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Recensions Itinéraire d’un historien. Études sur une crise de l’intelligence XVII e - XX e siècle On se priverait d’un plaisir rare en passant outre la longue introduction (près de 40 pages) que Jean de Viguerie nous offre pour présenter les dix articles ici regroupés. Cette belle préface retrace, avec une douleur pudiquement voilée d’humour, « l’itinéraire » de ce grand historien, elle démontre aussi – s’il en était besoin – que cette crise de l’intelligence dans laquelle l’Occident serait entré au XVII e siècle dure encore. Dès les premières lignes, le constat est posé, affligeant. Ces dix études « ont été faites à l’encontre de l’alma mater et malgré elle » (page 9). L’auteur – professeur émérite à l’Uni- versité de Lille – dénonce impitoyable- ment la grande misère de l’Université française : misère matérielle, misère mo- rale après la révolution de 1968 (« tout était fait en ces lieux pour que l’on n’étu- diât point », page 10) mais surtout pro- fonde misère intellectuelle et « dévoiement » de sa matière : l’histoire. M. de Viguerie retrace magistralement un siècle d’historiographie nationale. Les années 1900-1920 à « l’histoire plate, l’his- toire petite, à l’image des petits bourgeois qui la faisaient » (page 13), ces Lavisse, Langlois, Seignobos qui décrétèrent et imposèrent l’inexistence des héros et des saints. Les années 1930-1940 avec les écoles marxistes (Lefebvre, Labrousse), puis marxienne (Febvre, Bloch, Braudel), qui décidèrent l’inexistence de l’homme remplacé par des « structures », une « société », une « humanité » en progrès constant grâce aux « lumières ». Dans les années 1960-1970, l’histoire était mûre pour le coup de grâce des structuralistes (Foucault) et des sociologistes (Mandrou), elle sombrait dans l’idéologie et le philo- sophisme… Ces écoles successives « tenant » les jurys de concours et de thèses, les revues, les éditeurs, imposè- rent leurs lubies à des générations d’his- toriens, même à ceux qui n’en étaient pas. C’était clair, il y avait une doctrine du passé. On avait eu auparavant la doc- trine républicaine (les rois, c’était mal, la République, c’était bien), mais cette doc- trine-là commençait à s’user. La nouvelle doctrine n’était pas politique, mais plutôt métaphysique. C’était une conception de l’homme, un humanisme si l’on veut, mais un humanisme à l’envers, puisqu’il s’agissait d’anéantir l’homme du passé dans son époque, de le faire absorber en somme par le temps où il vivait. Les his- toriens dits de droite ne s’apercevaient guère de cette substitution de doctrine. Ils continuaient à ferrailler contre la Répu- blique et à défendre les rois (les rois, c’est bon, la République et la Révolution, c’est mauvais), et pendant ce temps-là l’hu- manisme à l’envers progressait tranquil- lement. On pouvait même voir certains historiens de droite s’en faire les zélés pro- pagandistes. Je pense ici en particulier à Philippe Ariès, entièrement converti à la nouvelle doctrine blochienne, tout en res- tant maurrassien et monarchiste. [Page 16.] Ancien élève de Louis Jugnet, Viguerie ne se laissera jamais abuser par « l’histoire officielle », même s’il entre à la Sorbonne, en 1967, comme assistant de

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Recensions

☞ Itinéraire d’un historien. Études sur une crise de l’intelligence XVIIe-

XXe siècle On se priverait d’un plaisir rare en

passant outre la longue introduction (près de 40 pages) que Jean de Viguerie nous offre pour présenter les dix articles ici regroupés. Cette belle préface retrace, avec une douleur pudiquement voilée d’humour, « l’itinéraire » de ce grand historien, elle démontre aussi – s’il en était besoin – que cette crise de l’intelligence dans laquelle l’Occident serait entré au XVIIe siècle dure encore. Dès les premières lignes, le constat est posé, affligeant. Ces dix études « ont été faites à l’encontre de l’alma mater et malgré elle » (page 9).

L’auteur – professeur émérite à l’Uni-versité de Lille – dénonce impitoyable-ment la grande misère de l’Université française : misère matérielle, misère mo-rale après la révolution de 1968 (« tout était fait en ces lieux pour que l’on n’étu-diât point », page 10) mais surtout pro-fonde misère intellectuelle et « dévoiement » de sa matière : l’histoire.

M. de Viguerie retrace magistralement un siècle d’historiographie nationale. Les années 1900-1920 à « l’histoire plate, l’his-toire petite, à l’image des petits bourgeois qui la faisaient » (page 13), ces Lavisse, Langlois, Seignobos qui décrétèrent et imposèrent l’inexistence des héros et des saints. Les années 1930-1940 avec les écoles marxistes (Lefebvre, Labrousse), puis marxienne (Febvre, Bloch, Braudel), qui décidèrent l’inexistence de l’homme

remplacé par des « structures », une « société », une « humanité » en progrès constant grâce aux « lumières ». Dans les années 1960-1970, l’histoire était mûre pour le coup de grâce des structuralistes (Foucault) et des sociologistes (Mandrou), elle sombrait dans l’idéologie et le philo-sophisme… Ces écoles successives « tenant » les jurys de concours et de thèses, les revues, les éditeurs, imposè-rent leurs lubies à des générations d’his-toriens, même à ceux qui n’en étaient pas.

C’était clair, il y avait une doctrine du passé. On avait eu auparavant la doc-trine républicaine (les rois, c’était mal, la République, c’était bien), mais cette doc-trine-là commençait à s’user. La nouvelle doctrine n’était pas politique, mais plutôt métaphysique. C’était une conception de l’homme, un humanisme si l’on veut, mais un humanisme à l’envers, puisqu’il s’agissait d’anéantir l’homme du passé dans son époque, de le faire absorber en somme par le temps où il vivait. Les his-toriens dits de droite ne s’apercevaient guère de cette substitution de doctrine. Ils continuaient à ferrailler contre la Répu-blique et à défendre les rois (les rois, c’est bon, la République et la Révolution, c’est mauvais), et pendant ce temps-là l’hu-manisme à l’envers progressait tranquil-lement. On pouvait même voir certains historiens de droite s’en faire les zélés pro-pagandistes. Je pense ici en particulier à Philippe Ariès, entièrement converti à la nouvelle doctrine blochienne, tout en res-tant maurrassien et monarchiste. [Page 16.]

Ancien élève de Louis Jugnet, Viguerie ne se laissera jamais abuser par « l’histoire officielle », même s’il entre à la Sorbonne, en 1967, comme assistant de

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recherche de Roland Mousnier. A Paris, Angers puis Lille, soutenu par son amour de la vérité et du réel, il poursuit son iti-néraire d’esprit libre, non sans difficultés, tant de la part de ses collègues (« mon pé-ché n’était pas politique, il était métaphy-sique. J’étais coupable de dire que l’homme était un être pensant et croyant. J’étais donc à rejeter ou à ignorer », page 26) que de « son » public :

Ce jour-là, je ne m’adressais pas à des universitaires, mais à des bourgeois de culture moyenne et bien-pensants. C’était donc un public très différent de celui de la Sorbonne et de l’abbaye de la Source. Mais sa réaction fut la même. Là aussi on me reprocha de compter avec les idées. J’explique dans cette étude que le roi Louis XVI partageant certaines des idées révolutionnaires, ne pouvait de ce fait s’opposer à la Révolution. C’était blas-phème. On cria furieusement. Louis XVI, me dirent mes contradicteurs, avait peut-être des idées, mais sûrement pas des idées révolutionnaires. Comment pouvais-je le croire ? J’insultais à la mémoire du roi martyr, du saint roi. D’ailleurs un saint n’a pas d’idées. Mon silence – que répondre ? – exaspéra l’auditoire. L’indignation de mes contradicteurs atteignit son paroxysme. Un vieux monsieur se leva et dit : « Vous avez guillotiné Louis XVI une seconde fois. » Il ne me restait qu’à me retirer. Je le fis. [Page 28.]

Le recueil s’ouvre par un retour sur l’œuvre maîtresse de Paul Hazard, La Crise de la Conscience européenne (1680-1715), parue en 1935. Jean de Viguerie en rappelle et confirme les grandes lignes : les 35 dernières années du règne de Louis XIV voient non seulement la nais-sance du mythe du « bon sauvage » mais aussi celle de la croyance à la bonté des religions non-chrétiennes. L’auteur cite d’étonnantes lettres de missionnaires jé-suites « baptisant le Coran », « annexant l’hindouisme » ou le brahmanisme

(page 50). Il est vrai que ces religieux, comme beaucoup, ont été séduits par la philosophie de Malebranche, proche du déisme et que leur apologétique est deve-nue déiste (page 57). Nous touchons ici le cœur de cette crise intellectuelle : l’aban-don de la philosophie traditionnelle, le triomphe du cartésianisme et la sépara-tion entre théologie et philosophie. Comment une telle catastrophe a-t-elle été possible ? Pour Viguerie, le thomisme, surtout en France, était, dès 1660, « vidé de sa substance » (page 56), et la respon-sabilité de la Compagnie de Jésus était lourde, ayant, sauf dans ses débuts, adopté Suarez (semi-nominaliste) comme autorité principale. Dans les mêmes temps, triomphent l’« utopiste » Fénelon dont les idées contiennent des « germes révolutionnaires » (page 58), et l’« économisme » avec Colbert et ses pro-jets antimonastiques (page 61). Contrai-rement à Hazard qui voit un grand pro-grès dans ce qu’il nomme pourtant « une renaissance sans joie » (page 66), Jean de Viguerie constate une chute : derrière l’idéalisme se profile le matérialisme le plus âpre (1685, Code noir qui légalise l’esclavage), « les premières manifesta-tions de l’inhumanité moderne », « le moment où l’homme a commencé à ou-blier ce qu’il était » (page 69).

Les quatre études suivantes illustrent des aspects de cette « crise de conscience » que l’auteur nomme plus justement « crise de l’intelligence ». L’article sur les prélibéraux français (Fénelon, La Bruyère, Saint-Simon…) qui « voient dans la société civile non une réalisation mais une aliénation de la li-berté […] séparent la société de la liberté, […] rendent la liberté artificielle, inconsistante et vaine » (page 109), ne montre pas assez que ces funestes penseurs ont une fausse conception de la liberté. Ils « annoncent les projets des

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libéraux chrétiens et de démocrates chrétiens de nos deux derniers siècles » (page 98).

