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Vague B

Quelle transformation numérique à l'horizon 2020 ? - Programme de recherche CIGREF

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Vague B

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2 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Le comité scientifique de la fondation cigref

Pr. Ahmed BounfourUniversité

Paris Sud 11

Pr. M. CavalcantiFederal University of Rio de Janeiro

Pr. Rik MAESUniversity

of Arkansas

Pr. M. Lynne MarkusBentley

University

Pr. Leif Edvinsson University

of Lund

Pr. P. MeusburgerUniversity

of Heidelberg

Pr. Pirjo StahleFinland Futures Research Center

Pr. Juinichi IijimaTokyo Institute of Technology

Pr. Ian MilesUniversity

of Manchester

Jean-Eric AubertWorld Bank

Institute

Dominique GuellecOCDE, Senior

Economist

Pr. Yves PigneurUniversité

de Lausanne

Pr. Surinder K. BatraInstitute

of Management Technology Ghaziabad

Patrick FridensonEHESS, Centre de Recherches

Historiques

Gérald SantucciCion Européenne

DG Société de l’Information

Pr. M Beaudouin-LafonUniversité

Paris Sud 11

Pr. Tom HouselNaval postgraduate

School of management

Pr. Frantz RoweUniversité de Nantes

Pr. P-J BenghoziÉcole

Polytechnique

Pr. Moez LimayemUniversity

of Arkansas

Pr. Eric TsuiHong Kong

Polytechnic University

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3 « Vague B » - Février 2014

« Mieux comprendre comment le monde numérique transforme notre vie et nos entreprises »La Fondation CIGREF a lancé en 2010 le déploiement du programme international de recherche, baptisé ISD « Information Systems Dynamics ».Les objectifs de ce programme sont ambitieux : faire appel à la recherche académique pour construire des clés de lecture nous permettant de comprendre l’ailleurs et demain et de répondre aux questionnements des grandes entreprises de la rupture dans les modes de productions portée par le numérique. La finalité est de comprendre

les transformations numériques en cours et d’identifier les briques conceptuelles de l’entreprise 2020, de caractériser ses usages numériques, ses espaces de création de valeur, et leur mode de gouvernance.

Le design de l’entreprise de 2020

Le programme ISD a retenu le design organisationnel comme perspective conceptuelle centrale, ceci à partir de la prise en compte de cinq dimensions : stratégique, organisationnelle, sociétale, technologique et réglementaire. Ces tendances ont été associées à des lots de recherche, faisant l’objet d’appels à propositions diffusés à l’attention d’équipes de recherche nationales et internationales. Le programme ISD, c’est aujourd’hui 30 projets internationaux portés par une cinquantaine de laboratoires de recherche aux Etats-Unis, en Europe, en Chine et au Japon ; des projets basés sur des études de terrain et portant sur des thématiques stratégiques pour la performance de l’entreprise numérique. Soucieux de porter les résultats de ces projets auprès du plus grand nombre, la valorisation du programme ISD passe par la diffusion numérique et l’animation d’une réflexion collective autour de ses enseignements. Avec la « Collection des Essentiels », la Fondation CIGFREF propose une synthèse de chacun des projets portés par le programme ISD. Cette deuxième édition reprend la dizaine de recherches menées dans le cadre de la Vague B sur les thématiques suivantes : les places de marché de connaissance, la co-création de valeur et l’innovation globalement distribuée, l’usage des médias sociaux en entreprise, les nouveaux enjeux éthiques émergents des systèmes d’information, les espaces entrepreneuriaux et l’IT et bien d’autres encore.

Vous souhaitant bonne lecture !

Le mot du Président du CIGREFLes « Essentiels »

du programme de recherche ISD de la Fondation CIGREF

Pascal BuffardPrésident du CIGREF

Réseau de Grandes Entreprises

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4 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Sommaire• Le Comité Scientifique de la Fondation CIGREF

• Le mot du Président du CIGREF

Avant-Propos

Synthèse de la « Vague B » du programme ISD

• Les objectifs du programme de recherche

• Impact des nouveaux usages sur les valeurs sociétales et éthiques

• Les systèmes d’information dans les démarches d’innovation ouverte

• Partage de connaissances et co-création de valeur

Collection « les Essentiels » « Vague B »• Comment les utilisateurs perçoivent-ils les objets numériques ?• L’innovation globalement distribuée et la co-création de valeur• Identification et gouvernance des enjeux éthiques émergents dans les systèmes d’information• Explorer la conception et les effets des places de marché de connaissances internes• Innover dans une communauté apprenante• Comment les technologies de l’information influencent l’écologie de la connaissance et l’adoption de l’innovation ouverte• Observatoire des systèmes d’information, les individus entrepreneurs• Un programme pour guider et évaluer l’usage des médias sociaux dans l’entreprise• Tester l’hypothèse de la fin de la vie privée dans la communication informatique• La gouvernance de la Fondation CIGREF• Les soutiens de la Fondation CIGREF

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Les projets « vague B » du Programme de recherche international ISD ont traité de trois thématiques essentielles à la compréhension de la dynamique des usages numériques, et

donc au design de l’entreprise de 2020 :

• La dimension sociétale et éthique des usages numériques : la question posée est celle de la façon dont, tant les professionnels que le grand public, considèrent les usages numériques. L’ubiquité du numérique est ici interpellée dans ses différentes dimensions (vie privée, valorisation des données, gouvernance…).

• La question de l’innovation et de ses modalités d’organisation tant à l’intérieur de l’entreprise qu’à l’extérieur de celle-ci. A l’extérieur, par les pratiques d’innovation ouverte, on voit poindre un potentiel d’innovation théoriquement illimité, à travers la formation d’un marché organisé avec ou sans intermédiaires. Les plateformes jouent ici un rôle central, avec l’émergence de problèmes de contrats, de droits de propriété intellectuelle et d’accélération des processus d’innovation. A l’intérieur, la question de l’établissement de systèmes d’incitation adaptés est également posée : l’entreprise doit-elle être considérée comme un simple marché de connaissance, où relève-t-elle ontologiquement d’autres mécanismes de gouvernance, au sein desquels l’organicité joue un rôle prééminent ?

• La question de l’organisation des flux de connaissance dans des espaces géographiques distribués. Au plan mondial, la connaissance est à la fois mobile, mais également de plus en plus

polarisée autour de grands centres et clusters (c’est notamment la vocation de Paris-Saclay en France). Dans ce contexte, organiser les flux de connaissance entre différents pôles ou entre entités géographiquement distribuées est un problème managérial important, notamment pour les grandes entreprises. Dès lors, comment assurer la collaboration entre partenaires géographiquement et culturellement différenciés ?

• Le développement de l’entrepreneuriat dans le contexte de l’économie numérique. Il s’agit principalement de l’intrapreneuriat à développer dans le contexte organisationnel des activités des Directions des Systèmes d’Information. Quels sont les fondements de l’entrepreneuriat dans l’économie numérique ? Quels principes directeurs présideront à la mise en place de programmes d’entrepreneuriat internes à la DSI ? Quels modes de gouvernance seront associés ?

Sur le premier point, on retiendra spécifiquement la prise de conscience par les professionnels de l’importance de la thématique des usages éthiques numériques dans leurs organisations, mais également la difficulté pour eux de déployer un apprentissage double boucle, autrement dit une remise en cause des fondements des actions/inactions observées. Dans le domaine public, la programme propose une analyse spécifique du contexte de plusieurs pays asiatiques (Chine, Japon, Corée, Taiwan..). Les recherches conduites dans cette partie du monde, mettent en évidence les préoccupations davantage liées à la technicité des usages qu’à la question des usages éthiques. La modélisation effectuée indique par ailleurs que la fin de la vie privée n’est pas une hypothèse à considérer de manière

Avant-proposProfesseur Ahmed Bounfour

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uniforme et quel que soit le contexte ; les individus tenant à ajuster leurs comportements à la structure de leur réseau social et au comportement des opérateurs.S’agissant des pratiques d’innovation, les recherches menées mettent en évidence l’importance des systèmes d’information dans la conduite de la gestion de la connaissance et le déploiement de pratiques d’innovation ouverte, là encore dans les pays asiatiques. En Chine, par ailleurs, dans le cas de l’industrie pharmaceutique, le développement de pratiques d’innovation est grandement facilité par le déploiement de plateformes numériques collaboratives. Au plan de l’entreprise, des expériences conduites tendent à indiquer que l’entreprise elle-même peut être considérée comme un marché de la connaissance, avec le déploiement de systèmes d’incitation ad hoc. Elles indiquent également la difficulté de mise en place d’actions collaboratives d’innovation, à travers l’usage de wikis, dans un contexte dominé par les systèmes d’incitation individuels. Dans un contexte géographique multicontinental (en l’occurrence entre l’Europe et la Chine), le développement de solutions innovantes se fait par créolisation de la connaissance, le renforcement des compétences des équipes et l’utilisation de méthodes agiles.

Enfin les recherches indiquent des modalités de déploiement de l’entrepreneuriat numérique, en particulier en incitant les entreprises, notamment leurs DSI, à déployer des espaces de liberté entrepreneuriale et une gouvernance ad hoc. Si les projets « Vague A » ont été consacrés aux aspects stratégiques et organisationnels des usages numériques, les projets « Vague B » apportent une brique essentielle et complémentaire, en étant centrés sur les évolutions extra muros (à l’entreprise) de l’évolution des usages numériques. La lecture de ces Essentiels fournit un panorama large et articulé des analyses, des cadres méthodologiques, mais également des situations concrètes au plan international, avec une focalisation particulière sur les pratiques sociétales et d’innovation dans l’un des principaux pôles de l’économie-monde : l’Asie. Nous espérons que les développements qui suivent contribueront à l’élargissement de l’horizon de la réflexion et de l’action de nos entreprises, dans un domaine essentiel à leur compétitivité prix et hors-prix : les espaces numériques.

Ahmed Bounfour Professeur, Université Paris-Sud,

Rapporteur général du programme ISD

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synthèse de la « vague b »

du programme isd(Information Systems Dynamics)

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La Fondation CIGREF, placée sous l’égide de la Fondation Sophia Antipolis, a lancé en 2010 le programme international de recherche ISD (Information Systems Dynamics).

Ce programme regroupe une série de projets de recherche qui visent à étudier la dynamique des usages des systèmes d’information au travers de différentes dimensions : stratégique, organisationnelle, sociale et éthique, règlementaire et technologique.

Ces travaux permettront, à terme, de dessiner les contours possibles de l’entreprise numérique de 2020.

Plusieurs études de la « Vague B » ont été menées dans des pays asiatiques comme la Chine, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud, illustrant la vocation internationale et multiculturelle du programme.

L’ensemble des synthèses des projets conduits par les équipes de recherche sont disponibles dans la collection « Les Essentiels ».

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Le programme international de recherche ISD poursuit un triple objectif :• Faire le lien entre le passé et le présent, le temps long de l’histoire qui permet de déceler les grandes tendances et les régularités, et le temps court de la vie de l’entreprise.• Eclairer le futur de la Fonction SI à partir de la base de connaissance ainsi constituée.• Alerter les dirigeants des grandes entreprises, publiques et privées, sur les enjeux stratégiques liés à la grande mutation du passage d’une économie industrielle à une économie de réseaux fondée sur la connaissance et le management de l’immatériel.

Le programme s’intéresse en premier lieu aux grandes transformations technologiques, géopolitiques, organisationnelles et sociétales, susceptibles d’influencer les modes d’articulation des activités ainsi que le rôle clé des technologies et systèmes d’information, en tant que médiateurs de réalisation des activités sur le temps long (1970-2020).Les travaux de la « vague B » sont principalement centrés sur l’innovation ouverte, le partage de connaissances et les enjeux éthiques liés aux technologies 2.0, une étude s’intéressant par ailleurs au rôle des individus entrepreneurs en systèmes d’information. Les questions abordées tournent autour de quatre grands domaines :

• Comment les nouveaux usages numériques interagissent avec les valeurs sociétales et éthiques ?• Quel rôle joue les systèmes d’information dans les démarches d’innovation ouverte ?• Comment utiliser les outils 2.0 et les pratiques associées dans des perspectives d’innovation, de partage des connaissances et de co-création de valeur ?• De quelle manière encourager les individus entrepreneurs en système d’information, dans et hors des entreprises ?

Les objectifs du programme de recherche

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The 9 studies of « Wave B » are also published in English

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Dans les organisations, les nouvelles technologies permettent un accès bien plus vaste aux ressources et aux personnes. C’est à la fois une opportunité et une source de difficultés potentielles pour les entreprises : mauvaise utilisation, surveillance électronique des collaborateurs, mise à mal de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle…

Les technologies ont également un impact massif sur les individus, qui accèdent à toujours plus d’informations et de distractions par ces biais. La surcharge d’informations n’est que l’un des dangers possibles, tout comme le vol d’identité, le marketing agressif, les virus et autres e-mails frauduleux.

Trois études ont abordé la question des enjeux éthiques liés aux évolutions technologiques actuelles. Elles explorent notamment les questions suivantes :

• Comment identifier et gouverner les enjeux éthiques émergents en matière de système d’information ?

• Le développement des réseaux sociaux conduit-il nécessairement à la fin de la vie privée ?

• Quelle perception peuvent avoir des utilisateurs non informaticiens de ces nouveaux médias et comment cela influence leurs pratiques et leurs valeurs ?

impact des nouveaux usages sur les valeurs sociétales et éthiques

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Identifier les enjeux éthiques émergents dans les systèmes d’informationDe nombreux enjeux éthiques sont susceptibles de se présenter dans le quotidien des professionnels de l’informatique, tant au niveau des projets que des usages émergents liés aux nouveaux outils. L’étude1 réalisée par Kutoma Wakunuma, Laurence Masclet, Bernd Stahl, Philippe Goujon et Sara Wilford s’est intéressée à la manière dont ces professionnels perçoivent ces enjeux et aux approches permettant d’identifier ces derniers.

Un niveau de réflexion faible sur les enjeux éthiquesLa façon dont les individus déterminent les enjeux éthiques varie considérablement d’une personne à l’autre. Certains estiment que c’est une capacité inhérente aux individus, tandis que, pour d’autres, cela fait partie de leur formation. D’autres encore estiment que ce processus ne fait pas partie de leur rôle et que les règles en place dans l’organisation sont suffisantes pour qu’ils n’aient pas besoin de trop s’en préoccuper.

Les chercheurs ont constaté globalement un niveau de réflexion faible des professionnels de l’informatique sur les conséquences indésirables résultant du développement ou de l’utilisation d’un produit ou service, même quand celles-ci peuvent nuire à des individus ou des organisations. Parfois, lorsqu’un problème est décelé, sa gestion est confiée à une autre personne ou un autre service que ceux qui l’ont identifié, et ceux-ci sont rarement informés de la manière dont l’enjeu a été traité. Ce manque de communication peut conduire à la répétition de comportements problématiques ou de failles dans les systèmes. Il peut aussi générer de la frustration chez les employés. Enfin, les chercheurs pointent la crainte des individus quand il s’agit de signaler un usage problématique par un collègue ou un supérieur hiérarchique.

Des principes de gouvernance hétérogènesLa gouvernance doit permettre aux organisations de s’assurer que les problèmes et enjeux sont traités rapidement et de manière efficace.

1 Identification and governance of emerging ethical issues in information systems, IDEGOV, De Montfort University.

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Les principes de gouvernance mis en œuvre dans les organisations étudiés se sont avérés peu clairs, à l’exception de celles soumises à une forte pression réglementaire où la hiérarchie et les processus d’escalade étaient bien définis. L’objectif global de telles règles est d’assurer la conformité avec les réglementations, la sécurité des données et de préserver la réputation de l’organisation.

Le traitement des enjeux éthiques est favorisé par l’existence d’une structure adéquate pour les répondants. Concrètement, la mise en œuvre de la gouvernance est souvent liée à la vitesse de déploiement des technologies. Il semble donc qu’un équilibre soit à trouver entre la vitesse de mise en œuvre des technologies et la mise en place de règles et procédures d’usage à la fois robustes et flexibles.

Quelles solutions face aux enjeux éthiques ?

• Elaborer des codes de conduite

A l’échelle des organisations, il est pertinent de disposer d’entités chargées de traiter les enjeux de conformité réglementaire. Néanmoins, les trajectoires d’escalade en cas de problème éthique ne sont pas toujours claires. En outre, ces services doivent veiller à utiliser eux-mêmes des processus éthiques en termes de transparence et de consultation des collaborateurs.

• Déployer des solutions techniques

Certains enjeux (sécurité, authentification…) peuvent être traités à travers des solutions techniques. Néanmoins, trop d’emphase sur la technologie peut conduire à estimer que les collaborateurs n’ont pas besoin d’être vigilants sur les enjeux éthiques. Les solutions techniques ne doivent pas être la seule façon de traiter ces derniers et les salariés doivent pouvoir signaler des problèmes grâce à d’autres dispositifs.

• Privilégier la formation

La formation est perçue comme clef pour améliorer la conscience des enjeux éthiques, aussi bien lorsqu’il s’agit de former les utilisateurs que quand il s’agit de la formation des futurs professionnels de l’informatique, et même de manière plus générale l’éducation des enfants et de la société.

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• Consulter les parties prenantes

L’une des meilleures façons de formuler des règles et des processus efficaces est la consultation des parties prenantes, d’une part, parce que celles-ci peuvent savoir quel impact aura la technologie sur elles, mais aussi, d’autre part, car elles peuvent fournir des solutions qui n’étaient pas envisagées avant.

• Renforcer la conformité aux législations

La législation apparaît comme une nécessité à laquelle il faut se conformer. Néanmoins, la conformité aux exigences légales ne doit pas faire perdre de vue les autres enjeux éthiques qui peuvent apparaître. La loi est un élément de motivation important pour inciter les organisations à agir de manière éthique, mais la conformité légale ne suffit pas à garantir la responsabilité sociale.

Recommandations de gouvernanceLes problèmes principaux dans le traitement de ces enjeux éthiques liés aux technologies sont : une conscience insuffisante des enjeux éthiques, un processus d’établissement des règles faible, un manque de consultation des parties prenantes, un manque d’adhésion du management senior ou des problèmes de communication. Pour pallier ces difficultés, les auteurs ont fourni des recommandations détaillées visant à mieux prendre le contexte en compte, à accroître la réflexivité et l’ouverture, à simplifier les procédures et soulignant la nécessité de montrer les constructions éthiques de l’intérieur.

Ils suggèrent également de confronter les individus à leurs propres présupposés et à d’autres points de vue. Enfin, ils conseillent de démarrer la réflexion éthique dès le début des projets, avant que les problèmes n’apparaissent et d’y inclure l’ensemble des parties prenantes.

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Réseaux sociaux : vers la fin de la vie privée ?La popularité des réseaux sociaux a donné lieu à un débat évoquant la fin de la vie privée, ou du moins son érosion progressive, le partage de contenus se généralisant. Ces nouvelles technologies permettent aux entreprises comme aux Etats une intrusion sans précédent dans la vie privée, mais les individus semblent devenir plus tolérants aux intrusions dans leur vie personnelle, et voudraient parfois même participer à cette intrusion dont ils sont la cible. Cette hypothèse de la fin de la vie privée pourrait avoir un impact considérable sur l’environnement culturel, économique et politique. Elle pourrait inciter les individus à adopter des styles de vie plus transparents, ouvrant la voie à un partage ubiquitaire et participatif, tout comme elle pourrait dériver vers une société « Orwellienne » où la surveillance est constante.

Une étude2 réalisée par le Dr. Paola Tubaro, le Dr. Antonio A. Casilli et Yasaman Sarabi a évalué la réalité et les conséquences de cette hypothèse, en examinant le rôle des facteurs relationnels et structurels dans l’évolution des réseaux sociaux en ligne, et l’impact qu’ils peuvent avoir sur la sensibilité des utilisateurs en matière de protection de la vie privée.

Quels critères sont susceptibles d’influer sur les attitudes liées à la vie privée ?Il est admis qu’il existe plusieurs générations d’utilisateurs d’Internet, les plus âgés se montrant plus conservateurs en termes de protection de la vie privée. Néanmoins, les plus jeunes ne sont pas si oublieux que cela dans ce domaine, mais montrent des comportements plus variés et complexes. Le statut socio-économique et les compétences liées à l’usage d’Internet influencent également le paramétrage des options liées à la confidentialité.

A un niveau plus fin, les stratégies d’auto-présentation doivent être prises en compte. Les utilisateurs laissent des traces et des indices de leur présence et activité en ligne, dans un processus social complexe impliquant la reconnaissance de leur rôle et statut ainsi que l’expression de leurs valeurs et préférences. L’identité numérique se construit à partir de ce qui est déclaré et effectué en ligne.

2 Testing the “End of Privacy” Hypothesis in Computer-mediated Communication: An Agent-based Modelling Approach, (THEOP), University of Greenwich/EHESS

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Si l’on considère la création de liens en ligne comme une part de l’effort que les individus font pour construire leur capital social, il faut alors distinguer les liens forts et les liens plus ténus. Les premiers impliquent une proximité émotionnelle avec les personnes avec lesquelles le lien existe, celui-ci étant source de soutien, tandis que dans les seconds ces personnes s’apparentent à des « connaissances » et les liens sont davantage des sources d’information. En un sens, la vie privée peut être vue comme un « coût » dans la création du capital social.

Une vision relationnelle de la vie privée, envisagée comme une négociationDans le contexte des interactions en ligne, la notion de vie privée est plus complexe que l’identification d’un ensemble de données sensibles à protéger. Dans un réseau caractérisé par des interactions multiples, fréquentes et hétérogènes, une perspective relationnelle et multidimensionnelle semble plus appropriée. La notion de vie privée s’inscrit alors dans un processus dynamique dans lequel les individus envoient de signaux à leur environnement et celui-ci leur renvoie un feedback.

Les processus de sélection et d’influence entrent également en compte, la sélection définissant avec qui les contenus sont partagés et l’influence ce qui est partagé. Chaque interaction implique alors un processus dynamique d’évaluation, de catégorisation et d’adaptation des contenus que les individus souhaitent partager avec leurs contacts. Cette perspective suggère un glissement de la notion de protection de la vie privée : alors qu’auparavant la vie privée était vue comme quelque chose de pénétrable, elle devient quelque chose de négociable.

La simulation numérique pour tester ces hypothèsesLes chercheurs ont conçu et utilisé un modèle informatique capable de simuler la formation et l’évolution de réseaux sociaux en ligne afin de tester différentes hypothèses sur les attitudes liées à la vie privée.

En se basant sur les résultats obtenus, ils estiment que la structure du réseau est un élément important pour comprendre les choix en matière de protection de la vie privée. Les facteurs structurels et relationnels semblent avoir plus d’impact que les attributs individuels, les attitudes culturelles et l’ouverture à la diversité. Ces éléments déterminent dans quelle mesure l’homophilie tend à séparer les individus en communautés isolées ou à les rassembler en unifiant leurs préférences culturelles.

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La seconde conclusion est que les médias sociaux ne signifient pas obligatoirement la fin de la vie privée. C’est lorsque la connectivité est étendue au maximum et le partage de contenus le plus ouvert qu’une majorité d’agents activent leurs paramètres de confidentialité.

Troisième constat, les choix des utilisateurs en matière de protection de la vie privée finissent toujours par ressurgir, des interventions extérieures sur les paramètres de confidentialité contribuant d’ailleurs à attirer l’attention sur ceux-ci. Même les utilisateurs acceptant un certain niveau d’ouverture de leurs données peuvent réagir fortement si des changements dans les termes d’utilisation d’un service les placent dans une position inconfortable ou leur demandent un effort trop important.

Par-dessus tout, ces résultats incitent à accorder plus d’attention aux attitudes et aux réactions des utilisateurs. Les législateurs doivent envisager des moyens de fournir à ces derniers un degré satisfaisant de protection, notamment pour les individus préoccupés par ces enjeux mais qui ne sont pas en mesure d’ajuster leurs paramètres faute d’expérience ou de compétences adéquates.

Comment les utilisateurs non informaticiens perçoivent-ils les objets numériques en Asie de l’Est?L’étude réalisée par le Professeur Andrew A. Adams et le Professeur Kiyoshi Murata, de l’Université Meiji3 aborde les enjeux éthiques dans le cadre des pratiques d’utilisateurs non experts de l’informatique. Les chercheurs s’interrogent notamment sur la manière dont ces utilisateurs perçoivent les objets numériques (images, vidéos, jeux, programmes, pages Wikipedia…). Cette étude a été effectuée dans trois pays d’Asie de l’Est : la Chine, le Japon et la Corée.

Ce projet a été conçu afin d’explorer les pratiques émergentes d’utilisateurs non experts de l’informatique face aux objets numériques. L’idée sous-jacente est que ces utilisateurs ne pensent pas en termes de programmes exécutables, fichiers de données et autres concepts familiers des informaticiens, mais qu’ils conceptualisent les données sous la forme d’objets numériques intangibles : des éléments immatériels qui peuvent être copiés sans dégradation, compressés et transférés sur les réseaux.

3 An East Asian perspective on the developing ethical and social values of digital object usage, (DESVALDO), Meiji University

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18 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Dans ce contexte, les chercheurs se sont intéressés aux questions de liberté et de contrôle impliquant les objets numériques, les terminaux physiques utilisés pour y accéder et les réseaux auxquels ils sont connectés (physiques, comme les réseaux de téléphonie mobile, Internet ou les réseaux d’entreprise ; ou numériques comme Facebook, Google ou les systèmes d’espionnage gouvernementaux). Ces objets englobent en effet les déplacements, les croyances, les intentions, les ressources et les relations des utilisateurs. Leur contrôle, qu’il soit confié à des tiers ou effectué par les utilisateurs eux-mêmes, est la base fondamentale de l’Age de l’Information.

Vie privée, partage et hyper-connectivité

Avec les appareils photos numériques et Internet, non seulement photos et vidéos peuvent être prises partout mais elles peuvent être transférées sur le réseau, partagées avec tout le monde et automatiquement marquées avec l’identité des personnes.

La connectivité devient la norme plus que l’exception pour les utilisateurs des réseaux sociaux dans les différents pays étudiés. De manière similaire, le partage d’informations personnelles survient dans toutes les tranches d’âge et tous les pays étudiés. Néanmoins, les plus jeunes mettent moins de restrictions sur leurs données personnelles.

Cette transparence accrue peut être au service de la démocratie tout comme elle peut être un outil supplémentaire d’oppression. Les individus eux-mêmes sont souvent complices de leur propre surveillance en fournissant les moyens et les contenus permettant de les suivre à la trace.

Copyright, partage, propriété et accès

L’essor de la production et de la distribution numérique a changé la donne dans le domaine culturel. Depuis l’émergence d’Internet, les approches basées sur un copyright fort ont souvent été critiquées. Certains auteurs ont même estimé qu’un modèle économique basé sur la contrainte et l’aspect physique des systèmes de distribution antérieurs avait plus de chances de mener à un crash de l’économie créative plutôt qu’à une évolution en douceur vers un nouveau modèle économique stable.

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19 « Vague B » - Février 2014

Pour certains chercheurs, le caractère amateur et la qualité souvent médiocre de l’information et des contenus disponibles sur Internet entraînent néanmoins un retour en arrière par rapport aux efforts réalisés au XXème siècle sur la qualité des productions.

Les utilisateurs sont conscients des problèmes économiques que cette évolution pose pour les fournisseurs d’information. Néanmoins, ils sont davantage préoccupés par la facilité d’usage et la transparence des prix que par l’argument du secteur culturel selon lequel les artistes risquent de s’appauvrir.

Liberté et contrôle de l’expressionLes Etats ont l’avantage de ne pas être trop contraints par des facteurs économiques dans leur usage de la surveillance de masse. Néanmoins, l’expertise de certains acteurs privés dans la collecte et l’analyse de données personnelles ne leur a pas échappé, et ils les sollicitent souvent pour leurs objectifs.

Les employeurs, le milieu scolaire, les institutions publiques ont leurs propres enjeux : par exemple savoir s’il est permis, éthique ou profitable de sélectionner des employés potentiels en fonction de l’information disponible sur les réseaux sociaux, gérer des salariés qui passent du temps sur Facebook au lieu de faire leur travail, ou savoir comment réagir si des employés insultent des clients sur Twitter sur leur temps personnel. Filtrer et restreindre l’accès depuis les postes de travail perd son efficacité quand chacun possède un smartphone ou une tablette.

Les chercheurs ont également observé une certaine passivité des utilisateurs face à la question de liberté d’expression. Beaucoup estiment que leurs actions en ligne ne nécessitent pas de protection particulière. Si quelques utilisateurs protestent contre des changements des termes de services permettant aux plates-formes d’utiliser leurs contenus pour de la publicité, la plupart considèrent que ces derniers ont le droit de bloquer, supprimer ou utiliser les contenus qui leurs sont soumis.

Toujours connectéLes interactions sociales s’appuyant sur les terminaux mobiles deviennent courantes. Actuellement, ces interactions numériques viennent avant tout améliorer et compléter les interactions physiques sans les remplacer entièrement, beaucoup d’utilisateurs continuant d’imprimer et de partager des photos physiques.

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20 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Néanmoins au Japon, des différences significatives apparaissent entre les tranches d’âge, les plus jeunes étant moins susceptibles d’imprimer des photos.Les conséquences dans le monde du travail de cette culture du « toujours connecté », qui augmente les heures de travail et abaisse la frontière entre le travail et la vie personnelle, sont une préoccupation.

Recommandations pour les organisations

• Infrastructures

L’émergence des smartphones, tablettes et des réseaux omniprésents marque une rupture avec les infrastructures stables des entreprises. Les politiques de remplacement des matériels consistant à attendre que les équipements soient complètement dépréciés ou qu’ils ne puissent absolument plus fournir le service requis donnent aux salariés l’impression que leur entreprise est coincée dans le passé.

Par ailleurs, plusieurs personnes possèdent à la fois des terminaux personnels et professionnels, et cela peut s’avérer encombrant de transporter sans cesse des appareils en double. Parmi les réponses possibles figure l’utilisation de téléphones avec plusieurs cartes SIM, encore rare, ou le fait de permettre un usage personnel des terminaux professionnels, solution qui requiert néanmoins une surveillance importante en raison des enjeux de sécurité et de protection de la vie privée associés. Confier ce rôle à une tierce partie de confiance pourrait permettre aux employeurs de se décharger de ces préoccupations.

Enfin, il faut également avoir en tête l’impact de ces évolutions sur la productivité des employés. En effet, les politiques de contrôle et le blocage de sites ne sont plus la panacée quand les salariés disposent de leur propre accès au réseau à travers leur terminal personnel.

• Praticité d’utilisation

Les individus effectuent des choix en tenant compte de différents facteurs qui influencent leur comportement, notamment la praticité d’utilisation (effort ou temps demandé), les considérations financières et le sentiment de justice. Face aux questions de copyright, les chercheurs ont constaté que la praticité des différentes options était un facteur particulièrement déterminant.

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21 « Vague B » - Février 2014

Internet est riche d’information sans coût financier direct et beaucoup de gens lisent et valorisent cette information librement accessible. L’idée de payer ou d’être payé pour accéder à l’information rencontre de ce fait des limites. En revanche, nombre de personnes acceptent mieux l’idée de payer pour la praticité, soit financièrement soit avec leurs données personnelles.

• Copyright

Le sentiment général est que les lois sur le copyright sont trop compliquées et trop rigides pour s’adapter à l’âge numérique. Les utilisateurs ont du mal à identifier ce qui est permis ou pas, et les services légaux (pour lutter contre le piratage) quand ils existent sont peu attractifs du fait de catalogues inadaptés ou de tarifs trop élevés.

Pour les entreprises dont le modèle économique dépend du nombre de personnes payant pour des contenus protégés, faciliter l’accès aux objets numériques à travers des canaux clairement identifiés comme légitimes et à des prix modestes a bien plus de chance de convaincre les consommateurs que d’autres stratégies.

Pour les organisations dont les collaborateurs ont peu conscience de la valeur de leur propre travail intellectuel, des formations adaptées peuvent les aider à éviter les attitudes trop légères face aux enjeux de sécurité ou la dissémination volontaire d’informations de valeur.

• Réseaux

Les réseaux tant techniques que sociaux sont porteurs de changements importants, que les organisations doivent prendre en compte.

Du côté des employés, ces réseaux peuvent présenter des risques : atteinte à la réputation de l’employeur, dissémination d’informations sensibles, baisse de la performance professionnelle… Les pratiques managériales et les réglementations internes doivent en tenir compte et le personnel doit y être formé.

Du côté des clients, les services d’information et d’interaction avec l’organisation doivent être accessibles, faciles à utiliser et à jour. Il faut notamment veiller à la stratégie mobile : les entreprises s’adressant à une clientèle jeune doivent plus particulièrement être présentes sur de nombreuses plates-formes (réseaux sociaux, Twitter, applications mobiles, etc.).

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22 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

• Vie privée

Pour beaucoup d’individus, la vie privée est une valeur dont ils ne prennent conscience que quand il lui est porté atteinte. Afin d’accroître leurs bénéfices, les entreprises peuvent être tentées d’accorder peu d’attention à la protection de la vie privée de leurs clients à court terme, mais à long terme cela peut avoir des conséquences irréparables sur leur réputation. Celles qui fournissent des services impliquant des enjeux de vie privée doivent faciliter l’accès de leurs utilisateurs aux paramètres permettant de la préserver.

• Objets numériques

La jeune génération, habituée aux objets numériques, perçoit de moins en moins la valeur associée aux supports physiques. Néanmoins, dans certains cas, les données sont encore perçues comme des objets physiques à la disponibilité limitée, notamment en cas de perte ou d’accès impossible. Les acteurs de l’économie numérique doivent garder cet aspect en tête pour mieux comprendre les attentes et les réactions possibles des employés et des clients face à ces objets numériques. Ces attentes peuvent énormément varier selon le type de relation et le type de données concernées, aussi la réflexion doit se faire au cas par cas.

L’entreprise 2020 et l’éthiqueDe plus en plus, la Société attend des organisations qu’elles adoptent un comportement éthique, aussi bien dans leurs activités que dans la manière dont elles utilisent les technologies, que ce soit pour leurs clients, leurs utilisateurs, leurs salariés ou pour les régulateurs. Il ne s’agit plus seulement d’améliorer le système d’information pour augmenter l’efficacité des métiers, mais de prendre en compte son impact sur la vie quotidienne des individus.

Pour l’entreprise 2020, cela signifie que la responsabilité sociale ne sera plus perçue comme un coût ni comme une obligation légale. De plus, les enjeux éthiques changent : outre les questions habituelles de sécurité ou de protection de la vie privée, ils vont inclure des notions comme la confiance, l’exclusion sociale, la surveillance, la liberté, la fiabilité, les pertes d’emploi ou le contrôle.

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23 « Vague B » - Février 2014

L’innovation et l’adoption de nouvelles technologies ne seront plus tournées vers le seul intérêt de l’entreprise, et vont passer par des processus plus ouverts, incluant les clients et les utilisateurs finaux.

De manière plus générale, les différences d’attitudes et d’usages constatées vont se heurter aux réglementations des entreprises. La tendance croissante du BYOD (Bring Your Own Device), ou l’usage sur le lieu de travail de terminaux personnels, risque notamment de créer des problèmes.

