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Sandrine Cueille Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public In: Politiques et management public, vol. 25 n° 4, 2007. Public : nouvelles figures ? Nouvelles frontières ? Actes du seizième Colloque international Florence, 15 et 16 mars 2007organisé en collaboration avec l'Université Paris X (Laboratoires CEROS et CRDP) - Tome 2. pp. 63-80. Résumé La notion de bureaucratie, inspirée des travaux fondateurs de Weber (1921), a longtemps constitué la forme organisationnelle privilégiée pour assurer la réalisation des activités à caractère public. Le courant du New Public Management a largement contribué à remettre en cause ce modèle d'organisation. Ainsi est-il désormais courant de parler de « l'hybridation public-privé » des formes organisationnelles. Cet article vise à susciter une réflexion autour de la question suivante : la forme organisationnelle est-elle révélatrice de la nature - publique ou privée - de l'activité réalisée en son sein ? Une contribution à cette réflexion à travers l'exemple de l'hôpital public français est proposée. La réflexion menée conduit tout d'abord à montrer que la bureaucratie professionnelle, modèle traditionnel d'organisation de l'hôpital, est aujourd'hui largement mise à mal. Les mutations subies par trois dimensions clés de la configuration structurelle de l'hôpital - le mode d'organisation de l'activité, la répartition du pouvoir et la circulation de l'information - sont analysées. Cet article propose ensuite d'examiner les conséquences, sur la production d'une activité de service public, de l'avènement d'un nouveau modèle organisationnel, où la coordination hiérarchique cède la place à une coordination de type réseau. Le nouveau modèle organisationnel identifié se rapproche de celui des « firmes japonaises » décrites parAoki (1988). Il rejoint aussi le « réseau dynamique » décrit par Miles et Snow (1994). L'émergence d'un fonctionnement en réseau de l'hôpital peut aussi s'interpréter comme l'avènement d'un modèle «post-bureaucratique » (Desreumaux, 1996). Les questions des modalités et du périmètre d'application des principes du service public d'une part, et du partage d'une mission de service public au sein de l'hôpital réseau d'autre part, sont soulevées. Citer ce document / Cite this document : Cueille Sandrine. Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public. In: Politiques et management public, vol. 25 n° 4, 2007. Public : nouvelles figures ? Nouvelles frontières ? Actes du seizième Colloque international Florence, 15 et 16 mars 2007organisé en collaboration avec l'Université Paris X (Laboratoires CEROS et CRDP) - Tome 2. pp. 63-80. doi : 10.3406/pomap.2007.2389 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pomap_0758-1726_2007_num_25_4_2389

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

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Sandrine Cueille

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activitéde service public ? Réflexion sur les transformationsorganisationnelles de l'hôpital publicIn: Politiques et management public, vol. 25 n° 4, 2007. Public : nouvelles figures ? Nouvelles frontières ? Actes duseizième Colloque international Florence, 15 et 16 mars 2007organisé en collaboration avec l'Université Paris X(Laboratoires CEROS et CRDP) - Tome 2. pp. 63-80.

RésuméLa notion de bureaucratie, inspirée des travaux fondateurs de Weber (1921), a longtemps constitué la forme organisationnelleprivilégiée pour assurer la réalisation des activités à caractère public. Le courant du New Public Management a largementcontribué à remettre en cause ce modèle d'organisation. Ainsi est-il désormais courant de parler de « l'hybridation public-privé »des formes organisationnelles.

Cet article vise à susciter une réflexion autour de la question suivante : la forme organisationnelle est-elle révélatrice de la nature- publique ou privée - de l'activité réalisée en son sein ? Une contribution à cette réflexion à travers l'exemple de l'hôpital publicfrançais est proposée.

La réflexion menée conduit tout d'abord à montrer que la bureaucratie professionnelle, modèle traditionnel d'organisation del'hôpital, est aujourd'hui largement mise à mal. Les mutations subies par trois dimensions clés de la configuration structurelle del'hôpital - le mode d'organisation de l'activité, la répartition du pouvoir et la circulation de l'information - sont analysées.

Cet article propose ensuite d'examiner les conséquences, sur la production d'une activité de service public, de l'avènement d'unnouveau modèle organisationnel, où la coordination hiérarchique cède la place à une coordination de type réseau. Le nouveaumodèle organisationnel identifié se rapproche de celui des « firmes japonaises » décrites parAoki (1988). Il rejoint aussi le «réseau dynamique » décrit par Miles et Snow (1994). L'émergence d'un fonctionnement en réseau de l'hôpital peut aussis'interpréter comme l'avènement d'un modèle «post-bureaucratique » (Desreumaux, 1996). Les questions des modalités et dupérimètre d'application des principes du service public d'une part, et du partage d'une mission de service public au sein del'hôpital réseau d'autre part, sont soulevées.

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Cueille Sandrine. Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service public ? Réflexion sur lestransformations organisationnelles de l'hôpital public. In: Politiques et management public, vol. 25 n° 4, 2007. Public : nouvellesfigures ? Nouvelles frontières ? Actes du seizième Colloque international Florence, 15 et 16 mars 2007organisé en collaborationavec l'Université Paris X (Laboratoires CEROS et CRDP) - Tome 2. pp. 63-80.

doi : 10.3406/pomap.2007.2389

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pomap_0758-1726_2007_num_25_4_2389

QUELLE FORME ORGANISATIONNELLE POUR LA REALISATION D'UNE ACTIVITÉ DE SERVICE PUBLIC ? RÉFLEXION SUR LES TRANSFORMATIONS ORGANISATIONNELLES DE L'HÔPITAL PUBLIC

Sandrine CUEILLE*

Résumé La notion de bureaucratie, inspirée des travaux fondateurs de Weber (1921), a longtemps constitué la forme organisationnelle privilégiée pour assurer la réalisation des activités à caractère public. Le courant du New Public Management a largement contribué à remettre en cause ce modèle d'organisation. Ainsi est-il désormais courant de parler de « l'hybridation public-privé » des formes organisationnelles.

