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Raymond Lindon est né à Paris le 26 décembre 1901. Inscrit au barreau de Paris, en 1924, il fut « Secrétaire de la Conférence » en 1927-1928, et demeura avocat jusqu'à la guerre 1939-1945. A la Libération, il fut nommé Substitut du Procureur général près la Cour d'Appel de Paris, et exerça ces fonctions, puis celles d'Avocat général, successivement à la Cour de Justice, aux Assises de la Seine, à la première chambre de la Cour d'Appel de Paris, à la Chambre sociale puis à la première chambre civile de la Cour de cassation. Il a occupé le siège du Ministère public dans d'importantes affaires de ces quinze dernières années : Henri Béraud, Jean Luchaire, le commis- saire David, Pauline Dubuisson, Mme Che- vallier, la Bibliothèque polonaise, le roman « Au bon beurre », le film « Paris- Canaille ».

Raymond Lindon a déjà publié un premier recueil de vingt récits-souve- nirs A quoi t iennent les choses (voir le 2e rabat), et Le livre de l'ama- t eur de fromages, ouvrage illustré d'images choisies par Jacques Ostier : « Quels sont les fromages de France ? Quand, comment, avec quels vins les déguster ? »

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QUAND LA JUSTICE S'EN MÊLE

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D U M Ê M E A U T E U R

chez le même éditeur :

LE LIVRE DE L'AMATEUR DE FROMAGES

A QUOI TIENNENT LES CHOSES, récits.

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RAYMOND LINDON

QUAND LA JUSTICE S'EN MÊLE

récits

ROBERT LAFFONT

6, place Saint-Sulpice, 6 PARIS-VI

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Si v o u s d é s i r e z ê t r e t e n u a u c o u r a n t d e s p u b l i c a t i o n s d e l ' é d i t e u r d e ce t o u v r a g e , i l v o u s s u f f i t d ' a d r e s s e r v o t r e c a r t e d e v i s i t e a u x E d i t i o n s R o b e r t L a f f o n t , S e r v i c e « B u l l e t i n » , 6, p l a c e S a i n t - S u l p i c e , P a r i s - V I V o u s r e c e v r e z r é g u l i è r e m e n t , et s a n s a u c u n e n g a g e m e n t d e v o t r e p a r t , l e u r b u l l e t i n i l l u s t r é , o ù , c h a q u e m o i s , se t r o u v e n t p r é s e n t é e s t o u t e s l e s n o u - v e a u t é s — r o m a n s f r a n ç a i s et é t r a n g e r s , d o c u m e n t s et r é c i t s d ' h i s t o i r e , r é c i t s d e v o y a g e , b i o g r a p h i e s , e s s a i s — q u e v o u s t r o u v e r e z c h e z v o t r e l i b r a i r e .

© R o b e r t Laffont , 1 9 6 5

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AVANT-PROPOS

D ANS un précédent recueil, A quoi tiennent les choses, j'avais rassemblé divers récits judi-

ciaires qui montraient à quel point dans l'œuvre de justice comme ailleurs, le grain de sable du hasard ou de la providence peut changer la desti- née d'un accusé ou le sort d'un procès. C'est là l'enseignement de toute activité judiciaire.

Est-ce à dire, comme certains pourraient être tentés de le croire, que toutes les affaires dont s'occupent magistrats et avocats ont ce caractère de roman ? Assurément non ; de telles histoires, si curieuses, si étonnantes qu'elles soient, ne sont nullement la règle ; au contraire, pour une aven- ture de ce genre, il y a cent procès normaux, classiques, où le déroulement des faits et de la procédure, comme la décision finale, ne sont en rien le fait de la coïncidence ou de la fatalité.

Cependant, à côté du contingent exceptionnel

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des affaires marquées du signe du destin, il y en a un autre non moins exceptionnel et surtout non moins remarquable, celui des situations dans les- quelles le jeu des circonstances et des réactions humaines paraît devoir tenir en échec la loi, et, à tout le moins, surprendre ou mettre à rude épreuve ses serviteurs.

Tantôt, c'est un conflit de principes inconciliables dont les codes n'avaient pas envisagé le heurt.

