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1 Qadede Idá?at Une ancienne tradition parcourant la famille Edgardo Civallero National University of Córdoba Córdoba – Argentina [email protected] www.thelogofalibrarian.blogspot.com Traduit par Olivia Trono, Comité International de la Croix-Rouge, Genève, Suisse. [email protected] Les peuples indigènes d'Amérique latine Pendant des siècles, des millions d'individus ont contemplé les étoiles, enracinés dans des terres qu'aujourd'hui, nous considérons comme les nôtres. Pendant des générations, ils ont tissé une unique et incomparable trame culturelle, faite d'innombrables caractéristiques, petites et grandes, de particularités distinctes et inimitables, qui leur étaient propres. Pendant des siècles, des millions d'individus ont élaboré des visions du cosmos détaillées et profondément singulières. Ils ont maintenu des relations intimes avec leur environnement, des liens forts avec l'univers magique et spirituel, des expressions artistiques d'une indéniable créativité, et des langues aux sonorités et au vocabulaire riches. Avec tous ces éléments, ces gens ont constitué une mosaïque humaine vaste, immense, dotée d'une diversité virtuellement sans frontière. Plus tard qualifiés d'"ab original" – autochtones – ils survécurent à peine à l'impétuosité brutale des pouvoirs impériaux et expansionnistes des Européens, dont les systèmes politiques et socio-économiques étaient basés sur des idées de conquête, de contrôle et d'exploitation. La plupart de ces miracles humains fragiles ne supportèrent pas la pression et succombèrent. D'autres disparurent simplement au milieu du monde "civilisé" qui avait occupé leurs terres et pris leur vie. D'autres se sont adaptés, par une métamorphose qui les força à accepter un certain degré d'assimilation ou d'acculturation. En d'autres encore gardèrent le silence et leurs souvenirs d'une meilleure époque comme refuge contre les conquérants. Nombre d'entre eux, cependant, ne se rendirent jamais. La pression, la violence et l'oubli n'étaient pas suffisants à faire taire leur voix. Plus de 300 millions d'indigènes essaient de trouver leur propre chemin à travers tant d'exclusion, tant de discrimination et tant de problèmes. De ces survivants, près d'un demi million, appartenant approximativement à 12 groupes ethniques différents, vivent sur le territoire qu'on appelle, depuis deux siècles, "Argentine". Ils tentent de garder leurs coutumes, leurs habitudes et pratiques – transmises principalement oralement – leur sagesse, leurs croyances et ces caractéristiques qui les rendent spéciaux, différents, uniques… Et ils se battent pour préserver leur identité dans un monde qui se globalise de jour en jour, dominé par la technologie. En dépit des déconvenues dont ils souffrent quotidiennement en essayant de se faire une place dans des sociétés qui n'ouvriront jamais leurs portes pour eux, ils ne laissent pas tomber. Tout comme ils n'oublient pas. Ils continuent à se souvenir qu'ils sont des fils et des filles de la Terre, nés de leurs créateurs célestes à travers les millénaires. Ils sont certains de déposer à nouveau leurs racines dans les montagnes, les plaines et les forêts qui protègent le lieu de repos de leurs ancêtres… Ils croient fermement dans la floraison, qui à nouveau donnera des fleurs et portera leur fruit.

Qadede Idá?at: Une ancienne tradition parcourant la famille

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World Library and Information Congress - 72nd IFLA General Conference and Council. Seúl (Corea del Sur), 20-24.ago.2006. Ver "Bibliotecario" (http://biblio-tecario.blogspot.com.es/).

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  • 1Qadede Id?atUne ancienne tradition parcourant la famille

    Edgardo CivalleroNational University of CrdobaCrdoba Argentinaedgardocivallero@gmail.comwww.thelogofalibrarian.blogspot.com

    Traduit par Olivia Trono, Comit International de la Croix-Rouge, Genve, [email protected]

