21
L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Article original Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants Reconstruction and modeling of the suicidal process in suicide attempters Jérémie Vandevoorde a,, Anne Andronikof b , Thierry Baudoin c , Emmanuelle Baudoin d , Adeline Januel d a Docteur en psychologie clinique, laboratoire IPSé, université Paris-Ouest Nanterre, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex, France b Professeur des universités, laboratoire IPSé, université Paris-Ouest Nanterre, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex, France c Psychiatre, hôpital René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, BP 79, 95303 Cergy-Pontoise cedex, France d Psychologue clinicienne, hôpital René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, BP 79, 95303 Cergy-Pontoise cedex, France Rec ¸u le 8 octobre 2010 Résumé L’auteur présente une étude descriptive centrée sur la reconstitution d’une tentative de suicide. Trente-trois suicidants ont accepté de répondre à un entretien semi-structuré (entretien MEPS) permettant de reconstruire le déroulement des évènements présuicidaire et l’état mental du sujet au moment même il passe à l’acte. Les résultats montrent que 82 % d’entre eux avaient des comportements préparatoires au geste et 75,8 % un véritable scénario suicidaire. Les données suggèrent aussi l’existence d’une phase pré-passage à l’acte qui se traduit par une perturbation tonique et/ou une mise en condition. Au moment du geste suicidaire, 59,4 % des patients signalent une altération de leur état de conscience et 60 % éprouvent un phénomène de confusion émotionnelle très intense. Enfin, l’auteur met à jour des manifestations cliniques singulières au niveau de la sensation subjective du mouvement et de la perte soudaine du contrôle moteur. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Suicide ; Crise ; Tentative de suicide ; Dissociation ; Prévention ; Questionnaire ; Échelle ; Évaluation ; MEPS Toute référence à cet article doit porter mention : Vandevoorde J, Andronikoff A, Baudoin T, Baudoin E, Januel A. Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants. Evol psychiatr 2012;77;3. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Vandevoorde). 0014-3855/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2012.03.004

Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

  • Upload
    adeline

  • View
    224

  • Download
    6

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Article original

Reconstitution et modélisation du processus suicidairechez les suicidants�

Reconstruction and modeling of the suicidal process in suicide attempters

Jérémie Vandevoorde a,∗, Anne Andronikof b, Thierry Baudoin c,Emmanuelle Baudoin d, Adeline Januel d

a Docteur en psychologie clinique, laboratoire IPSé, université Paris-Ouest Nanterre, 200, avenue de la République,92001 Nanterre cedex, France

b Professeur des universités, laboratoire IPSé, université Paris-Ouest Nanterre, 200, avenue de la République,92001 Nanterre cedex, France

c Psychiatre, hôpital René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, BP 79, 95303 Cergy-Pontoise cedex, Franced Psychologue clinicienne, hôpital René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, BP 79, 95303 Cergy-Pontoise cedex,

France

Recu le 8 octobre 2010

Résumé

L’auteur présente une étude descriptive centrée sur la reconstitution d’une tentative de suicide. Trente-troissuicidants ont accepté de répondre à un entretien semi-structuré (entretien MEPS) permettant de reconstruirele déroulement des évènements présuicidaire et l’état mental du sujet au moment même où il passe à l’acte.Les résultats montrent que 82 % d’entre eux avaient des comportements préparatoires au geste et 75,8 % unvéritable scénario suicidaire. Les données suggèrent aussi l’existence d’une phase pré-passage à l’acte qui setraduit par une perturbation tonique et/ou une mise en condition. Au moment du geste suicidaire, 59,4 % despatients signalent une altération de leur état de conscience et 60 % éprouvent un phénomène de confusionémotionnelle très intense. Enfin, l’auteur met à jour des manifestations cliniques singulières au niveau de lasensation subjective du mouvement et de la perte soudaine du contrôle moteur.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Suicide ; Crise ; Tentative de suicide ; Dissociation ; Prévention ; Questionnaire ; Échelle ; Évaluation ; MEPS

� Toute référence à cet article doit porter mention : Vandevoorde J, Andronikoff A, Baudoin T, Baudoin E, Januel A.Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants. Evol psychiatr 2012;77;3.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J. Vandevoorde).

0014-3855/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.evopsy.2012.03.004

Page 2: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 353

Abstract

The author presents a descriptive study focused on the replenishment of a suicide attempt. Thirty-threesuicide attempters have agreed to answer a semi-structured interview (interview IMSA) to reconstruct thesequence of events pre-suicide and mental condition of the subject at the time when he proceeded to act.The results show that 82% of them had behavioral preparatory gesture and 75.8% a real suicidal scenario.The data also suggest the existence of a transition phase before the act consisting in tonic disturbanceand/or a conditioning state. At the time of the suicidal gesture, 59.4% of patients reported an altered state ofconsciousness and 60% experience a phenomenon of intense emotional confusion. The author also stressesunusual clinical manifestations at the subjective sensation of movement and the sudden loss of motor control.© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Suicide; Suicidal crisis. Suicide attempt; Dissociation; Prevention; Questionnaire; Scale; Evaluation; MEPS

1. Introduction

Le champ psychopathologique du geste suicidaire s’est, depuis quelques années, enrichi denombreuses recherches et de nombreuses observations sur le phénomène de « crise suicidaire. ».Dans l’article de 1967, traduit par Mouseler [1], Ringel évoque l’existence prodromique d’unegêne existentielle présuicidaire qui s’aggrave au fur et à mesure de l’évolution du processus et secaractérise par plusieurs éléments : un retournement des pulsions agressives inhibées contre soi, unenvahissement des fantasmes suicidaires, une impression de coercition interne, le sentiment de neplus pouvoir aller de l’avant, un phénomène de désespérance au sein de la rencontre entre le Moi etle monde, un bilan inquiétant sur la vie et une évaluation affective tendancieuse de l’environnementcolorée par la noirceur. Ringel observe une perte de ce qu’il nomme la « confiance originelle » aulendemain au profit d’un sentiment de « défiance profonde » du monde. En distinguant les causeset les motifs du suicide, il admet l’inefficacité à convaincre les patients du sens positif de la viesi les affections psychopathologiques sous-jacentes ne sont pas soignées, les troubles psychiquesmodifiant la vue intuitive de l’univers.

Plusieurs années plus tard, les travaux de Quenard et Rolland [2] vont préciser les différentesétapes de la phase présuicidaire (événement déclenchant, accroissement de l’état de tension,monde vécu comme un péril interne, hausse de l’agressivité). L’entité clinique « crise suicidaire »est officiellement reconnue par les experts de la conférence de consensus [3] et procède d’unevolonté de distinguer la pathologie suicidaire comme un ensemble sémiologique à part entière, etnon plus comme la complexification d’une pathologie psychiatrique [4].

2. Brève synthèse des manifestations cliniques présuicidaires

Définir une configuration psychopathologique spécifique à la problématique suicidaire n’estpas aisé sur le plan méthodologique et il existe encore peu de recherches sur le sujet. En comparant1920 patients déprimés et 2383 patients schizophrènes, Ahrens et Linden [5] cherchent à discrimi-ner une entité clinique suicidaire indépendante de ces deux maladies. Les auteurs découvrent uneconstellation clinique constituée du désespoir, de ruminations péjoratives, d’un repli social, d’unmanque d’activité, d’apathie et d’affects dysphoriques, l’ensemble étant plus intense que dans unétat dépressif ou schizophrénique. Ils concluent à la nécessité de considérer ces éléments commeun diagnostic indépendant et non pas secondaire à une affection psychiatrique. S’appuyant sur

Page 3: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

354 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

une démarche originale, Hendin et al. [6] recueillent les analyses directement auprès des théra-peutes (n = 26 patients). Ils identifient trois patterns majeurs présuicidaires qui capturent 61 % del’échantillon lorsqu’ils sont réunis ensemble :

• un événement précipitant ;• un état affectif intense autre que la dépression (dans l’ordre décroissant, les états affectifs les

plus fréquents sont : le désespoir, la rage, l’anxiété, le sentiment d’abandon, le dégoût de soi,la culpabilité, la solitude et l’humiliation) ;

• un pattern comportemental scindé en trois modalités : communication ou action préparant lesuicide, dégradation des relations sociales et perte de contrôle, hausse de la fréquence d’uneprise de substance.

Les consensus francais sont très proches de ces tableaux cliniques [3,7] :

• sentiment de constriction relationnelle (repli sur soi. . .) ;• restriction des émotions, des mécanismes de défense et du sens des valeurs ;• inhibition ou retournement de l’agressivité ;• envahissement de la vie imaginaire par des facteurs suicidaires.

Associée à cette toile d’éléments cliniques, une phase de préparation s’installe insidieusement.Tout se passe comme si le sujet dressait autour de lui un véritable climat suicidaire. Des signes,parfois très discrets ou peu pris au sérieux, apparaissent alors : la rédaction d’un testament, desplaisanteries douteuses sur la volonté de mourir, des messages indirects du type : « bientôt je vaisavoir la paix », « je ne vous dérangerai plus », la consultation d’un médecin pour obtenir uneordonnance inhabituelle. . . Lafleur et Seguin [8], L’Anaes [3], Walter et Tokpanou [7], Ionitaet al. [4], s’accordent sur l’envahissement progressif d’un esprit hanté par les idées suicidairesselon des étapes bien distinctes :

• recherche active de solutions ;• apparition des idées suicidaires ;• rumination des idées suicidaires ;• cristallisation et planification d’un scénario ;• prise de décision (parfois accompagnée d’un sentiment trompeur de calme).

