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EHESS Problèmes agraires yougoslaves Author(s): Michel Roux Source: Études rurales, No. 73 (Jan. - Mar., 1979), pp. 97-124 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20121622 . Accessed: 23/06/2014 07:13 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.203 on Mon, 23 Jun 2014 07:13:57 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Problèmes agraires yougoslaves

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EHESS

Problèmes agraires yougoslavesAuthor(s): Michel RouxSource: Études rurales, No. 73 (Jan. - Mar., 1979), pp. 97-124Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20121622 .

Accessed: 23/06/2014 07:13

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MICHEL ROUX

Probl?mes agraires yougoslaves

En trente ans d'existence, la Yougoslavie socialiste a connu des chan

gements socio-?conomiques plus profonds que la plupart des autres ?tats

europ?ens, la question agraire restant au centre des objectifs

de croissance.

L'?conomie yougoslave ?tait caract?ris?e, jusqu'en 1945, par un tr?s faible

niveau de d?veloppement des forces productives, un lourd surpeuplement

agraire, des disparit?s r?gionales accus?es, de graves destructions de guerre. Dans le contexte nouveau de l'industrialisation, de l'urbanisation et de la

mise en place de rapports de production socialistes, il est apparu urgent de

passer d'une agriculture de subsistance ? une agriculture hautement pro ductive et rationalis?e, pour nourrir la masse

rapidement croissante des

consommateurs et d?gager des surplus exportables ; il fallait aussi permettre le d?lestage d?mographique de l'agriculture en cr?ant de nombreux emplois dans les autres secteurs ; on devait dans le m?me temps envisager, ? l'?chelle

r?gionale, les probl?mes agricoles comme une composante du probl?me

plus large du d?veloppement in?gal ; le but, et les moyens, ?taient de faire

p?n?trer le socialisme dans les campagnes. Certes les opinions divergent quant aux r?sultats obtenus, mais il est

admis, le plus souvent, que ces ambitions n'ont pas encore ?t? satisfaites :

la Yougoslavie est aujourd'hui, avec la Pologne, le seul ?tat socialiste

europ?en o? la propri?t? priv?e de la terre cultiv?e reste pr?pond?rante ; la croissance de la production agricole y a ?t? plus lente et surtout plus

irr?guli?re que celle des autres branches de l'?conomie, sans que l'on puisse

imputer cette irr?gularit? au seul climat ; la paysannerie parcellaire demeure

nettement d?favoris?e sur les plans ?conomique, social et culturel. C'est

dans l'agriculture que se distinguent le mieux les traces du sous-d?velop

pement1 dont, gr?ce ? un effort soutenu d'industrialisation en particulier, le pays commen?ait ? sortir au moment o? cet article a ?t? r?dig? (1975).

1. On entend tr?s pr?cis?ment par l? la situation des pays plac?s ? la p?riph?rie du syst?me

capitaliste mondial, selon la d?finition de Samir Amin, en d'autres termes les pays ? exploit?s, domin?s et ? ?conomie d?form?e ? (Charles Bettelheim). La Yougoslavie ?chappe ? cette d?finition.

Si l'on se r?f?re au signalement analytique des pays sous-d?velopp?s propos? par Yves Lacoste

(G?ographie du sous-d?veloppement, Paris, Presses universitaires de France, 1965 : 167-168), un seul

caract?re sur quatorze s'applique ? la situation de ce pays : ? le grand nombre d'agriculteurs ? basse

productivit? ?.

?tudes rurales, janv.-mars 1979, 73, pp. 97-124.

7

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98 M. ROUX

La politique agraire de la Yougoslavie socialiste

La situation initiale

En Yougoslavie, Etat de constitution r?cente, linguistiquement et

culturellement divers, les tr?s fortes disparit?s r?gionales tiennent plus ? l'histoire qu'aux conditions naturelles. Lorsque fut cr?? en 1919 le

royaume des Serbes, Croates et Slov?nes, les r?gions qui ?taient demeur?es

longtemps au sein de l'Empire austro-hongrois ?taient plus d?velopp?es que celles sur lesquelles avait durablement pes? la domination turque (Slov?nie, Croatie, Vo?vodine). En effet l'aire occidentale de ce nouveau

royaume, situ?e entre les centres vitaux de la Double Monarchie et son

d?bouch? maritime adriatique, avait connu une industrialisation non

n?gligeable dans la seconde moiti? du XIXe si?cle, tandis que dans les plaines de l'Est s'?tait d?velopp?e, dans le cadre de la grande propri?t?, une

?conomie c?r?ali?re exportatrice. Les autres r?gions

au contraire prati

quaient toujours une ?conomie traditionnelle, aussi bien celles qui avaient tardivement ?chapp? aux Turcs (Bosnie-Herz?govine en 1878 ; Sandjak,

Kossovo et Mac?doine en 1912), que la Serbie et le Mont?n?gro dont l'ind?

pendance, plus pr?coce, n'avait pas pour autant suscit? un essor ?cono

mique rapide2 ; de surcro?t, leur relief tr?s montagneux ne facilitait pas les communications : le d?senclavement y est aujourd'hui encore inachev? et une large partie des terroirs reste impropre ? la m?canisation agricole. Ces disparit?s r?gionales s'?taient donc maintenues entre les deux guerres, faute de moyens et de volont? politique pour les r?duire.

En 1939, la Yougoslavie ?tait, pour l'essentiel, un pays de petite et

moyenne propri?t? paysanne. Relativement ancienne en Serbie, o? le rachat du tribut (hara?) instaur? par le sultan avait transform? d?s 1833 les paysans usufruitiers en

propri?taires, cette situation ?tait ailleurs le

r?sultat de la r?forme agraire de 1919, qui avait r?parti 2,5 millions d'hec tares entre 637 000 familles3. Les conditions de vie et de production de la

paysannerie ?taient presque partout et depuis toujours mis?rables : outillage

archa?que, rendements et productivit? du travail tr?s faibles, autarcie

villageoise. Mais entre les deux guerres, avec la mont?e du surpeuplement

agraire, elle avait vu son sort s'aggraver, tandis que diminuaient progressi

vement les possibilit?s d'?migration, recours traditionnel4. De 1920 ? 1939,

2. Les raisons de ce retard sont diverses : peupl?s essentiellement d'une paysannerie autarcique, presque d?pourvus de bourgeoisie nationale et de capitaux, ces deux ?tats, dont les rapports avec

les puissances autrichienne et turque ?taient difficiles, en se dotant de budgets militaires ?crasants, se

sont lourdement endett?s. 3. La r?forme agraire de 1919 a redistribu? 555 000 hectares pr?lev?s sur les grands domaines

en Vo?vodine, Croatie et Slov?nie. Elle a rendu les paysans pleinement propri?taires des terres qu'ils cultivaient en mettant fin aux rapports f?odaux sur 1 929 000 hectares situ?s en Bosnie-Herz?

govine, en Mac?doine et en Dalmatie. 4. De larges parties de l'actuel territoire yougoslave supportaient au xvine si?cle un peuplement

clairsem? et discontinu. La descente des paysans des montagnes dinariques surpeupl?es vers les

collines de Serbie et les plaines pannoniennes est un ?l?ment fondamental de la r?partition actuelle

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PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 99

la population vivant de l'agriculture avait augment? de 2,5 millions et

d?passait 12 millions d'individus (75 % de la population totale) ; on

comptait alors 1,2 ha de superficie agricole par personne, ou 0,86 ha de terre labourable. Sur deux millions d'exploitations, deux tiers avaient

moins de 5 ha, un tiers ne disposant m?me pas d'une surface suffisante

pour nourrir une famille. L'extension des labours sur les terrains en pente,

la deforestation et le surp?turage acc?l?raient les ravages d'un mal d?j? ancien, l'?rosion.

Pour comprendre cette ?volution, il faut se rappeler que la r?forme

agraire de 1919 n'entra?na pas une politique d'encouragement ? l'agri culture : les paysans au contraire furent victimes d'une d?gradation des termes de l'?change commercial, le march? urbain est rest? cloisonn?, les

moyens de collecte et de transport des produits insuffisants. Par ailleurs, la croissance des activit?s et des emplois non agricoles demeura limit?e ; l'industrie et les mines n'occupaient en 1939 que 10 % de la population active. Dans des conditions d'accroissement naturel rapide, la masse des

paysans pauvres ne trouvait qu'un exutoire insuffisant dans l'embauche

permanente ou saisonni?re chez les propri?taires ais?s, l'exode vers les

villes ou l'?migration transoc?anique. Enfin, la Yougoslavie, pays sous

d?velopp? ? ?conomie domin?e, s'est trouv?e, particuli?rement ? partir de la crise internationale du d?but des ann?es 30, dans un contexte ?cono

mique mondial d?favorable ? son d?veloppement. La paysannerie yougoslave,

une des plus pauvres d'Europe, ?tait donc,

? la veille de la Seconde Guerre mondiale, dans une impasse, dont seuls des

changements fondamentaux dans les conditions de l'activit? ?conomique tout enti?re pouvaient la sortir.

R?formes et difficult?s de Vimm?diat apr?s-guerre. ?chec de la socialisation (1945-1953)

Apr?s la guerre ? durant laquelle les moyens m?caniques de l'agri

culture et le cheptel avaient ?t? d?truits dans une proportion allant de la moiti? aux deux tiers ?, la reconstruction ?conomique de la Yougoslavie fut plac?e sous le signe de la gestion ?tatique centralis?e, mais le d?nuement initial comme la rupture avec les autres pays socialistes (1948) rendirent cette gestion difficile. L'agriculture fut particuli?rement d?favoris?e :

7 % seulement des investissements du premier plan (1947-1951) lui ?taient destin?s ; les livraisons obligatoires, le syst?me des prix, la fiscalit?, l'appli cation pr?cipit?e de certaines r?formes ob?raient aussi son d?veloppement. Le niveau de production d'avant-guerre n'?tait m?me pas atteint et de co?teuses importations de produits alimentaires furent n?cessaires.

de la population. Le nom m?me de la Sumadija, au sud de Belgrade, rappelle que cette r?gion, aujourd'hui enti?rement d?frich?e, ?tait couverte de for?ts il y a un si?cle et demi. Ces mouve

ments migratoires se sont amortis avec la densification g?n?rale du peuplement ; au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par suite notamment de l'expulsion d'une minorit? allemande, seule la

Vo?vodine ?tait capable d'accueillir des migrants.

