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Alfred Adler (1933) Le sens de la vie Étude de psychologie individuelle. Traduction de l’Allemand par le Dr. H. Schaffer en 1950. Un document produit en version numérique par Gemma Paquet, bénévole, professeure à la retraite du Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" fondée dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

Psychanalyse - Adler - Le Sens de La Vie

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  • Alfred Adler (1933)

    Le sens de la vietude de psychologie individuelle.

    Traduction de lAllemand par le Dr. H. Schaffer en 1950.

    Un document produit en version numrique par Gemma Paquet, bnvole,professeure la retraite du Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected]

    dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"fonde dirige par Jean-Marie Tremblay,

    professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Gemma Paquet, bnvole,professeure la retraite du Cgep de Chicoutimi partir de :

    Alfred Adler (1933)

    Le sens de la vie. tude de psychologieindividuelle.

    Une dition numriques ralise partir du livre dAlfred Adler (1933), Le sens dela vie. tude de psychologie individuelle. Traduction de lAllemand par le Dr. H.Schaffer en 1950. Paris : ditions Payot, 1968, 220 pages. Collection : Petitebibliothque Payot. Traduction prcdemment publie dans la Bibliothquescientifique des ditions Payot.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textesMicrosoft Word 2001 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 22 fvrier 2003 Chicoutimi, Qubec.

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 3

    Table des matiresPrface l'dition franaise par M. Laignel-Lavastine

    Avertissement du traducteur, le Dr Herbert Schaffer

    Introduction

    1. - Notre opinion sur nous-mmes et sur le monde2. - Moyens psychologiques comme voies d'exploration du style de vie3. - Les problmes de la vie4. - Le problme du corps et de l'me5. - Morphologie, dynamisme et caractre6. - Le complexe d'infriorit7. - Le complexe de supriorit8. - Les types d'checs9. - Le monde fictif de l'enfant gt10. - Qu'est-ce en ralit qu'une nvrose ?11. - Les perversions sexuelles12. - Les premiers souvenirs d'enfance13. - Conditions dfavorables au dveloppement social chez l'enfant et

    moyens d'y remdier14. - Rves veills et rves nocturnes15. - Le sens de la vie

    Annexe : Rapports entre conseiller et consultant

    Questionnaire de psychologie individuelle

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 4

    Alfred Adler (1870-1937)N en 1870 dans un faubourg de Vienne, Alfred ADLER est, avec C. G.

    Jung, l'un des principaux disciples et dissidents de Freud. Ancien professeurau Long Island Medical College de New York, il est considr encoreaujourd'hui comme l'un des pionniers de la psychologie des profondeurs. Il estmort en 1937 Aberdeen, en cosse, o il tait venu faire des confrences.

    Depuis la fin de la deuxime guerre mondiale, l'enseignement adlrien serpand de plus en plus et son retentissement est considrable sur l'volutiondes ides en psychologie, en pdagogie et en mdecine.

    Du mme auteur, chez le mme diteur

    Le temprament nerveux.La compensation psychique de l'tat d'infriorit des organes, suivi

    de : le problme de l'homosexualit.L'enfant difficile (P.B.P. n 15).Pratique et thorie de la psychologie individuelle compare.Connaissance de l'homme (P.B.P. n 90).Religion et psychologie individuelle compare.

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  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 5

    Dr ALFRED ADLER

    LE SENSDELA VIE

    tude de psychologie individuelle compareCet ouvrage, traduit par le Dr H. SCHAFFER, a t prcdemment publi

    dans la Bibliothque Scientifique aux ditions Payot, Paris. Petitebibliothque Payot

    Le sens de la vie est le dernier ouvrage d'Adler et comme le testament deses ides philosophiques et psychiatriques. C'est un apport original etindniable l'volution de l'esprit humain.

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  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 6

    Prface l'ditionfranaisedu Professeur M. Laignel-LavastineMembre de l'Acadmie Nationale de Mdecine

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    En France on cite plus souvent Adler qu'on ne le lit.

    Nous avons dj deux bonnes traductions du Temprament nerveux, psy-chologie individuelle compare avec application la psychothrapie, ouvragecapital d'Adler, et Connaissance de l'homme, tude de caractrologie indivi-duelle partant du Connais-toi toi-mme de Socrate mais dmontrant qu'onne peut arriver cette connaissance sans une analyse approfondie de lapsychophysiologie de l'enfant.

    C'est donc une heureuse pense qu'a eue mon ami le Docteur Schaffer denous donner une traduction du Sens de la vie de l'ancien professeur au LongIsland Medical College de New York.

    C'est qu'AdIer, n Vienne en 1870, commena sa carrire en Autrichepour la terminer en Amrique.

    Docteur en mdecine de la Facult de Vienne en 1895, il suivit d'abord lesillage de Freud. Reconnaissant la haute valeur d'investigation psychique de lapsychanalyse, mais n'acceptant pas les outrances du pansexualisme il se

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 7

    spara de Freud. partir de 1912 il organisa des centres de consultationspsychopdagogiques dans trente coles de Vienne. Il put ainsi creuser de plusen plus la psychologie des enfants. En 1914 il fonda la Revue Internationalede Psychologie individuelle o il mit l'accent sur le caractre unique dechaque personne humaine. Agrg l'Institut de pdagogie de Vienne en 1924il accepta l'offre de la Colombia University de New York et fut charg en1927 du Cours de Psychologie mdicale. Le succs de son enseignement luivalut en 1932 une chaire professorale au Long Island Medical College deNew York. Enfin en 1935 il fonda le Journal of Individual Psychology, publiaux tats-Unis.

    C'est ds 1910 qu'il s'tait spar de Freud aprs sa Critique de la thoriesexuelle freudienne de la vie psychique et avait cr la Socit de psycho-logie individuelle.

    Au cours de voyages en France il exposa sa thorie la Sorbonne en 1926et au Cercle Laennec dirig par le R. P. Riquet en 1937. Il y insista sur lesentiment social comme facteur de base de la vie psychique. Il est donc par cect existentialiste.

    Il mourut Aberden en 1937. Ses disciples sont nombreux tant dans lespays de langue allemande que dans les pays de langue anglaise et mme fran-aise.

    Notre traducteur, Herbert Schaffer, n le 12 juillet 1909 Suceava enBucovine, aux belles glises fresques extrieures, fit ses tudes universi-taires d'abord Toulouse en 1928 et 29 puis Paris o il fut nomm externedes hpitaux en 1931 et passa sa thse de doctorat en 1935.

    Depuis 1930 il est l'lve d'Adler. Il a suivi ses cours de vacances Vienne de 1930 1933, Londres en 1935 et 36, Amsterdam etHamersfoort (cole de philosophie) en 1936 et 1937.

    C'est dire que mon ami Schaffer, nourri de la pense d'Adler depuis vingtans et possdant l'allemand comme sa langue maternelle et le franais commesa langue d'lection, tait particulirement apte traduire le Sens de la vie.

    Le lecteur pourra juger de son succs dans une tche ardue.En effet la pense d'Adler est quelquefois enveloppe dans une phrase un

    peu longue. D'autre part la manire des fugues de Jean-Sbastien Bach ilreprend souvent la mme ide sous des formes diffrentes.

    Mais ainsi les grandes ides directrices sur le style de vie de chacun, lescomplexes d'infriorit et de supriorit, les types d'checs, le monde fictif del'enfant gt, le rle primordial des premiers souvenirs d'enfance pour lacomprhension du coefficient ractionnel individuel s'impriment profond-ment dans l'esprit du lecteur qui accepte volontiers les conclusions de l'auteursur les conditions dfavorables au dveloppement normal de l'enfant et lesmoyens d'y remdier.

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 8

    Le mouvement dclench par Adler prend chaque jour plus d'ampleur. AParis la cration d'une chaire de neuropsychiatrie infantile met l'accent sur lerle capital des toutes premires annes de l'enfant dans la courbe future dudveloppement de sa personnalit.

    On voit donc l'intrt trs actuel de cette traduction et je suis sr d'expri-mer l'opinion de tous en flicitant le Docteur Schaffer de son travail difficilemais russi et qui portera ses fruits dans le domaine psychologique etpdagogique.

    M. LAIGNEL-LAVASTINE.Professeur et membre de l'Acadmie Nationale de Mdecine

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 9

    Avertissement dutraducteur

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    Le Sens de la vie est le dernier ouvrage d'Alfred Adler et comme letestament de ses ides philosophiques et psychiatriques.

    Il avait publi auparavant Studie ber Minderwertigkeit von Organen(tude sur l'infriorit des organes). Cette tude contient en germe toute lathorie adlrienne. L'auteur souligne la relativit de la valeur anatomique etfonctionnelle des diffrents organes, valeur relative qui devient manifeste aucontact avec le monde environnant et ses exigences. Cette infriorit cherchesa compensation dans la superstructure psychique de l'individu.

    Der nervse Charakter (Le Temprament nerveux) 1 est l'tude des racineset du dveloppement du sentiment d'infriorit et de sa compensation asocialedans le sens d'une fiction renforce comme ide directrice de la nvrose.

    Heilen und Bilden (Gurir et Instruire) est consacr au rle du mdecin entant qu'ducateur et traite du problme si important de l'ducation des parents.

    1 Traduction franaise chez Payot, Paris.

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    Praxis und Theorie der Individualpsychologie (Pratique et thorie de lapsychologie individuelle) 1. On trouve dans cet ouvrage un recueil de conf-rences et d'articles sur des sujets thoriques et pratiques concernant l'tiologieet le traitement des nvroses; quelques analyses littraires, des pages sur lapsychologie de l'enfant dlaiss, sur la prostitution, des conseils sur l'duca-tion d'aprs le concept de la psychologie individuelle.

    Menschenkenntnis (1926) (Connaissance de l'homme) 2 prsente au publicles fondements de la Psychologie adlrienne et son utilit pour l'amliorationde nos rapports et de notre commerce avec les hommes, ainsi que pour l'orga-nisation de notre propre vie. L'ide fondamentale de ce livre s'inspire del'analyse des causes de l'inefficacit ou du manque d'efficience de nos actionsdans la socit. Ce manque d'efficience ressort de l'attitude asociale del'individu.

    Die Technik der Individualpsychologie (1930) (La technique de tapsychologie individuelle). Tout art a sa technique. L'auteur s'est attach ex-poser l'art de l'ducation. Une suite de types caractrologiques, de dfautscaractriels avec l'analyse de leur structure psychique, leurs erreurs et la tech-nique de leur gurison nous font pntrer dans l'art si subtil de l'ducateur.

    Un trs grand nombre de brochures, d'articles, d'essais parus dans diff-rents priodiques tmoignent de l'infatigable productivit de cet esprit.