Il est tout à fait probable que l’évolution de ce processus permette au patient de s’habituer àl’idée de mourir, de réduire ses émotions de peur du passage à l’acte et de nourrir son sentimentde n’appartenir à rien [9,10]. La gestation des idées suicidaires alimenterait le sentiment d’êtrecapable de se donner la mort. On estime aujourd’hui qu’une crise suicidaire dure entre six ethuit semaines [4]. Morasz et Danet [11] rappellent néanmoins que toutes les crises suicidairesn’aboutissent pas au passage à l’acte suicidaire (PAS) et évoquent six issues à celles-ci : le retourà l’équilibre, la tentative de suicide, la réversibilité, le recouvrement (nouvel état d’équilibre,aménagement temporaire), la récidive d’une crise suicidaire, la mort.

3. Problématique

Le but de notre étude est de reconstituer chronologiquement les manifestations présuicidaireset d’explorer l’état psychologique des sujets suicidants au moment même de l’exécution du geste.

Page 4: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 355

Nous souhaitons premièrement démontrer empiriquement qu’il existe bel et bien chez certainssuicidants plusieurs phases dans l’évolution du processus que l’on pourrait découper en troisgrandes étapes : une phase préparatoire, une phase pré-passage à l’acte et la phase paroxys-tique du geste suicidaire lui-même. Deuxièmement, nous souhaitons introduire des phénomènespeu étudiés dans la littérature consacrée au suicide tel que la préparation comportementale,l’oscillation de l’état de conscience, les processus émotionnels et la sensation subjective dumouvement. Enfin, malgré le caractère encore très exploratoire de cette enquête, nous tenteronsd’établir une première estimation de la fréquence de ces phénomènes dans un petit échantillon desuicidants.

4. Hypothèses

Au terme de cette brève revue de littérature :

• nous espérons pouvoir identifier empiriquement une phase présuicidaire qui se traduirait parla présence d’un scénario suicidaire mais aussi par de réels comportements préparatoires (parexemple : préparer le futur mode opératoire ou s’entraîner au geste) ;

• la sémiologie de la crise suicidaire place le scénario suicidaire comme un véritable organisateurdu PAS. Avec l’aide de nouvelles méthodes d’entretien [12,13], nous devrions retrouver laprésence de tels scénarios à des taux bien supérieurs que ceux des descriptions épidémiologiqueshabituelles (pour l’Anaes [3], 80 % des suicidants ou des suicidés avaient des idées suicidairespré-passage à l’acte. Les idées suicidaires donnent lieu à un plan suicidaire chez un tiers dessujets) ;

• la phase paroxystique de la crise, à savoir le déclenchement du geste, devrait se traduire parune activité psychopathologique spécifique que nous nous proposons de suivre à travers cinqsecteurs : la vie imaginaire autour du scénario suicidaire, les pensées, les émotions, l’état de laconscience et les sensations liées à la motricité.

5. Méthodologie

5.1. Population

Nous avons rencontré 34 suicidants au service de psychiatrie de liaison d’un hôpital de larégion parisienne. L’institution dans son ensemble dispose de 1106 lits et comptabilise environ98 000 passages par an à travers les différents services : médecine, chirurgie, gynécologie-obstétrique, soins de suite, gérontologie et psychiatrie. Le service accueil des urgencesmédicochirurgical relève en moyenne 56500 passages par an et 33 500 passages pour les urgencesspécialisées (gynécologie, ophtalmologie, pédiatrie, psychiatrie). L’accueil psychiatrique et le ser-vice de liaison emploient cinq médecins psychiatres, un interne, et trois psychologues. L’hôpitalenregistre en moyenne 2,1 suicidants par jour et un ratio démographique de 272 tentatives de sui-cide (TS) pour 100 000 habitants. La prise en charge et l’orientation des patients avec pathologiementale s’effectue selon l’avis du médecin psychiatre : retour à domicile, hospitalisation en servicede médecine, hospitalisation en psychiatrie, consultation ambulatoire, réseau libéral, cliniques pri-vées. Tous les sujets ont été évalués et sont suivis par un médecin psychiatre, dispositif auquels’ajoutent bien souvent une évaluation et un suivi par l’une des trois psychologues cliniciennes duservice. Chaque rencontre avec un patient a fait l’objet d’une autorisation par le médecin référentet de la signature d’un formulaire de consentement par le sujet. Cette procédure effectuée en

Page 5: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

356 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

parallèle au travail de l’équipe soignante nous a permis de mener notre recherche en nous assu-rant que la sécurité du participant et le cadre déontologique étaient bien respectés. Eu égard à nosobjectifs, les critères d’inclusion furent délibérément larges : toute personne adulte, consentante,admise pour une tentative de suicide diagnostiquée comme telle par un médecin psychiatre. N’ontpas été inclus les sujets qui se trouvaient dans l’incapacité de passer le protocole en raison de leurétat de santé somatique (coma, lésions neurologiques, etc.), d’une déficience intellectuelle sévèreou d’un état pathologique aigu (patient délirant). Les patients nous ont été adressés au hasarddurant l’année 2009. Le chercheur était présent dans le service environ une journée par semaine.L’une des patientes a refusé de participer l’étude. Au total, notre échantillon comprend donc33 suicidants.

En détails, l’échantillon est composé de 66,7 % (n = 22) de femmes et de 33,3 % (n = 11)d’hommes. L’âge moyen est de 41 ans (écart-type de 14,8) avec un minimum de 19 et un maximumde 69 ans. Un taux de 36,4 % des participants sont célibataires, 18,2 % sont en concubinage, 36,4 %sont mariés et 9,1 % sont veufs. Le nombre moyen d’enfants est de 1,45 (écart-type de 1,5), avecun minimum de 0 et un maximum de 5. Tous les patients ont un traitement médicamenteux.36,4 % d’entre eux sont des primosuicidants contre 63,6 % de récidivistes. La fréquence desmodes opératoires a été résumée ci-dessous (Tableau 1).

Les diagnostics établis par les médecins sont les suivants (tous les patients ont recu au moinsun diagnostic) (Tableau 2).

Tableau 1Fréquence des modes opératoires (n = 33).

Effectif Proportion (%)

Arme à feu 1 3Défenestration 1 3Médicaments (IMV) 22 66,7Médicaments + phlébotomie 5 15,2Phlébotomie 2 6,1Ingestion de produit ménager 1 3Tentative de saut d’un pont 1 3

Tableau 2Fréquence des diagnostics psychiatriques dans l’échantillon de suicidants (n = 33).

Dépression 13 39,4 %Dépression + alcoolisme 6 18,2 %Dépression + état de stress post-traumatique 1 3 %Dépression + trouble personnalité borderline 2 6,1 %Dépression + trouble personnalité histrionique 1 3 %État de stress post-traumatique 1 3 %Trouble anxieux non spécifié 2 6,1 %Trouble anxiodépressif 4 12,1 %Trouble bipolaire 1 3 %Trouble de la personnalité borderline 1 3 %Trouble de la personnalité histrionique 1 3 %Total 33 100 %

Page 6: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 357

5.2. Outils

L’enquête a été menée à l’aide de la méthode d’entretien pour le passage a l’acte suicidaire(MEPS) [13]. Cet entretien semi-structuré consiste à inviter le suicidant à reconstituer mentalementet à rebours sa tentative de suicide. Inspirée de la méthode ECES de Shea [12], la MEPS est unoutil récent dont nous proposons ici la première application de recherche. Elle permet de suivreles cognitions, les comportements, l’état de conscience, les émotions et l’activité du scénariosuicidaire en aidant le patient à reconstruire la phénoménologie de son geste jusqu’au momentsuicidaire final. Elle inclut en outre les techniques d’entretien proposées par Shea [12], proposeune investigation dynamique de la phénoménologie de la crise suicidaire lors d’une véritableséance clinique et permet une double cotation en aveugle. La moyenne des jours d’écart entre latentative de suicide et la passation de la MEPS est de 6,84 (écart-type 5,54). Nous avons établiun manuel de cotation de l’entretien dont nous avons résumé les principaux items ci-dessous(Tableaux 3 et 4).

La fidélité interjuge a été évaluée en aveugle sur 16 protocoles (soit 48 % de l’échantillon) parune psychologue clinicienne entraînée au maniement de l’outil. (Tableau 5).

Tableau 3Brève synthèse de quelques items de la méthode d’entretien pour le passage à l’acte suicidaire (MEPS) de la phasepréparatoire (voir la partie discussion pour des exemples cliniques).

Phase pré-passage à l’acte

Items MEPS Contenu Exemple

Mise à disposition de laméthode suicidaire

Le sujet signale un comportement depréparation de la méthode suicidaire

Stocker des médicaments, acheterune arme. . .

Essai moteur Le sujet signale une simulationgestuelle présuicidaire

Simuler avec des aiguilles unephlébotomie, tester des doses élevéesde médicaments

Préparation cognitive Le sujet signale une rechercheexplicite sur les effets de la futureméthode

Se renseigner sur internet des effetsd’un médicaments, lire les notices,s’informer sur le moyen de s’entaillerles veines. . .

Scénario Le sujet signale la présence d’unscénario suicidaire (et pas seulementune idée)

S’imaginer se pendre. . .

