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RENNES ET SES RIVIÈRES | DOSSIER · 2016. 11. 12. · RENNES ET SES RIVIÈRES | DOSSIER RÉSUMÉ >Du pont de Baud aux étangs d’Apigné, la Vilaine offre ses berges à toutes sortes

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RENNES ET SES RIVIÈRES | DOSSIER

RÉSUMÉ > Du pont de Baud aux étangs d’Apigné, laVilaine offre ses berges à toutes sortes de promeneurs,piétons, cyclistes, canoéistes, pêcheurs, mariniers, bai-gneurs, jeunes gens étendus sur les pelouses ou per-sonnes âgées qui prennent le soleil. Monotone, laVilaine ? Quels drôles de préjugés ! répond Christine

Barbedet qui a fait une jolie balade et de bienbelles rencontres.

En pointillés sur la carte, c’est au niveau de lazone industrielle Chardonnet que la Vilaine de-

vient rennaise, à l’est. Aval ? Amont ? Difficile de suivreà l’œil le courant de la rivière noire des Celtes, la Doenna.De l‘index, Patrick indique la direction du centre-ville, versl’Ouest. Au pied du pont du chemin de Baud, il est lepremier habitué rencontré. « La Vilaine ? C’est la rivièrequi va jusqu’au barrage de la Rance ». La géographiepour les Rennais serait-elle une histoire aussi trouble queson cours d’eau ? C’est au barrage d’Arzal-Camoël, dansle Morbihan, que la Vilaine termine ses méandres dansl’océan Atlantique.

Ne soyons pas modeste, la Vilaine n’est pas une ri-vière, mais un fleuve côtier de 236 km1, dans lequel se jet-tent les affluents qui évoquent pour Patrick quelquesbelles prises. Citons La Cantache, la Veuvre, la Flume, laVaunoise, le Meu, la Seiche, le Canut, le Semnon, la

Cheminer vilainement…La Vilaine a le vent en poupeSuivons le courant !

CHRISTINE BARBEDET estjournaliste indépendante.Elle est membre du comitéde rédaction de PlacePublique.

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TEXTE> CHRISTINE BARBEDET

1. Certaines définitions limitent l’appellation de « fleuves côtiers » aux cours d’eause jetant dans la mer (ou dans un lac fermé) et dont la longueur n’excède pas 200 km.

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Chère, le Don, l’Oust, l’Isac, le Trével, le Tohon et l’Ille.La « confluence » avec ce dernier a donné à la ville sonnom celte de Condate. À la pointe du Mail, les étudiantsqui affluent aux beaux jours sur les pelouses du Jardinde la Confluence, célèbrent bien autre chose que l’uniondes deux cours d’eau.

Tendre une perche à sa douceEt la source ? II faut remonter en Mayenne, à Juvi-

gné, où le fleuve n’est encore que le ruisseau de L’Étang-neuf avec la carpe pour reine. De quoi faire rêver notre pê-cheur ! Chemise fleurie façon camouflage de printemps,Patrick a retroussé ses manches et posé quelques lignes.Une buse déverse ses effluents, la circulation crée unbrouillard sonore, mais la passion est aveugle ! « J’y vienssouvent avec ma douce ».

Et ça mord ? « J’ai pêché une perche de 8 kg ! ». Lepoisson se mange ? Patrick prend la mouche : « Si je lepêche, c’est bien pour le manger ! ». Du brochet, de laperche, du gardon, de la brème et même de l’anguille, af-firme-t-il. Depuis 1995, des passes à poisson aménagées aubarrage d’Arzal et à Isac permettent aux civelles de re-monter le cours d’eau2. Seul hic, celle de Malon, en-dommagée par une crue en 2008, leur fait de nouveaubarrage ! De plus, si un parasite a décimé sandres et bro-

chets, il semblerait que leur population ait repris du poilde la bête. En culottes courtes ou la tempe grisonnante,en scooter ou en vélo, le Rennais qui l’eut cru, est unpêcheur invétéré !