L’étude DESVALDO a par ailleurs révélé un manque de compréhension global du potentiel des objets numériques, qui peuvent être accédés, copiés, modifiés, capturés à la fois par les destinataires souhaités et par d’autres. L’entreprise 2020 devra avoir des managers comprenant les différentes attitudes existant face à ces objets numériques et aux terminaux qui permettent d’y accéder. En matière de sécurité notamment, ni les utilisateurs ni les clients ne sont l’ennemi.

Les entreprises de 2020 seront confrontées à des tensions en matière d’éthique de l’information :

- La surveillance sur le lieu de travail pourra découvrir des faits répréhensibles, mais les employés ont des attentes et des droits au respect de leur vie privée, et le respect de ceux-ci peut améliorer leur productivité.

- Le BYOD crée des risques sur la sécurité, mais les utilisateurs sont plus familiers de ces terminaux et donc potentiellement plus productifs.

- Travailler de chez soi ou lors de ses déplacements peut fournir une plus grande flexibilité pour l’employeur comme pour l’employé, mais la pression constante liée au fait d’être « toujours connecté » peut saper la productivité sur le long terme.

- De bonnes relations entre les employés et les clients dépendent souvent de processus de communication informels, qui renforcent la confiance, mais un message inapproprié d’un collaborateur peut ruiner des années de travail passées à bâtir la réputation d’une entreprise.

- Les travailleurs de la connaissance sont la source de nombreux revenus et profits dans l’économie de la connaissance, mais ils peuvent sous-estimer leurs propres contributions à des travaux plus larges, et de ce fait être peu soucieux de la sécurité, de la propriété et des droits.

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24 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les technologies de l’information et les communautés virtuelles ont changé la manière de gérer les connaissances et de créer de l’innovation. Dans ce contexte, deux études ont examiné le rôle des systèmes d’information dans les démarches d’innovation ouverte, abordant les questions suivantes :

• Comment les technologies de l’information influencent l’écologie de la connaissance et l’adoption de l’innovation ouverte ?

• Comment innover dans une communauté apprenante ?

Les technologies de l’information, levier pour la gestion des connaissances et la performance des entreprisesL’étude4 menée par le professeur Ting-Peng Liang, le Dr. Deng-Neng Chen, le Dr. Lihua Huang et le Dr. L.G. Pee s’intéresse au rôle des technologies de l’information dans le cadre des démarches d’innovation ouverte, et à l’influence de ce type de démarche sur la performance des organisations. Plusieurs travaux antérieurs ont en effet montré que la gestion des connaissances pouvait améliorer la créativité, et que celle-ci pouvait à son tour améliorer la performance d’une organisation mais aussi son agilité.

Les systèmes d’information dans les démarches d’innovation ouverte

4 How Information Technologies Affect the Knowledge Ecology and Their Adoption of Open Innovation: A Multinational Study, (Knowledge Ecology and Open Innovation Adoption), National University of Sun Yat-sen.

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25 « Vague B » - Février 2014

L’innovation ouverte, un levier privilégié du partage de connaissances

L’évolution de la connaissance constitue un facteur important dans l’adoption de l’innovation ouverte. Cette évolution peut résulter de pressions internes comme externes. Dans le cas d’une évolution provoquée par des facteurs internes, les chercheurs parlent de stratégies de mutation des connaissances. Les nouvelles connaissances sont créées à partir des connaissances existantes, les changements provenant de forces internes comme les services de R&D. Dans le cas d’une évolution déclenchée par des facteurs externes, les chercheurs parlent de stratégies de croisement des connaissances. Il s’agit alors d’acquérir des connaissances externes (expertise d’un consultant, achat d’un brevet…) et de les assimiler aux connaissances existantes.

L’innovation ouverte inclut l’innovation issue des utilisateurs, l’innovation cumulative, l’échange de savoir-faire, l’innovation de masse et l’innovation distribuée. Cette idée s’inscrit dans un contexte où le lien entre une entreprise et son environnement est devenu plus perméable, et les innovations peuvent plus facilement être transférées de l’extérieur vers l’intérieur, et réciproquement. De la même façon, elle suppose que dans un monde où la connaissance est largement distribuée, une entreprise ne peut plus se reposer uniquement sur sa propre recherche.

Cette idée est renforcée par les tendances récentes autour des réseaux sociaux et du « savoir des foules ». Internet permet d’accéder à des sources de connaissances virtuellement illimitées pour la conception des produits, la R&D, les services aux clients et bien d’autres aspects.

Le rôle positif des technologies de l’information

Les technologies de l’information renforcent à la fois l’intensité et la diversité des connaissances. Dans des travaux précédents, les auteurs ont mis en évidence qu’une augmentation en intensité des connaissances améliorait la performance moyenne des entreprises, tandis qu’une hausse de la diversité des savoirs réduisait les écarts de performance.

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A partir de plusieurs études de cas, les chercheurs ont constaté que :- les capacités du système d’information avaient un effet positif sur la gestion des connaissances, tant sur le plan de la diversité que des interactions et de la collaboration ;- les organisations avec un haut niveau d’interactions et de collaboration sont plus avancées dans la mise en œuvre de démarches d’innovations ouvertes ;- cet effet est plus fort sur l’innovation ouverte entrante que sortante ;- le niveau d’innovation ouverte influence positivement la performance et que cette influence est trois fois plus forte dans le cas d’une innovation ouverte entrante que sortante.

Utiliser le système d’information pour créer une communauté d’innovation ouverteL’étude menée par les chercheurs Kai Reimers, Xunhua Guo, Mingzhi Li et Bin Xie s’intéresse à la manière dont les entreprises développent ensemble des infrastructures d’information ouvertes au sein de « communautés apprenantes », en examinant notamment quels peuvent être les usages et les effets des technologies de l’information à l’échelle d’un secteur économique entier.

Pour cela, les chercheurs se sont appuyés sur une étude de cas, celle du secteur de la distribution pharmaceutique en Chine qui a développé des plates-formes d’échange électroniques entre 2004 et 2012, et sur une communauté apprenante regroupant différents acteurs de ce même secteur.

Le développement du secteur de la distribution pharmaceutique en ChineDurant les années 1980, le système de distribution chinois s’est développé de manière très fragmentée, avec plus de 16 000 sociétés de distribution pharmaceutique. Au début des années 2000, les difficultés du secteur de la santé et la situation chaotique de la chaîne de distribution pharmaceutique ont conduit le gouvernement chinois à centraliser l’approvisionnement en médicaments, tout en laissant une certaine flexibilité aux régions qui se sont basées sur des systèmes d’appel d’offres électroniques tiers. Plusieurs réglementations ont alors été mises en place. Néanmoins, ce système a rapidement montré ses limites.

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En novembre 2010, le Conseil d’Etat chinois a publié un ensemble de recommandations pour les mécanismes d’approvisionnement en médicaments, marquant l’abandon des plates-formes électroniques intermédiaires. Désormais, les places de marché électroniques sont gérées uniquement par les provinces, et elles fonctionnent comme des organisations à but non lucratif, financées par le gouvernement. Les fabricants de médicaments et les institutions médicales n’ont plus de frais à payer. Les médicaments faisant l’objet d’une forte demande sont commandés directement aux laboratoires, tandis que les autres demandes sont regroupées et transmises aux distributeurs.

Enseignements de l’étude de cas

Les chercheurs ont établi cinq constats à la suite de leurs travaux :

1. Alors que le secteur gagne en maturité et que les entreprises intègrent les systèmes en interne, les partenariats verticaux deviennent plus coopératifs et incluent le développement de connections entre systèmes d’information.

2. Alors que le secteur gagne en maturité et que les entreprises intègrent les systèmes en interne, celles-ci s’engagent indirectement dans une coopération horizontale, facilitée par des tierces parties. Dans le cas étudié, ce sont les hôpitaux qui ont poussé les distributeurs à travailler ensemble sur des plates-formes électroniques ouvertes, pour éviter la multiplication des systèmes.

3. Les actions du gouvernement pour établir une plate-forme d’échange électronique gênent le développement de liaisons de système à système. Les acteurs utilisent en effet cette plate-forme au côté de systèmes B2B développés de manière privée et doivent maintenir les deux. En outre certains distributeurs qui développaient des plates-formes ouvertes ont abandonné quand le gouvernement a lancé sa propre initiative.

4. En revanche, les actions du gouvernement pour consolider le secteur ont aidé à développer des plates-formes d’échange interentreprises privées et ont marginalisé les plates-formes de e-commerce mandatées par le gouvernement. La consolidation a incité les entreprises à adopter des plates-formes B2B pour accroître l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement, mais elles sont réticentes à utiliser les outils du gouvernement dans leurs processus métiers.

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5. L’implication du gouvernement dans l’établissement de standards a empêché le secteur de développer des standards de e-commerce. Les entreprises avaient besoin de codes produits standardisés pour faciliter les échanges, mais elles ont attendu que le gouvernement s’en charge, or le morcellement des organismes publics a rendu la tâche trop complexe.

Ces résultats ont conduit les chercheurs à énoncer trois hypothèses :

1. Le développement d’une infrastructure d’information est un phénomène qui s’effectue sur plusieurs niveaux. Dans le cas observé, l’émergence s’est fait de manière graduelle, tant pour les entreprises que pour le secteur.2. Le développement d’une infrastructure d’information implique une coopération entre concurrents (coopétition), dont la forme concrète est déterminée par des facteurs institutionnels. En Chine, le principal mécanisme entrant en jeu dans ces projets était l’attente de réciprocité de la part des concurrents, tandis que dans les pays de l’Ouest c’est plutôt une conscience commune des besoins du secteur.3. Les discussions sur les voies possibles pour l’action collective nécessitent des espaces dédiés qui permettent un échange ouvert, libéré des pressions concurrentielles. Les chercheurs ont constaté que la communauté apprenante était la seule opportunité d’avoir des échanges ouverts entre les différents acteurs de l’industrie, en particulier les concurrents.

Une analyse des comportements des entreprises• Comment les entreprises développent ensemble des infrastructures d’information ouvertes ?Les chercheurs ont observé trois mécanismes entrant en jeu dans le cas étudié : des relations à caractère social entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement, l’intervention de tierces parties (les hôpitaux) et des attentes de réciprocité (les distributeurs facilitant la connectivité à leurs plates-formes en attendant que leurs concurrents en fassent de même).• Qu’est-ce qui motive les entreprises à s’engager dans de tels projets ?Ces conditions interviennent au niveau du secteur. La consolidation de celui-ci a changé la nature de la chaîne d’approvisionnement et des relations concurrentielles. Les plates-formes B2B n’ont plus été considérées comme un champ de bataille mais comme une nécessité, ce changement allant de pair avec une évolution du modèle économique : de simples revendeurs, les distributeurs sont devenus des fournisseurs de services offrant également du conseil et des prestations de développement informatique.

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• Comment les entreprises préservent-elles des domaines d’innovations propriétaires dans ce contexte ?

Les entreprises étudiées n’ont pas cherché à séparer de manière claire les domaines d’innovations propriétaires des domaines adaptés à l’innovation ouverte. La transition s’est effectuée de manière fluide avec le changement de modèle économique. Les plates-formes B2B construites par les distributeurs ont ainsi été mises à disposition des hôpitaux de manière gratuite, les entreprises ne s’appuyant pas sur des innovations propriétaires pour bâtir un avantage compétitif, mais plutôt sur une innovation continue.

• Comment les entreprises coordonnent le développement d’infrastructures innovantes ?

Le processus de développement était souvent initié par les tierces parties, qui intervenaient également dans la coordination des efforts. La mise en œuvre était facilitée par les relations sociales et l’attente de réciprocité.

• Comment les processus et les pratiques des entreprises ont facilité ou entravé ces efforts collectifs ?

Le principal frein observé est la maturité technologique des entreprises.

• Est-ce que ces projets d’infrastructures collectives donnent naissance à des pratiques sectorielles spécifiques ?

En dehors de la communauté apprenante, qui a révélé un réel intérêt pour améliorer la santé du secteur et une volonté de partager des idées, les chercheurs n’ont pas observé d’autres pratiques à l’échelle du secteur.

Les implications managériales : maîtriser les technologies et coopérerEn se basant sur leurs travaux, les chercheurs suggèrent trois caractéristiques pour l’entreprise 2020 :

- Celle-ci maîtrise les technologies de l’ère du réseau à la perfection et peut donc aisément se connecter aux systèmes d’information de ses partenaires.

- Elle est capable de coopérer facilement avec des acteurs externes, y compris des concurrents.

- Elle guide le secteur dans le développement de pratiques sectorielles.

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Les chercheurs souhaitent également attirer l’attention sur deux points :

Tout d’abord, dans une industrie émergente, les infrastructures d’information peuvent se développer rapidement, avec peu de signes avant-coureurs. Les compagnies internationales doivent prêter attention à ceux-ci afin de trouver des opportunités de s’engager activement dans leur développement.

Ensuite, les pratiques existantes d’un secteur peuvent apparaître bien plus résilientes qu’on ne l’imagine. Il faut comprendre leur origine historique avant de chercher à les changer. Par conséquent, les entreprises ne doivent pas chercher à imposer des processus qui semblent bien conçus pour ces pratiques, mais plutôt créer des lieux d’échange pour réfléchir sur celles-ci et ouvrir la possibilité d’un changement.

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Plusieurs grandes entreprises ont pris conscience que beaucoup restait à faire pour favoriser la créativité collective de leurs collaborateurs et améliorer l’accès à une base commune de connaissances. Dans cette optique, trois études se sont penchées sur les moyens de mettre en œuvre un partage de connaissance favorisant l’innovation, aussi bien au sein des entreprises que dans le cadre de collaborations entre différentes entités géographiquement distantes.

Une première étude a ainsi examiné différents cas d’usage de ces places de marché de la connaissance, tandis qu’une autre avait pour objectif de fournir un guide et des bonnes pratiques pour utiliser des médias sociaux tels les wikis de manière à permettre un partage des connaissances effectif. Enfin, la dernière étude relative à cette thématique examine le cas d’une collaboration interentreprises.

Explorer la conception et les effets des places de marché de connaissances internesLes grandes entreprises disposent d’une information très riche et de nombreux talents, mais elles ont souvent des difficultés pour y accéder. Plus l’organisation est large et segmentée, plus il est difficile d’identifier les personnes à même de résoudre un problème. La gestion de flux d’information horizontaux et verticaux, entre spécialités, régions ou pays différents s’avère particulièrement complexe, et les référentiels centralisés n’y sont pas bien adaptés. Les places de marché proposent une approche décentralisée plus à même de répondre à ces problématiques.

Ces marchés de la connaissance permettent de mettre en relation ceux qui cherchent une connaissance avec les sources d’information, mais aussi de générer, combiner et classer des idées, voire de développer, de nouveaux produits et services. Ils facilitent la réutilisation de l’information existante, la création d’information et l’usage efficace des sources d’information, notamment du temps des experts.

Partage de connaissances et co-création de valeur

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32 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Dans ce projet6 , les chercheurs Hind Benbya, Tanya Menon, Nassim Belbaly et Marshall Van Alstyne ont étudié l’utilisation des mécanismes de marché pour soutenir l’innovation et le partage de connaissances au sein des entreprises. Ils ont exploré la manière dont les entreprises peuvent concevoir des places de marché de connaissances, puis ont regardé quels étaient leurs effets.

Le marché aux idées d’Allianz

L’assureur Allianz UK a mis en place une place de marché d’idées pour encourager tous ses employés à proposer et à mettre en œuvre des idées. Assez vite, l’équipe chargée de l’innovation s’est aperçue que la valeur provenait surtout de la quantité d’idées émergeant de la base de l’organisation. Néanmoins, les idées qui se présentaient n’étaient pas toujours pertinentes et leur nombre demeurait insuffisant.

L’équipe a alors centré la démarche sur l’amélioration continue des processus, afin de cibler les problèmes et les priorités des travailleurs. La génération d’idées est ainsi passée d’une notion floue à une activité à visée pratique, et le volume et la pertinence des idées se sont accrus.

On peut tirer plusieurs enseignements de cette expérience :

• Générer un grand nombre d’idées rend le nombre visible à tous.• Au début, il ne faut pas cibler les idées en fonction de leur valeur financière.• Il faut récompenser les participants pour leurs efforts, mais sans privilégier les récompenses matérielles.• L’innovation doit être mesurée avec des indicateurs aussi bien quantitatifs que qualitatifs.

6 Internal Knowledge markets Effects (IKME), Groupe Sup de Co Montpellier Business School.

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Le marché de connaissances de SAP

L’éditeur de logiciels SAP a mis en place une place de marché de connaissances pour soutenir l’ensemble de ses développeurs en entreprise et les aider à consulter leurs pairs. Pour motiver les contributeurs, SAP a basé les échanges sur un système de points fixes, dans lesquels les membres qui lancent des sujets peuvent attribuer des points aux réponses qui les aident le plus.

On peut en tirer plusieurs enseignements :

• Utiliser des incitations matérielles et sociales, mais en laissant les prix fluctuer selon la qualité des contributions.• Encourager la coopération. Il est souhaitable de combiner des systèmes de récompenses qui favorisent la compétition avec d’autres favorisant la coopération.• Se méfier des manipulations. Des mécanismes de régulation sont nécessaires pour éviter que des participants ne trichent.

Le système de récompenses : pourquoi pas une monnaie virtuelle ?Il faut un support d’échange pour que les participants puissent échanger de la valeur sur un marché. Dans ce but les entreprises ont introduit des monnaies virtuelles. Celles-ci offrent plusieurs avantages par rapport à un système de notation :

• Elles ne sont pas liées et sont donc transférables.• Elles encouragent chacun à faire le meilleur usage de son temps, en se concentrant sur ce qui est le plus important. Un problème critique valant 5 000 points recevra ainsi plus d’attention qu’une question à 5 points.

Ces monnaies doivent permettre aux prix de fluctuer pour privilégier la qualité au volume des contributions. Il faut également qu’elles circulent pour éviter l’inflation ou la déflation.

Les mécanismes de gouvernance : la DSI dans le rôle d’une banque centraleL’introduction d’une place de marché nécessite de nouvelles formes de gouvernance et de nouveaux rôles. La DSI ne peut plus agir comme un planificateur, mais doit endosser un rôle de banque centrale, fournissant une certaine liquidité quand les participants ne parviennent pas à échanger et gérant l’économie interne de manière à favoriser une croissance optimale.

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Quelles implications pratiques ?

Les systèmes d’information de partage de la connaissance ne peuvent être vus comme des systèmes purement informatiques, car ils sont aussi des systèmes relationnels.

Les chercheurs suggèrent de récompenser les participants de tels systèmes autrement que financièrement. Un système de monnaie virtuelle permet notamment de qualifier leur réputation et de rendre visible dans l’organisation ceux qui aident.

Néanmoins, tout système de classement peut créer une dynamique compétitive. Celle-ci peut avoir des implications positives pour motiver les participants, mais il faut la contrôler pour en éviter les effets pernicieux. Il faut donc privilégier un système permettant de prendre en compte la qualité des contributions tout autant que leur qualité, par le biais d’évaluations de la communauté. De la même façon, le contrôle ne doit pas être centralisé mais « crowd-sourcé », à partir de la communauté elle-même.

Enfin, concernant l’anonymat, les auteurs suggèrent de ne pas en faire la norme, mais de le réserver aux circonstances dans lesquelles les décideurs recherchent un feedback honnête. Pour les entreprises, si l’anonymat risque de favoriser des comportements non éthiques, il apparaît aussi comme un facteur facilitant le passage à de nouvelles normes sociales.

Projet SMI : un programme pour guider et évaluer l’usage des médias sociaux dans l’entrepriseLes entreprises utilisent avec succès les médias sociaux pour atteindre de multiples objectifs : analyse de la concurrence, meilleure identification et diffusion de l’information, résolution de problèmes… Ces usages montrent que les processus quotidiens et le partage de connaissances peuvent être enrichis avec des outils qui améliorent également la communication et l’efficience.

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Dans ce contexte, le programme7 mené par des chercheurs de l’université de Californie du Sud avait pour objectif de dégager des bonnes pratiques et de proposer des recommandations pour une utilisation professionnelle des médias sociaux, notamment ceux centrés sur la collaboration comme les wikis. Les chercheurs souhaitent aider les entreprises à optimiser l’usage de ces outils afin d’encourager l’innovation collaborative et le partage de connaissances.

Un constat : une faible réutilisation des contenusSi l’accessibilité à cette information peut améliorer les processus organisationnels, la faible réutilisation de l’information présente dans les systèmes de partage des connaissances demeure un problème. Pour les chercheurs, cette faible réutilisation s’expliquerait notamment par un travail d’intégration et de recombinaison de l’information peu effectué par les contributeurs.

Des wikis pour mieux partager la connaissance ?Contrairement à d’autres technologies de gestion des connaissances, les wikis permettent une publication collaborative sur un même site Web. L’ordonnancement de l’information et de la connaissance suit la logique du document plutôt que l’ordre chronologique. Les contributeurs peuvent modifier leur contenu et celui publié par d’autres, les changements sont possibles en permanence et l’historique des modifications est visible de tous. Les auteurs de chaque changement sont identifiables. Ces caractéristiques fournissent des possibilités de collaboration absentes d’autres types de solutions, et qui présentent de la valeur pour de nouveaux processus d’innovation.

Le comportement de « mise en forme » de l’information dans les wikis : un rôle fondamentalContribuer à un wiki ne signifie pas seulement enrichir en contenu son domaine d’expertise, mais aussi intégrer des connaissances déjà publiées afin de mieux les organiser. Cette activité de « mise en forme » peut désigner des modifications sur son propre travail ou celui d’autres contributeurs, une réorganisation des contenus, la suppression d’éléments redondants ou inconsistants, et toute action visant à rendre le contenu plus signifiant, utilisable et maintenable. C’est une activité de synthèse et d’organisation dans laquelle chacun peut s’impliquer.

7 A framework for assessing the effective use of social media tools in the enterprise to enhance innovation, collective problem solving, knowledge sharing and management of virtual teams, University of Southern California

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Utiliser les wikis pour encourager l’innovation

Comment l’innovation et la créativité peuvent être encouragées dans l’entreprise à travers l’usage de médias sociaux ou collaboratifs comme les wikis ? Comment les réseaux de connaissance existants peuvent être modifiés ou étendus ? Comment améliorer leur rendement à travers une collaboration plus poussée ?

En s’appuyant sur différentes études de cas, les chercheurs ont identifié plusieurs bonnes pratiques pour stimuler l’innovation et la production d’idées sur des outils de type wiki.

Plusieurs activités apparaissent ainsi importantes pour conserver un haut niveau de communication, comme suivre le flux des publications, rappeler périodiquement aux participants de publier des contenus, leur transmettre des recommandations de lecture ou encore encourager la modération afin de maintenir l’intérêt.

Ultérieurement, les auteurs ont ajouté le capital émotionnel comme facteur de succès pour de telles initiatives, notamment les sentiments d’authenticité, d’attachement et d’amusement.

• L’authenticité de telles démarches passe notamment par l’implication du management : si celle-ci est absente ou peu visible, les employés tendent à considérer la participation comme une activité en dehors de leurs missions.• L’attachement naît quant à lui du sentiment d’appartenance à une communauté.• L’amusement associé à l’expérience semble également important pour générer et entretenir l’enthousiasme des participants, de même que la facilité d’utilisation de la plate-forme.

Enseignements de l’étude

Les entreprises sont moins familières des usages encourageant la co-création et l’innovation. Cela s’explique davantage par des facteurs organisationnels que par des barrières techniques ou des problèmes de ressources, notamment une méconnaissance de la logistique et des processus à mettre en œuvre pour que l’utilisation d’outils sociaux génère des résultats exploitables.

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Dans une optique d’innovation, les entreprises ont intérêt à envisager un autre usage des médias sociaux, basé sur une collaboration massive et ouverte. Celle-ci repose sur les principes suivants :

• Elle se concentre sur un domaine où la collaboration peut croître de manière organique en attirant les participants ;• Les idées sont bénéfiques quand tout le monde en génère et les intègre plutôt que quand les individus se laissent conduire ;• Elargir le nombre de participants et inclure différents écosystèmes peut déboucher sur des relations inattendues ;• Les participants ont le droit de s’impliquer et de se retirer à tout instant à travers une variété de rôles changeants ;• Les résultats ne sont volontairement pas prédéfinis afin que l’innovation puisse surgir ;• Les relations inattendues entre les participants et les données doivent être poursuivies.

La collaboration massive n’a pas forcément pour but de produire de l’innovation. Pour favoriser celle-ci, il faut également inciter les participants à re-conceptualiser, réécrire et questionner de manière créative et ouverte les autres participants.

Les parties prenantes doivent également s’engager pour soutenir des « champions » et fournir les ressources permettant de construire et de maintenir des wikis efficaces : si l’utilisation d’un wiki à des fins d’innovation n’apparaît pas comme une priorité explicite pour les collaborateurs, des tensions apparaissent. Il faut un engagement global de l’entreprise et de son management.

Par ailleurs, les systèmes incitatifs généralement mis en place dans les organisations ont tendance à défavoriser l’innovation collaborative, en particulier ceux basés sur des incitations financières ou sur un gain de réputation pour les gagnants, qui favorisent la compétition et créent des rivalités.

Néanmoins, les barrières à l’encontre de l’innovation collaborative en ligne peuvent être enlevées. Il n’est pas nécessaire d’engager des efforts importants pour pallier les conséquences d’écarts de connaissances : des pratiques existent pour contourner ces barrières au lieu de les abattre. Il s’agit d’éviter les conflits entre personnes, de favoriser la co-création rapide de passerelles, d’encourager un engagement créatif continu et une flexibilité permettant de modifier régulièrement les idées de solutions, et d’inciter chacun à être responsable de la traduction de ses connaissances personnelles en connaissances collectives.

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Autre constat, le rôle du « metteur en forme » est souvent sous-évalué et sous-récompensé, alors qu’il s’agit d’un élément essentiel dans le processus menant à une solution. Dans les faits, ce sont souvent les résultats qui sont récompensés alors que c’est le processus collaboratif qui est déterminant pour s’assurer de la qualité des échanges et veiller à ce que les meilleurs éléments des différentes idées soient incorporés.

Enfin, quatre facteurs influent sur l’aptitude d’une entreprise à mettre en œuvre des démarches d’innovation collaborative en ligne :

1. La direction : identifier un champion est une nécessité pour soutenir la mise en place d’un processus nouveau et souvent peu familier. La motivation des individus est un facteur important pour passer de processus d’innovation souvent fermés à des démarches ouvertes et moins guidées.

2. Le manque de temps : souvent, même si l’entreprise perçoit la valeur de ces démarches d’innovation, d’autres priorités viennent interférer et l’empêche de les expérimenter.

3. L’alignement stratégique : les processus et structures de l’entreprise ont souvent du mal à s’aligner sur le nouveau processus proposé.

4. La résistance au changement : même en ayant identifié un besoin de faire autrement, il peut s’avérer difficile dans les faits de sortir des limites de l’entreprise, par exemple pour intégrer des innovations externes.

Innovation globalement distribuée et co-création de valeurIl est admis que l’innovation émerge tout autant sinon plus des réseaux inter-organisationnels que d’une seule et même organisation. L’un des plus grands défis de l’innovation collaborative, dans un contexte distribué, est la création et le partage de la connaissance.

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39 « Vague B » - Février 2014

L’étude8 dirigée par le Dr. Pamela Abbott et le Dr. Yingqin Zheng, en partenariat avec le professeur Rong Du et le Dr. Shizhong Ai, aborde l’innovation collaborative et la co-création de valeur dans le cadre de ces réseaux inter-organisationnels, et dans un contexte multiculturel et géographiquement réparti. Elle s’appuie pour cela sur l’analyse d’un projet de co-développement d’applications mené entre un sous-traitant basé en Chine et une organisation implantée en Grande-Bretagne. L’objectif était notamment d’étudier comment le temps et l’espace influencent les processus liés à la connaissance dans des communautés de pratique géographiquement réparties.

Le cadre conceptuel : la créolisation de l’innovationLes auteurs ont conceptualisé les trajectoires que peuvent emprunter les sous-traitants dans le cadre de partenariats interculturels, afin d’augmenter leur croissance et d’améliorer leur proposition de valeur.

• Passer d’un modèle linéaire à la reconfiguration des réseaux

Une relation client-fournisseur plus mature se concentre sur la valeur que chaque partie peut apporter. Le sous-traitant étudié a développé ses capacités avec de nombreux clients et à travers de nombreux contextes culturels. Il a fait appel à divers types de ressources, puis les a combinées et reconfigurées activement afin d’offrir davantage de services, d’accélérer sa croissance, de se développer sur le plan international et d’occuper une position plus élevée dans la chaîne de valeur.

• La « créolisation » : mettre en place le terrain pour la reconfiguration des capacités

Le concept de « créolisation » décrit la rencontre et l’assimilation de plusieurs cultures et identités, ainsi que la mobilisation de ressources et connaissances dans des réseaux globalement distribués, comme le développement offshore de logiciels ou l’externalisation de services. Ce terme permet notamment de contrebalancer l’idée de « globalisation », qui sous-entend qu’une même culture globale s’impose partout.

8 Globally distributed innovation and Co-creation of value: Cases of UK-China Collaborations, (GLOBVAL), Brunel University.

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40 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

• Au-delà de l’organisation ambidextre

Les auteurs de l’étude ont identifié quatre grandes capacités organisationnelles permettant aux entreprises d’apprendre et d’évoluer :

• L’ambidextrie (capacité des organisations à concilier les activités d’exploration nécessaires à l’innovation et les activités d’exploitation).• La capacité combinatoire, qui consiste à recombiner autrement des ressources et compétences existantes ou à les combiner avec des ressources nouvelles.• La reconfiguration des ressources, grâce à laquelle l’entreprise peut s’adapter aux changements.• La capacité d’innovation.

Bonnes pratiques observées chez le sous-traitant• Créer une capacité d’innovation au niveau organisationnel

Des efforts sont faits au niveau de l’organisation afin de fournir des espaces pour la création et la distribution de nouvelles connaissances ; ainsi que pour récompenser la pensée innovante. Parmi ces mécanismes figurent des « centres d’excellence », qui encouragent le développement d’experts dans des domaines verticaux et horizontaux, ou des « incubateurs » permettant aux employés de développer des idées d’affaires et en cas de réussite d’obtenir des financements, voire même de créer des spin off satellites. L’entreprise encourage également les environnements interculturels.

• Créer une capacité d’innovation au niveau de l’équipe

Dans l’équipe étudiée, beaucoup de pratiques sont liées à l’adoption de méthodes agiles en tant que méthodologie pour guider le développement. Cette influence a créé un style de travail très participatif. Le pair programming, qui instaure des duos de développeurs et de testeurs dès le début du processus de développement, a favorisé le co-développement et un intense partage de connaissances et de capacités au niveau individuel. Ces pratiques ont encouragé une culture de l’apprentissage, où chacun participait en fonction de son niveau d’expertise et développait son expérience à travers des interactions avec des experts.

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41 « Vague B » - Février 2014

• Privilégier l’usage extensif des médias électroniques pour abolir la distance spatio-temporelle

Le haut niveau de communication et d’interaction est propice à la créativité et à la productivité. Les échanges fréquents avec des collègues expérimentés créent un environnement égalitaire. De nombreux instruments numériques ont été déployés : visioconférence, partage d’écrans, messagerie instantanée, messages électroniques… Quand la technologie ne permettait pas de résoudre certaines difficultés de communication, des individus clés servaient d’intermédiaires entre les équipes anglaises et chinoises.

• Usage de scénarios utilisateurs comme support de négociation

Les scénarios utilisateurs, qui consistent à imaginer et décrire le cheminement d’un utilisateur dans l’application, ont été le principal élément autour duquel le co-développement s’est mis en place. Ils étaient préparés par les équipes du donneur d’ordre, puis réinterprétés par le sous-traitant qui proposait différentes approches. Ce processus était itératif et très interactif.

Encourager l’entreprenariat en systèmes d’information dans l’entrepriseLe développement du Cloud computing, de l’externalisation, des réseaux sociaux, de l’offshore, du crowdsourcing et du big data, combiné à l’émergence accélérée de technologies potentiellement disruptives rendent l’innovation de plus en plus essentielle. Dans ce contexte, les compétences non techniques vont devenir de plus en plus importantes pour les professionnels de l’informatique, notamment les aptitudes entrepreneuriales et « intrapreneuriales », l’intraprenariat désignant le fait de créer une nouvelle entreprise/branche d’activité dans une organisation existante pour exploiter une nouvelle opportunité et créer de la valeur sur le plan économique.

Une étude9 dirigée par le Dr Gaëtan Mourmant et le Pr Michel Kalika a abordé les enjeux de la création de valeur dans le domaine des technologies numériques sous cet angle de l’entreprenariat, un facteur clef pour nourrir la capacité d’innovation du secteur.

9 Observatoire des entreprenants en Système d’Information (ODESI), EM Strasbourg Business School.

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Les chercheurs ont examiné le rôle des individus entrepreneurs dans l’économie numérique et leur place dans les entreprises. Cette étude a abordé les questions suivantes :

• Comment favoriser l’esprit entrepreneurial dans et en dehors des entreprises ?• Comment accompagner les collaborateurs qui souhaitent fonder leur entreprise ?• Quels rôles peuvent jouer les DSI pour encourager l’entreprenariat ?

Les entrepreneurs face aux déclencheurs externes et internesUn très grand nombre de déclencheurs peuvent conduire un salarié à quitter son entreprise pour fonder son activité. Ces chocs ont plusieurs dimensions : ils peuvent être internes (idée de produit…) ou externes (faillite de l’employeur…), négatifs, positifs ou neutres, liés à son travail ou à sa vie personnelle. Le passage à un mode de pensée entrepreneurial est conditionné par plusieurs éléments :

• Les conditions nécessaires pour quitter le poste et démarrer une activité. Ces conditions varient selon les individus ;• La position ontologique, c’est-à-dire la réalité dans laquelle évolue l’individu, qui peut le conduire à évaluer de manière différente les risques par exemple ;• L’accélération du processus : les changements de mode de pensée permettent d’acquérir des connaissances suffisantes pour déclencher le turnover sans passer par un choc ;• L’équilibre : chaque individu doit trouver un certain équilibre en termes d’aptitudes/d’intelligence, de personnalité et entre les capacités à rêver/agir.

Cultiver des espaces de liberté IT dans et hors des entreprisesPour établir des espaces de liberté entrepreneuriale dans l’entreprise, il faut plusieurs prérequis, notamment un sponsor, peupler et protéger l’espace et son écosystème, définir les responsabilités et les mécanismes de reconnaissance, et définir dans quelles conditions quitter l’espace et l’entreprise. La plupart de ces prérequis sont également valables pour la création de tels espaces à d’autres niveaux : Etat, région, réseau virtuel, ville, organisation…

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Des espaces en lien avec l’accéluction

L’accéluction est définie par le professeur Ahmed Bounfour comme « un nouveau système de production accélérée de liens, qui se traduit d’un côté par le développement d’espaces de création de valeur et de l’autre par le fait que la valeur est désormais créée à travers une accélération majeure de liens transactionnels (appliquant des principes de marché) ou organiques (relations basées sur la reconnaissance) ».

Les auteurs de l’étude considèrent que les espaces de liberté entrepreneuriale seront inclus dans l’entreprise 2020, et qu’ils sont une constituante de l’accéluction, notamment en favorisant la porosité, la liberté de prendre des risques/faire des erreurs, la recherche d’opportunités et la vision globale de l’industrie.