Valence du scénario Cet item qualifie la nature dessentiments du sujet lorsqu’il pense àson suicide

Le sujet peut éprouver un sentimentplaisant, déplaisant ou les deuxmélangés

Tri cognitif Le sujet signale des méthodes qu’iln’aurait pas utilisées, il a sélectionnéson mode opératoire en écartantcertaines méthodes

« je veux bien me tuer mais pas êtredéfigurée », « j’aurais pas foncé dansune voiture car je veux pas mettre lesautres en danger. »

Mise en état Le sujet signale un geste volontairepouvant faciliter le geste suicidaire

Prise d’alcool ou de toxique,déambulations et errance, visionnagehypnotique de films

Agitation Le sujet signale une perturbationtonique et une agitation motricequelques minutes avant son gestesuicidaire

Tourner en rond de manière agitée,briser des objets, courir pendant desheures sous l’effet de la tensioninterne. . .

Page 7: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

358

J. Vandevoorde

et al.

/ L’évolution

psychiatrique 77

(2012) 352–372

Tableau 4Brève synthèse de quelques items de la méthode d’entretien pour le passage à l’acte suicidaire (MEPS) au moment du passage à l’acte (voir la partie discussion pour davantaged’exemples cliniques).

Phase du passage à l’acte suicidaire

Item MEPS Modalité Contenu Exemple

Contrôle moteur Impétuosité simple Sentiment moteur cohérent, unique, continu, sansrupture

Le sujet prend les médicaments un par un ou « d’unseul coup »

Emballement moteur Cascade motrice, amplification de l’impétuositémotrice au cours du geste

« Je prends les médicaments 3 par 3 puis 4 par 4,puis 5 par 5. . . »

Automatisme moteur Rupture entre la sensation de mouvement et lasubjectivité, sentiment de perdre le contrôle de sesmembres

« c’était automatique », « j’étais comme robotisé »,c’est machinal de prendre les médicaments,presque obligatoire »

Dissociation Présence d’un phénomène dissociatif, d’unerupture subjective de l’état de conscience

« j’étais comme dans un état de flottement »,« j’avais l’impression de me regarder agir, une sortede dédoublement. »

Orientation des cognitions Absence de pensée Absence de pensée au moment du geste suicidaire « je pensais plus à rien, il fallait juste faire le geste »Vie Pensée dirigée vers le remord, les souvenirs, la vie Le sujet pense à ses enfants, sa famille. . .

Ambivalence Vie-Mort Débat cognitif entre les pensées dirigées vers la vieet celles orientées vers l’idée de mort

« j’avais aucune raison de continuer à vivre maispeut-être que les gens me regretteront quandmême »

Mort Pensée résolue et irrémédiable d’en finir sansalternative envisagée

« je pensais on arrête là, c’est bon, c’est la fin. Legeste était décidé »

Processus émotionnel Néant geste effectué sans émotion ou dans uneatmosphère affective de calme et de sérénité

« j’étais serein, j’étais calme »

Simple geste effectué sous l’émergence d’une seuleémotion particulière

« j’étais très triste »

Confusion Alchimie émotionnelle, chaos et mélange d’affects « Il y avait de la colère, de la tristesse, toutmélangé »

Conjoncture Présence d’un événement de vie proche lié au gestesuicidaire

Dispute conjugale, événement stressant. . .

Reproduction d’un gestesuicidaire antérieur

Lors de sa TS, le sujet a reproduit au moins une desméthodes utilisée pour une TS antérieure

Geste complexifié ou différent Le sujet a utilisé un autre mode opératoire que sesanciennes TS ou bien a complexifié celui-ci

Le sujet a refait une TS par médicaments mais enajoutant cette fois une phlébotomie(complexification)

Analogie scénario et passage àl’acte

Le sujet a exécuté le mode opératoire auquel ilsongeait dans son scénario suicidaire

Page 8: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 359

Tableau 5Accord intercotateur sur dix items de la méthode d’entretien pour le passage à l’acte suicidaire (MEPS) (n = 16 protocoles).

kappa Interprétation kappa Interprétation

Mise à disposition 0,86** Excellent Dissociation 1 ∗ ∗ ParfaitEssai moteur 0,74** Excellent Processus émotionnels 0,79** ExcellentAgitation motrice 0,81** Excellent Préparation cognitive 0,75** ExcellentContrôle moteur 0,76** Excellent Orientation cognitive 0,65** BonMise en état 0,84** Excellent Conjoncture 0,45* Moyen

*Signification approximée : p < 0,05 ; **p < 0,01.

6. Résultats

L’ensemble des résultats a été résumé sur la Fig. 1.

6.1. Une phase préparatoire

Environ 42 % des suicidants se souviennent s’être comportés de telle manière que l’arme leurétait facilement disponible (item mise à disposition) : « j’ai fait une dépression, j’ai eu un traitementfort. J’ai un bon stock [de médicaments]. C a faisait un an et demi que je les regardais, je savais quela prochaine fois, c’était ca », déclare par exemple le sujet 1. Le sujet 3 a ostensiblement consultéplusieurs médecins pour obtenir des ordonnances. Le sujet 30 dit avec une lucidité douloureuse :« inconsciemment, j’avais planqué des tubes de Lexomil® un peu partout. » Le sujet 16 prenaitson traitement avec réticence car une telle consommation réduisait le stock qu’elle se préparaitdans la perspective de son futur geste suicidaire. Juste avant sa TS, le sujet 33 achète plusieursmédicaments à la pharmacie en indiquant avec perplexité : « je sais pas pourquoi j’ai fait ca, c’estbizarre ». De manière intrigante d’ailleurs, les patients ont une clairvoyance assez réduite sur cetype d’agissement et nous nous sommes plusieurs fois avisés de la surprise qui filait sur leur visagelorsqu’ils prenaient conscience d’une telle opération. Cet espace de stockage apparaît comme unvéritable espace à potentiel soulageant : en cas de sentiments pénibles, le dispositif suicidaire estprêt, immédiatement accessible et, d’une manière tragique, rassurant. Le sujet 1 explique très bience processus : « C’est le problème avec les médicaments, il y a tous les problèmes qui s’en vont »,tout comme le sujet 27 : « Je savais ce qu’il y avait dans la pharmacie si je voulais me tuer. » Lesujet 3 reconnaît : « les seuls moments où j’étais serein, c’est quand j’avais tout pour me foutre enl’air ». Aussi, la présence d’une arme dans l’environnement du sujet se dote-t-elle d’une qualitéanxiolytique. La préparation du procédé suicidaire devient une précaution en cas de tourmentsinsupportables et une manière de freiner radicalement l’expansion de ceux-ci.

Un phénomène connexe consiste à se renseigner sur la manière d’utiliser sa future méthode(item préparation cognitive). Quarante-huit virgule cinq pour cent des sujets déclarent avoirpréalablement mobilisé une certaine réflexion sur l’outil suicidaire employé avant le passage àl’acte. « Pour être clair, dit le sujet 8, j’ai quand même bien lu les notices [de médicaments] poursavoir le bon taux de réussite ». Le sujet 16 a passé du temps sur internet pour anticiper les effetspotentiellement létaux de sa future méthode. Le sujet 14 a demandé au médecin si son fils, lui-même mort d’un suicide, avait souffert lors de sa prise excessive de psychotropes avant de choisirce même procédé. Le sujet 28 naviguait sur son ordinateur pour s’informer de la meilleure manièrede se procurer une arme à feu. . . De nouveau, de tels comportements participent d’une préparationexplicite du mode opératoire. Les suicidants semblent s’assurer que l’arme suicidaire employée

Page 9: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

360 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

Fig. 1. Synthèse descriptive du processus suicidaire (en effectifs) (n = 33, sauf précision).

Page 10: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 361

leur ouvrira des perspectives différentes à la vie douloureuse qu’ils tentent de fuir. Pour nombred’entre eux, les renseignements obtenus sur leur future méthode garantissent parallèlement lesconditions souhaitées pour effectuer leur tentative de suicide, comme par exemple ne pas souffrir,s’endormir rapidement, ne pas laisser de traces de sang, éventuellement habiller leur geste d’uneportée symbolique...

Le dernier phénomène manifestement préparatoire consiste à s’entraîner directement au gestesuicidaire (item essais moteurs). Le sujet 1 s’offre des frissons en simulant une chute du balcon.Le sujet 2 mime avec ses doigts sa future phlébotomie. Pendant l’entretien, le sujet 5 prend soudai-nement conscience qu’il avait augmenté la posologie de ses médicaments les jours qui ont précédéson passage à l’acte suicidaire (PAS). Le sujet 10 faisait des mélanges douteux entre des jus defruits et des produits ménagers avant d’avaler la moitié d’une bouteille de « Monsieur Propre »®.Le sujet 19 déclare être monté sur le parapet d’un pont quelques mois avant de reproduire ce gesteavec cette fois, l’intention de se jeter dans la rivière. Le sujet 28 admet explicitement que depuistrois semaines, elle surdosait son traitement avec de l’alcool, tout comme le sujet 29 qui déclare :« La première fois, j’avais lu les notices et après j’ai testé pour voir si c’était vraiment efficace. ».Une fois, le sujet 25 a même dû appeler un médecin car son essai moteur fut plus intense queprévu. En songeant à la pendaison, le sujet 22 montait tous les jours dans son grenier en scrutantles poutres. Ce mécanisme est présent chez 51 % des sujets de notre échantillon et, d’après nossouvenirs, aucun patient ne l’a évoqué spontanément. Cette discrétion sur de telles simulationsnous invite à penser que l’essai moteur se produit dans une sphère privée, très intime et prochede ce que Meloy [14] décrit des rituels préparatoires chez les psychopathes. Non seulement, lespatients acquièrent un « savoir-faire suicidaire » [10,15] qui facilitera l’amorcage du geste ulté-rieur et le stockage en mémoire procédurale des engrammes moteurs, mais de plus, ils semblentrechercher une sorte de « sensation suicidaire ». Contrairement au scénario, la plupart des essaismoteurs ont un effet corporel et comportent déjà un certain risque d’être blessé. Il est fort probableque les suicidants mettent déjà leur corps en position de tension, testant ainsi un signal viscéral(un éprouvé intéroceptif) et leur capacité à accomplir leur geste.