Le troisième chapitre est une passion-nante mise au point sur la révocation de l’Édit de Nantes ; l’auteur montre que cet acte parfaitement légitime, moralement justifiable comme acte de « légitime dé-fense » (page 118) face à l’intolérance et aux violences hérétiques (affaire de Mon-tauban 1656-1657, page 119), était cepen-dant une faute due à une conception mé-caniste de l’homme et à un étatisme maté-rialiste (il était arbitraire d’interdire aux protestants d’émigrer). Le bienheureux Innocent XI désapprouve (pages 136 et 137) :

« Ce roi-là, dit-il, cherche bien plus les avantages de son royaume que ceux du Royaume de Dieu. Il a chassé les hugue-nots, mais nullement par un zèle de la religion. » Il attend cinq mois pour adresser au roi les félicitations qui s’imposent, et six mois pour faire célébrer le Te Deum de circonstance. Enfin il blâme le roi de ne parler que d’unité et non de vérité. Louis XIV en effet avait écrit ceci : « Nous ne voulons qu’une seule religion dans notre royaume. » « Le roi, réplique Innocent XI, n’aurait pas dû parler ainsi : les princes hérétiques n’en veulent pareillement qu’une dans leurs États. Mais il aurait dû dire (…) : que celle qui est la seule véritable. »

Pour Jean de Viguerie, les inconvé-nients de la révocation qu’il juge inutile (« c’est un agonisant qu’on tue ») l’em-portent sur les avantages. Alors que le « protestantisme de l’Établissement » s’engourdissait, on voit apparaître un « protestantisme du désert », pur et dur, et une révolte importante (les Camisards). De plus, les faux convertis minent les paroisses par le scandale qu’ils donnent, ils favoriseront la déchristianisation au XVIIe siècle. L’auteur énumère cependant les aspects

positifs de l’édit de Fontainebleau : l’unité religieuse du royaume est renforcée (le Béarn, le Montalbanais re-deviennent catholiques), un nouvel effort missionnaire est lancé avec une multipli-cation des livres de prières et, surtout, de dangereuses négociations « œcumé-niques » entre gallicans et hérétiques étaient sur le point d’aboutir sur des posi-tions antiromaines (pages 128-129) : elles sont définitivement rompues. Ces bien-faits de la révocation sont donc loin d’être négligeables.

On retrouve la philosophie utilitariste et mercantiliste du pouvoir sous Louis XIV dans le quatrième chapitre sur la crise de l’observance régulière (1660-1715). Certes, doctrinaires, oratoriens, ca-pucins connaissent alors un certain relâ-chement (habit, sorties, visites), mais l’étude des bénédictins de Saint-Maur et de l’Ordre de Fontevraud montre que, s’il y a « malaise » et relâchement (l’opinion s’était répandue que la règle n’obligeait pas sous peine de péché ! (pages 146 et 149), il n’y a pas « déclin ». L’idée d’une décadence est entretenue par un pouvoir qui n’aime plus les réguliers « oisifs ». Les écrits de Rancé qui « n’est pas très honnête » (page 143), le confortent ; ses exagérations réjouissent les esprits « forts » et desservent la régularité. « Le siècle, écrit un moine anonyme, est assez disposé à mépriser et à persécuter les religieux. Il n’estoit pas nécessaire que M. de la Trappe se mit de son party » (pages 152-153). On peut ajouter que le même Rancé détournait ses moines de la philosophie, spécialement d’Aristote « père des Libertins » et de saint Thomas 1. 1 — « Ses opinions étant fort éloignées des miennes, je ne veux le connaître que pour condamner tout ce qui ne tombera pas dans mon sens » cité par E. COUVERT dans La Gnose universelle, Chiré, 1993, p. 92.

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Le cinquième article assure la transi-tion avec le temps des prétendues « lumières » car la pédagogie moderne naît au XVIIe siècle. En quoi est-elle nou-velle ? En ceci qu’il ne s’agit plus de transmettre des connaissances mais de « transformer l’homme et la société » (page 155), elle sera donc anti-intellec-tuelle (« Je hais les livres » dit Rousseau, page 184), utilitariste (condamnation unanime du latin, page 170), totalitaire (page 179). Le modèle ? Sparte. Voltaire résume tout cela avec son habituel cy-nisme : « Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu’il soit instruit, il n’est pas digne de l’être » (page 218).

M. de Viguerie aborde alors, dans un sixième chapitre, la question de la tolé-rance à l’ère des « Lumières ». Il distingue dans un premier temps celle des « philosophes » (Voltaire, Condorcet, Malesherbes, Turgot) et celle des chré-tiens « éclairés » (Mgr Lefranc de Pompi-gnan, Mgr de la Luzerne, Duvoisin, Mo-reau) adeptes de la liberté de conscience. En fait, l’auteur démontre que la distinc-tion est fictive, le discours est le même : nul n’a le droit d’imposer « sa » vérité et l’État doit être neutre. Leur ennemi est aussi commun : c’est le « fanatique », pour lui, pas de tolérance. « Il faut donc que les hommes commencent par n’être pas fanatiques pour mériter la tolérance » (Voltaire, page 191). Pour ces bons apôtres, l’histoire regorge d’exemples de « tolérants » : Les Anciens, Jésus-Christ, les Chinois, les protestants, les angli-cans… Mais alors qui est « fanatique » ? L’auteur répond avec ironie : « En ré-sumé, tout le monde est tolérant. Tout le monde, sauf les catholiques. L’histoire de l’Église est celle de l’intolérance » (page 190). Le culte de la tolérance ne va pas tarder à exiger ses premiers sacrifices…, ils ne seront pas les derniers.

L’article suivant achève, s’il en était

besoin, d’arracher le masque des « Lumières » en étudiant le regard qu’elles portent sur les peuples. Pour ces esprits « éclairés » qui ne croient pas à Adam, le genre humain n’existe pas, il n’y a qu’une espèce humaine divisée en « variétés » ou « races », il y a donc plu-sieurs humanités et « certaines leur sem-blent indignes du nom d’homme » (page 211) : Lapons, Hottentots, Patagons. L’abbé Grégoire ajoute les juifs allemands d’Angleterre et Voltaire, les albinos (!) et… le paysan français. Chacun a son idée sur la « chaîne des êtres » qui va du singe à l’homme. Pour Voltaire, par exemple, « le Brésilien est un animal qui n’a pas encore atteint le complément de son es-pèce » (page 217). Viguerie résume bien leur pensée : « Si des peuples sont trop laids, ou bien s’ils sont trop superstitieux, on les déclarera sous-hommes ou même semblables à des animaux. Ce qui rend très aléatoire l’appartenance à l’huma-nité 1 » (page 215). Tandis que le Journal économique (1757) propose d’envoyer en première ligne des bataillons de handica-pés pour épargner les hommes sains (page 224), Voltaire, pour qui certains sont « destinés » à être esclaves (page 230), déclare que la « grande ques-tion » est « de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à-dire neuf parts du genre humain sur dix, doit être traité comme des singes » (page 234).

Jean de Viguerie oppose à toutes ces monstruosités ce qu’il nomme « l’humanisme chrétien » optimiste et plein d’une bienveillante curiosité envers les autres peuples (page 232) ; il en situe la mort en 1650. Le seul nom cité est Se- 1 — On a raconté qu’un naturaliste célèbre disait : « Si l’on me demande quel est dans la chaîne des êtres l’anneau qui unit le singe à l’homme, je répondrai que c’est le Bas-Poitevin » (c’est-à-dire le Vendéen). Le ré-publicain J.B. Leclerc, vers 1797, cité par X. MARTIN Sur les Droits de l’homme et la Vendée, DMM, 1995, p. 9.

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bastian Münster (1489-1552), cordelier al-lemand apostat, hébraïsant et cosmo-graphe, devenu théologien protestant… Quelques pages plus loin, l’auteur cite Montaigne (page 235) et, ailleurs, Érasme. Mais, pour ne prendre que la question de l’homme, les « Lumières » semblent au contraire hériter de l’humanisme. Tandis qu’Érasme nomme « barbares » « la ca-naille du vulgaire », Montaigne écrit : « Il y a plus de distance de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête » (Essais II, 27). Le professeur Micha, dans son introduction aux Essais de Mon-taigne, ne le cèle pas : « Montaigne conçoit malaisément l’espèce humaine comme un tout homogène, dont chaque membre aurait droit au titre d’homme 1. » L’influence funeste de l’humanisme dé-passe cette question. Étienne Couvert a montré combien ce mouvement imprégné de néoplatonisme et de gnose kabbaliste va pousser à l’abandon de la scolastique, détruire la philosophie chrétienne et ou-vrir les portes à Descartes et à l’hérésie protestante. Pour ne citer qu’un exemple, le professeur A. Micha 2 note :

Montaigne (par son « attitude positi-viste ») inaugure une méthode dont Francis Bacon et Descartes seront les héritiers. […] Fidéiste, […] il soustrait la foi au contrôle de la raison. […] Ni son art de vivre, ni son art de mourir ne doivent rien aux préceptes chrétiens. La mort qu’il souhaite est un brusque saut dans le néant ; nulle préoccupation des fins dernières. […] Son influence sur le XVIIIe siècle est profonde. […] Le doute systématique de Descartes prolonge dans une plus grande rigueur philosophique celui de Montaigne.

Le huitième article, qui porte sur les idées politiques de Louis XVI, pose la 1 — Intro. Essais, Garnier-Flammarion, 1969, p. 20. En 1674, l’œuvre a été mise à l’Index. 2 — Ibid., p. 21, 22 et 26.

question de l’éducation du souverain. Dans la préface déjà, l’auteur note avec effarement que le précepteur de Louis XIV était, de 1652 à 1660, le libertin La Mothe Le Vayer, auteur pornogra-phique et sceptique avisé (page 40). Il était chargé de la philosophie… A l’abbé de Péréfixe qui se plaignait du peu d’attention du jeune roi à ses cours de ca-téchisme, Mazarin répondit : « Bon. Il n’en saura que trop » (page 41). Le gou-verneur de Louis XVI fut le duc de la Vauguyon imbu de philosophie politique fénelonnienne, « humanitaire, sentimen-tale, vaguement égalitaire » (page 251). On comprend alors que le roi ait consi-déré Malesherbes, « philosophe » et ami des « philosophes », et Turgot, qui ne voulait pas qu’il soit sacré, comme ses grands amis, et qu’il se soit fait « assez bien à la Révolution » (page 255). Ne nommait-il pas « représentants de la Na-tion », le 5 mai 1789, ceux qui n’étaient alors que les représentants des trois Ordres ? (page 248). N’en déplaise à la plupart des auteurs, Viguerie affirme que ce n’est pas dans l’ignorance de l’avis du pape que Louis XVI a approuvé la consti-tution civile du clergé. Le 9 juillet 1790, Pie VI lui écrit : « Nous devons vous dire avec fermeté et amour paternel que si vous approuvez les Décrets concernant le clergé, vous induirez en erreur votre na-tion entière, vous précipiterez votre royaume dans les schismes, et peut-être une guerre civile de religion » (note 16, pages 242-243). Le 24 août, le roi ap-prouve la constitution civile et ose de-mander au Vicaire du Christ d’approuver ce texte schismatique ! (note 17, pages 242 et 243). Dans son introduction, cepen-dant, l’historien est très prudent sur les opinions politiques du roi :

Il a sucé avec le lait des principes hu-manitaires. […] Je ne crois pas […] que sa réflexion politique aille beaucoup plus

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loin. […] L’expérience du pouvoir ne semble pas l’avoir rapproché du réel. Il appartenait à cette catégorie de gens, plus nombreuse que l’on croit, auxquels la vie n’apprend rien. Maurepas (en 1778) confiait à l’abbé de Véri : « Le roi se dé-forme tous les jours au lieu d’acquérir 1. » « Que peut-on, demande en 1790, l’américain gouverneur Morris, que peut-on attendre d’un homme qui, dans sa situation, mange, boit et dort bien, qui rit, et est le gaillard le plus gai du monde 2 ? » Il est vrai que l’on peut récuser le témoignage de cet étranger connu pour sa malveillance. Mais celui du comte de la Marck est plus difficilement récusable. Car ce gentilhomme a l’habitude de peser ses mots, et il connaît bien le roi pour l’avoir souvent approché. Or dans une lettre de lui, datée de 1791, nous lisons le constat suivant : « Il faut en venir à cette terrible vérité : Louis XVI est incapable de régner par l’apathie de son caractère – par cette rare résignation qu’il prend pour du courage et qui le rend presque insensible au danger de sa position, et enfin par cette répugnance invincible pour le travail de la pensée qui lui fait détourner toute conversation, toute réflexion sur la situation dangereuse dans laquelle sa bonté a plongé lui et son royaume 3. » [Page 43.]

