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Cyberdépendances ? Comprendre les usages des nouvelles technologies Jeunesse et numérique : vers une prévention 2.0 Arnaud Zarbo Éduquer aux écrans pour prévenir leurs dangers Les balises 3-6-9-12 Serge Tisseron Comment interpréter les usages des TIC ? Pascal Minotte Numéro d’agréation : P405048 - Bureau de dépôt – 1050 Bruxelles 5 6 9 Périodique trimestriel Printemps 2014

Prospective 69 Jeunesse · les thèmes liés aux usages de drogues, la promotion de la santé et les politiques et pratiques sociales en matière de jeunesse. Retrouvez tous les numéros

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Prospective Jeunesse, Drogues | Santé | Préventionest un trimestriel lancé en décembre 1996.

Lieu interdisciplinaire de réflexion, de formation et d’échange d’expériences, d’idées, de points de vue, cette revue interroge sous des regards différents des thèmes

liés aux usages de drogues, à la promotion de la santé et aux politiques et pratiques sociales en matière de jeunesse. Chaque numéro aborde un thème particulier.

Celui-ci est consacré aux usages des nouvelles technologies. Pour consulter les sommaires des numéros parus ou

contacter l’équipe de rédaction, visitez le site : www.prospective-jeunesse.be

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et agréé par la Commission communautaire française

de la région de Bruxelles-Capitale

Cyberdépendances ?Comprendre les usages des nouvelles technologies

Jeunesse et numérique : vers une prévention 2.0 Arnaud Zarbo

Éduquer aux écrans pour prévenir leurs dangers Les balises 3-6-9-12

Serge Tisseron

Comment interpréter les usages des TIC ? Pascal Minotte

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Un trimestriel pour interroger sous des regards différents les thèmes liés aux usages de drogues, la promotion de la santé

et les politiques et pratiques sociales en matière de jeunesse.

Retrouvez tous les numéros sur le site : www.prospective-jeunesse.be

JeunesseProspective

DroguesSanté

Prévention

Prospective Jeunesse est un centre d’étude et de formation fondé en 1978. L’association est active dans le domaine de la pré-vention des méfaits liés aux usages de drogues, dans une optique de promotion de la santé.

Éditeur responsable Pierre Baldewijns

Rédacteur en chef Alain lemaitre

Comité d’accompagnementSébastien alexandre, Pierre Baldewijns, Philippe Bastin, Line Beauchesne, Mathieu Bietlot, Marc Budo, Martine dal, Christian de Bock, Christel depierreux, Damien Favresse, Pascale jamoulle, Charlotte lonFils, Julien nève, Micheline roelandt, Brigitte spineux, Patricia thieBaut, Jacques van russelt, arnaud ZarBo

Soutien administratifNadia mortiaux

DessinsJacques van russelt

Les articles publiés reflètent les opinions de leur(s) auteur(s) mais pas nécessairement celles des responsables de « Prospective Jeunesse – Drogues Santé Prévention ». Ces articles peuvent être reproduits moyen-nant la citation des sources et l’envoi d’un exemplaire à la rédaction. Ni Prospective Jeunesse asbl, ni aucune personne agissant au nom de celle-ci n’est responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations reprises dans cette publication.

Prospective Jeunesse propose quatre services :• Formation et accompagnement de

professionnels (seuls ou en équipe)• Publication de la revue

Prospective Jeunesse• Entretiens individuels • Centre de documentation

Prospective Jeunesse a créé, avec Infor-Drogues et Modus Vivendi, l’asbl Eurotox, relais en Commu-nauté française de Belgique de l’Ob-servatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT).

www.eurotox.org

CONTACT 144 chaussée d’Ixelles, 1050 Bruxelles n 02 512 17 66 [email protected] n www.prospective-jeunesse.be

Impression Nuance 4, Naninne

Graphisme et mise en page

ISSN : 1370-6306

Pratiques professionnelles

– Promotion de la santé (nos 31, 34, 56, 61)– Pratiques de prévention

(nos 31, 50, 59, 60, 63)– Réduction des risques (nos 27, 28, 54)– Représentations (no 46)– Secret professionnel (no 23)– Travail en réseau (nos 45, 66)– Soins aux usagers (nos 41, 52)– Participation (nos 67, 68)

Contextes d’usage

– La loi et la répression judiciaire (nos 1, 2, 38, 65)– Pauvreté, marginalité et exclusion (nos 11, 12, 36, 37)– Culture et consommation (nos 5, 17, 30, 58, 62)

Produits et leurs effets

– Plaisir (nos 7, 8, 9, 10)– Dépendance (no 39)– Drogues de synthèse (nos 14 – 15)– Cannabis (nos 18, 20, 21)– Alcool (nos 32, 66)– Tabac (no 33)– Alicaments (no 19)– Ordinateur (no 47)– Amour (no 48)

Milieux de vie

– Famille et parentalité (nos 22, 24, 42, 43, 44, 49)

– L’école (nos 3, 4, 6, 25, 29, 55, 57, 64, 67)– La fête (no 35)– Le monde du travail (no 26)– La prison (nos 13, 16, 40)– Milieu du sport (no 53)

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Printemps 2014 page 1

ÉDITORIAL Cyberdépendances ?Comprendre les usages des nouvelles technologies

Éditorial 1Alain Lemaitre

Jeunesse et numérique : vers une prévention 2.0 2Arnaud Zarbo

Éduquer aux écrans pour prévenir leurs dangers. Les balises 3-6-9-12 7Serge Tisseron

Comment interpréter les usages des TIC ? 11Pascal Minotte

Les usages des TIC par les jeunes. Des terrains d’expérimentation, de socialisation et de construction personnelle 16Hugues Draelants

« Je surfe donc je suis » 21Khaldoun Al Kourdi Al Allaf

Usages excessifs d’Internet : Une pathologie familiale 25Serge Minet

Les répercussions du déploiement des NTIC sur la relation soignant-soigné 31Simon Charlier

Centre de documentation : Nunc est legendum… 36Danielle Dombret

De quoi la peur est-elle le signe ?

Nous vous proposons, à travers les contributions de chercheurs psychologues et sociologues, mais aussi de travailleurs de terrain, d’explorer les enjeux et les craintes suscités par les usages des TIC 1. « Cyberdépendance » est un terme à la mode, mais nos contributeurs se méfient de son caractère stigmatisant et anxiogène, rappelant qu’Internet n’est qu’un outil, dont on peut accom-pagner l’usage pour éviter qu’il devienne problématique. Dans une perspective de promotion de la santé, tous rappellent, en définitive, que c’est par la relation de confiance que nous pourrons comprendre le sens des usages et parvenir à relativiser certaines de nos peurs.

La critique des effets négatifs des TIC peut prendre naissance dans une inquiétude relative à une perte de pouvoir. Les usages des jeunes inquiètent parce qu’ils sont incompris et qu’ils échappent en partie à la surveillance et au contrôle parental. Nous le verrons au fil de ce numéro, c’est bien la relation adultes-enfants/adolescents qu’il nous faut continuer d’interroger.

Peut-on assimiler les abus d’écran à des formes de dépendance sans substance et invoquer le terme de cyberdépendance ? Nos différents contributeurs refusent cet amalgame, rappelant que nous n’avons affaire là qu’à des outils. Ce ne sont pas les technologies en soi qui intéressent les jeunes, mais le contenu auquel elles permettent d’accéder. Ce n’est pas l’outil en lui-même qui sera mis en question, mais bien les pratiques auxquelles il ouvre.

L’écran isole-t-il nécessairement des autres ? Les jeux vidéo sont-ils responsables de violences sociales ? Nous verrons, a contrario de ces hyperboles, que le Net représente pour les jeunes de nombreuses opportunités positives : de nouvelles façons d’être ensemble et d’affirmer son autono-mie vis-à-vis des parents, mais aussi des occasions pour se confronter de façon libérée à leurs interrogations existentielles. Il nous faut reconnaître les sens et les motivations positives des adolescents, foin de toute condescendance, ce sont des êtres doués d’intelligence critique !

Reste que, comme le souligne Normand Baillargeon dans son dernier ouvrage, « Les TIC et en particulier Internet sont désormais à ce point possédés et dominés par des entreprises (comme Google, Amazon, Facebook, Apple et d’autres) qu’ils sont presque immanquablement soumis à des impératifs commerciaux et de rentabilité qui les mettent en tension avec tout idéal démocra-tique digne de ce nom 2 ». Comment dans ce cadre garder le contrôle de l’outil face à la frénésie marchande et technophile ? L’homme n’a pas besoin d’une technologie qui l’asservisse ou le formate, mais de moyens de préserver son autonomie personnelle et son pouvoir d’action.

L’outil doit donc être considéré comme un moyen et non comme une fin. C’est ce qu’on fait avec ces technologies qui importe. En ce sens, la prévention des usages problématiques des TIC doit se déployer via la construction d’une véritable éducation aux médias et à la santé basée sur la qualité de la relation et sur la compréhension du sens des usages et des besoins auxquels ils ré-pondent. Encourager à l’émancipation et à l’autonomie implique cet impératif indépassable : faisons confiance aux jeunes.

Alain Lemaitre, rédacteur en [email protected]

1. Technologies de l’information et de la communication. Nous avons décidé d’ôter le N souvent associé à cet acronyme. En effet, nombre de ces technologies ne sont pas si « nouvelles »…2. Baillargeon Normand, Légendes pédagogiques. L’autodéfense intellectuelle en éducation, Éditions Poètes de Brousse, 2013.

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel page 2 Printemps 2014

Jeunesse et numérique : vers une prévention 2.0> Arnaud Zarbo

Riche d’un regard multiple de thérapeute, d’acteur de prévention et de formateur, Arnaud Zarbo aborde avec nous un enjeu éducatif fondamental : Comment permettre aux professionnels de s’approprier les questions liées aux usages des TIC par les jeunes ? Face aux flous théoriques et à l’avalanche de nouveaux dispositifs, les adultes peuvent se sentir dépassés. Arnaud Zarbo tracera avec nous des pistes spécifiques favorisant la prévention des usages problématiques. En premier lieu : la nécessité d’aller à la rencontre des jeunes, de comprendre leurs usages et leur sens afin de les accompagner à être acteur de leur santé, de leur bien-être et de leur espace citoyen.

Pourriez-vous expliquer quelles sont vos fonctions et activités 1 ?

Je suis psychologue au centre Nadja 2. Clinicien de formation, ma spécialisation est de travailler avec les enfants et les adolescents. De fil en aiguille, j’en suis venu à travailler dans le monde des assuétudes. Mon rôle au sein de l’asbl est assez polyvalent. J’ai une fonction de formateur auprès des professionnels du secteur psycho-médico-social, une autre partie de mon temps est consacrée à la prévention et un troisième aspect de mon travail concerne la thérapie.

La philosophie de base de Nadja est de faire en sorte que les gens qui donnent des formations et qui font de la prévention soient aussi du côté de la clinique afin de garder ce double regard qui permet d’ apporter une compréhension de ce que ressentent les usa-gers, des difficultés des consommateurs de produits. Il est important d’avoir un éclairage clinique pour retransmettre quelque chose de crédible et cohérent

aux professionnels sur le terrain et aux institutions, qu’il s’agisse de faire une animation auprès des écoles ou des AMOs, ou de faire de l’appui méthodo-logique.

Je m’intéresse particulièrement à tout ce qui concerne les nouvelles technologies, les jeux vidéo et les réseaux sociaux. C’est l’enjeu éducatif autour des images et des écrans qui m’interpelle. Suite à une recherche que nous avons menée il y a quelques années, nous avons développé un partenariat avec le CRéSaM (Centre de référence en santé mentale) et nous donnons des formations communes, notam-ment avec Pascal Minotte 3. L’objectif est avant tout de permettre aux professionnels de s’approprier ces matières-là qui sont souvent perçues de manière anxiogène. Beaucoup de psychologues, notamment des cliniciens, n’ont pas le réflexe d’interroger d’un point de vue clinique le jeu vidéo, par exemple, bien qu’il fasse partie du quotidien des enfants.

1. Propos recueillis par Alain Lemaitre.2. Voir www.nadja-asbl.be3. Voir son interview en page 11.

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel Printemps 2014 page 3

Pouvez-vous nous dire deux mots sur la recherche que vous venez d’évoquer ?

Cette recherche était la première du genre en Wallo-nie et partait d’une interrogation parlementaire qui a été faite à l’époque. Elle a été menée par l’Institut wallon pour la santé mentale qui est devenu le CRé-SaM. Cette recherche faisait un état des lieux des connaissances sur les cyberdépendances et les usages problématiques de jeux vidéo et d’Internet, notamment chez les jeunes. Elle a donné lieu à plu-sieurs recommandations, dont l’une était de former les professionnels sur ces questions. C’est ainsi que les formations que nous donnons encore aujourd’hui ont été développées.

Cette recherche, qui est disponible gratuitement sur Internet 4, a mis en évidence qu’il y avait une mécon-naissance du sujet chez la plupart des intervenants de terrain et que les difficultés qui étaient ciblées étaient très compliquées parce qu’il n’y avait pas de consensus théorique, ni d’accord scientifique sur tous ces termes jargonnés comme « cyberdépen-dance » ou « usages compulsifs d’Internet ». Pascal Minotte et d’autres sont parvenus à faire un peu le tri et de poser les enjeux sous-jacents à cette thé-

matique, que ce soit en termes de recommandation, d’accompagnement, de thérapie ou de prévention.

Vous dites que certains professionnels abordent les usages des nouvelles technologies comme une matière anxiogène. Quels sont les types de représentations que vous recevez à priori ?

La question a évolué ces dernières années. Quand j’ai commencé à travailler ici, les questions avaient plus trait à cette fameuse notion du virtuel. Est-ce que les jeunes perdent ou pas leur sens des réalités et du lien social quand ils commencent à jouer aux jeux vidéo ? Est-ce qu’il y a une escalade vers d’autres dépendances ? Aujourd’hui, ce ne sont plus ces préoccupations qui sont mises en avant. La plupart des professionnels, et des gens en général, compren-nent que ce n’est pas parce qu’on joue à un jeu vidéo qu’on perd le contact avec la réalité.

Maintenant, les interrogations sont davantage por-tées sur la question du conflit au niveau de l’intimi-té et de l’image de soi. La question des réseaux sociaux est une question du rapport à l’image. Quelle 4. www.iwsm.be/pdf_dir/UPTIC.pdf

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel page 4 Printemps 2014

est l’image que je donne de mon corps — espace privé — sur les réseaux sociaux — espaces publics. Il y a aussi la question de la violence des jeux vidéo. Est-ce que toutes ces images à caractère violent ont vraiment un effet sur la psychologie des jeunes ? Est-ce que les jeunes sont plus violents qu’avant ? Est-ce qu’il y a plus de délits ? Est-ce qu’ils ont moins d’empathie que leurs aînés ? Il y a donc en réalité deux grands axes : les jeux vidéo d’une part, et les réseaux sociaux et Internet de l’autre.

Au niveau des jeux vidéo, il y a aussi la question du décalage horaire. Le fait de jouer tard a un impact sur la vie sociale, sur les réalités scolaires et le décrochage. Ce sont ces liens de causalité entre scolarité et jeux vidéo qui sont le souci des éducateurs et des parents. Du côté des réseaux sociaux, c’est le rapport à l’autre qui est remis en question, mais aussi le rapport entre générations, car on se trouve dans une situation où beaucoup d’adultes ne comprennent plus très bien les usages et l’intérêt des réseaux sociaux : un « selfie », à quoi ça sert ? « Instagram », c’est quoi ? Il y a une telle émulation, une telle avalanche de nouveaux dispositifs, que pas mal de professionnels se sentent un peu perdus face à la rapidité d’adaptation et l’engouement des jeunes. Il y a donc un décalage qui peut s’inscrire à ce niveau-là aussi.

Est-ce qu’on peut considérer que cette peur est en partie illégitime ?

Je ne veux jeter la pierre à personne, surtout pas à ces professionnels qui se retrouvent souvent face à des publics fragilisés ou des parents inquiets. On peut se poser des questions sur les jeunes généra-tions qui n’ont pas les mêmes codes, peut-être pas les mêmes valeurs.

En 2013, la recherche CLICK 5 commandée par le BELSPO (politique scientifique fédérale belge) a montré que les prévalences au niveau statistique sont assez faibles en ce qui concerne ce qu’on appelle les usages compulsifs d’Internet. Il reste encore beaucoup de questions sans réponse dans ce domaine, mais je dirais que ce n’est pas tant un enjeu de « pathologisation » qu’une question d’édu-cation et de rapport aux médias. Je crois qu’il y a des peurs et qu’il y a une difficulté à appréhender le phénomène comme une question d’usage des technologies. Ces peurs sont par ailleurs souvent doublées d’un conflit générationnel.

Ce n’est pas un hasard si les conflits par rapport aux technologies apparaissent en général à l’adoles-cence. D’ailleurs, la grande majorité des études qui sont réalisées sur la question concerne l’adolescence. Cela montre qu’il y a vraiment une incompréhension entre les générations.

Vous avez évoqué le mot « cyberdépendance », qui est un mot polémique. Est-ce que c’est un mot que l’on peut utiliser ?

Je crois que les gens peuvent utiliser les mots qu’ils veulent. La question c’est : qu’est-ce que l’on met derrière ? Il faut néanmoins savoir que « cyberdépen-dance » n’est pas un terme qui est validé de manière consensuelle, il n’y a toujours pas d’accord sur ce terme sur le plan scientifique. C’est un mot-valise, un mot fourre-tout, qui nous vient de l’addictologie, mais qui ne rend pas forcément compte d’une réalité au niveau des usages. En nommant les choses, on construit une réalité. Je me méfie assez fort du label dépendance qu’on utilise à tout va. « Cyberdépen-dant », on l’utilise si on veut, mais je pense que ce n’est pas un terme utile, ni pour les professionnels, ni pour la relation. Ça ne fait que stigmatiser la per-sonne. On ne peut pas être dépendant d’Internet, ça ne veut rien dire. Il faut regarder l’application et l’usage qui en est fait : est-ce qu’il s’agit de jeux vidéo — en-core faut-il savoir lesquels —, d’utilisation de réseaux sociaux ou de surf sur Internet ?

En termes de travail de prévention, y a-t-il des pistes spécifiques proposées par rapport à l’utilisation des nouvelles technologies ?