    Les peuples indignes d'Amrique latine

    Pendant des sicles, des millions d'individus ont contempl les toiles, enracins dans desterres qu'aujourd'hui, nous considrons comme les ntres. Pendant des gnrations, ils onttiss une unique et incomparable trame culturelle, faite d'innombrables caractristiques,petites et grandes, de particularits distinctes et inimitables, qui leur taient propres.Pendant des sicles, des millions d'individus ont labor des visions du cosmos dtailles etprofondment singulires. Ils ont maintenu des relations intimes avec leur environnement, desliens forts avec l'univers magique et spirituel, des expressions artistiques d'une indniablecrativit, et des langues aux sonorits et au vocabulaire riches. Avec tous ces lments, cesgens ont constitu une mosaque humaine vaste, immense, dote d'une diversit virtuellementsans frontire.Plus tard qualifis d'"ab original" autochtones ils survcurent peine l'imptuositbrutale des pouvoirs impriaux et expansionnistes des Europens, dont les systmes politiqueset socio-conomiques taient bass sur des ides de conqute, de contrle et d'exploitation.La plupart de ces miracles humains fragiles ne supportrent pas la pression et succombrent.D'autres disparurent simplement au milieu du monde "civilis" qui avait occup leurs terres etpris leur vie. D'autres se sont adapts, par une mtamorphose qui les fora accepter uncertain degr d'assimilation ou d'acculturation. En d'autres encore gardrent le silence et leurssouvenirs d'une meilleure poque comme refuge contre les conqurants.Nombre d'entre eux, cependant, ne se rendirent jamais.La pression, la violence et l'oubli n'taient pas suffisants faire taire leur voix. Plus de 300millions d'indignes essaient de trouver leur propre chemin travers tant d'exclusion, tant dediscrimination et tant de problmes. De ces survivants, prs d'un demi million, appartenantapproximativement 12 groupes ethniques diffrents, vivent sur le territoire qu'on appelle,depuis deux sicles, "Argentine". Ils tentent de garder leurs coutumes, leurs habitudes etpratiques transmises principalement oralement leur sagesse, leurs croyances et cescaractristiques qui les rendent spciaux, diffrents, uniques Et ils se battent pour prserverleur identit dans un monde qui se globalise de jour en jour, domin par la technologie.En dpit des dconvenues dont ils souffrent quotidiennement en essayant de se faire une placedans des socits qui n'ouvriront jamais leurs portes pour eux, ils ne laissent pas tomber. Toutcomme ils n'oublient pas. Ils continuent se souvenir qu'ils sont des fils et des filles de laTerre, ns de leurs crateurs clestes travers les millnaires. Ils sont certains de dposer nouveau leurs racines dans les montagnes, les plaines et les forts qui protgent le lieu derepos de leurs anctres Ils croient fermement dans la floraison, qui nouveau donnera desfleurs et portera leur fruit.

  • 2C'est pour soutenir cette histoire, ces souvenirs vivaces d'un pass douloureux, ces tmoinsvivants d'un prsent honteux, et leur combat, que le projet de "Bibliothques Aborignes" at cr.

