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REVOLTES ET REVOLUTION PAYSANNE DANS LA FRANCE CONTEMPORAINE

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R E V O L T E S ET R E V O L U T I O N PAYSANNE DANS L A F R A N C E C O N T E M P O R A I N E

pm PLACIDE RAMBAUD

Eco& Pratiqru &s H u t u &aks ( S w b m ) , Pan2

Depuis plusieurs anntes, des mouvements de protestation agraire, puissants, collectifs, presque permanents, secouent en profondeur la vie r u d e franpise. Des coltres subites, parfois violentes comme celle qui a oppost, le 2 juillet 1963 A Avignon, 5000 paysans a w forces de police, contribuent A inquitter et A informer l'opinion et les pouvoirs publics. Ce ccmCcontentement)) gtntral, ce ((malaise)), cette ctcrisen, le monde agricole et ses observateurs le pensent de plus en plus en termes de catvolte,) et de caCvolutionn. Mais l'imprCcision de ces concepts ne recouvre-t-elle pas la relative in- dtcision des homes , l'ambiguitt de leurs positions, les conflits internes A leurs perspectives?

I1 serait cependant simpliste d'affirmer que les paysans se croient rtvolutionnaires tandis qu'experts et politiques les rtduisent A des rtvoltts. Les ruraux em-memes divergent et s'opposent autour de la notion de rtvolution, de son originalitt et de ses chances. En luttant pour le remodelage des structures, la diminution de la population agricole, l'insertion de l'agriculture dans l'tconornie d'ensemble, les jeunes syndicalistes dtfinissent leur viste: ((Une rtvolution ne se fait que lorsqu'une minoritt organiste a pu degager et exprimer le contenu latent des aspirations en suspens daus la masse et l'a aidke A en prendre conscience, (Debatisse, 1963, p. 250). Au P d Comuniste, ils apparaissent (pseudo-rtvolutionnairesn p a r e que, pour la plupart formts par I'Eglise, ils cherchent la concentration agraire au dttriment ,des petits exploitants, acaoissent la prolttarisation en souhaitant l'exode rural, toltrent les grandes entreprises capitalistes (Rochet, 1963, pp. 3 10-3 I 3). D'autres interprttent cette transformation en cours comme un ccphknornhe sociologique comparable B la revolution industrielle du xIxe si&clen (Le Figaro, 29 juillet 1963). Notre propos n'est pas de juger si la paysannerie franpise est seule-

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ment en situation de rtvolte ou dtjA de rtvolution, ni de verifier la valeur de ce double schema d’analyse, ni d’tclairer le processus de ptnttration d’un ((mot)) jusque dans les villages les plus isolts. A travers quelques ouvrages, articles et rapports de congrks parus rtcemment, au-deb des principales manifestations agricoles qui ont marquC l’annke 1963, nous essayerons de dkceler les mutations de certaines attitudes paysannes dont la signification est peut-Ctre dt- cisive pour le present et l’avenir de l’agriculture. Certes les prises de position des rcsponsables syndicaux ou les reflexions des spkcialistes ne s’identifient pas ntcessairement aux opinions de la masse rurale. Mais la multiplicitt des rassemblements revendicatifs, leur dispersion gtographique, leur volume (celui du 24 janvier 1964 aurait groupt, selon les organisations professionnelles, cinq cent mille participants) soulignent la diAusion des transformations tvoqutes. La vtritable nouveautd est dans cette gkndralisation.

L A VOLONTB DE C H A N G E M E N T SE G ~ N E R A L I S E

Les progrts techniques modifient chaque jour davantage la mentalitt et les componements des ruraux et un sociologue amtricain y voit un signc certain que la France entitre se transforme (Wylie, 1963). Aujourd’hui, dans toutes les regions et dans toutes les couches du monde agricole, la volontt de changement, aux formes parfois contra- dictoires, devient une des attitudes caractdristiques. Elle anime les mistreux et les riches, les traditionalistes et les progressistes. Elle s’accompagne d’une coltre au rnoins latente, chargte d’dectivitt qui explose A chaque occasion favorable et accroit la puissance de contestation en la rendant parfois anarchique. I1 n’est pas toujours facile de dtpartager les aspirations des insatisfactions, la vkritable revendication de la critique passive. En tout cas, les paysans se savent unis dans un ((sentiment collectif de frustration)) (Debatisse, 1963, p. 28) . 11s prennent conscience de leur retard sur les autres groups sociaux, de l’inefficacitt de leurs reprtsentants politiques. Dans la dichotomie ccvilles-campagnes)), ils exptrimentent l’inft- rioritt mieux connue de ces dernitres.

