Que Sais-je - La Crise de 1929

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    Q U E SA I S - J E ?

    La crLse de 1929B E R N A R D G A Z I E R

    P r of e ss e ur d e Sciences conomiques l'Universit de Paris 1

    Cinquime dition mise jour3tr mille

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    ISBN 978-2-13-056089-0Dpt lgal - 1re dition: 1982Rimpression de la 5e dition-mise jour: 2009, fvrier

    Presses Universitaires de France, 20076, avenue Reille, 75014 Paris

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    INTRODUCTION

    Ils ne mourraient pas tous, mais tous taient frapps. )) On pourrait appliquer la crise de 1929 le versde La Fontaine. Comme la peste, en effet, la GrandeCrise des annes 1930 a t un flau aveugle et gnralis : rares sont les pays ou les groupes sociaux qui ontt pargns, et les mieux barricads ont souvent tles plus atteints. Le dsastre n'tait-il pas parti destats-Unis, le nouveau gant industriel du monde l'poque, gant dont les perspectives de dveloppement paraissaient sans limites? L'effondrement desaffaires fut d'abord une question de chiffres et de spcialistes ; ainsi le krach )) boursier de New York (octobre 1929) fut-il considr d'assez loin par le grandpublic, mme si les suicides de spculateurs ruins sejetant par les fentres des buildings de Manhattan ontfait les Unes des journaux. Pendant que se multipliaient les faillites et les licenciements, les paniquesmontaires et financires et les banqueroutes tatiques, le devant de la scne restait occup par lesexperts gouvernementaux et les rencontres diplomatiques. Mais peu peu s'imposa une autre ralit: unmonstrueux gchis matriel et humain. Les locomotives brsiliennes consumaient le caf qu'on ne pouvait plus vendre, mme des cours drisoires, lesstocks s'accumulaient, les entreprises fermaient leursportes; des millions de gens se voyaient privsd'emploi, donc de ressources et de dignit, la plupartdu temps sans protection sociale, incapables de payerleurs loyers, rduits l'attente des distributions gra-

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    tuites de nourritures ou de couvertures, acculs l'expulsion, la mendicit, la rvolte.Cette dtresse absurde explique sans doute qu'ilnous reste de cette priode une vritable hantise,consciente ou inconsciente, gale au moins cellequ'inspire l'ventualit d'un nouveau conflit armmondial. Cela peut-il recommencer? Ce petit livren'a videmment pas l'intention de rpondre une tellequestion. Il vise en revanche prciser le cela, faire le tour de ces convulsions du capitalisme auxxe sicle.Depuis quelques annes, cette tche est devenue enun sens plus facile: avec le recul du temps, les travauxspcialiss se sont multiplis, et l'accumulation des tmoignages et des analyses chaud est maintenantdouble d'tudes historico-conomiques nombreuseset trs documentes. La tentation est grande d'examiner les vnements la lumire de ces apports rcents, qui souvent rectifient tel ou tel aspect, et prsentent dans sa nudit objective et chiffre le dossierde 1929. Cette dcantation, indispensable, n'est cependant qu'une premire tape nos yeux et dans cet ouvrage ; d'abord parce qu'elle ne permet pas de trancher la controverse sur les causes de la catastrophe,controverse qui demeure vive aujourd'hui; ensuiteparce que la discussion ainsi pose est trop courte.Elle nglige d'autres dimensions dont l'importance estvidente. La crise de 1929 a des composantes et dessignifications politiques, sociales, psychologiques etculturelles... Derrire le New Deal de Roosevelt, lamonte tragique du nazisme et les Fronts populaires,pour nous en tenir au politique, il y a l'affirmationqu'un certain capitalisme a fait faillite, et qu'un seuil at franchi dans l'inacceptable. L'branlement fut matriel mais aussi spirituel; de ce point de vue, l'apport

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    des tmoignages de l'poque reste essentiel, singulire-ment dans leurs laborations romanesques, artis-tiques: rcits, photos, films... C'est seulement aprscette exploration qu'il sera possible de poser utilementla question de l'explication et de l'interprtation de la Grande Dpression , et d'amorcer une confronta-tion avec les certitudes et les incertitudes duXXle sicle.

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    Chapitre lLES GRANDEURS CARACTRISTIQUES

    DE LA CRISELa crise de 1929 fut avant tout un effondrement g-nralis de la production dans la quasi-totalit dumonde industrialis (URSS et Japon exclus). Il convient

    d'abord d'en prendre la mesure, en utilisant les grandsindicateurs de l'activit conomique que sont les indices de la production et des changes, ainsi que les tauxde chmage. Ces reprages de base feront l'objet de cepremier chapitre.1. - Une formidable contractionde la production, 1929-1933

    Un pralable s'impose, symbolique. La baisse de laproduction industrielle avait commenc aux tatsUnis dans le cours de 1929. Mais le dclenchement officiel en quelque sorte de la Grande Dpressionfut, le 24 octobre 1929, l'effondrement soudain descours de la Bourse de New York, l'issue d'une fortemonte commence en 1927, acclre deux fois, etmarque par deux paliers, en juin-juillet 1928 et enavril-juin 1929. On peut suivre les soubresauts descours sur le graphique de la page suivante, qui montrele doublement d'un indice synthtique entre 1926et 1929, puis la descente inexorable jusqu'au tiers duniveau de 1926, en 1932. Les cours se raffermissentaprs 1935, pour reculer nouveau en 1937-1938, lors

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    de nouvelles difficults conomiques propres auxtats-Unis.Les traits quantitatifs de l'effondrement durantl'automne 1929 sont bien connus: aprs un maximum le 19 septembre, les cours ont commenc 1926 = 100

    200180160140120100806040

    ~ ~ ~ ~ ~ ~ 1 ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ \ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~Fig. 1. - Cours des actions la Bourse de New Yorkde 1926 1938. Indice Standard Statistics (base: 1926 = 100)

    s'effriter le 3 octobre, et la baisse s'est acclreaprs le 14. Le jeudi 24 octobre restera dans les annales boursires comme le Jeudi noir: prs de13 millions de parts changent de main ce jour-l,alors que le volume usuel quotidien des transactionsest de 4 millions; mais la panique ne dure que lematin, et les interventions massives de banquiers seportant acheteurs font se redresser les cotations. Lapanique devient dfinitive le mardi 29 octobre - le8

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    Mardi noir - o prs de 16 millions de parts sontvendues: la baisse des cours est telle qu'elle annuled'un coup les hausses pourtant rapides des douzederniers mois.Sans procder par de telles ruptures en vingt-quatreheures, l'volution des trois annes 1929-1932 allaittre tout aussi catastrophique, alors mme que lemonde entier avait cess de s'intresser WallStreet : la Bourse de New York se bornait reflterl'effondrement des affaires et de la production commela plupart des autres marchs financiers.Pour quantifier les variations de la production,l'indicateur le plus utilis durant l'entre-deux-guerresest l'indice du volume de la production industrielle, qui couvre, en liminant l'effet des prix,l'activit des mines, du btiment et de l'nergie, d'unepart, et les industries manufacturires, d'autre part(biens de consommation et biens d'investissement).En voici les mouvements (tableau 1) pour les paysrgulirement tudis cette poque, c'est--dire laplupart des pays europens, l'Amrique du Nord,l'URSS et le Japon. Dans la plupart des cas, le maximum observ avant la crise se situe en 1929 (qui estl'anne de base ici); l'Allemagne est une exceptiontout fait notable, son indice culminant 102en 1927, revenant 99 en 1928 et 100 par construction en 1929. Ces chiffres parlent d'eux-mmes:en 1932, l'activit industrielle aux tats-Unis est 54,soit une baisse de moiti ou presque par rapport 1929 ; elle est 53 en Allemagne, 61 en Autriche,63 en Pologne, 64 en Tchcoslovaquie... Quelquespays s'en tirent mieux: l'URSS lance dans son processus d'industrialisation lourde coupe du monde etsymbole du dynamisme socialiste l'poque, le Japonaprs une lgre flexion. Les cas de la Grce, de la

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    Tableau 1. - Mouvement de la production industrielledans diffrents pays (1929 = 100)Pays 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938

    Afrique:Union sud-africaine 107 100 124 144 167Amrique:

    Canada 85 71 58 60 73 81 90 100 90tats-Unisd'Amrique 81 68 54 64 66 76 88 92 72Chili lOI 78 87 96 105 120 124 132 137Mexique 106 134 141 147Asie:

    Japon 95 92 98 113 128 142 151 171 173Europe:Allemagne 88 72 58 65 83 95 106 116 124Autriche 85 70 61 63 70 80 86 103Belgique 89 81 69 72 73' 82 87 96 80Bulgarie 148 143 155Danemark 108 100 91 105 117 125 130 136 135Espagne 99 93 88 84 85 87Estonie 99 91 78 82 96 106 120 139 145Finlande 91 80 83 96 117 125 139 156 156France 100 89 77 83 78 76 80 83 79Grce. 103 107 101 110 125 141 139 151 165Hongrie 95 87 82 88 99 107 118 130 126Irlande 102 143 146Italie 92 78 67 74 80 94 87 100 98Lettonie 109 89 82 112 130 137 143 161 175

    Norvge 10'! 78 93' 94 98 ]08 118 ]30 127Pays-Bas 102 96 84 91 93 90 91 103 104Pologne 88 77 63 69 77 83 93 109 118Roumanie 97 102 89 103 124 122 130 132 132Royaume-Uni 92 84 83 88 99 106 116 124 116Sude 102 96 89 91 110 123 135 149 146Tchcoslovaquie 89 81 64 60 67 70 80 96URSS 131 161 183 198 238 293 382 424 477

    Ocanie:Nouvelle-Zlande 106 104 109 113 112 121 129 126Monde (noncompris l'URSS) 86 75 64 72 78 86 96 104 93Monde (y com-pris l'URSS) 89 79 70 78 86 96 111 119 112Source: SDN.

