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Quels instruments pour une gestion collective des prélèvements individuels en eau pour l’irrigation ? Jean-Daniel Rinaudo et Cécile Hérivaux Synthèse de l’atelier du 10 février 2014 Paris

QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

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Quels instrumentspour une gestion collective

des prélèvements individuels en eau pour l’irrigation ?

Jean-Daniel Rinaudo et Cécile Hérivaux

Synthèse de l’atelierdu 10 février 2014

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Photo de couverture © M. Bramard - Onema

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Quels instruments pour une gestion collective des prélèvements individuels en eau pour l’irrigation ?

Synthèse de l’atelier du 10 février 2014 Paris

Jean-Daniel Rinaudoet Cécile Hérivaux

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ContactsBRGMJean-Daniel RinaudoResponsable du programme scientifique Économie des milieux et des risquesDirection de l’eau, environnement et é[email protected]

Cécile HérivauxÉconomiste de l’environnementDirection de l’eau, environnement et é[email protected]

OnemaJulien GautheyChargé de mission « Approches sociologiques et économiques des usages de l’eau »Direction de l’action scientifique et [email protected]

Bénédicte Augeard,Chargée de mission « Gestion équilibrée de la ressource en eau »Direction de l’action scientifique et [email protected]

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L’atelier « Quels instruments pour une gestion collective des prélèvements indivi- duels agricoles » a été orga-nisé par l’Onema et le BRGM avec l’appui de l’Office Inter-national de l’eau. Il s’est tenu à Paris le 10 février 2014. Le programme détaillé du sé-minaire ainsi que les présen-tations des différents inter- venants peuvent être consul-

tés sur le site internet de l’Onema à l’adresse suivante : http://www.onema.fr/seminaire-gestion-collective-des- prelevements-individuels-agricoles.

Cette synthèse est consultable sur le site de l’Onema (www.onema.fr, rubrique publications et sur le site du BRGM (www.brgm.fr). Elle est référencée sur le portail national Les do-cuments techniques sur l’eau (www.documentation.eauffance.fr).

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La politique de gestion quantitative des ressources en eau a significativement évolué avec la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006. L’objectif est de définir un volume maximum prélevable dans les bassins jugés déficitaires, et de répartir ce volume entre les différents secteurs économiques. Dans le secteur agricole, la responsabilité du partage du volume alloué aux irrigants est partiel-lement confiée aux usagers, à qui l’on demande de s’organiser et de mettre en place des organismes uniques de gestion collective (OUGC). Cette responsabi-lité doit en principe permettre d’adapter les modalités de gestion des volumes disponibles aux spécificités hydrologiques, agronomiques et économiques de chaque territoire.

La mise en œuvre de cette réforme soulève de nombreuses questions de la part des acteurs concernés, tant dans le monde agricole qu’au sein des services de l’État. C’est dans ce contexte que l’atelier du 10 février 2014 a été organisé, visant à créer un espace de réflexion et de discussion entre une cinquantaine d’experts et techniciens provenant des services de l’État, d’organismes de re-cherche et d’organisations agricoles. Les interventions ont permis de comparer et de tirer des enseignements des expériences en cours dans plusieurs régions françaises. Le témoignage d’un expert espagnol a mis en perspective la vision des acteurs français. Enfin, une réflexion prospective, conduite en groupes, s’est attachée à évaluer des solutions innovantes pour avancer dans la mise en œuvre opérationnelle de la politique de gestion quantitative des ressources en eau.

L’atelier du 10 février a abordé successivement trois questions :• comment rendre opérationnelle la nouvelle répartition des responsabilités entre l’État et la profession agricole ?• comment et sur quels critères réaliser l’allocation initiale des quotas individuels ? • quels instruments utiliser pour introduire de la flexibilité dans le système de quotas et concilier l’objectif de protection des milieux aquatiques et de déve-loppement agricole ?

Ce document synthétise les informations présentées et les idées présentées et débattues au cours de cette journée. Il en ressort des conclusions et des re-commandations qui pourraient être intégrées dans la mise en œuvre, à l’échelle locale, de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006.

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Préambule

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SommaireI - Vers une gestion quantitative et collective des prélèvements

individuels agricoles en France ����������������������������������������������������������61.1 - Le développement de l’irrigation individuelle ......................................... 61.2 - La gestion quantitative avant 2006 ......................................................... 71.3 - Le point sur la politique de gestion quantitative des ressources en

eau depuis 2006 ..................................................................................... 8

II - Comment rendre opérationnelle la nouvelle répartition des responsabilités ? ������������������������������������������������������������������������������������ 13

2.1 - Le rôle du règlement intérieur ............................................................... 13 2.1 - Gouvernance de l’OUGC ...................................................................... 132.2 - Financement de l’OUGC .................................................................................142.3 - Gestion des litiges, contestations, contentieux .................................... 162.4 - Le plan de répartition ............................................................................ 162.5 - Interrogations et défis pour une mise en œuvre opérationnelle ........... 16

III - Comment et sur quels critères définir l’allocation initiale ? ������������� 213.1 - Une grande diversité des pratiques en France ..................................... 223.2 - Une question d’équité et de justice sociale .......................................... 233.3 - La dimension économique de la clé de répartition ............................... 243.4 - La dimension environnementale ........................................................... 293.5 - Discussion ............................................................................................ 29

IV - Quels instruments mobiliser ? ������������������������������������������������������������ 344.1 - Une réflexion prospective ..................................................................... 364.2 - Des points de vue contrastés au sein des groupes de travail .............. 37

V - D’une logique de gestion de volume à celle de projet de territoire ?���� 425.1 - Qu’est-ce qu’un projet de territoire ? ................................................... 445.2 - Articulation du projet de territoire avec les démarches existantes ...............455.3 - Un besoin de garanties de la profession agricole ....................................46

Conclusion ..............................................................................................52Remerciements ......................................................................................52Références bibliographiques ...............................................................56

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Vers une gestion quantitative et collective des prélèvements

individuels agricoles en France 1

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Vers une gestion quantitative et collective des prélèvements

individuels agricoles en France

Entre les années 1970 et 2000, les surfaces irriguées se sont rapidement développées en France avant de connaître une stabilisation autour de 1,6 million d’hectares irrigués en 2010 (Loubier et al., 2013). Pour les 73 600 ex-ploitations agricoles qui recourent à l’irrigation (soit 10 % des exploitations françaises), l’accès à l’eau a permis d’améliorer des rendements, de sécuriser la production et de mieux maîtriser la qualité des produits. Dans un environne-ment économique de plus en plus concurren-tiel du fait de la mondialisation des marchés agricoles, l’irrigation est considérée par de nombreuses filières comme un atout, voire un outil indispensable au maintien de leur perfor-mance économique.

Pour ces filières, l’accès à l’eau représentera, dans les années à venir, un enjeu d’autant plus stratégique que le changement climatique

Ce chapitre rappelle le contexte économique et réglementaire ainsi que l’avancement de la mise en œuvre de la loi sur l’eau et les milieux aqua-tiques de 2006.

1.1 - Le développement de l’irrigation individuelle

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pourrait augmenter le besoin en eau des plantes et le risque de séche-resse. La croissance des surfaces irriguées pourrait donc reprendre, après la pause des années 2010. Le développement de nouvelles pratiques, comme l’irrigation de printemps pour les céréales ou l’ir-rigation de la vigne, indiquent que cette évolution est déjà en cours.

Or, le développement de l’irriga-tion et des prélèvements associés a engendré un nombre croissant de situations tendues, voire conflic-

tuelles sur la question de la res-source en eau dans de nombreux bassins versants du grand sud-ouest, du centre et du sud-est de la France. La hausse des prélève-ments agricoles a accentué les pro-blèmes d’étiage des cours d’eau et de baisse des niveaux des nappes phréatiques. Ces prélèvements impactent l’état des ressources et leurs usagers. Ils affectent égale-ment le fonctionnement des éco-systèmes associés et les acteurs qui en dépendent.

1.2 - La gestion quantitative avant 2006

Pour gérer ces situations de ten-sion, l’État a dû mobiliser de plus en plus fréquemment les outils de gestion de crise, consistant à pro-gressivement restreindre puis inter-dire l’irrigation via des arrêtés dé-partementaux. Chaque année, ce sont entre 30 et 40 départements (sur 96) qui connaissent des restric-tions d’usage (arrêtés sécheresse).

En parallèle de la gestion de crise, l’État a localement impulsé la mise en œuvre de politiques visant à ré-sorber les déficits structurels. Ainsi, des zones de répartition des eaux (ZRE) ont été créées, en applica-tion de la loi sur l’eau de 1992, pour notamment avoir une information plus fine des prélèvements effec-

tués (abaissement des seuils d’au-torisation, déclaration de tous les petits prélèvements). De plus, des protocoles de gestion quantitative ont été mis en place à la fin des an-nées 1990 dans les départements de la Vienne, de la Charente, de l’Aisne, de la Somme, du Cher, de la Sarthe, de l’Ariège, de la Vendée ainsi que dans la Beauce (Figureau et al., 2012). La démarche consis-tait à définir un volume maximum prélevable, dont le respect permet-trait théoriquement de réduire la fréquence des situations de crise, puis à le répartir entre les usagers. Cette gestion a nécessité de géné-raliser la pose de compteurs afin de pouvoir contrôler les prélèvements réalisés par les irrigants ayant des

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pompages individuels, qui repré-sentent aujourd’hui 75 % des sur-faces irrigables (Encadré 1).

Ce passage d’une logique de gestion de crise à une logique de résorption planifiée des déficits structurels a été confirmé par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques

(LEMA) de 2006. La section sui-vante présente les principales dis-positions de cette loi en matière de gestion quantitative ainsi que ses textes d’application et fait le point sur l’avancement de sa mise en œuvre à fin 2013.

De 1970 à 2010, l’irrigation par pompage individuel a connu une expansion considérable (Figure 1), notamment dans les régions où les sites potentiels pour la création de grands ouvrages collectifs (barrages) sont rares. Ces der-nières années, l’augmentation du prix des céréales à paille et la baisse du coût des systèmes de pompage individuels ont contribué à cette expansion. Actuel-lement, 75 % des surfaces équipées relèvent de pompages individuels tandis que 25 % seulement sont desservies par des réseaux collectifs.

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Exploitations ne disposant que d’accès indiduels à la ressource

Exploitations en réseau collectif exclusivement et mixtes

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Figure 1. Surface irriguée selon le mode d’accès à la ressource pour les cinq derniers recensements agricoles (1970 à 2010). Source : Loubier et al. (2013).

