenseignantsdeprépas,qui préparent depuis deux ansleurs élèves à ces épreuves, «c’estle choc», résume Alain Joyeux,présidentde l’Associationdespro­fesseurs des classes préparatoireséconomiques et commerciales.«Même si elle est frustrante, c’étaitla meilleure décision», estime leprésident de l’Union des profes­seurs de classes préparatoiresscientifiques,Mickaël Prost.Seule Polytechnique, en raison

de son petit nombre d’admissi­bles, sera en mesure d’organiserdes oraux, dans le calendrierministériel imparti. Resserréesautour des maths et de la physi­que, et groupées sur une journéemaximum, les épreuves se dé­rouleront la deuxième quinzai­ne de juillet, dans les locaux dePalaiseau (Essonne).

CARTES REBATTUESL’école a beaucoup insisté pourmaintenir ces oraux. Notammentparce qu’ils permettent «d’éva­luer d’autres compétences et d’ap­porter de la diversité, en particu­lier de genre», justifie le directeurde l’enseignement et de la recher­che de l’X, Yves Laszlo. Ainsi, auconcours 2019, les jeunes fem­mes représentaient 13 % des ad­missibles de la filière maths­phy­sique.Mais elles comptaientpour19 % des admises. «Nous avonsobservé que les filles réussissentmoins bien aux épreuves d’entréede certaines formations scientifi­ques très sélectives comme Poly­technique ou les ENS [Ecoles nor­males supérieures], et ce pour desraisons qu’on n’explique pas clai­rement, commente la sociologue

Marianne Blanchard. En revan­che, celles qui franchissent cettebarrière, sans doute parce que cesont les plus adaptées aux exigen­ces, s’en sortent proportionnelle­mentmieux aux oraux.»Mais il est certain que la sup­

pression des oraux, partout ail­leurs, aura une conséquence: lescandidats ne seront pas sélec­tionnés sur les soft skills, cescompétences humaines évaluéeslors des oraux. Ces entretienssont en effet l’occasion, pour lesjurys, d’apprécier la réactivité ducandidat, sa capacité à établir undialogue avec l’examinateur, à ar­gumenter ou à soutenir un pointde vue… Autant de qualités fon­damentales pour ces futurs ca­dres amenés à piloter des équi­pes. «Savoir argumenter est aussiimportant que la résolution d’uneéquation différentielle», insisteJacques Fayolle, président de laConférence des directeurs desécoles françaises d’ingénieurs.C’est aussi l’occasion de rebattre

les cartespourunepartiedes can­didats. «Chaque année, j’ai plu­sieurs étudiants qui parviennent,grâce à d’excellentes performancesà l’oral, à compenser des résultatsmoyens à l’écrit, et à remonter plu­sieurs centaines de places…», re­marque Alain Joyeux, enseignanten prépa. Et inversement, d’au­tres, moins à l’aise ou stressés,craquent et dégringolent.«Les étudiants bons à l’écrit et

moins bons à l’oral auront cetteannée de meilleures écoles, et in­versement», résume Jean­FrançoisHauguel, directeur d’ISC Paris etprésident du Système d’intégra­tion aux grandes écoles de ma­nagement. Résultat : les écolesles mieux classées «risquent dese retrouver avec un public plusacadémique», estime LaurentChampaney, de la Conférencedes grandes écoles.«A charge pour nous d’aider les

étudiants à acquérir ces soft skillsque nous n’aurons pas pu évaluer,l’idée étant qu’à la sortie, les en­treprises ne voient pas la diffé­rence avec d’autres promos recru­tées avec un oral», indique JulienManteau, directeur de la straté­gie et du développement d’HEC.Pour tenter de mieux prendre en

compte les soft skills, les banquesde concoursd’écolesd’ingénieursenvisagent de modifier légère­ment les coefficients de l’écrit, enaccordant davantage de poids aufrançais. Les business schools,elles, ont préféré ne toucher àrien afin d’éviter de déstabiliserles étudiants.L’impossibilité de se rendre

physiquement dans les écolespour passer les oraux pourraitégalement jouer sur les vœuxd’affectation des étudiants. Enparticulier dans les écoles decommerce, où les oraux d’admis­sion sont devenus une institu­tion. Ces établissements privés separent alors de leurs plus beauxatours pour tenter de séduire lesélèves de prépa en vadrouilledans plusieurs écoles, et dont leschoix restent pour beaucoupdictés par les classements.

UNE EXPÉRIENCE FESTIVEDes groupes d’étudiants «admis­seurs», tels qu’ils se dénommenteux­mêmes, formés et habillésaux couleurs de l’école, sontchargés d’aiguiller les candidatsqui passent les oraux, mais ausside leur faire découvrir le site et deles divertir le temps d’une jour­née. Une expérience festive ethumaine, très attendue par lesétudiants : «C’est l’occasion desaisir l’ambiance, l’esprit de l’écoleet de préciser ses vœux», apprécieRobins. Le ressenti de l’étudiantle jour de ses oraux pèse de plusen plus dans les choix d’écoles,observe le professeur de prépaAlain Joyeux. «Avant, un étudiantde prépa admis dans plusieursécoles de commerce ne se posait

pas de questions: il allait dans lameilleure. Depuis quatre­cinq ans,les étudiants sont très sensibles àla manière dont ils sont reçus etn’hésitent pas à s’affranchir desclassements. Ce qui risque d’êtremoins le cas cette année…»Même en l’absence d’oraux, les

très bonnes écoles n’auront pasde mal à remplir. En revanche,les écoles de milieu et de fin detableau, qui comptent sur cetteopération séduction pour tirerleur épingle du jeu, pourraient enpâtir. Pour tenter d’inverser ladonne, elles n’ont pas ménagéleurs efforts : miniséries déca­lées, «webinaires», journées por­tes virtuelles et même un Face­book Live, le 7 juin, à BurgundySchool of Business, avec discoursdu directeur, présentation desprogrammes, ateliers détenteavec les étudiants, et un DJ…

«MICRO-INCERTITUDES»Objectif: conserver le lienavec lescandidats et tenter de «susciterl’effet coup de cœur, à distance, enrecréant un dialogue avec des étu­diants qui connaissent bien l’éco­le», résume le directeur généralde Rennes School of Business,Thomas Froehlicher. Des initia­tives, qui «permettront aux can­didats de découvrir les spécificitésdes écoles et de ne pas s’en re­mettre qu’aux classements!», veutcroire Jean­François Hauguel.Autant de «micro­incertitudes

qui pourraient avoir un impact surla répartition finale des étudiantsdans les écoles», observe Ma­rianne Blanchard. Claude­GillesDussap, président du comité depilotage du Service de concoursécoles d’ingénieurs, en minimisele bouleversement. Le nombre deplaces ouvertes aux concours res­tant identique, la plupart des can­didats devraient, comme les an­nées passées, avoir une proposi­tion d’intégration dans au moinsune école. «De manière indivi­duelle, on ne peut pas promettreque la répartition soit exactementlamême. Un élève pourra dire: “Sij’avais eu un oral, j’aurais pu inté­grer telle école” mais macroscopi­quement, l’effet sur le classementglobal seramarginal.» j

cécile peltier

LES ORAUXÉTAIENT AUSSIL’OCCASION

POURLES CANDIDATSD’APPRÉCIERL’AMBIANCEDES ÉCOLES

AVANTDE FAIRELEUR CHOIX

STÉPHANE KIEHL

37000C’est le nombre d’élèvesde prépa scientifique oucommerciale inscrits auxconcours des grandes écolescette année. Les écoles d’in-génieurs offrent 17 000 pla-ces (pour 27 000 candidats),et les écoles demanagement7 800 (pour 10 000 candidats)

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LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020 à la une | 5

Defutursprofesseurs recrutés sansépreuvesoralesCertainscandidatsauxconcoursde l’enseignementserontadmisdès lesécrits