    Guaykur : les guerriers froces

    Parmi les groupes ethniques survivants qui peuplent aujourd'hui le territoire argentin, ceuxappartenant la famille linguistique Guaykur jouent un rle important dans l'histoire et lagographie humaine du pays.Leurs communauts sont situes dans une vaste zone gographique connue sous le nom de"Chaco", incluant le Nord-Est de l'Argentine, le Paraguay, une partie du Sud-Ouest du Brsilet le Sud-est de la Bolivie. Ce territoire est couvert par des forts tropicales et travers par delarges rivires d'eaux brunes. La richesse de la vie vgtale et animale a permis aux culturesindignes de vivre en tant que pcheurs nomades, cueilleurs ou chasseurs, cultivant justequelques champs simples, comme le manioc ou le coton, en guise d'agriculture de subsistance.La partie sud de cette norme zone gographique appartient prsent l'Argentine. Jusqu'auXVIIme sicle lorsque les forces d'occupation espagnoles arrivrent en ces lieux ungrand nombre de ces groupes indignes habitaient cette rgion, partageant une langue et uneculture communes. Les Espagnols les appelrent tous par le mme mot en guaran: Guaykur,qui signifie "les froces, les indomptables". Dans ce grand groupe, ils inclurent des peuplesaussi divers que les Payagu pirates des rivires et pcheurs et les Abipn frocesguerriers et chasseurs. Aprs des dcennies de guerres contre les soldats ibriques dabord,puis contre les troupes argentines, les peuples guaykur furent rduits trois groupes enArgentine : Qom (appels aussi Tobas en espagnol), Moqoit ( Mocovi ) et Pitlax( Pilag ). Tous parlent des dialectes et des variantes de la langue de base, qomlek(signifiant littralement la langue des peuples ). Les linguistes incluent ces dialectes,ensemble avec dautres langues lies, dans la grande famille Guaykur.Mme si les gouvernements argentins au niveau national et provincial ne possdent pas dedonnes statistiques au sujet des peuples aborignes (le dernier recensement incomplet at effectu en 1967-68), certaines informations fiables sur ces populations peuvent treobtenues dautres sources, comme des ONG, des missions religieuses et des chercheurs.A travers ces sources, nous savons que les Qom vivent dans une large zone, incluant descamps urbains et ruraux importants dans la province de Chaco, vivant dans des grandes villescomme Rosario, Buenos Aires ou La Plata. Leur population est estime 90000 personnes,mais probablement que ce nombre est plus lev en ralit, tant donn que la plupart dentreeux nient leur origine indigne, un stigmate difficile effacer dans la socit argentine.Connus aussi sous le nom de Tobas , ils tentent de rcuprer leurs terres natales et deraviver leur culture, y compris leur langue, leur musique, leurs productions artistiques et leurtradition orale. Comme les peuples guaykur nont jamais utilis de systme dcriture, latradition orale constituait leur principal moyen de transmission des savoirs dantan. Cestpourquoi la tradition orale et la langue sont la base pour conserver vivante leur culturetraditionnelle.Ils vivent dans des contextes ruraux, travaillant dans lagriculture ou faisant de lartisanat, toutcomme dans des camps urbains habituellement aux alentours des grandes villes travaillantcomme main duvre bon march dans tout type dactivit. Ils doivent ainsi faire face degraves problmes dillettrisme, de sant, dalcoolisme et de violence, tout comme un manqueprofond dducation et dinformation. Cependant, ils organisent plusieurs mouvementspopulaires pour se battre pour leurs droits et leur dveloppement en tant que citoyensargentins et comme peuple Qom. Ils ont remport quelques succs en obtenant la proprit deleurs terres dorigine, et en recevant une ducation de base bilingue dans des coles primaires.

  • 3Ils reoivent de laide de plusieurs organisations nationales et internationales et dONG mais,pour de nombreux aspects, ils restent sous la pression sociale et culturelle de la socit nonindigne qui les entoure.Les Moqoit sont gnralement considrs comme un sous-groupe des Qom. Cependant, selondes explications historiques ils constituaient deux groupes diffrents, et aujourdhui lesMoqoit se considrent comme une autre culture indpendante. Par le pass ils taient desguerriers courageux et craints, prsent ils partagent les terres, les problmes et leur destinavec leurs voisins les Qom, bien quils occupent principalement des zones dans le sud duChaco et dans les provinces du nord de Santa Fe ( la limite sud du territoire Qom). Ils viventen zone rurale, et selon des estimations leur population pourrait atteindre 7000 personnes. Ilsparlent un dialecte du qomlek et ils tentent de sauver et de retrouver les restes dune identitculturelle dtruite par des dcennies de conflits sans fin avec la socit argentine.Il se peut que les Pitlaxa, qui habitent aujourdhui la province de Formosa, soient ceux quiont le mieux conserv leur identit originelle. Mme sils vivent dans des endroits urbains(tout comme dans des communauts rurales), ils continuent effectuer leurs pratiquesquotidiennes de chasse et de rcolte (appeles marisquear ). Ils doivent galement faireface de nombreux problmes y compris les maladies et les pressions politiques mais,comme ils lont fait il y a de nombreuses annes, ils continuent se battre bravement pourleurs terres, leurs droits et leur culture. Ils parlent une variante du qomlek, diffrente de celuiutilis par leurs voisins du sud et, bien quils soient aussi dans une situation critique, ilsessaient de retrouver leurs traditions orales et de conserver vivante leur identit indigne. Ilsorganisent, annuellement, une rencontre internationale des peuples aborignes, et ils ontdonn naissance un grand nombre de mouvements socioculturels sur leur territoire.Les peuples guaykur ont t massacrs, perscuts et oppresss. Ils continuent tre traitscomme des travailleurs bon march presque des esclaves dans les champs de coton etdautres exploitations commerciales. Leurs droits ont t systmatiquement viols : ce fait aengendr plusieurs rvoltes srieuses durant leur histoire rcente (toutes ont fini en massacressanglants). Des diteurs bien connus ne publient pas de livres dans leur langue, les systmesducatifs officiels ne font pas la promotion de leurs cultures, les sectes religieuses lespoussent lacculturation, et la discrimination sociale les force oublier leurs mthodestraditionnelles et leurs traits culturels. Mme ainsi, ils continuent rsister et combattre, etcontinuent prononcer les vieux sons qomlek toutes les nuits, sous un ciel sombre ohabitent leurs desses antiques, les toiles.

