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Nutrition clinique et métabolisme 23 (2009) 16–18 Revues générales Prise en charge nutritionnelle en oncogériatrie Nutrition in geriatric oncology Olivier Guérin Pôle de gérontologie, CHU de Nice, hôpital de Cimiez, 4, avenue Reine-Victoria, 06100 Nice, France Rec ¸u le 20 octobre 2008 ; accepté le 20 novembre 2008 Disponible sur Internet le 27 février 2009 Résumé L’évaluation de l’état nutritionnel des patients âgés atteints de cancer est capitale avant toute décision de stratégie thérapeutique. Elle s’inscrit dans une évaluation gériatrique globale du patient dont le but est d’identifier des fragilités qui risquent d’interférer avec le pronostic de la maladie elle-même et la tolérance des traitements. Cette évaluation initiale permet d’adapter un plan de soins personnalisé pour le patient âgé atteint de cancer. Le bilan d’évaluation de l’état nutritionnel n’est pas spécifique : il associe des paramètres anthropométriques, des grilles d’évaluation, des données biologiques, des paramètres diététiques. Ce diagnostic de dénutrition ou de risque de dénutrition est capital, car cette dénutrition est un facteur de risque de toxicité des traitements et d’altération de la qualité de vie. Or la renutrition a un impact bénéfique sur la qualité de la réponse aux traitements ainsi que sur la qualité de vie des patients âgés atteints de cancer. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Malnutrition ; Sujet âgé ; Cancer ; Évaluation nutritionnelle Abstract Determination of the nutritional status of elderly patients with cancer is essential before to make any decision of therapeutic strategy. It is part of a comprehensive geriatric assessment of the patient whose purpose is to identify frailty that may interfere with the development of the disease and tolerance of treatments. This initial assessment allows for a personalized healthcare for the elderly patient with cancer. Determination of nutritional status combines anthropometric indexes, evaluation of biological data and measure of food intake. The diagnosis of malnutrition or risk of malnutrition is crucial because this is a risk factor for toxicity of the treatment and impaired quality of life. Refeeding has a beneficial impact on the efficiency of the treatment and quality of life of patients with cancer. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Malnutrition; Elderly; Cancer; Nutritional assessment 1. Introduction En France, 70 % des décès par cancer surviennent après 65 ans. Le cancer est la première cause de mortalité entre 65 et 79 ans et la seconde après 80 ans, âge à partir duquel se sont les maladies cardiovasculaires qui représentent la cause princi- pale de décès. C’est également la seule cause de mortalité qui progresse actuellement dans ces tranches d’âges ! Cette revue a fait l’objet d’une presentation lors des Journées de Printemps de la SFNEP à Rouen les 19 et 20 juin 2008. Adresse e-mail : [email protected]. Par ailleurs, le vieillissement de la population franc ¸aise est une réalité désormais bien connue. Ainsi, il y aura, en France, 18 millions de personnes âgées de plus de 60 ans et six millions de plus de 75ans en 2020. L’espérance de vie à la naissance sera de 90 ans en 2020. Elle aura ainsi doublé en 150 ans. La moitié des nouveau-nés de sexe féminin qui naît aujourd’hui sera centenaire... De plus, l’espérance de vie par tranche d’âge, de même que l’espérance de vie sans incapacité augmentent, y compris pour les tranches d’âge les plus avancées. Ainsi, de nos jours, un franc ¸ais sur quatre âgé de 80 ans atteindra l’âge de 100 ans. Cette évolution épidémiologique n’est pas suffisamment prise en compte dans la pratique clinique des cancérologues 0985-0562/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2008.11.001

Prise en charge nutritionnelle en oncogériatrie

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Nutrition in geriatric oncology

Olivier GuérinPôle de gérontologie, CHU de Nice, hôpital de Cimiez, 4, avenue Reine-Victoria, 06100 Nice, France

Recu le 20 octobre 2008 ; accepté le 20 novembre 2008Disponible sur Internet le 27 février 2009