Tendances émergentes à l’horizon 2020 et implications pour les entreprises

Au cours de la prochaine décennie, les entreprises devront développer des espaces de liberté entrepreneuriale IT. Cette évolution entraîne diverses implications, tant à l’échelle des directions des systèmes d’information que des entreprises elles-mêmes : renforcement du rôle des DSI comme protecteurs de ces espaces ; politique RH favorisant les compétences requises pour l’intrapreneuriat ; processus d’évaluation pour responsabiliser les participants à ces espaces de liberté entreprenariale ; politiques de reconnaissance financière et non-financière ; soutien de l’entreprise aux acteurs quittant l’espace ; prise en compte de tous les concepts associés, notamment la liberté à tous les niveaux.

En parallèle, les auteurs de l’étude suggèrent la mise en place d’un programme pour accompagner les jeunes entrepreneurs IT, le YITE (Young IT Entrepreneurs).

La troisième tendance observée est l’émergence de l’entreprenariat IT, portée par certaines évolutions favorables (statut d’auto-entrepreneur en France, hyperspécialisation, innovations technologiques nécessitant des compétences pointues, etc.) et peut-être également favorisée par la crise, qui pousse certains managers et employés à lancer leur propre activité. Les chercheurs estiment que les DSI ont intérêt à soutenir cet entreprenariat, notamment en favorisant le développement d’infrastructures régionales performantes et en contribuant à créer des pôles d’activité où le capital intellectuel circule.

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Les chercheurs conseillent également aux DSI d’encourager l’entreprenariat IT auprès de leurs collaborateurs, malgré les freins que peuvent représenter le recrutement d’un remplaçant expérimenté ou le risque de voir la nouvelle entreprise concurrencer l’organisation.Dans cette optique, les DSI peuvent soutenir leurs collaborateurs par différentes actions :

• En facilitant l’appropriation des règles du jeu, par exemple par la rotation de postes qui permet d’étendre les compétences d’un collaborateur, l’explication des règles du marché, l’explication des différents aspects IT du métier et l’introduction de réseaux sociaux favorisant les échanges dans et hors l’organisation.• En aidant à évaluer les risques, par l’assignation à des projets comportant des processus d’évaluation des risques explicites ; la participation aux discussions pour évaluer les risques liés à un fournisseur ou au marché ; en soulignant les risques et les opportunités de différents postes et en partageant les processus d’identification des risques.• En améliorant leur compréhension du contexte extérieur, par l’implication dans des communautés, les échanges avec les partenaires, etc.• En encourageant la vision à long terme, par un environnement de travail favorisant l’ouverture et l’expérimentation.• En aidant les collaborateurs à identifier les opportunités.

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Collection « les Essentiels »Les projets de recherche de la « Vague B »

Synthèses librement écrites par le CIGREF, à partir des rapports remis par les chercheurs dans le cadre des travaux de recherche menés pour le programme ISD.

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« Comment les utilisateurs perçoivent-ils les objets numériques ? »

Cette recherche sur le développement des valeurs sociétales et éthiques » (An East asian perspective on the developing ethical and social values of digital object usage) a pour objectif d’étudier les attitudes d’utilisateurs non experts face aux objets numériques (images, vidéos, jeux, programmes, pages Wikipedia…) dans les pays d’Asie de l’Est, qu’il s’agisse de contenus à visée commerciale ou de contenus produits par les utilisateurs eux-mêmes ou la communauté.

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47 « Vague B » - Février 2014

Comment les utilisateurs perçoivent-ils les objets numériques ?

L’étude « DESVALDO » a été menée par :

Kiyoshi Murata, Directeur du Center for Business Information Ethics, de l’Université de Meiji. Il enseigne le management des systèmes d’information. Titulaire d’un doctorat en économie de l’Université de Tsukuba au Japon, ses travaux de recherche portent principalement sur l’éthique de l’information dans les organisations professionnelles.

Andrew Adams, Directeur adjoint du Center for Business Information Ethics, de l’Université de Meiji, où il enseigne également. Il est titulaire d’un doctorat en informatique de l’Université de Saint Andrews et d’un master en droit de l’Université de Reading. Ses travaux de recherche portent sur les aspects sociétaux, juridiques et éthiques des systèmes d’information.

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48 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Contexte et objectifs du projet

Ce projet a été conçu afin d’explorer les pratiques émergentes d’utilisateurs asiatiques non experts de l’informatique face aux objets numériques. L’idée sous-jacente est que ces utilisateurs ne pensent pas en termes de programmes exécutables, de fichiers de données et autres concepts familiers des informaticiens, mais qu’ils conceptualisent les données sous la forme d’objets numériques intangibles : des éléments immatériels qui peuvent être copiés sans dégradation, compressés et transférés sur les réseaux.

Le passage à l’ère numérique s’est effectué si rapidement que des représentations « skeuomorphiques » de ces objets, c’est-à-dire basées sur le monde matériel, restent très présentes. Ainsi, les livres électroniques ressemblent souvent à une projection en deux dimensions d’un livre physique et les représentants des éditeurs de contenus considèrent la copie non autorisée comme un vol comparable à celui d’un objet physique, là où les partisans d’une culture du libre sont plus enclins à la comparer à une location ou un partage.

Dans ce contexte, les chercheurs se sont intéressés aux questions de liberté et de contrôle impliquant les objets numériques, les terminaux physiques utilisés pour y accéder et les réseaux auxquels ils sont connectés (physiques, comme les réseaux de téléphonie mobile, Internet ou les réseaux d’entreprise ; ou numériques comme Facebook, Google).

Ces objets englobent en effet les déplacements, les croyances, les intentions, les ressources et les relations des utilisateurs. Leur contrôle, qu’il soit confié à des tiers ou effectué par les utilisateurs eux-mêmes, est la base fondamentale de l’Age de l’Information.

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Des enjeux éthiques

Les chercheurs ont effectué une analyse de la littérature afin de mettre en évidence les principaux enjeux éthiques associés à l’usage des objets numériques.

• Vie privée, partage d’informations : l’hyper-connectivité devient la normeAvec les appareils photos numériques et Internet, non seulement photos et vidéos peuvent être prises partout, mais elles peuvent être transférées sur le réseau, partagées avec tout le monde et automatiquement marquées avec l’identité des personnes.

La connectivité devient la norme plus que l’exception pour les utilisateurs des réseaux sociaux dans les différents pays étudiés. De manière similaire, le partage d’informations personnelles survient dans toutes les tranches d’âge et tous les pays étudiés. Néanmoins, les individus les plus jeunes mettent moins de restrictions sur leurs données personnelles.

Cette transparence accrue peut être au service de la démocratie tout comme elle peut être un outil supplémentaire d’oppression. Les individus eux-mêmes sont souvent complices de leur propre surveillance en fournissant les moyens et les contenus permettant de les suivre à la trace.

• Copyright, partage, propriété et accès : l’effet prix et l’effet qualitéL’essor de la production et de la distribution numériques a changé la donne dans le domaine culturel. Beaucoup de chercheurs ont critiqué les approches basées sur un copyright fort, notamment depuis l’émergence d’Internet. Certains auteurs ont même estimé qu’un modèle économique basé sur la contrainte et l’aspect physique des systèmes de distribution antérieurs avait plus de chances de mener à un crash de l’économie créative plutôt qu’à une évolution en douceur vers un nouveau modèle économique stable.

Pour certains chercheurs, le caractère amateur et la qualité souvent médiocre de l’information et des contenus disponibles sur Internet entraînent néanmoins un retour en arrière par rapport aux efforts réalisés au XXème siècle sur la qualité des productions.

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Les utilisateurs sont conscients des problèmes économiques que cette évolution pose pour les fournisseurs d’information de masse. Néanmoins, ils sont davantage préoccupés par la facilité d’usage et la transparence des prix que par le risque de léser les artistes ; risque, mis en avant par les entreprises des médias et du secteur culturel pour justifier leurs choix.

• Liberté et contrôle de l’expression : une certaine passivité des internautesLes Etats ont l’avantage de ne pas être trop contraints par des facteurs économiques dans leur usage de la surveillance de masse. Néanmoins, l’expertise de sociétés comme Acxiom, Google et Facebook dans la collecte et l’analyse de données personnelles ne leur a pas échappé, et ils les sollicitent souvent pour leurs objectifs, qu’elles le veuillent ou non.

Les employeurs, le milieu scolaire, les institutions publiques ont leurs propres enjeux : par exemple, savoir s’il est permis, éthique ou profitable de sélectionner des employés potentiels en fonction de l’information disponible sur les réseaux sociaux, ou gérer des salariés qui passent du temps sur Facebook au lieu de faire leur travail, ou des employés qui insultent des clients sur Twitter sur leur temps personnel. Filtrer et restreindre l’accès depuis les postes de travail perd son efficacité lorsque chacun possède un smartphone ou une tablette.

Les chercheurs ont également observé une certaine passivité des utilisateurs face à la question de liberté d’expression. Beaucoup estiment que leurs actions en ligne ne nécessitent pas une protection particulière. Si quelques utilisateurs protestent contre des changements des termes de services permettant aux plates-formes d’utiliser leurs contenus pour de la publicité, la plupart considèrent que ces derniers ont le droit de bloquer, supprimer ou utiliser les contenus qui leurs sont soumis.

• Les interactions numériques ne se substituent pas aux interactions physiquesLes interactions sociales s’appuyant sur les terminaux mobiles deviennent courantes. Au Japon, les chercheurs ont même observé quelques signes d’une baisse des interactions réelles au profit d’interactions virtuelles plus légères, mais pas en Corée ni en Chine.

L’enquête réalisée lors de l’étude suggère que ces interactions numériques viennent avant tout améliorer et compléter les interactions physiques sans les remplacer entièrement, beaucoup d’utilisateurs continuant d’imprimer et de partager des photos physiques.

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Néanmoins, au Japon, des différences significatives apparaissent entre les tranches d’âge, les plus jeunes étant moins susceptibles d’imprimer des photos.

Les conséquences dans le monde du travail de cette culture du « toujours connecté », qui augmente les heures de travail et brouille la frontière entre le travail et la vie personnelle/familiale, constituent une préoccupation.

MéthodologieCette étude s’est appuyée sur une approche ethnographique, basée sur des entretiens semi-structurés et sur des sondages. Une première série d’entretiens a permis d’élaborer des hypothèses. Celles-ci ont ensuite utilisées pour bâtir les questions du sondage. Initialement, l’étude devait être menée dans trois pays : Chine, Corée et Japon. Le Royaume-Uni a été ajouté en cours de projet afin de pouvoir comparer les résultats avec ceux d’un pays occidental, puis le sondage a été proposé dans les quatre pays de l’étude à travers une solution en ligne.

Contexte des trois pays étudiésEn Chine, le taux de pénétration de l’accès Internet était de 38,3% en décembre 2011, mais avec de fortes disparités entre les villes, où ce taux dépasse les 60 %, et les campagnes où il est inférieur à 30 %. L’accès à Internet et les usages sont régulés afin de préserver le régime du parti unique. L’écriture et la lecture d’articles sur Wikipedia et Twitter sont par exemple interdits, au profit de services similaires comme Baidupedia, fourni par le moteur de recherche leader en Chine.

En Corée du Sud, le taux de pénétration de l’accès Internet était de 81 % en 2010. Le pays est encore en situation de guerre avec la Corée du Nord, et tous les utilisateurs d’Internet doivent de ce fait saisir leur numéro de résident, un identifiant unique assigné à leur naissance, ainsi que leur vrai nom quand ils s’enregistrent sur presque tous les sites de commerce. La collecte d’informations personnelles est une obligation légale pour les sites et portails où plus de 100 000 utilisateurs se connectent chaque jour.

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Au Japon, l’accès Internet illimité et haut-débit à tarif fixe est la norme, et il n’existe pas ce type de régulations. Au Royaume-Uni, les chercheurs ont récolté 43 réponses complètes. En Chine, l’analyse s’appuie sur 151 réponses complètes, au Japon sur 124 et en Corée 98 personnes ont répondu à la totalité du questionnaire.

Hypothèses initiales et analyse cross-culturelle des résultats• Des individus de tout âge utilisent des terminaux électroniques variés et la manière dont ils les utilisent diffère considérablement selon les tranches d’âge. Des facteurs comme le niveau de revenus, le niveau d’éducation, etc. peuvent avoir un impact notable sur les différences d’usage au sein des tranches d’âge.

- Lorsque le nombre de répondants dans les différentes tranches d’âge était suffisant pour permettre une analyse, des différences significatives entre générations sont apparues. L’usage des réseaux sociaux est particulièrement fort dans les jeunes générations (moins de 25 ans). Dans les pays où Internet est présent depuis plus longtemps (Japon, Royaume-Uni et Corée), la probabilité que les personnes plus âgées utilisent les réseaux sociaux est plus élevée qu’en Chine. Dans tous les pays, la photographie numérique est quasi-universelle. Quelques différences d’usages apparaissent également en fonction du style de vie (citadins versus ruraux, métropoles versus provinces…).

• Le passage du téléphone fixe au téléphone mobile comme seul service téléphonique utilisé traduit un changement de génération.

- Cette hypothèse s’est vérifiée dans tous les pays, sauf en Corée, où le panel par tranche d’âge était insuffisant. L’avantage de conserver une ligne fixe semblait par ailleurs surtout lié à d’autres services comme la télévision numérique ou Internet. Dans la tranche d’âge intermédiaire (25-49 ans), les téléphones fixes sont plus utilisés au travail qu’à la maison.

• Les téléphones mobiles sont plus répandus que les terminaux fixes.

- Les terminaux informatiques sont maintenant plus souvent mobiles que statiques, les smartphones, tablettes et ordinateurs portables dominant les ordinateurs de bureau dans la jeune génération et la génération intermédiaire. Pour les terminaux dédiés au jeu, les portables et les ordinateurs fixes sont cependant utilisés à parts à peu près égales, même si au Royaume-Uni les portables sont plus répandus.

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• Les téléphones embarquant des appareils photo et caméras vidéo sont devenus des terminaux standards pour beaucoup d’individus, et la plupart, si ce n’est tous, s’en servent pour prendre des photos ou des vidéos.

- Il reste une base significative d’appareils photos dédiés, mais presque tous les répondants utilisent aussi les appareils embarqués dans les téléphones, ou n’utilisent que ceux-ci.

• Les terminaux électroniques et leurs objets numériques embarqués ont désormais pénétré toutes les sociétés étudiées, avec peut-être des différences entre générations.

- Tous les groupes, dans tous les pays, font un usage significatif de ces technologies. Néanmoins, il convient de souligner ici un possible biais du au fait que le sondage a été effectué en ligne.

• Le partage de photos et de vidéos par email est toujours courant, peut-être plus que sur des sites dédiés ou des réseaux sociaux. Seule une minorité publie ses contenus sur des sites complètement publics comme Flickr ou YouTube.

- Dans tous les pays, le partage de photos se faisait en priorité sur les réseaux sociaux, sauf au Japon ou l’email est très légèrement plus répandu. Seule une minorité de répondants utilisent les sites de partage de photos dédiés.

• La compréhension des restrictions légales sur les contenus numériques, les attentes dans ce domaine, la conformité avec les lois en vigueur ont moins d’influence que les barrières technologiques à l’usage dans la manière dont les individus abordent les objets numériques.

- Au Royaume-Uni, un manque d’information sur les usages légitimes ou illégitimes apparaît clairement. Le prix des supports légaux, leur usage peu souple et une disponibilité insuffisante sont mentionnés comme raisons d’utiliser des sources illicites. Les répondants s’accordent sur le fait que le copyright, tel qu’il existe actuellement, ne fonctionne pas bien. En Chine, il en va de même et la copie illégale est acceptée par la majorité. En Corée, une majorité de répondants utilisent les sites de partage de contenus sans se soucier de leur provenance et les mêmes raisons que les Britanniques sont mises en avant. Il n’y a qu’au Japon que les restrictions liées au copyright semblent largement acceptées, même si une minorité relativement importante de répondants utilise aussi les sites de partage de contenus.

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• Beaucoup d’individus ne se soucient pas de leurs droits moraux ou légaux sur les contenus qu’ils publient en ligne, à l’exception des enjeux liés à la vie privée. Presque personne ne considère les contributions à des sites de connaissances ni les commentaires sur des sites de commerce en ligne ou d’actualités comme quelque chose ayant suffisamment de valeur pour le conserver, et en général les utilisateurs acceptent que la société exploitant un site ait le droit de décider des contenus qui restent en ligne ou non.

- Dans aucun des pays étudiés une proportion significative de répondants n’a considéré leurs propres productions éphémères comme ayant suffisamment de valeur pour être protégées par copyright. Les considérations liées à la libre expression sur les sites de médias ou de commerce ne sont pas apparues plus présentes.

• Le terme « Free Software » n’est généralement pas compris pas les individus. Pour certains, cela signifie simplement « gratuit », pour d’autres cela inclut les logiciels mis personnellement à leur disposition par leur employeur sans coût pour eux, ou encore les logiciels fournis avec un terminal, même si le coût de certains d’entre eux représente une part non négligeable du prix total.

- Les résultats sont similaires dans tous les pays. Pour pratiquement tous les répondants, « Free Software » évoque une question de prix et non de liberté, et ce terme inclut des applications mobiles ou informatiques gratuites comme Angry Birds ou Adobe Acrobat Reader. Les répondants ont une conscience limitée des logiciels libres et n’ont presque aucune appréciation de la différence entre ceux-ci et les logiciels gratuits.

Recommandations pour les organisations

• Infrastructure : des enjeux de productivité

L’émergence des Smartphones, tablettes et des réseaux omniprésents marque une rupture avec les infrastructures fixes des entreprises. Les politiques de remplacement du matériel consistant à attendre que les équipements soient complètement dépréciés ou qu’ils ne puissent absolument plus fournir le service requis donnent aux salariés l’impression que leur entreprise est prisonnière du passé. Cela s’avère particulièrement vrai pour les nouveaux entrants sur le marché du travail.

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Beaucoup d’individus possèdent à la fois des terminaux personnels et professionnels, et cela peut s’avérer encombrant de transporter sans cesse des appareils en double. Afin d’éviter de s’encombrer de deux appareils, plusieurs solutions sont possibles. Une solution, encore très peu utilisée, pourrait consister en l’usage de téléphones avec plusieurs cartes SIM. Une autre est de permettre un usage personnel des terminaux professionnels, solution qui requiert néanmoins une surveillance importante en raison des enjeux de sécurité et de protection de la vie privée associés. Confier ce rôle à une tierce partie de confiance pourrait permettre aux employeurs de se décharger de ces préoccupations.Enfin, il faut également avoir à l’esprit l’impact de ces évolutions sur la productivité des employés. En effet, les politiques de contrôle et le blocage de sites ne sont plus la panacée quand les salariés disposent de leur propre accès au réseau à travers leur terminal personnel.

• Praticité d’utilisation : un facteur déterminantLes individus effectuent des choix en tenant compte de différents facteurs qui influencent leur comportement, notamment la praticité d’utilisation (effort ou temps demandé), les considérations financières et le sentiment de justice. Face aux questions de copyright, les chercheurs ont constaté que la praticité des différentes options était un facteur particulièrement déterminant.Internet est riche d’informations sans coût financier direct, et beaucoup d’individus lisent et valorisent cette information librement accessible. L’idée de payer ou d’être payé pour accéder à l’information rencontre de ce fait des limites. En revanche, nombre de personnes acceptent mieux l’idée de payer pour la praticité, soit financièrement soit avec leurs données personnelles.

• Copyright : une complexité mal compriseLe sentiment général est que les lois sur le copyright sont trop compliquées et trop rigides pour s’adapter à l’âge numérique. Les utilisateurs éprouvent des difficultés à savoir ce qui est permis ou non, les services légaux sont peu attractifs car peu pratiques à utiliser ou disposant d’un catalogue inadapté ; les tarifs légaux sont trop élevés ou les contenus légaux sont tout simplement indisponibles.Pour les entreprises, dont le modèle économique dépend du nombre de personnes payant pour des contenus protégés, faciliter l’accès aux objets numériques à travers des canaux clairement identifiés comme légitimes et à des prix modestes a bien plus de chance de convaincre les consommateurs que d’autres stratégies.

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56 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Pour les organisations dont les collaborateurs ont peu conscience de la valeur de leur propre travail intellectuel, des formations adaptées peuvent les aider à éviter les attitudes trop légères face aux enjeux de sécurité ou la dissémination volontaire d’informations de valeur.

• Réseaux : gérer les risques et l’accessibilitéLes réseaux, tant techniques que sociaux, sont porteurs de changements importants. Les organisations doivent les prendre en compte tant pour leurs collaborateurs que leurs clients.Du côté des salariés, ces réseaux peuvent potentiellement présenter plusieurs risques : atteinte à la réputation de l’employeur, dissémination d’informations sensibles, baisse de la performance professionnelle… Les pratiques managériales et les réglementations internes doivent en tenir compte et le personnel doit y être formé.Du côté des clients, les services d’informations et d’interactions avec l’organisation doivent être accessibles, faciles à utiliser et à jour. Il faut notamment veiller à la stratégie mobile : les entreprises s’adressant à une clientèle jeune doivent plus particulièrement être présentes sur de nombreuses plates-formes (réseaux sociaux, Twitter, applications mobiles, etc.).

• Vie privée : attention à l’effet boomerangPour beaucoup d’individus, la vie privée est une valeur dont ils ne prennent conscience que lorsqu’on lui porte atteinte. Afin d’accroître leurs bénéfices, les entreprises peuvent être tentées d’accorder peu d’attention à la protection de la vie privée de leurs clients à court terme, mais, à long terme, cela peut avoir des conséquences irréparables sur leur réputation. Celles qui fournissent des services impliquant des enjeux de vie privée doivent faciliter l’accès de leurs utilisateurs aux paramètres permettant de la préserver.

• Objets numériques : la question de la valeurLa jeune génération, habituée aux objets numériques, perçoit de moins en moins la valeur associée aux supports physiques. Néanmoins, il subsiste une certaine manière de considérer les données comme des objets physiques, à la disponibilité limitée, notamment en cas de perte ou d’accès impossible aux données. Les acteurs de l’économie numérique doivent garder cet aspect en tête pour mieux comprendre les attentes et les réactions possibles des collaborateurs et des clients face à ces objets numériques. Ces attentes peuvent énormément varier selon le type de relation et le type de données concernées, aussi il faut aborder cette réflexion au cas par cas.

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57 « Vague B » - Février 2014

L’entreprise 2020 et le devoir d’éthiquePour les entreprises multinationales ayant une présence globale, il est essentiel de comprendre le fonctionnement et les marchés de ces « pays asiatiques confucéens », une expression issue des travaux d’Ashkanasy. Les résultats de ce projet montrent que ce groupe de pays n’est pas monolithique, mais il existe cependant des similarités significatives dans différents domaines. De manière plus générale, les différences d’attitudes et d’usages constatées lors de cette étude vont se heurter aux réglementations des entreprises. La tendance croissante du BYOD (Bring Your Own Device), ou l’usage sur le lieu de travail de terminaux personnels, risque notamment de créer de multiples problèmes.

Enfin, l’enquête menée à l’occasion de ce projet a révélé un manque de compréhension global du potentiel des objets numériques, qui peuvent être accédés, copiés, modifiés, capturés à la fois par les destinataires souhaités et par d’autres.

L’entreprise 2020 devra avoir des managers comprenant les différentes attitudes existant face à ces objets numériques et aux terminaux qui permettent d’y accéder. En matière de sécurité notamment, ni les utilisateurs ni les clients ne sont l’ennemi. Ces entreprises seront confrontées à des tensions en matière d’éthique de l’information :

• La surveillance sur le lieu de travail pourra découvrir des faits répréhensibles comme dans le cas d’un développeur de Verizon qui externalisait son propre travail en Chine… mais les salariés ont des attentes et des droits au respect de leur vie privée, et le respect de ceux-ci peut améliorer leur productivité.• Le BYOD crée des risques sur la sécurité… mais les utilisateurs sont plus familiers de ces terminaux et donc potentiellement plus productifs.• Travailler de chez soi, ou lors de ses déplacements, peut fournir une plus grande flexibilité pour l’employeur comme pour l’employé… mais la pression constante liée au fait d’être « toujours connecté » peut saper la productivité sur le long terme.• De bonnes relations entre les employés et les clients dépendent souvent de processus de communication informels, qui renforcent la confiance… mais un message inapproprié d’un employé peut avoir des effets en cascade et ruiner des années de travail passées à bâtir la réputation d’une entreprise.• Les travailleurs de la connaissance sont la source de nombreux revenus et profits dans l’économie de la connaissance… mais ils peuvent sous-estimer leurs propres petites contributions à des travaux plus larges, et de ce fait être peu soucieux de la sécurité, de la propriété et des droits.

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58 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

« l’innovation globablement distribuée et la co-création de valeur :

le cas des collaborations anglo-chinoises »Cette étude, dirigée par le Dr. Pamela Abbott et le Dr. Yingqin Zheng, en partenariat avec le professeur Rong Du et le Dr. Shizhong Ai, aborde le sujet de l’innovation collaborative et de la co-création de valeur dans le cadre de projets informatiques menés en partenariat avec un sous-traitant. Elle s’appuie sur l’analyse de projets collaboratifs menés entre des organisations implantées en Grande-Bretagne et en Chine

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59 « Vague B » - Février 2014

L'innovation globalement distribuée et la co-création de valeur

Le cas des collaborations anglo-chinoises

L’étude « GLOBVAL » a été menée par :

Dr Pamela Abbott, , Maître de conférences en systèmes d’information à l’Université de Brunel. Ses thèmes de recherche portent sur les implications sociales, politiques et économiques des usages des systèmes d’information dans les pays émergents, sur les implications socio-culturelles de la globalisation des technologies de l’information et sur les pratiques d’offshoring.

Dr Yingqin Zheng, Maître de conférences en systèmes d’information au Royal Holloway College de l’Université de Londres. Titulaire d’un doctorat en sciences de gestion, de l’Université de Cambridge, elle se consacre à l’étude des implications des technologies de l’information et de la communication, notamment en matière de développement économique et social.

Rong Du, Professeur de management à l’Université de Xidian (Xian - Chine). Il s’intéresse à la gestion des connaissances et au management interculturel.

Dr Shizhong Ai, Professeur associé de génie industriel à l’Université de Xidian.

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60 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les objectifs de l’étude

• Explorer comment le temps et l’espace influencent les processus liés à la connaissance dans des communautés de pratiques géographiquement réparties, dans le cadre de projets informatiques menés avec des partenaires offshore.

• Examiner de quelle façon ces processus de gestion des connaissances contribuent à l’identification, à la négociation et à la co-construction de valeur dans les projets.

• Fournir un cadre théorique pour décrire l’innovation collaborative dans les projets offshore globaux, en relation avec les processus de gestion des connaissances distribuées dans le temps et l’espace.

• Produire des indications et des recommandations en termes de stratégie et de pratiques pour les organisations engagées dans des projets offshore, ou dans d’autres types de partenariats globaux visant à mettre en place une innovation collaborative.

Le contexte du projet

La crise économique oblige les entreprises à être plus innovantes afin de rester compétitives. Il est par ailleurs admis que l’innovation émerge tout autant sinon plus de réseaux inter-organisationnels que d’une seule et même organisation. Dans le même temps, les économies émergentes deviennent des sources d’innovation. Les entreprises européennes commencent à étendre leurs réseaux dans des pays comme la Chine, afin de bénéficier de leurs capacités technologiques, des compétences locales et de nouveaux marchés potentiels.

Dans ces pays, le secteur de la prestation de services informatiques représente un potentiel important pour tout ce qui touche l’innovation collaborative. Cette notion est vaste : l’innovation collaborative recouvre à la fois des approches nouvelles et créatives de la connaissance, des perspectives de partenariat, l’investissement dans des relations productives de long terme, une compréhension interculturelle, et une exposition à des marchés divers et différenciés.

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61 « Vague B » - Février 2014

Les entreprises chinoises du secteur informatique se sont développées très rapidement durant la dernière décennie et ont accru leur niveau de service. Alors que leur proposition de valeur augmente, les relations avec leurs clients gagnent en maturité et évoluent vers des partenariats mutuellement bénéfiques, appelés innovation collaborative.

L’un des plus grands challenges de l’innovation collaborative, dans un contexte distribué, est la création et le partage de la connaissance. Si le savoir peut facilement être encodé, stocké et transféré sous la forme d’objet informatique, il est néanmoins bien souvent tacite. Pour cette raison, les solutions technologiques de gestion des connaissances ne sont pas nécessairement suffisantes pour transmettre du sens, en particulier dans le cas de communautés distribuées dans le temps et l’espace.

Ce projet a donc pour objectif d’étudier les partenariats collaboratifs dans un contexte distribué et multiculturel, afin d’examiner comment l’innovation émerge à travers les efforts stratégiques pour faciliter les flux de connaissances inter-organisationnels.

Méthodologie employée

Le champ d’étude de ce projet a été abordé à travers trois types d’approches.

Des entretiens exploratoires semi-structurés ont tout d’abord été menés avec huit entreprises de services informatiques chinoises dans trois villes : Pékin, Shanghai et Wuxi. Seize managers seniors ont été interviewés.

Dans le même temps, des questionnaires électroniques ont été distribués aux équipes projet de deux des huit entreprises. Les chercheurs ont obtenu 257 retours de questionnaires pour l’une des deux entreprises, VanceInfo.

L’analyse de ces résultats a permis d’identifier les valeurs culturelles des individus et celles de l’organisation ; de déterminer quelle était la part de l’innovation et des pratiques de partage de connaissance dans l’organisation ; et enfin de comprendre les relations entre ces différents éléments.

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62 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les chercheurs ont également conduit une étude de cas détaillée d’un projet mené par VanceInfo Technologies. Le projet choisi répondait aux critères suivants :

• projet réussi résultant d’une collaboration sur le long terme entre l’entreprise et un partenaire américain, en l’occurrence Microsoft ;

• projet ayant permis de mettre une solution innovante sur le marché ;

• développement de la solution mené par des équipes géographiquement et culturellement distribuées ;

• organisation cliente basée dans un pays européen, (en Grande-Bretagne)en l’occurrence MSN-GB.

Les chercheurs ont pu interroger en détail l’équipe, côté fournisseur. Ils ont mené, dans le même temps, une revue de la littérature autour du concept de l’innovation collaborative et des concepts associés, afin de développer la partie théorique de l’étude.

• Revue de la littératureLa littérature sur le sujet de l’innovation collaborative couvre de nombreux domaines comme la gestion de la chaîne d’approvisionnement, l’économie, le management stratégique, les comportements des organisations et la recherche en systèmes d’information.

La notion d’innovation collaborative est fréquemment utilisée dans le domaine de la gestion des approvisionnements, où l’accent est mis sur l’importance des alliances stratégiques et des partenariats pour disposer d’un avantage compétitif, ainsi que dans la littérature sur le management stratégique, où c’est davantage la nature et le fonctionnement des relations inter-organisationnelles et des réseaux de création de valeur qui sont évoqués.

Un domaine applicable aux services informatiques externalisés concerne l’évolution de la relation vers des services à plus forte valeur ajoutée, alors que la relation client-fournisseur gagne en maturité. Cette évolution est schématisée dans le diagramme ci-après :

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63 « Vague B » - Février 2014

Figure 1: Evolution de la relation client-fournisseurs. Source: P.Abbott, Zheng Y. (2013)

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Cadre conceptuel

• La capacité de reconfiguration dans la chaîne de valeur

L’innovation collaborative : d’un modèle linéaire à la reconfiguration des réseaux

Cette étude avait d’abord pour objectif d’explorer le processus d’innovation collaborative, celle-ci étant vue comme une progression linéaire de la relation, alors que les échanges entre un client et son fournisseur gagnent en maturité. Si au départ ces échanges se limitent à l’administration d’un contrat, ils passent ensuite à une véritable gestion de contrat, puis à une gestion de la relation client-fournisseur.

Dans ce modèle, au début de la relation, les tâches externalisées ne font généralement pas partie du cœur de métier, elles sont routinières et non stratégiques afin de minimiser le risque pour le client. La principale préoccupation à ce stade est de réduire les coûts de production. Avec le temps et la maturation de la relation, les préoccupations abordent le domaine de la qualité, du service et de la valeur ajoutée. Une relation client-fournisseur plus mature se concentre sur la valeur que chaque partie peut apporter. Les enjeux de cette trajectoire portent sur la manière dont la valeur est construite et comment la confiance se construit à chaque stade, pour passer d’une relation strictement contractuelle à un partenariat mutuellement bénéfique.

L’étude de cas s’est écartée de cette conception purement linéaire, révélant un processus plus dynamique à travers une chaîne de valeur transversale et complexe. Les chercheurs ont notamment constaté que le sous-traitant a développé ses capacités avec de nombreux clients, à travers de nombreux contextes culturels, en faisant appel à divers types de ressources et en combinant et reconfigurant activement ses ressources et capacités afin d’offrir davantage de services, d’accélérer sa croissance, de se développer sur le plan international et d’occuper une position plus élevée dans la chaîne de valeur.

L’étude a donc étendu son focus, passant d’un type de relation d’innovation collaborative à une approche en réseau des relations collaboratives.

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Le cadre de la « créolisation » : mettre en place le terrain pour la reconfiguration des capacités

Lors de précédents travaux, les auteurs de l’étude avaient déjà examiné les pratiques des sous-traitants chinois dans le domaine des services informatiques, dans un contexte de collaboration avec des partenaires étrangers. Dans ce cadre, le concept de « créolisation » a été proposé pour décrire la rencontre et l’assimilation de plusieurs cultures et identités, ainsi que la mobilisation de ressources et connaissances dans des réseaux globalement distribués, comme le développement offshore de logiciels ou l’externalisation de services. Ce terme permet notamment de contrebalancer l’idée de « globalisation », qui sous-entend qu’une même culture globale s’impose partout.

Le concept de « créolisation » englobe quatre processus imbriqués, qui opèrent à plusieurs niveaux :

• L’expansion du réseau intervient au niveau international, il s’agit de connecter et d’étendre des réseaux disparates, à travers la construction de la réputation et la mise en place de relations de confiance.

• La fabrication mutuelle du sens opère au niveau inter-organisationnel. Il s’agit de relayer les flux de connaissances et de permettre le partage de pratiques à travers différents groupes culturels, via les interactions et la collaboration.

• L’hybridité culturelle apparaît à l’échelle de l’organisation. Ce processus crée des cultures organisationnelles hybrides où les frontières des organisations elles-mêmes sont floues et les pratiques de travail, objet de négociation.

• La multiplicité des identités se joue au niveau individuel. Il s’agit d’adopter et de construire des identités multiples, notamment à travers des individus intermédiaires, des têtes de pont qui servent d’interfaces entre plusieurs groupes culturels et négocient des compromis. Les tensions inhérentes en cas de différences prononcées et de confrontation des cultures peuvent ainsi être aplanies.

Reconfigurer les capacités : au-delà de l’ambidextrie et des capacités combinatoires

Dans une perspective d’organisation apprenante, la « créolisation » concrétise la capacité d’une entreprise à tirer parti de multiples sources de connaissance, ressources, normes et pratiques pour accroître sa productivité, sa créativité et sa vitalité.

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66 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

La recherche sur les capacités des organisations apprenantes a évolué : au départ axée sur les ressources des organisations, elle s’est intéressée ensuite à leur capacité d’absorption, puis à la notion de capacités dynamiques, à l’ambidextrie et aux capacités combinatoires.