La neuvième étude, qui porte sur les études ecclésiastiques en France de 1680 à 1879, s’ouvre sur un paradoxe : jamais le clergé séculier français n’a été aussi di-plômé qu’au début du XVIIIe siècle, mais jamais formation n’a été plus favorable : Le cartésianisme règne en maître dans les

1 — DE VERI (abbé), Journal, éd. J. de Witte, Paris, 1928, p. 102. (Note de l’ouvrage.) 2 — Journal de Gouverneur Morris, ministre plénipo-tentiaire des États-Unis en France de 1792 à 1794, pendant les années 1789, 1790, 1791 et 1792, par E. PARISET, traduit de l’anglais, Paris, Plon, 1901, p. 348. (Note de l’ouvrage.) 3 — Lettre à Mercy-Argenteau, 10 octobre 1791, Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, p. 331. (Note de l’ouvrage.)

séminaires (alors que les ouvrages de Descartes ont été mis à l’Index en 1663 !). Après l’ouragan révolutionnaire, catas-trophe sans précédent, les études ecclé-siastiques se relèvent lentement à quelques heureuses exceptions thomistes près 4. Elles sont, hélas, marquées par le fidéisme (abbé Bautain) et l’ontologisme qui devient la philosophie officielle de l’Église de France 5 (page 264). Lorsque, en 1861, le Saint-Office condamne sept propositions ontologistes, il y a presque cinquante ans qu’on les enseigne dans nos séminaires et Mgr Pie doit aller cher-cher en Italie des professeurs scolastiques pour sa faculté de Poitiers. Le premier concile du Vatican et Æterni Patris (1879) marquent heureusement le terme de deux siècles d’enseignements qui affaiblissaient la foi, quand ils ne la détruisaient pas, y compris chez les clercs. On songe, bien sûr, à Renan 6. Sans aller jusqu’à des cas aussi graves, le bilan est dramatique : « Les esprits qu’elles ont formés n’ont pas été entraînés à manier l’arme de la raison. Les philosophies du siècle les ont alors trouvés sans défense » (page 266). Dans son introduction, l’auteur nous donne un exemple stupéfiant, antérieur à la période étudiée ici, des ravages exercés par certaines doctrines :

Les annales des mauristes relatent à ce propos un incident très grave. Le jour de la Fête-Dieu 1669, dans l’église abba-tiale de Saint-Wandrille, à l’office de matines, les jeunes moines étudiants de philosophie, élèves du professeur cartésien Dom Le Gallois, sifflent – les Annales di-sent bien « sifflent » – la leçon V du se-

4 — Voir Le Sel de la Terre nº 13 (été 1995), article du père ALBERT sur le renouveau thomiste (pages 65-78). 5 — Pour É. COUVERT (De la gnose à l’œcuménisme, Chiré, 1984), monsieur Emery est demeuré cartésien et Saint-Sulpice avec lui. 6 — Voir É. COUVERT, ibid., p. 76-77.

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cond nocturne de cette fête, leçon attri-buée à saint Thomas d’Aquin. Ils signi-fient ainsi qu’ils ne veulent pas entendre l’explication philosophique donnée par le Docteur angélique de la présence réelle. La leçon V dit en effet que le corps du Christ se trouve intégralement et sans au-cune division dans la moindre partie de l’hostie consacrée (« sub qualibet divi-sionis particula integer perseverat »), et que cela s’explique par le fait que « les accidents subsistent sans le sujet » (« accidentia autem sine subjecto in eodem subsistunt »), c’est-à-dire sans la substance. Or les cartésiens n’admettent pas cette distinction de la substance et des accidents. Ils n’admettent d’ailleurs au-cune explication philosophique. Ce qui pour eux est de foi, est que le corps du Christ est dans l’eucharistie, et non la manière dont il y est. A leurs yeux la phi-losophie et la théologie appartiennent à deux ordres différents. Ils voient dans la présence réelle un phénomène purement surnaturel. On ne peut donc lui donner d’explication philosophique. Et même ce genre d’explication a quelque chose de blasphématoire et de sacrilège. Voilà pourquoi les jeunes moines de Saint-Wandrille sifflent la leçon V du se-cond nocturne des matines de la Fête-Dieu. Où l’on voit que l’enseignement philosophique donné dans un monastère, n’est pas chose indifférente, et qu’un en-seignement infidèle à la philosophia per-ennis peut entraîner des troubles graves jusqu’à la perturbation de l’office divin. Au vu d’un tel scandale, on pourrait dire lex studendi, lex orandi. [Page 39.]

Le recueil s’achève sur une présenta-tion de l’historiographie religieuse des années 1950-1980, de son invasion et de sa destruction par des thèses philoso-phiques et non historiques qui ont imposé des schémas préfabriqués. Ainsi les « mentalités collectives » (schéma sociologique), « l’inconscient collectif »

(schéma psychanalytique), la pratique religieuse unanime vue comme routine sociale (schéma positiviste), la religion identifiée au sentiment religieux (schéma immanentiste), etc. Pour tous, la christia-nisation de l’Occident a été très lente, très tardive (fin XVIe siècle !), très superfi-cielle, et la déchristianisation n’a été que (l’heureuse) rupture d’un conformisme… La boucle est bouclée, le venin de Des-cartes imbibe l’histoire, la philosophie moderne, la religion, et le cerveau de la plupart de nos contemporains 1. La Révo-lution ne s’y est pas trompée : le premier philosophe auquel elle décide de rendre hommage, c’est lui. Le 2 octobre 1793 (6 mois avant Rousseau), la convention décrète le transfert de sa dépouille au Panthéon. « Les accords qui faisaient l’harmonie du monde ancien ont été rompus. Dieu n’a rien à faire avec l’homme, l’homme avec la société, l’esprit avec le savoir, l’âme avec le corps. Tout est dissocié, tout est séparé. Tout continue à se défaire, à moins que l’intelligence un jour ne retrouve la maîtrise d’elle-même et du monde » (quatrième de couverture).

Peu après Les Deux Patries, Jean de Viguerie appelle de nouveau à une in-surrection de l’intelligence, qu’il en soit remercié.

O. Lelibre

Jean DE VIGUERIE, Itinéraire d’un histo-

rien. Études sur une crise de l’intelligence XVIIe-XXe siècle, Grez-en-Bouère, DMM, 2000, 280 p., 158 F. 1 — « L’homme cartésien détruit par la pensée l’unité de l’être », Marcel DE CORTE in Essai sur la fin d’une civilisation, Préface (p. 12), Paris, Remi Perrin, 2001.

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☞ Itinéraire d’un historien

(seconde lecture) Formellement, le dernier opus du pro-

fesseur Jean de Viguerie se présente comme un recueil de dix études publiées pour la première fois dans diverses re-vues et ouvrages collectifs entre 1981 et 1994, précédé d’une substantielle intro-duction d’une quarantaine de pages. Cette introduction justifie d’ailleurs le titre du recueil Itinéraire d’un historien, tandis que le sous-titre (« études sur une crise de l’intelligence ») rend compte des dix textes qui suivent et en souligne l’unité de pensée et de préoccupation, par delà la diversité des sujets abordés : Le livre classique de Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne, les prélibéraux français, la révocation de l’Édit de Nantes, la crise de l’observance régulière entre 1660 et 1715, le mouvement des idées pédagogiques aux XVIIe et XVIIIe siècles, la tolérance à l’ère des Lu-mières, les Lumières et les peuples, les idées politiques de Louis XVI, les études ecclésiastiques en France au XVIIIe et XIXe siècles, certaines orientations de l’histoire religieuse dans les années 1950-1980.

Le grand mérite de cette variété de su-jets est de nous aider à bien comprendre la nature et l’ampleur de la Révolution qui, germant dans les esprits dès la fin du XVIIe siècle, se répand dans le mode de pensée des milieux intellectuels, poli-tiques et ecclésiastiques tout au long du XVIIIe siècle, avant de se réaliser politi-quement à partir de 1789, pour ne plus interrompre son mouvement jusqu’à nos jours. Comme le souligne l’auteur, le

grand enjeu de la Révolution, ce n’est pas l’abolition de la monarchie ou des privi-lèges, c’est l’éradication de la société chrétienne. La Révolution aurait pu s’arranger d’une monarchie, mais pas de la monarchie catholique, pas d’une so-ciété politique au service de la vérité ca-tholique. Dès lors, il s’agit pour le parti révolutionnaire de saper tous les fonde-ments de la société chrétienne : ses insti-tutions (l’Église, l’école, la famille, la mo-narchie), mais aussi, et surtout, sa pensée, sa philosophie, sa science. Tel est le cœur du propos de Jean de Viguerie : montrer comment, par le développement des phi-losophies modernes (cartésianisme, empi-risme, sensualisme, matérialisme), on a préparé l’avènement de la Révolution, comment le mouvement des idées a pu influencer l’histoire. De ce point de vue, quelques textes contenus dans le présent recueil sont d’une grande importance pour la compréhension de ces phéno-mènes : les prélibéraux français, la révo-cation de l’Édit de Nantes, le mouvement des idées pédagogiques, les Lumières et les peuples, les idées politiques de Louis XVI, justifient à eux seuls la pré-sence de cet ouvrage dans toute biblio-thèque catholique.