    Le projet Bibliothques Aborignes

    Comme mentionn plus haut, les peuples guaykur nont jamais dvelopp de systmedcriture. Donc tout leur savoir est transmis en utilisant leurs souvenirs et les motsprononcs, travers une tradition orale. Lacculturation actuelle et la pression socioculturelle(au moyen du systme ducatif officiel, les organisations religieuses et la discriminationpublique) les amne perdre leur trsor le plus prcieux : leur sagesse, un ensemble decroyances et certitudes accumules travers les sicles et gardes prcieusement dans lesesprits des ans.En mme temps que leur culture disparat quotidiennement, ils perdent aussi leur identit entant que personnes. Immerg dans une socit occidentale parlant espagnol qui ne respectepas la diversit quils reprsentent, ils semblent perdus entre deux mondes, nappartenantcompltement aucun de ceux-ci. Ils ne parlent couramment ni le qomlek ni lespagnol, ilssont majoritairement illettrs et les enfants quittent lenseignement de base trs tt ; tous ceslments rassembls constituent la raison dun profond manque dducation de base etdinformation. Leurs problmes majeurs (sant, droits, ressources) trouverait un dbut de

  • 4solution sils pouvaient avoir accs un savoir de base. Mais les bibliothques publiques etles services dcoles primaires couvrent peine leurs besoins, et lorsquils le font, il ny a pasde matriel disponible dans leur langue maternelle.Face labsence dune structure solide qui fournirait aux communauts indignes ducation etoutils dinformation, le projet des Bibliothques aborignes a t conu et mis en uvrepar lauteur de cet article, avec des fonds trs limits, en divers endroits guaykur, entre 2002et 2005.Le projet a merg dun ensemble dides qui font partie de nouvelles tendances dans lessciences de linformation et des bibliothques : le progressive librarianship . Cemouvement soutient et encourage laccs libre linformation, le respect pour les structuresculturelles dorigine de chaque communaut, lusage de limagination dans la gestion desressources, le dni des modles de service tablis et accepts, et la diffusion du savoir pouratteindre un dveloppement quilibr et galitaire des socits humaines.Utilisant un cadre thorique interdisciplinaire (anthropologie, sociologie, droit, sciences delducation, linguistique, ) et profitant de la recherche-action (avec laide destechniques de la recherche sociale telles que le thick description ou description paisse),le projet a propos la construction, la mise en uvre et lvaluation dun modle debibliothque dsign spcifiquement pour satisfaire les besoins des utilisateurs indignes,respectant leurs caractristiques culturelles et considrant leurs moyens, leur ralit, leursrythmes et les traits culturels.Les bibliothques aborignes ont t dveloppes au cur de ces communauts, en tantque grassroot project , encourageant limplication complte et constante, la dcision etlimplication de lutilisateur final. Il voulait que les bibliothques deviennent une institutiongre par le groupe lui-mme, sans intervention complmentaire ou influence extrieure. Ilvisait retrouver les langues ancestrales et le savoir, revitaliser les expressions et pratiquesculturelles actuelles telles que la tradition orale et lhistoire, le dveloppement dunealphabtisation bilingue, la participation des secteurs socialement exclus (tels que les femmeset les personnes ges), lappropriation de la sagesse stratgique (soins de sant, nutrition,gestion des ressources, droit et droits de lhomme) du point de vue indigne, etlintroduction dlments culturels non natifs (aptitudes de lecture et dcriture, livres,informatique) dans une perspective bilingue et interculturelle.Afin de remplir ces objectifs, la bibliothque est devenue une organisation flexible, adaptableaux conditions de vie de la communaut et leurs demandes. Ceux en charge de lunitdinformation, en collaboration avec le groupe dindividus quils servaient, ont analys etcern les caractristiques du groupe, leur lieu, leurs ressources, le situation sociale, culturelleet ducative, leurs recherches, leurs dsirs, et leurs besoins. La description paisse et leshistoires de vie ont t trs utiles et des outils adapts pour accomplir cette tche, car ils ontgnr des rapports des plus riches sur la qualit de vie et les caractristiques socioculturellesde nimporte quelle personne. En fait, ils ont contribu ajouter des donnes importantes quitaient caches des outils quantitatifs (statistiques). Lutilisation de ces derniers a complt letravail avec quelques chiffres de base.Les dtails humains particulirement ceux se rfrant aux croyances, aux visions cosmiquesou des idiosyncrasies des communauts ont t considrs attentivement ce stade delvaluation prcdente : les rsultats de ce processus ont montr ce qui tait attendu de labibliothque, quelle sorte dutilisateurs la frquenterait (ou pas) et quels moyens humains etmatriels seraient ncessaires la mise en uvre des services.De ces donnes, un modle de service dinformation a t conu (toujours en collaborationavec la communaut) par lapplication de mthodes dorganisation et de gestion debibliothque, ainsi quen concevant un systme dinformation. Ce modle a t soumis unevaluation continue et amliore. Les collections et les services ont t imagins pour soutenir