Les auteurs de l’étude se sont appuyés sur l’analyse de la littérature pour identifier quatre grandes capacités organisationnelles permettant aux entreprises d’apprendre et d’évoluer :

• L’ambidextrie (capacité des organisations à concilier les activités d’exploration nécessaires à l’innovation et les activités d’exploitation).

• La capacité combinatoire, qui consiste à recombiner autrement des ressources et compétences existantes ou à les combiner avec des ressources nouvelles.

• La reconfiguration des ressources, grâce à laquelle l’entreprise peut s’adapter aux changements.

• La capacité d’innovation.

Les chercheurs ont examiné les relations entre ces capacités et la performance d’organisations comme les sous-traitants informatiques. Ils ont utilisé le terme « globale-née» (born-global) pour caractériser ce type d’entreprises et démontrer le lien entre les capacités interculturelles (processus de « créolisation »), les capacités de reconfiguration et l’atteinte d’objectifs de performance.

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68 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les auteurs de l’étude ont également catégorisé les différentes propositions de valeur et leur valeur ajoutée pour le fournisseur sous-traitant et pour le client, à travers le tableau suivant :

Figure 3: Catégorisation des différentes propositions de valeur et leur valeur ajoutée pour le fournisseur sous-traitant et pour le client. Source P.Abbott/Y.Zheng (2013)

Valeur économique et financière Valeur stratégique Valeur basée sur la

connaissance ou le contexte Valeur liée à l’innovation

Exploitation des capacités

existantes

Offre de services sur des tâches de routine :- Ecriture du code- Tests- Maintenance- Back-Office- Externalisation de processus métier

Services différentiateurs pour des segments de marché ciblés

Personnalisation :- Langage- Fonctionnalités pour des marchés locaux

Recherche et développementSolution totale

Construction de nouvelles

capacités

Construction des compétences :- Ecriture de code- Tests- Maintenance- Back-Office- Externalisation de processus métier

Construction de compétences pour des segments de marché ciblés

Connaissances sur un domaineConnaissances culturelles

Expertise technique

Expertise sur les processus/la méthodologie

Expertise sur le design

Proposition de valeur

du fournisseur

Coûts plus basCapacités techniquesForce de travail flexible

Accès à la base de client du fournisseurAccès aux réseaux du fournisseur

Connaissance du marché domestiqueProtection de la propriété intellectuelle

Innovation continueInnovation collaborative

Valeur fournie par le client

au prestataire

Chiffre d’affaires Accès à la base de contacts du clientAccès aux réseaux du clientStatut de partenaire privilégié

Connaissance du marché étranger

Liberté et autonomie pour développer ses propres solutions et collaborer

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69 « Vague B » - Février 2014

Dans la réalité, les différentes activités et la valeur associée présentées dans ce tableau peuvent s’entremêler, notamment l’exploitation des capacités existantes et le développement de nouvelles capacités.

Cette conceptualisation fournit un aperçu des trajectoires que peuvent emprunter les sous-traitants dans le cadre de relations de partenariat interculturelles, afin d’augmenter leur croissance et d’améliorer leur proposition de valeur.

Résultats de l’étude de casLe projet choisi pour l’étude de cas concernait le développement d’une application du partenaire américain pour les tablettes. Ce projet consistant à porter les chaînes d’un portail d’information sur tablettes s’inscrit dans la stratégie du partenaire américain de concentrer ses efforts sur le segment des terminaux mobiles. La filiale de ce partenaire est responsable de la livraison de tous les produits du portail d’information, incluant l’application pour les tablettes. De son côté, VanceInfo offre des services d’externalisation à travers son équipe Global Market Delivery (GMD) basée à Shanghai. Le partenariat avec l’entreprise américaine existe depuis 1997 et plus particulièrement depuis cinq ou six ans avec sa filiale basée en Grande Bretagne.

Ce projet de six mois a été mené par trois équipes distribuées avec des responsabilités distinctes mais interconnectées :• l’organisation cliente basée en Grande Bretagne (équipe de six personnes) était chargée d’établir les exigences des utilisateurs, l’architecture du produit et de diriger l’ensemble des équipes.• L’équipe de Shanghai (vingt personnes) était responsable du planning de production, du développement, des tests et de la maintenance.• L’équipe américaine était responsable de l’expérience utilisateur (design et interface).

Les équipes ont utilisé des méthodes de développement agile distribuées (Scrum, scénarios utilisateurs, pair programming) comme principale méthodologie pour le développement du logiciel. Le caractère innovant du projet était lié à une innovation technique permettant de porter l’application vers différentes plates-formes technologiques sans avoir à réécrire l’essentiel du code.

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70 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

• Bonnes pratiques observées

Créer une capacité d’innovation au niveau organisationnel

Les entretiens avec le management senior de VanceInfo ont montré que des efforts étaient faits au niveau de l’organisation afin de fournir des espaces pour la création et la distribution de nouvelles connaissances ; ainsi que pour récompenser la pensée innovante. Parmi ces mécanismes figurent par exemple des « centres d’excellence ». Ces centres encouragent le développement d’experts dans des domaines verticaux et horizontaux, sectoriels ou techniques. Un autre exemple est celui des « incubateurs », où les employés peuvent développer des idées d’affaires et en cas de réussite obtenir des financements, voire même créer des spin off satellites de VanceInfo. L’entreprise encourage également le développement d’environnements interculturels à travers le recrutement d’employés de plusieurs nationalités et multilingues. Les postes clefs dans le monde sont occupés par des individus multiculturels. Le management senior évoque la nécessité d’un équilibre entre le besoin de croissance et la capacité à encourager une culture innovatrice.

Créer une capacité d’innovation au niveau de l’équipe

Chaque département ou équipe chez VanceInfo développe par ailleurs sa propre culture interne, fortement influencée par la culture du service au client mise en place dans l’organisation. Dans l’équipe étudiée, beaucoup de pratiques sont liées à l’adoption de méthodes agiles en tant que méthodologie pour guider le développement. Cette influence a créé un style de travail très participatif : les décisions sur le planning du projet et l’approche mise en place pour développer le produit étaient prises collectivement par l’équipe.

Le pair programming, qui instaure des duos de développeurs et de testeurs dès le début du processus de développement, a favorisé le co-développement et un intense partage de connaissances et de capacités entre individus. Les responsables techniques, expérimentés, jouaient le rôle de consultants pour l’équipe en passant le travail en revue, en fixant des objectifs, en fournissant des conseils sur les compétences à améliorer ou des avis techniques.

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71 « Vague B » - Février 2014

L’équipe anglaise a partagé sa connaissance à travers un portail en fournissant des exemples de code, des documents techniques et des références pour aller plus loin.

Ces pratiques ont encouragé une culture de l’apprentissage par la pratique, où chacun participait en fonction de son niveau d’expertise et développait son expérience à travers des interactions avec des experts plus pointus. Un fort sentiment d’appartenance à une même entité a renforcé ces méthodes. La principale préoccupation était la bonne santé de l’équipe et le succès du projet, et non le succès de petits groupes d’individus pris isolément.

Usage extensif des médias électroniques pour abolir la distance spatio-temporelle

Les méthodes agiles offrent les meilleurs résultats dans un environnement de travail partagé. Le haut niveau de communication et d’interactions est propice à la créativité et à la productivité. Les échanges fréquents avec des collègues expérimentés créent un environnement égalitaire.

Dans le projet étudié, l’essentiel du travail de développement a été effectué à Shanghai, sans pair programming distribué à travers le temps et l’espace. Celui-ci s’est limité à l’environnement partagé à Shanghai. Néanmoins, toutes les décisions sur les aspects clefs du développement étaient prises en commun avec l’équipe anglaise, qui devait également donner son approbation à l’approche globale mise en place pour le développement. Des prototypes étaient livrés afin que l’équipe anglaise les teste et fournisse ensuite un retour sous la forme de nouveaux scénarios utilisateurs.

Ces scénarios étaient développés en Grande Bretagne mais affinés dans le cadre d’un processus de co-développement entre les différentes équipes. De par la nature distribuée du travail, une communication fréquente et efficace était essentielle.

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72 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Outre des méthodes agiles typiques comme les mini-réunions quotidiennes (daily scrums) pour coordonner les tâches et suivre l’avancement, de nombreux logiciels ont été déployés : visioconférence pour les interactions en face à face, partage d’écran pour résoudre en temps réel certains enjeux, messagerie instantanée pour des échanges courts et informels, messages électroniques pour les problèmes nécessitant davantage d’explication.

Les scénarios utilisateurs étaient postés sur un portail, utilisé comme une plate-forme virtuelle pour le partage de connaissances, la planification et le co-développement. Tous ces outils ont contribué à réduire les distances spatio-temporelles et à contourner les difficultés associées.

Des solutions pour pallier les problèmes de communication

Les méthodes agiles nécessitent une communication fréquente sur tous les aspects du projet, ainsi qu’une bonne coordination du travail.

Quand la technologie ne permettait pas de résoudre certaines difficultés de communication, des solutions utilisant d’autres mécanismes étaient utilisées. Ainsi, des individus clés servaient d’intermédiaires entre les équipes anglaises et chinoises, notamment les chefs de projet chinois, nommés « scrum master ». Leur rôle consistait notamment à collecter les problèmes et à en discuter avec le propriétaire du produit, à savoir l’équipe anglaise. Les responsables techniques intervenaient de la même manière en cas d’incompréhension sur le plan technique. Certains membres de l’équipe chinoise étaient également envoyés tour à tour en Grande-Bretagne, afin de se former mais aussi de servir d’intermédiaire. L’équipe anglaise a enfin recruté des collaborateurs chinois, dont un ancien employé de VanceInfo, qui ont pu faciliter les contacts.

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73 « Vague B » - Février 2014

L’usage de scénarios utilisateurs comme support de négociation

Les scénarios utilisateurs, qui consistent à imaginer et décrire le cheminement d’un utilisateur dans l’application ont été le principal élément autour duquel le co-développement s’est mis en place. Ces scénarios étaient d’abord préparés par l’équipe anglaise en interaction avec leurs collègues du marketing. Ils étaient ensuite réinterprétés par l’équipe de Shanghai qui proposait différentes approches. L’équipe anglaise choisissait ensuite l’approche la plus appropriée. Un prototype était réalisé, puis testé avec l’équipe marketing.

Ce processus était itératif et très interactif. Les scénarios évoluaient jusqu’à ce que la fonctionnalité soit complètement développée et acceptée. Ils servaient également de base pour négocier la durée, la charge et les résultats de chaque cycle de développement. Sur ces aspects, l’équipe chinoise disposait d’une grande flexibilité, d’autonomie et d’une marge de créativité. Il y avait de la place pour expérimenter différentes approches et différentes interprétations d’un scénario.

Ces différentes pratiques combinées ont contribué à la réussite du projet.

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74 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Présentation initiale de l’étude

« Identification et gouvernance des enjeux éthiques émergents dans les systèmes d’information »

Cette étude, réalisée conjointement par l’Université de Namur (Philippe Goujon, Laurence Masclet) et l’Université DeMonfort (Bernd Carsten Stahl, Kutoma Wakunuma et Sara Wilford), s’intéresse aux enjeux éthiques des systèmes d’information.

Le travail a notamment porté sur l’analyse de ces nouveaux enjeux, sur l’exploration de la perception qu’en ont les professionnels de l’IT et sur les stratégies de gouvernance à mettre en œuvre.

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75 « Vague B » - Février 2014

Identification et gouvernance des enjeux éthiques émergents dans les systèmes d’information

L’étude « IDEGOV » a été menée par :

Bernd Carsten Stahl, Professeur de recherche critique en technologie et directeur du centre de recherches sur l’informatique et la responsabilité sociale de la faculté de technologie de l’Université Demontfort.

Dr Yingqin Zheng, Maître de conférences en systèmes d’information au Royal Holloway College de l’Université de Londres. Titulaire d’un doctorat en sciences de gestion, de l’Université de Cambridge, elle se consacre à l’étude des implications des technologies de l’information et de la communication, notamment en matière de développement économique et social.

Philippe Goujon, Professeur de philosophie à l’Université Notre Dame de la Paix de Namur.

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76 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les aspects méthodologiquesLes chercheurs ont examiné les limites des théories éthiques dans le domaine des systèmes d’information. Ils ont ensuite construit leur propre grille d’analyse, puis ils ont conçu un questionnaire basé sur celle-ci. Deux universités ont participé au projet : l’université De Montfort a analysé les résultats des entretiens, tandis que celle de Namur s’est penchée sur les aspects liés à la gouvernance.

• Théories éthique et hypothèsesAfin d’identifier les enjeux éthiques liés aux systèmes d’information, les chercheurs ont choisi d’adopter une approche méta-sectorielle. En effet, les questions éthiques ont souvent un impact très large et ne peuvent être identifiées qu’en étudiant le contexte général.

Conceptions de l’éthique : plusieurs approches

L’éthique a pour objectif de questionner les actions avant de les réaliser. Le philosophe Paul Ricœur la définit ainsi : « L’éthique vise une vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes ».

Les auteurs identifient quatre grandes manières de concevoir l’éthique :

• Une approche analytique : l’éthique est une théorie dont les principes permettent de déterminer quelles interactions sont préférables.

• Une approche pragmatique : l’éthique s’apparente à la recherche d’un consensus, afin d’établir des normes communes et un contrôle collectif sur ces normes.

• Une approche contextualiste, où il s’agit de rationaliser les valeurs d’une culture.

• Une approche sémantico-symbolique, dans laquelle l’éthique permet d’envisager l’absolu de la liberté dans des actes relatifs, et est liée à l’aspiration subjective de tout être humain au respect.

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77 « Vague B » - Février 2014

Le procéduralisme : aboutir à un consensusLe procéduralisme est apparu pour éviter les conflits dans une société faite de valeurs très diverses. Il permet à plusieurs individus de trouver un accord tout en préservant leurs croyances et valeurs, en se concentrant sur les procédures. L’une de ses limites est liée au contexte, et plus précisément aux relations entre la justification rationnelle des normes et le contexte d’application de celles-ci.

Les limites des approches existantes

Plusieurs théories éthiques actuelles renforcent la sectorialisation, notamment en différentiant plusieurs sous-systèmes sociaux (justice, science, etc.) Cette façon de voir contribue à exclure l’éthique du champ de la technologie. Celle-ci est alors vue comme une sorte de « patch additionnel », et partant de là totalement instrumentalisée. Pour éviter cette situation, les chercheurs soulignent l’importance d’une réflexivité totale de la démarche éthique. Classiquement, celle-ci s’appuie sur des valeurs de gouvernance et des présupposés. Ces valeurs orientent les stratégies d’action, et ces actions ont ensuite des conséquences. Le plus souvent, les conséquences sont analysées pour repenser les stratégies d’action, mais la réflexion a posteriori s’arrête à ce stade, alors qu’elle devrait remonter jusqu’aux valeurs d’origine et les questionner, dans une vraie boucle réflexive.Les auteurs estiment que regrouper les communautés éthiques et scientifiques actuellement séparées est un moyen de rétablir cette réflexivité, qui permet d’analyser les relations entre la construction d’une norme et son contexte d’application.

• Les critères de construction de la grille d’analyseLes chercheurs ont choisi d’inclure sept grands paramètres dans la grille d’analyse, qui leur a ensuite servi de base pour interroger les professionnels de l’IT.Les trois premiers paramètres ont pour but de déterminer les enjeux :

• Contextualisation technologique : l’objectif est de connaître le professionnel des systèmes d’information et l’organisation qui l’emploie, ainsi que le secteur de manière générale.• Identification et spécification des enjeux éthiques : il s’agit de demander aux professionnels IT non seulement d’identifier les enjeux éthiques dans leur domaine, mais aussi de quelle manière ils les identifient, s’ils en ont été témoins, comment ces enjeux sont identifiés dans les projets informatiques en général et comment ils déterminent ceux auxquels ils doivent veiller.• Futurs enjeux éthiques : quelle est la vision du participant ?

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78 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les paramètres suivants s’attachent à l’identification et à la résolution des enjeux :

• Approche éthique : l’objectif est de déterminer les approches éthiques utilisées dans le domaine des systèmes d’information, consciemment ou le plus souvent inconsciemment.

• Réflexivité : quel est le niveau de réflexivité ? Dans quelle mesure les participants sont conscients de leurs propres présupposés et de ceux de leur domaine ?

• Arrangements de gouvernance : ce paramètre a pour but de cerner quelles stratégies de gouvernance ont été mises en place dans le domaine des systèmes d’information afin de traiter les enjeux éthiques. Il sert à identifier les outils (comités d’éthique, groupes d’utilisateurs, experts, panels hybrides…) ainsi que les modèles de gouvernance utilisés. Parmi ceux-ci les auteurs distinguent un modèle standard privilégiant l’avis de l’expert, un modèle consultatif prenant en compte l’opinion publique, un modèle standard revu qui inclue des interactions entre le régulateur, la société et les médias, et enfin un modèle de co-construction qui est selon les chercheurs le seul où l’expertise utilisée est questionnée.

• Mise en œuvre : il s’agit d’examiner quel est le niveau de mise en œuvre de la pensée et des principes éthiques. Est-il limité à l’entreprise elle-même ou prend-t-il en compte l’impact des technologies sur la société ? Comment les préoccupations éthiques sont-elles prises en compte dans les projets ?

• Collecte et analyse des données auprès de professionnels de l’ITDeux approches complémentaires ont été utilisées pour recueillir les données : des sondages et des entretiens de fond. Les chercheurs ont mené 26 entretiens avec des professionnels de l’informatique dans treize pays différents : Australie, Canada, Chine, Finlande, Ghana, Hongrie, Inde, Malaisie, Malte, Nigeria, Trinidad, Royaume-Uni et Zambie, avec treize entretiens au Royaume-Uni. Les participants travaillaient aussi bien dans des organisations publiques que privées, dans et hors secteur informatique. Ils occupaient des postes de managers, d’experts techniques, de décideurs, d’ingénieurs et d’opérationnels.

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79 « Vague B » - Février 2014

Les résultats observés

• Contextualisation technique : des technologies homogènesLes informations collectées ont permis d’identifier les technologies actuelles et émergentes ainsi que les enjeux éthiques associés. De manière générale, les technologies citées par les participants étaient très similaires : email, Internet, téléphones mobiles et iPad notamment. La plupart des organisations utilisaient des PC équipés de systèmes Microsoft. Personne n’a mentionné l’usage d’ordinateurs Apple dans le cadre professionnel, mais certains ont indiqué un usage personnel. L’Internet sans fil était la technologie la plus utilisée, et les technologies mobiles étaient les plus citées dans les pays en voie de développement.

• Impacts culturels, organisationnels et individuels des technologies actuellesLes interviewés étaient conscients de la pression poussant à l’adoption de nouvelles technologies, qui peut s’avérer problématique. L’usage des technologies par le grand public faisait également partie des préoccupations évoquées, avec notamment les fréquentes vulnérabilités et leurs conséquences sur le partage d’information, la surveillance électronique, la protection de la vie privée et la sécurité.

Aspects culturels

Dans certains domaines, l’impact de ces nouvelles technologies commence seulement à se faire sentir, les différences culturelles tant au niveau des pays qu’au niveau des organisations ou dans la société elle-même expliquant ces différences de perception. L’utilisation de nouvelles technologies par des personnes au profil non-technique peut avoir pour conséquence des mauvaises utilisations, des failles de sécurité et des pertes de données, d’où l’importance d’actions de formation ciblant ces publics.

Aspects organisationnels

Dans les organisations, ces nouvelles technologies permettent un accès bien plus vaste aux ressources et aux personnes. C’est à la fois une opportunité et une source de potentiels problèmes pour les entreprises : mauvaise utilisation, mais aussi surveillance électronique des employés ou mise à mal de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Des chartes internes peuvent être un moyen de prévenir ces problèmes, mais les pratiques de travail et les menaces pesant sur la sécurité des emplois peuvent en diminuer l’impact réel.

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80 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Aspects individuels

Les technologies ont également un impact massif sur les individus, qui accèdent à toujours plus d’information et de distractions par ces biais. La surcharge d’information n’est que l’un des dangers possibles, avec l’usurpation d’identité, le marketing agressif, les virus et autres emails frauduleux.

Dans les pays en voie de développement, le piratage combiné à des coûts élevés ont conduit les utilisateurs à obtenir des produits et logiciels sans licence.

Enfin, certains participants ont souligné être dans l’incapacité de supprimer définitivement certaines données, postées sur des forums de discussion des années plus tôt et toujours visibles. Même si le degré de suspicion face à Internet s’est accru, les problèmes liés à la vie privée continuent également de croître.

• Préoccupations éthiques liées aux technologies actuellesLa confiance

La confiance apparaît comme un enjeu dans plusieurs domaines. Tout d’abord, il s’agit de faire confiance à l’utilisateur de technologies pour qu’il n’en abuse pas, mais aussi à ceux qui les conçoivent et les exploitent, notamment dans le cadre de la surveillance électronique.

Quelques participants ont évoqué la question de la protection des informations sensibles, estimant que dans certains cas une sécurité robuste peut freiner la collaboration sur un projet.

Très peu ont évoqué la cybercriminalité, et parmi ceux qui l’ont fait, le sujet le plus évoqué était celui des employés mécontents qui nuisent à la réputation de l’entreprise, bien davantage que la fraude et le piratage.

Exclusion sociale

Un seul répondant a mentionné la question de l’exclusion sociale, la technologie telle qu’elle est conçue pouvant exclure certains publics comme les personnes souffrant de handicap.

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81 « Vague B » - Février 2014

Vie privée et surveillance

Ces sujets sont considérés comme de grands enjeux dans le domaine de la technologie, aussi les chercheurs ont été surpris de constater que certains participants n’y voyaient pas un problème pour eux-mêmes. Dans certains cas, ils ont également relevé une certaine naïveté par rapport aux systèmes mis en place par ces professionnels eux-mêmes, capables de suivre les actions effectuées par les utilisateurs.

Liberté

Certaines des préoccupations relevées évoquent les restrictions ou obligations imposées par les gouvernements. D’autres participants ont signalé les enjeux liés à la surveillance gouvernementale, particulièrement quand des entreprises privées s’y associent.

Usages incorrects

Cette préoccupation a été citée par tous les participants, en particulier ceux chargés d’assurer la conformité ou de gérer les accès.

L’employé ou le client mécontent

Les actes malveillants menés par un client ou un ex-employé mécontent ont été très souvent évoqués, notamment les intrusions dans les bases de données et le cyber-espionnage, la diffamation sur les réseaux sociaux, la transmission de virus ou les attaques par déni de service.

La protection des données et la sécurité

Beaucoup d’interviewés se sont montrés concernés par les restrictions d’accès et les politiques de partage de l’information.

La mise en œuvre des technologies

Les freins à la mise en œuvre sont nombreux. Dans les pays en développement, l’adoption des technologies est poussée par des individus employés de l’organisation, qui tentent de persuader leur hiérarchie des avantages liées à leur utilisation. Dans les pays développés, c’est davantage la lenteur des procédures et la bureaucratie qui sont pointées du doigt.

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• Les technologies émergentes et leur impact éthiqueRéseaux sociauxIl ne s’agit pas d’une technologie émergente à strictement parler, car les réseaux sociaux sont utilisés par le grand public depuis quelques années, mais les organisations commencent à y voir un outil potentiellement utile. Les craintes associées portent notamment sur la divulgation d’informations, l’usurpation d’identité et le droit à l’oubli, inexistant sur certaines plates-formes.

Cloud computingIl s’agit de la technologie émergente la plus fréquemment citée. Les enjeux associés concernent la protection des données privées et la confiance dans le fournisseur du service, tant sur sa capacité à assurer cette protection qu’à fournir un service fiable et sécurisé. La localisation physique des datacenters fait également partie des questions soulevées. Quelques participants ont relevé des aspects positifs pour les pays en voie de développement, liés aux coûts d’accès moins élevés.

VirtualisationLes enjeux associés à la virtualisation rejoignent ceux du cloud computing. Ils semblent davantage présents dans les entreprises de petite et moyenne taille, les grandes organisations pouvant mettre en place des cloud privés pour contourner certains des risques évoqués.

• L’impact des technologies émergentesEn dehors des préoccupations fréquentes à propos de la surveillance, de la protection des données et de la sécurité, plusieurs participants ont émis des craintes liées à la perte d’emploi quand les technologies permettent de travailler plus efficacement avec moins de personnel. La possibilité que ces technologies puissent créer d’autres emplois ailleurs n’a pas été évoquée par les personnes interrogées.Les chercheurs observent une acceptation générale du fait que la technologie va continuer de se développer. Dans ce développement porté notamment par des motivations économiques, les enjeux éthiques peuvent parfois être mis de côté. Certains répondants évoquent le fort attrait qui conduit à désirer les dernières technologies sans toujours s’interroger sur le besoin réel et leur intérêt pour l’entreprise.

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• Les solutions pour la mise en œuvreLes solutions permettant d’adresser les enjeux liés aux technologies émergentes dépendent pour une grande part de la culture interne et des règles de gouvernance mises en place.

La compatibilité de ces plates-formes émergentes avec les systèmes en place peut être source de problèmes, en multipliant les systèmes et les accès.

La communication, l’engagement des parties prenantes et le développement des règles associées à l’usage des plates-formes sont également des aspects importants à prendre en compte dans les projets impliquant ces technologies.

• L’identification et la spécification des enjeux éthiquesLa façon dont les interviewés déterminaient les enjeux éthiques varie considérablement d’une personne à l’autre. Certains estiment que c’est une capacité inhérente aux individus, tandis que pour d’autres cela fait partie de leur formation. D’autres encore estiment que ce processus ne fait pas partie de leur rôle et que les règles en place dans l’organisation sont suffisantes pour qu’ils n’aient pas besoin de trop s’en préoccuper.

Si certains des enjeux peuvent être facilement identifiés avec une formation adéquate à l’éthique et à la sécurité informatique, d’autres sont plus subtils à déceler et requièrent de faire appel à des spécialistes et/ou des méthodes spécifiques.

De nombreuses procédures d’identification des problèmes étaient mises en place projet par projet, et non de manière globale dans l’organisation. Le plus souvent, elles prennent la forme d’un comité de surveillance.

L’une des principales méthodes pour identifier les problèmes au niveau organisationnel consistait en différentes étapes de gouvernance, avec des attributions de responsabilités par service (par exemple une équipe était chargée d’auditer le système d’information et de mettre en place les règles de déploiement associées aux systèmes informatiques).

De ces observations, les chercheurs tirent le constat que les processus d’identification des enjeux éthiques varient considérablement selon les organisations et les secteurs. Ils notent également que dans certains domaines, l’éthique n’est pas considérée comme un enjeu.

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• Les analyses selon le profil des répondantsLes chercheurs ont conduit une analyse détaillée des interviews. Celle-ci fait ressortir certaines différences de perception en fonction du pays d’origine, de l’âge, du genre et du domaine d’expertise des participants.

Ainsi, si les répondants se rejoignent globalement sur les enjeux identifiés, ceux des pays émergents pointent en priorité la sécurité tandis que les répondants des pays développés citent également les enjeux liés aux coûts et à la perte d’emploi.

Les participants appartenant aux tranches d’âge en dessous de 50 ans semblent au premier abord moins préoccupés par les enjeux éthiques, mais, interrogés de manière plus poussée, ils parviennent néanmoins à les identifier précisément. Une préoccupation des répondants plus âgés porte sur les formations, qui, selon eux, se concentrent peut-être encore trop sur les aspects techniques et moins sur les implications des projets. Certains des répondants, retraités, se montraient davantage conscients d’enjeux comme la protection de la vie privée.

Les managers étaient généralement conscients des enjeux et démontraient une certaine compréhension des processus et règles en place.

Sept femmes seulement ont pu être interrogées. Les inégalités de genre sont, en elles-mêmes, un enjeu relevé par plusieurs participants. Les participants l’expliquent par le peu d’attractivité de la filière informatique auprès des étudiantes, ainsi que par les difficultés liées à la vie familiale.

• Les valeurs et les conceptions de l’éthique des participantsPlusieurs des répondants observent des différences entre les règles affichées par leur organisation et les pratiques réelles, estimant notamment que le business passe avant les enjeux éthiques. De telles pratiques peuvent conduire les clients à penser qu’ils traitent avec une entreprise soucieuse de l’éthique alors que ce n’est pas nécessairement le cas.

Les chercheurs ont également relevé une forme de cynisme face à certaines pratiques, comme la vente de technologies de surveillance à des états dictatoriaux.

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Néanmoins, certaines organisations privées prennent au sérieux leurs principes éthiques, impliquant notamment les parties prenantes dans la conception de leurs nouveaux produits et services.

Dans le secteur public, les chercheurs ont également noté des différences dans les approches, avec quelques signes indiquant un manque de consultation des acteurs lors de la mise en œuvre de règlements. Les participants travaillant dans ce secteur avaient en général un point de vue sur l’éthique de leur organisation, et les attentes dans ce domaine étaient globalement plus répandues.

L’ensemble des répondants reconnaissent la responsabilité individuelle en matière de conduite éthique, même s’il est difficile d’évaluer dans quelle mesure ils mettent en pratique ces principes.

• La réflexivitéLes entretiens ont révélé une faible réflexion sur les conséquences indésirables associées au développement ou à l’utilisation d’un produit ou service, même quand celles-ci peuvent nuire à des individus ou des organisations. Parfois, quand un problème est décelé, sa gestion est confiée à une autre personne ou un autre service que ceux qui l’ont identifié, et ceux-ci sont rarement informés de la manière dont l’enjeu a été traité.

Ce manque de communication peut conduire à la répétition de comportements problématiques ou de failles dans les systèmes. Il peut également générer de la frustration chez les employés. Enfin, les chercheurs signalent la crainte des individus quand il s’agit de signaler un usage problématique par un collègue ou un supérieur hiérarchique.

• La gouvernanceLa gouvernance doit permettre aux organisations de s’assurer que les problèmes et enjeux sont traités rapidement et de manière efficace. Les chercheurs ont constaté des différences significatives dans les pratiques et les règles de gouvernance. Néanmoins, la perception de certains répondants laisse à penser que les organisations pourraient fortement progresser en matière d’ouverture et d’implication des parties prenantes des projets.

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Principes de gouvernance

Les principes de gouvernance mis en œuvre dans les organisations étaient rarement clairs, à l’exception de celles soumises à une forte pression réglementaire où la hiérarchie et les processus d’escalade étaient bien définis. Dans d’autres organisations, notamment les universités, la gouvernance reposait plutôt sur des comités.

Règles de gouvernance

Les répondants ont mentionné la présence de règles d’usage de l’informatique dans leur organisation, même si certains ont révélé n’avoir aucunement connaissance de telles règles. En général, l’objectif global de telles règles est d’assurer la conformité avec les réglementations, la sécurité des données et de préserver la réputation de l’organisation.

Quelques organisations tentent néanmoins d’avoir un comportement éthique, et font appel à des experts en sécurité et en éthique pour évaluer les projets avant leur mise en œuvre. Celles-ci incluent également le public dans leurs réflexions, notamment via les réseaux sociaux, les études de marché et les sondages. La culture interne et le soutien du management sont deux facteurs essentiels pour favoriser le traitement des enjeux éthiques.

Certaines organisations ont mis en place des règles strictes pour l’usage de l’informatique afin de se protéger au maximum. Néanmoins, ce choix peut tout autant créer des problèmes qu’il n’en prévient, trop de restrictions pouvant rendre les technologies inutilisables.

Enfin, quelques entreprises de taille moyenne ont mis en place des règles ad-hoc, sans prendre en compte l’avis des parties prenantes ou les autres approches existantes. Les chercheurs soulignent que les petits fournisseurs de service, notamment dans le cloud, devront se préoccuper du sujet de la gouvernance.

Mise en œuvre de la gouvernance

Le traitement des enjeux éthiques est favorisé par l’existence d’une structure adéquate pour les répondants. Concrètement, la mise en œuvre de la gouvernance est souvent liée à la vitesse de déploiement des technologies. De fait, dans les organisations gouvernementales où cette dernière est généralement longue, la mise en place de règles d’usage pour les outils informatiques a souvent pris du retard, ce qui peut avoir des conséquences, par exemple sur la sécurité nationale.

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87 « Vague B » - Février 2014

Dans quelques organisations, de telles règles ont été mises en place sans consulter les parties prenantes. Pour cette raison, certains problèmes n’ont été traités qu’a posteriori, ce qui a retardé la mise en œuvre.

Certaines organisations ont mis en œuvre une stratégie de gouvernance pour répondre à une exigence de conformité réglementaire. Dans ce cas, la mise en œuvre est souvent renforcée.

Dans les organisations qui mettent rapidement en œuvre les technologies, les chercheurs ont relevé que la mise en place de règles éthiques pouvait néanmoins être reléguée au second plan, intervenir après les projets ou ne pas être considérée du tout.

Il semble donc qu’un équilibre soit à trouver entre la vitesse de déploiement des technologies et la mise en place de règles et procédures d’usage à la fois robustes et flexibles.

Pratiques de gouvernance

Dans les organisations ayant mis en place des règles, certaines se souciaient de les faire appliquer, notamment à travers des formations obligatoires des employés et des procédures robustes. D’autres en revanche n’y parvenaient pas, soit par manque de contrôle, soit parce que certaines exigences de croissance et de satisfaction des clients les incitaient à passer outre.

Globalement, les répondants avaient confiance dans la capacité des procédures en place à traiter les problèmes, mais sans que ceux-ci soient forcément abordés comme des enjeux éthiques (étant alors considérés simplement comme des enjeux métier ou de conformité).

Les organisations, notamment les PME, ne disposent pas toujours d’une expertise éthique en interne. Pour cette raison, elles peuvent faire appel à des prestataires pour développer leurs règles ou bien essayer de les développer par leurs propres moyens, ce qui peut conduire à des choix insuffisants par rapport aux enjeux concernés.

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88 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

L’analyse des interviews

Identifier et connaître les enjeux ne suffit pas à les traiter. C’est seulement un premier pas. Il existe trop d’intérêts en jeu, trop de perspectives à prendre en compte pour les différentes parties prenantes, qui font que même si celles-ci sont conscientes des enjeux, elles n’agiront pas forcément pour résoudre les problèmes.

• Les limites des approches d’évaluation du risqueLe présupposé qui réduit l’éthique à la prise de conscience des enjeux est également le point faible des approches d’évaluation du risque en général. Il ne faut donc pas non plus selon les chercheurs réduire l’éthique à l’évaluation des risques, d’autant que la manière dont un risque est présenté, perçu et créé influence fortement l’opinion publique à son sujet.

Le niveau d’acceptabilité d’un risque, basé sur des estimations rationnelles, ne garantit pas que ce risque sera accepté, car les valeurs des individus entrent également en compte. Il est inutile de se baser sur l’acceptabilité pour prendre une décision si celle-ci sera impossible à mettre en pratique car la société ne l’accepte pas. Pour les chercheurs, il s’agit donc plutôt d’une question d’acceptation, cette dernière ne distinguant pas ce qui relève des arguments rationnels et des valeurs.

• Tendances de la gouvernanceLes tendances observées par les chercheurs sont les suivantes :

• La plupart des répondants se basent sur leur expérience et le sens commun pour identifier et résoudre les problèmes, ainsi que sur l’avis d’experts et de comités internes ou externes à l’organisation.

• Certains mentionnent la présence de codes de conduites ou de procédures légales auxquels ils doivent se conformer.

• La plupart ne sont pas en mesure de prévoir ou de décrire de manière explicite quel impact peuvent avoir les technologies sur la société ; celui-ci est souvent réduit à des enjeux très abstraits comme la protection de la vie privée ou la confiance.

