10
275 La réforme du renseignement italien : vers plus de transparence et de contrôle ? Fabrice Rizzoli L e gouvernement de centre-gauche dirigé par Romano Prodi a mené à bien, en 2007, une réforme des services de renseignement italiens et du comité parlementaire chargé de contrôler leurs activités. Cette réforme était envisagée depuis plusieurs années en raison de la néces- sité de faire évoluer le renseignement italien suite aux bouleversements engen- drés par la fin de la Guerre froide et par l’émergence des nouvelles menaces. En particulier, de nombreuses mesures ont été prises pour tenter d’éviter les abus du passé : la transparence, le contrôle parlementaire et la coopération avec les autres institutions ont été renforcées, ce qui en fait une réforme politique majeure. Afin de mieux mesurer la portée de cette réorganisation, il est indispensable de rappeler ce que fut la première réforme, conduite en 1977. La réforme de 1977 Origines géopolitiques Dès 1946, l’Italie, en raison de sa proximité avec les Balkans, était à l’avant- poste dans la stratégie du Containment de l'OTAN. Par ailleurs, sa position en Méditerranée, en faisait une tête de pont vers l’Afrique, continent disputé par les deux superpuissances à partir de la décolonisation. En raison de ces enjeux géostratégiques, l’administration américaine mit tout en œuvre pour éviter que l’Italie ne devienne un pays communiste. 5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 275 5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 275 14/09/09 15:16:14 14/09/09 15:16:14

Renseignement italien

Embed Size (px)

DESCRIPTION

La réforme du système de renseignement itallien

Citation preview

275

La réforme du renseignement italien : vers plus de transparence

et de contrôle ?Fabrice Rizzoli

Le gouvernement de centre-gauche dirigé par Romano Prodi a mené à bien, en 2007, une réforme des services de renseignement italiens et du

comité parlementaire chargé de contrôler leurs activités.Cette réforme était envisagée depuis plusieurs années en raison de la néces-

sité de faire évoluer le renseignement italien suite aux bouleversements engen-drés par la fi n de la Guerre froide et par l’émergence des nouvelles menaces. En particulier, de nombreuses mesures ont été prises pour tenter d’éviter les abus du passé : la transparence, le contrôle parlementaire et la coopération avec les autres institutions ont été renforcées, ce qui en fait une réforme politique majeure.

Afi n de mieux mesurer la portée de cette réorganisation, il est indispensable de rappeler ce que fut la première réforme, conduite en 1977.

La réforme de 1977

Origines géopolitiques

Dès 1946, l’Italie, en raison de sa proximité avec les Balkans, était à l’avant-poste dans la stratégie du Containment de l'OTAN. Par ailleurs, sa position en Méditerranée, en faisait une tête de pont vers l’Afrique, continent disputé par les deux superpuissances à partir de la décolonisation. En raison de ces enjeux géostratégiques, l’administration américaine mit tout en œuvre pour éviter que l’Italie ne devienne un pays communiste.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2755209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 275 14/09/09 15:16:1414/09/09 15:16:14

276

En 1948, le National Security Council s’inquiétait de la montée en puis-sance des communistes dans la péninsule :

« les intérêts des États-Unis dans l’aire Méditerranée, relatifs aux problè-mes de sécurité, semblent sérieusement menacés par la participation du Front populaire dominé par les Communistes à un gouvernement […] [Ils] pourraient, selon un schéma déjà éprouvé en Europe de l’Est, prendre le contrôle total du gouvernement et transformer l’Italie en un pays totalitaire subordonné à Moscou. Cette éventualité produirait un effet démoralisant sur toute l’Europe occidentale et dans toute la Méditerranée et le Moyen-Orient1 ».

En cas d’invasion de l’Italie par le nord, la directive NSC 1/2 du 10 février 1948 prévoyait que les États-Unis et le Royaume-Uni déploieraient des forces militaires en Sicile et en Sardaigne.

Puis, en 1951, la CIA et l’OTAN constituèrent, partout en Europe, des réseaux Stay Behind, chargés de conduire des actions de guérilla en cas d’arri-vée des communistes au pouvoir. En Italie, une structure clandestine dénom-mée Gladio fut mise sur pied, composée de militaires, de membres des services de renseignement et de la société civile2. Cette structure « dormante » est res-tée en place jusqu’en 1990.