Reste à évoquer l’introduction, qui n’est pas le moindre intérêt du livre. En effet, elle illustre le prolongement au XXe siècle, et dans l’institution particu-lière de l’université française, de cette crise de l’intelligence dont l’auteur décrit les traces historiques dans le corps de l’ouvrage. Jean de Viguerie explique comment, dès les années 1900, l’histoire universitaire fut dévoyée par une géné-ration de professeurs de Sorbonne dont les plus illustres restent Lavisse et Sei-gnobos. Et de citer le mot de Péguy à leur

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adresse : « Tout ce qu’il leur faut, c’est qu’il n’y ait pas de héros et de saints. […] C’est la grandeur même qui les blesse. »

Mais ceux-ci n’étaient encore que des pionniers, somme toute timides au regard de ce qui allait suivre. Les grands hommes, « les héros et les saints » ayant été effacés de l’histoire officielle, de l’his-toire universitaire, par la première géné-ration, c’est le rôle de l’homme dans l’his-toire qui allait être remis en cause par les générations suivantes : l’école marxiste de Georges Lefebvre et Emma-nuel Labrousse, l’école marxienne de Lu-cien Febvre, Marc Bloch et Fer-nand Braudel, enfin l’école structuraliste de Michel Foucault. L’histoire s’interprète désormais à travers les mutations des structures économiques et sociales et le moteur de la lutte des classes. L’histoire événementielle est regardée comme héré-tique. Aux apprentis historiens de l’après Seconde Guerre mondiale, les nouveaux mandarins enseignent les cinq comman-dements qui détermineront leur future carrière. Jean de Viguerie, qui fut l’un de ces étudiants dans les années 1950, nous les décrit avec humour :

1. Ne plus étudier les grands hommes ou prétendus tels, et par conséquent pros-crire le genre biographique ;

2. ne plus étudier ni les batailles, ni les traités. Étudier plutôt l’âge du capitaine et celui du diplomate.

3. Ne pas rechercher les causes des évé-nements. Parce qu’il n’y a pas d’événe-ments, et parce que, s’il y en avait, ils n’auraient pas de causes ;

4. parler toujours de société. Ne pas dire « l’État », mais « État et Société ». Ne pas dire « culture », mais « Culture et société ». […]

5. Enfin ne pas juger. […] Ce qui était défendu, c’était de juger selon le vrai et le faux, le bien et le mal. Sauf si l’on identifiait au bien et au vrai la Révolution, la République et le marxisme.

Mais, à cette époque, il était encore possible, pour qui le désirait, de penser en dehors des canons officiels, à condition de donner les apparences de la soumission. C’est ainsi que l’étudiant Viguerie prépara sa thèse de doctorat sous la direction de Roland Mousnier, en jouissant d’une assez grande liberté. C’est ainsi qu’il devint, à la rentrée universitaire 1967, assistant du même Mousnier à la Sorbonne. Celui-ci enseignait l’histoire sociale de l’époque moderne. Jean de Viguerie dut donc contribuer à la grande enquête historique que dirigeait le maître sur « l’histoire des structures sociales parisiennes aux XVIIe et XVIIIe siècles ». En réalité, il s’agit de répondre à cette question : « A Paris, sous l’Ancien Régime, qui épouse qui ? » Cette enquête dura six ans. Un travail considé-rable fut effectué par une armée de vaca-taires. Il n’en sortit à peu près rien. Le ré-cit que fait Jean de Viguerie de cet épi-sode est tout à la fois savoureux et déso-lant. Et de conclure : « A défaut de savoir avec certitude qui épousait qui, j’en reti-rai du prestige auprès de mes égaux : l’illustre Mousnier avait bien voulu m’as-socier à ses travaux. Ainsi je fus reconnu par mes pairs, et même, je puis le dire, cette corporation tout entière m’agréa. » Tel était le prix à payer pour entrer dans le sérail. Ceci permit à l’auteur d’acquérir une certaine tranquillité pour poursuivre ses propres recherches sur l’enseignement des pères doctrinaires, selon des méthodes que n’aurait pas agréé la Sorbonne. Les jeunes historiens du début du XXe siècle trouveront sans doute ici matière à méditer sur leur discipline, car depuis les années 1970, rien n’a vraiment changé, et toutes les remarques de Jean de Viguerie restent actuelles.

L’opposition et la désapprobation n’allaient d’ailleurs pas tarder à venir, à

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l’occasion de la présentation de ses tra-vaux dans des conférences et colloques scientifiques. Cela permit finalement à l’auteur de comprendre le véritable enjeu de la discorde : « Les premières fois, je me crus visé pour des raisons politiques et parce que j’étais classé à droite. Je mis longtemps à réaliser la véritable nature de ma déviation. En fait, mon péché n’était pas politique, il était métaphysique. J’étais coupable de dire que l’homme était un être pensant et croyant. J’étais donc à rejeter ou à ignorer. »

Nous sommes ici au cœur du débat et nous aurions souhaité que M. de Viguerie le pousse plus avant. L’auteur est histo-rien, mais il est aussi catholique. Il a consacré l’essentiel de ses travaux à l’his-toire intellectuelle et religieuse de l’époque moderne. Il nous aurait

intéressé de savoir quelle place sa foi a tenu dans son activité de chercheur et d’enseignant. Ce témoignage-là aurait été utile aux jeunes catholiques qui se destinent à être historiens, ou tout simplement enseignants. Or, peu nombreux sont les universitaires français qui peuvent le prodiguer. Jean de Viguerie est l’un d’entre eux. Oserons-nous dire que ce témoignage, il nous le doit ? En tout cas, nous l’espérons, à une prochaine occasion.

J. Daire

Jean DE VIGUERIE, Itinéraire d’un histo-

rien, études sur une crise de l’intelligence, XVIIe-XXe siècles, Grez-en-Bouère, DMM, 2000, 280 p.

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☞ École chrétienne renouvelée L’éducation des filles

Paru en 1958 aux éditions Téqui, cet ouvrage du R.P. Calmel O.P. (1914-1975) a été réédité par la même maison en 1990 (simple réédition offset). C’est opportun. La question scolaire est plus que jamais la préoccupation des parents catholiques. Le R.P. Calmel donne ici les grands prin-cipes de l’éducation des jeunes filles, tels qu’ils continuent à être appliqués en par-ticulier dans les écoles des religieuses dominicaines de Brignoles et de Fanjeaux.

L’ouvrage concerne aussi bien les en-seignants que les parents soucieux de la

bonne éducation de leurs enfants 1. Sa lecture en est recommandée après l’article de M. l’abbé de la Tour, La reconquête dans nos écoles catholiques, paru dans Le Sel de la terre n° 38.

L’auteur prend pour référence l’ency-clique du pape Pie XI Divini illius magistri, du 31 décembre 1929, sur l’éducation chrétienne des enfants (également disponible chez Téqui), qui est pour lui la charte des écoles catholiques. Parce qu’il s’appuie sur le magistère éternel de l’Église, son livre n’a pas vieilli. Il est même d’une étonnante actualité.

Donnons donc les grandes lignes de

1 — On peut le mettre en parallèle avec École et Sainteté, du même auteur, Paris, Les Éditions de l’école, 1957. Cette brochure traite de la spiritualité de la fonction enseignante.

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chacune des trois parties de l’ouvrage, les mettant en parallèle avec l’enseignement de Pie XI. Nous citerons largement le père Calmel dans cette recension.

Première partie :

l’institution et les maîtres

Le but d’une école catholique

« Le seul fait que [dans une école] se donne une instruction religieuse, ne suffit pas pour qu’elle puisse être jugée conforme aux droits de l’Église et de la famille chrétienne et digne d’être fréquentée par les enfants catholiques, écrit Pie XI. Pour cette conformité, il est nécessaire que tout l’enseignement 1, toute l’ordonnance de l’école, personnel, programmes et livres, en tout genre de discipline, soient régis par un esprit vraiment chrétien [...] de telle façon que la religion soit le fondement et le couronnement de tout l’enseignement. »

« Quel est le but d’une école catholique de filles ? » s’interroge le père Calmel. « Assurer le succès à un examen officiel de l’État laïc ne peut pas être la fin primordiale des établissements qui se réclament de l’Église de Jésus-Christ. [...] Par l’enseignement d’abord, mais aussi par l’ensemble de la vie scolaire, par la prière et la liturgie, [le but d’une école catholique de jeunes filles est de] contribuer à former intégralement une femme chrétienne. »

C’est ce que dit le pape Pie XI : « La fin propre et immédiate de l’éducation chré-tienne est de concourir à l’action de la grâce divine dans la formation du véri-table et parfait chrétien, c’est-à-dire à la formation du Christ lui-même dans les hommes régénérés par le baptême. »

Les maîtres

1 — C’est nous qui soulignons.

Évidemment, cela exige des qualités spéciales de la part des maîtres. « C’est moins la bonne organisation que les bons maîtres qui font les bonnes écoles, conti-nue Pie XI. Que ceux-ci [...] ornés de toutes les qualités intellectuelles et mo-rales que réclament leurs si importantes fonctions, soient enflammés d’un amour pur et surnaturel pour [les enfants] qui leur sont confiés, les aimant par amour pour Jésus-Christ et pour l’Église. »

Le père Calmel développe : « Tel maître ou telle maîtresse est vraiment chrétien, non seulement par son amour des enfants, mais dans sa pensée elle-même, dans sa manière même de faire voir le programme, de le reprendre et ré-organiser [...] Ils doivent former des chré-tiens. Ils ne sauraient y prétendre s’ils n’enseignaient pas chrétiennement les matières profanes. »

Cela exige des professeurs qu’ils soient pourvus non seulement d’un minimum de connaissances religieuses, mais aussi d’une philosophie chrétienne de l’homme. Il ne s’agit pas de mélanger ca-téchisme et enseignement profane, mais il suffit que le maître « se souvienne, à l’occasion de certaines questions, qu’une réponse décisive et universelle en a été fournie, formulée, victorieusement expo-sée par les philosophes et les théologiens, notamment par le Docteur commun de l’Église et de la chrétienté [...] Cela exige de repenser les programmes 2 en fonction des nécessités de la vie chrétienne, en vue d’une civilisation intégralement chré-tienne à susciter [...] Il importe de former des chrétiens et des chrétiennes qui, sans ignorer la civilisation actuelle, essaieront de la redresser. »

2 — C’est nous qui soulignons.