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• Beaucoup sont conscients de la présence d’enjeux éthiques mais la réduisent à une question de prise de conscience par la société.

• Les répondants mettent l’emphase sur un enjeu particulier : souvent la protection de la vie privée ou la sécurité. Cela laisse peu d’espace pour d’autres sujets concernant la société civile.

• On note une forte présence des approches « top-down », qui laissent les enjeux éthiques aux mains d’experts ou de supérieurs hiérarchiques. Les répondants ne semblent ne pas avoir connaissance d’autres formes de procédures de gouvernance.

• La plupart des interviewés se montrent satisfaits des procédures en place et si certains questionnent leurs propres actions, aucun ne montre une réflexivité de second niveau.

• Le modèle standard identifié par les chercheurs est le plus présent, certains comportements relevant du modèle standard revu et quelques-uns des modèles consultatifs. Les modèles de type co-construction semblent peu compatibles avec des environnements fortement hiérarchisés.

• Si les interviewés tiennent un discours très théorique sur les enjeux éthiques, quand les questions sont poussées plus loin ils relatent fréquemment des anecdotes personnelles ou relatives à des faits observés dans leur entourage.

La relation à la norme qui ressort de cette analyse est de l’ordre de la soumission. Les normes éthiques sont appliquées telles quelles et le principal présupposé est de s’appuyer sur son expérience personnelle, parfois sur un code de conduite, sans questionner :

• Ni le contexte de construction de la norme.

• Ni la manière dont la norme est définie.

• Ni l’application de la norme elle-même.

Pour ces raisons, la technologie est vue comme un facteur externe à la société et les sciences informatiques et éthiques restent deux domaines séparés.

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90 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les présuppositions dans les théories éthiques

S’interroger sur l’efficacité de la norme est peu courant dans le domaine de l’éthique. Les chercheurs dénoncent trois types de présuppositions dans les approches traditionnelles de l’éthique :

• La présupposition « intentionnaliste », qui suppose que les effets d’une norme peuvent être déduits de la simple intention d’adopter la norme ;• La présupposition « schématisante », qui estime que la mise en application d’une norme est un simple raisonnement déductif à partir des règles définies ;• La présupposition « mentaliste », qui pense que chaque esprit contient un ensemble de règles qui prédéterminent l’application d’une norme, celle-ci ne dépendant pas du contexte extérieur.

Les approches traditionnelles ont deux principales limites : elles passent à côté du lien entre la construction et l’application de la norme, et elles ne s’intéressent pas à la résolution des enjeux.

Quelle éthique dans l’entreprise 2020 ?De plus en plus, la société attend des organisations qu’elles adoptent un comportement éthique, aussi bien dans la manière dont elles mènent leurs activités que dans la manière dont elles utilisent les technologies, que ce soit pour leurs clients, leurs utilisateurs, leurs salariés ou pour les régulateurs. Cette tendance est d’autant plus forte que les technologies deviennent centrales. Il ne s’agit plus seulement d’améliorer le système d’information pour augmenter l’efficacité des métiers, mais de prendre en compte son impact sur la vie quotidienne des individus. Clients et employés attendent désormais bien plus qu’avant un comportement éthique.

Pour l’entreprise 2020, cela signifie que la responsabilité sociale ne sera plus perçue comme un coût ni comme une obligation légale. De plus, les enjeux éthiques changent : outre les questions habituelles de sécurité ou de protection de la vie privée, ils vont inclure des notions comme la confiance, l’exclusion sociale, la surveillance, la liberté, la fiabilité, les pertes d’emploi ou le contrôle.

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L’innovation et l’adoption de nouvelles technologies ne seront plus tournées vers le seul intérêt de l’entreprise, et vont passer par des processus plus ouverts, incluant les clients et les utilisateurs finaux.

• Les solutions proposées aux enjeux éthiques

Codes de conduite

Les codes de conduite sont présentés comme l’une des façons d’améliorer la résolution des problèmes éthiques. Néanmoins, la standardisation du domaine est faible, ce qui peut créer des conflits. En outre, les professions informatiques sont peu corporatistes, et s’il n’y a pas d’instance pour réglementer et pour sanctionner les contrevenants, il est peu probable qu’un code standard soit mis en place.

A l’échelle des organisations, il est pertinent de disposer de services chargés de traiter les enjeux de conformité réglementaire. Néanmoins, les trajectoires d’escalade en cas de problème éthique ne sont pas toujours claires. En outre, ces services doivent veiller à utiliser eux-mêmes des processus éthiques en termes de transparence et de consultation des employés.

Solutions techniques

Certains enjeux, notamment la sécurité et l’authentification, peuvent être traités à travers des solutions techniques. Les équipes techniques sont généralement conscientes de ces enjeux, et leur avis doit être pris en compte par les managers.

Trop d’emphase sur la technologie peut conduire à une culture où on estime que les employés n’ont pas besoin d’être vigilants sur les enjeux éthiques. Les solutions techniques ne doivent pas être la seule façon de traiter ces derniers, et les employés doivent pouvoir signaler des problèmes grâce à d’autres dispositifs.

La formation

La formation est perçue comme clef pour améliorer la conscience des enjeux éthiques, aussi bien lorsqu’il s’agit de former les utilisateurs que lorsqu’il s’agit de la formation des futurs professionnels de l’informatique, et même de manière plus générale l’éducation des enfants et de la société.

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92 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

La consultation des parties prenantes

L’une des meilleures façons de formuler des règles et des processus efficaces est la consultation des parties prenantes, d’une part parce que celles-ci peuvent savoir quel impact aura la technologie sur elles, mais aussi car elles peuvent fournir des solutions qui n’étaient pas envisagées avant. Malgré cela, dans l’étude, le secteur IT témoigne d’un engagement faible auprès des utilisateurs et des parties prenantes.

La législation

La législation apparaît comme une nécessité à laquelle il faut se conformer et une exigence centrale dans certaines organisations comme les banques. Néanmoins, la conformité aux exigences légales ne doit pas faire perdre de vue les autres enjeux éthiques qui peuvent apparaître.

Il ressort de nombreux entretiens que la loi est un élément de motivation important pour inciter les organisations à agir de manière éthique, même si la conformité légale ne suffit pas à garantir la responsabilité sociale. Les entreprises doivent donc adopter une vision de l’éthique qui va au-delà de la simple conformité, en commençant par faire évoluer leur culture interne.

Recommandations de gouvernance

Cette étude pointe les problèmes suivants dans le traitement des enjeux éthiques liés aux technologies dans les organisations :

• Conscience insuffisante des enjeux éthiques

• Processus d’établissement des règles faible

• Manque de consultation

• Manque d’adhésion du management senior

• Problèmes de communication

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93 « Vague B » - Février 2014

Les chercheurs formulent donc les recommandations suivantes :

Prendre le contexte en compte

• Impliquer la société à toutes les étapes, prendre en compte l’acceptation et non l’acceptabilité

• Examiner les particularités des technologies, ne pas se limiter à une liste d’enjeux ni une évaluation des risques

Accroître la réflexivité et l’ouverture

• Mise en œuvre d’un mécanisme de réflexion et de justification sur les bases des projets IT

• Reconnexion des communautés éthique et informatique

• Utiliser la narration et l’expérience pour ouvrir les esprits

• Confrontation des professionnels à leurs propres a priori

• Montrer l’impact sur la société des nouveaux développements technologiques

• Montrer que la technologie n’est pas neutre et qu’elle véhicule des valeurs

• Montrer les avantages d’une vigilance éthique constante

• Etre prêt à payer le prix nécessaire pour mettre les principes éthiques en application

• Permettre aux individus d’exprimer des préoccupations d’ordre éthique dans les projets

• Donner des outils aux professionnels pour qu’ils puissent s’exprimer

Simplifier les procédures

• Baser les procédures sur la réflexivité personnelle

• Placer les discussions sur les normes dans un cadre ouvert, où chacun peut être écouté

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94 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Nécessité de montrer les constructions éthiques de l’intérieur• Montrer comment la narration, l’interprétation, l’argumentation et la reconstruction ont chacun un rôle dans le processus de construction d’une norme éthique et dans le mécanisme d’application.• Montrer que l’application d’une norme ne peut être réduite à une question de conformité, mais qu’elle doit être réflexive et nourrir la construction de la norme.

• Recommandations par public ciblePour ceux qui définissent les règles

• Etablir un cadre clair pour l’élaboration des règles• Eviter les mises en œuvre sur mesure• Consulter activement les parties prenantes• Employer des experts• Se méfier de la multiplication des règlements

Pour les organisations• Définir clairement le processus d’escalade des problèmes éthiques• Mettre en place des règles spécifiques sur l’éthique• Consulter avant de mettre en œuvre• Mettre en place des systèmes internes robustes pour assurer la conformité

Pour les professionnels de l’informatique

• Prendre le temps de la formation continue et du développement personnel

• Aider les autres à prendre conscience des enjeux

• Prendre personnellement la responsabilité sur ces enjeux

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95 « Vague B » - Février 2014

Pour les organismes représentatifs du secteur informatique

• Encourager une participation plus large sur ces enjeux et soutenir la formation

• Collaborer avec les autres instances professionnelles

• Aider leurs membres à prendre conscience de ces enjeux

En conclusion

Cette étude a mis en évidence un manque de réflexivité de la part des professionnels informatiques, ainsi qu’une forte tendance à réduire l’éthique à un seul enjeu. Les personnes interrogées se basaient avant tout sur leur propre système de pensée pour leurs décisions quotidiennes, et rendaient souvent les utilisateurs responsables des mauvais usages de la technologie. Les chercheurs ont également montré les limites et présupposés des principales théories de l’éthique.

Ils suggèrent de prendre en compte le contexte dans le processus de construction d’une norme, et notamment les valeurs et l’expérience personnelle. Les auteurs conseillent également d’ouvrir le cadre dans lequel les individus agissent et pensent, pour leur permettre de voir de l’intérieur les mécanismes qui construisent la norme et participent aux décisions éthiques, tout en y prenant part.

Ils suggèrent de confronter les individus à leurs propres présupposés et à d’autres points de vue. Ils recommandent de démarrer la réflexion éthique dès le début des projets, avant que les problèmes n’apparaissent, et d’y inclure l’ensemble des parties prenantes. Enfin, ils soulignent l’importance de se préoccuper de la mise en application dans la théorie elle-même.

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96 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

« la conception et les effets des places de marché de connaissances internes »

Ce projet de recherche, Exploring the Design and Effects of Internal Knowledge Markets, étudie l’utilisation des mécanismes de marché pour soutenir l’innovation et le partage de connaissances au sein des entreprises.

Les chercheurs ont exploré la manière dont les entreprises peuvent concevoir des places de marché de connaissances, puis ont regardé quels étaient leurs effets.

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97 « Vague B » - Février 2014

Explorer la conception et les effets des places de marché

de connaissances internesL’étude « IKME » a été menée par :

Hind Benbya, professeur en systèmes d’information et chercheur au département Technologies et Management des Innovations à SupdeCo Montpellier Business School.

Tanya Menon, enseigne à la Kellogg School of Management de la Northwestern University.

Nassim Belbaly, Professeur en systèmes d’information et chercheur au département Technologies et Management des Innovations à SupdeCo Montpellier Business School.

Marshall Van Alstyne, Professeur à l’université de Boston et chercheur au MIT (MIT Center for Digital Business).

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98 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les effets des marchés de connaissances internes

Plusieurs grandes entreprises ont pris conscience que beaucoup restait à faire pour favoriser la créativité collective de leurs collaborateurs et améliorer l’accès à une base commune de connaissances. Les premières approches ciblant le partage de connaissances, centralisées et descendantes (top-down), ont laissé de nombreux problèmes non résolus. La littérature émergente sur l’innovation ouverte et l’externalisation ouverte, ou crowdsourcing, a montré la valeur de telles démarches pour l’innovation et la résolution de problèmes.

Les places de marché de connaissances sont une façon d’introduire ces approches dans l’entreprise : il s’agit de plates-formes informatiques qui aident les utilisateurs à identifier des experts et à s’y connecter, ou bien à partager leur connaissance.

Néanmoins, l’utilisation de ces outils soulève de nombreux défis : - Comment les concevoir de manière à motiver les participants ? - Comment les réguler ? - Quels bénéfices en attendre ?

Ce sont ces questions que les auteurs ont souhaité aborder dans ce projet, qui vise à étudier à la fois la conception de places de marché internes et leur impact dans l’entreprise.

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99 « Vague B » - Février 2014

Objectifs et méthode

Le crowdsourcing implique que les entreprises ne puissent tout planifier « d’en haut ». Il faut néanmoins savoir dans quels cas il est pertinent de solliciter la base. Les décideurs doivent, quant à eux, savoir quels problèmes présentent une valeur ajoutée pour l’entreprise, puis opter, selon les cas, pour une résolution en interne ou en externe.

Plusieurs études se sont penchées sur l’usage de places de marché de connaissances externes, telles Innocentive ou TopCoder. Avec ce projet, les chercheurs ont voulu examiner si les bénéfices identifiés dans ces contextes pouvaient être transposés en interne, l’usage de places de marché au sein même des entreprises étant relativement récent.

Les auteurs ont notamment comparé les coûts et bénéfices des approches traditionnelles de gestion des connaissances avec ceux des places de marché. Ils ont examiné le cas d’entreprises ayant mis en place de telles solutions et ont conçu un prototype pour en tester les effets. Dans les études de cas, ils ont pris en compte aussi bien ce qui fonctionnait que ce qui avait échoué.

Rôle et types de places de marché internesLes grandes entreprises disposent d’une information très riche et de nombreux talents, mais elles ont souvent des difficultés pour y accéder. Plus l’organisation est large et segmentée, plus il est difficile d’identifier les personnes à même de résoudre un problème.

La gestion de flux d’information horizontaux et verticaux, entre spécialités, régions ou pays différents s’avère particulièrement complexe, et les référentiels centralisés n’y sont pas bien adaptés. Les places de marché proposent une approche décentralisée plus à même de répondre à ces problématiques.

Ces marchés de la connaissance permettent de mettre en relation ceux qui cherchent une connaissance avec les sources d’information, mais aussi de générer, combiner et classer des idées, voire de développer, de nouveaux produits et services. Ils facilitent la réutilisation de l’information existante, la création d’information et l’usage efficace des sources d’information, notamment du temps des experts.

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100 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Figure 1 : Différences avec les approches traditionnelles de gestion des connaissances (KM)

Source : H.Benbya, T.Menon, N.Belbaly, M.Van Astyne, 2012

KM traditionnel Place de marché de connaissancesLe département KM est le planificateur central La plate-forme informatique aide à relier les détenteurs

d’information aux demandeursConception top-down Conception de pair à pair

Obtention et validation de l’information auprès des experts Obtention et validation de l’information auprès des pairsUsages fixés ou sans prix Permet aux prix de fluctuer

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101 « Vague B » - Février 2014

L’approche traditionnelle se base sur deux présupposés :

• les besoins en connaissances sont prévisibles ;• ce sont les experts plutôt que les pairs qui gèrent l’obtention et la validation des connaissances.

Ces deux suppositions ont leurs limites. D’une part, des événements imprévisibles affectent régulièrement l’entreprise, face auxquels les connaissances historiques accumulées dans l’outil de KM ne sont pas toujours utiles. D’autre part, se reposer uniquement sur des experts fonctionne s’ils sont en mesure de répondre à toutes les demandes, en plus d’effectuer leur propre travail ; faute de quoi des goulets d’étranglement apparaissent. Enfin, la capture d’information est coûteuse, et, pour cette raison, les organisations ne documentent qu’une fraction de leurs bonnes pratiques, laissant bien des employés avec des besoins d’information insatisfaits.

• Exemple : une entreprise de conseil a passé deux ans à documenter ses pratiques. Au final, en ouvrant le système à 1 500 consultants, seuls 130 y ont trouvé des éléments utiles.

Par contraste, une place de marché est l’équivalent d’un inventaire effectué juste à temps. Elle aide les collaborateurs à obtenir de l’information et des contacts quand ils en ont besoin.

• Exemple : chez NTT Software, un an et demi après avoir mis en place ce type de solution, les demandes postées sur le forum « Questions-Réponses » recevaient une réponse dans les cinq minutes. Les collaborateurs pouvaient répondre plus vite aux clients, les bonnes pratiques se sont diffusées dans l’entreprise et le travail redondant a chuté de plus de 9 000 heures.

• Quatre types d’usage des places de marché

L’analyse menée par les chercheurs a mis en évidence quatre types d’utilisation de ces solutions : • Les marchés tournés vers la prédiction d’événements incertains, afin d’améliorer la prise de décisions, les choix d’investissement, les politiques mises en place…• Les marchés de connaissances, de type « Questions-Réponses ». Ceux-ci sont tournés vers l’assistance, le partage de connaissance et la capture des bonnes pratiques.

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102 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

• Les marchés d’idées, tournés vers l’identification d’opportunités et le développement de produits/services. Ces marchés impliquent les utilisateurs, encouragent la participation et le transfert d’idées.

• Les marchés de résolution de problèmes et d’innovation, destinés à la R&D. ils permettent de mettre en relation des entreprises avec des chercheurs partout dans le monde, tout en économisant du temps et de l’argent en évitant de financer de multiples projets ratés.

• Etudes de cas de places de marché internes

Le marché aux 25 000 idées d’Allianz

L’assureur Allianz UK a mis en place une place de marché d’idées pour encourager tous ses employés à proposer et à mettre en œuvre des idées. Il s’agissait d’améliorer la performance des équipes et de faire de l’innovation une activité quotidienne pour ses 4 500 employés.

Au départ, une boîte à idées électronique a été mise en place : les responsables métiers étaient chargés d’approuver les idées et de les mettre en œuvre quand la problématique faisait partie de leurs attributions.

Assez vite, l’équipe chargée de l’innovation s’est aperçue que la valeur provenait surtout de la quantité d’idées émergeant de la base de l’organisation. Néanmoins, les idées qui se présentaient n’étaient pas toujours pertinentes par rapport aux objectifs et leur nombre demeurait insuffisant.

L’équipe a alors centré la démarche sur l’amélioration continue des processus, afin de cibler les problèmes et les priorités des travailleurs. La génération d’idées est ainsi passée d’une notion floue à une activité à visée pratique, et le volume et la pertinence des idées se sont accrus. Ce projet a bénéficié d’un engagement fort de la direction générale.

Depuis le lancement, près de 25 000 idées ont été mises en œuvre, pour un bénéfice financier annualisé de plus de 12,5 millions de livres sterling.

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103 « Vague B » - Février 2014

On peut tirer plusieurs enseignements de cette expérience :

• Rendre les métriques visibles à tous afin de générer un grand nombre d’idées : un tableau de bord mensuel permettait à tous les acteurs d’observer la performance du système et l’évolution des différentes contributions. Celui-ci a favorisé l’engagement des membres du comité de direction, qui souhaitaient que leur domaine devienne un contributeur actif.

• Au début, il ne faut pas cibler les idées en fonction de leur valeur financière. Dans un marché mature comme celui d’Allianz UK, l’innovation ne prend pas forcément la forme d’un nouveau produit, mais elle porte aussi sur la manière dont les offres actuelles sont proposées. Il faut donc s’assurer que tous les types d’idées sont encouragés. En outre, il ne faut pas sélectionner les idées selon leur valeur financière supposée : d’une part, celle-ci est impossible à prédire, d’autre part, beaucoup de valeur est également générée par l’accumulation de petites idées.

• Il faut récompenser les participants pour leurs efforts, mais sans privilégier les récompenses matérielles. Allianz a mis en place un Trophée de l’Innovation, et chaque année l’individu ou l’équipe à l’origine de l’innovation est récompensée en percevant 10 % de la valeur générée lors de la première année de mise en œuvre. Au total, près de 50 000 livres ont ainsi été distribuées. Cela a créé des tensions dans l’entreprise : d’une part, il n’est pas toujours aisé de savoir si la génération d’idées fait partie du travail habituel ou si elle résulte d’un effort supplémentaire, d’autre part, plusieurs bonnes idées ne se traduisent pas forcément par une valeur financière.

• L’innovation doit être mesurée avec des indicateurs aussi bien quantitatifs que qualitatifs. Trois métriques sont utilisées chez Allianz : le nombre d’idées générées, le nombre d’idées mises en œuvre et la valeur financière des idées mises en œuvre. Des enquêtes viennent compléter ces éléments par une vision qualitative, en interrogeant les responsables sur leur perception du système et son fonctionnement. Cette enquête permet notamment de révéler certaines entraves à la créativité de l’organisation.

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104 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Le marché de connaissances de SAP : améliorer la qualité des développements

L’éditeur de logiciels SAP a mis en place une place de marché de connaissances pour soutenir l’ensemble de ses développeurs en entreprise et les aider à consulter leurs pairs. Ce système de partage de connaissances sur SAP s’appuie sur des blogs d’experts, des forums de discussions, des exemples de code, des supports de formation et une bibliothèque technique. Plus d’un million d’utilisateurs sont enregistrés et près de 6 000 contenus sont publiés chaque semaine.

Pour motiver les contributeurs, SAP a basé les échanges sur un système de points fixes, dans lesquels les membres qui lancent des sujets peuvent attribuer des points aux réponses qui les aident le plus.

Au départ, ces points étaient récompensés par des T-shirts et objets de collection, mais, en 2008, la communauté a souhaité s’orienter vers des actions plus socialement responsables. L’éditeur s’est alors engagé à faire des dons si la communauté atteignait 2,5 millions de points : celle-ci en a généré 3,5 millions. SAP a également continué de récompenser les contributeurs les plus reconnus, notamment en les consultant pour la conception des produits.

L’éditeur estime à plus de six millions de dollars les économies réalisées sur les coûts de support grâce à cette place de marché.

On peut en tirer plusieurs enseignements :

• Utiliser des incitations matérielles et sociales, mais en laissant les prix fluctuer.

Le système de points fixes a permis d’accroître le nombre des contributions mais la qualité demeure incertaine, le nombre de points de récompense étant le même par exemple si l’interlocuteur a passé cinq minutes ou deux heures à répondre. Il est donc préférable de ne pas fixer un nombre précis de points pour les réponses, mais de laisser ce nombre fluctuer selon la qualité de celles-ci.

• Se méfier des manipulations.

Des mécanismes de régulation sont nécessaires pour éviter que des participants ne trichent. Sans cela, un sentiment d’injustice peut prendre le dessus.

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105 « Vague B » - Février 2014

• Encourager la coopération.

Une monnaie virtuelle ou un système de points peut pervertir des relations spontanées en transformant des volontaires en vendeurs, notamment quand les contributeurs rappellent aux demandeurs de les récompenser ou quand ils se plaignent s’ils ne reçoivent pas de points.

Il est donc souhaitable de combiner des systèmes de récompenses qui favorisent la compétition avec d’autres favorisant la coopération. Les premiers conviennent aux problèmes qui doivent être résolus rapidement tandis que les seconds sont adaptés à ceux qui requièrent une coordination complexe.

Le système de récompenses : pourquoi pas une monnaie virtuelle ?

Il faut un support d’échange pour que les participants puissent échanger de la valeur sur un marché. Les entreprises ont introduit des monnaies virtuelles pour ne pas compter uniquement sur des récompenses fixes ou sur un système de notation.

Ces monnaies offrent plusieurs avantages par rapport à un système de notation :

• Elles ne sont pas liées et sont donc transférables, tandis que les notations dans un environnement de travail, où la politesse est de norme, restent en général à un niveau élevé, ce qui limite leur pertinence. Les monnaies peuvent en outre être dépensées.

• Elles encouragent chacun à faire le meilleur usage de son temps, en se concentrant sur ce qui est le plus important. Un problème critique valant 5 000 points recevra ainsi plus d’attention qu’une question à 5 points.

Ces monnaies doivent permettre aux prix de fluctuer pour privilégier la qualité au volume des contributions. Il faut également qu’elles circulent pour éviter l’inflation ou la déflation : s’il y a trop de points en circulation, le concepteur du marché peut offrir des services ou racheter des points afin de réduire la production.

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106 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les mécanismes de gouvernance : la DSI dans le rôle d’une banque centrale

L’introduction d’une place de marché nécessite de nouvelles formes de gouvernance et de nouveaux rôles. La DSI ne peut plus agir comme un planificateur central, mais doit endosser les rôles des banques centrales.

Il doit ainsi fournir une certaine liquidité quand les participants ne parviennent pas à échanger, quand ils manquent d’information ou sont trop occupés. Il doit également gérer l’économie interne de manière à favoriser une croissance optimale.

Ces mécanismes requièrent un changement non seulement dans les modes d’interaction et les outils, mais dans les modes de management, les décideurs devant accepter les verdicts du marché.

Leçons apprises et bonnes pratiques

Les auteurs ont distingué trois phases : le lancement, le développement et l’évolution du marché.

Pour chacune, le tableau ci-après présente les défis et les réponses qui peuvent y être apportées :

Page 107: Quelle transformation numérique à l'horizon 2020 ? - Programme de recherche CIGREF

107 « Vague B » - Février 2014Fig. 2 : Défis et réponses apportés aux phases de lancement, développement et évolution du marché

Phase Challenge RéponsesLancement Problème de masse critique : le public ciblé n’utilise pas le marché - Ensemencer le marché avec des connaissances clés

- Subventionner des producteurs de connaissances clésProblème de masse critique : le public ciblé n’utilise pas le marché - Les récompenses doivent être à la fois matérielles et sociales

- Utiliser une monnaie ou des points, pas seulement une notation, et ne pas fixer les prix

Utilisateurs timides, hésitant à poster leurs problématiques publiquement

- Créer des petits groupes ou des groupes privés- Permettre la publication anonyme

Compétition ou connaissance gardée en réserve - Fournir des récompenses absolues et non relatives- Récompenser proportionnellement aux contributions- Créditer les contributeurs en cas de réutilisation de leur savoir

Développement Réponses fausses ou contradictoires - Collecter plusieurs réponses et commentairesLimiter l’accès des concurrents aux flux d’information stratégiques - Créer des segments de marché avec des niveaux d’accès différents.Déséquilibre des échanges, avec un groupe produisant plus de valeur qu’un autre.

- Lier les flux de points entrants à des activités internes ET externes- Mettre en évidence les groupes qui surperforment/sous-performent.

Utilisation limitée des points virtuels - Créer un marché complet où sont gérés aussi bien les flux de points entrants que les flux sortants (remboursement en biens et services réels par exemple).

Dévaluation de la communauté en mettant un prix à la connaissance. Volontariat réduit au profit de la vente.

- Reconnaître et remercier ceux qui contribuent, à travers un statut et d’autres formes de reconnaissance- Encourager la formation de groupes basés sur une identité commune

Evolution Fonctionnalités manquantes - Utiliser le marché pour qu’il y remédie lui-même.Responsables sourds - Si les décideurs ignorent les conseils du marché et que les décisions prises

s’avèrent mauvaises, ils en endossent la responsabilitéCollusion/Manipulation - Transparence sur les transactions, les données et les réputations

individuelles- Aligner les buts individuels avec ceux de l’entreprise

Mesurer la valeur des investissements et de l’information - Utiliser les prix du marché pour apprendre la valeur. Utiliser les changements dans la productivité des salariés pour la vérifier et déterminer où investir

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108 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les effets des places de marché internes

L’introduction de places de marché dans les entreprises entraîne de nombreux effets : certains sont positifs et améliorent la performance et l’ouverture, d’autres doivent être surveillés avec attention, comme la compétition, la fraude ou la transformation d’interactions spontanées en échanges calculés.

• Les effets sur la performance individuelle : l’exemple d’une institution financière japonaiseUne institution financière japonaise a mis en place une place de marché pour organiser et regrouper les bonnes pratiques et favoriser le partage d’informations entre ses collaborateurs. Ce système intégrait un référentiel de documents résumant les processus pour réussir les négociations avec les clients ainsi qu’un forum de discussion permettant aux employés d’échanger sous forme de questions/réponses.

Le partage de connaissances entre les salariés a eu plusieurs effets :

• Les personnes chargées des prêts pouvaient mieux évaluer le degré de risque des entreprises et travailler sur davantage de projets dans le même temps.

• Les salariés moins performants pouvaient réduire l’écart avec les plus productifs.

• Les salariés les plus compétents pouvaient consacrer une plus grande partie de leur temps à aider leurs collègues, ce qui pouvait avoir un impact négatif sur leur propre performance.

Les chercheurs ont analysé la performance des salariés selon différents indicateurs quantitatifs et qualitatifs, en observant également comment ils partagent la connaissance (nombre de documents consultés, de questions publiées et de réponses fournies).

Ils ont constaté que les collaborateurs qui aidaient le plus leurs collègues étaient en moyenne plus performants, avec une corrélation entre le nombre de réponses fournies et la performance. Ceux qui posaient le plus de questions étaient en revanche moins performants.

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109 « Vague B » - Février 2014

• Résultats expérimentauxAfin de mieux comprendre les effets des marchés internes, les chercheurs ont mis en place une expérience avec des professionnels adultes suivant un MBA. Ils ont conçu une technologie où les participants pouvaient soit acheter la connaissance (à travers un système de récompenses basé sur des points virtuels), soit la demander gratuitement. Ils ont analysé les données recueillies auprès de 550 participants totalisant près de 5 000 interactions (1 784 questions, 3 746 réponses) sur une période de neuf mois, afin de déterminer les facteurs intervenant dans les choix sur deux éléments : le système de récompense (choix d’en offrir une ou non) et la diffusion de l’identité (visible ou anonyme).

Les chercheurs ont identifié trois phases dans l’adoption du marché : l’expérimentation, la domination du marché et une période de désillusion marquée par un retour aux échanges communautaires.

Au départ, les participants ont majoritairement rendu leur identité publique. Après quelques semaines ils ont commencé à explorer les échanges communautaires (information gratuite), qui étaient généralement retenus pour les questions d’ordre plus général, tandis que le système de points était choisi pour les questions plus précises.

Lors de la deuxième phase, les participants se sont montrés intéressés par l’accumulation de points, recherchant la visibilité et certaines récompenses matérielles associées. Ils ont alors trouvé de nouvelles manières d’obtenir des points et ont joué avec l’outil, révélant ses insuffisances. Quelques-uns ont triché, malgré la pression de la communauté.

Dans la troisième phase, les participants sont peu à peu retournés aux échanges communautaires, continuant de considérer le système comme un outil puissant mais dénonçant les effets pervers des points. A ce stade, l’université qui coordonnait le programme, est intervenue pour préciser que la participation devait être axée sur la qualité et la fréquence des interactions plutôt que sur la course aux points. Elle a également expliqué que les manipulations pouvaient facilement être détectées. Cette intervention a établi l’existence d’une gouvernance.

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110 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Certains participants ont alors fait preuve d’altruisme, abandonnant leurs points au profit d’objectifs communautaires, et une nouvelle norme est apparue, celle de la connaissance donnée gratuitement. Par ailleurs, une fois les désaccords sur les points tombés, les participations anonymes ont augmenté, mais pour exprimer des désaccords relevant du travail.

• Implications théoriques et pratiques

Systèmes de récompenses : l’effet pervers des gratifications matérielles

Les constats des auteurs corroborent tout d’abord l’existence d’effets potentiellement pernicieux en cas de récompenses matérielles.

Par ailleurs, ils ont observé lors de l’expérience qu’un comportement individuel pouvait rapidement devenir contagieux dans une communauté, notamment la désillusion à l’égard des systèmes de récompenses.

Ils ont également constaté qu’il était possible de faire machine arrière par rapport au système de récompense tout en regagnant une motivation communautaire.

Gestion de l’identité : l’anonymat facilitateur de l’échange

Les chercheurs ont identifié plusieurs raisons parfois opposées de contribuer de manière anonyme. De manière paradoxale, ceux qui cherchent le plus de reconnaissance pour eux-mêmes (au point de manipuler le marché) et ceux qui ne veulent pas réclamer un crédit pour leurs interventions utilisent tous deux l’anonymat.

Pour les entreprises, si l’anonymat risque de favoriser des comportements non éthiques, il apparaît aussi comme un facteur facilitant le passage à de nouvelles normes sociales. Souvent, en effet, les changements sont lancés par un acteur anonyme, ce qui évite les conflits personnels susceptibles de briser la cohérence du groupe et permet aux individus de questionner les normes.

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111 « Vague B » - Février 2014

Quelles implications pratiques ?

Ces travaux montrent que les systèmes d’information de partage de la connaissance ne peuvent être vus comme des systèmes purement informatiques, car ils sont aussi des systèmes relationnels.

Les chercheurs suggèrent de récompenser les participants de tels systèmes autrement que financièrement. Un système de monnaie virtuelle permet notamment de qualifier leur réputation et de rendre visible ans l’organisation ceux qui aident.

Néanmoins, tout système de classement peut créer une dynamique compétitive. Celle-ci peut avoir des implications positives pour motiver les participants, mais il faut la contrôler pour en éviter les effets pernicieux. Il faut donc privilégier un système permettant de prendre en compte la qualité des contributions tout autant que leur qualité, par le biais d’évaluations de la communauté. De la même façon, le contrôle ne doit pas être centralisé mais « crowd-sourcé », à partir de la communauté elle-même.

Enfin, concernant l’anonymat, les auteurs suggèrent de ne pas en faire la norme, mais de le réserver aux circonstances dans lesquelles les décideurs recherchent un feedback honnête.

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112 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

« Innover dans une communauté apprenante »

Cette étude s’intéresse à la manière dont les entreprises développent ensemble des infrastructures d’information ouvertes, en se basant notamment sur des études consacrées au développement du secteur de la distribution pharmaceutique en Chine entre 2004 et 2012, qui a développé des plates-formes d’échange électroniques.

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113 « Vague B » - Février 2014

Innover dans une communauté apprenante

L’étude « ILC » a été menée par :

Kai Reimers, Docteur en économie de l’Université de Wuppertal, enseigne le management des systèmes d’information à l’Université RWTH d’Aachen où il dirige un groupe de recherche sur le commerce électronique. Ses thèmes de recherche portent sur les systèmes inter-organisationnels d’information (échanges de données informatisées, marchés électroniques…) et les problématiques liées à la standardisation des systèmes d’information.

Xunhua Guo, Professeur associé au Département des sciences de gestion et d’ingénierie à l’Université Tsinghua. Ses travaux de recherche portent sur le management des systèmes d’information, la gestion des données et la conception des systèmes. Il enseigne aujourd’hui le management des systèmes d’information, l’architecture des systèmes et les réseaux informatiques.

Mingzhi Li, Université de Tsinghua.

Bin Xie, Université de Tsinghua.

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114 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Comment les entreprises collaborentQuels sont les usages et les effets des technologies de l’information à l’échelle d’un secteur économique entier ? Pour répondre à cette question, les auteurs de l’étude se sont appuyés sur le cas de la distribution pharmaceutique en Chine, qui offrait un terrain idéal pour étudier l’émergence et l’évolution d’une infrastructure d’information sectorielle.

La question principale est de comprendre comment les entreprises développent conjointement une infrastructure d’information ouverte. Il ne s’agit pas seulement d’identifier ce qui motive les entreprises à s’engager dans de telles démarches, mais de répondre à d’autres questions liées : comment les entreprises délimitent-elles des périmètres d’innovation propriétaire dans les projets d’innovation ouverte ? Comment coordonnent-elles le développement d’infrastructures innovantes ? Quels processus et pratiques favorisent ou perturbent de tels efforts collectifs ? Est-ce que les projets d’infrastructures collectives donnent naissance à des pratiques spécifiques qui ont leurs propres règles, normes et structures idéales ? Si oui, est-ce que ces pratiques émergentes entravent ou encouragent les activités à l’échelle des entreprises individuelles ?