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100 M. ROUX

La loi de r?forme agraire et de colonisation du 28 ao?t 1945 fixait ?

45 ha (dont 20 ? 35 ha labourables) le plafond de la propri?t? priv?e des

agriculteurs et limitait ?troitement la propri?t? des non-agriculteurs

(3 ? 5 ha). La saisie des exc?dents, celle des propri?t?s de la minorit?

allemande de Vo?vodine, des collaborateurs du fascisme, des entreprises, des banques et des communaut?s religieuses porta sur 1 566 000 ha (11 % de

la superficie agricole), dont 1 075 000 ha labourables. Une partie de ces

terres (49 %) furent constitu?es en domaines d'?tat. Le reste (51 %, mais

75 % des terres labourables) fut redistribu? ? 316 000 familles de paysans ;

beaucoup, install?es dans les plaines du Nord (266 000 notamment en

Vo?vodine), ?taient originaires des r?gions montagneuses surpeupl?es (prin

cipalement Bosanska Krajina, Mont?n?gro, Lika, Dalmatie, Kordun et

Serbie du Sud-Ouest). Deux sortes de coop?ratives ?taient pr?vues. Les coop?ratives agri

coles g?n?rales (Opste Zemljoradnicke Zadruge, ozz) furent d?finies par la

loi du 18 juin 1946 ; les producteurs priv?s pouvaient s'adresser ? elles pour l'ex?cution m?canis?e de travaux de culture, pour s'approvisionner

en

engrais ou ?couler leurs r?coltes ; dans la ligne des coop?ratives tradition

nelles (au nombre de 11 000 en 1939, elles comptaient 1 660 000 membres), elles ont connu un succ?s notable. Elles devaient frayer la voie ? un type

plus ?labor?, les coop?ratives paysannes de travail (Seljacke Radne

Zadruge, srz), proches des kolkhozes sovi?tiques, d?finies par la loi du

6 juin 1948. La collectivisation, d'abord conduite avec lenteur, s'acc?l?re en 1949

pour des raisons qui paraissent li?es aux critiques formul?es par les autres

pays socialistes. Le nombre des coop?ratives paysannes de travail passe de

1 318 en 1948 (avec 324 000 ha) ? 7 000 en 1951, touchant 430 000 familles

et 3 millions d'ha (20 % de la superficie agricole en moyenne, mais jusqu'? 50 % en Vo?vodine et en Mac?doine). L'?chec relatif de cette tentative,

que traduisit une chute de la production, s'explique par la conduite h?tive

et contraignante de la collectivisation, par l'absence presque totale de

moyens m?caniques et d'investissements. Les coop?ratives paysannes de

travail se sont rapidement dissoutes ; quelques-unes surv?curent, qui n'ont

plus qu'une importance symbolique ; elles ont en outre perdu leur analogie initiale avec le mod?le sovi?tique en s'alignant sur le r?gime national de

l'autogestion sociale.

Les mesures prises en 1953 apparaissent comme la sanction de cet

?chec. La loi constitutionnelle sur l'autogestion supprime la forme coop? rative de la propri?t?. La loi fonci?re du 27 mai abaisse le plafond de la

propri?t? priv?e ? 10 ha cultivables (15 ha dans les r?gions les plus pauvres) ; 280 000 ha sont ainsi confisqu?s avec indemnisation et attribu?s aux

entreprises du secteur social (drustveni sektor)5. Il s'agissait d'?viter l'appari

5. Par opposition au secteur priv? ou secteur de propri?t? individuelle. On le traduit ?galement

par ? secteur socialis? ?, notamment dans les publications de l'OCDE, ou par ? secteur socialiste ?

(P.-Y. P?choux et M. Sivignon 1971), ce qui suppose une assimilation des r?alisations effectives aux

id?aux proclam?s de la soci?t? yougoslave.

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PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 101

tion de koulaks et la conversion en salari?s agricoles des paysans pauvres que l'on renon?ait ? faire entrer d'office dans des coop?ratives. L'adh?sion ? ces

derni?res devait ?tre d?sormais volontaire, ce que confirmeront les Consti

tutions de 1963 et 1974. La m?me ann?e, les livraisons obligatoires ?taient

supprim?es. C. Bobrowski [1956] estime que la l?gislation nouvelle donnait ? l'agri

culture de meilleures conditions de d?veloppement que celles de l'entre

deux-guerres. Mais de nombreux auteurs yougoslaves soulignent que les

autorit?s firent preuve envers le secteur priv? d'une m?fiance qui a per sist? bien apr?s 1953 : soucieuses avant tout d'?liminer l'exploitation du

travail, tenant, sans nuances, la culture paysanne traditionnelle pour

conservatrice, mais avan?ant aussi l'incompatibilit? de la propri?t? priv?e et d'une utilisation rationnelle du sol, elles refus?rent de stimuler ?cono

miquement ce secteur. Selon les normes

classiques, une

r?partition plus

?galitaire du sol au sein d'une paysannerie pauvre entra?ne la croissance de

la consommation au d?triment de l'investissement productif, ce qui contribue ? expliquer les difficult?s de l'imm?diat apr?s-guerre. En conso

lidant, ? c?t? d'un secteur de propri?t? sociale minoritaire, une paysannerie minifundiste pl?thorique, la l?gislation appliqu?e durant cette p?riode a donc parachev? une ?volution ancienne. Mais toute l'agriculture se

trouvait d?sormais incluse dans une formation sociale en voie de d?velop

pement. Il restait ? promouvoir ? la fois la croissance de la production

agricole et la socialisation des campagnes.

Apr?s 1953 : socialisation graduelle ou socialisation diff?r?e ?

Si la Yougoslavie commen?a ? appliquer les principes d'un socialisme

autogestionnaire d?centralis? d?s 1950, l'adoption d'une politique de

d?veloppement agricole clairement d?finie et efficace se fit attendre jusqu'en 1957. Les textes publi?s apr?s cette date t?moignent d'une certaine unit?

de vues et deux d'entre eux paraissent fondamentaux.

Le programme de la Ligue des communistes de Yougoslavie, adopt? au VIIe Congr?s (1958), manifeste un changement d'attitude ? l'?gard du

secteur priv? : on consid?re d?sormais que la base mat?rielle de l'agriculture et le revenu des propri?taires priv?s peuvent cro?tre sans que s'en trouvent

s?rieusement renforc?es les tendances capitalistes. Cette croissance n'est

elle pas souhaitable, puisque l'am?lioration de la production agricole et la

transformation socialiste de l'agriculture constituent un seul et m?me

processus ? La coop?ration permet de surmonter les contradictions inh?

rentes ? la structure minifundiste de l'agriculture et de d?velopper une

production de masse ? caract?re socialiste ; elle n'est pas une fin, mais un

moyen de la transformation socialiste de l'agriculture, et doit rester stric

tement fond?e sur le volontariat et les int?r?ts mat?riels des paysans. Le

secteur social de l'agriculture devra ?tre renforc? de mani?re ? jouer un

r?le moteur dans l'?volution souhait?e.

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102 M. ROUX

La Constitution de 1974 (articles 61 ? 63), apr?s celle de 1963, garantit la libert? du ? travail individuel autonome ? aux citoyens poss?dant des

moyens de production, ainsi que le droit de propri?t? sur ces moyens, dans

certaines limites l?gales destin?es ? garantir la conformit? de leur possession et de leur usage avec les fondements de l'organisation socialiste de la soci?t?. Elle pr?cise que, ? sur la base de leur travail personnel, les agriculteurs ont par principe le m?me statut et les m?mes droits que les ouvriers asso

ci?s6 qui travaillent avec les moyens sociaux ?. Les agriculteurs peuvent

s'associer en coop?ratives, dont le statut sera le m?me que celui des organi

sations de travail associ?, ou collaborer avec les entreprises agro-indus trielles du secteur social, auquel cas ils participent ? l'autogestion de ces

derni?res.

C'est en somme au secteur social qu'il revient de d?montrer aux paysans,

par le caract?re exemplaire de son d?veloppement, les avantages de la

coop?ration et les limites de l'exploitation individuelle isol?e. ? Bien que la

socialisation de la terre constitue le but ultime, ce n'est pas une condition

pr?alable absolument indispensable ? la socialisation de la production et au

d?veloppement de rapports socialistes dans l'agriculture ? [J. Defilip

pis 1972 : 80]. On distingue donc la socialisation de la terre, c'est-?-dire

la liquidation des structures de propri?t? priv?e h?rit?es du pass?, et la

socialisation de la production, que d'autres appelleraient int?gration ?co

nomique. Le premier objectif para?t rejet? dans un avenir ind?termin?

(encore que le secteur social s'accroisse lentement par achat de terres) ; on appr?ciera les r?alisations du second en examinant la situation

pr?sente des secteurs social et priv? de l'agriculture, et leurs relations.

Les structures actuelles de l'agriculture

Caract?res et dynamique d'ensemble

?voquer l'agriculture yougoslave, c'est opposer deux paysages et deux

mondes que, souvent, un si?cle semble s?parer. Les progr?s cependant ne se

sont pas limit?s au secteur social, et toute l'agriculture a connu depuis le

milieu des ann?es 50 une ?volution caract?ris?e par l'augmentation de la

production et le recul de l'ancienne ?conomie autarcique des villages

[J. M. Halpern 1967]. Cette ?volution, qui tient ? l'implication croissante

de la paysannerie dans les normes et la r?alit? de la division sociale du

travail, et ? la diminution rapide du surpeuplement agraire7, a ?t? par

6. Les travailleurs du secteur social exercent leurs droits d'autogestionnaires dans le cadre

d'organisations ?l?mentaires de travail associ? (Osnovne Organizacije Udruzenog Rada, OOUR), unit?s constitutives des organisations de travail, c'est-?-dire des entreprises.