Cet article vise à susciter une réflexion autour de la question suivante : la forme organisationnelle est-elle révélatrice de la nature - publique ou privée - de l'activité réalisée en son sein ? Une contribution à cette réflexion à travers l'exemple de l'hôpital public français est proposée.

La réflexion menée conduit tout d'abord à montrer que la bureaucratie professionnelle, modèle traditionnel d'organisation de l'hôpital, est aujourd'hui largement mise à mal. Les mutations subies par trois dimensions clés de la configuration structurelle de l'hôpital - le mode d'organisation de l'activité, la répartition du pouvoir et la circulation de l'information - sont analysées.

Cet article propose ensuite d'examiner les conséquences, sur la production d'une activité de service public, de l'avènement d'un nouveau modèle organisationnel, où la coordination hiérarchique cède la place à une coordination de type réseau. Le nouveau modèle organisationnel identifié se rapproche de celui des « firmes japonaises » décrites parAoki (1988). Il rejoint aussi le « réseau dynamique » décrit par Miles et Snow (1994). L'émergence d'un fonctionnement en réseau de l'hôpital peut aussi s'interpréter comme l'avènement d'un modèle «post-bureaucratique » (Desreumaux, 1996). Les questions des modalités et du périmètre d'application des principes du service public d'une part, et du partage d'une mission de service public au sein de l'hôpital réseau d'autre part, sont soulevées.

* CREG-IAE, Université de Pau et des Pays de l'Adour.

Revue POLITIQUES ET MANAGEMENT PUBLIC, Volume 25, n° 4, décembre 2007. © Institut de Management Public - 2007.

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La notion de bureaucratie, inspirée des travaux fondateurs de Weber (1921), a longtemps constitué la forme organisationnelle privilégiée pour assurer la réalisation des activités à caractère public. La combinaison de la rationalité administrative et de l'expertise technique permettrait de protéger l'exercice d'un jugement professionnel dans la production des activités de service public, tandis que les règles et hiérarchies garantiraient la bonne coordination des ressources (Newman, 1998).

Le courant du New Public Management a largement contribué à remettre en cause le modèle d'organisation bureaucratique, en promouvant des valeurs et pratiques issues des entreprises privées, telles que l'efficacité économique et la maîtrise des coûts, la recherche de la satisfaction des « usagers-clients », le développement d'une culture managériale et la gestion individualisée des ressources humaines (cf. par exemple Ferlie et al. (1996)). Ainsi, dans de nombreux pays de l'OCDE1, des formes d'organisation originales, participant à la réalisation de services publics, sont apparues. Il est désormais courant de parler de « l'hybridation public-privé » des formes organisationnelles, concept qui est souvent illustré dans la littérature par l'introduction de « mécanismes de type marché » dans les organisations publiques (cf. par exemple Laçasse (1995)), ou par le cas des partenariats public-privé (cf. notamment Dumez et Jeunemaître (2003)).

Pourtant, des recherches récentes, consacrées aux organisations publiques s'étant éloignées du modèle bureaucratique (cf. notamment Adler et Borys (1996), Olsen (2005), ainsi que Schofield (2001) pour le cas du National Health Service britannique), rappellent que la bureaucratie conserve des atouts majeurs : elle serait bien sûr un instrument privilégié d'équilibre institutionnel (en tant que lieu de transmission de l'idée politique en action), mais également de management, car elle faciliterait le guidage de l'action, clarifierait les responsabilités et tendrait à renforcer la loyauté et l'implication au travail de ses membres.

Cet article vise à susciter une réflexion autour de la question suivante : la forme organisationnelle est-elle révélatrice de la nature - publique ou privée - de l'activité réalisée en son sein ? Une contribution à cette réflexion à travers l'exemple de l'hôpital public français est proposée. Plus précisément, l'objet de ce travail est d'une part de montrer que la bureaucratie professionnelle, modèle traditionnel d'organisation de l'hôpital, est aujourd'hui largement mise à mal. Il s'agit d'autre part d'analyser les conséquences, sur la production d'une activité de service public, de l'avènement d'un nouveau modèle organisationnel, où la coordination hiérarchique cède la place à une coordination de type réseau.

La première partie de l'article permet de décrire et analyser les transformations organisationnelles actuellement à l'œuvre dans les hôpitaux. Ces transformations résultent en grande partie de la réforme dessinée par le Plan Hôpital 20072, qui prévoit la constitution de pôles d'activité, corollaire, sur le plan organisationnel, d'un système de tarification à l'activité.

1 Cf. les travaux du comité PUMA (Public Governance and Management) de l'OCDE. 2 Plan présenté en Conseil des Ministres le 20 novembre 2002.

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service 65 public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

La deuxième partie de l'article conduit d'une part à identifier les bases d'un fonctionnement en réseau de l'hôpital. L'analyse proposée ici met en évidence le rôle clé des pôles d'activité en formation dans les hôpitaux, pôles qui sont amenés à être placés au cœur d'un réseau de relations (intra et extra organisationnelles) dont l'organisation repose sur la notion de parcours du patient. Il s'agit, d'autre part, de s'interroger sur les conséquences de ce nouveau mode de fonctionnement de l'hôpital sur la réalisation d'une activité de service public.

