2
22 l ENTREPRISE ROMANDE, LE MAGAZINE l juillet 2016 GRÉGORY TESNIER «J ’ai d’abord commencé par cultiver quelques plants d'agrumes pour ma consommation personnelle. A force de chercher des variétés originales et différentes de la grande distribution, j'ai vite développé une grande passion. Cultiver ces plantes – d'abord en pot, puis en pleine terre, sous serre – s'est imposé à moi comme une évidence. Rapidement, j'ai rencontré le succès auprès de mes amis et de mes connaissances. La presse a com- mencé à s'intéresser à moi, puis quelques restaurateurs et primeurs.» Tout est allé fina- lement assez vite pour cet autodidacte formé à certains gestes techniques en regardant des vidéos pédagogiques sur YouTube. Sur son site internet – www.nielsrodin.com –, on découvre non seulement qu’il collabore avec de grands restaurants – «Une activité que je vais développer davantage, en cultivant par exemple des espèces rares et demandées» –, mais encore qu’il propose des produits ori- ginaux en vente dans quelques commerces autour du Léman. Les sels aromatisés, les mar- melades, les huiles parfumées et les vinaigres PRODUIRE LOCALEMENT DES PRODUITS VENUS D’AILLEURS Heureux comme un agrumiculteur en Suisse Niels Rodin, arrière-petit neveu du sculpteur Auguste Rodin, exerce une activité peu commune en Suisse: il est agrumiculteur. Il cultive des citrons non loin de Nyon, à Borex: une vraie passion depuis une dizaine d’années! Ce n’est pas son véritable métier – il travaille dans une fiduciaire –, mais presque. Il y consacre ses soirées, ses week-ends, ses vacances. Il vend ses productions aux restaurateurs et aux particuliers. Ses récoltes offrent toujours de l’inattendu, puisqu’il possède quelque cent cinquante variétés de citrons différentes. «Je suis le seul fou en Suisse à faire ce genre de production fruitière!» aux noms évocateurs de voyages (vinaigre de coings à la pulpe de yuzu, vinaigre d'ananas à la pulpe de bigarade et lime de Rangpur) remportent un tel succès qu’ils ne sont pas tous disponibles en permanence. S’il passe pour un fou aux yeux de certains, comme il le confesse lui-même, Niels Rodin garde pourtant les pieds sur terre et un cap bien défini pour ses productions futures: «Je me suis spécialisé dans les fruits à forte valeur ajoutée pour la restauration: je cultive des variétés qu'on ne trouve pas encore – ou très difficilement – dans le commerce de détail, comme le yuzu, le citron caviar, le combava, la main de Bouddha, etc.». UNE CULTURE BIO Une question demeure: comment fait-on pour produire avec succès des agrumes dans le canton de Vaud? «Je cultive mes citrons en pleine terre, sous une serre chauffée en mode «hors gel» en hiver.» Niels Rodin ajoute cependant que certains citronniers résistent au froid. «Il existe un grand nombre de varié- tés d'agrumes rustiques qui peuvent être cultivées chez nous. J'ai notamment, depuis six ou sept ans, deux yuzus qui poussent en pleine terre dans mon jardin à Gland, sans la moindre protection hivernale. J'en ai égale- ment installé quelques-uns en 2015 chez une vigneronne en Valais. Fort de ces premières expériences, je vais planter, en principe l'an- née prochaine et toujours en Valais ou dans ma région, un certain nombre de yuzus gref- fés par mes soins pour la production fruitière. Aucune protection hivernale ne sera pré- vue.» Ajoutons cependant que pour suivre l’exemple de Niels Rodin et installer un yuzu en pleine terre entre Genève et Lausanne, certaines conditions doivent être strictement remplies: les arbres doivent déjà posséder une certaine hauteur (un mètre au moins) et il convient d’utiliser le bon porte-greffe (rustique) adapté aux conditions de culture. «J’ai fait beaucoup de tests avec des qualités de sols ou des porte-greffes différents. Chaque situation de culture est spécifique et on ne peut pas simplement transposer des règles lues dans des livres. Tout le processus de recherche et d’adaptation prend beaucoup de temps.»