7. Le surpeuplement agraire a fait en Yougoslavie l'objet de plusieurs ?tudes (cf. notamment

I. Klauzeb 1965) qui ont tent? de d?terminer dans quelle mesure la force de travail de la population active agricole ?tait effectivement utilis?e. Sur la base du recensement de 1961, la force de travail

exc?dentaire varie de 1,4 ? 2,2 millions de personnes, soit 30 ? 40 % des actifs : mais c'est davantage un exc?dent statistique qui appara?t l?, plut?t que la r?alit? de l'emploi.

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PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 103

ticuli?rement rapide de 1957 ? 1967, gr?ce ? divers stimulants : r??valua

tion des prix ? la production, accroissement des investissements, d?velop pement de l'?conomie de march?, constitution de puissants combinats

agro-industriels. Toutefois, ?troitement d?pendante des progr?s des indus tries alimentaires, de la distribution et de l'?conomie tout enti?re, elle

pr?sente, comme eux, d'importantes disparit?s r?gionales. En outre, on

a constat? depuis 1967 un ralentissement de la croissance agricole sur

lequel il sera n?cessaire de revenir.

La population vivant de l'agriculture n'a cess? de diminuer depuis trente ans, ? un rythme de plus en plus rapide : 1,2 % par an entre les recensements de 1953 et 1961,1,7 % chaque ann?e entre ceux de 1961 et de

1971. Pour cette derni?re p?riode, le rythme annuel d?passe m?me 2 % si

l'on tient compte ? ce que les statistiques yougoslaves

ne font pas ?

des

300 000 travailleurs ?migr?s d'origine paysanne recens?s en 1971 (il n'y en

avait en 1961 que quelques milliers). Le d?part de ces travailleurs, offi

ciellement tenu pour provisoire, devenant le plus souvent un exode agricole d?finitif, la population agricole r?elle ne d?passait probablement pas 7,5 millions de personnes en 1971 et 7 millions au milieu de 1974. Compte tenu de l'accroissement naturel, le d?lestage d?mographique de l'agriculture a pu porter sur 5,5 millions de personnes de 1948 ? 1971, et progresser au

rythme de 219 000 par an de 1948 ? 1961, puis de 266 000 par an de 1961 ?

1971 [V. Puljiz 1974b].

TABLEAU 1

Evolution de la population yougoslave agricole et non agricole de 1921 ? 1974 (fronti?res actuelles)

Ann?e Population totale Population agricole Population non agricole

I III I II III I II III

1921 12,5 9,9 79 2,6 21 ' + 1,4 + 1,1 + 2,6

1939 16,2* 12,1 75* 4,1 25

1948 15,8 10,6 67 5,2 33 +1,5

- 0,6 + 4,9

1953 17,0 10,3 61 6,6 39 + 1,1

- 1,3 + 4,2

1961 18,5 9,3 50 9,2 50 + 1,0

- 1,7 + 3,3

1971 20,5 7,8 38 12,7 62 * + 1,0 ^

- 1,7 + 2,8

1974 21,2* 7,4 35** 13,8 65

I. Population en millions ; II. Rapport des populations agricole et non agri cole ? l'effectif total (en %) ; III. Taux de variation moyenne annuelle par p?riode (sauf pour la p?riode de la Seconde Guerre mondiale, ou ce calcul n'aurait aucun sens). *

Estimation de l'Institut f?d?ral des statistiques, Belgrade. ** Estimation personnelle (utilisation du taux de variation de la population

agricole pendant la p?riode pr?c?dente). Les autres donn?es proviennent des recensements.

L'?volution de la production agricole yougoslave depuis 1945 est

pass?e par deux phases : jusqu'en 1956, g?n?e par le manque de moyens

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104 M. ROUX

et par la succession rapide des r?organisations, elle pr?sente de fortes oscillations autour d'une moyenne proche de celle des ann?es 1930-1939.

Or, en 1956 la population totale s'?tait accrue de 13 % par rapport ? 1939. Vint ensuite une p?riode de croissance au cours de laquelle les oscillations interannuelles s'att?nu?rent progressivement (cf. Fig. 1). En 1972, alors

que la population du pays ?tait sup?rieure d'un tiers ? celle de 1939, la

production agricole ?tait ? peu pr?s le double de celle de la p?riode 1930 1939. Il faut toutefois souligner que ce rythme s'est ralenti en fin de p?riode ;

si, de 1956 ? 1972, le volume de la production s'est accru en moyenne de

4,3 % par an, ce taux n'est que de 2,4 % entre 1968 et 1972. Il est cependant demeur? constamment sup?rieur ? celui de l'accroissement d?mographique, de sorte que le commerce ext?rieur des produits agricoles est devenu

exc?dentaire en ann?e moyenne8. Les ann?es 1973 et 1974, ann?es de bonnes

r?coltes, pr?sentent ? nouveau des taux de croissance ?lev?s (respecti vement 7 et 6 %).

Ces r?sultats tiennent exclusivement ? l'intensification de la production, puisque la superficie agricole (14,5 millions d'ha, soit 57 % de l'?tendue du

pays) et la superficie cultivable (10 millions d'ha) sont demeur?es presque stationnaires entre 1939 et 1974 : la conqu?te de terres nouvelles par

drainage et d?frichement (cas de la P?lagonie en Mac?doine, du Pancevacki

Rit, r?gion mar?cageuse au nord de Belgrade, entre Danube et Tamis, mise en culture apr?s 1945) est en effet compens?e par la consommation

d'espace des activit?s non agricoles et par l'abandon des terroirs les plus ingrats.

Cette croissance, sup?rieure ? celle de la plupart des agricultures euro

p?ennes (mais obtenue ? partir d'un niveau initial tr?s bas), est rest?e inf?rieure ? celle de l'ensemble de l'?conomie. La part de l'agriculture dans la formation du produit social (somme du revenu national et de l'amortis

sement, ou ce valeur de la production finale ?) a donc diminu?, passant de 30 % environ au d?but des ann?es 1950 ? 20 % environ depuis 19709. Il faut d'ailleurs souligner que les secteurs social et priv? ont fait preuve d'un

dynamisme tr?s in?gal (cf. Fig. 1) : si l'on affecte ? la valeur moyenne du

produit social agricole des ann?es 1952-1954 l'indice 100, les r?sultats de

1974 donnent (? prix constants) 240 ? l'ensemble de l'agriculture, 503 au

secteur social et 205 au secteur priv?. Le d?but de la p?riode fut marqu? jusqu'en 1960 par de fortes oscilla

8. De 1947 ? 1956, le commerce ext?rieur des produits agricoles a ?t? d?ficitaire de 39 %. De 1957 ? 1964, le d?ficit n'est plus que de 6 %. La p?riode 1965-1973 laisse appara?tre un exc?dent de

6,4 %. Malgr? de bonnes r?coltes, l'ann?e 1974 est fortement d?ficitaire, d'importants achats de c?r?ales ayant ?t? effectu?s en vue de relever les stocks.

9. Les variations de la part de l'agriculture dans le produit social ne d?pendent pas seulement des fluctuations de la production, mais aussi des changements de la structure des prix. Les prix agricoles ?taient tr?s bas en d?but de p?riode. Si l'on applique au calcul du produit social la structure des prix de 1966 ? r?f?rence couramment employ?e par les statisticiens yougoslaves en raison de

l'importante r?forme ?conomique de 1965 ?, la part de l'agriculture passe de 35,2 % (moyenne 1952-1956) ? 19,4 % (1971-1974). Le mode de calcul du PNB en usage en Europe occidentale abais serait cette derni?re valeur d'environ deux points, car le produit social yougoslave ne comprend que l? valeur de la production des biens mat?riels, non celle des services.

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Page 10: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 105

tions du produit social agricole, li?es ? l'irr?gularit? des r?sultats du secteur

priv?, tandis que le secteur social en cours de r?organisation connaissait

un fl?chissement marqu?. On ne saurait comparer la dynamique des deux secteurs sans tenir compte de l'?volution divergente des superficies et des effectifs humains. Ainsi, de 1960 ? 1974, le secteur social a-t-il accru sa

surface cultivable de 46 %, tandis que le secteur priv? voyait la sienne

diminuer de 8 % ; par ailleurs, le nombre de travailleurs a d?cru respec tivement de 12 % et de 25 %. Le Tableau 2 donne les r?sultats obtenus

par chacun des secteurs en 1974.

TABLEAU 2

R?sultats des secteurs social et priv? en 1974 (? prix constants)

Ensemble Secteur Secteur social priv?

Produit social 155 270 136

Produit social par unit? de surface 160 185 148

Produit social par travailleur 205 307 180

1960 = indice 100,

Les entreprises agricoles du secteur social

Le secteur social emploie 5 % de la main-d' uvre agricole, d?tient

15 % de la superficie agricole et ? peu pr?s la m?me proportion des terres

cultivables10 ; il contribue pour 25 % au produit social agricole et pour

pr?s de la moiti? ? la production agricole commercialis?e (1974). Son ?qui

pement et ses rendements l'apparentent aux

grandes exploitations agricoles de l'Europe du Nord-Ouest ou aux

coop?ratives et fermes d'?tat des autres

pays socialistes. Il engendre des paysages agricoles de vastes parcelles remembr?es. Ses investissements sont

sup?rieurs ? ceux du secteur

priv?,

? vrai dire difficiles ? ?valuer. L'accroissement des rendements et de la

productivit? du travail y ont ?t? rapides. Le nombre des actifs travaillant

la surface cultiv?e est pass? de 23 pour 100 ha en 1960 ? 14 en 1974 (res

pectivement 49 et 42 dans le secteur priv?). Apr?s avoir culmin? en 1965

? 284 000, le nombre des travailleurs du secteur social n'est plus que de

200 000.