    Der Sinn des Lebens (1933) (Le Sens de la vie) rsume les ides sur laplasticit de la matire organique, sur ses facults d'adaptation et sesmcanismes de scurit. Parmi ces facults se place chez l'tre humain lafonction la plus noble de la matire organique : la fonction psychique. L'au-teur y expose les lois de finalit, de compensation et de surcompensation quirgissent la vie psychique. Il suit dans son dynamisme la compensation dusentiment d'infriorit, compensation dfectueuse avec son cortge de n-vrose, perversion sexuelle, toxicomanie ou dlinquance - ou compensationrussie o le dveloppement de l'individu a su s'ajuster la collectivitgrce au sentiment social existant et progressivement croissant. Plus que dansses uvres antrieures, Adler insiste sur le sentiment social et sur l'importancedu sens de nos responsabilits sociales vis--vis de nos semblables. Touteanalyse d'une aberration psychique dvoile un dfaut du sentiment social. Lagurison du nvros ne se ralisera que grce la comprhension de ce fait.

    Ce mme thme est expos dans ses uvres publies en langue anglaise :

    The Science of Living (La science de la vie).Problems of Neurosis (Problmes de la nvrose).The Pattern of Life (Le style de vie).What Life should mean to you (Notre opinion sur le sens de la vie).Social Interest : A Challenge to Mankind (L'intrt social : un dfi

    l'humanit).

    1 Traduction franaise chez Payot, Paris.

    2 Traduction franaise chez Payot, Paris.

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 11

    Comme mdecin, Adler a tabli un mode de traitement de la nvrose, unetechnique qui peut tre enseigne et un systme thorique qui forme un touthomogne, grce auquel nous pouvons pntrer dans la structure parfoisapparemment si obscure d'une nvropathie.

    D'une faon gnrale, on constate aujourd'hui en psychiatrie une doubletendance des efforts fournis pour faire progresser cette science. D'un ctl'analyse minutieuse, seconde par des expriences aussi exactes que possibledes processus physiologiques et physiopathologiques, de l'autre ct larecherche des lois gnrales qui commandent notre vie psychique saine - oumorbide. Dans la premire catgorie se placent les recherches sur les glandes scrtion interne et leur rapport avec les excitations psychiques (scrtiond'adrnaline en cas de colre), les ractions du systme sympathique etparasympathique (pleur de l'angoisse) et tout rcemment encore les bellestudes sur le thalamus. De l'autre ct c'est la recherche des conditions, lesens de l'apparition du symptme (pas sa traduction physiologique) et les loisqui rgissent ce sens, qui font la proccupation d'autres chercheurs ; parmieux Adler a t un des pionniers. La nvrose est la fuite devant un problmesocial. Un largissement du sens social assure sa prophylaxie et la conditionde sa gurison. Parfaitement conscient de la dure tche qu'il s'imposait, Adlera vou son existence et son oeuvre rpandre cet enseignement du sens socialqu'il considre comme tant la science de la vie.

    Sa comprhension suscite d'ailleurs une deuxime question. Puisque lesens social est la base de toute notre activit psychique saine, il faut quel'enfant soit duqu dans ce sens : il faut que le dveloppement du sentimentsocial marche de pair avec l'instruction et la prime mme. D'o l'importanced'Adler en tant qu'ducateur.

    Comme son illustre prdcesseur Montaigne il voudrait confier l'ducationdes enfants des prcepteurs qui aient plutt la tte bien faite que bienpleine . Et il voudrait enseigner tous comment saisir le sens d'un dfautd'enfant, d'un caractriel, d'un enfant difficile comme tant la compensationasociale d'un sentiment d'infriorit et de ce fait parfaitement corrigible. Sim-ple thorie, dira-t-on! Mais la ralisation de la rforme scolaire qui s'baucheaujourd'hui un peu partout dans le monde dment cette objection. Influenceou inspire des ides adlriennes elle est en pleine marche dans des payscomme les tats-Unis ou l'Autriche et elle rclame ses droits dans presquetous les pays d'Europe.

    Qu'il s'agisse de l'cole exprimentale de psychologie adlrienne deVienne, aujourd'hui visite par les pdagogues du monde entier, ou de cenouveau type de jardin d'enfants, le Childhouse Los Angeles, ou de lamaison d'enfants Adler Hamersfoort (Hollande), partout des ducateurscourageux s'efforcent de rompre avec la vieille tradition d'une ducationpurement instructive, d'un dressage qui dans les meilleurs cas ne pourra que gonfler l'enfant de savoir. Le but de ces institutions est de lui inculquer, aucontraire, conformment aux prceptes adlriens, un comportement social enharmonie avec ses possibilits organiques et avec les exigences d'une vie dansla collectivit.

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 12

    travers toute l'uvre d'Adler nous retrouvons ces deux problmes :comment comprendre la difficult de tel sujet (problme de la connaissance)et comment agir pour remdier son erreur (problme de l'action). Concluantde l'individuel au gnral, partant d'une multitude de cas, Adler tablit les loisd'une connaissance de l'me humaine et nous enseigne les lois d'une conduitedans la vie. Or se poser la question de la connaissance et celle de l'action surle plan du comportement humain, n'est-ce pas l faire uvre de philosophe ?

    Comme dans la vie de l'individu la vie des nations semble rclamer uneplus intime collaboration et une meilleure comprhension entre les peuples.Des cendres de cette exprience si douloureuse que fut pour l'humanit ladeuxime guerre mondiale renat comme un phnix aprs ces annes d'activitdestructive le postulat inexorable du sentiment social. A ce monde qui dses-pre de ne pas trouver sa voie, Adler indique un sens de la vie.

    Mdecin, ducateur, philosophe, Adler reprsente par son uvre scientifi-que si originale et si minemment pratique un apport indniable l'volutionde l'esprit humain.

    Le langage de l'auteur est parfois original dans le choix de ses termes,pertinent, aphoristique. Je me suis efforc de conserver l'originalit du styleadlrien tout en l'adaptant aux exigences de la langue franaise. J'espre y treparvenu et je remercie ceux qui m'ont aid dans ma tche : M. P. Vincent,licenci en droit, et le docteur Mtayer, dont les conseils m'ont t particu-lirement prcieux.

    Dr Herbert SCHAFFER.

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 13

    L'homme sait beaucoup plus qu'il ne comprend.

    Introduction

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    Ma vie de psychiatre, de psychologue et d'ducateur l'cole et dans lesfamilles m'a donn l'occasion d'observer un vaste matriel humain. Je me suisfait un strict devoir de ne rien avancer qui ne puisse tre confirm et prouvpar mon exprience personnelle. Il n'est pas tonnant que sur ce sujet je mesois parfois trouv en contradiction avec l'opinion prconue d'autres auteursqui ont moins approfondi la vie humaine. Je me suis efforc aussi d'examinerfroidement les arguments valables opposs aux miens, ce qui m'tait d'autantplus facile que je ne me crois li par aucune rgle stricte et par aucun partipris. Bien plus, je souscris volontiers l'axiome : on peut tout expliquer diff-remment. La singularit de l'individu ne se laisse pas saisir dans une courteformule. Les rgles gnrales, telles que les formule la psychologie indivi-duelle que j'ai cre, ne doivent pas tre plus qu'un moyen de secours pourclairer provisoirement un champ de vision dans lequel l'individu sera ou noninclus. Une telle apprciation des rgles, une souplesse et une affinit plusaccentues pour les nuances ont renforc toutes les fois ma conviction de laforce cratrice libre de l'individu dans sa premire enfance, laquelle estsubordonne celle de sa vie ultrieure, aprs que lenfant s'est donn une loidynamique fixe pour sa vie. Dans cette conception qui laisse l'enfant la voie

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 14

    libre dans ses tendances la perfection, au fini, la supriorit ou bien l'volution, on peut considrer l'influence des aptitudes, qu'elles soient hr-ditaires ou humainement modifies, ainsi que l'influence du milieu et del'ducation, comme les lments avec lesquels l'enfant forgera son style de viepar son art crateur.

    Et une autre conviction s'est fait jour en moi. Le style de vie cr pendantl'enfance ne pourrait, sans risquer des -coups, tenir tte la vie que s'il taitconstruit d'une faon juste, sub specie aeternitatis. Constamment il rencontrediffrents problmes qui ne peuvent tre rsolus, ni par des rflexes acquis(rflexes conditionns), ni par des aptitudes psychiques innes. Il serait extr-mement risqu d'exposer un enfant pourvu de rflexes conditionns oud'aptitudes innes aux preuves d'un monde qui prsente continuellement denouveaux problmes. Le plus grand problme reste toujours rserv l'espritcrateur infatigable qui cependant sera toujours limit dans la voie du style devie infantile. C'est l que se trouve canalis tout ce qui a t nomm dans lesdiffrentes coles psychologiques : instinct, tendance, sentiment, pense,action, attitude vis--vis du plaisir et de l'insatisfaction, et enfin gocentrismeet sentiment social. Le style de vie dispose de tous les moyens d'expression, le tout des lments. Si un dfaut existe, il se trouve dans la loi dynamique,dans le but final du style de vie et non pas dans une des expressions particu-lires de ce dernier.

    Cette considration m'a enseign un troisime fait : toute causalit appa-rente dans la vie psychique rsulte du penchant de nombreux psychologues prsenter leur dogme sous un dguisement d'apparence mcanique ou physi-que. Tantt c'est le systme de la pompe montante et descendante qui leur sertde comparaison, tantt un aimant avec ses deux ples, tantt un animal endanger qui lutte pour la satisfaction de ses besoins vitaux. Avec un tel point devue on ne discerne videmment que peu de ces divergences fondamentalesque prsente la vie psychique humaine. Depuis que mme la physique leur aenlev le terrain de la causalit pour donner la parole dans le droulement desvnements une probabilit statistique, il n'est plus possible de prendre ausrieux les attaques contre la psychologie individuelle qui nie la causalit dansl'vnement psychique. Il devrait tre vident, mme pour le profane, quel'extraordinaire diversit dans les checs peut tre comprise en tantqu'checs mais non comme issue d'une causalit.

    Si maintenant nous quittons, juste raison, le terrain de la certitude abso-lue autour duquel tant de psychologues se dbattent, il ne persiste qu'une seulemesure d'aprs laquelle nous pouvons valuer l'tre humain : sa raction, sonmouvement en face des problmes inluctables de l'humanit. En effet troisproblmes nous sont imposs d'une faon irrvocable : l'attitude envers nossemblables, la profession, l'amour. Tous les trois, relis entre eux par lepremier, ne sont pas des devoirs fortuits mais invitables. Ils rsultent ducomportement de l'individu envers la socit humaine, envers les facteurscosmiques et envers l'autre sexe. De leur solution dpend le sort de l'humanitet son bien-tre. L'homme est une partie d'un tout. La valeur de chacundpend de la solution qu'il donnera individuellement ces questions. On peutse reprsenter ces questions comme un devoir de mathmatiques qui doittrouver sa solution. Les complications qui menacent le porteur d'un style devie erron seront d'autant plus grandes que l'erreur sera plus importante et

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 15

    elles ne semblent faire dfaut que tant que l'individu n'aura pas t mis l'preuve quant son sentiment social. Le facteur exogne, l'approche d'undevoir qui rclame la collaboration et la bonne entente, est toujours le facteurprovocateur du symptme morbide de l'enfant difficile, de la nvrose, de lapsycho-nvrose, du suicide, du crime, de la dipsomanie et de la perversionsexuelle.

