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Rebel bikers T1 - Eklablogekladata.com/Hm-qUGmH3lp2R3Tu8DXPzcAENHs.pdf · en arrière, dévale l’escalier dénué de rambarde et atterris violemment sur le carrelage froid. Je pousse

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  • StéphanieJean-Louis

    REBELBIKERSTome1

    Illustration:Néro

    PubliédanslaCollectionVénusDark,

    DirigéeparElsaC.

  • ©EvidenceEditions2017

  • Chapitre1:Nouvellevie

    L’immensemaisonquimeregardeestbâtiesurdeuxétages.Toutautour,ilyalarouteprincipale,desarbresetquelqueshabitationspar-cipar-là.Sefondredanslanaturen’ajamaisautantprissonsensqu’àcetinstantprécis.Delaverdureetdesmontagnesàpertedevue.

    —Alorscommenttutrouveslecoin,Chloé?medemandemonpère.

    Jemedétournedelamaisonetleregardedéchargerlavoiture.

    —Est-cequ’ilyadesvoisinsaumoins?dis-jesuspicieuse.

    —Oui,répond-il.Ilssontunpeucachés,maisilyenaenfacedecheznousetdanslesalentours.Çaal’airisolé,maisçanel’estpas.

    Jehochelatête,peuconvaincue,etj’entendsencore:

    —Bon,ilvafalloirretaperquelquespiècesàl’intérieur,mais...pourleprix,çavalaitlecoup, fais-moiconfiance.

    Oh,ouais, j’aimeraisnepasm’inquiéter etpouvoir le croire.Seulementmavied’avantmemanquedéjà.Oùsontlesmagasins,lescentrescommerciaux,lecinéma ?Lavraievie,quoi !Jelèvelatêteverslecielgrisé. J’espèrequeçan’annoncepas lacouleurdes joursàvenir.Quelle journée !Aprèsavoirnettoyé notre anciennemaison, débroussaillé notre jardin et vidé notre garage, nous avons roulé deuxheuressansinterruption.Toutcelapournousretrouverdanscettepetitebanlieuetrèsreculée.Unendroitisolédurestedelaterre,voilàcequimevientàl'esprit.

    —Jesais,çaparaîtrustique,maislavillesesitueàcinqminutesenvoiture.Alors,çaira !

    Jefroncelessourcilsfaceàl’enthousiasmedeJamesEvans,monpère.Cethommedequaranteetunans est tout ce qu’il me reste. Enfin, pas vraiment. Il y a aussi Tyler, mon frère, quelque part sur laplanète,maisoù?Personnenesait.Aprèslamortdemamanilyadeuxmois,iladécrétéavoirbesoindes’aérerl’esprit.Tylermeressemble.Têtu,borné,etquanduneidéeémergedanssatête,impossibledeluifaireentendreraison.Cen’estpasàvingt-deuxansqu’ilchangera.Monpèren’apastenurigueurdesavolonté de partir. Tous les deux, ils ne s’entendent pas très bien.Depuis le décès demamère, c’estencorepire.AlorsnousvoiciàemménagerdanscettepetitevilledesÉtats-Unis,enCarolineduNord,parcetempsmaussade.

  • J’aidemongéniteuràemportertousnosbagagesdansnotrenouvelledemeure.Lesdéménageursyontdéjàinstallétoutlemobilierdontnousauronsbesoin.Aprèsavoirgravilestroismarchesduperrondelaterrasseenbois,jesuismonpèreàl’intérieurdelamaison.OK.Quelquesendroitsàretaperc’estpeudire.Jelèvelesyeuxauciel.

    —Chérie,mets-yunpeudutien.Regardeavecunevued’ensemble.Jen’aiqu’àrefairelacuisine,uncoupdepeinturedans le salon, réparer la portequi donne sur le jardin.Ah, aussi rajouter une ramped’escalieretposerunefenêtredansmachambreàl’étage.Misàpartça,c’estcool,non ?

    Jelanceuncoupd’œilàmonpèreetnepeuxm’empêcherdem’esclaffer:

    —C’estcool ?Tuasvraimentparlécommeça ?

    Il rit avec moi, passe un bras autour de mes épaules et m’embrasse sur la tempe. Tous les deuxcontemplons le vaste salon face à nous, la cuisine se situant sur notre droite. Oui, avec un peud’imaginationetquelquescoupsdepinceaupar-cipar-là,ceseracool.Direque lavie a changépournousdujouraulendemain,c’estinsensé.Moncœurseserreàl’idéedeplongerdansl’inconnu.

    —Mapuceçavaaller,déclaremonpèrecommes’ilsentaitmoninquiétude.Etvuquenousavonsmistoutesnoséconomiesdansl’achatdecebarenville...

    —Aveclesbénéfices,onpourracontinueràretaperlamaison,lecoupé-je.

    Jel’entendsrépéterlamêmechosedepuisunmoismaintenant.Aprèsladisparitiondemaman,ilaétéune épave avant que ce projet de déménager n’émerge de son esprit. Il avait besoin de quitter sonanciennevie,delaisserderrièreluitouslessouvenirsquinousraccrochaientàelle.Çan’apasétéfacile,maisnousvoilàici.

    Ilsembleheureux.Pourlui,toutcelaestsynonymed’unnouveaudépart.Fairefaceàladouleur,allerdel’avant,etc.Lesoutenirenrestantàsescôtésestlameilleuredessolutions.J’aimemonpèreplusquetoutetlesavoirseulaprèslamortdemamèremefendaitlecœur.

    Deuxmoissanselle,c’esttroptôtpournousquitter,luietmoi.Nousavonsencorebesoindesunsdesautres.Visiblement,cen’estpasl’avisdemonfrèreTyler,maistantpis,nousferonsavec.Jelaissemonpères’affairerdanslacuisinetandisquejemonteàl'étageenportantdeuxvalises.Soudain,manquantdevisibilité,jerateunemarcheettrébuche.Malheureusement,jem’emmêledansundemesbagages,chuteenarrière,dévalel’escalierdénuéderambardeetatterrisviolemmentsurlecarrelagefroid.Jepousseuncri,leslarmesmenacent,maisjerésisteàl’enviedepleurer.Dececôté-là,j’aidéjàdonné.Alertéparmaplainte,ettoutleboucan,monpèreseprécipiteversmoi.Ilposeungenouàterre.

    —Ehmerde !Chloé,tuvoispasouquoi ?

    Jeserrelesdents.Unedouleurvivesefaitsentirdansmonpoignetgauche.Merde—injurepréférée

  • delafamilleEvans—jesuistombéedessus.Ilfautdirequejemesuismalréceptionnée.

    —Jesouffre,là.Tupourraism’engueulerplustard,s’ilteplaît ?

    Àboutdesouffle,jedésigneàmonpèreoùsesitueladouleur.Ancienmédecinmilitaire,ilm’informequenousdevonsalleràl’hôpital.

    —Parcequ’ilyenaun,ici ?dis-jed’unevoixblanche.

    Ilnerépondrien,secontentedesoupirer,prendresonsacàdosetdirectionlavoiture.Là,ilm’aideàmonteràl’intérieur,puisserendcôtéconducteur.Àcemêmemoment,desbruitsdeklaxonsretentissentautourdenous.Monpèren’apas le tempsdes’installerqu’unebandedemotardsvient segarer justedevantcheznous.

  • Chapitre2:Bienvenue

    Jeserrelesdents,carj’aivraimentmal.Maisqueveulentcesgensàlafin ?Monpèresemblediscuteraveceux,jesouffleetdonneuncoupdeklaxon.Ilsdoiventêtreaumoinsunedizainesurleursmotosàselajouergrosdurs.Saufquemoi,monpoignetmelance,alorspourquoiperd-ondutemps,bonsang ?

    J’aieubeauklaxonner,personnen’abronché.Àboutdenerfs,jesorsdelavoitureetm’arrêtedevantla bande de motards. Ils m’observent tous. Mon géniteur, sur ma droite discute avec l’un d’eux, jesupposequec’estlechefdugroupe.Sesyeuxsombresregardentmonpèreavecméfiance.Grand,mince,tatouédanslecou,unbandanarougerecouvrantsescheveux.Ilporteunebarbepoivreetseldeplusieursjours.Les traitsde sonvisage sontmarqués, et il doit avoir laquarantaine, tout commemonpère.Enprime,lapanopliedupetitmotardl’accompagne.Jeans,boots,etvesteencuir.Monregardbifurqueverslesautresquiontl’aird’avoirsonâge,saufdeuxd’entreeux.Beaucoupplusjeunes,entraindediscuteràl’écart.Une fille et ungarçon, sûrementdumêmeâgequemoi.Sansdoute à la facultéoudans lavieactive,maispaslycéens.

    —Papa,peut-onyallermaintenant ?

    J’aicarrémentcoupélaparoleàl’hommequiestentraindes’adresseràmonpèreetjemesensrougirquandsesyeuxnoirsmefixent.Jereprendsaussitôt:

    —Pardon,c’estque...

    —C’estvotrefille ?demandelechefdesmotardsd’unevoixtrèsgraveenmecoupantlaparoleàsontour.

    Monpèremeregarde,froncelessourcilspuissetourneversl’homme:

    —Oui.Commejevousdisais,nousvenonsàpeinedeposernosvalises.Mais,jedoisl’emmeneràl’hôpital,alors...

    Ilneterminepassaphraseetmefaitsignedegrimperdanslacamionnette.Jem’empressedelesuivre.Unefoisinstallésildémarre,toujourssouslesregardscurieuxdecesinconnus.C’estquoileurproblème,pourquoinousobservent-ilstousainsi ?

    —Ilsvoulaientnoussouhaiterlabienvenue,lâchesoudainmonpère.

    Enpassantdevanteux,leplusjeunedetous—celuiquiparleaveclafille—braquesesyeuxnoirs

  • versmoiet,aprèsavoirremissoncasque,m’adresseunsublimedoigtd’honneur.Nous,bienvenue?Passisûre.

    ***

    C’estdoncavecunbandageetlebrasenécharpepourmaintenirmonpoignetgauchequejerangemesaffairesdansmachambre, troisheuresplus tard.Danscettepetiteville, ila falluattendreuneéternitéavant que je ne sois reçue enurgence. Finalement, quelqu’un a eu pitié demoi et j’ai été examinée.Toujoursencolèreausujetdemachute,jeregardeparlafenêtre.J’aperçoisunlacauloinetj’yimaginelabeautédesrefletsdusoleildéclinant. Il faudraitallervoirçadeplusprèsbientôt.Un toursurmoi-mêmepourcontemplerladécorationdemachambre.Bon,cen’estpasnonplusleluxe,maisilyaunlitgigantesque, un bureau, et un énorme dressing.Dès demain, une nouvelle couleur sur lesmurs blancsdevraitfairel’affaire.Dumoinsjel’espère,carjesouhaiteraisvraimentmesentirchezmoiici.

    Desbruitsdepasm’indiquentquemonpèremontelesescaliers.Jezieutedonclaporteetilapparaît,sonairtoujoursgrincheuxaffichésursonvisage.

    —Papa !Cen’estpastafaute,c’estmoiquisuismaladroite !

    —Etsiçaavaitétépire,hein ?Tuauraispu...tombersurlatête,perdreconnaissance,oujenesaispas...

    Jemeruedanssesbras,cequil’empêchedeterminersaphrase.Jeposemonvisagecontresontorseetinspiresonodeur.Ellem’atoujoursrassuréedepuispetite.Doucement,jemurmure:

    —Tunevaspasmeperdre.Mamannousaquittés,Tyleraprislafuite...Maispasmoi.Jamais.

    J’ail’impressionqu’ilacesséderespireralorsjemedégagedesonétreinte.Ilmefixe,laboucheàdemi ouverte, le regard voilé. Aussi clairs que les miens, ses yeux marron me troublent. On y voitpresqueàtravers.J’aihéritéçadelui,cequimevauttoujoursdejoliscompliments.

    —Tuasdéjàfaittellementpourmoi,Chloé.Sijeteperdais...

    —Non,papa.Jeviensdeteledire.Jamais.D’ailleurs,jet’accompagnecesoir.

    Monpèresembleretrouvertoutesacontenanceetécarquillelesyeux.

    —Aubar ?Pasquestion,jeunefille.Repose-toi.

    —Hey,çaira !Monbrasenécharpenem’empêcherapasdet’aider.

    Ilsoupireetpasseunemaindansmescheveuxbruns.

    —Chloé,jesaisqu’onvatravaillertouslesdeuxlà-bas,mais...

    —Maisriendutout.Jet’accompagne,pointfinal.OK,capitaine ?

  • Ilsourit.Çal’amusetoujourslorsquejeprendsunairautoritaire.

    —Oui,soldat.Enattendant,viensmanger,mademoisellelarebelle.

    ***

    Lebarquenousavonsachetésesitueaucentre-villedeBurlington,àvingtminutesenvoituredecheznous.Nonàcinq,commel’aindiquémonpère.D’aprèscequ’ilditaussi,icitoutlemondeseconnaît,cequejen’appréciepasdutout.Çasignifieenréalitéquetousparlentsurledosdesunsetdesautres.Ilsfont croire qu’ils sont une grande famille pourmieux se tirer dans les pattes ensuite. L’être humain atoujoursfonctionnéainsi.Mêlantenvie,crainte,jalousieetcolèreàsafaçond’être.

    Avec notre arrivée, nous allons certainement attirer tous les regards. Rien que les motards tout àl’heureavaientl’aireffrayants.Jesaisdequoijeparle.Quelquetempsavantderencontrermonpère,mamèreLénaaconnuuntypequis’appelaitSkyle.Ehbien...Waouh,cemecinspiraitlapeurettouslesdeuxfaisaientpartied’ungangdemotards.Oui,ilsappartenaientàlamêmefamille,lesAngelofTheRoad.

