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AVRIL 2017 MONTPELLIER COLLOQUE Remediation cognitivo- musicale : un projet innovant pour la prise en charge des enfants dys Céline Commeiras*, Chloé Lardy*, Alice Dormoy** & Michel Habib† *Centre Pluridisciplinaire CPA, Aix-en-Provence, **CNNR de Nice et †Résodys, Marseille Genèse du projet et ancrages théoriques Ce projet initié en 2011 est né de la rencontre interprofessionnelle entre une orthophoniste, une musicienne, enseignante spécialisée et un neurologue. Il revêt plusieurs composantes complémentaires menées conjointement. Tout d’abord une dimension pédagogique portée par Alice Dormoy qui a développé une pédagogie adaptée aux enfants dys et du matériel spécifique à destination des enseignants de musique (Mélodys®). Une dimension de recherche et de développement de réseau de professionnels portée par Michel Habib au sein du réseau de santé régional Résodys. Enfin une dimension rééducative qui sera évoquée plus particulièrement dans cet exposé. L’objectif a été dès le départ de promouvoir et de développer des partenariats en France et à l’étranger, ainsi qu’un réseau de professionnels, et nous avons donc dès la genèse du projet entrepris des actions de formation à 3 voix, à destination d’un public mixte (enseignants et rééducateurs). Aujourd'hui, il existe en francophonie un véritable réseau multidisciplinaire en pleine expansion de praticiens, rééducateurs et pédagogues, 1

Resodys · Web viewForgeard et al. [15] ont testé 59 enfant d’âge moyen 10 ans, dont une partie avaient 3 ans de musique instrumentale (piano, violon ou violoncelle) sur divers

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AVRIL 2017 MONTPELLIER COLLOQUE

Remediation cognitivo-musicale : un projet innovant pour la prise en charge des enfants dys

Céline Commeiras*, Chloé Lardy*, Alice Dormoy** & Michel Habib†

*Centre Pluridisciplinaire CPA, Aix-en-Provence, **CNNR de Nice et †Résodys, Marseille

Genèse du projet et ancrages théoriques

Ce projet initié en 2011 est né de la rencontre interprofessionnelle entre une orthophoniste, une musicienne, enseignante spécialisée et un neurologue. Il revêt plusieurs composantes complémentaires menées conjointement. Tout d’abord une dimension pédagogique portée par Alice Dormoy qui a développé une pédagogie adaptée aux enfants dys et du matériel spécifique à destination des enseignants de musique (Mélodys®). Une dimension de recherche et de développement de réseau de professionnels portée par Michel Habib au sein du réseau de santé régional Résodys. Enfin une dimension rééducative qui sera évoquée plus particulièrement dans cet exposé. L’objectif a été dès le départ de promouvoir et de développer des partenariats en France et à l’étranger, ainsi qu’un réseau de professionnels, et nous avons donc dès la genèse du projet entrepris des actions de formation à 3 voix, à destination d’un public mixte (enseignants et rééducateurs). Aujourd'hui, il existe en francophonie un véritable réseau multidisciplinaire en pleine expansion de praticiens, rééducateurs et pédagogues, ayant adopté et développé la méthode Mélodys, permettant un enrichissement mutuel et continu des pratiques et des concepts.

Ce chapitre est principalement consacré à la présentation de la méthode telle que nous l'utilisons en rééducation. Cette présentation sera précédée d'un nécessaire exposé des justifications scientifiques sur lesquelles elle a été fondée et suivie d'un résumé des preuves expérimentales de son efficacité.

Une base théorique forte

La riche littérature neuroscientifique de ces derniers années consacrée aux effets de la pratique musicale sur le cerveau incite à penser que certains ingrédients de cette activité puissent être utilisés comme outils de rééducation. Les arguments sont de trois ordres. En premier lieu, jouer ou écouter de la musique peut de fait convoquer différents aspects de la cognition (notamment les processus d’attention et de mémoire de travail), de la perception auditive voire spatiale, mais également des aspects moteurs et rythmiques. Pris individuellement, l'exercice de chacune de ces fonctions grâce à des activités musicales diverses revêt déjà un intérêt certain et possède un potentiel considérable en termes d'applications thérapeutiques sur les dysfonctionnements cognitifs de tous ordres, tout particulièrement ceux qui nous concernent ici, à savoir les troubles spécifiques d'apprentissage du langage oral et écrit. L'idée est dès lors de viser un transfert d'apprentissage, pour les fonctions perturbées, de tâches musicales vers des tâches non musicales. Mais au-delà de cet effet sur des modules fonctionnels distincts, base classique de la rééducation neuropsychologique et linguistique, il existe un ensemble d'arguments plus proprement neurocognitifs et neuroanatomiques laissant penser que l'apprentissage musical utilise et renforce des connexions entre des zones cérébrales distantes, et de ce fait même pourrait restaurer les circuits impliqués dans l'intégration inter-modalitaire. Or, une quantité croissante de données semblent à présent prouver que le fondement de beaucoup de troubles d'apprentissage pourrait précisément se situer au niveau d'une incapacité du cerveau à réaliser cette intégration. Ces arguments ont été développés dans un autre chapitre de cet ouvrage et ne seront pas repris ici. Enfin, parallèlement à ces deux types d'effets, la musique possède bien entendu des vertus potentiellement thérapeutiques par sa capacité d’activation du réseau émotionnel, nous rapprochant alors du concept de musicothérapie dans son sens habituel, c'est-à-dire visant plus une sorte de bien-être psychique qu'une modification de capacités intellectuelles, ce qui est loin d'être anodin pour le rééducateur, conscient de la part émotionnelle dans toute intervention sur des déficits cognitifs. Dans le même ordre d'idée, les propriétés esthétiques et hédoniques de la musique en général, et de la pratique d'un instrument en particulier, peuvent être utilisées comme un véritable et puissant vecteur motivationnel apte à remobiliser l'attention et l'intérêt d'un enfant chez qui la rééducation est en perte de vitesse, ou tout simplement amplifier l'effet d'exercices classiques en les présentant sous une forme musicale.