En somme, la préparation cognitive, l’essai moteur et la mise à disposition de la méthodesont trois indices suggérant l’émergence d’une chronologie dans la construction psychique duPAS. Surtout, 82 % des patients présentent au moins l’un de ces trois items tels qu’ils sontopérationnalisés par la MEPS.

À plus forte raison, cette étape simulatrice du geste infiltre directement la vie fantasmatiquedes sujets. Environ 76 % d’entre eux décrivent une véritable manipulation mentale du mou-vement suicidaire en scénarisant préalablement leur PAS. Les découvertes de Marc Jeannerod[16–19] montrent à quel point la visualisation mentale d’une action active quasiment les mêmeszones cérébrales que sa mise en œuvre réelle. Aussi, générer une pensée suicidaire revient déjàà mobiliser une bonne part des processus qui vont déclencher le geste. Un accroissement del’intensité de cette simulation mentale ou une perturbation de la différence geste imaginé/gesteréel (résultant d’une altération des performances préfrontales par une expérience dissociativepar exemple) seraient alors suffisants pour solliciter les motoneurones et lancer la commandemotrice.

En outre, lorsqu’on formule la question d’un scénario suicidaire en demandant aux sujetsquelle(s) autre(s) méthode(s) ils auraient choisie(s) et surtout, quelle(s) méthode(s) ils n’auraientpas choisie(s) (item tri cognitif), 91 % d’entre eux émettent une avis clair sur leur mode opératoire,y compris chez des sujets qui avaient déclaré qu’aucun scénario suicidaire ne peuplait leur espritavant le PAS. « J’ai eu un moment où je trouvais mon balcon très joli pour me pendre, dit lesujet 8, je veux bien mourir mais cool, pas asphyxiée. [. . .] J’aurais pas foncé dans une voiture

Page 11: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

362 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

car je veux pas mettre la vie des autres en danger. Si j’avais pu prendre le train et le faire dansun endroit. . . si j’étais sûre de ne pas me faire bouffer par les bestioles. » Madame B (sujet 12)accepte l’idée de se tuer mais refuse toute méthode qui pourrait dégrader son apparence : « Je neveux pas être abîmée. Ma copine, c’est pareil, elle voulait pas être laide » (la copine en questiona aussi fait un geste suicidaire), tout comme le sujet 9 : « Je me voyais sauter de la falaise et meretrouver explosé près de la mer. Mais d’un autre côté, je voulais pas que mon corps, mon visage,soient mutilés. C a m’embêtait quand même cette histoire. » Madame W. (sujet 15) affirme quantà elle qu’elle n’avait pas de scénario suicidaire mais avoue qu’elle ne se serait jamais pendue,coupé les veines ou bien accidentée en voiture. Il pourrait bien sûr s’agir d’une rationalisationaprès-coup du geste mais nous sommes tentés de penser qu’il y a bel et bien eu un tri cognitifantérieur au PAS. Différents modes opératoires semblent envisagés jusqu’à ce qu’une préférenceinterrompe ce défilé mental et cristallise un choix opératoire. Ainsi équipés d’un scénario et de cetri cognitif, les sujets peuvent s’habituer progressivement à l’idée de mourir, apaiser leur craintede la douleur et rejeter les objections morales au suicide [9,10,15,20].

Toutefois, l’analyse qualitative de la dynamique du scénario suggère que les fonctions de cedernier ne se limitent pas à une préparation ou à une familiarisation insidieuse au futur PAS.Lorsqu’on demande aux suicidants comment ils se sentent au moment où le scénario habite leuresprit, 25 % éprouvent du plaisir, 42 % du déplaisir et 33 % les deux à la fois.

Bien qu’il ne soit pas présent chez tous les suicidants, au moins un processus clinique se dégagenettement : à l’origine, le patient accueille douloureusement des émotions négatives. Des penséessuicidaires intrusives infiltrent ses pensées tandis que le combat cognitif engagé pour trouver dessolutions alternatives à ce trouble interne affaiblit de plus en plus son énergie vitale. Lafleur etSeguin [8] ont déjà évoqué ce double mouvement qui combine à la fois une défaite existentielle etun accroissement de l’envahissement suicidaire. Ici, un mécanisme supplémentaire s’insère danscet engrenage : constatant l’absence résignée de la résolution de ses problèmes, le sujet commenceà convoquer lui-même des idées suicidaires. De pensées intrusives, elles se transforment alorsen rêveries soutenantes [21]. Plus tard, convié de plus en plus souvent à parader dans l’esprit dusujet, le scénario s’emballe, comme une avalanche, et se dote d’une force coercitive redoutablejusqu’à ce que le passage à l’acte vienne briser le flot fantasmatique : « Des fois, quand ca allaitpas bien, j’imaginais le faire. C’était toujours le même scénario. J’étais seule, je prenais plein demédicaments. . . c’était très intense et en même temps très libérateur. Je ne contrôlais pas. C’estun peu comme les gens qui invoquent les esprits. Ils les invoquent et après ils maîtrisent plus. . .

J’ai l’impression d’être une droguée » (sujet 1). « C a me soulageait de penser à ca [au suicide] »(sujet 5), « À la fois ca fait du bien et à la fois on n’a pas envie » (sujet 7), « ca me faisait dubien de penser au suicide » (sujet 21), « C’est monté progressivement, je me disais c’est pour lecourant 2009. Un peu comme une programmation, sans connaître la date. » (sujet 26). La rêveriesuicidaire devient ici une rêverie soulageante et dessine dans l’esprit du patient la perspectivepossible d’un espace de paix.

À l’inverse, chez d’autres sujets, le processus s’arrête au stade des pensées intrusives. Ilspercoivent alors douloureusement l’agression de leur vie idéique par des pensées morbides. Enévoquant ses scénarios, le sujet 13 dit : « c’était une émotion très négative. C’était encore fairepreuve de faiblesse ». Dans ce cas, le scénario est généralement associé à de la dysphorie, parfoisdes pleurs, ou se dote d’une valence indistincte : « c’était la tristesse et la délivrance », dit le sujet24. De plus, on observe que la dynamique évolutive du scénario peut s’avérer très variable d’unpatient à l’autre. Certains ressentent une montée lente, d’autres le surgissement brusque d’uneimage suicidaire qui s’impose à eux quelques heures avant le PAS, d’autres encore reconnaissentque l’activité cognitive contenant l’idée de suicide a sans cesse fluctué.

Page 12: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 363

6.2. La phase prépassage à l’acte

Entre cette phase préparatoire et le PAS réel, il semble toutefois exister chez certains suicidantsune phase de transition, plus courte, qui annonce le geste. Chez 47 % de notre échantillon, onobserve juste avant le PAS une altération tonique frappante (item agitation). L’agitation motricereflète une tension ascendante qui trouble le contrôle moteur du sujet et se combine parfois avecune mise en état concernant cette fois le cours de la conscience. Le sujet 2 dit par exemple enévoquant ces scénarios suicidaires : « C’est difficilement contrôlable, quand j’ai une angoisse, came serre, je tourne en rond, je ne tiens plus en place. » Le sujet 7 affirme : « je suis dans monappartement, je tourne en rond j’arrive à rien, ni à écouter de la musique. Je fais les cents pas, jefume des clopes, je suis prisonnier de moi. » Le sujet 17 se sentait « plus énervé » et se soulageaiten allant courir tous les soirs. « Je pleurais, j’ai pris un whisky. J’ai passé la moitié de la nuit enpleurant et en marchant », dit le sujet 18. Le sujet 30 évoque de longues promenades : « pour calmerl’angoisse, je marchais des kilomètres et il y avait une baisse de moral qui arrivait. » Quant ausujet 30, il s’est emporté contre divers objets avant de fuir son domicile pour passer à l’acte : « J’aipété mon ordinateur portable, j’ai renversé une bibliothèque. . . » Ces patients semblent éprouverun puissant tremblement des rythmes cénesthésiques internes. Comme le sujet 7 ou le sujet 18,certains ont un sentiment naissant de folie, « On devient fou, vous êtes dans un appartement,vous tournez en rond, on fait n’importe quoi, on a le comportement de quelqu’un qui est bourrémais sans prendre d’alcool » (sujet 7), et sont rapidement terrassés par la pression interne qui lesassaille. Ce phénomène clinique évoque un accroissement psychopathologique brutal : l’agitationn’a ni but, ni sens, ni ordre, à l’image du sujet 1 qui fait cinq heures frénétiques de mathématiquesavant l’une de ses tentatives de suicide (TS).