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Deuxième partie : l’éducation par l’enseignement

du maître Il ne s’agit pas de former de purs cer-

veaux, surtout chez les jeunes filles. Pie XI écrivait : « L’éducation chrétienne embrasse la vie humaine sous toutes ses formes : sensible et spirituelle, intellec-tuelle et morale, individuelle, domestique et sociale. »

Le père Calmel plaide donc pour une éducation intégrale et réaliste : « Vous sé-chez sur la formule du gaz butane ou vous apprenez le maniement de l’appa-reil à dénoyauter les olives, mais êtes-vous capable de balayer proprement une chambre, de ranger des draps dans une armoire et d’apprêter chaque jour une cuisine potable avec les moyens du bord ? Commencez donc par savoir ce que vos grands-mères savaient, car, malgré que vous en ayez, c’est indispensable pour bien vivre 1. »

Pour perdre l’humanité, Satan fait tout aujourd’hui pour faire oublier à la femme sa vocation d’être une autre Marie. Il est capital de faire comprendre aux jeunes filles la situation contre-nature et parfois infernale dans laquelle le monde mo-derne essaie de les mettre : « Que nos filles apprennent les sciences et les tech-niques dans la mesure qui convient ; mais que, pour commencer, elles soient coutu-rières, cuisinières et lavandières. Et qu’elles aient de l’esprit ; c’est encore plus important et ça se tient. Non pas un esprit bourré, ou pointu, mais de l’esprit, c’est-à-dire qu’elles y connaissent quelque chose au monde et à la vie, qu’elles y connaissent le bien et le mal, le vrai bien et le vrai mal, le noble et le vil, et que, pour le connaître, elles aient 1 — Le milieu naturel pour apprendre cela est d’abord la famille, il faut que les parents en prennent conscience.

fréquenté ces auteurs qui savaient (apparemment) ce qu’il y a dans l’homme [...] C’est donc une évidence que l’école chrétienne des filles ne consiste pas en une classe de doctrine chrétienne additionnée d’une classe de français, à laquelle s’ajoute une classe de mathématiques, que couronne enfin une classe d’histoire et quelques exercices de gymnastique : le tout ayant été entrelardé de langues et de sciences. L’école chrétienne ne consiste pas dans la présen-tation de matières juxtaposées mais dans la présentation d’une même vérité, en-tière, belle et cohérente, qui est la nourri-ture constante des maîtresses, et qu’elles communiquent avec un enthousiasme se-rein, à travers les diverses disciplines, dont elles respectent cependant les exi-gences propres. »

Le père Calmel trace ensuite les grandes lignes de ce que devraient être, dans cet esprit : le cours de doctrine chré-tienne, l’enseignement des sciences, du français, des lettres, de l’Écriture sainte, de la philosophie, du latin, les cours des petites classes. Chaque maîtresse peut puiser ici les conseils nécessaires pour orienter sa classe dans un esprit vraiment catholique.

Troisième partie :

l’éducation par le témoignage des maîtres.

L’exemple des enseignants.

Encore que l’enseignement soit l’œuvre directe de l’intellect, il est com-muniqué par la personne tout entière. Pie XI, nous avons vu, insiste sur les qualités morales que doivent posséder les ensei-gnants.

Aujourd’hui et plus encore qu’autre-fois, écrit le père Calmel, « il est demandé aux maîtresses et aux maîtres chrétiens

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un exemple de vie et de religion qui vienne de beaucoup plus loin que les conventions et les convenances, qui jail-lisse réellement de la vie dans le Christ [...] Si les enseignantes comprennent à quelle profondeur certaines de leurs en-fants ont déjà rencontré le mal, elles vou-dront, elles, rencontrer la religion et la vertu à la même profondeur pour per-mettre à leurs enfants d’espérer qu’un remède existe, qu’elles peuvent être gué-ries jusque-là. »

L’exemple des parents.

Le père Calmel aborde alors l’impor-tante question de la collaboration entre l’école et la famille.

« La famille, écrit Pie XI, reçoit immé-diatement du Créateur la mission [...] de donner l’éducation à l’enfant. [...] Le premier milieu naturel et nécessaire de l’éducation est la famille. [...] De règle donc, l’éducation la plus efficace et la plus durable sera celle qui sera reçue dans une famille chrétienne et bien or-donnée et bien disciplinée, et son effica-cité sera d’autant plus grande qu’y brille-ront plus clairement et plus constamment les bons exemples, surtout des parents, puis des autres membres de la famille. » Le pape faisait déjà la constatation en 1929 que « beaucoup de parents, au-jourd’hui, sont peu ou pas du tout prépa-rés à cette tâche de l’éducation. »

La famille étant la première respon-sable de l’éducation de l’enfant, l’école ne peut, en tous cas, se refermer sur elle-même, mais une étroite collaboration doit s’installer entre elle et la famille, explique le père Calmel. Pie XI écrivait que « l’école est, de sa nature, une institution auxiliaire de la famille et de l’Église. » D’autre part, le devoir des parents ne s’arrête pas aux sacrifices – parfois fort importants – qu’ils ont consentis pour mettre leur enfant dans une école catho-

lique traditionnelle. Le but de l’école ca-tholique – redisons-le avec le père Cal-mel – « n’est pas de former des femmes qui brillent dans le monde, mais de for-mer des femmes chrétiennes qui soient capables, malgré les contradictions, d’être un ferment évangélique dans leur mi-lieu. » Il faut pour cela, nous permettons-nous d’ajouter, que l’enfant retrouve le même esprit, les mêmes principes à la maison et à l’école. Si les parents ne sa-vent plus trop comment donner une édu-cation chrétienne à leurs enfants, ce qui peut se produire pour des familles reve-nues récemment à une vraie vie chré-tienne, ils peuvent demander conseil à des prêtres, ou aux maîtresses elles-mêmes. Tout cela est légitime et louable. Mais si les parents, au contraire, relativi-sent ce qui est dit à l’école sur le véritable esprit chrétien – nous parlons d’une bonne école catholique traditionnelle bien sûr – s’ils mènent une vie mondaine où l’on regarde la télévision, où les enfants vont en soirées, écoutent n’importe quelle musique, s’ils n’apprennent pas à leurs enfants l’esprit de sacrifice, la modestie de l’habillement, dans le même esprit que ce qui leur est dit à l’école, alors tout sera détruit chez l’enfant. Blessé par le péché originel, l’enfant choisira ce qui est le plus facile dans la plupart des cas, et les sacrifices consentis pour le mettre dans une bonne école n’auront servi à rien. Il ne restera du passage dans l’école qu’un vernis superficiel qui disparaîtra dès que les enfants seront confrontés au monde, par exemple à l’entrée à l’université qui sera un désastre. Et les parents auront d’amères déconvenues.

Conclusion.

Nous terminerons avec ce que le père

Calmel souligne dans l’introduction de l’ouvrage : l’enseignement donné à l’école

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catholique doit préparer la jeune fille à sa mission de femme aussi bien pour l’Église et le Royaume de Dieu que pour la vie domestique et l’ordre temporel de nos patries charnelles.

Et que dans toute école de jeunes filles, quel qu’en soit le type, le patronage du Docteur commun soit reconnu et de-vienne efficace ; ensuite, que la maison d’école, un peu comme la maison de fa-

mille, soit à l’image et ressemblance de la maison de Nazareth.

Fr. M.-D.

Père Roger-Thomas CALMEL O.P., École

chrétienne renouvelée, l’éducation des filles, Paris, éd. Téqui, 1990, 13,5 x 21, 202 p.

❋ ❋ ❋

☞ Le Meilleur régime poli-

tique selon saint Thomas Les éditions D.E.L. ont réédité, à la

demande de l’école des Saints-Cœurs de Jésus et de Marie, l’ouvrage de Mar-cel Demongeot qui n’était plus dispo-nible.

L’auteur dit dans sa préface qu’il en-tend étudier comment saint Thomas en est venu à sa conception du régime mixte et ce qu’est en lui-même le régime mixte. Sans écarter la Somme ou le De Regimine Principum 1, il fonde avant tout son travail sur les Commentaires sur la Politique d’Aristote dont les deux premiers livres et une partie du troisième sont de la main de saint Thomas lui-même, et la suite d’un « disciple très fidèle, sans doute d’après des notes de lui ». Il ajoute, en parlant de la pensée de saint Thomas, que ces Commentaires sont « une clef pour pénétrer ses autres ouvrages politiques ». Nous allons essayer de rendre compte du

1 — Saint Thomas n’a écrit que le premier livre de cet ouvrage et le deuxième jusqu’au chapitre IV. La suite, vraisemblablement de Tolomée de Lucques, s’écarte non seulement de la manière mais de la pensée du Docteur commun.

livre en suivant l’auteur pas à pas.

Première partie : les régimes-types

I) La notion de régime politique chez saint Thomas

Les mots politia ou respublica sont sou-vent traduits par « forme de gouverne-ment ». Leur sens est plus profond. La politia informe la cité au point que celle-ci ne sera plus vraiment la même si on change celle-là) : « Mutata politia non re-manet eadem civitas 2. » L’homme étant na-turellement membre d’une cité, celle-ci est l’ensemble des rapports entre les hommes (communicatio) auxquels saint Thomas « donne d’abord et surtout le nom de politia » (page 23), cité en tant que cité, ce qui dirige les hommes vers leur fin commune en empêchant la dis-persion des activités individuelles. La na-ture politique des hommes a donc pour corollaire la nécessité d’un gouverne-ment, organisation destinée à conduire la cité à sa fin, qui tire son origine des rap-ports politiques et en reçoit aussi sa forme d’après un grand nombre de

2 — Pol. III, II, § 3.

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facteurs. Il existe aussi un lien étroit entre le gouvernement et les mœurs politiques, une véritable interaction, le gouvernement dépendant en partie de ces mœurs et, à l’inverse, l’organisation politique réagissant sur ces mœurs et les modifiant.

Donc, si on traduit politia par régime politique, il faut avoir présent à l’esprit qu’il ne s’agit pas seulement d’un mode de gouvernement stricto sensu mais d’une organisation du gouvernement ayant sa racine dans la vie de la cité et réagissant sur cette vie. Ce n’est pas un simple pou-voir, organisation technique qui coiffe telle ou telle société, comme dans la pen-sée « moderne ».

II) Les divers types de régime politique

Les régimes peuvent varier à l’infini à cause de la multitude des facteurs. Saint Thomas classe les régimes-types en deux catégories, les bons, orientés vers le bien commun, les mauvais, dominés par les instincts particuliers, les seconds ve-nant de la corruption des premiers : la royauté peut se corrompre en tyrannie, l’aristocratie en oligarchie, la république en démocratie. On a reproché à cette clas-sification purement descriptive d’être su-perficielle mais elle ne représente qu’un aspect de la pensée de saint Thomas et Marcel Demongeot l’appelle « classification secondaire ». On trouve d’autres critères de classement dans les Commentaires sur la Politique d’Aristote. Saint Thomas parle de la qualité des gou-vernants, du degré d’excellence des ci-toyens et il fonde surtout la diversité des régimes sur l’idéal qui les inspire, ce qui est conforme au principe général de l’éthique thomiste : dans l’ordre moral, toute chose est spécifiée par sa fin. Les buts de la cité se ramènent pratiquement à trois : la vertu, la richesse, la liberté. La tyrannie qui a pour fin l’égoïsme est si

éloignée du bien commun qu’elle mérite à peine le nom de politia.

La royauté. — Son principe formel est l’unité jointe à la valeur. Le roi gouverne selon la vertu et dirige ses sujets vers leur fin ; il crée le milieu social propre à leur perfectionnement naturel et, au-delà, fa-vorable à la réalisation de leur fin surna-turelle. La vertu du roi est celle de l’homme de bien (eadem est virtus principis et boni viri ; Pol. VIII, III, 14), elle est pru-dence de gouvernement et ordonne toutes choses au bien commun de la cité. Il gouverne avec amour, comme un père, son pouvoir est doux dans son exercice. Le roi doit exercer son pouvoir toute sa vie, car la continuité est utile à la cité. L’hérédité et l’élection représentent des moyens pour mettre le roi au pouvoir. Dans l’absolu, per se, l’élection est meil-leure pour déterminer l’homme éminent qui doit régner, mais, per accidens, en pra-tique, on préférera souvent l’hérédité.