Oui, il y a des choses qui reviennent assez souvent. Par exemple, si on travaille avec des enseignants ou avec des institutions scolaires, on essaie de tra-vailler en premier lieu la cohérence des règles au niveau scolaire. Parce que bien souvent on s’aperçoit qu’il y a des règles à peu près pour tout dans une école, mais en ce qui concerne les nouvelles tech-nologies — ou « les un peu moins nouvelles » tech-nologies, comme le GSM —, là ça devient ambigu.

On essaie donc de remettre un dialogue dans l’équipe pour savoir où ils en sont à ce niveau-là et qu’ils forgent leur propre règlement. Un règlement qui tienne compte des intentions des jeunes, c’est-à-dire reconnaître que les jeunes ont un certain usage

5. www.belspo.be/belspo/fedra/DR/DR64_CLICK_persb_fr.pdf

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel Printemps 2014 page 5

et qu’il faut faire attention quand on pose des règles qu’elles soient assez souples, assez transparentes et assez claires, pour éviter un mode où tout est interdit ou, au contraire, où tout est permis. Il faut vraiment essayer d’amener de la nuance et de la cohérence dans les équipes scolaires.

Ensuite, on essaie de faire en sorte que les profes-sionnels aillent à la rencontre de leurs jeunes, pour que ces jeunes eux-mêmes participent à l’élaboration de ces règles parce que les règles auxquelles on obéit le plus ce sont celles que l’on a construites soi-même, car elles font sens. C’est important de travailler cette question du sens avec les équipes et les jeunes pour ne pas tomber dans l’arbitraire. Parce que ces usages ont un sens pour les jeunes, mais pour les adultes aussi, il ne faudrait pas croire que les nouvelles techno-logies ne sont que pour les jeunes.

Prendre en compte la réalité des usages, le sens qu’ils prennent pour les jeunes, mettre ces derniers à la manœuvre, ce sont autant de démarches déployées dans le cadre de la prévention des assuétudes dans une optique de promotion de la santé. La problématique des nouvelles technologies entraîne-t-elle pour autant quelque chose de spécifique ou différent ?

La logique qui sous-tend nos actions est de maxi-miser le bien-être. Dans un registre de promotion de la santé, il y a fort à parier qu’on va essayer de développer ces mêmes objectifs sur le thème des nouvelles technologies. Les nouvelles technologies ont leurs spécificités d’usage, sont des outils et comme n’importe quels outils il faut apprendre à s’en servir. Et donc ça passe par une certaine éduca-tion à l’outil, qui tend vers une maturité des usages, valable autant pour les jeunes que pour les adultes.

C’est assez différent des consommations de produits, je dirais, où l’on part tout de suite d’un comportement à risque. Là aussi on peut chercher du sens et on va tenter de mettre les jeunes à la manœuvre, et créer une dynamique relationnelle souple et bien-veillante. Mais bien souvent, on assiste à une mécon-naissance d’un côté ou à une absence d’anticipation de l’autre. Les adultes vont se dire que leurs usages sont forcément différents de ceux des jeunes. Il importe de reconnaître que les jeunes ont une inten-tion derrière leurs usages. Les difficultés que posent les nouvelles technologies sont le rapport à l’inti-

Projet vidéo « Notre Chemin »

Un groupe de jeunes ixellois s’expriment sur le bien-être et le bonheurDans le cadre des activités d’été 2013 proposées par le Service jeunesse de la commune d’Ixelles, douze jeunes ont participé pendant 4 journées à un atelier créatif sur les thèmes de la santé et du bien-être. Cette démarche a pu aboutir à une forme vidéo construite par les jeunes pour contrer les stéréotypes parfois portés par les adultes, et porter leur parole et leurs représentations sur la thé-matique du bien-être en général, et plus particulièrement sur celle du bonheur.

Prospective Jeunesse a pris part aux animations et a assuré le soutien méthodo-logique et thématique auprès de la réalisatrice et de l’éducateur engagés dans le projet. Ont été mis en place : une sensibilisation aux démarches de promotion de la santé ; la co-construction de la démarche d’animation et des outils pédagogiques, la méthodologie participative (se baser sur les représentations des enfants) ; la production finale du court-métrage et sa présentation publique en janvier 2014.

Les enfants on fait partie intégrante du processus de création collective et ce à chaque étape de travail, depuis l’émergence d’une parole à la mise en scène de celle-ci. Ce processus a été plus important que la production finale et les ani-mateurs ont veillé à tout moment à être à l’écoute du rythme et des désirs de chacun dans le but de susciter et d’entretenir la motivation des enfants à parti-ciper activement. Le résultat final a été unanimement apprécié par les enfants et les publics qui l’ont visionné.

Voir le résultat en ligne : http://youtu.be/Yakxad18Oa0Réalisation, image, son : Ali, Kenza, Omar, Felipe, Christopher, Michaël, Amine, Wanis, Majda, Brahim, Stella, Yasmine. Montage : Marie Devuyst. Animation : Marie Devuyst, Alain Lemaitre (Prospective Jeunesse), Fernando De Ceuster (XL-Liens).

mité et cette diffusion dans tous les espaces de la vie. On peut rester connecté sur Facebook à l’école, dans le bus, chez les scouts, etc. On essaie donc de travailler le rapport des technologies à ces diffé-rents lieux de vie tout en restant évidemment cohé-rent avec le cadre de promotion de la santé.

Est-ce que les usages des adultes n’ont pas finalement tendance à être plus problématiques que ceux des jeunes, dans le sens où ces derniers sont peut-être mieux outillés, car ces technologies font partie de leur monde ?

Les générations qui n’ont pas grandi avec le numé-rique ont-elles plus de difficultés pour s’approprier les nouvelles technologies ? Peut-être. Peut-être est-ce tout simplement le fait qu’ils ont moins le temps pour ça, puisque quand on est ado, on n’a pas de ménage à gérer, ni de vie professionnelle ou de famille, forcément on a plus de temps pour explo-rer, tâter et faire des essais-erreurs. Je crois que c’est surtout une question de temps et de loisir.

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel page 6 Printemps 2014

Je pense qu’il y a des échanges d’apprentissages qui peuvent se faire entre les générations. Si je prends mon cas en tant que thérapeute ou formateur, c’est toujours agréable quand un jeune ou une autre per-sonne m’apprend quelque chose que je ne sais pas sur une technologie. Les adultes doivent aussi accep-ter de se remettre dans un rôle d’apprenant, et c’est peut-être là que ça coince. Eh oui, les jeunes ont des choses à nous apporter. Je trouve ça très riche.

Est-ce que ces nouvelles technologies peuvent être en soi des outils de prévention ?

Tout à fait. Le Centre Alfa, par exemple, qui est un partenaire, a mis en ligne un site qui s’appelle www.aide-alcool.be. Il est possible de développer des outils pour des cas précis. Beaucoup d’AMOs utilisent Facebook pour communiquer avec leurs publics. L’organisation de concours via Internet est également une manière de mobiliser des publics jeunes. Le FICAA est un festival international de cinéma d’auteur ado-lescent organisé à Charleroi, avec des prix à la clé. Enfin, il y a plein de services et de dispositifs qui uti-lisent de plus en plus Internet tout simplement parce que c’est là que se trouvent les jeunes. Il n’y a pas forcément de logiciels spécifiques qui prennent le pas sur la prévention au sens large, mais je pense qu’Internet peut être utilisé comme un ensemble d’outils de prévention, si l’on conçoit la prévention dans une optique de promotion de la santé. C’est-à-dire accompagner la personne à être acteur de sa santé, de son bien-être et de son espace citoyen.

Je prends souvent l’exemple de Wikipédia. On entend souvent dire que n’importe qui peut y écrire n’importe quoi. Or c’est mal comprendre la logique de ce genre de wiki qui veut que chacun puisse devenir acteur de l’information et du savoir. Cela permet de réfléchir à l’économie qu’il y a derrière un projet comme celui-là et de se demander, par exemple : « Qu’est-ce qui fait que sur ce moteur de recherche, j’ai ces dix ré-ponses qui apparaissent ? ». Cela pose la question de comment se construit l’information, donc c’est déjà un outil de prévention en soi.

Que pensez-vous de l’utilisation des nouvelles technologies dans le cadre scolaire pour un usage pédagogique ?

Les craintes que l’on entend souvent, c’est que ça rend la vie trop facile. Toutes les réponses se trouvent sur Internet et ce n’est pas du jeu, en quelque sorte. Je trouve cet argument un peu boiteux, on ne peut pas reprocher aux élèves l’utilisation des outils qu’ils trouvent les plus adéquats et qui sont à leur dispo-sition. La question c’est : comment intégrer ces outils à l’école ? C’est une question complexe, mais je pense que les technologies ne remplaceront jamais un cadre scolaire avec des acteurs qui s’engagent.

Il y a eu le même débat dans les années 50 et 70 à propos de l’enseignement par la TV. On a bien vu que ça n’a pas fonctionné parce qu’évidemment il y a tout autre chose qui se passe dans la relation à l’enseignement. L’école est aussi un lieu de vie et d’épanouissement et le cadre scolaire c’est plus que réciter et apprendre une matière. Je pense qu’il y a plein de choses qui sont riches dans l’école et que les technologies peuvent être un outil complémen-taire. Ce n’est jamais qu’un outil de plus. Les dic-tionnaires n’ont jamais jusqu’à présent remplacé les professeurs de français. On ne va pas aller critiquer le dictionnaire, pourtant c’est un outil formidable. Là, c’est pareil, c’est un outil complémentaire qui peut servir l’enseignant et servir les étudiants. Mais encore une fois, cela doit être pensé en amont par les professionnels et par les adultes.

En conclusion ?

Ce qui me semble important, c’est de réfléchir à ce qui nous pose problème en tant que professionnels. Qu’est-ce qui nous perturbe ? Qu’est-ce qui nous dérange dans les utilisations qui sont faites de ces nouvelles technologies ? C’est cet axe de travail-là qui est intéressant à développer. Si c’est l’intimité, la relation à l’autre, alors je peux développer des pistes de travail. Et ce n’est pas la technologie en soi. Et creuser cette question des technologies c’est tout simplement creuser la question du rapport humain. Qu’est-ce qui fait qu’on utilise un téléphone ? Qu’est-ce qui fait qu’on utilise un réseau social ? Rien n’a été inventé par ces nouvelles technologies, elles ne font que répondre à des besoins qui existaient déjà. C’est cela qui me semble fondamental parce qu’alors toutes ces questions peuvent être remises dans une perspective de communication humaine, de développement de soi et de bien-être.

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Éduquer aux écrans pour prévenir leurs dangers

Les balises 3-6-9-12> Serge Tisseron 1

Selon Serge Tisseron, la prévention est avant tout l’encouragement des bonnes pratiques. C’est en ce sens qu’il nous propose des balises d’âge pour une véritable

« diététique des écrans » favorisant la construction des repères temporels prévenant les consommations excessives et les troubles de l’attention. Il encourage

la construction d’un environnement qui donne les armes à l’enfant pour en définitive être capable de gérer les écrans de façon autonome.

C’est aussi via les pratiques créatrices et la liberté de parole que pourra se déployer une véritable éducation aux médias.

1. Psychiatre, psychologue, psychanalyste, chercheur associé HDR à l’Université Pa-ris VII. Site : www.sergetisseron.com2. NDLR : Cinquième édition du Manuel dia-gnostique et statistique des troubles mentaux (DSM, de l’anglais Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l’Association américaine de psychiatrie (APA).3. NDLR : Classification internationale des maladies mentales

Alors que les dix dernières années ont souvent assi-milé les abus d’écrans à des formes d’addiction sans substance, les progrès actuels dans leur compréhen-sion tendent à montrer que ce modèle est peu per-tinent. Pire encore, il nous ferait courir le risque de nous empêcher de comprendre leur spécificité, en particulier à l’adolescence. C’est pourquoi ni le DSM5 2, ni la CIMM 3 n’ont introduit « l’addiction aux écrans » dans la liste des pathologies reconnues. Pour la même raison, en France, l’Académie de mé decine en 2012, puis l’Académie des sciences en 2013, ont tenu à affirmer qu’aucune étude à ce jour ne permet de valider le modèle des addictions comme pertinent pour rendre compte des pratiques pathologiques d’écran. Mais renoncer à utiliser le mot « addiction » ne veut pas dire qu’il n’existe pas de pratique patholo-gique des technologies numériques, et que cette pathologie ne soit pas un problème de santé publique. C’est pourquoi leur prévention doit être au centre des

programmes de santé. Mais, du fait de la particula-rité des technologies numériques, cette prévention doit être au moins autant axée sur l’encouragement des bonnes pratiques que sur la dissuasion des pra-tiques problématiques.

Pour répondre à cette double préoccupation, j’ai proposé en 2008, puis en 2012, quelques repères organisés autour de quatre chiffres, 3-6-9-12. Ils correspondent à quatre étapes essentielles de la vie des enfants : 3 ans, c’est l’admission en maternelle ; 6 ans, l’entrée en CP ; 9 ans, l’accès à la maîtrise de la lecture et de l’écriture ; et 11-12 ans le passage en collège. En effet, de la même façon qu’il existe des repères d’âge pour l’introduction des laitages, des légumes et des viandes dans l’alimentation d’un enfant, il est possible de concevoir une diététique des écrans. Afin d’apprendre à les utiliser pour le meilleur de ce qu’ils peuvent apporter, exactement

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comme on apprend à bien se nourrir en évitant ce qui peut nuire à la santé 4. Ces balises sont bien entendu destinées à permettre à nos enfants, plus tard, de s’autodiriger et de s’autoprotéger dans le monde des écrans. Mais il est tout aussi important de leur permettre, le plus tôt possible, de construire les repères temporels absents des écrans, et de leur donner le désir d’entreprendre, avec ces technolo-gies, quelque chose de neuf que nous n’avions pas forcément prévu. Cela passe par l’encouragement de toutes les pratiques créatrices dès la petite en-fance… avec ou sans écrans.

Une nouvelle culture

La culture du livre et la culture numérique, que tant de points opposent, sont pourtant absolument com-plémentaires. Elles font en effet appel à deux modes de fonctionnement cérébral et psychique différents. La culture du livre stimule l’intelligence narrative et la construction des articulations logiques, tandis que les espaces numériques stimulent l’interactivité, l’innovation, et favorisent la capacité de faire face à l’imprévisible. Mais les deux ont aussi leurs dangers. La culture du livre favorise l’ultra spécialisation et risque de réduire les compétences aux apprentissages par cœur en inhibant la créativité. En privilégiant les relations de proximité, elle éloigne également d’une conscience mondialisée. Quant aux dangers des écrans, c’est bien sûr les consommations excessives, la dispersion (pensée zapping), les troubles de l’atten-tion et de la concentration, la fuite de la pensée et de la subjectivation par une immersion dans chaque situation nouvelle, sans recul cognitif ni temporel, et donc sans conscience de soi, et enfin le fait de privi-lé gier les relations virtuelles sur les relations réelles, autrement dit de fuir la réalité.

Le temps passé à utiliser ces technologies est évi-demment le signe le plus évident du risque d’une utilisation pathologique. Mais ce critère n’est pas suffisant à lui seul. Il faut distinguer les pratiques excessives qui contribuent à enrichir la vie et qui sont de l’ordre de la passion, et les pratiques patholo-giques qui appauvrissent la vie. Leur but n’est plus de trouver du plaisir, mais de fuir un déplaisir. Ces pratiques deviennent un refuge.

Cela peut se produire dans deux séries de situations. La première résulte de l’introduction trop précoce et trop massive des écrans, à un moment où l’enfant

n’a pas encore construit ses repères personnels, notamment temporels. La seconde est ponctuelle, et liée à la tentation de fuir des situations de stress et/ou de traumatismes jugés insurmontables.

Favoriser la construction des repères temporels

Le jeune enfant a besoin d’un environnement qui lui donne des armes pour savoir gérer, plus tard, les écrans. Et pour cela, il a besoin d’un environnement qui favorise la construction de ses repères internes. Les repères spatiaux d’abord. Un bébé a besoin d’activités qui impliquent tous ses sens, et pas seu-lement la vue et l’ouïe, comme le fait la télévision. De ce point de vue, le fait que la tablette tactile ajoute le toucher fin ne change pas grand-chose. Il y manque toujours la préhension, la gustation, l’odo-rat, et la perception de sa position dans l’espace. Mais les repères les plus importants pour savoir plus tard gérer les écrans concernent la temporalité. Dans le monde des écrans il n’y a pas d’avant et pas d’après, et pas non plus de relation de cause à effet. C’est un monde du présent éternel, celui que l’écran met en scène à chaque instant et auquel nous sommes invités à adhérer sans recul. C’est pourquoi, malgré tout ce que les écrans peuvent apporter, ils ne permettent pas la construction des repères tem-porels, et donc pas non plus des repères logiques qui leur sont liés. Comment l’enfant construit-il ces repères ? D’abord dans sa relation à un environne-ment stable et récurrent. La régularité des horaires de repas, de coucher, les rituels de la toilette, du brossage des dents… tout cela lui permet de construire un rapport à la durée structuré et struc-turant. Hélas, dans beaucoup de familles, les repas ne sont plus ritualisés, les adultes mangent debout ou sur le canapé du salon, sans horaire fixe, tout en parlant au téléphone ou en regardant la télévision.

Pour permettre à l’enfant d’intérioriser les repères temporels, il est également préférable de ne jamais le laisser devant un écran, mais devant un pro-gramme, dont on connaît de préférence la durée. C’est aussi une bonne raison pour préférer installer l’enfant devant un DVD que devant le défilement ininterrompu des programmes télévisés. De façon générale, il est toujours plus structurant de laisser l’enfant s’installer devant un écran en lui disant pour combien de temps. Dire par exemple à l’enfant « Tu

4. Les conseils qui suivent sont extraits de l’ouvrage de Serge Tisseron, 3-6-9-12, Appri-voiser les écrans et grandir, Toulouse, Éres, 2013.

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as droit à une demi-heure d’écran, est-ce que tu préfères regarder maintenant ou plus tard ? » l’incite à exercer sa capacité de choix, donc de liberté. Bien sûr, un enfant de trois ans ne comprend pas la notion des heures et des minutes. Mais on ne parle pas à un enfant parce qu’il comprend tout ce qu’on lui dit, mais pour l’introduire à cette compréhension.