Transformations organisationnelles des lieux de production de services publics : un état des lieux à l'hôpital public français

De nombreuses analyses en théorie des organisations se concentrent sur la thématique du mode de départementalisation, en étudiant notamment la pertinence du critère utilisé pour définir les unités constituantes de l'organisation (notamment le choix entre une départementalisation selon la nature des inputs ou celle des outputs). Cette approche conduit à définir la structure organisationnelle selon quelques grands types : en particulier, fonctionnel, divisionnel et matriciel (cf. par exemple Strategor (2005)).

La notion de configuration structurelle, de design, ou encore d'agencement organisationnel (Desreumaux, 1997) permet une analyse riche de l'organisation car elle inclut non seulement cette question du mode de structuration, mais également celles relatives aux éléments d'infrastructure, aux processus et aux styles de gestion (Fulconis, 2002). Cette approche de l'organisation suppose de définir un ensemble d'attributs susceptibles de la caractériser de manière globale, tant par ses processus que ses composants : par exemple, le degré de formalisation ou de standardisation, le degré de centralisation de l'autorité, le mode de coordination... Les travaux fondateurs de Burns et Stalker (1966) sur la théorie de la contingence structurelle proposent de classer les modes d'organisation selon deux types purs, interprétables comme les deux extrémités d'un continuum : les systèmes mécanistes et les systèmes organiques. Toujours dans les années 1960, le groupe d'Aston propose de caractériser les organisations selon trois grands attributs : le degré de structuration, le degré de concentration de l'autorité, et le type de contrôle opérationnel du flux de travail. Plus récemment, Mintzberg (1982) définit cinq configurations structurelles : la structure simple, la bureaucratie mécaniste, la bureaucratie professionnelle, la structure divisionnalisée et l'adhocratie. Chacune de ces configurations correspond à un mode principal de coordination (de la supervision directe à l'ajustement mutuel), un mode de départementalisation (fonction et/ou marché), un caractère (mécaniste ou organique), un degré de formalisation (faible ou fort) et un degré de décentralisation (sélectif, limité ou fort).

L'analyse présentée ici repose sur l'approche de l'organisation hospitalière en termes de configuration structurelle. Trois dimensions sont retenues afin de la caractériser : le mode d'organisation de l'activité, la répartition du pouvoir, et la circulation de l'information. Dans cette première partie, il est proposé d'analyser en quoi les réformes en cours conduisent à transformer chacune de ces facettes de l'organisation hospitalière.

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Un mode d'organisation de l'activité renouvelé

Trois éléments témoignent du bouleversement du mode d'organisation de l'activité hospitalière : la tendance à l'externalisation de ses composantes « support », son décloisonnement, tant en interne qu'en externe, et, en devenir, sa spécialisation.

- Une tendance à l'externalisation des activités « support »

Les activités « support », au sens de Porter (1986), correspondent, à l'hôpital, à des fonctions n'intervenant certes pas directement au cœur du processus de production, mais néanmoins indispensables à la bonne réalisation de la mission de l'organisation, et nécessitant au quotidien la mobilisation de ressources humaines et matérielles conséquentes : restauration, buanderie, nettoyage... Ces prestataires de services internes sont regroupés sous l'appellation « fonction de support logistique » par Mintzberg (1982). Beaucoup d'hôpitaux ont entrepris, dans un souci d'efficience accrue, d'externaliser toute ou partie de ces activités « support » et de se recentrer ainsi sur leur « cœur de métier ». Cette démarche pose bien évidemment la question du « juste périmètre » de l'organisation. Elle demande également de définir les critères de décision d'une externalisation, tâche complexe, largement étudiée dans la littérature en management (cf. par exemple Quélin (2003)).

- Un double décloisonnement de l'activité

L'organisation de la production de l'hôpital connaît actuellement un phénomène d'ouverture, tant en interne qu'en externe.

En interne, la constitution de pôles d'activité, corollaire, sur le plan organisationnel, de la mise en place du système de tarification à l'activité, est l'un des points saillants de la réforme dessinée par le Plan Hôpital 2007. Les pôles sont définis comme des fédérations de services, visant à un rapprochement d'activités médicales complémentaires, ou à une gestion commune des lits ou équipements, ou encore à un regroupement des moyens en personnels1. Ils sont aussi appelés à devenir des centres de responsabilité, c'est-à-dire des unités destinatrices d'une allocation budgétaire interne et en charge de l'évaluation et de la maîtrise de leurs coûts. La constitution de pôles est supposée améliorer le mode de production de l'hôpital, en renforçant la souplesse et la flexibilité, notamment par l'échange facilité des ressources humaines et matérielles au sein d'un même pôle : organisation de systèmes de remplacement du personnel soignant à l'échelon du pôle, mise en commun d'équipements médicaux. L'émergence d'une organisation par pôle, superposée à celle, pré-existante, des services, devrait donc estomper le cloisonnement interne de la structure, et, potentiellement, conduire à limiter le pouvoir des chefs de service.

Vis-à-vis de l'extérieur, l'ouverture de l'hôpital se manifeste tout d'abord par son insertion croissante dans des systèmes coordonnés de prise en charge des patients. Souvent qualifiés de « réseaux de soins », ces systèmes sont

1 Article L. 6145-16 du Code de la Santé Publique.

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service 67 public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

basés sur l'existence de relations privilégiées entre différentes catégories d'acteurs du secteur de santé, formalisées de façon plus ou moins précises (depuis une simple convention, de partage d'équipement par exemple, jusqu'au groupement d'intérêt public ou au groupement de coopération sanitaire). Ce mode d'organisation des activités de santé repose sur la notion de « parcours du patient », censée guider la mise en cohérence entre les différents « offreurs de soins » : hôpitaux, centres de rééducation, unités de moyen ou long séjour, médecine de ville... De même, le développement des pratiques de télémédecine ou d'hospitalisation à domicile constitue un levier de décloisonnement externe de l'hôpital (cf. le rapport d'information à l'Assemblée nationale sur l'organisation interne de l'hôpital1). « Sortir l'hôpital de ses murs », « en finir avec l'hôpital forteresse », telles sont les expressions employées aujourd'hui pour promouvoir ce mouvement d'ouverture vers l'extérieur des structures hospitalières.