10. Plus pr?cis?ment, il s'agit l? du ? secteur social organis? ? (sous-entendu : en entreprises). En fait, la propri?t? sociale s'?tend aussi ? une surface ? peu pr?s ?quivalente de p?turages souvent

tr?s m?diocres, sols lapiaz?s des montagnes karstiques, par exemple, d'?tangs et de mar?cages, qui constituent le ? secteur social non organis? ?. Elle porte donc sur 30 % de la superficie agricole, mais sur 15 % seulement des terres cultivables (labours, jardins, vergers, vignobles et pr?s de fauche).

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Page 11: Problèmes agraires yougoslaves

Ecart par rapport ? la moyenne ( en % )

+ 40

agriculture dont secteur socialiste

dont secteur priv?

industrie

FlG. 1. ?volution de l'indice du produit social agricole ? prix constants et ?carts par rapport ? la

tendance, 1952-1974. Les prix sont ceux de 1966. Cette m?thode permet d'?tudier la dynamique ?conomique par

secteurs en ?liminant les effets des variations du niveau et de la structure des prix sur le calcul des

indices. Le cas de l'industrie est donn? ? titre de comparaison. L'indice 100 repr?sente la moyenne des trois premi?res ann?es. Les taux de croissance moyens annuels, calcul?s entre la moyenne des trois premi?res ann?es

et celle des trois derni?res, sont les suivants : agriculture, 4,08 % ; secteur social, 7,96 % ; secteur

priv?, 3,27 % ; industrie, 10,39 %.

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Page 12: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 107

En vingt-cinq ans, le secteur social a subi de profonds changements structurels. Pr?dominantes au d?but, les coop?ratives paysannes de travail ont presque disparu, ce qui a provoqu?, de 1954 ? 1956, un recul de la

propri?t? sociale. Le nombre des coop?ratives agricoles g?n?rales a

beaucoup

diminu?, en raison surtout de leur concentration, les combinats agricoles11

devenant pr?pond?rants. Depuis 1956, le secteur social ?tend son emprise ? la fois par location et par achat de terres aux propri?taires priv?s (plus de 500 000 ha) et par bonification (200 000 ha). Mais le rythme de cette

extension s'est aujourd'hui consid?rablement ralenti, pour des raisons

complexes o? interviennent ? la fois la mont?e en fl?che du prix de la terre

(700 % de 1960 ? 1969), la faible capacit? d'accumulation des entreprises, le peu d'int?r?t pour la location de parcelles priv?es exigu?s et dispers?es et la pr?f?rence accord?e aux investissements en vue de l'intensification

cult?rale. La superficie des terres labourables en propri?t? sociale, qui avait

augment? de 86 % entre 1956 et 1966, n'a progress? que de 5 % de 1966 ? 1974. Ce changement d'orientation a influ? sur l'allure g?n?rale de la

courbe de croissance de la production (cf. Fig. 1). Le secteur social repr?sentait, en 1952, 16 % du produit social agricole.

Apr?s un fl?chissement jusqu'? 7 % (1954), sa part s'est ? nouveau ?lev?e

graduellement, atteignant 20 % au milieu des ann?es 60, 25 % en 1974.

Son r?le est essentiel dans la production du bl?, du mais, de la betterave

? sucre et du tournesol ; l'?levage industriel de la volaille, celui du porc et

plus r?cemment du veau de boucherie connaissent ?galement un d?velop pement important (cf. Tabl. 3),

TABLEAU 3

Les exploitations agricoles du secteur social en 1973

Nombre Superficie totale Moyenne (ha) (1000 ha)

Combinats agricoles 306 1 512 4 940

Coop?ratives 832 463 556

Autres 607 210 346

Ensemble 1 745 2 185 1 252

La concentration, vivement encourag?e, s'effectue ? la fois vertica

lement, par int?gration des fonctions de production, transformation et

distribution au sein des m?mes entreprises, et horizontalement, par regrou

pement des exploitations agricoles. Elle a donn? naissance ? de tr?s grandes unit?s, dont six figuraient en 1973 parmi les cinquante premi?res du secteur

de la production yougoslave. Le combinat agricole Belgrade, qui occupe le treizi?me rang (85 000 ha dont 55 000 ensemenc?s, 21 000 travailleurs),

11. D?nomination exacte de la cat?gorie : combinats, propri?t?s et fermes agricoles (Poljopri vredni Kombinati, Dobra i Farme, PKDF).

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Page 13: Problèmes agraires yougoslaves

108 M. ROUX

en est un exemple. Principalement tourn? vers

l'approvisionnement de la

capitale, il a consid?rablement d?velopp? l'?levage laitier et la production de viande. Il dispose de trois cents points de vente, qui ?coulent 30 % de sa production. Le processus de formation est caract?ristique : constitu? en 1953 par fusion de six exploitations agricoles sises dans le Pancevacki

Rit, il a absorb? plus de vingt autres entreprises agricoles ou industrielles et est aujourd'hui implant? dans trente-sept communes de Serbie, Vo?vo

dine, Mont?n?gro et Mac?doine. Certains de ces combinats agricoles sont

d'anciens grands domaines priv?s : c'est le cas du combinat Belje dans la

Baranja, entre la Drave et le Danube, domaine constitu? en 1697 pour le

prince Eug?ne de Savoie vainqueur des Turcs, et qui avait ensuite appartenu ? la couronne d'Autriche-Hongrie avant de devenir, en 1919, propri?t? de

l'?tat yougoslave. Cet effort de concentration est cependant jug? insuffisant par les

autorit?s ; en effet, si 11 % des entreprises d?passent 2 500 ha et poss?dent 76 % des terres en propri?t? sociale (les pourcentages ?taient respective

ment de 1,4 % et 29 % en 1959), 49 % ont moins de 100 ha et ne d?tiennent ensemble que 1 % de cette m?me superficie. En outre, les regroupements

d'exploitation ne conduisent pas toujours ? une bonne int?gration : des unit?s de production b?n?ficiant de conditions naturelles analogues pr? sentent d'importantes diff?rences de rentabilit?, des terres demeurent

inutilis?es, des erreurs de gestion sont commises qui ont amen? il y a

quelques ann?es, par exemple, la suspension du fonctionnement normal

de l'autogestion au combinat de Belje. En raison de ces difficult?s, mais

?galement de l'insuffisance de l'?quipement et de l'autofinancement, en

raison aussi de son fort endettement, le secteur social agricole ne

joue pas

pleinement le r?le d'entra?nement qui lui avait ?t? assign?.

Le secteur priv? de Vagriculture

Les exploitations agricoles individuelles poss?dent 85 % des terres

cultivables (8,5 millions d'ha) ; cette propri?t? a r?gress? de 10 % depuis 1956, du fait de l'extension de la propri?t? sociale et accessoirement de la r?duction de l'espace agricole. De l'openfield lani?re du Zagorje croate aux

champs ? cl?tures tress?es du pi?mont de Pec en Kossovo, on retrouve la

m?me pulv?risation parcellaire. Les techniques restent largement archa?ques et la plupart des exploitations n'ont pas acc?s ? la motorisation, encore que celle-ci se d?veloppe rapidement depuis une dizaine d'ann?es, puisque le secteur priv? dispose actuellement de 80 % des tracteurs agricoles, contre

20 % en 1964 ; toutefois, une exploitation sur vingt-sept seulement est

m?canis?e. Les rendements et surtout la productivit? du travail y ont

progress? plus lentement que dans le secteur social : le quotient du produit social par travailleur ?tait, en 1974, cinq fois plus faible dans le secteur

priv? que dans le secteur social, alors qu'il n'?tait que trois fois plus faible en 1961.

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Page 14: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 109

On compte en Yougoslavie environ 2 600 000 exploitations agricoles

priv?es, d'une superficie moyenne de 3,8 ha (3,3 ha labourables). Le pla fonnement ? 10 ha de la propri?t? priv?e n'exclut pas une ouverture sensible

de l'?ventail des surfaces : selon le recensement de 1969, 39 % de ces exploi tations ont moins de 2 ha (9,7 % de la superficie totale) et 10,6 % plus de

8 ha (34,3 % de la superficie totale). ?tant donn? la diminution rapide de

la population agricole constat?e depuis 1953, le nombre des tr?s petites

propri?t?s priv?es para?t ?norme. En r?alit?, d'une part toute propri?t? cultiv?e de plus de 10 ares est recens?e comme exploitation agricole, qu'il

s'agisse de jardins ou de terrains affect?s ? des r?sidences ; or, fait signifi catif, seules les ? exploitations de moins d'un hectare ? connaissent un

accroissement num?rique. D'autre part, dans la moiti? des cas, l'exode

professionnel agricole s'est accompli sans

changement de r?sidence, avec

maintien d'une exploitation ? temps partiel. A c?t? de 3 500 000 travailleurs

agricoles, 1 500 000 travailleurs non agricoles, inclus dans un syst?me de

migrations alternantes quotidiennes, vivent sur les exploitations, procurant

? la population qui y r?side la moiti? de ses revenus (les deux tiers de ses

revenus mon?taires) en 1972. Le vieillissement maintenant sensible de la

population agricole et la d?sertion massive des jeunes laissent n?anmoins

pr?voir pour un avenir proche une r?gression notable du nombre des

exploitations. Une enqu?te r?cente [P. Marko vie 1970] souligne ? ce propos

que les perspectives de d?lestage les plus faibles se situent dans les r?gions o? la situation agraire est la plus critique.

TABLEAU 4

Avenir pr?visible des exploitations agricoles priv?es (en %)

Type A Type B Type C

R?gions de plaine 31 47 22

R?gions montagneuses 13 38 49 dont Kossovo 9 37 54

R?gions m?diterran?ennes 19 44 37

Type A : main-d'oeuvre ?g?e ; jeunes ayant d?j? quitt? l'agriculture ; ?volution vers l'arr?t de la production, le morcellement et la disparition.