M arion (sonprénomaété chan­gé) se rappellera longtempsla date du 17 mars 2020. Le

premier jour du confinement en Francedevait aussi être celui de la premièreépreuve écrite de l’agrégation de philo­sophie, que l’étudiante prépare depuisun an. Dimanche 15 mars, elle a reçu cemessage laconique: «Les concours destrois prochaines semaines sont reportésen raison de l’épidémie de Covid­19.»S’ensuivit un mois de silence. «Ça ététrès compliqué de trouver du sens sanssavoir si on travaillait encore pourquelque chose», reconnaît la jeunefemme de 26 ans, qui est allée se confi­ner chez un ami après la fermeture deson internat, loin de chez elle, pour untemps indéfini et un concours devenuhypothétique.Leministère de l’éducation nationale a

mis fin à cette angoissante attente le15 avril : le concours est maintenu pourles 256377 candidats aux concours del’enseignement, dont 128217 à ceux del’enseignement secondaire (capes, ca­peps, capet, agrégation…). Le nombre depostes ouverts ne change pas, et lesépreuves devraient se tenir «entre le15 juin et le 21 juillet» (mais pas avantseptembre pour les oraux du concoursinterne).Deux règles sont établies. Ceuxqui ont

passé et réussi les écrits avant le confi­nement passeront l’épreuve orale, depréférence en visioconférence. Lesautres s’arrêteront aux écrits : c’est le casde lamoitié des candidats aux concoursdu secondaire. Ces écrits feront officed’épreuves d’admission pour devenirenseignant stagiaire en septembre (àmi­temps en classe, à mi­temps en for­mation). Pour ces jeunes, la procédure

de titularisation sera renforcée, notam­ment grâce à un oral exceptionnel àl’issue de l’année de stage.De l’avis de chacun, le constat a beau

être amer, il est implacable : la situationne laissait pas d’autre choix. Cette an­nonce a cependant engendré de nom­breuses questions. Dans quelles condi­tions auront lieu les épreuves écrites?En quoi consistera l’oral exceptionnel àla fin de l’année de stage pour ceux quin’auront passé que l’écrit ? Sera­t­ilaussi sélectif que l’oral des concours? Sioui, que deviendront les candidats ren­voyés au bout d’un an (ce qui est ha­bituellement très rare), et commentcombler les postes vacants ? Sinon,comment les accompagner et s’assurerqu’il n’y a pas eu plus d’erreurs de recru­tement que d’habitude? Les précisionsmanquent encore.

CRAINTE DE «L’ANNÉE BLANCHE»La décision n’en constitue pasmoins unsoulagement. «Ces concours doiventavoir lieu, sinon il manquera l’équivalentde 5000 postes à temps plein à la rentréedans le secondaire», rappelle AlainBillate, responsable des questions deformation au SNES­FSU, premier syn­dicat dans le second degré. Sans comp­ter que les candidats, qui préparent cesconcours très exigeants depuis aumoins un an, craignaient «l’année blan­che», sans être certains d’avoir lesmoyens de recommencer; notammentles boursiers, qui s’inquiètent aussi desépreuves en juillet qui les empêcherontde trouver un travail durant lamoitié del’été. Mais «si l’épidémie repart, les déci­sions peuvent­elles changer?, s’interrogeMarion. J’ignore comment je vais restermotivéemalgré l’incertitude.»

Leur préparation a été bouleversée parle confinement. Si les candidats devai­ent être prêts pour les écrits en mars, cen’est pas le cas pour les oraux, générale­ment préparés dans un second temps.Pour les quelques milliers de candidatsaux concours externes du secondairequi les passeront, impossible de s’en­traîner dans les conditions des épreuves,ou d’avoir accès aux bibliothèques, tou­tes fermées. «Nous nous sommes adap­tés pour leur proposer des alternativesen visioconférence, mais ce sont des pis­aller», reconnaît Alex Esbelin, responsa­ble de formation à l’Institut national su­périeur du professorat et de l’éducation(Inspé) Clermont­Auvergne.Les inquiétudes se focalisent toutefois

sur les plus de 163000 candidats qui nepasseront que des écrits, dont plus de60000pour les concours du secondaire.«Jem’attendais à tout sauf à l’annulationdes oraux, déplore Pauline, 22 ans, can­didate au capes de mathématiques. Cesont des épreuves très spécifiques, je nepréparais que ça depuis un mois, je mi­sais beaucoup dessus. J’ai travaillé pourrien et perdu du temps.» Un temps pré­cieux, car, faute d’oral, les écrits serontdeux fois plus sélectifs.

Mais plus sélectif ne signifie pas forcé­ment plus pertinent. Les candidats re­doutent d’être recalés à l’écrit alors qu’ilsauraient pu atteindre les oraux en tempsnormal, et que «c’est là qu’on montrequ’on peut être un bon prof». Les jurys re­doutent, eux, l’erreur de recrutement.Une crainte d’autant plus vive que la ren­trée de septembre s’annonce délicate,face à des élèves qui auront, pour la plu­part, passé troismois loindes écoles l’an­née précédente et que les enseignantsseront chargés d’accompagner.

CAPACITÉ À «FAIRE COURS»«Il y ades compétences qu’onnepeut éva­luer qu’à l’oral», explique Alain Frugière,président du jury du capes de sciences dela vie et de la Terre (SVT) et vice­présidentdu réseau Inspé. Comme la capacité às’exprimer en public, à «faire cours», oules compétences pédagogiques. Des élé­ments dont les écrits ne disent rien, oupresque, et pourtant fondamentauxpour sélectionner des enseignants.«Il y a des gros ratés à l’oral, y compris

de gens qui n’ont pas un bon niveau aca­démique alors qu’ils ont réussi les écrits»,assure une présidente de jury de capes,qui souhaite rester anonyme. Selon lejury du capes d’histoire­géographie,27,9 % des candidats recalés aux orauxdans cette matière en 2019 auraient étéadmis si seuls les écrits avaient compté,et plus d’un quart des admis nel’auraient pas été.L’absence d’oral est déplorée dans tou­

tes les disciplines. Si beaucoup en pren­nent acte, insistant surtout sur le fait quecela devra rester exceptionnel, d’autresla dénoncent. «Certains candidats nes’expriment pas correctement à l’oral, soiten anglais, soit en français, car certains

sont étrangers… On ne peut pas les re­cruter sans avoir entendu le son de leurvoix, ensuite ce sont les élèves qui essuientles plâtres, et ces gens sont embauchéspour quarante­cinq ans!», s’emporte unmembre du jury du capes d’anglais.Au capes d’histoire­géographie, une

lettre ouverte du jury demande au mi­nistère de repousser l’admission d’unan et d’organiser les oraux du concoursen juin 2021. Dans cette matière, oncraint le candidat inadapté dans unediscipline censée aborder des «ques­tions socialement vives» avec des ado­lescents. Selon une membre du jury,«c’est à l’oral que nous apprécions le re­cul du candidat sur les faits historiques,sur le monde qui l’entoure, sa capacité àles enseigner de manière éthique. Nousne pouvons pas laisser des gens qui n’ontpas le niveau, ou qui tiennent des proposdangereux – nous en voyons chaque an­née – devant des élèves.» Sans le filtre del’oral, «nous risquons de voir plus dejeunes profs en difficulté que d’habitudedevant les classes, prédit Alain Frugière.Il faudra muscler leur accompagnement,adapter nos formations.»Ces aléas auront­ils raison de la volonté

des candidats? Cette entrée atypiquedans lemétier occupedéjàuncoinde cer­tains esprits. «Il faudra s’adapter pourrattraper le confinement, reprendre lesprogrammes…», s’inquiète Chloé, candi­date en histoire­géographie. «On a vu lesdifficultés des élèves avec le confinement,et l’importance de la présence de l’ensei­gnant,estimepour sapart Sana, quipassele capes d’espagnol. J’ai encore plus enviede réussir et d’être à leurs côtés, d’avoircette mission de les former.»Dans quellesconditions? Personnene le sait encore. j

éléa pommiers

«NOUSRISQUONSDEVOIR PLUS

DE JEUNESPROFSENDIFFICULTÉQUED’HABITUDE

DEVANT LESCLASSES»ALAIN FRUGIÈRE

président du capes de SVT

IL EST TEMPSD’ÊTRESOIMÊME.

