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Rapports et études Les prises de position de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Pour une rationalisation des droits de préemption immobilière et commerciale Propositions de la CCIP Rapport de Monsieur Gérald Barbier Avec la collaboration de Mesdames Dominique Moreno et Marion Yvorel, département de droit public et économique et Madame Sophie Deswarte, DET-DL à la Direction Générale Adjointe chargée des Etudes, de la Prospective et de l’Innovation Présenté au nom de la Commission du commerce et des échanges et de la CADER et adopté par l'assemblée générale du 19 février 2009

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Rapports et études Les prises de position de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris

Pour une rationalisation des droits de préemption immobilière et commerciale Propositions de la CCIP

Rapport de Monsieur Gérald Barbier Avec la collaboration de Mesdames Dominique Moreno et Marion Yvorel, département de droit public et économique et Madame Sophie Deswarte, DET-DL à la Direction Générale Adjointe chargée des Etudes, de la Prospective et de l’Innovation Présenté au nom de la Commission du commerce et des échanges et de la CADER et adopté par l'assemblée générale du 19 février 2009

- SYNTHESE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS - Le Code de l’urbanisme comporte une pluralité de droits de préemption mis à la

disposition des collectivités publiques, en particulier des communes. Le plus utilisé

est le droit de préemption urbain immobilier, auquel s’est ajoutée la préemption

commerciale. Le droit de propriété et la liberté d’entreprendre sont donc en

cause et l’entreprise est touchée dans sa cession ou sa transmission. Face à

une forte poussée contentieuse (40 % des décisions sont annulées), le Conseil

d’Etat a étudié des pistes d’amélioration de la préemption immobilière.

Dans ce contexte, la CCIP formule des propositions de réforme générale des droits

de préemption immobilière et commerciale, afin que ceux-ci soient utilisés avec

une grande circonspection et demeurent exceptionnels, dans un souci de

sécurité juridique de tous les acteurs impliqués.

1. La préemption immobilière

a. Sur le bien-fondé du recours à la préemption

Maintenir une exigence de motivation des considérations d’intérêt

général ayant justifié la décision de préemption ; une motivation par

renvoi à un document d’urbanisme supposant que ses dispositions

soient suffisamment précises.

b. Sur la procédure de préemption

Conforter la commune comme le « guichet unique » du dépôt de toutes les

déclarations préalables de cession, quel que soit le droit de préemption

concerné ;

prévoir la mention de l’identité de l’acquéreur pressenti et son activité ;

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imposer la simultanéité entre le transfert de propriété à la collectivité

préemptrice et le paiement du prix, tout en réduisant le délai de paiement

à trois mois et en prévoyant, sur demande du vendeur, une sanction de

caducité de la décision de préemption. Le vendeur devrait alors

retrouver sa liberté d’aliénation sans être tenu par le prix de la DIA ou le

prix judiciaire ;

quant à cette procédure judiciaire de fixation du prix, mettre en place des

dispositifs de médiation préalable sous l’égide du préfet et ne prévoir la

saisine du juge de l’expropriation par l’une ou l’autre des parties (collectivité

publique ou vendeur) qu’en cas d’échec. Ce juge ne pourrait fixer un prix

diminuant de plus de 10 % celui de DIA ; l’avis des domaines devrait être

confronté à d’autres estimations, comme celle de la chambre

départementale des notaires.

c. Sur la phase postérieure à la préemption

En cas de renonciation par la commune à préempter, imposer des garanties

au profit du vendeur, compensant toute différence dans les prix de cession ;

créer un bloc de compétence vers le juge administratif portant sur l’annulation

de la décision de préemption et des actes contractuels en découlant ;

consacrer légalement un droit à indemnisation du vendeur ou de

l’acquéreur évincé en cas d’annulation de la décision de préemption quel

qu’en soit le motif ; cette indemnisation ne pouvant être inférieure à 10 %

du prix.

2. La préemption commerciale

a. Sur la délimitation du périmètre d’intervention

Instaurer des périmètres ciblés plutôt que des périmètres couvrant l’ensemble

de la commune, difficiles à motiver ;

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imposer l’obligation pour la commune de préciser les motifs les ayant conduits

à s’écarter de l’avis des chambres consulaires ;

prévoir, dans un souci de transparence et d’information des acteurs

concernés, une réelle publicité de la délibération du conseil municipal

arrêtant le périmètre de préemption : annexion au PLU, transmission aux

chambres consulaires, aux services fiscaux, aux greffes des TGI et des

tribunaux de commerce, aux barreaux et aux chambres départementales

des notaires.

b. Sur l’exercice de la préemption

Imposer, dans la déclaration préalable du cédant, la mention de l’activité

de l’acquéreur pressenti, afin que la commune puisse prendre sa

décision de préempter ou de renoncer en toute connaissance de cause,

eu égard à l’objectif de diversité commerciale ;

introduire la possibilité de motiver la décision individuelle par référence aux

dispositions de diversité commerciale inscrites dans la délibération arrêtant le

périmètre, à condition qu’elles soient suffisamment précises et qu’elles

correspondent à l’action individuelle de préemption.

ne prévoir la saisine du juge de l’expropriation par la commune que si celle-ci

démontre que le prix indiqué dans la déclaration préalable est manifestement

excessif par rapport au prix du marché.

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c. Sur la phase postérieure à la préemption et la rétrocession

En cas de non paiement du prix, introduire, à l’instar du droit commun, une

possibilité de rétrocession du bien ou du bail au cédant qui recouvrirait ensuite

sa totale liberté d’aliénation ;

en cas de renonciation par la commune à préempter après fixation judiciaire

du prix de vente, rendre au commerçant-cédant toute sa liberté d’aliénation de

son bien, sans qu’il soit tenu par le prix fixé par le juge ni par celui de sa

déclaration ;

en cas d’annulation de la décision de préemption, interdire pendant un an

toute action de préemption sur le même bien, le commerçant recouvrant sa

totale liberté de cession ;

prescrire dans la loi les obligations précises de la commune à l’égard du

bailleur (indemnisation des pertes de loyers) et des salariés du cédant.

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- SOMMAIRE -

TITRE 1 LA PREEMPTION IMMOBILIERE 9

I. L’UTILISATION DU DROIT DE PREEMPTION URBAIN 10 A. OBJET DE LA PREEMPTION 10 B. MOTIVATION DE LA DECISION DE PREEMPTION 12 II. PROCEDURE DE PREEMPTION 13 A. PHASES DE LA PREEMPTION 13 B. DETERMINATION DU PRIX 15 III. PHASE POSTERIEURE A LA PREEMPTION 16 A. RENONCIATION 16 B. RETROCESSION 17 C. ANNULATION DE LA DECISION DE PREEMPTION 18

TITRE 2 LA PREEMPTION COMMERCIALE 20

I. DELIMITATION PREALABLE DU PERIMETRE D’INTERVENTION 21 A. MOTIVATION 21 B. AVIS PREALABLE DES CHAMBRES CONSULAIRES 22 C. MESURES DE PUBLICITE 22 II. EXERCICE DE LA PREEMPTION : ENTRE DROIT COMMUN ET SPECIFICITE 23 A. DECLARATION PREALABLE DU CEDANT 23 B. DECISION DE PREEMPTION 25 C. FIXATION JUDICIAIRE DU PRIX 25 D. PASSATION DE L’ACTE DE VENTE ET PAIEMENT DU PRIX 26 III. RETROCESSION PAR LA COMMUNE DANS LE DELAI D’UN AN 27 A. RECHERCHE D’UN REPRENEUR PAR LA COMMUNE 27 B. EXPLOITATION DU FONDS PENDANT LA PERIODE TRANSITOIRE D’UN AN 28 C. ACTE DE RETROCESSION OU ABSENCE DE REPRENEUR 28

LA PREEMPTION DES FONDS, BAUX ET TERRAINS COMMERCIAUX DANS L’AGGLOMERATION PARISIENNE ETAT DES LIEUX DES PERIMETRES D’INTERVENTION EN 2008 31

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Instaurée en droit français il y a une cinquantaine d’années, la préemption est devenue un instrument incontournable des politiques urbaines. Il s’agit d’un mode forcé d’acquisition qui consiste en la possibilité, pour une personne publique, de se substituer à l’acquéreur d’un droit ou d’un bien mis en vente pour en faire l’acquisition à sa place. Cette technique consacre l’immixtion, au nom de l’intérêt général, de l’administration au sein de transactions privées. Le Code de l’urbanisme propose un large éventail de droits de préemption, auxquels les collectivités publiques ont fréquemment recours pour réaliser leurs projets ou résoudre les problèmes de leurs territoires, avec des objectifs différents. D’une part, un tel dispositif peut être instauré à des fins de protection de l’environnement. Les départements se voient ainsi dotés d’un droit de préemption pour :

sauvegarder leurs espaces naturels sensibles (article L. 142 du Code de

l’urbanisme) ;

protéger et mettre en valeur les espaces agricoles et naturels périurbains (article L. 143-1).