    Bienquemonpère ait toujours vouluqueLénane s’étendepas sur le sujet, elle a commencé àmeraconterdeshistoiresquandj’aieuquinzeans.Laviequ’ellemenait,lescombinespastrèsnettesdanslesquellesSkyleetsabandeétaientfourrés.Moi,avecmonimaginationd’adolescente,jenepensaisquemoto.Évidemmentseulemamèreconnaissaitmonengouement,mongéniteurs’ilsavait,frôleraitlacrisecardiaque.Alorsquandcesmotardssontvenusnoussouhaiterlabienvenue,iln’ariendit,maisjesaisquesoncœuradûsecomprimerdanssapoitrine.Parcequecespersonnesn’ontpaslaisséàmamèrelachance de s’en sortir.Apparemment on ne quitte pas sa famille sur un coup de tête sans en subir lesconséquences.Pasdansleurmondeentoutcas.

    Je respire profondément, tentant de ne pas penser à mon irrésistible envie de m’amouracher d’unmotard.Cetuniversquimefascine,dangereux,rebelle,attirant.Mamèreenaétévictime.Cependantj’aiapprisdeserreursdecettedernièreet jamais,ôgrand jamais, jenemelaisserais tenter.Deplus,monpèren’accepteraitcertainementpasdemevoirsortiraveccegenredetypes.

    Lachargedetravailimportantenenousfreinepasdansnotrevolonté.C’estuneopportunitéqu’asaisiemonpère.D’abordmédecinmilitairepoursereconvertirenpatrondeclubsprivéspourdesmilliardaires—attentiondesendroitsselectetnonoléolé—àlamortdemamèreilatoutinvestidansnotrenouvellemaisonetdanscebar, rachetéégalementpourunebouchéedepain.LeSeventee’s lui appartient.Monpère a toujours aimé l’univers de la nuit, alors à quarante ans passé et veuf, tout plaquer pour venirs’installerdansunepetitevilletranquilleluiaparulameilleurealternative.

    Àlanuittombée,leslettresenrougeduSeventee’sresplendissentsurlafaçadedubâtiment.Nousnousgarons sur le parking en terre, et je sors de la voiture. Le gravier craquelle sous mes boots noirs.L’ouvertureestprévuedansuneheure,mais ilyadeuxvéhiculesgarésetoh...unemoto.Jevoismon

  • pèregrimacerpuisnousrentronsàl’intérieurdubar.Pourmapart,j’aiseulementaperçudesphotosdel’endroit et je l’appréciais déjà. C'est donc en toute logique que le monde des motards et de la nuitm'attirent.

    À peine franchissons-nous la porte que j’en reste éblouie. Juchée sur deux étages la salle paraîtimmense.Surmagauche, lecomptoir tout enbois verni formeunedemi-lune s’étendant sur je ne saiscombiendemètres,oùderrièresontdisposésdestonnesdebouteillesd’alcool,deverres,etdepaquetsdecigarettes.Lalumièreesttamiséedansuneteinterougeviolacéquirévèletoutlecharmedubar.Enfacedemoi,destableset,plusaufond,uneénormepistededanse.Soudain, trois individussortentdel’ombreetavancentversnous.Parmieux,jereconnaisceluiàlamoto,quinousasouhaitélabienvenuedevantnotremaison,cetaprès-midi.Monradarsemetenmarche.Lui,jeneleporteraispasdansmoncœur.Undeshommesserrelamaindemonpèrequisetourneversmoi:

    —Chloé,jeteprésenteBill.L’ancienpropriétairedubar.

    —Bonsoir,jeunefille.

    JesalueBilld’unbrefsignedetête.Ungrandblond,vêtud’unechemiseainsiqued’unpantalonnoir.Sesyeuxbleuazursontassortisàsavestedecostume,cequiaccentuesoncharme.

    —VoiciRaymond,répliqueàsontourBill,endésignantlemotard.

    —Ray,corrigecedernier.Nousnoussommesdéjàrencontréstoutàl’heure.

    Monpèreplisselesyeuxetserrelamâchoire:

    —En effet.Ce lieum’appartient désormais.Ceux quime respectent et respectentma fille sont lesbienvenus. Sinon, la sortie se trouve par ici, assène-t-il d’une voix calme, mais autoritaire tout enmontrantl’entréedubar.

    Je le reconnais bien là, ne se laissant pas intimider par qui que ce soit. Commemoi, il a senti lamenacequereprésentaitcefameuxRay.Detoutemanière,étantunmotard,cethommen’aaucunechancedefigurersur la listedesamisdemonpère.Par rapportaupassédemamère, la familleà laquelle ilappartientcondamnedéjàRay.

    — Hum, reprend Bill, mal à l’aise. Euh... James, pour finir, voici Ayden. Il est le barman quitravailleraavecvotrefillesijenemetrompepas ?

    —C’estexact,réponds-jeaussitôt.SalutAyden.

    Jeluitendslamain,illaserre.

    —Salut,ravidebosseravectoi.

    Ilme sourit et jette un regard versmon père qui le scrute intensément. Je donne un coup de coude

  • discretàcedernierquisembleretrouversesesprits.

    —Ouais, salut fiston, déclare-t-il en donnant une tape sur l’épaule d’Ayden. Concentre-toi sur tonboulotetonn’auraaucunproblèmetouslesdeux.

    Je fulmineà l’intérieur.Évidemment il n’apaspu s’empêcherde jouer lespapaspoules.Aydenmeregarde, comprenant bien l’allusion demon père et hoche la tête. Je hausse les épaules comme pourm’excuseretilsourit.

    —Pourquoivotrefillenesertpasensalle?C’estlaplaced’unhommed’êtrederrièrelecomptoiràservirdel’alcool.

    ÉtonnéefaceàlaremarquedeRay,jeserrelespoings.Est-cequej’aibienentendu ?Nousrestonsunmomentàl’observerpuisjeparlelapremière.

    —Pardon ?Etpuisquoi,encore ?Jevous...

    Monpèremestopped’unmouvementdelamainsurmonbras.Surprise,nosregardssecroisent.Sansdétachersesyeuxdesmiens,ildécrète:

    —Tiens,Ayden.Situmontraisàmafillecommentvafonctionnerlebar,s’ilteplaît! 

    Mon paternel jette un œil vers Ayden. D'un signe de la tête ce dernier me demande de le suivre.Raymond etmoi nous toisons puis je rejoinsAyden.Bill propose àmon père et au chef du gang desmotardsd’allerdiscuterplusloin.Enpassantderrièrelecomptoir, jefroncelessourcils.Raymondmesortdéjàparlesyeux.Jenel’appréciepas,ilsepermetd’agircommesinousvivionsplusieurssièclesenarrière.J’hallucine desaremarque.Oùsesituemaplaceneleregardeabsolumentpas.

    —Bahtoialors...Quelcaractère !

    JemetourneversAydenetprendsletempsdel’analyser.Grand,châtainclair,tatouécommecen’estpaspermisavecunpiercingàl’arcade.OK,j’aiintérêtàcalmermesardeurs.Lesex-appealqu'ildégagemelaissesansvoix.Vraiment,jelevoisbiendanslegenrebadboy,etcliché.Ildoitfairebavertouteslesfillesàdeskilomètresàlaronde.

    Merde.

    —BienvenueauSeventee’sbeauté,reprend-il,unsourireencoin.

  • Chapitre3:Confrontations

    Ilsemoquedemoi,luiouquoi ?

    —Jen’aipasmauvaiscaractère,réponds-jeàAyden.C’estluiquisetrouvecomplètementàcôtédelaplaque. L'année 1800, cette époque idiote où les femmes paraissaient inférieures aux hommes n’existeplus.

    Aydensemetà rire,poseunbrassur lecomptoiret se tourneversmoi :—Écoute, tonpèreet toivenezd'arriver.Faitesprofilbasetceseradéjàpasmal.

    J’adoptelamêmeposturequeluienlevantlesdeuxsourcils:—Ahouais,profilbas ?Etpuisquoiencore ? On ne fait de mal à personne. Tu es en train de me dire que nous devons avoir peur deRaymond ?

    Aydenserrelamâchoire,etsecouelatête.Quoi ?Pourquoiilnerépondpas ?Jel’observeensuitememontrerlesdifférentsalcoolsqu’ilsontreçus.Seulementmonespritvagabondeailleurs.

    —Eh,oh !Tum’écoutes ?

    — Ça va, répliqué-je. Je sais comment fonctionne un bar. Mon père t’a juste demandé de fairediversionpournepasquejem'embrouilleavecRay.

    Aydencroiselesbrasetappuieseshanchescontrelecomptoir:—Ouais,jemedoutequetuconnaistoutça.Maisvutesfringuesjetedonnepasplusdevingt-et-unepiges.

    Jemesurprendsàmeregarderdelatêteauxpieds.Quoi ?Jeporteunejupeenjeanavecdescollantsnoirs,desbootsdelamêmecouleurquecesderniersetunt-shirtblancsousunépaisgiletsombre.

    —Tonlookpré-pubères'avèresympa,reprendAyden.J’espèrequepourservirlesoirtunet’habillespascommeça.

    Ilnemelaissepasletempsderépliquerqu’ilembrayedéjà:—C'estdouloureuxtonpoignet?

    Jelorgnemaintenantmablessureenmedisantquecegarsvaàcentàl’heure.Jeveuxrépondre,maismonpèrearriveavantquejenepuisseouvrirlabouche.

    —Alors,çairapourcesoir ?Tutesenscapabled’aiderAyden,finalement ?demande-t-ild’unevoixtendue.

  • Cette sensation que quelque chose cloche ne me plaît pas du tout. Puis d’autres hommes arrivent,certainementpours'occuperdubar.

    —Hey,soldat !Tumereçois?

    Mesyeuxvrillentverslui.

    —Euh,ouais...Jeveuxdireoui,jevaisgérer,papa.

    —OK.Alorstupeuxbosser,maisaumoindreverrecasséturentresàlamaison.Aydenveillesurmafille,OK ?

    Aydenluiadresseunsignemilitaireetmongéniteurhochelatête.Cedernierpart,maisrevientsursespasenfronçantlessourcils:—Aucunequestion.Àpersonne.Tusersettutienstalanguedanstapoche,Chloé.Cesoirjen’aipasenviedeplaisanter.

    Jememordslalèvredevantsonairrenfrogné.Ah,jen’aimepaslevoirsursesgardescommeça.

    —OK…maistuvasmedirecequisepasseplustard,pasvrai ?

    Ilinspire,esquisseunsourireetmurmure:

    —Plustard,chérie.

    Soulagée,jel’observesefondredanslebarpourdirigerlepersonnelquivientd’arriver.Jem’attachelescheveuxenunequeuedechevaletjesensleregarddequelqu’unpesersurmoi.Ayden.

    Unrictusfendsonvisage.

    —T’asunerelationtrèsparticulièreavectonpère.

    —Etalors ?

    —Waouh,j’espèrequetuaboies,maisquetunemordspas !

    —Tuveuxvoir ?plaisanté-je.

    Ilsouritetmedésignelasalle.

    —Ilnousrestedeuxheurespourinstallertoutlematériel.Avectonpoignetçaira?

    Jesoupireetpassedel’autrecôtéducomptoir.Jecommenceàallerchercherleschaisesentreposéesprèsdelasono,sansjamaisquitterdesyeuxAyden.J’affichealorsuneexpressionsurmonvisagevoulantdire:bahtuvois,jepeuxlefaire.Ilsouffle,signedesonagacementetjesouris.SeulementilfroncelessourcilsquandRaymondpassedevantmoi.Cedernierme jetteun regardnoir,mais jenecèdepas etcontinuedelefixer.

    —Onsereverratoietmoi,raille-t-ilentresesdents.

  • —Avecplaisir,déclaré-jeironiquement.

    Soudain,ils’arrêtedemarcheretm’observe.Surlecoupjesuissurprisedelevoirsiimposant,justeàquelquesmètresdemoi.Parceque,minederien, ilparaît trèscharismatique,intenseetsûrdelui.LesmotardsseveulentintimidantsetceRaymondn’échappepasàlarègle.Doucement,ils’approchedemoi.JevoisAydens’avancerégalement,maisRaymondlestoppeavecunemainenl’air:—Ducalme.Jenetoucheraipasàlapetite.Quelqu’unvas’enchargerpourmoi.

    —Ray,cen’estpasunebonneidée,répondaussitôtAyden.

    Dequoiparlent-ilscesdeux-là ?Lechefdesmotardssetourneversluietdéclare:—Ehbien,vulescirconstancesAyden,tulaprotégeras.

    PuisRaymondplanteànouveausesyeuxdanslesmiens:

    —J’espèrequetuvaspouvoirgérercequivatetombersurlagueule.Nousallonstefaireravalertoninsolence.

    Là,jenesaispasquoidireetils’enva.Peut-êtrequej’auraisdûécoutermonpèreetlafermer.Maiscen’estpasdansmanature,etc’estpourcelaqu’ilm’aconseillédelabouclercesoir.Aydens’approchedemoi, en tenant deux chaises à lamain :— Je te le dirais qu’une fois.Ne tente aucunmotard.Net’amusepasaveceuxcomprisChloé ?

    —Tucroisqu’ilsmefontpeur ?

    —Réponds !Tum’asbiencompris ?