    Si l'aptitude dfectueuse la coopration est ainsi dmasque, la questionqui se pose n'est plus purement acadmique, mais elle est d'importance pour lagurison : comment et quand a t empch le dveloppement du sentimentsocial ? En recherchant les vnements correspondants on arrive l'poque dela premire enfance et des situations qui, suivant notre exprience, peuventcauser un trouble du dveloppement correct. Mais on les reoit toujours enmme temps avec la rponse errone de l'enfant. Et on comprend, en exami-nant d'une manire plus prcise les circonstances rendues ainsi videntes, quecertaines fois une intervention justifie a trouv une rponse errone, d'autresfois qu'une intervention errone a trouv une rponse errone, et enfin, ce quiest beaucoup plus rare, qu'une intervention errone a trouv une rponse juste;on comprend aussi que, dans cette voie qui vise toujours le succs, l'entrane-ment a continu sans que des influences opposes aient amen le renoncement la voie dans laquelle le sujet s'est engag. duquer, dans le sens le plus largedu mot, signifie donc, non seulement laisser agir des influences favorables,mais aussi contrler exactement ce que le pouvoir crateur de l'enfant en tire,pour ensuite, en cas de cration errone, aplanir la voie pour l'amlioration.Cette meilleure voie est en toute circonstance l'largissement de la coopra-tion et de l'intrt pour les autres.

    Lorsque l'enfant a trouv sa loi dynamique dans laquelle doivent tre cons-tats le rythme, le temprament, l'activit et avant tout le degr du sentimentsocial, manifestations qui peuvent tre reconnues parfois ds la deuxime, etplus certainement dans la cinquime anne, toutes ses autres facults serontdans leur particularit lies cette loi dynamique. Dans le prsent ouvragesera considre avant tout l'aperception qui s'y rattache : quelle est la vue del'homme sur lui-mme et le monde environnant. Autrement dit, l'opinion quel'enfant, et plus tard dans le mme sens l'adulte, a acquise lui-mme dumonde. Cette opinion ne se laisse pas saisir d'aprs les mots et les ides dusujet examin. Tous restent trop sous la contrainte de la loi dynamique quitend au succs et qui par consquent mme en cas d'auto-condamnation sem-blent prtendre se maintenir dans les hauteurs. Plus important est le fait quel'ensemble de la vie, que j'ai appel d'une faon concrte le style de vie, estconstruit par l'enfant une poque o ce dernier ne dispose ni d'un langagesuffisant, ni de concepts suffisants. S'il continue se dvelopper dans ce sens,il se dveloppe dans le sens d'un mouvement qui n'a jamais t formul pardes paroles, qui est donc inattaquable par la critique et qui est aussi soustrait la critique de l'exprience. Il n'est pas possible de parler ici d'un inconscientrefoul, mais plutt de quelque chose d'incompris, de soustrait la compr-hension. Mais l'homme parle au spcialiste par son style de vie et par sonattitude vis--vis des problmes de la vie qui exigent un sentiment social pourleur solution.

    En ce qui concerne l'opinion que l'tre humain a de lui-mme et du mondeenvironnant, on peut au mieux la dduire du sens qu'il trouve la vie et du

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 16

    sens qu'il donne sa propre vie. Il est vident que la dissonance possible parrapport un sentiment social idal, la coopration, la contribution socialey perce clairement.

    Nous sommes ainsi prpars saisir quelle importance rside dans le faitd'apprendre quelque chose sur le sens de la vie et aussi de quelle manirediffrents sujets voient le sens de la vie. S'il existe, au moins en partie, endehors de notre propre exprience, une connaissance plausible du sens de lavie, il est clair que celui-ci donnera tort ceux qui se trouvent en contradic-tion flagrante avec lui.

    Comme on le voit, l'auteur est assez modeste pour dsirer au dbut unrsultat limit qui lui semble suffisamment motiv par sa pratique. Il se sou-met d'autant plus volontiers ce devoir qu'il espre non seulement que d'unemeilleure comprhension du sens de la vie natra un programme scientifiquepour des recherches ultrieures dans cette voie, mais aussi qu'une connais-sance croissante augmentera considrablement le nombre de ceux qui, ayantmieux compris le sens de la vie, seront gagns ce sens.

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 17

    1Notre opinion sur nous-mmeset sur le monde

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    Il est hors de doute que chacun se comporte dans la vie comme s'il avaitune opinion bien arrte de sa force et de ses possibilits ; comme si, ds ledbut d'une action, il se rendait compte de la difficult ou de la facilit d'unproblme donn, bref comme si son comportement rsultait de son opinion.Ceci nous tonne d'autant moins que nous ne sommes pas capables d'enre-gistrer par nos sens des faits, mais seulement une image subjective, un refletdu monde environnant. Omnia ad opinionem suspensa sunt. Cette phrasede Snque ne devrait pas tre oublie lors d'examens psychologiques. Notreopinion des faits capitaux et importants de la vie dpend de notre style de vie.Si nous nous heurtons directement des faits nous rvlant une contradictionvis--vis de l'opinion que nous nous faisons d'eux, l seulement nous sommesdisposs par l'exprience immdiate corriger sur un dtail notre manire devoir et laisser agir la loi de causalit sans pourtant modifier notre opiniongnrale de la vie. Que ce soit un serpent rellement venimeux qui s'approchede mon pied ou que je croie qu'il s'agit d'un serpent venimeux, l'effet pour moisera le mme. L'enfant gt se comporte de la mme faon dans sa peur, soitqu'il craigne les cambrioleurs lorsque sa mre le quitte, soit que vraiment descambrioleurs se trouvent dans la maison. En tout cas il persiste croire qu'ilne peut pas vivre sans sa mre, mme lorsqu'il a t contredit dans la

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 18

    supposition qui a dclench sa peur. L'homme qui souffre d'agoraphobie etqui vite la rue parce qu'il a le sentiment et l'opinion que le sol remue sous sespieds ne pourrait se conduire autrement, tant bien portant, si le sol bougeaitvraiment sous ses pieds. Le criminel qui vite le travail utile, trouvant - d'unefaon errone - le cambriolage plus facile, parce que non prpar la colla-boration, pourrait montrer la mme aversion vis--vis du travail si vraimentcelui-ci tait plus difficile que le crime. Le candidat au suicide trouve que lamort est prfrable la vie qu'il considre comme sans espoir. Il pourrait agird'une faon semblable si la vie tait vraiment sans espoir. Le toxicomanetrouve dans son toxique un soulagement qu'il estime plus que la solutionhonnte des problmes de la vie. (S'il en tait vraiment ainsi, il pourrait agirde la mme faon.) L'homosexuel, qui craint les femmes, les trouve repous-santes, alors que l'homme, dont la conqute lui parat un triomphe, l'attire.Tous partent d'une opinion qui, si elle tait juste, laisserait paratre leurcomportement objectivement juste.

    Examinons le cas suivant : un avocat, g de 36 ans, a perdu tout got saprofession. Il n'a pas de succs et attribue cela au fait que, manifestement, ilproduit une mauvaise impression sur les rares clients qui lui rendent visite. Ila toujours eu des difficults se rapprocher de ses semblables et, vis--vis desjeunes filles en particulier, a toujours t d'une grande timidit. Un mariagepour lequel il hsita longtemps et qu'il contracta presque avec rticence, setermina par un divorce au bout d'un an. Il vit maintenant avec ses parents,compltement retir du monde, et ce sont eux qui doivent subvenir en majeurepartie son entretien.

    Enfant unique, il fut gt d'une faon extraordinaire par sa mre quis'occupa constamment de lui. Elle arriva convaincre l'enfant et le pre queson fils serait un jour un homme particulirement minent et le garon vivaitdans cette attente qui paraissait lgitimer ses succs brillants l'cole. Commechez la plupart des enfants gts qui ne peuvent pas se refuser un dsir, lamasturbation infantile prit sur lui un pouvoir inquitant et l'exposa tt lamoquerie des filles qui avaient dcouvert son dfaut solitaire. Il s'loignad'elles et dans son isolement s'adonna aux imaginations les plus triomphalessur l'amour et le mariage, mais ne se sentit attir que vers sa mre qu'il domi-na compltement et laquelle il rapporta aussi ses dsirs sexuels. On voitassez nettement d'aprs ce cas que ce soi-disant complexe d'Oedipe n'est pas fondamental mais qu'il est un mauvais produit artificiel de mres gtantleurs enfants; d'autant plus visible que l'enfant ou l'adolescent se verra trahipar les jeunes filles dans sa vanit hypertrophie et qu'il aura dvelopp en luitrop peu d'intrt social pour se joindre d'autres. Peu de temps avant la fin deses tudes, lorsque le problme d'une existence indpendante se posa pour lui,il fit une mlancolie, ralisant ainsi de nouveau un retrait. Enfant gt, il taitdevenu craintif et s'tait mis fuir les personnes trangres, puis les cama-rades des deux sexes ; ce travers persista dans sa profession, quoique undegr moindre.

    Je me contente de cet expos et passe sur les manifestations concomi-tantes, raisons , prtextes et autres symptmes morbides par lesquels il assura sa retraite. Un fait est vident : cet homme ne s'est pas modifidurant toute sa vie, il voulut toujours tre le premier et se retira toujourslorsqu'il douta du succs. Son opinion sur la vie (nous pouvons la deviner,

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 19

    mais pour lui elle restait cache) se laisse formuler de la faon suivante : Puisque le monde me refuse le triomphe je me retire. On ne peut pas nierque, ce faisant, il ait agi d'une faon juste et intelligente, tant donn le genred'hommes qui voient leur idal de perfection dans le triomphe sur les autres.Dans la loi dynamique qu'il s'est donne, il n'y a ni raison , ni senscommun , mais ce que j'ai appel l'intelligence prive . Quelqu'un quivraiment la vie refuserait toute valeur ne pourrait agir autrement.