Encadré 1. Le développement de l’irrigation individuelle

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1.3 - Le point sur la politique de gestion quantitative des ressources en eau depuis 2006

Vers une gestion volumétrique

La mise en œuvre de la gestion quan-titative impulsée par la dynamique post-LEMA se déroule en quatre grandes étapes.1 - La première étape a consisté à réviser la liste des zones de réparti-tion des eaux (ZRE) et à identifier, à l’échelle de chaque district hydrogra-phique, les bassins déficitaires.2 - Dans chaque bassin déficitaire, des études ont ensuite été réalisées pour évaluer le volume prélevable, correspondant au volume « que le milieu est capable de fournir dans des conditions écologiques satisfaisantes,

c’est-à-dire qu’il est compatible avec les orientations fondamentales fixées par le schéma directeur d’aménage-ment et de gestion des eaux et, le cas échéant, avec les objectifs généraux et le règlement du schéma d’aména-gement et de gestion des eaux » (défi-nition donnée par la circulaire du 30 juin 2008). Concrètement, le volume prélevable est calculé de manière à éviter de recourir à la gestion de crise huit années sur dix, les arrêtés séche-resse pouvant être toujours utilisés pour gérer les situations exception-nelles, c’est-à-dire deux années sur dix.3 - Ce volume réellement disponible pour les activités humaines doit en-

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suite être partagé entre les grands usages (agriculture, eau potable, industrie). Le volume accordé à l’agri-culture doit également être partagé entre les irrigants.4 - La quatrième étape consiste à réviser les autorisations de prélè-vement, de manière à les mettre en cohérence avec le volume préle-vable. Dans les bassins où la somme des autorisations dépasse le volume prélevable, les autorisations doivent être réduites.

Vers une gestion collective

Une innovation de la Lema de 2006 consiste à promouvoir une organi-sation collective de la gestion du volume prélevable pour l’irrigation agricole. Son article 21 impose d’éta-blir dans les bassins déficitaires des organismes uniques de gestion collective (OUGC) qui sont chargés de gérer le volume prélevable dédié à l’usage agricole, c’est-à-dire d’en assurer la répartition entre les agri-culteurs irrigants. L’objectif est de favoriser l’émergence d’une commu-nauté d’usagers qui puisse établir leurs propres règles de répartition du volume prélevable, l’État vérifiant l’égalité de traitement des irrigants et l’absence d’impact environnemental lié à la répartition retenue. Ceci re-pose sur l’hypothèse que les OUGC, plus proches du terrain, sont mieux placés que l’État pour identifier des règles adaptées aux réalités tech-niques et économiques locales, donc

plus susceptibles d’être acceptées et mises en œuvre.

La mise en œuvre des OUGC est ca-drée par le décret n°2007-1381, com-plété par la circulaire du 30 juin 2008 (Encadré 2, p. 13). Différents types de structures peuvent se porter candi-dates pour devenir OUGC : chambre d’agriculture, association loi 1901, Établissement public territorial de bassin (EPTB), syndicat mixte… L’État entend privilégier les organismes en place qui représentent les irrigants, tout en s’assurant de leur capacité à réaliser leurs missions dans la durée (pérennité) et dans le respect de l’éga-lité de traitement des membres. L’éta-blissement d’un OUGC est obligatoire pour les ZRE, l’État pouvant désigner une structure en cas d’absence de candidature. La gestion du volume prélevable sur un territoire hydrolo-gique ne peut être assurée que par un seul OUGC, néanmoins un même OUGC peut assurer la gestion du volume prélevable sur plusieurs bas-sins versants. Une fois établi, l’OUGC devient le seul détenteur d’une auto-risation unique de prélèvement qui se substitue à toutes les autorisations individuelles antérieures. L’OUGC a ensuite la charge d’élaborer un plan de répartition entre les irrigants du volume associé à cette autorisation unique. L’OUGC devient donc l’inter-locuteur unique des irrigants mais aussi de l’État. La création des OUGC est d’une certaine manière l’aboutis-sement de la logique engagée avec

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la création des procédures manda-taires, qui permettait aux chambres d’agriculture de présenter aux direc-tions départementales des territoires et de la mer (DDTM) l’ensemble des demandes d’autorisations saison-nières de prélèvement d’eau, évitant ainsi à chaque irrigant de déposer une demande individuelle.

Les missions obligatoires de l’OUGC sont les suivantes :• déposer la demande d’autorisation unique pluriannuelle des prélève-ments pour l’irrigation ;• arrêter chaque année un plan de ré-partition entre les irrigants du volume d’eau autorisé. Ce plan doit rendre compte des impacts de la répartition des prélèvements proposée ;• définir des règles pour adapter la répartition en cas de limitation ou de suspension provisoire des usages de l’eau. Ces règles sont précisées dans le règlement intérieur de l’OUGC ;• donner un avis au préfet sur tout projet de création d’un ouvrage de prélèvement dans le périmètre ;• établir un rapport annuel destiné au préfet. Ce rapport doit (i) rendre compte des délibérations de l’orga-nisme unique de l’année écoulée ; (ii) présenter le règlement intérieur adop-té ou ses modifications ; (iii) fournir un comparatif, pour chaque irrigant, entre les besoins de prélèvement exprimés, le volume alloué et le volume prélevé en chaque point de prélèvement ; (iv) exposer les éventuelles contestations des décisions de l’organisme unique ;

et (v) rapporter les incidents ayant pu porter atteinte à la ressource en eau et les mesures mises en œuvre pour y remédier.

L’OUGC a en outre la possibilité de souscrire la déclaration relative à la redevance prélèvement, de collec-ter cette redevance et de la reverser à l’agence de l’eau, pour le compte des irrigants de son périmètre. Il doit également collecter les données sur les prélèvements pour le compte de l’État.

En juin 2014, l’Assemblée perma-nente des chambres d’agriculture (APCA) recensait une trentaine d’or-ganismes uniques ayant été désignés par arrêté préfectoral (Di Franco, 2014). La majorité des OUGC est portés par des chambres d’agricul-ture (19), les autres le sont par des collectivités territoriales (5), des asso-ciations loi 1901 (5), un établissement public territorial de bassin (EPMP) (1) ou encore une coopérative (1). À cette même date, aucun des OUGC n’est encore détenteur de l’autorisation unique de prélèvement qui se subs-tituera aux autorisations individuelles, et peu d’OUGC ont établi leur règle-ment intérieur, notamment en raison d’incertitudes relatives au statut juri-dique de ce document.

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Textes relatifs à l’OUGCLa loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema) du 30 décembre 2006 introduit la notion d’organisme unique dans son article 21. Le décret 2007-1381 du 24 septembre 2007 précise les modalités de mise en place et de fonctionnement de l’OUGC, ainsi que les modalités relatives au périmètre et au statut juridique de la structure porteuse. Le décret 2012-84 du 24 janvier 2012 précise les modalités de participation financière des irrigants.Le décret 2013-625 du 15 juillet 2013 relatif aux autorisations temporaires des prélève-ments d’eau, prolonge la possibilité pour les préfets d’accorder de telles autorisations jusqu’à la fin 2016.

Textes interprétatifs relatifs à l’OUGCLa circulaire parue le 30 juin 2008 donne des éléments d’interprétation des exigences réglementaires concernant les OUGC, tout en se prononçant sur ce que sont les volumes prélevables. La circulaire du 3 août 2010 est relative à la résorption des déficits quantitatifs dans les bassins ou l’écart entre le volume prélevé en année quinquennale sèche et le volume prélevable est supérieur à 30 %.

Source : APCA (2014).

Encadré 2. Cadre législatif et réglementaire des des organismes uniques de gestion collective (OUGC)

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Comment rendre opérationnelle la nouvelle

répartition des responsabilités ?2

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Comment rendre opérationnelle la nouvelle

répartition des responsabilités ?

Une fois les OUGC mis en place, ceux-ci vont devoir établir le règlement intérieur qui régira les relations avec les préleveurs irrigants de cet OUGC1.

Ce règlement sera complémentaire des statuts de la structure porteuse de l’OUGC. Il prévoit les règles qui s’appliquent aux deux parties et les modalités selon lesquelles les droits et les devoirs s’appliquent. Le contenu du règlement intérieur de l’OUGC pourra concerner :

1 La constitution des OUGC est encadrée par le décret n°2007-1381 du 24 septembre 2007 relatif à l’organisme unique chargé de la gestion collective des prélèvements d’eau pour l’irrigation et modifiant le code de l’environnement. Le règlement intérieur est prévu par la circulaire du 30 juin 2008 qui précise que « l’organisme unique, point de passage obligatoire des irrigants, définira un règlement qui détaillera notamment la procédure de dépôt par les irrigants de leurs souhaits d’allocation, les conditions de traitement de la demande d’allocation de chaque irrigant, les modalités de concertation et d’arbitrage interne, les modalités d’exercice du prélèvement, de transparence envers l’organisme unique, les obligations de rapportage annuel des données nécessaires, les modalités de traitement des infrac-tions à la réglementation, etc. ». Dans son document guide, l’APCA remarque que cette circulaire liste de manière non exhaustive certains points du règlement intérieur alors que la réglementation ne précise aucun contenu spécifique.

Ce chapitre présente les principaux enjeux de mise en œuvre opérationnelle des OUGC : • définition du contenu du règlement intérieur ; • gouvernance et financement des OUGC ; • gestion des conflits ; • définition de la clé de répartition du volume prélevable.

2.1 - Le rôle du règlement intérieur

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• la gouvernance propre de l’OU-GC, si celle-ci n’est pas complète-ment définie dans les statuts de la structure porteuse de l’OUGC ;• l’organisation des missions (pré-vues par la réglementation) sur son périmètre ;• la mise en place d’une participa-tion financière à l’OUGC des préle-veurs irrigants ;• la gestion des contestations des préleveurs irrigants.

Les organismes uniques désignés ont engagé des travaux pour éla-borer leur règlement intérieur. Un groupe de travail inter-organisa-tions agricole, réunissant l’APCA, Irrigants de France, Jeunes agri-culteurs et la FNSEA a été mis en place sur le sujet. Il a développé

un document pédagogique, basé sur la mutualisation de l’expérience existante dans le réseau, et visant à accompagner les OUGC lors de l’élaboration de leur règlement in-térieur (APCA, 2014). La démarche adoptée par la profession agricole n’est pas prescriptive, dans le sens où elle ne propose pas de règlement intérieur type. Le document péda-gogique vise à attirer l’attention des OUGC sur un certain nombre de points clefs et à encourager leur réflexion sur la pertinence de faire figurer ou non certains points dans leur projet de règlement, en tenant compte des spécificités des terri-toires. Ces points sont brièvement présentés ci-dessous.