- Vers une spécialisation de l'activité?

La mise en œuvre progressive du système de tarification à l'activité (T2A) peut, en théorie, inciter les hôpitaux à une spécialisation de leur activité. En effet, l'octroi d'un financement, pour chaque « activité » réalisée par l'hôpital (« Groupe Homogène de Séjour »), correspondant à un coût jugé « standard », devrait conduire les établissements à privilégier les activités qu'ils parviennent à produire à un coût inférieur ou égal à l'allocation budgétaire obtenue en contrepartie, et à délaisser les autres.

Dans le même temps, la mise en place, depuis l'Ordonnance d'avril 1996 sur l'hospitalisation publique et privée , de mécanismes de contrôle externe de la qualité des services hospitaliers devrait conduire à maintenir exclusivement dans les établissements des activités dont la réalisation est jugée conforme à certains standards de qualité. L'instance jouant le rôle d'auditeur externe, initialement l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé, aujourd'hui la Haute Autorité de Santé, délivre en effet une accréditation aux services ayant satisfait la procédure d'évaluation.

Toutefois, cette tendance à la spécialisation de l'activité hospitalière, si elle se confirme, ne devra pas compromettre la satisfaction de la mission de service public qui incombe aux hôpitaux, à savoir notamment la couverture (quantitative et qualitative) de la demande de la population locale en matière de santé et la permanence des soins.

1 Rapport d'information à l'Assemblée nationale sur l'organisation interne de l'hôpital, présenté par M. René

Couanau, député, mars 2003. 2 Ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée, Journal Officiel de la République Française du 25 avril 1996, pp. 6320.

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Une nouvelle répartition des pouvoirs

La deuxième dimension organisationnelle permettant d'appréhender la transformation de l'organisation hospitalière est la répartition des pouvoirs au sein de la structure. Trois éléments sont particulièrement illustratifs de cette transformation : le développement du pouvoir des « managers », un élargissement du partage du pouvoir formel et l'organisation progressive d'un pouvoir partagé à la tête des pôles d'activité.

- Le développement du pouvoir des « managers »

L'hôpital est une organisation composée de différents corps professionnels, habituellement classifiés en trois grands types : le corps médical, celui des soignants et celui des administratifs. Le corps dominant est, traditionnellement, celui des médecins, détenteurs de l'expertise nécessaire pour mener à bien la mission de l'organisation. Cependant, cette catégorie professionnelle semble traverser, depuis quelques décennies, « une crise de confiance », largement décrite et analysée dans les travaux des sociologues (cf. notamment Honoré (1992)).

Le réagencement de la répartition des pouvoirs à l'hôpital profite principalement aux « managers », à savoir les personnes en charge de la formulation des orientations stratégiques de l'établissement. En effet, l'accroissement des contraintes financières pesant sur ces institutions tend à renforcer le rôle des acteurs impliqués dans la négociation de l'allocation budgétaire et dans la répartition interne de cette enveloppe. Ce renforcement du poids des « managers » de l'hôpital correspond à une tendance de fond dans les organisations publiques des pays occidentaux, soulignée dans les travaux du New Public Management (cf. notamment Ferlie et al. (1996)).

Cette évolution de la répartition des pouvoirs a avant tout des manifestations informelles (par exemple, un sentiment de perte de légitimité de la part des médecins), mais aussi formelles (par exemple, la « déconcentration » du pouvoir de l'administration de l'hôpital dans les pôles d'activité (cf. infra)).

- Un partage élargi du pouvoir formel dans l'institution

La tendance à l'élargissement de l'exercice du pouvoir formel au sein de l'hôpital concerne avant tout les personnels soignants. Ainsi, au début des années 1990, et à la suite de mouvements de revendication de ce corps professionnel, ont été instaurées des modalités de participation de ces personnels à la vie de l'institution1. C'est ainsi qu'a été créée une instance de représentation, la Commission du Service de Soins Infirmiers, consultée en particulier pour les décisions relatives à l'organisation des soins et lors de l'élaboration du projet d'établissement et du plan de formation continue. Dans le même temps, les conseils de service, censés permettre d'associer les

Décret n° 92-272 du 26 mars 1992 et décret n° 92-819 du 20 août 1992.

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service 69 public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

différentes catégories professionnelles aux décisions relatives à l'organisation de leur service de rattachement, ont officiellement vu le jour.

Plus récemment, une refonte du statut des infirmiers a permis une revalorisation des conditions d'exercice de la profession ainsi que la création d'un corps de « cadre de santé » de catégorie A1. Ces transformations se sont accompagnées d'un changement dans la dénomination de nombreuses fonctions : « cadre infirmier » au lieu de « surveillant », « directeur du service de soins infirmiers » au lieu de « infirmier général ».

Cet effort en vue d'un partage renforcé du pouvoir formel dans l'institution hospitalière contribue donc à un rééquilibrage du pouvoir entre ses différents corps professionnels et à une démocratisation de son fonctionnement.

