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© MASSON Rev Neurol (Paris) 2004 ; 160 : 10, 917-925 917 C. EVEN et coll. Mémoire Prévalence de la dépression dans la sclérose en plaques. Revue et méta-analyse C. Even 1 , S. Friedman 1 , R. Dardennes 1,2 , M. Zuber 1,2 , J.-D. Guelfi 1,2 1 Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris. 2 Université Paris V René Descartes, UFR Cochin-Port Royal, Paris. Reçu le : 20/11/2003 ; Reçu en révision le : 29/01/2004 ; Accepté le : 19/02/2004. RÉSUMÉ Introduction. L’objectif de cette revue est d’évaluer la fréquence de la dépression au cours de la sclérose en plaques (SEP). Matériel et méthode. Nous avons réalisé une méta-analyse en utilisant deux méthodes de combinaison basées sur les niveaux de signification (p). Résultats. La fréquence de la dépression dans la SEP est significativement plus élevée que dans d’autres pathologies chroniques. Cette méta-analyse fournit un p combiné significatif, indicateur d’un effet de la SEP par rapport à d’autres maladies chroniques sur la fréquence de la dépression. L’importance de cet effet peut être qualifiée de moyen (effet standardisé d de Cohen à 0,29, intervalle de confiance à 95 p. 100 : 0,09-0,49) et est donc probablement cliniquement pertinente. Conclusion. Ce résultat plaide en faveur du caractère spécifique de l’association SEP et dépression qui ne serait donc ni fortuite ni seulement liée aux facteurs non spécifiques de toute maladie chronique. Mots-clés : Sclérose en plaques • Dépression • Méta-analyse • Comorbidité SUMMARY Prevalence of depression in multiple sclerosis: a review and meta-analysis. C. Even, S. Friedman, R. Dardennes, M. Zuber, J.-D. Guelfi, Rev Neurol (Paris) 2004; 160: 10, 917-925. Introduction. The aim of this paper was to review and summarize the data about the frequency of depression during multiple sclerosis (MS). Material and methods. We performed a metaanalysis to combine the results of the studies which compared the frequency of depression in MS patients with the prevalence in patients with other chronic diseases. Eight controlled studies were identified via manual and comput- erized search of the Medline and PsychInfo databases. Given the various ways these studies reported their results, we used statistical procedures based on the combination of significance levels (the method of adding Zs and the method of adding ts). An additional statistical procedure, Cohen’s d, was performed to estimate the effect of size. Results. The two statistical methods yielded highly significant summary statistics: z = 4.15 and z = 3.98, respectively (p < 0.0001). The effect of size (Cohen’s d), which ranged from 0.02 to 0.70 with an average of 0.29 (95 percent confidence interval: 0.09-0.49), can be considered as medium and hence clinically meaningful. Conclusion. These results suggest that the association between MS and depression is specific, that is not just casual nor due to the nonspecific factors inherent in every chronic disease. Keywords: Multiple sclerosis • Depression • Meta-analysis • Comorbidity INTRODUCTION La dépression dans la sclérose en plaques (SEP) a été évoquée par Jean-Martin Charcot il y a plus d’un siècle dans la septième de ses « leçons sur les maladies du sys- tème nerveux faites à la Salpétriêre » (1868). Ce domaine reste aujourd’hui l’objet de multiples questions théoriques et pratiques qui suscitent une profusion de publications. Cette revue se limitera à la question de la fréquence de l’association entre SEP et dépression. Trois degrés possibles d’association peuvent être envisa- gés : association fortuite, la fréquence de la dépression serait alors identique à celle de la population générale ; association non spécifique, la fréquence de la dépression serait alors identique à celle retrouvée dans des maladies chroniques « comparables » et pourrait être une réponse au stress au sens large du terme de toute maladie chronique ou être liée à un accès facilité à des soins spécialisés chez les patients ayant déjà une pathologie chronique ; enfin, asso- ciation spécifique, la fréquence de la dépression serait alors supérieure à celle retrouvée dans des maladies chroniques « comparables ». Pour aider à préciser la nature de cette association, nous avons réalisé une méta-analyse des tra- vaux ayant comparé le taux de dépression au cours de la SEP à celui observé au cours d’autres maladies chroniques invalidantes. Tirés à part : C. EVEN, CMME, Centre Hospitalier Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75674 Paris Cedex 14. E-mail : [email protected]

Prévalence de la dépression dans la sclérose en plaques. Revue et méta-analyse

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Page 1: Prévalence de la dépression dans la sclérose en plaques. Revue et méta-analyse

© MASSON Rev Neurol (Paris) 2004 ; 160 : 10, 917-925 917

C. EVEN et coll.

Mémoire

Prévalence de la dépression dans la sclérose en plaques. Revue et méta-analyse

C. Even1, S. Friedman1, R. Dardennes1,2, M. Zuber1,2, J.-D. Guelfi1,2

1 Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris.2 Université Paris V René Descartes, UFR Cochin-Port Royal, Paris.Reçu le : 20/11/2003 ; Reçu en révision le : 29/01/2004 ; Accepté le : 19/02/2004.