La réglementation prévoit que le dossier de candidature comporte la description des organes dirigeants (consultatifs et décisionnels) de l’OU-GC. Le document guide émet les re-commandations suivantes :• dès que l’organe décisionnel est désigné par le préfet, il est recom-mandé qu’il délibère sur la constitu-tion des instances d’orientation et techniques dont il souhaite se doter ;• il est recommandé d’établir un

comité d’orientation, dont le rôle (consultatif) est d’organiser une concertation autour des proposi-tions qui lui sont soumises par un comité technique. Ce comité tech-nique est composé d’agriculteurs et de conseillers agricoles, et/ou de responsables professionnels. Les propositions qu’il émet peuvent concerner, par exemple, l’élabora-tion d’une clé de répartition ou le financement de l’OUGC ;

2.2 - Gouvernance de l’OUGC

2 Le décret n°. 2012-84 du 24 janvier 2012 précise les modalités de participation financière des irrigants à l’OUGC.

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Les structures porteuses des OUGC ont la possibilité de faire supporter leurs dépenses, en totalité ou en partie, par les préleveurs irrigants. Le décret du 24 janvier 2012 permet l’établissement d’une redevance à cet effet. Cette redevance pour ser-vice rendu est totalement distincte de la redevance prélèvement levée par les agences de l’eau. La struc-ture de cette redevance reste à défi-nir par chaque organisme. Elle pour-ra par exemple se composer d’une part fixe et d’une part variable. La réglementation prévoit que la partie variable puisse être fonction des su-perficies irriguées ou irrigables, du nombre de points de prélèvements, des débits demandés, des volumes ou débits communiqués par le préfet en application du plan de répartition, ou d’une combinaison de ces paramètres. L’OUGC défi-nit annuellement les modalités de

calcul et d’appel de cette participa-tion financière au fonctionnement de l’OUGC, qui doivent être ap-prouvées par le préfet. La structure porteuse de l’OUGC est soumise à l’obligation de tenir une comp-tabilité séparée pour les activités relevant des missions de l’OUGC et d’équilibrer ses comptes (possibilité de régulariser les excédents ou les déficits d’une année sur la suivante).

La mise en œuvre opérationnelle de ce principe soulève quelques ques-tions. À quel moment de l’année et sur la base de quelles informa-tions faut-il établir le montant de la participation financière de chaque agriculteur ? Faut-il se baser sur la déclaration par les agriculteurs de leurs intentions de plantation et d’irrigation, sur le plan de réparti-tion approuvé par le préfet ou sur les volumes réellement prélevés à la

2.3 - Financement de l’OUGC

• le règlement intérieur peut pré-ciser les modalités de fonctionne-ment de ces organes consultatifs et décisionnels (la procédure de sélection des membres, saisine, délais de consultation, procédures de validation, etc.) ;• il convient de veiller à ce que la composition des instances déci-sionnelles et consultatives reflète la

diversité des irrigants du territoire concerné, en termes de ressources en eau, de système de production et d’organisation des irrigants (Association syndicale autorisée - ASA, individuels). La légitimité interne et externe de l’OUGC et celle de ses décisions seront en effet très dépendantes de leur représentativité.

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fin de la saison ? Plusieurs solutions sont envisageables (Encadré 3). Mais lors du choix de l’une de ces solutions, une attention particulière sera portée aux implications en matière de risque d’impayés. Celui-ci peut être réduit en conditionnant l’inscription du demandeur sur le plan de répartition à l’acquittement préalable de la cotisation. De telles dispositions doivent être précisées dans le règlement intérieur.

La création de cette redevance pour le financement des OUGC est relativement mal acceptée par les exploitants agricoles. Ils la per-

çoivent comme un prélèvement fiscal supplémentaire qui vient se rajouter à la redevance prélève-ment de l’agence de l’eau. Cette contestation est d’autant plus mar-quée que les irrigants individuels ont un fort sentiment d’autonomie et ne perçoivent pas la notion de service rendu par l’OUGC. Les pre-miers OUGC ayant établi une coti-sation rencontrent des problèmes de recouvrement. Vincent Saillard, président de AREA Berry (OUGC du Cher), précise que son OUGC n’a collecté que 80 à 85 % des appels à cotisation en 2013 (montant de 150 € par point de prélèvement).

« Les décrets d’application de la Lema sont très peu précis en ce qui concerne les modalités de calcul de la participation financière au fonctionnement de l’OUGC. La seule contrainte est que la tarification retenue permette d’atteindre un équilibre budgétaire interannuel. Les OUGC peuvent donc envisager d’utili-ser des structures de tarification innovantes, qui permettent non seulement de financer le fonctionnement de l’OUGC, mais aussi de favoriser une utilisation efficiente de l’eau. La participation financière pourrait ainsi être proportionnelle au volume effectivement prélevé, ce qui réduirait le risque de dépassement du volume alloué à chaque agriculteur. On pourrait également instaurer une partie redevance volumétrique exceptionnelle qui serait facturée en année sèche, pour inciter à la baisse de consommation, la recette générée pouvant être redistri-buée l’année suivante à tous les usagers au prorata des surfaces, ce qui favori-serait les exploitants ayant peu consommé ».

Encadré 3. Le financement des des organismes uniques de gestion collective (OUGC) (témoignage de Sébastien Loubier, ingénieur de recherche à Irstea)

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Les éventuelles sources de litige ou de contentieux et les modalités de leur gestion doivent être anticipés dans le règlement intérieur de l’OUGC. Les irrigants peuvent par exemple contester une procédure définie dans les statuts de l’OUGC ou dans son règlement intérieur. Ils peuvent égale-ment contester une décision relevant de l’application de cette procédure (répartition annuelle par exemple). Enfin, des litiges peuvent être induits par le non-respect par un ou plusieurs irrigants de leurs obligations, en ma-tière de paiement de la redevance par exemple, ou de respect du volume qui leur a été attribué.

Pour gérer ces litiges, il est recom-mandé qu’avant d’enclencher des procédures de contentieux juridique, l’OUGC mette en place une procé-dure de médiation permettant un examen préalable des contestations ou des litiges. Concernant plus parti-culièrement le risque de non-respect des volumes individuels, l’OUGC ne détenant pas de pouvoirs de police de l’eau, c’est à l’administration qu’incombe la responsabilité d’en-clencher un contentieux, en appli-cation de l’article R214-31-4 CE du code de l’Environnement.

La réglementation ne précise pas les modalités de répartition du volume entre les irrigants. Elle se borne à demander aux irrigants de faire connaître tous les ans leurs besoins auprès de leur organisme unique, lequel doit arrêter un plan de répartition, en respectant ses règles internes de fonctionnement. Le plan de répartition est homologué par le préfet, l’État conserve donc un droit de regard pour s’assurer du traite-ment équitable de tous les deman-deurs. Une fois le plan homologué, l’OUGC peut modifier la répartition

en cours d’année dans la limite de 10 % du volume total.

Le groupe de travail inter-organi-sations se limite à formuler deux recommandations de nature procé-durale. Les OUGC sont invités à pré-ciser, dans leur règlement intérieur, (i) une règle générale de répartition pour réaliser le plan de répartition chaque année et (ii) une procédure permettant de modification intra- annuelle du plan de répartition (en cas de situation de crise). Aucune re-commandation n’est formulée quant

2.4 - Gestion des litiges, contestations, contentieux

2.5 - Le plan de répartition

Page 22: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

20

aux critères à retenir pour assurer la répartition entre les agriculteurs. Les OUGC disposent donc d’une grande marge de manœuvre pour établir

leur propre clé de répartition, tenant compte des spécificités agricoles et hydrologiques locales.

La difficile émergence des communautés de préleveurs individuels

La création des OUGC représente un véritable défi du point de vue social. Les irrigants ont en effet longtemps géré l’accès à la res-source de manière très individuelle et le passage à une gestion collec-tive nécessite une évolution des atti-tudes et des comportements. En ef-fet, les décisions qui concourent au prélèvement d’eau (investissement, choix d’assolement et de pratiques) sont le plus souvent prises de ma-nière autonome, sans être précé-dées de réflexions collectives ou de concertations entre agriculteurs situés dans le même bassin. De plus, les irrigants ayant obtenu une autorisation individuelle de prélève-ment pour plusieurs années, parfois plusieurs décennies avant la créa-tion de l’OUGC, ils pourraient per-cevoir la création d’une autorisation unique comme une expropriation. Il sera difficile, dans ces conditions, de légitimer des instances créées

a posteriori et de motiver les exploi-tants pour contribuer à la construc-tion d’un collectif dont l’existence remet en cause des droits considé-rés « acquis ». Cette difficulté sera accentuée par l’absence de dyna-mique collective préexistante sur le territoire des OUGC, les limites du bassin versant ou l’aquifère ne correspondant pas à un territoire agricole socialement structuré (pour un exposé plus détaillé de cet argumentaire, voir Garin. et al, 2013). Pour favoriser l’adhésion des irrigants, il faudra leur faire prendre conscience que la restriction en vo-lume s’accompagne d’une réduc-tion de la fréquence des situations de crises, donc d’une source de risque.

La légitimité des instances décisionnelles et consultatives

Dans la plupart des cas, la struc-ture porteuse de l’OUGC n’est pas nécessairement représentative des irrigants du bassin sur lequel il

2.6 - Interrogations et défis pour une mise en œuvre opérationnelle

Page 23: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

21

opère. C’est par exemple le cas d’une chambre d’agriculture dont le territoire ne coïncide pas avec le périmètre de l’OUGC et dont les élus ne représentent pas nécessai-rement les productions ni les types d’exploitations présentes dans le périmètre de l’OUGC.

Ce constat pose la question de sa-voir comment les irrigants qui dé-pendent de l’OUGC seront associés aux décisions qui les concernent, en particulier à l’élaboration de la règle de répartition et au choix des modalités de financement de l’OUGC. La légitimité interne de l’OUGC dépendra de la place qui sera faite aux représentants des irrigants au sein des instances décisionnelles et consultatives. La légitimité de ces

instances, et des décisions qu’elles seront amenées à prendre, sera également déterminée par la por-tée juridique du règlement intérieur.Question non résolue à ce jour.

L’expérience espagnole : une source d’inspiration ?

La mise en œuvre des OUGC est un moment propice à l’innovation. Les OUGC disposent en effet d’une grande marge de manœuvre pour élaborer leur règlement intérieur, choisir leur clé de répartition, définir la structure de leur redevance. Ces décisions, rendues difficiles par un calendrier serré et une absence de références, peuvent être éclai-rées par une analyse d’expériences étrangères. C’est dans cet objectif

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22© Olivier Monnier - Onema

La Junta a été fondée en 1994 pour assurer la gestion collective des eaux souterraines dans la région d’Albacete en Espagne, suite à une période de très fort développement des forages dans les années 1980. La Junta est une corporation de droit public dont les statuts ont été approuvés par la Confédération Hydrographique du fleuve Jucar (équiva-lent d’une agence de l’eau en France). Tout agriculteur irrigant à partir des eaux souter-raines dans le périmètre de la Junta doit adhérer à cette structure.