Parallèlement, certains processus (comme le fait de tourner en rond par exemple) ne signalentpas seulement une perturbation tonique. Il arrive en effet, comme le décrit Andronikof [22], qu’àcette occasion la sphère mentale s’égare et la conscience se modifie légèrement. L’auteur nommece mécanisme « une mise en état » et suggère qu’il prépare le sujet à la levée de l’inhibitionmotrice. 50 % des sujets de notre échantillon se sont, intentionnellement ou non, comportés detelle manière qu’ils augmentaient fortement le risque de perdre la maîtrise de leur geste. Lesujet 2 admet explicitement prendre des médicaments avant ses phlébotomies « pour être dans lepotage » (selon ses termes) et d’ajouter, « je ne veux pas être lucide. » Le sujet 25 dit : « peut-êtreque j’ai fumé [du cannabis] pour me donner du courage. Une fois qu’on est parti, ca devient deplus en plus facile ». Nous venons d’évoquer plusieurs cas pour lesquels la perturbation toniqueengendre un trouble de la continuité consciente. Le sujet 33 commente même sa prise d’alcool :« Je contrôlais mes gestes mais il y a eu comme une montée, et là j’ai pris tous les médicaments d’uncoup [. . .] Si j’avais pas bu, je l’aurais peut-être pas fait ». Cette description nous alerte d’ailleurssur la réelle pertinence de prendre en compte l’intention suicidaire car, en effet, malgré une volontélétale au départ très faible, il peut arriver que la mise en état pulvérise la résistance du sujet à lapression suicidaire et que le geste soit beaucoup plus violent que celui qui était prévu à l’origine.

Gillet et al. [23] rappellent à ce titre que la prise de toxiques peut entraîner une réponseinappropriée du système moteur sans altérer pour autant l’ensemble des processus impliquésdans les automatismes kinesthésiques. Cet état de flottement, très proche d’un état dissociatif,pourrait ainsi parasiter gravement les fonctions qui sont dévolues au cortex préfrontal quant à lamodulation de l’action. Les circuits courts et impulsifs semblent alors privilégiés. Cliniquement,les phrases du type « c’était pour me donner du courage », soulignent de même un mécanismede recharge narcissique, comme si le patient avait besoin de se sentir plus puissant pour passer àl’acte. On relève d’ailleurs chez de nombreux sujets une phase de centration extrême sur soi juste

Page 13: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

364 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

avant le PAS. Le sujet 25 énonce explicitement : « . . . une sensation de flottement, on est bien,on est plus fort, on est capable de dire merde, capable de dire non, d’être forte. ». Le sujet 1 dit :« J’ai l’impression. . . comme si je pouvais pas mourir. . . ». Le sujet 7 reconnaît : « tout ca est trèsmégalomaniaque, très axé sur moi. ». « Plus rien ne fait peur, plus rien ne me fait mal », dit le sujet26. Le sujet 9 déclare : « J’ai l’impression que mon moi déborde, que je pense qu’à moi. ». Lesujet 29 annonce : « Tout m’était égal. Une indifférence totale », tout comme le sujet 10 : « un étatoù je m’en fous complètement », ou le sujet 19 : « je me foutais de tout ce qu’il y avait autour demoi. » Le sujet 11 souligne : « On ne pense qu’à soi dans ces moments là ». On assiste ici à ce quenous avons appelé une « ignition narcissique », expression traduisant un gonflement nécessairedu moi pour affronter le risque d’être blessé ou de mourir. À l’intérieur de cette aire subjective dedemi-clarté (qui n’a pas tout a fait la même intensité qu’une véritable éclosion dissociative), lechamp des possibles devient élastique et modulable à souhait. Le versant suicidaire de l’individuva s’hypertrophier, réduisant la prise en compte des conséquences du geste et balayant, sous l’effetd’une flamboyance extrême du soi, les angoisses liées à la mort ou à la mutilation. En outre, danscet espace, les fantasmes liés au scénario suicidaire ont un poids décuplé, tout comme l’analysedu monde par les émotions et les pensées.

6.3. La tension présuicidaire

L’un des phénomènes les plus étonnants de notre étude réside probablement dans le destinmoteur que les sujets pressentent comme issue à leur crise. Nous n’avons pas mesuré cette don-née parce qu’elle nous est apparue pendant les passations. Ce n’est qu’après avoir minutieusementrelu les entretiens qu’elle s’est révélée trop fréquente pour être le fruit d’une simple coïncidence. Ilest difficile, une nouvelle fois, d’écarter l’hypothèse d’une rationalisation après-coup et pourtant,la description phénoménologique de cette anticipation du passage à l’acte laisse songeur : « C’estquelque chose d’inexplicable qui va parler à votre place et vous attire vers le couteau et les médica-ments, et en même temps on est conscient », dit le sujet 1. Le sujet 5 déclare « J’avais l’impressionque c’était un processus inéluctable et qu’il fallait aller jusqu’au bout ». Le sujet 9 annonce avecdésarroi : « Je crois qu’il y a quelque chose en moi qui me pousse à ce genre de chose. » Le sujet19 évoque quant à elle un véritable accroissement suicidaire : « Le matin, je me sentais pas bien.J’ai dit ‘appelle le médecin’, je vais faire une connerie. Mais je le sentais, ca montait, je le sentais. »Lorsque le sujet 20 parle du scénario, il dit de même : « Avant, j’arrivais à la chasser [la penséesuicidaire] mais là, c’est arrivé avec une force. Avec des renforts », tout comme le sujet 21 : « Il yavait quelque chose qui me poussait à prendre les médicaments. Une sensation qui poussait fort. »Le mécanisme est similaire pour le sujet 28 : « Je sentais quelque chose mais je ne sais pas quoi. ».

L’atmosphère très pessimiste de la crise suicidaire produit de toute évidence des signauxd’angoisse notables, peut-être même des irruptions dissociatives mineures et ponctuelles. Maisd’après les exemples que nous venons de citer, on découvre ici une impasse existentielle tragique,voire une sorte de « prémonition viscérale ». Les patients « sentent » que « quelque chose » va seproduire. Il est important de souligner que cette sensation leur apparaît incompréhensible et lesplonge dans un fort état d’impuissance. Il est à noter que cette perturbation des flux intéroceptifss’accompagne d’une énergie redoutable et autoritaire.

6.4. Mécanismes à l’œuvre au moment du passage à l’acte

Lorsque nous avons construit la méthode d’entretien pour le passage à l’acte suicidaire (MEPS),nous avons tenu à sonder la sensation même du mouvement suicidaire (item contrôle moteur).

Page 14: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 365

Pour 53 % des sujets de notre échantillon le mouvement suicidaire a une unité subjective, c’est-à-dire que le sujet ne ressent pas de rupture ou de déconnexion entre la clairvoyance conscienteet l’action qu’il exécute. Le geste est souvent maîtrisé (le sujet prend les médicaments un parun, calmement, par exemple) ou s’élance sous la pression d’une impulsion suicidaire simple etbrutale. Pour 25 % d’entre eux en revanche, une fois l’amorce enclenchée, le membre s’emballeet trouble la sensation subjective du mouvement. En évoquant sa prise de médicaments, le sujet23 dit : « Je les prends 3 par 3, puis 4 par 4, puis 5 par 5 ». Le sujet 30 déclare : « Je vais en reprendreun quart, puis un quart, il faut que ca cesse très vite, après ca se déclenche tout seul ». Le sujet32 dit : « Je contrôlais mes gestes, mais il y a eu comme une montée. Et là j’ai pris tous lesmédicaments d’un coup ». On observe dans ces illustrations un changement de rythme entre lapremière séquence motrice et celle qui va suivre. Le premier engramme moteur enclenché sembleentraîner avec lui une énergie croissante qui altère à la fois la maîtrise de soi et la sensationproprioceptive du déplacement des mains et des jambes. Par la dangerosité qu’il comporte, cephénomène nous apparaît essentiel à repérer et force est de constater que cette modificationfougueuse du maniement de l’arme suicidaire n’est pas toujours corrélée à l’intention létaleet consciente du sujet au moment où il envisage son geste. Aussi, certains patients peuvent-ilsgénérer en quelques secondes un mouvement suicidaire potentiellement beaucoup plus dangereuxque celui qu’ils avaient décidé de faire à l’origine.

Un dérivé plus grave et plus troublant de l’emballement moteur réside dans le sentiment devivre une fracture complète entre le mouvement et l’impression subjective qui lui est associée.L’ensemble de la mélodie cinétique est alors dissocié de l’activité idéique du sujet dont lesmembres sont emportés par un véritable panache moteur. La saisie de l’arme est impérieuseet automatique, comme si, étrangement, une volonté motrice indépendante s’activait en se dotantd’une impétuosité remarquable. Vingt-deux pour cent des sujets déclarent éprouver cette sensationkinesthésique déferlante, d’autant plus dramatique que certains d’entre eux ne présentent pasou peu de signes présuicidaires et qualifient leur vie de tout à fait heureuse. « J’arrive pas àcomprendre, j’ai rien de spécial, tout va bien, je ne sais pas ce qui s’est passé. Tout va bien. Mêmelà, aujourd’hui, tout va bien. C’est un pétage de plomb, c’est venu comme ca », déclare le sujet4. « On était plus dans la pensée, dit le sujet 5, c’était automatique, fallait commencer le premiercomprimé et y aller, tout le reste a suivi. J’avais pas d’émotion, ni joie, ni peine, je vous dis,ce sentiment d’être pris dans une sorte de destinée qu’il fallait assumer, plus de place pour lapensée ni pour l’émotion. » Le sujet 7 s’étonne lui aussi : « Je le prends [les médicaments], c’estpresque machinal, c’est presque obligatoire, c’est une force qui me dit voici, comme ca, ouais,c’est comme une force qui m’attire vers eux, une sensation. » On relève de même le cas de M.S. (sujet 18) qui affirme en fin d’entretien : « C a ne m’a jamais passé par la tête que ca pouvaitm’arriver [le suicide]. On avait tout le bonheur à la maison », tout en décrivant son PAS en cestermes : « J’étais fou [. . .], ca a été de prendre le plus vite possible tous les médicaments, je lesprenais à la main et j’avalais, j’avalais, j’avalais. Tout ce qui m’intéressait c’était que je m’en aillele plus vite possible. » Sans oublier le cas de M. R (sujet 20) qui s’est tiré une balle de revolverdans la joue : « J’ai fermé les yeux et je sais pas comment l’arme est arrivée. . . C’est complètementdingue. . . J’ai rien pensé profondément mais c’était pas moi qui pensait, c’était mon corps. Pasma tête. . . J’étais comme robotisé je dirais, j’ai fait tout machinalement. ».