Typ? B : jeunes scolaris?s, d?sireux de quitter la terre; m?me ?volution que pour le type A, mais ? plus longue ?ch?ance.

Type C : jeunes scolaris?s, dont certains ont l'intention de reprendre l'exploitation ; maintien et agrandissement probables.

Deux distinctions fondamentales permettent de comprendre le r?le

?conomique des exploitations individuelles. On peut en premier lieu opposer les exploitations ? temps partiel (dites mixtes) aux exploitations de plein

emploi agricole. Les premi?res (45 % du nombre, 36 % des terres) sont

cultiv?es, de fa?on plus traditionnelle et moins intensive, dans une perspec

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Page 15: Problèmes agraires yougoslaves

110 M. ROUX

tive d'autarcie alimentaire ; elles sont la majorit? autour des centres urbains

et industriels. Les secondes, plus vastes, mieux outill?es, cheechant ?

s'agrandir, repr?sentent 99 % de la contribution nette du secteur priv? ? l'alimentation du march?12, c'est-?-dire un peu plus de 50 % de l'ensemble de la production agricole commercialis?e.

On peut ?galement distinguer les exploitations de moins de 3 ha (54 % du

nombre, 20 % des terres) de celles qui sont plus ?tendues. Les premi?res, o? pr?domine d'ailleurs le travail ? temps partiel et dont la fonction princi pale est de nourrir la population qu'elles supportent, ne fournissent que 14 % de la contribution nette du secteur priv? au march?. En d?finitive, le nombre d'exploitations qui commercialisent r?guli?rement des quantit?s appr?ciables ne d?passe sans doute pas le demi-million ; c'est l'une des raisons pour lesquelles la coop?ration avec le secteur social n'int?resse

qu'une minorit? de paysans.

La coop?ration entre les deux secteurs

Les deux secteurs de l'agriculture yougoslave entretiennent des rapports

complexes et, ? divers titres, conflictuels. Alors que le secteur social ach?te la terre aux prix du march? foncier, il lui arrive d'imposer aux paysans

priv?s, dans le but de regrouper ses blocs de culture, des ?changes qui amoindrissent la rentabilit? de certaines exploitations individuelles et

contrarient les effets de remembrements ant?rieurs. Par ailleurs, le secteur

priv? est pr?sent sur le march? le plus souvent au titre de productions rest?es artisanales qui exigent

une main-d' uvre abondante et bon

march? (b?tail sur pied, tabac) ; cette sp?cialisation lui est en quelque sorte

impos?e. Enfin, les cr?dits ?tant dispens?s par le canal du secteur social, la

coop?ration entre les deux secteurs implique ?videmment la subordination du secteur

priv?. Le but de cette coop?ration est de stabiliser le march? des produits

agricoles, jusqu'ici domin? par les apports irr?guliers de la paysannerie minifundiste inorganis?e, et de pr?parer la socialisation totale de l'agri

culture en int?grant ?conomiquement les paysans au secteur social, en

d?veloppant chez eux une mentalit? de producteurs plus que de propri? taires. Concr?tement, la coop?ration permet aux paysans de profiter de

l'avance technologique du secteur social et de b?n?ficier des prix garantis

qui ne valent que pour le march? organis?13 ; elle permet au secteur social

de rentabiliser ses installations industrielles (abattoirs, huileries, conser

veries, minoteries...) en s'assurant la livraison d'une

production d'appoint.

12. Quantit? totale de produits agricoles vendus par les paysans, moins produits agricoles achet?s

par eux pour leur consommation familiale. 13. Le march? organis? comprend les ventes des entreprises agricoles du secteur social et les

ventes des paysans individuels ? ces m?mes entreprises. Depuis 1967 les paysans individuels peuvent vendre leurs produits directement ? des entreprises sociales non agricoles, industrielles ou commer

ciales, ? des prix qui ne sont garantis crae depuis 1971 ; sur les march?s paysans, les prix ne sont pas soutenus.

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Page 16: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 111

La coop?ration ? dont on peut rappeler les formes vari?es : pr?t de

machines perfectionn?es, fourniture d'engrais, d'aliments concentr?s et de semences s?lectionn?es, contrats de production

? a connu un vif d?velop

pement entre 1957 et le milieu des ann?es 60. Dans les r?gions agricoles riches, Slavonic et Vo?vodine, 60 % de la production c?r?ali?re b?n?ficiaient de la coop?ration. Mais elle rencontre ailleurs d'importantes difficult?s, notamment parce que le syst?me des prix garantis n'est pas suffisamment

stimulant et que beaucoup de coop?ratives, faute de moyens, se contentent

d'?couler les produits, ne participant pour ainsi dire pas ? l'intensification cult?rale. Au cours des dix derni?res ann?es, la coop?ration, qui a tendance ? r?gresser (elle n'int?resse plus que le tiers des exploitations priv?es, contre 48 % en 1964), a pr?sent? de fortes oscillations interannuelles li?es ? l'instabilit? des conditions ?conomiques g?n?rales. Cette instabilit? dans la croissance, l'un des maux dont souffre la Yougoslavie, est du reste la source d'une grande partie des difficult?s auxquelles se heurte le d?velop pement de l'agriculture tout enti?re.

LES PROBL?MES G?N?RAUX

Les probl?mes li?s au d?lestage d?mographique

L'exode agricole s'est inscrit jusqu'en 1961 dans un contexte de crois sance rapide de l'emploi non agricole (plus de 7 % par an). Cette croissance a vu son rythme se ralentir entre 1961 et 1965 (2,8 % par an), allant m?me

jusqu'? s'inverser au cours de la p?riode de r?organisation cons?cutive ? la r?forme ?conomique de 1965 (-0,5 %) ; elle repart depuis 1967, mais de

fa?on mod?r?e (3,7 %). Cependant l'exode rural, lui, est all? en se renfor?ant

pendant cette p?riode, tant par abandon direct de la part des agriculteurs que par d?fection des jeunes ? l'issue de leur scolarit?. L'?migration vers les

pays industrialis?s d'Europe occidentale est alors apparue comme un exu

toire opportun que les autorit?s ont d'abord tol?r? puis ent?rin?. Amorc?e au d?but des ann?es 60, elle a ?t? tr?s intense de 1968 ? 1971. Le recense

ment de 1971, suspect en la mati?re d'une sous-?valuation de l'ordre de 20 % [J. Gomez 1972 ; I. Baucic 1973], d?nombrait parmi les travailleurs

?migr?s 45 % d'anciens agriculteurs, soit 300 000 personnes. Ces d?parts ont entra?n?, in?vitablement, une d?t?rioration des struc

tures d?mographiques de la population restante. Ainsi, en 1971, 16 % seulement de la population active agricole entrent dans la tranche d'?ge de 25 ? 34 ans, contre 25 % des actifs non agricoles. L'?migration renforce localement cet ?tat de fait : ainsi, dans la commune de Duvno (Bosnie

Herz?govine), 66 % des hommes de 20 ? 34 ans ont ?t? recens?s comme

travailleurs ?migr?s, et on passe l? brutalement du surpeuplement ? l'abandon.

La plupart de ces travailleurs, comme en t?moignent leurs r?ponses aux enqu?tes de motivation et leur faible propension ? investir leurs

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Page 17: Problèmes agraires yougoslaves

112 M. ROUX

?conomies dans l'agriculture,

ne souhaitent pas revenir ? la terre. L'?cono

mie yougoslave pourrait-elle d'ailleurs supporter des retours massifs ?

Lorsque pour la premi?re fois en 1974 ceux-ci l'ont emport?, et de plusieurs dizaines de milliers, sur les d?parts, le nombre des demandeurs d'emploi a augment? de 20 % en un an : ils ?taient 478 000 au 31.12.7414 ; or le secteur social, pratiquement seul susceptible de les absorber, employait 4,5 minions de travailleurs ; autrement dit, dans ce secteur, on avait un

demandeur d'emploi pour dix postes pourvus... Pourtant certaines mesures

r?centes en faveur des agriculteurs priv?s visent, entre autres, ? ralentir

l'exode.

Les probl?mes de politique ?conomique

Les difficult?s de l'agriculture proviennent, en partie, de l'insuffisance

de son ?quipement, qui la rend ?troitement tributaire des conditions m?t?o

rologiques : moins de 2 % des terres sont irrigu?es, le ravinement ou l'inon

dation menacent encore de larges ?tendues, le manque de moyens m?ca

niques, en

prolongeant les op?rations de r?colte, occasionne des pertes.

C'est ici la politique d'investissement qui est en cause. Les entreprises

agricoles du secteur social ont une rentabilit? inf?rieure ? la moyenne de

l'?conomie yougoslave, ce qui limite leurs possibilit?s d'autofinancement et d'emprunt (autoris? depuis 1965) aupr?s des banques. L'affectation de

fonds publics aux

grands travaux d'am?lioration fonci?re est elle-m?me

insuffisante. L'agriculture a rarement b?n?fici? de plus de 10 % de l'inves tissement social brut annuel (9,3 % en moyenne, de 1947 ? 1966 ; 7,2 % en 1970 ; 9,5 % en 1973). Quant aux paysans du secteur priv?, ils d?pensent plus d'argent

en biens de consommation durables qu'en investissements

productifs : l'achat de terres et l'entretien des b?timents l'emportaient sur

l'achat d'outillage avant 1965, date o? furent lev?es certaines restrictions

touchant ? l'acquisition de gros mat?riel agricole. Les conditions g?n?rales d'instabilit? ?conomique ont des cons?quences graves sur l'insertion de

l'agriculture dans l'?conomie yougoslave : les variations abruptes des prix ? la production et de ceux des biens et services n?cessaires, les r?visions

fr?quentes de la politique de cr?dit n'encouragent pas les producteurs individuels ? investir pour intensifier leur production ou ? entrer dans le

syst?me de coop?ration. Selon la presse des ann?es 1971-1973, les bas prix du march? d?courageaient les producteurs de tournesol, de betteraves

? sucre et de tabac, ce qui obligeait ? importer. Au cours des ann?es 1967

1972, la production n'a progress? que de 7 % en volume, moins vite que la

consommation, encore accrue par la demande touristique estivale. Les

objectifs du plan de d?veloppement pour 1966-1970 en mati?re d'agri culture n'ont pas ?t? atteints. Ceux, plus r?alistes, du plan suivant (1971

14. Rappelons que la RFA avait ferm? sa fronti?re aux travailleurs immigr?s en novembre 1973, suivie en cela par la plupart des autres pays d'Europe occidentale.