Tantôt, c'est, par suite de circonstances impré- visibles, l'apparente nécessité d'appliquer une règle de droit dans un cas où elle doit jouer théorique- ment mais pour laquelle, pratiquement, elle n'est pas du tout faite.

Tantôt, c'est la complexité des choses qui conduit à un imbroglio où il faudra sacrifier sait le droit, soit la morale, soit le bon sens.

Tantôt, c'est l'usage trop ingénieux de la lettre de la loi qui oblige un adversaire ou souvent des juges à trouver un moyen de faire triompher son esprit ; ou, parallèlement, le bon droit qui ne satis- fait aux exigences légales qu'en recourant à la malice.

Tantôt encore, c'est la bonne foi qui, d'elle-même, se fait ruineuse, l'amour de l'ordre qui se fait revendication indécente ou le conformisme qui, inconsciemment, se fait subversif.

Ces problèmes de famille ou d'affaires pour les- quels ils n'y a pas, apparemment, de solution satis- faisante, se dénouent cependant par une décision de justice ou un arrangement.

Dans ce dernier cas, généralement, la, solution est inspirée, sur les conseils de professionnels du droit,

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par la perspective du jugement possible ou pro- bable.

Dans l'un et l'autre cas, le résultat sera souvent inattendu, souvent curieux et ne pourra jamais être sans quelque défaut, selon qu'on le considère du point de vue de la loi ou de celui de l'équité.

Il en va nécessairement ainsi — dans ces sortes d'affaires, j'y insiste — quand, de près ou de loin, la justice s'en mêle.

Etant observé, du reste, que le dénouement est bien moins recommandable encore, quand elle ne s'en mêle pas.

La justice, dans le domaine pénal, a une ombre, plus redoutée qu'elle-même, d'ailleurs, tant par les malfaiteurs que par beaucoup d'honnêtes gens : la police. E t on ne saurait imaginer à quelles habi- letés peut conduire, chez d'aucuns, la résolution de l'emporter sur elle et à quelles maladresses ou imprudences peut mener, chez d'autres, l'anxiété d'échapper à ses indiscrétions.

Ce sont de telles histoires que je raconte ici.

Les unes me viennent d'avocats, anciens confrères, ou de collègues magistrat s qui, me rencontrant au palais après la parution de mon premier recueil, me disaient : « Très amusants, vos contes. Ils m'ont fait penser à une affaire que j'ai eu à plaider (ou à juger) et qui n'était pas banale non plus... »

D'autres, et c'est le plus grand nombre, sont tirées des milliers de dossiers dont j'ai eu à connaît re.

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Enfin, il en est dont la substance m'a été fournie par la lecture régulière des recueils de jurispru- dence dans lesquels, de temps à autre, on relève des espèces où la situation de fait et de droit sort vraiment de l'ordinaire.

C'est dire que, comme dans A quoi tiennent les choses, elles sont, avec les transpositions et les arrangements nécessaires, à base de vérité.

Pa r exemple Y'a pas de justice ou le testament dicté est, dans l'essentiel, une affaire que j'ai vécue.

La dame de pique est né de l'amusement que me procure une compétence un peu particulière dans une matière qu'on pourrait appeler le droit funé- raire.

Orphelin de deux pères m'a été inspiré par un procès réel. A telle enseigne que les extraits d'arrêt que j 'y cite sont reproduits d'une décision qui a paru dans les journaux judiciaires.

D'une façon générale, qu'on veuille bien tenir pour assuré que, souvent, les détails les plus incroyables sont les plus authentiques.

J'entends bien que le lecteur, au bout du livre, sera peut-être enclin à penser qu'en définitive je donne de la justice un tableau peu encourageant, et qu'au fond, Thémis mérite bien sa réputation de boi- teuse.

C'est cette impression qu'en achevant mon avant- propos, je voudrais dissiper.

Encore une fois, mes récits ne sont que des singu- larités choisies ait milieu de milliers d'affaires

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dans lesquelles T h émis put sans difficulté rendre ou inspirer une sentence équitable et raisonnable.