    Aydenacrié,cequim’afaitsursauter.J’acquiesced’unsignedetêteetilmeditdemebougerlecul.Jesoupire,quelgrossierpersonnage.Pendant l’heurequisuit,voirqued’autresmembresdupersonnelviennentnousaideràdisposerleschaisesmeravit.Minederien,monpoignetgauchemelanceet j’aitropforcéavecmamaindroite.Lemoraldansleschaussettes,etparcequejesensqueleschosesnevontpass'avérersifacilesqueça,jemedirigederrièrelecomptoirpourprendredesglaçons.Aprèslesavoirroulésdansun torchon, je les applique surmablessure.Voilà, ça fait dubien.Àunmomentdonné jerelève les yeux et constate qu’Aydendiscute avecmonpère.Quand ilsme regardent tous les deux, jedétournelatête.Moncœurseserre,mabonnehumeurs’estenvolée.Ici,nousdevonsreconstruirenotrevie, si jamais on nous met des bâtons dans les roues à cause de ce Raymond et ces motards, je nerépondraisplusderien.

    Mamèrem’aétéarrachéeetj’aiconnuunesalepériodejusteaprèssamort.Unefurie,voilààquoijeressemblais. Je tapais dans tout, mon agressivitéme rendait asociale. Pendant deuxmois, je me suisrenferméesurmoi-même.Heureusement,monfrèreetmonpèrem’aidaient.Vraiment,ilsm’ontsauvéedemaperdition,del’étatvégétatifdanslequeljemetrouvais.PuisTylerestparti,unefoisqu’ilmepensait

  • rétablie. Seulement, lamauvaiseChloé dort au fond demoi, prête à reprendre du service quand il lefaudra.

    Enarrivantici, j’aicessémescoursdeboxe,mais jen’airienperdudecequej’aiappris.Endeuxmois,j’aiacquisplusquelesbasesetsiquelqu’unmecherchedesnoises,jesauraismedéfendre.Aprèslamortdemamère,cesportétaitlaseulechosequimefaisaitsortirdelamaison.Habitéeparlahaine,maprogressions’estfaiterapidement.

    —Hey,çavaaller ?

    Postéderrièrelecomptoir,Aydenregardemonpoignetetreprend:—Tonpèreaditquetut’escasséelagueuledanslesescaliers.

    Jelèveunsourcil.Luietsafaçondeparler !

    —OK,ill’apasditcommeça,mais...bref,çaira ?ParcequejeluiairacontétonaltercationavecRay.

    Jesoupire:

    —Etlaisse-moideviner ?Jedoisrentrerillicoàlamaison ?

    —Jedoisteraccompagner,répondAydenavecunairdésolé.

    Jeleregardedroitdanslesyeux.Sescheveuxchâtainclairquipartentdanstouslessens,sonnezdroitetsabouchepleinelerendentvraimentbeau.Ilaunecarrure imposante,faitpropresur luimalgrésestatouagesetsonpiercingàl’arcade.

    —Causetoujours.Jeresteici,rétorqué-je.

    Aydenécarquillelesyeux:

    —Tonpèren’apasservidansl’arméeouquelquechosecommeça ?

    Jesourisàcettequestionquej’aitropsouvententendue.Faceàmoncaractèrerebelle,lesgenssonttoujourssurprisdeconnaîtrel'ancientravaildemonpère.Jepensed'ailleursàmesamis,qu’est-cequ’ilsmemanquent !ÇamerappellequejedevaiscontacterSaddy,masœurdecœur.Merde,elledoitmehaïràl’heurequ’ilest.

    —Tum’écoutes ?Tuesdanslalunecesoirouquoi ?

    —Ouais,monpèreétaitmédecinmilitaire,pourquoi ?

    —Parcequepersonnen’al’airdetefairepeuretçamefaithalluciner.

    Jesouris:

    —Onn’estpas tousunechochottecomme toi,Ayden.Bon, la soiréevabientôtcommencer, ilnous

  • restepasmaldechosesàrégler,alors...

    —Alorsturentresàlamaison.

    Monpèreestsortidenullepartsurmadroiteetjedétestequandilagitainsi.

    —Écoutechérie,çairapourcesoir,déclare-t-ilensegrattantl’arrièredelatête.

    —Pourquoi ?m’écrié-je.Parcequ’Aydent’arabâchéqueRaymondm’amenacée ?

    —Non,répondmonpèreenfaisantlesgrosyeux.Parcequecesoirjeveuxgérerleschoses.Toitut’esfaitmaletj’aichangéd’avis.Tuvasêtreremplacée.

    —Maisjetedisque...

    —Chloé,necommencepas...

    —Papa !Ilfautquetu...

    —Repos,soldat !

    C’esthorriblequand il s’exprimecommeça.Depuisque jesuisenâgedecomprendre lorsqu’ilmeparle,j’yaidroit.Etçasignifiequejedoismetaire,jeveuxdirevraimentmelafermer.Quelalimiteestatteinte. Enmemordant la lèvre, je soupire et déclare en passant à côté demon père :—Ayden, jet’attendsdehors.

    —Chloé...commencemonpère.

    Jenerépondspasetmedirigeversl’extérieurdubar.C’estcequ’ildésire,non ?Quejem’enaille.Alors,pourquoim’appelerensuite ?J’aiterriblementenviedetaperdansquelquechoseetquandjevoisAyden sortir sur le parking, je me dis que sa tête pourrait faire l’affaire. Il affiche un air désolé, etdéverrouillesavoiture.UneAstonMartinnoire,flambantneuve.Lesbrascroisés,jel’observeouvrirlaportièrecôtépassager.

    —Joliecaisse,déclaré-jeenlamontrantd’unsignedetête.

    —Toutjusteofferteparpapa.Monsieurestpleinauxas.

    D’unmouvement,ilm’enjointdemonter.Jem'exécutenonsanspousserunlongsoupir.Àpeines’est-ilassisqu’ildéclare:—Jesuisloind’êtreunechochotte,jeunefille.Etj’aiparléàtonpèreparcequetuasl’aird’êtrequelqu’undetêtu.Écoute...J’aigrandiici.Cettevilleappartientauxmotards,OK ?Situnetepliespasaurèglement,ilstelefontregretterdanslaminute.

    Jesecouelatête.Àd’autres !

    —Ilyabiendespersonneshautplacéesnon ?Despoliciers,desgensquiprotègentleshabitantsdetoutça ?

  • Aydendémarreetsouritenpassantlapremière:

    —Chloé,tunesaisispas.Rayreprésentel’autorité.Ilestlechefdelapolice.

  • Chapitre4:Désillusions

    Je prends une longue douche chaude en rentrant.D’abord parceque j’ai eu froid toute la soirée etensuitepourlebesoindemedétendre.Àpeineunejournéequenoussommesarrivés,etmevoilàdéjàenrogne.J’appuiemesmainscontrelaparoideladouche,maisjemerétracte.Monpoignetmefaitencoremal.Satanéechutedanslesescaliers.« Tonpèreditquetut’escasséelagueule ».Lafaçondeparlerd’Aydenmefaitrire.Quandilm’aapprisqueRayétaitlechefdelapolice,j’aicruàuneblague,maiscen’étaitpasdu tout lecas.Cela faitquelquesminutesqu’ilm’adéposéeà lamaisonet jen’en revienstoujourspas.Cethommeasaproprebandedemotards,oùa-t-onvujouerça ?Tum’étonnesquelavilleaitpeurdelui!Cetypeenimposelargement.

    D’aprèscequem’aracontéAyden,Rayrégittout.Avecsongang,ilsfontleurslois.Jecoupel’eautoutencontinuantàréfléchir.Venirnoussouhaiterlabienvenueétaitsimplementpoursavoiràquiilsavaientaffaire.Bon,unechosesemblecertaine,si j’aidesennuis, jenepourraispascomptersur l’aidede lapolice!Parcequesijecomprendsbien,jemesuismiseRaymondàdos.Waouh,pourunpremier jourc’estpasmal !Plus sérieusement, c’est n’importe quoi ! Jem’enroule dans une serviette et sors de lasalledebainquisesitueà l’étage.Dansmachambre, j’enfilemonpyjama :unbasdesurvêtementencotonetgrospullgris.Vingt-deuxheures,lebaradûouvrir.J’aisimplementenvoyéunSMSàmonpèrepourl'informerquej’allaisbien.Sansaucuneréponsedesapart,jeprésumequ’ildoitêtreoccupé.

    Avantdemequitter,Aydenm’afaitpromettreànouveaudeneplusprovoquerpersonne.Ilm’énervecelui-làetilabienraisondedirequejen’aipeurderien.Raydoitsetenirloindemoi,carilignoredequelboisjemechauffe.

    Jem’emparedemonportable.Mameilleureamiedécrocheàlapremièresonnerie:

    —Alors,tun’aspaslumesmessages ?questionneSaddyavecuntondereproche.

    Savoixfamilièreréchauffetoutdemêmemoncœur.Çamefaitplaisirdel’entendre.C’étaitsidifficiledelaquitteraprèstoutescesannéesensemble.Heureusement,nouspourronsnousvoirbientôt,carsonuniversité ne se situe qu’à deuxheures de route d’ici.Ah, comme je l’envie !Une chambre étudiante,participerà toutesces fêtes !Çamemanque,mais jen’y retourneraipaspour l’instant.Ledestinenadécidéautrement.

    —Désolée,çaaétéparticulierenarrivant,réponds-je.

  • —Tum’étonnes,c’estunevillepauméequetonpèreachoisie.Bon,alors,yadebeauxmecs ?

    Je souris.Saddyn’est pas une enfant de chœur et l’assume totalement.C’estmarrant comme sur cepoint-lànousdifférons.Parexemple,elleaeuplusieursaventuresalorsquedemoncôté,jen’aiconnuqueStevenilyaunanetnousétionsalcooliséstouslesdeuxaumomentdepasseràl’acte.Cettenuit-làne faitpaspartiedemesmeilleurs souvenirs.Quoiqu’il en soit, j’aidécidéaprès çaque leprochaingarçondevraitméritertoutmonamourbiensûr,maiségalement toutemonattentionavantque jenemelancedansuneaventure.

    —Desmecs ?Euhoui...Ilyacebarman,Ayden.Ilteplairaitparcequ’ilestdugenretatouéetpercé.

    —Oh.Mon.Dieu !C’estvrai ?Envoie-moiunephotodèsquetupeux !D’ailleurstunedevraispasêtreentraindebosseraubar,là ?

    Jeluiracontemamésaventureenessayantdebougermonpoignet.Ilmefaitencoreunpeumal,maisj’ail’impressionqueçapasse.Yaplutôtintérêt,jeveuxpouvoirtravaillerauplusviteafind’aidermonpère.

    —Alors,guérisrapidement,machérie.Jevaismecoucher,lajournéeaétéépuisante.

    Elle me raconte sa dernière visite à l'université avant de commencer les cours lundi. Elle sembleheureuse,mevoilàrassurée.Sonintelligenceetsonacharnementlamènerontloin.Noussommestouteslesdeuxfansdelivresalorsc’esttoutnaturellementquenotrechoixs’estportésurlalittératureanglaise.Ausondemavoixquiannoncequejelaquitte,Saddysentbienmatristesse.

    Aussitôt,ellemeréconforte:

    —Chloé...Accompagnertonpèredanscetteaventureestmagnifique,tusais ?Enplusdeça,laissertombertesétudespourluivenirenaideettetrouveràsescôtéssontdetrèsbellespreuvesd’amour.

    Jeme contiens pour ne pas pleurer. Elle n’a pas arrêté dem’encourager depuis que j’ai pris cettedécision,après lamortdemaman.Sincèrement, jenemevoyaispas laissermonpèrepartir seul.Quequelqu’und’autremequitte,jenel’auraispassupporténonplus.Jedisàmonamiecombienjel’aimeetàquelpointellememanque.

    —Idempourmoi.Rappelledèsquetuasdutempsousi tuveuxsimplementdiscuterd’accord ?Tupeuxcomptersurmoi,Chloé.N’oubliepas.

    —Jen’oubliepasetidempourtoi.Bonnenuit.

    —Bonnenuit.

    Jeraccroche,m’allongesurmonlitet,parlafenêtre,jeregardelalunedanslecielnoir.Jemedisqueparmilesétoilesbrillecelledemamère.Elledoitveillersurmoietjemedoisdelarendrefière.Elle

  • memanqueterriblement.Cemanquenefaiblitpas,aucontraire,ungouffredontjen’atteindraisjamaislefondsemblemepersécuter.Etparcequejeneveuxjamaisoubliersonvisagenilesondesavoix,surlatabledenuittrôneunephotodenotrefamilleréunie.Etdansmontéléphone,jen’aijamaispueffacerledernier message qu’elle m’a laissé. Par chance, je l’entends dire qu’elle m’aime. Je l’écoute enpermanence,carquelquepart,ilapaisemoncœurbrisé.

    Devantmonpère,cachermapeineestdevenucommeunehabitude.Iladéjàbienassezaveclasienne.J’essaiedemeremémorerdessouvenirsheureuxavecmamère,puisjemerendscomptequejesuisbienplusfatiguéequejenelecroyais.Morphéearaisondemoietjefinisparm’endormir.

    ***

    Encesamedimatin, les rayonsdusoleilmecaressent levisage.Dubeau temps ?Génial !Faceauxsombrespenséesquim’angoissaienthier soir,prendre l’airnepourraqueme fairedubien. Jebondishorsdemonlit, jetteunœilà l’horloge:Huitheures.Jefiledans lasalledebains,sansfaire tropdebruitafindenepasréveillermonpère.Jenel’aipasentendurentrercettenuit.Aprèsunebrèvetoilette,jedescendslesescaliers,écouteursdanslesoreillesetsorsdelamaison.Laportegrinceunpeu,enserefermantdoucement.Lesmarchesduperronémettentaussiunsonbizarredisantqu’ellesauraientbesoind’unravalement.Jelèvelesyeuxauciel,cettemaisonquirendsifiermonpèrevas’effondreravantlafindel’hiver.