En outre, dès que l’enfant sait parler, il faut l’inviter à raconter ce qu’il a vu sur les écrans, comme on l’invite à raconter ce qui lui est arrivé dans sa vie, parce que les écrans font partie de sa vie. Aidé par l’adulte, il apprend à construire le récit de ce qu’il a vu, avec un avant, un pendant et un après, et il inscrit ces repères en lui d’une façon qui lui permet-tra, plus tard, de se constituer en narrateur de sa propre vie.

Fuir une situation jugée insurmontableSi l’installation des repères temporels permet de réduire les dangers d’une immersion sans recul dans les mondes numériques, ils ne sont pas suffisants à eux seuls pour protéger de ce risque. Les espaces numériques peuvent en effet être sollicités pour fuir les situations stressantes et/ou traumatiques, exac-tement comme on utilise l’alcool ou les médicaments psychotropes : comme une potion d’oubli, même si ses conséquences sont très différentes de celles qu’on observe en cas de substances toxiques, car il ne semble y avoir ni syndrome de sevrage ni risque de rechute en cas d’arrêt.

Cette utilisation des technologies numériques pour oublier peut se produire dans trois séries de situa-tions. La première est la fuite devant une réalité extérieure vécue comme persécutrice. Il peut s’agir d’un évènement douloureux de la vie personnelle (comme une rupture sentimentale, un échec scolaire ou une situation de harcèlement scolaire) ou de la vie familiale (comme l’annonce de la séparation des parents ou d’une maladie de l’un d’entre eux). Mais il peut s’agir aussi d’une quête de l’estime de soi chez des enfants lents qui ne réussissent pas à l’école. À force de répéter les mêmes épreuves, l’enfant lent devient aussi performant que les enfants plus habiles et plus rapides, mais qui jouent moins.

Le joueur qui est dans cette situation peut commen-cer à jouer pour oublier un traumatisme, mais il finit par tout oublier. Un état d’esprit semblable se ren-

contrait avant l’invention d’Internet, mais celui-ci l’a incontestablement favorisé en lui donnant un pro-longement interactif. Avant l’invention des jeux vidéo, celui qui était dans cet état psychique pouvait être dérangé : son cerveau était rendu disponible par son interpellation. Aujourd’hui, le joueur de jeu vidéo proteste quand on lui parle : il est « occupé ».

La seconde forme de fuite concerne les pathologies mentales au début. Celui qui se sent de plus en plus menacé intérieurement dans ses possibilités d’éta-blir un contact satisfaisant avec son entourage peut être tenté de se replier dans les mondes numériques. La pathologie en cause peut être une psychose, une dépression, une phobie, mais aussi accompagner des formes de retrait social encore mal connues apparues dans les années 1990 au Japon qu’on appelle le phénomène Hikikomori. Il s’agit de jeunes personnes qui passent la majeure partie de leur temps au domicile. Ils ne peuvent pas ou ne veulent pas avoir de vie sociale, comme aller à l’école ou travailler, et ils sont dans cette situation depuis plus de six mois. Ils n’ont pas non plus d’amis proches. Ce syndrome est parfois lié à une pathologie mentale identifiée, telle que schizophrénie, trouble affectif, trouble de la personnalité, phobie, ou troubles enva-hissants du développement. Mais il peut aussi ne s’accompagner d’aucune pathologie mentale recon-nue, et on parle de « Hikikomori primaire ». En France, le terme est volontiers mis en relation avec un usage excessif et pathologique des écrans, mais c’est loin d’être toujours le cas. Et, lorsqu’un tel usage existe, il est plus souvent la conséquence du retrait social que sa cause.

Enfin, et c’est heureusement le cas le plus fréquent, l’engagement excessif dans les technologies numé-riques est une fuite provisoire devant l’angoisse associée à la crise d’adolescence et à l’entrée immi-nente dans la vie adulte. C’est notamment le cas des pratiques excessives du jeu vidéo. Mais ce diagnostic ne doit être porté qu’après que les situa-tions décrites précédemment aient été écartées.

Les balises « 3-6-9-12 »

Elles nous offrent des repères de portée générale et d’autres plus spécifiques. Les conseils généraux portent sur le fait que les parents doivent limiter le temps d’écrans de leurs enfants à tout âge, leur apprendre à s’autoréguler, soutenir la sélection et

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la qualité des programmes qu’ils regardent et les inviter à en parler. Quant aux conseils spécifiques, ils concernent les cinq tranches d’âge définies par les chiffres 3-6-9-12.

Avant trois ans, tout d’abord, l’enfant a essentielle-ment besoin d’interagir avec son environnement en utilisant ses cinq sens. Beaucoup d’études montrent aujourd’hui que la télévision nuit au développement des bébés, et cela même quand ils semblent jouer sans la regarder alors qu’elle fonctionne dans la pièce où ils se trouvent. Or la très grande majorité des jeunes enfants sont déjà confrontés trop long-temps à la télévision tout simplement parce qu’ils grandissent dans de familles où elle reste allumée. Le but est que l’écran ne soit à cet âge qu’un support de communication avec l’enfant, complémentaire-ment à d’autres supports traditionnels.

Entre trois et six ans, on conseille d’offrir à l’enfant du temps pour imaginer, jouer, bricoler avec son environnement, penser avec ses dix doigts. Il vaut donc mieux éviter les consoles de jeu personnelles : l’enfant qui ne sait pas encore lire risquerait de déve-lopper un jeu centré sur la répétition mécanique de gestes simples qui lui ferait rapidement oublier beaucoup d’autres activités nécessaires à son âge. L’usage des écrans non interactifs, comme des écrans interactifs, reste à tout moment soumis à la décision du parent.

Entre six et neuf ans, l’enfant découvre les règles du jeu social. Il peut le faire en jouant à des jeux partagés avec ses camarades, et pourquoi pas avec une console, mais à condition que ce soit en pré-sence réelle. Bien sûr, il devient curieux d’Internet, et il est important de lui expliquer comment fonc-tionne cet espace. Mais cela ne nécessite pas for-cément de l’y introduire.

À partir de neuf ans, l’enfant découvre Internet en le pratiquant, mais il vaut mieux l›y accompagner pour que cet apprentissage se fasse en toute sécu-rité. Il doit en effet prendre conscience de trois règles de base qui le régissent : tout ce que l›on y met peut tomber dans le domaine public et y restera éternel-lement, et tout ce que l’on y trouve est sujet à cau-tion, c’est-à-dire qu’il ne faut jamais le croire avant d’en avoir la confirmation par d’autres sources.

Enfin, à partir de 12 ans, l’enfant peut surfer seul sur Internet, mais les parents doivent convenir avec lui d’horaires de navigation, mettre en place un contrôle parental, et ne pas le laisser avoir une connexion illimitée la nuit. Mais, au-delà de ces « accords », ils doivent lui faire confiance. La meilleure des préven-tions, c’est la liberté de parole de l’enfant.

Éduquer aux médias et encourager les pratiques de création

Si limiter le temps d’écrans à tout âge est nécessaire, donner ce conseil seul est dangereux. Il pourrait même être préjudiciable à la découverte par l’enfant de tout ce que les écrans peuvent lui apporter. Mieux vaut, à tout âge, choisir les programmes, inviter l’enfant à parler de ce qu’il a regardé, et encourager les pratiques créatrices. C’est possible dès cinq ans, quand l’enfant commence à comprendre que son point de vue sur le monde lui est personnel et qu’il est différent de celui des autres.

Parallèlement, une éducation aux médias est indis-pensable dans deux domaines au moins. D’abord, parce que les jeunes omettent totalement le fait qu’Internet est un gigantesque marché, âprement disputé, dans lequel ils représentent, en tant qu’uti-lisateurs, une source de revenus dont on cherche à tirer parti par des moyens parfois douteux. Et ensuite, beaucoup ne savent pas quelles conséquences peuvent avoir la publication sur YouTube de petits films tournés avec le téléphone portable, lors de la recherche d’une place d’apprentissage par exemple.

Enfin, créer ses propres images encourage la confiance de l’enfant en lui-même et dans les adultes qui l’entourent, en même temps qu’elle développe son esprit critique. Plus tard, à l’adolescence, c’est encore la création qui est le meilleur moyen de sen-sibiliser les jeunes à la responsabilité et à la citoyen-neté. La création a toujours été importante, mais elle l’est encore plus avec les médias numériques. Elle est rendue encore plus nécessaire par le très fort pouvoir de fascination des images proposées à la consommation, et en plus, l’encouragement des pratiques créatrices partagées est la meilleure façon de s’opposer aux pratiques solitaires problématiques.

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Comment interpréter les usages des TIC ?

> Pascal Minotte

Pascal Minotte, par sa position de chercheur, nous permet de déblayer quelques questions essentielles : Quelles définitions et quelle typologie des usages peut-on établir ? Quel est le sens de ces usages, problématiques ou non ?

À quels besoins répond l’utilisation des TIC ? Existe-t-il des critères objectifs pour cerner les usages problématiques ?

En définitive Pascal Minotte nous rappellera d’une part que les pratiques excessives s’inscrivent dans la rencontre entre un produit, un individu et un

contexte et d’autre part la nécessité de poser un regard bienveillant sur les jeunes et leurs usages. Reconnaître une intelligence, un sens critique et des intentions

positives aux adolescents en constitue le premier pas.

Décrivez-nous quelque peu vos activités 1.

Je suis psychologue de formation et je travaille comme chercheur au CRéSaM, le centre de réfé-rence pour les services de santé mentale agréés en région wallonne. Depuis 2008, je travaille la question des usages d’Internet et des jeux vidéo dans le cadre de notre mission de recherche.

Votre champ de recherche se limite-t-il à Internet et aux jeux vidéo ou aborde-t-il plus largement l’ensemble des TIC ?

En général, nous obtenons des financements pour des questions précises, notamment liées aux usages excessifs et compulsifs.

Par contre nous donnons régulièrement une forma-tion sur ces questions-là. Dans ce contexte, les questions qui nous sont adressées sont beaucoup plus larges, elles abordent à la fois la question des usages problématiques mais aussi des questions connexes, comme les questions éducatives. On est

donc amené à réfléchir et à travailler ces sujets de façon assez large, pas uniquement en termes de psychopathologies.

Quelles sont justement les principales angoisses qui vous sont transmises ?Les premières tournent autour des réseaux sociaux et de l’agressivité entre adolescents. Il y a aussi tout ce qui concerne le partage des photos, les questions relatives à « l’extimité », pour reprendre l’expression de Serge Tisseron, est-ce que nos ados ont encore le sens de l’intime ?

Votre rôle sera alors de construire un point de vue de recul pour ne pas aborder ces questions par l’unique biais des situations problématiques.Oui. Le souci est que les faits divers, voire même un exemple vécu dans une école, viennent saturer la représentation qu’on a du problème et la façon dont on va se représenter l‘usage qui est fait des TIC. Donc, 1. Propos recueillis par Alain Lemaitre.

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ce que j’essaie, avant toute chose et en toutes cir-constances, c’est d’envisager aussi bien les usages qui posent problème que ceux qui n’en posent pas et de leur donner du sens. Il s’agit tout simplement de voir en quoi les réseaux sociaux, par exemple, vont répondre à certains besoins chez les adolescents.

Quels sont justement les principaux sens et besoins auxquels répondent les usages des TIC ?

Il y a d’abord les fonctions de base qui concernent tout le monde, les fondamentaux, comme l’échange d’information ou tout ce qui est de l’ordre du loisir ou du « tuer le temps ». Je les qualifie de fonctions « liquides », c’est-à-dire qu’elles viennent s’interca-ler, notamment à travers les smartphones, dès que la personne a un peu de temps libre. Mais je vois aussi deux fonctions essentielles des réseaux so-ciaux, qui à mon sens expliquent leur succès, notam-ment chez les adolescents, mais pas seulement.

Il s’agit d’une part de la fonction de maintien du contact, qui me semble vraiment à la base de l’ado-lescence : l’ado désinvestit le milieu familial pour surinvestir ses camarades, ses copains, ses pairs et

ce sont là des moments assez difficiles, voire dés-tabilisants qui peuvent réactiver chez certains leurs angoisses d’abandon et alimenter une gourmandise énorme en termes de contact. Même si on ne par-tage pas des informations nécessairement trans-cendantes, ça répond au besoin de se sentir ras-suré par la présence de l’autre. C’est cela qui, pour moi, explique le boom des GSM, le SMS, Face-book, etc.

On peut illustrer la deuxième fonction à partir du besoin d’extimité expliqué par Serge Tisseron. Selon lui, il ne s’agit pas tant d’un désir exhibitionniste ou voyeuriste lié à une satisfaction sexuelle ou au plaisir de se montrer, mais plutôt d’une recherche de vali-dation de la part des autres. C’est très présent à l’ado-lescence : on va montrer des photos de soi, exprimer des idées, échanger de la musique qui manifeste quelque chose de soi et puis les autres vont venir valider et soutenir la personne dans ses choix, quand ça marche bien. C’est l’exemple de la copine qui poste une photo d’elle et ses copines qui répondent « t’es trop jolie, t’es trop belle, continue ainsi… ».

Et est-ce qu’on peut parler à ce moment-là d’un rapport narcissique ?

L’adolescence est un moment de centration narcis-sique, de toute façon, avec ou sans Internet. C’est un moment de fragilité, avec des hauts et des bas, où parfois on se surestime, parfois on se sous-estime, avec une importante labilité narcissique. On est un peu obsédé par soi. À priori, ça n’a rien de problé-matique si ça évolue au début de l’âge adulte vers quelque chose de plus équilibré.

Est-ce qu’Internet et les jeux vidéo sont en soi un danger par rapport à la construction de l’adolescent ?

Pas dans l’absolu. Il faut distinguer les dispositifs techniques et les usages qu’on en fait. Je considère Internet comme un territoire comme un autre qui nécessite des compétences et un savoir-faire. C’est à la fois des ressources, mais aussi potentiellement des risques.

On évoquait cette fragilité narcissique et cette ten-dance qu’ont certains à proposer sur la Toile des fragments d’eux-mêmes pour obtenir la validation des autres. Il se fait que parfois ils n’obtiennent pas la validation mais plutôt la désapprobation. Pour

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quelqu’un de solide narcissiquement ça ne pose pas de problème, il coupe le PC, passe à autre chose et y revient plus tard. Pour les sujets plus fragiles, la situation peut devenir problématique

Existe-t-il des grilles qui peuvent nous aider à objectiver, à définir ce qu’est une situation problématique ?

Une situation problématique, au sens large, qui engloberait toutes les situations, ce serait à mon sens assez difficile, voire impossible à définir parce que ça nécessiterait alors de découper et définir clairement chaque situation qui peut se présenter.

Concernant les usages excessifs, il existe effective-ment un certain nombre de grilles « diagnostiques » qui permettent, pour peu qu’on les reconnaisse, d’établir des prévalences. La difficulté selon moi est que tout le monde n’a pas la même lecture et n’uti-lise pas les mêmes références. Ces grilles n’ont rien d’absolu et ne sont pas nécessairement validées et reconnues par tous.

Le temps passé derrière l’écran peut-il être retenu comme un critère d’usage problématique ? Existe-t-il un outil conçu en ce sens ?

Il est impossible de déterminer un nombre d’heures par jour au-delà desquelles on juge l’usage problé-matique, parce que ça nécessiterait de distinguer ce qui est de l’ordre des usages utiles et des usages inutiles. Si je reste toute la journée devant un PC pour le travail, suis-je dans un usage problématique ? A priori non, si ce n’est qu’on a inventé la catégorie des « workaholics » et qu’en ce sens, je pourrais bien l’être. Ceci étant, il y a bien sûr une corrélation entre le nombre d’heures passées et l’usage exces-sif. Certains professionnels ont décidé, un peu arbi-trairement, qu’au-delà de trois heures par jour l’usage est problématique, mais cela ne correspond à rien de scientifique.

Est-ce qu’il y a d’autres façons de cerner un usage problématique, en termes de conséquences, par exemple ?

Les grilles traditionnellement utilisées sont issues soit du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), soit des grilles liées aux dépendances inspirées des critères de l’OMS, mais

il n’existe pas encore de grille « cyberdépendance ».

Personnellement, ce n’est pas tellement mon ap-proche de la question. On peut définir l’usage pro-blématique par l’aspect chronophage. Pour des personnes qui passent entre 12 et 16 heures par jour pendant une période relativement longue, c’est assez évident. Mais ce qui me semble surtout faire la nature problématique de l’usage est le désinves-tissement des autres dimensions de la vie. Je pense que l’usage est problématique à la hauteur de ce désinvestissement.

On peut imaginer quelqu’un de passionné qui joue beaucoup, voire même excessivement, à première vue ça pose question. Mais si la personne reste impliquée, motivée ou concernée par d’autres di-mensions importantes de sa vie, par exemple ses relations amicales ou familiales, en tous les cas ses relations sociales, l’école, le travail, ça ne doit pas poser de problème. On a le droit d’avoir des excès et des passions, ça ne regarde pas les psys, en tous les cas pas en termes de pathologies.

Outre l’aspect du désinvestissement, l’autre point à envisager, c’est la question de la souffrance. Les usages excessifs sont généralement associés à une souffrance psychologique que le sujet tente d’éviter à travers le jeu.

Finalement, la perspective du désinvestissement permet d’aborder toutes les consommations, qu’on parle d’un produit, d’un sport ou d’une activité qui ne devrait pas occuper toutes les dimensions de la vie ?

Oui tout à fait, et d’ailleurs ce que je critique, c’est l’utilisation hyper fréquente, notamment dans les médias, de la métaphore « drogue ». Car on insiste ici, en tous les cas dans l’imaginaire collectif et social, sur les propriétés addictives du dispositif, en l’occur-rence du jeu vidéo, et donc on est là avec cette idée que « le jeu vidéo c’est comme de la drogue » et qu’à la limite si on vous attache devant un jeu vidéo pendant deux trois jours vous ne pourrez plus vous en détacher. La pratique excessive du jeu vidéo s’inscrit dans un contexte beaucoup plus global auquel font référence certains professionnels en addictologie à travers le modèle d’Olievenstein, qui envisage la consommation comme une rencontre entre un produit, un individu et un contexte.