D’autre part, au titre de l’urbanisme opérationnel, il existe un droit de préemption centralisé : celui des zones d’aménagement différé (ZAD) (article L. 212 et suivants). Dévolu par principe à l’Etat, il peut être délégué par lui à une collectivité publique, un établissement public, une société d’économie mixte (SEM) titulaire d'une convention d'aménagement, ou tout autre concessionnaire d’une opération d’aménagement. Il s’exerce pour une durée de 14 ans sur toutes les ventes et cessions à titre onéreux de biens immobiliers ou de droits sociaux intervenant au sein de ces périmètres. Dans ce même objectif, on trouve les formes de préemption décentralisées vers les communes. Il s’agit principalement du droit de préemption urbain (DPU), prévu à l’article L. 211 du Code. Instauré par délibération du conseil municipal dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme (PLU)1, il peut s’exercer sur l’ensemble des zones urbaines et à urbaniser. C’est le plus utilisé en pratique et celui qui focalise les points d’études. Enfin, en vertu de l’article L. 214-12, les communes peuvent également se doter d’un droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et certains terrains à usage commercial, afin de maintenir le commerce et l’artisanat de proximité. Force est donc de constater la multitude de droits de préemption, confiés à des acteurs variés pour des objectifs hétéroclites. Or, la préemption constitue un dispositif très lourd, soumis à un formalisme pointilleux. En effet, elle porte directement atteinte à plusieurs libertés publiques. Elle heurte le droit de propriété dans la mesure où elle empêche le vendeur de céder son bien à la personne de son choix, et, en cas de fixation juridictionnelle du prix, à un tarif librement choisi par lui. Dans le cas de locaux, de fonds ou de baux commerciaux, c’est, par ailleurs, la liberté d’entreprendre que cet outil vient restreindre. Devant ces atteintes, il est donc nécessaire que les recours à la préemption soient clairement organisés.

1 Ou d’une carte communale sous certaines conditions. 2 Dispositions insérées par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

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Malgré les précautions prises par le législateur, ce dispositif génère une forte insécurité juridique, dont témoigne l’importance du contentieux. On estime que 40 % des décisions de préemption sont annulées par le juge administratif, soit deux fois plus que dans les autres contentieux. De plus, la plupart des recours sont assortis d’actions en référé-suspension, celles-ci étant favorisées par la présomption de condition d’urgence en faveur de l’acquéreur. Et là encore ces actions ont un fort taux de succès puisque la moitié des dossiers donne lieu à une suspension. Cette explosion du contentieux, sans équivalent dans les autres pans du droit de l’urbanisme, n’est pas imputable à une hausse du nombre de décisions de préemption. Ce phénomène s’explique, d’une part, par la difficulté des acteurs publics à respecter la procédure et, d’autre part, par des possibilités de recours largement facilitées. Pour ces différentes raisons, la préemption est une question délicate. C’est dans l’esprit de rénover cet outil et de faciliter son acceptation que le gouvernement a chargé le Conseil d’Etat d’analyser la pratique du droit de préemption et de travailler sur les améliorations à lui apporter. Saisi en juillet 2006 par le Premier Ministre, la Haute Instance a rendu publiques ses observations au printemps dernier. Le rapport, réalisé par un groupe de travail composé de représentants des collectivités publiques, d’élus locaux, de théoriciens du droit, et présidé par le Conseiller d’Etat, Jean-Pierre Duport, dresse le bilan de plus de vingt années d’utilisation de cet instrument d’aménagement et propose de lui apporter plusieurs modifications. Ce sujet a un impact majeur sur l’activité économique. Qu’elle soit immobilière ou commerciale, la décision de préemption peut toucher l’entreprise lors de sa cession ou de sa transmission. La CCIP a examiné les préconisations du Conseil d’Etat et entend apporter sa contribution au débat. Elle a élargi sa réflexion à la préemption commerciale, thème très sensible pour le secteur du commerce. Compte tenu de la mise en cause du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre, cette technique doit rester d’utilisation exceptionnelle ; la plus grande circonspection s’impose dans un souci de sécurité juridique de tous les acteurs impliqués.

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Titre 1 La préemption immobilière

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I. L’UTILISATION DU DROIT DE PREEMPTION URBAIN

A. OBJET DE LA PREEMPTION

1. Problématique

Le champ d’application de la préemption est particulièrement large. Le Code de l’urbanisme prévoit qu’elle peut être exercée en vue de la réalisation d’actions ou opérations d’aménagement répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à savoir :

mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, favoriser le développement des loisirs et du tourisme, réaliser des équipements collectifs, lutter contre l’insalubrité, permettre le renouvellement urbain, sauvegarder ou mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti.

En tout état de cause, pour que la préemption soit légale, l’opération doit répondre à une fin d’intérêt général. Théoriquement, cet outil a une visée anti-spéculative. Il permet, en pratique, aux collectivités d’exercer une pression sur les prix de l’immobilier et de contrer les anticipations financières liées à l’annonce de la réalisation d’équipements publics. Or, on a constaté plusieurs dérives fâcheuses, certaines collectivités profitant de la préemption pour acquérir des biens à bas prix et les revendre par la suite pour réaliser des plus-values, évidemment, cette activité de «marchand de biens» est contraire à la mission d’intérêt général des collectivités publiques. Autre détournement illégal observé par le Conseil d’Etat, l’utilisation de la préemption à des fins discriminatoires : il s’agit là de faire obstacle à un acquéreur ou à un projet jugé « indésirable ». Les pratiques détournées de la préemption sont donc nombreuses et expliquent la charge contentieuse. On comprend mieux pourquoi le juge est particulièrement strict sur l’obligation de motiver la décision3.

2. Rapport du Conseil d’Etat Face à la difficulté d’apprécier l’opportunité des recours à la préemption, le Conseil d’Etat propose d’en clarifier et d’en réviser l’objet. Le but ne serait pas de poursuivre le mouvement d’extension de son champ d’application, mais de la replacer dans l’éventail des instruments de politique publique et d’aménagement et de rationnaliser son utilisation à la ramenant à deux hypothèses.

a. Resituer les droits de préemption face aux autres dispositifs d’aménagement Afin de redéfinir la vocation des droits de préemption, la Haute Juridiction conseille de revoir la notion d’aménagement public de manière plus large, afin qu’elle intègre ses nouvelles missions comme la lutte contre l’habitat insalubre ou encore la sécurité publique.