Ce projet s’appuie sur un environnement de recherche dénommé « communauté apprenante ». Celle-ci désigne un groupe d’industriels engagés dans une action collective pour créer une nouvelle infrastructure d’information. Dans le cas étudié, les chercheurs ont mis en place une communauté regroupant des hôpitaux, des fabricants de médicaments et des pharmacies, ainsi que différents intermédiaires : grossistes et distributeurs, entreprises de logistique, site de e-commerce…

Le projet a suivi deux grandes étapes correspondant aux questions structurant le processus de recherche :

• Qu’est-ce qui fait émerger une infrastructure d’information globale à un secteur ?

• Comment une telle infrastructure se développe une fois en place ?

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115 « Vague B » - Février 2014

Un cycle de vie en trois phasesComprendre comment des infrastructures d’information sectorielles se développent sur le long terme est un sujet jusqu’à présent peu abordé. Le contexte chinois a fourni un terrain idéal, par une faible informatisation initiale ainsi qu’un développement plus rapide que dans d’autres pays.

Les auteurs ont élaboré un modèle de cycle de vie pour analyser l’émergence de telles infrastructures. Pour cela, ils se sont appuyés sur un modèle multi-niveaux développé pour comprendre l’émergence du commerce électronique interentreprises (B2B). Celui-ci s’inspire de travaux sur la manière dont les entreprises apprennent à utiliser des vagues successives de technologies informatiques, qui distinguaient trois phases : l’ère du traitement de données (mainframe), celle du micro-ordinateur et celle du réseau. Une évolution du budget informatique et du parc informatique accompagnent le passage de l’une à l’autre.

Les auteurs s’inspirent également de travaux sur le cycle de vie des industries, retenant trois grandes phases : croissance, tassement et stabilité.

Dans leur modèle, les auteurs distinguent trois niveaux : celui de l’entreprise, celui des fournisseurs de solutions informatiques et celui des utilisateurs de solutions, chacun évoluant de manière différente avec son propre cycle.

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116 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Source : Reimers et al., 2004

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117 « Vague B » - Février 2014

Le cas de l’industrie pharmaceutiqueLe projet de recherche s’est principalement appuyé sur l’étude de cas de la distribution pharmaceutique en Chine, réalisée à partir d’entretiens, de réunions et d’ateliers de travail avec la communauté apprenante. Les chercheurs ont également exploité le contenu de certains documents liés au secteur, tels des règlements, guides pratiques et lois, principalement issus d’organismes publics.

• Contexte historique : un marché très fragmentéDurant les années 1980 et au-delà, le système de distribution chinois s’est développé de manière très fragmentée, avec plus de 16 000 sociétés de distribution pharmaceutique. Au début des années 2000, les difficultés du secteur de la santé et la situation chaotique de la chaîne de distribution pharmaceutique ont conduit le gouvernement chinois à centraliser l’approvisionnement en médicaments, tout en laissant une certaine flexibilité aux régions qui se sont basées sur des systèmes d’appel d’offres électroniques tiers. Plusieurs réglementations ont alors été mises en place. Néanmoins, ce système a rapidement montré ses limites, les charges additionnelles liées aux nouvelles plates-formes d’échange apparaissant comme un frein pour les différents acteurs.

En novembre 2010, le Conseil d’Etat chinois a publié un ensemble de recommandations pour les mécanismes d’approvisionnement en médicaments, marquant l’abandon des plates-formes électroniques intermédiaires. Désormais, les places de marché électroniques sont gérées uniquement par les provinces, et elles fonctionnent comme des organisations à but non lucratif, financées par le gouvernement. Les fabricants de médicaments et les institutions médicales n’ont plus de frais à payer. Les médicaments faisant l’objet d’une forte demande sont commandés directement aux laboratoires, tandis que les autres demandes sont regroupées et transmises aux distributeurs.

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118 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Une analyse de données : actions gouvernementales et indicateurs de maturitéDeux types d’analyses ont été menés sur les données : la première porte sur les actions du gouvernement sur le secteur et le développement d’infrastructures d’information. Les chercheurs ont notamment regardé les effets attendus de ces actions :

• Sur l’approvisionnement en médicaments• Sur les prix des médicaments• Sur la standardisation• Sur la structure du secteur• Sur l’usage de l’informatique

Ils ont également observé les effets inattendus :• Sur la standardisation• Sur la structure du secteur• Sur les pratiques du secteur• Sur l’usage de l’informatique

La seconde analyse a consisté à intégrer les données recueillies dans le cadre théorique présenté précédemment, notamment en établissant des indicateurs de maturité pour le niveau de développement des entreprises et celui de l’industrie.

Pour le secteur, la maturité se traduit par les éléments suivants : • Existence d’un modèle économique dominant • Innovations sur les processus plutôt que sur les produits/services proposés • Développement du nombre d’entreprises dans le secteur • Partenariats horizontaux, dans lesquels des concurrents coopèrent en travaillant par exemple sur des standards communs • Partenariats verticaux, dans lesquels les fournisseurs coopèrent avec leurs clients pour développer des services à valeur ajoutée au lieu de se concentrer uniquement sur le prix et la qualité

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119 « Vague B » - Février 2014

Pour les entreprises, la maturité de l’usage informatique devait être évaluée en fonction de cinq indicateurs :• Budget IT• Ressources IT• Niveau de sensibilisation des utilisateurs• Contrôle du management• Portefeuille d’applications, qui indique notamment si l’entreprise a intégré des systèmes internes et externes

Cinq constats…Les chercheurs ont établi cinq grands constats à la suite de leurs travaux :

1. Alors que le secteur gagne en maturité et que les entreprises intègrent les systèmes en interne, les partenariats verticaux deviennent plus coopératifs et incluent le développement de connections entre systèmes d’information. Ainsi, dans le cas de la distribution pharmaceutique chinoise, la connexion aux plates-formes B2B passait au départ par des procédures manuelles, puis des interfaces ont été développées pour automatiser les échanges de données entre systèmes.

2. Alors que le secteur gagne en maturité et que les entreprises intègrent les systèmes en interne, celles-ci s’engagent indirectement dans une coopération horizontale, facilitée par des tierces parties. Dans le cas étudié, les hôpitaux ont ainsi poussé les distributeurs à travailler ensemble sur des plates-formes électroniques ouvertes, pour éviter la multiplication des systèmes.

3. Les actions du gouvernement pour établir une plate-forme d’échange électronique gênent le développement de liaisons de système à système. Les acteurs utilisent en effet cette plate-forme au côté de systèmes B2B développés de manière privée et doivent maintenir les deux. En outre certains distributeurs qui avaient entrepris le développement de plates-formes ouvertes ont abandonné quand le gouvernement a lancé sa propre initiative.

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120 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

4. Les actions du gouvernement pour consolider le secteur ont en revanche aidé à développer des plates-formes d’échange interentreprises privées et ont marginalisé les plates-formes de e-commerce mandatées par le gouvernement. La consolidation a incité les entreprises à adopter des plates-formes B2B pour accroître l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement, mais elles sont néanmoins réticentes à utiliser les outils mandatés par le gouvernement dans leurs processus métiers.

5. L’implication du gouvernement dans l’établissement de standards a empêché le secteur de développer des standards de e-commerce. Les entreprises avaient notamment besoin de codes produits standardisés pour faciliter les échanges, mais elles ont attendu que le gouvernement s’en charge, et le morcellement des organismes publics du domaine a rendu cette tâche trop complexe.

…et trois hypothèsesCes résultats ont conduit les chercheurs à énoncer trois hypothèses :

1. Le développement d’une infrastructure d’information est un phénomène qui s’effectue sur plusieurs niveaux. Dans le cas observé, l’émergence s’est fait de manière graduelle, tant pour les entreprises qui se sont dotées peu à peu de systèmes d’information globaux que pour le secteur, qui s’est consolidé mais a également connu des changements qualitatifs (meilleurs modèles économiques, relations verticales devenant plus collaboratives, etc.)

2. Le développement d’une infrastructure d’information implique une coopération entre concurrents (coopétition), dont la forme concrète est déterminée par des facteurs institutionnels. Si, dans les pays occidentaux, la « coopétition » passe souvent par des projets communs explicites et menés de manière formalisée, comme des comités de standardisation, en Chine les acteurs du secteur ont attendu que l’état ou des clients importants fassent office de catalyseurs. De même, le périmètre des projets n’était pas établi à l’avance mais pouvait évoluer en cours de route. Le principal mécanisme entrant en jeu dans ces projets était l’attente de réciprocité de la part des concurrents, tandis que dans les pays occidentaux c’est plutôt une conscience commune des besoins du secteur.

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121 « Vague B » - Février 2014

3. Les discussions sur les voies possibles pour l’action collective nécessitent des espaces dédiés qui permettent un échange ouvert, libéré des pressions concurrentielles. A travers la création de la communauté apprenante, les chercheurs ont constaté que c’était la seule opportunité d’avoir des échanges ouverts entre les différents acteurs de l’industrie, en particulier les concurrents. D’autres occasions de coopération ont eu lieu en dehors de la communauté, mais elles accentuaient la nature concurrentielle de la relation, par exemple dans le cas où un hôpital demandait aux distributeurs de développer ensemble une plate-forme commune.

Développements des modèles de relation en réseauUn aspect intéressant dans le cas étudié est la coexistence de deux systèmes en parallèle, la plate-forme électronique d’appel d’offres imposée par le gouvernement et les plates-formes B2B des entreprises. Même si la plate-forme du gouvernement a connu une baisse d’importance, elle continue à être utilisée actuellement et les auteurs estiment qu’elle va encore perdurer quelques années.

Cette situation conduit à s’interroger : pourquoi, alors que les entreprises et le secteur ont atteint la maturité nécessaire pour faire émerger une infrastructure d’information sectorielle globale, les entreprises n’ont pas simplement cherché à étendre la plate-forme existante mise en place par le gouvernement ? Pourquoi, alors que les relations entre acteurs deviennent plus coopératives, les entreprises préfèrent malgré tout investir dans une infrastructure parallèle et maintenir deux systèmes ?

Pour répondre à ces questions, les auteurs s’appuient sur une autre étude portant sur les modèles de relations en réseau. Celle-ci distingue deux niveaux : l’intégration des systèmes d’information entre entreprises et les relations interentreprises. Pour le premier niveau, l’intégration de systèmes d’information peut être présente ou absente. Dans le second niveau, la relation peut prendre deux formes :

• une forme sociale, avec des attentes en termes de réciprocité et d’identité ;• une forme plus distante dans laquelle les différents acteurs sont considérés comme des partenaires substituables les uns aux autres, et qui ne prend en compte que des critères de prix et de qualité pour les décisions d’achat et de vente.

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122 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Dans le cas étudié, les systèmes d’échange électroniques sont initialement apparus dans un contexte où les relations sociales entre les distributeurs et les hôpitaux clients primaient. L’Etat a ensuite tenté de mettre en place un système impliquant une relation distante.

Néanmoins, les pratiques n’ont pas évolué en ce sens, et se sont plutôt adaptées pour conserver les relations sociales. D’une part, les courtiers ont cherché à préserver le capital social qu’ils s’étaient constitués, résistant au changement introduit par l’état. D’autre part, le besoin de services personnalisés s’est accru et la plate-forme du gouvernement ne permettait pas d’y répondre.

Réponses aux questions de recherche

• Comment les entreprises développent-elles ensemble des infrastructures d’information ouvertes ?Les chercheurs ont observé trois mécanismes entrant en jeu dans le cas étudié : des relations à caractère social entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement, l’intervention de tierces parties (en l’occurrence les hôpitaux) et des attentes de réciprocité (les distributeurs facilitant la connectivité à leurs plates-formes en attendant que leurs concurrents en fassent de même).

• Qu’est-ce qui motivent les entreprises à s’engager dans de tels projets ?Ces conditions interviennent au niveau du secteur. La consolidation de celui-ci a changé la nature de la chaîne d’approvisionnement et des relations concurrentielles. Les plates-formes B2B n’ont plus été considérées comme un champ de bataille mais comme une nécessité, ce changement allant de pair avec une évolution du modèle économique : de simples revendeurs, les distributeurs sont devenus des fournisseurs de services offrant également du conseil et des prestations de développement informatique.

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• Comment les entreprises préservent-elles des domaines d’innovation propriétaires dans ce contexte ?

Contrairement aux attentes des chercheurs, les entreprises n’ont pas cherché à séparer de manière claire les domaines d’innovation propriétaires des domaines adaptés à l’innovation ouverte. La transition s’est effectuée de manière fluide avec le changement de modèle économique. Les plates-formes B2B construites par les distributeurs ont ainsi été mises à disposition des hôpitaux de manière gratuite, les entreprises ne s’appuyant pas sur des innovations propriétaires pour bâtir un avantage compétitif, mais plutôt sur une innovation continue.

• Comment les entreprises coordonnent le développement d’infrastructures innovantes ?

Le processus de développement était souvent initié par les tierces parties, qui intervenaient également dans la coordination des efforts. La mise en œuvre était facilitée par les relations sociales et l’attente de réciprocité.

• Comment les processus et les pratiques des entreprises ont facilité ou entravé ces efforts collectifs ?

La principale contrainte était le stade où en était l’entreprise dans son apprentissage de l’adoption de nouvelles technologies. Une compréhension préalable des technologies de l’ère des réseaux était nécessaire pour participer à ce type de projet. De fait, quand le gouvernement a imposé son système centralisé, beaucoup d’entreprises n’étaient pas prêtes à intégrer des systèmes externes, et ils étaient alors utilisés comme des outils isolés, requérant l’extraction et l’intégration manuelle des données.

• Est-ce que ces projets d’infrastructures collectives donnent naissance à des pratiques sectorielles spécifiques ?

En dehors de la communauté apprenante, les chercheurs n’ont pas observé d’autres pratiques à l’échelle du secteur. Cette communauté apprenante a révélé un réel intérêt pour améliorer la santé du secteur et une volonté de partager des idées. Néanmoins, l’environnement institutionnel chinois ne favorise pas de telles activités.

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124 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Les implications managériales : maîtriser les technologies et coopérerEn se basant sur leurs travaux, les chercheurs suggèrent trois caractéristiques pour l’entreprise 2020 :

• Celle-ci maîtrise les technologies de l’ère du réseau à la perfection et peut donc aisément se connecter aux systèmes d’information de ses partenaires. Elle connaît les différents standards existants, dispose de procédures formalisées pour connecter ses systèmes à ceux de partenaires et comprend la répartition des coûts et bénéfices associée à de tels liens, qui peut être asymétrique. Elle évalue les investissements dans ces projets d’intégration en fonction de la réactivité apportée au marché plutôt qu’en fonction du coût.

• Elle est capable de coopérer facilement avec des acteurs externes, y compris des concurrents, car elle comprend les implications économiques et légales de telles coopérations, elle dispose de stratégies claires pour déterminer quels projets soutenir et comment, elle possède une organisation adaptée à ces coopérations et est active dans les forums d’échange.

• Elle guide le secteur dans le développement de pratiques sectorielles, car elle a acquis une position qui lui permet d’être écoutée des différents acteurs, notamment en établissant des normes et des arguments en faveur d’actions collectives.

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125 « Vague B » - Février 2014

• Les chercheurs souhaitent attirer l’attention sur deux points :

Tout d’abord, dans une industrie émergente, les infrastructures d’information peuvent se développer rapidement, avec peu de signes avant-coureurs. Les compagnies internationales doivent particulièrement prêter attention à ces signaux afin de trouver des opportunités de s’engager activement dans ce développement.

Ensuite, les pratiques existantes d’un secteur peuvent apparaître bien plus résilientes qu’on ne l’imagine. Il faut comprendre leur origine historique avant de chercher à les changer, mais même ainsi le succès n’est pas garanti. Par conséquent, les entreprises ne doivent pas chercher à imposer des processus qui leur semblent bien conçus sur ces pratiques, mais plutôt créer des lieux d’échange pour réfléchir sur ces pratiques et ouvrir la possibilité d’un changement.

Cette étude présente toutefois quelques limites liées notamment au domaine étudié. Les résultats peuvent en effet être spécifiques au contexte chinois et/ou au secteur de la distribution pharmaceutique, fortement régulé. Néanmoins les enjeux apparus dans l’étude en matière de systèmes d’information diffèrent peu de ceux d’autres secteurs.

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126 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

« Comment les technologies de l’information influencent l’écologie de la connaissance et l’adoption de l’innovation ouverte »

Cette étude s’intéresse au rôle des technologies de l’information dans le cadre des démarches d’innovation ouverte, et à l’influence de ce type de démarche sur la performance des organisations.

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127 « Vague B » - Février 2014

Comment les technologies

de l’information influencent l’écologie

de la connaissance et l’adoption de l’innovation ouverte

L’étude « KEOI » a été menée par :

Ting-Peng Liang, professeur en systèmes d’information à l’Université Nationale Chengshi (Taiwan), titulaire d’un doctorat de l’Université de Pennsylvanie. Il a enseigné dans différentes universités dont l’université de l’Illinois et l’université chinoise de Hong Kong.

L.G. Pee, Docteur en systèmes d’information de l’Université Nationale de Singapour.

Dr. Deng Neng Chen, professeur associé au département de management des systèmes d’information et directeur du centre informatique de la National Pingtung University of Science and Technology à Taiwan.

Dr Lihua Huang, professeur au département Systèmes d’information et management de l’information, vice-doyenne de l’école de management de l’Université Fudan (Chine).

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L’innovation est essentielle pour la croissance financière et la compétitivité d’une entreprise. Elle s’appuie notamment sur des connaissances à jour et la capacité à gérer le savoir de l’entreprise de manière efficace. Les travailleurs de la connaissance deviennent à ce titre un facteur important dans la création de valeur, de même que la mise en place d’une gestion des connaissances performante.

Gestion des connaissances, créativité et agilitéLes technologies de l’information et les communautés virtuelles ont changé la manière de gérer les connaissances et de créer de l’innovation, de nombreuses entreprises exploitant des plates-formes ouvertes sur Internet pour accroître leur créativité. Des études ont montré que la gestion des connaissances pouvait améliorer la créativité, et que celle-ci pouvait à son tour améliorer la performance d’une organisation mais aussi son agilité.

De nombreuses recherches ont proposé des modèles permettant de gérer les connaissances représentant de la valeur pour les organisations. Lors d’études précédentes, les auteurs de ce rapport ont identifié qu’outre ce processus de gestion des connaissances, le profil de connaissances d’une organisation (dénommé écologie de la connaissance) jouait également un rôle important dans le développement de la créativité et de la performance. Cette écologie inclut les interactions, les mécanismes de collaboration/compétition et l’évolution dans une organisation.

Le professeur Henry Chesbrough, de l’Université de Berkeley, est à l’origine du concept d’innovation ouverte. Selon cette idée, les entreprises devraient mettre à profit des idées et des sources de connaissance à la fois internes et externes. Néanmoins, la contribution du système d’information et des stratégies de gestion des connaissances à de telles démarches est un domaine peu connu, de même que l’effet de telles démarches sur la performance des entreprises.

Les auteurs de l’étude ont souhaité explorer ces problématiques à travers trois questions : • Les capacités informatiques peuvent-elles faciliter la gestion des connaissances et l’adoption d’une démarche d’innovation ouverte ?• Une meilleure gestion des connaissances peut-elle encourager l’adoption de l’innovation ouverte ?• L’adoption de l’innovation ouverte peut-elle contribuer à une meilleure performance organisationnelle ?

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129 « Vague B » - Février 2014

L’intérêt d’une écologie de la connaissanceLa recherche autour de la gestion des connaissances a démarré dans les années 1970 par des approches sociologiques et d’autres techniques autour des systèmes experts. Plus récemment une approche écologique a commencé à se développer. L’écologie est la science consistant à analyser les relations entre les différents membres d’une communauté et leurs interactions avec l’environnement. L’écologie de la connaissance combine donc des communautés de connaissances (les différentes types de connaissances détenues par des services ou des employés), des ressources organisationnelles (le personnel, les processus, la structure, la culture) et l’environnement externe (politique, économique, industriel, sociétal, technique). L’unité de base est la population détenant telle ou telle type de connaissance, par exemple dans le domaine financier. Les principales activités liées à la connaissance sont décrites dans le modèle DICE :

• Distribution (intensité et diversité des connaissances)• Interaction (interne ou externe),• Concurrence/collaboration • Evolution (mutation ou croisements)

Processus d’évolution de la connaissance et performanceL’évolution de la connaissance est un facteur important dans l’adoption de l’innovation ouverte. En effet, dans un environnement changeant, les organisations doivent changer leurs savoirs. L’évolution est une capacité dynamique qui permet aux entreprises d’intégrer, de construire et de reconfigurer leurs compétences dans un tel contexte.

Le processus d’évolution suit plusieurs étapes : la variation, la sélection, la réplication et la rétention. Lors de l’étape de variation, des groupes ou des individus génèrent de nouvelles idées répondant aux stimuli et aux feedbacks de l’environnement. L’étape de sélection fonctionne comme un filtre pour déterminer les idées ayant le plus de valeur. La réplication consiste à partager ces idées dans l’ensemble de l’organisation pour améliorer le niveau de compétences. Enfin, lors de l’étape de rétention, les nouvelles idées qui ont passé le cap sont intégrées dans les routines de l’organisation.

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130 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Deux grands types de facteurs motivent cette évolution : les pressions internes et externes, notamment la concurrence. Dans le cas d’une évolution provoquée par des facteurs internes, les chercheurs parlent de stratégies de mutation des connaissances. Les nouvelles connaissances sont créées à partir des connaissances existantes, les changements provenant de forces internes comme les services de R&D. Dans le cas d’une évolution déclenchée par des facteurs externes, les chercheurs parlent de stratégies de croisement des connaissances. Il s’agit alors d’acquérir des connaissances externes (expertise d’un consultant, achat d’un brevet…) et de les assimiler aux connaissances existantes.

Deux auteurs de l’étude ont développé en 2011 un modèle pour comprendre comment les stratégies d’évolution des connaissances impactaient la performance des organisations sur quatre dimensions : finance, clients, processus internes et capacité d’apprentissage/de croissance. Selon leurs travaux, les stratégies de mutation avaient un impact significatif sur l’amélioration des processus internes, tandis que les bénéfices des stratégies de croisement s’observaient plutôt dans les dimensions finance et clients.

L’innovation ouverte comme facteur d’évolution externeL’innovation ouverte inclut l’innovation issue des utilisateurs, l’innovation cumulative, l’échange de savoir-faire, l’innovation de masse et l’innovation distribuée. Cette idée s’inscrit dans un contexte où le lien entre une entreprise et son environnement est devenu plus perméable, et les innovations peuvent plus facilement être transférées de l’extérieur vers l’intérieur, et réciproquement. De la même façon, elle suppose que, dans un monde où la connaissance est largement distribuée, une entreprise ne peut plus se reposer uniquement sur sa propre recherche.

Cette idée est renforcée par les tendances récentes autour des réseaux sociaux et du « savoir des foules ». Internet permet d’accéder à des sources de connaissances virtuellement illimitées pour la conception des produits, la R&D, les services aux clients et bien d’autres aspects. En contrepartie, cette démarche soulève également quelques inquiétudes, comme les coûts engagés pour collecter un grand nombre d’idées à la qualité potentiellement incertaine, ou la sécurité et les enjeux de propriété intellectuelle. La connaissance issue de ces sources ouvertes ne s’inscrit pas dans les pratiques usuelles des organisations, habituées à préserver un avantage compétitif par des brevets et des copyrights.

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131 « Vague B » - Février 2014

Technologies de l’information, diversité des connaissances et performance de l’entrepriseLe rôle des systèmes d’information dans la création et la distribution des connaissances est connu. Les technologies de l’information renforcent à la fois l’intensité et la diversité des connaissances. Dans des travaux précédents, les auteurs ont mis en évidence qu’une augmentation en intensité des connaissances améliorait la performance moyenne des entreprises, tandis qu’une hausse de la diversité des savoirs réduisait les écarts de performance.

Pour explorer ces questions, les chercheurs ont développé deux modèles. Ceux-ci permettent de comprendre les relations entre les capacités informatiques, l’écologie de la connaissance, l’innovation ouverte et la performance dans une organisation.

Les dimensions du modèle d’écologie de la connaissance peuvent être utilisées pour décrire le profil de connaissances d’une organisation. Le tableau suivant reprend ainsi certaines de ces dimensions.

Distributionde la connaissance

Interaction de la connaissance

Focalisée Diversifiée

Interaction interne Niche Zoo

Interaction externe Niche Parc naturel

Figure 1: Quatre types d’écologie de la connaissance. Source : TP Liang (2012)

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132 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

• Dans le profil « Niche », l’organisation possède une forte connaissance d’un domaine spécifique et elle s’appuie majoritairement sur le développement interne de nouveaux savoirs.

• Dans le profil de « Zoo », l’organisation couvre un grand nombre de domaines de connaissances et les nouveaux savoirs sont développés en interne.

• Dans le profil de « Parc à thème », l’organisation possède une forte connaissance d’un domaine spécifique et le développement de nouveaux savoirs est orienté vers l’extérieur.

• Dans le profil de « Parc naturel », l’organisation couvre un grand nombre de domaines de connaissances et le développement de nouveaux savoirs est orienté vers l’extérieur.

A partir de ces profils de connaissances, les chercheurs ont élaboré un modèle global pour analyser les relations entre les capacités informatiques, les stratégies de gestion des connaissances (Knowledge Management), l’adoption de l’innovation ouverte et la performance des organisations. Ce modèle prend également en compte l’existence d’éventuelles différences entre pays.

Figure 2: Modèle de recherche. Source: TP Liang (2012)

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133 « Vague B » - Février 2014

Six grandes hypothèses sont dérivées de ce modèle, les chercheurs distinguant, pour toutes les questions liées à l’innovation ouverte, les cas de l’innovation entrante et sortante.

1. Les capacités IT pourraient faciliter différentes stratégies de KM dans les organisations : en supportant une écologie de la connaissance plus diversifiée, en supportant des interactions plus fortes ou en augmentant la collaboration ;2. Différentes stratégies de distribution des connaissances conduiraient à différentes intentions en matière d’adoption de l’innovation ouverte, la diversité des connaissances encourageant celle-ci ;3. Davantage d’interactions autour des connaissances conduiraient à un plus haut niveau d’innovation ouverte ;4. Une collaboration plus forte autour des connaissances entraînerait un plus haut niveau d’innovation ouverte ;5. L’adoption de l’innovation ouverte permettrait d’améliorer la performance organisationnelle ;6. Des différences existeraient entre pays quant aux effets des capacités informatiques, des stratégies de gestion des connaissances et de l’innovation ouverte sur la performance.

Les auteurs ont également conçu un modèle alternatif pour analyser l’impact direct des capacités IT sur l’innovation ouverte et la performance organisationnelle.

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134 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Afin de traduire ces deux modèles en indicateurs exploitables, les chercheurs ont détaillé comment évaluer chaque paramètre.

• Pour les stratégies de gestion des connaissances, ils observent si les organisations concentrent leurs ressources sur quelques domaines de connaissances étroits ou sur un panel plus large, si la connaissance est distribuée dans la plupart des services ou concentrée dans quelques-uns, où elle est développée, si la culture est plutôt collaborative ou compétitive.

• L’innovation ouverte est examinée sous deux angles : l’innovation entrante correspond aux flux d’idées et de connaissances émanant de sources externes, l’innovation sortante désigne les flux adressés à des entités externes.

• La performance est évaluée sous deux angles : la performance de la R&D et la performance financière.

• Les capacités IT sont évaluées en regardant la présence d’applications informatiques pour supporter différentes fonctions : processus opérationnels, processus inter-organisationnels, marketing, prise de décisions stratégiques.

• Pour identifier d’éventuelles caractéristiques nationales, les chercheurs ont comparé les données collectées à Taiwan, en Chine et au Japon.

Les chercheurs ont débuté par une première étude de cas détaillée afin de déterminer comment mettre en application le modèle dans une entreprise réelle. Ils ont ensuite mis en place une collecte de données, interrogeant 93 entreprises à Taiwan, 120 au Japon et 36 en Chine, soit au total 249 organisations. Pour finir, une deuxième vague de six études de cas a permis d’enrichir les résultats par une nouvelle analyse qualitative.

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135 « Vague B » - Février 2014

Le SI a un effet positif sur la gestion des connaissancesLa plupart des hypothèses ont été vérifiées par l’analyse statistique des données collectées. Les chercheurs ont notamment constaté que :

• les capacités du système d’information avaient un effet positif sur la gestion des connaissances, tant sur le plan de la diversité que des interactions et de la collaboration ;

• les organisations avec un haut niveau d’interaction et de collaboration sont plus avancées dans la mise en œuvre de démarches d’innovation ouverte ;

• cet effet est plus fort sur l’innovation ouverte entrante que sortante ;

• le niveau d’innovation ouverte influence positivement la performance et que cette influence est trois fois plus forte dans le cas d’une innovation ouverte entrante que sortante.

Ces constats sont globalement similaires dans les trois pays observés, avec néanmoins quelques différences pour les entreprises chinoises et japonaises. Ainsi, en Chine, les capacités du système d’information n’améliorent pas les interactions de manière significative, les interactions humaines étant encore prédominantes. Dans les entreprises chinoises, une augmentation des interactions ne semble pas non plus accroître l’innovation ouverte entrante, le management étant encore fortement centralisé et le partage de connaissances dans l’entreprise peu répandu. Enfin, l’impact de l’innovation sortante sur la performance demeure faible, les entreprises n’étant probablement pas encore prêtes à licencier leur propriété intellectuelle.

Si en Chine et à Taiwan la diversité des connaissances est liée à une augmentation de l’innovation ouverte entrante, reflétant notamment la capacité de l’entreprise à acquérir et agréger des savoirs externes, ce n’est pas le cas au Japon, où les entreprises s’appuient davantage sur leurs départements de R&D. En revanche, les pratiques liées à l’innovation sortante sont plus répandues au Japon et impactent de manière plus importante la performance. Selon les chercheurs, ceci s’expliquerait par une avance des entreprises japonaises en termes d’innovation, qui servent de source de connaissance pour d’autres pays.

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136 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Le second modèle confirme également que les capacités du système d’information sont un facteur important pour faciliter l’adoption de l’innovation ouverte et qu’elles améliorent la performance des organisations.

Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) : une plateforme d’innovation ouverte

TSMC est une entreprise taïwanaise cotée, fabricant de semi-conducteurs et circuits intégrés. Elle a réalisé un chiffre d’affaire de 14 milliards de dollars US en 2010. Elle intervient plus spécifiquement sur les processus de fabrication (formation des composants, métallisation, inspection).

Cette entreprise fournit une plate-forme d’innovation ouverte (OIP) à ses partenaires et clients, afin que les acteurs travaillant en amont dans la conception de circuits intégrés et ceux intervenant en aval dans l’assemblage et les tests puissent partager un portefeuille de connaissances et de brevets, des méthodologies et des processus de conception. L’objectif commun est de raccourcir les délais du processus de fabrication.

Selon le modèle de l’écologie de la connaissance, TSMC se concentre sur un domaine de connaissances, la fabrication de semi-conducteurs. Elle fournit une plate-forme permettant des interactions entre tous les partenaires du domaine, à travers laquelle elle peut partager ses connaissances et acquérir de nouvelles idées innovantes. Sa stratégie correspond au profil de connaissances du « parc à thème ».

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137 « Vague B » - Février 2014

Une typologie d’approches de gestion des connaissancesLes chercheurs ont étudié six cas :

• Deux entreprises avec un profil de « niche », fondées en 2000 et en 2010

• Une entreprise avec le profil du « zoo », fondée en 1971

• Deux entreprises de type « parc à thème », fondées dans les années 80

• Une entreprise correspondant au profil du « parc naturel », fondée en 1937

Dans le cas du profil de « niche », les entreprises ont des ressources limitées et ne peuvent se concentrer que sur un domaine de connaissances ou une technologie centrale. La plupart du temps celle-ci est développée en interne et l’entreprise prête peu d’attention à l’innovation ouverte. Néanmoins, si ces entreprises peuvent trouver un avantage à utiliser des ressources externes pour aider leur R&D, il existe un potentiel significatif d’amélioration des performances.

Les entreprises de type « Zoo » ont plus de ressources. Elles ont une technologie principale et développent de nombreuses technologies associées. Pour améliorer leurs développements dans ces domaines, elles doivent coopérer avec des organisations externes et partager leur technologie. Plus elles investissent sur l’innovation ouverte, plus elles peuvent augmenter leurs performances.

Les entreprises à profil « parc à thème » sont concentrées sur le développement d’une technologie particulière. Néanmoins, de par la compétition accrue dans l’industrie elles doivent utiliser des ressources externes pour accélérer leurs cycles de R&D et gagner un avantage compétitif. Les managers seniors prêtent de fait une attention plus forte à l’innovation ouverte.

Enfin, les entreprises de type « parc naturel » ont un portefeuille de technologies et de connaissances varié. Elles ont différentes équipes de professionnels dans différents secteurs, une connaissance interne forte et des capacités R&D élevées. La diversité de leurs domaines de connaissances fait de l’innovation ouverte une nécessité pour elles.

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138 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

« Observatoire des systèmes d’information

les individus entrepreneurs »

Cette étude s’intéresse à la gestion des compétences dans l’informatique et notamment à l’entreprenariat, facteur clef pour nourrir la capacité d’innovation du secteur.

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Observatoire des systèmes d’information

les individus entrepreneurs

L’étude « ODESI » a été menée par :

Gaetan Mourmant, Doctorat en management des systèmes d’information (Université Paris Dauphine et Georgia State University (USA). Il est professeur affilié à l’IESEG.

Michel Kalika, Enseignant chercheur à l’Université Paris-Dauphine au sein du laboratoire DRM (Dauphine Recherche en Management).

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140 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Le développement du cloud computing, de l’externalisation, des réseaux sociaux, de l’offshore, du crowd computing et du big data, combiné à l’émergence accélérée de technologies potentiellement disruptives (iPhone, iPad, lunettes Google…) modifient en profondeur le monde professionnel et rendent l’innovation de plus en plus essentielle. Pour les auteurs de l’étude, ces phénomènes accentuent un découpage des entreprises en deux grandes catégories, déjà à l’œuvre actuellement : d’un côté, les entreprises d’utilisateurs finaux, hors industrie informatique, qui intègrent et utilisent des services informatiques. De l’autre, les entreprises fournissant ces services : éditeurs de logiciels, hébergeurs d’applications ou fournisseurs de services à la demande, petites entreprises et consultants très spécialisés et, enfin, usines de développement à qui seront confiés les projets externalisés.

Les enjeux pour les entreprises « utilisatrices » : de nouveaux besoins d’expertise

Dans les entreprises utilisatrices, les auteurs estiment que les directions de systèmes d’information auront de moins en moins de tâches standardisées et non stratégiques à assurer, celles-ci étant gérées dans le cloud ou confiées à des infogéreurs. La décision d’externaliser ou d’adopter des solutions en mode cloud passe par un processus de maturation en interne, tout en étant soumise à des pressions budgétaires et à l’influence de la consumérisation, les utilisateurs poussant l’entreprise à adopter des outils cloud ou de mobilité.