    De mme, mais se montrant sous des aspects diffrents, avec une tendancemoindre l'exclusion, se prsente le cas suivant : Un homme g de 26 ansgrandit entre deux autres enfants prfrs par la mre. Il suivait les brillantssuccs de son frre an avec grande jalousie. Vis--vis de sa mre il adoptatrs vite une attitude critique et s'appuya (toujours une seconde phase dansl'volution de la vie d'un enfant) sur son pre. la suite des habitudes insup-portables de sa grand-mre et de sa bonne d'enfant, son aversion contre samre s'tendit bientt toutes les personnes du sexe fminin. Son ambition dene pas tre domin par la femme mais par contre de dominer les hommes, pritdes proportions exagres. Il essaya par tous les moyens d'amoindrir le succsde son frre. Le fait que l'autre lui tait suprieur en force physique, en gym-nastique et la chasse lui rendait odieux les exercices physiques. Il les exclutde la sphre de ses proccupations, comme il tait aussi en train d'exclure lesfemmes. Ne l'attiraient que les formes d'activit lies un sentiment detriomphe. Pendant un moment il aima et admira une jeune fille, en restantdistant. Cette rserve dplut manifestement la jeune fille qui se dcida pourun autre. Le fait que son frre tait heureux en mnage le remplissait de lacrainte de ne pas tre heureux et de jouer un mauvais rle dans l'opinion dumonde, exactement comme cela s'tait pass pendant son enfance vis--vis desa mre. Un exemple parmi d'autres prouve combien il tait pouss contesterla supriorit du frre. Une fois, le frre ramena de la chasse une superbefourrure de renard dont il tait trs fier. Notre ami coupa en secret le boutblanc de la queue pour diminuer le triomphe de son frre. Son instinct sexuelprenant un penchant qui lui restait aprs exclusion de la femme, il devinthomosexuel (compte tenu de sa plus grande activit dans un cadre rduit). Ilest facile aprs cela de dchiffrer ce qu'tait pour lui le sens de la vie ; vivresignifie : il faut que dans tout ce que j'entreprends je sois suprieur. Et ilessaya d'atteindre cette supriorit en excluant les preuves qui ne paraissaientpas lui assurer cette russite triomphale. La premire constatation gnante etamre au cours de nos conversations ducatives fut : que dans les rapportshomosexuels le partenaire s'attribuait galement la victoire grce son attiran-ce magique.

    Dans ce cas galement, nous pouvons soutenir que l'intelligence prive n'est pas trouble et que beaucoup peut-tre auraient suivi cette voie, si lerefus de la part des jeunes filles avait t une vrit absolue. En ralit, lagrande tendance gnraliser se trouve trs souvent comme une erreur fonda-mentale dans la structure du style de vie.

    Plan de vie et opinion se compltent mutuellement. Les deux ontleur racine dans une priode o l'enfant est incapable de formuler en paroles etconcepts les conclusions de son exprience. Mais dj cette poque ilcommence dvelopper les formes gnrales de sa conduite, partir de co-nclusions non exprimes en paroles, souvent partir d'vnements futiles ou

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    d'expriences inexprimes fortement affectives. Ces conclusions gnrales etles tendances correspondantes, formes une poque o paroles et conceptsmanquent, bien que modifies et altres, continuent agir des poquesultrieures o le sens commun intervient comme facteur plus ou moinscorrectif et o il peut empcher les hommes de s'appuyer trop sur des rgles,phrases ou principes. Comme nous le verrons plus loin, nous devons au senscommun, renforc par le sentiment social, cette libration des essais exagrsde scurit et de dfense qui sont l'expression d'un lourd sentiment d'inf-riorit et d'inscurit. Le cas suivant, assez frquent, prouve entre autres quele mme processus erron se produit aussi chez les animaux : un jeune chienfut dress suivre son matre dans la rue. Il tait dj assez avanc dans cettevoie, lorsqu'il lui vint l'ide un jour de sauter sur une auto en marche. Il futrejet sur le ct sans subir de blessure. Ceci tait certes une exprience sin-gulire pour laquelle il ne pouvait pas avoir une rponse inne toute prte. Onne pourra que difficilement parler d'un rflexe conditionn lorsqu'onapprendra que ce chien continua faire des progrs dans son dressage, maisqu'il tait impossible de l'amener sur les lieux de l'accident. Il ne craignait nila rue, ni les vhicules, mais l'emplacement de l'vnement et arrivait uneconclusion gnrale, comme en tirent parfois des tres humains : l'endroit estresponsable, mais non sa propre inattention et son manque d'exprience ; ettoujours ce mme endroit le danger menace. Ainsi que ce chien, beaucoupd'tres humains procdent de la mme faon, maintiennent une semblableopinion et obtiennent au moins ceci, qu'ils ne peuvent plus tre lss uncertain endroit . Des structures analogues se trouvent souvent dans la nvro-se, dans laquelle un tre humain craint une dfaite menaante, une diminutionde son sentiment de la personnalit et essaye de se protger en acceptant etexploitant les symptmes somatiques ou psychiques rsultant de sa tensionpsychique en face d'un problme considr comme insoluble parce que malcompris, ce qui lui permet de s'assurer une retraite.

    Il est vident que nous ne sommes pas influencs par les faits , mais parnotre opinion sur les faits. Notre certitude plus ou moins grande d'avoirformul des opinions correspondant aux faits se base entirement, surtoutchez les enfants inexpriments et les adultes antisociaux, sur l'exprienceinsuffisante et sur la rigidit de notre opinion, ainsi que sur le succs de nosactions correspondant notre opinion. Que ces critres soient souvent insuf-fisants, parce que notre champ d'action est souvent rtrci et aussi parce quedes checs ou des contradictions minimes peuvent tre souvent plus ou moinsfacilement surmonts sans peine, ou grce l'aide d'autres personnes, cela estfacile comprendre et aide maintenir durant toute l'existence le style de vietabli. Seuls les checs plus grands exigent une rflexion plus profonde,rflexion qui ne se montre fertile que chez des gens qui collaborent la solu-tion humaine des problmes de la vie et qui ne poursuivent aucun but desupriorit personnelle.

    Nous arrivons ainsi la conclusion, que chacun porte en soi une opi-nion sur lui-mme et sur les problmes de la vie, une ligne de vie et une loidynamique, qui le rgit sans qu'il le comprenne, sans qu'il puisse s'en rendrecompte. Cette loi dynamique nat dans le cadre troit de l'enfance et sedveloppe suivant un choix peine dtermin, en utilisant librement les forcesinnes et les impressions du monde extrieur, sans qu'on puisse l'exprimer oula dfinir par une formule mathmatique. Le sens et l'exploitation dirige

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    des instincts , des tendances , des impressions du monde environnant etde l'ducation, sont l'uvre artistique de l'enfant, uvre qui ne peut pas trecomprise suivant la psychologie de la possession , mais uniquement sui-vant celle de l'utilisation . Les types, les ressemblances, les similitudes, lesapproximations ne sont souvent que rapprochements artificiels, aids par lapauvret de notre langage, qui n'arrivent pas exprimer suffisamment lesnuances qui existent toujours ; ils sont les rsultats d'une probabilit statis-tique. Leur constatation ne doit jamais aboutir l'nonc d'une rgle ; elle nepeut pas amener la comprhension d'un cas individuel mais peut tre utilisepour l'claircissement d'un champ visuel dans lequel le cas individuel doit tretrouv dans sa singularit. Par exemple, la constatation d'un sentiment d'inf-riorit accentu ne nous dit rien sur lespce et la caractristique du casindividuel, pas plus que l'allusion quelques erreurs de l'ducation ou dessituations sociales. Ces dernires se montrent toujours sous des formesdiffrentes dans le comportement de l'individu vis--vis du monde environ-nant, formes qui, par l'interfrence de la force cratrice de l'enfant et de l'opinion qui en rsulte, se prsentent toujours diffremment suivant le casd'espce.

    Voici quelques exemples schmatiques qui doivent illustrer ces faits. Unenfant, qui souffre depuis sa naissance de difficults gastro-intestinales, doncd'une infriorit inne du tractus digestif et qui ne reoit pas la nourritureabsolument convenable (ce qui n'arrive peu prs jamais d'une faon idale)sera amen facilement un intrt particulier vis--vis de la nourriture et detout ce qui a trait cette question (voir Adler, La compensation psychique del'infriorit des organes, trad. fran. Payot, Paris). Son opinion de lui-mmeet de la vie est par ce fait davantage lie l'intrt pour l'alimentation ; plustard, grce la comprhension des rapports qui les relient, dirige sur l'argent,ce qui videmment doit tre vrifi dans chaque cas.

    Un enfant, libr de tout effort par sa mre depuis le dbut de son exis-tence, donc un enfant gt, sera plus tard rarement dispos tenir ses affairesen ordre. Rapproch d'autres manifestations parallles, ceci nous permet dedire : il vit dans l'opinion que tout doit tre effectu par les autres. L aussi,comme dans les cas suivants, la certitude ncessaire du diagnostic ne peut treobtenue que par une vrification plus pousse. Un enfant qui on donne tt lapossibilit d'imposer sa volont aux parents, laissera deviner l'opinion qu'ilvoudra toujours dominer les autres dans la vie ce qui, la suite d'expriencesdcevantes dans le monde environnant, finit par montrer chez l'enfant une attitude hsitante vis--vis de son entourage (voir Adler, Pratique et tho-rie de la psychologie individuelle compare, trad. fr. Payot, Paris); l'enfant seretire dans la famille avec tous ses dsirs, y compris les dsirs sexuels, sanseffectuer la correction ncessaire dans le sens du sentiment social. L'enfantqui, de bonne heure, a t habitu collaborer dans le sens le plus large enrapport avec ses possibilits de rendement, essayera toujours de rsoudre tousles problmes vitaux selon son opinion correcte de la vie collective, tant qu'ilne rencontrera pas d'exigences surhumaines 1.

    1 Que des gens qui ont suivi pendant des annes l'cole de psychologie individuelle com-

    prennent par l socit actuelle, et non celle sub specie aeternetatis, prouve que leniveau de la psychologie individuelle leur est trop lev.

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    Ainsi la fille d'un pre qui nglige sa famille, dveloppera facilementl'opinion que tous les hommes sont de la mme sorte, surtout s'il s'y ajoute desexpriences semblables avec un frre, des parents proches, des voisins ou desimpressions suggres par des lectures, d'autant plus qu'aprs peu de tempsd'autres expriences n'auront plus de poids en face de cette opinion prconue.Si ventuellement un frre est destin une instruction plus pousse ou uneprofession plus leve, ceci peut facilement conduire l'opinion que les jeun-es filles sont incapables, ou exclues injustement d'un enseignement suprieur.Si dans la famille un des enfants se sent cart ou nglig, il pourrait dve-lopper une grande timidit comme s'il voulait dire : je serai toujours oblig derester en arrire. Ou bien, en basant son opinion sur une possibilit derussite, il donnera dans des ambitions exagres, essayant de dpasser tout lemonde et dvalorisant ton'&. Une mre qui gte son fils au-del de toutemesure, peut l'amener l'opinion qu'il doit se trouver partout au centre del'attention, uniquement pour lui-mme, sans avoir vraiment entrer dans lejeu et y participer. Si elle le rebute par une critique ininterrompue et desadmonitions, si en plus elle prfre un autre fils, il peut arriver que son enfantregarde plus tard avec mfiance toutes les femmes, ce qui peut donner lieu toutes sortes de consquences. Si un enfant est expos de nombreusesmaladies, il peut en tirer l'opinion que le monde est plein de dangers et seconduira en consquence. La mme chose peut se produire avec d'autresnuances, si la famille est craintive et mfiante vis--vis du monde extrieur.

