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REVENANTS Les enfants ont quelque chose de fantomatique en eux ou qui gravite autour d'eux. Que ce soit ce matériel génétique qui bouillonnent ou l'enveloppe culturelle qui s'en empare. Les enfants, de tout cela, ils ne s'en saisissent non comme des choses en soi mais comme des eets, des phénomènes, des images dont ils se parent comme d'une étoe pour, en creux, développer leur subjectivité propre. Voilà le fonctionnement de la transmission : d'une chose on ne peut retenir que ses eets à partir desquelles l'on bâtit une nouvelle chose. R A P H A Ë L P E T I T P R E Z 1 / 12

Revenants - Raphael Petitprez - 2014

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Les enfants ont quelque chose de fantomatique en eux ou qui gravite autour d'eux.

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REVENANTS

Les enfants ont quelque chose de fantomatique en eux ou qui gravite autour d'eux. Que ce soit ce matériel génétique qui bouillonnent ou l'enveloppe culturelle qui s'en empare.Les enfants, de tout cela, ils ne s'en saisissent non comme des choses en soi mais comme des effets, des phénomènes, des images dont ils se parent comme d'une étoffe pour, en creux, développer leur subjectivité propre.Voilà le fonctionnement de la transmission : d'une chose on ne peut retenir que ses effets à partir desquelles l'on bâtit une nouvelle chose.

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Les enfants sont des revenants. La reproduction sexuelle est fabrique à revenants (du passé expulsé dans l'avenir).Oui, les enfants cherchent à s'identifier... mais on parle moins de l'adulte qui se reconnaît dans l'enfant, du corps qui se rappelle qu'il a été autre chose, qu'il change.On dit souvent qu'avec les hommes préhistoriques est arrivé la conscience de la mort (cf. les premiers rites funéraires) et qu'une corrélation avec les premières formes d'expressions artistiques peut être faite (en tant que celles-ci se transmettent de génération en génération, ainsi traversent le temps).

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Je crois que, cette conscience du temps par le corps et de sa finitude, se fait tout autant par le renouvellement des générations (du tête à tête que l'on a avec ces têtards) qu'avec les vieillards qui nous meurent sur le dos. Temps qui revient par les enfants, temps qui s'enfuit par les mourants.Créer une vie non-organique, ce que l'art est, procède de ce double registre temporel (nouveau-né et cadavre à la fois).Faire en retenant. Retard, reprise — sans fin.Il s'agira ni de systématiquement épuiser ni de s'abstenir tout à fait.Retenir en faisant.Ne pas chercher une signification sexuelle à tout.

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Mais se demander à quoi pense-t-on dans l'acte sexuel ?Ne pas, ne pas, nœud-papillon.Le sexe est surdéterminé  : à la fois lieu de l'orgasme pour l'individu et voie de procréation pour l'espèce.Le sexe est le lieu où passe à la fois la volonté individuelle et la volonté de l'espèce (collective), l'une voilant l'autre (liberté et conditionnement).Double causalité, double finalité donc. Produisant principalement deux illusions comme autant de possibles modes d'existence.Première illusion dans laquelle nous vivons  : l'orgasme autant que la conscience et la volonté individuelle ne sont que des ruses que notre

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nature animale a créé pour parvenir à reproduire l'espèce. Misant sur la possibilité de «  ne pas  » comme injonction « à ». La liberté de l'être humain reste un détour pris par le biologique pour le conserver sous joug (une spéculation au niveau individuelle comme moyen le plus efficient pour reproduire l'espèce).Seconde illusion dans laquelle nous vivons  : la spécificité humaine, s'abandonner à son désir de mort, tout du moins flirter avec, comme exercice de conjuration.L'art, la technique, le langage, les sciences seraient les avatars de cette étrange habitude. Faire en retenant. Faire en fabriquant des

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revenants. Créer une vie non-biologique  : copier la mort, refaire parler les morts.Nos premiers souvenirs, sont des souvenirs qui ont comme support le langage. C'est pour cela qu'ils peuvent arriver jusqu'à nous, car ce langage nous l'utilisons encore.C'est vers 3-4 ans que le langage s'intègre physiquement en nous (c'est-à-dire que notre centre de conscience passera par lui désormais) et c'est généralement vers cet âge que remontent nos premiers souvenirs.Dès sa naissance et même avant le bébé subit des stimuli verbo-moteurs, verbo-auditifs et verbo-visuelles. Il intègre le langage par imprégnation, par absorption, par mimétisme, par

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conditionnement (non par raisonnement ni par choix).