    Un sourire en coin, jem’élance sur la route quimène vers la ville, sous unmagnifique soleil, quij’espère, perdurera. Ça m’a pris vingt minutes à petites foulées. Chouette, je pourrais m’y rendrefacilementencourantvraimenttouslesmatins.Àcepropos,jechercheuntravail.Ouiparcequebosserlesoirdansunbarc’estcoolcommediraitmonpère,mais...J’aspireàautrechose.CertesmesétudesrestentensuspenspouraiderauSeventee’smaistrouverunjobdanslequeljem’épanouiraiseraittoutdemêmeintéressant.

    Lesoleilafaitapparaîtrebeaucoupdemonde.Commejelesaismaintenant,c’estunpetitpatelin,doncjenesuispasétonnéedecroiserAydenquittantlaboulangerieaucoind’unerue.Lesaluantd'unsignedelamainqu’ilmerend,jelevoissedirigerversunevoiturequin’estpaslasienne.Cellequiestauvolantn’estautreque la filleque j’ai aperçuehierdevantchezmoi.Ellediscutait avecceluiquim’a faitundoigt d’honneur. Je secoue la tête au souvenir de la veille et décide d’aller voir ce que vaut cetteboulangerie.

    ***

    Super !

    Ensortantdecettedernière,degrosnuagesviennentdefairedisparaîtrelesoleil.Definesgouttesdepluiesemettentàtomber.C’estbienmaveine.Ducoup,lesgenscourentseréfugiersouslesabris-bus,dans lesmagasins,ousousunpont.Bref,où ilspeuvent.Cen’estpasunpeudepluiequivame faire

  • peur.M’armantdecourage,jefermelesaccontenantlesviennoiseriesenpressanttoutdemêmelepas.Heureusement,monpullaunecapucheque je relèvesurma tête.L’averse se faitplusagaçante.Alorsqu’ilnemerestequedixminutesàpiedsàparcourir, lebruitd’unmoteurm’interpelle.L’espaced’uninstant, je pense que c’est Ayden et cette fille que j’ai vue tout à l’heure, mais la voiture que je nereconnaispasvientdélibérémentsegarerperpendiculairementàmoi,mefaisantm’arrêternet.

    C’estquicefou,encore ?

    Lapersonneenquestionsortduvéhicule.Unmec,évidemment.Commejenedisposepasdetoutelajournéepourcesbêtisesetquejesouhaitememettreausecmalgrétout,jevaispourlecontourner,maisilfaitminedem’empêcherdepasser.Macuriositél’emporteetjescruteceluiquiaeulagentillessedemebarrersiviolemmentlaroute.Grand,assezmuscléetévidemmenttatoué.Vêtud’unpullblancsousunevesteencuirsombre,jedistinguesimplementdesmotifssursoncou,dontunserpentenroulésurunegrosserosedessinéeàl’encrerougeetnoire.Jecontinuemonobservationettombesurdesyeuxdejaisquimereluquentdelatêteauxpieds.Unregardbrûlant,incandescentquimeparalysesurplace.Cetypereflèteunerarebeauté.

    Aydenestbeau,maisluic’estdifférent.Ildégagequelquechosed’effrayant,deténébreuxetmystérieuxàlafois.Unsouriresournoiss’affichesursonvisage.

    —T’asfinidememater ?Jeteramène,peut-être ?

    C’estunmotard, jemesouviensdeluimaintenant.Présenthiermatinquandilssont tousvenusnoussouhaiterlabienvenue.Oui,c’estluiquim’aadressécefameuxdoigtd’honneur.Sescheveuxnoirssontcoiffésenunetouffeindisciplinée.Sonnezdroit,seslèvrescharnuesquiappellentàcequ’onles...

    —Hey !T’esbouchéeoutupréfèrescontinueràrêversouslapluie ?Jeteramène ?

    Letondesavoixagressivevienttoutgâcher.Moncœurs’emballe,jesensquejenedoispasresterprèsdecetype.Jefaisnond’unsignedelatêteetcontournelavoiture.

    —Ouais,çavautpeut-êtremieuxpourtoi !crache-t-ilenouvrantsaportière.

    Jemeretourneverslui,attendsdecroisersonregardetluiadresseunmajestueuxdoigtd’honneur.Ilécarquillelesyeuxdesurprise.Tantmieux.

    Retouràl’envoyeur,salecon.

    ***

    —Quoi ?

    Jeviensderentrerdemasortieenville,etj’aifaillim’étrangleraveclecaféquemonpèrem’aservi.Assis en facedemoi à la tabledans la cuisine, ilme raconte tout ceque je désirais savoir à proposd’hiersoiraubar.Bienquel’odeurdesviennoiseriesquej’aiapportéesmedonneenvie,mafaims’est

  • envolée.

    —Oui,après tondépartnousavons toutmisenplace.Maisdès l’ouverture,Raya ramené toutesabandedemotards.Parcecomportement,j’aicomprisqu’ilnecomptaitpasmelaissercarteblanche.Ilavoulumontrerquiétaitlepatron.

    —Auxdernièresnouvelles,cen’estpasluiquiarachetélebar,non ?

    Monpèresoupire,maisnerépondpas.Levoilàblasé,enpleinedésillusion.Ses rêvesn’ontpas ledroitdepartirenfumée,pasmaintenant,c’estinjuste.Avantdenousinstallerici,touteslesdispositionsontétéprises.Horsdequestionqu’onnousempêched'avancer.Quelquechoseclochedanscetteville.

    —LaprésencedeRayn'étaitpasanodine.

    Mon père semble ennuyé et ça m’embête pour lui. Tentant de me calmer, je soupire, et le laissereprendre:

    —Écoute,jegèreça,Chloé.Jet’enaiparléparcequetutravaillesavecmoietjeneveuxpasquetuapprennesleschosesdelabouchedequelqu’und’autre.

    Jepinceleslèvres,ilenchaîne:

    —Contente-toidetemêlerdetesaffaires,d’accord?

    J’avaleunegorgéedecaféetémetsunrictus:

    —Papa,premièrementhiersoirtum’astraitéecommeunegamineetnoncommeunefemmedevingt-et-unans.Merenvoyeràlamaisoncommesij’avaiscinqans,tuimagines ?

    Monpèresouritetjecontinue:

    —Deuxièmement, tumedemandesdenepasmemêlerdetoutça,maistum’enasparlé,doncc’esttroptard.Ettroisièmement,Aydenquimeraccompagne ?Jeneleconnaismêmepascetype ?

    —Moijeleconnais,c’estl’essentiel.Ilneteferajamaisdemal.Alorstupeuxêtreamieaveclui,etseulementamie,jen’yverraispasd’inconvénients.

    Jeposematassesurlatableetgrommelle:

    —Nousnecomptionspasdeveniramants,detoutefaçon.

    Parlerdecesujet-làavecmonpèreenplus,nonmerci.

    —Tantmieux.Gérerlebarestdéjàassezcoriace.SijedoisaussirefairelatêteaucarréàAydendanslecasoùilt’auraitbrisélecœur,çavamedonnerplusdeboulot.

    Ilselève,meremerciepourlesviennoiseriesetmelancequ’ilestcontentquejesoisalléecourir.

  • —Monanciencoachdeboxeaditqueçamemaintiendraitenforme.Oh,j’aieuSaddyhiersoirautéléphone,ellet’embrasse.Lafacluiplaît,ellecommencelescourslundiet...

    Mavoixsebrise.Monpères’arrêtederangerlavaisselle,etsetourneversmoi.Ilvoitquejesuisunpeu perturbée. Nos regards se croisent, je tente de ne pas m’effondrer face à lui comme toujours. Ilsemblecherchersesmotsetunefoisqu’ilpeuts’exprimer,ilrépond:

    —Jesaisquetun’aspasl’impressionquenousseronsheureuxici.

    Dois-jeluimentionnermarencontrebizarreaveccetypequim’abarrélaroutetoutàl’heure ?

    —EtjesaisqueSaddytemanque,ainsiquetonanciennevie,poursuitmonpère.

    Monestomacsetord,moncœursecomprime.Ilnefautpasqu’ilcontinuecarçarisquedemefairepleurer pour de bon. Au fond, ce n’est pas que je veuille me plaindre, mais il faut que mon pèrecomprennequeseretrouveraumilieudecetrouperdudujouraulendemain,c’estcompliqué.Surtoutvulescirconstancesetlespersonnesquisemblentnoussurveillerducoindel’œil.

    —Je teconnaisparcœurChloéetcrois-moi j’aisaisi.Cetteville,àmongranddésespoir,paraît...différentedeceàquoijem’attendais.

    —Tuparlesdesmotards,hein ?demandé-jeenmelevantbrusquement.

    Il soupire, essuie sesmains dans un torchon qu’il repose nonchalamment sur le plan de travail. Jel’attrapeetlesuspendsàuncrochetau-dessusdel’évier.

    — Chloé, reprend mon père. Leur présence me dérange. Ils vont me causer des ennuis. À aucunmoment,tunedoistemêlerdecequ’ilvasepasseraveceux,d’accord ?

    Jefroncelessourcilsetcroiselesbras.

    —Est-cequ’ilsvonts’enprendrephysiquementàtoi ?

    —Passitoutsedéroulecommejel’aiprévu.Ilvafalloirquejecreuseunpeutoutça.AlorsencoreunefoisChloé,cestypessontdangereux.Tuasvucequiestarrivéàtamère ?

    Monpèreaparléd’unevoixautoritaireetjenepeuxquehocherlatête.Ilditçapourmonbien,jelesais, mais qu’il prenne son exemple m’irrite davantage. C’est certain qu’en l'évoquant, sesrecommandationss’avèrentfondéesetefficacespourmefaireentendreraison.

    —Bien.Avantd’allertravaillercesoir,jedoisbricoler.Tupeuxm’aidersituveux,àmoinsquetusois...

    —Ouais,jevaismerendreànouveauenville.

    Monpèrelèveunsourcilinterrogateur,maisilmetendsesclésdevoiture.

  • —Gardetonportablealluméetrevienspourdéjeuneràmidi,s’ilteplaît.

    —Bien,monsieur.

    Ilm’embrassesurlefront,histoired’accentuerlefaitquejesuisencoresapetitefillechérie.Pourtant,moijevaistoutmettreenœuvrepourluiprouverquej’aibeletbiengrandi.

  • Chapitre5:Rencontreamère

    Jemegareenville.Exactementenfacedelaboulangeriedanslaquellejesuisentréecematin.Pendantmonjogging,j’aiaperçuuneimmenselibrairiejusteàcôté.Commej’adoreleslivresetquejenevaispasàl’université,j’aimeraispasserdutempslà-basetenemprunter.Lescoursparcorrespondancemetententbienaussi,ilfautquej’enparleàmonpère.Çamelaisseraitmesjournéesdelibrespourétudier,avantd’attaqueraubar.C’estsurcettepenséequejepénètreàl’intérieurdelalibrairie.Toutdesuite,l’ambiancemeplaît,ça ressembleàun immensehangaravecdespoutresenchênes,etdesbouquinsàperte de vue. L’odeur des livres entreposés sur des tonnes d’étagères, les fenêtres de part et d’autreilluminantlasalleetletoitenformedevoûtetransparentefinissentdemecharmer.Surmagauche,unefemmeblondeavecdeslunettes,postéederrièreunpetitcomptoir,croisemonregard.

    —Bonjour,mademoiselle.

    —Euh,bonjour...J’aimerais...C’est-à-direquejevoudraisemprunterquelqueslivres,s’ilvousplaît.

    Nousnousdévisageons.Jelatrouvebelle,jeuneetsesyeuxmarronm’analysentdelatêteauxpieds.Doucement,elleglisseseslunettesversleboutdesonnez.

    —Tun’espasducoin,jemetrompe ?

    Unsouriregênésurlevisage,jeposemesmainssurlecomptoir.

    —Non,nousvenonsd'arriverenville.

    —Nous ?demande-t-elle,curieuse.

    Je me racle la gorge et lui parle de mon père. Elle veut savoir ce qu’il fait ici, je lui expliquel’acquisitiondubar.Sesyeuxs’ouvrenttellesdeuxsoucoupes.

    —Le...LeSeventee’s ?Vraiment ?Jepensaisquepersonnenereprendraitl’affaireaprèscequis’étaitpassé,et...

    —Donna,Donna,Donna.Toujoursentraindeblablater,hein ?

    Jeme tourne vers cette voix familière. Celui quim’a barré la route cematin en voiture se dressedevantmoi.Lemotard.Ilmefixedehautenbassansaucuneretenueetjemesenspresquerougir.Touslesregardssontbraquéssurnous.Depuisnotrerencontresoncomportementm’exaspèrealorsjedéclare

  • enmetournantverscettefameuseDonna.

    —Décidément,cettevillesemblevraimenttroppetite.

    Ellearemisseslunettessursesyeuxetparaîtmalàl’aise.Jedemande:

    —Doit-oncréerunecartepourêtremembreouquelquechosecommeça ?

    Donnapianotesursonordinateur,puissansquitterl’écranellemetendunformulaire.

    —Remplisça,s’ilteplaît.

    Sontonestpasséd’amicalàpresqueglacial.Etellesembleagacéeaussi.Est-ceàcausedecetypederrièremoi ?Ceseraitlecasqueçanem’étonneraitmêmepas.

    —OK,réponds-jesansentrain.Etest-ceque...

    —Bon,onn’apastoutelajournée !Prendsrendez-vouspourtesputainsdequestionsàposer !

    Je me tourne et le motard m’observe avec un air de défi. Je fronce les sourcils et à mon granddésespoirils'exprimeànouveau:

    —Tucroisqu’onvaréussiràcommuniquersansdoigtd’honneur,un jour ?T’es lanouvelle,hein ?J’aientenduparlerdetoi !

    —Ahoui?Etqu’as-tuentendu?Personnenemeconnaîtici!