    Il est vident que toutes ces opinions dans leurs milliers de variantespeuvent se mettre en opposition avec la ralit et ses exigences sociales.L'opinion errone d'un tre humain sur lui-mme et les problmes de la vie seheurte tt ou tard l'opposition inexorable de la ralit, qui exige des solu-tions dans le sens du sentiment social. Ce qui se passe l'occasion de ce heurtpeut tre compar un effet de choc. L'opinion du fautif, dont le style de viene rsiste pas l'exigence du facteur exogne, ne l'amnera pourtant pas enrechercher une modification. La recherche de la supriorit personnelle con-tinue son chemin. Il ne persiste par la suite qu'une limitation plus ou moinsimportante un petit champ d'action, l'exclusion du devoir, lie la possibilitd'une dfaite du style de vie, la retraite devant le problme dont la solutionrclamait une meilleure prparation de sa loi dynamique. L'effet de choc semanifeste dans le domaine psychique et somatique, dprcie le dernier restedu sentiment social et produit toutes sortes d'checs dans la vie, en obligeantl'individu, soit rechercher l'isolement comme dans la nvrose, soit selaisser glisser avec l'activit encore existante, qui ne signifie nullement coura-ge, dans la voie de l'action antisociale. Dans tous les cas il est clair que l'opinion correspond l'image qu'un individu se fait du monde et qu'elledtermine sa pense, son affectivit, sa volont et son action.

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    2Moyens psychologiquescomme voies d'explorationdu style de vie

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    Pour dcouvrir l'opinion de l'individu et savoir comment il se place en facedes problmes de la vie, en un mot pour explorer le sens que la vie peut nousrvler, il ne faudra rejeter aucun moyen et aucune voie a limine. tudierl'opinion de l'individu sur le sens de la vie n'est pas un sujet dpourvu d'int-rt ; car c'est elle qui en fin de compte est la rgle de conduite de sa pense, deson affectivit et de son activit. Or le vrai sens de la vie se rvle dans larsistance que rencontre l'individu lorsqu'il agit d'une faon errone. Leproblme de l'enseignement, de l'ducation et de la gurison est de jeter (ou deraccorder) un pont entre ces deux donnes : sens rel de la vie et actionerrone de l'individu. Notre connaissance de l'homme en tant qu'individu esttrs ancienne. Pour ne citer que quelques exemples : les descriptions histori-ques ou les rcits personnels des peuples anciens, la Bible, Homre, Plutar-que, tous les potes grecs et romains, toutes les lgendes, les contes, lesfables, les mythes montrent une lumineuse comprhension de la personnalithumaine. Rcemment encore, c'taient surtout les crivains qui russissaientle mieux relever les traces d'un style de vie. Ce qui excite au plus haut point

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 24

    notre admiration pour leurs oeuvres est leur talent faire vivre, mourir et agirl'homme comme un tout indivisible en connexion troite avec les problmesde sa propre sphre de vie. Il n'est pas douteux qu'il existait aussi des gens dupeuple qui taient avancs dans cette connaissance de l'homme, et qui trans-mettaient leur exprience la postrit. Ce qui, manifestement, distinguait desautres aussi bien ces gens que les gnies de la connaissance humaine, tait unevue plus profonde des rapports entre les diffrents mobiles des actions humai-nes, aptitude qui ne pouvait se dvelopper que grce aux liens qui lesrattachent la communaut et grce leur intrt qu'ils portaient au genrehumain : une plus grande exprience, une meilleure comprhension, une vueplus profonde taient comme la rcompense de leur sentiment social. Unechose ne pouvait manquer leurs uvres pour arriver dcrire le dynamismesi vari de l'individu dans ses modalits innombrables, pour que d'autres puis-sent approximativement les comprendre, sans tre oblig d'avoir recours lamesure et la pese, cette chose est le don de divination. Ce n'est que par luiqu'ils arrivaient voir ce qui se cachait derrire et entre les manifestationsdynamiques : ce qu'on peut appeler la loi dynamique de l'individu. Certainsappellent ce don intuition et croient qu'il n'est rserv qu'aux esprits lesplus levs. En ralit, ce don est des plus rpandus chez les humains. Chacunl'utilise sans cesse dans le chaos de la vie, en face de l'avenir incertain etinsondable.

    Puisque chaque nouveau problme, grand ou petit, que nous affrontons, seprsente nous avec un aspect toujours nouveau et d'une faon toujours diff-rente, nous serions constamment emptrs dans de nouvelles erreurs, si noustions obligs de les rsoudre d'aprs un schma unique, voire d'aprs des rflexes conditionns . Cette perptuelle variabilit impose l'homme desexigences toujours nouvelles, l'amne soumettre une nouvelle preuve uneattitude antrieurement adopte. Mme au jeu de cartes les rflexes condi-tionns ne suffisent pas. Ce n'est qu'une divination juste qui nous aide matriser le problme. Or cette divination est ce qui distingue l'homme quiparticipe au jeu de la vie, qui collabore avec la communaut, qui prsente del'intrt pour la solution heureuse de tous les problmes de l'humanit. Unevision claire de tout devenir humain lui est propre et l'attire, qu'il examinel'histoire de l'humanit tout entire ou le destin d'un simple individu.

    La psychologie resta un art innocent jusqu'au jour o la philosophie s'enproccupa. C'est en elle et dans l'anthropologie des philosophes que l'ontrouve les germes d'une connaissance scientifique de l'me humaine. Il n'taitpas possible de ngliger l'individu dans les divers essais de grouper toutdevenir dans une vaste loi cosmique. La connaissance de l'unit de toutes lesformes d'expression d'un individu devint une vrit inbranlable. La transpo-sition la nature humaine des lois rgissant tout vnement aboutit l'adoption de divers points de vue. Un pouvoir directeur insondable, inconnu,a t cherch par Kant, Schelling, Hegel, Schopenhauer, Hartmann, Nietzscheet d'autres, dans une force motrice inconsciente que l'on appela suivant lescas : loi morale, volont, volont de puissance ou inconscient . ct de latransposition au devenir humain de lois gnrales, l'introspection eut sa partde vogue. Les sujets eux-mmes devaient nous renseigner sur les manifes-tations psychiques et sur leurs processus. Cette mthode ne resta pas long-temps en usage. Avec raison elle tomba dans le discrdit, car il n'tait pas

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    possible de prsumer que les tres humains soient capables d'noncer desrenseignements objectifs.

    Dans un sicle de dveloppement technique c'est la mthode exprimen-tale qui prima. l'aide d'appareils et de questions soigneusement choisies onmit au point des examens qui devaient nous renseigner sur les fonctions dessens, l'intelligence, le caractre et la personnalit. A cette occasion on perdit lavue d'ensemble sur l'unit de la personnalit, ou on ne pouvait la complterque par la divination. Quant la doctrine de l'hrdit, qui a fait son appari-tion plus tard, elle dclara vain tout effort et trouva satisfaisant de prouver quece qui importait c'tait la possession des aptitudes et non leur utilisation. C'est cela qu'aboutit aussi la thorie de l'influence des glandes scrtion interne,qui se borna au cas spcial des sentiments d'infriorit et de leur compensa-tion en cas d'infriorit de certains organes.

    Une renaissance de la psychologie surgit avec la psychanalyse, qui faisaitrevivre dans la libido sexuelle le matre tout-puissant du destin humain et quidpeignait soigneusement aux humains les horreurs de l'enfer dans l'incon-scient et le pch originel dans le sentiment de culpabilit . L'oubli du ciela t rattrap plus tard, avec le but idal de la perfection dans la psycho-logie individuelle, et par la cration du moi idal . C'tait tout de mme unessai significatif pour lire entre les lignes du conscient, un pas en avant dansla redcouverte du style de vie - de la ligne dynamique de l'individu - et dusens de la vie, sans que ce but prsent devant les yeux ait t peru par l'auteurenivr de mtaphores sexuelles. En outre la psychanalyse tait par tropencombre par le monde des enfants gts, ce qui fait que la structure psychi-que lui apparaissait comme un dcalque constant de ce type et que la structurepsychique profonde en tant que partie de l'volution humaine lui restaitcache. Son succs passager rsida dans la prdisposition d'un nombre im-mense de personnes gtes accepter volontairement les vues psychanalyti-ques comme s'appliquant tous les hommes. Ils furent par l renforcs dansleur propre style de vie. La technique de la psychanalyse s'efforait avec unenergie tenace de prsenter certains modes d'expression et certains symptmescomme en rapport avec la libido sexuelle et l'action humaine comme dpen-dant d'un instinct sadique inhrent chacun. Que ces derniers phnomnessoient le ressentiment artificiellement cr chez des enfants gts, c'est ce quefit apparatre clairement la conception de la psychologie individuelle. Toute-fois la psychanalyse tient compte d'une faon approximative et fugitive del'lment volutif, quoique d'une faon errone, et sa manire pessimistehabituelle, en exprimant l'ide du dsir de la mort comme le but de satisfac-tion, non par adaptation active, mais en attendant une mort lente, par adapta-tion la deuxime loi fondamentale de la physique, sujette tout de mme caution.

    La psychologie individuelle se tient sur le terrain solide de l'volution(voir Studie ber Minderwertigkeit von Organen, Bergmann, Munich) et, lalumire de cette volution, elle voit dans tout effort humain une recherche dela perfection. Physiquement et psychiquement : l'lan vital est li d'une faonindissoluble cette tendance. Pour notre entendement chaque manifestationpsychique se prsente donc comme un mouvement qui mne d'une situationinfrieure vers une situation suprieure. L'lan, la loi dynamique, que chaqueindividu se donne lui-mme au dbut de son existence dans une libert

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    relative et en utilisant ses aptitudes et ses dfauts inns, aussi bien que sespremires impressions du monde extrieur, varie pour chaque individu en cequi concerne mesure, rythme et direction. En comparaison constante avec laperfection idale irralisable, l'individu est constamment rempli d'un senti-ment d'infriorit et stimul par lui. Nous pouvons en conclure que chaque loidynamique humaine sera errone si on la considre sub specie aeternitatis etdu point de vue fictif d'une perfection absolue.