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    Nouvelle-Zlande sont relativement peu significatifstant donn la faible part de l'industrie dans ces pays.La France, quant elle, accuse un lger retard et surtout ne touche le fond qu'en 1935, tout comme lesPays-Bas, moins atteints au demeurant.La reprise aprs 1932-1933 s'effectue en ordre dispers. Pour des industries vite remises sur rails,comme celles d'Europe du Nord, du Japon et desrares pays priphriques prsents ici, combien detassements durables: tats-Unis d'abord et Canada,grands pays industriels comme l'Allemagne malgr lamobilisation nazie, la France et d'autres nations europennes (Tchcoslovaquie, Pologne) ; la situation dela Grande-Bretagne est intermdiaire.L'amlioration n'est, du reste, pas exempte de re-chutes: la crise de 1937-1938, patente aux Etats-Unisavant tout (recul violent de l'indice de 92 72), souligne la fragilit de la situation conomique capitaliste la fin des annes 1930 : Canada, Belgique, France,Italie, Norvge, Royaume-Uni, telles sont quelquesnations nettement touches. partir de 1938-1939, les problmes changent denature dans un monde en rarmement qui commence rquisitionner le potentiel industriel et mobilisela main-d'uvre par des mesures de plus en plusautoritaires.Il faut souligner, outre l'ampleur des variations globales, l'extrme diversit des volutions de leurs composantes. Il n'y a ici qu'une moyenne annuelle nationale, gommant aussi bien les sautes de mois en moisque les cas extrmes de certaines productions. Parexemple, l'indice des productions d'automobiles,toujours 100 en 1929, est en 1932 26 pourl'Allemagne, 26 aux tats-Unis, 23 au Canada.L'opposition est nette entre les biens d'investissement

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    (machines, fer et acier, ciment, etc.) et les biens deconsommation (textile, alimentation, etc.). Ces derniers rsistent souvent beaucoup mieux la crise. Parexemple, en 1932, l'indice amricain des biensd'investissement tait 27,3 et celui des biens deconsommation 76. Les chiffres allemands correspondants taient 34 et 79.Ces mesures faites l 'poque sont compltes pardes valuations faites depuis: d'abord celles du Produit intrieur brut, qui ajoute l'industrie les productions de l'agriculture et celles des services. Laplace de l'agriculture varie selon les pays, maisl'activit de ce secteur suit ses propres volutionsconjoncturelles: une rcolte est bonne ou mauvaiseselon la mto et la technique de culture, pas selonl'tat des affaires. Le secteur tertiaire - services,commerces, etc. - est caractris par une certaineinertie. De ce fait, les estimations qui sont proposesde nos jours du PIB montrent des mouvements moinsaccentus que ceux de la production industrielle(voir fig. 2).

    Nous avons adopt ici une base 1913 = 100, poursouligner un phnomne qui n'apparat pas dans lesstatistiques en base 1929 = 100 : les trs grandes disparits de croissance durant les annes 1920. On comprend mieux ainsi, par exemple, en quoi la GrandeBretagne est un cas particulier: le faible recul de saproduction industrielle (minimum 83 en 1932) succde un marasme gnralis de 1920 1930. Situation contraire en France: dynamisme de 1920 1930,le marasme vient aprs.Le minimum amricain est maintenant en 1933 etcorrespond une baisse de 30 010 par rapport 1929.La contraction allemande est de 16 % seulement. Lamasse des vieux pays europens part de trs bas au

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    Tableau 2. - Investissement dans quelques paysde 1925 1938 (en % du PIB)

    Alle- Royaume- Ca- tats-magne France Italie Sude Uni nada Unis1925 13,7 15,2 18,9 11,4 9,1 19,31926 13,6 17,4 19,2 Il,8 8,4 15,7 19,21927 14,6 14,7 17,5 Il,6 8,7 17,4 18,81928 14,5 17,5 16,7 12,4 8,9 19,2 18,41929 12,7 18,3 17,2 12,7 8,8 21,9 17,61930 Il,8 20,8 17,6 13,4 8,9 20,1 15,91931 8,9 19,1 15,8 14,3 8,5 17,1 13,01932 7,5 16,4 13,3 12,1 7,3 Il,6 9,31933 8,7 15,7 14,4 Il,0 7,2 9,1 8,81934 12,3 14,6 15,6 13,8 8,6 10,1 10,51935 15,1 14,7 17,1 16,2 9,1 Il,4 Il,31936 16,1 15,3 18,5 16,5 9,9 12,3 14,51937 17,0 15,6 16,9 18,7 10,6 15,4 14,81938 13,4 15,9 18,9 11,5 14,3 14,0

    Sources: Maddison, Economie Growth in theWest, Allen & Unwin, 1964; Carr, Dubois, Malin-vaud, La croissance franaise, Le Seuil, 1972, pourles chiffres franais.

    Voici des valuations annuelles pour quelques pays,en pourcentage du PIB (tableau 2). Il n'y a pas lieude comparer les niveaux de nation nation: ils peuvent reflter certes des diffrences dans l'effort d'investissement, mais aussi dans les pratiques comptables. Rappelons les flchissements dj constats duPIB; les pourcentages, tous la baisse entre 1930et 1932, montrent quel point les dpenses qui engageaient l'avenir ont t sacrifies. Il s'agit de tauxbruts: autrement dit, ils incluent le renouvellementdes installations uses.

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    Compte tenu du vieillissement normal des quipements, on peut penser que dans nombre de pays ons'est content de remplacer, et pas toujours compltement, les machines mises au rebut - trois flexions sontspectaculaires: tats-Unis, Canada et Allemagne. Onen dduit a contrario un certain maintien des dpensesde consommation (sous rserve de l'volution des importations et des exportations et des mouvements destocks).

    Il. - Baisse gnrale des prix, marasmeet dislocation du commerce mondialLes donnes que nous venons de prsenter sont en volume , c'est--dire que l'effet des hausses ou desbaisses de prix a t neutralis dans l'valuation. Maisles grandeurs observes directement sont en valeur

    et varient aussi en fonction des prix. Ces derniers baissaient dans le monde entier, souvent depuis 1925-1926. En tmoigne le graphique ci-aprs (fig. 3) quiporte sur les prix de dtail, c'est--dire les prix laconsommation (base 100 en 1914). Le phnomne, endpit des apparences, est d'ampleur similaire pourtous les pays prsents: entre 1929 et 1932, les prixont baiss de 17 % au Japon, de 18,6 % aux tatsUnis, de 12 % en France (la baisse allait se prolongerjusqu'en 1935, aboutissant 29 010), de 21 % en Italieet en Allemagne, de 14 % en Grande-Bretagne, et seulement 2 % en Autriche. Le dcalage observ entre laFrance et l'Italie, d'une part (pays auxquels on pourrait joindre par exemple la Belgique et la Finlande), etles autres nations, d'autre part, tient la svrepousse inflationniste conscutive la guerre de 1914-1918 et qui n'a pas t jugule. Les cas allemand et autrichien sont part: l' hyperinflation de 1922-192315

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    ................,l/.....................

    tat-Unis _ ._ .- "1--' -"Allemagne""".,.----r-"-Autriche

    .....Italie . .

    - - -....--- .......... ---------------

    Fig. 3. - Indices des prix la consommation de quelques paysde 1921 1939 (base: 1914 = 100. Source: Maddison, 1981,op. cil.). En raison de l'hyperinflation de 1921-1923, les indicesallemands et autrichiens commencent en 1924 et sont relis labase par les cours de l'or

    qui a frapp les deux pays avait men l'indice 14 602en Allemagne pour 1922, et 15 437 milliards en 1923 ...D'o des indices ne commenant qu'en 1924 avec denouvelles monnaies, indices raccords la base 100par l'intermdiaire de prix relis l'or.Des rsultats plus contrasts encore apparaissent l'examen des statistiques des prix de gros - la haussecomme la baisse -, car ces derniers, concernant desmarchandises en amont du rseau de distribution auxconsommateurs, n'en intgrent pas les charges fixes et

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    rpercutent trs rapidement les fluctuations des coursdes matires premires, qui ont fortement baiss prcisment aprs 1925-1926.Voici quelques ordres de grandeur: entre 1929et 1933, les prix de gros dfinis en monnaie nationaleont baiss de 32 0;0 en Grande-Bretagne, 34 010 en Allemagne, 37 010 en Italie, 38 % en France et 42 010 auxtats-Unis.En consquence, les chiffres observs sur la production et les revenus sont souvent plus spectaculaires

    que les donnes corriges des mouvements des prix:car pour les annes 1929-1933 deux baisses se superposent et se renforcent; dans le cas de la production,il y a celle de l'activit relle et celle de la valeurnominale des produits. L'ordre de grandeur de lacontraction passe aisment de 30 010 50 0/0: parexemple, le PNB l des tats-Unis est valu, en dollarscourants, 104,4 milliards pour 1929. En 1933, il n'estplus que de 56 milliards.Dans un certain nombre de pays, la crise se manifeste ainsi par une diminution de moiti des grandsindicateurs nominaux de la production et du revenunational.Le devenir du commerce international est plus frappant encore: en milliards de dollars-or, la contractiondes importations de 75 pays, calcule par les servicesde la SDN, va d'un maximum de 3,04 milliards enavril 1929 un minimum de 0,944 milliard en f-vrier 1933, soit une baisse de 69 0/0. Une illustration efficace et clbre de l'inexorabilit du phnomne est le

    1. Le Produit national brut diffre du Produit intrieur brut, caril prend en compte les rentres nettes des revenus des facteurs enprovenance de l'tranger (revenus de facteurs provenant du reste dumonde, moins revenus de facteurs pays au reste du monde). Cesgrandeurs n'en sont pas moins souvent proches l'une de l'autre.

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    Avril

    I\IOk'61l}6 OctobreFig. 4. - La spirale de la contraction du commerce mondialde janvier 1929 mars 1933.Valeurs mensuelles en milliards de dollars-or,des importations de 75 pays. Source: SDN

    1929 1930 1931 1932 19331 2,997 7 2,738 9 1,838 9 1,206 0 0,992 4II 2,630 3 2,454 6 1,700 5 1,186 7 0,944 0III 2,814 8 2,563 9 1,889 1 1,230 4 1,056 9IV 3,039 1 2,449 9 1,796 4 1,212 8V 2,967 6 2,447 0 1,764 3 1,150 5VI 2,791 0 2,325 7 1,732 3 1,144 7VII 2,813 9 2,189 5 1,679 6 0,993 7VIII 2,818 5 2,137 7 1,585 9 1,004 6IX 2,773 9 2,164 8 1,572 1 1,029 6X 2,966 8 2,300 8 1,556 3 1,090 4XI 2,888 8 2,051 3 1,470 0 1,093 3XII 2,793 9 2,095 9 1,426 9 1,121 2

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    diagramme en spirale tabli ds 1933 par l'Institut autrichien d'tude de la conjoncture et repris par la SDN(fig. 4). Lorsqu'on limine l'effet de la baisse des prix,la baisse, au lieu d'tre des deux tiers, n'est plus quede 25 0/0. Ce chiffre global en volume ne peut toutefois suffire caractriser l'volution des changes.L'analyse de quatre petits graphiques tablis parla SDN permet de prciser quelques points essentiels

    1929 = 100

    7060

    5 0 ' - - - - ' - - - - L . . - . . . . . . . . . - ~ - - - L . . - . . . . I . . . . . - ~ - - - '

    " O j ~ : . . O j ~ ~ O j ~ ~ O j ~ ~ O j ~ ~ O j ~ " O j n : > < t , , , O j ~ , , O j 4 - " O j ~

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    80 ' " .....,:,),., ,.\,,."