Ces énoncés cliniques sont spectaculaires et rappellent le cas de M. D. de Pierre Janet [24], cejeune homme soudainement assailli par des images kinesthésiques d’homicide. Il semble bien exis-ter ici une forme de pensée motrice, ici pathologique, au sens de Rizzolatti et Sinigaglia [25,26],c’est-à-dire un système de conceptualisation du monde composé de représentations de mouve-ments. Les représentations d’actions semblent directement imprégnées par le désir suicidaire

Page 15: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

366 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

(au sens du « fourvoiement pathologique » des représentations de transformation de BernardGibello, [27]) et leur activation tempétueuse bombarde le circuit moteur d’excitations. L’intensitéd’une telle mobilisation semble déborder la contention consciente et laisse au patient la sensa-tion floue d’une force interne ou d’avoir agi comme un robot. Tout se passe comme si une autrepersonne s’était emparée de leur bras et le dirigeait à leur place ou comme si l’image motricesuicidaire s’était détachée des connexions générales aux aires cognitives et agissait « pour sonpropre compte ». En termes neurophysiologiques, le phénomène correspond à l’activation d’uneintention motrice privée d’intention préalable [19].

L’un des autres processus les plus remarquables du passage à l’acte suicidaire se révèle dansl’éclosion d’une altération de l’état de conscience au moment du geste. Les résultats montrentque près de 60 % des sujets de notre échantillon expriment une déviation subjective de leurconscience par rapport à son état habituel. Il est d’ailleurs notable de constater que bon nombred’entre eux recourent à un vocabulaire sensationnel pour décrire cet état dissociatif : « commeun état de flottement » (sujet 4), « on est comme shooté » (sujet 1), « on est dans le gaz, dans lecoton » (sujet 15, 19, 23). Le sujet 2 déclare qu’elle était « comateuse » et précise : « j’étais dansle vague, je ne savais même plus quel jour on était ». Le sujet 5 évoque une véritable basculeidentitaire : « J’avais l’impression de me regarder agir. Je n’avais plus l’impression que c’étaitmoi qui agissais, une sorte de dédoublement », tout comme le sujet 21. Lors de ces épisodes, leflux conscient, normalement ancré au reste de l’activité mentale, oscille dangereusement, modifiele rapport au réel et produit une fragmentation de l’unité somatopsychique. D’un point de vueneurobiologique, la dissociation brise l’articulation entre le cortex préfrontal, les aires senso-rielles associatives et le système limbique [28]. En outre, l’hypothèse d’une altération préfrontale[29–33] a pour conséquence de dérégler les fonctions exécutives impliquées dans la gestion descommandes motrices et d’entraver les capacités de s’attribuer un geste (d’en être l’auteur oul’agent [19]). De plus, en amortissant les signaux limbiques, la dissociation tempère les excita-tions émotionnelles et risque d’atténuer par conséquent la peur de passer à l’acte. On observedonc ce double mécanisme : à la fois une baisse des freins émotionnels pouvant indiquer qu’unesituation est dangereuse pour l’individu et, parallèlement, une perte de la modération de l’activitémotrice automatique. À ce modèle, on pourrait ajouter que l’anesthésie corporelle résultant decet envahissement hypnoïde accroît la tolérance à la douleur. Les sensations algiques se verraientalors privées de leur fonction d’avertisseur lorsque le sujet commence par exemple à s’entailler lesveines.

La discussion de ces divers éléments nous conduit directement à souligner le volet émotionneldu PAS. Nos données montrent que 60 % des sujets éprouvent un mélange émotionnel au momentdu mouvement suicidaire. Ce processus s’apparente à une vibration viscérale nébuleuse, au sensd’une confusion dans la nature des affects mais aussi parfois de leur valence. Sous l’effet d’unetelle secousse, certains sujets sont presque désorientés : « Je pleurais mais pas parce que j’étaistriste mais parce que je comprenais pas ce que je faisais, dit le sujet 13, je dirais pas que je pleuraisde joie, mais je pensais que ca allait faire de la peine. J’étais triste, je pensais qu’à moi et j’étaissoulagée. » Le sujet 15 déclare : « Il y avait de la colère, de la tristesse, il y avait tout mélangé. »Pour le sujet 19, il s’agit de « beaucoup de tristesse, de la haine, du dégoût de moi », comme pourle sujet 21 : « J’ai des angoisses qui m’empoisonnent, je les ressens physiquement, la poitrine, lecou, l’oreille, [. . .] Des pleurs de découragement, de mal de vivre, de désespoir. Et aussi de lacolère contre eux mais c’est contre moi que je l’ai dirigée. » Le sujet 22 dit pareillement : « Dela tristesse, un ras le bol, un dégoût. Pas peur de mourir. Et puis de la colère. Une colère contremoi. » Le sujet 29 évoque clairement l’insoutenable sensation : « Un condensé de haine, de pleurs,de rage, j’avais des spasmes, je me faisais mal pour stopper ce bad trip dans lequel j’étais ».

Page 16: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 367

La dysphorie, l’anxiété et l’acrimonie sont les émotions les plus fréquentes que nous ayonsrelevées au cours des entretiens. Bouleversés par un immense élan affectif, les patients semblents’insurger contre l’ordre de l’univers et des relations humaines. Comme le proposaient Sartre[34], Frijda [35] ou encore Damasio [36], c’est alors toute l’analyse de l’environnement qui estimmergée dans ce bain émotionnel, mécanisme qui crée un rapport tendu entre l’individu et lemonde. D’un point de vue processuel, l’émotion est probablement l’un des ingrédients essentielsdu PAS car elle implique sous sa forme pathologique :

• une préparation de l’organisme à une action impulsive (une mise en tension) ;• de la douleur (une pression viscérale insoutenable) ;• une altération des prises de décision.

Si, dans son aspect normal, l’émotion permet à l’être humain d’organiser ses actions et des’adapter aux contraintes écologiques, elle se dote chez de nombreux suicidants d’une inten-sité particulièrement éprouvante et d’une forme absolument chaotique. Il est aisé dans ce cas decomprendre à quel point un tel excès peut submerger le sujet suicidaire et alimenter un processusde « cascade émotionnelle » [37,38]. De plus, en référence à la précédente discussion tenue sur lesexpériences dissociatives, le flou corporel produit par ces sensations viscérales pourrait désorga-niser les fondations même de l’individu, faisant basculer ce dernier dans une passivité terrifiante etune incompréhension impuissante des mouvements de son corps. Des émotions intenses commela rage, la haine de soi, le dégoût du monde ou l’anxiété extrême contribueraient fortement à pous-ser le sujet vers l’idée que la mort stoppera une telle avalanche ou bien à ce qu’il matérialise sadouleur intérieure par un recours à une douleur physique ré-impulsant des sensations maîtrisablesau niveau des organes ou de la surface de la peau.

Bien que l’état affectif soit déjà souvent fortement dégradé les jours antérieurs à la tentative desuicide, il semble ainsi nettement amplifié lorsqu’un événement de vie négatif survient (dispute,conflit, stress. . .). En l’occurrence, dans notre échantillon, ces évènements sont la plupart dutemps d’ordre relationnel et pourraient nous renseigner sur les capacités du patient à tolérerles frustrations ou à gérer ses interactions sociales. Cet élément conjoncturel est notable dansle processus suicidaire (60 % de l’échantillon), non seulement parce qu’il est imprévisible, maisaussi parce qu’il peut constituer le facteur déclenchant du PAS. On note enfin des discours commecelui du sujet 30 suggérant paradoxalement que la douleur émotionnelle maintient une certainevitalité chez le patient : « La colère me permet de survivre car sinon j’ai l’impression de plusexister. ».

Toutefois, ces données ne balaient pas l’ensemble des processus émotionnels présents chezles suicidants. En effet, pour 24 % d’entre eux, le geste suicidaire est dénué de toute turbulenceaffective. Alors que le sujet 3 vivait une période pénible de sa vie, au moment du geste suicidaireil déclare par exemple : « J’étais serein, bizarrement, j’étais calme. » Le sujet 9 dit : « Ce qui m’ale plus choqué c’était cette espèce de détermination froide. C a s’est fait naturellement et sansdifficulté. Sans angoisse. Je le voyais comme une libération. [. . .] Le matin, j’étais plutôt zen,je plaisantais. » Il en est de même pour le sujet 23, « j’étais pas triste, pas de colère, ni joie, nipeur, j’étais vide de tous sentiments. C’était calculé froidement, j’avais un but à atteindre. », etle sujet 28 : « C’était une délivrance. Je trouvais ca lâche mais je voyais plus d’autres solutions.J’étais entre guillemets serein par rapport à l’acte que je faisais. » On observe ici le strict inversedu mécanisme de confusion émotionnelle que nous venons de décrire. Au moment du PAS, cespatients sont athymiques ou apaisés, et le corps n’est pas dans un état de tension particulier.Dans ce tableau clinique, ce n’est pas l’émotion qui est puissante mais bien l’idée de suicide. La

Page 17: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

368 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

volonté suicidaire est totalement assimilée et cohérente avec le geste autoagressif. Ces patients sontrésignés et semblent davantage happés par des croyances suicidaires (c’est-à-dire que l’activitése situe au niveau cognitif) que par des perturbations somatiques.