Concernant l’allocation initiale, les volumes ont été attribués selon le type de droit d’irri-gation. Pour les droits antérieurs à la loi sur l’eau de 1986 (droits privés), un volume de 5 800 m3/ha est alloué pour les cultures d’été et 4 000 m3/ha pour l’irrigation d’appoint de cultures de printemps. Pour les autorisations attribuées entre 1986 et 1997 (concessions valables 75 ans), un volume de 4 000 m3/ha a été alloué. Aucune nouvelle autorisation n’a été délivrée après 1997 (extension des superficies possible mais à volume constant).

La Junta exerce directement une mission de contrôle des prélèvements, en s’appuyant sur l’analyse d’images satellite. Les irrigants déclarent leur assolement à la Junta, qui dispose d’un cadastre numérique. Les images satellite sont utilisées pour vérifier l’asso-lement et calculer une consommation théorique correspondant aux surfaces et cultures observées. En cas d’incohérence entre le calcul théorique et la déclaration, des agents de contrôle, employés par la structure, réalisent des vérifications de terrain. En cas de dépassement du volume alloué, l’agriculteur comparait devant un « jury » de pairs qui peut imposer des sanctions financières. En cas de dépassement supérieur à 30 000 m3, c’est la Confédération hydrographique qui instruit le dossier et impose les sanctions.

Le fonctionnement de la Junta est financé par une redevance collectée auprès des agriculteurs membres. Les investissements (par exemple mobilisation de nouvelles res-sources) sont couverts par des fonds publics (État fédéral et gouvernements régionaux). Une présentation plus détaillée de ce cas d’étude est accessible sur le site internet de l’Onema à l’adresse suivante :

http://www.onema.fr/IMG/pdf/SantaOlalla_resume.pdf

que le BRGM et l’Onema ont invité Francisco Martin de Santa Olalla Mañas à venir présenter le fonc-tionnement de la Junta Central de

Regantes de la Mancha Oriental, une association d’usager des eaux souterraines en Espagne (Encadré 4).

Encadré 4. Le cas de la Junta Central de Regantes de la Mancha Orientale

Page 25: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

23

La discussion qui a suivi la présenta-tion lors du séminaire suggère que le modèle espagnol, bien que très inté-ressant, n’est pas directement trans-posable à la situation française. L’utili-sation de la télédétection semble peu applicable en France, du fait de mul-tiplicité des points de prélèvements, de la diversité des sources utilisées (superficielle et souterraines, privées ou collectives) et des techniques d’ir-rigation parfois peu visibles.

Dans le contexte français, l’applica-tion de sanctions par l’OUGC à ses membres (comme c’est le cas en Espagne) semble peu faisable à ce stade du développement des OUGC. La profession agricole considère que l’application de sanctions relève des missions régaliennes de l’État et ne concerne pas les OUGC.

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Comment et sur quels critères définirl’allocation initiale ?

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25

Comment et sur quels critères définirl’allocation initiale ?

Lors de l’élaboration d’une règle de répartition de la ressource en eau, trois questions fonda-mentales doivent être abordées :• qui sont les agriculteurs pouvant légitime-ment bénéficier d’un accès à la ressource en eau ? Selon quels critères précis les identifie-t-on ?•quels critères doit-on utiliser pour définir la part du volume à laquelle chaque ayant droit peut prétendre ?• comment révise-t-on la répartition de la res-source lors des années sèches, en amont ou pendant les situations de crise ?

Une analyse de quelques situations concrètes en France montre que des réponses très di-verses ont été apportées à ces trois questions, selon le contexte naturel, agricole, mais aussi historique de la gestion de l’eau.

Ce chapitre porte sur la définition de la clé de répartition du volume prélevable.

3.1 - Une grande diversité des pratiques en France

Page 28: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

Le choix des ayants droit

Les situations très différentes qui coexistent en France peuvent être classées selon un continuum entre trois cas types (Figure 3).

Dans le cas 1 , les acteurs consi-dèrent que la ressource en eau est un bien commun auquel chaque agriculteur doit pouvoir accéder s’il en a besoin. Elle ne peut donc pas faire l’objet d’appropriation indivi-duelle, ni même de droits acquis implicites. Le nombre d’agricul-teurs qui se partagent le volume autorisé est donc susceptible de varier chaque année. Il en résulte une certaine variabilité du vo-lume alloué à chaque agriculteur,

puisque chacun est appelé à res-treindre sa part pour satisfaire les demandes de nouveaux arrivants. L’avantage de ce système est qu’il permet l’installation de jeunes agriculteurs et un ajustement des stratégies d’exploitations en fonc-tion des fluctuations du marché. L’inconvénient est qu’il génère une incertitude sur la ressource dont chaque agriculteur pourra dis-poser à moyen et long terme, qui n’est pas compatible avec la pro-duction de cultures pérennes ou la réalisation d’investissements liées aux cultures irriguées. Ce type de logique est actuellement en œuvre dans le département de l’Aisne (intervention de Benoît Grugeon, Encadré 5).

Figure 3. Différentes approches concernant le choix des ayant-droit à l’utilisation du volume prélevable. Source : présentation de Jean-Daniel Rinaudo.

Redistribution annuelleselon projet et

nouveaux irrigants

Entrée immédiategrâce à effort collectif

Pérennitéinterannuelle si

utilisation

Filed’attente

Pérennitéinterannuelle même

sans utilisation

Achat de terreavec volume

Pérennité des volumes autorisés

Accès à l’eau pour les nouveaux entrants

Faible Fort

Facile Difficile

Ressourcecommune

Appropriationindividuelle

21 3

26

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Dans le département de l’Aisne, l’irrigation à partir des eaux souterraines s’est dé-veloppée à partir des années 1980, essentiellement pour la production de cultures légumières à très haute valeur ajoutée mais aussi pour les cultures céréalières. Des tensions sont apparues de manière récurrente à partir de la fin des années 1990, avec augmentation de la fréquence des arrêtés préfectoraux restreignant l’irrigation. En 2006, la profession s’est volontairement engagée dans la mise en place d’une gestion volumétrique, en étroit partenariat avec l’administration. Elle a notamment investi dans l’acquisition de connaissance et dans le développement d’un modèle hydrogéologique qui a permis de mieux estimer l’impact des points de prélèvements et d’affiner le calcul du volume prélevable.

Depuis 2006, l’allocation des volumes aux irrigants est réalisée chaque année selon la procédure suivante. Fin février – début mars, la chambre d’agriculture demande aux irri-gants de déclarer leur projet d’assolement (échelle parcellaire). La chambre calcule le volume alloué à chaque agriculteur en utilisant des valeurs forfaitaires de besoin en eau par culture et par hectare. Les besoins des cultures maraichères, considérées comme prioritaires, sont d’abord satisfaits avant de considérer les demandes pour les céréales et maïs. L’irrigation du mais n’est acceptée que sur les sols ayant une faible réserve utile (taux d’argile inférieur à 15 %). La réserve utile est estimée à partir d’une carte des sols au 1/10 000e. La chambre compile le résultat de ce calcul et le transmet à la direction dépar-tementale des territoires (DDT) pour approbation par le préfet (procédure mandataire). Les irrigants reçoivent ensuite leur autorisation individuelle. La procédure mise en place remet donc à plat chaque année le partage de l’eau et ne donne aucune importance à l’historique, à la différence de nombreuses autres régions de France.

Texte rédigé à partir de l’intervention de Benoît Grugeon, Chambre d’agriculture de l’Aisne

Encadré 5. L’allocation annuelle des volumes individuels en eau dans l’Aisne

27

Le cas 3 représente une situation diamétralement opposée dans laquelle les volumes attribués à chaque individu sont tacitement renouvelés chaque année, que le volume ait été effectivement utilisé ou non. La logique sous-jacente est celle de droits acquis sur la base d’une utilisation historique. Le vo-lume attribué à l’agriculteur devient de fait attaché au foncier, dont il augmente la valeur. Un nouvel arri-vant souhaitant disposer d’un vo-

lume d’eau devra alors acheter une terre bénéficiant d’un volume indi-viduel, le prix de celle-ci étant deux à trois fois supérieur à la même terre sans eau. On assiste dans ce type de situation à une appropria-tion individuelle de l’eau, voire à sa privatisation implicite (l’eau restant officiellement patrimoine commun de la Nation). Ce mode de ges-tion confère une grande sécurité aux ayants droits bénéficiant d’un droit d’eau historique, ce qui leur

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permet d’optimiser les investisse-ments (matériel, plantation). Ses principaux inconvénients sont de contraindre l’installation des jeunes agriculteurs (coût de l’accès à l’eau) et de ne pas nécessairement favoriser une utilisation efficace de l’eau. En effet, le volume attribué à une exploitation sur la base d’un historique peut être en total déca-lage avec la réalité technique et économique de cette exploitation dix ans plus tard, conduisant dans le cas extrême au gel de volumes d’eau non utilisés mais ne pouvant pas être réaffectés à d’autres agri-culteurs. Cette situation corres-pond dans les grandes lignes au mode de gestion en vigueur dans le département du Tarn-et-Garonne (intervention de Claude Chochon).

La situation 2 est intermédiaire. Les volumes attribués sont renou-velés tacitement dans la limite du prélèvement réalisé l’année précédente. Ainsi, un agriculteur qui n’utilise pas complétement le volume qu’il a demandé l’année N verra son attribution réduite d’au-tant l’année N+1. L’avantage de ce mode de gestion est de permettre la réallocation des volumes dor-mants à de nouveaux usagers (file d’attente) tout en garantissant aux usagers une certaine pérennité du volume qui leur est attribué. L’in-convénient est qu’il n’incite pas les agriculteurs à améliorer l’effi-cience de leurs pratiques d’irriga-

tion, toute économie d’eau risquant de se traduire par une réduction de leur volume. Cette situation type se retrouve par exemple dans le bas-sin du Clain (Vienne).

Les critères d’attribution

Les critères retenus pour défi-nir le volume dont peut bénéficier chaque ayant droit sont également variables d’un bassin à l’autre en France. Schématiquement, on peut répartir les approches en vigueur sur un axe opposant deux pôles : une répartition fondée sur une ana-lyse des besoins agronomiques et une répartition fondée sur l’activité historique de l’exploitation agricole (Figure 4).

La première approche (partie gauche de la Figure 4) consiste à répartir le volume en tenant compte des besoins réels des ayants droits. Chacun reçoit alors un volume cor-respondant aux besoins théoriques des cultures qu’il prévoit de plan-ter. Le calcul agronomique des be-soins en eau peut tenir compte des caractéristiques des sols, ce qui conduit par exemple à augmenter le volume par hectare pour les sols à faible réserve utile (cas 1 ). La clé de répartition du volume est alors vue comme un outil permettant de compenser les inégalités naturelles et de rétablir une certaine égalité des chances entre les ayants droit. En revanche, le calcul est basé sur

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29

l’hypothèse de pratiques d’irriga-tion efficientes, ce qui pénalise les agriculteurs peu performants et encourage les économies d’eau. Une version simplifiée de cette approche consiste à ne pas tenir compte des différences de sol, et à fonder le calcul de la réparti-tion sur un besoin agronomique moyen par type de culture (cas 2 ). Une simplification supplémentaire consiste à ne pas tenir compte de la différence de besoin des cultures et à attribuer l’eau en fonction du nombre d’hectares irrigués prévus pour la saison à venir (cas 3 ).