Les actions clandestines et leurs abus

Dès la création de la République italienne en 1945, les forces conservatri-ces de la péninsule tentèrent de contrer l’infl uence du Parti communiste ita-lien (PCI). Face à la menace intérieure, en 1947, l’administration américaine fi nança la Démocratie chrétienne à hauteur de 75 millions de dollars. Dans les décennies qui suivirent, lors de chaque élection, Américains et Soviétiques se livrèrent à d’âpres batailles par le biais de leurs services secrets. Toutefois de 1948 à 1992, la Démocratie chrétienne fut le seul parti à exercer le pouvoir politique. L’un des buts de la politique de cette formation centriste fut d’empê-cher l’accession du parti communiste aux responsabilités.

Avec le soutien des services de renseignements américains et italiens, les forces conservatrices3 mirent en oeuvre la « Stratégie de la tension ». Fon-dée sur la provocation, cette stratégie consistait notamment à multiplier des attentats, lesquels étaient attribués à l’extrême-gauche4. Par ce stratagème, les conservateurs tentaient d’inciter la population à rejeter les forces de gauche et leurs violences. Elle eut également pour fi nalité la préparation aux coups d’État

1. Directive NSC 1/3 du 8 mars 1948.2. Une autre structure, dénommée « Rose des vents » fut mise sur pied parallèlement. Elle

avait pour but la surveillance des éléments subversifs et leur neutralisation en cas de crise.

3. On entend par forces conservatrices, un réseau animé par des monarchistes, des fascis-tes, des industriels, des membres du clergé, des mafi eux et des membres des forces de l’ordre.

4. Entre septembre 1946 et le début de l’année 1948, près d’une trentaine de militants et de syndicalistes de gauche ont été assassinés.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2765209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 276 14/09/09 15:16:1414/09/09 15:16:14

277

— qu’il s’agisse de prendre le pouvoir en faisant croire à une tentative de coup de force communiste pour justifi er l’action, ou de réagir à celui-ci — et l’élimi-nation des opposants de gauche. Dans cette perspective, l’Arme des carabiniers aurait joué un rôle majeur dans la dictature militaire transitoire.

Une récente historiographie fait débuter la « Stratégie de la tension » le 1er mai 1947. Lors de la fête du travail en Sicile, la bande de Salvatore Giuliano commit un massacre1 commandité par les conservateurs et par les services spé-ciaux américains. La presse et les autorités l’attribuèrent à la gauche qui luttait pour le partage des terres. Le 17 mai 1947, le Parti communiste fut exclu du gouvernement. La stratégie fonctionnait. Au cours des années 1960, les concessions de la Démocratie chrétienne faites à la gauche et les mouvements estudiantins relancèrent la « Stratégie de la tension ». Pour les forces conserva-trices, il fallait stimuler la lutte contre le terrorisme de gauche et faire basculer le pays dans une dictature à la manière de celles en vigueur en Espagne, au Portugal ou en Grèce. En 1969, un attentat fut commis dans le but d’accuser l’extrême gauche2. En 1970, le coup d’État Borghese, préparé avec l’appui de la mafi a calabraise, fut interrompu à la dernière minute. En 1974, des attentats au cours de manifestations communistes3 devaient pousser ceux-ci à la faute.

Les services de renseignement italiens participèrent activement à cette stra-tégie. Le SIFAR, le premier service de renseignement des forces armées — lar-gement fi nancé par les industriels italiens — aurait fomenté un coup d’État en 19644. Le directeur du SID — Service d’information de la Défense, qui suc-cède au SIFAR — fut impliqué dans l’attentat de 1969 et dans le coup d’État Borghese.

C’est pour essayer de mettre un frein à ces dérives récurrentes des services que fut conçue la réforme de 1977, qui institua notamment un contrôle parle-mentaire.

Une nouvelle organisation

La loi n° 801 du 24 octobre 1977 institua deux nouveaux services de rensei-gnement, le SISMI et le SISDE, et créa un comité parlementaire de contrôle, le COPACO.– Le SISMI (Servizio per le informazioni e la sicurezza militare), dépendant du

ministère de la Défense, était responsable de la sécurité extérieure de l’État, du renseignement militaire et du contre-espionnage.