Au demeurant, même quand elle se trouve devant des problèmes spécialement difficiles et que, faute de pouvoir, et cause de la loi, rendre une justice parfaite, elle fait pour le mieux, elle le fait avec une conscience admirable.

Je dirai ailleurs et plus tard ce qu'on peut penser de la justice en France. Mais aujourd'hui, en tout cas, j'ai voulu, dans L'enfant sur-naturel, tracer un croquis de cette partie du travail des magistrats que le grand public ne soupçonne même pas : le délibéré. Quand les débats sont clos et que le tribunal ou la cour doit prendre une décision, une discussion s'instaure, c'est le délibéré, dans un secret absolu et qui n'est pratiquement jamais violé. On ne peut imaginer avec quel sérieux, avec quel souci d'approfondissement, tous les aspects du pro- cès sont examinés, et si les avis au départ ne sont pas concordants, avec quelle force de conviction, quelle fougue parfois, les opinions s'affrontent. Saisis d'un litige dont les parties leur sont naturel- lement tout à fait inconnues, les magistrats sou- tiennent leur thèse avec autant de sérénité et d'objectivité dans le fond que de vivacité, de puissance verbale dans le forme jusqu'à ce que les uns convainquent les autres, qu'une solution de conciliation soit trouvée ou que la majorité l'ent- porte. E t que dire du désintéressement, de l'absence totale d'amertume avec lesquels il leur arrive de se prononcer sur des intérêts représentant par exemple dix fois ce qu'ils gagneront dans toute leur carrière.

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C'est une des grandeurs de la justice humaine qu'elle se sait imparfaite, qu'elle connaît ses défauts et qu'elle ne les cache pas. Ceux-ci, s'ils justifient les sarcasmes, ne doivent pas faire oublier qu'en France, en tout cas, et dans l'ensemble, la Répu- blique peut être fière d'une magistrature dont la place dans la nation demeure cependant inférieure à ce qu'elle devrait être.

J 'a i écrit ce livre à la fois pour essayer d'amuser et en m'amusant. Mais si je me moque un peu de la justice, je sais que, dans une proportion très élevée pour une institution humaine, son œuvre lui fait honneur.

E t l'opinion le sait bien aussi. Les railleries dont elle est l'objet ne sont-elles pas le meilleur signe qu'au fond, on la respecte ?

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Y'A PAS DE JUSTICE

C ELA se passait aux alentours des

années 1950. Déjà à cette époque, Paris au 15 août ressemblait à ces coloquintes séchées qui, sous le même volume et la même apparence, sont vidées de leur sub- stance. Mme Sourdeterre en faisait cruel- lement l'épreuve.

Cette vieille dame vivait seule dans un logement de cinq pièces, rue Lecourbe, au cœur du X V arrondissement. De bourgeoi- sie aisée — son père, Félix Dissert avait été agent immobilier — veuve depuis long- temps d'un négociant qui, après avoir fait une coquette fortune en Auvergne, était venu l'arrondir à Paris, ses revenus la mettaient largement à l'abri du besoin.

Mais, si paisible qu'elle fût, son existence

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n'en était pas moins triste. Mme Sourde- terre n'avait plus beaucoup d'amies ; son esprit n'était occupé ni par la piété, ni par les œuvres de charité, ni par aucun goût pour les arts ou les voyages ; la lecture était son principal passe-temps, abandonné quel- quefois pour les ouvrages de tricot. Mais quelquefois seulement, car pour qui pouvait- elle tricoter ? C'était là le secret de sa soli- tude et de sa tristesse : Mme Sourdeterre n'avait même plus les affections de famille.

Elle avait eu deux frères. Le plus jeune, Rémy, était son préféré. Né près de douze ans après elle, elle l'avait choyé dans sa jeunesse comme son propre enfant. E t plus tard, quand Rémy fut devenu un homme et qu'il apparut avec certitude à Mme Sourde- terre qu'en dépit de ses ardents désirs, elle n'aurait jamais d'enfant, elle institua son jeune frère son légataire universel. Même, préfigurant avec joie, et alors qu'il ne son- geait cependant pas à se marier, le jour où elle aurait pour ses petits-neveux toutes les tendresses d'une grand-mère, elle stipula dans son testament, selon une formule sug- gérée par le notaire de famille à Riom, qu'au cas où Rémy mourrait avant elle-même, ce seraient les descendants de celui-ci qui béné- ficieraient du legs. Hélas, Rémy était mort à quarante ans, sans s'être jamais marié.