3 Art. L. 210-1 du Code de l’urbanisme.

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En parallèle, il s’agirait de restaurer une hiérarchie entre les divers instruments de l’action foncière pour éviter un recours systématique au droit de préemption. Le Conseil d’Etat préconise, pour ce faire, d’encadrer l’usage du DPU en définissant deux hypothèses de recours :

la mise en œuvre d’une stratégie d’aménagement dont les grandes lignes sont connues ;

l’acquisition ponctuelle de biens immobiliers dont l’irruption sur le marché va catalyser la définition et la mise en œuvre d’une action d’aménagement. A ce titre, il serait opportun d’insérer la préemption dans les documents d’urbanisme existants.

b. Distinguer entre la préemption planifiée et la préemption d’opportunité

Le nouveau droit de préemption correspondrait à une forme de préemption planifiée. Pour s’en doter, il appartiendrait aux collectivités d’adopter une décision définissant la stratégie ou les opérations d’aménagement et délimitant avec précision les périmètres d’intervention dans lesquels ce droit peut être exercé, dans les documents d’urbanisme. Dans ces conditions, les hypothèses de recours au droit de préemption seraient celles prévues par le document adopté par l’assemblée délibérante. Pour éviter une généralisation des recours à cet outil, il convient toutefois de l’encadrer. Le Conseil d’Etat propose ainsi de limiter à un délai maximum de 5 années, renouvelables, la possibilité d’en faire usage. Parallèlement, la Haute Instance propose que soit institué un droit de préférence, lequel correspondrait à une forme de préemption d’opportunité. Il pourrait être mis en œuvre pour réaliser les opérations d’intérêt général suivantes :

une action ou opération relevant de l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme ;

un investissement présentant un intérêt communal autre que ceux définis à l’article précédemment cité ; ce qui permettrait de parer aux impératifs ponctuels auxquels peuvent être confrontées les collectivités et que la notion d’aménagement définie à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme ne permet pas de prendre en compte.

Dans la mesure où le droit de préférence ne concerne pas les projets d’aménagement d’envergure, il semble pertinent, selon le Conseil d’Etat, que la procédure soit plus respectueuse des intérêts du vendeur. Il suggère ainsi de supprimer la fixation judiciaire du prix. Pour acquérir le bien, la collectivité devrait ainsi payer le prix indiqué par le vendeur dans la déclaration ou bien celui qu’elle aura négocié avec lui. En cas de renoncement de l’autorité préemptrice, le bien sera aliéné au prix fixé par le vendeur ou à un tarif plus élevé.

3. Propositions de la CCIP

Dans sa formulation actuelle, les articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, justifiant uniquement l’exercice de la préemption intervenant dans le cadre d’un projet clairement et préalablement défini, ne permet pas de répondre à l’ensemble des besoins des collectivités publiques. En témoignent l’abondance du contentieux et les nombreuses utilisations détournées auxquelles cet outil donne lieu. Dans la pratique, c’est souvent la mise en vente d’un bien qui fait émerger un projet d’aménagement. Dans ce cas, le délai de deux mois laissé à la collectivité pour signifier au propriétaire son intention de préempter le bien est trop court pour lui permettre d’élaborer un véritable projet.

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Sur le principe, la proposition du Conseil d’Etat de distinguer entre une forme de préemption planifiée et une forme de préemption d’opportunité apparaît particulièrement pertinente. Elle permettrait de renforcer la sécurité juridique du dispositif, en limitant les utilisations frauduleuses de la préemption. Le détail de la mesure, en particulier la fixation du prix, suscite toutefois de nombreuses interrogations qui seront évoquées ci-après.

B. MOTIVATION DE LA DECISION DE PREEMPTION

1. Problématique

La motivation constitue le principal écueil contentieux. C’est sur ce terrain que les décisions sont le plus souvent attaquées et annulées4. Pour qu’une décision de préemption soit dûment motivée, elle doit indiquer l’objet pour lequel la préemption est exercée, c’est-à-dire l’un des objectifs définis à l’article L. 300-1 du Code l’urbanisme. C’est une formalité substantielle dont la méconnaissance a pour effet d’entacher d’illégalité la décision de préemption5. Elle implique une double obligation pour la collectivité publique : d’une part, d’exposer de façon suffisamment détaillée les raisons de l’acquisition envisagée et, d’autre part, que ces fondements soient pertinents. Ainsi, les décisions qui se contentaient de mentionner l’objectif d’aménagement poursuivi par la préemption ou exposaient des considérations trop vagues ne permettant pas de cerner les caractéristiques essentielles de l’opération sont jugées insuffisantes. Depuis plus de 20 ans, cette exigence a été interprétée strictement par les juridictions administratives, ces dernières imposant aux communes de disposer, à la date d’exercice de leur droit de préemption, d’un projet d’action ou d’opération suffisamment précis et certain6. Il s‘agissait là de les contraindre à fournir davantage d’explications sur leurs intentions et de s’assurer qu’elles n’avaient pas recours à cet outil pour des projets sans aucune consistance. Cette rigueur reste toutefois marquée par un souci de réalisme, comme le montre une affaire récente7. Dans un arrêt Commune de Meung-sur-Loire du 7 mars 2008, le Conseil d’Etat a considéré que s’il appartient toujours à la commune de justifier de la réalité d’un projet d’action lorsqu’elle entend faire usage de la préemption, celle-ci n’est pas tenue, à cette date, d’en définir toutes les caractéristiques administratives et techniques (en l’espèce, il n’était pas nécessaire de préciser si le bien préempté était destiné à un service ou à un commerce, dès lors qu’était visé un usage professionnel). Autre volonté de souplesse : la motivation par référence prévue pour certains types de préemption. Les lois SRU du 13 décembre 2000 et ENL du 13 juillet 2006 autorisent, en effet, la référence à une délibération arrêtant un plan local de l’habitat8.

4 Deux tiers des annulations sont prononcées au titre de la méconnaissance de cette obligation. 5 CE, 2 décembre 1988, n° 81844, SA d’économie mixte immobilière du Nord-Est Parisien. 6 CE, sect., 26 février 2003, BJDU 2/2003 p. 106, concl. Fombeur, note J.C. Bonichot. 7 CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, BJDU 1/200, p 157, concl. Derepas, note J.C Bonichot. 8 CE, 30 janvier 2008, n° 299675, Ville de Paris.

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2. Rapport du Conseil d’Etat

Sur la base de sa distinction entre une préemption planifiée et une préemption d’opportunité, le Conseil d’Etat propose de simplifier la motivation des décisions. Pour la première, il appartiendrait seulement à la collectivité de se référer au document définissant le programme d’action dans lequel l’opération projetée s’inscrit. En ce qui concerne le droit de préférence, l’autorité préemptrice devrait, en revanche, justifier de la réalité de l’objectif d’intérêt général ou de l’intérêt communal poursuivi. Contrairement au régime actuel, la collectivité n’aurait plus à justifier de l’existence d’un projet suffisamment précis à la date de la décision de préemption, point particulièrement problématique.

3. Propositions de la CCIP Parce qu’elle constitue une atteinte au droit de propriété, la préemption doit être motivée par une fin d’intérêt général et doit répondre à un véritable besoin de la collectivité. D’un point de vue formel, c’est la nature même de la décision de préemption qui commande sa motivation. La loi du 12 avril 20009 exige en effet que les décisions individuelles imposant des sujétions à leurs destinataires précisent les motifs qui les justifient. Pour rationaliser cette exigence sans en amoindrir la portée, le législateur pourrait prévoir que la motivation par référence est de droit lorsque le document d’urbanisme ou sectoriel est suffisamment précis et que le projet répond à ces dispositions. Dans les autres cas, le projet devrait être décrit, même si toutes ses caractéristiques techniques n’ont pas à être détaillées.

II. PROCEDURE DE PREEMPTION

A. PHASES DE LA PREEMPTION 1. Problématique

Le propriétaire désireux de vendre un bien situé dans une zone de préemption doit, au préalable, adresser à la commune une déclaration d’intention d’aliéner (DIA), laquelle doit mentionner le prix et les conditions de l’aliénation. En revanche, celle-ci n’est pas tenue d’indiquer l’identité de la personne qui s’était portée candidate à l’acquisition auprès du propriétaire10, cette mention ne constituant, par ailleurs, aucunement un engagement de la part du vendeur. A compter de la réception de cette déclaration, le titulaire du droit de préemption dispose de deux mois pour notifier au propriétaire son intention d’acquérir le bien. Passé ce délai, son silence vaut renonciation.