1. 11 morts et 65 blessés.2. En 1996, l’historien Aldo Sabino Gianulli effectuait des recherches pour le compte du

juge Guido Salvini. Ce dernier enquêtait sur le massacre de la Piazza Fontana de Milan du 12 décembre 1969 (16 morts et 88 blessés). Alors qu’il se trouvait dans un dépôt du ministère de l’Intérieur, via Appia, l’historien retrouva des rapports du SISMI jamais exploités jusqu’alors. Ces rapports sont aujourd’hui disponibles aux archives centrales de l’État, à Rome.

3. Le 28 mai 1974, une bombe fi t 8 morts au cours d’un rassemblement de communistes à Brescia. Le 4 août 1974, une bombe dans le train Italicus fi t 12 morts et 44 blessés.

4. Le plan Solo.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2775209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 277 14/09/09 15:16:1414/09/09 15:16:14

278

– Le SISDE (Servizio per le informazioni e la sicurezza democratica), rattaché au ministère de l’Intérieur, était chargé de la sécurité intérieure, du rensei-gnement économique de la lutte contre le terrorisme, l’immigration clandes-tine et la criminalité informatique1.Les deux agences étaient coordonnées par le Comité exécutif pour les ser-

vices de renseignement et de sécurité (CESIS), organe qui fi ltrait les informa-tions à destination du président du Conseil. Le CESIS jouait également un role d’interface entre les services et les administrations publiques. Un Comité inter-ministériel pour le renseignement et la sécurité (CIIS) impulsait la politique du renseignement. La loi obligeait également le gouvernement à présenter, tous les six mois, au Parlement un rapport écrit sur la politique du renseignement et sur les résultats obtenus.

Le Comité parlementaire de contrôle des services de renseignement (COPACO) comprenait quatre députés et quatre sénateurs, nommés par les présidents des deux assemblées. Le choix devait respecter la représentation proportionnelle des groupes politiques. Le COPACO choisissait un président, un vice-président et un secrétaire. L’usage voulait que la présidence revienne à un parlementaire de l’opposition. Les membres du Comité étaient liés par le devoir de discrétion et leurs actes étaient couverts par le secret d’État.

La loi de 1977 chargea le COPACO de vérifi er que l’activité des services de renseignement se déroulait dans le respect des principes de la loi. Pour remplir sa mission, le Comité pouvait demander au président du Conseil — qui coor-donnait la politique du renseignement — et au comité interministériel pour le renseignement et la sécurité — organe consultatif placé auprès du Président du conseil — des informations portant sur « les caractéristiques principales des structures et des activités » des services.

Les questions du COPACO relevaient donc de l’information générale. La loi ne lui donna ni la possibilité d’exiger les documents qu’il souhaitait, ni celle d’inspecter les services. Les rapports semestriels présentés par le gouvernement au Parlement constituaient une source d’information importante. Le Président du conseil pouvait s’opposer aux demandes du COPACO et motiver son refus par la nécessité de protéger le secret d’État. Le Comité pouvait alors décider, à la majorité de ses membres, que l’opposition du président du Conseil n’était pas fondée et en référer aux deux assemblées. Le dernier mot revenait au Président du conseil.

La loi permit également au COPACO de formuler des propositions et des critiques et d’en rendre compte aux assemblées. Au cours de la législature 1996-2001, il en présenta quatre, mais aucune ne fut débattue en séance publique. Au cours de la législature 2001-2006, il en présenta sept. Certaines furent débattues en séance publique et deux donnèrent lieu au dépôt de propositions de résolution.

1. La répartition des compétences entre le SISMI et le SISDE, selon le caractère militaire ou civil des activités, fut modifi ée en 1991, lorsque la loi rendit les services de renseigne-ment responsables de la lutte contre le crime organisé : le SISMI pour les activités ayant lieu à l'étranger et le SISDE pour celles se déroulant dans le pays.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2785209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 278 14/09/09 15:16:1414/09/09 15:16:14

279

La loi ne donna aucun pouvoir budgétaire au COPACO. Les crédits rela-tifs aux activités de renseignement, d’abord inscrits au budget du ministère du Trésor, étaient ensuite répartis par décret de la présidence du Conseil, certains d’entre eux étant réservés et inscrits aux budgets de cette dernière et des minis-tères de l’Intérieur et de la Défense. La loi de 1977 précisait que les crédits réservés ne pouvaient faire l’objet d’aucun compte-rendu.