RÉSUMÉIntroduction. L’objectif de cette revue est d’évaluer la fréquence de la dépression au cours de la sclérose en plaques (SEP). Matériel etméthode. Nous avons réalisé une méta-analyse en utilisant deux méthodes de combinaison basées sur les niveaux de signification (p).Résultats. La fréquence de la dépression dans la SEP est significativement plus élevée que dans d’autres pathologies chroniques. Cetteméta-analyse fournit un p combiné significatif, indicateur d’un effet de la SEP par rapport à d’autres maladies chroniques sur la fréquencede la dépression. L’importance de cet effet peut être qualifiée de moyen (effet standardisé d de Cohen à 0,29, intervalle de confiance à95 p. 100 : 0,09-0,49) et est donc probablement cliniquement pertinente. Conclusion. Ce résultat plaide en faveur du caractère spécifiquede l’association SEP et dépression qui ne serait donc ni fortuite ni seulement liée aux facteurs non spécifiques de toute maladie chronique.

Mots-clés : Sclérose en plaques • Dépression • Méta-analyse • Comorbidité

SUMMARYPrevalence of depression in multiple sclerosis: a review and meta-analysis.C. Even, S. Friedman, R. Dardennes, M. Zuber, J.-D. Guelfi, Rev Neurol (Paris) 2004; 160: 10, 917-925.

Introduction. The aim of this paper was to review and summarize the data about the frequency of depression during multiple sclerosis (MS).Material and methods. We performed a metaanalysis to combine the results of the studies which compared the frequency of depressionin MS patients with the prevalence in patients with other chronic diseases. Eight controlled studies were identified via manual and comput-erized search of the Medline and PsychInfo databases. Given the various ways these studies reported their results, we used statisticalprocedures based on the combination of significance levels (the method of adding Zs and the method of adding ts). An additional statisticalprocedure, Cohen’s d, was performed to estimate the effect of size. Results. The two statistical methods yielded highly significant summarystatistics: z = 4.15 and z = 3.98, respectively (p < 0.0001). The effect of size (Cohen’s d), which ranged from 0.02 to 0.70 with an averageof 0.29 (95 percent confidence interval: 0.09-0.49), can be considered as medium and hence clinically meaningful. Conclusion. Theseresults suggest that the association between MS and depression is specific, that is not just casual nor due to the nonspecific factors inherentin every chronic disease.

Keywords: Multiple sclerosis • Depression • Meta-analysis • Comorbidity

INTRODUCTION

La dépression dans la sclérose en plaques (SEP) a étéévoquée par Jean-Martin Charcot il y a plus d’un siècledans la septième de ses « leçons sur les maladies du sys-tème nerveux faites à la Salpétriêre » (1868). Ce domainereste aujourd’hui l’objet de multiples questions théoriqueset pratiques qui suscitent une profusion de publications.Cette revue se limitera à la question de la fréquence del’association entre SEP et dépression.

Trois degrés possibles d’association peuvent être envisa-gés : association fortuite, la fréquence de la dépressionserait alors identique à celle de la population générale ;

association non spécifique, la fréquence de la dépressionserait alors identique à celle retrouvée dans des maladieschroniques « comparables » et pourrait être une réponse austress au sens large du terme de toute maladie chronique ouêtre liée à un accès facilité à des soins spécialisés chez lespatients ayant déjà une pathologie chronique ; enfin, asso-ciation spécifique, la fréquence de la dépression serait alorssupérieure à celle retrouvée dans des maladies chroniques« comparables ». Pour aider à préciser la nature de cetteassociation, nous avons réalisé une méta-analyse des tra-vaux ayant comparé le taux de dépression au cours de laSEP à celui observé au cours d’autres maladies chroniquesinvalidantes.

Tirés à part : C. EVEN, CMME, Centre Hospitalier Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75674 Paris Cedex 14. E-mail : [email protected]

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Les facteurs étiologiques qui peuvent déterminer lesdépressions dans le cadre de la sclérose en plaques neseront pas abordés. Cette question est l’objet d’une abon-dante littérature que nous avons revue dans une précédentepublication (Even et al., 1999).

LE DIAGNOSTIC DE DÉPRESSION DANS LA SEP

Le diagnostic de dépression au cours de la SEP se heurteau problème classique du chevauchement entre symptômesdépressifs et organiques. Un second facteur de difficultéaccroît le problème pour les maladies touchant le systèmenerveux central puisque des troubles cognitifs voisins deceux rencontrés dans la dépression peuvent être présents,tels que des troubles attentionnels et mnésiques. Enfin, untroisième niveau de complexité vient se superposer dans laSEP du fait de l’atteinte des bases neurobiologiques del’affectivité.