    —T’inquiète,iln’yavaitriend’intéressantàsavoirdetoutefaçon!

    Jefroncelessourcils.Pourquiilseprendcelui-là ?

    —Tuesridiculededireça !

    Jemedirigesurlecôtépourremplirleformulaire,maisl’inconnum’attrapeparlepoignet.Celuioùily a le bandage. Je serre les dents, refusant de crier, et regardant autour demoi. Tout le monde nousobserveencore,maispersonnenebouge.Letyperelâchelapressionetjememasseenhurlant:

    —Çanevapasouquoi ?Mablessureest...

    —Écoute-moibien.Nemanqueplusderespectàmonpère,OK ?Etjetesurveille,alorstiens-toiàcarreauetnemeprendspasdehaut.Jamais.

    IlposeuneenveloppesurlecomptoirdeDonna,lagratified’unclind’œiletsortdelalibrairie.Toussespotesàmotosl’attendentdehors.Certainslèventlesyeuxauciel,pendantqued’autresmemontrentd’un signede tête endiscutant. J’ai l’impressionde retrouver l’air qui a disparudemespoumons. JecroiseleregarddeDonnaquitientàsavoirsijevaisbien.J'acquiesceetdemandequiestcegarçon.Ellesemordlalèvreinférieure.

  • —C’estTony,lefilsduchefdelapolice.

    Jefroncelessourcils.Ladernièrefois,j’aidonceudroitàundoigtd’honneurdeTony,lefilsduchefde la police. Génial ! Et aujourd’hui j’écope d’une mise en garde de ne plus manquer de respect àRaymond, qui est son père.Mevoilà dans leur collimateur à tous les deux.Rencontrer le reste de lafamillenemetentepasdutout!EncoresouslechocqueTonyaitosémetoucher,jeremplistoutdemêmeleformulaire.Quelquesinstantsaprèsavoirreçumanouvellecarte, jemebaladeparmilesrangéesdelivres.Jecherchedeuxclassiques,AutantenemporteleventetRoméoetJuliette.Grâceauxdifférentspanneauxetaprèsdixminutes,jetombedessus.Heureuse,jeretourneversDonnaetremplisencoreunefichesignalantmonemprunt.Avantdepartir,jedemande:

    —Quevouliez-vousdiretoutàl’heure ?Ques’est-ilpasséauSeventee’s ?

    Elleblêmit,relèveseslunettesdevuesursatêteetseraclelagorge:

    —Rien,netepréoccupepasdeça.Allez,bonnejournéeetsachequeturesteslabienvenueici.

    Je la remercie, puispars endirectionde lavoituredemonpère.Avantdepénétrer à l’intérieur, jeremarquedel’autrecôtédelaruelesmotosgaréesdevantuncafé.Ilyenaaumoinsneufetellessonttoutesoccupées.Parmi la foule, jedistingueaisémentTony.Par sapostureonnepeutpas lemanquer.Debout,ilapasséunbrasautourdesépaulesdelafillequej’aiaperçuehieravecluietcematinavecAyden.UndespotesdeTonymesurprenden trainde lesobserver. IlditquelquechoseàTonyquisetourneimmédiatementversmoi.Nosregardssecroisentetjesensmoncorpss’embraser.Ilsecouelatêteetfroncelessourcils.Puisilreprendsaconversationcommesiderienn’étaitenembrassantcettefillesurlefront.Ensoupirant,jegrimpedanslavoiture.

    Quellerencontre !

    ***

    À peine ai-je passé la porte de lamaison quemon père déboule de la cuisine. Son air préoccupém’inquiète.

    —Qu’est-cequ’ilya ?medemande-t-il.

    Surprise,jeposeleslivresempruntésàlalibrairieetretiremonblazernoir.

    —Commentça ?

    —Tut’esgaréedansl’alléecommeunefolleavecmacamionnetteneuve,doncj’aimeraissavoircequ’ilya.

    Jecroiselesbrasetfroncelessourcils:

    —Rien,çava.Alorscestravaux ?

  • Ilsepousseetmemontre labarred’escalierenfin installée.Dieumerci,car jeneraffolepasd’unedeuxièmechute.Ensuite,ilm’informequelaportedederrièrequimèneaujardinestréparée.

    —Etlafenêtredanstachambre ?demandé-je.

    —C’estfait,madame.

    Fierdelui,ilm’entraînedanslacuisine.

    —Dequellecouleurverrais-tucettepièce ?

    J’analysel’ensemble.Elleestséparéedurestedelamaisonparunbaraméricain.Commemonpèrevalaisserlesalonpeintenblanc,n’importelaquellepeutconvenir.

    —Lesmeublessontnoirs,alors...Duvertpourégayerunpeu?

    —OK,çameva.Tiens,lespinceauxsetrouventlà.

    Monpèresouritd’unairespiègleenmedésignanttoutlematérielposéausol,prèsdufrigidaire.

    —Amuse-toibien !Jeseraideretourdansuneheureavecdequoidéjeuner.Merci,Chloé.

    Jerâleunpeuetregardeautourdemoi.Lapiècen’estpastrèsgrande,àsonretourceseraterminé.D’abord,jeremontemechangerdansmachambre.J’enfileunevieillesalopettegrisesurunt-shirtnoiràmancheslongues.Puisunefoisdans lacuisine,monportablesonne.C’estSaddy.J’appuiealorssur lehaut-parleuretnousnousmettonsàdiscuter.

    Enfininstalléesurlecampus,ellem’informequesacolocdechambresemblesympa.Sonemploidutempsestbienremplipourunetroisièmeannée,maislevendrediellefinittôt,doncelleproposedevenirpasserunweek-endàlamaisonprochainement.Heureusepourelle, jeluiracontemamatinée,maisnefaispasallusionàcefameuxTony.D’ailleursjen’aiaucunementenviederepenseràcetidiotinsolent.Pourtant, c’est plus fort quemoi.Pendantque jepeins et parle enmême temps, sonvisage sedessinedevantmesyeux.Beaucommeundieu.Yapasàdireilaétégâtéparlanature,maisc’estdommagequesonarroganceprimesurlereste.

    —Tum’écoutes,Chloé ?Mamèrevapartiralorsjedoistelaisser.

    —OK,onserappelle.Bisous.Raccroche,j’ailesmainsdanslapeinture.

    —Bisous,mabelle !

    Elleraccrocheetjecontinuemabesognetranquillement.Dehors,lecielestdégagébienquenuageux.Aumoins,lapluieacessé.

    ***

    Lacuisineestenfinterminée,mevoilàsatisfaitedemontravail.Monpèreseraravi,lacouleurrend

  • vraimentbien.Jevaismechangeret,aumoment,deredescendre lesescaliers, ilentredans lamaisonavecdespizzasàlamain.

    —Alors ?Qu’est-cequeçadonne ?demande-t-il,unsourireencoin.

    Son impatiencem’amuse. Il se rue dans la cuisine toutes dents dehors.L’odeur de la peinture étantassezforte,j’aiouverttouteslesfenêtres.

    —C’estgénial,mapuce.Supermême !Tuasfaitdubontravail.Merde,tablessure,çava ?Tuauraisdû...

    —Jen’aiplusmal,net’inquiètepas.L’importantestquecesoitterminé.

    Monpèreposelespizzasets’approchedemoi.Ilmeprenddoucementlepoignetquimelanceencore,maisjeneveuxpasluiavouer.Samainpassedanssescheveuxavantdedéclarer:

    —Jesuistellementsurlesnerfsetpréoccupéquejen’aiepaspenséàtasanté.

    —Laissetomber.Mercipourlespizzas.Installe-toi,j’arrive.

    Monpèresecouelatête,commes’ilétaitdevenufou.Puisils’assoità table,observeles livresquej’aiempruntéset,dosàmoi,ils’écrie:

    —Enpassantdevantlalibrairietoutàl’heure,jemesuisdemandésitut’yétaisarrêtée.Laréponsesembleévidentemaintenant.

    Profitantqu’ilnemeregardeplus,jem’emparedequelquesglaçonsquejeposesurmonpoignet.Cegesteestdevenuunehabitudeetçamesoulageimmédiatement.

    —Oui,jem’ysuisinscrite.Lafemmeàl’accueil,Donna,paraîtplutôtgentille.

    Jejettelaglacedanslebacàvaissellesquandmonpèresetourneversmoi:

    —Tantmieux,c’estunebonnechose.Allez,viensmanger,ensuitejedoisencorebricoler.

    Jesoupire,regardemonpoignetenmemordantlajoueetlerejoinspourcefestin.

    ***

    Finalement, j’aipréférépasserlerestedel’après-midiàl’aiderpourfinir lestravauxdelamaison.Seulementversdix-huitheureset alorsque lanuit tombe, ilm’obligeàallerme reposerunpeuavantd’attaquerlasoirée.Déjàcrevée,j’avouequejen’insistepas.Dansmachambre,jem’effondresurlelit,monlivredanslesmains.J’aitrèsenviedecommencermonouvrage,RoméoetJulietteétantunedemeshistoirespréférées,maislafatiguequim’accablenesemblepasdumêmeavis.Alorsunefoismonréveilrégléjem’endorspaisiblement.

    ***

  • Monpèreetmoiarrivonsuneheureavantl’ouverturedubar,histoiredenousassurerquetoutvabien.Jedescendsdevoitureetmoncœurs’emballequandunemotovientsegarerjusteàcôtédenous.Surquiallons-noustombercettefois ?Aussitôt,jejetteunœilàmonpèrequilèvelesyeuxauciel.Bonsang !PascefameuxTony,j’aieumoncomptepouraujourd’hui.Maisàmagrandesurprise,ils’agitd’Ayden.Lui ?Surunemoto ?Waouh.OK,effectivementilavraimentlelookapproprié.

    —Salut,annonce-t-ilenposantsoncasquesursonénormebécane.

    —Salut.C’estnouveau ?demandé-jeenladésignant.

    Ilremetsescheveuxenplacedemanièretrèssexyenselajouantunpeu.Cequimefaitsourire.

    —C’estquoiça ?Nemedispasquelegangt'arecruté ?

    Lavoixblanchedemonpèrerésonneànosoreilles.C’estvraiavecluiçarisquedepasserbeaucoupmoins.

    —Vousnepouvezpascomprendre,répondAyden.

    Oh,doncilfaitréellementpartiedesmotards ?Génial.

    —Benvoyons, répliquemonpère.Allons-y.Et toi, jamais là-dessus,énonce-t-ilàmonencontreenfaisantunsigneverslamoto.

    Jefaiscommes’iln’avaitrienditetsuisAydenàl’intérieurdubar.Commelaveille,jem’ysensbien.Le décor voilé de lumière aux teintes rouge violacé nous recouvre. Mon père nous donne quelquesdirectives,puiss’éclipseavecd’autreshommes.

    —Iltetraitetoujourscommeça ?medemandeAydenens’asseyantsurundesnombreuxtabouretsfaceaucomptoir.Ilsaitquetuesmajeurenon?

    Deboutdevantlui,jeregardedanslevide.

    —Monpèreesttrèsprotecteur,maisencoreplusdepuisquema...

    Jecroiselesyeuxd’Aydenetjemerendscomptequejen’aipasenviedeparlerdemamère.Pastoutde suite, c’est trop tôt. Et puis maintenant qu’il a rejoint le groupe des motards, j’ignore si je peuxréellementluifaireconfiance.

    —Allez,cesoirjebossealors...Autravail !luidis-jed’unairfaussementenjoué.

    Aydenn’insistepas,etnouspassonsdel’autrecôtéducomptoir.

  • Chapitre6:Undébutàtout

    Lebar est rempli, je n’en crois pasmesyeux. Il y a une ambiancede folie pour ce deuxième jour.Plusieurspersonnesnousdisentêtreraviesde laréouverturealorsc’estgénial, toutvacommesurdesroulettes.J’aiquandmêmedemandéunedizainedefoisàAydenpourquoi lebarétait ferméavantqueBill,l’ancienpropriétaire,nelerachète,iln’apasvoulumerépondre.Enfin,sesmotsexactsontétélessuivants : « Pose la question à ton père, putain ! ». Bon, oui ce soir ses nerfs sont à rude épreuve,j’ignorepourquoi.Maisaprèsqu’ilaitpasséuncoupdefildanslesvestiaires,ilrevientplusdétendu.Ayden m’explique qu’au fond de la salle, mon père a fait rajouter deux baby-foot et deux tables debillard.Nousnouspromettronsdefaireunepartiedemainenarrivantunpeuplustôt.

    Jejetteplusieursregardsversmonacolytependantquenoustravaillons.Tellementsûrdelui,lesfillesquiviennentn’arrêtentpasdelemater.Jelescomprends.Cesoir,Aydenporteunechemiseenjeanqu’ila retrousséesursesavant-brasetunpantalonnoiravecdesboots.Ajoutésà sabeauté, sonpiercingàl’arcadepuissestatouages,etletourestjoué.Ilfautavouerqueleshommesaveccestyleonttoujourseuraisondemoiégalement.

    Mercimaman,pourteshistoiresdemotards.

    Àmesure que nous avançons dans la nuit, le bar ne désemplit pas, au contraire. Toute la ville estconcentréeicicesoir,c’estcatégorique.Monpèredoitjubilerdanssoncoin,j’espèrelevoirunpeuplustard.Normalement il sebaladeparmi la foule, ou il est assis dans sonbureaupourdespapiers. Il enprofiteégalementpourrencontrerdumonde.C’estvraiqu’ilfautsefaireconnaître,caronestnouveauxdanslecoin.

    —Çava,tutienslecoup ?medemandeAydenentredeuxservicesversminuit.

    Ilsepencheàmonoreille,sous leregardsévèrededeuxjeunesfemmesassisesunpeuplus loinaucomptoir.