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Aussi, une dimension qui me semble incontournable, mais qui n’est pas toujours perçue par les profes-sionnels, même les psychothérapeutes, c’est que le joueur excessif a le sentiment de pouvoir se réaliser d’une certaine manière dans le jeu vidéo. Il va trou-ver dans le jeu vidéo des dimensions qu’il ne trouve pas ailleurs comme la reconnaissance par les autres ou des autres joueurs, etc. Le joueur parvient à sur-monter la complexité, ou la difficulté, inhérente au dispositif, d’où le sentiment de développer des com-pétences. Donc moi j’insiste sur tout ce que le jeu vidéo peut apporter au joueur et dont il faut tenir compte si on veut rentrer en contact avec lui, notam-ment dans une relation d’aide. Si en tant que théra-peute vous négligez cette dimension, et que vous proposez simplement d’arrêter le jeu, vous risquez de démonter la seule chose qui le faisait tenir.

Il faut reconnaître les motivations positives et les effets positifs.

Oui. Et parmi les motivations qu’on entend relative-ment souvent, on trouve aussi bien le désir d’être utile à ses coéquipiers que celui de dominer les autres, de les dépasser. La compétition est parfois extrême-ment présente chez des sujets qui ont du mal dans les autres dimensions de leur vie, du mal à s’affirmer. Ce sont des motivations positives ou pas, peu im-porte, ce sont des vraies motivations qu’on doit pouvoir entendre et que l’on ne doit pas juger.

Pour en terminer avec l’angoisse provoquée par l’effet « capturant », peut-on concéder que le dispositif Internet redéfinit en quelque sorte l’être humain dans ses rapports à l’espace, au temps, à la façon de se sociabiliser, etc. ?

Selon moi, il y a une question d’ordre sociétal : quelle est la place des écrans dans nos loisirs notre com-munication ? Un parent qui a un peu du mal avec son ado qui va coucher trop tard parce qu’il reste une heure de trop sur son jeu… ça, j’ai envie de dire, c’était déjà le cas avec l’ado qui écoutait de la mu-sique dans sa chambre. On peut s’en inquiéter, mais je n’ai pas spécialement de réponse à ce sujet et je pense que personne n’en a.

Et puis il y a l’aspect plus psychopathologique, et là je peux dire que des personnes qui sont dans des usages appelés « no life » ont des parcours de vie

tout à fait atypiques, ils ne développent pas une dimension pathologique par hasard.

Que penser de cette représentation courante considérant qu’il y a une augmentation de la violence chez les jeunes sous l’influence des jeux vidéo ?

Les contenus de certains jeux sont choquants, il ne faut pas le nier, sous peine de perdre toute crédibi-lité. Ceci étant, je pense qu’en liant cette dimension à des faits divers sanglants, comme les tueries de masse, on passe à côté de la question.

Cette idée qui est véhiculée selon laquelle la jeunesse actuelle est plus violente qu’avant est très difficile à contrer, même si les chiffres prouvent le contraire. Il est vrai que les chiffres ne mesurent pas tout, certes, mais il y a un moment où il faut quand même objectiver un peu son sentiment. La jeunesse n’est pas plus violente qu’avant et la tolérance par rapport à la violence a baissé. Pour moi, on a davantage intérêt à travailler sur le rapport entre générations, car il y a là quelque chose de plus fragile et pourtant beaucoup plus important.

Et puis pointer de cette façon-là les jeux vidéo, comme c’est le cas dans la presse à chaque fois qu’il y a un fait divers, c’est passer à côté des déter-minants principaux de la violence. Les passages à l’acte prennent racine dans des maltraitances pré-coces, des carences affectives, qui elles-mêmes prennent place dans des contextes sociaux déter-minants. Si vous évoquez par exemple la question des jeux vidéo ou des films violents avec des per-sonnes qui séjournent en prison, c’est à la limite risible les concernant car ils ont le plus souvent vécu dans des systèmes familiaux dont le rapport à la violence était extrêmement ambigu. Le jeu vidéo est selon moi un facteur parmi d’autres qui, chez certaines personnes fragiles, ne va sans doute pas améliorer les choses.

Une question qui revient souvent également est celle de la frontière entre le virtuel et le réel, qui sous-entend que les jeunes ne seraient plus capables de faire la différence entre l’un et l’autre…

Les théories concernant la violence, celles qui sont relayées dans la littérature scientifique, et qui pos-

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tulent un effet des jeux vidéo violents sur les jeunes, ne parlent pas de confusion entre le réel et le virtuel. Elles convoquent plutôt des théories autour de l’apprentissage ou de la désensibilisation à la vio-lence. Une confusion de l’ordre de « je joue aux jeux vidéo, et donc je ne sais plus, quand j’en sors, si je suis dans le jeu ou la réalité » ne tient pas la route, ce n’est bien sûr pas comme cela que les choses se passent. Et Internet n’est pas au cœur de ce questionnement entre réel et virtuel, car on pourrait tout aussi bien questionner les programmes de télé réalité qui sont entre les deux, extrêmement scéna-risés, mais qui nous laissent penser qu’on est dans le réel. On touche plus ici à des questions qui concernent l’éducation aux médias.

Ceci étant, on a une grosse difficulté à reconnaître une intelligence, un sens critique et des intentions positives aux adolescents, je ne sais pas pourquoi on cale là-dessus, c’est extrêmement difficile, or je pense qu’il faut leur faire ce crédit-là.

S’agirait-il, en guise de prévention, de reconstruire un rapport intergénérationnel basé sur la confiance ? Tout en redonnant du sens collectivement ?

Dans le cadre d’une étude que j’avais faite avec une AMO du côté de Charleroi, on avait posé la question suivante à des groupes d’adultes : « Que pensez-vous de l’usage fait par les jeunes de Facebook ? » 80 % de leurs réponses contenaient des représentations car-rément effrayantes du genre « ils s’enferment dans la cave pour construire des bombes », « c’est du voyeu-risme », ou bien alors « ils ne font que mater du porno ». Seuls quelques-uns tenaient bon en disant « moi, ma petite fille elle me montre comment ça marche, c’est chouette parce qu’on s’entend bien ». C’est bien de ce lien-là dont on parle et qu’il faut travailler.

Du côté des acteurs de prévention, lors des groupes de discussions notamment, on voit également sor-tir des jugements et des représentations qui font peur. Les démarches de sensibilisation sont elles-

mêmes basées sur ces représentations violentes à l’égard de la jeunesse.On se situe entre le désir d’aide, de prévention, de contrôle, on ne sait pas trop où ça s’arrête, parfois avec des visions très puritaines ou hygiénistes de la société. Alors dès qu’on voit passer une photo d’une jeune fille en maillot, on va déployer tout un arsenal, oui on est parfois dans des délires de cet ordre-là.

Il y a un vrai travail à faire, d’autant plus que des situations d’agressivité, de désignation des boucs émissaires, ou de harcèlement, se nourrissent énor-mément de ces failles narcissiques et de cette vision négative qu’ont les adultes de la jeunesse et que les jeunes peuvent avoir d’eux-mêmes. Et donc les « narcissiser » davantage, mais au sens constructif du terme, leur faire faire des choses par lesquelles ils sont reconnus et qui sont utiles à la collectivité, c’est prévenir des situations problématiques.

Quelles conclusions voudriez-vous apporter à notre discussion ?

J’invite les professionnels à poser un regard com-préhensif et bienveillant sur les jeunes et leurs usages. C’est malheureux, mais je pense person-nellement que quitter ces lunettes-là est une attitude qui relève de la faute professionnelle. Il faut com-mencer par reconnaître les intentions positives et les compétences des adolescents.

Avez-vous un exemple d’outil qui nous permettrait de progresser à ce niveau-là ?

Il y a un exercice que nous utilisons lors de nos for-mations. Ce sont des formations de deux jours avec une semaine d’écart entre les deux sessions. Nous demandons aux participants d’interviewer un usager régulier (de jeux vidéo ou de réseaux sociaux, peu importe). Cette interview a juste pour vocation, non pas de faire des interprétations ou des hypothèses, mais tout simplement de se soucier de ce qui fait du sens dans cette pratique pour la personne, ce qu’elle aime, ce qu’elle y trouve… c’est tout. Tout simplement se pencher avec curiosité sur les intentions de l’usager.

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Les usages des TIC par les jeunesDes terrains d’expérimentation, de socialisation et de construction personnelle

> Hugues Draelants 1

À rebours des discours alarmistes et catastrophistes, Hugues Draelants nous rappelle que les nouveaux environnements technologiques sont autant de terrains d’expérimentation qui permettent aux jeunes de se construire face aux questions existentielles qui les touchent. Une émancipation des jeunes passera d’ailleurs par l’affirmation d’une consommation autonome de médias, Internet peut représenter alors un lieu complémentaire de socialisation et de quête de soi.

1. Sociologue, UCL.2. Propos recueillis par Alain Lemaitre.3. Draelants Hugues, Bavardages dans les salons du Net, Bruxelles, éditions Labor, col-lection « Quartier Libre », no 69, 2004, 95 pages.

Comment en êtes-vous venus à vous intéresser aux usages des nouvelles technologies par les jeunes 2 ?

En fait, la première fois que j’ai eu l’occasion de m’intéresser et de travailler sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), c’est lorsque j’étais encore étudiant, à la fin des années 90. Je me suis particulièrement intéressé à la manière dont les jeunes s’appropriaient ces technologies pour se socialiser, pour communiquer entre eux. J’avais alors découvert les chats sur Internet. Le phénomène n’était pas encore connu et il n’y avait pas encore vraiment de recherches à ce sujet. En lien avec mes études en sociologie, je me suis inté-ressé à la question de savoir comment Internet pouvait modifier les relations sociales. Je me suis dit qu’il y avait des choses intéressantes qui se pas-saient sur ces forums de discussion en ligne en termes d’interactions sociales et de redéfinition du rapport à autrui.

J’y ai donc trouvé un objet pour mon travail de fin d’études que j’ai effectué via la méthodologie de l’observation participante : De participant aux chats que je pratiquais moi-même, je suis devenu obser-vateur en essayant de prendre progressivement le recul nécessaire pour la recherche que je menais.

Ce qui me frappait déjà c’étaient les nombreux dis-cours véhiculés par la société des « adultes ». Beau-coup ne comprenaient pas ce qu’était Internet, et encore moins ce qu’étaient les chats. Ils catégori-saient souvent ces activités comme futiles et sans intérêt, voire alarmantes et dangereuses.

Mon objectif était de comprendre et de montrer ce que les jeunes faisaient de ce type de nouveaux médias et comment ils le faisaient afin de, peut-être, dédramatiser le discours ambiant.

C’est aussi pour ces raisons que, quelques années plus tard, j’ai rédigé Bavardages dans les salons du Net 3 à destination des personnes qui ne connais-

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saient pas ces nouveaux types de médias, reprenant les résultats de mes travaux de recherche permettant de relativiser et dédramatiser les pratiques des jeunes sur Internet.

À l’heure actuelle, je suis professeur de sociologie à l’UCL. Mes travaux de recherches portent plus spécifiquement sur la sociologie de l’éducation, sur des questions telles que la mise en œuvre des poli-tiques scolaires (notamment les politiques de lutte contre le redoublement), les inégalités sociales face à l’école appréhendées « par le haut », à travers la socialisation des élites scolaires, et la construction des aspirations d’études supérieures… Je m’inté-resse aussi beaucoup aux établissements scolaires, à la façon dont leurs réputations influent sur les choix d’école et plus généralement au rôle de l’établisse-ment dans la construction des inégalités.

Idéalement, un de mes projets pour les années à venir serait de relier mes intérêts de recherches pas-sés et actuels en approchant la question des interac-tions entre culture numérique et culture scolaire. Les TIC déstabilisent d’une certaine manière l’ordre scolaire. Le développement de la culture numérique et de la socialisation par les écrans (ordinateur, jeux vidéo, télévision, téléphones portables) peut-il cepen-dant être pensé autrement que sous le mode de l’obstacle ou du dérivatif à l’apprentissage ? Quelles inclinations à penser et à agir, notamment vis-à-vis d’autrui et vis-à-vis du monde qui nous entoure ces évolutions induisent-elles chez les élèves actuels ? Y a-t-il des activités en ligne susceptibles de dévelop-per des compétences et des dispositions en phase avec ce qui est attendu par l’institution scolaire, à quelles conditions ? Quelles nouvelles formes d’iné-galités scolaires cela génère-t-il ?

Pourriez-vous résumer les grandes lignes des résultats de vos recherches sur l’utilisation des TIC par les jeunes ?

Le premier grand constat à souligner est que les usages des médias par les jeunes sont multiples : il n’y a pas une façon unique de s’y investir. Les deux grandes logiques qui sous-tendent ces usages plu-riels sont d’une part l’intégration dans un groupe, et d’autre part la recherche identitaire. Ces deux processus sont tout à fait représentatifs de la période d’adolescence, transition entre l’enfance et l’âge adulte, qui renvoie à la fois à une distanciation envers

des parents ou des personnes « d’autorité » pour se rapprocher des pairs, et à la construction identitaire.

Pour certains jeunes, ces TIC offrent avant tout des espaces alternatifs d’intégration sociale : ils vont être participatifs et prendre progressivement des rôles plus importants dans ces nouveaux espaces virtuels, en devenant par exemple modérateurs d’un espace de discussion. Il peut donc y avoir une vraie logique d’implication, de mobilisation, d’intégration dans un groupe.

Les nouveaux médias, dont le téléphone portable, sont ainsi avant tout des outils de socialisation, de mise en lien avec autrui et d’autonomisation vis-à-vis des parents. Ils permettent principalement aux jeunes de rester sans cesse connectés, en relation avec leur groupe de copains en évitant un certain contrôle pa rental. Or, on sait qu’à l’heure actuelle, surtout dans certains milieux tels que les classes moyennes et supérieures, les parents sont souvent hyperprésents pour contrôler leurs enfants. Les adultes se rendent bien compte que ces TIC modifient d’une certaine manière la relation qu’ils peuvent avoir avec la jeune génération, que quelque chose leur échappe, qu’ils perdent en partie le contrôle des fréquentations de leurs enfants, de ce qui est transmis à leurs enfants.

Les inquiétudes, les discours de type alarmiste pourraient entre autres provenir de ces modifications du rapport des adultes avec les jeunes ?

Les discours alarmistes sont effectivement souvent issus d’un décalage, d’une modification de la relation entre jeunes et adultes. C’est le cas actuellement avec les TIC, mais cela a aussi été le cas par le passé avec l’apparition de phénomènes culturels tels que le « rock ». Cette perte de contrôle par la génération plus ancienne sur la nouvelle génération s’accompagne d’une peur chez les adultes, d’où provient l’idée qu’il faut contrôler, qu’il faut empêcher ces nouveaux phénomènes.

La transmission culturelle des parents ou de l’école vers les jeunes semble également beaucoup plus compliquée à réaliser aujourd’hui qu’avant. Tradi-tionnellement, la transmission culturelle se faisait de manière verticale : de l’institution vers les desti-nataires, des parents vers les enfants. Alors qu’à l’heure actuelle, la transmission culturelle se fait de plus en plus sur un mode horizontal : les jeunes

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s’in fluencent mutuellement, mais ils sont également soumis aux influences des industries qui sont, elles, fortement orientées vers la finalité marchande, vers la consommation.

Dès lors, les parents, les éducateurs, l’école sont in quiets sur le fait que cette transmission est beaucoup plus difficile à contrôler aujourd’hui car elle est notam-ment facilitée par les TIC qui font fi de l’autorité ver-ticale et qui sont justement moins bien maîtrisées par les adultes. La position à cet égard s’inverse : les adultes ne sont plus en position d’autorité ou de dominance par rapport à ces nouveaux outils.

Une consommation autonome de médias par les jeunes peut aussi être un facteur d’émancipation ?

C’est vrai qu’on peut parler d’une forme d’émanci-pation dans la mesure où les jeunes vont se servir de ces médias comme de terrains d’expérimentation, des terrains qui leur permettent de se construire.

Par exemple, certains jeunes vont s’essayer à endos-ser d’autres identités. Sur Internet, certains univers, tels les chats, permettent très facilement de par leur anonymat ces jeux avec l’identité : chacun peut interagir avec un autrui dont on ne sait finalement pas grand-chose à part le pseudo. Ce lien relationnel anonyme et peu contraignant — à la limite, il suffit de changer de pseudo pour ne plus être identifiable et se désengager de la relation en cours — permet facilement ces expérimentations sans prendre de risque du point de vue relationnel puisque le jeune peut se dire qu’il est à l’abri derrière son écran.

Et dans ce contexte des TIC, reste-t-il des occasions pour que les jeunes puissent se confronter au modèle adulte, pour pouvoir apprendre ?

C’est parfois justement le cas dans ces univers ano-nymes qui permettent des jeux avec l’identité notam-ment chez les plus jeunes qui découvrent ces nou-veaux environnements et qui peuvent s’amuser à jouer avec les règles, à essayer de transgresser, quitte à manipuler leur propre identité — plutôt que de cher-cher à manipuler autrui — afin d’essayer d’y réfléchir.

On peut donc s’essayer à endosser d’autres identi-tés pour voir ce que ça fait : se faire passer pour plus âgé pour expérimenter un statut, un rôle qui n’est

pas le sien, ou se mettre dans la peau d’une fille si on est un garçon et vice-versa.

Ce serait donc une façon plus facile de se mettre en jeu par rapport à ses propres questions existentielles ?

Plus facile via l’anonymat et d’une certaine manière sans risque puisqu’on peut facilement changer de pseudo. Cela est bien moins praticable « dans la réalité », car la visibilité du face-à-face contrecarre rapidement les expérimentations d’autres identités.