Le chevauchement des symptômes — les « chimères » cliniques

Le chevauchement entre symptômes dépressifs et organi-ques peut conduire à deux risques diagnostiques : soitméconnaître une dépression en attribuant les symptômes(fatigue, ralentissement, troubles de concentration) à la mala-die organique (faux négatif), soit construire artificiellementun diagnostic de dépression à partir d’éléments issus de lamaladie physique (faux positif). On peut citer quelquesexemples : insomnie car le patient doit se lever la nuit poururiner, baisse de l’activité sexuelle liée à une impuissanceorganique, retrait social lié au handicap, perte d’intérêt pourdes activités devenues impossibles du fait du handicap, etc.Il est donc possible de construire artificiellement un syn-drome dépressif à partir de ce que Berrios et Quemada(1990) appellent des phénocopies comportementales. Nouspréférons et proposons le terme de « chimère clinique » pourbaptiser ce type de construction. Le terme « chimère » est iciparticulièrement approprié puisqu’il peut être compris dansses deux acceptions : aussi bien en tant qu’illusion, qu’entant qu’entité formée d’éléments d’origines différentes (lessymptômes intrinsèques de la maladie, les conséquencessociales, les aspects émotionnels « normaux » au cours d’unemaladie, etc.).

Plusieurs réponses méthodologiques ont été proposées pourremédier au problème du chevauchement des symptômes. Lapremière d’entre elles consiste à faire une analyse des résul-tats des items somatiques et une autre analyse pour lesitems non somatiques et de vérifier ainsi s’il y a un biais liéaux items somatiques (Minden et al., 1987). La suppressiondes « symptômes somatiques » a également été proposée(Minden et al., 1987). Dans une étude récente, la suppres-sion du critère fatigue du DSM IV, n’avait éliminé qu’uncas, alors que la suppression du critère « déficit de mémoire

et de concentration », n’en avait pas éliminé un seul (Pattenet al., 2000). Pour les entretiens standardisés, Minden etSchiffer (1990), dans un article de recommandations pourla recherche clinique, ont insisté sur les efforts que l’éva-luateur devait faire pour déterminer l’origine dépressive ouorganique d’un symptôme ou d’un comportement. Parexemple, la fatigue dans la SEP, contrairement à la fatiguedépressive, est souvent améliorée par le sommeil et aggra-vée par la chaleur (Patten et Metz, 2000). Pour le question-naire de dépression de Beck à 21 items, des donnéesexpérimentales sont fournies par une étude sur trois grou-pes de patients (dépression, SEP, contrôles sains) (Mohr etal., 1997). La comparaison des scores de chaque itemexprimé en pourcentage du score total a montré que troisitems (fatigue, difficultés professionnelles, préoccupationsconcernant la santé) étaient surtout liés à la SEP. La sup-pression de ces items améliorerait la précision de la mesurede la dépression. Mais le problème de la validation d’unscore seuil pour le diagnostic reste entier. Sullivan et al.(1995 b) ont identifié le score de 13 au questionnaire deBeck comme le plus satisfaisant (avec néanmoins 30 p. 100de faux négatifs) par rapport à un entretien standardiségénérant un diagnostic selon le DSM III-R. Certainsauteurs recommandent l’utilisation d’instruments commel’échelle CES-D où les items psychiques sont prépondé-rants par rapport aux items somatiques (Patten et Metz,2001). Cependant, la solution idéale serait de valider uninstrument diagnostique (existant ou légèrement adapté)par rapport à l’avis d’experts.

L’atteinte des bases neurobiologiques de l’affectivité

Dans la SEP, on peut rencontrer une euphorie organique,une labilité émotionnelle organique voire parfois un « rireet pleurer spasmodique ». Charcot (1868) affirmait dansune leçon consacrée à la sclérose en plaques : « il n’est pasrare de les voir tantôt rire niaisement, sans aucun motif, ettantôt, au contraire, fondre en larmes sans plus de raison ».La perte du contrôle des émotions dans la SEP est connue.Elle répond généralement à une atteinte pseudo-bulbaire ousous-cortico-frontale et atteint environ 10 p. 100 despatients (Surridge, 1969 ; Feinstein et al., 1997).

De plus, une caractéristique émotionnelle est très particu-lière à la SEP : la dissociation entre la composante compor-tementale et la composante subjective de l’émotion. Onpeut en effet modéliser l’émotion selon trois composantes,subjective (ou ressentie), comportementale (observée) etphysiologique (végétative). Un décalage entre l’expressionémotionnelle observée et l’émotion ressentie n’est pas raredans la SEP. Ainsi, un malade affichant un sourire perma-nent peut se sentir triste, un autre pourra pleurer sans raisonet en particulier sans se sentir triste ; la lecture des observa-tions nº 21, 35, 42 et 52 de Cottrell et Wilson (1926) est, àcet égard, très édifiante. Ce décalage entre les composantescomportementale et subjective de l’humeur était présent

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chez 48 des 100 patients étudiés par ces auteurs. De même,parmi les 18/28 patients (64 p. 100) de Sugar et Nadell(1943) souffrant d’un manque de contrôle des émotions, 16déclaraient que leurs expressions faciales n’étaient pascongruentes aux émotions qu’ils ressentaient. Surridge(1969) a également fait mention de ce type de patients quilivrent une première impression de gaieté inadaptée, puisexpriment des sentiments intérieurs tristes. Cela expliqueaussi probablement que Stip et Truelle (1994) aient trouvéla coexistence d’euphorie et de tristesse chez 27 p. 100 deleurs patients. Cette absence de congruence n’est d’ailleurspas inconnue des psychiatres, puisqu’ils la rencontrent enclinique, notamment dans la discordance idéo-affective duschizophrène, dans l’état mixte et dans la mélancolie dite« souriante ». Plus généralement, l’altération émotionnelleorganique n’est pas prise en compte par les instrumentspsychométriques usuels. L’impact de ce biais éventuel pourle diagnostic de dépression mériterait une évaluation expé-rimentale.