La seconde approche (partie droite de la Figure 4) consiste à fonder

la répartition du volume sur l’his-torique de l’irrigation dans chaque exploitation. Cette approche recon-nait implicitement que l’ancienneté de l’usage créé un droit. La pre-mière modalité de mise en œuvre de cette approche consiste à attribuer les volumes en fonction de l’histo-rique des surfaces irriguées, sans tenir compte des types de cultures (cas 4 ). Le volume peut aussi être attribué sur la base de l’historique de prélèvement d’eau (cas 5 ). Enfin, il peut être rendu proportion-nel au volume ou au débit autorisé au moment de la création de l’ou-vrage, ne tenant pas compte de l’usage effectif de l’eau au cours de la période récente (cas 6 ). Ces

Figure 4. Les critères d’attribution du volume aux ayants-droit. Source : adapté de la présentation de Jean-Daniel Rinaudo.

Assolementprévu et besoin

agronomiqueajusté selontype de sol

Assolementprévu et besoin

agronomiquemoyen

Surfaceirriguée

prévues etvolume

forfaitairepar hectare

Historiquedes

surfacesirriguées

Historiquedu volume

utilisé

Historiquedu débitautorisé

2 51 43 6

Besoinagronomique

Droits acquis(historique)

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variantes se retrouvent dans les pra-tiques de gestion observées dans différents départements français.

Prise en compte de la variabilité hydrologique

La troisième question, celle de la prise en compte de la variabilité de la res-source disponible, est également considérée de manière très différente selon le contexte local. La diversité des pratiques est ici aussi représentée graphiquement selon un axe opposant deux approches qui reposent soit sur la gestion de crise, soit sur une adap-tation par anticipation de la crise.

Dans la première approche (partie gauche de la Figure 5), les volumes

individuels sont attribués sans tenir compte de la ressource disponible en début de saison (cas 1 ). Le risque qu’une crise survienne en fin de saison est identifié, le ges-tionnaire le communique aux agri-culteurs qui restent libres d’ajuster leurs assolements. En cas de crise effective, le système de restriction et d’interdiction est mis en place, éventuellement assorti de déroga-tions visant à favoriser certaines cultures dont les semences, vergers et légumes (cas dans le bassin du Clain). À l’autre extrémité de l’axe, le gestionnaire décide d’ajuster chaque année le volume attribué aux agri-culteurs en tenant compte de la dis-ponibilité de la ressource en début de saison (cas 3 ). Lors du calcul

Figure 5. Prise en compte de la variabilité hydrologique. Source : adapté de la présenta-tion de Jean-Daniel Rinaudo.

Aucun lien entrevolume individuel

et état de la ressource

Volume réduiten période

d’alerte

Volume réduitpar anticipation

en début desaison

21 3

Gestionde crise

Gestionanticipée

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La DDT du Tarn-et-Garonne a développé, avec le BRGM, un outil de modélisation hydro-géologique, qui permet de réaliser de la gestion prévisionnelle. L’outil est utilisé, avant le début de la saison d’irrigation, pour simuler l’évolution de l’état de la nappe, en tenant compte de la recharge observée de la nappe et de scénarios climatiques prévisionnels pour le printemps à venir. Il permet de définir le volume pouvant être alloué aux irrigants avant le début de la saison. En cas de difficulté avérée au printemps (faible pluviométrie, forte évapotranspiration), le modèle est de nouveau utilisé pour recalculer le volume pré-levable qui est alors revu à la baisse. La situation de crise peut être gérée en réduisant les volumes individuels, ce qui confère plus de visibilité et de souplesse aux irrigants que la mise en œuvre de restrictions temporaires et d’interdiction. La principale difficulté rencon-trée est le manque d’acceptation de la démarche par la profession agricole. L’enjeu actuel consiste donc à favoriser l’appropriation par la profession agricole de la connaissance rela-tive à la ressource, au calcul des volumes et au processus d’ajustement annuel.

L’allocation du volume prélevable entre les agriculteurs répond à la logique suivante. La surface que chaque agriculteur peut irriguer est plafonnée au niveau de sa moyenne histo-rique sur une période de référence. Au sein de chaque secteur hydrogéologique (54 casiers en 2013), la DDT calcule un volume prélevable et le répartit entre les agriculteurs en fonc-tion de leur surface irriguée de référence. Le volume alloué par hectare diffère donc d’un casier à l’autre. Si un agriculteur souhaite temporairement réduire son prélèvement, ou ne pas irriguer du tout, il en informe la DDT qui répartit le volume ainsi libéré entre les autres agriculteurs situés dans le même casier, tout en garantissant à l’agriculteur qu’il pourra à nouveau consommer son volume de référence l’année suivante (procédure dite d’ajourne-ment). Une autorisation peut être réduite ou annulée si son bénéficiaire ne l’a pas utilisée ou ajournée pendant cinq années consécutives. Globalement, l’allocation initiale est figée, permettant aux usagers historiques détenteurs de capitaliser la valeur du volume d’eau dont ils disposent dans celle du foncier associé au point de prélèvement.

Texte rédigé à partir de l’intervention de Claude Chochon, chef du bureau Police de l’eau, DDT du Tarn et Garonne.

Encadré 6. La prise en compte de la recharge dans l’attribution des volumes prélevables

du volume de chaque agriculteur, il applique à chaque attribution indivi-duelle un coefficient réducteur uni-forme, reflétant la rareté relative de la ressource pour l’année en cours. Ainsi, en réduisant le volume attri-bué, le gestionnaire permet d’éviter

une situation de crise. Pour l’agricul-teur, la réduction du volume attribué est compensée par la suppression du risque de restriction en fin de sai-son. Une telle gestion anticipée est mise en œuvre dans le département du Tarn-et-Garonne (Encadré 6),

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dans le Cher au sein de l’OUGC Area Berry, ou encore dans la Beauce. Une solution intermédiaire (cas 2 ), mise en œuvre dans le bassin du Clain, consiste à réduire les volumes attribués en cours de saison lorsque la perspective d’une situation de crise se précise. Le volume annuel attribué en début de saison n’est pas modifié, mais le gestionnaire impose une contrainte supplémentaire, sous forme d’un volume hebdomadaire ne pouvant pas être dépassé.

Un espace de liberté pour les OUGC

Ce rapide panorama met en évi-dence la grande diversité des stratégies mises en œuvre par les acteurs français pour partager le volume prélevable dans les bas-sins déficitaires. Cette diversité s’explique par l’hétérogénéité des situations hydrologiques et agri-coles, du niveau de tension sur la ressource, mais aussi de l’histo-rique de la gestion de l’eau dans chaque bassin. Ainsi, lorsque des

volumes individuels ont été attri-bués depuis plusieurs années, avec tacite reconduction d’une année sur l’autre pour les ayants droits et rejet de toute nouvelle autorisation, un sentiment d’appropriation indi-viduelle des volumes d’eau peut se développer. Dans ces bassins, les agriculteurs risquent de perce-voir toute réduction de leur volume comme une expropriation.

La situation est fort différente dans les bassins où la mise en place d’une gestion volumétrique est relativement récente, et où la ten-sion pour l’accès à la ressource est modérée. Des scénarios très variés peuvent y être considérés, en s’ins-pirant de la diversité des approches mises en œuvre pour (i) identifier les ayants droits, (ii) définir les volumes attribués à chacun et (iii) tenir compte de l’incertitude clima-tique et hydrologique. Les OUGC disposent alors d’un grand espace de liberté pour construire une règle de répartition qui soit acceptée par le plus grand nombre.

La problématique de l’équité

La circulaire de 2008 demande aux OUGC de « répartir équitablement entre les différents irrigants une autorisation globale délivrée par

l’administration sur un bassin ». L’hy-pothèse est que la règle de répar-tition sera d’autant mieux acceptée et respectée par les acteurs concer-nés qu’elle est considérée comme juste et équitable. Mais comment

3.2 - Une question d’équité et de justice sociale

Page 35: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

Plusieurs conceptions de la justice peuvent coexister sur un même terrain, au sein d’une même société, chacune reposant sur l’un des principes généraux énoncés ci-dessous.

L’égalité stricte. Cette conception suppose que chaque individu doit recevoir le même niveau de biens matériels et de services ; en considérant que les hommes sont mora-lement égaux.

L’égalité des chances. Est juste ce qui permet d’égaliser les chances d’accès aux fonctions et aux positions sociales : une répartition inégale des ressources peut par-fois aider à accroitre le bien-être global d’une société, mais elle n’est acceptable qu’à condition que l’inégalité de traitement bénéficie aux plus défavorisés.

L’efficacité. Est juste une répartition qui permet d’améliorer la satisfaction des préfé-rences du plus grand nombre. La satisfaction des préférences peut être mesurée en termes d’utilité, de bien-être ou le bonheur.

L’antériorité d’usage (ou appropriation originelle). Un partage est juste s’il ne remet pas en cause la part des ressources que chacun a pu s’approprier légitimement dans le passé, si cela n’avait dégradé le bien-être de personne.

Le besoin. Une allocation est juste si elle procure les ressources de base nécessaires à la satisfaction des besoins essentiels des individus, dans le respect de leurs diffé-rences de situations.

Le mérite. Est juste une allocation qui repose sur une proportionnalité entre les mon-tants reçus et les actions réalisées. Le mérite peut être mesuré en termes de d’efforts consentis, ou selon les bénéfices pour la société.

Texte rédigé à partir de l’intervention de Patrice Garin, Irstea.

Encadré 7. Des conceptions multiples de la justice sociale

33

définir ce qu’est un partage juste et équitable ? La circulaire de 2008 ne propose d’ailleurs aucune défi-nition du principe d’équité. De fait, il n’existe pas de définition univer-selle du « juste » et de « l’équitable » mais une multiplicité d’acceptions de ces concepts, reflétant cha-cune des normes sociales et des

positionnements philosophiques et éthiques individuels (voir Encadré 7). Ces différentes conceptions du « du juste » ont été mises en évidence par plusieurs études analysant le fonctionnement des systèmes d’irri-gation collectifs, comme les ASA en France (Garin et Loubier, 2007). Cette absence de définition unique

Page 36: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

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du concept ne doit pas empêcher les OUGC de rechercher une clé de répartition qui soit perçue comme juste et équitable par les acteurs concernés, selon leurs propres cri-tères de jugement. Cette recherche d’une solution « juste et équitable » peut être éclairée par la présenta-tion de cas concrets et de scénarios contrastés. Les deux sections sui-vantes, qui résument la deuxième session du séminaire, contribuent à cette réflexion.