PRODUIRE LOCALEMENT DES PRODUITS VENUS D… · et il convient d’utiliser le bon porte-greffe (rustique) adapté aux conditions de culture. «J’ai fait beaucoup de tests avec des

  • Upload
    haphuc

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: PRODUIRE LOCALEMENT DES PRODUITS VENUS D… · et il convient d’utiliser le bon porte-greffe (rustique) adapté aux conditions de culture. «J’ai fait beaucoup de tests avec des

22 l ENTREPRISE ROMANDE, LE MAGAZINE l juillet 2016

GréGory Tesnier

«J’ai d’abord commencé par cultiver quelques plants d'agrumes pour ma consommation personnelle. A force de chercher des

variétés originales et différentes de la grande distribution, j'ai vite développé une grande passion. Cultiver ces plantes – d'abord en pot, puis en pleine terre, sous serre – s'est imposé à moi comme une évidence. Rapidement, j'ai rencontré le succès auprès de mes amis et de mes connaissances. La presse a com-mencé à s'intéresser à moi, puis quelques restaurateurs et primeurs.» Tout est allé fina-lement assez vite pour cet autodidacte formé à certains gestes techniques en regardant des vidéos pédagogiques sur YouTube. Sur son site internet – www.nielsrodin.com –, on découvre non seulement qu’il collabore avec de grands restaurants – «Une activité que je vais développer davantage, en cultivant par exemple des espèces rares et demandées» –, mais encore qu’il propose des produits ori-ginaux en vente dans quelques commerces autour du Léman. Les sels aromatisés, les mar-melades, les huiles parfumées et les vinaigres

PRODUIRE LOCALEMENT DES PRODUITS VENUS D’AILLEURS

Heureux comme un agrumiculteur en SuisseNiels Rodin, arrière-petit neveu du sculpteur Auguste Rodin, exerce une activité peu commune en Suisse: il est agrumiculteur. Il cultive des citrons non loin de Nyon, à Borex: une vraie passion depuis une dizaine d’années! Ce n’est pas son véritable métier – il travaille dans une fiduciaire –, mais presque. Il y consacre ses soirées, ses week-ends, ses vacances. Il vend ses productions aux restaurateurs et aux particuliers. Ses récoltes offrent toujours de l’inattendu, puisqu’il possède quelque cent cinquante variétés de citrons différentes. «Je suis le seul fou en Suisse à faire ce genre de production fruitière!»

aux noms évocateurs de voyages (vinaigre de coings à la pulpe de yuzu, vinaigre d'ananas à la pulpe de bigarade et lime de Rangpur) remportent un tel succès qu’ils ne sont pas tous disponibles en permanence. S’il passe pour un fou aux yeux de certains, comme il le confesse lui-même, Niels Rodin garde pourtant les pieds sur terre et un cap bien défini pour ses productions futures: «Je me suis spécialisé dans les fruits à forte valeur ajoutée pour la restauration: je cultive des variétés qu'on ne trouve pas encore – ou très difficilement – dans le commerce de détail, comme le yuzu, le citron caviar, le combava, la main de Bouddha, etc.».

UNE CULTURE BIOUne question demeure: comment fait-on pour produire avec succès des agrumes dans le canton de Vaud? «Je cultive mes citrons en pleine terre, sous une serre chauffée en mode «hors gel» en hiver.» Niels Rodin ajoute cependant que certains citronniers résistent au froid. «Il existe un grand nombre de varié-tés d'agrumes rustiques qui peuvent être cultivées chez nous. J'ai notamment, depuis six ou sept ans, deux yuzus qui poussent en pleine terre dans mon jardin à Gland, sans la moindre protection hivernale. J'en ai égale-ment installé quelques-uns en 2015 chez une vigneronne en Valais. Fort de ces premières expériences, je vais planter, en principe l'an-née prochaine et toujours en Valais ou dans ma région, un certain nombre de yuzus gref-fés par mes soins pour la production fruitière. Aucune protection hivernale ne sera pré-vue.» Ajoutons cependant que pour suivre l’exemple de Niels Rodin et installer un yuzu en pleine terre entre Genève et Lausanne, certaines conditions doivent être strictement remplies: les arbres doivent déjà posséder une certaine hauteur (un mètre au moins) et il convient d’utiliser le bon porte-greffe (rustique) adapté aux conditions de culture.