LA FRÉQUENCE DE LA DÉPRESSION DANS LA SEP

Source des données

Nous avons procédé à une recherche bibliographiqueinformatisée via Medline (présence des mots « depression »et « multiple sclerosis » dans le titre ou le résumé, de 1966jusqu’à décembre 2001, à l’exclusion des études animales).Nous avons retrouvé plus de 300 articles. Sur la base dedonnées PsychInfo, une recherche complémentaire a per-mis de remonter jusqu’à 1872. Une recherche manuelle àpartir des sections « références » des publications identi-fiées et de deux ouvrages de référence (Halbreich, 1993 ;Feinstein, 1999) a permis d’obtenir des références supplé-mentaires.

Les études sans groupe contrôle

L’examen des titres et résumés a permis de sélectionner27 études qui ont déterminé une fréquence de dépressionsur des échantillons de patients atteints de SEP (Tableau I).Cette recherche peut ne pas avoir été exhaustive dans lamesure où certaines études peuvent avoir eu un objectifprincipal autre que la détermination de la fréquence de laSEP et donc ne pas avoir fait figurer cette donnée dans leurrésumé.

Les deux études les plus anciennes étonnent par lamodernité de leur méthodologie (Cottrell et Wilson, 1926 ;Ombredane, 1929). Ombredane avait recruté ses patients àpartir de plusieurs centres (hôpitaux parisiens) et les avaitévalués à l’aide d’un entretien structuré. Cotrell et Wilsonavaient également utilisé un entretien structuré. Cependant,du fait de la nature du concept de dépression au début dusiècle, ces deux études historiques n’ont évalué quel’humeur dépressive et non l’ensemble syndromique qui

constitue une dépression telle qu’on la caractériseaujourd’hui.

Les résultats, résumés dans le tableau I, apparaissent éle-vés mais varient considérablement, de 0 p. 100 (Noy et al.,1995) à 59 p. 100 (Ombredane, 1929). L’hétérogénéité desrésultats est liée à la diversité des méthodes diagnostiquesutilisées. Certaines études ont évalué rétrospectivement lesantécédents dépressifs depuis le début de la maladie alorsque d’autres se sont attachées aux états dépressifs actuels.Si on ne retient que les 10 travaux (Joffe et al., 1987 ; AriasBal et al., 1991 ; Millefiorini et al., 1992 ; Gilchrist etCreed, 1994 ; Moller et al., 1994 ; Noy et al., 1995 ; Sulli-van et al., 1995a ; Sadovnick et al., 1996 ; Berg et al.,2000 ; Patten et al., 2000) ayant évalué le taux de dépres-sions actuelles avec les meilleurs moyens psychométriques,à savoir les entretiens structurés modernes, les fréquencesobservées restent variables de 4 p. 100 (Patten et al., 2000)à 40 p. 100 (Sullivan et al., 1995a) mais globalement éle-vées. En effet, parmi ces 10 études, seules deux (Noy et al.,1995 ; Patten et al., 2000) ont rapporté des taux de dépres-sions actuelles inférieurs à 10 p. 100, chiffres beaucoupplus élevés que la population générale. L’examen qualitatifdes méthodologies de ces deux études n’a pas permis demettre en évidence des spécificités particulières.

Deux études de prescriptions d’antidépresseurs fournis-sent une source d’information indirecte. Goodin et al.(1999) ont trouvé que 37,3 p. 100 de 168 patients (échan-tillon représentatif des patients atteints de SEP en Califor-nie du Nord) avaient déjà reçu un traitement antidépresseur.Dans une analyse rétrospective, 51/238 (22 p. 100) patientsavaient reçu un antidépresseur durant les 4 dernières années(Scott et al., 1996). L’importance de ces chiffres doit êtreinterprétée avec prudence car les antidépresseurs ont puêtre prescrits pour une indication autre qu’une dépression,notamment dans le contexte d’une SEP pour des douleursd’origine centrale. Mais elle suggère un poids important dela dépression dans la SEP, au moins tel que perçu par lesprescripteurs.