Jeunes et view persoivent l’inadaptation de leur productivitt et de leur situation aux conditions de la vie moderne. Une dynamique de mouvement pousse les uns A hausser leur travail au niveau d‘un mttier tquivalent A ceux des autres secteurs, fait dkcouvrir l’adapta- bilitd aux exigences de la soa t t t c o m e la qualitt majeure de l’agri- culteur de dernain, prend corps en realisations tconomiques, syndi-

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Rtvo/tez c t rivolukion payrannc I 0 3

cales et politiques. Pour d’autres, plus nombreux qu’il ne parait parfois, moins organisCs peut-ttre dans leur expression publique, (<la solution du probkme rural exige la remise en cause de la sociCtt actuellen et de la domination industrielle. Dans sa forme extreme, soutenue par une idtologie de droite, ce courant voit dans l’agriculture la chase de la prospCritC gCntralen, dans le paysan cd‘homme utile no I)), dans ccle paysannat ni une profession, ni un mCtier, m a i s un &tat>> (Leblanc-Penaud & Fontaine, 1963, pp. 141 et 6-7).

Changement de soi-mCme d’abord ou changement de la socittt refoultc A I’extCrieur de soi pour garantir son propre immobilisme sont deux tensions qui cxpliquent bien des comportements. Leur ligne de clivage n’est pas fonction de l’ige, ni de la taille de l’exploitation; elle passe souvent A l’inttrieur du m€me individu pour laisser Cmerger l’un ou l’autre pBle selon les moments. La divulgation des ttudes et des statistiques donne au monde paysan une conscience collective d’etre encore A part tout en l’aidant h prtciser les objectifs de ses revendications. Fait social de premitre importance, cette information de masse scelle l’unitt paysanne A un certain niveau, malgrC la diversitt des situations ou l’antagonisme des intkrets.

U N N O U V E L H O M M E BCONOMIQUE

Obtenir la paritt Cconomique avec les autres groupes sociaux, tous jug& priviltgiks, est une des aspirations les plus profondes et les plus hargneuses des masses paysannes. En effet, dans les pays industrialisks, par une manitre de ccpaup4risation relative)) (Meynaud, 1963, p. IS), le revenu agricole moyen demeure toujours infdrieur au revenu non agricole. De 1900 h 1960, la part de l’agriculture franpise dans le revenu national est tombee de 35% A 11%’ pour une population active agricole tgale aujourd’hui A 20% ; en 195 6, les dtpenses annu- elles des menages agricoles sont infdrieures de 3 1’4% A celles des familles urbaines. D’deurs l’abondance de la rtcolte se solde souvent par une moindre recette. Les besoins alimentaires sont intlastiques, or 90% de la production agricole franpise est faite de biens alimen- takes; les dtpenses consaates A la nourriture sont moins que pro- portionnelles au revenu disponible. Vendcurs en gros de produits bruts et acheteurs au detail de produits finis, les agriculteurs mesurent h ce carrefour les contraintes Cconomiques de la socittt contemporaine. Pour amtnager les contradictions de cette disparitt, meme le petit

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104 Placide Rambaud exploitant presque encore autarcique s’hypnotise sur le probltme des prix A ctactualisem avec les prix industriels.

Grtes la garantie des prix est une revendication traditionnelle, mais la prirnaute qu’elle acquiert implique un changement radical d’attitude qui met les agriculteurs en conflit permanent avec la socittt. Elle signifie que les paysans deviennent d’abord des vendeurs, habituts qu’ils dtaicnt A etre avant tout dcs produaeurs; cette dimension - nouvelle par son ampleur - modifie en son fond l’acte de produire lui- mtme et la notion d’agriculteur dont le centre d’intkret se trouve dtplact, la competence aeontee A des exigences incontrdables. G bouleversement surgit du passage rapide d’une tconomie de pknurie A une tconomie de relative abondance ou dtjA parfois de surproduction et les agriculteurs savent que ces difficultes iront crois- sant.