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6 |génération LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020

MOBILISÉS PAR L’ÉPIDÉMIE

ÉTUDIANTSENSANTÉ

SURLEFRONT:UNEEXPÉRIENCE

INITIATIQUE

Pour lesétudiantsenmédecineouenécolesd’infirmiers

venusenrenfortdans leshôpitauxou lesEhpad, l’épidémie

deCovid-19aétéaussiéprouvantequeformatrice

Blandine Jousset,étudiante externe enmédecine, travaille

en renfort dansun Ehpad, en région

parisienne. JULIENDANIEL/MYOP/POUR «LE MONDE»

L a vague, Marc Astrié, 24 ans, l’avue se former «progressivement»,d’abord au loin, comme lamenaced’un tsunami, avant de la prendrede plein fouet. Fin février, le jeune

interne est en stage au service de réanima­tion du CHU de Strasbourg quand l’épidé­mie de Covid­19 commence à flamber enFrance. Il ne le sait alors pas encore, maisson service sera l’un des premiers touchésdans l’Hexagone par cette pandémie sansprécédent, à laquelle sa région, le Grand­Est,paiera un lourd tribut.Les cas arrivent d’abord au «compte­

gouttes» et, avec eux, la mise en place denombreuses protections pour éviter toutecontamination: surblouse, masque, gants,lunettes… «Cela a engendré, dès le début, dela fatigue et de la pression, car l’habillage etle déshabillage doivent être très précis et ré­pétés à chaque visite de patient», témoigneMarc Astrié. Les premiers jours, internes etexternes enmédecine sont préservés, expli­que­t­il. Ce sont principalement les seniorsqui, dans son service, ont pris en charge lesmalades du Covid­19, notamment lors desintubations.«Mais, très vite, cela a été l’explosion, se

souvient l’interne strasbourgeois. Les chefs

ne pouvaient plus se permettre de se passerde nous. Tout s’est accéléré: les gardes ont étédoublées, la charge de travail renforcée.»Alors que même les plus chevronnés dessoignants redoutent ce saut dans l’inconnu,face à une maladie dont on ne connaît en­core rien, Marc Astrié monte soudain enpremière ligne, commedesmilliers d’autresétudiants en santé partout en France.Des soinsmédicauxou infirmiers à la régu­

lation du SAMU, en passant par le brancar­dage et le nettoyage… près de 100000 futursmédecins viennent en renfort face à l’épidé­mie, selon la Conférence des doyens de mé­decine, auxquels s’ajoutent quelque 60000étudiants infirmiers estimés par la Fédéra­tion nationale des étudiants en soins infir­

miers (Fnesi). Une «mobilisation exception­nelle et très spontanée», salue Jean Sibilia,doyen de la faculté de médecine de Stras­bourg: «Ils ont été nombreux à se portervolontaires très tôtdans les réserves sanitairesqui se sont formées. Répartis dans les servicesselon leur expérience, ils ont été accueillis avecsoulagement par les soignants. Une vraie ab­négation face à une crise d’une intensité sansprécédent, pour ces jeunesquiont été confron­tés à une grande mortalité, comme ils n’enavaient jusque­là jamais fait l’expérience.»Pour ceux qui se sont rendus en réanima­

tion, il a parfois fallu encaisser le choc, faceaux tubes et aux corps inertes. «Mes pre­mières gardes ont été très impression­nantes : je n’avais jamais vu de personnes in­tubées, ni avec une saturation aussi basse»,se remémore Emma (son prénoma étémo­difié), étudiante infirmière de 22 ans enAuvergne­Rhône­Alpes.

«REMPLIR UN TONNEAUPERCÉ»Puis il y a le roulement infernal des patients,dont la chambre, sitôt vidée, est presque im­médiatement occupée à nouveau. «Notreservice était dédié aux patients Covid les plusgraves. Dès qu’on avait réussi à les stabiliser,ils étaient transférés dans une autre unité etimmédiatement remplacés», raconte AloïsGrivet, 22 ans, externe en stage de réanima­tion à l’hôpital Georges­Pompidou à Paris.«Le premier mois, on n’a pas vu un seul pa­tient être extubé. Ils laissaient trop vite leurplace à d’autres patients au pronostic vitaltrès engagé. C’était comme remplir un ton­neau percé», ajoute le jeune homme, «sou­lagé» de pouvoir à nouveau suivre le réta­blissement de ses patients, avec la diminu­tion progressive des flux demalades.Face à ces hôpitaux qui débordent et à cette

maladiepeuconnue, beaucoupde jeunesonteu la sensation d’être «démunis», commeAudreyMusanda, en troisièmeannéed’inter­nat demédecine à l’université de Strasbourg.Elle s’est portée volontaire aux urgences de

Sélestat, dans le Bas­Rhin. «Ne pas avoir tou­tes les réponses face à la maladie, cela ques­tionne forcément sur le métier auquel on sedestine. C’est un sentiment qu’on a de tempsà autre enmédecinemais, dans de telles pro­portions, c’était dur à porter», admet­elle.Dans les services lesplus touchés, la charge

émotionnelle est lourde, notamment lors­qu’il s’agit de contacter les familles, privéesde se rendre au chevet de leur proche. «Nousleur donnons des nouvelles quotidiennementpar téléphone: cela nous lie, explique le jeu­ne Marc Astrié. Quand j’ai le temps, je vaisdans la chambre avec un téléphone mis surhaut­parleur, pour que les patients puissententendre la voix de leur époux, de leur fils. Onest immiscé dans leur intimité et, quand l’évo­lution est défavorable, cela nous affected’autant plus.»Le contact direct avec la mort, dans des

proportions considérables, est difficile àgérer pour ces jeunes d’à peine plus de20 ans. Des cellules psychologiques ont étécréées dans les hôpitaux et les facultés pouraccompagner les étudiants. Une populationdéjà fragile: 27 % des jeunes médecins pré­sentaient des symptômes dépressifs dansune enquête de 2017.D’autant plus que, dans ce longmarathon,

l’épuisement physique et moral est apparu.«La charge de travail était continue et sa finincertaine: on n’en voyait pas le bout, insisteFerhat Meziani, chef du service de méde­cine intensive et réanimation du CHU deStrasbourg. Les jeunes internes étaient surles rotules, et parfois choqués par les cas gra­ves qu’ils rencontraient. Nous, soignants ti­tulaires, avons aussi laissé nos faiblesses ap­paraître. Voir des seniors exprimer leur stressa pu être déstabilisant pour eux.»De nombreux étudiants sont également

allés prêter main­forte dans les Ehpad, enmanque criant de personnel pour faire faceà l’épidémie. Blandine Jousset, externe enmédecine de 22 ans, s’est détachée à mi­temps de son stage de neurologie pour

«NE PASAVOIRTOUTES LES

RÉPONSES SURLAMALADIE, CELA

QUESTIONNEFORCÉMENT

SUR LEMÉTIERAUQUEL

ON SEDESTINE»AUDREYMUSANDAinterne enmédecine

à Strasbourg

100000C’est le nombre d’étudiantsenmédecine (externes et internes)mobilisés dans les structureshospitalières ou les Ehpad pour faireface à l’épidémie, auxquels se sontajoutés 60000 étudiants infirmiers.