Conformément à l’article 202 du code de procédure pénale, les agents publics pouvaient refuser de témoigner devant les juridictions pénales sur des faits couverts par le secret d’État. Si le président du Conseil confi rmait ce refus, il devait en informer le COPACO et justifi er l’existence du secret d’État. Le Comité pouvait alors, à la majorité de ses membres, déclarer l’opposition du secret d’État infondée et en référer aux deux assemblées.

Les limites de la réforme

La réforme de 1977 n’endigua pas le mauvais emploi de services de ren-seignement. Ceux-ci poursuivirent leurs pratiques délictueuses, en raison de la persistance de la menace communiste. En effet, le PCI demeura le plus puissant des partis communistes occidentaux. En 1976, alors que l’infl uence des PC décroît dans tous les pays d’Europe, le PCI obtient plus de 34 % des suffrages1. Il se maintint à 30 % des suffrages jusqu’aux élections législatives de 19922. En conséquence, la « Stratégie de la tension » fut appliquée jusqu’à la chute du mur de Berlin.

La réforme de 1977 ne mit pas fi n non plus à l’existence de petites cellules clandestines composées d’agents offi ciels, d’extrémistes de droite, de criminels et de mafi eux. Financées à l’aide des caisses « noires » d’origines diverses, les cellules étaient soutenues par les services de renseignement américains et par des loges maçonniques — dont la loge P23 —, elles aussi occultes. Sur les ter-ritoires mafi eux, le SISMI et les services de renseignement américains transi-geaient avec les organisations mafi euses4 et il semble même que des membres du SISMI aient appuyé la politique terroriste de Cosa nostra en 1992-19935.

1. Si le Parti socialiste (9,65 %) avait accepté de gouverner avec le PCI, la Démocratie chrétienne (38,71 %) aurait été battue.

2. Le Parti démocrate de gauche (PDS) - ex PCI - obtint alors 16,11 %des suffrages.3. Commission parlementaire d'enquête sur la loge P2 : http:/www.strano.net/stragi/tstragi/

relmp2/rel07p2.htm4. Au cours de la Guerre froide, la position de la Sicile était primordiale. En 1979, l’OTAN

négocia l’installation de 112 missiles nucléaires à Comiso, dans l’est de l’île. Le but était d’atteindre des pays africains qui menaceraient les intérêts stratégiques du monde libre. Mais, rapidement, on découvrit que l’installation des missiles avait donné lieu à une entente entre les milieux politiques et les militaires américains, d’une part, et avec des familles mafi euses siciliennes de l’autre. La loge maçonnique clandestine P2 et des membres des services de renseignements militaires, le SISMI, avaient assuré la média-tion.

5. Fabrice Rizzoli, l’État italien face à la criminalité et au terrorisme, in Démocraties, État et terrorisme, collection Renseignement et guerre secrète, Lavauzelle, Panazol, 2002.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2795209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 279 14/09/09 15:16:1514/09/09 15:16:15

280

À partir de 1991, avec l’éclatement de l’URSS, le contexte ne justifi a plus la poursuite de telles pratiques. Une fois arrivée aux responsabilités, en 1996, la gauche manifesta une volonté claire de contrôle des services de renseigne-ment. Elle anima activement la Commission parlementaire visant à élucider les événements survenus pendant la Guerre froide1. Cette commission démontra comment les services de renseignement avait parfois joué un rôle trouble dans la « Stratégie de la tension ». Elle affi rma par ailleurs que l’administration amé-ricaine avait soutenu, en Italie, « une stratégie de la tension visant à empêcher le PCI et, dans une moindre mesure, le PSI, d’accéder au pouvoir exécutif2 ».

Toutefois, l’usage fait du contrôle parlementaire et les projets de réformes dépendit des majorités. Au cours des années 1996 à 2001, animées par plu-sieurs coalitions de centre-gauche, le COPACO se réunit entre vingt et trente fois par an, notamment pour auditionner des ministres ou des responsables des services de renseignement. Il se réunit trois fois au début de l’année 2001, mais cessa de le faire après les élections législatives gagnées le centre-droit3.

Au cours de la législature 2001-2006, le gouvernement Berlusconi n’utilisa pas le COPACO. Il prépara toutefois un projet de réforme des services de ren-seignement qui demeura sans suite. Le Comité devait voir ses pouvoirs limités au contrôle a priori du budget, mais il aurait perdu toute possibilité de donner son avis sur les opérations en cours, le gouvernement n’étant plus tenu de lui donner périodiquement des informations à ce sujet.