Disposant de 50% de la surface utile de 1’Europe des Six, ils voient la France devenir d’usine agricolei) de ce vaste ensemble et mani- festent devant les (accords de Bruxelles), signds le 23 decembre 1963 une satisfaction inquidtde par les risques de concurrence. 11s deman- dent aux pouvoirs publics de a t e r des dtbouchts et en mCme temps exigent d’ar rCt immtdiat de toutes importations de produits en cours de recolte en France)) (6. Le Monde, 3 juillet 1963). Pour adapter l’of€re A la demande, ils essayent d’instaurer une politique de crla qualitd),, constituent des agroupements de producteursn ou des ctcomitts tconomiques agricoles),, s’ingknient A dtudier le goQt des consommateurs, s’avancent vers l’integration horizontale et verticale.

Gt te orientation vers le long terme se double d’actions immediates par les comitts de vigilance ou le commandos, de manifestations ptrio- diques. Les rassemblements de protestation suscitks par la mtvente relkvent d’une veritable sociologie des produits agricoles ntcessaire pour comprendre la vie des campagnes franpises. Les paysans ouvrent lc dialogue ou entrent en confit avec le gouvernement, resserrent leur solidaritk, se precisent A eux-m&mes leur insertion dans la socikte, dbertent leurs champs au moment oh ils af€rontent le march6 et la gtographie de cette agucrre>) se dkplace selon les types de produits. Debut juillet, le mdcontentement mobilise les paysans du Midi, fournisseurs de f i t s et lkgumes; en aoiit, ceux du Nord dtfendent le march6 des pommes de terre de conservation; en oaobre, les viti- culteurs de l’Htrault mettent les drapeaux en berne et proclament qu’ils m e capituleront pas devant un gouvernement qui a dtclart la guerre au Midi viticole),. Ainsi I’entrte du consommateur au centre de l’exploitation a sans

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RiYoItes c t rholntion pqsannc 105

doute provoqut la rtvolution psychologique la plus profonde des demikres dtcennies. Les agriculteurs sentent remise en question leur traditionnelle indtpendance identifite A la maitrise de leur travail; ils ne persoivent pas toujours l’importance de ce nouveau venu ni ne savent facilement rtpondre A ses besoins. 11s sont contraints cependant d’accepter, voire de solliciter les disciplines collectives du marcht et de la planification, battant en br&che l’individualisme agraire. L’ajustement de la production A la consommation crte des relations sociales intdites, introduit dans un conflit d’une violence intgalk. Les forces du marcht, imptrialistes, veulent devenir mai- tresses de la production elle-meme, sapent le pouvoir tconomique des cooptratives, dtjA peu efficaces A cause de leur dispersion (elles sont plus de 16.000 avec un million d’adhtrents). A celles-ci d’ailleurs, les entreprises industrielles privtes reprochent de fausser la concurrence griice A leurs ccprivil&gesn financiers et fiscaux, d’ktre incapables d’augmenter les prix A la production en les abaissant i la consom- mation, de menacer ((la libertt)) en se faisant les instruments d’une ((collectivisation totalen ou d’(<une planification autoritaire)) (Entre- prise, 1962).

Les agriculteurs souhaitent par contre rester ou devenir maitres de leurs produits jusque chez le consommateur par la vente directe (c.N.J.A., 1963). Par M ils entendent arracher une part de leur dti i ceux qu’ils estiment des ctaccapareurs)) profitant de l’incohtrence de la distribution. Cette reprtsentation sociale est un des traits essentiels de la c o k e paysanne, accrCe encore par le fait que les centres de dtcision jusqu’ici localists dans l’exploitation se dtplacent vers des lieux inconnus. Mais au-deli les agriculteurs ne cherchent-ils pas A prolonger cette autonomie que longtemps leur a conftrte par sa nature l’aae produaeur?