    Jelèveunpouceenl’airpourluifairecomprendrequetoutvabien.Ilmesouritendisantdenepashésitersij’aibesoindesoufflercinqminutes.Jeletrouveenfintrèsavenantcontrairementaudébutdelasoirée.Jeneconnaisriendelui,àpartqu’ilestbarmanàlanuittombée.Ilfautremédieràlasituationafind’en savoir unpeuplus.Soudain, je vois les deux jeunes femmesquimataientAydenvriller leurregardducôtédelaported’entréedubar.Leursyeuxs’écarquillent,alorsjetournematêtedanslamême

  • directionqu’ellesetfroncelessourcils.

    Moncœurmanqueunbattement.

    Lesmotards.

    Cettefois,cenesontpaslesmêmesquisontvenusàlamaison,quieux,semblaientplusâgés.Non,là,ilssontunedizaineetbeaucoupplusjeunes.Jelesaiaperçusprèsducafécematin.Bienévidemment,aumilieude tous se trouveTony.Les autres l’encerclent, à croirequ’il est un personnage important.Mamèrem’atoujoursditquedansungroupedemotards,ilyauneespècedeleader.Ehbien,jecroissavoirdequiils’agitici.Enplusd’êtrelefilsduchefdelapolice,monsieurTonydirigedoncsonpropregangdemotards.

    Aydens’approchedemoienposantunemainsurmoncoude.

    —Tudevraisprendretapause.

    Jefroncelessourcils.

    —Quoi ?Non,c’estmonbarici.Alorss’ilfautquejelesserve...

    —Chloé,laisse-moigérer.Ilsrefuserontquetut’occupesd’eux.

    Jesuisduregardlegangdesmotardsquidéambuledanslasalle.Touslesyeuxconvergentverseux,etlesdeux femmesquimataientAydense lèventducomptoir et vont s’asseoirplus loin.C’estquoi leurproblème ?Elles ont peur ?Et puis pourquoi tout lemonde semble s’être arrêté de profiter de la fêtealorsquelamusiquecontinuedetourner ?C’estcommesienpénétrantdanslebar,lesmotardsontfigéletemps.Legangchoisitfinalementunetablejusteenfacedemoi,maisTonyestrestédeboutprèsdelaported’entrée,stoïque,avecl’undesesamis.Jel’observeserrerlespoingsetlamâchoire.Ensuite,ilfroncelessourcilsenscrutanttoutautourdelui,mêmeleplafond.Ilestentraind’analysercequ’ilvoitouquoi ?Qu’est-cequ’il a encore celui-là ?Que fait-il ? J’ai l’impression qu’il analyse lesmoindresrecoinsdubar.Sonregardfinitpar tomber... surmoi.Sonvisagen’exprimeaucuneémotion, il secouesimplementlatête,sesyeuxplantésdanslesmiens.

    Sonamiqui l’accompagne luimurmurequelque chose à l’oreille.Tony inspire et avancevers nousalorsquesonpoteva rejoindre lesautres.Mesmainssecrispent instinctivement sur lecomptoir,moncœuretmarespirations’accélèrent.

    —Surtout,net’enmêlepas,medemandeànouveauAyden.

    Jelèvelesyeuxauciel.Puis jerepenseàcequ’iladit : ilsrefuserontque tu t’occupesd’eux.Ahoui ?Ehbienqu’ils s’en aillent dans ce cas, nonmais n’importe quoi.Ces types restent des inconnuspourtantjelesdétestedéjà.Tonys’installesurundestabourets,jelereluquesansménagement.Vesteencuiretpullnoirqui font ressortirsesyeuxde lamêmecouleur.Sescheveuxsontcoiffésdansunstyle

  • étudiéqui les rendent finalementdécoiffés commed’habitude.Tout le lookduparfaitbadboy, dumecarrogantetquienjoue.Sabeautémecoupelesouffle.

    —Toujoursfidèleaupostehein,MacCalan ?

    Jecomprendsqu’ils’adresseàAyden.C’estdoncsonnomdefamille ?Jel’ignoraisetjegrimace.Ilsontl’airdebienseconnaîtretouslesdeux,d’êtretrèsbonpotemêmealorsquejelestrouvesidifférents.

    —Toujours.Onnechangepasuneéquipequigagnemalgrécequis’estpasséici.

    TonyfixeuninstantAydencommes’ilavaitvuunfantôme.Aydens’excuseenreprenant:

    —Pardon,vieux.Tucomprendscequejeveuxdire...Allezmec,taprésenceprouvequetupeuxgérer.Jetesersquoi ?

    Tony regarde encore autour de lui sans jamais croiser mes yeux. Personne ne vient s’assoir aucomptoir.Jenereçoisquelescommandesdesserveusesenlestraitantrapidementcarjeneveuxperdreaucunemiettedel’échangeentrecesdeux-là.Tonyreprendd’unevoixnonchalante:

    — Les autres ont dit que je devais venir pour... tenter d’avancer. Ce sont des conneries. Tout meramèneàelleici.C’est...

    Tonyn’achèvepassaphraseetjemeursd’enviedesavoirdequoiilparle.Àquipense-t-il ?Torturé.Voilàdequoiilal’air.Sapâleurreflètesonmal-être.L’espaced’uninstant,legrossierpersonnagequ’ilprétend être a disparu laissant place à quelqu’un de vulnérable. Ayden continue de ranger quelquesbouteilles puisque personne ne semble venir commander tant que Tony se trouve avec nous. Ce mecinstaurelapeurauxautrescequiestvraimentdommage.Jesuisàdeuxdoigtsdeluidemandercequilechagrine,histoirequ’ildégageauplusvitequandj’entendssoudain:

    —Vuquec’estleseulbarducoinetquelesgarsveulentyvenir...J’aidécidédemefaireviolencepour lapremière fois.Maisbordel,c’estquoicettedéco ?J’ycroispasqu’onpuisse faireunemerdepareille,grommelle-t-il.Enfin,jesupposequ’ilyaundébutàtout.

    Ayden esquisse une grimace tout en jetant unœil discret versmoi. Il remarquemon froncement desourcils,puisreportesonattentionsurTony.

    —Heymec,jesaisquec’estdifficilepourtoimais...laissetomber.

    —Ouais,vautmieux,répondTonyd’unairblasé.J’aiaperçutabécanedehors.Elleenvoiedulourdcetteroadster.

    —Elleeststyléehein ?Unpurplaisirde laconduire.Je te la feraisessayer, rienàvoiraveccettemerdequetupossèdes.

    Aydensourit,Tonyaussienlevantlesyeuxauciel.Moijefulminedel’intérieur.Aprèsavoirdonnéla

  • commandeàShanna,unedesserveuses,jem’avanceetmeplanteàcôtéd’Ayden.

    —Tuasentenducequ’iladitausujetdeladéco ?

    Aydensetourneversmoietpinceleslèvres.

    —Pasmaintenant,miss.

    Jelèvelessourcils.Quoi ?Miss ?Çasortd’oùçaexactement ?JejetteunœilversTonyquiesquisseunsourireennousregardant.Çayest,monsieurdaigneenfinm’accorderdel’importance.Bienquenotreéchangederegardsparaîtintenseetqu’ilaspireàcequejemetaise,horsdequestiond’entrerdanslemoule.Lesgensontpeut-êtrepeurdelui,maismoipersonnenem’impressionne.

    —T’asunproblèmeaveclebar ?hurlé-jesanslequitterdesyeux.Laporteestgrandeouverte !Tespotesettoivouspouvezvoustirer !

    Àcemoment,jedistinguede lacolèreentraver levisagedeTony. Il se lève,prêtà faire le tourducomptoirpourmerejoindre.Derrièrelui,sesacolytesrestentauxaguetssurlepointdebondir.Surqui,surmoi ? Sérieusement ?Ayden se penche au-dessus du bar juste à temps pour stopper Tony dans sacourseversmoi.

    —C’estbon,ducalme !crieAyden,unemainposéesurletorsedesonpote.

    Tony s’arrête dans son élan, serre la mâchoire, haletant et me fusillant du regard. Bon sang, j’ail’impressiond’avoirdéclenchéunflotdecolèreénormechezlui.

    —Répètecequetuviensdedire ?vocifère-t-il.Ilmesembleavoirétéclaircematindanscetteputaindelibrairie.Fais-gaffeàtoi,lanouvelle !

    Waouh,jesuisscotchéeparlavivacitédesesparoles.Unejeunefilles’approchedenous,cellequej’aidéjàvue.Sacopinesijenemetrompepas.Pensantqu’ellevam’enmettrepleinlagueulepouravoirénervésonmec,jel’entendsdéclarer:

    —Calme-toi,Tony.Cebar,ellenesaitpascequ’ilétaitavant.

    Tony lui décoche un regard sévère. Merde alors, sourire lui demanderait trop d’effort ? J’ail’impressionqu’iln’yaquedelacolèreenfouiedanstoutsonêtre,prêteàexploseràtoutmoment.Sespotesmotardsparlententreeux,certainsmedévisagentetl’und’euxmecriemêmequej’aiintérêtàmecalmer rapidement.Ayden sertunebièreàTonyqui lui arracheviolemmentdesmains,puis sa copinel’entraîneversleurtable.Nedésirantpaslasuivreilprendladirectiondelasortie,nonsansdonneruncoupdepoingdanslaporteavantdel’ouvrir.Est-cequec’estmoiquil’aiautanténervé ?Detoutefaçonjem’enfiche, iln’avaitpasàdireçadubardans lequelnous travaillons.C’estunmanquederespecttotal.Levoilàprévenu.Avecmoiinutiledelajouergrandegueule.Sesamismefusillentduregardpuisretournents’asseoir.Aydencroisesesbrasmusclésensetournantversmoi:

  • —Chloé,jet’aiditdenepastemêler...

    —Maisturigoles !m’exclamé-je,horsdemoi.Cetypeseconduitcommeledernierdesconssurterreetjedoisl’accepter ?

    —Maisil...

    —Maisquoi ?Tuprendssadéfensetoutçaparcequetufaispartiedecefoutugang,maintenant ?

    Aydenplacesesmainssurmesépaules,cequimesurprendetmecoupedansmonélan.Ildéclare:

    —Ilya…pleindechosesquetuignores,alors...s’ilteplaît,nelesprovoquepas.

    —C’estluiquiacommencé,déclaré-jeenmedégageantvivement.

    OK, réplique d’une gamine de dix ans, mais je suis sur les nerfs. Sans écouter les remontrancesd’Ayden jem’empare des poubelles. J’en aima claquede l’entendregeindre, ce soir il semble avoirchoisisoncamp.Moiquicroyaispouvoircomptersurlui,étantnouvelleicietqu’ilestleseulàêtrecoolavecmoi.C’estvrai,nousnoussommestoutdesuiteentendus,jen’aiaucuneenviequeTonyetsabandeviennenttoutgâcher.Dosàlaportepoursortirdubar,jetentedelapousserd’uncoupdehanche,maiscommequelqu’unouvreenmêmetempssansquejenem’enaperçoive,jeperdsl’équilibreettombelesfessesparterre.Bienévidemmentlespoubellesquej’aientraînéesdansmachuteserenversentsurmoi.Aprèsladouleuretlaragequim’envahit,jerelèvelesyeuxsurlapersonneenfacedemoi.Tony.Sourireencoin,ilmurmure:

    —Tevoilààtaplace,saletraînée.Parmilesordures.

    Choquéepar cequ’il vientdedire, je reste à l’observer tandisqu’il retournedans lebar.Eneffet,inutilequej’attendedel’aidedesapart.Jemerelève,heureusementlesbouteillesnem’ontpasblessée.Unefoiscefoutoirramassé,jevaislejeteravecl’envied’insultercetypedetouslesnomsd’oiseauxquime viennent, mais je me retiens. À l’intérieur du bar, c’est plus calme. Après cette mésaventure, jeretournederrière le comptoir.À la tabledesmotardsAyden s’amuse avec eux.Quelqu’un—Matt, jecrois— le remplace.Un autre type est arrivé aussi. Il s’appelleKévin si jeme souviens bien.Nousdiscutonstoutenservantlesclientsquisemblentdétendus.

    Kévinmedragueunpeu,maisjesuistellementsurlesnerfsquejen’yprêtepasattention.Lasoiréeseterminepeuàpeu,ilestpresquedeuxheures,l’heuredelafermeture.JejetteunœilducôtédelatabledesmotardsquandAydenrevient.Inutiledediscutertoutàl’heureilm’adéçue.Depuistoujours,jemetsunpointd’honneuràagircommebonmesemble,etcen’estpasluiquivamedictermoncomportementfaceàcegangà lanoix. Ilyamonpèrepourça.Deplus,quandmamèrenousaquittés, j’ai jurédetoujours agir selonmonbonvouloir.Êtreune femme libre,commeelle l’affirmait, et ne laisser aucunhommeprendredesdécisionsàmaplace.

  • Jefinisderangerlesverres,metsenmarchelelave-vaisselletandisquelesderniersclientsquittentlebar. Je sais qu’Aydenm’a regardéeplusieurs fois depuis son retour àmes côtés.Une fois terminé, jecompterejoindremonpère,maisAydenm’appelle.Agacée,jeluifaisfaceetcroiselesbras:

    —Quoi ?

    —Arrêteça,s’ilteplaît.Jeteramène ?

    —Monpèreneveutpasquejemontesurtamoto.

    —Depuisquandtul’écoutes,tongéniteur ?Etpuis,j’aimeraisteparlerunpeu.

    —C’estbon,paslapeine.Tufaispartiedesleurs,alorsjenevoispascequ’onadeplusàsedire.