9 Loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. 10 Sauf si cet acquéreur pressenti l’exige.

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Trois cas de figure sont alors possibles :

Le titulaire du droit de préemption peut renoncer, expressément ou tacitement, à en faire usage. Le propriétaire retrouve alors la possibilité de céder librement son bien aux prix et conditions de la DIA ;

Si la collectivité décide d’acquérir le bien aux prix et conditions indiquées dans la DIA, l’accord prendra la forme d’un acte notarié ou d’un acte en forme administrative, lequel confirmera le transfert de propriété. Le paiement du prix devra alors intervenir dans les 6 mois ;

Le titulaire du droit de préemption peut, enfin, signifier au vendeur son intention d’acquérir le bien à un prix différent de celui fixé dans la DIA. Ce dernier a alors deux mois pour répondre à la proposition de l’administration. Dans ce délai, il peut renoncer à vendre, accepter l’offre de l’administration si le nouveau prix lui convient, ou maintenir le prix qu’il avait initialement demandé. Dans cette dernière hypothèse, si la collectivité publique estime le prix excessif, elle peut, sous quinzaine, saisir le juge de l’expropriation qui sera chargé de fixer le prix. A compter de la décision juridictionnelle, le silence des parties, passé deux mois, vaudra transfert de propriété, sauf renonciation.

2. Rapport du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat insiste principalement sur la nécessité de clarifier les effets de la transaction. Il propose, pour ce faire, les modifications suivantes :

Dans le régime actuel, le moment du transfert effectif de propriété reste fortement incertain, les trois étapes fondamentales de transaction (accord sur le prix, signature de l’acte de vente, et paiement du prix) pouvant intervenir à plusieurs mois d’intervalle. Dans ces conditions, pour sécuriser la transaction, le transfert de propriété deviendrait effectif au moment du paiement du prix, lequel interviendrait en même temps que la signature de l’acte authentique.

Le paiement devrait, par ailleurs, avoir lieu dans un délai de 3 mois (contre 6 mois

actuellement) à compter de l’accord sur le prix. En cas de non respect de ce délai, la préemption serait frappée de caducité. Le propriétaire retrouverait alors l’entière disposition de son bien et la collectivité aurait l’interdiction de le préempter pendant 5 ans.

3. Propositions de la CCIP

Concernant le dépôt de la DIA, par souci de simplification administrative, la commune devrait être le guichet unique, quel que soit le droit de préemption en cause ; à charge pour elle ensuite de transmettre le dossier à la collectivité compétente.

Pour garantir la pertinence de la décision de préempter, il conviendrait de prévoir la

mention de l’identité de l’acquéreur pressenti et de son activité, s’il est un professionnel, en y joignant la promesse de vente.

Enfin, la corrélation entre le transfert de propriété et le paiement du prix dans

un délai réduit à trois mois est indispensable. Elle a d’ailleurs été retenue pour la préemption commerciale.

Mais la sanction de caducité de la décision de préemption devrait être mise en œuvre sur demande du vendeur.

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Le vendeur devrait alors recouvrer sa liberté d’aliénation, sans être tenu par le prix de la DIA ou le prix judiciaire.

B. DETERMINATION DU PRIX

1. Problématique Lorsque le propriétaire et le titulaire du droit de préemption ne parviennent pas à s’accorder sur le prix, ce dernier peut saisir le juge de l’expropriation qui sera alors chargé d’évaluer la valeur du bien. Pour ce faire, il peut prendre en compte les transactions intervenues pour des biens identiques localisés dans le même secteur ou dans un secteur comparable, ainsi que les évaluations administratives et les déclarations fiscales. La date de référence est la date du plus récent des actes rendant public, approuvant ou modifiant le PLU.

Le prix ainsi fixé est exclusif de toute indemnité accessoire, et notamment d’une indemnité de réemploi.

2. Rapport du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat propose de réformer le mode de fixation du prix de la façon suivante :

Pour favoriser une meilleure circulation de l’information relative aux prix du foncier, il suggère de rendre accessible au public les données recueillies par l’administration fiscale. Il recommande, de plus, que l’avis des Domaines, lorsqu’il est nécessaire11, soit communiqué à la fois à la collectivité et au vendeur ; il est actuellement uniquement transmis à l’autorité préemptrice.

Il faudrait également donner davantage de poids à l’avis des Domaines, en

contraignant par exemple la collectivité, lorsqu’elle décide de ne pas suivre cet avis, à en exposer les motifs dans la décision de préemption.

La fixation du prix devrait, en outre, être réajustée afin que celui-ci prenne en compte

les sujétions particulières pouvant peser sur le bien (travaux de dépollution ou de remise en état, par exemple). Les collectivités pourraient, à ce titre, demander au juge de l’expropriation de désigner un expert chargé d’évaluer ces coûts.

Enfin, le Conseil d’Etat souhaite promouvoir une fixation négociée du prix pour éviter

la saisine du juge de l’expropriation. Il appartiendrait donc à la collectivité, lorsqu’elle n’accepte pas le prix indiqué dans la DIA, de faire des contre-propositions au vendeur jusqu’à ce qu’elle parvienne à un accord sur les termes de la transaction.

11 Transactions supérieures à 75 000 euros.

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3. Propositions de la CCIP

La fixation du prix est problématique dans la mesure où le vendeur a souvent l’impression d’être dépossédé de toute initiative face à la collectivité publique et au juge de l’expropriation saisi exclusivement par elle. Le juge ne pourrait, en tout état de cause, fixer un prix diminuant de plus de 10% celui de la DIA. Selon la CCIP, cette phase judiciaire doit être le dernier recours. Des dispositifs de médiation entre le vendeur et la collectivité sont à encourager ; ils pourraient être mis en place sous l’égide du préfet. En cas d’échec au terme d’un délai (2-3 mois) fixé par la loi, le juge de l’expropriation pourrait alors être saisi, mais par l’une ou l’autre des parties, la collectivité publique n’ayant pas alors à avoir l’exclusivité de cette initiative. De plus, la faculté du vendeur de solliciter des contre-expertises devrait être expressément énoncée. Quant à l’avis des Domaines, il ne semble pas pertinent de lui donner une force juridique accrue, car les biens sont souvent évalués en dessous du prix du marché ; ce qui ne permet pas une protection optimale de l’intérêt des vendeurs. D’autres organismes devraient être habilités à produire une estimation du prix, comme les chambres départementales des notaires.

III. PHASE POSTERIEURE A LA PREEMPTION

A. RENONCIATION

1. Problématique Si les parties ne parviennent pas à un accord amiable sur le prix, elles peuvent renoncer à la transaction. Le propriétaire peut retirer son offre et la collectivité renoncer à faire usage de son droit de préemption. En cas de renonciation de la personne publique, le propriétaire redevient libre de céder son bien mais aux prix et conditions fixées dans la DIA. La situation est plus contraignante lorsque le titulaire renonce à la préemption après que le prix ait été fixé par le juge. Dans ce cas, il ne peut plus exercer son droit à l’égard du même propriétaire dans un délai de 5 ans12. Le propriétaire pourra, quant à lui, vendre son bien mais seulement au prix judiciaire actualisé.

2. Rapport du Conseil d’Etat Le Conseil d’Etat préconise un ensemble de mesures destinées à renforcer les droits des parties privées en cas de renonciation à la préemption :

instaurer une indemnité d’immobilisation au profit du vendeur correspondant à la

valeur du bien majorée du taux d’intérêt légal et à la durée écoulée entre la date de la préemption et la date de la renonciation, et éventuellement, de frais supplémentaires liés à la remise en vente du bien ;

en cas de vente ultérieure à un prix inférieur à celui de la DIA, octroyer au

propriétaire une indemnité équivalente à la différence entre ces deux prix ; 12 Article L. 213-8. Le délai s’apprécie à compter de la décision juridictionnelle devenue définitive.