V1Sortie par capdeville le 14/05/2020 18:35:42 Date de Publication 16/5/2020

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LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020 génération | 7

ÉTUDES SUPÉRIEURES EN APPRENTISSAGE

L’ALTERNANCESTOPPÉEDANSSONENVOL

Lesétudiantsquicherchentàpoursuivredesmastersenalternancepeinentàtrouverdescontratspourseptembre.Sansmesuresd’aides,

ilscraignentdefairepartied’unegénération«sacrifiée»

T out se présentait bienpour Eva, étudiante à Supde Pub, une école privée àBordeaux. A la rentrée,elle devait commencer un

contrat d’alternance dans une petiteagence d’événementiel à Paris afind’obtenir, au bout d’un an, sonmasteren communication. Mais le confine­ment est tombé. Quelques jours plustard, unmessage de l’agence a douchétous ses espoirs. «Nous ne savons passi nous serons en mesure de prendreun alternant, nous n’avons aucune vi­sibilité sur l’avenir, annonçait le mail.Nous reviendrons vers vous.»Depuis, Eva cherche une alternative

malgré «les rares offres». Confinée àBordeaux, cette étudiante de 21 ans sedit stressée, et son sommeil est agité:«Mon école coûte 10000 euros l’an­née. Sans alternance, je suis perdue.»Contracter un prêt bancaire, prendreune année de césure ou mettre sesétudes entre parenthèses pour trou­ver un job alimentaire: Eva envisagetoutes les possibilités.Pourtant l’apprentissage, synonyme

d’indépendance économique et demeilleure insertion professionnelle,est devenu un mode d’étude de plusen plus attractif dans l’enseignementsupérieur. Ainsi, 166000 étudiantspréparent un diplôme de l’enseigne­ment supérieur en apprentissage,selon le dernier décompte de 2017­2018, alors qu’ils n’étaient que 70000en 2005. L’entreprise signe un contratde travail avec l’étudiant, prend encharge la totalité de ses frais de scola­rité et lui verse un salaire selon sonâge et son niveau d’étude. Le prin­temps est traditionnellement le mo­ment­clé où se concluent les contratspour la rentrée.Mais la crise économique qui ac­

compagne la pandémie de Covid­19a précipité les entreprises dans laconfusion et rend la recherche decontrats particulièrement compli­quée. Aurélien Cadiou, président del’Association nationale des apprentisde France (ANAF) prévoit «une baissed’au moins 50000 apprentis à larentrée prochaine».

En effet, l’apprentissage est en lienavec la santé économique d’un pays,explique Alexandre Léné, maître deconférences en économie à l’univer­sitédeLille.«En tempsde crise, plus il ya de chômage, moins il y a de contratsd’apprentissage signés. Si une entre­prise a des incertitudes sur sa péren­nité, elle aura tendance à ne pas em­baucher du tout ou, au mieux, à recru­ter des apprentis comme substituts àune main­d’œuvre plus chère, et sansavoir à les garder», ajoute­t­il.Pourtant, tous les secteurs ne sont

pas logés à la même enseigne. Lesplus touchés restent le tourisme, laculture, l’événementiel, le luxe. Pourson master de commerce internatio­nal à l’IAE Paris, David cherche dansce secteur. Il a envoyé 94 CV et n’a ob­tenu que 12 réponses, toutes négati­ves. Ce Parisien a poursuivi toute sascolarité sur ce mode d’études et nejure que par lui. «Ce n’est jamais facilede trouver ce type de contrat, mais làc’est cent fois pire», souffle­t­il. S’il nedécroche pas d’alternance, David pré­fère «travailler et reprendre l’année

prochaine». D’autres restent optimis­tes, comme Florian, qui recherche unposte en alternance dans le secteurbancaire: «Je pense que mon milieusouffre moins, il faut juste attendreque les entreprises s’organisent.»Beaucoup de grandes entreprises

ont «maintenu leurs objectifs de recru­tement et attendent la fin du confi­nement pour reprendre leurs proces­sus et rencontrer les candidats», tem­père Olivier de Lagarde, président duCollège de Paris, un réseau d’établis­sements qui compte 3000 apprentis.Resteà savoir si cela sera suffisant, et siles PME et TPE seront prêtes à embau­cher des alternants. Deux scénarios seprésentent: «Soit les entreprises recru­tentdesalternantsà laplacedeCDDouCDI, soit, si la crise s’avère plus brutale,les entreprises coupent tous leurs bud­gets alloués aux recrutements, dontceux des alternants», analyse­t­il.A Kedge Business School, on préfère

miser sur le premier scénario et fairele pari de doubler le nombre d’appren­tis du programme Grande école à larentrée prochaine. «Dans deux ans,lorsque l’économie va redémarrer, cesentreprises auront besoin de talentsqu’elles auront formés dès aujour­d’hui», justifie Christophe Mouysset,

directeur des relations entreprises deKedge. Pour assurer que ses étudiantsaient bien une alternance, l’écolemiseavant tout sur des secteurs qui tirentleur épingle du jeu en pleine crise,comme «les entreprises du digital etdes fonctions de support».

RENFORCER LES PARTENARIATSLes établissements redoublentd’efforts pour renforcer leurs parte­nariats et maintenir ce mode d’étu­des, en particulier pour leurs étu­diants aux faibles revenus pour les­quels l’alternance est un moyend’accéder à de grandes écoles sanspayer les frais de scolarité. A l’IAELyon, au Collège de Paris ou encore àMontpellier Business School, diffé­rents dispositifs ont été mis enœuvre : «coaching CV» en ligne, fo­rums emplois «virtuels», accompa­gnement personnalisé des étudiants,prospections d’entreprises…En soutien aux établissements,

l’Association nationale des apprentisdu supérieur (l’Anasup), l’ANAF et laConférence des grandes écoles plai­dent pour une aide renforcée del’Etat. D’autant qu’une baisse dunombre d’apprentis aura des consé­quences sur les centres de formation

des apprentis, qui sont financés,depuis la nouvelle réforme de l’ap­prentissage, «au contrat», c’est­à­dire en fonction du nombre d’ap­prentis qu’ils accueillent. «L’Etat doitsoutenir des mesures pour éviter uncoup de frein sur l’alternance et surl’égalité des chances. L’alternance estun enjeu sociétal», affirme Pierre­Emile Ramauger, directeur du déve­loppement et relations entreprises àMontpellier Business School.Deux propositions sont notam­

ment défendues auprès du gouverne­ment: rallonger la période de troismois supplémentaires pour signerun contrat (les étudiants inscrits enseptembre ont jusqu’au 31 décembrepour trouver une alternance) et élar­gir l’aide d’Etat au recrutement desapprentis, réservée aux entreprisesde moins de 250 salariés. Au cabinetde Muriel Pénicaud, ministre du tra­vail, on promet prochainement un«plan d’appui pour l’apprentissage»dont ces deux propositions restent«des pistes qui ne sont pas écartées».Enième incertitude qui n’a pas dequoi apaiser les nuits agitées d’Eva,angoissée à l’idée de faire partied’une «promotion sacrifiée». j

rahma adjadj

«DANSDEUXANS, LORSQUEL’ÉCONOMIE REDÉMARRERA,CES ENTREPRISES AURONT

BESOINDE TALENTSQU’ELLES AURONT FORMÉS

DÈS AUJOURD’HUI»CHRISTOPHEMOUYSSETde Kedge Business School

remplir le rôle d’infirmière dans un établis­sement de la région parisienne. Malgré lamaigre formation d’une demi­journéequ’on lui dispense alors, elle se rend volon­taire sans appréhension: elle a déjà officiécomme aide­soignante trois étés de suite etveut être utile.Quand Blandine arrive dans l’Ehpad, en

avril, quinze résidents sur la centaine quecompte l’établissement ont déjà été empor­tés par lamaladie. Il y règne une atmosphèrede findumonde, entre la tristesseduperson­nel et la résignation des résidents qui, confi­nés dans leur chambre et privés des repascommunautaires, se laissent lentement glis­ser et cessent de s’alimenter. Tous lesmatins,lesmasques sont rationnés, et sontparfoisdemauvaise qualité. En manque de surblouses,les infirmières craignent de transporter desgermes de chambre en chambre.«Nos résidents, atteints de démence ou

d’Alzheimer, cherchent de l’affection, ils vien­nent faire des bisous sur les mains : on estobligés de les repousser, avec beaucoup dedouleur, raconte Blandine Jousset. La situa­tion d’isolement, surtout, est très dure à im­poser. Certains vivent mal le fait d’êtreenfermés et tentent de s’enfuir. Il faut trou­ver des stratagèmes, courir vers la sortie, en­lever les poignées… Il arrive que le résident,ne comprenant pas la situation, nous sup­plie derrière la porte. On a le sentiment de lesmaltraiter, malgré nous.»A l’Ehpad, le lien avec les soignés est tout

autre qu’à l’hôpital : ce ne sont pas despatients, mais des résidents, dans leur ca­dre de vie. «On sort de la blouse blanche, etune autre relation humaine se tisse. C’étaittrès nouveau pour moi», analyse l’externeen médecine. Le rapport à la mort en estaussi changé. L’étudiante, qui avait pour­tant déjà connu des décès lors de ses sta­ges, assiste pour la première fois à la miseen housse des défunts, dans des chambresoù des photographies, affichées au mur,retracent leur vie.