Ce qui nous amène à conclure cette description des processus pouvant intervenir dans un PASpar une note sur les pensées qui ont traversé l’esprit du sujet au moment de sa tentative. L’item« orientation de la pensée » de la MEPS n’est pas à proprement parler un indicateur de l’intentionsuicidaire consciente du sujet. Il s’agit plutôt de savoir si le patient a mobilisé au moment dugeste des éléments de vie (comme les souvenirs, l’image du visage d’un proche. . .), une réflexionentièrement dirigée vers la mort ou s’il hésitait entre les deux. À ce titre, nous opérationnalisonsici l’infiltration de la pensée par des vecteurs décisionnels morbides. Les résultats sont mitigés etne mettent pas en évidence de processus saillant. Un taux de 12,5 % des sujets effectuent le gestesuicidaire en pensant beaucoup à leur vie passée, 37,5 % sont tiraillés par l’envie d’en finir et unehésitation à poursuivre leur vie, 34,4 % estiment de manière radicale que leur décès est la seulesolution à leurs soucis et 15,6 % déclarent avoir eu l’esprit vide.

Certaines des phrases obtenues en entretien contiennent un message existentiel terrible. « Onarrête là. C’est bon. C’est la fin. Le geste était décidé », abat gravement le sujet 26. Après avoirséjourné en service de réanimation, le sujet 33 répond à notre question de la manière suivante :« Mourir. La mort, je m’en fiche mais sans souffrir. Mais mourir, c’est rien. . . le coma, c’étaitbien, le vide absolu. D’après les films, on voit des lumières comme un tunnel mais en fait non, iln’y a rien après ». Le geste suicidaire a généralement fait l’objet d’une longue réflexion et tousles contenus de pensée gravitant autour de la mort semblent écrasés par un nihilisme grandiose.L’infiltration morbide de la sphère idéique est extrême et ne laisse aucune alternative au sujet.L’univers entier devient dissuasif.

Chez d’autres sujets, le processus n’est fort heureusement pas aussi abouti mais fait l’objetd’une lutte intérieure prenant la forme d’un débat cognitif intense. L’idée de mort n’a pas encoreété fourvoyée par une conceptualisation trop radicale du suicide et la perspective motrice contenuedans le scénario suicidaire mobilise encore quelques résistances. Ces dernières restent visiblementfaibles, comme le prouve le fait que ces sujets ont tout de même fini par passer à l’acte. « J’avaisaucune raison de continuer à vivre une vie de merde, dit le sujet 19, mais peut-être que les gens meregretteront quand même. Vous savez, j’ai déjà imaginé mon enterrement avec les gens autour. »Chez d’autres enfin, le PAS a un but précis, à l’image du sujet 14 qui tenait absolument à punirses enfants de leurs fréquentes discordes. D’autres n’envisageaient pas vraiment l’idée de mourirmais plutôt celle d’alerter leur environnement de leur mal-être (sujet 17 par exemple). Nous avonstoutefois un avis clair sur cette question : l’orientation des cognitions ne préjuge pas de la létalitépotentielle du geste qui va être commis. Autrement dit, un patient ayant une faible envie de mourirpeut exécuter un geste extrêmement dangereux, et inversement. Il en résulte naturellement unecertaine méfiance vis-à-vis de ce que l’on nomme les « appels au secours » lorsqu’on les jugehâtivement (selon nous) comme des « fausses » tentatives de suicide. Nous avons au contrairetenté de démontrer l’existence de phénomènes comme l’emballement moteur, la fragmentationdissociative, la confusion émotionnelle qui ont une place tout aussi importante dans l’évaluationdu PAS.

7. Discussion générale

Les résultats présentés dans cette étude suggèrent l’existence chez de nombreux sujets suici-dants (mais pas tous) d’une véritable maturation du processus psychologique menant à la tentativede suicide. Ils confirment empiriquement les observations rapportées par Ringel [1], Quénard et

Page 18: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 369

Rolland [2], Séguin et Lafleur [8] et les experts de la conférence de consensus [3] sur la phaseprésuicidaire. Le PAS vient ainsi clore une tension interne dont le caractère insoutenable s’accroîtà la mesure de l’inefficience des capacités du psychisme à l’amortir ou à la négocier par d’autresmoyens que la fixation attentionnelle sur l’autolyse [39]. Le rapport du sujet à lui-même et aumonde se modifie progressivement et de manière menacante. Cette séquence est désormais identi-fiable et se traduit par une phénoménologie particulière impliquant des processus psychologiquescomplexes tels que le rôle de l’émotion sur la pensée, l’oscillation de l’état de conscience, la pertedu contrôle moteur ou encore l’envahissement de l’esprit par les idées suicidaires.

Sur le plan psychopathologique, la phase préparatoire signale l’activité des fantasmes suici-daires bien avant l’impulsion du geste lui-même. Il s’agit d’une véritable activité d’arrière fondqui pénètre non seulement les sphères idéïque (scénario) et affective (dysphorie, angoisse, ten-sion, angoisse) mais aussi le comportement. La mise à disposition de l’arme ou l’entraînementmoteur en sont de bonnes illustrations. Ces conduites de préparation soulagent ponctuellementles patients en leur donnant l’impression que la mort constitue une issue possible à leur malaise.Maints sujets sont en effet rassurés d’avoir une arme à portée de main, de pouvoir convoquer àl’esprit l’image de leur mort, ou bien d’apaiser momentanément leurs angoisses en mimant leurfuture TS. À vrai dire, en dépit du soulagement mineur et local que les sujets peuvent éprouver,ces comportements cristallisent et alimentent le fantasme suicidaire. En réalité, bien qu’il soitprobable que de tels agissements servent à contrôler ou à canaliser les tourments internes, cesderniers mobilisent sans cesse, et jusqu’au débordement, les représentations suicidaires.

Néanmoins, au terme de ce processus, on relève encore des freins psychiques au passage àl’acte, si bien que de nombreux sujets se mettent intentionnellement dans un état qui comporte unfort risque de désinhibition motrice : prise d’alcool, agitation, autohypnose, promenade rêveuselors de laquelle le sujet se dépersonnalise, etc. Pendant ces épisodes de demi-clarté ou de cons-cience voilée, les pensées, les fantasmes et les émotions ont toutes leur chance de s’embraser.Ces évènements s’accompagnent parfois d’un gonflement narcissique remarquable ayant pourconséquence l’annulation de la peur de mourir ou d’être blessé.

Comme le montrent les résultats, cette phase fulgurante précédant le geste peut aboutir à un étatdissociatif franc et/ou un sentiment de grande confusion émotionnelle qui désorientent le patienten faisant basculer les fantasmes suicidaires au premier plan de l’activité psychique. On relève enoutre des singularités cliniques intrigantes quant à la sensation subjective de mouvement et en parti-culier sur les automatismes psychomoteurs dont la soudaineté et la brutalité restent, malgré l’apportessentiel des théories de Janet [24], Gibello [27] ou de la neurophysiologie [19,25], relativementénigmatiques. Il se pourrait que de tels éclats comportementaux reflètent, en amont du climatsuicidaire, une perturbation dans le composant kinesthésique du soi [26] mais cette hypothèseouvre de vastes perspectives qui requièrent encore de nombreuses recherches scientifiques.

Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de la séquence pré-passage à l’acte ou de l’alchimie psy-chopathologique à l’œuvre au moment du geste, le récit des étapes suicidaires par le patientlui-même révèle une activité psychologique à plusieurs niveaux (émotionnel, fantasmatique, cog-nitif, moteur, état de la conscience) et nous invite à démarquer cette entité clinique des autrestroubles. À ce titre, la sémiologie de la crise suicidaire se précise et offre de nouvelles possibilitésd’écriture théorique sur les mécanismes en cause. D’un point de vue idiosyncrasique, cette enquêtesuggère aussi que la crise suicidaire n’est pas toujours similaire d’un sujet à l’autre. Certains indi-vidus par exemple ne présentent pas de phase préparatoire (ou à très bas bruit). D’autres nereconnaissent pas l’envahissement fantasmatique, faisant davantage état d’une oscillation conti-nuelle des idées suicidaires. D’autres encore ne sont pas dissociés et ne perdent aucunementle contrôle de leurs membres. De toute évidence, ces déclarations nous amènent à distinguer

Page 19: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

370 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

différentes configurations suicidaires plutôt qu’un modèle dont la portée globalisante excluraitles quelques cas particuliers mis en évidence dans cette étude. Aussi, à l’image des travaux deSéguin sur les trajectoires de vie [40], pourrait-il s’avérer fort pertinent de discriminer les diffé-rentes voies suicidaires, en comprendre les interactions exactes avec les facteurs de risque, avecles troubles psychiatriques et avec la dynamique de personnalité.