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donner la possibilité au vendeur de céder son bien sans DIA si la vente est réalisée à

un prix égal ou supérieur à celui fixé dans la DIA ou par le juge, afin qu’il puisse profiter des évolutions favorables du marché.

3. Propositions de la CCIP

La CCIP soutient fortement l’instauration de tels mécanismes compensatoires, garants des droits des vendeurs qui recouvriraient alors leur liberté d’aliénation, sans être tenus par le prix de la DIA ou le prix judiciaire.

B. RETROCESSION

1. Problématique Comme en matière d’expropriation, la procédure de préemption prévoit un droit de rétrocession, dont le vendeur initial peut bénéficier dans plusieurs cas, en particulier lorsque le bien préempté n’a pas été payé dans le délai de 6 mois. De même, si, dans un délai de moins de 5 ans après l’exercice de son droit, la personne publique décide d’utiliser le bien à une fin autre que celle prévue dans la décision de préemption, et qui ne corresponde pas à l’un des objectifs définis par les articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, l’ancien propriétaire, ou à défaut l’acquéreur évincé, doivent se voir proposer en priorité la rétrocession du bien.

2. Rapport du Conseil d’Etat Le Conseil d’Etat propose, parallèlement au renforcement des garanties offertes aux propriétaires, de durcir les obligations des collectivités en cas de rétrocession. Il s’agirait notamment de :

soumettre le changement de destination ou l’aliénation du bien préempté à

délibération de l’organe délibérant ;

obliger la collectivité à rétrocéder le bien au prix figurant dans l’acte de vente actualisé par application du coût de la construction, et non plus au prix fixé à l’amiable ou par le juge ;

en cas d’absence d’utilisation effective du bien pendant une durée de 5 ans,

permettre à l’acquéreur évincé ou à l’ancien propriétaire de mettre en demeure la collectivité de lui rétrocéder le bien, sous réserve que cela ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

3. Propositions de la CCIP

Si de telles mesures sont à approuver en termes de garanties offertes aux parties privées, un problème pratique demeure : l’acquéreur évincé a-t-il encore intérêt à l’acquisition initiale tant d’années après ? En tout état de cause, la collectivité préemptrice devrait rétrocéder au prix de l’acte de vente actualisé.

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C. ANNULATION DE LA DECISION DE PREEMPTION

1. Problématique L’annulation de la décision de préemption a pour effet, lorsque le transfert de propriété n’a pas encore eu lieu, de priver le titulaire de la possibilité d’exercer son droit sur le bien concerné pendant un an. Le vendeur recouvre alors son entière liberté d’aliénation sans être tenu par le prix indiqué dans sa déclaration13. En cas d’annulation de cette décision, le titulaire a l’interdiction de revendre le bien illégalement préempté à un tiers. En vertu de l’arrêt de principe du Conseil d’Etat du 26 février 2003, M et Mme Bour, la collectivité doit proposer à l’acquéreur évincé, et à l’ancien propriétaire le cas échéant, d’acquérir le bien, à condition que cette cession ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général. Il s’agit là de rétablir, autant que possible, les conditions initiales de la transaction auxquelles la préemption a fait obstacle. La cession sera effectuée moyennant un prix juste, en évitant l’enrichissement sans cause de l’une des parties. Si le bien illégalement préempté a fait l’objet de modifications consécutivement à l’exercice de la préemption, le prix devra toutefois en tenir compte14. Dans les cas où l’annulation intervient après que le bien illégalement préempté ait été revendu, le juge judiciaire peut être saisi et prononcer l’annulation de la vente.

2. Rapport du Conseil d’Etat Le Conseil d’Etat entend faciliter les conditions de rétablissement de la situation initiale, lorsque l’illégalité de la décision de préemption est reconnue. Il propose ainsi de :

placer le contentieux des décisions de préemption et des contrats leur afférant sous

la compétence unique du juge administratif. Cela impliquerait que le contrat de vente entre la collectivité et le vendeur soit qualifié de contrat administratif ;

le cas échéant, de donner aux juridictions administratives la possibilité de prononcer

la nullité de ces contrats lorsque la décision de préemption est annulée, sous réserve de ne pas porter atteinte à l’intérêt général ou à l’intérêt des tiers.

3. Propositions de la CCIP

La création d’un bloc de compétence au profit du juge administratif serait source de simplification. Celui-ci annulerait la décision de préemption et pourrait annuler l’acte de vente entre le cédant et la commune et, le cas échéant, celui entre la commune et un tiers. Tous ces actes conventionnels devraient alors être qualifiés de contrats administratifs par la loi, ce qui a été fait dans d’autres domaines du droit administratif. Cela signifie également que les contestations de l’acquéreur évincé, la plupart du temps assorties d’un référé-suspension, seront automatiquement portées devant la juridiction administrative. D’ores et déjà, le Conseil d’Etat a admis que le référé-suspension introduit par lui contre la décision de préemption pouvait intervenir après le transfert de propriété du vendeur initial à la commune15.

13 Article L. 123-8 du Code de l’urbanisme. 14 CE, 29 décembre 2004, n° 259855, SCI Desjardins KB, JCP A 2005, p 611. 15 CE, 23 juin 2006, Société Actilor, BJDU 5/2006 p. 358, concl. Devys, obs. J.C. Bonichot.

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Par ailleurs, il conviendrait que la loi consacre un droit à indemnisation du vendeur initial ou de l’acquéreur évincé en cas d’annulation de la préemption et donc de faute de l’administration, et ce, quelle que soit la nature de l’illégalité. En effet, la jurisprudence actuelle refuse ce droit si l’illégalité provient d’un vice de forme16, comme la motivation, alors que cette dernière est le motif le plus fréquent d’invalidation des décisions ; ce qui pénalise les vendeurs et acquéreurs évincés qui ont subi des préjudices suite à cette décision illégale. Cette indemnité ne devrait pas être inférieure à 10% du prix de vente.

16 CE 27 juin 2005, Communauté urbaine de Lyon, BJDU 5/2005 p 368 ; CAA Paris, 3 février 2004, M et Mme Bour, AJDA 2004, p 1605.

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Titre 2 La préemption commerciale

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La loi du 2 août 2005 en faveur des PME, ouvre la possibilité aux communes, dans certaines conditions, d’exercer un nouveau droit de préemption spécifique lors de la cession de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. Un chapitre spécifique (art. L 214-1 et suivants) est créé dans le Code de l’urbanisme, le décret d’application n° 2007-1827 du 26 décembre 2007 en fixe les modalités d’application (articles R 214-1 et suivants). Par la suite, la loi de modernisation de l’économie (LME) n°2008-776 du 4 août 2008 (article 101) avec son décret d’application, a étendu ce droit de préemption à des cessions de terrains, dans le cadre de mesures en faveur du commerce de proximité.

I. DELIMITATION PREALABLE DU PERIMETRE D’INTERVENTION

A. MOTIVATION

1. Problématique Selon la loi (article L 214-1 du Code de l’urbanisme), « le conseil municipal peut, par délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité », à l’intérieur duquel les cessions de fonds artisanaux, de commerce, de baux commerciaux ou de certains terrains à usage commercial sont soumises au droit de préemption. La procédure de préemption pourra ensuite être menée par le maire au nom de la commune, sur habilitation du conseil municipal. Le Code général des collectivités territoriales est modifié en ce sens (article L 2122-21). Il s’agit donc d’une faculté pour les communes, mais sa mise en œuvre devra être dûment motivée, au regard des motifs légaux, sous contrôle du juge administratif. Pour ce faire, le décret (article R 214-1 du Code de l’urbanisme) met en place un mode de justification rigoureux. Le projet de délibération du conseil municipal est accompagné :

d’un plan du périmètre, d’un rapport analysant la situation du commerce et de l’artisanat de proximité à

l’intérieur de ce périmètre et les menaces pesant sur la diversité commerciale et artisanale.