VOCATIONS CONFIRMÉES«Cela a été dur, mais j’ai énormément apprisde cette expérience d’infirmière. Plus tard, entant que médecin, ce sera essentiel pourmieux comprendre le métier de celles quisont le premier contact avec le patient», es­time Blandine Jousset. Les étudiants, ame­nés àmener diverses tâches durant cette pé­riode, en ressortiront forts de cet aspectpluridisciplinaire, juge le doyen Jean Sibilia:«C’est extrêmement salutaire, car les métiersdu soin fonctionnent encore trop en silos.»Pour tous les jeunes contactés par Le

Monde, cettemobilisationaucœurde la crisea fortement confirmé leurvocationde futurssoignants.«Lesétudesdemédecineapportentbeaucoup de doute, car elles sont longues, etqu’on s’en prend plein la figure, juge BlandineJousset. Mais là, j’ai vraiment été confortéedans mon choix. J’ai vu que je pouvais êtreutile au contact des patients.»D’autant que, si l’aspect monopathologi­

que de l’épidémie n’a pas permis de consoli­der beaucoup de connaissances techniques,l’immersion dans un hôpital en pleine réor­ganisation a été un moment de formationparticulier. «J’y ai beaucoup appris sur leplan humain et sur la gestion hospitalière.On parle d’équipe médicale: là, on en étaitvraiment une», estimeMarcAstrié. «Il y a euune cohésion incroyable entre les différentsagents hospitaliers, ajoute AudreyMusanda.Cette crisem’a fait grandir.»La période a cependant apporté davantage

d’interrogations que de réponses à l’internestrasbourgeoise.«Ona tous réponduprésent,maisdansunsystèmedesoinsdéfaillant, sou­ligne­t­elle. Dans certains hôpitaux, les blou­ses fournies se déchiraient, parfois les protec­tions étaient faites avec des sacs­poubelle.C’est comme partir à la guerre avec un cou­teau. Où les moyens sont­ils mis? Cela devrafaire partie des questionnements postcrise.»Ces deuxmois s’achèvent aussi sur des in­

quiétudes concernant un retard dans la for­mation initiale, notamment pour ceux quiremplissent des tâches qui ne sont pas aucœur de leur discipline. «Pas encadrés, mo­bilisés sur des postes d’aides­soignants… Cer­tains étudiants infirmiers ne se sentent pasavancer dans leur formation. Ils fournissentun travail épuisant, indemnisé à moins de2euros de l’heure», regrette Vincent Opitz,vice­président de la Fnesi.C’est le cas d’Emma, l’étudiante infirmière

mobilisée en réanimation: «On est comptésdans le staff d’aides­soignants, sans la possi­bilité de se former aux gestes infirmiers», té­moigne cette jeune femme, en dernière an­née d’études. Elle s’inquiète de ne pas «êtreopérationnelle» après le diplôme. Pourtant,il le faudra, rappelle VincentOpitz: «Quand,en fin de crise, les équipes seront épuisées, ceseront à nouveau les jeunes soignants qu’onappellera à la rescousse.» j

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V1Sortie par capdeville le 14/05/2020 18:35:48 Date de Publication 16/5/2020

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8 |génération LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020

SOUTENANCES

THÉSARDSDANSLEBROUILLARD

Thèsesreportées, vacationouterrainsd’étudessuspendus,bibliothèques fermées... Lesmesuressanitaires liéesà l’épidémie

bouleversent lesplansdesdoctorants

C es dernières semaines, LeonardoOrlando, 38 ans, a eu le senti­ment de perdre son temps. Cedoctorant à Sciences Po Parisavait prévu de franchir l’étape la

plus symboliquede son travail de recherchele 19mars, avec la soutenance de sa thèse degéopolitique sur les eaux transfrontalières.Un moment important. «C’est comme unpermis de conduire: le sas qui nous permetd’entrer dans la vie active après des annéesépuisantes de recherche», estime­t­il. Mais,à trois jours du but, le confinement entraî­né par la crise sanitaire est venu doucherses plans. Soutenance repoussée. Date?Toujours indéterminée.Audébutduconfinement, les processusde

soutenance de thèse ont en effet été arrêtés,et de nombreux doctorants ont été plongésdans le flou. La doctrine générale a d’abordconsisté à les reporter au maximum dansl’espoir depouvoir les reprogrammer lors dejours meilleurs. Mais, face à la perspectivede plus en plus floue d’un retour à la nor­male en septembre, les consignes commen­cent à changer. Les écoles doctorales peu­vent désormais s’appuyer sur un arrêté qui,depuis le 21 avril, encadre davantage les sou­tenances à distance, permettant de passeroutre la présence obligatoire du candidat etdu président du jury dans lamême salle.Pour les doctorants, les reports occasion­

nés ont eu des conséquences très concrètes.«J’ai déjà raté deux candidatures en postdocqui m’intéressaient», s’agace Leonardo Or­lando, qui craint de voir de nombreusesautres opportunités s’envoler d’ici à l’obten­tion de son diplôme.Marion (son prénom aété modifié), doctorante parisienne en so­ciologie, dont la soutenance, initialementprévue le 1er juillet, reste incertaine, appré­hende aussi la suite. «La bourse que j’avaisobtenue pour travailler dans un laboratoire

de recherche américain devait débuter enseptembre, mais il n’est pas sûr que je puissesoutenir d’ici là et encore moins voyager àcette période. Je risque de me retrouverpendant plusieurs mois sans poste et sanscontrat», raconte­t­elle.

«DESANNÉESDETRAVAIL»«On ne peut pas accumuler le retard indé­finiment jusqu’à un déconfinement quasitotal, admet Thomas Coudreau, présidentdu Réseau national des collèges doctorauxet directeur de celui d’Université de Paris.Partout, on travaille à présent à une généra­lisation du passage en visioconférence. Lessoutenances sont peu nombreuses à cettepériode, mais elles s’intensifient dès septem­bre : il ne faut pas créer d’embouteillagepour les 15000 doctorants qui soutiennentchaque année.»Leonardo Orlando n’est pourtant pas cer­

tain de trouver rapidement une nouvelledate. «Cela a déjà demandé un tempsmonu­mental d’organiser la première, car il fauts’assurer que tous les enseignants­chercheurs,très occupés, puissent bloquer quatre à cinqheures de leur temps, explique le candidat.Je ne sais pas si cela sera possible avantseptembre. C’est très frustrant.»Pour certains, la perspective d’un passage

à la visioconférence est un crève­cœur.«Cela fait si longtemps que j’attends de sou­tenir ma thèse… C’est une vraie déception»,souffle Pierre, 29 ans, doctorant en histoireà l’université de Lorraine, qui travaille surles mouvements sociaux contemporains.Toutes les personnes qu’il avait interrogéeslors de ses recherches se faisaient une joied’assister à sa soutenance, qui aurait dûavoir lieu le 16 mars. Elle sera sûrementbasculée en numérique.«Une thèse est un travail énorme auquel

on a consacré des années de notre vie, on a

envie de le partager avec les collègues et lesproches, regrette Marion, qui sent qu’elleaussi va devoir se résoudre au distanciel. Lavisioconférence fait perdre beaucoup desymbolique à ce qui est considéré comme unrite de passage.»D’autant que l’organisation de ces épreu­

ves en tout distanciel n’est pas toujours évi­dente.«Unmembrede l’administrationouducollège doctoral doit impérativement y assis­ter, pour s’assurer du bon déroulé de la soute­nance et pour servir d’assistance sur les outilsnumériques», explique Thomas Coudreau.«L’exercice va demander une tout autre pré­paration», rappelle aussi Kevin, doctoranten microbiologie à Narbonne. Il devraitpasser son grand oral en ligne, en septem­bre, et craint que lemanque d’interactionnerende «trop monotone» sa présentation.«C’est pourquoi nous demandons beaucoupde flexibilité, afin qu’aucun doctorant ne soitcontraint de passer en visioconférence»,avertitKimGauthier, présidentede laConfé­dérationdes jeunes chercheurs. Alors qu’elleobserve ces derniers jours «des pratiquestrès diverses», la confédération alerte sur lanécessité de «ne pas sacrifier la compositiondu jury et la publicité des débats», inhérenteaux soutenances de la thèse.Du côté de ceux qui sont en pleine recher­