Musique et langage oral et écrit

Les deux domaines pour lesquels un effet positif de l’apprentissage musical a été le plus

recherché sont le langage et la lecture. D’un point de vue théorique, en effet, les similitudes apparentes entre la musique et le langage ont été soulignées de longue date par les observateurs, et font l’objet de protocoles de recherches largement orientés par l’idée que les deux langages, le « langage » musical et le langage verbal, partagent des processus sous-jacents communs [1]. C’est ainsi que beaucoup de recherches ont été basées sur les caractéristiques élémentaires des sons du langage et ont cherché à mettre en évidence l’effet d’un apprentissage musical sur ces caractéristiques. L’équipe de Nina Kraus s’est spécialisée dans l’analyse des caractéristiques acoustiques du langage et sur l’effet de la musique sur ces caractéristiques [2]. Mireille Besson et ses collaborateurs [3; 4] ont depuis plusieurs années exploré différents aspects de l’effet de la musique sur la perception du langage. L’idée développée par cette équipe est que, s’il est vrai qu’il existe des processus communs sous-jacents à la musique et au langage, en particulier entre perception musicale et perception de la parole, on peut présumer qu’en améliorant certains des processus impliqués dans la perception de la musique, on peut aussi améliorer la perception de la parole et les capacités de lecture. De fait, plusieurs auteurs ont suggéré que les aptitudes précoces de perception de la parole constituent les fondations des habiletés ultérieures en lecture [5-8]. Par exemple, Foxton et al. [9] ont démontré de fortes corrélations chez des adultes non musiciens entre d’une part la capacité à discriminer le contour global de la hauteur de séquences sonores et d’autre part les aptitudes en phonologie et en lecture. En outre, dans une étude à large échelle conduite auprès d’enfants de 4 et 5 ans par Anvari et al. [10], les habiletés de perception musicale ont été retrouvées prédictrices des habiletés en lecture. Tierney et Kraus [11] ont revu la totalité des études longitudinales disponibles. Sur 22 études recensées, les auteurs remarquent que peu d’entre elles répondent à un critère qui leur paraît pourtant capital : que les sujets aient été affectés strictement au hasard, de manière randomisée. En effet, si ce n’est pas le cas, il est toujours possible que des traits non contrôlés par les études puissent expliquer à la fois le choix de se retrouver dans le groupe musique et le fait d’améliorer la lecture ou le langage. L’une des études les mieux contrôlées à cet égard est certainement celle de l’équipe de M. Besson [12].Ces auteurs ont testé l’influence d’un apprentissage musical chez des enfants de 8 ans en s’assurant qu’il n’y avait pas de différences entre les groupes d’enfants avant apprentissage et que l’apprentissage dispensé dans chacun des deux groupes étaient aussi motivant et stimulant l’un que l’autre (musique et peinture). Les résultats ont montré que 6 mois d’apprentissage musical, mais pas de peinture, augmentent les capacités de discrimination des variations de hauteur dans le langage ainsi que la lecture de mots phonologiquement complexes. Ces résultats sont donc en accord avec les résultats montrant une corrélation positive entre capacités musicales et phonologiques et ils établissent un lien de causalité entre l’apprentissage de la musique et l’amélioration de la perception du langage et de la lecture.

Effet de la musique sur les autres fonctions cognitives

Des études comportementales ont également apporté des preuves plus ou moins tangibles d’un effet de transfert positif entre la musique et les habiletés temporo-spatiales, les mathématiques, la lecture, la prosodie de la parole, la mémoire verbale et l’intelligence générale (voir [13] pour plus de détails). Pour autant, l’absence de contrôle de nombreux facteurs (différence de taille entre les groupes, motivation, stimulation cognitive...) limitent souvent la portée de ces observations. Dans l'une des plus convaincantes de ces études, Moreno et al. [14] ont réparti 71 enfants de 4 à 6 ans en deux groupes, l’un recevant un entraînement musical informatisé axé sur l’écoute de rythmes, de hauteurs et de timbres mais sans apprentissage d’un instrument, et l’autre recevait un temps équivalent (2 séances par jours, 5 jours par semaines, pendant 4 semaines) mais lors de séances d’art visuel. Le groupe musique s’est avéré supérieur après et non avant entraînement pour deux variables mesurées : le quotient intellectuel verbal mesuré à l’aide de la WPPSI et les fonctions exécutives, testées par une épreuve go-no-go .

Forgeard et al. [15] ont testé 59 enfant d’âge moyen 10 ans, dont une partie avaient 3 ans de musique instrumentale (piano, violon ou violoncelle) sur divers domaines : audition musicale, discrimination de rythmes, apprentissage moteur, arrangement de cubes, assemblage d’objet, Matrices progressives de Raven (raisonnement non verbal). Les résultats prouvent que les enfants musiciens sont supérieurs aux non musiciens sur diverses tâches dont : l’apprentissage moteur, la discrimination de mélodies, le vocabulaire, les matrices de Raven, mais non sur les habiletés spatiales, ni les aptitudes en mathématiques.