ésumé

L’évaluation de l’état nutritionnel des patients âgés atteints de cancer est capitale avant toute décision de stratégie thérapeutique. Elle s’inscritans une évaluation gériatrique globale du patient dont le but est d’identifier des fragilités qui risquent d’interférer avec le pronostic de la maladielle-même et la tolérance des traitements. Cette évaluation initiale permet d’adapter un plan de soins personnalisé pour le patient âgé atteint deancer. Le bilan d’évaluation de l’état nutritionnel n’est pas spécifique : il associe des paramètres anthropométriques, des grilles d’évaluation, desonnées biologiques, des paramètres diététiques. Ce diagnostic de dénutrition ou de risque de dénutrition est capital, car cette dénutrition est unacteur de risque de toxicité des traitements et d’altération de la qualité de vie. Or la renutrition a un impact bénéfique sur la qualité de la réponseux traitements ainsi que sur la qualité de vie des patients âgés atteints de cancer.

2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ots clés : Malnutrition ; Sujet âgé ; Cancer ; Évaluation nutritionnelle

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Determination of the nutritional status of elderly patients with cancer is essential before to make any decision of therapeutic strategy. It is partf a comprehensive geriatric assessment of the patient whose purpose is to identify frailty that may interfere with the development of the diseasend tolerance of treatments. This initial assessment allows for a personalized healthcare for the elderly patient with cancer. Determination of

utritional status combines anthropometric indexes, evaluation of biological data and measure of food intake. The diagnosis of malnutrition or riskf malnutrition is crucial because this is a risk factor for toxicity of the treatment and impaired quality of life. Refeeding has a beneficial impactn the efficiency of the treatment and quality of life of patients with cancer.

2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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eywords: Malnutrition; Elderly; Cancer; Nutritional assessment

. Introduction

En France, 70 % des décès par cancer surviennent après5 ans. Le cancer est la première cause de mortalité entre 65t 79 ans et la seconde après 80 ans, âge à partir duquel se sont

es maladies cardiovasculaires qui représentent la cause princi-ale de décès. C’est également la seule cause de mortalité quirogresse actuellement dans ces tranches d’âges !

� Cette revue a fait l’objet d’une presentation lors des Journées de Printempse la SFNEP à Rouen les 19 et 20 juin 2008.

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985-0562/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.nupar.2008.11.001

Par ailleurs, le vieillissement de la population francaise estne réalité désormais bien connue. Ainsi, il y aura, en France,8 millions de personnes âgées de plus de 60 ans et six millionse plus de 75 ans en 2020. L’espérance de vie à la naissanceera de 90 ans en 2020. Elle aura ainsi doublé en 150 ans. Laoitié des nouveau-nés de sexe féminin qui naît aujourd’hui

era centenaire. . . De plus, l’espérance de vie par tranche d’âge,e même que l’espérance de vie sans incapacité augmentent,compris pour les tranches d’âge les plus avancées. Ainsi, de

os jours, un francais sur quatre âgé de 80 ans atteindra l’âge de00 ans.

Cette évolution épidémiologique n’est pas suffisammentrise en compte dans la pratique clinique des cancérologues

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ctuellement. Ainsi, les essais thérapeutiques ont habituellementne limite supérieure d’âge à l’inclusion arbitrairement fixée à5 ans. Il en découle des schémas et des protocoles thérapeu-iques appliqués aux cancéreux âgés qui ne sont pas validés poures patients concernés. Il persiste en effet de nombreux écueils,ant en termes d’évaluation gériatrique préthérapeutique que deroyances familiales ou médicales sur l’inutilité de proposer unraitement spécifique aux patients de cette population.

. Principes de l’évaluation en oncogériatrie

Les objectifs essentiels d’une collaboration oncogériatriqueont assurément de pouvoir permettre d’identifier les patientsusceptibles de pouvoir bénéficier d’un traitement optimal et deavoriser le maintient d’une bonne qualité de vie. Les patientse doivent plus être exclus des programmes de traitement parhimiothérapie sur le simple fait de leur âge.