che, le confinement a mis en péril certainstravaux. La fermeture des lieux de docu­mentation, notamment, a constitué un vraifrein pour beaucoup, comme Mylène. Cettedoctorante en histoire de l’art à Paris n’a paspu avoir accès aux ouvrages patrimoniauxqui sont essentiels à sa thèse. «J’ai pu ache­ter quelques livres en ligne, mais j’ai très viteété coincée», confieMylène, 29 ans, qui s’in­quiète de l’incertitude qui pèse sur la réou­verture des bibliothèques universitaires.L’interrogation sur la reprise est d’autant

plus forte pour la jeune femmeque, atteinte

de la mucoviscidose, elle fait partie des per­sonnes très fragiles face à l’épidémie. «Est­ceque je prends le risque d’être en contact aveclamaladie? Ou je laisse en suspensma thèseencore quelquesmois, avec le danger de fairemauvaise impression au moment de passerdevant le jury?», s’alarme Mylène. Afind’éviter les transports en commun, elle aenvisagé de prendre sa voiture, mais le prixde l’essence pèsera lourd dans son budget,car elle n’a pas de financement dédié pourson doctorat.Avec la fermeture des laboratoires, Anaïs,

doctorante en chimie, a perdu ses expéri­mentations en cours, des analyses de rési­dus de produits pharmaceutiques qui pour­raient venir contaminer l’environnement.Il faudra recommencer à zéro cequi avait étéengagé depuis fin février. «J’ai perdu bienplus que les deux mois de confinement»,

déplore la jeune chercheuse de 27 ans, dontles manipulations ne pourront reprendrequ’en juin. Sonia, elle, devait se rendre enItalie, son terrain de recherche, pour sathèse sur les économies circulaires dans lesrégions de l’Emilie­Romagne et des Hauts­de­France. La pandémie en a décidé autre­ment. «Je cherche un plan B, mais cela re­met en cause une bonne partie de mathèse», témoigne Sonia.Pourpallier ces prises de retard inévitables,

le ministère de l’enseignement supérieur aannoncé, le 23 avril, que des prolongationsde thèse et de contrat de financement pour­ront être accordées, «pouvant aller jusqu’àun an», précise­t­il. «C’était un bon signalface à des situations de plus en plus compli­quées, commente Thomas Coudreau, duRéseaunationaldes collègesdoctoraux.Maisnous sommes toujours dans l’attente dedétails sur les moyens financiers complé­mentaires. Les établissements craignent dedevoir avancer ces frais très importants,dans une période où ils sont déjà exsangues.Les doctorants nous pressent de questionsauxquelles nous n’avons pas la possibilitéde répondre.»

FINANCEMENTS PROLONGÉSLa Confédération des jeunes chercheursévalue à 37,5 millions d’euros le budget né­cessaire pour prolonger ces contrats. Ses re­présentants craignent qu’un arbitrage soiteffectué entre le nombre de recrutementsde nouveaux doctorants et ces prolonga­tions exceptionnelles. «Ce sera inévitable sic’est aux universités et aux écoles doctora­les d’abonder financièrement», alerte KimGauthier, qui souhaite une systématisationdu prolongement, avec une durée variable,en fonction de l’impact de la crise sanitairepour chaque doctorant. L’Agence nationalede recherche allait dans ce sens, le 12 avril,annonçant que chacun des projets en coursqu’elle finance, et qui devait courir au­delàdu 17 mars, serait «prolongé de façon systé­matique d’une durée de sixmois».La Confédération demande aussi que soit

maintenue la rémunération qui était pré­vue avant le confinement pour les ensei­gnants vacataires, parmi lesquels de nom­breux doctorants, «que les enseignementsaient été poursuivis sous une forme à dis­tance, ou non». En effet, 27 % des jeuneschercheurs ne disposent pas d’un finance­ment dédié pour leur thèse en premièreannée, dépendant d’autres apports de cetype – et leur proportion augmente lorsquela durée de leur doctorat dépasse les troisans réglementaires de contrat. Ceux­ci nepourront donc pas prétendre aux prolonge­ments exceptionnels de financement. Poureux, chaque mois de thèse supplémentaireajoute son lot de difficultés à des conditionsde vie déjà précaires.«Nous nous retrouvons avec toutes les

problématiques combinées des étudiants etdes chercheurs face au Covid, et avec très peud’avantages», regrette Hugo, doctorant endroit de 26 ans, sans financement. En plusdu ralentissement de ses recherches, le jeu­ne Toulousain craint que ses futures finan­ces ne soient fragilisées. Son job d’été de for­mateur BAFA, sur lequel il compte chaqueannée pour mettre de l’argent de côté, ris­que d’être annulé. «Les six prochainsmois, jepuiserai dans mes dernières ressources. Sansaucune visibilité pour la suite.» j

alice raybaud

«CELA FAITSI LONGTEMPSQUE J’ATTENDSDE SOUTENIRMA THÈSE...

C’EST UNEVRAIEDÉCEPTION »

PIERREdoctorant en histoire

«NOUSNOUS RETROUVONSAVEC TOUTES

LES PROBLÉMATIQUESCOMBINÉES DES ÉTUDIANTS

ET DES CHERCHEURSFACEAUCOVID, ET AVECTRÈS PEUD’AVANTAGES»

HUGOdoctorant en droit

V1Sortie par capdeville le 14/05/2020 18:33:36 Date de Publication 16/5/2020

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LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020 génération | 9

INSERTION PROFESSIONNELLE

RESTAURATION,TOURISMELESJEUNESDIPLÔMÉSVONTDEVOIRÊTREPATIENTS

Nouvelles formations, servicecivique…certainsadoptentdenouvellesstratégies

J uste avant le confinement, Tobias,étudiant en master hôtellerie deluxe à l’université de Marne­la­Vallée (Seine­et­Marne), était enstagedepuis deuxmoisdansunpa­lace parisien. Sanglé dans un uni­

forme de gouvernant, il apprenait, pourclore ses études, à encadrer une équipe. Ilaurait pu être embauché par la suite.Mais, avec le confinement, le palace afermé ses portes. «Je vais devoir chercherun travail dans un secteur en crise avecseulement deuxmois d’expérience», se dé­sole­t­il. Il a aussi perdu son job au parcd’attractions de Disney. Désormais, pource jeuneAllemandquia suivi toute sa sco­larité en France, les plans sont totalementchamboulés. Si le palacene rouvre pas cetété, Tobias envisage de suivre une annéed’études supplémentaire. Pourquoi pas«unMBAdansune école degouvernants».Alors que l’hôtellerie­restauration, le

tourisme et la culture sont particulière­ment affectés par la crise liée au corona­virus, les futurs diplômés de ces secteursanticipentdegravesdifficultéspour trou­ver un emploi. Hervé Becam, vice­prési­dent de l’Union des métiers et des in­dustries de l’hôtellerie (UMIH), présageuneannéenoire, avec«20%à25%desen­treprises qui ne rouvriront pas» si les aidesne sont pas maintenues. «La priorité àcourt termedesentreprises estde se releveret de refaire travailler leurs équipes», es­timeGeorgeRudas, président de l’Institut

français du tourisme. Les embauchespassent au second plan. «Les perspecti­ves sur lemarché du travail sont sombres,au moins équivalentes aux crises de 1993et 2008. Les derniers arrivés, de n’importequel secteur, sont les premiers touchéspar la crise. Les jeunes se retrouvent dansune file d’attente, et vont être touchés deplein fouet par cette récession», expliquePhilippeAskenazy, économiste du travailet directeur de recherches au CNRS.Conscients de ces difficultés, les étu­

diants en finde cycle tententde s’adapter,pour éviter le chômage à la rentrée. Inès(son prénom a été changé) est en mastertourismemondechinois etdigitalmarke­ting à Angers, et continue son stage dansune agence de voyages en télétravail.Bilingue en mandarin et passionnée parl’Asie, elle sait qu’elle devra revoir ses am­bitions à la baisse: le tourisme internatio­nal se trouve au pointmort. Pour les pro­chains mois, cette Angevine, qui a l’habi­

tude de se «débrouiller seule», compte«trouver un job alimentaire etmiser sur lemarketing digital, plus porteur». Florent,qui devait commencer un CDD dans unegalerie d’art à Marseille, travaille dans leschamps de son père, agriculteur. Opti­miste, il pense qu’il sera rappelé plus tardmais qu’en attendant il «acceptera n’im­porte quel job, sans faire la fine bouche».