2. Recommandations de la CCIP En pratique, les périmètres devront donc être bien ciblés. Si ce droit de préemption peut être un outil d’observation du commerce, il a surtout pour finalité de sauvegarder et de défendre la diversité de l’offre commerciale, là où elle est menacée. Aussi un périmètre qui recouvrirait l’ensemble du territoire communal devrait-il être fortement argumenté, à peine de ne pas s’inscrire dans les critères de la loi et du décret ; une telle démarche globalisatrice ne saurait donc être systématisée.

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B. AVIS PREALABLE DES CHAMBRES CONSULAIRES

1. Problématique Le nouvel article R 214-1 prévoit l’avis préalable de la CCI et de la CMA sur le projet de délibération communale, cet avis étant réputé favorable en cas de silence gardé pendant un délai de deux mois à compter de la saisine. Les critères concrets17 d’aide à la délimitation des périmètres peuvent se décliner par des éléments de commercialité, de coût des loyers, de conditions d’accès, d’état du foncier… A travers leurs différents observatoires, bases de données et études territoriales, les CCI ont, en effet, une connaissance précise de l’activité économique de leur circonscription et leur avis pourra alors constituer un élément déterminant pour la commune dans la définition de périmètres de préemption adaptés aux besoins du commerce de son territoire. Mais cet avis reste consultatif.

2. Propositions de la CCIP Il serait équitable, compte tenu du partenariat entre les communes et les chambres, d’imposer l’obligation pour ces collectivités de préciser les motifs qui les auraient conduite à s’écarter de l’avis consulaire.

C. MESURES DE PUBLICITE

1. Problématique

Le décret (article R 214-2) renvoie certes au droit commun du droit de préemption urbain pour les mesures de publicité de la délibération communale conditionnant sa prise d’effet, mais ne vise que le seul article R 211-2 du Code de l’urbanisme. Celui-ci prévoit un affichage en mairie pendant un mois et sa mention dans deux journaux diffusés dans le département. Toutefois, aucun renvoi n’est fait à l’article R 211-3 (à la différence d’une précédente version du décret) qui prescrit des mesures plus complètes et indispensables en matière de préemption : transmission au directeur départemental des services fiscaux, au Conseil supérieur du notariat, à la chambre départementale des notaires, aux barreaux et aux greffes près des TGI concernés. Cette omission du visa de l’article R 211-3 est regrettable, car elle prive des acteurs majeurs d’une information officielle. De surcroît, le décret en vigueur n’impose pas d’annexer le périmètre arrêté par le Conseil municipal au PLU, comme il en est obligatoirement pour les zones de préemption de droit commun (article R 123-13 du Code de l’urbanisme). Mais rien n’interdit au maire de procéder spontanément à ces mesures. Cela a été confirmé dans une réponse ministérielle18, qui précise par ailleurs que conformément au droit administratif général, le maire dispose d’un délai de deux mois pour répondre à une question sur l’existence d’un périmètre. Son silence, valant décision implicite de refus, peut être déféré au juge. De surcroît, toute mesure utile d’expertise ou d’instruction peut être sollicitée en référé, sans condition d’urgence, si les renseignements demandés par le requérant ont une utilité pour lui ; ce qui devrait être le cas pour un commerçant-cédant. 17 Rapport de la CCIP du 28 juin 2007, « Droit de préemption sur les fonds de commerce et les baux commerciaux. Critères de délimitation des périmètres communaux d’intervention ». 18 JO AN 19 août 2008, p. 7133.

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On précisera néanmoins que l’article R 410-15 du Code de l’urbanisme prévoit déjà la mention de la situation du bien dans une zone d’exercice des droits de préemption visés par ce Code dont fait partie la préemption commerciale.

2. Propositions de la CCIP Dans un souci de transparence et d’information optimale des acteurs concernés, les textes devraient prévoir une réelle publicité de la délibération sur le périmètre : annexion au PLU, transmission aux Chambres consulaires consultées, aux services fiscaux, aux greffes et barreaux près des TGI et des tribunaux de commerce, au Conseil supérieur du notariat et la Chambre départementale des notaires.

II. EXERCICE DE LA PREEMPTION : ENTRE DROIT COMMUN ET SPECIFICITE

A. DECLARATION PREALABLE DU CEDANT

1. Problématique

Le champ d’application de la préemption commerciale est très large : selon le nouvel article R 214-3, ce droit de préemption peut d’exercer sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce ou les baux commerciaux, lorsqu’ils sont aliénés à titre onéreux. Sont exclus, comme en droit commun, les aliénations intervenues dans le cadre d’un plan de sauvegarde (article L 626-1 du Code de commerce) ou d’un plan de cession d’entreprises 19 au titre d’un redressement (article L 631-22 du Code de commerce) ou d’une liquidation judiciaire (article L 642-1 à 17 du même code). Le formulaire de déclaration préalable vise expressément les apports en société et les échanges. En revanche, la vente du fonds sous forme de cessions de parts sociales ne semble pas concernée, sous réserve qu’elle traduise une manœuvre frauduleuse que le juge appréciera. La résiliation suivie de la conclusion d’un nouveau serait exclue, car ne constituant pas une cession de bail. S’agissant de l’ajout fait par la loi LME, il concerne les cessions de terrains portant ou destinés à porter des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 et 1000 m2. Le but est de permettre à la commune si elle estime inadapté un projet commercial prévu dans le cadre de la cession d’un terrain de ce type, d’exercer son droit de préemption dès lors qu’elle envisage dans le délai d’un an un projet alternatif favorable au commerce de proximité. Avant toute cession, le cédant doit déposer une déclaration préalable auprès du maire de la commune de situation. Un modèle de déclaration est prévu par l’arrêté du 29 février 2008.

19 Sauf cas particulier visé au nouvel article R 214-8 sur les ventes de gré à gré autorisées par le juge-commissaire.

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S’agissant des cessions de terrain, si celui-ci est situé également en zone de droit de préemption urbain, la déclaration est faite sur le formulaire de la DIA de droit commun, dans le cas contraire, le formulaire spécifique doit être utilisé. Ce processus de déclaration est classique en matière de préemption. Mais le décret et l’arrêté de 2007 demeurent ici trop laconiques. La loi impose de mentionner dans la déclaration le prix et les conditions de la cession. Or, le décret de 2007 aurait pu ajouter qu’en cas de promesse de vente, celle-ci était jointe à la déclaration ; cela aurait donné une référence supplémentaire au prix du marché, qui n’est plus visé nulle part dans le texte ; il s’agit pourtant d’une garantie très importante pour le respect des intérêts du commerçant cédant. De surcroît, seule la mention de l’existence d’un acquéreur pressenti est prévue dans l’arrêté de modèle de déclaration, sans que soit précisée son activité. La prise de décision de préemption par la commune est ainsi rendue plus difficile, car elle aura du mal à la réception de la déclaration à appréhender la situation à l’égard de la diversité commerciale. En outre, le bail n’a pas à être joint. Si le montant du loyer est mentionné, l’indication du chiffre d’affaires sur les trois dernières années reste facultative, comment alors apprécier la situation du commerce ? Toutes ces imprécisions risquent d’inciter les communes à saisir le juge de l’expropriation qui dispose de moyens d’investigations plus poussés que la commune. Par ailleurs, apparaît subitement dans le formulaire spécifique de déclaration un droit de délaissement, dont l’instauration relève normalement de la loi : concrètement, lorsque le cédant n’a pas d’acquéreur pressenti, il peut alors mettre en demeure le commune de lui acheter son bien. En tout état de cause, la loi indique que le défaut de déclaration entraîne la nullité de la vente, et conformément aux règles du droit civil, l’action se prescrit par cinq ans à compter de la prise d’effet de la cession. Le décret spécifie (article R 214-10) qu’elle s’exerce devant le TGI du lieu de situation du fonds ou des locaux loués.