Les études avec groupe contrôle

Quelques études ont utilisé des contrôles sains (Baldwin,1952 ; Schiffer et al., 1983 ; Rao et al., 1991 ; Mohr et al.,1997). Les chiffres élevés retrouvés confirment les résultatsdes études sans groupe contrôle, dont l’examen montre quela dépression est plus fréquente que dans la populationgénérale, phénomène régulièrement observé dans les mala-dies organiques chroniques (Kathol et Petty, 1981). Uneétude a comparé des patients atteints de SEP et des patientsde médecine générale. Ces derniers, probablement nom-breux à ne souffrir que de troubles plus bénins ou aigus,avaient des scores de dépression significativement moinsélevés (Verdier-Taillefer et al., 2001). Mais seules lesétudes utilisant un groupe contrôle de patients atteintsd’une autre maladie chronique sont à même de montrer lecaractère spécifique, tel que défini dans l’introduction, de

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Tableau I. – Études non contrôlées de la fréquence de la dépression dans la SEP.Uncontrolled studies on the frequency of depression in MS.

Étude Nombre de patients Méthode diagnostique Fréquence de la dépression (p. 100)

Cottrell et Wilson (1926) 100 (hospitalisés) Entretien structuré original 10/100 : humeur dépressive

Ombredane (1929) 39 (hospitalisés) Entretien structuré original 23/39 (59) : humeur dépressive

Sugar et Nadell (1943) 28 (hospitalisés) Entretien de Cottrell et Wilson modifié 5/28 (18) : humeur dépressive

Braceland et al. (1950) 75 Entretien clinique 14/75 (20) : humeur dépressive

Kahana et al. (1971) 295 patients recensés en Israël entre 1960 et 1966

Entretien clinique ou étude de dossier 18/295 (6) déprimés ou suicidés

Baretz et Stephenson (1981)

40 Entretien clinique 13/40 (32,5) dépressions « patentes »

Schiffer et al. (1983) 30 SADS-LV** modifié (DSM III) 11/30 (37) dépressions depuis le début de la SEP

Mc Ivor et al. (1984) 120 (formes spinales) Beck Depression Inventory (BDI) Score moyen : 22,03

Lyon-caen et al. (1986) 21 SEP et 9 NORB* Critères DSM III sur entretien simple 11/30 (37) dépressions actuelles

Joffe et al. (1987) 100 SADS LV** (RDC***) 14/100 dépressions actuelles ; 25/100 après la SEP

Minden et al. (1987) 50 SADS LV** (RDC***) ; BDI 20/50 (40) dépressions depuis la SEP ; 20/50 (40) Beck > 14

Arias-Bal et al. (1991) 50 Clinical Interview Schedule 11/50 (22) dépressions actuelles

Millefiorini et al. (1992) 18 (SEP rémittentes depuis moins de 5 ans)

SCID# 6/18 (33) dépressions actuelles

Möller et al. (1994) 25 SCID# 4/25 (16) dépressions actuelles

Gilchrist et Creed (1994) 24 patients d’un essai thérapeutique

Clinical Interview Schedule avec diagnostics CIM 9‡

8/24 (33) dépressions névrotiques

Filippi et al. (1994) 42 HRDS§ 9/42 (9) scores « anormaux »à l’HDRS§

Noy et al. (1995) 20 (formes rémittentes) Entretien structuré pour DSM III-R HDRS§

0 (0) dépression actuelle. Score > à 13 chez 50 p. 100 des patients à l’HDRS§

Sullivan et al. (1995a) 45 (récemment diagnostiqués) Diagnostic Interview Schedule, pour DSM III-R

18/45 (40 p. 100) dépressions majeures actuelles

Sadovnick et al. (1996) 221 (sans handicap sévère) SCID# 76/221 (34,4) dépressions actuelles ou sur la vie entière

Pujol et al. (1997) 45 Questionnaire de Beck 7/45 (15,5) scores > 17

Feinstein et al. (1999) 152 (vus en visite annuelle) Hospital and Anxiety Depression Scale (HAD)

21/152 (14) dépressions (score HAD > 10)

Berg et al. (2000) 78 Entretien structuré pour DSM IV 31/78 (40) dépressions actuelles

Patten et al. (2000),Wang et al. (2000)

136 Composite International Diagnostic Interview

4 p. 100 de dépression actuelle (DSM IV) et 22,8 p. 100 sur la vie entière

Polliack et al. (2001) 30 (SEP à début tardif) SCID# 7/30 (23)dépressions majeures dans les 4 ans après le diagnostic

Patten et Metz (2001) Sous-groupe de 77 patients d’un essai thérapeutique

Échelle dépression du CESd 34/77 (44) patients au-dessus du score seuil

Feinstein et Feinstein (2001)

100 (vus en visite annuelle) SCID# 17/100 dépressions actuelles

*NORB : Névrite Optique Rétro-Bulbaire ; **SADS LV : Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia Lifetime Version ; ***RDC : Research DiagnosticCriteria ; SCID# : Structured Clinical Interview for DSM ; ‡ CIM 9 : Classification internationale des maladies, neuvième édition ; § HDRS : Hamilton DepressionRating Scale ; dCES : Center for Epidemiological studies.

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l’association SEP et dépression. L’une d’entre elles étaitrétrospective et confrontait les registres psychiatriqueslocaux aux dossiers de tous les patients vus à l’hôpital deRochester pour une SEP, une sclérose latérale amyotrophi-que (SLA) ou une épilepsie temporale entre 1965 et 1978(Schiffer et Babigian, 1984). Les patients atteints de SLAont très peu de contacts psychiatriques et les sujets souf-frant de SEP présentent significativement (p < 0,5) plus detroubles dépressifs que les patients ayant une épilepsie tem-porale.