- La perspective d'un exercice partagé du pouvoir au niveau des pôles d'activité

Les pôles d'activité, actuellement en cours de constitution, sont appelés à être co-dirigés par un médecin, un cadre soignant et un cadre administratif. De plus, certains hôpitaux, comme par exemple le CHU de Nantes, ont jugé utile de désigner pour chaque pôle un « directeur réfèrent », membre de l'équipe de direction, jouant le rôle d'interlocuteur privilégié (Le Maigat, 2004).

Cette association des trois corps professionnels principaux de l'hôpital témoigne de l'intrication croissante des préoccupations « gestionnaires » et relatives à la santé. En effet, un pôle est, par définition, à la fois un ensemble d'activités médicales reposant sur un même cœur de compétences et un centre de responsabilité, c'est-à-dire le lieu d'exercice d'une délégation de gestion.

La transformation des modes de circulation de l'information

La transformation du modèle organisationnel de l'hôpital peut enfin être appréhendée par le biais des modes de circulation de l'information. Deux éléments témoignent de leur évolution : un renforcement des exigences en matière de production de l'information, et la nécessité de réinventer le mode de transmission et de partage des informations et connaissances.

- Des exigences accrues en matière de production de l'information

Plusieurs éléments plaident en faveur de l'amélioration de la production de l'information à l'hôpital.

Tout d'abord, la nécessité d'accroître la transparence de l'information fait aujourd'hui partie des attentes que l'hôpital doit s'efforcer de satisfaire. La Loi

1 Décret n° 2003-695 du 28 juillet 2003 et décret n° 2003-1269 du 23 décembre 2003.

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de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé1 vise en particulier à améliorer la qualité de l'information des patients et de leurs proches. Dans ce but, la constitution d'un « dossier médical personnel » est mise à l'ordre du jour des priorités de l'hôpital2.

Ensuite, il est aujourd'hui nécessaire pour chaque hôpital de produire une « information de gestion médicalisée ». Cette information, issue du codage de l'activité médicale, permet en effet d'alimenter l'actuel Programme de Médicalisation du Système d'Information (et donc de recenser précisément en nature et volume l'activité réalisée). Dans un futur proche, elle conduira à déclencher l'intégralité du financement alloué à l'établissement par application du système de tarification à l'activité. Dès lors, assurer l'exhaustivité de cette information constitue l'une des préoccupations majeures des établissements. Dans l'optique, cohérente avec la constitution des pôles d'activité, de l'utilisation de ce système de financement en interne (c'est-à-dire comme base de calcul de l'allocation budgétaire faite aux pôles), cette préoccupation devrait tant être celle de l'institution que celle des « producteurs » de l'activité médicale.

Enfin, il s'agit désormais de produire une information relative aux coûts de production de l'activité. En effet, dans la perspective d'un financement à l'activité, il s'avère indispensable de pouvoir comparer, pour chaque type d'activité (Groupe Homogène de Séjours) produite, son coût, valorisé au « coût complet » (c'est-à-dire incluant les aspects structurels, administratifs et logistiques et liés à la prise en charge médicale) au montant alloué à l'établissement pour assurer sa production. Cette comparaison devrait conduire à une responsabilisation des pôles, à la fois sur le plan de leurs recettes et de leurs dépenses : des actions telles que le développement quantitatif de l'activité (pour exploiter d'éventuelles économies d'échelle), l'amélioration de l'utilisation des ressources, ou encore la reconfiguration de l'offre de soins (par exemple, le développement de l'hospitalisation de jour) sont dès lors à imaginer (Pratmarty, 2004). La reconfiguration de l'offre de soins pose bien sûr aussi la question d'une éventuelle spécialisation dans les activités produites à un niveau de coût compatible avec le montant du financement obtenu en contrepartie.

- Un mode de transmission et de partage de l'information et des connaissances à réinventer

Au niveau de l'institution hospitalière, apparaissent aujourd'hui de grands enjeux en matière de transmission et de partage de l'information. Il s'agit en effet de garantir un partage contrôlé de l'information médicale, c'est-à-dire en respectant les exigences liées au secret médical, tout en facilitant son obtention pour les personnes qui en sont destinataires (médecins, personnel soignant, patients, proches). La constitution et l'informatisation d'un dossier médical unique pour chaque patient visent à la fois à améliorer la transmission

1 Loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Journal Officiel de la République Française, 5 mars 2002, pp. 41 18. 2 Priorité rappelée par le M. X. Bertrand, Ministre de la Santé et des Solidarités, lors de la « Conférence nationale sur l'Investissement Hospitalier - du Plan Hôpital 2007 au Plan Hôpital 201 2 » du 1 3 février 2007.

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service 71 public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

(« localisation » facilitée du dossier, rapidité de circulation) et le partage (lecture aisée, harmonisation de la présentation) de cette information médicale.

Au niveau des pôles d'activité, il s'agit tout d'abord de disposer de données relatives à la structure et à l'organisation : capacités exactes d'hospitalisation, équipements médicaux et techniques, personnels, compétences... En effet, une gestion efficace des pôles nécessite de pouvoir exploiter les sources de flexibilité qui devraient découler de la constitution même de ces unités. Ensuite, la transmission et le partage des informations médicales à l'intérieur d'un pôle nécessitent un plus grand degré de formalisation qu'au sein d'un service, du fait de certaines caractéristiques du pôle : nombre de personnels considérablement accru, relations interpersonnelles plus lâches... Enfin, sur le plan des connaissances médicales et techniques, un fonctionnement efficace et efficient des pôles suppose une détention plus collective et un effort d'explicitation de ces connaissances. Il s'agit donc d'accentuer le mouvement déjà entrepris dans les hôpitaux à la suite de la technisation de l'activité médicale et du développement du travail en équipe, par exemple dans les blocs opératoires. Ceci va toutefois à rencontre des modes de fonctionnement traditionnels du corps médical, basés à la fois sur la détention d'une expertise individuelle et souvent tacite, et sur une très faible formalisation du partage des connaissances, rendue superflue par la standardisation des qualifications très développée dans les bureaucraties professionnelles et par le découpage, sous forme de « protocole », du processus de soin.