2. Propositions de la CCIP D’une part, il est indispensable d’imposer dans la déclaration préalable la mention de l’activité de l’acquéreur pressenti, afin que la commune puisse prendre sa décision de préempter ou d’y renoncer en toute connaissance de cause, eu égard à l’objectif de diversité commerciale. De même, le bail devrait être obligatoirement joint. D’autre part, le droit de délaissement, prévu actuellement dans le formulaire, doit être inscrit dans la loi, relevant par nature du domaine législatif. Enfin, il devrait être précisé qu’en cas de modification du prix et des conditions de vente par le cédant après sa déclaration, celui-ci doit en souscrire une nouvelle et est tenu pendant un délai de deux mois par son contenu. Cette règle s’inscrit dans la logique de toute modification d’une déclaration entraînant des effets juridiques ; une nouvelle déclaration s’avère donc nécessaire.

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B. DECISION DE PREEMPTION

1. Problématique La loi dispose que le silence de la commune pendant un délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration vaut renonciation à l’exercice de la préemption, cette renonciation peut également être expresse. Le cédant peut alors réaliser la vente librement, mais aux prix et conditions de la déclaration. Pour le reste, la loi renvoie au droit commun des articles L 213-4 à L 213-7 du Code de l’urbanisme. Le décret (article R 214-5) détaille davantage la procédure. C’est donc dans ce délai de deux mois que la commune notifie au cédant :

soit sa décision d’acquérir aux prix et conditions de la déclaration, l’accord entre les parties est alors parfait et l’acte de vente peut être alors passé ;

soit son offre d’acquérir aux prix et conditions fixés par le juge de l’expropriation ; soit sa décision de renoncer à préempter.

Copie de cette décision est adressée au bailleur si la cession porte sur un bail commercial.

2. Propositions de la CCIP La loi devrait clairement prévoir que la décision individuelle de préemption doit être motivée, eu égard en particulier à la diversité et au développement du commerce et de l’artisanat dans le périmètre. Il s’agira de démontrer que la décision de préemption sur le bien s’inscrit dans cette motivation générale du périmètre. En effet, cette délibération ne fait que fixer le périmètre sans énoncer de projet précis. Une motivation par simple référence pourrait ici être source d’atteinte à la liberté d’entreprendre.

C. FIXATION JUDICIAIRE DU PRIX

1. Problématique Selon le nouvel article R 214-6, en cas de désaccord sur le prix ou les conditions de vente, la commune, si elle souhaite acquérir, saisit, toujours dans les deux mois suivant la réception de la déclaration, le juge de l’expropriation. Cette prérogative appartient, comme en droit commun, à la seule commune et nullement au cédant. Copie de la lettre de saisine et du mémoire est notifié à ce dernier et, le cas échéant, au bailleur. Cette disposition suscite des craintes quant à la préservation des intérêts des commerçants dont la vente du fonds ou du bail constitue le capital retraite. Toute référence expresse au prix du marché est donc absente du décret ; ce qui peut faire redouter des fixations de prix à la baisse, d’autant qu’il n’existe pas de barèmes officiels pour les valeurs de fonds de commerce mais des méthodes d’évaluation empiriques, en raison des fluctuations rapides de ce type de biens mobiliers. Des expertises seront donc inévitablement sollicitées par le juge, retardant encore la vie normale des affaires. Pour les cessions de terrains, l’évaluation est plus simple, elle se réfère aux données immobilières classiques.

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2. Propositions de la CCIP

En premier lieu, la commune ne devrait saisir le juge de l’expropriation que si elle apporte la preuve que le prix indiqué dans la déclaration était « excessif », voire « manifestement excessif », par rapport au prix du marché. En deuxième lieu, s’agissant des conditions de fixation du prix par le juge de l’expropriation, le décret renvoie au droit commun de l’article L 213-4. Or, la date de référence correspond, selon cet article, à la date de la dernière approbation, modification ou révision du document d’urbanisme applicable (par exemple, le POS / PLU). Il serait judicieux d’ajouter dans la loi comme autre date de référence, dès lors qu’elle est plus récente, la délibération du conseil municipal délimitant le périmètre de sauvegarde. En troisième lieu, toujours par renvoi au droit commun, après décision juridictionnelle définitive, les parties ont deux mois pour accepter le prix judiciaire ou renoncer à la mutation ; le silence valant acceptation du prix judiciaire et transfert de propriété à la commune. Il serait plus équitable qu’en cas de renonciation par la commune à la préemption après fixation judiciaire du prix, le cédant retrouve la liberté d’aliénation, sans être tenu par le prix et les conditions de vente indiqués dans sa déclaration, ni par le prix fixé par le juge. Il reste donc tenu par le prix judiciaire actualisé. En dernier lieu, deux garanties, inspirées du droit commun pourraient être insaturées par la loi au profit des cédants et de leurs acquéreurs éventuels :

en cas de renonciation par la commune à préempter après fixation judiciaire du prix, elle ne pourrait plus exercer son droit pendant cinq ans, étant précisé que le cédant retrouvait alors son entière liberté de cession, sans être tenu ni par le prix et conditions de sa déclaration ni par le prix judiciaire ;

il s’agirait de transposer la règle du droit commun (article L 213-8 du Code de l’urbanisme) qui interdit l’exercice du droit de préemption pendant un an suite à l’annulation de la décision de préemption, le vendeur recouvrant alors son entière liberté d’aliénation.

D. PASSATION DE L’ACTE DE VENTE ET PAIEMENT DU PRIX

1. Problématique Le nouvel article R 214-9 prescrit un délai de trois mois pour la passation de l’acte de cession, à compter soit de la notification de l’accord sur le prix et les conditions énoncées dans la déclaration, soit de la décision judiciaire devenue définitive, soit de l’acte ou du jugement d’adjudication. Surtout, le texte comporte une avancée importante : il précise expressément que « le prix est payé au moment de l’établissement de l’acte constatant la cession » ; cela bien évidemment sous réserve de l’accomplissement des mesures de publicité prévues par les articles L 141-12 et suivants du Code de commerce pour les ventes de fonds de commerce (enregistrement de l’acte, publication d’un extrait dans un journal d’annonces légales) et des formalités de séquestre de 70 jours à 5 mois en cas d’opposition des créanciers. Il faut ajouter à cela les délais de mandatement de la comptabilité publique applicables aux communes, et ce délai risque de s’avérer bien théorique.

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Enfin, le décret ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect de ce délai de passation de l’acte et de paiement du prix.

2. Propositions de la CCIP A l’instar du droit commun (article L 213-14), devrait être imposée par la loi à la commune, sur demande du cédant, une rétrocession du bien ou du bail, le vendeur recouvrant ensuite sa totale liberté d’aliénation.