De 2001 à 2006, la droite italienne a géré la politique du renseignement en toute opacité. Cette période a été marquée par de nouveaux scandales impli-quant le SISMI. Des agents ont procédé à des écoutes clandestines au profi t d’opérateurs économiques privés, comme dans le cas de la société de télécom-

1. De 1988 à 2001, une Commission parlementaire sur le terrorisme et sur les causes de l’absence de mise en cause des responsables concernant les massacres survenus en Italie a enquêté sur la « Stratégie de la tension » (www.senato.it). Instituées pour la première fois au cours de Xe législature, par la loi n° 172 du 17 mai 1988, cette commission était composée de 20 députés et de 20 sénateurs acceptés par tous les partis politiques.

2. Commission parlementaire d’enquête sur le terrorisme et sur les raisons qui ont empêché d’identifi er les responsables des massacres, XIIe législature (www.parlamento.it/bicam/terror/n.i/nota.htm).

3. En juillet 1999, le gouvernement D'Alema présenta un projet de loi de réorganisation des services de renseignement, qui concernait notamment le COPACO. Ce dernier devait rester commun aux deux assemblées, mais son effectif se voyait réduit à quatre membres - deux députés et deux sénateurs - désignés par les présidents des deux assemblées pour toute la durée de la législature. Les compétences du comité devaient également être renforcées : le gouvernement aurait toutefois eu l'obligation de lui soumettre un rapport annuel sur la politique menée et sur les résultats obtenus, des comptes-rendus semes-triels de l'activité des services de renseignement, ainsi que les textes réglementaires pris en application de la loi. Le COPACO aurait conservé son droit d'information générale sur l'activité et les structures des services de renseignement, qu'il aurait continué à exer-cer par le biais de questions. En outre, il aurait eu la possibilité d'auditionner les organes dirigeants des services de renseignement, après autorisation de l'exécutif, et aurait été tenu informé de l'exécution du budget des services de renseignement. En 2001, la gau-che ayant perdu les élections, la réforme fut suspendue.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2805209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 280 14/09/09 15:16:1514/09/09 15:16:15

281

munications Telecom Italia1. Le 17 février 2003, la CIA procéda au rapt du ressortissant égyptien Abou Omar à Milan. Le but était d’interroger, en Égypte, sous la torture, ce présumé terroriste. Un procès est en cours pour déterminer les responsabilités du SISMI. Cette opération a relancé le thème d’une Italie à « souveraineté limitée », c’est-à-dire à « la botte » de l’administration améri-caine. En 2005, la subordination du SISMI envers de la CIA devint insuppor-table pour l’opinion publique. Le 4 mars 2005, un soldat américain en poste à un Blocking Point de l’aéroport de Bagdad tirait sur une voiture du SISMI. Le véhicule ramenait la journaliste Giuliana Sgrena, qui venait d’être libérée après son enlèvement par des rebelles irakiens2. L’agent Nicola Calipari, chargé d’as-surer la protection de la journaliste, fut blessé mortellement.

Enfi n, au cours d’enquêtes menées à l’encontre des membres du SISMI, certains se sont prévalus du secret d’État pour ne pas répondre aux magistrats. D’autres ont espionné des journalistes et des magistrats. C’est pour mettre un terme à ces dérives qu’a été conçue la réforme de 2007.

La réforme de 2007

Au mois d’août 2007, le parlement italien a voté à l’unanimité la loi insti-tuant le Système du renseignement pour la sécurité de la République (Sistema di informazione per la sicurezza della Repubblica). L’article 2 met en place les nouvelles structures qui composent désormais la nouvelle communauté du ren-seignement italien.

Le « Système » se compose du président du Conseil, du Comité intermi-nistériel pour la sécurité de la république (CISR), du Département du ren-seignement pour la sécurité (DIS) et des agences de renseignement : Agence italienne pour la sécurité extérieure (AISE, ex SISMI) et Agence italienne pour la sécurité intérieure (AISI, ex SISDE).

L’article 8 précise que le Service de renseignement et de sécurité (RIS), qui dépend de l’état-major de la Défense, ne fait pas partie du système de rensei-gnement pour la sécurité.

Le président du Conseil des ministres

Le président du Conseil est responsable de la politique du renseignement et de la coordination des deux agences de renseignement (AISE et AISI), dont il nomme et révoque les deux directeurs (article 1). Ces derniers peuvent l’infor-mer directement en cas « d’urgence caractérisée » sans passer par le directeur du Département du renseignement pour la sécurité.