La sociCtC industrielle en lhe au produit agricole beaucoup de son ancien prestige social. L’abondance, les fluctuations et les manipula- tions du march&, la bataille autour du produit paradodement le dtvalorisent a m yeux des paysans eux-memes. Dans cette attitude rtcente prennent naissance les rtvoltes dont il est l’occasion. Dttruire sa production eat ttt pour l’exploitant franpis d’il y a vingt a n s un vtritable ctsacriltge)); ce comportement est devenu une forme de protestation reconnaissant sa propre impuissance. Le kcher de porcelets dans les rues au depart d’une Ctape du Tour de France, le dtversement sur les routes de pommes de terre primeurs akrostes de gas-oil expriment plus qu’une dCception passionnee. Les distributions gratuites aux automobilistes, l’ccopkration sourire))

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I 06 Placide Rambaud r6aliste par les agriculteurs de la region Provence-Mediterranee les 14 et 23 juillet 1963, I’ttoptration sucre et vkrite)) decidee le 3 0 no- vembre par ceux du dtpartement de la Somme temoignent d’une amabilitt publicitaire pour s’allier, contre ctles)) intermddiaires, les consommateurs agacts par les grhves, les barrages routiers, la chert6 de la vie. Elles veulent Ctre un moyen d’information transformant les produits en ((mass media)).

Cette sensibilite au produit et A son prix, alors qu’il y a moins d’un quart de siecle comptait surtout la possession de la terre, unit et divise la paysannerie. Quand une partie travaille A modifier les structures, elle se fait accuser de sacrifier le revenu au profit d’hypo- thktiques reformes. Ce meme immtdiatisme incite d’autres A accroitre la production et donc les difficultts de vente des que les pouvoirs publics garantissent les prixl. Ce comportement para-economique ne cache-t-il pas des tensions et une inquietude plus radicales?

L E R E M O D E L A G E I N T E R N E D E L A S O C I B T B R U R A L E

ctA la charnike meme de la revolution paysanne)), ctaussi dechirant pour les jeunes que pour les vieuxn, beaucoup placent le conflit des gentrations (Debatisse, 1963, p. 47). Avec 43y0 de chefs d’exploitation Pges de plus de 56 ans, avec une masse d’agriculteurs obliges de tra- vailler la terre aprks 65 ans, parce que l’kpargne leur a ete impossible et que la retraite-vieillesse leur procure seulement 54 francs par mois en 1962, avec la cohabitation, ineluctable pour 42,jy0 des menages dans les Basses-Pyrenees par exemple, des rCvoltes silencieuses, des departs agressifs A peine compensts par m e promotion personnelle desorganisent les campagnes. La diminution de 2 5 % de la population active agricole entre 1954 et 1962 avec des maxima dkpartementaux de 39,7%, depassant toutes les previsions et tous les souhaits, ac- centue encore le desarroi. Celui-ci est-il dQ A la simple pression dtmographique qui, dans les societes modemes, tend A remplacer les gtntrations A un rythme jamais COMU encore et fait du vieillissement un probkme social?

L’importance prise par les jeunes, leur refus de l’autoritarisme des cwieux)) accusts de retarder le progrks technique marquent I’avkne- ment, en germe au moins, de la ttdemocratie)) qui accorde davantage de valeur aux h o m e s qu’aux choses et qui, correlative au ttmeurtre du phren, gagne a p r b les villes tous les villages. La Jeunesse Agricole Catholique centre sa campagne 1962-1963 sur les probkmes de la democratie; le Centre National des Jeunes Agriculteurs et celui des

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RiYoltcr e t rhointion payranne 707

Jeunes Patrons se soucient avant tout de respecter les cxigences fondamentales de la personne. Cette attention aux personnes implique une attitude nouvelle et juge la modernitt d’une socittt. Ici, elle s’exprime dans le souci collectif des vieillards, dans la place faite rtcemment aux femmes et aux jeunes.