    - Production de base. . . . .. Production industrielle

    (non compris l'URSS)- - - - Volume du commerce mondial

    Fig. 5. - Mouvement annuel de la production mondialeet du commerce mondial(voir fig. 5 et 6). Le premier oppose pour le monde entier trois indices base 100 en 1929 : celui du volume ducommerce mondial, celui de la production industrielle et celui de la production de base, c'est--dire laproduction agricole et les matires premires, brutesou semi-manufactures. La confrontation de ces troisindices conduit situer le flchissement des changesmondiaux entre la trs forte contraction industrielleet la rsistance des productions de base: ce qui ne surprend gure dans la mesure o les deux types de production font l'objet de transactions internationales.

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    EUROPE160 1929 = 100140120

    AMRIQUE DU NORD1929 = 100

    RESTE DU MONDE1929 = 100 B /--

    ///1, ~ . " ' .

    / .. '/ A " ,, ~ . " " " , / .' ,/c

    -- Production de base (A)- - - - Production industrielle (8)

    . . . . . . Volume des exportations (0)- . - . - Volume des importations (C)

    Fig. 6. - Mouvement annuel des changes commerciauxet de la production en Europe, en Amrique du Nordet dans le reste du monde (URSS exclue)Aprs 1932, le vif redressement de l'industrie et leredmarrage des produits de base s'opposent au long

    marasme des changes, tardivement relancs en 1936.La retombe de 1937-1938 est certes commune auxtrois indices, mais en 1938 une forte reprise industrielle - qui n'apparat pas sur le graphique - coexisteavec une stagnation commerciale.

    Cette volution s'claire lorsque l'on reprend lesmmes indices en distinguant trois grandes zones:l'Europe (50 % du commerce mondial), l'Amrique duNord (18 0/0) et le reste du monde (pays neufs ou coloniaux), avec deux indices pour les changes en volume , l'un pour les exportations, l'autre pour les importations. En effet, on constate des situations trsdiffrentes selon les trois groupes. Pour l'Europe, leniveau des changes extrieurs stagne un niveau infrieur de 20 % celui de 1929. Pour l'Amrique duNord, les mouvements, trs violents, sont calqus surceux de la production industrielle, qui accuse unebaisse profonde et ne revient pas au niveau de 1929.Pour le reste du monde, une envole industrielle en-

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    trane en quelque sorte les exportations au-dessus duniveau 100 ds 1934.En notant simplement pour l'instant le dynamismedes pays priphriques, on doit souligner deux points.Le premier, c'est que le redressement industriel europen se fait sans redressement apprciable des changes: la machine conomique tourne nouveauaprs 1932 mais n'entrane plus le commerce mondial; c'est d'abord l'effet de reprises nationales accompagnes de fermetures douanires que nous examinerons plus loin. Le second point est un peu plusdlicat. L'cart durable entre indices des exportationset des importations, dans tous les cas, est favorableaux deux premiers groupes - puisqu'il montre unemoindre rduction des importations -, et trs dfavorable au dernier, pour lequel l'indice des exportationsreste au-dessus de celui des importations. Tout sepasse comme si le pouvoir d'achat des exportationseuropennes compensait le cot d'une masse bien suprieure d'importations. L'explication de ces distorsions est rechercher d'abord dans l'volution compare des prix des produits exports ou imports, ceque l'on appelle les termes de l'change. On peutopposer la fermet des prix industriels (les exportations d'Europe et d'Amrique du Nord portent massivement sur des produits manufacturs; les exportations de la priphrie concernent avant tout desmatires premires) l'effondrement des prix des productions de base. Ont sans doute jou les mouvementsde capitaux et les accords entre pays. Les relationsmarchandes entre colonies et mtropoles rsultaient,pour une large part, de dcisions administratives etpolitiques.Quoi qu'il en soit, le fait majeur qui apparat ici estle dcalage trs marqu entre changes extrieurs et

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    production, surtout pour l'Europe aprs 1932, cela tmoigne de la monte de l'isolationnisme en faveur despays industrialiss; sur le terrain international, on ne joue plus le jeu. Un des matres mots des annes 1930 a t: autarcie; mme si les efforts danscette direction n'ont en dfinitive pas abouti, nous enavons ici la trace chiffre.

    III. - Le chmageC'est dans la prcipitation que les responsablespolitiques, administratifs ou syndicaux ont tabli etmesur la monte du chmage. Les chiffres que nousprsentons pour quelques pays industrialiss sonttous des rvaluations. Ils concernent le pourcentagedes chmeurs totaux dans la population active (enge de travailler et dsireuse de le faire; voir fig. 7).Si l'on a pu parler de taux dpassant 30 0/0, il est ap-

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    Fig. 7. - Taux de chmage dans quelques paysde 1920 1938 en % de 1a population active.Source: Maddison, 1981, op. cil.22

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    paru. q u ~ i l s J concernaient soit des situations locales etnon nationales (telle ville ou telle rgion), soit desbranches- productives dtermines (l'exemple centralest celui. de la. main-d'uvre industrielle). Mais cestaux rectifis ne. mnent pas minimiser la dtressede 1929 1 9 3 J ~Tout d'abord, un. taux global dpassant 15 % estnorme; dans.Ull:monde o la population active ruralereste considrable et n'enregistre gure de chmage- mais souvent de la misre - et o la protection socialeest en gnral inexistante. Le nombre absolu de chmeurs aux tats-Unis aurait avoisin 11-12 millions enmars 1933, pour une population totale de 126millions.Ensuite, parce que ces mesures restent dfinies surune base incomplte: la tendance naturelle del'poque tait de dfinir le chmeur comme une personne ayant perdu son emploi (dfinition tourne vers

    le pass, en quelque sorte), ce qui menait une visionrestrictive cartant du dcompte du chmage desjeunes candidats un premier emploi, sans parler desfemmes. On exclut ainsi de la population active, et parconsquent du dcompte des chmeurs, les travailleurs potentiels qui se heurtent le plus aux difficultsd'embauche.Les chiffres prsents ici sont donc des valuationsminimales.Le cas franais est presque caricatural de ce pointde vue: les donnes sont incertaines et de toute faontrs basses. Entre les deux recensements de 1931et 1936, compte tenu des mouvements de l'immigration et de la dmographie, le nombre d'emplois

    offerts dans l'conomie a baiss de plus de 1 million,alors que le nombre de chmeurs n'a cr quede 500 000 ! Une explication vraisemblable est que denombreux travailleurs jeunes sans emploi ou, au con-23

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    traire, gs de plus de 55 ans ont t exclus du dcompte de la population active - et donc du chmage.L'hypothse d'un retour au foyer fminin massifsemble en revanche moins fonde. Deux lmentsauraient conjugu leurs effets pour minimiserl'valuation du chmage franais: une conomiemoins nettement industrialise que dans les autresgrands pays de l'entre-deux-guerres, auraient rpondudes pratiques statistiques restrictives.Ce qui frappe dans la monte de 1929-1932, outreson ampleur, c'est qu'elle n'est pas suivie d'une redescente symtrique, sauf pour l'Allemagne. Aux tatsUnis, singulirement, la vague emporte tout et ne seretire pas vraiment: le minimum de 1936 reste au niveau de 10 % de la population active, ce qui est dumme ordre de grandeur que le maximum de la crisede 1921 ! Le monde des annes 1930 exprimente lemaintien de forts taux de chmage: le triste privilgeanglais des annes 1920 s'est gnralis.Les moyennes nationales compensent de fortes disparits. Il y a une gographie des chmages. Unexemple suffira ici, celui de la Grande-Bretagne, dontle nord anciennement industrialis (Manchester, Newcastle... ) est beaucoup plus atteint que le sud restdavantage rural.Une illustration des disparits par mtiers se trouvedans les chiffres rassembls par W. Woytinski, syndicaliste allemand et expert auprs du BIT: en juin 1932,selon des valuations des syndicats allemands, il yavait 47 % de leurs adhrents qui chmaient dans labranche mtallurgique, 77 % des charpentiers, 50 0/0dans la verrerie, 33 % dans la chimie l . . .

    1. W. Woytinski, Les consquences sociales de la crise, BIT,1936, p. 155.24

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    Une dernire srie de considrations s'impose: dela rduction autoritaire des horaires avec la baisse cor-respondante du salaire, la mise pied temporaire, lechmage partiel fut une contrainte pour de nombreuxtravailleurs. Cette ralit multiforme est presque im-possible quantifier. On en trouve une trace lo-quente dans la confrontation de deux indices: celuides gains horaires et celui des gains hebdomadaires.Dans le cas amricain par exemple, pour l'industrie,de 1929 1933, les premiers ont baiss de 20 %, les se-conds de 45 % ; ce qui souligne la fois la rductionde la dure moyenne du travail et son impact sur lesrevenus ouvriers: plus que d'un partage du travail ,selon la terminologie actuelle, il s'agissait d'un par-tage du chmage. Et la baisse du temps de travailconstate durant la priode prcde ironiquement la civilisation du loisir que certains prvoyaient dansles socits industrielles dveloppes.

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    Chapitre IILES ENCHANEMENTS

    ,. - L'instabilit capitalistedans l'entre-deux-guerresIl faut se garder du point de vue rtrospectif quiconsisterait noircir la priode entire l'ombre

    d'une fatalit sinistre: surtout au dbut, beaucoupde personnes voyaient dans le renversement de laconjoncture en 1929 un phnomne normal, et dans le krach boursier et les faillites un phnomne moral.Le retournement la baisse de 1928-1929 n'avaitrien d'exceptionnel: mieux encore, il respectait lachronologie familire des crises importantes tellequ'elle tait apparue au cours du XIXe sicle: approximativement, tous les huit ou dix ans. En l'occurrence,la crise de 1920-1921 , marque par un trs vif recul dela production industrielle dans tous les pays dvelopps (baisse de 32 % aux tats-Unis entre mars 1920 etjuillet 1921), avait prcd celle de 1929.

    De mme, une multiplicit d'expriences antrieuresmontrait que les Bourses de valeurs pouvaient exagrer espoirs ou craintes.Ainsi, pendant la crise de 1921, pour nous en tenir elle, deux effondrements boursiers s'taient produits,au Japon et aux tats-Unis. Mais l'indicateur essentieldes retournements conjoncturels tait l'indice des prixde gros, sa baisse signalant l'imminence du ralentissement, et sa hausse les perspectives de reprise. Le

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    chmage semblait la contrepartie invitable de la contraction, et les interventions tatiques visaient accompagner ces volutions tenues pour naturelles l .Telle tait donc, en rsum, l'exprience des payscapitalistes en matire de fluctuations conomiques.Les vnements qui ont suivi 1929 se sont largementcarts de ce schma.