III. RETROCESSION PAR LA COMMUNE DANS LE DELAI D’UN AN

A. RECHERCHE D’UN REPRENEUR PAR LA COMMUNE

1. Problématique Selon la loi, la commune doit, dans le délai d’un an à compter de la prise d’effet de la cession opérée suite à la préemption, rétrocéder le fonds artisanal, de commerce, le bail commercial ou le terrain à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers ou au titulaire d’un titre équivalent dans un autre Etat de l’Union européenne. Cette rétrocession doit – et c’est la finalité même de la procédure communale – être destinée à préserver la diversité de l’activité commerciale et artisanale et à promouvoir le développement dans le périmètre de sauvegarde. Le nouvel article R 214-11 précise d’ailleurs qu’elle s’opère selon un cahier des charges qui doit être approuvé par le conseil municipal. L’examen du bail (« tous commerces » ou spécialisé) et du règlement de copropriété est préalablement indispensable, pour éviter d’élaborer un cahier des charges inapplicable. En d’autres termes, la commune a un an pour trouver un repreneur, commerçant ou artisan. Dans le cas de terrains préemptés, il s’agira pour la commune de disposer d’un projet commercial alternatif favorable au commerce de proximité. Pour ce faire, le décret du 26 décembre 2007 (article R 214-12) crée un dispositif d’appel à candidatures. Le maire affiche en mairie, pendant quinze jours, un avis de rétrocession. Cet avis comporte, outre l’appel à candidatures, la description du fonds, du bail ou du terrain, le prix proposé, le délai de dépôt des candidatures et mentionne que le cahier des charges est consultable en mairie. En cas de bail, il précise que la rétrocession est subordonnée à l’accord préalable du bailleur.

2. Propositions et recommandations de la CCIP Il conviendrait de prévoir les cas d’ouverture d’un recours aux candidats évincés et la procédure en cas d’appel infructueux. Un bloc de compétence pourrait être dévolu par la loi au juge administratif des référés. En pratique, les CCI ont ici un important atout à faire valoir auprès des communes pour les aider à trouver un repreneur, à travers leurs outils de transmission d’entreprise.

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B. EXPLOITATION DU FONDS PENDANT LA PERIODE TRANSITOIRE D’UN AN

1. Problématique

Dans l’attente d’un repreneur, selon la loi, si d’autres conventions sont conclues, elles ne peuvent être que précaires et ne sont pas alors soumises au statut des baux commerciaux (précision apportée dans l’article L 145-2 du Code de commerce modifié). La question de la gestion d’une clientèle par une commune pendant cette durée reste toutefois posée. En effet, pour que le fonds garde sa valeur, il doit continuer à être exploité. Or, il ne peut l’être qu’à titre précaire, ce qui n’est pas incitatif. Le risque existe donc de laisser le fonds sans activité, quitte à accroître la difficulté de trouver un repreneur. La commune doit être donc en mesure de faire face financièrement à une situation très dommageable de perte de valeur du fonds.

2. Propositions de la CCIP Il est indispensable que la loi fixe les conditions dans lesquelles le maire doit s’acquitter à l’égard du bailleur de l’ensemble des obligations contenues dans le bail ainsi que de l’indemnité qui lui est due (perte de loyers). De même, un renvoi au droit commun doit être opéré eu égard aux obligations à l’égard des salariés (article L 1224-1 du Code du travail). La vigilance des communes sera ainsi expressément alertée.

C. ACTE DE RETROCESSION OU ABSENCE DE REPRENEUR

1. Problématique

Aux termes de la loi, l’acte de rétrocession est réalisé pour les ventes de fonds de commerce dans les conditions de formalisme du droit commun prévues aux articles L 141-1 et suivants du Code de commerce (mentions obligatoires dont l’existence d’un bail, sa date, sa durée et son bénéficiaire). Dans tous les cas, cet acte doit mentionner les conditions de résiliation en cas d’inexécution par le cessionnaire du cahier des charges. Le décret de 2007 (article R 214-14) impose, opportunément, l’autorisation par le conseil municipal de la rétrocession, la délibération indique ses conditions et les raisons du choix du cessionnaire, éléments importants en cas de contentieux. Dans le mois suivant la signature de l’acte, des mesures de publicité (article R 214-15), sont effectuées par le maire : affichage en mairie pendant quinze jours d’un avis comportant la désignation sommaire du fonds, du bail ou du terrain rétrocédé, le nom et la qualité du cessionnaire, les conditions financières de l’opération. Autre point majeur, l’accord préalable du bailleur imposé par la loi et devant figurer dans l’acte de rétrocession. Le décret en fixe les modalités (article R 214-13). Cet accord doit porter sur le projet d’acte accompagné du cahier des charges, que le maire doit lui transmettre par lettre recommandée avec AR.

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En cas de volonté d’opposition, le bailleur saisit en référé le président du TGI du lieu de situation, pour la faire valider judiciairement. La saisine motivée doit néanmoins être notifiée à la commune par le bailleur dans un délai de deux mois suivant la réception du projet d’acte, à défaut, l’accord de ce dernier est réputé donné tacitement. Le bailleur a ainsi une capacité de blocage en cas de reprise du fonds ou du bail, mais sachant qu’elle s’exerce obligatoirement dans un cadre judiciaire, ce qui est une garantie. En outre, le décret prévoit très utilement que le délai d’un an est suspendu entre la notification du projet d’acte au bailleur jusqu’à l’obtention expresse ou tacite de son accord, ou pendant la durée de la procédure en référé jusqu’à l’intervention de la décision juridictionnelle définitive. Dans cette logique, la rétrocession ne saurait intervenir avant le terme de cette procédure, sauf accord exprès du bailleur. Enfin, la loi n’organise pas l’hypothèse d’absence de repreneur trouvé par la commune dans le délai légal d’un an. Le décret pallie cette lacune : l’article R 214-16 fait alors bénéficier l’acquéreur évincé, s’il est mentionné dans la déclaration préalable, d’un droit de priorité d’acquisition.

2. Recommandations de la CCIP Ce droit de priorité suppose que l’acquéreur évincé initialement soit toujours intéressé et que le fonds n’ait pas perdu de sa valeur en l’absence de continuité d’exploitation à la diligence de la commune pendant cette période d’un an. S’agissant du cas des terrains, la commune a tout intérêt à voir pressenti un projet commercial alternatif avant de décider de préempter, afin d’éviter au bout d’un an de se retrouver avec une friche. Sur l’accord du bailleur, les communes devraient absolument le « mettre dans la boucle » décisionnelle, le plus en amont possible, dès la décision de préemption. Quant à l’absence de repreneur et au droit de priorité de l’acquéreur évincé, la théorie est-elle vraiment en phase avec la pratique ?

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- ANNEXE -

30

La préemption des fonds, baux et terrains commerciaux dans l’agglomération parisienne

Etat des lieux des périmètres d’intervention en 2008

Au sein de l’agglomération parisienne (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne), 38 communes ont défini des périmètres de préemption par délibération de leur Conseil municipal1.

24 communes ont délibéré suite à la parution du décret d’application de la loi du 2 août 2005 ou bien ont procédé à la mise en conformité des délibérations municipales prises avant la parution du décret.

14 communes se sont dotées de périmètres de préemption avant la parution

du décret, sans procéder à une mise en conformité. Enfin, au cours de l’année 2008, 8 communes ont lancé des réflexions pour la définition de périmètre de préemption sur leur territoire (donnée non exhaustive). Paris n’a pas encore statué sur ce sujet. Plus des trois quart des périmètres définis par les communes sont infra communaux et la plupart multisites: ils couvrent les principaux axes commerçants, les centres-villes ou les pôles commerciaux secondaires. En 2008, 12% des commerces de moins de 300m² de l’agglomération parisienne sont concernés par la préemption des fonds, baux et terrains commerciaux. Moins d’une dizaine de commerces ont pu faire l’objet d’une rétrocession sur la période observée. Ce document a pu être réalisé à partir de Préempt’ Co, outil créé par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris permettant un suivi de la mise en œuvre de la préemption des fonds de commerce, des baux commerciaux et des terrains portant ou destinés à porter des commerces de 300 à 1 000 m² de surface de vente, dans les communes de sa circonscription (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne).

1. Article 58 de la loi du 2 août 2005 en faveur des PME et décret d’application du 26 décembre 2007, complétés par la loi de modernisation de l’économie du 4 Août 2008.

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Directeur de la publication : Pierre TROUILLET CCIP - 27 avenue de Friedland - 75 382 Paris cedex 08 Rapports consultables ou téléchargeables sur le site : www.etudes.ccip.fr Dépôt légal : Février 2009 ISSN : 0995-4457 – GRATUIT

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