Des visions contrastées au sein du secteur agricole

Une enquête réalisée auprès d’un échantillon d’agriculteurs dans cinq départements français est présen-tée par Patrice Garin. Cette enquête a été mise en œuvre par le BRGM et Irstea dans le cadre d’un projet cofi-nancé par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (Moreau C. et al., 2015).. Neuf scénarios d’allo-cation de la ressource en eau ont été conçus et soumis à la critique d’exploitants agricoles. L’enquête met en évidence que les résultats varient fortement d’un terrain à l’autre. Deux scénarios font l’una-nimité de façon positive : l’alloca-tion différenciée selon le type de sol et l’allocation tenant compte de la possibilité d’accéder à diverses ressources en eau. Il y a donc une certaine validation du principe d’égalité des chances. Deux scéna-

rios sont peu acceptés : la mise aux enchères et l’allocation selon l’an-tériorité d’usage. Il s’agit de deux logiques anglo-saxonnes considé-rées comme étrangères au contexte social français.

Adapter les critères de répartition aux conditions locales

L’analyse des pratiques en vigueur (Encadré 5 et Encadré 6) ainsi que le résultat de l’enquête BRGM-Irs-tea confirment que la manière de définir ce qu’est un partage juste et équitable du volume prélevable sera inévitablement différente entre les régions, les systèmes de pro-duction, les individus. Il serait donc dangereux de vouloir imposer une règle de répartition unique pour tous les OUGC. Il semble au contraire préférable d’inviter les OUGC à considérer des scénarios contrastés susceptibles d’alimenter un débat contradictoire et, in fine, la concep-tion d’une règle négociée et accep-tée par le plus grand nombre. Il est également important que les OUGC puissent être accompagnés dans cette réflexion par les organisations agricoles et les pouvoirs publics qui pourraient apporter un éclairage sur la conformité juridique des solutions négociées.

Le document guide élaboré par le groupe de travail des chambres d’agri-

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35

culture est présenté par Lauriane Morel de la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône. Les princi-pales recommandations de ce groupe, concernant l’établissement de la clé de répartition, sont les suivantes :• concernant la procédure, il est re-commandé de spécifier clairement dans le règlement intérieur les moda-lités d’adoption ou de modification de la clé de répartition ;• les critères doivent être choisis par chaque OUGC, ils peuvent être basés sur l’historique des prélèvements, le type de sol, les cultures, les techniques d’irrigation ou une combinaison de plusieurs critères ;

• les OUGC doivent décider locale-ment si la clé inclut ou non les volumes d’eau issus de stockages artificiels ;• ils doivent également prévoir les cas de sous-consommation d’un volume individuel et les cas de dépassement individuel d’une année à l’autre ;• ils doivent proposer des règles ca-drant les modifications intra-annuelles (dans la limite de 10 % du volume total) et notamment en cas d’installa-tion d’un nouveau préleveur irrigant, de cessation d’activité d’un préleveur irrigant, de création d’un nouveau point de prélèvement, et en situation de crise.

Le choix d’une clé de répartition ne doit pas uniquement être analysé en termes de justice sociale mais aussi d’efficience économique. Ce point est illustré par Mathias Daubas de l’Agence de l’eau Adour-Garonne qui rend compte d’une étude économique réalisée par un groupement (Acteon, Arvalis, BRGM, CACG et Inra) sur ce thème. L’étude a notamment com-paré différents scénarios de répartition de la réduction du volume prélevable dans le bassin Garonne médiane. Le premier scénario consiste à réduire de manière uniforme le volume alloué à chaque exploitant agricole. Il conduit à une perte d’excédent brut d’exploi-

tation de 13 %. Le second scénario étudié consiste à privilégier les exploi-tations spécialisées dans les produc-tions à forte valeur ajoutée (cultures sous contrat, arboriculture) au détri-ment des exploitations céréalières et à ajuster les volumes alloués en fonction des besoins réels des exploitations (pas de prise en compte de l’histo-rique). L’étude montre que cette clé de répartition permettrait d’éviter toute baisse du niveau global d’excédent brut d’exploitation. Cet exemple met en évidence la dimension économique du choix d’une clé de répartition.

3.3 - La dimension économique de la clé de répartition

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Les participants soulignent que la clé de répartition doit tenir compte non seulement des dimensions sociale (équité) et économique (création de valeur), mais aussi de la dimension environnementale. La clé de répar-tition retenue ne doit pas conduire à une concentration des prélève-ments, notamment dans les milieux sensibles. Cet aspect doit être traité dans l’étude d’incidence que les OUGC doivent réaliser pour évaluer l’impact environnemental de la ré-

partition spatiale des prélèvements associés au plan de répartition.

La contrainte environnementale peut conduire à réduire de manière très si-gnificative le volume alloué à certains agriculteurs dont les points de pré-lèvement sont situés dans des sec-teurs sensibles. Cela pose la ques-tion de l’indemnisation des pertes associées aux contraintes qui leur sont imposées à l’issue de l’étude d’incidence.

Vu les intérêts économiques en jeu, le choix d’une clé de répartition du volume entre les irrigants est une décision susceptible de générer de nombreux conflits internes, voire des contentieux juridiques. Les disposi-tions prises par les OUGC devront répondre à trois grandes questions :• quels critères utiliser pour répartir la ressource en année « normale » du point de vue cl imatique et hydrologique ?• comment modifier la répartition initiale en année sèche lorsque les outils de gestion de crise seront ré-activés par l’État ?• Enfin, comment réaliser la réaf-fectation des volumes non utilisés par leurs bénéficiaires ou lors de la

cessation d’activité ? Comment per-mettre à de nouveaux entrant d’ob-tenir un volume d’irrigation ?

Les OUGC disposent d’une grande marge de manœuvre pour répondre à ces questions, ce qui représente à la fois un défi et une opportunité. Le défi est lié à la difficulté de mener à terme une négociation dont les enjeux économiques sont souvent considé-rables pour les acteurs concernés, le risque est d’opter pour un statu quo qui ne serait pas porteur d’une quel-conque vision du territoire. Mais cette grande marge de manœuvre dont dispose l’OUGC représente aussi une opportunité dans le sens où elle permet d’opter pour une clé de répar-

3.4 - La dimension environnementale

3.5 - Discussion

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tition compatible avec un projet de développement agricole, qui favorise l’installation des jeunes agriculteurs ou certaines filières importantes pour le territoire par exemple. La réparti-tion de l’eau pourrait alors devenir un levier de politique de développement agricole au lieu d’être simplement vécue comme une contrainte.

Les participants s’accordent sur le fait que le choix d’une clé de répartition doit être une occasion de repenser en profondeur les modèles dominants de développement agricole dans les bas-sins déficitaires. Il faut passer d’une logique de gestion de la contrainte hy-drique à une logique de construction de projet de territoire. Il s’agit de réo-rienter le développement économique du secteur agricole de manière com-patible avec une réduction du volume prélevable. Les leviers à mobiliser dans ce projet de territoire sont la création de ressources de substitution, la mise en place d’incitation à la désirrigation (MAET), l’aide à la réalisation d’éco-

nomies d’eau et le développement de nouvelles filières (cultures moins consommatrices en eau). Une telle réflexion doit impliquer le syndicalisme agricole et ne peut pas être discutée uniquement au sein de l’OUGC.

Une telle réorientation de l’agriculture vers un modèle moins dépendant de l’irrigation soulèvera nécessairement des réticences de la part des exploi-tants agricoles et des acteurs des filières. À l’échelle des exploitations, elle remet parfois en cause des droits considérés comme acquis par les bénéficiaires d’autorisation à irriguer. La réorientation de la production vers des cultures moins dépendantes de l’irrigation remet aussi en cause les savoir-faire techniques et l’organisa-tion des filières (coopératives). Si elle peut ouvrir de nouvelles opportuni-tés pour certains acteurs, elle sera source de pertes pour d’autres. Ce changement doit être accompagné (mise en place de conseillers par exemple) pour être effectif.

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Quels instruments mobiliser ?

La réflexion relative à l’établissement des OUGC peut aussi être enrichie par la réalisation d’exer-cices de prospective qui permettent d’analyser l’in-térêt et les limites d’outils innovants dont la mise en œuvre ne serait possible qu’à plus ou moins long terme. C’est dans cet esprit qu’a été organisée une session de trois groupes de travail parallèles. Les groupes ont été invités à réfléchir aux instruments pouvant être mis en place au sein de l’OUGC pour résoudre un double problème :• celui du respect par les agriculteurs du volume qui leur est individuellement alloué ;• et le besoin de flexibilité de l’allocation qui doit permettre aux agriculteurs de s’adapter dans un contexte de forte variabilité économique et climatique.

La réflexion proposée aux participants s’inscrit dans le long terme (2020-2035). Cet horizon temporel permet d’envisager quatre grandes évolutions de la gestion des volumes d’irriga-tion, hypothèses préalables à la mise en œuvre des instruments :

Ce chapitre porte sur les instruments pouvant être mis en œuvre par les organismes uniques de gestion collective (OUGC) pour garantir l’ap-plication de la clé de répartition.

4.1 - Une réflexion prospective

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• le renforcement des compétences de l’OUGC qui est transformé en organisme de répartition du volume d’Irrigation (ORVI) ; • une progression importante dans la connaissance du fonctionne-ment hydrogéologique et des pré-lèvements agricoles, permettant de définir scientifiquement un volume prélevable pour l’irrigation accepté par tous ;• une situation de tension sur la res-source en eau qui perdure ou qui s’accroît ;• une mise en place de la gestion collective des volumes d’irrigation, avec l’attribution pour dix ans à chaque irrigant d’un volume maxi-mum de référence et un ajuste-ment possible des volumes annuels effectivement alloués en fonction de l’état de la ressource en eau en début d’année.

Chaque groupe de travail a travaillé sur un instrument prospectif, pré-senté de manière narrative sous forme de coupures de presse da-tées des années 2020 à 2030. Ces articles sont accessibles sur la page site internet de l’Onema dédiée au séminaire.

Les trois instruments mis en discus-sion sont les suivants.