«MASTER CHÔMAGE»Certains, comme Agathe, étudiante enmaster médiation culturelle à Icart, uneécole privée à Paris, ont la possibilitéd’être conventionnés par leur établisse­ment jusqu’en décembre. Elle profite dureport de son stage dans unmusée d’artcontemporain parisien pour «suivre descours en ligne et valoriser son CV».Adrienne, en master culture à l’Institut

d’études politiques de Bordeaux, a optépour une autre stratégie: le service civi­que, en septembre. Aumoment du confi­nement, elle était en stage de fin d’étudesdans un théâtre parisien où elle s’occu­pait de l’accueil du public scolaire. De re­tour chez ses parents, elle ne se sent «pascapable de postuler à un emploi» à causede sonmanqued’expérience. «Un servicecivique, c’est plus facile à trouver qu’unCDD ou un CDI, même si c’est frustrantd’être payée 500 euros à 25 ans, confie­t­elle. Je sais que le secteur culturel n’est pasfacile. D’ailleurs, à Sciences Po, on dit queceux qui suivent ma spécialité sont en

“master chômage”. J’étais prête à tout af­fronter,mais je nem’attendais pasà cela.»Avec ces stages annulés ou suspendus,

de multiples occasions de nouer descontacts, d’acquérir de l’expérience etd’affiner un projet professionnel s’effon­drent. «Ces moments de la formationconstruisent l’identité professionnelle deces jeunes et leur donnent confiance. Am­putés de ces expériences, ils peuvent se sen­tir moins légitimes que d’autres», analyseValérie Cohen­Scali, professeure en psy­chologiede l’orientationauConservatoirenational des arts etmétiers. Seront favori­sés ceux qui ont, dans leur entourage fa­milial, lesmoyensde rebondir.«Selon sonmilieu social, on n’a pas la même percep­tion ni la même connaissance du marchédutravail.Onestmieuxpréparéàaffronterles chamboulementsdumondeprofession­nel quandongrandit dans unmilieu où lesparents sont très informés», ajoute­t­elle.Pour accompagner leurs futurs di­

plômés, certains établissements, commel’écolede tourismedeLaRochelle (groupeExcelia),multiplient les initiatives, à com­mencer par du coaching en ligne pourmuscler le CV et apprendre à démarcherune entreprise dans ce contexte de crise,enmisant sur les nouvelles opportunitéset l’après­Covid. «Les entreprises aurontbesoin de nos étudiants pour préparer letourisme de demain, plus local, plus vertet plus digital», espère Pascal Capellari,directeur de l’école. Côté culture, Gilles

Suzanne, de l’université Aix­Marseille,pense que cette crise est pour les jeunes«une occasion à saisir pour entraînerune démocratisation culturelle, attirer denouveaux publics et ancrer la culturedans un territoire».En attendant la reprise, les futurs diplô­

mésde ces différents secteursnevontpassubir la récessionde lamêmefaçon, selonPhilippe Askenazy. En hôtellerie, les mé­tiers liés à l’hygiène seront plus sollicitésqued’autres. Certains enprofiterontpourchanger de secteur, et se diriger vers desdomaines ou des fonctions plus stables– un phénomène que l’économiste a ob­servé après la crise du début des années1990. «A cette époque, une partie des jeu­nes diplômés ont vu leur carrière diverger.Parexemple, les ingénieurs se sont reportésvers la distribution, secteur beaucoup plusporteur.Mais pour les étudiants en cultureou en tourisme, le report vers d’autresmétiers est plus compliqué», concède­t­il.Pouréviterqueces jeunesabandonnent

ce pourquoi ils ont été formés, l’écono­miste suggère que la puissance publiquesoutienne laprolongationde leurs étudesd’un semestre, «pour qu’ils puissent arri­ver sur un marché du travail moins dé­gradé». Les établissements contactés nesemblent pas plancher sur cette piste.Mais face à ce futur brumeux, Florianreste persuadé que tout s’arrangera, «caron est tous dans lemême bateau». j

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10 |histoires LE MONDE CAMPUS SAMEDI 16 MAI 2020

J’AVAIS 20 ANS

«J’AIRÉUSSIÀDÉPASSERLESYNDROMEDEL’IMPOSTEUR»

AURÉLIEJEAN

Lachercheuse, spécialistedesalgorithmes, revientsurseschoix

d’orientationetsur la façondontelles’est imposéedansunmonde

scientifiquetrèsmasculin

C onfinée à Paris, Aurélie Jeandécroche son téléphone entredeux réunions avec ses équipes.Elle a le débit rapide, confiant, etla voix chaleureuse. Docteure en

sciences et spécialiste des algorithmes, pas­sée entre autres par Sorbonne Université,l’Ecole normale supérieure de Cachan,l’Ecole des mines de Paris et le Massachu­setts Institute of Technology (MIT), AurélieJean, 37 ans, est aussi anciennedéveloppeuseinformatique au sein du groupe financierBloomberg, à New York,mentor à la NASA etentrepreneuse. Spécialisée dans la modéli­sation numérique, elle est collaboratrice ex­térieure pour la direction du numérique duministère de l’éducation nationale.Classée par le magazine Forbes parmi «les

40 Françaises qui comptent en 2019», ellesemble n’avoir peur de rien, sauf de ses biaiscognitifs et algorithmiques qu’elle décritdans son dernier livre, De l’autre côté de laMachine (L’Observatoire, 149pages, 18 euros).Aurélie Jean, qui vit habituellement entre LosAngelesetParis, revient sur ses choixd’orien­tation, ses études, et sur le fait d’être unefemmedansunsecteurencore trèsmasculin.

Votre milieu social a­t­il eu un rôle dansl’éveil de votre curiosité scientifique?J’ai été élevée par mes grands­parents, et

j’ai reçu une belle éducation libérale, asso­ciée à des valeurs traditionnelles. Mongrand­père était cadre administratif auCommissariat à l’énergie atomique et magrand­mère était femme de ménage. J’aigrandi à Clamart (Hauts­de­Seine), dans unmilieu de classe socialemoyenne, dans unecité HLM. Mes grands­parents ont joué unrôle fondamental pour la personne que jesuis devenue. Dès la petite enfance, ils ontdéveloppé chez moi une grande curiosité.Ils m’encourageaient à me questionner surlemondequi nous entoure: pourquoi le cielest bleu? Quels sont les mécanismes desmarées? Pourquoi l’eau bout? D’une cer­taine façon, ils m’ont initiée à la méthodescientifique, qui s’articule autour de l’obser­vation, de l’expérimentation, du raisonne­ment logique et de l’usage de la théoriepour adresser une question.

Quelle élève étiez­vous?J’ai toujours été une bonne élève. Je tra­

vaillais bien car je savais que c’était labonne chose à faire. Il fallait faire plaisir àmes professeurs et à mes grands­parents.Je m’ennuyais un peu, mais je savais quec’était important. J’ai sûrement développéle syndrome de la bonne élève au cours deces années d’école où je faisais tout pour«bien faire». Mais l’école a eu un rôle dé­terminant dans ma vie, car elle m’a permisde grandir, de m’émanciper socialement etéconomiquement.