Nouvelles formes organisationnelles et production d'une activité de service public : quelles implications pour l'hôpital public français ?

L'objet de cette partie est tout d'abord de fournir une interprétation de l'ensemble des transformations organisationnelles de l'hôpital identifiées précédemment : loin de constituer des éléments épars, celles-ci révèlent en effet une cohérence certaine. L'argumentation proposée, fondée sur l'utilisation de différentes grilles de lecture, permet d'identifier le passage d'une coordination hiérarchique à une coordination de type réseau. Cette transformation majeure correspond à la disparition du modèle d'organisation traditionnel de l'hôpital, généralement qualifié de bureaucratie professionnelle, et à l'émergence d'un mode de fonctionnement ouvert sur l'environnement et centré sur des pôles de compétences.

Il s'agit ensuite d'analyser les conséquences possibles de ce nouveau modèle organisationnel sur la production d'une activité de service public. Respecter les exigences de ce dernier dans un cadre organisationnel éloigné du modèle bureaucratique comporte en effet un ensemble d'enjeux et de risques pour l'hôpital.

De la coordination hiérarchique à la coordination de type réseau

L'interprétation des transformations organisationnelles de l'hôpital proposée ici repose sur la confrontation de ces transformations à trois modèles d'organisation : bureaucratique, par pôle de compétences, et en réseau.

72 Sandrine CUEILLE

L'inadéquation croissante de la bureaucratie professionnelle

L'hôpital est habituellement décrit comme une bureaucratie professionnelle, au sens de Mintzberg (1982). Ses principales caractéristiques sont la détention du pouvoir par les « professionnels » (en l'occurrence, les médecins), une coordination issue de l'application des principes hiérarchiques (respect des ordres) et de la standardisation des qualifications des « professionnels ». Cette dernière caractéristique explique largement l'habituelle faible formalisation de la transmission des informations médicales entre médecins (cf. supra). Ce modèle d'organisation possède comme principal facteur de contingence un environnement complexe mais stable. Or, l'instabilité croissante de l'environnement des hôpitaux publics laisse supposer l'actuelle inadéquation de ce modèle d'organisation (Contandriopoulos et Souteyrand, 1996). Cette « non-congruence » entre caractéristiques organisationnelles et environnementales devrait conduire à une « sous-performance » de l'organisation, selon les conclusions de la théorie de la contingence structurelle (cf. notamment Burns et Stalker (1966) et Lawrence et Lorsch (1973)). Une explication de cette « sous-performance » réside dans l'apparition de certains dysfonctionnements, propres au « dérives » des organisations bureaucratiques.

Depuis sa définition par Weber (1921) en tant qu'idéal-type, de multiples travaux ont identifié et analysé les dysfonctionnements de la bureaucratie. Ces dysfonctionnements, symptômes de l'apparition d'une « bureaucratie pathologique », appartiennent à deux catégories principales, largement interreliées : la faible capacité d'adaptation de l'organisation et les difficultés dans la réalisation de sa mission. La première catégorie de dysfonctionnements est notamment analysée dans de nombreux travaux de Crozier (1963, 1989) qui exposent les déterminants et manifestations des rigidités et blocages des organisations bureaucratiques, notamment dans le cas français. Une illustration particulière de cette faible capacité d'adaptation réside dans les difficultés d'apprentissage de l'organisation. Elles seraient en partie la conséquence d'une incapacité à concevoir de nouvelles solutions : la généralisation à partir de situations similaires (cf. par exemple March (1993)), la ritualisation des procédures, la routinisation sont autant de pratiques identifiées dans les bureaucraties. Les dysfonctionnements dans la réalisation de la mission sont de deux grands types. Il s'agit d'une part de la substitution de sous-objectifs aux objectifs premiers de l'organisation. Ce phénomène, dépeint en particulier par Merton (1952), consiste à faire du respect des règles administratives l'objectif principal de l'organisation, et donc à y confondre les moyens et les fins. Ceci est d'autant plus préjudiciable que la bureaucratie tend à renforcer, au fil du temps, les textes qui régissent son fonctionnement (cf. notamment Gouldner (1954)). De même, l'utilisation de procédures inadéquates, face à certains problèmes, conduit à une mauvaise réalisation de la mission de l'organisation. Le développement de la « technocratie », c'est-à- dire la prise du pouvoir par les détenteurs d'expertise technique, au détriment des politiques, constitue une illustration de ce déplacement des buts. L'une des motivations principales des membres de l'organisation bureaucratique serait d'ailleurs la quête perpétuelle du renforcement de leur pouvoir. D'autre part, la tendance au «sous-effort», identifiée par Selznik (1943),

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service 73 public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

caractériserait les organisations bureaucratiques, où se produirait rapidement un alignement du niveau d'effort de tous les membres sur le niveau minimum.

- De la hiérarchie administrative à la structuration par pôle de compétences

La structuration de l'hôpital autour de pôles d'activité va au-delà d'un « redimensionnement » des unités de production, mais est porteuse d'un nouveau modèle d'organisation : concevoir l'hôpital comme un ensemble de pôles de compétences peut conduire à modifier substantiellement le processus de formulation stratégique de cette institution, et ce pour deux raisons.