Le cerveau du musicien, véritable modèle de plasticité cérébrale

Parmi les preuves de l'effet de l'apprentissage musical sur le cerveau, c'est essentiellement l'étude du cerveau de sujets adultes musiciens professionnels qui a focalisé l'intérêt des chercheurs en neuroscience. Par exemple, il a été montré [16] que des joueurs d'instruments à cordes présentaient un plus fort développement de l'aire sensorimotrice des doigts de la main gauche (sur l'hémisphère droit) et que cet effet n'est pas présent chez les joueurs d'instruments à clavier, ni sur les violonistes ayant appris tardivement à jouer. Cela prouve que c'est bien l'exercice intensif de la motricité distale des doigts depuis la petite enfance qui a modifié la structure même de leur surface corticale. De la même manière, des travaux ont également montré que les aires auditives primaires et secondaires de l'hémisphère gauche de sujets musiciens, impliquées dans la perception auditive et dans l'affectation d'une signification musicale aux sons entendus, est plus développée chez les musiciens que chez les non musiciens [17]. Mais les modifications les plus spectaculaires sont celles observées sur la substance blanche des musiciens, en premier lieu au niveau du corps calleux [18], cette masse de fibres blanche unissant les zones corticales symétriques de l'hémisphère droit et de l'hémisphère gauche, plus développée chez les musiciens sans doute par le biais d'un exercice intensif de la coordination bimanuelle impliquant un passage d'informations entre les deux hémisphères.

Mais c’est surtout la technique d’imagerie par tenseur de diffusion (DTI), souvent appelée tractographie, qui a apporté ces dernières années les informations les plus précises et les plus intéressantes. Rappelons que cette technique, qui mesure la diffusion des molécules d’eau à l’intérieur des faisceaux et traduit ainsi la cohérence de directionnalité des fibres qui les constituent, ce qu’on appelle l’anisotropie, permet de visualiser de façon anatomiquement très réaliste l’ensemble des faisceaux de substance blanche unissant entre elles les différentes régions corticales, et grâce à des codes couleurs spécifiques de distinguer de manière très fine leurs trajets respectifs. Parmi ces différents faisceaux, le faisceau arqué, qui unit les régions sensorielles des zones temporo-pariétales à la région frontale motrice, a été particulièrement étudié. Comme le montre la figure 1, un adulte ayant pratiqué un instrument durant toute sa vie a développé de manière bien plus conséquente ce faisceau qu'une personne de même âge et de même cursus mais non musicien.

Figure 1 : comparaison de deux adultes âgés ayant l’un de nombreuses années de pratique d’un instrument de musique (à gauche), l’autre sans aucune expérience musicale. On voit nettement la différence de taille du faisceau arqué entre les deux (d'après [19]).

Cette constatation, qui a été répliquée dans plusieurs études, incite donc à penser qu'au delà de son effet sculptant sur les aires corticales motrices et auditives, la pratique musicale a également, et peut-être surtout, modifié considérablement l'anatomie des fibres unissant entre elles les régions de cortex concernées par l'usage d'un instrument ou la pratique professionnelle du chant.

Or, comme cela a été décrit dans un autre chapitre de cet ouvrage, ce même faisceau arqué est également la région de la substance blanche cérébrale sur laquelle ont été régulièrement décrites des modifications structurales chez les enfants et adultes dyslexiques. Cette coïncidence a été la première raison qui nous a incités à réfléchir sur la possibilité d'utiliser la musique dans le traitement de la dyslexie.

Diverses autres études en neuroimagerie vont dans le même sens, démontrant chez des musiciens une meilleure connectivité entre différentes zones, en particulier auditives et motrices, du cortex cérébral. Bermudez et al. [20] ont analysé l’épaisseur corticale des différentes zones corticales chez des musiciens et montré que les régions frontales et temporales sont effectivement celles qui diffèrent le plus en épaisseur entre musiciens et non musiciens, mais aussi que les deux régions sont nettement plus corrélées entre elles, ce qui pour ces auteurs révèlerait une plus grande spécificité des connexions fronto-temporales reflétant sans doute une plus forte interdépendance entre ces régions, probable conséquence de leur pratique de l’instrument.

Citons enfin les résultats d'une autre méthode d'imagerie, dite connectivité de repos, qui consiste à identifier les zones corticales qui sont activées de manière conjointe lorsqu'on enregistre l'IRM du cerveau au repos. Dans une étude de ce type, les auteurs ont pu confirmer l'existence couplage fonctionnel entre le cortex auditif et le cortex moteur et en outre montrer que ce couplage est lié à l'ancienneté de l'expertise musicale [21].

Arguments en faveur d'une stimulation multimodalitaire

Lorsqu’un musicien apprend à jouer de son instrument, il apprend à associer de manière synchrone le mouvement avec la perception et/ou la représentation du son correspondant, ce qui lui permet de vérifier que le son émis correspond bien à celui qui était programmé. Des signaux émis par le cortex préfrontal sont capables d’activer le cortex auditif, même en l’absence de son correspondant. A l’inverse, des représentations motrices seraient actives, même en l’absence de production du mouvement correspondant, ce qui permettrait l’anticipation indispensable à la pratique experte d’un instrument. Il a été montré qu’un entraînement à jouer au clavier augmente les co-activations auditivo-motrices après seulement 20 minutes de pratique. Lorsque cet apprentissage aboutit à une connaissance de liens univoques entre un son et une position du doigt, des modifications au niveau du cortex frontal sont observables.

L'intérêt de la multimodalité est bien illustré par une élégante étude réalisée par une équipe germano-canadienne [22]. Ces auteurs ont en effet eu l’idée d'utiliser une technique d'enregistrement de l'activité magnétique cérébrale (magnétoencéphalographie ou MEG) pour explorer l’effet sur les mécanismes de perception auditive d’un apprentissage auditivo-moteur, comparé à un apprentissage seulement auditif. Pour ce faire, ils ont demandé à la moitié de leurs sujets d’expériences, novices non musiciens, d’apprendre le doigté d’une mélodie, et leur potentiel auditif en MEG était réenregistré 2 semaines après. L’autre moitié des sujets écoutaient passivement les leçons que recevaient les autres, dont ils partageaient donc toutes les informations sensorielles (auditives et visuelles) mais pas l’expérience motrice. Le groupe sensori-moteur a modifié considérable le potentiel évoqué par l’écoute de la mélodie apprise, alors que le groupe témoin ne l’avait pas modifié. En d’autres termes, la participation motrice impliquée par le mouvement des doigts, associée dans le groupe expérimental à l’écoute de la mélodie, a influé de façon déterminante sur la qualité de la perception auditive de la mélodie apprise.