Une méta-analyse a tenté de synthétiser les résultats desétudes avec groupe contrôle (Schubert et Foliart, 1993).Cependant, les études utilisant des contrôles sains et cellesutilisant des contrôles malades y ont été mélangées alorsque ces deux types d’études répondent à deux questions dif-férentes. Cette méta-analyse (Schubert et Foliart, 1993) aomis deux études pertinentes (Pratt, 1951 ; Ron et Logsdail,1989) et a inclus une étude redondante (Dalos et al., 1983)avec une autre déjà incluse (Rabins et al., 1986). Elle aomis de vérifier l’homogénéité statistique de l’échantillond’études et n’a pas explicité le mode de calcul de l’effetstandardisé et comporte plusieurs erreurs (erreur dans lecalcul du p exact de l’étude de Surridge, p exact retenu pourl’étude de Whitlock ne correspondant pas à la bonne varia-ble dépendante). Enfin, trois études pertinentes ont étépubliées depuis (Tedman et al., 1997 ; Salmaggi et al.,1998 ; Zorzon et al., 2001). Il était donc opportun de

reprendre l’approche méta-analytique du problème en selimitant au groupe homogène des études prospectives ayantun groupe contrôle composé de malades. Les paragraphessuivants sont consacrés à l’exposé de cette méta-analyse.

Sélection des études

Au moyen de la recherche bibliographique décrite plushaut, nous avons recensé neuf études prospectives avec ungroupe contrôle constitué de malades chroniques, surtoutneurologiques (Pratt, 1951 ; Surridge, 1969 ; Whitlock etSiskind, 1980 ; Dalos et al., 1983 ; Rabins et al., 1986 ;Ron et Logsdail, 1989 ; Tedman et al., 1997 ; Salmaggi etal., 1998 ; Zorzon et al., 2001). Deux études comportaientprobablement des malades communs (Dalos et al., 1983 ;Rabins et al., 1986). La règle dans ce cas est de ne garderpour une méta-analyse que la publication la plus récente.Nous avons donc exclu l’étude de Dalos et al. pour neconserver que huit études indépendantes (Tableau II).L’étude la plus ancienne (Pratt, 1951) n’évalue que le sen-timent global du patient d’être plus déprimé ou non depuissa maladie alors que les autres études évaluent la dépres-sion de manière plus approfondie, en tant qu’ensemble syn-dromique. Nous avons quand même inclus cette étude, maisavons décidé a priori de faire un deuxième calcul méta-analytique en l’excluant.

Tableau II. – Études contrôlées de la fréquence de la dépression dans la SEP.Controlled studies on the frequency of depression in MS.

Études Échantillons Méthodes diagnostiques Résultats*

Pratt (1951) 100 SEP, 100 contrôles neurologiques

Entretien semi-structuré 45/100 plus déprimés depuis la SEP, 44/100 chez contrôles (p = 0,89)

Surridge (1969) 108 SEP, 39 dystrophies musculaires

Entretiens avec le sujet et un proche

29/108 (27 p. 100) déprimés contre 5/39 (13 p. 100) des contrôles, p > 0,05

Whitlock et Siskind (1980) 30 sujets, 30 contrôles neurologiques chroniques appariés pour âge et sexe

Entretien semi-structuré pour les antécédents dépressifs. Beck Depression Inventory (BDI)

16/30 (53 p. 100) déprimés vs5/30 (13 p. 100) des contrôles8/30 vs 1/30 ont un BDI > 15

Rabins et al. (1986) 87 SEP, 16 traumatisés médullaires stabilisés

Sous-échelle dépression du General Health Questionnaire

Scores + élevés pour SEP : (p = 0,14)

Ron et Logsdail (1989) 116 SEP, 48 handicapés (cause rhumatologique ou neurologique périphérique)

Clinical Interview Schedule BDI 18/116 dépressions actuelles vs 2/48 (Khi2 = 4,085 ; p = 0,043) ; BDI : z = 4,73 (p < 0,0001)

Tedman et al. (1997) 92 SEP, 40 SLA BDI et Hospital Anxiety and Depression Scale (HAD)

Scores au BDI (p = 0,99) ; scoresHAD (p = 0,67) ; 4,5 p. 100 (4/92) contre 0 p. 100 (0/40) de dépressions sévères selon score seuil au BDI (p = 0,46)

Salmaggi et al. (1998) 65 SEP, 31 polyneuropathies Entretien structuré pour le DSM IV Plus de dépressions actuelles ou passées chez SEP (p < 0,001)

Zorzon et al. (2001) 95 SEP, 97 polyarthrites rhumatoïdes

DSM IV, entretien non structuré 18,9 p. 100 dépressions actuelles vs 16,5 p. 100 (p = 0,63)

* Les résultats en italiques n’ont pas été intégrés dans la méta-analyse.