Sauveteurs en mer et marins d’eau douceToujours au niveau de la zone industrielle, à proxi-

mité de la fourrière, des objets trouvés, du centre tech-nique municipal – « En grève » pour revalorisation dupouvoir d’achat – est implantée la base nautique. Paradoxeassumé ! Alain est formel : « Ici, on n’entend pas la cir-culation. On a de la place et on forme une petite com-munauté. On ne souhaite qu’une chose : rester ! » Alaincraint l’appétit des promoteurs. Il est l’un des 300 béné-voles du poste de Rennes de la Société nationale de sau-vetage en mer (SNSM).

Des sauveteurs en mer sur la Vilaine ? « Nos secou-ristes interviennent pendant les compétitions de nos voi-sins, le club de canoë-kayak, le Rennes étudiant club avi-ron ou la Société des régates rennaises, et sur un grandnombre de manifestations sportives le week-end ». Sur laVilaine, les jeunes recrues apprennent à piloter un ca-not pneumatique. Les chaloupes sur la berge, c’est del’histoire ancienne !

Un hangar plus loin, Philippe manie la ponceuse surun « deux de couple » en bois, des années 80. Avec150 adhérents et 170 coques, la Société des régates ren-naises est devenue une école française trois étoiles. « Ici

2. Renseignements pris auprès de l’Institut d’aménagement de la Vilaine

Un pêcheur rue Du pont-des-loges La base nautique, zone industreille de Baud

Le Rennais est un pêcheurinvétéré

Canoës, régates etsauvetage en mer…

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c’est un bief. Nous ramons jusqu’au pont de Strasbourg,en faisant des longueurs de trois kilomètres ». Depuisvingt ans, Philippe tourne en rond comme un poissondans son bocal, par flamme. Et la qualité de l’eau ? « Avecles effluents de la zone industrielle, il y a pas mal d’eu-trophisation, mais en aviron nous ne tombons jamais àl’eau ».

Au royaume de la récup’En longeant les entrepôts des bus de la Star, depuis la

sente usée par l’usage non balisé, s’ouvre le backgrounddes friches de Baud-Chardonnet. Résidus de feux decamp, sculptures improbables de carcasses informatiquesou de sanitaires éclatés… les traces des noctambuless’égrènent en bordure des jardins familiaux dessinés aucordeau. D’un côté comme de l’autre, s’expose le

royaume de la récup’. Sur un mur de parpaings, unephrase : « On perd la boule ou quoi ? ».

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3. Dans Bouches de fer (1862)

L’écluse du Moulin du Comte

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Yann vit « avec un pote » dans une camionnetteblanche des années 70, adossée à la maison qui ponctuel’impasse de la Corderie. Il explique faire les saisons,« cuistot l’été et skiman, l’hiver ». Un carré noir à têtede mort préserve l’intimité, les ordures sont soigneuse-ment entassées dans un caddie de supermarché. « Vivredans un camion est un choix de vie, même si l’hiver estdur. » La Vilaine ? « Un point d’eau c’est appréciable,on peut pêcher. » D’autres potes squattent, à proximité, unjardin bordé de roses grimpantes au parfum poivré d’an-tan. D’une tente de fortune surgit une dreadlockeuseavec sa meute de chiens hurlants.

Les Bonnets-rouges rentrés dans le rangUn chemin de lapins se hisse sur le pont Villebois-

Mareuil. La promenade se poursuit urbaine et domesti-quée aux Bonnets-rouges, en hommage à la révolte du Pa-pier timbré, préfiguration bretonne de la Révolution fran-çaise. Protection contre les crues oblige, la berge toise lecours d’eau. Sur l’autre rive, l’Élaboratoire campe haut encouleur son engagement artistique hors normes. L’habi-

tat collectif qui présentait hier à la Vilaine ses arrière-cours, n’hésite plus à se montrer au balcon.