Dyslexie, rythme et traitement temporel

L'impact de capacités rythmiques sur l'acquisition de la lecture avait déjà été démontré il y a plus d'un demi-siècle par les fameuses études de Mira Stambak [23] qui avait retrouvé que les enfants dyslexiques étaient moins performants sur la reproduction de rythmes que les bons lecteurs, au regard de 21 patterns rythmiques constituant une épreuve encore largement utilisée dans les cabinets d'orthophonie en France et ailleurs. Dellatolas et al. [24], réutilisant les tests de Stambak auprès de 1028 enfants de 5 et 6 ans, ont pu démontrer de manière causale que la simple reproduction de rythmes à la maternelle était prédictive des performances de lecture au primaire.

Utilisant une série de jeux musicaux développés pour les enfants dyslexiques, spécialement centrés sur le rythme et les aptitudes de “timing”, Overy [5] a proposé à des enfants dyslexiques des activités musicales construites pour progresser graduellement depuis un niveau très basique jusqu’à un niveau plus avancé sur une période de 15 semaines. Les résultats ont montré une amélioration significative, non pas dans les aptitudes de lecture, mais dans deux domaines connexes: le traitement phonologique et les tâches de transcription écrite. De plus, la performance en transcription était corrélée significativement à la performance à une tâche de timing, suggérant un lien avec la fameuse (mais très débattue) théorie du “déficit de traitement temporel de la dyslexie” [25].

L’équipe de Mireille Besson s’est plus récemment penchée sur cette question en proposant à des enfants dyslexiques et à des témoins normo-lecteurs un protocole d’entraînement musical comparé à un entraînement d’art visuel, similaire à celui réalisé précédemment chez des enfants non dyslexiques. Avant d’examiner les effets de l’apprentissage de la musique chez les enfants dyslexiques, cette équipe a comparé le traitement pré-attentif de la fréquence, de la durée et du VOT (c’est-à-dire l’élément acoustique permettant de faire la différence entre une consonne voisée, comme ‘b’ et non voisée comme ‘p’), chez des enfants dyslexiques et normolecteurs [26]. Vingt-quatre enfants dyslexiques de 10 ans en moyenne, et 24 normolecteurs âgés de 8 ans en moyenne, ont été divisés en 4 sous-groupes, deux groupes appariés sur l’âge chronologique afin de contrôler les effets liés à la maturation et deux groupes appariés sur l’âge de lecture. Les enfants écoutaient de manière non attentive (alors qu’ils étaient devant un dessin animé muet) une série de syllabes comportant de manière aléatoire des déviants portant soit sur la durée (augmentée ou diminuée de quelques millisecondes), soit sur la hauteur augmentée ou diminuée de quelques commas, soit surl’échelle de sonorité (entre ba et pa). Les modifications de potentiels évoqués auditifs (appelés MMN pour mismatch negativity) étaient enregistrées par un dispositif d’électroencéphalographie. Comme les enfants avaient leur attention captée par le dessin animé qu’ils regardaient, on dit que les modifications éventuelles de leur potentiel évoqué sont pré-attentives, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas identifiées consciemment, mais se font à l’insu du sujet. Les deux résultats principaux de cette étude furent que, du point de vue comportemental comme électrophysiologique, les enfants dyslexiques se sont avérés moins performants, et leur cerveau moins sensible aux variations de durée et de temps de voisement, alors qu'ils ne différaient pas des témoins pour les variations de hauteur. En d'autres termes, ce sont sur les variables temporelles que le déficit a pu être mis en évidence, évoquant à nouveau la théorie pré-citée du trouble du traitement temporel.

Plus récemment, les mêmes auteurs [27] ont montré que 6 mois d’entraînement musical normalisent cet aspect de leur perception, particulièrement le VOT, mais également à un moindre degré la durée, mais est resté sans effet sur la perception de la hauteur. Bien qu'ils ne fassent pas allusion au contenu rythmique de leur entraînement, il est probable que ce soit ce dernier qui ait pu modifier si spécifiquement les variables possédant une dimension temporelle et laisser inchangée celle qui n'en possède pas.

Toujours dans l’hypothèse d’une similitude entre la perception du langage et celle de la

musique, l’équipe de Usha Goswami a mené une série d’études cherchant à démontrer la pertinence d’un entraînement rythmique chez les enfants dyslexiques. Plus précisément, ces auteurs, se basant sur les résultats précédemment cités mettant en évidence un défaut de la perception des aspects métriques de la parole, et en particulier de la rapidité de « montée temporelle » (time rise) des successions de syllabes constituants le langage parlé, ont proposé que le cerveau des dyslexiques aurait des difficultés à aligner les fluctuations d’excitabilité neuronale endogènes dans les régions auditives, avec les pics d’amplitudes de la parole entendue, ce qui pourrait être à l’origine de leur trouble phonologique [28]. Une confirmation de cette constatation a été apportée par une équipe italienne [29] montrant que chez des dyslexiques italiens la performance à une tâche de perception de la métrique (plus précisément la perception d’une modification de durée d’une note au sein d’une série récurrente) est un robuste prédicteur de la vitesse et la précision de lecture d’un texte

Un travail de l’équipe de Nina Kraus [30] a porté sur l’effet d’un entraînement musical d’un an, incluant divers aspects depuis la perception de la hauteur et du rythme, l’utilisation de termes musicaux, jusqu’à l’improvisation, sur une tâche de tapping en synchronie avec un tempo donné. Des enfants de 8 ans considérés comme « à risque » de trouble d’apprentissage ayant bénéficié de cet entraînement musical se sont avérés très significativement supérieurs à des témoins appariés dans la tâche de tapping, suggérant pour les auteurs que cette population à risque pourrait, au vu de ces résultats, bénéficier grandement d’un enseignement musical systématique.