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Page 18: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 113

1975) qui assignait ? l'agriculture un taux de croissance de 3,5 %, ?taient en passe de ne pas l'?tre. Aussi a-t-on suscit? en 1973 une

large concertation

qui a abouti ? un plan de d?veloppement ? long terme de l'agriculture

(1973-1985), pr?voyant une croissance globale annuelle de 2,8 % et de

6 % pour le secteur social.

Dans le domaine agricole, les autorit?s yougoslaves disposent de nom

breux moyens d'intervention15, notamment en ce qui

concerne les prix.

Avant la r?forme ?conomique de 1965, on pratiquait une politique de prix

agricoles tr?s bas (cf. Fig. 2), le secteur social agricole ?tant fortement

subventionn?. Des rel?vements intervinrent ? partir de 1961, et en 1965

fut ?tablie une structure des prix conforme aux co?ts de production, avec

suppression cons?cutive de la plupart des subventions. De 1964 ? 1965,

400

300 -

200

50

40

/ ? / j

/ ? / ?

/ .

indice 100

1?9B5T

ensemble de la production agricole

produits des cultures de plein champ - produits de l'?levage

. produits industriels

1954 1960 1965 1970

Fig. 2. ?volution compar?e des prix agricoles et industriels ? la production, 1954-1974 (ordonn?es semi-logarithmiques).

Les indices des prix agricoles ne tiennent compte que des achats des entreprises du secteur

social aux producteurs priv?s et de leurs propres ventes. Les ventes des producteurs priv?s sur les march?s paysans ne sont pas prises en consid?ration.

15. Pour plus de d?tails, cf. les ?tudes ?conomiques annuelles de l'OCDE.

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Page 19: Problèmes agraires yougoslaves

114 M. ROUX

le prix des produits agricoles augmenta en moyenne de 42 % ; l'ann?e

suivante celui des produits de l'?levage subissait une nouvelle hausse

de 26 %. En d?pit de ces mesures, la situation de l'agriculture continua

? se d?t?riorer, ce qui conduisit les autorit?s ? autoriser d'importants rel?vements des prix en 1970-1971 et en juillet 1974. Ces d?cisions s'inscri

virent dans un contexte fortement inflationniste et c'est au prix de d?valua

tions r?p?t?es que la capacit? exportatrice de la Yougoslavie put ?tre

pr?serv?e.

Depuis 1957, la politique des prix est fond?e sur la fixation annuelle de

prix minimaux (payables par les transformateurs aux producteurs

avec

lesquels ils ont pass? contrat) et de prix garantis (pay?s par la Direction

f?d?rale des r?serves alimentaires, qui proc?de ? des achats sur le march?

organis? lorsque les cours tombent au-dessous d'un certain niveau). Cette

politique vise ? transformer les structures de l'agriculture. Il est caract?

ristique que les producteurs priv?s n'aient acc?s aux prix minimaux et

garantis (comme au cr?dit et aux primes ? la production) que dans la mesure o? ils coop?rent

avec le secteur social. Toutefois, ces prix

ont presque

toujours ?t? fix?s trop bas pour remplir leur r?le d'incitation ? la coop?ration du secteur priv?, et celle-ci marque le pas : entre 1965 et 1970 le troupeau bovin a diminu?, les surfaces consacr?es au ma?s et ? la betterave ? sucre

ont r?gress?. La politique agricole atteint donc difficilement ses objectifs, d'autant que les r?sultats ? l'exportation sont irr?guliers (la Yougoslavie n'est membre d'aucune union douani?re) et que le secteur priv? f^iit preuve d'une tr?s grande inertie. C'est ainsi

qu'en 1974, apr?s une ann?e de surpro

duction et de m?vente de la viande, le secteur social en diminue la produc tion, tandis que le secteur

priv?, lui, augmente la sienne. Autre exemple de

cette inertie, selon Ekonomska Politika (10.3.1975) en 1973 et 1974 les

paysans de Serbie n'ont emprunt? que le tiers des fonds mis ? leur dispo sition au titre du ce

plan vert ?.

Les disparit?s agricoles r?gionales

A l'av?nement du socialisme, l'agriculture ?tait, on l'a vu, tr?s in?ga lement d?velopp?e et charg?e en hommes. L'un des principaux objectifs du

nouveau r?gime fut de r?duire les ?carts, dans ce domaine comme dans les

autres. Qu'en est-il aujourd'hui ? Cette question, fondamentale dans le cas

d'un ?tat aussi disparate que la Yougoslavie, peut ?tre abord?e dans le

cadre des R?publiques et R?gions autonomes. Sans doute s'agit-il d'un d?cou

page a priori, et moins significatif que ceux auxquels ont proc?d? plusieurs ?tudes r?gionales usant de crit?res ? la fois naturels et anthropog?ogra

phiques. Mais ce cadre nous est provisoirement impos? par celui des statis

tiques yougoslaves, la mise en place de r?gions agricoles bien sp?cifiques sur la base des statistiques communales repr?sentant

un travail d'une toute

autre ampleur.

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Page 20: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 115

Les disparit?s d'ordre ?conomique

L'examen des caract?ristiques agricoles r?gionales r?v?le de grandes

disparit?s dans l'utilisation du sol et l'organisation de la production, dans

l'?quipement, les rendements, la productivit? du travail et les revenus

agricoles. Les r?gions insuffisamment d?velopp?es ? d?nomination officielle

s'appliquant ? la Bosnie-Herz?govine, au Mont?n?gro, au Kossovo et ? la

Mac?doine qui b?n?ficient d'aides sp?ciales dispens?es par un Fonds f?d?ral

de d?veloppement ? ont des rendements c?r?aliers inf?rieurs de 40 %

(bl?) et 60 % (ma?s) ? la moyenne yougoslave. En Vo?vodine, les rende

ments, qui sont les seuls ? soutenir la comparaison avec l'Europe du

Nord-Ouest, sont deux ? trois fois plus ?lev?s que dans le Mont?n?gro et le

Kossovo. M?me si la part importante des emblavures du secteur social n'est

pas, l?, ?trang?re ? ces performances, partout ailleurs des diff?rences

r?gionales tr?s nettes existent entre les rendements obtenus par les produc teurs

priv?s et elles sont dues moins aux conditions naturelles souvent

plus favorables des r?gions ?volu?es qu'aux conditions ?conomiques. Les

terres noires du bassin de Kossovo ne le c?dent en rien pour la fertilit?

? celles de Vo?vodine ; mais elles sont travaill?es par une paysannerie sous-inform?e et

sous-?quip?e, ne

disposant, par exemple, que d'un tracteur

pour 160 ha cultivables ? alors qu'en Slov?nie il y a un tracteur pour 20 ha, la moyenne yougoslave ?tant d'un tracteur pour 60 ha ?, ou d'un

v?t?rinaire pour 3 400 exploitations ? un v?t?rinaire pour 300 exploita

tions en Vo?vodine, et un v?t?rinaire pour 680 exploitations sur l'ensemble du territoire national. En outre, dans les r?gions enclav?es, loin des march?s

urbains, l? o? domine l'exploitation autarcique, l'utilisation du sol est

particuli?rement peu rationnelle : le Kossovo consacre encore 81 % de ses

labours aux c?r?ales et 2,6 % seulement aux cultures industrielles ; alors

qu'il pr?sente d'excellentes aptitudes pour la culture de la betterave

sucri?re, la raffinerie de sucre de Pec doit s'approvisionner ailleurs. On constate ici la survivance de cette ce obsession c?r?ali?re ?

qui caract?risait

avant la Seconde Guerre mondiale la paysannerie yougoslave. Il n'est pas facile d'appr?cier l'?volution des ?carts interr?gionaux.

Une ?tude r?cente [Institut f?d?ral de statistique... 1973a], portant sur les

quatre r?gions sous-d?velopp?es et prenant pour r?f?rence les ann?es 1953, 1962 et 1972, conclut que de 1953 ? 1962, seul le Mont?n?gro a vu le volume de sa production augmenter plus vite que la moyenne yougoslave ; de 1962 ? 1972 cela a ?t? vrai pour les quatre r?gions, mais pour l'ensemble de la

p?riode (1953-1972), seuls ?mergent le Mont?n?gro et surtout la Mac?doine

dont les aptitudes agricoles sont nettement sup?rieures. En fait, les r?sultats annuels pr?sentant de fortes variations non concomitantes, on obtiendrait

des valeurs sensiblement diff?rentes en consid?rant d'autres ann?es. Si l'on compare la moyenne du produit social agricole pour les ann?es 1959 1961 et 1972-1974, les taux de croissance apparaissent sensiblement ?gaux

pour les r?gions d?velopp?es et sous-d?velopp?es ; seule la Mac?doine se

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Page 21: Problèmes agraires yougoslaves

TABLEAU 5

Diverses expressions des disparit?s agricoles (en %)

a. R?gions sous-d?velopp?es

Ann?e Yougoslavie Bosnie- Mont?n?gro Mac?doine Kossovo Moyenne Herz?govine

Densit? agricole 1971

Taux d'?migration des agriculteurs2 .1971

Rapport superficie agri cole/superficie totale 1974

Rapport superficie cul tivable/superficie agricole 1974

Part de l'agriculture dans le produit social 1971

Part de l'agriculture dans la population active 1971

Part du secteur social . dans le produit

social agricole 1973 . dans les terres

cultivables 1973 . dans la population

active agricole 1971

Produit social par t?te dans l'agriculture (ensemble du pays ?