    Aydensembleembêtéparmespropos.Ilal’airderéfléchir,maisilnecomprendpasquejenefaispasdanslademi-mesure,moi.Tonynem’aimepas,et ilss’apprécient touslesdeux.Cen’estpasdifficiled’imaginerquema relationavecAydenestvouéeà l’échec. Il sepasseunemaindans les cheveuxensoupirant.

    —Tuesdisponibledemain,versmidi ?

    Surprise qu’il poursuive la conversation après ce que je viens de dire, je finis par avouer ne pasbougerdechezmoi.

    —Tun’aspascoursalors ?

    Ànouveauétonnéeparsaquestion,jebégaie:

    —Non,je...non.

    Ilfroncelessourcils,attendantsûrementquejedéveloppe,maisjerestemuettecommeunecarpe.Jenemesenspasprêteàluiracontermonhistoireetlefaitquejenesoispasinscriteàl’université.Ilmedévisageencoreuneminuteet,serendantcomptequejenedistoujoursrien,illèvelesyeuxaucieletdemande:

    —Tupeuxmerejoindreàlafac ?Ondéjeuneraensemble.Etnevapascroirequec’estunrencard,hein !

    Àmontourdefroncerlessourcils.J’ail’airdevouloirsortiravecluipeut-être ?

    —Cen’estpasquetunemeplaispas,reprend-il,t’esjolieettout,mais...bref,tonpèremevireraitetmoij’aibesoindeceboulot.

    —Oh,alorsjeneconnaîtraisjamaislajoiedet’embrasser ?demandé-jed’unairmoqueur.

    Unsourireencoins’affichesurlevisaged’Aydentandisqu’ilprendlesclésdesamoto,rangéedansuntiroiràcodes.

  • —Après,onpeuttoujourss’arrangersic’estcequetuveux.

    Jelèvelesyeuxenl’air,puislelaissepartirenluisouhaitantunebonnenuit.Unegrandecompliciténouslieetçam’embêteraitvraimentqu’ontravailleensemblesanscommuniquer.Jen’arrivemêmepasàlui faire la tête plus de cinq minutes. Mon père surgit une seconde après, encadré de deux hommescostaudsauxcrânesrasés.Cesontcertainementlesvideurs.

    —Undebriefdemainmatin,monange ?

    J’acquiesceetlerejoins.Lesdeuxvigilesnousaccompagnantjusqu’auxportesdubar.Unefoisdehors,jevoislamotod’Aydenfilerauloin.Monpèresecouelatêteetnousrentronsàlamaison.

  • Chapitre7:Unnouvelobjectif

    Le lendemain, je coursdebonneheure, aveccebesoind’évacuer la tensionaccumuléedepuisdeuxjours.Si je récapitule,àpeinearrivée, jemesuisattirée les foudresdeRaymondetdesonfils,Tony.Tous les deuxmedétestent pourtant je n’ai rienprovoqué.Ah si, j’ai peut-être tropouvertmagrandebouchecommedittoujoursmonpère.Çal’étonnevraiment ?Aprèstoutjetiensçadelui.Etpuisc’estquoicedélire ?CettevilleestdoncsouslejougdeRay,quiainstaurélaterreurettoutlemondesembleavoirpeurdeluietdesmotards.Incroyable.

    Enrevenantdemonfooting,alorsquelesoleilselèvetoutdoucementdansdesnuancesjauneorangé,j’emprunte un petit sentier que m’a conseillé un autre joggeur rencontré pendant ma course. Il mènedirectement vers le lac que je vois depuis ma chambre, celui où j’imaginais que le reflet du soleilsemblaitmagnifique.Jesuiscoupéedansmonélanquandj’aperçois,devantlesbarrièresquiséparentlepontonduchemin rocailleux,unemoto.Dessusest assisunhomme.Mêmededos, je le reconnais.Sachevelureépaisseetnoirebougelégèrementgrâceàlabriseduventquimefaitfrissonner.D’instinct,jememetssurmesgardes.Tonysembleperdudanssespensées.Déjà ?Àcetteheuresimatinale ?

    Je ne peux pas voir son visage, seulement l’imaginer. Mais sa beauté se trouve gâchée par soninsolence. À toutmoment, il peut se tourner etme surprendre, mais je n’arrive pas à décoller de ceponton.Pourquoiest-cequ’ilal’airsihargneux ?Cache-t-iluneterriblesouffrance,unmal-être ?Nouspossédons tous un jardin secret, mais en quoi cela me concerne-t-il ? Pourquoi s’en prendre aussiviolemmentàmoi ?Jemesouviensqu’hier,aubar,sacopineaditquejeneconnaissaispascelieuavant.

    De quoi parlait-elle au juste ?LeSeventee’s était quoi à l’époque ?MêmeDonna la bibliothécairerestaitévasive:«Jepensaisquepersonnenereprendraitl’affaireaprèscequis’estpassé.»Bonsang,toutlemondesembleaucourant,donc !Lasonneried’untéléphoneretentitetmesortdematorpeur.Jeréalise que c’est ma musique qui joue quand Tony se tourne brusquement vers moi. Nos regards serencontrent.Lui surpris,moi, tétanisée à l’idée qu’il croit que je l’observe.Chosevraie, certes,maisc’étaitcensérestersecret.D’abordinterdit,ilplisseensuitelesyeuxetjesensquelesévénementsvontprendreunetournureparticulière.Ilsautedesamotoet,d’unmouvementdesépaules,réajustesavesteencuirendéclarant:

    —Qu’est-cequetufouslà,toi ?

  • Saquestionjureaveccedécoridyllique.Merde,cegarsal’artetlamanièredetoutgâcher.Pourunefois,mevoilàd’accordaveclui,qu’est-cequejeficheici ?Moi,etcemaudittéléphonequivientdemetrahir.

    —Jene croispasquecet endroit t’appartienne.Alors tuvois, je regarde le soleil se lever.Et toi,qu’est-cequetufouslà ?

    Ilhausselessourcils toutenayantunrictus.Tantmieux,aumoins je l’amuse. Il s’approchedemoi,toujours méfiante. Comment faire autrement avec lui, ai-je vraiment le choix après qu’il ait pété lesplombslaveilleaubar ?Tonyabeauarborerunegueuled’ange,ilpossèdeuncôtédémoniaqueet,hiersoir,j’aicruvoirdesflammesdanserdanssesyeuxnoirs.Cen’estpasquej’aipeurdelui,maisjeneleconnaispas.Pourtant,jecommenceàcernerlepersonnagedanslequelilsecantonne.

    Unconnardfini.

    Ilserapprochedemoitelunfélin,toutenmedétaillantdelatêteauxpieds.Iljaugel’ennemie.

    —Tun’aspasfroidauxyeuxpourosertefrotteràmoidebonmatin.

    Unpetitsourireencoinjeréplique:

    —Quellefemmeassezfollepoursefrotteràtoitoutcourt !

    Ilcomprendparfaitementmonallusionunpeucoquinequejeregretteaussitôt.Cen’estpasdansmeshabitudes de parler comme ça, mais pour le coup c’est sorti tout seul. Tonyme fait dire des chosesincroyablesetlerougememonteauxjoues.

    —Tuveuxfairelamaligne ?Nejouepasavecmesnerfs.Tonpèreettoin’êtespaslesbienvenusdanscebar.

    Ah,nousyvoilà.Encroisantlesbras,jeréponds:

    —Pourtantçafaitdeuxsoirsdesuitequelesrecettesdécollent.Maislibreàtoideneplusyrevenir.

    Ilmefixeun instantet j’ai l’impressionque toutmoncorpsse liquéfie. Jesaisqueçapeutparaîtrecliché,maisbonsang,jen’aijamaisressentiça.Moncerveauordonneàmespiedsdepartirauplusvite,maisimpossible.J’essaiedemaintenirlesbattementsdemoncœuràunrythmerégulier,jetentedenepasavoirl’aircomplètementsouslecharme.Maissaprésenceprovoquetoutlecontraire.

    —Tevoirlà-basmerépugnedetoutefaçon,alorsçam’étonneraitquej’yremettelespieds,répondférocementTony.

    —Maismerde,pourquoitumeparlescommeça ?m’écrié-jesoudain.

    Ilouvresesgrandsyeuxnoirscommesimaquestionledéstabilise.

  • —Putain,tunevaspastemettreàchialerenplus ?

    Peut-êtrequejepourrais,maisseulementparcequ’ilm’énerveàsecomportercommeunabruti.Maisjenebaisseraispasmagardedevantlui.Jamais.Çaluiferaitbientropplaisir.

    —Pourquoitoutecetteagressivité,bonsang !Ils’estpasséquoidanscebar,hein ?

    Son visage change d’expression, comme hier quand il parlait àAyden. Lorsqu’il a affirmé : «Lesautresontditquejedevraisvenirpourtenterd’avancer.Cesontdesconneries.Toutmeramèneàelleici.»Etiln’apasterminésaphrase.Parceque,commemaintenant,ilsembleperdu.Est-cequej’aiposélamauvaise question ?Ou l’ai-je posé à lamauvaise personne ? L’histoire qui appartient à ce bar letouche-t-ildirectement ?J’ail’impressionqu’ilvamedirequelquechose,maisilseretientenserrantlespoingsetcontractantsamâchoire.Suspendueàseslèvrescharnues,attendantuneréponse,jemedemandecommentun typeaussi séduisantetavecautantdecharismeapuenarriver là. Jeveuxdire, il dégagetellementdecolèrequecelaseressentàdeskilomètresàlaronde.

    —Fous-moilapaix,t’ascompris ?Profitedetonbarpendantquetuenasencorel’occasion.

    Soudain,ils’éloigneverssamotoenremettantsoncasque.Quoi ?Ilmelaisseplanterlà ?Ilsemoquedemoiouquoi ?Monsieurnetientpasàfinirlaconversationenplus ?Endémarrant,ileffectueunburn.Çaconsisteàbloquerlaroueavanttoutenaccélérantpourfairetournerjustecelleàl’arrièredelamoto.Celabrûle lagommedupneuetsoulève lepeudesableque leventa transporté jusquesur leponton.Histoirequej’enprennepleinlagueule.Toutatterritsurmesbaskets,puisTonydétaleàviveallure.Derage,jesecouemesjambespourenlevertoutecettesaleté.Ilneperdrienpourattendre !

    Malgrésonattitudepuérile,jenepeuxm’empêcherdemedirequ’ilauneallurevraimentsexysursamoto.

    Jedivaguecomplètement,ilesttempspourmoiderentrer.

    ***

    Sur le chemin du retour, je constate que la librairie est ouverte. Un écriteau explique que Donnarecherchequelqu’unpours’occuperdurangementdeslivres,classerdesdocuments,guiderlesétudiantsquiviennentpourapprofondirleurscoursetc.Moiquiaimeraistravaillerdanslajournée,jetrouveçaplutôt intéressant. Alors d’un pas décidé, je passe la porte de la librairie « Au détour des livres ».Malgrél’heurematinale,ilyadéjàdumonde.Donna,dosàmoi,rangequelquesouvrages.

    —Bonjour,annoncé-jed’unairunpeutimide.

    Ellesetourneetmedévisagedelatêteauxpieds.

    —Waouh,tucourslematin ?Sportiveenplusd’êtrebelle.

    Jesourisetlaremercie.Sescheveuxblondssontcoiffésd’unchignonstrictetseslunettesnoiressurle

  • nezluidonnenttoujoursunairdesecrétairedebureau.

    — Merci. Euh j’ai vu que... que vous cherchiez une personne, alors comme je travaille de nuit,j’aimeraisoccupermesjournéesici.

    Donnasembleintriguée,jechoisisdejouerlacartedel’honnêtetéetm’empressedeluidirequejenepoursuispasmesétudesàl’université,pouraidermonpère.Inutiledeluiraconterquemamèrenousaquittésilyadeuxmoisetquejeneveuxpaslelaissertropseulaprèsledépartdemonfrère.Donnaposesesavant-brassurlecomptoiretsourit:

    —C’esttrèsgentilàtoi.Tum’asl’aird’êtreunefillesuper,maisjedoisjustet’engagerparcequetuasdutempslibre ?

    Ellepenchelatêtedecôté,jecomprendsquejedoismevendreunpeu.

    —Ehbien,oui.Maispasseulement. J’adore lire.Lesbouquinsetmoinousn’avonspasdesecretsentre nous. En fait, j’étudiais la littérature anglaise. Ici, je me sens dans mon élément, affirmé-je enregardantautourdemoi.

    J’inspireetajoute:

    —J’ai fait lechoixdeneplusallerà la facpoursoutenirmonpère,maissi jepeuxaiderd’autresétudiantstoutenfaisantconnaissanceaveceux,ceseratoujourssympa...

    Donnaajusteseslunettes,seraclelagorgeetsesyeuxmarronmefixent.

    —Tonhistoireme toucheet tum’as l’airmotivée.Mafoi,pourquoipas. Je teprendsà l’essaiunesemaine.Parcontre,j’aibesoindequelqu’unseulementlesaprès-midi.De13hà18h.

    —Çameva,c’esttrèsbien.

    —Alorsàcetaprès-midi ?

    Jeclignedesyeux.Waouh,sivite ?OK.

    —Génial.Àtoutàl’heure !

    Jelaquitteetreparsencourantverslamaison.Excitée,jerencontremonpèredanslacuisineetluifaispartdemonnouveautravail.Ilprépareducaféetmetendunetasse.

    —Lalibrairiequisetrouveenvillesemblechouette,chérie !Jesuisravi.Tuvaspouvoirgérertoutça,n’est-cepas ?

    Nousnousasseyonssur la tabledans lacuisine.Lacouleurverteque j’aipeintehier rendvraimentbien. Si j’ai le temps demainmatin, j’achèterais en ville de quoi décorer le reste de lamaison.Nosmeublessontplutôtdansunstylerustique,danslestonsnoirsetbeiges.Avecunetouchederouge,cela

  • feral’affaire.