Dans cette même perspective, l’équipe lyonnaise de Barbara Tillmann [31] et Nathalie Bedoin [32] a récemment proposé à des enfants dyslexiques et dysphasiques une tâche d’amorçage où ils devaient écouter une amorce rythmique (des notes jouées par un instrument) soit réalisant une succession régulière, soit irrégulière, et juste après l’amorce devaient résoudre un problème de congruité syntaxique comme dire si une phrase (e.g. « Laura ont oublié son violon ») est correcte ou non. Les résultats montrèrent une nette supériorité de l’amorce régulière sur la performance des enfants dans la tâche syntaxique, ce qui, d’après les auteurs, procure un argument convaincant pour inclure la stimulation rythmique dans les protocoles de remédiation des enfants avec troubles développementaux du langage.

Récemment, une équipe italo-française [33], dans une étude méticuleuse de 83 enfants dyslexiques, ont comparé l'effet d'un entraînement rythmique systématique à une pratique d'arts visuels. Au cours de sessions de formation impliquant des groupes de 5-6 enfants, durant une heure, deux fois par semaine, les enfants se voyaient proposer soit un entraînement musical: mettre l'accent sur le rythme et le traitement temporel (utilisation par exemple des instruments à percussion, utilisation des syllabes rythmiques [ta, ti-ti,...], les mouvements du corps rythmiques accompagnant la musique, des jeux de synchronisation sensorimotrice); soit un entraînement à la peinture, selon un programme destiné à favoriser les compétences visuo-spatiales et la dextérité manuelle ainsi que la créativité. Les résultats ont été très nets, montrant un effet plus important de l’entraînement musical sur un test d'attention auditive et dans plusieurs capacités de perception et de production telles que testées par des tâches psychoacoustiques et musicales. Cela était particulièrement évident pour les tâches nécessitant un traitement temporel précis, comme la tâche temporelle de détection de l’anisochronie (une mesure psychophysique de perception de régularité temporelle) et la tâche de reproduction de rythme, dans lequel les enfants devaient taper une séquence rythmique déjà entendue. Le résultat de la tâche de production de rythme s’est avéré être le meilleur prédicteur de la conscience phonologique telle que mesurée par les tâches de fusion de phonèmes et de segmentation phonémique.

Les principes de la méthode

C'est donc à partir de ces différents éléments théoriques, et en nous basant sur des données issues de divers champs de la recherche, que nous avons entrepris de construire un outil musical à visée rééducative qui comprenne les principaux ingrédients qui, dans la pratique musicale, sont susceptibles d'agir sur le cerveau de la manière la plus efficace possible. Pour ce faire, nous avons tenté de construire une "boîte à outils" la plus complète possible eu égard aux possibilités offertes par une pratique musicale simple, c'est-à-dire faisant appel de manière exhaustive aux différentes composantes de la musique, et pour autant aptes à viser les différentes fonctions cognitives altérées, qu'elles soient linguistiques ou non linguistiques, y compris les fonctions transversales comme l'attention, la mémoire de travail, etc... Mais le principe qui nous est apparu à la fois fondamental et incontournable, et sur lequel tous les exercices son basés aussi systématiquement que possible, est le principe de l'intégration intermodalitaire, visant à renforcer les connexions inter-corticales sous-tendues par les grands faisceaux de substance blanche cérébrale, dont nous avons vu à quel point il peuvent être modelables par l'activité musicale.

Ainsi, le travail rééducatif proposé aux enfants dys aura une réelle visée restructurante sur les mécanismes qui sont actuellement considérés comme étant les meilleurs candidats comme cause des troubles constatés. Pour autant, ce travail ne vient pas se substituer à un travail rééducatif plus académique, tel que réalisé classiquement dans les cabinets d'orthophonie, c'est-à-dire visant à restaurer par exemple les précurseurs phonologiques ou visuo-attentionnels de la lecture. Il apparaît davantage comme un outil complémentaire qui vient enrichir la pratique tout en lui conférant une dimension artistique et motivante. Aucune expertise musicale n’est nécessaire pour entamer ce travail, ni de la part du patient qui sera progressivement guidé par des exercices progressifs, ni de la part du rééducateur qui va pouvoir utiliser un matériel dédié. De plus, l’équipement nécessaire est adapté à une pratique en cabinet d’orthophonie. Il convient de se munir essentiellement d’un clavier et d’un instrument à percussion pour pouvoir effectuer l’ensemble des exercices proposés dans la méthode.

Stimuler la segmentation de stimuli auditifs pour asseoir la segmentation de la chaîne parlée

Proposer un entraînement autour de la musique va impliquer de fait de se centrer sur l’univers sonore. Par cette écoute attentive, on va progressivement entraîner l’oreille à discriminer des différences discrètes entre des sons proches. On crée ainsi un contexte favorable pour le travail orthophonique spécifique proposé ultérieurement (par exemple discriminer deux phonèmes proches).

Exercices sur des extraits musicaux

Des tâches d’écoute de morceaux variés sont proposées aux enfants, issus du répertoire classique ou de la musique actuelle.