100)

Augmentation 1962-197l3

1962]

8,7

56,7

69,2

23,1

15,0

4,8

100

100

59

92

13,2

50,4

62,3

20,6

51,4

9,3

6,1

2,3

70

60

38

98

6,8

38,5

35,2

16,7

44,3

8,3

4,8

2,5

66

59

43

100

12,6

27,1

48,7

7,4

86

86

59

161 104

8,9 12,0

49,7 51,9 54,1

49,4 67,4 56,6

28,0 22,7

56,6 50,9

30.8 17,0

24.9 11,8

3,6

42

33

24

17,2

11,2

3,7

66

60

41

b. R?gions d?velopp?es

Ann?e Yougoslavie Slov?nie Croatie Vo?vodine Moyenne Serbie ?troite

Densit? agricole 1971 l

Taux d'?migration des agriculteurs2

Rapport superficie agri cole/superficie totale

Rapport superficie cul tivable/superficie agricole

Part de l'agriculture dans le produit social

.Part de l'agriculture dans la population active

Part du secteur social . dans le produit

social agricole . dans les terres

cultivables . dans la population

active agricole Produit social par t?te

dans l'agriculture

(ensemble du. pays ? 100)

Augmentation 1962-19713

78

8,7

56,7

69,2

20,7

47,3

23,1

15

4,8

100

100

59

71,4

23,8

10

8,9

162

163

60

66

12,5

129

82

46 58

5,6 10

45,1 58,5 84,2 61,2

64,5 91

9,7 18,4 35,8

24,6 42,3

17,4 36

4,2 16,5

113 180

206

82

73,4

19,6

26,3 41,1 46,2 38,9

31,9

23,3

8,2

146

176

92

4,3

61,6

80,3

21,3

55,5

12,2

5,8

2,4

1 Rapport de la population agricole ? la surface cultivable (labours, jardins, vergers, vignes, pr?s de fauche). 2 II s'agit de l'?migration vers l'?tranger. D'apr?s les r?sultats du recensement de 1971 rec tifi?s en hausse selon la m?thode propos?e par I. Baucic (1973). 3 A prix constants (ceux de 1966). ** Serbie ?troite : R?publique de Serbie moins les r?gions autonomes de Vo?vodine et Kossovo.

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Page 22: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 117

d?tache nettement, gr?ce ? un essor consid?rable du secteur social et ? une

orientation marqu?e vers les cultures industrielles, les vergers et la vigne.

La hi?rarchie initiale des r?gions s'est maintenue, ? une exception pr?s :

la Mac?doine devance aujourd'hui la Slov?nie pour la valeur de sa produc tion agricole. On peut conclure aussi, bien que l'?volution puisse ?tre

diff?rente pour chaque production ou chaque r?gion consid?r?e indivi

duellement, au maintien global des ?carts initiaux dans les rendements, les progr?s ayant ?t? grossi?rement parall?les, mais ? leur accentuation

dans la productivit? du travail, les r?gions sous-d?velopp?es produisant une fraction inchang?e du revenu agricole du pays (23 % environ), avec

une part croissante de la population agricole yougoslave (38 % en 1971, contre 33 % en 1953). Le travail d'environ 1300 000 de personnes n'y cr?ait pas, en 1971, un revenu sensiblement sup?rieur ? celui des 385 000

actifs agricoles de Vo?vodine.

Tr?s in?galement r?parti, le secteur social est fort mal repr?sent? dans

les r?gions o? le r?le d'entra?nement qu'on veut lui faire jouer serait le plus utile : dix-sept des vingt premiers combinats agricoles se trouvent dans les

r?gions ?volu?es, dont treize dans l'ensemble Slavonie-Vo?vodine. C'est

surtout l'agriculture des plaines, des grandes vall?es et des ceintures p?ri urbaines qui a progress? en vingt ans de d?veloppement agricole effectif.

Un d?lestage d?mographique diff?renci?

La Yougoslavie souffrait en 1945 d'un important surpeuplement agraire, toutefois tr?s in?galement r?parti. Seules la Slavonie orientale et la Vo?vo

dine ?taient d?ficitaires en main-d' uvre ? la suite du d?part des Allemands et d'une partie des Hongrois (cf. n. 4, pp. 97-98). Depuis lors, l'exode agri cole n'a cess? de s'amplifier, selon des modalit?s r?gionales tr?s diverses

(cf. Tabl. 6). TABLEAU 6

Variations r?gionales de la population agricole d'apr?s les recensements de 1953, 1961 et 1971 (en %)

Rapport de la population Variation de la population agricole ? la population agricole

totale

1953 1961 1971 1953-1961 1961-1971

Bosnie-Herz?govine 62,2 52,0 40,0 -

3,7 -12,2 -17,7 Mont?n?gro 61,5 48,1 35,0 -12,0 -18,5 -20,7

Croatie 56,4 47,2 32,3 -11,5 -27,1 -32,4 Mac?doine 62,7 50,9 39,9 -12,5

- 8,2 -15,7

Slov?nie 41,1 31,6 20,4 -18,6 -29,8 -33,4 Serbie ?troite 67,2 54,7 44,1 -12,3 -12,3 -14,8

Vo?vodine 62,9 53,6 39,0 -

7,0 -23,4 -25,7 Kossovo 72,4 64,0 51,5 + 5,5 + 3,9 + 1,3

R?gions d?velopp?es 54,7 45,5 31,4 -11,4 -26,4 -30,6 R?gions sous-d?velopp?es 63,7 53,3 41,6 -4,9 "8,7 -13,4

Yougoslavie 60,9 50,5 38,2 -

9,4 -16,3 -20,1

* Y compris l'?migration des travailleurs.

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Page 23: Problèmes agraires yougoslaves

I I plaine pannonienne et annexes

} | collines et bassins

II { I J montagnes

:';:;:] zone m?diterran?enne

. limites de l'Etat et des R?publiques , limites des R?gions autonomes

Baranja BK Bosanska Krajina

Istrie

K Kordun

L Lika

M Metohija MM Medjimurje P Polog

PE P?lagonie PM Prekomurje PR Pancevacki rit

Sandjak SC Seuil de Croatie SL Slavonie

SV Sillon du Vardar

Zagorje

Fig. 3. Densit? de la population agricole par km2 cultiv? (1971). Carton : grands types de milieux naturels et grandes divisions politico-administratives.

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Page 24: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 119

La diminution de la population agricole fut particuli?rement rapide en Slov?nie, en Croatie et, apr?s 1961, en Vo?vodine, c'est-?-dire dans trois

r?gions d?velopp?es dont la densit? agricole ?tait d?s 1945 inf?rieure ? la

moyenne yougoslave. Cela ne tient pas ? une croissance de l'emploi non

agricole plus rapide que dans les autres r?gions, mais ? un dynamisme

d?mographique beaucoup plus faible. La diminution du taux d'accrois sement naturel constat?e dans toutes les r?gions, ? l'exception du Kossovo, n'est d'ailleurs pas ?trang?re ? l'acc?l?ration du d?clin de la population

agricole. Elle proc?de, pour la population tout enti?re, du recul de la f?con

dit?, mais frappe s?lectivement les populations agricoles en proportion du d?labrement progressif de leurs structures par ?ges, cons?cutif ? l'exode.

Les soldes migratoires r?gionaux de la population agricole vis-?-vis du

reste de la population, qui n'ont pas ?t? calcul?s ici faute de donn?es, sont

tous n?gatifs et constituent une gamme beaucoup plus ?troite que les

variations port?es au Tableau 6. Ainsi la population agricole du Kossovo, dont le taux de croissance naturelle est proche de 30 ?/0o? a-t-elle aujourd'hui un taux d'exode r?el voisin de celui de la population agricole de Croatie, dont le cro?t naturel est presque nul. Une corr?lation a ?t? ?tablie [K. Mihai

lovic et E. Berkovic 1970] entre le rythme de diminution de la population

agricole et le montant des investissements pour la p?riode 1948-1966, ce

qui tend ? prouver que la Yougoslavie ne s'est pas donn? les moyens de

lutter efficacement contre les disparit?s d?mographiques et ?conomiques

r?gionales. Le d?lestage d?mographique de l'agriculture ?tant d'autant plus lent

que la surcharge initiale ?tait plus forte, les ?carts se sont creus?s. Pour le

Mont?n?gro, seule r?gion sous-d?velopp?e dont la population agricole ait

diminu? plus vite que la moyenne, l'explication r?side dans un solde migra toire fortement n?gatif par rapport au reste de la Yougoslavie. L'?migration

temporaire vers les pays industrialis?s d'Europe occidentale ne constitue

qu'un faible correctif ? l'accentuation des ?carts : elle est intense dans deux

r?gions sous-d?velopp?es, Bosnie-Herz?govine et Mac?doine, mais aussi

dans une r?gion d?velopp?e, la Croatie. En revanche, la Mac?doine (en

d?pit d'une forte ?migration d?finitive de Turcs et d'Albanais dans les

ann?es 1950) et le Kossovo conservent des densit?s agricoles tr?s ?lev?es

(la population paysanne de cette r?gion continue m?me d'augmenter), et

les taux de ch?mage enregistr?s y sont les plus ?lev?s de Yougoslavie, situation significative des dissym?tries ?conomiques r?gionales de la

f?d?ration.

Les densit?s agricoles

Mieux que les grandes divisions politiques et administratives, la carte

des densit?s agricoles par communes (cf. Fig. 3) permet de poser les pro bl?mes agraires dans leur cadre r?gional. Certes, pour prendre tout leur

sens, ces valeurs devraient ?tre confront?es aux cartes des conditions

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Page 25: Problèmes agraires yougoslaves

120 M. ROUX

naturelles, d?mographiques et

?conomiques. On peut n?anmoins esquisser une ?tude r?gionale par grandes masses, fond?e sur la similitude fr?quente des situations associ?es ? des densit?s voisines.