  • 5fortement la culture orale, les langues natales (ducation bilingue), lchange interculturel, lerle des femmes et des personnes ges dans la transmission des informations, les canaux travers lesquels linformation est passe et a t exprime au sein du groupe, lacquisition denouvelles connaissances, la prservation de lhistoire et des traditions, et lappropriation de labibliothque comme un espace de dveloppement, de discussion et de redcouverte delidentit.Le travail avec les communauts guaykur (2002-2005) a montr des rsultats bien plusriches que ceux attendus. Une grande quantit de traditions orales ont t redcouvertes, etplusieurs petites collections sonores (des collections de cassettes o les voix danciensvillageois ont t enregistres) ont t cres, utilisant ces langues natales en danger. Depetites bibliothques ont t construites dans les coles des communauts, et les collectionssonores ont t utilises en tant que matriel ducatif complmentaire, comme les enfants nepeuvent pas habituellement avoir des ouvrages crits dans leur propre langue. Des textes (enespagnol) lis des questions comme la sant, lorganisation communautaire, la nourriture etlagriculture, les techniques de construction, la gestion de leau et du sol, etc., ont t livrs la bibliothque, et partiellement traduits dans les langues locales, pour donner la chance auxpersonnes illettres davoir un peu dducation sur ces importants sujets.Mme si les financements rduits nont pas permis de crer des structures et des services aussiforts et solides que ceux prconiss dans le modle thorique initial, lun des services mis enuvre bas sur une ide simple, et utilisant les ressources locales a eu beaucoup de succs.Il a t dvelopp pour la premire fois dans les communauts Qom dans la province duChaco, et ensuite poursuivi dans dautres communauts. On la appel Qadede Id?at.

    Les vieilles traditions sont vivantes

    Parmi les Guaykur il y a un ensemble de connaissances traditionnelles transmisesoralement qui consiste dire ce quest un comportement appropri ou perptuer certainesrgles sociales de base. Cet ensemble est appel Qadede Id?at, ce qui signifie les anciennes traditions en qomlek. Ce savoir a dabord t compil par des anthropologues,des enseignants locaux et quelques linguistes en 2002, dans les communauts Pitlax dans laprovince de Formosa, et les rsultats ont t publis dans un petit ouvrage, mais ils quittentleur travail bientt. Bas sur lide dutiliser le savoir traditionnel dans la langue maternelle,le projet des Bibliothques aborignes a dcid de mettre en uvre un service appelQadede Id?at, impliquant les enfants lcole primaire et leurs (grands-)parents dans lescommunauts Qom dans la province du Chaco (2004), et de llargir ensuite pour inclure lescommunauts Pitlax de Formosa.Le service encourageait les enfants lire des contes crits en espagnol leurs ans, lestraduisant en qomlek, et dcrire en espagnol et en qomlek les contes traditionnels et leshistoires racontes par leur famille, qui les avaient conservs dans leur mmoire mais ne lesavaient jamais crits jusqualors. Les activits ont t menes dans les coles primaires, sousla surveillance constante des enseignants de la communaut. A ce stade, il est ncessaire deprciser que les coles les plus importantes localises dans les communauts indignesguaykur celles qui tentent de pratiquer une ducation bilingue ont des assistantsenseignants autochtones , des enseignants indignes qui collaborent avec lenseignantofficiel en traduisant les contenus ducatifs aux tudiants natifs. Leur travail au sein duservice Qadede Id?at a t extrmement important, si lon considre que les enfants n'ontpas tellement confiance en leur connaissance soit de lespagnol, soit de leur propre langue.Le service tait initialement prvu pour renforcer les liens familiaux de la famille dans lacommunaut, en utilisant la transmission orale. En partageant cette tradition orale, les grands-parents se rapprochaient de leurs petits-enfants, et ils pouvaient sexprimer dans leur propre