On amène l’enfant à percevoir la structure du morceau entendu (par exemple ne danser que sur le temps du refrain et rester immobile durant les couplets, proposer une tâche graphique au tableau avec la main droite sur le couplet, la gauche sur le refrain). Progressivement, on sollicite l’identification d’éléments de plus en plus subtils (l’entrée d’un instrument au sein d’une composition, un motif mélodique particulier). L’ensemble de ces tâches d’écoute sont soutenues dans un souci de multi sensorialité par des tâches de motricité globale ou fine en fonction de l’âge de l’enfant et des visées rééducatives.

Exercices visant les paramètres sonores de hauteur

Si la perception du paramètre de hauteur chez les enfants dyslexiques ne diffère pas de celle des normaux-lecteurs, une anomalie dans la distinction grave-aigue est souvent signalée. Cette représentation spatiale des hauteurs serait représentée par une ligne mentale verticale (proche de la ligne numérique mentale dans le domaine des nombres). Un déficit de cette représentation spatiale pourrait donc altérer la capacité à concevoir la position de deux notes sur cette ligne, ce qui rendrait difficile l’accès aux notions de grave/aigu. A un degré de difficulté de plus, discriminer un intervalle entre deux notes passe aussi par la représentation abstraite de ces deux notes sur un continuum, ce qui incite à proposer aux enfants chez qui ces distinctions sont difficiles, de passer par une représentation concrète dans l’espace, comme des marches d’escalier. Un codage corporel de la hauteur est donc proposé aux enfants, associé à une pré notation musicale volontairement dépouillée.

Fig 1 représentation corporelle de la hauteur.

Fig 2 carton de pré-notation des durées.

A partir de ce matériel, on amène l’enfant à organiser sa perception auditive dans des tâches variées de codage et de décodage successifs. La maîtrise de ce matériel permet également d’introduire un jeu instrumental au clavier, grâce à la création de partitions mélodiques élémentaires, sans être contraints d’utiliser la notation musicale complexe.

Dans les premières présentations des exercices on va fixer les autres paramètres du son (durée, intensité, timbre) pour centrer l’attention sur le traitement de la hauteur. On augmente ensuite progressivement la charge cognitive (en mixant les paramètres sonores (hauteur et durée par exemple), en proposant un nombre de notes à traiter plus étendu, en sollicitant des réponses différées ou contrariées) afin de stimuler davantage la mémoire, l’attention, et les fonctions exécutives en général.

Exercices visant les paramètres sonores de durée

Une autre caractéristique temporelle de la musique, et des sons en général, est la durée des notes. La notion de durée est capitale pour la capacité à reproduire la musique, comme elle est indispensable et indissociable de celle de rythme, puisque la marque écrite du rythme est précisément basée sur des symboles arbitraires (ronde, blanche, noire, croche…), représentant la durée selon un code progressif lui-même arbitraire où chaque durée est le double ou la moitié de la précédente.

Comme cela a été rapporté plus haut dans ce chapitre, une altération particulière de la perception des durées a été mise en évidence chez les dyslexiques. Qui plus est, fait intéressant, cette altération a pu être attribuée, grâce à des méthodes particulières d’électroencéphalographie, à un processus préconscient (dit « pré-attentif ») : il a ainsi été montré que le cerveau d’enfants dyslexiques ne réagit pas de la même manière à une différence de durée d’un son (dit déviant) au milieu d’une série d’un autre son de durée fixe (dit standard). Cette constatation est d’importance car elle prouve que les particularités de cette nature rencontrées chez le dyslexique, étant très précoces après la perception du son, ne peuvent être la conséquence d’un processus cognitif quelconque, mais peuvent en revanche être la cause des autres altérations constatées.

En d’autres termes, et c’est la position d’une grande partie de la communauté scientifique actuelle, tout laisse à penser que les difficultés rencontrées chez les dyslexiques dans le domaine de la perception auditive pourraient prendre racine dans une anomalie basique, unique, du traitement de certaines caractéristiques temporelles des sons.

De la même manière, un codage corporel et un codage visuel ont été introduits auprès des enfants pour soutenir leur perception auditive.

Fig 3 : codage corporel des durées.

Fig 4 : codage visuel des durées.

En sollicitant un investissement corporel on amène l’enfant à affiner progressivement cette perception de la durée du son et son alternance avec le silence. Cette sollicitation corporelle peut impliquer diverses parties du corps. Au niveau graphique, ce peut être de demander à l'enfant lorsqu'il entend un son de tracer un long trait horizontal sur une page et d'interrompre son trait à chaque interruption du son. On peut également proposer cette épreuve à l’enfant debout au tableau, en lui demandant de réaliser la tâche sur un tracé au tableau. Enfin, divers exercices sur un piano de sol pourraient avoir d'intéressants effets chez les enfants dyslexiques qui n'ont pas encore été identifiés comme tels.

Solliciter davantage la motricité dans la prise en charge orthophonique du langage écrit

Adjoindre une dimension motrice à l’ensemble des tâches perceptives et langagières proposées aux enfants est central dans le travail que nous préconisons. En effet, les arguments sont nombreux en faveur d'un rôle de la motricité dans le renforcement des perceptions auditives, et sans doute aussi dans les processus de conscience phonologique. En outre, diverses études en IRM ont montré, comme on l'a vu, l'effet de la musique sur le faisceau arqué qui unit précisément les régions sensorielles postérieures aux régions prémotrices antérieures. Solliciter davantage cet aspect dans la rééducation du langage pourrait permettre des apprentissages plus robustes.

Avec le jeu instrumental

Comme nous l'avons vu dans les paragraphes précédents, la littérature scientifique a apporté de nombreuses preuves d'effet bénéfique quand on couple la motricité aux tâches de perception du son. Aussi, associer par exemple le jeu instrumental à des tâches de conscience phonologique apparaît bénéfique. Nous proposons aux enfants d’utiliser le clavier ou un instrument à percussion (jouer une note par syllabe prononcée lors d’une tâche de découpage syllabique par exemple). L’utilisation conjointe d’un codage visuel avec les cartons de hauteur est également préconisée lors du travail au clavier.