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Analyse qualitative

Toutes les études concernent des échantillons cliniquesissus d’un centre unique, généralement spécialisé, dont onne sait pas s’ils sont représentatifs. Le mode de recrutementconcerne des patients consécutifs dans trois études (Rabinset al., 1986 ; Ron et Logsdail, 1989 ; Zorzon et al., 2001),il est fait par tirage au sort de patients consécutifs dansl’étude de Pratt (1951) et il n’est pas précisé dans quatreétudes (Surridge, 1969 ; Whitlock et Siskind, 1980 ; Ted-man et al., 1997 ; Salmaggi et al., 1998). Quand le modede recrutement n’est pas précisé, on peut suspecter que lespatients inclus soient ceux qui ont une bonne relation avecleur médecin ou une caractéristique psychologique ousociale particulière associée au fait d’être recruté. On peutdonc craindre que les centres où ont eu lieu les étudesn’accueillent pas des patients représentatifs, et qu’au seinde certains de ces centres, les patients recrutés ne soient pasreprésentatifs du centre. De plus, il existe un autre biaisméthodologique constant, à savoir que l’évaluateur est sys-tématiquement averti du statut neurologique du patient(SEP ou autre maladie).

Dans le but de déterminer la spécificité de l’associationSEP et dépression, il faudrait pouvoir affirmer que lesmaladies dont souffrent les contrôles sont pourvoyeusesd’une « quantité de stress » comparable à celle de la SEP,au moins au moment où les patients sont examinés. Lechoix du groupe contrôle est donc toujours discutable.

La prescription dans la SEP de médicaments potentielle-ment dépressogènes peut aussi constituer un biais. Ce ris-que est avéré pour les corticoïdes (Lewis et Smith, 1983) eta été évoqué pour l’interféron- (Feinstein, 2000). Il sem-ble néanmoins qu’un lien entre dépression et interféron-ait été écarté (Patten et Metz, 2001 ; Patten et Metz, 2002).Quoi qu’il en soit, le biais des traitements par corticoïdesou interféron a été diversement pris en compte dans notreéchantillon d’études. Trois études ont été réalisées aprèsl’utilisation de l’interféron dans la SEP (Tedman et al.,1997 ; Salmaggi et al., 1998 ; Zorzon et al., 2001), mais iln’y est pas fait mention de ce traitement. Les deux étudesles plus anciennes n’ont pas pris en compte le biais poten-tiel des traitements corticoïdes (Pratt, 1951 ; Surridge,1969). Dans les trois études restantes (Whitlock et Siskind,1980 ; Rabins et al., 1986 ; Ron et Logsdail, 1989), ladépression n’était pas surreprésentée chez les patients souscorticoïdes par rapport à ceux qui n’étaient pas sous corti-coïdes. Dans une étude, l’utilisation de corticoïdes oud’ACTH dans le mois précédent était un critère d’exclusion(Zorzon et al., 2001). Enfin, dans l’étude de Salmaggi etal., (1998), les épisodes reliés à la prise de corticoïdesn’étaient pas comptabilisés.

Extraction des données

Nous avons extrait les résultats de chaque étude avecdeux règles établies a priori lorsque plusieurs variables

dépendantes étaient utilisées par les auteurs (ou utilisablesà partir des données fournies dans l’article) :

1) choisir les variables portant sur les taux de dépressionsactuelles plutôt que sur les antécédents dépressifs depuis ledébut de la maladie (du fait de la moindre fiabilité des dia-gnostics rétrospectifs) ;

2) choisir les résultats portant sur les fréquences obser-vées de dépression (éventuellement déterminées à partir descores seuil à des échelles ou questionnaires de dépression)plutôt que sur des scores moyens de dépression sur deséchantillons de patients dont la plupart ne sont pas dépri-més et pour lesquels ces scores n’ont donc que peu de vali-dité.

Les variables dépendantes utilisées pour chaque étudepour les calculs sont celles qui sont en italiques dans lacolonne « résultat » du tableau II.

Synthèse des données (méta-analyse)

Nous avons vérifié l’homogénéité statistique des huit étu-des par la méthode de Rosenthal et Rubin (1979) (p = 0,28).Bien qu’il soit peu puissant, ce test est en faveur du caractèrestatistiquement licite de la synthèse méta-analytique de cesétudes. Nous avons combiné les résultats des études selon laméthode d’addition des z, aussi appelée méthode Stouffer(Rosenthal, 1978 ; Sacks et al., 1987 ; Rosenthal, 1991), telque l’avaient fait Schubert et Folliart (1993). Nous avonségalement utilisé la méthode d’addition des t (Rosenthal,1978). Ces méthodes, basées sur les niveaux de signification(p exacts) des études sélectionnées, ont été utilisées car lesrésultats des études étaient rapportés de manière hétérogène(différences de proportion, différences de moyennes). Avecchacune de ces méthodes, les p combinés obtenus étaientsignificatifs (p < 0,0001) et très voisins (Tableau III).