D'une part, structurer une organisation autour de pôles permet de donner à ces entités le rôle d'impulseur dans la définition des orientations stratégiques. Le développement d'une définition suivant de manière privilégiée un mouvement de la base vers le sommet de l'organisation (« bottom-up ») va à rencontre de l'idée de l'exécution d'une mission dictée par une hiérarchie administrative.

D'autre part, cette structuration fait de la détention de compétences le point de départ de la définition des orientations stratégiques. Il s'agit là d'une conception très similaire à celle développée par Hamel et Prahalad (1989). Elle suppose de considérer l'organisation comme un ensemble de ressources, dans l'optique des travaux de la Resource Based View (cf. notamment Penrose (1959) et Wernerfelt (1984)). Dès lors, l'élaboration de la stratégie correspond davantage à un processus « inside-out » (où les caractéristiques de l'organisation, et notamment les compétences détenues, sont considérées comme le point de départ de la formulation stratégique) qu' « outside-in » (où la stratégie est conçue comme une réponse aux caractéristiques de l'environnement dûment analysé). Cette dernière conception apparaît d'ailleurs comme peu pertinente lorsque l'environnement de l'organisation possède un niveau de turbulence élevé, ce qui correspond à la situation actuelle de l'hôpital public français : en effet, une telle turbulence rend vaine la recherche d'une analyse relativement pérenne de l'environnement, sur laquelle établir les orientations stratégiques.

- De l'organisation autarcique à l'organisation en réseau

Les transformations organisationnelles de l'hôpital vont placer les pôles d'activité au cœur d'un ensemble de relations. Tout d'abord, ces pôles vont être destinataires d'une allocation budgétaire interne, consentie par la direction de l'établissement, en échange de la transmission d'une information « médicalisée » permettant de rendre compte de l'activité réalisée. Ensuite, les pôles d'activité sont appelés à recevoir des prestations de services, de la part de différentes « fonctions support ». Ces dernières peuvent faire partie de l'institution (par exemple, un « pôle médico-technique » centralisant des activités pouvant tirer parti d'économies d'échelle telles que l'imagerie médicale et le laboratoire de biologie) ou être extemalisées (par exemple, la blanchisserie, la restauration). Enfin, les pôles d'activité sont amenés à travailler en collaboration avec des entités similaires appartenant à d'autres institutions. Ces entités peuvent en effet posséder des ressources et

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compétences complémentaires de celles détenues par les pôles d'activité de l'établissement : cette complémentarité peut notamment résulter d'une technicité plus forte (par exemple, détention d'un équipement médical plus sophistiqué) ou d'une spécialisation sur la prise en charge d'une pathologie ou d'une étape du traitement (par exemple, un centre de rééducation). Ce travail de collaboration doit donc être dicté par les nécessités de la prise en charge du patient, et mettre en relation les intervenants des différentes étapes du « parcours du patient ».

Ce nouveau mode de fonctionnement de l'hôpital, radicalement opposé à la conception autarcique de cette institution, est basé sur l'établissement d'un réseau de relations, organisé autour de chacun des pôles d'activité (cf. Figure 1). Il se rapproche des «firmes japonaises» décrites par Aoki (1988), structures horizontales dans lesquelles les ateliers constituent les nœuds des réseaux de communication. Il rejoint aussi le modèle du « réseau dynamique » décrit par Miles et Snow (1994), qui, comme le rappelle Vahe-Hennequin (2003), est constitué d'un coordonnateur voyant graviter autour de lui des opérateurs spécialisés selon leurs compétences distinctives. L'organisation en réseau peut aussi s'interpréter comme l'avènement d'un modèle « postbureaucratique » (Desreumaux, 1996), remettant en cause trois piliers de la bureaucratie : la stratification de l'organisation par la définition rationnelle et spécialisée des postes de travail, la régulation par la hiérarchie et le souci de la coordination des activités (qui prime sur l'exigence d'adaptation au changement).

Figure 1 : L'organisation en réseau de l'hôpital public français

Etat, organisme de tutelle

Fonction support externalisée

(blanchisserie...)

Pôle S

► Allocation budgétaire et remontée d'information sur l'activité réalisée

► Relations partenariales : échanges de compétences, complémentarité

► Prestation de service

\ Parcours du patient

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service 75 public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

Coordination de type réseau et production d'une activité de service public : quels enjeux et risques pour l'hôpital public ?

Le passage à une coordination de type réseau à l'hôpital public soulève un ensemble de questions relatives aux conditions organisationnelles de la production d'une activité de service public : De quelle manière les principes fondateurs du service public pourront-ils y être appliqués ? Dans quelle mesure la variété juridique des entités concernées, des cultures et objectifs organisationnels, des statuts des salariés rendra-t-elle possibles, d'une part un fonctionnement cohérent du réseau, d'autre part la poursuite d'une mission partagée et centrée sur la notion de service public ?

- Modalités et périmètre d'application des principes du service public

Le Ministère de la Santé, par l'intermédiaire du Directeur de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins, rappelle que les coopérations hospitalières, et notamment les partenariats public-privé, doivent s'inscrire dans le respect, voire le renforcement, des principes du service public : « La coopération hospitalière est l'une des voies qui doit être impérativement empruntée pour assurer demain l'existence d'un système sanitaire performant, moderne et ouvert à tous où seront garantis les principes du service public au service des patients : égalité, qualité, continuité, mutabilité. C'est aussi un moyen de conforter le service public hospitalier dans sa vocation à mieux organiser l'accès aux soins... »1.