    —Tunem’avaispasditquetusouhaitaisprendredescoursparcorrespondance ?poursuitmonpère.

    —Oui,mais jevaiscontinueràyréfléchir.Saddydoitmedirecequ’ilsvontétudiercommelivrescette année. Je les emprunterai à la librairie dans un premier temps. Ensuite, selon le programme jem’inscriraisauxcours.

    Ilposesatasseàcaféetmedévisageavantdedéclarer:

    —Tuasdoncpenséàtout,mademoiselle ?Mevoilàtrèsfierdetoi,mabelle.

    Jesensunepointed’amertumeémanerdesavoix.Monpèresaitquejefaistoutçapourresteràsescôtés.Audébutréticent,iladûacceptermadécision.Dèsqu’onparledemonavenir,ilestémualorsjechangedesujet:

    —Tuasvulesuccèsdubar ?C’estincroyable !

    —Oui, acquiesce-t-il en se raclant la gorge pour contrôler ses émotions. Je dois dire que je suisagréablementsurpris.Lesrecettesseportentbien.Néanmoins,j’aicrucomprendrequelesRebelBikerssetrouvaientlàhiersoir.

    Mon père me regarde attentivement, comme s’il s’attend à ce que je lui dise quelque chose enparticulier.Jemepinceleslèvres.

    —Dequiparles-tuexactement ?

    —Tusaisdequijeparle,Chloé.LegangdesmotardsdontlechefestTony,lefilsdeRay.Écoute,j’espèrequetunecherchespasd’ennuis.

    Jemelèved’unbond.Pourquoitoutlemondepensequejesuisàl’originedetout ?

    —Cesontplutôteuxquilescherchent,papa !Tonyaditqueladécodubarétaitpourriejustepourmeprovoquer !Désolée,mais ça ne se fait pas !Nous avons investi là-dedans, personne ne doit dénigrernotretravail !Jeluiairétorquéqu’ilpouvaitdégageravecsespotes,sil’endroitneluiplaisaitpas.

    Jereprendsmonsouffle,sousl’œilamusédemonpère.Ilselèveàsontour,sepasseunemaindanssescheveuxchâtainsetsoupire:

    —Ilsprovoquentbeaucoup.D’oùleurnom,maislesRebelBikersneplaisantentpas,mapuce.Inutiledenouslesmettreàdos.SiAydengèreleurprésenceaubar,toutirabien.

    Pas la peine de discuter davantage, mon père ne comprend pas que je ne peux pas cautionner lecomportementtropmachodesmotards.Simamères’estlaisséeembobinerpareuxaudébut, j’aibeauêtrefascinéeparcequ’ilsdégagent,jamaisjenemeplieraiàleursrègles.Lapauvre,ellel’aregrettéparlasuite.

  • —D’accord,alorsjenemepréoccuperaiplusd’eux,sic’estcequetusouhaites.

    Jeposemesmainssurmeshanchesetmonpèresourit:

    —Cequejevoudrais,c’estquetutravaillesdanscettelibrairie,quetupuissescommencertesétudesparcorrespondancesipossible,etqu’onbosseensembleaubar.Tupensesqu’onvapouvoiryarriver ?

    Jehochelatête,etmonpèremeprenddanssesbras.Montéléphonesonneànouveau,jelequittepourrejoindremachambre.C’estSaddy.Aprèscettesoiréeetma rencontreavecTonycematin, jene saisplus quoi penser. Comment se sentir lorsqu’une personne se montre aussi hostile envers vous sansraison ?Jen’arrêtepasdemeposerdesquestionsàproposdecemec,enfinjemeprendslatêteausujetdugroupeentier, lesRebelBikerspuisquec’estainsiqu’ilsse fontappeler.Quisont-ils ?Etpourquoiinstaurerlaterreurdanscetteville ?

    Au-delàdeça,Tonysemblevraimentperturbé.Ilfaitpartiedecegangetpourtantc’estseulquejel’aiaperçucematin.Demeurersonamie,trèspeupourmoi,maisfigurersurlalistedesesennemis—carilenacertainement—seraitpire.JerappelleSaddy,puisqueplongéedansmespensées, j’aiencoreunefoisratésoncoupdefil.

    —Allô,alorsquoideneuf ?demandé-je.

    Enmêmetemps,jefileàlasalledebainpourprendremadouche.

    —Çava,j’aieulepremiercours,çayest.Cettetroisièmeannéesembleintéressante.Tuauraisaimé !

    Jefaislamoue.Biensûrquej’auraisaimémetrouverlà-basavecelleplutôtquederencontrerl’autreimbécileprèsdulac.

    —Jen’endoutepasuneseconde.Figure-toiquejevaisbosseràlalibrairiedelaville.

    —Chouette, c’estunebonnechose !Çava t’occuper !Ducoup,en find’après-midi je t’envoieparmaillalistedeslivresquenousallonsétudierdansl’année.

    —OK,cool.

    Jelaissepasseruneminuteouplusieurs,etSaddymedemande:

    —Hey,est-cequetoutvabien ?

    Jeprendsquelquesinstantspourmeregarderdanslemiroir.Àcausedemacoursematinale,maqueuedechevalpartdanstouslessens.Jepossèdeuneépaissetignassebrune,commemadéfuntemère.Mesyeuxmarronvraimenttrèsclairviennentdemonpère.Jesoupire.Est-cequetoutvabien ?Jelepensaisjusqu’àcequemonespritseconnectesurTonyetsamanièrechaleureusedemeparlerdèsqu’ilmevoit.

    —Çava,c’estjuste...Ilyacegarçon...

  • —MonDieu !Déjà ?

    Oui,déjà.Ellenecroitpassibiendire.

    —Raconte-moitout,j’aiencoreuneheuredevantmoi !

    Jefinisparsourireenmedisantquej’aidelachance.Malgréladistance,Saddysemontretoujoursprésente,surtoutdanslesmomentsdélicatscommecelui-là.Jeluiexpliquetoutcequis’estpassédepuismon arrivée ici, et bien entendu Tony fait partie du récit. C’est lui d’ailleurs qui me rend aussinostalgique.Jen’aimeraispasmemettredumondeàdos,maisilsembledéterminéàmepourrirlavie.Laseulequestionquipersisteest:pourquoi ?

    —Tuluiplais.

    Jemanquedetomberenentrantdansladoucheavecletéléphone.

    —Jetedemandepardon,Saddy ?

    —MaisbiensûrChloé !C’estévident.Sinon,pourquoiréagirait-ilainsiavectoi ?Cegenredegarsestunclassique.Tatoué,beaugosse,tourmenté,etsoudainunefemmetoutebanale—neleprendpasmal—oui,toiétrangèreàsonmondedébarque,etlà,hop !Ilserendcompte...

    —Ilyadesfillesbanalesdanstouslescoinsdelaville !Alors...

    —Est-cequel’uned’entreellesluiadéjàtenutêtecommetoi ?Decequetum’asraconté,tun’aspasl’air impressionnée lemoinsdumondepar lui, par cequ’ildégageet c’estpeut-être çaqui l’attire etl’énerveàlafois.Tuledéstabilises,Chloé !

    Jeresteuneminuteàréfléchir.OK,toutlemondesembleavoirpeurdesRebelBikers,mais...non, jenedoispasêtrelaseuledanstoutecettevilleànepasêtreimpressionnéepareux !Si ?Ohmondieu !Parailleurs, Tony n’a pas l’air du genre à se laisser déstabiliser facilement. Saddy m’a encore plusembrouillél’esprit.

    —Saddy,jeterappelleplustard.

    —Parcequetusaisquej’airaisonetquetuasbesoind’yréfléchir ?dit-elled’untonmoqueur.

    Jesourisetaffirmequec’estplutôtparcequ’ellememanqueénormémentquejesouhaitelarappeler.Cependantjedoism’activer.Alorsnousraccrochonsennouspromettantdenousappelerdanslasoirée.

  • Chapitre8:Évoquerlepassé

    Mon père et moi sortons de la maison quelques heures après que j’ai eu Saddy au téléphone. LaconversationavecmameilleureamieausujetdeTonymetrotteencoredanslatête.Ah,siseulementellese trouvait ici, avec nous ! Mon géniteur a une course à faire en ville et semble content que j’ailledéjeuneravecAyden.Oui,ilestraviquejepassedutempsaveclui,«maispastroplongtemps»m’a-t-il dit. Se souvient-il que j’ai vingt-et-un ans ? Mon regard quand il grimpe dans la voiture lui faitcomprendremonagacement.

    — Je sais, je sais. Inutile que tes yeuxme lancent des éclairs.Mais tu esma petite fille que tu leveuillesounon.

    —Ettoituesmonvieuxpère,quetul’acceptesounon,réponds-jeensouriant.

    Il secoue la tête et démarre. Jeme cale dans sa camionnette aux sièges en cuir.Unvrai petit bijoucommeildit,etilaraison.C’estunimmensepick-upnoir,sublime,avecdesrouestrèsimposantes.

    —Jem’achèteraibientôtunevoiture.Parcequelesoir,onnerentrerapastoujoursensemble.

    —Aydenconduitunevoiture,répondmonpère.

    —MaisAydenpossèdeaussiunemoto,papa.Etjedoutequetuveuillesquejemonteavecluilorsdetesabsences,jemetrompe ?

    Unegrimacetordsonvisage,ilestdoncd’accordavecmoi.Parlavitre,jedistinguedefinesgouttesde pluie. Décidément. L’hiver montre ses dents et, dans cette ville, mieux vaut se préparer à touteéventualitéquestionmétéo.Heureusement,jeporteuneparkableueàcapuchesurmachemiseblancheàmancheslonguesetmonjean.Toujoursaccompagnédemesbootsnoirs.JerepenseàAydenquiaffirmequej’aiunlookd’adopré-pubère.C’estsûrqu’àcôtédesaplastiqueetdesestatouages,j’ail’airbienfade. Sur le court chemin qui nous sépare de la maison à la ville, par mon rétroviseur, je distinguesoudain trois motos derrière nous. L’une d’elles appartient à un policier. Mon cœur s’affole, commetoujours.Bonsang,j’enaitellementmarrederessentirça.Monpèresoupire,etjevoisquel’hommeenuniformepassesursagaucheetl’inviteàserabattre.

    Quelquessecondesaprès,nousnousarrêtonssurlebas-côté.LestroismotardssegarentetceluiquejesupposeêtreRayretiresoncasque.Bingo.Lesdeuxautresrestentàdiscuterentreeux.Monpèrebaisse

  • lavitredelavoitureetRay,vêtud’unblousonbleunuit,nousjauge.

    —Bonjour,James.Toutvabien ?

    —Toutvatrèsbien,merci.Unproblèmedevotrecôté ?

    Raysepencheunpeupluset croisemon regard.Sesyeuxont lamême formequeceuxde son fils.Aussisombreset intenses.Lecieldevientorageuxderrière lui,soudain teintédequelquesnuagesgris.Est-ceunprésage ?

    —Chloé,j’espèrequetun’aspasd’ennuisdepuistonarrivée ?questionneRaydefaçontrèssérieuse.

    Surlepointdeluidemanders’ilplaisante,leregarddemonpèrem’intimedefaireprofilbas.CommesiRaysepréoccupaitdemonconfort.C’estlameilleurecelle-là !Ensoupirant,jedéclare:

    —Toutvatrèsbien...monsieurl’agent.Etvous ?Pastropdevoyousàpourchasser ?

    Bienévidemment,jefaisallusionauxRebelBikerset,commesesyeuxseplissenttelunserpentprêtàavalersaproietoutecrue,jesupposequ’ilacomprisoùjevoulaisenvenir.

    —Non, ici l’ordrerègne.Nousavons imposénotresystèmedoncaucuneembrouille.Ceseraitbienquecelacontinueainsi.

    Ilfroncelessourcilsetmonpèrereprend:

    —Iln’yaaucuneraisonpourqueçachange.Toutlemonderesteàsaplaceetaucunproblème,n’est-cepas ?

    Rayjetteunœilàsesdeuxacolytesquiregardentdansnotredirection,puisilnousfixeànouveau:

    —Ouais,onvadireçacommeça.Bonneaprès-midi.

    Ilremetsoncasqueetfilerejoindresescamarades.J’ai lepluslongsoupirde l’histoirede tous lessoupirs,maismonpèrerestesilencieux.Nousreprenonslarouteetilneparletoujourspas.Çam’agacedelevoirsouventcommeça.Peut-êtrepense-t-ilàmamère ?Àmonfrère ?Jen’osepasluidemander.Seconfier,c’estpastropsontruc,àmongranddésespoir.Finalement,jedécidedebriserlesilence:

    —MamanetTylermemanquent.Jemerappellequandellenousdéposaitàl’école...Ellenousdisaittoujoursqu’ellenousaimait,denejamaisoublierça.

    Monpèresetourneversmoi,commesimaprésencelesurprendtoutàcoup.Ilfroncelessourcils.

    —Chloé,necommencepasà...

    —J’aibesoind’enparler,d’accord ?Àl’époquetoutallaitbien,tuavaisréussiàlasortirdecegangdemotardsetpourtant...

    —Chérie,non,pasmaintenant...je...

  • —Etpourtant,continué-je,lorsqu’ellenousregardait,onauraitditquec’étaitladernièrefoisqu’ellenousvoyait,Tyleretmoi.Jelisaisdanssesyeuxquequelquechoseluifaisaitpeur,papa !

    Ilneditrien,rouleencoreensilenceetfinitparsegarerbrusquementdevantl’université.Lesmainscrispéessurlevolant,leregarddirigésurunpointfixefaceàlui.Jememordslalèvreparcequejesaisqu’il souffre tout autant quemoi.Mais mamanmemanque et je