Bonus-malus

Les agriculteurs irrigants sont auto-risés à dépasser le volume d’eau qui leur a été attribué à condition de

payer une pénalité financière (malus) de 30 centimes pour un dépassement compris entre 110 % et 130 % de l’attribution initiale et de 60 centimes au-delà. La somme collectée est in-tégralement redistribuée (bonus) aux agriculteurs irrigants qui ont réalisé une économie d’eau supérieure de 10 % par rapport à leur attribution initiale. L’idée sous-jacente est de flexibiliser les attributions initiales, en pénalisant les dépassements de manière progressive (60 centimes étant considérés comme dissuasifs) et en récompensant les agriculteurs vertueux, tout en cherchant à ne pas dépasser le volume d’eau total alloué à l’agriculture

Contrat de solidarité

Un instrument contractuel permet aux agriculteurs qui le souhaitent de mutualiser leurs volumes de réfé-rence. Pour cela, ils peuvent signer un contrat les rendant collective-ment responsables du respect de l’ensemble des volumes qui leur ont été attribués. L’objectif est de créer plus de souplesse dans l’utilisation des volumes, tant globalement sur l’année que pendant les périodes de pointe. Ainsi, un agriculteur qui n’utiliserait pas intégralement son volume peut en faire profiter un membre de son groupe. Ces arran-gements peuvent être conjoncturels pour faire face à des situations im-prévues ou être planifiés dès le dé-but de campagne. Les agriculteurs ayant signé un contrat de solidarité

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doivent payer une pénalité (malus) majorée en cas de dépassement de la somme des volumes autori-sés. Ils bénéficient parallèlement d’une cotisation à l’ORVI minorée, mécanisme conçu pour les inciter à prendre part volontairement à ce type de démarche. Enfin, tous les agriculteurs membres d’un groupe peuvent visualiser sur le site internet de l’ORVI les relevés des compteurs de leurs partenaires signataires du contrat.

Quotas d’eau échangeables

Ce scénario suppose que les agri-culteurs irrigants sont autorisés à échanger (acheter ou vendre) des

volumes d’eau le temps d’une sai-son d’irrigation. Les échanges ne sont autorisés qu’entre agricul-teurs détenteurs d’une autorisation de prélèvement et appartenant au même secteur hydrogéologique. Les échanges doivent avoir lieu au début de la saison d’irrigation. Concrètement, les échanges sont négociés en bilatéral entre deux irri-gants, qui passent par le site inter-net de l’ORVI pour déposer leurs annonces d’achat ou de vente. Les transactions sont vérifiées, validées et enregistrées par l’ORVI. Les infor-mations sur les transactions sont rendues accessibles à l’ensemble des membres de l’ORVI.

Au sein de chaque groupe de travail, le débat sur l’instrument de gestion proposé s’est organisé autour des six questions suivantes :• quelle acceptabilité de l’instrument ?• quelle est son efficacité ?• quelle faisabilité technique de la mise en place d’un tel instrument ?• quels sont les effets indésirables ?• quelles améliorations peut-on en attendre?• quelle pertinence selon les territoires ?

Les discussions ont fait émerger quelques constats partagés et plusieurs sujets de controverses.

Des règles de répartition justes et acceptées

Concernant les constats, les parti-cipants aux groupes de travail s’ac-cordent sur le fait que la définition d’une règle de répartition acceptée et perçue comme socialement juste est un préalable à toute discussion relative à des instruments visant à faire respecter cette allocation, tout en créant de la flexibilité dans l’al-location. Il est en particulier essen-tiel que cette répartition initiale ne génère pas de rentes de situation, fondées sur des droits acquis, qui

4.2 - Des points de vue contrastés au sein des groupes de travail

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puissent être considérées comme illégitimes, et qui donneraient nais-sance à des effets d’aubaine avec la mise en place des instruments (par exemple le bonus-malus).

Des incitations économiques potentiellement efficaces

Il y a également consensus sur le fait que l’introduction d’incitations économiques est susceptible de modifier les décisions individuelles, à condition qu’elles soient conçues de manière appropriée. Les agriculteurs utiliseront les outils mis à leur dis-position, qu’il s’agisse du système de bonus-malus, ou du système de droits d’eau échangeables.

Concernant les sujets de controverse, trois sujets principaux émergent.

Faut-il introduire des incita-tions financières dans la gestion de l’eau d’irrigation ?

L’introduction d’incitations financières dans les mécanismes de gestion de l’eau cristallise des réactions contra-dictoires autour de deux principaux positionnements philosophiques et éthiques. Le premier considère que seules les incitations financières sont de nature à faire évoluer les com-portements. Le second craint que l’émergence de logiques financières ne conduise à une modification en profondeur de l’allocation de l’eau au

sein des territoires, entre les filières et les types d’exploitations agricoles, mettant en péril les équilibres établis en termes d’aménagement du terri-toire, de poids relatifs des filières et de solidarité professionnelle, d’équilibres sociaux entre différents groupes agri-coles, et conduisant à terme à l’émer-gence de nouveaux conflits.

L’hypothèse d’information quasi parfaite et partagée entre les irrigants est-elle plausible et acceptable socialement ?

Une partie des participants consi-dèrent que la diffusion rapide des compteurs à télé-relève dans diffé-rents secteurs (eau, électricité, gaz) rend très plausible l’hypothèse de transparence sur les prélèvements. Par ailleurs, la transparence est de nature à augmenter le coût social des comportements déviants et donc réduire leur fréquence d’occurrence. C’est donc un mécanisme vertueux qu’il faut promouvoir.

Un avis opposé est exprimé par d’autres participants. Rendre pu-bliques les données sur les prélève-ments se heurtera au cadre régle-mentaire (informatique et liberté). La transparence sera probablement source de conflits. Elle risque de stig-matiser des agriculteurs accusés de fraude alors qu’ils auront dépassé leur volume suite à un accident technique

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ou climatique. Enfin, la transparence risque de favoriser le développe-ment d’une mentalité de surveillance mutuelle jugée incompatible avec les valeurs de la société (big brother is watching you).

Les OUGC pourront-ils mettre en œuvre de manière opérationnelle les instruments proposés ?

Les avis divergent quant à la pos-sibilité pour les OUGC de déployer de manière opérationnelle les instruments proposés. De nom-breuses contraintes sont identi-fiées et considérées comme des obstacles rédhibitoires par certains participants :• les coûts associés à leur mise en œuvre risquent de dépasser les moyens financiers des OUGC, si ceux-ci ne sont financés qu’à partir des redevances de leurs usagers. De plus, il n’est pas évident que les bénéfices associés soient à la hau-teur de ces coûts ;• les OUGC étant à peine établis en 2014, il est difficile de se prononcer quant à leur capacité d’acquérir les compétences nécessaires pour mettre en œuvre les instruments à l’horizon temporel considéré. De plus, le fonctionnement des OUGC étant d’ores et déjà perçu par de nombreux exploitants comme très compliqué, il est à craindre que ceux-ci refusent des mécanismes

qu’ils jugeront trop complexes (« usine à gaz ») ;• les OUGC sont généralement très réticents à s’engager dans la mise en place de sanctions, quelle qu’en soit la nature. Or, cette hypothèse est centrale à tous les instruments présentés ;• plus généralement, l’acceptation des instruments par les exploitants agricoles suppose une évolution très significative des mentalités, notamment l’acceptation de la ra-reté de la ressource et la nécessité d’optimiser collectivement son allo-cation (quels que soient les critères retenus). Cette évolution n’est pas considérée comme acquise, même à moyen terme, par les participants les plus pessimistes.

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D’une logique de gestion de volume à celle de projet

de territoire ?

Les représentants de l’État rappellent la logique sous-jacente au projet de territoire. Jusqu’à ré-cemment, l’approche proposée par l’État pour rétablir un équilibre quantitatif dans les bassins déficitaires consistait à mettre en œuvre une succession de solutions techniques, avec une approche « crantée » : d’abord les économies d’eau ; ensuite une réflexion sur la conduite des assolements dans l’exploitation ; jusqu’à la dernière solution consistant à mobiliser de nou-velles ressources via la construction d’infras-tructures de stockage ou de transfert.

Le concept de projet de territoire a été proposé par le député Martin (Martin, 2013) sur la base des contrats de territoires mis en place dans le bassin Loire-Bretagne (quatre contrats signés en date du séminaire). Ce concept a fait l’objet de discussions au sein du Comité national de l’eau fin 2014 et d’une instruction du gouvernement en juin 2015. La dernière table ronde du sémi-naire fait le point sur cette approche, en croisant les regards de l’État et de la profession agricole.

5.1 - Qu’est-ce qu’un projet de territoire ?

Page 48: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

La logique de projet de territoire se substitue à cette approche. Elle suppose la mobilisation simultanée de ces différents leviers, de manière intégrée et équilibrée. Son objectif n’est plus simplement d’assurer la gestion équilibrée des ressources en eau, mais d’inscrire l’agriculture dans le cadre d’une triple perfor-mance économique, environne-mentale et sociale. En élargissant ainsi le champ de la réflexion, elle vise à assurer une cohérence entre la politique de l’eau et la politique agricole, à l’échelle des différentes filières. Cette recherche de cohé-rence appelle à intégrer les diffé-rents leviers d’action agissant sur l’offre mais aussi sur la demande en eau d’irrigation. Concernant l’offre, l’État peut subventionner la création de ressources de subs-titution, les aides étant cadrées par les nouveaux programmes de développement ruraux (article 46). Concernant la demande, il s’agit de modifier les cultures en place,

moderniser les systèmes d’irriga-tion, améliorer les pratiques via des programmes de formation. Des ins-truments financiers sont également disponibles à l’instar des subven-tions pour le matériel d’irrigation et les mesures agro-environnemen-tales territoriales (MAET).

Concrètement, le projet de terri-toire se traduit par un contrat qui formalise les engagements des dif-férentes parties. La démarche est un prérequis à l’obtention de cer-tains fonds publics notamment les subventions des agences de l’eau pour la construction de retenues de substitution.

Le projet de territoire doit émaner d’une démarche collective et repré-senter plus que la simple somme de projets individuels. L’ambition est d’impliquer le plus possible d’ac-teurs du territoire, au moins dans la phase de diagnostic.

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5.2 - Articulation du projet de territoire avec les démarches existantes

Pour les représentants de l’État, le projet de territoire doit être élaboré en lien étroit avec les démarches de planification existantes, dont les Schéma d’aménagement et de ges-tion des eaux (SAGE) ou les plans de gestion des étiages (bassin Adour Garonne). Cette intégration doit per-mettre de favoriser la concertation en amont de la réalisation des pro-jets (notamment de retenues) et de réduire le risque de recours juridique lors de leur mise en œuvre. Par ail-leurs, la recherche de cohérence et de complémentarité entre ces outils de planification est essentielle pour que les acteurs comprennent bien le rôle de chaque instrument, et qu’ils n’aient pas l’impression d’un empi-lement inutile de démarches admi-nistratives redondantes.