Cette exigence se traduit donc désormais par la nécessité d'assurer l'application des principes du service public dans une organisation éloignée du modèle bureaucratique. Ceci pose des questions à la fois d'ordre clinique et en termes de périmètre d'application du service public hospitalier.

Ainsi, dans la pratique du fonctionnement de l'hôpital réseau, le principe de continuité prend-il non seulement un sens juridique strict de permanence des soins, mais aussi une dimension clinique : il s'agit d'assurer la cohésion entre les différents acteurs et institutions en charge des soins. Afin de prévenir le risque de discontinuité entre les différentes composantes du parcours du patient, et d'éviter la persistance d'éventuelles relations concurrentielles en lieu et place de pratiques coopératives, différentes pistes peuvent être exploitées : promouvoir une conception partagée de la prise en charge et le développement d'une culture commune, clarifier le positionnement de chaque composante dans son institution de rattachement et dans l'offre de soins coordonnée, mutualiser des moyens, assurer une concertation pluridisciplinaire entre les professionnels, renforcer la communication, etc. (cf. notamment l'étude sur la mise en place des soins de support dans la prise en charge du cancer au CHU de Rennes réalisée par Morigault (2005)).

1 Monsieur E. Couty, in Houdart L., Larose D. et Barré S. (2000), Traité de la coopération hospitalière, F. Houdart, Collection Santé, Paris.

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Une deuxième interrogation concerne la définition du périmètre d'application du service public en matière de santé. Jusqu'alors, l'hôpital public, en tant qu'institution, incarnait le lieu privilégié d'exercice du service public. Le développement d'un mode d'organisation en réseau de l'hôpital, qui repose sur un estompement des frontières institutionnelles et l'établissement de relations avec des composantes extérieures, suppose donc de préciser ou de redéfinir le périmètre au sein duquel sont mis en application les principes du service public hospitalier. La notion de « secteur sanitaire », récemment remplacée par celle de « territoire de santé »1 dont la définition incombe aux Agences Régionales de l'Hospitalisation, constitue bien sûr le niveau sur lequel sont habituellement menées de nombreuses analyses, en particulier l'évaluation de la couverture des besoins de la population en matière de santé. Le territoire de santé, conçu comme un cadre devant favoriser la mise en œuvre d'actions concertées entre établissements de santé, et donc le lieu naturel de développement de l'hôpital réseau, pourrait ainsi être amené à constituer le niveau pertinent de réflexion sur les questions d'exercice du service public hospitalier.

- Variété organisationnelle et mission de service public

L'hôpital réseau recèle une grande variété organisationnelle : hétérogénéité juridique des entités associées à la production de soins, des statuts des personnels amenés à coopérer, des cultures à associer, des objectifs à atteindre... Les expériences menées révèlent l'importance à accorder à la conduite du changement (cf. notamment Minvielle et Contandriopoulos (2004)) et à la gestion des ressources humaines (cf. notamment l'étude du groupement de coopération sanitaire entre un hôpital et une clinique privée proposée par Devillers (2005)). Sur ce dernier point, l'hétérogénéité des statuts (salarié du secteur privé, fonctionnaire, contractuel...), des systèmes d'évaluation, de rémunération, de promotion, de la durée des congés, etc., apparaît comme un obstacle majeur au fonctionnement harmonieux du réseau.

Au-delà du souci de cohérence entre les différents pôles constitutifs du réseau, se pose la question de l'adhésion des différentes composantes à une mission partagée et centrée sur la notion de service public. La variété des acteurs et institutions susceptibles de contribuer au réseau laisse imaginer qu'une telle adhésion ne pourra pas être toujours atteinte. Le fonctionnement du réseau sera alors rendu plus difficile et la question du périmètre d'exercice du service public hospitalier réactivée.

Conclusion Cet article conduit à identifier les bases d'un nouveau modèle organisationnel de l'hôpital, où la coordination hiérarchique cède la place à une coordination de type réseau. L'analyse proposée va au-delà d'un constat d'ouverture de l'hôpital sur son environnement et d'une perméabilité accrue de ses frontières, aujourd'hui largement établi dans de nombreux travaux sur les organisations

1 Ordonnance n°2003-850 du 4 septembre 2003 portant simplification de l'organisation et du fonctionnement du système de santé ainsi que des procédures de création d'établissements ou de services sociaux ou médico- sociaux soumis à autorisation, Journal Officiel de la République Française du 6 septembre 2003.

Quelle forme organisationnelle pour la réalisation d'une activité de service 77 public ? Réflexion sur les transformations organisationnelles de l'hôpital public

de santé, françaises et québécoises notamment (cf. par exemple Contandriopoulos et Souteyrand (1996) et Lehoux et Pineault (2005)). De plus, elle intègre, par rapport à des études antérieures sur le sujet (cf. en particulier Bonafini (2002)), les éléments résultant de la mise en œuvre du Plan Hôpital 2007. La mise en évidence d'un mode de fonctionnement basé sur une coordination de type réseau rejoint des analyses menées sur différentes organisations publiques européennes : à titre d'exemple, les services gouvernementaux du Danemark (cf. Bogason (1998)), l'administration centrale de la Belgique et de la France (cf. Legrain et Verhoest (2004)).

L'hôpital réseau, en tant que forme organisationnelle, s'il semble répondre à certaines exigences environnementales que ne satisfaisait plus la bureaucratie professionnelle, soulève un ensemble de questions car il bouleverse ou estompe les frontières du « public » : Quel respect des principes du service public au sein du réseau ? Quelle délimitation du périmètre d'application de ces principes ? Quelle référence à la notion de service public dans la définition d'une mission partagée par les différents acteurs et institutions participant au réseau ?

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