Fig 5 : utilisation des cartons de hauteurs pour le découpage syllabique au clavier. On propose à l’enfant de jouer une note par production de syllabe. Une fois l’association note-syllabe effectuée (on joue un do sur la syllabe « cho », on va convoquer la conscience syllabique en proposant de nouvelles partitions. Par exemple, en recevant ce carton, l’enfant doit donc jouer mi-mi-do et produire simultanément la séquence « lat-lat-cho ».

En utilisant le rythme

Le travail sur le rythme et la pulsation est central dans l’entraînement que nous proposons aux enfants. Il est largement décrit que des difficultés à percevoir le rythme sont présentes chez ces enfants en difficulté de lecture.

On les amène au départ à percevoir la pulsation, puis à anticiper la durée entre deux pulsations (en programmant un geste moteur coordonné), enfin à internaliser cette pulsation. L’écoute de morceaux variés est utilisée à cet effet, sous la forme de 'medleys' pour solliciter chez l’enfant l’adaptation à des changements de tempo. Des tâches motrices sont associées (déplacements en marchant sur la musique, utilisation d’instruments à percussion, percussions corporelles, cupsong).

Un travail rythmique proprement dit est ensuite proposé, en utilisant les cartons de rythme et des tâches motrices et en coordonnant progressivement des tâches langagières.

Fig 6 : coordonner des tâches langagières avec les cartons de rythme.

En utilisant les comptines et les chansons à geste

Les comptines à geste sont un matériel idéal car elles coordonnent de fait la motricité, langage et musique. La mélodie est souvent très accessible (quelques notes, sans demi-tons) donc facilement reproductible par les enfants même jeunes. En outre elles permettent de distinguer sur le plan musical la pulsation (marche, frappés corporels), le tempo (vitesse de la pulsation qui augmente dans différentes pièces) et le rythme (façon dont les sons sont ordonnancés selon leur durée et les silences).

Par cette approche ludique de la langue, elles vont permettre de stimuler des habiletés d’écoute, de mémoire et d’attention auditive. La coordination motrice et la chronologie sont également sollicitées. Enfin, certaines comptines ciblent précisément certaines composantes phonologiques ou articulatoires, et des aspects lexicaux et syntaxiques.

Une production rythmée de la sorte mais lors de la lecture a été proposée récemment avec des résultats positifs sur la vitesse et la précision en lecture après 9 sessions de 30 minutes d' "entraînement à la lecture rythmée" [34].

Solliciter des procédures successives de codage et de décodage

Un autre avantage de cet entrainement cognitivo-musical est qu’il va solliciter des activités de codage et de décodage successives par l’utilisation des cartons de hauteurs et de durée. Si le code abstrait utilisé ne revêt pas de dimension linguistique, ces procédures de transcodage apparaissent proches de celles convoquées dans l’acte de lire.

Aussi, les exercices sont paramétrés pour proposer un entrainement intensif de ces procédures de transcodage, avec un grand nombre de cartons proposés. La flexibilité cognitive est en outre sollicitée car les changements de cartons sont fréquents, l’enfant se retrouve donc dans une situation où il doit réorganiser fréquemment sa production.

Stimuler les fonctions exécutives et la mémoire

Le jeu instrumental, même à minima, demande une grande exigence sur plusieurs plans. En effet, il requiert la simultanéité et la séquentialité de plusieurs tâches. La lecture d’un code symbolique abstrait tout d’abord, puis la planification d’une action motrice bimanuelle qui exige une grande précision gestuelle et temporelle. Enfin, l’intégration d’un feed-back multimodal (auditif, kinesthésique, visuel) est également sollicitée. Aussi, les capacités attentionnelles et mnésiques du sujet apparaissent grandement sollicitées.

D’autre part, l’ensemble des exercices est conçu pour aller stimuler plus spécifiquement certaines composantes, et pour permettre une augmentation progressive de la charge cognitive portée (nombre de notes proposé, durée des extraits, réponses contrariées ou différées).

Enfin, la pratique de groupe vivement conseillée dans ce type de remédiation sollicite de fait ces compétences. Jouer ensemble nécessite de fait d’être en double tâche, centré sur sa partition mais également à l’écoute du jeu du voisin.

Convoquer la motivation

La musique nécessite un apprentissage très exigeant qui demande de produire des efforts importants et de répéter ces efforts dans la durée. En cela, cela ne diffère pas vraiment de toute situation d’apprentissage complexe comme la lecture par exemple. Cependant dans ce cas le résultat produit est esthétique, ce qui devient extrêmement valorisant et motivant.

Rééducation cognitivo-musicale : quelques résultats expérimentaux

Nous présentons ci-dessous brièvement, pour terminer, les principaux résultats obtenus à ce jour d'études visant à évaluer l'efficacité de la rééducation cognitivo-musicale sur plusieurs groupes d'enfants dyslexiques et non dyslexiques, dans le but de favoriser les processus connus pour favoriser ou préparer l'apprentissage de la lecture : la perception phonémique, la conscience phonologique, l'attention auditive, la mémoire auditivo-verbale à court terme, la mémoire de travail.