Dans ce contexte, le besoin de compétences se portera davantage vers des savoirs pointus ou de l’expertise, nécessaires pour gérer des projets stratégiques ou déterminer lorsqu’une solution interne constitue un meilleur choix pour l’entreprise qu’une solution cloud. Ces compétences se rapprochent de celles des entrepreneurs : aptitude à disposer d’une vision globale de l’industrie et du système d’information, management de projets, évaluation des opportunités, autonomie, sens commercial et de la négociation, créativité, innovation, adaptabilité, notions financières (analyse du retour sur investissement)…

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• Enjeux pour l’industrie informatique : accélérer l’innovationDans la seconde catégorie, qui englobe les différents acteurs fournissant des produits et services informatiques, l’esprit d’initiative et les capacités entrepreneuriales/intrapreneuriales sont d’ores et déjà un pré-requis. Des entreprises comme Google ont bien compris le lien entre ces aptitudes et la capacité d’innovation de l’organisation, à tel point que leur gestion des ressources humaines prévoit des programmes pour développer ce type de profil et les conserver.

• Conséquences pour les professionnels de l’informatique : développer les compétences non techniquesLes auteurs s’appuient sur cette analyse pour avancer que les compétences non techniques vont devenir de plus en plus importantes pour les professionnels de l’informatique, et notamment les aptitudes entrepreneuriales. Selon les termes d’un DSI, « avec l’externalisation, le DSI devient un fournisseur de services et non plus un urbaniste comme on le concevait avant ». Il s’agit de passer d’une logique du « faire » à « quelle est la meilleure solution : le faire soi-même ou le faire faire par un autre ? ».

L’étude aborde ces enjeux aussi bien à l’échelle individuelle, organisationnelle qu’institutionnelle.• Dans les dix ans à venir, les DSI devront-ils chercher à retenir ou au contraire à encourager leurs collaborateurs tentés par le lancement de leur propre activité ?• Comment les directions des systèmes d’information peuvent-elles cultiver l’esprit entrepreneurial au sein de leurs organisations ?• Quelle(s) stratégie(s) les DSI doivent envisager pour renforcer les comportements entrepreneuriaux et/ou innovateurs dans leurs organisations et dans l’industrie ?

Les auteurs se sont penchés sur les mécanismes qui font progressivement passer des individus d’un statut de salarié à un statut d’entrepreneur, et sur les raisons qui conduisent un collaborateur à quitter son poste pour démarrer son activité. A partir de ces éléments, ils proposent aux DSI et aux organisations un modèle pour agir à chaque étape afin de renforcer l’esprit d’entrepreneur, de réduire le turnover en proposant un cadre motivant aux employés possédant un tel esprit, et, si ce turnover existe, de le transformer en opportunités à travers des stratégies de type « spin-off ».

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Les chercheurs proposent également deux programmes pour accompagner les différents profils d’entrepreneurs, en s’appuyant sur la théorie de l’accéluction développée par Ahmed Bounfour, dans laquelle l’instauration de liens sociaux ou contractuels accélère la création de valeur.

Intraprenariat et entrepreneuriat : des similitudes

L’intraprenariat désigne le fait de créer une nouvelle entreprise/branche d’activité dans une organisation existante pour exploiter une nouvelle opportunité et créer de la valeur sur le plan économique. Il se différencie de l’entreprenariat classique notamment par ses marchés cibles, plus souvent dans des domaines interentreprises (BtoB), ainsi que dans sa gestion des ressources humaines : là où l’entrepreneur a besoin de compétences générales, l’intrapreneur peut s’appuyer seulement sur quelques compétences spécifiques.

En revanche, les deux profils se rejoignent en termes de structure familiale et de style de vie : statistiquement, les entrepreneurs et les intrapreneurs étant moins nombreux chez les individus mariés, travaillant à plein temps et propriétaires de leur logement.

Tous deux sont stimulés par leur environnement, social pour les entrepreneurs et professionnel pour les intrapreneurs. Enfin, ces derniers sont plus nombreux dans les organisations opérant dans des domaines technologiques.

Ces différences et similitudes fournissent des pistes sur la manière de promouvoir l’entreprenariat : encourager la prise de risques et la créativité, s’assurer que les employés sont satisfaits de leur poste, fournir une infrastructure et des ressources informatiques adéquates.

Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont analysé la littérature existant autour de l’entreprenariat et des parcours de fondateurs d’entreprise. Ils ont collecté des données auprès d’entrepreneurs dans et hors secteur informatique, provenant de différents pays, principalement les Etats-Unis, la France, la Grèce et la Chine. Les chercheurs ont également interrogé des personnes travaillant en entreprise : PDG (pas nécessairement entrepreneurs), DSI, managers et « intrapreneurs » IT.

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Principaux conceptsL’étude a élaboré un certain nombre de concepts présentés et définis ci-dessous.

• La préparation au départ et la configuration nécessaire pour partir

Le niveau de préparation au départ (Readiness to quit - RTQ) évalue les différents éléments qui interviennent dans la décision de quitter l’entreprise, par exemple la satisfaction professionnelle, le niveau d’efficacité personnelle dans certaines compétences ou les opportunités du marché. Ces éléments peuvent être perçus différemment en fonction du temps qui passe. Le niveau de préparation au départ peut donc être mesuré à un instant donné, puis à un autre moment où il aura changé.

La configuration nécessaire pour partir (Necessary configuration to quit - NCQ) désigne les conditions dans lesquelles un salarié quitterait éventuellement son poste. Il existe plusieurs configurations incitant un salarié à quitter l’entreprise pour lancer sa propre activité.

• La réalisation entrepreneuriale

La réalisation entrepreneuriale (Entrepreneurial Realization – ER) désigne le moment où le salarié abandonne l’idée qu’il se faisait de l’entreprenariat et regarde sa situation d’un œil neuf, réalisant qu’il a en main les cartes pour se lancer. Plusieurs dimensions interviennent dans cet événement :

• Les règles du jeu dans l’entreprise et dans le secteur d’activité (compréhension, acceptation des règles, compétences nécessaires pour entrer dans le jeu…).• La réduction des risques (comparaison des risques, réseau social…).• L’environnement externe, le contexte et les opportunités.• La chronologie (pression temporelle, bon moment, fin d’un cycle, désirs à long-terme…).• Les raisons de long terme : autoréalisation, succès financier, indépendance, plaisir/passion, style de vie).

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• Le tournant entrepreneurial, ou le passage au mode de pensée entrepreneurialCe concept (Entrepreneurial Shift of Understanding – EsoU) décrit le moment où les perceptions et le modèle de pensée de l’individu changent. La perception qu’il a de son environnement et celle qu’il a de lui-même évoluent.

• La naïveté (volontaire)Dans le cadre de l’étude, la naïveté est la sous-estimation de ce qui est requis pour réussir un processus entrepreneurial. Quand elle est volontaire, la réalité de ce processus entrepreneurial est sciemment ignorée ou sous-évaluée.

• Les espaces de liberté entrepreneurialeIl s’agit d’espaces de liberté dans toute l’organisation ou simplement dans une partie de celle-ci, dans lesquels les employés sont autonomes, libres de prendre des risques, de faire des erreurs, de proposer de nouvelles idées et d’agir en vue de les concrétiser.

Théorie du turnover entrepreneurial IT

Les auteurs analysent les différentes étapes jalonnant la trajectoire d’un futur entrepreneur qui le conduisent à quitter son poste pour créer son activité.

• Une typologie des chocs pouvant conduire au turnover entrepreneurial ITLes auteurs ont identifié un très grand nombre de chocs pouvant conduire un salarié à quitter son entreprise pour fonder son activité. Ces chocs ont plusieurs dimensions : ils peuvent être internes ou externes, négatifs, positifs ou neutres, liés à son travail ou à sa vie personnelle.

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Ainsi, la faillite de l’employeur représente un choc externe, négatif et lié au travail ; une idée de produit à développer est un choc interne, positif et lié au travail ; des problèmes de santé de proches sont un événement externe, négatif et lié à l’environnement personnel ; la lecture d’un livre sur l’entreprenariat est un choc externe, neutre et lié au travail.

Certains événements déclencheurs restent néanmoins non-classifiables, comme la possibilité de trouver un financement, un conflit avec le conjoint mêlant le domaine professionnel et familial, un changement de poste du conjoint dont les conséquences peuvent être à la fois positives (meilleurs revenus) et négatives (besoin de déménager) ou encore la fin d’un cycle.

Les chercheurs ont observé que davantage de chocs étaient liés à l’environnement professionnel et à des facteurs externes.

• Les trajectoires conduisant à l’entreprenariat

Les auteurs de l’étude ont identifié trois grandes trajectoires génériques menant à l’entreprenariat, qu’ils illustrent à travers trois scénarii.

Dans le premier scénario, un choc plutôt négatif lié à l’organisation conduit l’employé à réexaminer les règles du jeu du monde de l’entreprise, et différents facteurs (clash, sentiment d’inconfort…) le conduisent ensuite à éprouver un sentiment d’inadaptation à son environnement professionnel.

Dans le second scénario, un choc lié à l’organisation, au contexte socio-économique ou à l’environnement personnel conduit l’employé à revoir sa vision des règles du jeu, des opportunités ou des risques. A la suite de cette réflexion, il se perçoit comme disposant d’assez de capital, de connaissance ou de réseau pour développer sa propre activité. Dans cette vision, l’employé prend conscience des ressources à sa disposition.

Enfin, dans le troisième scénario, un choc lié à la vie personnelle du salarié le pousse à revoir son échelle temporelle et à redéfinir ses priorités à long-terme. Ensuite, ces nouvelles priorités de vie s’avèrent compatibles avec l’entreprenariat.

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• Le tournant entrepreneurial

Les événements pouvant pousser un individu à modifier sa perception peuvent être un choc soudain tout comme une accumulation progressive de connaissances. En partant de leurs observations, les chercheurs ont émis quatre propositions :

• P1 : De nouvelles connaissances peuvent provoquer un choc, tout comme un choc peut pousser l’individu à acquérir de nouvelles connaissances.• P2 : De nouvelles connaissances peuvent provoquer un passage au mode de pensée entrepreneurial.• P3 : Un ou plusieurs changements dans le mode de pensée peuvent mener à une réalisation entrepreneuriale.• P4 : Cette proposition décrit un parcours alternatif, dans lequel un choc peut conduire directement à un turnover entrepreneurial.

Ces propositions ont conduit les chercheurs à envisager un modèle dynamique, dans lequel il faut une ou plusieurs évolutions du mode de pensée pour amener l’individu à réaliser qu’il a la capacité d’entreprendre, et plusieurs réalisations/chocs pour déclencher le turnover entrepreneurial.

Source : G. Mourmant et M. Kalika

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Le passage à un mode de pensée entrepreneurial est conditionné par plusieurs éléments : • Les conditions nécessaires pour quitter le poste et démarrer une activité. Ces conditions varient selon les individus ;• La position ontologique, c’est-à-dire la réalité dans laquelle évolue l’individu, qui peut le conduire à évaluer de manière différente les risques par exemple ;• L’accélération du processus : les changements de mode de pensée permettent d’acquérir des connaissances suffisantes pour déclencher le turnover sans passer par un choc ;• L’équilibre : chaque individu doit trouver un certain équilibre en termes d’aptitudes/d’intelligence, de personnalité et entre les capacités à rêver/agir.

• Différents types de transitions entrepreneuriales

Les auteurs de l’étude ont analysé la manière dont les entrepreneurs expliquent leur passage à l’entreprenariat et les raisons qui les ont motivés, afin de bâtir une typologie des « passages à l’acte ». Les raisons citées peuvent être diverses :

• Le désir d’entreprendre• L’action• La conscience de la mort, de l’urgence, de l’échec et la réduction des risques• La conscience de la difficulté, mais la croyance qu’elle peut être surmontée par la persévérance, le travail, l’effort et la lutte• Des visions qui déclenchent l’action• Une aptitude à identifier, saisir et transformer les opportunités• Le plaisir et la passion• L’argent est très rarement la motivation principale.• L’aspiration à un but plus élevé• La confiance dans la vie et la spiritualité.

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• La réalisation entrepreneuriale et les concepts associés

La réalisation entrepreneuriale a plusieurs propriétés : elle peut notamment être positive (goût pour le futur secteur d’activité) ou négative (frustration dans le poste actuel) et elle peut survenir une ou plusieurs fois selon les individus. Cette prise de conscience est liée à différents facteurs :

• La compréhension des règles du jeu dans l’entreprise et dans le secteur d’activité et leur acceptation. Par exemple, un employé qui est en désaccord avec les règles en vigueur dans son entreprise sera prêt à la quitter, dès lors qu’il dispose lui-même des compétences nécessaires pour entrer dans le jeu.• Le niveau de risque perçu par l’individu : dès lors que ce niveau lui semble acceptable par rapport au salariat, l’individu est enclin à envisager l’entreprenariat. La présence d’un réseau social solide, la vérification des différents aspects du projet, la naïveté (volontaire) font baisser le niveau de risque.• L’environnement externe, le contexte et les opportunités peuvent également favoriser la réalisation entrepreneuriale : secteur en plein essor, assouplissement du contexte législatif, etc.• Les aspects chronologiques sont importants : les personnes interrogées évoquent ainsi la pression temporelle, l’importance de saisir le bon moment, la fin d’un cycle, …• Enfin, beaucoup évoquent leurs objectifs à long terme : se réaliser, atteindre le succès financier, l’indépendance, faire de son plaisir/sa passion son activité, trouver une activité en adéquation avec le style de vie voulu…

Dans le cadre de l’enquête réalisée pour l’étude, les chercheurs ont interrogé 26 professionnels IT sur leurs motivations. Même si l’échantillon est trop faible pour en tirer des conclusions définitives, les résultats fournissent des pistes intéressantes et laissent entrevoir une image d’entrepreneur « rebelle ».

Comme déclencheur, la compréhension du « business game » est citée par toutes les personnes interrogées, et notamment l’acceptation ou le désaccord avec les règles du jeu. Les raisons de long terme viennent juste après, évoquées par 96 % des répondants.

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Parmi celles-ci, le besoin d’indépendance est la motivation la plus fréquemment citée (69 % des répondants), avec la lassitude/l’ennui (46 %) et le plaisir/la passion (42 %). La réduction des risques est également un facteur déclenchant fort, évoqué par 77 % des répondants, le contexte et les opportunités externes sont cités par 65 % et le timing par 54 %.

• La naïveté (volontaire)

La naïveté volontaire consiste à ignorer ou abaisser sciemment le niveau de risque personnel perçu, tout en étant conscient des risques en général. Ce mécanisme intervient au moment où un événement déclenche la volonté d’entreprendre. Il se renforce chaque fois qu’une action entrepreneuriale génère de la pression.

Par exemple, dans le cas d’une activité de développement logiciel, des défauts majeurs sont signalés. La naïveté volontaire peut alors prendre la forme d’un processus d’acceptation « ces défauts sont temporaires et seront fixés dans une version ultérieure » visant à diminuer la pression ressentie, même s’il est probable que l’entrepreneur sous-estime à ce moment-là le temps qui sera nécessaire pour corriger ces défauts, accroissant encore sa naïveté volontaire. Sous-estimer les risques d’échec ou la charge de travail nécessaire sont des comportements typiques témoignant de la naïveté volontaire.

Ce mécanisme est important car il aide l’entrepreneur à se lancer en terrain inconnu, en apprenant de ses erreurs, en se concentrant sur une tâche à la fois, en laissant de côté certaines choses dans les situations stressantes ou en établissant son ordre de route.

A partir d’un certain stade dans l’évolution de la nouvelle entreprise, une prise de risques intensive n’est plus nécessaire ou appropriée. L’entreprise a par exemple obtenu des financements ou au contraire elle n’a plus de réserves financières, elle a atteint une taille nécessitant une autre organisation, elle a perdu de vue ses objectifs… L’entrepreneur entre alors dans une phase de maturation, dans laquelle il fait le bilan de ce qui a été réalisé, des atouts de l’entreprise, des problèmes rencontrés… La naïveté involontaire diminue, mais l’expérience nourrit une naïveté consciente et voulue, dans laquelle l’entrepreneur se prépare à d’autres projets en évitant les dangers qu’il a connu et choisit d’ignorer les aspects hors de son contrôle.

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• Impact des différences culturelles sur la théorie

Les chercheurs ont comparé les réponses des entrepreneurs dans les différents pays concernés par leur enquête, en se basant notamment sur le modèle de Hofstede. Celui-ci analyse les différences culturelles selon cinq axes :

• Distance au pouvoir : le seuil de tolérance d’une société par rapport aux inégalités dans la distribution du pouvoir ; • Individualisme versus collectivisme : la façon dont la société conçoit les liens sociaux ;• Masculinité versus féminité : la société est-elle plutôt compétitive, récompensant les résultats atteints, ou coopérative et recherchant le consensus?• Seuil d’aversion à l’imprévu ;• Orientations long terme ou court terme.

Les chercheurs ont complété cette analyse par l’approche de Philippe d’Iribarne, qui suppose que chaque culture s’est construite par rapport à un danger principal. Selon les travaux de Philippe d’Iribarne, aux Etats-Unis, le danger majeur est de « perdre le contrôle de sa destinée », en France c’est la servilité par peur ou intérêt qui est crainte, en Chine c’est la peur du chaos qui apparaît en première place, suivie de près par la peur de « perdre sa réputation » en cas d’échec. La Grèce n’apparaît pas dans ces travaux, mais les auteurs de l’étude suggèrent la peur de l’imprévu en se basant sur leurs résultats.

Scores nationaux France Canada USA Grèce Chine

Distance au pouvoir 68 39 40 60 80

Individualisme/collectivisme 71 80 91 35 20

Masculinité/féminité 43 52 62 57 66

Aversion à l’imprévu 86 49 46 112 30

Long terme/court terme 39 23 29 N/A 118

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De manière générale, le modèle décrit dans cette étude se retrouve dans les différents pays examinés, avec quelques différences selon les pays.

Ainsi, en France l’entreprenariat est perçu comme risqué. La complexité et l’instabilité des règles, le niveau des taxes et le manque d’entrepreneurs expérimentés pouvant servir de modèle sont pointés par les acteurs interrogés.

En Grèce, c’est l’importance du réseau social comme protection face au risque de chômage qui ressort.

En Chine, le soutien familial ou le fait de démarrer en équipe sont mis en avant pour réduire les risques de l’entreprenariat. Les entrepreneurs chinois évoquent également la collecte d’informations suivie d’un temps où ils laissent la place à l’intuition, un mécanisme de décision plus rare dans les autres cultures.

Théorie pour l’intra/entreprenariat : cultiver des espaces de liberté IT dans et hors des entreprisesLes auteurs décrivent comment mettre en place des espaces de libertés dans les entreprises et en dehors, ainsi que les différentes conditions pour réussir.

Des espaces de liberté entrepreneuriale dans l’entreprise (Spaces of Intrapreneurial Freedom – SoIF)

Pour établir de tels espaces, il faut plusieurs prérequis : • Un protecteur, idéalement le PDG quand toute l’entreprise est concernée, ou sinon un sponsor ou une équipe de protecteurs capables de prendre en charge les aspects politiques pour que les intrapreneurs se concentrent sur leurs idées.• Peupler et protéger l’espace et son écosystème, notamment en sélectionnant les profils adéquats parmi les employés et en faisant évoluer la culture d’entreprise.• Définir les responsabilités : la liberté laissée aux employés doit avoir un certain nombre de contreparties, comme un suivi strict des projets, la recherche de la qualité, un focus sur les livrables, une attention portée à la valeur et au retour sur investissement ou des projets centrés sur le client.

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• Définir les mécanismes de reconnaissance : ceux-ci peuvent passer par la reconnaissance sociale, la promotion, mais les aspects financiers sont également importants, surtout si le produit a du succès.

• Les espaces peuvent être formels ou informels.

• Enfin, il faut définir dans quelles conditions quitter l’espace et l’entreprise : l’entreprise peut proposer des systèmes de spin-off, du support technique, financier, contractuel, un réseau, etc.

Plusieurs concepts y sont associés, qui permettent de recréer les conditions de la réalisation entrepreneuriale :

• Les aspects matériels : personnalisation du lieu de travail, comme le fait par exemple Google, liberté dans l’utilisation de plates-formes technologiques, séparation physique du reste de l’entreprise, avec par exemple des mini-laboratoires, dress code libre, etc.

• La liberté organisationnelle : décentralisation, accès rapide aux décisionnaires, allègement de la bureaucratie et simplification des règles, mise à l’écart des jeux de pouvoir…

• La porosité : lorsque les espaces ne s’étendent pas à toute l’entreprise, il faut veiller aux relations entre ceux-ci et le reste de l’organisation, pour ne pas créer d’effet de bord négatif. Il en va de même pour les relations avec des partenaires externes (écoles, acteurs publics…).

• La liberté d’innover et de créer, qui dans le cas des directions des systèmes d’information peut être liée à l’usage de nouvelles technologies comme le cloud, le big data, etc.

• La liberté dans le style de vie : pouvoir s’amuser et avoir du plaisir à travailler sont deux facteurs très importants pour motiver et conserver les intrapreneurs.

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• La liberté de faire des erreurs et de prendre des risques : accepter les erreurs est un élément important pour encourager une prise de risque raisonnable.

• La liberté de chercher des opportunités et de poursuivre des projets : si cette liberté est absente, l’intrapreneur ira chercher les opportunités hors de l’organisation.

• La liberté d’avoir une vision globale de l’entreprise/du secteur d’activité : cet aspect est essentiel, en particulier dans l’industrie informatique où les modèles du cloud et de l’externalisation favorisent des approches basées sur l’intégration et l’agrégation. La possibilité de collaborer avec d’autres départements de l’entreprise est également un facteur de motivation important, par exemple en menant un projet sur le big data avec le marketing.

• Les espaces de liberté entrepreneuriale hors de l’entreprise (Spaces of Entrapreneurial Freedom – SoEF)

La plupart des concepts décrits pour les SoIF sont valables pour les SoEF. Néanmoins, les chercheurs souhaitent souligner quelques points : les SoEF sont des espaces, et à ce titre ils peuvent être un Etat, une région, un réseau virtuel, une ville, une organisation ou même une partie de celle-ci, les deux derniers cas rejoignant les SoIF.

De tels espaces ont également besoin de protecteurs : gouvernement et acteurs publics, capital-risqueurs, universités, associations d’entrepreneurs, voire des groupements rassemblant plusieurs de ces acteurs. Les protecteurs ne doivent pas être confondus avec les leaders de l’espace, qui sont généralement les entrepreneurs eux-mêmes.

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Liens avec l’accéluction, l’entreprise 2020 et les réseaux et espaces méso-collaboratifsLes auteurs examinent comment la création d’espaces de liberté entrepreneuriale est liée aux concepts d’accéluction, à l’entreprise 2020 et à l’émergence d’espaces collaboratifs intermédiaires.

L’accéluction est définie par A. Bounfour comme « un nouveau système de production accélérée de liens, qui se traduit d’un côté par le développement d’espaces de création de valeur et de l’autre par le fait que la valeur est désormais créée à travers une accélération majeure de liens transactionnels (appliquant des principes de marché) ou organiques (relations basées sur la reconnaissance) ».

Les ressources numériques sont essentielles pour articuler les différents types de liens à travers un vaste nombre d’espaces de création de valeur qui incorporent, non seulement les clients, mais l’ensemble du marché, des communautés organiques de différents types, des formes d’organisations hybrides et la société dans son ensemble.

Les auteurs de l’étude considèrent que les SoIF sont inclus dans l’entreprise 2020, dans le système présenté ci-dessus. L’accéluction accélère l’innovation dans ces espaces, notamment en favorisant la porosité, la liberté de prendre des risques/faire des erreurs, la recherche d’opportunités et la vision globale de l’industrie. Dans la topographie ci-dessus, les SoEF sont quant à eux souvent rattachés au marché, mais ils peuvent également prendre la forme de communautés hybrides, faisant également intervenir la société. Les auteurs estiment que l’entreprise 2020 doit être un acteur de ces SoEF.

Les échanges entre les différents acteurs en jeu passent par des réseaux, événements et espaces collaboratifs intermédiaires (meso), basés sur des liens transactionnels, organiques ou sur les deux.

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Les tendances émergentes à l’horizon 2020 et leurs implications pour les entreprisesQuelles sont les implications de leurs théories pour les entreprises et les DSI ?

• Développement d’espaces de liberté entrepreneuriale IT dans les entreprises

Au cours de la prochaine décennie, les chercheurs estiment que les entreprises devront développer des espaces de liberté entrepreneuriale IT. Cette évolution entraîne un certain nombre d’implications, tant à l’échelle des directions des systèmes d’information que des entreprises elles-mêmes :

• renforcement du rôle des DSI comme protecteurs de ces espaces ;

• politique RH favorisant les compétences requises pour l’intrapreneuriat ;

• processus d’évaluation pour responsabiliser les participants aux SoIF ;

• politiques de reconnaissance financière et non-financière ;

• soutien de l’entreprise aux acteurs quittant l’espace ;

• prise en compte de tous les concepts associés, notamment la liberté à tous les niveaux.

• Développement d’espaces pour favoriser l’entreprenariat IT chez les populations jeunes

En parallèle, les auteurs de l’étude notent l’émergence d’espaces de liberté entrepreneuriale ciblant la population des jeunes, comme la Team Academy lancée par un co-fondateur de Paypal. Dans cette tendance, ils suggèrent la mise en place d’un programme pour accompagner les jeunes entrepreneurs IT, le YITE (Young IT Entrepreneurs).

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• Encourager l’entreprenariat IT chez les actifsLa troisième tendance observée est l’émergence de l’entreprenariat IT, portée par certaines évolutions favorables (statut d’auto-entrepreneur en France, hyperspécialisation, innovations technologiques nécessitant des compétences pointues, etc.) et peut-être également favorisée par la crise, qui pousse certains managers et employés à lancer leur propre activité. Les chercheurs estiment que les DSI ont intérêt à soutenir cet entreprenariat, notamment en favorisant le développement d’infrastructures régionales performantes et en contribuant à créer des pôles d’activité où le capital intellectuel circule.

Les chercheurs suggèrent un programme MAITE (Managers to IT Entrepreneurs) pour accompagner et soutenir les managers souhaitant explorer leurs idées d’activités. Ils conseillent également aux DSI d’encourager l’entreprenariat IT auprès de leurs collaborateurs, malgré les freins que peuvent représenter le recrutement d’un remplaçant expérimenté ou le risque de voir la nouvelle entreprise concurrencer l’organisation.

Les scénarios suivants présentent en effet des bénéfices mutuels quand :

• les compétences requises dans l’entreprise changent, mais que celles d’un collaborateur peuvent être transférables ou applicables à un autre contexte ;

• le métier évolue et que certains projets IT risquent d’être retardés, modifiés ou abandonnés ;

• un individu possède un ensemble de compétences adaptées pour un entrepreneur mais peu solubles dans la culture de l’entreprise ;

• un collaborateur devient trop qualifié pour les tâches routinières dont a besoin l’entreprise ;

• les bénéfices des produits et services créés dans la nouvelle entreprise apparaissent supérieurs au coût d’un remplacement ;

• une relation de type « prestation » semble préférable pour les deux parties à un contrat de travail à plein temps ;

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157 « Vague B » - Février 2014

Dans cette optique, les DSI peuvent soutenir leurs collaborateurs par différentes actions :

• En facilitant l’appropriation des règles du jeu, par exemple par la rotation de postes qui permet d’étendre les compétences d’un collaborateur, l’explication des règles du marché, l’explication des différents aspects IT du métier et l’introduction de réseaux sociaux favorisant les échanges dans et hors l’organisation.

• En aidant à évaluer les risques, par l’assignation à des projets comportant des processus d’évaluation des risques explicites ; la participation aux discussions pour évaluer les risques liés à un fournisseur ou au marché ; en soulignant les risques et les opportunités de différents postes et en partageant les processus d’identification des risques.

• En améliorant leur compréhension du contexte extérieur, par l’implication dans des communautés, les échanges avec les partenaires, etc.

• En encourageant la vision à long terme, par un environnement de travail favorisant l’ouverture et l’expérimentation.

• En aidant l’employé à identifier les opportunités.

• Des événements pour soutenir ou initier la mise en place d’espaces et de réseaux de liberté entrepreneuriale

Des événements comme une conférence, un concours ou un week-end consacré aux jeunes pousses nourrissent les espaces de liberté entrepreneuriale, soit en donnant une tournure concrète et orientée vers l’action à des réseaux existants, soit en donnant l’impulsion nécessaire pour créer et mettre en place un nouveau réseau.

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158 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

« Un programme pour guider et évaluer l’usage des médias sociaux dans l’entreprise »

Encourager l’innovation collaborative, la résolution collective de problèmes et le partage des connaissances

Cette étude a pour objectif de dégager des bonnes pratiques et de proposer des recommandations pour une utilisation professionnelle de médias sociaux comme les wikis.

Les chercheurs Ann Majchrzak, Francis Pereira, Elizabeth Fife, Jeremiah Johnson et Qingfei Min souhaitent aider les entreprises à optimiser l’usage de ces outils afin d’encourager l’innovation collaborative et le partage de connaissances.

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159 « Vague B » - Février 2014

Un programme pour guider et évaluer l’usage des médias sociaux

dans l’entrepriseEncourager l’innovation collaborative, la résolution

collective de problèmes et le partage des connaissancesL’étude « SMI » a été menée par :

Ann Majchrzak, Professeur en systèmes d’information à l’Université de Californie du Sud (Marshall School of Business). Titulaire d’un doctorat en psychologie sociale (UCLA), ses thèmes de recherche portent sur les relations entre les usages des systèmes d’information et l’agilité et la créativité des travailleurs dans le cadre des processus de collaboration.Elizabeth Fife, Directrice associée, en charge des études avec l’industrie à l’Institut de management des technologies de communication, de l’université de Californie du Sud. Elle enseigne à l’École d’ingénieurs de Viterbi. Francis Pereira, Directeur de la recherche à l’Institut de management des technologies de communication, de l’université de Californie du Sud.Dr. Qingfei Min, Professeur agrégé et vice-doyen de la Faculté de gestion et d’économie de l’Université de Technologie de Dalian, en Chine

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160 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Dans un contexte professionnel, les outils basés sur le Web, tels les blogs, les wikis ou les réseaux sociaux, présentent un potentiel pour améliorer la communication, l’efficience et la réutilisation de la connaissance. Néanmoins, leur impact effectif sur ces domaines et les mécanismes à mettre en œuvre pour qu’ils accroissent la productivité, l’innovation et la collaboration ont encore peu fait l’objet d’études.

Ce projet a précisément pour objectif de combler ce vide, en développant des recommandations applicables et un programme d’action pour permettre aux entreprises d’exploiter le potentiel d’un outil comme les wikis en matière d’innovation collaborative.

Objectifs et périmètre de l’étudeLes entreprises utilisent avec succès les médias sociaux pour atteindre de multiples objectifs : analyse de la concurrence, meilleure identification et diffusion de l’information, résolution de problèmes… Ces usages montrent que les processus quotidiens et le partage de connaissances peuvent être enrichis avec des outils qui améliorent également la communication et l’efficience.

Afin d’aider les entreprises à optimiser l’usage de ces médias sociaux, les auteurs de l’étude ont établi les objectifs suivants :

• Fournir une méthode pour encadrer l’usage d’outils en ligne afin de favoriser les activités de résolution de problème et celles liées à l’innovation.

• Soutenir le partage et le développement collaboratif d’idées dans le cadre de communautés de pratiques, c’est-à-dire des réseaux de praticiens dans un domaine donné, qui s’engagent dans des activités communes et des échanges, s’entraident et partagent de l’information.

• Identifier dans ces processus collaboratifs où et comment encourager les interactions et favoriser le développement des idées. En effet nombre d’entreprises ont mis en place des solutions de type wikis mais n’ont pas une vision claire du positionnement stratégique de ces outils, des résultats qu’elles peuvent en attendre et des processus à mettre en place pour y parvenir.

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161 « Vague B » - Février 2014

• Etat de l’art : une faible réutilisation des contenusLa capacité à trouver et à utiliser l’information partagée sur un Intranet est une activité importante pour les chercheurs en systèmes d’information. Si l’accessibilité à cette information peut améliorer les processus organisationnels, la faible réutilisation de l’information présente dans les systèmes de partage des connaissances demeure un problème.

Les chercheurs dans ce domaine ont émis la supposition que cette faible réutilisation était due au fait que le travail d’intégration de l’information (recombinaison de l’information par fusion, catégorisation, classification et synthèse) était une activité peu effectuée par les contributeurs. Plus récemment, le développement d’une nouvelle forme d’intégration sur des environnements de type wikis, le « shaping » (mise en forme) a étendu les possibilités pour les contributeurs d’interagir avec les idées des uns et des autres.

• Les possibilités collaboratives : pourquoi les wikis sont différentsContrairement à d’autres technologies de gestion des connaissances, les wikis permettent une publication collaborative sur un même site Web. L’ordonnancement de l’information et de la connaissance suit la logique du document qui évolue plutôt que l’ordre chronologique. Les contributeurs peuvent modifier leur contenu et celui publié par d’autres, les changements sont possibles en permanence et l’historique des modifications est visible de tous. Les auteurs de chaque changement sont identifiables, ainsi chacun sait qui a révisé le contenu et dans quel contexte. Ces caractéristiques fournissent des possibilités de collaboration qui sont absentes d’autres types de solutions et qui présentent de la valeur pour de nouveaux types de processus d’innovation.

• Le comportement de « mise en forme » de l’information dans les wikis : un rôle fondamentalContribuer à un wiki ne signifie pas seulement contribuer au contenu de son domaine d’expertise, mais aussi intégrer des connaissances déjà publiées afin de mieux les organiser. Cette activité de « mise en forme » peut désigner des modifications sur son propre travail ou celui d’autres contributeurs, une réorganisation des contenus, la suppression d’éléments redondants ou inconsistants, et toute action visant à rendre le contenu plus signifiant, utilisable et maintenable.

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162 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

C’est une activité de synthèse et d’organisation qui ne requiert pas de procédures organisationnelles particulières ou de directives explicites du management, et qui n’est pas réservée à quelques individus dotés de droits spécifiques. Il est possible à chacun de s’impliquer dans ce travail d’intégration grâce à ses connaissances, sa volonté et les possibilités qu’offre la technologie. Chaque contributeur peut également voir quel usage est fait de ses contributions, à travers les références, liens et échanges qui se mettent en place.

Ce mécanisme de « mise en forme » interne à l’outil joue un rôle important dans la réutilisation de la connaissance. Les auteurs ont souhaité étudier ce rôle en travaillant sur deux hypothèses :

• Le rôle de l’individu « metteur en forme » dans l’approfondissement et la revue de ses propres idées et de celles des autres a un impact positif sur le processus de co-création d’idées et sur la qualité des solutions résultant de la collaboration ;

• Souligner le rôle du « metteur en forme » permet d’accroître cette activité dans le processus d’innovation collaborative, conduisant à des solutions qui intègrent plusieurs idées et points de vue.

Mise en pratique : comment utiliser un wiki pour encourager l’innovation ?Comment l’innovation et la créativité peuvent être encouragées et identifiées dans l’entreprise à travers l’usage de médias sociaux comme les wikis ? Comment les réseaux de connaissance existants peuvent être modifiés ou étendus ? Comment améliorer leur rendement à travers une collaboration plus poussée ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont entrepris trois types d’activités :

• Une évaluation des besoins en questionnant plusieurs entreprises afin de déterminer quelles technologies existent, lesquelles sont utilisées, quels outils manquent pour encourager la réutilisation des connaissances et comment sont perçues l’ensemble des solutions (celles utilisées et les autres) par les employés.