Les principaux contrastes apparaissent solidaires de deux effets : le

poids des h?ritages et les transformations contemporaines.

Co?ncidant avec les r?gions montagneuses, trou?es de plaines (Polog,

Metohija, Kossovo, vastes polies d'Herz?govine), ? l'origine de la plupart des mouvements migratoires des deux derniers si?cles, une aire continue

de hautes densit?s (plus de 150 hab./km2), qui s'?tend de la Mac?doine

occidentale ? la Bosnie centrale et englobe le Kossovo, le Sandjak, le

Mont?n?gro et l'Herz?govine, pr?sente la situation la plus critique : retard

technique important, nombreuses zones enclav?es, rendements m?diocres,

faible implantation du secteur social, ravages de l'?rosion. On y enregistre certes

quelques am?liorations : abandon de terroirs marginaux sur la Sar

Planina, migrations vers les bassins du Kossovo et de la Mac?doine occi

dentale o? progressent des sp?cialisations culturales ; mais le prix exor

bitant de la terre bloque le march? foncier. Habitudes migratoires et

structures d?mographiques laissent pr?voir une diff?renciation de cet

ensemble : les Albanais ont pris part aux migrations int?rieures plus tard et moins massivement que les Mont?n?grins ; en

quinze ans, les besoins

de l'Europe occidentale ont vid? l'Herz?govine et l'arri?re-pays de Split de leurs jeunes adultes tandis que les campagnes du Kossovo conservaient

la population la plus jeune et la plus prolifique du pays. Le d?sert menace

d'un c?t?, alors que l'entassement s'accentue de l'autre.

A partir de cet ensemble de hautes r?gions, les densit?s vont s'affai

blissant en direction des confins orientaux et septentrionaux du pays,

traditionnellement moins peupl?s. Zone de polyculture, o? les vergers sont

partout pr?sents, les collines et bassins de Bosnie septentrionale et de

Serbie conservent des densit?s agricoles sup?rieures ? la moyenne nationale.

Le secteur social est, l? aussi, peu d?velopp?, mais l'agriculture a souvent

profit? de la croissance des villes moyennes et petites, des activit?s mini?res

et industrielles.

Un maximum secondaire appara?t en Croatie du Nord et en Slov?nie

orientale, particuli?rement dans les collines du Zagorje dont les hautes

densit?s de population rappellent encore qu'il fut un refuge contre le p?ril turc. Mais la population agricole y est tr?s vieille, et plus encore dans le

Medjimurje croate et le Prekomurje slov?ne, o? l'attraction de l'Allemagne et de l'Autriche sur les jeunes s'est ajout?e ? celle des centres industriels

r?gionaux. Deux aires de basses densit?s agricoles apparaissent clairement sur la

carte. La premi?re n'est pas homog?ne : aux r?gions r?pulsives du seuil de

Croatie et de la Lika, vid?es par plus d'un si?cle d'exode, elle joint l'Istrie

d?sert?e par les Italiens apr?s la Seconde Guerre mondiale. La seconde

est homog?ne et d'une importance ?conomique essentielle : ce sont la

Slavonie et la Vo?vodine qui constituent la partie m?ridionale du bassin

pannonien. Les combinats agricoles et les formes les plus ?labor?es de la

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Page 26: Problèmes agraires yougoslaves

PROBL?MES AGRAIRES YOUGOSLAVES 121

coop?ration s'y concentrent. Mais leur avance

technologique et leurs

rendements n'emp?chent pas ces r?gions de subir les cons?quences d'une

trop faible diversification ?conomique et de rester trop fortement tribu taires des oscillations de la production agricole.

L'analyse des densit?s agricoles par communes et r?gions montre que

la r?cession presque g?n?rale r?sultant de la dynamique socio-?conomique

contemporaine a

pris des formes plus accentu?es dans deux zones o? se

trouvaient associ?s en pratique des ?l?ments essentiels de cette dynamique. D'une part dans les r?gions o? l'urbanisation et l'industrialisation ont

?t? intensives : p?riph?rie m?ridionale de Belgrade, pi?mont slov?ne

(Ljubljana, Maribor), c ur industriel et minier de la Bosnie (Sarajevo, Zenica, Vares, Lukavac, Tuzla...). D'autre part dans les zones o? le secteur

social de l'agriculture, qui emploie trois ? quatre fois moins de travailleurs

par unit? de surface que le secteur priv?, s'est fortement d?velopp? : sillon

du Vardar et ses bassins annexes (Sveti Nikole, Stip, Titov Veles, Negotino,

Kavadarci), Metkovic (Dalmatie) o? les combinats Neretva et Poduh interviennent pour 55 % dans le revenu agricole communal d?clar?.

On peut conclure ? une pr?dominance partielle de l'h?ritage historique dans la distribution des densit?s agricoles dont les contrastes continuent,

par exemple, ? souligner d'anciennes limites politiques (ainsi entre Bosnie et Croatie, entre Serbie et Vo?vodine). Mais ces contrastes reproduisent ceux qui ont d?j? ?t? relev?s dans l'ordre de la production, des rendements et des revenus et les probl?mes que rencontre la politique agricole yougo slave ne sont pas seulement ce dus aux fortes disparit?s naturelles entre

les R?publiques et ? l'existence d'une masse de petites exploitations paysannes ? [ocde 1973]. C'est plut?t la mauvaise distribution des tra

vailleurs et des moyens de production en fonction des potentialit?s natu

relles ? fruit d'un tr?s ancien h?ritage ?

qui est en cause ici ; et il ne

s'agit pas du fonctionnement de la masse des exploitations, mais de leur

articulation avec les structures ?conomiques r?gionales. Le Kossovo, dont

les terres riches pourraient permettre de doubler ou de tripler les rende

ments, est un exemple flagrant de cette

inad?quation. Le probl?me des disparit?s r?gionales est un probl?me de politique

?conomique globale. Pays pauvre, la Yougoslavie a, par n?cessit? sinon

par syst?me, conduit un d?veloppement ponctuel, accroissant par l? certaines in?galit?s initiales. Pour les r?duire, il faudrait maintenant ma?

triser toutes les cons?quences de ce choix. Mais le vieillissement accentu?

de certaines populations agricoles, habitu?es de surcro?t ? compter avec

d'autres sources de revenus, et l'extension cons?cutive des friches n'an

noncent-ils pas l'effondrement prochain de quelques r?gions agricoles ?

*

L'agriculture en Yougoslavie est donc dans une situation transitoire.

Les structures h?rit?es de petite propri?t? priv?e continuent de pr?valoir. Apr?s l'abandon de l'intervention ?tatique directe, cons?cutif ? la mise en

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place de l'autogestion, combinats et coop?ratives agricoles n'ont pas ?t?

capables d'assurer une socialisation ? laquelle, du reste, le contexte ?cono

mique g?n?ral ne se pr?tait gu?re, bien que le combinat soit un mod?le

d'organisation dynamique dont la g?n?ralisation avait ?t? pr?vue. Les

esp?rances de progr?s se sont

appuy?es sur une extension du secteur social,

mais aussi, selon une analyse qui s'est traduite par des mesures concr?tes

ces derni?res ann?es, sur la stimulation du secteur priv? : il est envisag? notamment d'?lever le plafond de la propri?t? priv?e ? plus de 10 ha.

P. Mihalj [1973], qui ?voque la politique plus cons?quente ? ses yeux de la

Pologne envers ses paysans, consid?re comme une d?marche contradictoire

de traiter les agriculteurs en koulaks tout en les poussant ? produire pour le march? organis?. On peut s'attendre de toute mani?re dans les ann?es

qui viennent ? une importante diminution du nombre des exploitations

priv?es en m?me temps qu'? une diff?renciation croissante entre les petites

exploitations o? les cultures, le plus souvent ? temps partiel, sont destin?es

? l'autoconsommation et les exploitations moyennes tourn?es vers le

march? ; incapables de r?soudre seules les probl?mes d'intensification

cult?rale et d'?coulement des produits, celles-ci seront de plus en plus domin?es, en amont et en aval, par le secteur social.

Parall?lement, la population agricole va continuer ? diminuer ; selon

les pr?visions officielles, elle ne devrait plus compter en 1985 que 26 % de

la population totale, 20 % selon d'autres projections [V. Puljiz 1974b]. En admettant que soit ainsi r?solu le probl?me de la disparit? des revenus

(de l'ordre de 50 %) entre les paysans et le reste de la population, il n'en

demeure pas moins que les agriculteurs priv?s auront durablement jou?, vis-?-vis du reste de l'?conomie, le r?le d'une r?serve de main-d' uvre

subsistant par ses propres moyens. Certes, la condition mat?rielle des

paysans s'est am?lior?e (abandon des habitats et terroirs marginaux,

electrification...), mais ils demeurent tr?s d?favoris?s quand il s'agit d'acc?der aux biens de consommation durables. Plus grave para?t leur

exclusion politique et culturelle : ils ne participent gu?re au fonctionnement

de l'autogestion sociale, ils sont sous-repr?sent?s dans les institutions

communales et presque absents de l'Assembl?e f?d?rale16. Alors qu'elle ?tait de plus de 50 % ? la Lib?ration, leur part dans la Ligue des commu

nistes ?tait tomb?e ? 7,4 % en 1967. Faut-il donc souscrire au jugement

parfois exprim? en Yougoslavie selon lequel les paysans sont des citoyens de seconde zone ou les qualifier, en d'autres termes, de segment p?riph?rique de la soci?t? ?

16. Apr?s les ?lections de 1974 les agriculteurs (secteur social et secteur priv? confondus) repr? sentaient 17,5 % des d?l?gu?s aux Assembl?es communales, 7,1 % des d?l?gu?s aux Assembl?es des

R?publiques et R?gions autonomes (pas de donn?es pour la Slov?nie) et 1 % des d?l?gu?s ? l'Assem

bl?e f?d?rale (Yugoslav Survey, 1975, 1).

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