Beaucoup participent aussi à ces environnements pour ne pas être rejetés, parce qu’il faut « en être » pour pouvoir s’intégrer dans le groupe, pour ne pas être « hors du coup ». Mais d’un autre côté et en contrepartie à cette espèce de tyrannie du groupe, peut se créer dans ces espaces une forme de liberté de parole des adolescents. C’est aussi une façon de prendre de l’autonomie vis-à-vis de ses copains. Par exemple, des recherches ont pu montrer des diffé-rences en ce qui concerne les relations garçons-filles. On sait qu’à l’adolescence, les relations sont forte-ment régies par des normes de genres. Les garçons ont souvent du mal à aller vers les filles, à montrer un intérêt pour des activités connotées plus féminines. Or, via les TIC, les filles et les garçons peuvent dia-loguer plus librement qu’ils ne le feraient par exemple dans la cour de récréation où il y a toujours le groupe de pairs qui est là et qui impose une certaine pression au jeune à se conformer compte tenu des stéréotypes sexuels et à assumer une part de féminité ou de masculinité. Les filles remarquent d’ailleurs que les garçons s’expriment très différemment avec elles lorsqu’ils leur parlent par l’intermédiaire d’un chat. La relation est plus apaisée, plus facile, moins soumise au conformisme des stéréotypes sociaux et sexuels. Dans ce sens, le chat permet de casser un peu les déterminants de genre.

Ce sont donc des espaces où peuvent se réinventer des nouveaux modes culturels, libérés en partie des carcans de la vie « réelle ».

D’une certaine manière, l’anonymat permet de se dévoiler plus facilement et plus sincèrement ?

Effectivement. Si l’anonymat de certains espaces des TIC est souvent perçu comme négatif — dans le sens où il pourrait mener à des excès dans la

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tromperie et surtout dans les répercussions qu’elle peut avoir pour autrui —, il permet aussi aux jeunes d’exprimer des choses parfois plus vraies, de se confier davantage, que ce qu’ils feraient dans d’autres situations, notamment dans la vie réelle où le contrôle social peut être très pesant.

Le risque pour l’utilisateur lui-même s’apparenterait à une forme de déresponsabilisation, ou de perte de soi dans ce type d’univers. De plus, il arrive que certains jeunes passent un temps démesuré sur Internet et aient tendance à délaisser leur identité « réelle ». Mais la plupart du temps, ces phénomènes s’épuisent et se régulent d’eux-mêmes avec l’âge.

Que penser de cette autre inquiétude souvent rapportée par les adultes, celle de la confusion entre le réel et le virtuel ?

Contrairement à la crainte des adultes, la très grande majorité des jeunes sait très bien faire la part des choses. Les jeunes sont en général très conscients lorsqu’ils abusent par exemple de jeux vidéo : ils sont alors souvent les premiers à se qualifier de « no life ».

Il est néanmoins vrai qu’il n’est pas toujours facile de mettre une limite. Certains jeunes s’engagent et se perdent un peu dans ce type de pratiques en s’y inves-tissant trop, mais à la limite pour de bonnes raisons ou pour des motivations qui pourraient être qualifiées de louables : Ils sont tournés vers le groupe, ils ont envie de participer, de s’intégrer à une communauté. C’est le cas par exemple de certains jeux en ligne, les jeux massivement multijoueurs. Le fait qu’il y ait plu-sieurs joueurs crée un système social et une implica-tion vis-à-vis d’une communauté. On ne joue pas seul, il s’agit à la fois de faire avancer son personnage, mais aussi d’être loyal envers son équipe.

S’ils faisaient cela dans un autre contexte, comme dans un club de sport, les adultes le comprendraient beaucoup mieux. Mais dans le contexte d’un jeu en ligne, perçu par l’extérieur comme une pratique où l’adolescent s’enferme seul devant son écran, le regard social est plus négatif, voire alarmiste.

Dans vos recherches, vous insistez sur la façon dont le Net, grand terrain de jeu, peut être un outil d’éducation…

Tout à fait. À l’opposé de l’idée répandue que les jeunes passent du temps sur Internet à des activités

futiles ou s’échangent des salutations et des propos très banals, où il ne se produit rien, ces nouveaux environnements technologiques peuvent être consi-dérés comme de très intéressants outils d’éducation. Une série de micro-apprentissages se produisent en effet à travers ces espaces : apprentissages des rôles, des règles du jeu, d’une prise d’autonomie vis-à-vis des parents et vis-à-vis du groupe de pairs.

On stigmatise par exemple souvent les chats ou le langage SMS qui contamineraient l’orthographe des jeunes. On peut tout autant les envisager comme un jeu avec la langue, une façon de s’approprier le lan-gage et d’être décomplexé par rapport à la langue française qui est très académique, souvent présentée comme immuable, comme quelque chose qu’il faut révérer. Les chats et les SMS peuvent donc aussi être vus comme des moyens de s’exprimer qui montrent une belle inventivité des jeunes. Cela peut bien sûr être problématique d’un point de vue orthographique pour des jeunes qui n’ont pas reçu les bases de cet apprentissage. Mais le plus grand nombre a bien conscience des codes et de leur variabilité, ils savent bien qu’on ne s’exprime pas à l’école comme on s’exprime par SMS avec les copains.

Ce sont de nouveaux moyens de s’exprimer qui montrent une belle inventivité ! D’ailleurs, les jeunes écrivent beaucoup plus qu’on ne le pense. Avec des collègues, nous avons rédigé un petit article sur les pratiques et les représentations juvéniles de l’écriture l’année passée 4. Nous avons demandé à des jeunes de collecter tout ce qu’ils écrivaient sur tous les supports (papier, GSM, ordinateur…) pen-dant deux semaines. On s’est rendu compte qu’ils écrivaient énormément, avec des usages multiples de l’écriture, et qu’ils étaient très attachés à l’ortho-graphe, à la norme morale de l’écriture : quelqu’un qui sait écrire leur inspire confiance, alors qu’ils se méfient de quelqu’un qui n’écrit pas bien. Nous avons nous-mêmes été étonnés de ces résultats. Alors qu’on présente souvent les jeunes comme ignorants ou affranchis de cette norme, ils y sont au contraire très attachés.

À mon sens, si l’orthographe des jeunes est moins bonne aujourd’hui que par le passé, c’est davantage lié au fait que l’orthographe occupe moins de place dans les cursus scolaires. Je ne pense pas qu’il faille nécessairement pointer du doigt les TIC comme première cause à ce constat.

4. leporcq Carine, siroux Jean-Louis, Drae-lants Hugues, « Pratiques et représentations juvéniles de l’écriture à l’ère d’Internet », Les Cahiers de recherche du Girsef, no 94, juin 2013.

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Ces nouveaux espaces de sociabilité pourraient-ils aussi être des ressources pour prévenir des usages problématiques ?

Il y a certainement des choses à imaginer en ce sens, une forme de partage d’expériences, de groupe de discussions pour prévenir les usages problématiques. Je sais qu’il existe aussi des associations qui utilisent l’anonymat des chats afin de proposer des services aux jeunes qui ont des difficultés dans leur famille, des problèmes sociaux ou personnels. Il est parfois plus facile pour un jeune de se tourner via l’écran de l’ordinateur vers ce type de dispositif anonyme pour raconter ses problèmes, pour s’exprimer un peu comme les standards téléphoniques auxquels on peut faire appel en cas de difficultés. Et c’est peut-être même encore plus facile lorsque l’interaction passe uniquement par du texte par l’intermédiaire du clavier.

Que donneriez-vous comme conseils aux adultes, parents ou professionnels ?

Le conseil que je leur donnerais est avant tout de s’intéresser à ce que font les jeunes avant de juger trop négativement. Les jeunes qui utilisent les TIC ne se reconnaissent pas dans la façon alarmiste de voir les choses souvent véhiculée par les médias.

Prenons l’exemple des jeux vidéo. Dès qu’il y a une tuerie quelque part, on trouve dans les médias des articles de journalistes qui établissent un lien entre jeux vidéo et violence 5. Cette vision unilatérale des usages des TIC stigmatise les usagers et est réduc-trice de la multiplicité des usages des TIC par les jeunes qui, comme nous l’avons déjà évoqué, ne sont pour la plupart ni isolés, ni coupés du monde, mais plutôt des passionnés.

Comme dans toute passion, il peut y avoir des excès, qui trouvent leurs explications plutôt dans des carac-tères, des traits psychologiques, que dans des patho-logies qui seraient nécessairement générées par ces nouveaux médias.

La plupart des jeunes essaient de réguler leurs usages, et en général, je constate une évolution de leur pratique. Il est vrai que parfois il y a un moment où les jeunes s’investissent beaucoup. Ils découvrent, ils peuvent y passer beaucoup de temps, mais pro-gressivement ils prennent du recul et ils finissent par limiter leurs usages. Les choses se remettent en place d’elles-mêmes.

Comme beaucoup de pratiques excessives à l’adolescence.

Exactement. Les parents s’inquiètent dans les moments de grands investissements des TIC par leurs enfants car cela peut empiéter sur l’investis-sement scolaire. Leurs inquiétudes sont compré-hensibles et pourtant, je leur conseillerai de ne pas trop s’alarmer et en tout cas d’instaurer un dialogue avec leurs enfants. Vouloir comprendre comment fonctionnent les TIC est un bon moyen pour pouvoir nouer un dialogue avec les adolescents.

Peut-on faire des TIC un outil au service de l’école ?

Concernant l’école, ce qui m’intéresse avant tout est de comprendre ce que produisent ces nouvelles pratiques en termes de compétences et si ces acqui-sitions sont en phase ou en décalage avec ce que l’école attend de la part des jeunes.

Là encore, la tendance est de mettre en avant les effets négatifs d’Internet, l’idée, par exemple qu’In-ternet éparpille l’attention des jeunes qui ne savent donc plus soutenir leur attention pendant une heure de cours. Ces facilités à passer d’une chose à l’autre, à faire des liens, à trouver des transversalités pour-raient aussi être appréhendées comme de nouvelles compétences. Les moteurs de recherche pourraient aussi être perçus comme des atouts. On peut s’in-former beaucoup plus facilement qu’avant, on peut accéder directement à des encyclopédies comme Wikipédia, qui permettent de ne pas être seulement spectateur, mais aussi acteur de sa recherche et contributeur des informations mises sur Wikipédia, par exemple. Cette curiosité, ces nouveaux moyens pour s’informer, se tourner plus facilement vers un dictionnaire ou une encyclopédie pourraient aussi être intéressants pour l’école.

L’école comme les parents doivent se saisir de ces enjeux et éduquer à un regard critique sur ces nou-veaux outils. Si les jeunes sont très à l’aise avec ces derniers, ils n’ont pas toujours le recul critique néces-saire. Ils l’acquièrent sans doute progressivement, mais un accompagnement peut être mis en place par les adultes, par l’instauration d’un dialogue et une reconnaissance des compétences des jeunes plutôt que par une position jugeante qui risquerait de susciter du rejet, ce qui serait pire que tout.

5. Sur cette question voir Draelants Hu-gues, Frippiat Didier, « Jeux vidéo et vio-lence : questionnement d’un lieu commun médiatique », Les Politiques sociales, no 1 et 2, 2006, p. 61-72.

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« Je surfe donc je suis »> Khaldoun Al Kourdi Al Allaf 1

Fort de son expérience d’acteur de terrain, Khaldoun Al Kourdi Al Allaf nous emmène à la découverte des constats qu’il dresse à propos des usages des TIC.

Ces observations sont celles qu’il partage au quotidien au travers des projets créatifs menés par l’asbl FIJ. Un but : encourager la construction d’un regard

critique sur les pratiques d’Internet.

1. Animateur multimédia au sein de l’asbl FIJ (Formation Insertion Jeunes).

Monde virtuel vs monde réel

Nous sommes habitués à opposer le monde virtuel au monde réel. Dans le premier nous mettons la vie telle que nous la concevons quotidiennement au travail, en famille, avec nos amis et dans nos activi-tés sociales, lorsque nous rencontrons des gens en chair et en os. Dans le second, nous pensons aux pratiques ayant trait aux technologies multimédias.

Il s’agit d’une manière pertinente de distinguer et d’opposer deux « mondes » pour des personnes qui ont grandi dans un monde où l’informatique, les jeux vidéo, Internet, les téléphones portables sont peu, voire pas présents.

Pour les personnes nées dans un environnement riche en nouvelles technologies de l’information et de la communication, cette opposition entre le virtuel et le réel n’existe pas. Certaines pratiques sont com-plètement intégrées. Une référence à un temps où les gens s’organisaient sans « se rappeler » via leur téléphone portable est impossible et anachronique.

La distinction entre ces deux groupes de personnes est conceptualisée sous les termes de « migrants numériques » pour les premiers et de « natifs numé-riques » pour les seconds. Une forte connotation générationnelle existe dans ces termes. Les per-sonnes nées avant les années nonante ayant géné-

ralement migré vers le monde numérique alors que les personnes nées après les années nonante seraient nées dans un monde numérique.

Le seul critère du moment de la naissance ne suffit pas à distinguer les différents groupes. Même si c’est de plus en plus rare, il est possible de vivre coupé des nouvelles technologies et il est possible d’élever ses enfants loin des ordinateurs, d’Internet et de la télévision. Bien des endroits dans le monde sont très peu équipés en outils technologiques et informatiques. Les produits sont chers et en fonction des moyens financiers des classes sociales sont exclues de fait.

À noter également pour la petite histoire qu’une partie importante des avancées technologiques sont le fait de personnes étant nées avant le « tout numé-rique ».

Les natifs numériques

Si nous nous penchons sur les jeunes d’aujourd’hui, nés avec un « écran devant les yeux », nous pensons que leurs mondes virtuels, réels, artificiels… ne doivent pas être différenciés. Les uns sont la conti-nuité des autres. De ce fait, la prévention quant aux utilisations abusives des nouvelles technologies voire de la dépendance se fera sur une base quan-

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titative et qualitative, mais pas excluante. Une per-sonne dépendante à une drogue, aux médicaments ou à l’alcool devra se sevrer pour guérir. Il est possible de vivre sans toucher aux substances toxiques. En ce qui concerne les technologies numériques, un arrêt total est difficile. Il faudra cibler avec précision la pratique à éviter. Un alcoolique n’arrêtera pas de boire du liquide. Il arrêtera de boire de l’alcool. Une personne ayant une manie toxique quant aux jeux de hasard en ligne, quant à son profil sur un réseau social ou quant à l’évolution de ses parties dans des jeux vidéo, ciblera précisément la pratique à gérer. Cependant nous notons que les outils en tant qu’ob-jet nous envahissent également et peuvent égale-ment susciter une forme d’addiction.

Le smartphone révolutionne notre façon de vivre y compris dans un monde numérique. Le fait qu’Inter-net soit entré dans notre poche et que nos téléphones portables deviennent des outils multimédias relati-vement complets entraîne une utilisation perma-nente. Stocker sa musique, son courrier électronique, ses films, ses photos, l’accès à ses réseaux sociaux, aux journaux, aux informations et bien sûr son télé-phone constamment à portée de main constitue une révolution incroyable. Il est nécessaire de se donner des limites. Des cas de dépendances existent. Certains utilisateurs dorment avec leur smartphone, d’autres deviennent anxieux s’ils ne sont pas connec-tés. Une série de dysfonctionnements apparaît et met en lumière les excès d’utilisation. Une personne très timide dans un milieu de relation sociale direct peut s’avérer très sûre d’elle lorsque la relation se fait via un écran.

Être constamment connecté

Au-delà de l’aspect pratique du phénomène, les bouleversements interrogent notre espace et notre temps. Dans une communication entre des individus présents au même endroit au même moment, un certain nombre de codes existent. Lorsque nous communiquons à travers un outil technologique, nous modifions nos pratiques.

D’un point de vue du temps, nous posons une forme d’immédiateté. Au moment où nous le décidons et, en quelques clics nous avons accès à une quantité incroyable de savoir via le Web, nous pouvons envoyer un message via le réseau téléphonique ou un email via Internet, nous pouvons nous téléphoner,

nous avons nos appareils photos et nos albums photos avec nous, nous pouvons entrer en contact et diffuser ou consulter des informations via nos réseaux sociaux. Tout cela en un instant. N’importe quand. Cela implique néanmoins également que nous sommes constamment disponibles pour répon-dre aux sollicitations venues des autres. Cette sollici-tation peut devenir de la surveillance et nous pouvons nous sentir harcelés. Tout et tout de suite induit d’être toujours sur le qui-vive et nous impose une forme d’urgence. Même lorsque nous lisons, nous sommes sollicités par des liens hypertextes qui nous suggèrent de surfer vers d’autres infos et finalement, à force de passer de page en page, nous risquons de nous perdre. Ceci peut avoir pour conséquence d’une part de diminuer notre faculté de concentra-tion et d’autre part de nous empêcher de vivre dans le présent. Nous ne sommes pas ici et maintenant quand nous sommes partout tout le temps.

Faire preuve de tempérance et de lucidité, ne pas se comporter de manière extrémiste constitue une façon adéquate de se positionner. Chacun trouvera un usage pertinent et intelligent aux nouvelles pos-sibilités que nous offrent les outils technologiques. Notre curiosité et l’accès à d’énormes quantités de savoirs et d’informations sont une richesse incroyable.

Autre conséquence liée au temps, c’est la perte du droit à l’oubli. Le fait de numériser nos vies a pour conséquence que nous écrivons plus qu’avant et que l’archivage des écrits est plus dynamique.

Nous écrivons nos bavardages sur les réseaux so-ciaux, sur les sites de chat, dans nos mails… Tous ces écrits sont archivés et consultables via un moteur de recherche. Les journaux et autres pétitions en lignes ou blogs de toutes sortes sont également archivés et stockés. Avec l’avènement du numérique, ce que vous aurez écrit un jour sans y penser vous poursuivra toute votre vie. Des photos de vous peuvent circuler sur les réseaux sociaux sans votre consentement. Votre vie peut s’étaler. Si vous signez une pétition ou que vous écrivez un billet dans un blog, des années plus tard cet écrit pourra être res-sorti et, si vous avez changé d’avis ou si vous pré-férez oublier une « bêtise » faite un jour, ce ne sera pas possible. Le droit à l’oubli permet de dépasser une erreur de jeunesse ou une période de colère.

D’un point de vue de l’espace, nous transportons dans nos poches une partie importante de nos vies.

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Les smartphones et les tablettes contiennent beau-coup d’informations dont nous disposons partout où nous allons. Les réseaux sociaux, le fait d’être connecté en permanence nous rapprochent les uns des autres. Nous pouvons communiquer avec tout le monde. Nous pouvons écouter via Internet des radios locales où que nous soyons, discuter et nous voir via webcam. Internet nous emmène en voyage autour du monde, comme pour le temps, nous devons être attentifs à ne pas nous perdre.

