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Le Praticien en anesthésie réanimation (2011) 15, 267—269 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉDITORIAL Quel est le niveau de compétence nécessaire pour l’exercice de l’anesthésie pédiatrique ? What is the appropriate level of expertise required for the practice of paediatric anaesthesia? L’enfant présente un certain nombre de spécificités anatomophysiologiques, pharmaco- logiques et psycho-comportementales, ainsi que des pathologies propres à cette période de la vie. Ces particularités modifient, ou au minimum impliquent une adaptation, des modalités de prise en charge anesthésique périopératoire des enfants. Ignorer ou ne tenir compte qu’imparfaitement de ces nécessaires adaptations expose à un risque accru de morbi-mortalité périopératoire. Néanmoins, des complications peuvent survenir malgré ces modifications ; ce qui fait alors la différence pour le patient, c’est le niveau d’expertise du praticien. Cela explique un débat souvent vif lorsqu’il s’agit de savoir qui doit anes- thésier les enfants, en particulier les plus jeunes. La réponse à cette question n’est pas univoque et on peut proposer quelques éléments de réflexion pour tenter de préciser le niveau de compétence nécessaire pour l’exercice de l’anesthésie pédiatrique. La mortalité anesthésique est faible (4·10 6 pour un enfant ASA 1) ; elle a diminué au cours des 30 dernières années, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte [1]. Cependant, l’incidence des arrêts cardiaques per-anesthésiques est plus élevée chez l’enfant que chez l’adulte et ce d’autant plus que l’enfant est jeune, particulièrement avant un an [2—5]. Comme bien souvent, ce risque est majoré chez les enfants de statut ASA 3-5 (OR 3,6 [1,3—8,8,9]) et pour les actes réalisés en urgence (OR 2,8 [1,3—5,9]). De la même fac ¸on, la morbidité est d’autant plus élevée que l’enfant est jeune, avec un risque maximum chez les moins d’un an. Ces résultats s’observent aussi bien pour les complications cardiovasculaires que respiratoires [6—8]. Enfin, les incidents critiques per-anesthésiques sont quatre fois plus fréquents chez les enfants de moins d’un an (8,6 %) que chez les enfants plus âgés (2,1 %) [8]. On voit donc se dessiner une relation particulière entre morbi-mortalité et l’âge des enfants avec la notion de seuil vers à un an de vie. Parmi les facteurs de risque de complications, on retrouve régulièrement l’expérience et la pratique régulière de l’anesthésie pédiatrique. Ainsi, le risque de bradycardie ou d’arrêt cardiaque est moindre avec un anesthésiste expérimenté en pédiatrie [6,9]. Des résultats comparables sont retrouvés concernant les complications respiratoires [10—12]. Un travail franc ¸ais a retrouvé une corrélation entre le nombre d’actes d’anesthésie pédia- trique réalisés annuellement et le taux de complications [13]. Ces résultats vont dans le sens des conclusions du rapport anglais sur les décès périopératoires pédiatriques, qui recommandaient d’éviter l’exercice occasionnel et militaient en faveur d’une activité régulière associée à une politique volontariste d’entretien des compétences en anesthésie (et en chirurgie) pédiatrique [14]. En revanche, définir des volumes minimaux d’activité par anesthésiste n’est pas la solution, car moins d’un quart des anesthésistes consultants 1279-7960/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2011.08.007

Quel est le niveau de compétence nécessaire pour l’exercice de l’anesthésie pédiatrique ?

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2011) 15, 267—269

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ÉDITORIAL

Quel est le niveau de compétence nécessaire pourl’exercice de l’anesthésie pédiatrique ?

What is the appropriate level of expertise required for the practice ofpaediatric anaesthesia?

L’enfant présente un certain nombre de spécificités anatomophysiologiques, pharmaco-logiques et psycho-comportementales, ainsi que des pathologies propres à cette périodede la vie. Ces particularités modifient, ou au minimum impliquent une adaptation, des

modalités de prise en charge anesthésique périopératoire des enfants. Ignorer ou ne tenircompte qu’imparfaitement de ces nécessaires adaptations expose à un risque accru de morbi-mortalité périopératoire. Néanmoins, des complications peuvent survenir malgréces modifications ; ce qui fait alors la différence pour le patient, c’est le niveau d’expertisedu praticien. Cela explique un débat souvent vif lorsqu’il s’agit de savoir qui doit anes-thésier les enfants, en particulier les plus jeunes. La réponse à cette question n’est pasunivoque et on peut proposer quelques éléments de réflexion pour tenter de préciser leniveau de compétence nécessaire pour l’exercice de l’anesthésie pédiatrique.

La mortalité anesthésique est faible (4·10−6 pour un enfant ASA 1) ; elle a diminué aucours des 30 dernières années, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte [1]. Cependant,l’incidence des arrêts cardiaques per-anesthésiques est plus élevée chez l’enfant que chezl’adulte et ce d’autant plus que l’enfant est jeune, particulièrement avant un an [2—5].Comme bien souvent, ce risque est majoré chez les enfants de statut ASA 3-5 (OR 3,6[1,3—8,8,9]) et pour les actes réalisés en urgence (OR 2,8 [1,3—5,9]). De la même facon, lamorbidité est d’autant plus élevée que l’enfant est jeune, avec un risque maximum chez lesmoins d’un an. Ces résultats s’observent aussi bien pour les complications cardiovasculairesque respiratoires [6—8]. Enfin, les incidents critiques per-anesthésiques sont quatre foisplus fréquents chez les enfants de moins d’un an (8,6 %) que chez les enfants plus âgés(2,1 %) [8]. On voit donc se dessiner une relation particulière entre morbi-mortalité etl’âge des enfants avec la notion de seuil vers à un an de vie.