• Des expériences sur le terrain : dans le cadre d’événements internes de type « challenges de l’innovation » mis en place par des entreprises, les auteurs ont cherché à déterminer quelles conditions encouragent le plus la réutilisation des connaissances dans des communautés de pratique sur des Intranets.

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163 « Vague B » - Février 2014

Deux initiatives parallèles ont été mises en place dans des organisations américaines et chinoises pour explorer l’usage des wikis dans ce type de contexte, à travers un ensemble de recommandations et de questionnaires pour évaluer la participation et l’intérêt des participants.• Des conseils pour la mise en place d’un wiki, reprenant les conclusions observées lors des expériences pilotes.

• Une modélisation des usages des outils sociaux, favorisant l’innovationAfin que les outils sociaux de type wikis ne soient plus utilisés seulement comme un support pour le transfert d’information, mais aussi comme un moyen de générer des idées nouvelles, les chercheurs ont réfléchi aux différents usages possibles afin de déterminer les facteurs importants pour l’innovation.

Ces travaux ont permis d’établir un modèle pour comprendre le processus d’engagement dans une démarche d’innovation collaborative en ligne :

• Discussion et définition des enjeux• Publication de brèves idées plutôt que de solutions complètes, pour stimuler la pensée des autres• Questionnement des hypothèses pour faire émerger d’autres idées• Intégration des différentes idées pour bâtir des solutions complètes• Encouragement des autres à collaborer

• Retravailler ses idées et celles des autres• Réorganiser l’information• Synthétiser le contenu et les idées

Solutions innovantes

Intégration des idées (mise en forme)

Eléments d’engagement favorisant un comportement d’intégration

Figure 1 : processus d’engagement dans une démarche d’innovation collaborative en ligne. Source: Majchrzak, Pereira, Fife (2012)

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• Les « challenges » de l’innovation : évaluation des besoins et expériences en ChineEn Chine, très peu d’entreprises utilisent des plates-formes wiki pour la communication interne et la gestion des connaissances. De manière générale, l’usage des wikis est encouragé mais ni contrôlé ni géré ou étudié. Les entreprises n’ont pas de vision claire de la valeur que peuvent apporter ces outils.

Les chercheurs ont noté quelques différences culturelles, avec une réticence plus marquée en Chine face au fait de rendre ses publications visibles. Le besoin d’un modérateur fort, encourageant les individus à participer, est de ce fait plus présent, tandis que l’activité de mise en forme semble plus en phase avec la culture chinoise.

Deux expériences ont été menées en Chine.

Le projet pilote a impliqué 45 étudiants durant un challenge de quatre semaines, visant à concevoir un modèle d’affaire basé sur les technologies mobiles. Au final, huit grandes idées ont été affinées 116 fois, pour un total de 1 065 publications. Le rythme des publications a augmenté quand le groupe s’est concentré sur l’idée ayant émergé. Près de 75% des commentaires ont été émis par 20% des participants, alors que le wiki offrait à tous les mêmes possibilités. Durant la troisième semaine, un « metteur en forme » a appelé les participants à se concentrer sur l’idée jugée la meilleure. Cela a suscité un débat, mais le groupe s’est rapidement mis d’accord, notamment en s’appuyant sur des outils de messagerie instantanée. Une fois le consensus atteint, beaucoup de participants sont devenus inactifs.

Le second projet a été mené dans une entreprise d’environ 200 employés, la Dalian DongCai Technology Development Company, fournisseur de solutions de formation en ligne. Celle-ci utilisait déjà un wiki en support à certaines activités. Le challenge mis en place avec les chercheurs portait sur le développement d’un produit de mobilité. 51 employés se sont enregistrés pour participer au challenge, essentiellement issus des services R&D, Maintenance et Test. Les 15% de participants les plus actifs recevaient un chèque-cadeau. Plus tard, les participants étaient répartis en quatre équipes et la plus performante recevait un cadeau supplémentaire. Au total, sept employés ont proposé dix entrées, dont sept étaient jugées de qualité. Il y a eu 286 commentaires, la solution la plus performante en ayant reçu 90 et ayant été refondue à sept reprises (contre 25 commentaires et trois itérations pour la moins performante). Seules deux idées de qualité ont émergé la première semaine. Des encouragements du vice-président ont permis ensuite d’en obtenir d’autres. La meilleure équipe avait en son sein un membre très actif, jouant également le rôle de « metteur en forme ».

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165 « Vague B » - Février 2014

• Les challenges de l’innovation : évaluation des besoins et expérience aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, les entreprises ont fait preuve d’un intérêt marqué pour l’étude. Néanmoins, la plupart n’avaient pas le niveau de préparation nécessaire pour mettre en place des « challenges de l’innovation » en ligne, manquant notamment de ressources dédiées au suivi et à l’incitation aux échanges en ligne.

Le projet a eu lieu dans une entreprise, Telx, qui démarrait à partir d’une feuille quasi-blanche : un wiki était disponible sur l’Intranet mais n’avait jamais été utilisé. Une question a été développée avec le management, autour d’un sujet dont la plupart des employés étaient familiers et qui avait des implications importantes pour l’entreprise. Celle-ci a été formulée de manière suffisamment générale pour permettre plusieurs niveaux d’expertise et ne pas limiter la participation à un petit groupe d’individus plus informés.

Des employés volontaires ont été recrutés pour participer à la première phase de l’expérience. Ils ont reçu un message expliquant les enjeux et ce qui était attendu d’eux, puis ont été dirigés vers un site expliquant les modalités de participation au wiki.

Le texte d’introduction du site présentait la question (en l’occurrence : « quelles solutions innovantes basées sur le cloud computing l’entreprise pourrait-elle fournir à ses clients ? ») en listant plusieurs caractéristiques de ce que pourrait être une solution idéale. Il indiquait ensuite les recommandations suivantes, basées sur le modèle des chercheurs :

• Discutez et définissez le problème en premier lieu, en partageant vos connaissances sur les solutions, les attentes des clients, les différentiateurs, le marché et le cloud computing.• Postez de brèves idées pour stimuler la pensée des autres.• Questionnez les hypothèses pour faire émerger de nouvelles idées.• Intégrez les différentes idées pour définir des solutions complètes.• Encouragez les autres à collaborer.• Votez pour les publications qui respectent ces préconisations - ceux qui auront le plus de votes seront récompensés par des chèques cadeaux.

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166 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Malgré cette mise en place, le challenge n’a pas soulevé l’intérêt des participants. Le fait de ne pas avoir été initié par le top management a pesé sur la participation.

Celle-ci n’était pas considérée par les collaborateurs comme une activité faisant partie des exigences de leurs postes, et, de ce fait, ils n’avaient pas de temps à lui consacrer, malgré les bonus incitatifs mis en place. Après la lecture du premier mail les invitant à participer, 40% des employés ont ainsi déclaré avoir décidé de regarder plus tard, tandis que 20% ont décidé d’emblée qu’ils n’allaient pas participer. Le manque de temps apparaît comme la raison principale, avant même un manque de compréhension de ce qui était attendu des participants.

• Enseignements des expériences chinoises et américaines : impliquer le management, développer le sentiment d’appartenanceDans un premier temps, ces expériences ont permis d’identifier plusieurs activités importantes pour conserver un haut niveau de communication, notamment suivre le flux des publications, rappeler périodiquement aux participants de publier des contenus, les renvoyer aux recommandations ou encore encourager la modération afin de maintenir l’intérêt.

Ultérieurement, les auteurs ont examiné les résultats à l’aune de travaux menés par d’autres chercheurs, suggérant que le capital émotionnel est un facteur important pour le succès de telles initiatives, et notamment les sentiments d’authenticité, d’attachement et d’amusement.

L’authenticité de telles démarches passe notamment par l’implication du management. Les expériences menées dans les entreprises ont montré que si celle-ci était absente ou peu visible, les employés considéraient la participation comme une activité en dehors de leurs missions.

L’attachement naît quant à lui du sentiment d’appartenance à une communauté. Celui-ci est plus difficilement présent sur un wiki, mais le fait que les challenges aient été des initiatives limitées dans le temps a sans doute entravé le développement d’une vraie communauté en ligne.

L’amusement associé à l’expérience semble également un facteur important pour générer et entretenir l’enthousiasme des participants, de même que la facilité d’utilisation de la plate-forme.

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167 « Vague B » - Février 2014

• Etude du cas British Telecom : un ROI significatif

En parallèle de leurs expériences, les chercheurs se sont intéressés au cas de British Telecom, seule entreprise interrogée s’étant explicitement engagée dans une démarche utilisant les outils sociaux pour capturer des idées innovantes en interne et en externe.

En 2005, l’opérateur britannique a souhaité mettre en place une initiative interne pour encourager l’innovation. Il s’agissait notamment d’incorporer les idées créatives des employés et des clients dans un même processus visant à développer les idées les plus prometteuses.

Dans ce programme, des récompenses financières sont proposées aux idées allant jusqu’à la mise en œuvre. Différents rôles sont identifiés et assignés : « évaluateurs », « champions de l’innovation », « metteurs en œuvre ». L’engagement de la direction dans ce programme, en commençant par le PDG, était visible à travers tout le groupe. Enfin, la plate-forme collaborative était intégrée au reste du système d’information du groupe afin de faciliter son utilisation.

Le site collaboratif est ouvert à tous. La plus grande partie des publications provient des employés au contact avec les clients, et beaucoup de suggestions concernent la satisfaction des clients et des idées de nouveaux services.

Une petite équipe lit l’ensemble des publications et décide soit d’y répondre soit de demander à des experts. Environ vingt personnes sont très actives dans l’évaluation et la collecte des idées.

Entre avril et septembre 2012, le site contenait 16 000 idées, 44 000 commentaires, 2 200 votes et rassemblait 5 500 utilisateurs.

Les collaborateurs qui soumettent une idée doivent répondre à quelques questions (pourquoi ont-ils soumis l’idée, quel serait l’impact pour BT et le coût requis pour la mettre en œuvre, etc.). Quand une idée progresse, elle est assignée à un individu, puis évaluée de manière détaillée. Actuellement, seules les idées sont récompensées, et non l’activité de mise en forme.

Ce programme s’appuyant sur des plates-formes collaboratives a montré des résultats : 88 idées ont été retenues, générant près de 54 millions de livres de chiffre d’affaires.

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168 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Résultats de l’étudeL’évaluation des besoins et les expériences pilotes ont mis en évidence plusieurs éléments.

• L’innovation collaborative dans les entreprises : partage plutôt que co-création

• L’usage professionnel des médias sociaux est aujourd’hui principalement tourné vers le partage de connaissances

Les entreprises sont moins familières des usages encourageant la co-création et l’innovation. Pour les chercheurs, cela s’explique davantage par des facteurs organisationnels que par des barrières techniques ou des problèmes de ressources. Souvent, ils ont constaté une méconnaissance de la logistique et des processus à mettre en œuvre pour que l’utilisation d’outils sociaux génère des résultats exploitables, ainsi qu’un niveau de confort encore insuffisant avec les interactions en ligne.

• Les entreprises qui ont initié des challenges de l’innovation sont peu satisfaites des résultats

Les échanges avec des entreprises engagées dans ces expériences ont montré que les résultats sont de nature incrémentale, avec peu de solutions vraiment innovantes proposées.

• Les challenges de l’innovation dans les entreprises récompensent des individus, non des communautés

Les challenges de l’innovation dans les entreprises s’inspirent en général d’événements publics comme les concours de codage. Ces derniers correspondent davantage à la définition des tournois, et la manière dont ils sont conçus favorise des comportements individualistes même si telle n’était pas l’intention des organisateurs. La manière dont la participation est encouragée n’incite pas à la collaboration : par exemple, la récompense pour la meilleure idée est attribuée à celui qui en est à l’origine.

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169 « Vague B » - Février 2014

• Les entreprises ont intérêt à envisager un autre usage des médias sociaux dans une optique d’innovation, basé sur une collaboration massive et ouverte

La collaboration massive repose sur les principes suivants :

• Elle se concentre sur un domaine où la collaboration peut croître de manière organique en attirant les participants ;

• Les idées sont bénéfiques quand tout le monde en génère et les intègre plutôt que quand les individus se laissent conduire ;

• Elargir le nombre de participants et inclure différents écosystèmes peut déboucher sur des relations inattendues ;

• Les participants ont le droit de s’impliquer et de se retirer à tout instant à travers une variété de rôles changeants ;

• Les résultats ne sont volontairement pas prédéfinis afin que l’innovation puisse surgir ;

• Les relations inattendues entre les participants et les données doivent être poursuivies.

La collaboration massive n’a pas forcément pour but de produire de l’innovation. Pour favoriser celle-ci, il faut également inciter les participants à re-conceptualiser, réécrire et questionner de manière créative et ouverte les autres participants.

• Les parties prenantes doivent s’engager pour soutenir des « champions » et fournir les ressources permettant de construire et de maintenir des wikis efficaces

Si l’utilisation d’un wiki à des fins d’innovation n’apparaît pas comme une priorité explicite pour les collaborateurs, des tensions apparaissent. Il faut un engagement global de l’entreprise et de son management.

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170 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

• Les systèmes incitatifs mis en place dans les organisations ont tendance à défavoriser l’innovation collaborative

Souvent ces systèmes basés sur des incitations financières ou sur un gain de réputation pour les gagnants favorisent la compétition et créent des rivalités. Dans le cas d’une collaboration avec un grand nombre d’individus, il existe alors deux risques : avoir à faire à des personnes opportunistes qui volent les idées des autres et perdre du temps qui aurait pu être consacré individuellement à produire un résultat créatif.

Les écarts de connaissances entre des individus d’équipes cross-fonctionnelles peuvent également rendre l’intégration des connaissances plus difficile.

• Les barrières à l’encontre de l’innovation collaborative en ligne peuvent être contournées

Il n’est pas nécessaire d’engager des efforts importants pour pallier les conséquences d’écarts de connaissances : des pratiques existent pour contourner ces barrières au lieu de les abattre : il s’agit d’éviter les conflits entre personnes, de favoriser la co-création rapide de passerelles, d’encourager un engagement créatif continu et une flexibilité permettant de modifier régulièrement les idées de solutions, et d’inciter chacun à être responsable de la traduction de ses connaissances personnelles en connaissances collectives.

• Le rôle du « metteur en forme » est souvent sous-évalué et sous-récompensé, … alors qu’il s’agit d’un élément essentiel dans le processus d’innovation

Pour les auteurs, ce sont souvent les résultats qui sont récompensés alors que c’est le processus collaboratif qui est déterminant pour s’assurer que le résultat final a effectivement incorporé les meilleurs éléments des différentes idées, ainsi que la qualité des échanges.

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171 « Vague B » - Février 2014

• Une tendance émergente : les « Coupes de l’innovation » ouverte

• Les entreprises prêtent attention aux « challenges de l’innovation » dans le cadre de démarches d’innovation ouverte

Récemment, les organisations ont davantage recouru à des « challenges de l’innovation ouverte » pour soutenir la production d’innovation et capturer des idées externes. Des entreprises comme Procter & Gamble, des villes lancent des communautés en ligne afin que les participants utilisent leurs données publiquement disponibles pour développer des applications ou trouver des solutions à des problèmes rencontrés.

• Quatre facteurs influent sur l’aptitude d’une entreprise à mettre en œuvre des démarches d’innovation collaborative en ligne

• La direction : identifier un champion est une nécessité pour soutenir la mise en place d’un processus nouveau et souvent peu familier. La motivation des individus est un facteur important pour passer de processus d’innovation souvent fermés à des démarches ouvertes et moins guidées.

• Le manque de temps : souvent, même si l’entreprise perçoit la valeur de ces démarches d’innovation d’autres priorités viennent interférer et les empêchent d’essayer quelque chose de nouveau.

• L’alignement stratégique : les processus et structures de l’entreprise ont souvent du mal à s’aligner sur le nouveau processus proposé.

• La résistance au changement : même en ayant identifié un besoin de faire autrement, il peut s’avérer difficile dans les faits de sortir des limites de l’entreprise, par exemple pour intégrer des innovations externes.

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172 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

« Tester l’hypothèse de la fin de la vie privée dans la communication assistée par ordinateur »

Une approche par la modélisation multi-agent (Testing the “End of Privacy” Hypothesis in Computer-mediated Communication: An Agent-based Modelling Approach)

Cette étude a pour objectif d’examiner le rôle des facteurs relationnels et structurels dans l’évolution des réseaux sociaux en ligne, et l’impact qu’ils peuvent avoir sur la sensibilité des utilisateurs en matière de protection de la vie privée.

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173 « Vague B » - Février 2014

Tester l’hypothèse

de la fin de la vie privée

dans la communication informatiqueUne approche de modélisation basée sur des agents

L’étude « THEOP » a été menée par :

Paola Tubaro, sociologue, maître de conférences à l’Université de Greenwhich à Londres. Ses travaux de recherche portent sur les réseaux sociaux et leur impact sur les marchés, les organisations, les choix des consommateurs et la santé. Elle travaille également sur les aspects méthodologiques en sciences sociales.

Antonio Casilli, Maître de conférences en digital humanities à Telecom ParisTech, chercheur au Centre Edgar-Morin (EHESS). Ses recherches portent essentiellement sur les cultures technologiques, le corps et la dimension politique des usages du Web.

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174 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Même si la diversité culturelle est largement présente sur les réseaux sociaux, la tendance à nouer des relations au sein de groupes d’individus similaires (homophilie) est bien documentée dans la littérature scientifique. Le risque est alors de créer des communautés où les pratiques culturelles et les préférences sont renforcées par la transmission au sein de groupes fermés et homogènes. Dans ce contexte, les acteurs des médias sociaux comme Facebook tentent de prouver que leurs plates-formes encouragent la diversité culturelle en exposant les utilisateurs à un large panel de points de vue.

Ces dernières années, la popularité de ces réseaux a donné lieu à un débat évoquant la fin de la vie privée, ou du moins son érosion progressive, le partage de contenus se généralisant à travers des réseaux toujours plus vastes et homogènes. Ces nouvelles technologies permettent aux entreprises comme aux Etats une intrusion sans précédent dans la vie privée, mais les individus semblent devenir plus tolérants aux intrusions dans leur vie personnelle, et voudraient même participer à cet espionnage dont ils sont la cible.

Cette hypothèse de la fin de la vie privée pourrait avoir un impact considérable sur l’environnement culturel, économique et politique. Elle pourrait inciter les individus à adopter des styles de vie plus transparents, ouvrant la voie à un partage ubiquitaire et participatif, tout comme elle pourrait dériver vers une société « Orwellienne » où la surveillance est constante. En matière de protection intellectuelle et légale, les attentes envers les entreprises et les institutions pourraient donc également être amenées à évoluer.

Les chercheurs ont souhaité, à travers ce projet, évaluer cette hypothèse et ses implications possibles. Afin de construire un cadre théorique permettant d’appréhender ces enjeux, ils ont choisi de s’appuyer sur une simulation numérique basée sur des agents, ceux-ci étant conçus pour reproduire les interactions en ligne.

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175 « Vague B » - Février 2014

Contexte de l’étude• Facebook comme objet d’étudeFacebook, lancé en 2004 pour les étudiants des universités américaines, touche aujourd’hui le grand public et est reconnu comme l’un des principaux réseaux sociaux. L’utilisation par l’entreprise des données personnelles de ses utilisateurs afin de générer des revenus publicitaires est notoire. Si celle-ci permet aux publicitaires de cibler leurs campagnes vers les individus les plus susceptibles de devenir des clients, cette utilisation est également à l’origine des nombreuses controverses et accusations visant Facebook.

Les fréquentes évolutions de la plate-forme, retracées par les chercheurs, semblent indiquer une volonté de Facebook d’ouvrir peu à peu l’accès aux contenus privés de ses utilisateurs. Dans le même temps, celles-ci conduisent les utilisateurs à sans cesse mettre à jour leurs paramètres de confidentialité, tout en bousculant à chaque fois leurs idées sur ce qu’ils considéraient comme public ou privé sur une plate-forme sociale en ligne.

• Analyse de la littératureLes publications scientifiques s’accordent pour distinguer plusieurs générations d’utilisateurs d’Internet, les plus âgés se montrant plus conservateurs en termes de protection de la vie privée. Néanmoins, les utilisateurs plus jeunes ne sont pas si oublieux que cela dans ce domaine, mais montrent des comportements plus variés et complexes. Le statut socio-économique et les compétences liées à l’usage d’Internet influencent notamment le paramétrage des options liées à la confidentialité, le genre étant également une variable ayant un impact.

A un niveau plus fin, les stratégies d’auto-présentation doivent être prises en compte. Les utilisateurs laissent des traces et des indices de leur présence et activité en ligne, dans un processus social complexe impliquant la reconnaissance de leur rôle et statut ainsi que l’expression de leurs valeurs et préférences. L’identité numérique se construit à partir de ce qui est déclaré et effectué en ligne.

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176 Les « Essentiels » du Programme International de Recherche « ISD » de la Fondation CIGREF

Le fait de personnaliser son profil, d’adapter son image au personnage que l’on désire être révèlent une forme d’attention à soi-même, un travail de subjectivation et d’auto-construction. Ce travail s’inscrit dans le contexte collectif des autres utilisateurs avec lesquels l’individu interagit.

Les analyses microsociologiques ont dominé le cadre théorique autour des dynamiques sociales en ligne dans la décennie précédente. Néanmoins, l’approche théorique de réseaux sociaux comme Facebook demande de mettre davantage l’accent sur la négociation collective de la présence. Il s’agit d’adopter une analyse plus macroscopique, afin de comprendre quelles structures sociales permettent certaines configurations liées au partage de la vie privée.

Il est tentant de penser que les études sur la présence et la vision de la vie privée des utilisateurs de médias sociaux nécessitent des méthodes d’analyse de données massives. Cependant, de telles approches prêtent elles-mêmes à controverse dès lors qu’elles sont susceptibles de violer la vie privée. La conformité avec les législations en vigueur dans ce domaine peut être plus aisément assurée par des études portant sur un petit périmètre.

A ce titre, une expérience menée par Antonio A. Casilli est intéressante. Ce dernier a créé deux profils Facebook et envoyé des demandes d’amis à une cinquantaine de contacts. Sur l’un des profils, le chercheur a divulgué peu à peu davantage d’informations personnelles tandis que l’autre demeure statique afin de servir de témoin. Au fur et à mesure que les informations étaient plus nombreuses sur le premier profil, son réseau de contacts a changé de manière notable, augmentant à la fois en taille (nombre d’amis du profil) et en densité (nombre de liens entre les amis du profil). Ces résultats mettent l’accent sur l’une des raisons clefs de partage des données personnelles sur les réseaux sociaux : attirer des commentaires et de nouveaux contacts, en témoignant d’une sensibilité et de pratiques dans lesquelles d’autres utilisateurs se reconnaissent.

Si l’on considère la création de liens en ligne comme une part de l’effort que les individus font pour construire leur capital social, il faut alors distinguer les liens forts et les liens plus ténus. Les premiers impliquent une proximité émotionnelle avec les personnes avec lesquelles le lien existe, celui-ci étant source de soutien, tandis que dans les seconds ces personnes s’apparentent à des « connaissances » et les liens deviennent sources d’information et de nouvelles perspectives.

En un sens, la vie privée peut être vue comme un « coût » dans la création du capital social. Si entretenir les liens nécessite de partager des informations personnelles, des réseaux trop grands ou trop denses peuvent représenter une contrainte, contrebalancée en partie par la possibilité de contrôler la confidentialité des informations partagées.

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Les similitudes entre individus peuvent inciter au partage d’informations personnelles avec d’autres personnes susceptibles de partager les vues de l’utilisateur, l’homophilie ressurgissant sur Internet malgré la grande diversité culturelle du réseau.

Si l’homophilie guide dans la sélection des individus avec qui entrer en contact, certains chercheurs observent également l’importance de l’influence, le contact avec les autres entraînant alors une transmission culturelle ou des changements de comportements. Ce facteur contribue également à développer des similitudes entre les individus en contact.

Cette étude a pour objet de comprendre ce qui motive les différentes attitudes vis-à-vis de la vie privée et dans quelle mesure celles-ci contribuent aux processus de sélection et d’influence dans le contexte des réseaux sociaux en ligne.

• Une vision relationnelle de la vie privée, envisagée comme une négociation

Dans le contexte des interactions en ligne, la notion de vie privée est plus complexe que dans un cadre traditionnel, où il s’agit surtout d’identifier un ensemble de données sensibles à protéger. Dans un réseau caractérisé par des interactions multiples, fréquentes et hétérogènes, une perspective relationnelle et multidimensionnelle semble plus appropriée. La notion de vie privée s’inscrit alors dans un processus dynamique dans lequel les individus envoient des signaux à leur environnement et celui-ci leur renvoie un feedback. Les processus de sélection et d’influence entrent également en compte, la sélection définissant avec qui les contenus sont partagés et l’influence ce qui est partagé. Chaque interaction implique alors un processus dynamique d’évaluation, de catégorisation et d’adaptation des contenus que les individus souhaitent partager avec leurs contacts.

Cette perspective suggère un glissement de la notion de protection de la vie privée : alors qu’auparavant la vie privée était vue comme quelque chose de pénétrable, elle devient quelque chose de négociable.

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Objet de la rechercheA partir de ce contexte, la question est alors de déterminer, sur cette problématique du partage de la vie privée, quelle configuration finale va adopter un système social :

• dans lequel les réseaux sociaux mêlent des liens forts et des liens faibles, afin de bâtir un capital social.• dans lequel il faut partager des informations personnelles pour former et entretenir les liens.• dans lequel des processus dynamiques de sélection et d’influence permettent de s’adapter aux signaux de l’environnement.

Dans ce cadre, il s’agit donc d’analyser les différents scenarios possibles et les conditions qui mènent à telle ou telle configuration.

Afin d’extrapoler sur une échelle plus large que les expériences précédemment décrites, les chercheurs ont choisi de concevoir un modèle informatique capable de simuler la formation et l’évolution de réseaux sociaux en ligne. Ce modèle a été conçu à partir de trois idées de base :

• En considérant le réseautage en ligne comme partie intégrante de l’effort que font les individus pour construire leur capital social, tant les relations de proximité que les relations plus éloignées.

• En reconnaissant l’importance de l’homophilie comme un des facteurs de la sélection.

• En permettant une influence sociale entre les personnes qui sont en contact à travers ce type de réseau.

Ce modèle utilise des agents, chaque agent représentant un acteur social. Le simulateur définit les attributs cognitifs et comportementaux de chaque agent ainsi que les modes d’interactions possibles, puis il les laisse interagir et observe l’évolution du système dans le temps.

Les attributs définis pour l’ensemble des agents sont les suivants :

• Dissonance : définit à quel degré les spécificités des individus sont acceptées dans le groupe.

• Liens forts/faibles : seuil déterminant dans quelle mesure sont préférées les relations de proximité ou le développement d’un réseau de contacts plus faibles.

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Pour chaque agent sont définis trois attributs individuels, qui peuvent changer pendant la simulation :

• Anomie : propension à former de nouveaux liens plutôt qu’à supprimer ceux qui existent.

• Vie privée : variable binaire qui indique si un agent est visible de tous (0) ou seulement de ses contacts directs (1).

• Pratiques : correspond aux pratiques culturelles susceptibles de varier et d’être partagées.

Les résultatsDans les différentes simulations effectuées, les chercheurs ont fait évoluer les deux attributs généraux et défini des règles pour que les agents puissent changer leur paramètre lié à la vie privée, notamment en fonction de la taille de leur réseau puis en fonction de sa densité.

Les résultats ont montré que trois scénarios seulement émergent une fois que le système atteint un état stable.

• Les « petites boîtes » : beaucoup de petits réseaux avec une haute densité interne, séparés les uns des autres. Les pratiques culturelles sont très homogènes au sein de ces réseaux, mais différentes d’un réseau à l’autre.

• L’hégémonie culturelle : Il persiste quelques réseaux denses et isolés des autres, mais bien moins nombreux, et souvent l’un d’entre eux est bien plus vaste que les autres.

• Le partage généralisé : un seul grand réseau comprenant tous les agents et homogénéisant les pratiques autour d’un cœur commun.

Les paramètres de dissonance et de liens forts/faibles influencent la probabilité d’aboutir à un scénario donné. Quand les liens de proximité sont privilégiés, la première configuration émerge toujours. Quand ce n’est pas le cas, si le seuil d’acception des spécificités est faible, le deuxième scénario est susceptible de se produire. Enfin, si les spécificités sont largement acceptées, c’est le troisième scénario qui intervient.

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• Evolution du paramètre de vie privée

Quand les liens de proximité sont privilégiés, le niveau moyen de protection de la vie privée baisse légèrement, reflétant les efforts des quelques agents isolés pour se rendre visibles et créer des liens. En revanche, ce niveau augmente quand la dissonance est élevée, autrement dit que les spécificités sont largement acceptées (scénario 3).

Si ce dernier correspond dans sa forme à l’hypothèse de la fin de la vie privée, les résultats montrent que c’est précisément dans ce cas que la vie privée redevient une préoccupation importante avec le temps, y compris quand les chercheurs choisissent de ne pas rendre les agents trop sensibles à la taille de leur réseau.

• Influence de ce paramètre sur la structure du réseau

Les chercheurs ont également souhaité comprendre quels pouvaient être les effets du paramètre de vie privée sur la structure des réseaux. Pour cela, ils ont effectué des simulations supplémentaires, en établissant que tous les agents étaient visibles de tous sans pouvoir changer le niveau de confidentialité. Les résultats étaient similaires à ceux obtenus précédemment, avec néanmoins un moins grand nombre d’itérations avant que le réseau atteigne un état stable. Dans ce cas, la convergence du système est donc accélérée.

La probabilité qu’à la fin de la simulation subsistent quelques agents isolés ou quelques groupes de deux ou trois individus est par ailleurs très réduite. Rendre tout le monde visible oblige donc les minorités et les personnes isolées à entrer en contact, et de par le processus d’influence, cela diminue également leurs spécificités culturelles.

Les chercheurs observent enfin que la possibilité de régler les paramètres liés à la vie privée ralentit la convergence du système et accroît la probabilité que des utilisateurs isolés et des petits groupes subsistent durablement.

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• Les interventions sur les paramètres de confidentialitéAfin de tester l’impact des changements sur la confidentialité comme ceux effectués par Facebook, les chercheurs ont effectué un nouvel ensemble de simulations dans lesquelles à chaque fois que la moyenne du niveau de protection de la vie privée dépassait un certain seuil, le paramètre repassait à zéro pour un ensemble d’agents, simulant une intervention extérieure. Les agents pouvaient ensuite refaire évoluer ce paramètre.

Quand l’acceptation des spécificités est faible, ils obtiennent un scénario de type hégémonie culturelle dans lequel, une fois que le paramètre lié à la vie privée passe à zéro, celui-ci ne remonte plus.

En revanche, quand les réglages généraux conduisent au scénario 3, les agents s’empressent de rehausser la confidentialité après les interventions, et avec le temps apparaît même une évolution cyclique.

Ces résultats laissent penser que si les fournisseurs de médias sociaux souhaitent s’assurer que les données personnelles restent accessibles, notamment pour des raisons commerciales, les interventions sur la confidentialité ne peuvent fonctionner que sur le court terme.

• Autres facteurs déterminants dans les choix liés à la vie privéeAu-delà d’une certaine taille, l’entretien d’un réseau de contacts demande un effort, ce qui explique le choix de rehausser la protection de la vie privée une fois un certain seuil atteint.

La densité du réseau entre également en jeu, car si elle développe la confiance elle augmente également le niveau de contrôle social, les déviations par rapport à la norme commune entrainant des sanctions. Cela peut donc pousser un agent à accroître le degré de protection de sa vie privée pour mieux contrôler la création de nouveaux liens.

Les chercheurs ont donc effectué un ensemble de simulations en établissant que le paramètre lié à la vie privée repassait à 1 au-delà d’un certain niveau de densité. Si les résultats sont globalement similaires, la densité globale du réseau est plus faible que dans les simulations précédentes. Par ailleurs, la valeur moyenne du paramètre lié à la vie privée est plus élevée que dans les autres simulations.

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Ces résultats indiquent que même quand la connectivité est peu étendue mais que le réseau de contacts est dense, les préoccupations liées à la vie privée peuvent devenir pertinentes et influencer la structure du réseau.

Les chercheurs ont ensuite évalué si les interventions liées à la vie privée avaient le même effet dans un contexte où intervient ce facteur de densité. Les simulations ont montré que le niveau de protection de la vie privée était plus élevé en cas d’interventions externes que sans celles-ci, surtout lorsque les liens faibles sont privilégiés. Même avec un seuil de tolérance élevée pour le partage d’informations, les résultats finaux ont peu changé, montrant qu’ils dépendent davantage de facteurs structurels et de processus sociaux d’influence.

En conclusionEn se basant sur les résultats obtenus, les auteurs estiment que la structure du réseau est un élément important pour comprendre les choix en matière de protection de la vie privée. Les facteurs structurels et relationnels semblent même avoir plus d’impact que les attributs individuels, les attitudes culturelles et l’ouverture à la diversité. Ces éléments déterminent dans quelle mesure l’homophilie tend à séparer les individus en communautés isolées ou à les rassembler en unifiant leurs préférences culturelles.

La seconde conclusion est que les médias sociaux ne signifient pas obligatoirement la fin de la vie privée. C’est notamment quand la connectivité est étendue au maximum et le partage de contenus le plus ouvert qu’une majorité d’agents activent leurs paramètres de confidentialité.

Troisième constat, les choix des utilisateurs en matière de protection de la vie privée finissent toujours par ressurgir, les interventions extérieures sur les paramètres de confidentialité contribuant même à attirer l’attention sur ceux-ci. Même les utilisateurs acceptant un certain niveau d’ouverture de leurs données peuvent réagir fortement si des changements dans les termes d’utilisation d’un service les placent dans une position inconfortable ou leur demandent un effort trop important.

Par-dessus tout, ces résultats incitent à accorder plus d’attention aux attitudes et aux réactions des utilisateurs. Les législateurs doivent envisager des moyens de fournir à ces derniers un degré satisfaisant de protection, notamment pour ceux que ces enjeux préoccupent mais qui ne sont pas en mesure d’ajuster leurs paramètres faute d’expérience ou de compétences adéquates.

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Comité Directeur

Comité d’OrganisationComité d’Histoire

La gouvernance de la fondation cigref

Pascal BuffardPrésident du CIGREF

Directeur GénéralAXA Group Solutions

Bernard DuverneuilVice-pdt du CIGREF

DSIGroupe Essilor

Jean-marc LagoutteVice-pdt du CIGREF

DSIGroupe Danone

Bruno BrochetonVice-pdt du CIGREF

DSI Groupe Eurodisney

Bruno MénardVice-pdt du CIGREF

DSI Groupe Sanofi

Georges EpinetteVice-pdt du CIGREF

DSI Groupe Les Mousquetaires

Pierre LaffitteSénateur HonorairePrésident Fondation

Sophia Antipolis

Jean-François PépinSecrétaire Général

de la Fondation CIGREF

Didier LambertAncien Président

du CIGREF

Alain PouyatDG Informatique & TI,

Groupe Bouygues,Membre de l’Académie

des Technologies