«J’ai fait beaucoup de tests avec des qualités de sols ou des porte-greffes différents. Chaque situation de culture est spécifique et on ne peut pas simplement transposer des règles lues dans des livres. Tout le processus de recherche et d’adaptation prend beaucoup de temps.»

Page 2: PRODUIRE LOCALEMENT DES PRODUITS VENUS D… · et il convient d’utiliser le bon porte-greffe (rustique) adapté aux conditions de culture. «J’ai fait beaucoup de tests avec des

ENTREPRISE ROMANDE, LE MAGAZINE l juillet 2016 23

Autre point: les variétés d’agrumes sélection-nées pour le climat suisse correspondent à des arbres impliquant des «récoltes hâtives». En résumé, «on ne peut pas simplement ache-ter la plante à la jardinerie du coin».Depuis quelques années déjà, Niels Rodin cultive «bio» et applique quelques principes de la permaculture, notamment la lutte bio-logique contre les nuisibles en introduisant des insectes prédateurs dans sa serre. «Pour le moment, cultiver «bio» signifie moins de récoltes, mais ce n'est que temporaire. Je rencontre des difficultés à maîtriser certains ravageurs. Pour trouver des solutions, je tra-vaille en étroite collaboration avec la société Biocontrol à Andermatt.» Un autre problème? Le calcaire contenu dans l'eau d'arrosage peut nuire à la production. «Comme je suis en location, ma marge de manœuvre est limitée pour agir. J'ai donc fait beaucoup de tests avec des qualités de sols différentes ou des porte-greffes différents. Chaque situation de culture est spécifique et on ne peut pas simplement transposer des règles lues dans des livres. Tout le processus de recherche et d’adaptation prend beaucoup de temps.»La passion des citrons offre finalement des occasions de voyages ou, au moins, des occa-sions de rêver à des contrées lointaines: «Les variétés qui m’intéressent se trouvent souvent dans d'autres pays: Etats-Unis, Japon, Chine, Australie, etc. Importer des espèces végétales provenant de pays situés hors de l’Union eu-ropéenne est strictement réglementé; il faut passer par des voies légales, souvent longues

et coûteuses. J'ai la chance de pouvoir le faire dans certaines conditions plus favorables, car j’ai obtenu un statut officiel d’introducteur d’agrumes». Concrètement, les démarches administratives de Niels Rodin passent par la France, précisément par la ville de Clermont-Ferrand, où se trouve un bureau spécialisé de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Il constitue la porte d’entrée en Europe – après une mise en quarantaine – pour des espèces végétales venues de loin.

DE NOMBREUX CLIENTSToute cette énergie dépensée par Niels Rodin paie, puisque ses clients sont aujourd’hui nombreux. Parmi eux, plusieurs restaurateurs de Suisse romande recherchent les fruits frais

de la serre de Borex, des produits locaux, originaux et bio. Niels Rodin fournit par exemple le restaurant «Le Chef» à l'aéroport de Genève. «La diversité des variétés que je cultive est un atout considérable, de même que ma recherche constante de nouveautés. Avec actuellement 300 m2 de culture, je ne suis pas en mesure de répondre à la forte demande. Je souhaite donc pouvoir m'agran-dir, avoir d'autres sites de production et être le plus proche possible des clients de la res-tauration, qui réclament des circuits courts.»Au-delà de ces considérations commerciales, Niels Rodin souhaite préserver sa collection d'agrumes rares. Il a donc entrepris d'en don-ner une grande partie au Jardin botanique de Genève. Ce dernier devrait présenter cette collection au public dès 2017. n

MAIN DE BOUDDHA. Variété de cédrat asiatique qui tire son nom de sa forme évocatrice.

dossierle futur de l’agriculture

la force de l’expérience

Déménagement d’entreprisesTél. 022 308 88 00 - www.balestrafic.ch