    Chaque poque culturelle forme cet idal la mesure de ses penses et deses sentiments. Comme aussi aujourd'hui, nous ne pouvons retrouver dans lepass le niveau changeant de l'entendement humain que dans l'tablissementde cet idal ; et nous avons le droit d'admirer profondment cette force del'entendement qui a su concevoir pour une dure incalculable un idal fcondde vie collective humaine. Tu ne tueras pas ou Aime ton prochain nepourront gure disparatre du savoir ou du sentiment en tant que suprmeinstance. Ces formules et d'autres normes de la vie humaine, aussi inhrentes la nature humaine que les mouvements respiratoires et la station debout,peuvent s'incorporer la conception d'une communaut humaine idale,communaut considre ici au point de vue strictement scientifique commecontrainte donnant l'volution la fois une impulsion et un but. Ils donnent la psychologie individuelle la rgle de conduite, le [en grec dans letexte] suivant lequel tous les autres buts et formes de mouvements contrai-res l'volution seront estims comme justes ou faux. Ici la psychologieindividuelle devient une psychologie des valeurs , de mme que la sciencemdicale, promotrice de l'volution par ses recherches et ses constatations,devient une science de l'estimation .

    Sentiment d'infriorit, tendance la compensation et sentiment social, cespiliers de notre recherche psychologique ne peuvent par consquent pas tresoustraits de l'examen d'un individu ou d'une masse. On peut dtourner ouessayer d'viter leur existence, on peut s'y mprendre, on peut essayer decouper les cheveux en quatre, mais on ne peut pas les faire disparatre.L'examen correct de toute personnalit doit tenir compte d'une faon ou d'uneautre de ces faits, et l'on doit prendre en considration le sentiment d'infrio-rit, la tendance la compensation, le sentiment social.

    Mais de mme que d'autres civilisations, sous la contrainte de l'volution,tirent d'autres enseignements et suivent des voies plus ou moins errones, demme procde l'individu. Au cours de l'volution, l'laboration rationnelle etaffective d'un style de vie est l'uvre de l'enfant. La capacit de rendement luisert comme mesure de sa puissance, mesure ralise d'une faon affective etapproximative, dans un entourage certes pas indiffrent, qui ne constitue quedifficilement un terrain de prparation pour la vie. difiant sur une impressionsubjective, guid souvent par des russites ou des checs futiles, l'enfant secre la voie, le but et la concrtisation d'une ascension plonge dans l'avenir.

    Tous les moyens de la psychologie individuelle qui doivent mener lacomprhension de la personnalit tiennent compte de l'opinion de l'individusur la recherche de la supriorit, de l'importance de son sentiment d'infrio-rit et du degr de son sentiment social. Un examen plus approfondi desrapports de ces diffrents facteurs entre eux montre clairement que touscontribuent crer la modalit et le degr du sentiment social. L'examen est le

  • Alfred Adler, Le sens de la vie. tude de psychologie individuelle (1933) 27

    mme que celui employ en psychologie exprimentale ou dans l'examenfonctionnel de certains cas mdicaux. Mais ici la vie elle-mme impose sestests, ce qui dmontre la profonde connexion de l'individu avec les problmesde la vie. C'est dire qu'il n'est pas possible d'arracher l'individu, en tant qu'en-semble, de ses rapports avec la vie - peut-tre serait-il mieux de dire avec lasocit. Son attitude traduit son style de vie. C'est pourquoi l'examen par tests,qui au mieux ne tient compte que d'lments isols de la vie de l'individu, nepourra pas nous renseigner sur son caractre, voire mme sur son rendementfutur dans la socit. Et la psychologie de la forme elle aussi a besoind'tre complte par la psychologie individuelle, pour pouvoir nous renseignersur l'attitude de l'individu dans le cours de la vie.

    La technique de la psychologie individuelle pour l'exploration du style devie doit donc supposer en premier lieu une connaissance des problmes de lavie et de leurs exigences vis--vis de l'individu. Nous verrons que leur solu-tion exige un certain degr de sentiment social, une liaison intime avecl'ensemble de la vie, une aptitude la frquentation des autres personnes et la coopration avec elles. Si cette aptitude manque, on pourra constater unsentiment accentu d'infriorit avec toutes ses variantes et toutes ses cons-quences, gnralement sous l'apparence d'une attitude hsitante et vasive.Ce sont les manifestations physiques et psychiques, plus ou moins intriques,qui font alors leur apparition ; ensemble que j'ai dsign sous le terme de complexe d'infriorit . La tendance infatigable la supriorit essaie decacher ce complexe par un complexe de supriorit, qui, toujours en dehorsdu sentiment social, vise l'apparence d'une supriorit personnelle. Si onvoit clair dans toutes les manifestations qui apparaissent en cas d'insuccs, ilfaut en rechercher les causes dans une prparation imparfaite datant de lapremire enfance. De cette manire il est possible d'obtenir l'image fidle dustyle de vie homogne d'un individu, et il est possible en mme temps, dans lecas d'un insuccs, d'estimer le degr de divergence avec le sentiment social,lequel se prsente toujours comme un manque d'aptitude se joindre auxautres. La tche qui s'impose l'ducateur, l'instituteur, au mdecin, au con-seiller psychologique est la suivante : augmenter le sentiment social et par lrenforcer le courage de l'individu par la comprhension des vritables causesde son insuccs, par la mise jour de l'opinion inexacte, du sens erron de lavie que l'individu avait substitu au vritable et pour le rapprocher du sensque la vie a impos aux tres humains.

    Cette tche ne peut tre rsolue que si l'on dispose d'une connaissance pro-fonde des problmes de la vie et que si l'on comprend jusqu' quel niveau lesentiment social est insuffisant, aussi bien dans ces manifestations telles quele complexe d'infriorit et de supriorit, que dans tous les types d'checshumains. Il faut galement une grande exprience des circonstances et dessituations susceptibles d'empcher le dveloppement du sentiment social dansl'enfance. Les voies d'accs qui d'aprs mon exprience se sont montres lesmeilleures pour l'exploration de la personnalit sont une large comprhensiondes souvenirs de la premire enfance, de la place occupe par le sujet encoreenfant dans la ligne familiale, de quelques dfauts d'enfant, des rves diurneset nocturnes et de la nature du facteur exogne ayant dclench les symp-tmes morbides. Tous les renseignements tirs de pareil examen, y comprisl'attitude vis--vis du mdecin, ne doivent tre valus qu'avec la plus grande

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    prudence, et le droulement dynamique de ces faits doit tre constammentexamin pour prouver leur concordance avec d'autres constatations djfaites.

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    3Les problmes de la vie

    Retour la table des matires

    C'est ici que la psychologie individuelle touche la sociologie. Il estimpossible d'acqurir un jugement exact sur un individu si on ne connat pasla structure des problmes que la vie lui soumet et la tche que ceux-ci luiimposent. Ce n'est que d'aprs la manire dont l'individu les affronte, d'aprsce qui se passe cette occasion dans son for intrieur, que sa nature propre servle. Il faudra rechercher s'il tient son rle social ou au contraire s'il hsite le tenir, s'arrte en chemin, essaie d'luder sa tche ; si pour cela il cherche etcre des prtextes se drober ; s'il cherche une solution loyale aux problmesqui se posent lui, et s'il en vient bout, s'il les rsout partiellement ou s'il leslaisse non rsolus et s'il suit une voie prjudiciable la communaut pour tirervanit d'une supriorit personnelle.

    Depuis longtemps j'ai tenu subordonner toutes les questions de la vie auxtrois grands problmes suivants : celui de la vie en socit, celui du travail etcelui de l'amour. Il est facile de voir que ce ne sont pas l des questions for-tuites, mais des questions qui se dressent constamment en face de nous,pressantes et exigeantes, et nous ne pouvons nous permettre de nous ydrober. Car toute notre attitude vis--vis de ces trois questions reprsente la

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    rponse que nous donnons, grce notre style de vie. Comme elles sontintimement lies entre elles, prcisment du fait que ces trois problmesexigent pour leur solution un degr suffisant de sentiment social, il est facilede comprendre que le style de vie de chaque tre humain se reflte d'unefaon plus ou moins claire dans son attitude vis--vis de ces trois questions :Moins clairement dans celles qui actuellement le proccupent moins ou quiprsentent des circonstances plus favorables, plus clairement dans celles quilui imposeront une preuve plus svre. Des problmes tels que l'art et lareligion, dont la solution dpasse le niveau moyen habituel, participent cestrois questions. Elles rsultent des liens indissolubles qui rassemblent les treshumains entre eux et les contraignent s'associer pour pourvoir aux ncessitsde l'existence et aux soins donner aux enfants. Ce sont des questions aveclesquelles notre vie terrestre nous confronte. L'tre humain envisag commeproduit de cette terre n'a pu maintenir et dvelopper ses relations avec le restedu monde que par son incorporation la communaut, par l'apport aussi bienmatriel et spirituel qu'il lui fournit, par la division du travail, par l'applicationdans leffort, et par une propagation suffisante de l'espce. Au cours de sonvolution, il s'est quip pour cela, physiquement et psychiquement, grce ses efforts pour amliorer sa condition physique et son dveloppement spiri-tuel. Dans l'effort de l'humanit pour surmonter les difficults de la vie, toutesles expriences, les traditions, les commandements et les lois, n'taient quedes essais bons ou mauvais, durables ou caducs. Dans notre civilisationactuelle nous constatons le niveau que cet effort a permis d'atteindre, niveaubien insuffisant, il faut l'avouer. Arriver d'une situation infrieure vers unesituation suprieure distingue autant le dynamisme de l'individu que celui dela masse et nous donne le droit de parler d'un sentiment d'infriorit perma-nent autant chez l'individu que dans la masse. Dans le courant de l'volution,il ne peut y avoir d'arrt; la recherche de la perfection nous entrane.

    Or si ces trois questions, ayant comme base commune l'intrt social, semontrent inluctables, il est vident qu'elles ne pourront tre rsolues que pardes tres humains disposant d'un degr suffisant de sentiment social. On peutsoutenir sans trop se hasarder que jusqu' ce jour une disposition inhrente chacun de nous pour atteindre ce degr existe, mais que lvolution de l'huma-nit n'est pas suffisamment avance pour inculquer le sentiment social auxhumains, au point que celui-ci puisse fonctionner automatiquement comme larespiration ou la marche verticale. Il est pour moi hors de doute qu' unepoque - peut-tre trs tardive - ce degr sera atteint, moins que l'humanitn'choue dans cette volution, ventualit en faveur de laquelle il existeaujourd'hui une lgre suspicion.