    1. La spculation boursire. - Le krach deWall Street, en dpit de son caractre spectaculaire,n'apparat pas comme une innovation infernale ou lecoup de tonnerre annonant le dluge dans un cielbleu. La plupart des Bourses europennes voluaient la baisse depuis 1928. La spculation fut-elle cette orgie si souvent dnonce par la suite? On asoulign, pour la stigmatiser, la pratique des caliloans, qui permettait de spculer sur des actions enn'en payant que 10 0/0. Le mcanisme est simple:l'acheteur rgle 10 % du prix de l'action et emprunte 90 % l'agent de change; ce dernier se procure la somme auprs des banques, en empruntantde l'argent au jour le jour (on cali en anglais, reportsen franais). Supposons donc une action qui vaut100; l'acheteur avance 10 et le courtier 90 que luiprte une banque. Si les cours montent, disons jusqu' 110, il est possible de revendre l'action avec unbnfice de 10, que se partageront le courtier et sonclient. Avant de recommencer...Cette technique d'achat la marge a t largement utilise en 1928-1929, et les prts aux brokers , c'est--dire aux courtiers, ont volude manire rapide: de 4 milliards de dollars au

    1. Sur les crises conomiques, on pourra consulter PhilippeGilles, Histoire des crises et cycles conomiques, A. Colin, 2004.28

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    31 dcembre 1927 7 milliards au 30 juin 1929 et8,5 milliards au 4 octobre 1929, c'est--dire au premierjour de baisse, pour retomber au niveau de 4 milliardsle 31 dcembre 1929.L'ampleur de la spculation ne fait pas de doute.Elle exerait une forte pression sur le systme financier international, singulirement sur la place de Londres, en attirant les capitaux trangers New Yorkqui servaient acheter directement des actions, ou financer les socits d'investissement ou les cailloans ;on peut comparer les 8 milliards de dollars au montant de la masse montaire amricaine en 1929, estim 46 milliards de dollars; elle ne constitue toutefois enrien une nouveaut sur le plan technique: les achats la marge avaient t pratiqus sur une grandechelle auparavant en France par exemple Lyon lorsdu boom spculatif qui avait men au krach del'Union gnrale de janvier 1882. Des estimations rtrospectives de 1934 permettent de penser que, sur1,5 million de personnes possdant des titres enbourse New York, environ 600 000 pratiquaient lesachats la marge en 1929. Ce qui est videmmentconsidrable, mais ne permet pas de dire que laspculation amricaine tait un phnomne de massegnralis.L'effondrement des cours commenc le 3 octobre 1929 a ruin ainsi de nombreux spculateurs etmis en difficult de nombreuses banques, car le mcanisme des cali loans ne fonctionne qu' une seulecondition, il faut que les cours montent. Initialement,une bonne marche des affaires permet d'anticiperde forts dividendes et donc stimule les changesd'actions, dont les prix montent, puis le march perdde vue les dividendes mesure que l'volution descours permet de raliser des gains par achats et re-

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    ventes. Ce fut le cas en 1929, o les tentatives des autorits montaires pour renchrir le crdit en levantle taux d'escompte - politique traditionnelle en casd'emballement du crdit ou des affaires - ne purentenrayer le mouvement. Il y eut une hausse de 6 9 0/0du taux de l'escompte de la Federal Reserve Bankde New York, en aot 1929. L'effet global de cettehausse fut ambigu: elle devait resserrer le crdit auxtats-Unis, mais aussi renforcer l'attirance des capitaux trangers. Le march continua sur sa lance. Lerenversement tait invitable. Comme on l'a souventremarqu, l'euphorie caractristique du boom spculatif est en soi rvlatrice d'une escalade fragile,puisque la contrepartie relle des actions - usines,machines, stocks de marchandises - est dlaisse. Ledtournement des fonds et de l'attention est ds lors la merci d'un signe dclencheur en apparence anodin;il suffit que quelques gros porteurs commencent vendre et se retirent du march, sous quelque prtexteque ce soit, pour immobiliser la hausse. La baisse appelle ds lors la baisse, et chacun tente de sauver samise par une vente qui prcipite l'effondrement, etdonc la perte de tous. En 1929, le prtexte du retournement new-yorkais fut la faillite frauduleuse, le20 septembre Londres, d'un homme d'affaires vivant d'expdients, Clarence Hatry, qui avait constitu un empire contrlant des fournitures photographiques, des machines sous et diverses socitsfinancires.

    Un mythe doit tre ici dnonc: les suicides deWall Street. Il semble que des journaux londoniens furent les premiers, dans la dbcle qui mettait vif lesnerfs des spculateurs tout comme ceux des courtierscontraints travailler la nuit pour oprer les transactions, voquer la fameuse image de financiers ruins

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    se prcipitant depuis les fentres des buildings deManhattan. L'conomiste amricain J. K. Galbraith admont la lgende en remarquant qu'elle n'a pas debase statistique. Il y eut des suicides, certes, en 1929,mais en moyenne moins que durant les annes 1930 1933. Dans La crise conomique de 1929 (voir bibliographie), voici comment il suggre l'ambiance: Ondisait que les employs d'htel de New York demandaient aux clients s'ils souhaitaient une chambre poury dormir ou pour en sauter. Deux hommes sautrent,les mains unies, d'un tage suprieur du Ritz. Ilsavaient un compte en commun (p. 151). Quelquesgestes de dsespoir spectaculaires ont rencontr probablement une attente collective de justice immanente; et les annes 1930 ont vu fleurir aux tats-Unisenqutes parlementaires sur les pratiques boursires,livres de dnonciation, condamnations de boucs missaires et lgislation restrictive, sur les cali /oans, parexemple.

    2. Tensions et dsordres internationaux. - Si l'onprend du recul par rapport aux vnements boursiers- ce que la chronologie invite faire, puisque la production industrielle dclinait aux tats-Unis depuisl't 1929 - , on est conduit souligner l'instabilit globale de l'entre-deux-guerres. Aucune mesure ne permet de vrifier directement cette assertion. Toutefoisla plupart des donnes sur les rythmes conjoncturelsmondiaux depuis le XIXe sicle montrent des cartsnettement plus forts de 1918 1939 que durant les autres intervalles. Qui plus est, les volutions de la production ou des changes, la hausse ou la baisse,sont remarquablement discordantes selon les pays, etpar exemple la priode 1870-1913 prsente une synchronisation bien suprieure.

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    Cette instabilit et cette dsunion se sont dveloppes l'issue du premier conflit mondial. Deux modalits essentielles imposent un bref examen: un systme montaire et financier international fragile; destensions et des encombrements sur de nombreuxmarchs.Le problme montaire se posait ainsi en 1918:aprs des annes de cours forcs, de contrle des capitaux et de pnuries inflationnistes, comment revenir la libert des changes? Le mcanisme internationalqui prvalait avant 1914 tait celui de l'talon-or.Il reliait entre elles les diffrentes monnaies par l'intermdiaire de leur poids en or fixement dfini : les monnaies taient donc convertibles en or, et le mtal, quicirculait dans le public, tait librement importable etexportable. La Confrence internationale de Gnesen 1922 a consacr un systme diffrent, l'talon dechange-or ( Gold Exchange Standard ), tabli parttonnements aprs 1918. Les ncessits de la reconstruction et de la relance des changes ont conduit conserver la rfrence l'or, mais, compte tenu de sararet et de sa distribution ingale, faire une rfrence au second degr: la monnaie de chaque paysn'est plus lie directement l'or, mais une monnaiefondamentale, dfinie et convertible en or. Les crances sur les pays monnaie centrale , comme on disait, les devises, remplacent donc l'or dans la plupartdes pays. Il y eut deux monnaies centrales, la livresterling et le dollar, qui ont donc largi la base deschanges internationaux. L'or, lui-mme, n'a plus circuler dans le public, il joue un rle de rservenationale tout comme les devises. On voit la vulnrabilit d'un tel systme bipolaire qui consacre l'affaiblissement britannique et la monte encore hsitantedes tats-Unis: la rgulation internationale dpend

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    du contrle et de la coordination des deux centres, etde la confiance que leur accordent les autres pays.Le systme a, en outre, fait ses dbuts dans unegrande confusion: les vicissitudes des inflationsd'aprs guerre (et des hyperinflations pour l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie et la Pologne de 1922 1926) ont men des redfinitions des monnaies europennes par rapport l'or, ou les unes par rapportaux autres, tout fait htrognes et selon un calendrier disparate.

    Ce patchwork montaire s'est doubl dans les annes 1920 de tensions financires importantes quin'ont trouv de solutions que provisoires et trscourt terme. En effet, la liquidation de la guerre aimpliqu deux sries de remboursements extrmement lourds, selon des modalits complexes: d'unepart, le rglement des dettes de guerre; d'autre part,la question dlicate des rparations que devaitpayer l'Allemagne pour avoir perdu le conflit. Ilssont solidaires: d'abord parce qu'une chane ne peutmanquer de s'tablir, les paiements allemands servant rgler ou compenser les dettes interallies, etensuite parce que d'autres prts s'imposent pour financer les paiements allemands: ils proviendrontlogiquement des tats-Unis, promus prteurs endernier ressort du monde europen. D'o simultanment, durant les annes 1920, l'talement progressif des remboursements allemands (le plan Dawesde 1924, le plan Young de 1929) et une sried'accords internationaux aboutissant rduire massivement les dettes interallies. La Confrence deLausanne, en 1932, devait annuler rparations etdettes de guerre, au plus fort de la crise.Tout n'a donc pas t pay, tant s'en faut (sur les132 milliards de marks-or exigs des Allemands, par

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    exemple, 22,5 ont t effectivement verss), mais cequi retient l'attention ici, c'est la faiblesse de la position des nations dbitrices: une dette massive longterme pse sur leur conomie, et elles sont contraintes un recours grandissant aux capitaux court termepour quilibrer le dispositif. Car, en l'absence d'organisme prteur international (la Banque des rglements internationaux date de 1930), les nations sontsoumises au bon vouloir bancaire singulirement amricain. Ces contributions prives sont volatiles, et leurarrt peut entraner des banqueroutes pures et simples. Ainsi tout un difice vulnrable fut-il construit.Si le problme dominant fut celui de ces crances deguerre, l'analyse peut tre tendue et prendre encompte simultanment la dimension montaire et ladimension financire. Les devises sont des crances court terme et dpendent du degr de confiance qu'onleur accorde: le bon fonctionnement des changesinternationaux dans leur ensemble reposait sur lemaintien d'une confiance qui pouvait aisment fairedfaut.