A la fin du lycée, vous hésitiez entre unelicence de droit et une licence demaths­physique. Pour quelles raisons avez­vousfinalement préféré les sciences?J’ai hésité entre les sciencesdures et ledroit

car beaucoup de mes cousins et cousines

étaient allés en fac de droit. Mon grand­pèreavait même repris des cours de droit à40ans.Une conseillèred’orientationm’avaitaussi conseillé cettematière car je «présen­tais bien»: c’est bien connu, les avocatssont des individus propres et policés alorsque les scientifiques sont des personnesnégligées qui ne savent pas communiquer.Quels biais ! Finalement, je ne voulais pasarrêter les sciences dures, qui me fasci­naient et m’aidaient à mieux comprendrenotre monde. Je me suis donc inscrite enfac de sciences à Sorbonne Université [ex­Université Pierre­et­Marie­Curie]. Je ne sa­vais pas vers quelle carrière me diriger,mais je voulais suivre ce que j’aimais fairesans trop réfléchir. En pratique, la physiqueet les mathsmènent à tout.

Qu’aimiez­vous faireen dehors de l’université?Pas grand­chose. Pour être honnête, j’avais

énormément de cours et de travail à la mai­son. J’avais peu de moyens financiers, maisj’avais peu de besoins. Je travaillais quelquesheures le dimanche en tant que serveuse etje dépensais cet argent pour acheter desalbums de Muse ou des essais sur l’histoiredes sciences. Je m’autorisais une grossesortie avec mes amis à chaque veille de va­cances scolaires: un dîner, un verre qui seprolongeait parfois dans une boîte de nuit.

Qu’est­ce qui vous a pousséeà vous intéresser à la programmationinformatique?J’ai eu mon premier ordinateur à 18 ans.

Cela peut paraître tard mais, à l’époque, ilscoûtaient cher et Internet n’était pas en­core démocratisé. Cet achat a été tout unrituel, j’ai même conservé ce premier ordi­nateur en souvenir. Mon envie de suivreun cours de sciences informatiques endeuxième année de licence vient de la frus­tration que j’ai ressentie lors de son instal­lation. Je ne comprenais rien aux branche­ments que je faisais, ni même aux termesutilisés dans le manuel. C’est lors de monpremier cours d’informatique que j’ai dé­couvert une science bien plus ancienne, àsavoir l’algorithmique.

Desmentors vous ont­ils guidéedans vos choix d’orientation, en dehorsde votre famille?J’ai rencontré des professeurs à Sorbonne

Université qui m’ont beaucoup inspirée etqui m’ont donné une image rêvée desmaths. Un professeur de physique m’a ditque je faisais partie des meilleurs élèves etqu’il fallait que je candidate à un double

cursus à l’ENS. Je ne connaissais pas toutesces écoles de renom, ni même ce qu’étaitune thèse. Je pensais qu’être docteur signi­fiait être médecin! Nous n’avions pas cetteculture à lamaison.Onm’aensuite conseilléde faire un stage aux Etats­Unis, j’ai dû trou­ver un financement pour m’y rendre. Maisc’est plus tard, en 2009, quand je suis arrivéeaux Etats­Unis pour mon postdoctorat àl’université d’Etat de Pennsylvanie, que j’aieu de réelsmentors.

Vous avez travaillé dans la finance,la médecine, le public puis le secteurprivé. Avez­vous planifié votre carrièreprofessionnelle?Je n’ai jamais vraiment «calculé» mon

parcours universitaire, j’ai toujours choisi ceque j’aimais faire. Par contre, j’ai travaillédur pour être lamieux classée, demanière àélargir les choix qui m’étaient offerts. J’aiautant fait des mathématiques, de la physi­que, de lamécanique quantique, du génie ci­vil, du génie mécanique que des méthodesde résolutions numériques et de la sciencedesmatériaux. J’ai besoinde cettepluridisci­plinarité, qui m’enrichit et me fait interagiravec des gens très différents.Quant à ma carrière professionnelle, j’ai

pu avoir ce parcours car j’ai eu lesmeilleursenseignements en France, et que je n’ai ja­mais payé pour cela. En arrivant aux Etats­Unis, en pleine crise économique, j’ai étéembauchée par un médecin pour un post­doctorat, je ne m’y attendais pas. Les Etats­Unis m’ont donné ma chance, on m’a faitconfiance et je me suis lancée. Au MIT, unde mes mentors m’a dit : «Si on te proposequelque chose, tu prends. Ne refuse jamaisparce que tu ne te sens pas capable.» Lesfemmes ont tendance à croire qu’il fautavoir 100% des compétences pour accepterun travail, les hommes ne mettent pas labarre aussi haut. Alors, je fonce, même si jene suis prête qu’à 30 %.

Vous êtes sur de nombreux projets à lafois. Qu’est­ce qui vous pousse à avancer?J’ai toujoursétéhyperactive.Mais je suisex­

trêmement concentrée dans ce que je fais, cequi me permet de concrétiser et finalisermes projets. On relie encore trop souventhyperactivité et problème de concentration,mais je pense que c’est une erreur. J’ai tou­jours entrepris plusieurs projets à la fois et jecrois que ma formation par la recherche aamplifié ce trait. En recherche, onest flexible,

on fait des choses très différentes sur unemême journée, on travaille et on pense àbeaucoup de choses à la fois. Depuis long­temps je me suis mise à lire deux livres enparallèle, aujourd’hui je vais jusqu’à trois:j’aime passer, dans une même soirée, d’unessai à un roman, puis à une BD.

Vous dites ne pas entrer dansles «catégories standards», notammenten raison de vos origines socialeset de votre genre. En avez­vous souffert?Je n’ai pas ressenti d’influence demes ori­

gines sociales ou de mon genre dans meschoix d’études ou de carrière. J’ai eu lachance d’avoir des grands­parents quim’ont formée et éduquée à m’abstraire deces considérations, pour prendre mes pro­pres décisions. Je reconnais la chance quej’ai eue.Mais, en fin de thèse, j’ai réalisé queselon ses origines sociales, on ne bénéfi­ciait pas du même réseau et donc des mê­mes opportunités professionnelles. J’essaieà mon tour de faire grandir des jeunes quin’ont pas de réseau en leur ouvrant celuique j’ai construit.Dans mon milieu, j’ai souvent été la seule

femme, mais cela n’a jamais été un pro­blème, car mes collègues masculins ont étémes meilleurs avocats et soutiens profes­sionnels. Mais je me suis déjà demandé sij’étais au bon endroit et à la bonne place.C’est un sentiment sur lequel j’ai très vitetravaillé. Il est lié au fameux «syndrome del’imposteur». Quand je réussissais, jeme di­sais que j’avais de la chance ou que les gensallaient se rendre compte qu’ils avaient faitune erreur. Ce sentiment a disparu le jouroù j’ai compris pourquoi j’ai eumon poste àBloomberg: parce que j’avais créé un algo­rithme qui était meilleur que le leur. J’en­courage toujours à demander les raisonspour lesquelles on a été sélectionné. Celaaide à se sentir légitime.

Diriez­vous que vos 20 ans étaientvotre plus bel âge?Sûrement pas ! A 20 ans, j’avais peu de

moyens, peu de liberté et je neme connais­sais pas assez. Monmeilleur moment, c’estmaintenant, et je sais que mes 40 ans se­ront encore mieux. Françoise Sagan disaitque la maturité se reconnaît quand onpasse de l’envie de plaire à celle de partager.Aujourd’hui, je préfère partager. j

propos recueillis parrahma adjadj

Dates-clés1982Naissanceà Clamart(Hauts-de-Seine)2009DoctoratauxMines de Paris2011-2016Post-doctorat auMIT2016Créationde son entreprise,In Silico Veritas2019PublieDe l’autrecôté de laMachine.Voyage d’unescientifique au paysdes algorithmes.

Aurélie Jean. BRUNO DELESSARD/CHALLENGES-REA

«J’ESSAIE ÀMON TOURDE FAIRE GRANDIR

DES JEUNESQUI N’ONTPASDE RÉSEAU EN LEUR

OUVRANT CELUIQUE J’AI CONSTRUIT»

V7Sortie par griveau le 14/05/2020 20:02:46 Date de Publication 16/5/2020