Le président du Conseil décide de l’opportunité d’appliquer le secret d’État ou de le révoquer et décide des fonds à attribuer aux agences. Il peut choisir d’être secondé par une Autorité déléguée — un ministre sans portefeuille ou un sous-secrétaire d’État — qui pourra l’assister pour certaines fonctions spé-

1. L’enquête est close, le procès en est cours devant le tribunal de Milan.2. www.serviziinformazionesicurezza.gov.it/pdcweb.nsf/pagine/homepage#

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2815209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 281 14/09/09 15:16:1514/09/09 15:16:15

282

cifi ques (article 3). L’avis du Conseil des ministres n’est pas requis pour la nomination de l’Autorité déléguée.

Le Comité interministériel pour la sécurité de la république (CISR)

Le CISR donne les orientations de la politique du renseignement. L’article 5 stipule que ce comité est composé du président du Conseil, de l’Autorité déléguée, des ministres des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice et de l’Économie et des Finances. Le Comité est consulté, pro-pose et délibère sur les buts et les fi nalités de la politique du renseignement. Il donne son avis sur les ressources fi nancières à attribuer au Département du renseignement pour la sécurité (DIS) et aux Agences. Le directeur du DIS en est le secrétaire. La loi permet à des fonctionnaires extérieurs de participer aux réunions du Comité. Les directeurs des deux agences de renseignement et des autorités civiles et militaires peuvent collaborer à l’élaboration de la politi-que du renseignement en fonction des questions à traiter. Il s’agit d’une claire ouverture vers des compétences externes absolument indispensables dans le nouveau contexte mondial.

Le Département du renseignement pour la sécurité (DIS)

Le DIS se substitue au CESIS mais conserve le pouvoir de coordination des deux agences (article 4). Le DIS recueille les informations des deux agences et transmet les renseignements au président du Conseil. Il assure la liaison avec les autres unités chargées du renseignement : organes de police, forces armées, administrations et instituts privés.

Le DIS perd cependant de son importance par rapport au CESIS. Les deux agences peuvent passer au-dessus de lui pour informer le président du Conseil en cas de « stricte nécessité et d’urgence ».

Les agences de renseignement extérieur et intérieur

L’article 6 donne naissance à l’AISE et précise que cette agence a pour mis-sion d’endiguer les menaces provenant de l’étranger. Elle recherche toutes les informations utiles à la défense de l’indépendance de l’intégrité et de la sécurité de la République, y compris dans le cadre d’accords internationaux.

L’article 7 de la loi crée l’AISI afi n d’assurer la sécurité intérieure de la République. Elle est chargée de protéger les institutions démocratiques contre toutes les activités subversives et toutes les formes d’agression criminelles et terroristes. Elle doit préserver les intérêts vitaux de la nation et conduire des activités de contre-espionnage.

Ces deux services dépendent du président du Conseil qui nomme leurs directeurs. Il les choisit parmi les dirigeants d’État de haut niveau et après avis favorable du comité interministériel (CISR). La charge de directeur d’agence dure 4 ans et n’est renouvelable qu’une fois.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2825209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 282 14/09/09 15:16:1514/09/09 15:16:15

283

Les directeurs des services informent en permanence le président du Conseil par l’intermédiaire du directeur du DIS. En cas d’urgence, ils peuvent l’informer directement sans passer par l’intermédiaire du DIS. Parallèlement, ils informent de manière opportune les ministres de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur. Enfi n, les directeurs de l’AISI et de l’AISE sont tenus de présenter un rapport annuel sur le fonctionnement de leur agence.

Le DIS et les deux agences peuvent collaborer avec toutes les administrations publiques — notamment les forces armées et la police (art. 11) — et conclure des accords avec les universités et les instituts de recherche (art. 13).

Ce qui frappe dans cette réforme, c’est la stricte séparation de compétence territoriale. La loi du 3 août 2007, réforme en particulier les missions en sépa-rant clairement les domaines de compétence de chaque service. L’AISE est interdite d’opérations intérieures et l’AISI d’actions à l’étranger. Il s’agit bien là d’éviter qu’un service de renseignement militaire mène des actions sur le territoire national.