L’une des difficultés actuelle rencontrée par les onco-ogues, devant la proportion toujours croissante de patientsgés se présentant en consultation, est de pouvoir bénéficier’une évaluation gériatrique par définition multidimensionnelle,édico-psychosociale, permettant d’éclairer et de renforcer

a décision thérapeutique prise en réunion de concertationluridisciplinaire. L’évaluation gériatrique standardisée permet’identification des grands syndromes gériatriques, d’estimer laualité de vie ainsi que l’espérance de vie qui doivent être connuse l’oncologue pour mieux les confronter aux caractéristiques dea maladie tumorale. L’évaluation gériatrique est un processusiagnostique permettant d’appréhender de facon systématiquees problèmes et les ressources tant sur le plan médical queonctionnel ou psychosocial du sujet âgé qui nous est confié.on objectif est d’établir des objectifs de prise en charge enavorisant l’amélioration des certitudes diagnostiques, en iden-ifiant les priorités de prise en charge, en proposant des schémashérapeutiques tenant compte du pronostic et des modalités deuivi.

. Place de l’évaluation nutritionnelle

Au sein de cette évaluation multidimensionnelle à laecherche de fragilités, le bilan nutritionnel est capital. En effet,es maladies cancéreuses sont un facteur de risque majeur deénutrition à tout âge (par la cachexie cancéreuse, la consom-ation liée à la croissance tumorale et à ses particularitésétaboliques, la dépression très fréquente de manière conco-itante, les effets asthéniants et digestifs des traitements,

’existence de troubles de la déglutition). En outre, la préva-ence de la dénutrition est fréquente après 65 ans (de 4 à 10 % dea population générale à cet âge, selon les études). La conjonc-ion de ces deux données explique la prévalence très importantee la dénutrition chez le sujet âgé atteint de cancer.

Le bilan d’évaluation de l’état nutritionnel n’est pas spé-ifique : il associe des paramètres anthropométriques (poids,

MC), des grilles d’évaluation (la plus utilisée étant le Miniutritional Assessment [MNA]), des données biologiques (albu-inémie, pré-albuminémie, CRP), des paramètres diététiques

évaluation des ingestas par questionnaire semi-quantitatif).

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es critères de diagnostic de la dénutrition sont ceux des recom-andations HAS d’avril 2007 [1]. Une notion importante est

ue si cette évaluation est la même pour tous les patients, sonnterprétation est différente en fonction des localisations et destades de la maladie cancéreuse. C’est tout l’intérêt de la dis-ussion en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), quiermet d’avoir une vision complète à la fois des caractéristiquese l’individu (rôle majeur de l’EGS en oncogériatrie) et desaractéristiques de la maladie (stade, pronostic, effets secon-aires des traitements proposés). La fragilité nutritionnelle n’aas le même poids chez un sujet âgé qui présente un cancer de’œsophage localement avancé et chez un autre qui a un cancere prostate de bas grade de malignité.

. La dénutrition est-elle un facteur de risque deoxicité ?

Les études portant sur une population gériatrique atteinte deancer sont rares, mais certaines ont porté sur la tolérance desraitements anticancéreux, notamment radio- et chimiothérapie.our Aapro et al. [2], le principal facteur de risque de toxicitées chimiothérapies est le nombre et la sévérité des comorbi-ités. Mais, l’impact de la dénutrition est cependant prouvé.reyer et al. [3] ont retrouvé ainsi que la dénutrition est lerincipal facteur de risque de neutropénie fébrile chez le sujetgé, toxicité particulièrement grave des chimiothérapies. Dansne population âgée, la perte de poids est corrélée à un trai-ement par chimiothérapie plus bref [4]. Cependant, le critèrehoisi pour diagnostiquer la dénutrition joue sur les résultatses études : ainsi, pour Extermann et al. [5], sur une populatione 59 patients, de plus de 70 ans, atteints de cancers colo-ectaux, seins, lymphomes, prostates, ovaires, génito-urinaires,yélomes et mélanomes, en première et seconde lignes de chi-iothérapie, la toxicité limitante était non reliée au score duNA.

. La dénutrition est-elle un facteur pronostique ?

Les résultats existants pour répondre à cette question sontans équivoque : la dénutrition aggrave le pronostic des maladiesancéreuses pour les sujets âgés. Cependant, l’importance de’altération du pronostic est différente, selon les localisations :lle est très importante pour les cancers digestifs [4], notammentarce que les traitements ne peuvent être réalisés de manièreptimale et pour les cancers du poumon [6].