Ici, les chiens ont leur « crottoir ». Tout est dessiné,tracé, planté, paysagé, aménagé pour rendre agréable lejogging ou la promenade hygiénique. La PourmenadennAr Bonedoù Ruz, en breton, bienséance linguistiqueoblige, est aussi en butte aux politiques de santé publique :« Faire du sport pour les seniors devient un élan natu-rel », grâce à une station sportive où un « Twister » invitele passant à « affiner les hanches ». Ce sont les sculp-tures animalières, signées Daniel Dewaer et Gregory Gic-quel, qui subissent les assauts du temps, mais aussi desvandales. Les escargots ou autres volatiles en grès de Fon-tainebleau font piètre figure.

Histoires de monter un bateauAu pied du vélodrome, cinq marronniers imposent

leur port remarquable. La Vilaine se sépare en plusieursbras, à longer par le jardin de la Valière ou l’allée Marc-Elder, surnommée la petite Venise, ce que ne démenti-rait pas l’hôtel Venezia qui a longtemps fait commerce

Les Horizons en vue !

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123, avenue Aristide Briand, une porte d’écluse encore en eau

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« La Vilaine profonde etnoire fait semblant decouler dans son auge degranit »

de ses charmes, sans doute pour ne pas faillir à la répu-tation locale. Dans les premiers siècles de l’ère chré-tienne, les femmes de la rennaise Condate jouissaientd’une réputation de grande beauté, attribuée aux bains deboue pris dans la rivière. Cela coule de source !

Quai Richemont, le lit de la rivière remblayé est de-venu l’axe Est-Ouest, avec son flux de bus sur voiesuniques. Au niveau du 123 de l’avenue Aristide Briand, aucœur des parkings et à l’abri des bosquets, l’œil attentif dé-couvre, laissée-pour-compte, une porte d’écluse encore eneau, l’antre des chats du quartier. L’occasion de rappe-ler que la Vilaine aurait été le premier cours d’eau, enFrance, rendu navigable par des écluses à sas et à doublesportes. Ceux qui souhaitent redorer le blason du fleuve at-tribuent même la paternité des plans de la canalisation àLéonard de Vinci. Seule certitude, l’inventeur importad’Italie ce système en France et, son protecteur, Fran-çois 1er, signa les lettres patentes pour canaliser le coursd’eau rennais.

Grisaille fluviale à balconnets fleurisLa Vilaine ressurgit jaillissante et triomphante, à la

faveur d’une mise en scène, rendue possible par l’amé-nagement d’un bassin tampon. À l’air libre, elle traversela ville sous bonne garde, entre deux ouvrages d’art qui

permettent aux Rennais de dominer celle qui fut long-temps insoumise. À l’époque où la ville basse était su-jette aux crues, les immondices des tanneries, boucheries,etc. stagnaient, pestilentiels, dans les bras mal drainés.Sans cesse envisagée, mais toujours repoussée, la canali-sation est effective en 1845. Paul Féval3 écrit non sanshumour : « La Vilaine profonde et noire fait semblantde couler dans son auge de granit ». À présent, pour don-ner bonne mine à cette grisaille fluviale, quelques jardi-nières jouent du balconnet fleuri, dépouillées par desjardiniers sans scrupule. La passerelle Saint-Germains’élance sur l’autre rive en commémorant les quatorzejumelages et coopérations de la ville. « À la Ré », le fleuvepasse sous l’esplanade. En surface, les végétaux se ran-gent dans des « bibliothèques » et se dressent en ligne,dans le dos des bancs publics où convergent les rendez-vous d’après métro et d’avant bus. Plus en aval, les voituresse rangent en épis entre les potées de houx taillés encônes.