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L ' a u t r e frère, Achille, étai t son aîné. Mais, de longue date, elle étai t brouillée avec lui. Le souvenir de ses taquiner ies quand elle sor ta i t de l 'enfance, peut-être, et en tout cas les mani fes ta t ions de jalousie don t il ava i t été auss i prodigue que sa femme à l ' égard de la réussi te de Sourde t e r r e ava ien t long- temps teinté leurs re la t ions d 'a igreur . E t au moment du règlement de la succession des p a r e n t s Disser t , les appé t i t s d'Achille, ses insolences et, p o u r finir, ses procès avaient about i à une de ces haines de

famille qui défient le t emps et l 'éloignement. C'est ainsi que, fau te d 'affections et d 'ami-

tiés, Mme Sourde t e r r e ava i t f a i t une la rge place dans sa vie à Mme Clapisson qui, dans le même immeuble, t ena i t au rez-de-chaussée une boutique de laine à t r icoter . P a s s a n t chez elle de longs moments, sous le moindre pré- texte, elle la recevai t à son t o u r f réquem- men t le soir, et ava i t fa i t d'elle sa compa- gne et sa confidente.

Malgré la différence d 'âge — la commer- çante avai t t r en te ans de moins — les deux femmes s 'entendaient à merveille. L a mar -

chande de laine, p o u r l ' appe le r comme on le fa i sa i t dans le voisinage, vivai t elle-même assez seule ; elle adora i t les pe t i t s pot ins du quar t ie r , et se fa i sa i t une joie supplémen- ta i re de les r épe rcu te r à ses clientes (du res te

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avec un luxe de pataquès qui lui avait fait une pittoresque renommée). De son côté, Mme Sourdeterre n'avait pas sa pareille pour flairer les événements de famille, fian- çailles, naissances, divorces, et souvent savait, bien avant qu'ils fussent survenus, les prophétiser. De là venait que, loin de se dérober aux visites et aux invitations de la dame du quatrième, Mme Clapisson y répon- dait avec sympathie.

Une sympathie qui s'accompagnait — ne diminuons pas son mérite — d'un réel dévouement. Ainsi, quand la bonne de Mme Sourdeterre prenait son congé payé, c'était Mme Clapisson qui faisait les courses de son amie, trop âgée et trop casanière pour quitter jamais son Paris, sa rue Lecourbe et son quatrième étage.

L'été où se passa l'affaire dont voici le récit, ce concours se révéla particulièrement précieux.

Depuis quelque temps, la santé de Mme Sourdeterre lui donnait des alarmes. Le médecin consulté discerna un mal préoc- cupant mais n'en dit rien à sa cliente et se borna à lui prescrire, avec beaucoup de repos, quelques médications qui firent à Mme Sour- deterre, comme le disait son amie, la mar- chande de laine, l'effet d' « un scooter sur une jambe de bois ». Les choses traînèrent

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jusqu'au milieu de juillet, date à laquelle le médecin parti t en vacances, en laissant le nom de son remplaçant. Vers le 5 août, ce fut au tour de la bonne de s'en aller pas- ser comme d'habitude, deux semaines chez ses parents. Or, brusquement, l 'état de Mme Sourdeterre empira. Le jeune rempla- çant, appelé en hâte, n'inspira confiance ni à la malade ni à son amie qui, ayant prati- quement fermé boutique, ne quittait plus son chevet. « Vous devriez, lui dit-elle, faire venir un autre docteur dont la boulangère m'a parlé ; c'est un nommé Oppat. » (Elle n'avait jamais entendu parler de médecine homéopathique.) Mais le prétendument nommé Opatt était aussi en vacances. On ne savait que faire.