    La situation des grands marchs internationaux dematires premires, de produits agricoles et industrielstait, elle aussi, tendue et prcaire durant les annes 1920. En effet, acclrant le dclin de la part europenne dans la production mondiale, la GrandeGuerre avait pratiquement interrompu les exportations des belligrants - en 1913, l'Angleterre,l'Allemagne et la France exportaient elles trois60 % des biens manufacturs dans le monde. Enconsquence, tout un processus de dveloppement descontributions amricaines et japonaises, entre autres,s'tait mis en place pour fournir les anciens clients del'Europe. Cette substitution fut aussi l'occasion d'uneperce agricole de pays neufs. Les mtropoles euro-

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    pennes se retrouvrent avec des problmes aigus dedbouchs et des industries de base passablementvieillies lorsque aux alentours de 1925, elles eurent termin leur reconstruction. Les tensions se sont renforces les unes les autres. Les difficults du recyclage industriel europen ont pour consquence une faibledemande en matires premires, dont l'exportationpermet aux pays peu industrialiss de payer leursachats de produits manufacturs: tout dpend doncde la poursuite de l'expansion industrielle mondiale etde l'quilibre de ces balances de paiements priphriques - on retrouve alors l'difice du crdit international. D'o de fortes tentations protectionnistes: enmatire industrielle pour les pays neufs redcouvrantla concurrence europenne, en matire agricole pourles pays europens reconstituant leur potentiel. La priode d'aprs guerre est celle des rorientations commerciales et du renforcement des protections douanires : si les annes 1930 donnent le jour un mondepeu peu barricad derrire des systmes de taxes etde quotas, on aurait tort d'oublier que pendant lesannes 1920 on avait dj assist une authentique monte des rflexes protectionnistes. Enfin,l'engorgement agricole ne fait gure de doute: aprsles annes dores de 1914 1920, pour les pays quichappent au conflit mondial, l'extension des surfacescultives coexiste avec des progrs techniques importants. Lorsque la demande ne suit pas, les prix baissent et les stocks s'accumulent. Tel est le cas du blet du sucre, dont la production crot fortemententre 1926 et 1930 alors que les prix baissent. On a puparler d'une vritable dpression agricole durantles annes 1920, rsultant d'une forte baisse des prixagricoles face ceux des produits industriels, et impliquant de grandes difficults financires pour les pay-

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    sans endetts et un appauvrissement progressif de tousles producteurs, dans les pays riches comme dans lesnations priphriques.Il. - De la dflation la dpression

    1. Un processus cumulatif de baisse des prix et del'activit. - Ces volutions dfavorables ne doiventpas faire oublier le dynamisme indiscutable et mmeprovocant des annes folles. Parler de boomentre 1925 et 1929 serait excessif; toutefois, l'expansion est frappante dans la plupart des pays du mondecapitaliste. Il y eut quelques rcessions (en 1926 pourl'Allemagne et la Grande-Bretagne, en 1927 pour lestats-Unis), mais elles furent rapidement rsorbes.Le cas amricain est symbolique d'une re nouvelle;la production annuelle d'automobiles passe de 1,9 million de vhicules en 1919 5,6 millions en 1929, etl'expansion du ptrole, du caoutchouc, de la radio esttout aussi brillante. Ouverture de nouvelles possibilits de consommation, boom de la construction:seule l'agriculture reste globalement l'cart de la prosprit.Le tableau est plus nuanc pour les autres pays industriels. La Belgique et la France bnficient d'uneforte croissance, mais tel n'est pas le cas de la Grande-Bretagne, afflige d'un taux lev de chmage chronique, et de l'Europe en gnral. Le reste du mondelui-mme connat des 'performances trs ingales, voiredes stagnations: par exemple, l'Australie aprs 1927,et le Japon entre 1922 et 1924, puis en 1925-1926.

    Ce qui fait l'originalit du retournement cycliquede 1929, c'est qu'il survient dans un contexte de baisseinternationale des prix, amorce ds 1925-1926 pourla plupart des pays. Dflationniste dans ses antc-36

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    dents, la crise des annes 1930 est svrement dflationniste dans son droulement, si l 'on entend dflation au sens large de contraction des grandeursnominales d'une conomie: restrictions montaireset financires, baisses des prix et des revenus, recul del'activit elle-mme. En dpit des distorsions et dequelques paliers globaux, la baisse a suffisammentfrapp les contemporains pour justifier la phrase deSchumpeter souvent cite: Les gens sentaient le solse drober sous leurs pieds. Cette dflation gnralise semble spcifique dansl'histoire du capitalisme. On peut en effet l'opposerd'une part aux baisses de prix violentes et rapides;par exemple en 1921 la dnivellation totale est comparable, mais elle ne dure qu'un an et succde une inflation rapide. D'autre part, elle s'oppose aux tendances plus longues et irrgulires la baisse en Europeet aux tats-Unis durant certaines priodes duXIXe sicle, tel l'intervalle 1870-1895 : une tendance g-nrale descendante s'tait rvle travers des fluctuations secondaires d'assez fortes amplitudes.Dans sa dimension objective, le processus met enjeu une srie de ractions en chane, comme des effets de dominos : le renversement de la conjonctureindustrielle induit une contraction des changes internationaux et une faible demande pour les matirespremires, dont les prix baissent. Les pays producteurs de ces matires premires rduisent leurs achatsde biens manufacturs, puis se voient contraints labanqueroute ou la dvaluation assortie de contrledes changes, car les dettes contractes ne peuvent plustre honores. De la mme faon, les pays industrielssont agresss par des produits de moins en moinschers, et ne peuvent s'en protger que par des barrires douanires ou des dvaluations. Le mcanisme est

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    renforc par les distorsions des prix conscutives unecapacit de rsistance aux baisses ingales selon lesmarchs. En effet, face la contraction de demande,les producteurs qui peuvent rduire rapidement leursquantits peuvent maintenir les cours, tandis que ceuxqui n'ont gure prise sur les quantits subissentl'effondrement des cours - et tentent souvent de produire davantage! Dans le premier cas, il y a les produits industriels et cartelliss , c'est--dire contrlspar des ententes rassemblant les gros producteurs;dans l'autre, les produits agricoles et les produits debase, et les marchs rgis par une forte concurrence.Ds lors, la contraction des quantits du premiergroupe induit une faible demande de produits de base,donc la baisse des prix du second, ce qui comprometles revenus des producteurs de base, ultimes acheteursde produits industriels... La boucle est boucle.Ces squences internationales ont leur pendant intrieur dans un cercle vicieux bien connu: les licenciements restreignent les dbouchs des entreprises endifficult; la mise au chmage comme solution (pourune entreprise) au ralentissement des affaires accentue

    les difficults, et entrane d'autres licenciements.Mais la dimension subjective n'est pas moins importante; dans le pessimisme ambiant, se dveloppentd'abord des rflexes restrictifs, par exemple limiter lesachats au minimum ncessaire, ne pas investir, pour voir venir , puis de vritables paniques. Celles desannes 1930 furent montaires et bancaires, et culminrent dans une crise financire internationale (1931)et la destruction de l'talon de change-or.2. Des reprises mconnues et timides. - On auraittort toutefois d'attribuer au processus de contractionune toute-puissance qui n'aurait t brise en dfini-

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    tive que par des initiatives tatiques de stimulationconomique. Un simple coup d'il sur le calendrierdes reprises en 1932-1933 impose d'carter une tellevue. Le minimum de la production industrielle enAllemagne est touch en aot 1932, et c'est en septembre que sont prises les mesures dsespres de vonPapen; aux tats-Unis, entre 1932 et 1933, la production industrielle remonte de 16 %, mme si la moitides capacits de production demeurent inutilises. Cesdeux exemples, auxquels on peut joindre la repriseparadoxale de 1935 en France selon A. Sauvy, quivoit la production repartir en mme temps que sontpris les fameux dcrets Laval dflationnistes, montrent suffisamment que les actions gouvernementalespeuvent favoriser ou entraver des retournementsconjoncturels auxquels elles sont extrieures.Il existe dans toute conomie de march des forcesde freinage ralentissant le processus de contraction,capables, avec d'autres, d'inverser la conjoncture. Duct des premires, on trouve les mcanismes qui incitent peu peu certains agents conomiques reprendre une activit plus soutenue. Tout d'abord, mesure que les prix et l'activit baissent, les dtenteurs d'argent liquide voient leur patrimoine crotreen valeur, leur pouvoir d'achat se renforcer, et lathsaurisation devient moins intressante. Ensuite,les faillites et les liquidations d'entreprises offrent celles qui en avaient encore les moyens, l'occasion derachats avantageux, un prix parfois drisoire,d'quipements en bon tat. L'chec des uns restaureainsi la rentabilit des autres. Ces mcanismes restentcontroverss, mais il suffit de noter que les baissesde prix et d'activit font toujours des bnficiairesqui, un moment ou un autre, sont en tat defaire repartir la machine.

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    L'inversion de la conjoncture est ainsi prpare. Entermes techniques, on peut dire que la production devient de plus en plus lastique , c'est--dire susceptible de ragir des stimulations, un renouveau de lademande par exemple. Prcisment, celle-ci ne peutgure manquer de repartir: les dpenses de consommation sont partiellement incompressibles, et lesagents conomiques sont contraints peu peud'utiliser leurs rserves (pargne). De mme, aux niveaux rduits de production, un certain besoin de renouvellement des quipements et installations finit parse faire sentir. On le voit: simultanment des occasions de dbouchs et un redressement de la rentabilit apparaissent, qui sont susceptibles de lancer aprsune priode de pause, un autre processus se nourrissant de lui-mme: le retour de l'expansion.Ces mcanismes ont trs mal jou en 1932-1933.Les reprises ont t phmres, n'ont gure apportd'amlioration, et souvent mme sont passes inaperues du public. La crise, loin de s'orienter vers une rsorption gnralise et cumulative, isole des conomies dsunies qui repartent sur des bases prcaires.En 1937-1938, un nouveau recul violent de l'activitmet l'conomie amricaine une dernire fois en ve-dette; la production industrielle chute de 30 % tandisque le chmage remonte spectaculairement.

    III. - La crise financire amricaine: 1929-1933Divers auteurs ont tent de quantifier les effets del'effondrement de Wall Street, dont deux sont vi

    dents: une baisse de la valeur du patrimoine, et doncdu pouvoir d'achat pour les spculateurs ruins, quidoit se rpercuter dans un affaiblissement de la demande, et le tarissement direct d'une source de finan-40

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    cement pour les entreprises. Ni l'un ni l'autre de ceseffets n'apparaissent suffisants pour expliquer la contraction d'ensemble de l'conomie amricaine.L'activit industrielle avait flchi ds l't 1929. Lesommet de la production automobile a t atteint aumois de mars avec 622 000 vhicules; en septembre, leniveau n'tait dj plus que de 416 000 : on peut doncse focaliser sur les biens de consommation durables,dont l 'automobile n'est que le symbole. Une des innovations des annes folles avait t aux tats-Unisle crdit la consommation. En 1927, 15 % des ventesaux consommateurs se font crdit, mais 85 % desmeubles, 80 % des phonographes, 75 % des machines laver... sont achets crdit. Ce sont ces produitsqui tiennent la vedette dans l'effondrement: en 1930,la baisse de la consommation personnelle est de 6

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    des annes de guerre). Le rapport entre les deux indices montre une supriorit des gains sur les cots quiva jusqu' 20 % en 1917, puis une infriorit entre 5et 20 % jusqu'en 1929 : la crise aggrave violemment lasituation, l'cart passant 40 % entre 1932 et 1933.De 1929 1933, le revenu net des exploitants flchitde 70 0/0.Autre composante du renversement: l'volution dulogement, traditionnellement faite de hauts et de bas.Un vritable boom s'tait produit aux tats-Unisdans la premire partie des annes 1920, culminanten 1926, et plafonnant depuis. La valeur des constructions neuves tait de 12 milliards de dollars en 1926 etseulement de 10,8 milliards en 1929, ce qui restait toutefois considrable puisque c'tait en 1929 encore plusdu double du niveau d'avant 1914; il Y avait doncsaturation cyclique dans la construction.Ces trois lments: rticence des consommateursvis--vis des biens durables, difficults agricoles et fl-chissement du btiment, ont men les chefs d'entreprise des dcisions trs rapides et d'une ampleurindite: rviser la baisse leurs prvisions, puis leursprojets, puis leurs embauches: d'o la mise pied ou horaire rduit des ouvriers et employs, et l'effondrement de l'investissement brut, en 1933, 10 % deson niveau de 1929. Les industries les plus atteintestaient celles qui avaient t les plus vigoureuses durant les annes 1920 : le btiment, les quipements desconsommateurs et des producteurs (baisses respectivesde 85 0/0, 50 % et 75 % de leur production). Rtrospectivement, on ne peut que souligner la violence de cesractions. Elles invitent se pencher attentivement surl'volution du crdit et les convulsions bancaires de lapriode. Il y avait 29 000 banques aux tats-Unisen 1921, et seulement 12000 fin mars 1933 l'issue

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    d'une panique nationale qui avait contraint le nou-veau prsident Roosevelt fermer temporairementtous les tablissements (bank holiday). Il Yeut en faittrois crises violentes successives.