. La renutrition a-t-elle un impact bénéfique ?

Une prise en charge nutritionnelle des sujets âgés can-éreux améliore la réponse aux traitements par chirurgie,adiothérapie et chimiothérapie (taux de réponses complètes,éponses partielles, survie sans progression), car elle diminuees toxicités de la chimiothérapie et de la radiothérapie,

insi que la morbimortalité chirurgicale [7]. Cependant, elle’a pas d’impact sur la survie des sujets âgés cancéreux8]. Cependant, le but recherché notamment pour les sujetsgés vulnérables en cancérologie n’est pas la survie, mas la
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8 O. Guérin / Nutrition cliniqu

ualité de vie. Or, les patients bénéficiant d’un soutienutritionnel sont plus satisfaits de la prise en charge que lesersonnes en soins usuels en radiothérapie et cette démarche deenutrition (basée sur un programme individualisé) est efficacear les patients conservent un meilleur statut nutritionnel9].

. Conclusion

Une excellente revue de la littérature sur cancer, âge et nutri-ion de l’équipe du Pr Bourdel-Marchasson et al. [10] est àecommander. La fragilité nutritionnelle impacte gravement leronostic et les possibilités thérapeutiques lors des maladiesancéreuses chez le sujet âgé, mais également leur qualité deie. Mais, elle ne peut se concevoir isolément chez des sujetsulnérables qu’il faut appréhender de manière globale. C’estout l’intérêt de l’approche oncogériatrique et de l’évaluationériatrique globale avant toute décision de stratégie thérapeu-ique. Le but est d’anticiper les décompensations des fragilitésdentifiées et de mettre en place des interventions individua-isées. L’intervention nutritionnelle a ainsi sa place aux côtése l’intervention sociale (mise en place d’aides au domicile),onctionnelle (maintien de l’autonomie), cognitive (éviter lesyndromes confusionnels chez les patients atteints, notammente maladie d’Alzheimer), traiter une dépression, pallier aux

éficits sensoriels, revoir l’ordonnance afin de limiter la poly-édicamentation et le risque iatrogène, stabiliser au mieux les

athologies chroniques du patient ou encore limiter le risque dehute.

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éférences

[1] Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chezla personne âgée. Recommandations avril 2007. www.has-sante.fr.

[2] Aapro MS, Cameron DA, Pettengell R, et al. EORTC guidelines forthe use of granocyte-colony stimulating factor to reduce incidence ofchemotherapy-induced febrile neutropenia in adult patients with lympho-mas and solid tumours. Eur J Cancer 2006;42:2433–53.

[3] Freyer G, Geay JF, Touzet S, et al. Comprehensive geriatric assess-ment predicts tolerance to chemotherapy and survival in elderly patientswith advanced ovarian carcinoma: a GINECO study. Ann Oncol2005;16:1795–800.

[4] Andreyev HJ, Norman AR, Oates J, et al. Why do patients with weightloss have outcome when undergoing chemotherapy for gastrointestinalmalignancies ? Eur J Cancer 1998;34:503–9.

[5] Extermann M, Chen H, Cantor AB, et al. Predictors of tolerance to che-motherapy in older cancer patients: a prospective pilot study. Eur J Cancer2002;38:1466–73.

[6] Gridelli C, Aapro M, Ardizzoni A, et al. Treatment of advanced non-small-cell lung cancer in the elderly: systematic review and meta-analysis. BMJ2000;321:531–5.

[7] Heys SD, Walker LG, Smith I, et al. Enteral nutritional supplemen-tation with key nutrients in patients with critical illness and cancer:a meta-analysis of randomized controlled clinical trials. Ann Surg1999;229:467–77.

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[9] Isenring EA, Capra S, Bauer JD. Nutrition intervention is benecial in onco-

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10] Blanc-Bisson C, Fonck M, Rainfray M, et al. Undernutrition in elderlypatients with cancer: target for diagnosis and intervention. Crit Rev OncolHematol 2008;67:243–54.