Notre réputation en ligneLorsque nous rencontrons quelqu’un par quelque biais que ce soit, la tentation de le « google-er » nous invite à effectuer quelques recherches sur Internet. Regarder sur Internet ce que nous pouvons trouver sur nous-mêmes peut nous réserver des surprises.

Toutes les données enregistrées sur Internet sont classées par des algorithmes, archivées sur des serveurs appartenant à de grandes compagnies de l’industrie du Web et propriétés desdites sociétés.

Nous pensons que cela nous appartient, mais cela ne nous appartient plus. Nous ne le savons pas, car c’est écrit dans les conditions d’utilisation que nous avons acceptées sans les lire. Nous admettons plus ou moins implicitement que nous ne pouvons pas négocier avec Apple, Google, Microsoft, Facebook ou Yahoo! pour les changer et en enlever certaines parties qui ne nous arrangent pas. Quand nous sommes sur nos machines reliées à Internet, nous ne sommes pas chez nous. Nous sommes en visite au sein des sociétés qui construisent le matériel utilisé (hardware) et les logiciels qui nous permettent de nous connecter (software).

Bill Binney, ancien responsable de la NSA (l’une des agences de la CIA), est clair : « Le seul conseil que je pourrais donner aux gens qui utilisent Internet est que si vous voulez que quelque chose reste privé ne le mettez pas sur l’Internet. »

Cela revient à dire que dès que nous sommes sur Internet, nous sommes en public. Nous adaptons notre comportement de la même manière que lorsque nous travaillons ou que nous fréquentons des amis ou des membres de notre famille.

Notre vie privée est exposée sur Internet et nous découvrons cette nouvelle manière de gérer nos « amis ». Nous bénéficions de possibilités incroyables en matière de réseau. Nous avons la possibilité de

retrouver des personnes perdues de vue, de trouver des informations ou des « personnes-ressources » pour tout ce que nous pouvons imaginer.

D’un point de vue de l’espace, nous constatons également qu’il n’y a plus de frontières. Nous pou-vons entrer dans une salle d’audience grâce à nos outils de connexion. Alors qu’Internet n’a pas de frontières, nos systèmes juridiques en ont et il n’est pas simple de nous y retrouver.

Éloge de la futilité

Éloge du progrès. L’immatériel dans une société matérialiste est voué à être cantonné dans une position peu crédible. Pour les personnes qui ont connu « l’avant-ère numérique », ce qui se passe sur Internet est virtuel donc n’existe pas vraiment. Ce manque de « réalité » porte sur le sérieux des sujets traités. Ainsi une photo de l’ombre du doigt de Benjamin Netanyahu faisant une moustache à Angela Merkel a fait l’objet d’une attention incroyable alors que des faits d’actualités et d’informations n’intéressent personne. C’est ce qui s’appelle la « démocratie du clic ». Au plus une information est relayée au plus elle prend de l’importance. Les péri-

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péties de Dominique Strauss-Kahn ont fait l’objet d’une couverture inédite, tout cela parce que de nouvelles applications techniques ont pointé leur nez (rien à voir avec la moustache de Merkel). Le fait qu’une information soit reprise et rediffusée engendre un mouvement qui fait que lors des re-cherches de plus en plus de personnes y auront accès et ce cercle infernal amène au buzz. Plus il y a du bruit autour d’un évènement, plus les gens en parlent et plus il y a de bruit, plus les gens en parlent et plus il y a de bruit, plus les gens en parlent…

Découvrir le monde

Chacun a son monde, son image du monde. Sur Internet, personne n’est à l’abri de l’usurpation d’identité. L’anonymat relatif permet à certains de se comporter de manière inappropriée. Les adoles-cents qui surfent ont via Internet accès au monde. Il se peut qu’il y ait des découvertes qui débouchent sur des expériences potentiellement négatives. Les parents doivent veiller à protéger leurs enfants quand ils sont sur Internet comme lorsqu’ils sortent dans la rue. Ce n’est pas évident. Il est facile de s’imaginer

qu’en étant dans sa chambre, il ne peut y avoir au-cun souci. Ce n’est pas le cas.

Le risque de se retrouver dans des situations délicates existe. Les sites pornographiques font partie des plus visités. Des pervers abusant de la crédibilité ou de la naïveté des jeunes pourront sévir. Dans ces domaines ce qui fonctionne le mieux, ce sera d’oser regarder la situation en face et d’informer les jeunes des situations potentiellement dangereuses qu’ils rencontreront.

Expérience probante

À travers « La culture a de la classe », programme subsidié par la Cocof, l’association FIJ mène un projet sur « le bon usage » de Facebook. Intitulé Les jeux, mes amis et moi, les élèves s’expriment et interrogent leur quotidien, leurs mœurs, la décou-verte de la vie à travers des exercices apportant un regard critique sur leurs pratiques.

Ce guide sera mis en ligne sur le site de FIJ (www.fij.be) à la mi-juin.

Affaire à suivre !

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Usages excessifs d’Internet

Une pathologie familiale> Serge Minet

Au fil d’anecdotes ayant rythmé son activité de thérapeute, Serge Minet nous indique que la relation thérapeutique est d’abord un art de la relation.

C’est la confiance mutuelle qui permet de saisir le sens que représente l’outil Internet pour les personnes rencontrées en consultation. L’usage problématique d’Internet est ainsi essentiellement une pathologie de l’excès qui vient s’inscrire

au cœur de la famille. La compréhension de cette dernière est bien, selon Serge Minet, la clef qui ouvre à la gestion positive des pratiques excessives.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, et nous dire quelles étaient vos activités professionnelles 1 ?

À l’origine, j’ai une formation sociale, psychothéra-peutique analytique et de comédien. C’est par le biais du travail social que j’ai rencontré les pathologies du jeu. Cela fait deux ans que j’ai été élevé à la dignité de la retraite, mais j’ai fonctionné pendant plus de vingt-cinq ans dans un service de psychiatrie à l’hô-pital Brugmann, à Bruxelles, où j’ai eu l’occasion de créer la clinique du jeu pathologique « Dostoievski ». Mon travail clinique se préoccupait d’abord des per-sonnes touchées par le problème des jeux d’argent et de hasard, devenus comportements pathologiques.

Ma découverte à l’époque, il y a 25 ans, est que la relation thérapeutique est d’abord une relation de confiance qui permet à l’autre d’oser parler de l’indicible qu’est le secret du jeu. On va retrouver ce constat par ailleurs dans les comportements excessifs concernant l’utilisation de l’ordinateur. C’est dans le cadre de la clinique du jeu que les problématiques liées à l’ordinateur et à Internet me sont arrivées.

Il y a 10-12 ans, j’ai découvert l’ordinateur comme un vieux bonhomme découvre un outil totalement inconnu et imprévisible. On avait installé un ordina-teur dans mon bureau, chez moi. Il était 4 heures de l’après-midi, et j’ai commencé à voyager dans Google, en faisant ce que l’on appelle de la dropo-manie. Je voyage dans le monde entier et je trouve ça génial. À un moment donné, j’ai faim. J’ouvre la porte de mon bureau, j’appelle ma femme qui faisait à manger ce soir-là, mais elle ne répond pas. Un peu plus tard je rouvre la porte en criant « On mange ? » et là, je me rends compte qu’il était 3 heures du matin.

Je me suis laissé surprendre par un écran complè-tement captatif. Je suis entré dans l’univers de l’écran hors de tout rapport avec la réalité, hors du temps, hors de moi, dans une espèce de mouvement qui me mettait en rupture sociale, en rupture avec tout sauf avec la sensation de faim. C’est cette sensation de faim qui m’a rappelé deux fois au principe de réalité. Cette expérience de presque 12 heures pas-sée sur Internet m’a aidé dès le départ lors de mes rencontres avec des familles et des jeunes qui ve- 1. Propos recueillis par Alain Lemaitre.

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naient pour la première fois, amenés de force à une consultation de psychiatrie dans une clinique du jeu pathologique.

« Amenés de force », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas demandeurs, c’est la famille qui force le jeune à venir consulter ?

Certains jeunes arrivaient en disant « Je ne suis pas malade, je vais bien, je gère l’ordinateur, c’est ma mère qui ne va pas bien ». Il s’agissait souvent de familles séparées, dissociées. Et j’ai en face de moi d’une part la mère qui me parle effectivement de sa difficulté d’imposer des limites et d’autre part un jeune qui n’a aucune demande à formuler. Tout le travail thérapeutique réside peut-être justement dans la création de cette relation de confiance, que je maintiens toujours dans ma relation thérapeutique. Pour moi, la thérapie est avant tout un art de la rela-tion.

Lorsque j’ai en face de moi le couple fils-mère, je parle toujours à la mère sans m’adresser au jeune, puis arrive le moment où le jeune en question réagit. L’image d’un de mes premiers patients, Paul 2, me revient. Il avait des cheveux longs cachant vérita-blement ses yeux, il était grassouillet, gonflé par les

boissons énergisantes et par les chips qu’il mangeait dans sa chambre. À un moment donné, se déga-geant, il me dit : « Monsieur Minet, est-ce je ne pourrais pas une fois vous parler seul ? » Et à partir de là, on a créé la relation.

Que pouvez-vous nous dire du sens d’Internet, du sens de l’outil pour les personnes rencontrées lors de vos consultations ?

Je me suis rendu compte que l’usage problématique d’Internet était d’abord une pathologie du refuge. Le refuge est notamment nécessaire pour les jeunes en recherche de vie, en recherche de relations, en rupture familiale. Bien souvent, ce qui est rompu, dès le départ, c’est la famille. Et Internet est devenu le lieu dans lequel le jeune peut se re-unir en étant en contact avec des interlocuteurs dans un réseau social ou avec une guilde dans un jeu.

C’est un refuge et c’est aussi un retour à la toute-puissance infantile. Le jeune retrouve dans l’outil ordinateur la toute-puissance magique de créer des liens, de pouvoir, notamment dans les jeux de rôles — je pense à Counter Strike ou World of Warcraft, incarner des personnages dotés d’une toute-

2. NDLR : Tous les noms cités dans cet ar-ticle ont été modifiés.

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puissance qu’il a perdue par son état de passage de l’enfance à l’adolescence. Dans l’adolescence s’il veut être tout-puissant, il doit être en conflit. Et là, il a trouvé un biais par lequel il peut maintenir un processus d’identification qui avait préexisté dans l’enfance.

Je pense à un de mes patients, Jacques, qui a passé sa vie ludique à être le guérisseur de sa guilde. Sur le jeu, il intervenait comme le service 100 et guérissait tout le monde. Il affirmait « dans Internet, j’ai découvert une raison d’exister, et je veux sauver les gens ». Au point qu’il dormait avec son ordinateur portable sur lui. Il ajoutait « c’est ma protection, quand j’ai des angoisses la nuit je sais que je peux communiquer, il y a quelqu’un 24 heures sur 24. » Cette permanence du lien est très importante.

Ça, c’est spécifique à Internet. 24h/24h

Tout à fait. De mon temps si je voulais appeler ma petite amie, après 9 heures du soir je tombais sur ma belle-mère…

Revenons à Jacques. Je lui dis « je comprends que tu aies besoin, que tu sois angoissé, que ça te calme quand tu parles avec quelqu’un, mais je t’en supplie on va essayer quelque chose. Ton ordinateur, tu le mets où tu veux, tu mets des ficelles, tu l’attaches, tu le tiens bien, mais tu ne le mets pas en contact. Et si vraiment la nuit tu te lèves angoissé, mets ton ordinateur en marche, attends un petit peu le temps que ça vienne et ensuite tu envoies tes messages ». Conclusion : il n’a plus jamais eu d’angoisse et il n’a plus jamais allumé son ordinateur. Il l’a gardé comme un doudou winnicottien, comme l’objet transitionnel qui le maintient et le sépare réellement du lien. Quand la connexion est faite, c’est comme s’il y avait toujours la main réelle qui était tendue pour tenir l’autre. Là il doit symboliquement véritablement se rassembler pour se remettre en communication. Ça n’a pas modifié son état psychotique, mais ça l’a aidé à gérer.

Au-delà de cette nécessité de refuge et de cette nécessité de reconstruction de la toute-puissance infantile, est-ce qu’on peut constater un fossé générationnel ?

Au fond, il y a aussi une puissance qui est le savoir qu’a le jeune sur l’outil Internet et qui lui permet pour la première fois d’informer, d’éduquer, d’ap-prendre à ses parents. Ce rapport au savoir et à

l’autorité déplacée chez le jeune est un moment extraordinaire, mais qui est terriblement dur pour les parents et pour la famille, le père qui a l’air bête devant son fils ou la mère qui voudrait aller sur Face-book et qui ne sait pas comment elle doit faire.

Un autre constat est également frappant, je l’explique souvent aux familles. De mon temps, on était tous rassemblés devant la télévision. Aujourd’hui la télé-vision n’est plus au centre de la famille, on n’est plus ensemble pour regarder, partager, discuter, chahuter éventuellement parce que le programme ne plaît pas.

Le cinéma était aussi un lieu que j’adorais, j’allais flirter là, il y avait tout le jeu des mains qui se frôlent… La relation était d’abord une relation du toucher. Et puis est venu Internet, où je me retire dans mon antre. Je corresponds avec l’autre par l’image, je suis désincarné, je n’ai plus de corps. Ça permet ceci dit de communiquer pour des gens qui sont mal dans leur peau, et ça permet de bluffer pour des gens qui sont trop bien dans la leur. Il y a quelque chose aussi de l’ordre de l’impudeur, notamment sur Facebook.

Cela peut également induire chez des jeunes de la dépression, sans ce rapport à l’autre dans le regard, dans le toucher et la présence. L’isolement social peut déprimer quand on peut aller voir sur Internet que d’autres vivent mieux, publient de belles photos. Le système de comparaison, alors qu’il reposait sur le contact avec ses pairs, se déplace dans le monde entier.

Mais il y a aussi des aspects positifs ?

Finalement, ce qui me paraît positif c’est que c’est une possibilité importante de refuge. L’ordinateur est un outil extraordinaire qui permet par exemple à des jeunes en rupture scolaire à cause de leur haute potentialité de pouvoir garder l’exercice de cette dernière. Sept jeunes sur dix que je rencontre ont une problématique de haut potentiel. Notamment Jacques dont je parlais. Il me disait : « Heureusement que j’ai Internet, ma mère m’ennuie » et « je sais que là j’ai des responsabilités, j’ai une place sociale dans la guilde qui me donne l’occasion d’être bien. À l’école primaire je jouais déjà au Gameboy parce que j’étais à l’arrière de la classe et que l’école m’embêtait. »

C’est donc un outil fantastique, il permet une réelle pratique intellectuelle, de faire deux ou trois choses

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en même temps, écrire, téléphoner, penser. Tu peux ouvrir dix fenêtres en même temps. Et tu pars dans le monde entier…

Peut-on parler de « dépendance » pour le cas des usages problématiques d’Internet ?

La question se pose et elle m’est posée : « Est-ce que mon fils est addict ? », « Est-ce qu’il est malade, est-ce qu’il y a une dépendance ? » J’ai milité en tous les

cas pour essayer d’éviter d’employer le mot dépen-dance. Je parlerai plutôt de comportement excessif ou d’une pathologie de l’excès. Mais ce qui est plus important — et c’est pour cette raison que je travaille toujours avec les familles — c’est que c’est une patho-logie familiale avant tout, elle vient s’inscrire au cœur de la famille. Quand je veux aider un jeune, je veux d’abord comprendre la famille. Autre chose est, quand on va plus loin avec le jeune, de vérifier qu’il n’y a pas de troubles psychiques qui font que le jeune utilise véritablement l’outil comme une drogue. Mais j’évite de parler de dépendance. Très clairement.

Une petite histoire peut illustrer ce propos. Je reçois un jour la maman et deux enfants venus me parler du troisième. Le père est absent. « Il n’a pas le temps, me répond-on, il a une profession libérale impor-tante. » J’insiste pour le voir, pour organiser un entretien de famille chez eux, pour rencontrer le père et le fils absents. Mais à deux conditions : Un mercredi après-midi à 16 heures, comme ça les enfants ne sont pas déscolarisés, et je veux un goû-ter, je veux qu’on mange ensemble. Le jour du rendez-vous, monsieur est venu m’accueillir à la gare. On est rentré dans sa maison, et on s’est ins-tallé autour de la table dressée avec des couverts en argent et des gâteaux. Tout le monde était là, sauf le fils. À un moment, j’ai dit « mais il n’est pas là votre fils ? — Non, mais il va venir tout à l’heure. — Vous lui avez dit que je venais ? — Oui, mais je ne lui ai pas dit quand parce que je veux le sur-prendre… » Le fils est arrivé avec son vélo, au jardin, puis est descendu dans la cave, sa mère a essayé de le faire venir, sans succès.

Mais le plus important est que le père était avec moi et on a parlé, je lui ai expliqué ce que sont Internet et mon métier, et on a mangé du bon gâteau — la petite fille avait fait une tarte aux poires délicieuse. À un moment le père a tapé sur les mains de son autre fils qui étaient sur la table. Ce dernier les a mises sous la table et tout le monde a fait la même chose. J’ai regardé alors le père, avec un clin d’œil, en disant : « Désolé monsieur, mais je ne sais pas ce que je vais faire des miennes » et lui s’est mis à rire, la mère interpellant : « Vous voyez, c’est toujours comme ça ! ». Après l’entretien, j’ai pris un rendez-vous avec le père. Quand il est venu, j’ai trouvé un homme d’une fragilité extraordinaire, mais aussi avec la sim-plicité de pouvoir le reconnaître. C’est à partir de là que tout le travail s’est fait. Pas avec le fils, je ne l’ai

Un numéro spécial d’Éducation Santé

Promotion de la santé et Web 2.0, parlons-en !

Les acteurs de la promotion de la santé se mettent à l’ère numérique : pages Facebook, sites Internet, newsletters, e-permanences et autres se multiplient. Dans une volonté de rester proches de leurs publics en constante évolution, ils réinventent leurs techniques de com-munication et innovent.

Le phénomène du Web social séduit, non sans amener son lot de questions. Quelles informations diffuser ? Dans quel but ? Les outils Web permettent-ils de diminuer la fracture sociale en ma-tière de santé ou, au contraire, la renforcent-ils ? Peut-on viser des changements de comportement par ce biais ? Quelle éthique en matière de santé sur le Web ? Quel soutien social permet-il d’offrir ? Comment mesurer l’impact des publi-cations en ligne ?