    En juin 1929, les 250 banques les plus importantes,soit 1% du total, rassemblent plus de la moiti desressources. Cette forte concentration a pour contrepartie une poussire de petits tablissements; plusde 80% des banques se trouvent dans des villesde 10 000 habitants au maximum. Le rseau, trs htrogne, est soumis une lgislation disparate: lesbanques locales, soumises une lgislation locale, doivent faire face leurs difficults par elles-mmes. Et,prcisment, les difficults surviennent. Elles sont dedeux types: d'une part, dans les petits tablissementsagricoles, les dpts se rduisent mesure que se dveloppe, plus ou moins selon les rgions, la dtresse paysanne; d'autre part, et surtout, le dclin de l'activit etla baisse des titres ne sont pas compenss par la baissedes engagements en gnral conclus taux fixe. Lesbanques vont donc rviser leurs portefeuilles, restreindre leurs avances, demander de nouvelles garan-ties, etc., afin de restaurer leur liquidit compromisepar la baisse de leurs avoirs. La raction du public setraduit par la thsaurisation, les retraits acclrs defonds, la rue vers la liquidit: ds lors, des tablissements sains se voient compromis, et le cercle vicieuxde la perte de confiance et de la banqueroute est cr.Ses effets se renforcent lorsque se propagent des pressions trangres.Il y eut crescendo dans les paniques, qui attaqurentd'abord les petits tablissements, puis les banques affilies au Federal Reserve System , plus importantes,et enfin le systme entier. La panique de 1933 fut auxyeux des observateurs de la SDN l 'effondrement le

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    plus dramatique de la confiance qu'on ait jamais observ dans aucun pays depuis de longues annes.Cette remarque, sans aucun doute justifie, appelleune importante nuance: la prosprit elle-mmen'avait pas t exempte de faillites, puisque 5 000 banques avaient ferm leurs portes en huit ans, de 1921 1929, soit un rythme moyen de 50 par mois. Il fautdonc souligner la spcificit des problmes amricains : la facilit avec laquelle il tait possible de crerune banque, ft-elle minuscule, avait conduit uneforte indiscipline dans la profession. La dpressionamricaine consiste avant tout dans un effondrementdu crdit (credit crunch) et de la confiance.

    Tout converge au printemps 1933, la stagnation auplus bas niveau de l'activit et la catastrophe bancaireglobale. Dans cette tourmente, les initiatives du prsident Hoover ont souvent t critiques pour leur insuffisance. Leur insuccs seul ne fait ras de doute.Dans le domaine montaire, les Etats-Unis toutcomme la Grande-Bretagne, outre le maniement dutaux d'escompte (le prix de l'argent court terme),pratiquaient une autre technique d'intervention appele un grand avenir: les oprations d'open market,qui consistent pour la banque centrale injecter de lamonnaie centrale dans le circuit en achetant des titresou, au contraire, pomper des liquidits centralesen les vendant. Au lieu d'agir en dernier recours et surun prix (le taux de l'escompte), l'open market permetd'agir en permanence, taux variables, sur une quan-tit fondamentale, la monnaie centrale , puisque selon leur aisance en trsorerie les banques sont mmed'largir ou non leurs oprations de crdit et leur cration montaire. Apparue durant les annes 1920, elleavait t utilise aux tats-Unis dans les deux sens:restrictif lorsque les autorits voulaient neutraliser

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    l'effet expansif d'une arrive d'or (c'est la strilisation de l'or), ou au contraire expansif, avec un certain succs.Les interventions publiques commencent en 1929par un indniable activisme: des injections montairespar l'open market soulagent les difficults bancairesdcoulant du krach boursier. H. Hoover annonce desrductions d'impt (de peu d'ampleur) afin de soutenir le pouvoir d'achat. Le budget fdral est mis en l-ger dficit, ce qui a un effet contracyclique, et on mul

    tiplie les dclarations rassurantes. Nombre d'auteursont soulign la nette amlioration conjoncturelle duprintemps 1930 aux tats-Unis: ralentissement de labaisse des prix, redmarrage de l'activit financirenationale et des prts internationaux... Cette accalmiene devait pas durer. mesure que le temps passe et que se drobe le coin de la rue o l'on devait retrouver la prosprit, les responsables publics affirment la ncessitd'une stricte discipline budgtaire, cependant que lestaux extrmement bas du march montaire (1 0/0 2 %) convainquent les autorits qu'il est inutiled'injecter de l'argent dans un systme bancaire quin'en est pas demandeur, jusqu'en septembre 1931,date laquelle des pressions sur le dollar imposent desrestrictions. Ainsi l'open market est-il, la plupart dutemps, mis en sommeil alors mme que se contractetrs fortement la masse montaire: entre aot 1929 etaot 1933, la chute est d'un tiers.L'ampleur de la catastrophe mne partir de 1931 d'autres mesures: premires aides aux chmeurs,par l'intermdiaire de subventions aux tats locaux,annonce de la politique de grands travaux, rseaux deprts d'urgence, achats de produits agricoles... C'estdans le domaine bancaire que l'action fut la mieux or-

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    ganise. Aprs l'chec, fin 1931, de la NationalCredit Corporation, regroupement de grands tablissements accordant des crdits aux petites banques,Hoover cre en fvrier 1932 la Reconstruction Fi-nance Corporation , au capital entirement vers parle gouvernement, destine faire des avances aux socits financires en difficult, et il assouplit la lgislation bancaire par le Glass-Steagall Act du 27 fvrier 1932. Ces efforts culminent dans l'EmergencyRelief Act de juillet 1932, que reprendra Roosevelten 1933 dans un pays bout de nerfs et massivementpaupris.

    IV. - Les grands axesde propagation internationale

    Chaque pays a ragi diffremment la crise, et lecas amricain n'est qu'un cas particulier, mme fondamental. Mais, d'emble internationale, la dpressionest rapidement devenue mondiale.1. La crise financire internationale de 1931. - Peu

    ou pas matrises tout au long de la priode, rsultantdes disparits objectives de situation dans le mondetout autant que des anticipations de leurs dtenteurs,les volte-face des capitaux court terme ont successivement pnalis puis favoris divers pays. De nombreux auteurs attribuent au tarissement des prts amricains en faveur de l'Allemagne durant l'anne 1928,la premire contraction de l'activit industrielle, annonciatrice du dsastre dans ce pays fondamentalement dbiteur l'poque. Les capitaux amricainsseraient revenus dans leur nation d'origine pour participer l'envol boursier, asphyxiant les marchs financiers allemands. Premier retournement au dbut

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    de 1930 : le redmarrage de l'exportation des capitauxamricains favorise nouveau l'Allemagne. Toutefois, mesure que se confirment les difficults politiquesdcoulant de la monte nazie (premier succs lectoraldu NSDAP en septembre 1930) et q.ue se rvle la prcarit bancaire germanique pendant que la GrandeBretagne et les tats-Unis font face une situationaggrave, c'est la France qui apparat comme un refuge. Aprs 1933, les tendances rformatrices du New Deal de Roosevelt, puis du Front populaireen France, ramnent Londres les capitaux flottants,qui reviendront en France aprs 1938 et le retour aupouvoir d'une quipe librale...Ces mouvements de bascule trouvent leur paroxysme durant la crise financire internationalede 1931 qui aboutit la destruction de l'talon dechange-or. Trois pays furent successivement au curde la tourmente: l'Autriche, l'Allemagne et l'Angleterre. En mai 1931, une gigantesque banque autrichienne, le Crdit Anstalt,. constitue en 1929 (ellegrait 70 % des dpts du pays, nous sommes auxantipodes du cas amricain), doit faire appel uneaide publique internationale car elle est engage dansune srie d'achats d'actions et de prts, solds pardes pertes normes. C'est alors que se dclenche unevague de retraits massifs, moiti autrichienne, moititrangre, qui la contraint en trois jours fermer sesportes. Ds lors, la situation Vienne dpend deprts internationaux court terme, et cela non sanspressions politiques (la France tente de dissuaderl'Autriche de raliser son projet d'union douanireavec l'Allemagne), d'o la chute du gouvernementautrichien et en mme temps un vritable assaut surles banques hongroises, tchques, roumaines, polonaises et allemandes.

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    En juin, la pression monte dans ce dernier pays, etse mettent en place les dtonateurs qui vont oprer enjuillet. En effet, le 17 juin, une entreprise de textile, laNord wolle, fait faillite; elle avait achet un important stock de laine (en escomptant une remonte descours) grce des avances d'une grande banque,la Darmstadter und National Bank (la Danat).L'explosion du dbut juillet voit la dconfiture de laDanat. Toutes les banques ferment le 13 juillet 1931,pour rouvrir le 16, avec gel de tous les crdits trangers et constitution d'un groupement interbancairerendant tous les tablissements solidaires les uns desautres. Au 1er aot, le taux d'escompte atteint 15 0/0(ce qui est considrable) et le contrle des changes segnralise dans tous les pays d'Europe centrale etorientale.C'est alors l'Angleterre que s'attaque la dfiance.En dpit de ses efforts de prts internationaux l'Autriche et l'Allemagne, elle garde une monnaiefragile, juge survalue depuis longtemps, et un stockd'or restreint par rapport celui des tats-Unis et dela France. Un mouvement gnralis de vente de livressterling fait chuter le gouvernement travailliste le24 aot. Le gouvernement d'Union nationale qui leremplace annonce des compressions budgtaires maisne peut enrayer le mouvement: au contraire, de multiples protestations ruinent l'annonce de discipline budgtaire par une annonce d'indiscipline sociale. Le21 septembre 1931, la Grande-Bretagne suspend sespaiements en or et laisse flotter la livre sterling, poursix mois croit-on. La dcision avait t prise en troisjours. Ds le lendemain, plusieurs banques centralescommencent convertir des dollars en or... Toutefois,la pression sur le dollar n'aboutira pas un effondrement amricain: elle renforcera la prudence des auto-

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    rits montaires outre-Atlantique, les menant releverle taux d'escompte, ce qui compromettra la reprise New York. La dvaluation du dollar aura lieuen 1933, mais sans qu'elle rsulte d'une forte pressionspculative.