Mme Sourdeterre qui se sentait décliner rapidement, pensa alors tout autant qu'à sa santé, à ses affaires. Son vieux testament de Riom était maintenant sans portée et si elle n'y pourvoyait, toute sa fortune allait passer à son frère Achille et à sa belle- sœur maudite.

La vieille dame résolut de faire un nouveau testament. Mais c'était présumer de sa vigueur. Quand Mme Clapisson eut apporté sur son lit papier, plume et encre, jamais elle ne put venir à bout de la première ligne.

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La pensée demeurait lucide ; le corps était envahi par une insurmontable lassitude.

— Eh bien, murmura Mme Sourdeterre, faites venir mon notaire : c'est M Garim- prez, rue des Petits-Champs.

Ceci se passait le 14 août. Ne vous avisez pas de mourir un tel jour à Paris. Vous seriez bien en peine de trouver quelqu'un pour recueillir vos derniers soupirs et vos der- nières volontés. De fait, le notaire était à La Baule. Son remplaçant ne put être atteint au téléphone. Bref, inquiète et désemparée, Mme Clapisson rentra rue Lecourbe sans notaire et sans espoir d'en avoir un avant le 16 août.

Mme Sourdeterre prit conscience de la situation avec terreur. L'idée que son frère allait hériter lui était une torture. Au sur- plus, elle voulait récompenser Mme Clapis- son de son dévouement et lui donner une marque d'amitié.

— Il n'y a qu'une chose à faire, dit-elle. Asseyez-vous et écrivez comme si c'était moi qui l'écrivais, mon testament.

Il y eut d'abord une certaine résistance de la part de la marchande de laine car Mme Sourdeterre voulait faire d'elle sa léga- taire universelle.

— Vous n'y pensez pas, disait-elle. Toute votre fortune. Mais on croira que je ne vous

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ai soignée que pour cela. On parlera de « castration d'héritage ».

Elle ne consentit à se prêter au projet de Mme Sourdeterre que si le legs accom- pagnant l'obligation pour elle de se charger des obsèques était limité à cinq cent mille francs. Pour le surplus, le testament déshé- ritait formellement Achille et désignait comme légataires universelles à parts égales, les villes de Riom et d'Aigueperse, dont M. Sourdeterre et sa femme étaient respec- tivement originaires.

Ayant tout bien écrit et recopié, Mme Cla- pisson data et signa Louise Sourdeterre. De telle sorte que c'est l'âme sereine que Louise Sourdeterre mourut le lendemain.

E t le surlendemain Mme Clapisson porta le testament chez le notaire.

L'enterrement eut lieu dans l'intimité du quartier. Mme Clapisson n'avait eu garde d'aviser Achille et les deux couronnes de dahlias qui accompagnèrent Mme Sourde- terre à sa dernière demeure portaient comme inscriptions « Son amie » et « Les locataires du 19, rue Lecourbe. » Quelques lettres de faire-part furent envoyées après la cérémo- nie aux personnes, parents éloignés ou rela- tions de jadis, dont les noms n'avaient pas été barrés dans le livre d'adresses.

Les vacances achevées, le notaire se mit

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à l'œuvre. Il écrivit aux maires de Riom et d'Aigueperse pour leur annoncer la bonne nouvelle. E t il commença les opérations d'in- ventaire.

Sur ces entrefaites, il reçut la visite d'Achille qui, informé fortuitement de l'évé- nement par une vague cousine, venait mani- fester l'inquiétude de sa voracité. Le notaire lui lut le testament et il repartit, déconfit et amer.

Mais la perte de cette fortune convoitée depuis longtemps le rongea. Il ne tarda pas à se convaincre qu'il fallait essayer par tous les moyens de faire annuler ces dispo- sitions qui le déshéritaient.

E t il retourna chez le notaire, demandant à voir le testament. Il le lut et le relut, sans reconnaître dans l'écriture celle d'une autre personne que sa soeur ; et, de fait, il y avait plus de vingt ans qu'ils n'avaient corres- pondu. Mais quelque chose l'intrigua : Aigue- perse était écrit Aigueperce. Comment Louise Sourdeterre s'était-elle ainsi trompée sur l 'orthographe de sa ville natale ?