Les deux agences ne peuvent conduire des missions hors de leur zone de compétence qu’à travers une étroite collaboration avec l’autre agence concer-née et sous le contrôle du DIS. Elles peuvent conduire des opérations clandes-tines mais doivent y être autorisés à chaque fois. Les conditions de l’exercice de telles missions sont bien défi nies : il n’est pas permis de tuer, ni d’attenter à la santé et à la liberté des personnes. Aucune opération n’est autorisée au siège des partis politiques, des syndicats ou contre les journalistes. En revanche, sur autorisation du Premier ministre, il est possible d’utiliser des identités d’em-prunt et de développer des activités économiques fi ctives. Dans ce cas, le secret de l’identité est opposable aux magistrats.

La protection du secret

La nouvelle loi organise également de nombreux points, en particulier l’ap-plication du secret d’État et les limites imposées aux agents.– L’article 9 institue le Bureau central pour l’application du secret d’État

(UCSE). Il gère et coordonne l’application du secret d’État et les divers types de qualifi cations données aux agents, mais aussi aux entreprises et à tous les individus privés qui travaillent avec les agences du renseignement.

– L’article 10 institue le Bureau central des archives, qui dépend du DIS. Il coordonne la gestion des archives, celles qui doivent rester confi dentielles ou celles qui, déclassifi ées, rejoignent les archives de l’État.La loi en matière de secret d’État est entrée en vigueur le 12 avril 2008. La

délivrance d’informations confi dentielles est strictement encadrée. Des peines allant de 1 à 5 ans de prison sont prévues pour les agents qui détruiraient des documents classés secrets. Il n’est plus permis d’avoir des archives réservées (art. 26). Les documents couverts par le secret d’État de plus de trente ans seront accessibles aux familles des victimes et aux chercheurs.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2835209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 283 14/09/09 15:16:1514/09/09 15:16:15

Le Comité parlementaire pour la sécurité de la République

Le Comité parlementaire pour la sécurité de la République (CPSR) rem-place le COPACO. Il est l’organe de contrôle parlementaire chargé de vérifi er que le Système de renseignement pour la sécurité agit dans le respect de la Constitution, des lois et dans le seul intérêt de la défense de la République et de ses institutions. Ce comité connaît de réelles nouveautés (art. 30) et ses pouvoirs sont renforcés.

Il est composé de dix membres. Sa présidence est assurée par un parlemen-taire de l’opposition. Cette disposition est dorénavant obligatoire alors qu’il ne s’agissait auparavant que d’une pratique.

Le Comité parlementaire auditionne le président du Conseil, les ministres concernés et les directeurs d’agence. Il peut également entendre des agents. La nouveauté réside dans le fait que ceux-ci ne peuvent opposer le secret d’État dans le cas où le Comité serait unanimement d’accord. Il peut consulter les actes de procédure judiciaire sans que lui soit opposé le secret de l’instruction, de l’administration ou le secret bancaire. Il doit être informé de toutes les opé-rations clandestines. Il a libre accès aux locaux des agences de renseignement à condition d’en aviser le Premier ministre. Enfi n, le Comité contrôle les docu-ments afférents aux dépenses des services.

Le Comité est le lien entre le président du Conseil et la représentation nationale. Le président lui remet un rapport d’activité tous les six mois et le comité rédige, sur cette base, un rapport annuel pour le parlement.

*

En Italie, la nouvelle distribution des compétences (militaires = extérieur et civils = intérieur) est le résultat d’une douloureuse histoire, celle de services de renseignement, détournés de leur mission initiale1. Comme toujours, l’effi ca-cité et l’utilisation « vertueuse » des services de renseignement ne dépendent pas des réformes mais de l’utilisation que les politiques font de ces services.

Certains observateurs voient dans la récente réforme du renseignement italien une infl uence du modèle américain, en raison d’une séparation stricte entre les domaines de compétence des agences, à l’image du FBI et de la CIA. En l’occurrence, l’infl uence américaine n’a pas joué. La plupart des États du monde ont adopté la même organisation.

Quant à savoir si cette répartition est à même de répondre aux nouveaux défi s de la sécurité internationale que sont le terrorisme, la prolifération des armes NRBC et les mafi as, seule la pratique permettra de l’évaluer…

Fabrice Rizzoli

1. Deviato en italien.

5209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 2845209.RenseignementEtDC mocratie16,5x24.indd 284 14/09/09 15:16:1514/09/09 15:16:15