I1 a fallu attendre 195 6 pour que les membres majeurs de la famille qui ne sont pas le chef d’exploitation soient acceptts c o m e adhtrents par les syndicats. Si les femmes refusent de plus en plus un travail trop pknible, elles entendent participer A tgalitt avec les hommes A la gestion de la fenne, aux dtcisions syndicales, parfois dtjA aux manifestations de masse. Les agriculteurs sc scandalisent maintenant du faible investissement intellectuel dont Mntficie la campagne. En 1918 encore, 79,7y0 de leurs fils 2gCs de 14 A 17 ans Ctaient dtjA au travail. Chaque annte, 2,2% obtiennent le certificat d’ttudes post- scolaires agricoles , 6,9% entrent dans l’enseignement secondaire. Beaucoup de paysans entendent que leurs enfants acquitrent la parit6 culturelle avec ceux des villes. 11s acceptent l’exode rural c o m e une nkcessitt tconomique, rkclament pour les partants une prtparation professionnelle, justifient l’tmigration par le libre choix que chacun doit faire de son mttier. Dans ce transfert volontaire de main-d‘aeuvre, dans cette attention aux besoins des hommes, les consemateurs saisissent ( a n facteur d‘aihiblisserncnt de la cause paysannen et un risque de adtstquilibren pour la socittt; selon eux, la diminution du nombre des agriculteurs n’accroit pas proportionnellement leur revenu moyen.

Ainsi, partout la certitude grandit que les seulse fforts tconomiques ne peuvent rtsoudre le probltme rural. D’ailleurs nombre d’agri- culteurs se savent aptes A dominer les difficultts de la production et commencent A souligner le retard de leurs ingtnieurs. En constquence, les techniciens se trouvent dtsemparts ou htsitants sur leur efficacitt et leur raison d’etre. Les jeunes, notamment, se sentent dtdassts par rapport A leurs homologues indusuiels, soufient de l’isolement social et dksertent les tkhes proprement agricoles. Les cultivateurs ne voient pas toujours dans ces mttiers une promotion et fournissent A peine le quart des tltves des k o l e s Nationales d’Agriculture.

DU P R O P R I ~ T A I R E A U T R A V A I L L E U R

Dans cette lente tvolution, une autre dimension, et non des moindres, est le primat donnC de plus en plus au travail sur la proprittt foncitre, au travailleur sur le proprittaire. Le Code napoltonien dtfinit la

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proprittt c o m e cde droit de jouir et de disposer des choses de la maniere la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibt par les lois),. I1 reconnait en elle I’espace oh les individus, libres et tgaux, se dtveloppent en se protkgeant contre les empittements de la socittd. L‘industrie accordant une importance particulitre au travail et A d’autrcs formes de possession, les agriculteurs i leur tour valori- sent le labeur et l’esprit d’entreprise au dttriment du fonds ; vers I 900, il est vrai, la valeur de la terre reprtsentait huit fois celle du capital d’exploitation tandis qu’aujourd’hui les d e w tendent A devenir tgales. Partout maintenant ils consoivent la terre d’abord comme un instrument de production, un outil dont ils mesurent le rendement ou qu’ils abaadonnent pour son insuffisante fertilitt.

Quand l’agriculture se donne pour fonction de produire pour le marcht, les cultivateurs se veulent des professionnels semblables aux autres; les projets de ((carte professionnellen en sont un signe recent. Les exigences techniques et tconomiques les incitent A restreindre les droits de la proprittt au profit de ceux de la productivite; les disciplines collectives de travail rtduisent les passions individuelles de l’appro- priation. Pour assurer une exploitation rationnelle du sol, des textes lkgislatifs

refoulent les prttentions des proprittaires, interdisent les reboise- ments inconsidtrts ou les cumuls abusifs d’exploitations, rtorganisent le parcellement, priviltgient les travailleurs en accordant le droit de prtemption au fermier par exemple contre le non-exploitant. Dans queue mesure la loi est-elle la simple expression d’une attitude nou- velle ?