Le roi exerce un pouvoir absolu, car celui qui règne selon la loi (c’est-à-dire li-mité par une constitution) n’est pas roi absolument parlant (Ille qui principatur se-cundum legem non est rex simpliciter, Pol. III, XV, § 1). L’auteur donne, page 51, les références de plusieurs autres citations sur le même sujet. En monarchie, donc, le peuple est dirigé par un seul homme, roi à vie en raison de sa valeur éminente, qui gouverne selon la loi naturelle, pour le bien, sans être limité par une constitution.

L’aristocratie. — Le principe formel de l’aristocratie est la vertu. Chacun reçoit selon sa vertu (justice distributive). Il convient de distinguer la vertu du gou-vernant (tout ordonner au bien commun), celle du sujet (savoir obéir intelligem-ment), celle du citoyen (qui a une certaine participation au pouvoir, citoyen-prince ou citoyen commun, selon le degré de sa participation). Plus qu’ailleurs la vertu

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est requise dans l’aristocratie où le gouvernement appartient à une élite d’hommes de bien, désignés par élection, cooptation, examen… Si la noblesse ou la richesse sont les critères de choix, on est en oligarchie. Dans ce gouvernement d’une minorité, la pluralité a pour conséquence la limitation du pouvoir, pouvoir partagé et pouvoir exercé selon la loi. Si le pouvoir royal ressemble au pouvoir du père, le pouvoir aristocratique ressemble à celui du mari sur sa femme (pouvoir absolu seulement sur les points prévus par la loi matrimoniale ; Pol. I, X, § 1). « L’aristocra-tie est le régime où le pouvoir est partagé entre les membres d’une élite vertueuse, à raison de leur valeur, et exercé en vue du bien commun, conformément à une loi constitutionnelle qui règle et délimite leur autorité » (page 64).

L’oligarchie. — Rangée au nombre des mauvais régimes, n’apparaissant pas dans le régime mixte, l’oligarchie possède pour principe la seule richesse matérielle : « ratio et terminus ejus sunt divitiæ », la richesse est son principe et son terme (Pol. IV, VII, § 6).

La démocratie. — En tant que régime-type, la démocratie est fondée sur le principe de la liberté. Le citoyen libre poursuit par lui-même la fin de la cité. La liberté appartient à tous, c’est l’égalité quantitative qui s’oppose à l’égalité pro-portionnelle de la justice distributive, il n’existe pas de degrés, chaque individu est politiquement identique. Comme tous doivent gouverner en étant absolument égaux, le procédé démocratique par excellence est le tirage au sort et les gouvernants sont suspects par principe : leurs fonctions doivent être de courte durée, ils ne sont que les exécutants de l’Assemblée; les pauvres, qui sont les plus nombreux, dominent. Par son principe même, la démocratie est un

gouvernement de la plèbe, un gouvernement de classe.

III) Valeur respective des différents régimes-types

On a vu la structure normale des formes-types de régimes politiques. Saint Thomas a été accusé de contradic-tion à propos du jugement qu’il porte sur ces différentes formes : « La royauté est le meilleur des régimes » (Pol. IV, I, § 10), « l’aristocratie est meilleure que la royauté » (Pol. III, XIV, § 10), et en Pol III, XI, § 6, il met la démocratie au premier plan ! Il s’agit en fait de juge-ments portés d’après différents points de vue. Voyons cela de plus près.

Le gouvernement d’un seul est le meilleur en raison de son unité : Tout gouvernement consiste d’abord à unifier ; ce mode de gouvernement reproduit le mieux le gouvernement divin ; la royauté procure l’unité de la paix, condition in-dispensable du bien commun. La dissen-sion ne peut y être qu’accidentelle et la continuité constitue un aspect de l’unité.

La royauté et l’aristocratie sont les meilleurs des régimes en tant qu’ils sont spécialement ordonnés à la vie vertueuse de la cité : La paix n’est qu’un moyen, la fin de la cité est de vivre conformément à la vertu. Puisque la vertu est le principe du choix des gouvernants dans les deux régimes considérés, ils sont sur ce plan, de même valeur.

L’aristocratie est le meilleur régime-type pour la justice distributive : Puisque la justice distributive consiste dans une égalité proportionnelle à l’importance de chacun en vertu dans la communauté, l’aristocratie donne plus que les autres régimes à chacun selon sa valeur.

Le gouvernement d’une élite vertueuse est supérieur à celui d’un seul homme au point de vue de la compétence : Comme plusieurs hommes

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voient plus d’aspects d’une question qu’un seul, saint Thomas, après Aristote, reconnaît une certaine supériorité au gouvernement d’une élite, sans contradiction avec le principe des bienfaits de l’unité, puisque l’examen re-quiert plus de compétences que de vo-lonté. La supériorité de l’unité de déci-sion n’est pas remise en cause.

La démocratie est le meilleur régime au point de vue de la tranquillité pu-blique et du loyalisme des citoyens : La liberté est, pour saint Thomas, une qualité naturelle et la démocratie est le régime le plus souhaitable pour un peuple naturellement libre et égal, c’est-à-dire lorsque la classe populaire se confond avec la cité entière.

Mais il faut rappeler ici le réalisme de saint Thomas : I-II, q. 71, a. 2 ; q. 91, a. 6 ; q. 93, a. 6 ; q. 96, a. 2 1. Cependant la li-

1 — I-II, q. 71, a 2 : Le vice est-il contraire à la na-ture ? Saint Thomas répond oui : « Le vice est contre la nature humaine dans la mesure où il est contre la raison humaine » (parce que ce qui fait l’espèce hu-maine, c’est l’âme raisonnable). I-II, q. 91, a. 6 : Existe-t-il une loi du péché ? Saint Thomas répond oui, à cause du péché originel, mais cette « loi » est « plutôt une déviation de la loi de rai-son » qu’une vraie loi, « elle a raison de loi en ce sens qu’elle est une loi pénale que la loi divine inflige à l’homme en le destituant de sa dignité propre ». I-II, q. 93, a. 6 : Toutes les choses humaines sont-elles soumises à la loi éternelle ? Saint Thomas répond oui : « Les bons sont parfaitement soumis à la loi éternelle, puisqu’ils agissent toujours en s’y conformant. Quant aux pécheurs, ils lui sont soumis de manière impar-faite en ce qui regarde leurs actes. […] Toutefois, ce qui est déficient dans leur activité est compensé du côté de la passivité ; nous voulons dire que les mé-chants subissent la peine que leur fixe la loi éternelle en proportion de ce qu’ils ont négligé de faire pour être conformes aux exigences de cette loi. ». I-II, q. 96, a. 2 : La loi humaine doit-elle réprimer tous les vices ? Saint Thomas répond en distinguant : « La loi humaine est portée pour la multitude des hommes, et la plupart d’entre eux ne sont pas parfaits en vertu. C’est pourquoi la loi humaine n’interdit pas tous les vices dont les hommes vertueux s’abstiennent, mais seulement les plus graves, dont il est possible à la ma-

berté politique fondée sur la liberté natu-relle est supérieure à la sujétion, dans l’absolu, grâce à une supériorité psycho-logique qui fait aimer le régime. Donc, avec de très fortes réserves, la démocratie est le meilleur régime du point de vue de la liberté.

En conclusion de cette première partie, l’auteur résume les différentes thèses. L’unité confère à la royauté, dans l’absolu, une supériorité sur les autres ré-gimes (Pol. VI, IV, § 1), seules la royauté et l’aristocratie sont de bons régimes, les considérations psychologiques ne com-pensant pas la tare essentielle de la dé-mocratie. La paix est plus importante que la justice distributive. Le défaut de la royauté, écarter trop d’hommes du pou-voir, n’atteint que des intérêts particu-liers. « Il ressort bien de ces considéra-tions une préférence de saint Thomas pour la royauté, non seulement sur le plan métaphysique, et en tant que gou-vernement, mais même sur le plan hu-main, et en tant que régime… » (page 119). Mais toute cette étude est res-tée spéculative par son mode (analyse) alors que la politique pratique fait œuvre de synthèse. La réalité étant complexe, des régimes mixtes seront souvent préfé-rables à des régimes purs. Cependant la royauté reste le meilleur régime spécula-tivement.

Deuxième partie : les régimes mixtes

I) Caractère de cette seconde partie

« La seconde partie de cette étude doit être caractérisée par une méthode toute nouvelle. Il ne s’agit plus d’analyse, mais de synthèse » (page 127). Il faut combiner les différents régimes en évitant le danger

jeure partie des gens de s’abstenir, et surtout ceux qui nuisent à autrui. »

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de l’anarchie qui est parfois la sédition, plus souvent la tyrannie, pouvoir illégi-time dans lequel peut tomber tout ré-gime.

II) La notion de mixte

Un régime emprunte à plusieurs types mais doit être, par rapport à eux, un ré-gime nouveau, combinaison harmonieuse d’institutions essentielles, une combinai-son de principes.

III) Les principaux régimes mixtes – la répu-blique

On peut imaginer un grand nombre de combinaisons (pages 137-138). L’auteur s’arrête sur la république présentée dans les Commentaires sur la Politique d’Aristote (L. IV, chap. VII). Il s’agit d’introduire dans un gouvernement fondé sur la dé-mocratie (au sens classique du mot) un élément qualitatif qui le tempère. Saint Thomas tente d’améliorer la démo-cratie en remplaçant son égalitarisme ab-solu par une égalité proportionnelle (pages 140-143). C’est ce que la plupart des cités peuvent réaliser de mieux, ou plutôt de moins mal : « Respublica media est securissima inter tales respublicas quæ declinant ab optima », la république tem-pérée est le régime le plus sûr parmi ceux qui s’écartent du meilleur (Pol. V, I, § 6).

IV) Le régime mixte proprement dit

C’est la combinaison la plus parfaite que l’on puisse trouver des différents types politiques simples qui ne peuvent donner, seuls, un régime modèle. Ce n’est pas un compromis entre régimes impar-faits mais un effort pour atteindre le plus haut degré du bien commun. Deux condi-tions sont requises pour arriver à un gou-vernement fort et doux qui soit efficace en donnant satisfaction à tous : que tous aient une certaine part dans le pouvoir

(psychologie politique) et que le pouvoir soit efficacement organisé (physique poli-tique).

Le régime mixte consiste essentielle-ment en une combinaison de royauté et d’aristocratie, seules formes de gouver-nement ordonnées à la vertu. « … Et ce-pendant un tel pouvoir regarde tout le monde, soit même que tous soient éli-gibles, soit même que tous soient élec-teurs. » Le mot « cependant » montre que l’élément démocratique est ajouté aux deux éléments essentiels 1.

Ce régime combine donc ce qu’il y a d’essentiel dans chaque régime simple : un pouvoir de décision unique (royauté), une élite chargée de l’examen des affaires (aristocratie), la justice distributive (aristocratie), une liberté qui donne au peuple la conscience d’être l’un des rouages du gouvernement (démocratie).

Le roi gouverne à vie et est soit élu (per se) soit héréditaire (per accidens, Pol. III, XIV). Le régime mixte possède un carac-tère pratique où doit dominer la considé-ration du per accidens.