    2. changes extrieurs et ractions tatiques. Face aux dsquilibres des changes extrieurs et d'ventuelles attaques montaires, la dflation au sensstrict consiste restreindre la multiplication desmoyens de paiement par de strictes conomies budgtaires, des rductions autoritaires de prix ou de salaires et un freinage du crdit. On espre par l peser surle niveau des prix internes du pays et donc restaurer sacomptitivit: mieux vendre l'extrieur, rsister auxproduits trangers, attirer les capitaux. Cette optionfut retenue successivement par le Japon, ds 1929, laNouvelle-Zlande, la Grande-Bretagne, comme on l'avu, l'Allemagne et l'Australie en 1931 ; cependant queles efforts franais les plus significatifs datent de 1935et sont donc particulirement tardifs.Ces efforts passent par des mesures spectaculaires:rduction de 10 0/0, voire davantage, de tous les salaires, suspension de certains paiements... La riposte sociale est vidente et violente. On a dj parl des remous britanniques; il y eut d'authentiques meutes enAustralie, Sydney et Perth et en Nouvelle-Zlandeen 1932. Outre ces risques, qui ne sont pas minces, lesmultiples rigidits des conomies limitent dans la plupart des cas les effets de la baisse.Ds lors, la dvaluation apparat comme une alternative efficace et relativement indolore: abaisser laparit de sa monnaie par rapport aux autres soit en lalaissant flotter , c'est--dire en laissant les courschuter (dans l'hypothse o la monnaie subit des ten-

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    sions), soit en modifiant sa dfinition-or, c'est d'abordviter une dfense potentiellement coteuse en rserves de mtal prcieux et en devises, et c'est remplacerla dflation interne par des mesures en principe susceptibles de stabiliser ou soutenir les prix et l'activitdu pays; les exportations sont stimules par l'abaissement de leur valeur en monnaie trangre, cependantque les importations sont renchries; il peut y avoirinflation, au moins pour un temps.Dans la conjoncture des premires annes de crise,deux traits distinctifs ont caractris les dvaluations:tout d'abord, nombre d'entre elles ont t forces;lorsqu'une vive spculation puise les rserves d'unpays, ce peut tre la seule issue. Mais une simple volution du commerce extrieur peut y conduire, pourdes nations vulnrables. On a voqu la dcision anglaise de 1931, qui correspond au premier cas. Le se-cond n'est pas moins important. En tmoignent49 pays exportateurs de produits primaires, classspar le pourcentage parfois effarant de baisse de leursexportations en valeur, de 1928-1929 1932-1933(voir tableau 3). Si l'on ajoute cette contraction nominale l'arrt du flux des prts internationaux (anticipant une insolvabilit future), on comprend qu'unetelle asphyxie ne laisse comme issue qu'une dvaluation assortie de contrles des changes et d'une limitation draconienne des importations.Ensuite, chaque dcision nationale signifie le reportet ventuellement l'accentuation des pressions dflationnistes sur d'autres pays, puisqu'ils auront plus demal encore vendre et devront rsister des produitstrangers devenus soudain meilleur march. La dvaluation dans cette perspective a d'autant plus de succs qu'elle survient tt et qu'elle est forte - du moinspour les pays qui ne sont pas en banqueroute. Il y a

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    Tableau 3. - Baisse des exportations de 49 pays,de 1928-1929 1932-1933, en pourcentages% de baissePlus de 80 0/0De 75 800/0De 70 75 0/ 0De 65 700/0

    De 60 65 %De 55 600/0De 50 550/0De 45 500/0De 30 45 0/0

    PaysChiliChineBolivie, Cuba, Malaisie, Prou, SalvadorArgentine, Canada, Ceylan, Indes nerlandaises,Estonie, Guatemala, Inde, Irlande, Lettonie,Mexique, Siam, EspagneBrsil, Rpublique dominicaine, gypte, Grce,Hati, Hongrie, Pays-Bas, Nicaragua, Nigeria,Pologne, YougoslavieDanemark, quateur, Honduras, NouvelleZlandeAustralie, Bulgarie, Colombie, Costa-Rica,Finlande, Panama, ParaguayNorvge, Perse, Portugal, RoumanieLituanie, Philippines, Turquie, Venezuela

    Source: S. G. Triantis, Cyclical Changes in TradeBalances of Countries Exporting Primary Products,1927-1933 (Toronto, 1967).a un aspect de guerre conomique dans la cascade des dprciations montaires.Les deux options: dflation ou dvaluation,convergent donc dans une restriction indirecte deschanges internationaux, chaque pays tentant d'acheter moins pour vendre plus. La troisime option estvidemment la restriction directe: le protectionnisme,avec ses diffrentes possibilits: les droits de douanepartiels ou gnraux, les quotas ou contingentements,

    les interdictions pures et simples. Une logique deprotection, puis de rtorsion a rassembl ces diverseslignes d'action dans un enchanement destructeur, isolant peu peu les changistes en zones.51

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    Ds 1930, la SDN avait vu le danger: dans uneconfrence douanire en fvrier, 30 pays europenss'taient engags ne pas rompre les liens commerciaux qui les unissaient. Mais les pressions restrictivestriomphent ds le mois de juin aux tats-Unis, pays tradition protectionniste, o le tarif HawleySmoot prvoit une augmentation de 40 % des droitssur le bl, le coton, la viande et les produits industriels. De 1930 1933 se multiplient les tentatives dedflation, les dvaluations en chane et les mesuresprotectionnistes, dans une ambiance d'impuissance internationale, alors mme qu'un vritable ballet diplomatique s'ouvre entre les puissants d'alors, sans rsultat tangible. La confrence montaire mondiale deLondres Uuin 1933) met un point d'orgue ce processus; ultime tentative de concertation internationale,runissant 70 tats un moment o les tats-Unisvenaient d'abandonner la convertibilit du dollar(mars 1933) et mettaient en route les rformes de Roosevelt, elle se solde par un chec. Le reprsentant amricain, Cordell Hull, se rallie initialement aux propositions de stabilisation concerte. Mais une baisse Wall Street montre l 'inquitude des milieux financierspeu dsireux de voir le dollar nouveau dfendu enparit fixe, et Roosevelt refuse finalement tout accordmontaire international.Voici le bilan des dvaluations de 1929 1933 (voirtableau 4).La dislocation du systme montaire internationalfut totale en 1935-1936, lorsque le Bloc-Or , quiregroupait quelques monnaies fidles la paritd'avant 1929 : celles de la France, de la Belgique, desPays-Bas, du Luxembourg, de l'Italie et de la Suisse,s'effrita peu peu. Ces champions de la monnaie fortetaient soit de tout petits pays, soit des nations vic-

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    Tableau 4. - volution de la politique montaire 1929-1933.Abandon de l'talon-orDate de la dprciationpar rapport l'or Suspension Institution officielleofficielle du contrleAnne Mois Pays de l'talon-or des changes

    (Pays dont la monnaie s'est dprcie par rapport l'or)1929 avril Uruguay dcembre 29 7 septembre 31novembre Argentine dcembre 29 10 octobre 31novembre Paraguay 1 aot 32dcembre Brsil 18 mai 311930 mars Australie 17 dcembre 29

    avril Nouvelle-Zlande 1er janvier 32septembre Venezuela1931 aot Mexique 25 juillet 31septembre Royaume-Uni 21 septembre 31septembre Danemark 29 septembre 31 18 novembre 31septembre Canada 19 octobre 31septembre gypte 23 septembre 31septembre Bolivie 25 septembre 31 3 octobre 31septembre Inde 21 septembre 31septembre Irlande 26 septembre 31septembre Malaisie britannique 21 septembre 31septembre Norvge 29 septembre 31septembre Sude 29 septembre 31octobre Autriche (5 avril 33) 9 octobre 31octobre Finlande 12 octobre 31octobre Portugal 31 dcembre 31 21 octobre 22octobre Salvador 8 octobre 31dcembre Japon 13 dcembre 31 1er juillet 321932 janvier Colombie 21 septembre 31 21 septembre 31janvier Costa-Rica 16 janvier 32janvier Nicaragua 13 septembre 31mars Perse2avril Chili 20 avril 32 30 juillet 31avril Grce 26 avril 32 28 septembre 31mai Prou 18 mai 32juin Siam Il mai 32juillet Yougoslavie 7 octobre 311933 janvier Afrique du Sud 28 dcembre 32avril tats-Unis d'Amrique 6 nwrs 33 6 lnars 33avril Guatemalaavril Honduras3avril Panama (4)avril Philippine (4)juin Estonie 28 juin 33 18 novembre 31

    1. Le Paraguay a pour talon de change le peso argentin.2. La Perse abandonne l 'talon-argent en mars 1932.3. Le dollar fonctionnait comme talon dans ces trois pays.

    Source: SDN.

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    times d'une forte inflation aprs 1918, dont la paritor montaire avait t tablie avant 1929 sur une basedprcie: favoriss pour le commerce internationalvers cette date, ces pays ont durement ressenti leurrenchrissement relatif par la suite, ce qui expliqueleur revirement tardif.Il y eut donc, montairement parlant, quatregroupes de pays: le bloc-dollar, qui unissait autourdes Etats-Unis plusieurs pays d'Amrique et les Philippines; le bloc-sterling, autour de la GrandeBretagne; le bloc-or, jusqu'en 1936; enfin, l'ensemble des pays ayant instaur des systmes dechanges multiples.Les mesures douanires furent prises en ordre dispers et progressif; en gnral, les barrires commencent par une hausse des droits, puis des mesures plusautoritaires sont prises, surtout par les pays qui ne dvaluent pas, cependant que se multiplient les accordsrciproques.

    Si aucun pays n'a chapp cette logique, l'Allemagne nazie, au commerce extrieur dirig par l'tataprs 1934, l'a mene son terme en utilisant systmatiquement le clearing et le dumping.Ces deux termes, paradoxalement anglais, dsignent d'une part un systme de compensation des fluxd'importations et d'exportations par pays, qui imposeen permanence leur quilibre. Il s'agit d'un quasi-trocrgl par un office national des changes, qui cre desliens de dpendance en liant l'coulement de tel produit l'achat de tel autre. D'autre part, la pratique dudumping consiste, outre diverses manipulations montaires, vendre au-dessous du prix de revient, les exportateurs recevant la diffrence d'une caisse de compensation alimente par des cotisations en provenancede l'ensemble de l'conomie.