8. Limitations

Nous retiendrons trois grandes limites à cette étude. Premièrement, le nombre de sujets esttrop faible pour que les résultats soient généralisables. Deuxièmement, l’impossibilité de fairepasser le protocole à tous les suicidants empêche une capture complète de l’ensemble de lapopulation souffrant de ce type de difficulté. Enfin, la MEPS, malgré son intérêt, est encore unoutil récent dont les qualités psychométriques méritent de plus amples recherches. De plus, cetteméthode s’appuie sur les capacités du patient à reconstituer mentalement sa tentative de suicide.Si, à notre connaissance, il s’agit de la seule méthode qui permette d’explorer l’état mental aumoment même du passage à l’acte en respectant un cadre déontologique strict et sans risque pourle patient, l’outil peut de toute évidence être biaisé pas les capacités mnésiques du sujet. Cetteimperfection ne pourra certainement jamais être totalement résolue mais elle peut être atténuéepar des techniques d’entretien très précises [12] et l’augmentation de la taille de l’échantillon.

9. Conclusion

Cette première étude exploratoire effectuée sur un petit échantillon et avec un nouvel instrumentmontre l’existence chez de nombreux suicidants de comportements préparatoires : la simulationmotrice du geste, la mise à disposition de la méthode ou encore la recherche de renseignementssur les effets de l’arme. On relève d’ailleurs un scénario suicidaire (et non une simple idée)chez 75 % d’entre eux. Juste avant le passage à l’acte, près de la moitié des sujets éprouventune augmentation du tonus moteur et se comportent de telle manière qu’ils se mettent dans unesituation à fort risque de désinhibition motrice (mise en état). Au moment du passage à l’acte enlui-même, des patients évoquent le sentiment d’avoir complètement perdu le contrôle de leursmembres, comme s’ils étaient « des robots », tandis que d’autres rapportent une accélération dumouvement durant le geste (emballement moteur). L’état de la conscience est altéré chez 59 %d’entre eux et un peu plus de 60 % évoquent un état de mélange émotionnel chaotique. Enfin, laprésence d’un facteur déclenchant (élément conjoncturel) reste fortement liée à la mise en actesoudaine du geste suicidaire.

Au terme de cet article, il nous semble qu’une investigation fondée sur la reconstitution mentaledu processus suicidaire est très prometteuse. Grâce à cette perspective, il est possible de « filmer »la séquence suicidaire et de mettre à jour des éléments cliniques singuliers tels que la phasepréparatoire ou la phase pré-passage à l’acte. Surtout, nous commencons à entrevoir l’état mentaldu sujet à l’instant paroxystique du geste suicidaire. De telles données pourraient servir des viséesprophylactiques (par exemple, une psycho-éducation du processus suicidaire) et thérapeutiquescertaines (par exemple, un travail thérapeutique sur la gestion émotionnelle).

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Page 20: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372 371

Références

[1] Ringel E, Mouseler A. Incommodités de la vie et gêne présuicidaire. Evol psychiatr 2005;70:427–38.[2] Quenard O, Rolland JC. Aspects cliniques et état de crise suicidaire. In: Vedrinne J, Quenard O, Weber D, editors.

Suicide et conduites suicidaires. Aspects cliniques et institutionnels. Paris: Masson; 1982, p. 3–47.[3] Anaes. La crise suicidaire reconnaître et prendre en charge. Montrouge: John LibbeyEurotext; 2001. Available from

URL: http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/suicilong.pdf.[4] Ionita A, Florea R, Courtet P. Prise en charge de la crise suicidaire. Encephale 2009;suppl 4:129–32.[5] Ahrens B, Linden M, Zäske H, Berzewski H. Suicidal behavior: symptom or disorder? Comprehensive psychiatry

2000;41(2):116–21.[6] Hendin H, Maltsberger J, Lipschitz A, Haas P, Kyle J. Recognizing and responding to a suicide crisis. Suicide and

Life-threatening behavior 2001;31(2):115–28.[7] Walter M, Tokpanou I. Identification et évaluation de la crise suicidaire. Annales Medpsychologiques

2003;161:173–8.[8] Lafleur C, Seguin M. Intervention en situation de crise suicidaire. Québec: Les presses de l’Université Laval; 2008.[9] Witte T, Merrill K, Stellrecht Bernert R, Hollar D, Schatschneider C, Joiner T. Impulsive youth suicide attempters

are not necessarily all that impulsive. Journal of affective disorders 2008;107(1-3):107–16.[10] Joiner T, Van Orden K, Witte T, Selby E, Ribeiro J, Lewis R. Main predictions of the interpersonal-psychological

theory of suicidal behavior: Empirical tests in two samples of young adults. Journal of Abnormal Psychology2009;118(3):634–46.

[11] Morasz L, Danet F. Comprendre et soigner la crise suicidaire. Paris: Dunod; 2008.[12] Shea SC. Evaluation du potentiel suicidaire. Paris: Elsevier Masson; 2008.[13] Vandevoorde J, Andronikof A, Baudoin T. Dynamique de l’idéation et des comportements préparatoires dans le

passage à l’acte suicidaire. Encephale 2010;36(Suppl. 2):D22–31.[14] Meloy JR. Les psychopathes : essai de psychopathologie dynamique. Paris: Frison-Roche; 2000.[15] Joiner T, Steer R, Brown G. Worst-point suicidal plans : a dimension of suicidality predictive of past suicide attempts

and eventual death by suicide. Behaviour Research and Therapy 2003;41:1469–80.[16] Jeannerod M. The representing brain. Neural correlates of motor intention and imagery Behavioural and brain

sciences 1994;17:187–245.[17] Jeannerod M, Frak V. Mental imaging of motor activity in humans. Current opinion in neurobiology 1999;9:735–9.[18] Jeannerod M. Neural simulation of action: a unifying mechanism for motor cognition. NeuroImage 2001;14:103–9.[19] Jeannerod M. Le cerveau volontaire. Paris: Odile Jacob; 2009.[20] Minnix J, Romero C, Joiner T, Weinberg E. Change in resolved plans and suicidal ideation factors of suicidality after

participation in an intensive treatment program. Journal of Affective Disorders 2007;103:63–8.[21] Zelin M, Bernstein S, Heijn C, Jampel R, Myerson P, Adler G, et al. The sustaining fantasy questionnaire: measurement

of sustaining functions of fantasies in psychiatric inpatients. Journal of Personality Assessment 1983;47(4):427–39.[22] Andronikof A. Le passage à l’acte comme réalisation d’un scénario privé. Evolution Psychiatrique 2001;66:632–9.[23] Gillet C, Polard E, Mauduit N, Allain H. Passage à l’acte et substances psychoactives: alcool, médicaments, drogues.

Encephale 2001;XXVII:351–9.[24] Janet P. L’automatisme psychologique. Essai de psychologie expérimentale sur les formes inférieures de l’activité

humaine. Paris: L’Harmattan; 2005.[25] Rizzolatti G, Sinigaglia C. Les neurones miroirs. Paris: Odile Jacob; 2008.[26] Vandevoorde J. Rôle des représentations d’action et du système moteur dans la construction du Soi : synthèse et

perspective. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 2011;59:454–62.[27] Gibello B. Corps, pensée et représentation de transformation. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence

2004;52:356–64.[28] Kelley-Puskas M, Cailhol L, D’Agostino V, Chauvet I, Damsa C. Neurobiologie des troubles dissociatifs. Annales

Medico-Psychologiques 2005;163:896–901.[29] Dietrich A. Functional neuroanatomy of altered states of consciousness: the transient hypofrontality hypothesis.

Consciousness and cognition 2003;12:231–56.[30] Sierra M, Depersonalization Berrios G. Neurobiological Perspectives. Biological Psychiatry 1998;44:898–908.[31] Sierra M, Senior C, Phillips M, David A. Autonomic response in the perception of disgust and happiness in

depersonalization disorder. Psychiatry research 2006;145:225–31.[32] Phillips M, Medford N, Senior C, Bullmore E, Suckling J, Brammer M, et al. Depersonalization disorder: thinking

without feeling. Psychiatry Research: Neuroimaging Section 2001;108:145–60.[33] Phillips M, Sierra M. Depersonalization disorder: a functional neuroanatomical perspective. Stress 2003;6(3):157–65.

Page 21: Reconstitution et modélisation du processus suicidaire chez les suicidants

372 J. Vandevoorde et al. / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 352–372

[34] Sartre JP. Esquisse d’une théorie des émotions. Paris: Hermann, Livre de poche; 1995.[35] Frijda N. Emotion experience. Cognition and emotion 2005;19(4):473–97.[36] Damasio A. L’erreur de Descartes. Paris: Odile Jacob Poche; 2001.[37] Selby E, Anestis M, Joiner T. Understanding the relationship between emotional and behavioral dysregulation:

emotional cascades. Behaviour Research and Therapy 2008;46:593–611.[38] Selby E, Anestis M, Bender T, Joiner T. An exploration of the emotional cascade model in borderline personality

disorder. Journal of Abnormal Psychology 2009;118(2):375–87.[39] Wenzel A, Brown G, Beck A. Cognitive therapy for suicidal patient: scientific and clinical applications. Washington,

DC: American Psychological Association; 2009.[40] Séguin M, Lesage A, Turecki G, Bouchard M, Chawky N, Tremblay N, et al. Life trajectories and burden of adversity:

mapping the developmental profiles of suicide mortality. Psychological Medicine 2007;37:1575–83.