L’exercice du pouvoir consiste à déli-bérer, juger et commander, actes de la rai-son pratique qui sont des fonctions et non des pouvoirs comme certains commenta-teurs ont voulu le faire croire. Il ne s’agit pas de séparation des pouvoirs, mais de collaboration de tous à l’ensemble du pouvoir. Le peuple participe au pouvoir par la coutume, « ad observationem legum, plurimum valet consuetudo », pour l’obser-vation des lois, rien ne vaut la coutume 2. La création de la coutume par le peuple constitue un véritable acte législatif et re-présente la part du peuple dans la loi comme dit saint Thomas en reprenant saint Isidore de Séville.

Le roi représente l’âme de la collabora- 1 — Voir P. PEGUES, La Théorie du pouvoir chez saint Thomas, Rev. Thom., 1911, p. 591 et sq. 2 — I-II, q. 97, art. 2.

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tion nationale, l’aristocratie en représente la sagesse et le peuple la force.

V) L’idée de régime mixte avant saint Thomas

La première notion de régime mixte se trouve chez Platon dans les Lois et est re-prise, critiquée et transformée par Aris-tote (Pol. II, VII, § 3). Polybe en parle dans ses Histoires et Cicéron en expose le prin-cipe dans son De Republica.

La pensée chrétienne transformera l’apport antique. Saint Thomas distingue, par exemple, la concorde sociale telle que la définit Aristote de la vraie paix qui exige la charité surnaturelle. Comme les Pères, saint Thomas s’appuie aussi sur la constitution donnée par Dieu à son peuple pour étudier le fonctionnement de la cité et il « ne pouvait qu’être frappé de la similitude entre cette constitution mar-quée du sceau divin et l’idée aristotéli-cienne du régime mixte » (page 193). Marcel Demongeot évoque ensuite saint Isidore de Séville, Pierre Lombard, Jean de Salisbury, Alexandre de Halès, saint Bonaventure, Siger de Brabant.

Et Marcel Demongeot conclut son livre par cette remarque : « Comme ce régime

mixte est le régime modèle pour saint Thomas, saint Louis reste pour nous le roi modèle. Est-ce pure coïncidence si saint Thomas fut le commensal de saint Louis ? »

Ce livre nous paraît constituer une

bonne approche de la pensée politique de saint Thomas, dans un esprit d’objectivité et de prudence. Il lui manque d’étudier de près les problèmes de base de la so-ciété qu’on trouvera exposés suivant le système scolastique dans un ouvrage comme le livre du P. Schwalm, O.P., La société et l’État, Flammarion, 1937. Nous tenons aussi à signaler le travail de l’abbé Bouillon, La Politique de saint Thomas, Letouzey et Ané, 1927 d’une optique un peu différente de celle de Marcel Demongeot.

G. Bedel

Marcel DEMONGEOT, Le Meilleur régime

politique selon saint Thomas, Éd. D.E.L., 1999.

❋ ❋ ❋

☞ La spiritualité du martyre

Le martyre est toujours d’actualité dans l’Église. Il n’y a pas de siècle où des catholiques n’aient été appelés à donner à Notre-Seigneur le témoignage suprême de fidélité. Il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps, où les persécutions redouble-ront avec l’avènement de l’Antéchrist.

Aujourd’hui, les communistes en Chine et en Corée du Nord, les musul-

mans dans les pays qu’ils dominent, sont les bourreaux qui font couler le sang ca-tholique. N’oublions pas de prier pour nos frères persécutés, car ils sont les membres spécialement souffrants du Corps du Christ auquel nous apparte-nons, et ils comptent sur notre soutien.

Vue générale sur la spiritualité du

martyre (chapitre 1) Dans ce nouvel ouvrage publié en 2000

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aux éditions Saint-Paul, le père Pinckaers O.P. met bien à sa place le martyre dans la spiritualité catholique : non pas un cas à part pour temps hypothétique de persé-cution – dont un chacun est persuadé que cela ne lui arrivera jamais – mais au contraire un sommet vers lequel tend toute la mystique chrétienne.

Après avoir défini le terme de spiritua-lité, le père Pinckaers en vient immédia-tement au fait que le martyre est une béatitude, la huitième : « Bienheureux se-rez-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on vous calom-niera de toute manière à cause de moi ! Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes avant vous » (Mt 5, 11-12).

Comme cette dernière béatitude est le sommet, c’est elle qui donne son achève-ment à toutes les autres, leur sert de réfé-rence.

Le martyre était la réalité quotidienne des premiers temps de l’Église, et en tous lieux, comme il le sera dans les derniers temps. Ce contexte de persécutions san-glantes provoquait une expérience plus vive des autres béatitudes : pauvreté, faim, larmes, seules nommées par saint Luc (6, 20-21). Les béatitudes données par saint Matthieu (5, 3-10) sont concernées aussi, car dans la persécution il faut être doux, miséricordieux, pacifique.

Dans les trois premiers siècles de l’Église, le martyre est reconnu comme l’apogée de la vie chrétienne, son couron-nement héroïque. C’est un idéal qui est offert à tous les chrétiens.

Quand la paix extérieure viendra, le martyre physique sera remplacé par la vie religieuse qui avait déjà commencé à coexister avec lui. Les persécutions ap-prenaient aux fidèles à vivre dans ce monde comme n’en étant pas. C’était la porte ouverte à la pratique des conseils

évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.

Mais en temps de paix, même pour ceux qui n’ont pas la vocation religieuse, les sept béatitudes gardent leur teneur, car de toutes façons l’Église sur terre sera toujours l’Église militante. Elle sera tou-jours en lutte : le combat spirituel est de tous les jours, et la persécution au moins morale peut venir éprouver tout fidèle du Christ. Pensons aujourd’hui – et c’est nous qui rajoutons – aux catholiques dits “de Tradition”, aux difficultés de plus en plus grandes qu’ils rencontrent dans un monde apostat, et même de la part des autorités officielles de l’Église, pour leur fidélité intégrale au catholicisme : que de railleries et tracasseries, jusque dans leur propre famille, parce qu’ils ont de nom-breux enfants, qu’ils veulent leur donner une éducation catholique, qu’ils restent modestes dans leur habillement, qu’ils n’ont pas la télévision, etc. L’on ne peut parler de martyre proprement dit, mais ce contexte leur fait vivre pleinement les béatitudes, et ils entendent Notre-Sei-gneur leur dire « Bienheureux êtes-vous ! Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse ! »

La définition du martyre : le martyre

est un témoin (chapitre 2) Considérant le martyre, la plupart s’ar-

rêtent aux souffrances physiques. C’est une erreur, car cela empêche d’accéder à la spiritualité du martyre.

L’élément premier du martyre est le témoignage rendu à Notre-Seigneur jus-qu’à la mort. Il est même l’identification suprême au Christ dans sa passion en vue d’être identifié à sa résurrection.

Mais un tel héroïsme montre l’inter-vention d’une force supérieure à l’homme, car le martyre est inexplicable naturellement : comment des personnes

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de tous les âges, des enfants aux vieil-lards, peuvent-ils souffrir de tels tour-ments avec une telle constance, une telle paix, une telle joie ? L’élément principal du martyre est donc l’action du Christ dans ceux qui souffrent pour lui.

Il aurait été cependant souhaitable que, dans ce chapitre fondamental, le père Pinckaers mît en valeur le lien essentiel qui existe entre le martyre et la vertu de foi. Dans l’Église catholique, est martyr celui qui, pour défendre la foi, accepte d’être mis à mort par un agresseur qui la persécute effectivement. Sont en jeu ici des vérités appartenant au dogme catholique, ou qui lui sont liées, comme par exemple des questions de morale.

Cette précision est spécialement néces-saire pour mettre en garde contre le faux œcuménisme actuel. On pense, par exemple, au nouveau « martyrologe » publié sur ordre du pape Jean-Paul II à l’occasion de l’Année sainte 2000, faisant passer pour martyrs des orthodoxes et des protestants morts pour témoigner de l’hérésie ou du schisme. Comme le dit saint Thomas d’Aquin, « la foi [catholique] à laquelle on reste attaché, est la fin du martyre » (II-II q. 124, a. 2, ad. 1).

La force héroïque des martyrs, jointe à leur patience, à leur douceur, à leur nombre incalculable, à la diversité de leurs conditions sociales, de leur âge, de leurs tourments, est même l’un des signes les plus forts de la vérité divine de la foi catholique. C’est une chose qu’il faut rap-peler à temps et contretemps aujourd’hui. Il est dommage que le père Pinckaers ne l’ait même pas signalé 1.

1 — Pour une étude plus approfondie sur ce point, on peut se reporter à l’ouvrage du R.P. Réginald GARRIGOU-LAGRANGE O.P., De Revelatione, Paris, Gabalda, 1918, t. 2, ch. 9, art. 2, p. 281-296.

Le martyre et l’eucharistie, ou : la charité du Christ au principe du

martyre (chapitre 3) Saint Thomas d’Aquin dit que

« L’eucharistie est le sacrement de la pas-sion du Christ » (III q. 73, a. 3, ad. 3). Elle nous est donnée pour communier dans toute notre vie aux dispositions de Jésus en croix.

L’eucharistie est donc la nourriture appropriée pour ceux qui vont reproduire cette passion, non seulement dans leur âme, mais aussi dans leur corps, et donc accomplir de la façon la plus réaliste ce que l’eucharistie signifie. On pense ici aux lettres de saint Ignace d’Antioche : « Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ » (cité plus loin dans l’ouvrage, p. 94).

On portait d’ailleurs la sainte eucharis-tie dans leurs prisons aux chrétiens qui allaient être dévorés par les bêtes. En 253, le concile de Carthage écrivait : « L’eucharistie devant être une défense à ceux qui la reçoivent, ceux que nous vou-lons voir défendus contre l’adversaire se-ront nourris du secours de la nourriture dominicale. Comment les instruire et les inviter à répandre leur sang en confessant le nom du Christ, si nous leur refusons le sang du Christ quand ils vont com-battre ? » (p. 82)

Mais l’eucharistie ne se borne pas à fortifier le courage des martyrs, elle communique à ceux qui vont souffrir, la charité du Christ qui est au principe du martyre.

Le lien entre la messe et le culte des martyrs se fera d’ailleurs très vite. On célébrera la messe sur leurs tombeaux, et l’Église rendra ensuite obligatoire la célé-bration de la messe sur un autel ou une pierre d’autel où se trouveront des re-liques de ceux qui ont mêlé leur sang à

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celui du Christ. Le père Pinckaers aurait pu noter que la nouvelle liturgie, qui a supprimé cette obligation, s’éloigne ici encore de façon impressionnante de la spiritualité catholique, et spécialement de l’esprit des premiers siècles du christia-nisme à laquelle elle prétendait fausse-ment revenir.

Le martyre et l’eschatologie (chapitre

4) « Je ne boirai plus désormais de ce

fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai de nouveau avec vous dans le royaume de mon Père » (Mt 26, 29).