  • 6langue, ce quils avaient trop souvent nglig deux-mmes ou ni cause de la globalisationde la socit actuelle. Au sein des communauts guaykur en Argentine, les jeunes gens engnral pensent que la langue natale et les traditions orales sont juste de vieilles choses quiappartiennent aux vieilles personnes (leurs grands-parents) ; certains parents encouragentmme leurs enfants oublier leur identit pour tre accepts et viter la discrimination quilsont d endurer lorsquils taient jeunes. Ce foss culturel entre les gnrations dhier etdaujourdhui (marqu par lutilisation et la matrise des traditions et de la langue) cassegnralement la communication familiale et les relations. Et cette rupture est la raison dumanque de savoir traditionnel, puisque les canaux de transmission orale sont rompus.A travers ce service, quelques traditions orales ont t retrouves et la capacit lire et criredans les deux langues a t encourage, dans la mesure o les enfants se rendaient comptequils commettaient beaucoup derreurs en essayant dcrire des histoires simples dans lesdeux langues. Ces checs les ont encourags amliorer leurs comptences. Un autre but dece service tait de familiariser les enfants avec les livres et les textes. La plupart dentre euxne connaissaient que des livres crits, et navaient jamais eu de contact avec des livresillustrs, des contes ou des ouvrages rcratifs. Et, travers les enfants, des familles entiresse retrouvrent impliques dans la dcouverte de la lecture et lcriture en espagnol et enqomlek. Peut-tre ce fut le but le plus important atteint par ce service : le temps dun momentmagique, de nombreux grands-parents ont eu leurs joues mouilles de larmes en dcouvrantleurs vieux rcits crits sur un papier et lus voix haute par leurs petits-enfants.Les activits du projet Qadede Id?at ont t mises en uvre pendant six mois dans lescommunauts Qom dans la province de Chaco, toujours en collaboration avec les colesprimaires et leurs enseignants. Elles ont aussi t dveloppes dans certains endroits Pit'laxpendant une priode test de quatre mois, avec les mmes rsultats positifs. Mme si lesadultes au dpart semblaient rticents exprimer ouvertement leur savoir traditionnel en facede leurs enfants, et mme si les enfants taient nerveux cause de leurs connaissancesimparfaites, le plaisir de dcouvrir ensemble le livre et l'identit culturelle de la famille apermis de dpasser toutes ces craintes. Le service de la bibliothque a contribu positivement renforcer les liens familiaux et dvelopper un certain got pour les livres et lacommunication orale. En ce sens, cela a t une sorte de double processus complmentaire : lebilinguisme (oral et crit) a rapproch la famille, et, de cet espace familial, l'identit denaissance transmise par les livres et les traditions orales a t redcouverte.L'impact de ces expriences nous permet d'tablir quelques grands traits de base pour lesfuturs programmes de lecture familiale dans des communauts et des groupes traditionnels,ruraux ou de minorits :

    1. Le savoir peut tre transmis de plusieurs faons (en utilisant le langage crit et parl)et tous deux devraient tre considrs par les bibliothcaires, en prenant en compteque l'oral reprsente toujours le mode principal de transmission d'information pour ungrand nombre de cultures travers le monde. Les bibliothcaires devraient oublier leurstructure base sur les livres et accepter qu'ils soient des gestionnaires de la mmoire.Et, cette mmoire peut tre conserve de diverses faons, les bibliothques devraientadapter leurs structures, de faon flexible, aux besoins et aux caractristiques desutilisateurs qu'elles servent (et non le contraire : adapter les usagers aux structures dela bibliothque).

    2. Les programmes de lecture en famille devraient d'abord comprendre la nature de lastructure familiale de la communaut qu'ils servent, avec leurs problmes, leursconflits internes, leurs faiblesses Les socits rurales, traditionnelles, de minoritsont gnralement des diffrences significatives entre les jeunes et anciennes

  • 7gnrations, et ces programmes ne devraient pas les ignorer, car de telles diffrencespeuvent aisment aboutir l'chec de tout le projet.