Marina les pieds hors d’eauAu pont de la Mission, où une croix monumentale

marque le souvenir d’une mission d’évangélisation menéeen 1817, la Vilaine reprend ses aises et croise le canald’Ille-et-Rance. Quai Saint-Cyr, les Rennais apprennentenfin à se réconcilier avec leur fleuve, sur les berges enpente douce, engazonnées et ombragées. « C’est un beaup’tit quartier. À 20 ans, c’est un super coin pour s’amuser,mais je comprends les riverains qui se plaignent d’avoir dubazar jusqu’à 3 h du matin. » Gérard et Yves, agents mu-nicipaux, entretiennent la promenade : « C’est sympa detravailler ici aux beaux jours, vu les belles jeunes femmesqu’on croise. Par contre, l’hiver c’est dur ! ». «Out» les fau-

La rivière, à nouveau à l’air libre Quai de la Prévalaye

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bourgs industrieux, «in» les terrasses des maisons sur lestoits. Il ne manque plus que l’immeuble de proue grandstanding, signé Jean Nouvel, pour que s’achève la ma-rina les pieds hors d’eau où les péniches de charme sontamarrées. La Dame Blanche et L’Arbre d’eau, Pénichespectacle, proposent des escales musicales. Les Moïse,Saint-Paul, Jacqueline, Marguerite… abritent, à l’année,des rêves plutôt bobos. Un bateau-école fait des rondsdans l’eau.

Des canards plein les oreillesSur un muret de pierre, Jean-Paul et son épouse se

reposent : « L’eau donne une belle impression de fraî-cheur. C’est agréable, mais cela manque de bancs ».Jean-Paul continuera la promenade vers l’Ille, longeant leDomaine Saint-Cyr. « Pour poursuivre le long de la Vi-laine, il faut faire tout un détour par l’autre rive ». Surcelle-ci, le quai Auchel prend des airs de mini-croisettebordée de palmiers nains.

Le royaume de la petite reine débute ici. Près du pontde la SNCF, en vert canard, poussent les collectifs quiremplacent les Papeteries de Bretagne où, il y a vingtans, la pâte à papier fabriquée dégueulait sur la rive. Unecycliste s’exclame : « Un héron au long bec, emmanchéd’un long cou ! » Nullement troublé par le chantier voi-sin, le volatile observe notre rive. « Il y avait des cygnes,mais les gens sont tellement méchants qu’ils les tuaientpour les manger ! » Les canards sont sans doute plus co-riaces, même à la bombarde sur laquelle s’acharne untalabarder débutant qui fait face au stade rennais. Sans nuldoute un supporter des Rouges et Noirs ! La déesse « Vi-cinnonia » de la Vilaine romaine a encore ses muses.Sur un ponton de bois, une jeune fille gratte un ukulélé.

À la conquête de la rivière jauneAu niveau de l’écluse du Moulin du Comte, Jean-

Baptiste et Yaëlle font une pause paysage. Ils ont louédes vélos Star. « Nous voulions voir jusqu’où on pouvaitaller en longeant le canal ». L’occasion pour l’étudiant enurbanisme d’expérimenter « le potentiel des berges dela Vilaine pour les déplacements en mode doux ! ». La ro-cade s’annonce dans un brouhaha incessant. Les cabas ontla panse pleine ; la grande surface avale les chalands. Lacampagne finit par prendre le dessus, la berge devientchemin de halage. Le manoir de la Fosse-Piteux nousrappelle que les parlementaires et les ecclésiastiques ai-maient, au bord de la rivière, construire leur villégiature.Quelques exhalations annoncent la station d’épuration deBeaurade.

Les étangs d’Apigné, anciennes gravières aménagéesen base de loisirs, marquent la fin de la Vilaine rennaisequi conserve la belle bâtisse du moulin d’Apigné. Le pe-tit port de plaisance reçoit les rêves marins en cale sèche.Les Bretons venus d’Armorique furent conquis par la ri-vière jaune Ar ster velen, devenue la rivière aux moulins,Ar ster vilen. On les comprend. Monotone et sans intérêtla Vilaine ? Quels drôles de préjugés !

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À droite, des maisons sur le toit… Sous le pont du TGV

« L’eau donne une bonneimpression de fraicheur «

À Apigné, un petit port deplaisance reçoit les rêvesmarins en cale sèche