« L’effect size » ou « effet standardisé » quantifie l’impor-tance de l’effet observé au moyen d’une grandeur standardi-sée comparable d’une étude à l’autre. Dans cette étude,l’effet est celui de la SEP sur la fréquence de survenue de ladépression. Une mesure communément utilisée de l’effetstandardisé est le d de Cohen (1969) donnée par la formule2 t/dl où dl est le degré de libertés et t est le t de Student quel’on obtient facilement à partir du p exact de chaque étude.L’effet standardisé ainsi mesuré est considéré comme petitlorsqu’il est voisin de 0,1, moyen lorsqu’il est voisin de 0,3et grand lorsqu’il est voisin de 0,5 (Cohen, 1969). L’effetstandardisé des différentes études va de 0,02 à 0,701 pour uneffet standardisé moyen de 0,29, intervalle de confiance à95 p. 100 : 0,09-0,49 (Tableau III).

Les études publiées ne sont pas toujours représentativesde l’ensemble des études (publiées et non publiées), carelles comportent souvent une proportion surévaluée d’étu-des ayant trouvé des résultats significatifs. Il est nécessairede quantifier l’impact de ce biais de publication sur lesrésultats d’une méta-analyse. Pour ce faire, nous avons cal-culé le nombre d’études négatives non publiées qu’il fau-drait pour que le p combiné ne soit plus significatif [( z)2/

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2,706] – k, où k est le nombre d’études incluses dans laméta-analyse (Rosenthal, 1991). Ainsi trouve-t-on qu’ilfaudrait 39 études négatives, chiffre plus élevé que le seuilde tolérance de 5k + 10 (soit 50 études pour le cas présent)proposé par Rosenthal (1991). Cependant, ce seuil de tolé-rance n’est qu’indicatif et il est fort improbable que dans ledomaine concerné, 39 études non publiées aient été réali-sées.

L’analyse secondaire utilisée (calculs refaits en excluantl’étude de Pratt) a donné des résultats identiques (p < 0,0001)par la méthode d’addition des t comme par la méthode d’addi-tion des z.

CONCLUSION

Les études sans groupe contrôle montrent que la dépres-sion est plus fréquente dans la SEP que dans la populationgénérale. Cependant, la variabilité des résultats, même sil’on ne retient que les études méthodologiquement les plussophistiquées, empêche de quantifier précisément ce phé-nomène. Les études avec groupe contrôle ont cherché àdéterminer si cette vulnérabilité était plus marquée quedans d’autres maladies organiques chroniques. L’examenqualitatif des résultats des huit études contrôlées retenuespour cette méta-analyse montre que toutes trouvent davan-tage de dépressions chez les patients atteints de SEP quechez les contrôles, et ce de manière statistiquement signifi-cative pour trois d’entre elles (Whitlock et Siskind, 1980 ;Ron et Logsdail, 1989 ; Salmaggi et al., 1998). Le résultatquantifié de la méta-analyse montre que la fréquence de ladépression est plus élevée dans la SEP que dans les mala-dies auxquelles elle a été comparée. L’importance de cettedifférence peut être qualifiée de moyenne (effet standardisévoisin de 0,3) et est donc probablement cliniquement perti-nente. Une seule étude rapporte des taux de dépressionsactuelles déterminés par un entretien structuré (Ron et

Logsdail, 1989). Cette étude qui donne un résultat signifi-catif et qui portait sur un nombre important de patients(n = 164), paraît méthodologiquement la plus satisfaisante.Le résultat de la méta-analyse va donc dans le même sensque celui de l’étude la plus forte méthodologiquement, cequi en conforte la conclusion. Il plaide en faveur du carac-tère spécifique de l’association SEP et dépression qui neserait donc ni fortuite, ni seulement liée aux facteurs nonspécifiques de toute maladie chronique.

Cette spécificité peut s’expliquer, soit par le génie proprede la maladie, soit parce que le stress bien particulier d’unemaladie évoluant par poussées aléatoires serait, en analogieavec un modèle d’impuissance apprise, plus dépressogène,soit enfin du fait d’une vulnérabilité génétique communeaux deux pathologies. Préciser la part relative de ces fac-teurs explicatifs est probablement l’un des enjeux desrecherches futures dans ce domaine.

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Tableau III. – Fréquence de la dépression dans la SEP : synthèse méta-analytiques des études contrôlées.Frequency of depression in MS: metaanalysis of the controlled studies.

Étude p bilatéral z unilatéral t Effet standardisé

Pratt (1951) 0,89 0,14 0,14 0,020

Surridge (1969) 0,075 1,78 1,79 0,298

Whitlock et Siskind (1980) 0,03 2,17 2,22 0,584

Rabins et al. (1986) 0,28 1,07 1,08 0,214

Ron et Logsdail (1989) 0,043 2,02 2,04 0,320

Tedman et al. (1997) 0,46 0,74 0,74 0,129

Salmaggi et al. (1998) < 0,001 3,29 3,40 0,701

Zorzon et al. (2001) 0,66 0,45 0,45 0,065

Synthèse p combiné : p = 0,00003*p = 0,00007**

z combiné : z = 4,15*z = 3,98**

Effet standardisé moyen : 0,29 [0,09-0,49]

* Résultat par la méthode d’addition des t ; ** résultat par la méthode d’addition des z.

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