Les représentants de la profes-sion agricole mettent en garde contre plusieurs risques. Le premier consiste à associer trop d’acteurs à l’élaboration du projet de territoire dont l’ambition principale demeure de trouver des solutions pour le maintien d’une agriculture irriguée à forte valeur ajoutée. Il serait contre-productif d’associer trop d’acteurs, dont certains seront ultérieurement capables d’engager des recours ju-ridique contre les retenues de subs-titution prévues dans le projet. L’État

précise sa vision sur ce point : ne doivent être associés à la démarche que les acteurs qui prennent des engagements, tant en matière de ré-duction de l’irrigation, construction d’infrastructure mais aussi de modi-fications de pratiques agricoles. Le projet peut ainsi porter à la fois sur la dimension quantitative et qualita-tive de la gestion de l’eau au sein du territoire.

Le second risque identifié par la profession est que le contrat soit trop prescriptif. Pour la profession agricole, le projet de territoire doit cadrer les conditions de réalisation et de gestion des retenues colli-naires, sans définir trop précisé-ment les orientations du dévelop-pement agricole pour les années à venir. Compte tenu des incertitudes économiques et climatiques, il est essentiel que l’agriculture puisse s’adapter, dans le respect de la li-berté d’entreprendre des exploitants agricoles.

Pour l’Onema, l’un des principaux enjeux est d’intégrer la préservation des milieux aquatiques dans les ré-flexions menées dans le cadre des projets de territoire. L’approche ter-ritoriale peut par exemple être une opportunité pour mettre en place une gestion concertée des retenues

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de substitution lorsque celles-ci sont nombreuses sur un territoire. Les modalités de gestion de ces retenues pourraient être définies en tenant compte des impacts cumulés lors du remplissage par exemple. Un étalement planifié du remplis-

sage des différentes retenues devra être prévu. Cette gestion collective des retenues doit être réfléchie dès la conception du projet de territoire, en concertation avec les acteurs concernés au sein du SAGE ou du PGE.

Pour certains représentants de la profession, l’agriculture souffre de l’instabilité de la politique de l’eau. La relation de confiance entre l’État et la profession a été ébranlée par le moratoire sur les retenues de substitution de 2012, énoncé à peine un an après que l’État et la profession eurent signé un protocole d’accord qui plaçait les retenues au centre de la stra-tégie d’adaptation.

Lors de la définition des volumes prélevables, le secteur agricole a été considéré comme non-prioritaire par rapport aux autres usages. De ce fait, l’effort de réduction des prélè-vements demandé à l’agriculture est perçu comme colossal dans de nom-breuses régions, parfois de l’ordre de 50 à 70 %. La profession a relevé le défi en acceptant d’investir dans des retenues de substitution, qui repré-sentent un investissement à long terme et une prise de risque éco-nomique importante pour de nom-breuses exploitations.

Pour la profession agricole, le pro-jet de territoire peut apporter de la sécurité à long terme en formali-sant les engagements de l’État. Il doit aussi permettre de réduire le risque de recours juridiques contre les retenues, puisque les acteurs du territoire ont été associés. En cas de contentieux, l’existence d’un contrat devrait aussi jouer en faveur du monde agricole lors de l’analyse du dossier par le juge.

5.3 - Un besoin de garanties de la profession agricole

Conclusion

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Conclusion

Lors de ce séminaire, la qualité du dialogue et l’intensité des échanges, l’alter-nance d’exposés, table ronde et travail en groupe se sont avérées très produc-tives. Les témoignages venant de l’étranger, présentant des contextes sociaux, économiques et techniques décalés et ont permis de prendre du recul sur les problèmes nationaux, sur les solutions considérées ou non comme pertinentes.

Concernant la problématique de gestion collective des ressources en eau, plusieurs conclusions sont proposées : • le séminaire a permis de constater un intérêt partagé des différentes parties prenantes pour la gestion collective, qui permet d’aborder les problèmes par anticipation ;• la nécessité d’articuler les nouvelles démarches issues de la Lema (OUGC, projets de territoires) avec les démarches de planification existantes (SDAGE, SAGE, SCOT, PGE) a été soulignée. Il est impératif d’éviter que les acteurs aient l’impression d’un empilement inutile de démarches administratives redondantes ;• les discussions ont confirmé l’importance de réfléchir à des approches innovantes, tant dans le domaine technique (assolement, organisation des filières) que dans celui de la concertation, des institutions et des instruments économiques de gestion de l’eau ;• enfin, il y a consensus sur la nécessité d’éviter de prescrire des solutions universelles, et sur le besoin d’adapter les solutions aux spécificités du terrain.

Concernant les apports de la science aux démarches opérationnelles, le sémi-naire a confirmé l’intérêt des éclairages que peuvent apporter les sciences humaines et sociales. L’étude relative à la perception de la justice sociale pré-sentée lors du séminaire montre que cette contribution peut être directement opérationnelle.

D’autres sujets plus techniques devront faire l’objet d’études ou de recherches en appui aux décisions : l’analyse des impacts cumulés des retenues de substitution en fait partie. Il s’agit de sujets complexes, dont l’analyse peut être perçue comme lourde, car nécessitant de mobiliser de multiples don-nées et modèles. On ne peut pourtant pas faire l’économie de ces analyses complexes pour prendre des décisions conduisant à des solutions durables, répondant au besoin de stabilité exprimé par la profession agricole.

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Références bibliographiques

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FIGUREAU Anne-Gaëlle, MONTGINOUL Marielle et RINAUDO Jean-Daniel (2014) Scénarios de régulation décentralisée des prélèvements agricole en eau souterraine : évaluation participative dans le bassin du Clain. Economie Rurale n°. 342. pp 27-44.

FIGUREAU Anne-Gaëlle, MONTGINOUL Marielle et RINAUDO Jean-Daniel (2012). Gestion quantitative de l’eau d’irrigation en France : Bilan de l’application de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006. Rapport BRGM/RP-61626-FR. 50 p. Accessible sur: http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-61626-FR.pdf

GARIN, Patrice ; LOUBIER, Sébastien ; CAMPARDON, Myriam (2013). Irrigation individuelle – irrigation collective: état des lieux et contraintes, Revue SET, no. 11, p. 86-89. Disponible sur: http://www.set-revue.fr/irrigation-individuelle-irrigation-collective-État-des-lieux-et-contraintes

GARIN P et LOUBIER S (2007) Des associations d’irrigants se réforment en façonnat ce qu’elles trouvent juste et équitable. Ingénieries N°. 49, pp. 27-38.

LOUBIER, Sébastien ; CAMPARDON, Myriam ; MORARDET, Sylvie (2013). L’irrigation diminue-t-elle en France ? Premiers enseignements du recensement agricole de 2010. Revue SET, no. 11, p. 12-19. Disponible sur: http://www.set-revue.fr/l-irrigation-diminue-t-elle-en-france-premiers-enseignements-du-recense-ment-agricole-de-2010 (consulté le 13/10/2014).

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MOREAU C, GARIN P et RINAUDO J-D (2015). La justice sociale dans la construction du jugement d’acceptabilité : analyse de la perception de différentes règles de partage de l’eau souterraine par les agriculteurs. Economie Rurale.

RINAUDO J-D, MOREAU C et GARIN P (à paraître 2016) Social justice and groundwater allocation : a French case study. In : Jakeman A., Barreteau O., Hunt, R, Rinaudo J-D and Ross A. Integrated groundwater management. Springer.

WATER CAP & TRADE. (2014) Final project report. Disponible sur: http://www.iwrm-net.eu/sites/default/files/Final %20report %20Vfinal.pdf

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RédactionJean-Daniel Rinaudo (BRGM)

Cécile Hérivaux (BRGM)

EditionVéronique Barre (Onema, Dast)

RemerciementsBénédicte Augeard et Julien Gauthey pour leur participation

à l’organisation du séminaire et la relecture détaillée de ce document.

Les auteurs remercient l’ensemble des intervenants, les animateurs et rapporteurs des ateliers ainsi que les participants pour leur contribution au débat de cette journée. En effet, ce document a été rédigé à partir du contenu

des interventions orales et des supports de présentation utilisés par les participants.

Les auteurs remercient aussi les personnes ayant contribué à l’organisation du séminaire. L’atelier de l’après-midi a été préparé et réalisé avec le concours

d’Anne-Gaëlle Figureau, Marine Grémont, Cécile Hérivaux et Marielle Montginoul. Il s’est appuyé sur des travaux antérieurs réalisés par le BRGM et Irstea dans le cadre du projet de recherche européen Water Cap & Trade, également financé

par l’Onema dans le cadre du programme Era Net IWRM.

Les auteurs restent responsables de toutes les erreurs et omissions éventuellement présentes dans ce texte.

Page 54: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

La collection « Les rencontres-synthèse », destinée à un public technique ou intéressé, présente les principaux résultats de séminaires organisés,

ou co-organisés, par l’Onema.

Changement climatique :impacts sur les milieux aquatiques et conséquences

pour la gestion (février et août 2010)

Les mésocosmes : des outils pour les gestionnairesde la qualité des milieux aquatiques ? (mars 2011)

Quel(s) rôle(s) pour les instruments économiquedans la gestion des ressources en eau en Europe ?

Enjeux politiques et questions de recherche (juin 2011)

Captages d’eau potable et pollutions diffuses : quelles réponses opérationnelles à l’heure

des aires d’alimentation de captage «grenelle» ? (août 2011)

Plan de sauvegarde de l’anguille. Quelles solutions pour optimiser la conception

et la gestion des ouvrages (novembre 2012)

Mise en oeuvre de la directive cadre sur l’eau. Quand les services écosystémiques entrent en jeu (février 2013)

Bioindication :des outils pour évaluer l’état écologique des milieux aquatiques (avril 2013)

Biodiversité aquatique : du diagnostic à la restauration (septembre 2013)

Les invasions d’écrevisses exotiques.Impacts écologiques et pistes pour la gestion (octobre 2013)

La contamination chimique des milieux aquatiquesOutils et méthodes pour le diagnostic et l’action (mars 2014)

La bioindication en outre-merSituation et perspectives dans le contexte de la directive cadre sur l’eau (janvier 2016)

Récifs coralliens et herbiers des outre-merRéflexions autour du développement d’outils de bioindication

pour la directive cadre sur l’eau (août 2016)

Quels instruments pour une gestion collective des prélèvements individuels en eau pour l’irrigation ? (août 2016)

Contact : [email protected]/collection-les-rencontres-synthèses 52

Page 55: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

ISBN : 979-10-91047-56-2

Design : Bluelife (09 66 82 33 55)

Imprimé sur papier issu de forêts gérées durablement par : IME byEstimprim

Août 2016IMPRIMÉ EN FRANCE

10-31-1093

Certifié PEFCpefc-france.org

Page 56: QUELS INSTRUMENTS POUR UNE GESTION COLLECTIVE DES

Quels instrumentspour une gestion collective

des prélèvements individuels en eau pour l’irrigation ?

Jean-Daniel Rinaudo et Cécile Hérivaux

Synthèse de l’atelierdu 10 février 2014

Paris

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Photo de couverture © M. Bramard - Onema