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    Dans cette volution apparemment irrsistible,deux coups d'arrt doivent tre mentionns pour terminer. Une trve douanire partielle et isole a trendue possible pour les tats-Unis ds 1934, avec laloi Reciprocal Trade Agreements Act qui autorisele prsident rduire de moiti les droits, en signantdes accords particuliers avec certains partenaires commerciaux. Entre 1934 et 1945, les tats-Unis passentdes accords avec 29 nations. De mme, pour viter dsormais les cascades de dvaluations dsordonnes, laFrance, la Grande-Bretagne et les tats-Unis publient, le 25 septembre 1936, une dclaration commune affirmant leur intention de coordonner leurspolitiques montaires.Ces deux initiatives ne peuvent videmment pasrenverser le cours des choses, l'une dans le domainecommercial et l'autre dans le domaine financier. Dumoins prennent-elles date.Un simple fait montre l'ampleur de la dsintgration du commerce mondial induite par le dsordre audbut des annes 1930 : en dcembre 1932, le prix dubl en Italie tait deux fois plus lev Milan qu'Berlin ou Paris, et trois fois plus lev qu' Londres,aux parits en vigueur. Le trait dominant d'un marchmondial pour un produit fondamental - la tendance l'unification des cours compte tenu des frais de transport - avait donc disparu ds cette date.Cette inefficience spectaculaire n'tait videmmentpas le but poursuivi par les responsables des premiresmesures protectionnistes de 1929-1930. Les politiquessuivies durant l'effondrement taient trs largementdes actions-rflexe, entendons ici non pas des dcisions aveugles, mais des ractions difficiles viter, deplus en plus invitables mesure que s'aggravait la catastrophe; une certaine marge de manuvre existe

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    en 1929, qui permet quelques pays de tenter des actions contracycliques, comprenant par exemple desdficits budgtaires (tats-Unis, Australie...) maisaussi des restrictions montaires tmoignant d'unegestion saine des deniers publics. Ces actions ne peuvent gure tre envisages par la suite, du moins tantque l'effondrement des affaires n'apparat pas exceptionnel, puisque le dficit se creuse de lui-mme par larduction des recettes fiscales, et que l'accentuer apparatrait comme une preuve de mauvaise gestion, ce quin'est gure indiqu dans la monte de la dfiance. Lepoids de l'tat dans l'conomie la fin des annes 1920 n'est pas tel qu'il puisse autoriser une actionrapide et de grande ampleur face aux renversementsde conjoncture. De mme les pays victimes du bas niveau des cours ne pouvaient-ils rien entreprendre isolment pour les soutenir et prserver leurs balancesdes paiements: ils auraient fait par l le jeu de laconcurrence et compromis leurs dbouchs, commel'ont expriment par exemple les Brsiliens pour lecaf et les Amricains pour le coton. Autrement dit,en l'absence d'une vritable concertation mondiale,dlicate dans les divergences des volutions et des intrts, chaque pays s'est souvent protg comme il l'apu, prenant au jour le jour des mesures partielles.Cette caractristique essentielle de la plupart des politiques conomiques suivies de 1929 1932-1933 etparfois plus tard, leur dimension rflexe et conservatoire, s'oppose une mutation spectaculaire constatepeu peu: la monte, durant la dtresse, du nationalisme, de l'interventionnisme tatique, et de projets quiajoutent la lutte frontale contre la crise une volontde rgnration sociale.

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    Chapitre IIIUN BRANLEMENT GNRALDU MONDE OCCIDENTAL

    1. - Guerre, crise, guerreLa crise de 1929 est cerne par deux guerres mondiales, elle annule les consquences financires de lapremire mais amorce les prparatifs de la seconde.Les initiatives militaires commencent ds 1934 parl'avance japonaise en Chine, se poursuivent en 1935avec la mainmise de l'Italie fasciste sur l'thiopie, puisle dclenchement de la guerre d'Espagne en 1936.L' gosme sacr et le nationalisme caractrisenttoute la premire moiti du xxe sicle; les initiativescoloniales japonaises et italiennes ne font qu'imiter,avec cinquante ans de retard, l'imprialisme anglais etfranais. L'autoritarisme et l'antiparlementarisme ontculmin dans les dictatures fascistes et nazies, tout autant dans l'URSS lniniste et stalinienne. L'accs aupouvoir de Mussolini date de juin 1921. Le premieressor significatif du Parti national socialiste de Hitlerdate de septembre 1930, lors des lections anticipesprovoques par le chancelier Brning: les nazis passent de 12 107 dputs au Reichstag. On attribuesouvent la crise de 1929 l'arrive au pouvoir de Hitler en 1933, et il est vrai que les enchanements prcisde 1930 justifient le rapprochement: c'est propos dudficit massif d'un systme d'assurance contre le chmage cr en 1927, prvu pour 800 000 personnes et

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    confront 2 millions de chmeurs ds 1930, que lessocialistes furent carts de la coalition au pouvoir enmars. Les volonts de restriction budgtaire l'avaientemport; l'argumentation traditionnelle fait du partinazi l'ultime espoir des chmeurs entre 1930 et 1933,en mme temps qu'est voqu un financement occultepar le patronat. Toutefois, les faits semblent bien maltablis. L'homme du patronat en 1932 tait von Papen, et le financement par le grand capital lui tait rserv pour l'essentiel; dans le parti hitlrien les chmeurs se sont retrouvs au coude coude avec uneclasse moyenne dsoriente et une arme hsitante:autant de groupes aux intrts et aux proccupationsdiffrentes, sduits par une idologie anticapitalisteambigu, soucieuse de redressement national et obnubile par l'humiliation de 1914-1918. En fait, lamonte du nazisme est une composante de la crisede 1929 bien plus qu'une consquence, et ses racinesdoivent tre cherches en de des bouleversementsde 1929-1932 - qui, du reste, ont t plus profonds etviolents aux tats-Unis par exemple.Radicalement diffrente est la situation de l'URSS.Ralit mal connue, elle apparat tout au long de lapriode comme un dfi permanent, une alternativevidente aux dsordres capitalistes. Si, durant les annes 1920, les experts du Komintern annoncent chaque renversement de conjoncture l'effondrementdu systme, la ralit des annes 1930 leur donne raison sur le plan conomique. Mais l'attente de la rvolution mondiale est rapidement due et donne lieu un renversement stratgique spectaculaire: la stratgie classe contre classe prne aprs 1920, quifaisait de la social-dmocratie l'ennemi principal,d'autant plus dangereux qu'il est plus proche des travailleurs, succde aprs 1934, en rponse la monte

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    fasciste et la situation nouvelle cre par la crise, lastratgie frontiste visant favoriser des coalitions bourgeoises, dont les Fronts populaires espagnolet franais sont l'expression la plus connue.Tels sont quelques grands traits de la dramatiquetoile de fond sur laquelle se dtache la crise. Il est impossible d'en faire abstraction lorsque l'on dsire tablir son impact dans le monde et rendre compte desdiverses politiques qui ont tent de la surmonter.

    Il. - Chmage et dsordres sociauxDes enqutes directes auprs des chmeurs ont tlances dans de nombreux pays. Deux sont devenuesclassiques: d'une part, celle d'Edgar Whight Bakke,chercheur amricain qui tudia durant six moisen 1931 une population de 3 000 chmeurs Greenwich, faubourg de Londres: il logeait sur place, accompagnait les ouvriers dans leurs dplacements, etc.Le rsultat fut publi en 1933 sous le titre The Unem-ployed Man. D'autre part, celle d'une quipe del'Universit de Vienne (Autriche), dirige par PaulF. Lazarsfeld, Marie lahoda et Hans Zeisel, qui radiographie pendant l 'hiver 1931-1932 la vie d'un village

    de 1 500 personnes, Marienthal, soumis un chmagequasi total et recevant une aide minuscule de la capitale. L'quipe se distingue doublement: par la minutiedes observations et par son activit de secours etd'animation: distribution de vtements, gestion d'uneclinique gratuite... Le rapport fut publi sous le titre:Die Arbeitlosen von Marienthal. Aprs 1932, de tellesinvestigations se gnralisent en Europe, et en 1933Bakke et Lazarsfeld vont aux tats-Unis. Le premiertudie longuement le chmage New Haven, ce quidonnera lieu son livre clbre, Citizens without Work

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    (1940); cependant que le second, engag parl'administration Roosevelt, largit encore le champ desa collecte en interrogeant 10 000 jeunes Newark, etparticipe la publication de 13 volumes sur les effetssociaux de la Dpression , sous l'gide du SocialScience Research Council.

    Dans ces enqutes, la situation matrielle des populations prives d'emploi, la plupart du temps sansprotection sociale srieuse (voire sans protection dutout, comme aux tats-Unis), apparat comme catastrophique, mais pas tant que leur effondrement moral. Ainsi notent-elles peu d'effets spectaculaires surla sant: les dficiences alimentaires sont claires,mais leurs effets ne se font sentir qu' moyen termeet n 'y apparaissent gure. Les chercheurs constatentla disparition quasi totale de consommation deviande, l'usage gnralis de farines, et une tendance reporter une part grandissante de l'argent disponible sur des achats non essentiels , ainsi le cafnoir peru comme un luxe indispensable. Le dficiten protines de l'ordinaire a donc pour contrepartiediverses consommations spcifiques. En GrandeBretagne, le th, les bonbons, en France, le vin et lecaf. Les chmeurs consacrent aussi une part significative de leur revenu aux paris et au cinma. Un domaine budgtaire est en revanche clairement sacrifi,le vtement.

    Un changement d'tat d'esprit est partout mis envidence mesure que l'preuve se prolonge: en quelques mois le chmeur va de la recherche fivreuse audcouragement, puis l'apathie: lassitude finale decelui qui a renonc tout amour-propre et vite lescontacts sociaux dans une humiliation profonde et anxieuse. Cette volution n'est pas suivie au mmerythme par toutes les familles, et une lninorit, sou-

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    vent dtentrice de revenus suprieurs la moyenne,continue se battre.Sans apparatre dans les enqutes de ce type, le vritable dsastre matriel des plus vulnrables se dduitde quelques indicateurs: 29 personnes mortes de faim New York en 1933 (110 pour les tats-Unisen 1934) ; monte des cas de scorbut, de rachitisme, depellagre. De mme, on assiste la multiplication desexpulsions, cependant que certains propritaires prennent en compte la duret des temps et renoncent leurs loyers pour conserver leurs locataires. Il en rsulte l 'apparition de logements de fortune, taudis entasss sur des terrains vagues; ces regroupements misrables d'expulss sans abri reoivent un nom spcialpar pays: Humpies en Australie, Hoover-villes auxtats-Unis (en l'honneur du prsident Hoover), bidonvilles en France.

    Mais c