C’est pour y réfléchir avec une centaine de personnes que Question Santé a organisé la journée « Promotion de la santé et Web 2.0, parlons-en ! » le 18 mars 2014. L’objectif était d’aborder de front les doutes et les interrogations mais aussi les opportunités à saisir et à naître des nouveaux supports de communi-cation.

Si ces questions vous intéressent, vous trouverez dans le numéro 302 d’Édu-cation Santé une quinzaine de contributions d’associations et acteurs de terrain. Ils nous parlent de leurs expériences, leurs réussites, leurs doutes, leurs échecs et leurs projets dans le domaine du Web.

Le tout est complété par une présentation des jeux en ligne à vocation éduca-tive et une belle offre de formations au Web concoctée par Question Santé.

Le numéro 302 d’Éducation Santé est consultable et téléchargeable gratuite-ment sur le site www.educationsante.be à partir du 19 juin 2014.

À partir du 1er juillet, vous pouvez aussi en obtenir un exemplaire imprimé à Question Santé, 72 rue du Viaduc, 1050 Bruxelles

Courriel : [email protected].

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jamais vu, mais avec le père et la famille. C’est un exemple qui montre combien la famille, effectivement, porte et entretient véritablement l’excès du jeu.

Ce que j’entends c’est l’importance de comprendre le sens et l’usage de l’outil et l’ancrage familial qui, à travers votre expérience thérapeutique, nous donne des pistes en termes de prévention, notamment via l’objectif d’établir une relation de qualité et de confiance.

Je pense à cette petite Julie de 13 ans qui est venue à la consultation avec son père. Une jolie fille aux cheveux longs et noirs, elle ne disait pas grand-chose. Le père explique qu’elle est tout le temps sur un jeu, sans dire lequel : « L’ordinateur est dans mon bureau, quand j’entre — elle est dos à la porte — et quand je lui dis maintenant Julie ça suffit, tu arrêtes l’ordi-nateur, elle pique une crise de colère et casse tout dans mon bureau. »

Et on parle… Je demande à Julie « Au fond c’est quoi ton jeu ? », elle me répond comme je vais vous le dire : « Ve voue sur Dofus » Dofus ? Alors tout de suite j’ouvre Dofus sur Internet. Je tourne l’écran vers les parents et leur demande « Vous le saviez ? — Ah non non ». Ensuite on se met d’accord simplement, « Mon-sieur, vous seriez d’accord dimanche prochain de prendre ½ heure avec Julie et Madame, pour qu’elle vous explique Dofus ? » Je demande à Julie si elle est d’accord d’expliquer à ses parents « Oui oui ve veux bien ». Et le père me dit à ce moment-là qu’il a oublié de préciser que sa fille est malentendante.

On se fixe ensuite rendez-vous pour se voir un mois plus tard afin de faire le point sur deux ou trois petites règles convenues avec Julie : en premier lieu, chan-ger l’ordinateur de place de façon à ce que Julie voie quand le père arrive dans le bureau sans être surprise de ne pas l’avoir entendu. Au moment où ils partent, Julie revient et me dit « Est-ce que moi je peux vous voir bientôt ? » Je dis « Oui Julie vois avec tes parents on peut faire un rendez-vous à nous deux. » Elle re-vient une semaine après, habillée comme une petite princesse. Et là Julie me confie « Monsieur Minet, c’est terrible, quand mon père vient derrière moi je deviens folle parce que je l’ai pas entendu, et il regarde ce que je fais. Comme je ne le vois pas, je ne sais pas depuis combien de temps il est là » et elle m’explique

« C’est vrai, je joue sur Dofus mais ce qui est impor-tant c’est que j’y ai un ami avec qui je corresponds. Je l’aime bien, avec lui je m’entends bien. »

Cet exemple illustre comment l’ordinateur peut véritablement être un objet de développement per-sonnel. Julie a des problèmes de comportement parce que malentendante. On l’a d’abord mise dans une école spécialisée, mais elle n’est pas sourde et ne connaît pas le langage des signes, on l’a ensuite envoyée dans l’enseignement normal, mais là elle ne trouve pas sa place. Elle est rejetée de tous les côtés, sauf sur Internet.

Est-ce que vous pourriez définir quelque peu cette notion de comportement excessif que vous évoquiez, ou bien cela reste-t-il dépendant d’un contexte à chaque fois singulier ?

L’excès se singularise souvent par une interruption impossible de l’activité quand elle est demandée par un parent. Je pense à cette mère qui appelle son fils dix fois « Viens manger », qui reçoit cette réponse universelle « oui j’arrive », puis il n’arrive pas… Elle monte dans sa chambre et crie, jusqu’à se saisir de l’ordinateur et menacer de le jeter par la fenêtre. Le fils, qui est pourtant un gosse bien élevé, dit à sa mère « Casse toi vieille conne ». Là, la mère s’effondre. Lui également. Il m’avoue : « je n’ai jamais imaginé dire ça à ma mère, mais elle a atteint la limite. Elle a été intrusive, est rentrée dans mon univers et m’a empêché de jouer. » Donc face à l’excès, la difficulté est que seul, le jeune n’est peut-être pas capable de pouvoir gérer le temps.

La déscolarisation est aussi un facteur important. L’isolement social, la rupture avec toutes les activi-tés extérieures sportives et autres, les copains. L’importance des relations dans le jeu et le désinté-rêt pour les autres activités. Le fait de devoir choisir, aussi, semble être beaucoup plus difficile. Mais cette liste n’est pas exhaustive. Tous ces événements-là sont à évaluer. Une grille d’évaluation est d’ailleurs disponible sur le site de la clinique du jeu 3.

Mais pour moi, le moteur principal à prendre en compte est d’abord le plaisir du jeu. Il y a un rythme de vie en décalage avec le temps parce que le jeu commence vraiment le soir. Si on veut s’amuser on joue de 8 heures du soir jusqu’à 4 ou 5 heures du matin. 3. www.cliniquedujeu.be

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel page 30 Printemps 2014

Comment envisager avec les parents la question des limites ?

Ce mot revient souvent, et quand il m’est posé par des parents, je réponds tout de suite « De grâce arrêtez de mettre des limites ! Arrêtez ! C’est quelque chose qui se négocie ! » Et là, je réinstaure ce que j’appelle le pacte familial. C’est un contrat synallag-matique, comme on dit en droit, il y a des droits et des devoirs pour les deux parties.

Revenons à l’histoire de Jacques, je lui propose : « Voilà Jacques, on va faire un contrat, de combien d’heures estimes-tu avoir besoin pour jouer ? », il en était à 15 heures par jour. Je sais qu’il faut au moins trois heures de jeu pour arriver à un plaisir du jeu, il est inutile de dire au jeune qui rentre de l’école qu’il peut jouer une demi-heure, c’est ce qu’on explique aux parents. Jacques me répond : « Je veux bien essayer de ne jouer que dix heures. — Que vas-tu faire les cinq heures restantes ? — Je savais, me dit-il, que tu allais me poser la question, je vais me remettre par correspondance à niveau en math pour passer mes examens. » On approchait du mois de juin. J’allais applaudir, mais je dis : « Jacques, correspondance comment ? Par Internet ? »

« Je savais que tu allais me le dire, malin. Non, par courrier postal, une enveloppe et un timbre. » Et il l’a fait. « Mais je joue, et je joue tous les jours dix heures. » Je me souviens qu’il m’a téléphoné peu après : « Serge, j’ai oublié de te demander, qu’est-ce que je fais le jour où je n’ai pas envie de jouer ? », j’ai répondu : « Jacques, tu te fiches de moi ou quoi, si tu n’as pas envie de jouer tu joues ! On a fait un contrat, tu joues, même ce jour-là ! Et tu verras que le plaisir va vite revenir ». C’était une façon un peu provocatrice de réhabiliter ce qu’est un contrat. Si on s’engage, on s’engage. Envie ou pas, peu im-porte, tu le fais. Ce contrat a été mis en place et discuté avec la mère. C’est un pacte, si ça ne fonc-tionne pas on peut toujours en renégocier les clauses. Et les limites s’y intègrent. Je me positionne souvent en une sorte de notaire, je suis le tiers qui acte. Ce

tiers peut être quelqu’un d’extérieur, par exemple qui fait de la prévention.

Vous êtes comédien. Pouvez-vous revenir sur l’intérêt de la pratique artistique et du théâtre thérapeutique ?

C’est ce qui m’a fait entrer à Brugmann pour essayer d’aider les patients par le biais du théâtre d’improvi-sation. C’est une pratique par laquelle on travaille les émotions, la relation, la parole. C’est un moment où on peut oser en étant un autre, puis redevenir soi. C’est une espèce de travail psychanalytique, mais réincorporé, c’est-à-dire que le corps participe à l’analyse. C’est un travail de jeu de théâtre et un travail de verbalisation sur le jeu, soit par les acteurs eux-mêmes soit par les spect-acteurs, le groupe, qui se projette, s’identifie et qui peut aussi parler de lui.

Ce travail est génial en termes de prévention parce qu’on peut tout faire, tout est permis, sauf le passage à l’acte. Tout est terriblement structuré, si on respecte les règles du théâtre, ce qu’est la scène, ce qu’est le rituel, ce qu’est la symbolique du sacré et du profane — j’attache beaucoup d’importance à toute la symbolique théâtrale. C’est un outil qui permet aux personnes d’apprendre à se contrôler, même dans des pathologies lourdes — sauf des psycho-tiques délirants avec qui je ne travaille pas, ou des personnes qui sont de type psychopathique, c’est-à-dire incapable de ne pas passer à l’acte.

Le théâtre permet aussi d’organiser la structure sociale du groupe, via la solidarité qui récrée le lien social. Le théâtre thérapeutique est aussi un théâtre de développement de soi, il n’est pas uniquement thérapeutique sur le plan analytique.

Plutôt que de jouer du théâtre virtuel avec des per-sonnages dans un jeu de rôles, la pratique artistique c’est pouvoir jouer sur scène avec des réels parte-naires de jeu et peut-être aussi pour le plaisir d’un public qui vient voir et partager. Passer de l’un à l’autre permet peut-être de contribuer à nous construire et nous émanciper.

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel Printemps 2014 page 31

Les répercussions du déploiement des NTIC sur la relation soignant-soigné

> Simon Charlier, licencié en psychologie

Grâce à un passage en revue de la littérature récente en la matière, Simon Charlier nous propose d’interroger les impacts des usages d’Internet sur les relations entre

médecins et patients. Les savoirs médicaux s’échangent largement au sein des forums en ligne et les TIC s’insèrent de plus en plus dans la pratique médicale

quotidienne. Pour quels bénéfices pour les soignés et les soignants ? En filigrane, n’oublions pas que les développements technologiques sont soumis à

des impératifs économiques et marchands qui contribuent à brouiller les cartes d’une médecine qui se voudrait démocratique.

Aujourd’hui, le déploiement des NTIC semble mener inexorablement à une « métamorphose », voire à une véritable « rupture 1 » contribuant notamment à modifier la pratique médicale. L’explosion du volume des connaissances médicales, la démocra-tisation des accès aux informations, les enjeux éco-nomiques, tout cela a refaçonné la relation soigné-soignant qui a subi des modifications profondes comme toute relation hiérarchisée et clairement définie dans nos démocraties libérales. La notion d’égalité postmoderne qui prévaut dans nos relations de citoyens, d’individu à individu, a atténué les limites intergénérationnelles, les limites de classe, modifié l’asymétrie 2 qui régissait la relation soigné-soignant. Ce bouleversement de nos rapports à la santé et au monde thérapeutique, demande une redéfinition, une réactualisation des cadres qui régissent son fonctionnement pour une meilleure intégration des NTIC (devenus incontournables) dans la relation soigné-soignant.

Incitants économiques

À l’ère de la révolution numérique, il semble établi que celle-ci favorise l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des soins mais permet également, dans les pays développés, de lutter contre l’engor-gement des systèmes de santé, les défaillances multiples telles que la pénurie de praticiens ou tout simplement la réorganisation du système de santé et de son financement, comme c’est le cas en France.

Par exemple, l’implantation de l’ordinateur portable et des NTIC en soins à domicile relève d’une volonté d’accélérer, sinon d’intensifier, la cadence de travail des soignants dans un contexte où la demande pour des services de soins devenait de plus en plus grande avec, en contrepartie, une tendance à la diminution des dépenses publiques de santé et l’absorption de l’augmentation de la demande de soins dans un contexte marqué par la contraction des effectifs sanitaires 3.

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Ainsi, l’impératif économique prend une part impor-tante dans la mise en place des NTIC, mais se couple avec une perspective intégrant les patients, ce que Grosjean et Bonneville ont identifié comme étant les deux principales logiques d’implantation des NTIC dans les organisations de soins : une logique technico-économique (ou techno-centrée) et une logique médico-intégrative (ou anthropo-centrée) 4 : un impératif productif d’amélioration de l’efficacité pour un meilleur rendement contre un impératif créatif et de partage ; une informatisation vue comme substitutive contre une informatisation vue comme complémentaire ; une instrumentalisation contre une coconstruction ; la rapidité, l’urgence contre la réappropriation, l’autonomie et la flexibilité.

La relation soignant-soigné

Selon Marceau J. (2013), le déploiement de NTIC provoque un bouleversement profond tant au niveau informationnel, relationnel que sociétal :

Ainsi, au niveau informationnel :

Internet et les réseaux sociaux contribuent à la dif-fusion et à la vulgarisation de l’information médicale autrefois monopolisée par les soignants 5. Les pa-tients aujourd’hui, grâce à Internet, s’informent et en savent parfois beaucoup sur leur propre maladie (surtout lorsque celle-ci est chronique). Cette re-cherche proactive de la part des patients s’organise en réseau de personnes « éclairées », de commu-nautés de gens atteints, ou vivant des troubles semblables, accueillant de véritables « experts » dans un partage d’expériences. Pour David 6, la mise en œuvre de pratiques communautaires « constitue donc une opportunité idéale pour mettre en commun des outils remédiant aux problématiques ciblées. Dans certains cas, la mise en commun des expé-riences et des connaissances profanes permettrait la constitution d’une expertise collective différente et souvent complémentaire à celle des cliniciens 7 ». Les espaces d’échange entre pairs constitueraient de plus une source de soutien émotionnel, tant pour les malades que pour leurs proches 8. Pour Silber 9, « les patients pourront mieux connaître leurs options, la nature des décisions à prendre ». L’asymétrie d’information et le pouvoir détenu par le médecin sont désormais remis en question. Bien que le désé-quilibre reste toujours présent, le médecin devient davantage celui qui soigne, accompagne et dialogue,

plutôt que celui qui sait. Les communautés de pa-tients deviennent désormais de réels acteurs dans la coconstruction d’offres et de services adaptés aux malades.

Se posera donc l’importante question de l’accès à Internet et aux communautés et réseaux par tous et pour tous pour que l’idéal d’une médecine de qua-lité à la portée de tous puisse perdurer. En effet, il y a un risque que le développement de l’e-santé 10 accentue les inégalités à l’égard de la santé si des mesures ne sont pas prises pour favoriser le déve-loppement d’Internet dans les groupes encore dému-nis dans ce domaine 11. Ainsi, selon Molénat, la bonne autogestion du patient est largement corrélée à ses capacités intellectuelles et son niveau d’études 12.

Au niveau relationnel :La démocratisation du savoir, via le Web 2.0., conduit à une réelle mutation de la gestion de la connais-sance. Cette dernière, nous l’avons vu, subit le principe de diffusion communautaire et influe sur la relation avec le médecin. Nous assistons ainsi à une coconstruction de l’offre de soins et la parole du malade devient désormais plus importante. Les réactions sont contrastées qui voient les médecins tantôt désirer accompagner ces changements, tan-tôt les critiquer vigoureusement 13.

Cependant, on s’intéresse ainsi à la participation du patient et au processus de négociation mutuelle qui s’engage entre les protagonistes de la relation de soins 14. La Belgique fait figure de précurseur en la matière puisqu’elle a instauré la notion de « contrat thérapeutique 15 » qui inclut dans un mécanisme systémique le patient et l’équipe pluridisciplinaire de soignants, partageant l’information et travaillant en réseau, système qui permet entre autres, la rela-tion entre patients.

Ainsi, de nouveaux modèles émergent qui reposent sur plusieurs prémisses :

1. la possibilité pour chacune des parties de pré-senter sa vision de la maladie lors de la consul-tation ;

2. l’engagement dans une véritable négociation concernant le diagnostic et le traitement ;

3. l’atteinte d’un consensus mutuel 16.

Ces étapes ne sont pas toujours présentes dans la rencontre médecin-patient, comme l’ont montré Massé et al. Or, l’implication des patients dans la

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décision médicale et plus largement dans le proces-sus de soins semble produire de meilleurs résultats, notamment parce que l’adhésion du patient au traitement est souvent meilleure. Elle contribuerait aussi à réduire les coûts de la prise en charge tout en augmentant la satisfaction du patient 17. Dans cette perspective, le médecin n’est plus seulement un expert, il est aussi un éducateur qui contribue à la construction de la compétence profane et a pour mission de responsabiliser le patient. Ainsi, selon le Dr B. David : « Much has, of course, been written about what happens when misinformation gets out there. […] Yet cases like this are exactly why I believe that doctors must invest more fully in the process of educating our patients outside of the office, in their public lives18 ». En effet, même si médecins et patients ont théoriquement accès aux mêmes infor-mations, l’asymétrie des connaissances et la diffi-culté à donner sens aux informations recueillies se maintiennent dans une certaine mesure car le médecin sait souvent mieux interpréter l’information médicale 19.

Au niveau de l’accompagnement :

Grâce aux NTIC le patient peut être connecté en permanence avec son équipe soignante et son ré-seau social, ce qui permet un monitoring constant et en temps réel de ses données biomédicales. Elles permettent également une relation à distance avec un « coach thérapeutique », concept en vogue aux USA et mis en place par les compagnies d’assu-rances dans le soucis d’optimiser les traitements médicamenteux de leurs contractants. Mais, selon Bussières J-F. 20, ces usages ne sont pas sans com-porter certains risques, entre autres, parce qu’il faut éviter qu’il n’y ait rupture de confidentialité quand on évoque le cas d’un patient, et s’assurer que l’information consultée en ligne est effectivement de bonne qualité et récente.