    3. Une fois que les structures sociales et familiales ont t comprises et le matriel oral etcrit trouv, le rle de chaque acteur devrait tre clairement identifi. Les enfants sontles acteurs principaux dans ces activits, pour autant qu'ils aillent gnralement l'cole primaire et aient dj quelques aptitudes lire et crire. Les programmes debibliothque devraient se concentrer sur eux, en les encourageant reconnatre labeaut et la valeur des livres (et de la tradition orale), particulirement ceux quireprsentent leur propre univers, leur propre culture, leur propre lieu. En fait, les livreset les traditions lies la culture locale sont les meilleurs lments pour commencerun programme de lecture familiale dans les communauts rurales, traditionnelles : lelien entre le lecteur et le savoir conserv dans les pages de tout livre parat vident etclair, et la relation est plus facile tablir.

    4. Les enfants et leur curiosit sont les meilleurs " collaborateurs de bibliothque"dans un programme de lecture familiale; ils rentreront la maison avec une multitudede questions et avec toutes les dcouvertes merveilleuses faites l'cole et ils enredemanderont plus. Les (grands-)parents seront impliqus dans le programme travers les enfants, en essayant de rpondre leurs questions, en essayant de leurdonner plus d'informations au sujet de leur culture (orale), et en essayant de partageravec eux l'aventure qu'est la dcouverte d'un nouveau monde travers les pages d'unlivre.

    5. Les programmes de lecture en famille peuvent fournir un cadre parfait pour descampagnes d'alphabtisation (bilingue) tant pour les enfants que les parents et pourla redcouverte de la culture. Ils devraient fonctionner comme des projets dedveloppement populaire, et une mthode de recherche-action devrait tre utilisedans leur mise en uvre. Des donnes qualitatives devraient tre collectes durant leprogramme, de sorte tablir des rsultats selon des paramtres humains, puisque lesbibliothques fournissent un service des tres humains.

    Lorsqu'il est utilis de faon intelligente, ce type de service peut devenir la base pour unebibliothque rurale, traditionnelle: il ouvre les portes et fournit des espaces pour lasocialisation et pour l'expression de la culture et l'hritage locaux; il donne une chanced'apprendre de nouvelles comptences; il soutient et encourage la diversit et le bilinguisme;et il remplit la vie de la communaut avec des sources de rjouissance et de rires. Et peut-trece dernier lment rend-il ce type d'activit le plus important parmi tous les services existantsen bibliothque.

    Conclusion

    La proposition expose dans cet article est une proposition humaniste, totalement centre surdes considrations sociales, donc sur des facteurs humains et personnels. Ce n'est seulementqu' partir d'ides humanistes et de secours, respectueuses des diversits et dumulticulturalisme, et en comprenant les relations interculturelles, qu'une propositionacceptable a pu tre soumise en faveur de ces communauts ngliges depuis longtemps, nonseulement en Argentine, mais dans le reste du monde. Les sciences de l'information et desbibliothques devraient contribuer avec leur sagesse une sagesse dveloppe par des siclesd'exprience la croissance et au dveloppement de groupes humains indignes (et autres).Mais ces sciences doivent d'abord dpasser tous les obstacles qu'elles ont mis sur leur proprechemin pour se rapprocher des communauts, comme leur silence, leurs tours d'ivoire, leurspositions privilgies dans la nouvelle "Socit du Savoir", leur attitude "apolitique" et leur

  • 8"objectivit". Elles doivent devenir profondment impliques dans les problmes de leursusagers, se battant cte cte avec eux pour ne pas les laisser se battre seuls et pour ouvrirleur horizon afin de leur accorder leur libert, leur accs au savoir, leur ducation, laconservation de leur hritage culturel et la perptuation de leur identit.Peut-tre ces penses ressemblent-elles des idaux utopiques, et peuvent-elles insulter lesrieux acadmique et professionnel de nombreux collgues. Mais je vous demande, de malocalisation recule au cur de l'Amrique du Sud entour par le souvenir de milliers desourires Qom, Moqoit et Pit'lax de vous rappeler juste d'une chose : lorsque les utopiessont perdues et que les hommes perdent leurs convictions et leurs nobles idaux, les raisonsde continuer se battre disparaissent tout simplement.Et si nous n'avons pas de raisons de lutter et de rver d'un monde meilleur y a-t-il desraisons de vivre ?