Parmi les facteurs de risque de complications, on retrouve régulièrement l’expérienceet la pratique régulière de l’anesthésie pédiatrique. Ainsi, le risque de bradycardie oud’arrêt cardiaque est moindre avec un anesthésiste expérimenté en pédiatrie [6,9]. Desrésultats comparables sont retrouvés concernant les complications respiratoires [10—12].Un travail francais a retrouvé une corrélation entre le nombre d’actes d’anesthésie pédia-trique réalisés annuellement et le taux de complications [13]. Ces résultats vont dans lesens des conclusions du rapport anglais sur les décès périopératoires pédiatriques, qui

recommandaient d’éviter l’exercice occasionnel et militaient en faveur d’une activitérégulière associée à une politique volontariste d’entretien des compétences en anesthésie(et en chirurgie) pédiatrique [14]. En revanche, définir des volumes minimaux d’activitépar anesthésiste n’est pas la solution, car moins d’un quart des anesthésistes consultants

1279-7960/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.pratan.2011.08.007

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arviennent à satisfaire aux obligations ainsi fixées [15]. Laompétence de l’anesthésiste pouvant influencer le pronos-ic des patients en anesthésie pédiatrique, il est légitime dee pencher sur la formation de ces derniers, qu’il s’agissee formation initiale ou continue.

En France, il n’existe pas de qualification ordinale ennesthésie pédiatrique autorisant l’exercice exclusif de’anesthésie pédiatrique, contrairement à ce qui est faitux États-Unis. La formation théorique et pratique initialen anesthésie pédiatrique est définie dans le cadre duiplôme d’études spécialisées (DES) d’anesthésie et réani-ation (Journal officiel de la République du 26-6-2002).’après une étude de 2000, la majorité des internes formésar la voie du DES répondent aux obligations de forma-ion de la maquette ; un tiers des internes faisant unemestre couplé pédiatrie/obstétrique et deux tiers fai-ant un semestre complet d’anesthésie pédiatrique [16].a formation médicale continue (FMC) en anesthésie pédia-rique a fait l’objet d’un référentiel réalisé sous l’égidee la Sfar, de l’Association des anesthésistes réanima-eurs pédiatriques d’expression francaise (Adarpef) et dufar [17]. Ce référentiel (« Maintien des compétences ennesthésie pédiatrique ») précise les connaissances théo-iques et pratiques requises pour la réalisation de lalupart des actes d’anesthésie pédiatrique. On y recom-ande aux anesthésistes prenant en charge des enfantse réaliser des stages pratiques réguliers dans des centresédiatriques spécialisés. Ce référentiel a servi de base

la création de formations universitaires, permettantn entretien et/ou une mise à jour des connaissancesn anesthésie pédiatrique, qui sont aujourd’hui propo-ées dans plusieurs grandes villes francaises sous formee diplôme interuniversitaire (Angers—Nantes—Rennes ; Bor-eaux ; Lille—Amiens—Caen—Rouen ; Marseille—Paris), deiplôme universitaire (Paris) ou de journées de formationLyon). La formation des praticiens en charge de l’anesthésiees enfants étant relativement bien cadrée, il reste à envisa-er l’aspect organisationnel, qui doit mettre en adéquationes ressources humaines spécialisées et la demande de soinsn anesthésie pédiatrique.

L’organisation de la chirurgie et de l’ORL et parxtension de l’anesthésie, chez l’enfant et l’adolescentst définie dans le schéma régional d’organisationanitaire (Sros) de troisième génération (Circulaireo 517/DHOS/O1/DGS/DGAS du 28 octobre 2004) relative à’élaboration des Sros de l’enfant et de l’adolescent).

Le Sros définit trois niveaux de prise encharge chirurgicale des enfants de 0 à 18 ans : le

centre de proximité, le centre référentspécialisé et le centre référent spécialisé à

vocation régionale ou interrégionale.

Ces centres tissent un réseau régional en fonction de’âge, de la pathologie traitée, de la compétence desquipes chirurgicales et anesthésiques, de l’organisation de

a permanence des soins et du plateau technique de la struc-ure de prise en charge.

Les enfants de moins d’un an doivent être hospitalisésans un centre spécialisé (ou équivalent, par dérogation),

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Éditorial

ù ils seront pris en charge par des anesthésistes spécialisésn pédiatrie.

Les enfants d’un à trois ans doivent pouvoir être pris enharge dans tous les centres pour des pathologies simples.l faut que les anesthésistes aient une expérience et uneratique régulière des enfants de moins de trois ans.

Au-delà de trois ans, les enfants devraient pouvoir êtreris en charge partout, sauf pathologie complexe nécessi-ant une réanimation et/ou un plateau technique spécialisét impliquant un transfert vers un centre spécialisé.

Dans tous les cas, la prise en charge des enfants doit êtreonforme aux recommandations de bonnes pratiques [18] etssurées par des anesthésistes entretenant régulièrementeurs compétences et leurs connaissances en anesthésieédiatrique [17].

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

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Gilles Orliagueta,∗,b,1, Nadège Salvi a,b

a Hôpital Necker—Enfants Malades, Assistancepublique—Hôpitaux de Paris, 149, rue de Sèvres,

75743 Paris cedex 15, Franceb Université Paris-Descartes, 12, rue de

l’École-de-Médecine, 75006 Paris, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(G. Orliaguet)1 Photo de l’auteur.

Disponible sur Internet le 15 octobre 2011