Dans une première étude [35], nous avons recruté un groupe de 12 enfants de 8,2 à 11,7 ans (moyenne 10 ans 7 mois), ayant en commun un diagnostic de dyslexie sévère ayant débouché sur leur inclusion dans des classes spécialisées et un SESSAD pour enfants dyslexiques (ce qui sous-entend qu’ils étaient déjà traités de manière intensive par des méthodes rééducatives classiques). L’entraînement dans son ensemble a duré 3 jours, 6 heures par jour, soit un total de 18 heures. Les enfants dyslexiques étaient répartis en 3 groupes de 4 et affectés à un des 3 ateliers : un atelier de rééducation orthophonique, un atelier de pédagogie musicale et d’initiation au piano, un atelier de percussion et d’exercices rythmiques corporels. Dans chacun des 3 ateliers, les exercices réalisés respectaient strictement les caractgéristiques décrites ci-dessus de 'entraînement Mélodys®. Chaque session durait 45 minutes, avec une pause de 15 minutes avant de passer à l’atelier suivant. Chacune des trois journées comportait la même succession d’ateliers, avec en fin de journée une réunion de l’ensemble des enfants dans une salle de danse, où ils étaient pris en charge par une enseignante spécialisée pour un travail de danse folklorique. Les variables évaluaient ciblaient trois aspects différents de la perception auditive qui n'étaient pas travaillés lors des exercices : le voisement, par une épreuve de perception catégorielle sur le phonème ‘b’ dans la syllabe [ba] (identification et discrimination) ; la durée, par une épreuve de décision d’incongruité de la durée de la syllabe centrale de mots tri-syllabiques ; et la hauteur, sur une épreuve de jugement d’exactitude lors de l’écoute de fragments de comptines célèbres.

Figure 7 : Test de perception catégorielle [ba]-[pa]. Le matériel consiste en un continuum acoustique constitué de 9 pas entre les phonèmes ‘b’ et ‘p.. : par rapport à des témoins normo-lecteurs (en bleu), les enfants dyslexiques avant traitement (en rouge) catégorisent imparfaitement en intra-catégoriel avec une frontière intercatégorielle moins abrupte. Ces deux particularités s’estompent après traitement (en vert), avec en particulier moins de perception allophonique. ANOVA à mesures répétées : F (1,21)=2,8; p=0.0051.

Les principaux résultats furent les suivants : dans l'épreuve de perception catégorielle, une quasi-normalisation de a capacité de catégorisation des phonèmes voisés et non voisés (figure7); dans l'épreuve de perception de la durée, également, une amélioration significative des performances après les 3 jours d'entraînement; enfin dans l'épreuve de jugement de hauteur, les dyslexiques n'étaient pas inférieurs aux témoins et donc ne se sont pas améliorés significativement après entraînement.

La deuxième étude a porté sur 12 enfants de 7 à 12 ans, scolarisés dans une classe spécialisés pour enfants "multi-dys", et a consisté à proposer les mêmes exercices durant une durée totale identique à l'étude précédente (18 heures) mais répartis sur 5 semaines, à raison de 2 séances par semaine. Bien que moins spectaculaires, les résultats n'en ont pas moins été significatifs, en particulier sur trois variables qui n'avaient pas été étudiées dans l'étude précédente : la lecture, la conscience phonémique et l'attention auditive. Le protocole et les résultat sont résumés sur la figure 8 : les 12 enfants étaient testés 4 fois, une fois avant l'entraînement (T2), une fois juste après T3), une fois 6 semaines avant le début (T1), et une dernière fois 6 semaines après la fin de l'entraînement (T4). Les améliorations attendues ont été observées durant la période d'entraînement pour les trois variables (soit entre T2 et T3), mais pas entre T1 et T2, ni entre T3 et T4, confirmant le fait que tant la conscience phonologique, que la lecture de mots et l'attention auditive ont été spécifiquement sensibles à l'entraînement musical.

Figure 8 : représentation schématique du déroulement dans le temps du protocole expérimental : 3 périodes successives de 6 semaines entre lesquelles les 12 enfants ont été testés 4 fois (T1 à T4). Les ateliers ont pris place entre les mesures T2 et T3. Les trois variables étudiées se sont améliorées significativement entre T2 et T3, soit la période entraînée mais non durant les deux périodes non entraînées.

La troisième étude, quant à elle, a porté sur des enfants de grande section de maternelle, scolarisés dans un secteur socialement défavorisé, et ayant reçu deux formes différentes d'entraînemnt l'un avec Mélodys, l'autre avec une quantité identique d'activités d'arts visuels (2 séances de 30 minutes par semaine durant 6 semaines). Les deux groupes ont été testés trois fois, une fois avant et après l'entraînement (Mélodys ou art visuels) et une fois 6 semaines plus tard [36]. Comme on le voit sur la figure 9, seul le groupe Mélodys s'est amélioré significativement à la fin de la période d'entraînement sur deux tâches de conscience phonologique (comptage syllabique et suppression syllabique) mais les deux se sont améliorés significativement sur une tâche de mémoire de travail (empan envers).

B

A

n.s.

n.s.

**

**

D

C

**

**

n.s.

n.s.

Figure 9 : performance moyenne de 18 enfants de grande section de maternelle dont la moitié a bénéficié d'un entraînement musical, l'autre d'un entraînement d'arts plastiques, testés trois fois avant, juste après et 6 semaines après la fin de l'entraînement à l'aide de 4 épreuves du BSEDS.. A: épreuve de comptage syllabique (note /8); B: épreuve de suppression syllabique (note/10); C : épreuve d'empan de chiffres; D: empan envers.**=significatif à 0.01; n.s.= non significatif. Ligne bleue : moyenne des témoins de même âge.

On notera en outre que les performances moyennes pour chacun des domaines explorés se situe au départ à plus d'un écart-type en-dessous de la moyenne attendue pour l'âge, ce qui reflète l'effet délétère du milieu socio-économique défavorisé sur les précurseurs linguistiques et cognitifs de la lecture. Cela incite à penser que l'entraînement, en particulier musical, a eu pour effet de restituer un niveau normal aux systèmes cognitifs dont l'intégrité est réputée indispensable aux apprentissages fondamentaux.

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