Le premier support, cognitif dirions-nous, celui d'avant le langage, naturel, est le rêve. Le fœtus dans le ventre de la mère, paraît-il ,rêve déjà.Et c'est pour cela qu'avant notre acquisition du langage, il nous est impossible de remonter (du moins consciemment). De l'obscurité du rêve jusqu'à la transparence du langage, il y a eu comme le passage d'une technique à une autre et dans ce cas il y a ce qu'il se passe toujours  : écrasement de l'une par l'autre et, perte et dissociation.

Des neufs mois plongé dans l'obscurité et le rêve nous passons à une alternance du jour et la nuit,

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d'un état état de veille à un état de repos (car la part du rêve est toujours là) avec comme médium le langage qui d'extérieur se constitue intérieur.Le langage est la première technique que nous intégrons, elle la technique la plus légère, la plus portable que nous aurons. Il peut être comparé à un moyen de transport, bien que nous-même, par notre corps, restons statique il peut prendre notre place par la parole ou l'écrit et se téléportait ou bien à l’inverse nous pouvons recevoir, accueillir la parole ou l'écrit d'autres personnes.Travailler à son immortalité et à son ubiquité, voilà ce que permettent les arts et les techniques (cf. l’Egypte Antique, Boris Groys). Voilà ce qui se cache, aussi, derrière les expression comme créer

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une vie non-organique (Deleuze dans Pourparlers) ou l’incarnation imaginaire (François Noudelmann sur Sartre).L’immortalité n’est pas l’éternité et elle ne s’oppose pas tout à fait à la mortalité (elle s’appuie dessus, la prolonge plutôt).L’incarnation imaginaire suit de très près l’incarnation biologique, à croire qu’elles n’en fassent qu’une ; et d’où aussi leur inversion dans la plupart des croyances, des mythes, des religions et des idéologies — en ce sens, ce serait le verbe (incarnation imaginaire) qui s’est fait chair (incarnation biologique) — alors que, comme Nietzsche, il faudrait considérer que “ la conscience est la dernière et la plus tardive

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évolution de l’organique et par conséquent ce qu’il y a de plus inachevé et de moins solide”.La technique comme moyen d’être-là, de s’incarner par l’imaginaire.Le rêve (pour nous mammifères) est cette technique naturelle de produire du soi, de se reproduire soi-même. Ensuite c’est le langage spécifique à chaque espèce qui prend le relais (en fonction des possibilités biologiques et culturelles, c’est -à-dire selon des modes d’existence).

Et si nous devions mesurer l’intelligence, réellement, ce serait en terme d’immobilité, d’obscurité et intégration totale à ce qui l’environne, eh bien, le minéral en serait le

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parangon. Et bien après le végétal, l’animal, l’humain, qu’on aime à distinguer, et son langage qui (de cette intelligence) en est l’ultime chute.Ce que l’humain appelle l’intelligence, son adaptation à son milieu et son habilité intellectuel, est tout simplement l’inverse.Plus le cerveau est gros plus, semble-t-il, l’animal doit lutter contre son environnement, se dépenser, trouver des parades, de détours pour pouvoir exister.Le repos n’est présent qu’à titre de souvenir (avant la naissance) ou par intermittence (le rêve) ou comme inexorable issue (la mort) non comme une chose en soi, stable et palpable.

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Plus le cerveau est gros plus c’est l’angoisse, l'inquiétude qui structure l’existence.La supercherie que l’humain s’est trouvé pour pallier à ça : la technique. La première qu’il s’inocule est celle du langage (ou de la conscience) avons-nous dit. À partir de là il dissociera tout en deux réalités bien distinctes, enfin bien distinctes dans les faits, mais pas vraiment pour lui (confusion donnant lieu à différentes croyances, idéologies qui se succèdent en se prolongeant, ou en s’inversant et qui en fin de compte ne sont que diverses tentatives de description, d’explication).

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