D'un autre côté, qui pouvait avoir eu intérêt à faire un faux ? Les maires de Riom et d'Aigueperse échappaient d'évidence à toute suspicion. E t quant à Mme Clapisson, ce n'était pas, pour une bagatelle de cinq cent mille francs sur une fortune de près

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de vingt-cinq millions de francs, qu'elle aurait forgé un testament.

La vague cousine envoyée chez Mme Cla- pisson pour essayer de se renseigner ne rapporta que quelques perles médicales. A l'entendre, on ne pouvait dire si la vieille dame était morte de « grippe affectueuse » ou de « coliques frénétiques ».

Une chose était certaine cependant, le tes- tament ne pouvait être de la main de Louise Sourdeterre. Achille déposa une plainte contre inconnu. Le juge d'instruction ne fut pas long à découvrir une vérité que Mme Cla- pisson ne chercha pas un seul instant à dis- simuler. Pour elle, le testament que Mme Sourdeterre lui avait dicté reflétait exactement sa pensée. E t elle ne voyait pas le mal qu'il y aurait eu à écrire la vérité. Surtout que le notaire n'avait pu se déplacer et qu'elle-même n'avait agi que par dévoue- ment, sans s'intéresser aucunement à ces cinq cent mille francs qu'on lui avait mis en quelque sorte de force dans la main.

Sauf Achille qui savourait à l'avance la joie de pouvoir saisir bientôt les millions un instant envolés, tout le monde était ennuyé. Bien entendu, les gens de Riom et d'Aigueperse qui avaient déjà rêvé les uns d'un parc d'enfants, les autres de l'aména- gement d'un foyer communal ; et aussi le

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A propos de A QUOI TIENNENT LES CHOSES ?

P i e r r e D e s g r a u p e s é c r i v a i t :

« Raymond Lindon ne s'est pas con- tenté de conter, comme cela a été fait maintes fois, quelques-uns de ses sou- venirs de Cour d'assises ; il les a, en quelque sorte, transposés dans une dimen- sion littéraire assez inédite en France, que les Anglais, à qui elle est plus fami- lière, appellent la « legal story », l'his- toire judiciaire. Le fond du récit, le caractère et les agissements des person- nages sont ceux d'une histoire vraie ; l'art du conteur consiste seulement — par un éclairage ou un artifice d'affabu- lation — à donner à cette histoire vraie cette perfection de l'objet romanesque qu'on ne trouve que rarement et fortui- tement dans la vie et qui fait que les romans, lorsqu'ils sont réussis, nous donnent l'impression d'être la vie en plus vrai. Chacune des vingt histoires vraies que nous raconte ainsi Raymond Lindon semble porter avec elle une sorte de moralité dérisoire qui n'était pas immédiatement perceptible, en son temps, dans le fait divers qu'elle raconte, et qui vient, en partie, de ce qu'y ajoute sans doute, comme dans un regard, la personnalité du récitant. Ce qui fait que le principal personnage du livre est peut-être l'avocat général Raymond Lindon, qui écrit, en tête de la première page : « La justice des hommes est assurément imparfaite... ».

(Lectures pour tous)

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R A Y M O N D L INDON

QUAND LA JUSTICE S'EN MÊLE

Affaires d'Assises, de tribunaux ordinaires, de Conseils de prud'- h o m m e s ; problèmes extraordi- naires posés, sur le terrain légal, par des aventures quotidiennes — histoires d'enfants naturels, de fausses reconnaissances, de testa- ments cassés ou ingénieux, d'escro- querie, de billets de loterie, d'en- nuis avec la police — ; solutions inattendues ou amusantes que leur donna ou qu'inspira la Justice... composent la matière des vingt nouveaux récits que, pour notre plaisir, nous confie ici l'avocat général Lindon.

On y verra combien la tâche de la Justice est délicate et quel équi- libre elle exige entre la morale, le bon sens et la loi. On y goûtera surtout l 'humour et la verve d'un

homme qui ne s'étonne plus de rien et, qu i t t ée la gravité du pré- toire, sourit de beaucoup de choses.