    Toutes les autres questions tendent vers la solution de ces trois problmesprincipaux, qu'il s'agisse de l'amiti, de la camaraderie, de l'intrt port l'tat, la patrie, la nation et l'humanit; qu'il s'agisse de l'acquisition debonnes manires, de l'acceptation d'une fonction sociale des organes, de laprparation la coopration, au jeu, l'cole et l'apprentissage, de l'estime etde la considration pour le sexe oppos, de la prparation physique et intellec-tuelle requise pour aborder toutes ces questions, ainsi que du choix d'unpartenaire sexuel. Cette prparation, bonne ou mauvaise, commence ds lepremier jour de la vie de l'enfant ; c'est la mre qui se prsente naturellement,grce au dveloppement progressif de l'amour maternel, comme le partenairele plus apte donner l'enfant l'exprience de la vie avec ses semblables.

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    C'est de la mre, considre comme premier prochain au seuil du dvelop-pement du sentiment social, que partent les premires impulsions enjoignantl'enfant s'insrer dans la vie comme lment de l'ensemble et chercher lecontact juste avec le monde environnant.

    Des difficults peuvent surgir de deux cts : de la part de la mre, si,maladroite, lourde, inexprimente, elle rend l'enfant le contact difficileavec d'autres ou si par insouciance elle prend son rle trop la lgre. Ou, cequi arrive le plus souvent, si elle soustrait l'enfant la ncessit d'aider lesautres ou de cooprer avec eux, si elle l'accable de caresses et de tendresses, sielle agit, pense et parle constamment pour lui, paralysant en lui toutepossibilit de dveloppement et l'habituant un monde imaginaire toutdiffrent du ntre et dans lequel, enfant gt, il trouve tout fait par d'autrespersonnes. Un laps de temps relativement court sera suffisant pour inciterl'enfant se considrer toujours comme tant au centre des vnements et trouver hostile toute autre situation et tout tre humain qui n'pouse pas cetteconception. cette occasion il ne faut pas sous-estimer la grande varit desrsultats que donne chez l'enfant la coopration de son jugement et de sa forcecratrice librs de toute entrave. L'enfant utilise les impressions extrieurespour les faonner son ide. Si l'enfant est gt par sa mre, il refuse d'ten-dre son sentiment social d'autres personnes, essaie de se soustraire sonpre, ses frres et surs, aussi bien qu'aux autres personnes qui ne luiapportent pas le mme degr d'affection. Form, entran dans ce style de vie,dans l'opinion que tout est facile obtenir d'emble par une aide extrieure,l'enfant devient ainsi plus tard plus ou moins inapte la solution desproblmes de la vie et subit un tat de choc, lorsque ces problmes se prsen-tent sans trouver en lui le sentiment social pralable qu'ils exigent, tat dechoc passager dans les cas lgers, mais qui d'une faon permanente l'emp-chera dans les cas graves de trouver une solution. Pour l'enfant gt toutprtexte est bon pour attirer l'attention de sa mre sur lui. Il atteint le plusfacilement ce but de supriorit, s'il s'oppose au dveloppement de ses facul-ts, soit par la dsobissance - tat affectif qui, malgr l'explication de lapsychologie individuelle, a t considr rcemment encore comme un stadenaturel du dveloppement par Charlotte Bhler - soit par le manque d'intrtsocial. D'autres essais acharns pour dduire l'explication de dfauts infan-tiles, tels que la rtention des matires et l'nursie, de la libido sexuelle ou detendances sadiques et la croyance qu'on a pu dcouvrir ainsi les couches lesplus primitives ou mme les plus profondes de la vie psychique, prennent tort les consquences pour les cause Ces essais ont mconnu l'tat affectiffondamental de ces enfants : leur besoin dmesur de tendresse; ils se trom-pent aussi en considrant le dveloppement des fonctions et facults organi-ques comme si elles devaient toujours tre de nouveau acquises.

    Le dveloppement de ces facults est une loi et une acquisition aussinaturelles que la marche verticale et le langage. Dans le monde imaginaire desenfants trop gts ces facults peuvent, ainsi que l'interdiction de l'inceste,tre dtournes pour servir leur dsir d'tre gts et utilises exploiter lesautres personnes ou bien les accuser et se venger d'elles, si ce dsir ne seralise pas. Les enfants gts repoussent, de diverses faons, tout ce qui estsusceptible d'apporter un changement une situation qui les satisfait. Sipourtant ce changement a lieu, on peut remarquer que toujours l'enfant luioppose une raction et une rsistance plus ou moins active ou passive. Progrs

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    ou recul, leur ralisation dpend pour la plus grande part de leur degr d'acti-vit, mais aussi du facteur exogne, de la situation extrieure qui exige unesolution. Les expriences couronnes de succs dans des circonstances analo-gues constituent plus tard le modle suivre ; elles sont considres lalgre par certains comme tant des rgressions, parce qu'elles n'ont pas tcomprises comme il le fallait. Certains auteurs vont encore plus loin dansleurs suppositions et essayent de rduire le complexe psychique actuel, quenous devons considrer comme une acquisition volutionnaire stable, desrminiscences des temps archaques et arrivent dans cette voie des trou-vailles fantastiques de concidences. Ce qui les induit gnralement en erreur,c'est que les moyens humains d'expression ont, toute poque, une certaineressemblance, surtout lorsqu'on ne tient pas compte de la pauvret de notrelangage. C'est simplement dcouvrir une autre ressemblance que d'essayer derapporter la sexualit tous les mobiles humains. J'ai fait comprendre que lesenfants gts se sentent toujours menacs et comme en pays ennemi lorsqu'ilsse trouvent en dehors du cercle o on les gte. Tous leurs divers traits decaractre doivent tre en concordance avec leur opinion sur la vie, avant toutleur norme gocentrisme souvent presque incomprhensible et aussi leurnarcissisme. Il en rsulte indubitablement que tous ces traits de caractre sontdes produits artificiels, qui sont acquis et non pas inns. Il n'est pas difficile decomprendre que tous les traits de caractre, contrairement la conception dessoi-disant caractrologues , indiquent des relations sociales et qu'ils rsul-tent du style de vie cr par l'enfant. Ainsi se trouve rgle la vieille contro-verse de savoir si l'homme est par nature bon ou mauvais. L'incessant progrsdu sentiment social, dans son accroissement volutionnaire, permet desupposer que la persistance de l'humanit est intimement lie la notion de bont . Tout ce qui semble apparemment le contredire doit tre considrcomme un chec dans l'volution et tre assimil une erreur, de mme quedans le vaste champ d'exprience de la nature il a toujours exist du matrielorganique inutilis dans les espces animales. Mais la science du caractresera bientt oblige d'avouer que des traits tels que courageux, vertueux,paresseux, hostile, tenace, etc. doivent toujours s'ajuster, bien ou mal, notre monde extrieur, monde en perptuel changement, et qu'elles ne peuventabsolument pas exister sans ce monde extrieur.

    Ainsi que je l'ai montr il existe encore d'autres handicaps qui, comme lefait de gter l 'enfant, empchent le dveloppement du sentiment social.) Dansla considration de ces obstacles nous devons une fois de plus repousser toutprincipe fondamental, directeur ou causal et nous voyons dans leur manifes-tation uniquement un lment trompeur qui peut tre exprim dans les termesd'une probabilit statistique. La diversit et la singularit de chaque manifes-tation individuelle ne doit jamais nous chapper. Une telle manifestation estl'expression du pouvoir crateur, presque arbitraire de l'enfant dans la forma-tion de sa loi dynamique . Ces autres obstacles sont la ngligence vis--visde l'enfant et la possession d'organes infrieurs. Tous les deux, exactementcomme le fait de gter l'enfant, dtournent son attention et son intrt de la collectivit et les dirigent vers ses propres prils et son propre bien-tre.Que cette double scurit ne puisse tre assure qu'en supposant un degrsuffisant de sentiment social sera dmontr plus loin de faon plus nette. Maisil est facile comprendre que les conditions d'existence terrestre sont hostiles celui qui se trouve trop peu en contact et en harmonie avec lui. On peut direde ces trois handicaps de la premire enfance que la force cratrice de l'enfant

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    les surmontera avec plus ou moins de succs. Toute russite ou tout checdpend du style de vie, de l'opinion de la vie, opinion gnralement mconnuede l'individu. De la mme faon que nous parlions de la probabilit statistiquedterminant les consquences de ces trois handicaps, nous devons constatermaintenant que les problmes de la vie aussi, les grands comme les petits, neprsentent qu'une probabilit statistique, quoique trs importante; c'est le chocqu'ils dterminent qui met l'preuve l'attitude de l'individu vis--vis d'eux.On peut trs bien prdire, avec une certaine certitude, les consquences pourun individu de son entre en contact avec les problmes de la vie. Mais l'ondevra toujours ne conclure l'exactitude d'une supposition que si elle setrouve confirme par les rsultats.

    C'est certes un signe en faveur de son fondement scientifique que lapsychologie individuelle, comme aucune autre cole psychologique n'en estcapable, puisse deviner le pass grce son exprience et ses lois deprobabilit.

    Il nous incombe prsent d'examiner galement les questions apparem-ment secondaires pour savoir si, elles aussi, exigent pour leur solution unsentiment social dvelopp. L nous rencontrons en premier lieu l'attitude del'enfant vis--vis du pre. La norme serait un intrt peu prs identique vis--vis de la mre et vis--vis du pre. Mais les circonstances extrieures, lapersonnalit du pre, le fait d'tre gt par la mre, les maladies et un dvelop-pement organique difficile ncessitant des soins qui incombent davantage lamre, peuvent crer une distance entre enfant et pre et empcher ainsil'panouissement du sentiment social. L'intervention svre du pre, s'il veutempcher les consquences de l'habitude trop tendre de la mre, augmentecette distance. De mme le penchant souvent incompris de la mre attirerl'enfant de son ct. Si c'est le pre qui gte davantage l'enfant, celui-ci sedtourne de la mre pour se diriger vers le pre. Ce cas doit toujours trecompris comme une seconde phase dans la vie d'un enfant et indique que lamre a t une cause de tragdie pour lenfant. S'il reste comme enfant gtattach la mre, il se dveloppera plus ou moins comme un parasite, quiattend de la part de la mre la satisfaction de tous ses besoins, mme de sesdsirs sexuels l'occasion. Ceci d'autant plus que l'instinct sexuel qui s'veillechez l'enfant le trouve dans un tat affectif dans lequel il n'a pas appris renoncer un dsir, tant donn qu'il s'attend de la part de sa mre lasatisfaction de tous ses dsirs. Ce que Freud a dsign comme complexed'Oedipe et qu'il considre comme la base naturelle du dveloppement psychi-que, n'est rien d'autre qu'une des multiples manifestations de la vie de l'enfantgt, qui est le jouet sans dfense de ses dsirs non rprims. Sans oublier quece mme auteur, avec un fanatisme inbranlable, ramne tous les rapports d'unenfant vis--vis de sa mre un schma dont la base lui est fournie par lecomplexe d'Oedipe. De mme nous devons refuser la thse, qui parat parfai-tement acceptable beaucoup d'auteurs, que par nature les filles se rappro-chent davantage du pre, les garons davantage de la mre. L o ceci seproduit sans que l'enfant ait t gt, nous pouvons voir une certainecomprhension de son rle sexuel futur, donc d'un stade ultrieur de la vie, ol'enfant, comme dans un jeu, et gnralement sans mettre en mouvementl'instinct sexuel, se prpare pour l'avenir, tout comme il le fait dans d'autresjeux. Un instinct sexuel tt veill et pour ainsi dire irrsistible tmoigne en

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    premier lieu d'un enfant gocentrique, le plus souvent dorlot, qui ne saitrenoncer aucun dsir.