La relation soigné-soignant et la relation d’aide en psychothérapie

Ces bouleversements des cadres et partant, des relations soigné-soignant touchent bien entendu également le domaine de la psychothérapie. En effet, les NTIC bousculent le schéma classique de la relation thérapeutique dans un domaine où celle-ci constitue l’un des enjeux du travail thérapeutique.

Il n’est pas aisé pour les praticiens d’assimiler par exemple les nouveaux moyens de prise de contact avec un psychothérapeute, tels les e-mails, les SMS, etc. dans un cadre où la prise de contact même est un sujet de travail. Ainsi, pour certains, l’e-mail est par trop impersonnel, sans investissement suf-fisant du patient par rapport à une prise de rendez-vous classique et les prises de contact via Internet interviennent parfois là où la relation est tout à fait hors du cadre que cherche à installer le psychothé-rapeute.

Pourtant, ces nouveaux moyens de communication peuvent s’avérer des véhicules essentiels pour cer-tains patients en demande afin de rentrer en contact avec un thérapeute là où les moyens « convention-nels » pouvaient constituer une barrière. De plus, selon L. Belhomme 21, si l’on tente de maintenir le cadre antérieur de communication par téléphone via un secrétariat, il est délicat de faire passer comme message, au patient potentiel qui a choisi Internet comme moyen de rentrer en contact, qu’il a d’em-blée choisi le mauvais cadre de communication. De plus, selon M. Croisant 22, de nombreux enfants et adolescents ont un goût prononcé pour le téléphone. Ce média étant pour eux un canal privilégié, il défend l’opportunité d’entreprendre une action de préven-tion psychosociale qui l’utilise.

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel page 34 Printemps 2014

Selon le Pr B. Glorion 23, président du Conseil de l’ordre des médecins français, si le téléphone peut-être un outil fort utile (par exemple en cas de situation d’urgence ou de conseils demandés par un patient connu du praticien), il ne peut en aucune façon se substituer au contact personnel, indispensable pour établir un diagnostic et prescrire une thérapeutique. Il est capital d’observer combien ces spécialistes ne parlent nullement de « consultation » ni de « psycho-thérapie » mais plus volontiers de relation d’aide dans le cadre de « rencontres téléphoniques ». Quoi qu’il en soit, dans le domaine de la psychiatrie, l’usage des NTIC est également controversé.

Brown 24 propose de qualifier la télépsychiatrie comme l’utilisation des NTIC pour relier simultané-ment et en temps réel un patient et un professionnel de santé mentale, ou deux professionnels de santé, au travers de la visioconférence, permettant ainsi la réalisation d’une activité diagnostique, thérapeutique, formative ou toutes autres activités de soins. L’ob-jectif étant d’améliorer l’accès aux soins et le suivi de patients éloignés des centres psychiatriques spécialisés, localisés dans une zone géographique difficile d’accès en hiver.

Pour conclure

La modernité thérapeutique est donc caractérisée par une multiplication des acteurs pouvant interve-nir au cœur des processus scientifiques et médicaux, par l’immédiateté de la relation thérapeutique, à la demande, un choix sélectif et par une fragmentation des discours sur la santé dans l’espace public et au sein même de l’institution médicale 25 dans le cas du diabète.

Nous sommes ainsi passés d’une sacralisation du médical à une forme de « banalisation » de la santé qui a donné plus de connaissances aux patients et également plus d’exigences. Une autre des orien-tations que pourrait prendre le changement provo-

qué par le numérique est celle de l’industrialisation de la médecine par l’exploitation des données médicales à grande échelle qui conduirait bientôt le médecin à se limiter à l’application de protocoles préétablis, basés sur des extrapolations statistiques.

Il serait donc très important de mieux cerner les conditions dans lesquelles les usages d’Internet peuvent effectivement favoriser les échanges méde-cin-patient. Les patients, nous l’avons vu, sont confrontés sur les espaces d’échange en ligne aux récits d’expériences de pairs, ce qui a pour effet d’accroître la légitimité des savoirs profanes de manière générale. On peut se demander dans quelle mesure la fréquentation des forums et des groupes Facebook aide le patient à présenter, voire à orga-niser le récit de son expérience de la maladie et des traitements pendant la consultation.

Ainsi nous nous devons, comme le soulignent cer-tains chercheurs 26, de dépasser cette vision polari-sée qui présente Internet soit comme un élément perturbateur de la relation médecin-patient, soit comme un outil facilitant la communication, la réa-lité étant très certainement plus complexe.

La transformation du rapport à l’information santé et ses répercussions sur la relation aux soignants s’inscrivent en effet dans un contexte culturel mar-qué par le souci du corps et la responsabilité indivi-duelle à l’égard de la santé. Elle se développe dans un contexte de marchandisation de la santé qui précède certes le développement de l’Internet santé, mais qui trouve, grâce à ce dispositif, de nou-velles opportunités d’expansion. Il est donc urgent de mieux documenter le développement du marché thérapeutique en ligne qui s’installe au détriment de la dimension nationale et des modes locaux d’organisation de la santé, contournant parfois l’expertise clinique 27.

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1. Marceau J. « Le numérique peut-il métamorphoser la pratique médicale ? » dans JutanD F. (sous dir. de), La méta-morphose numérique : vers une société de la connaissance et de la coopération (p. 154), Paris, éditions Alternatives, 2013.2. www.cadredesante.com/spip/profession/profession-cadre/Reflexion-philosophique-sur-la.html3. Bonneville L., La mise en place du virage ambulatoire infor-matisé comme solution à la crise de productivité du système sociosanitaire au Québec (1975 à 2000), thèse de doctorat en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2003. Et Bonneville L. et lacroix J.-G., « Une médicamentation massive et intensive des soins au Québec (1975 à 2005) », Recherches sociographi ques, XLVII, 2006 p. 321-334.4. grosJean et Bonneville, 2007 ; Bonneville et grosJean, 2007a5. picarD R. et al., Les conditions de création de valeur des logiciels sociaux en santé et autonomie, conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, France, 2011. Consulté en ligne www.cgiet.org/documents/ 2010_45_CGIET_SG_logiciels_sociaux.pdf>6. DaviD I., Perception des professionnels de la santé par rapport à l’introduction d’une plateforme Web 2.0 dans leur pratique, Faculté de médecine de Montréal, 2012, p. 28, 131 pages.7. thoër C. et aumonD S., « Construction des savoirs et du risque relatif aux médicaments détournés. Une analyse ex-ploratoire d’un forum de ravers », dans levy J.J.et lasserre É. (sous dir. de), Anthropologie et société, Cyberespace et anthropologie : transmissions des savoirs et des savoir-faire, 2011, vol. 34, no 3.8. gauDucheau, N., « Internet et le soutien social », dans thoër C. et levy J.J. (sous dir. de), Internet et santé, sages, acteurs et appropriations, collection santé et société, Sainte-Foix, PUQ, 2012, p. 93-112.Wright K.B., Johnson A.A., BernarD D.R., averBeck. J., « Computer-mediated social support : Promises and pitfalls for individuals coping with health concerns » in thompson T.L., parott R., nussBaum J.F., The Routledge handbook of health communication, 2011, 349-362.9. silBer D., Médecine 2.0 : les enjeux de la médecine par-ticipative, Presse Med, 2009, 38 (10), p. 1458-1462.10. Sur la base de la résolution WHA58.25 (2005) de l’Orga-nisation mondiale de la santé (OMS), complété par la réso-lution CE 148/17 (2011) Selon l’OMS, l’e-santé ou cyber-santé peut se définir comme étant le recours « aux techno-logies de l’information et de la communication en soutien à l’action de santé et dans des domaines connexes, dont les services de soins de santé, la surveillance sanitaire, la littéra-ture sanitaire et l’éducation, le savoir et la recherche en ma-tière de santé » : résolution WHA58.25 (2005) et résolution CE 148/17 (2011) de l’Organisation mondiale de la santé.11. renahy, E., « Les inégalités sociales face à l’Internet-santé. Enseignements tirés d’enquêtes internationales »,

dans thoër C. et levy J.J. (sous dir. de), Internet et santé, sages, acteurs et appropriations, collection santé et société, Sainte-Foix : PUQ, 2012, p. 13-36.12. molénat X., « Médecin-Patient : « Je t’aime, moi non plus », dans halpern C., La santé, un enjeu de société, Sciences Humaines Éditions, 2010, 345 pages.13. Dupagne D., « Les nouvelles informations en santé », dans Les Tribunes de la santé, 4/2010, no 29, p. 33-39.14. massé et al., 2001.15. marceau J., 2013.16. gaFni, charles, Whelan, 1998, dans massé R., léga-ré F., côté L., et DoDin S., « The limitations of a negotiation model for perimenopausal women », in Sociology of Health and Illness, 2001, vol. 23, no 1, p. 44-64.17. oshima L.E., emanuel E.J., « Shared decision making to improve care and reduce costs » in New England Journal of Medicine, 2013, 368: 6-8.18. http://wingofzock.org/2014/02/27/doctors-are-patient-educators-in-the-information-age-2, by Dr. David B. Agus, MD.19. BouDier, BenseBaa et JaBlanczy, 2012 ; Wyatt, harris et Wathen, 2008 dans BouDier F., BenseBaa F., JaBlanc-zy A., L’émergence du patient-expert : une perturbation in-novante, Éditions de boeck, coll. « Innovations », no 39, 2012, p. 13-25.20. http://blogsgrms.com/internetsante/2013/12/11/tic-et-nouvelles-opportunites-de-communication-entre-soignants-et-avec-les-patients/?utm_source=feedburner&utm_medium=email & utm_campaign=Feed%3A+BlogueInternetEtSante+%28Portail+Internet+et+sant% C3% A9%2921. Psychologue et psychothérapeute, responsable de Psy-campus, ULB, 1050 Bruxelles (propos recueillis lors d’un entretien).22. www.rap5.org/DossierVirtuel/p7.html23. Idem.24. www.minkowska.com/article.php3?id_article=14525. nahon-serFaty I., « La fragmentation des discours sur la santé et la maladie et les crises entourant certains médi-caments. L’exemple du diabète », dans thoër C., leBou-ché B., levy J.J. et sironi V.A., Médias, médicaments et espace public, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Qué-bec, coll. « Santé et Société », 2009, p. 189-208.26. méaDel C., akrich M., « Internet, tiers nébuleux de la relation patient-médecin » dans Les Tribunes de la santé, 2010/4, no 29, p. 41-48 et DeDDing C., van Doorn R., Win-kler L. and reis R., How will e-health affect patient partici-pation in the clinic? A review of e-health studies and the current evidence for changes in the relationship between medical professionals and patients, Social Science & Medi-cine, 2011, 72/1, 49-53.27. harris, kelly et Wyatt, 2013 dans CaDiot Alan, cousin Caroline, Module Télémédecine et Réseaux de Santé, dossier La télépsychiatrie : champs d’application et conséquences sur la pratique psychiatrique, ISIFC, 2e année, 2011-2012.

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Prospective Jeunesse Drogues | Santé | Prévention | 69 | Périodique trimestriel page 36 Printemps 2014

Centre de documentation

Nunc est legendum…> Danielle Dombret, documentaliste à Prospective Jeunesse

Un des articles de cette revue est l’inter-view du thérapeute Serge Minet. Il est aussi l’auteur du livre : « Ne dites pas à mon fils que je joue. Une logique de la dépendance » En voici la présentation, extraite du quatrième de couverture :

Ne dites pas à mon fils que je joue. Une logique de la dépendance *Serge Minet, éditions Racine, 2011, 195 pages. Réf. : PJ AC 24

« Comment transmettre, au terme d’une longue pratique clinique, le colloque singulier qui se tient avec ces hommes et ces femmes fati-gués par leur dépendance ? Pas-sion des jeux de hasard et d’argent, passion des jeux de rôles sur Inter-net, passion de la fièvre acheteuse, passion de la passion. La démesure de ces passions, qui sont aussi des

passions avec l’extrême, nous raconte des histoires exceptionnelles qui arrivent à des gens ordinaires. L’accompagnement psy-chologique les aide à lutter contre la toute-puissance de leur passion. Transmettre, c’est prendre le risque de dévoiler le lien particulier qui se tisse entre le thérapeute et le patient, dans l’antre des secrets. Ne dites pas à mon fils que je joue ! Si la thé-rapie est un chemin initiatique, c’est une école d’ouverture d’esprit, d’humilité et de persévérance, lorsque rien ne va plus. Et se lève le souffle d’une confiance. »

Yapaka est un programme de préven-tion de la maltraitance mis en place en 2006 par la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique. Il comporte une série de collections de textes courts destinés aux professionnels en lien direct avec les familles. Ces textes sont repris sur le site www.yapaka.be et

peuvent être téléchargés. Parmi eux, en voici trois dont vous trouverez l’interview de l’auteur dans ces pages.

Le livre ci-dessous prend le contre-pied d’une culture de la peur et de l’addiction trop souvent associée à Internet et aux ré-seaux sociaux. Il ana-lyse en quoi les inter-rogations et probléma-tiques suscitées par les

TIC dépassent largement le cadre techno-logique dans lequel elles s’inscrivent pour rejoindre des préoccupations plus vastes d’éducation de l’enfant et de l’adolescent aux « risques » voire à l’apprentissage de la vie. L’auteur plaide pour une prévention des mésusages d’Internet qui s’intègre dans une démarche globale d’éducation aux médias continue tout au long de la scola-rité et intégrée dans le programme scolaire.

Qui a peur du grand méchant Web ? *Pascal Minotte, éditions Fabert, yapaka. be, 2012, 57 pages

Cyberdépendance et autres croquemitainesPascal Minotte, éditions Fabert, yapaka.be

Internet et les jeux vidéo appartiennent mainte-nant à notre quotidien, ce qui ne les empêche pas d’être régulière-ment au centre de polémi ques. On leur prête volontiers une in-fluen ce négative sur les nouvelles générations.

C’est ainsi que depuis quelques années, le concept de « cyberdépendances » est uti-lisé pour évoquer l’usage abusif qui peut être fait de ces technologies. On pourrait être accro à celles-ci comme à une subs-tance psychotrope. De la même façon, elles sont accusées d’engendrer de la vio-lence et des passages à l’acte.

Serge Tisseron est un psychiatre reconnu par ses pairs comme un spécialiste de l’adolescence et des risques qui y sont liés, et notamment les dangers des écrans. Il est, entre autres, l’auteur de l’opuscule suivant :

Grandir avec les écrans. La règle 3-6-9-12 *Serge Tisseron, yapaka.be, 2013, 57 pages.

De nombreux parents et professionnels sont déso-rientés. À partir de quel âge offrir à l’enfant une console de jeux ou un premier téléphone ? Com-bien d’heures le laisser au quotidien devant la télé-vision ou l’ordinateur ? Quels cadres lui fixer ? C’est le but de la règle « 3-6-9-12 » de ré-pondre à ces questions, aussi bien pour l’usage des écrans en famille qu’à l’école, et pour tout âge. Mais on se tromperait si on croyait qu’elle ne vise qu’à fixer des limi-tes. L’homme a inventé l’écriture, puis le livre et l’imprimerie, pour prendre en relais et augmenter certaines de ses possibilités mentales et psychiques, mais il a aussi inven-té les écrans et la culture numérique pour prendre en relais et augmenter d’autres possibilités que la culture du livre laisse de côté. Autant dire que ce ne sont pas les écrans qui sont un problème, mais leur mauvaise utilisation. Et, bien souvent, c’est en développant les bonnes pratiques qu’on peut le mieux s’opposer aux mauvaises.

Les ouvrages marqués * peuvent être consul-tés et/ou empruntés au centre de documen-tation de Prospective Jeunesse où vous trou-verez également de nombreux autres livres sur la question de la dépendance aux écrans.

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Impression Nuance 4, Naninne

Graphisme et mise en page

ISSN : 1370-6306

Pratiques professionnelles

– Promotion de la santé (nos 31, 34, 56, 61)– Pratiques de prévention

(nos 31, 50, 59, 60, 63)– Réduction des risques (nos 27, 28, 54)– Représentations (no 46)– Secret professionnel (no 23)– Travail en réseau (nos 45, 66)– Soins aux usagers (nos 41, 52)– Participation (nos 67, 68)

Contextes d’usage

– La loi et la répression judiciaire (nos 1, 2, 38, 65)– Pauvreté, marginalité et exclusion (nos 11, 12, 36, 37)– Culture et consommation (nos 5, 17, 30, 58, 62)

Produits et leurs effets

– Plaisir (nos 7, 8, 9, 10)– Dépendance (no 39)– Drogues de synthèse (nos 14 – 15)– Cannabis (nos 18, 20, 21)– Alcool (nos 32, 66)– Tabac (no 33)– Alicaments (no 19)– Ordinateur (no 47)– Amour (no 48)

Milieux de vie

– Famille et parentalité (nos 22, 24, 42, 43, 44, 49)

– L’école (nos 3, 4, 6, 25, 29, 55, 57, 64, 67)– La fête (no 35)– Le monde du travail (no 26)– La prison (nos 13, 16, 40)– Milieu du sport (no 53)

Page 40: Prospective 69 Jeunesse · les thèmes liés aux usages de drogues, la promotion de la santé et les politiques et pratiques sociales en matière de jeunesse. Retrouvez tous les numéros

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Prospective Jeunesse, Drogues | Santé | Préventionest un trimestriel lancé en décembre 1996.

Lieu interdisciplinaire de réflexion, de formation et d’échange d’expériences, d’idées, de points de vue, cette revue interroge sous des regards différents des thèmes

liés aux usages de drogues, à la promotion de la santé et aux politiques et pratiques sociales en matière de jeunesse. Chaque numéro aborde un thème particulier.

Celui-ci est consacré aux usages des nouvelles technologies. Pour consulter les sommaires des numéros parus ou

contacter l’équipe de rédaction, visitez le site : www.prospective-jeunesse.be

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et agréé par la Commission communautaire française

de la région de Bruxelles-Capitale

Cyberdépendances ?Comprendre les usages des nouvelles technologies

Jeunesse et numérique : vers une prévention 2.0 Arnaud Zarbo

Éduquer aux écrans pour prévenir leurs dangers Les balises 3-6-9-12

Serge Tisseron

Comment interpréter les usages des TIC ? Pascal Minotte

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