La passion de Jésus est un passage qui le conduit à la gloire. Le martyre sera de même compris et vécu comme un passage vers le Père, et vers le Christ qui siège auprès de lui. En outre, il comporte mystérieusement la venue du Christ vers ses témoins pour les soutenir, s’unir à eux et se révéler à eux. : « Étienne, qui était rempli de l’Esprit-Saint, ayant fixé les yeux au ciel, vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de son Père » (Ac 7, 55).

Le martyre est en même temps un té-moignage donné à toute l’Église sur l’action de Notre-Seigneur en ceux qui croient en lui, une garantie de la réalité des biens à venir, et un présage du retour du Christ pour introduire l’Église auprès du Père.

Grands textes

Le père Pinckaers donne ensuite de

notables extraits des textes les plus célèbres de la littérature chrétienne des premiers siècles sur le martyre :

— les lettres de saint Ignace d’An-tioche (chapitre 5)

— la lettre de saint Clément de Rome aux Corinthiens (chapitre 6)

— le traité Aux martyrs de Tertullien (chapitre 7)

Quittant ensuite le temps des persécu-tions, il nous expose la doctrine de saint Augustin sur le martyre, telle qu’elle ap-paraît dans ses sermons sur les saints martyrs : Cyprien, Laurent, Étienne, etc. (chapitre 8)

A l’époque de saint Augustin, l’Église n’est plus persécutée par l’Empire, mais nous n’en sommes pas loin, et saint Au-gustin est encore un témoin de cette spiri-tualité qui restait dans les esprits. On y trouve cinq thèmes : le martyr est un té-moin de la vérité divine ; le martyre est un combat ; la force des martyrs est un don de Dieu ; ce qui fait le martyre, c’est la cause pour laquelle il souffre ; les mar-tyrs sont la semence de l’Église.

Le martyre dans la théologie de saint

Thomas d’Aquin (chapitre 9) Ce couronnement était attendu. Dans son commentaire sur l’Évangile

de saint Matthieu, saint Thomas dit que la huitième béatitude est le couronnement des sept autres.

Dans la Somme (II-II q. 124), organisant la morale autour des vertus, saint Thomas rattache le martyre à la force, dont il est la réalisation plénière. Mais il montre aussi le lien essentiel que le martyre entretient avec la foi dont il est le témoin, et avec la charité qui l’inspire : le martyre est même une démonstration de la perfection de la charité. Bien sûr, la vertu de force n’est pas la seule à intervenir, le don de force est évidemment nécessaire.

Saint Thomas rattache aussi au mar-tyre les fruits du Saint-Esprit, et en parti-culier la patience, la joie, la paix, effets di-rects de la charité. La douceur des mar-tyrs qui pardonnent à leurs bourreaux et prient pour eux, distingue à jamais leur

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sacrifice de celui des fanatiques de tous bords.

Fr. M.-D.

Père Servais-Thomas PINCKAERS O.P.,

La spiritualité du martyre... jusqu’au bout de l’amour, Versailles, éd. Saint-Paul, 2000, 14 x 21, 158 p., 89 F.

❋ ❋ ❋

☞ L’Évangile au désert

Voici la réédition d’un ouvrage paru

en 1965. Il s’agit d’un travail en deux parties distinctes et complémentaires : la première est une présentation historique du monachisme, la deuxième, beaucoup plus ample, consiste en un recueil de textes et de documents qui illustrent l’exposé historique (monachisme égyp-tien, tradition byzantine, syrienne, occi-dentale). La nouvelle édition de cette deuxième partie est enrichie de pages qu’il est en général difficile de trouver. Nous allons analyser la première partie qui est une introduction assez substan-tielle aux textes, mais qui reste un travail d’initiation où l’Orient, qui mérite d’être étudié, a la part trop belle par rapport à l’Occident.

Nous savons que, dès le IIIe siècle, des vierges ont mené une vie commune puis que se créèrent des groupements ascé-tiques masculins. Le monachisme appa-raît entre la fin du IIIe siècle et le milieu du IVe « comme par un phénomène de buissonnement spontané » (page 24). Après la « paix de l’Église », ce sera une réaction contre les dangers de contamina-tion du monde. Le moine témoigne concrètement que le chrétien n’appartient pas à ce monde. Un monachisme urbain existera tôt, mais les « Pères du désert » marqueront la vie religieuse de manière

ineffaçable. Après saint Antoine, « le Père des

moines », l’Égypte fut la terre des origines du mouvement monastique. Les moines des déserts de Scété 1 et de Nitrie étaient peu cultivés et la Bible fournit le cadre de leur pensée sans référence à la philosophie grecque, mais Évagre le Pontique (246-399), ancien élève des Cappadociens, fera une synthèse entre la spiritualité du désert et la philosophie alexandrine. Marqué par Origène, ses écrits expurgés influenceront tout l’Orient monastique et seront, avec les Homélies spirituelles attribuées à saint Macaire le Grand, à l’origine de la doctrine spirituelle « orthodoxe 2 ». Alors que l’esprit du désert était surtout tourné vers l’accomplissement spirituel personnel, la règle commune étant secon-daire, saint Pacôme, considéré comme le créateur du cénobitisme, veut réaliser une communauté selon les paroles des Actes des apôtres : « Ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme, et tout leur était commun. » Sa règle, rédigée en copte, fut traduite en grec ; saint Jérôme en donna une version latine, assurant ainsi son influence sur le monachisme occidental. Ce monachisme 1 — Saint Macaire d’Égypte fut le fondateur. 2 — L’adjectif orthodoxe est pris ici dans son sens historique, « qui appartient à l’Église chrétienne d’Orient, séparée de Rome depuis 1054 », et non dans son sens premier.

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se répandit dans toute la vallée du Nil et jusqu’aux portes d’Alexandrie ; la clôture stricte et le silence remplaçaient l’éloi-gnement dans le désert.

Avec saint Basile et saint Grégoire de Nysse, le monachisme cappadocien aura une importance considérable dans l’élaboration de la doctrine mystique de l’Église byzantine. Le monachisme syrien sera particulièrement rigoriste, peut-être à cause de ses origines judéo-chrétiennes : on trouve les hypètres qui vivent en plein air, les dendrites réfugiés dans des arbres, les stylites sur des colonnes.

Jérusalem sera pour beaucoup de moines le terme de leur pèlerinage. A la fin du IVe siècle, le Mont des Oliviers fut un des hauts lieux du monachisme où la partie latine de l’Empire sera représentée par Mélanie l’Ancienne que connut saint Jérôme, fondateur de communautés à Bethléem.

En Occident comme en Orient, l’ascé-tisme a préparé le monachisme. On sait que des îles de la Méditerranée occiden-tale étaient peuplées d’anachorètes à la fin du IVe siècle. Nous ne suivrons pas l’auteur pas à pas dans son survol histo-rique des origines des communautés mo-nastiques occidentales. Il montre l’influence de l’Orient à la faveur des exils de saint Athanase qui écrivit sa Vie de saint Antoine pour les ascètes des Gaules, il insiste sur Cassien parce qu’il fut l’introducteur en Occident de la doctrine monastique orientale. Il vécut à Bethléem, séjourna en Égypte et fonda à Marseille les monastères de Saint-Victor et de Saint-Sauveur. Nous sommes un peu étonnés de la tendance à minimiser le rôle de saint Benoît dont la Règle ne serait que le meilleur exposé de ce qui se pratiquait un peu partout. Pour l’auteur, Cassien, saint Grégoire le Grand et saint Isidore de Séville représentent les

classiques du monachisme médiéval. Il se trouve plus à son aise dans le

monde grec où « la tendance proprement byzantine à promouvoir un monachisme bien organisé et réglementé devra tou-jours composer avec une autre tendance plutôt orientale et syrienne dans son ori-gine, vers la liberté spirituelle de l’ana-chorétisme total et vers les pratiques pé-nitentielles extrêmes » (page 106). Il nous présente saint Maxime le Confesseur, la réforme importante de saint Théo-dore Stoudite qui, réagissant contre les excès de la vie solitaire en Syrie et en Bi-thynie, prêcha, à côté de la contempla-tion, les vertus actives. Voici le Mont Athos où se fera la synthèse entre la vie spirituelle, la liturgie et la théologie « orthodoxes ».

La partie de la présentation générale consacrée au monachisme en Occident, du Moyen Age à nos jours, est bien ra-pide et marquée par des a priori orien-taux. L’auteur affirme qu’à partir du XIIIe siècle, les forces vives de l’Église d’Occident ne sont plus dans les Ordres religieux. « Aucun homme de premier plan n’appartiendra plus aux grands Ordres religieux traditionnels » (page 159). Nous pensons à saint Domi-nique, à saint Thomas d’Aquin, au pape saint Pie V, à saint François d’Assise. Mais comme saint Dominique, mort en 1221, a vécu après le schisme de Mi-chel Cérulaire (1054), l’auteur ne prend peut-être pas en compte dans son survol historique les fondations postérieures. Il est quand même étrange de ne pas citer le nom de Dom Guéranger dans une his-toire du monachisme occidental !

Ces défauts, dus aux attaches orien-tales de l’auteur, mis à part et reconnus afin de rétablir une vision équilibrée des choses, l’exposé ne manque pas d’intérêt, surtout en ce qui concerne le monde by-zantin. Mais l’intérêt principal du livre

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LE SEL DE LA TERRE Nº 39, HIVER 2001-2002

tient à la seconde partie qui est la plus étendue. Les textes orientaux sont plus nombreux que ceux d’Occident, ce qui, au fond, est mieux pour nous qui n’avons pas besoin d’une nouvelle édition de la Règle de saint Benoît, mais qui sommes contents de découvrir la Doctrine de Rab-ban Youssef Bousnaya, de Jean Bar Kal-doun. On tire toujours de grands profits de la lecture des Apophtegmes des Pères du désert (les Sentences des Pères d’Égypte) qui revêtent l’aspect attrayant de petits dialogues de conteurs orientaux. La traduction des larges extraits proposés a été révisée avec soin.

En résumé, nous sommes en présence d’un ouvrage riche qu’on peut utiliser en sachant qu’il s’appuie sur une vue géné-rale de l’histoire de la Chrétienté qui n’est pas la nôtre et qui n’est pas explicitement annoncée.

G. Bedel

Archimandrite Placide DESEILLE :

L’Évangile au désert, Paris, éd. du Cerf, collection « Perspectives de vie religieuse », 1999, 404 p.

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Erratum Dans notre numéro 38, la recension des Cahiers Saint-Raphaël (nº 62, mars 2001)

évoquait le troisième colloque du Centre Pie XII pour la morale du vivant, tenu dans les locaux de l’Institut Saint-Pie X en novembre 2000.

Aux pages 205-206, dans le compte rendu de ce colloque, il est écrit : « M. l’abbé Lorans examine un roman de Annie Dermeau, L’événement, paru en février 2000. »

En réalité, il ne s’agit pas d’un roman mais d’un récit autobiographique et le nom de l’auteur est Annie ERNAUX (L’Événement, Paris, NRF Gallimard, 2000). Nous présentons nos excuses à l’orateur et à nos lecteurs pour cette erreur.