    L'attitude vis--vis de ses frres et surs, considre en tant que problme,peut donner une certaine ide du degr d'aptitude de l'enfant prendre contactavec les autres. Les trois groupes d'enfants dont il vient d'tre questionconsidrent le plus souvent les autres enfants, surtout le cadet, comme unobstacle et une cause de rduction de leur sphre d'influence. Les rsultats ensont variables, mais laissent une si grande impression dans la priode plasti-que de l'enfant,qu'elle sera durant toute sa vie reconnaissable comme trait decaractre, pouvant prendre la forme d'un sentiment persistant que la vie estune ternelle comptition, ou celle d'un vif dsir de domination, ou dans lescas les plus bnins celle d'un penchant durable considrer les autres commedes enfants. Une grande partie du faonnement de l'enfant dpend du succsou de l'insuccs de cette comptition. On retrouvera toujours, surtout chez lesenfants gts, avec toutes les consquences qui en dcoulent, l'impressiond'avoir t supplant par un enfant plus jeune.

    Une autre question est celle relative l'enfant vis--vis de la maladie, pource qui est de l'attitude qu'il adoptera cette occasion. Le comportement desparents, durant la maladie, surtout si celle-ci parat grave, sera not avecattention par l'enfant. Les maladies de la premire enfance, telles que rachitis-me, pneumopathie, coqueluche, chore, scarlatine, grippe, etc., au cours des-quelles l'enfant note le comportement anxieux des parents imprudemmentmanifest, peuvent non seulement faire paratre le mal pire qu'il ne l'est enralit, faire natre l'habitude inaccoutume de se faire dorloter et donner l'enfant l'impression de prsenter une importance norme sans ncessit decoopration de sa part, mais elles peuvent aussi arriver rendre l'enfantmaladif et geignard. Si au moment de la gurison les gteries auxquelles iln'avait pas t accoutum auparavant cessent, on trouvera souvent un enfantdevenu indocile ou en proie au sentiment persistant d'tre mal portant, seplaignant de fatigue, de manque d'apptit, ou prsentant une toux persistantesans cause, manifestations qu'on considre souvent, tort, comme les suitesde la maladie. Ces enfants ont une tendance maintenir le souvenir de leurmaladie pendant toute leur vie, ce qui leur permet de penser avoir le droit des mnagements ou l'excuse de circonstances attnuantes. Il ne faut pasoublier que ces cas, du fait de contact insuffisant avec les circonstancesextrieures, donnent lieu en permanence une tension dans la sphre affec-tive, une augmentation des motions et des tats affectifs. son entre aujardin d'enfants ou l'cole, l'enfant est soumis une autre preuve quant son aptitude la coopration - sans tenir compte de sa faon de se rendre utile la maison, de se conduire en camarade dans ses jeux. L on peut trs nette-ment observer son aptitude travailler avec d'autres. Le degr de son nerve-ment, la forme que prend son manque d'inclination pour l'cole, sa manire derester l'cart, son manque d'intrt et de concentration et une grande diver-sit d'attitudes antiscolaires telles que arrives en retard, essais de pertur-bation, tendance faire l'cole buissonnire, perte incessante des instrumentsd'cole, perte de temps au lieu de faire ses devoirs, dmontrent une insuf-fisante prparation la coopration. Le processus psychique dans ces cas n'estqu'insuffisamment reconnu si on ne comprend pas que ces enfants, qu'ils lesachent ou non, portent en eux un profond sentiment d'infriorit ; celui-cis'extriorise en un complexe d'infriorit correspondant la description qui

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    prcde, forme de timidit, d'tat d'nervement, allis toutes sortes de symp-tmes psychiques et physiques; ou bien il apparat comme un complexe desupriorit base de vanit : esprit batailleur, mauvais joueur, manque decamaraderie, etc. Il n'y a pas trace de courage dans ce complexe. Les enfantsarrogants se montrent mme lches ds qu'il est question de leur faire faire untravail utile. La tendance au mensonge les montre sur le chemin des procdslouches de la ruse; les tendances voler se prsentent comme compensation un sentiment de frustration. Le fait de se comparer et de se mesurer constam-ment avec des enfants plus capables n'amne pas une amlioration, maisplutt un engourdissement progressif des facults et souvent l'arrt de toutsuccs scolaire. L'cole agit nettement comme une exprience sur l'enfant etmontre ds le premier jour le degr de l'aptitude la coopration de l'enfant.C'est aussi l'cole qui est l'endroit choisi pour augmenter, grce une com-prhension intelligente, le sentiment social de l'enfant afin qu'il ne quitte pasl'cole comme un ennemi de la socit. Ce sont ces expriences qui ont incit tablir dans les coles des consultations de psychologie individuelle quiaident l'instituteur trouver la voie juste dans l'ducation des enfants dfail-lants.

    Il est certain que la russite en matire scolaire dpend en premier lieu dusentiment social de l'enfant, ce sentiment qui se cache en lui peut nous donner l'avance quelque ide de l'agencement futur de sa vie en socit. La questionde l'amiti, si importante pour la vie collective ultrieure, celle de la camara-derie avec tous les traits de caractre qui laccompagnent : fidlit, sens desresponsabilits, bonne grce agir en commun, celle de l'intrt pour le pays,la nation et l'humanit, toutes sont inclues dans la vie scolaire et exigent lessoins d'une ducation qualifie. L'cole dtient une possibilit d'veillerl'esprit de camaraderie et de le cultiver. Si l'instituteur connat notre enseigne-ment, il saura faire comprendre l'enfant son manque de sentiment social, lescauses de cette dficience et la manire d'y remdier et il arrivera le rappro-cher de la socit par des conversations amicales. Au cours de discussionsgnrales avec les enfants il russira les convaincre que leur propre avenir,et celui de l'humanit, dpend d'un renforcement de notre sentiment social etque les grandes erreurs dans notre vie : la guerre, la peine capitale, la haineraciale, la haine des peuples, et aussi la nvrose, le suicide, le crime, l'ivrogne-rie, etc., naissent d'un manque de sentiment social et qu'elles doivent trecomprises comme des complexes d'infriorit, comme des essais nuisibles dersoudre une situation d'une manire inadmissible et inopportune.

    La question sexuelle aussi, dont notre poque se proccupe beaucoup, peutjeter garons et filles dans le dsarroi. Non pas ceux qui sont gagns lacause de la coopration ; ceux-ci, habitus se sentir comme faisant partied'un ensemble, ne garderont jamais en eux des tourments secrets, sans enparler leurs parents ou demander conseil leur instituteur. Ceux qui ont djdcouvert dans leur vie de famille un lment hostile se conduisent autrement.Ceux-l, et surtout, encore une fois, les enfants gts, sont trs facilementintimids et sduits par des flatteries. La manire de procder des parents ence qui concerne l'enseignement sexuel, dcoule automatiquement de leur vieen commun. L'enfant devra savoir autant qu'il le dsire, et ce savoir devra luitre prsent d'une manire qui lui permettra de supporter et d'assimiler qui-tablement ce nouvel enseignement. Il ne faut pas hsiter, mais toute hte estsuperflue. Il est difficile d'empcher que les enfants discutent l'cole des

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    questions sexuelles. L'enfant indpendant, qui regarde l'avenir, refusera lesobscnits et ne croira pas aux sottises. C'est videmment une grande erreurque l'ducation qui donne l'enfant la crainte de l'amour et du mariage : ellene sera d'ailleurs accepte que par les enfants dpendants, qui d'avance sontdes dcourags.

    La pubert, autre problme vital, est considre par beaucoup comme unsombre mystre. Mme cette priode on retrouve simplement en puissancece qui sommeillait jusqu'alors dans l'enfant. Si jusque-l son sentiment socialtait dficient, sa priode pubertaire se droulera en consquence. On ne pour-ra que mieux constater jusqu' quel point l'enfant est prpar la coopration.Il dispose d'un terrain d'action plus vaste et d'une plus grande force. Avanttout il est pouss vouloir dmontrer, d'une faon qui lui est propre et qui luisemble sduisante, qu'il n'est plus un enfant ou, ce qui est plus rare, qu'il l'estencore. S'il y a l une gne dans le dveloppement de son sentiment social,alors une dviation asociale plus nette apparatra dans la voie errone o savie s'est engage. Beaucoup d'enfants, dans leur dsir de se faire passer pourdes adultes, adoptent plutt les dfauts que les qualits des adultes, puisquecette faon de faire leur parat beaucoup plus facile que de servir la socit. Ilen rsulte des dlits de toutes sortes, observs plus facilement, l encore, chezles enfants gts que chez les autres, puisque ceux-l, habitus unesatisfaction immdiate de leurs dsirs, ne pourront que difficilement rsister une tentation de quelque sorte qu'elle soit. Des filles et des garons de cettecatgorie seront facilement les victimes de la flatterie ou de l'excitation deleur vanit. Les jeunes filles qui subissent la maison un lourd sentimentd'humiliation et qui ne peuvent croire leur valeur que si elles entendent desflatteries, sont fortement menaces cette priode.

    L'enfant, jusque-l l'arrire plan, se rapproche bientt du front de la vieo il aperoit les trois grands problmes de la vie : la socit, le travail,l'amour. Tous les trois demandent pour leur solution un intrt dveloppenvers autrui. La prparation cet intrt dcide de l'issue. A cette priodenous trouvons la timidit, la haine d'autrui, la mfiance, le plaisir de nuire,toutes sortes de vanits, la susceptibilit exagre, des tats d'nervement enface d'autres personnes, le trac, le mensonge et la tromperie, la calomnie, latendance la domination, la mchancet et bien d'autres travers encore. Celuiqui a t lev pour la vie en commun gagnera facilement des amis. Iltrouvera aussi de l'intrt toutes les questions qui touchent l'humanit ; sonpoint de vue et sa conduite se