Le glissement de 1’intCrCt longtemps portt i la terre posstdte vers la terre travaillte transforme les cadres de l’activitt et de la penste. Bcaucoup placent dans ces mutations l’origine d’une conscience rkvolutionnaire de plus en plus rkpandue dans les campagnes. Cepen- dant le faire-valoir direct marque une grande stabilitt (59,8% des surfaces en 1882, j j , 3 % en 1955). Dans le cumul des fonctions de proprittaire et d‘exploitant, nombre de paysans trouvent encore un modde i d h l qui soutient la fiertt d’€tre maitre chez soi, conditionne l’indtpendance, facilite la ntcessaire continuitt du travail agraire. Mais questions et inquittudes ptnetrent ces certitudes ancestrales jamais vkrifites ; partout des contestations s’tltvent contre les risques d’asservissement de cette existence. D’autres persoivent dans le fermage (ses surfaces ont augment6 de 40% entre 1882 et 1955) le rtgime de l’avenir: le fermier a la charge du seul capital d’exploitation, sa rcsponsabilitk devant un tiers est un stimulant.

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Rtyoltes et rholdon pqsanne I09 Ainsi, meme le petit agriculteur qui depuis toujours a confondu proprittt foncitre et famille, cellule de production et unit6 d’auto- consommation, tend A concevoir son exploitation comme une entre- prise tconomique dotte d’une existence juridique propre, personne morale, sujet de droits et de devoirs, dissocite du mtnage et de la terre posstdke. 11 souhaite que la main-d’aeuvre resoive une rkmuntration correspondant A celle qu’elle obtiendrait dans les autres activitts susceptibles de l’employer, qu’un inttret convenable soit assure aux capitaux. La recherche d’exploitations cwiables)), dans un pays oh 73,3% des cultivateurs travaillent moins de 20 ha et 7 ha en moyenne, o M t A ces imptratifs.

Par quels processus les paysans en viennent-ils A emprunter A des modeles industriels un statut pour leur entreprise? I1 est difficile de le dire. En tout cas, des Ctudes sont en cours pour essayer de transposer h l’agriculture les positions prises par certains sur l’entreprise indus- trielle. Les Jeunes Patrons agricolesg, par exemple, aspirant A l’cceffica- citt tkonomiquen fondte sur d a competence A dirigem, regardent les entreprises comme les cellules de base de l’aaivitt tconomique. Elles ont pour r61e de satisfaire les besoins materiels et immattriels de tous les hommes et doivent crter l’abondance A bas prix. Pour ce faire, il leur est indispensable de concentrer leurs moyens, d’utiliser l’tquipement le plus productif, de faire acckder les hommes au maximum de compktence, en maintenant l’unitk de direction afin d’assurer la continuid des objectifs.

La Nouvelle Entreprise Agricole qu’est selon eux l’exploitation moderne doit grouper vingt-cinq membres au plus rtpartis en ateliers de trois A cinq personnes qui sont des cellules de mono-production. Intermtdiaire entre la petite exploitation, condamnde, et la grande, inhumaine, elle subordonne ses exigences internes (valoriser le capital, faire vivre la famille) A sa fonction de promouvoir l’inttret gtnkral en augmentant le revenu national, en procurant des emplois, en rkpoadant A la demande des consommateurs. Elle s’ingenie d’abord A prtvoir les besoins de la socittt exprimes par le march6 et le Plan. La politique du service rendu y remplace celle du simple produit rkmuntrateur. Mais A quelles conditions un tel avenir est-il r&l.isablc?

L A S O L I D A R I T B T E N D A R E M P L A C E R L’ISOLEMENT

Cette formule, peutQtre anticipatrice, est significative, dans sa prt- cision, d’une attitude qui se gtntralise et vise briser l’isolement de l’agriculture. A la conscience d’etre un monde A part qui nkessite

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I I 0 Pkaciale Rambaud des lois et une assistance patticulitre, les paysans substituent une pratique - la modemisation ne peut plus &re l’&aire des seuls agri- culteurs - et une thtorie - l’expansion tconomique doit profiter A toute la collectivitt. C‘est pourquoi ils engagent la compdtition, le dialogue, la collaboration avec les autres categories sociales. Les manifestations de solidaritt, les tables rondes, la planification tra- duisent ce souci d‘inttgrer la paysannerie A la sociktt globale.

Les Jeunes Patrons ne sont pas les seuls A prendre comme base de leur rtflexion cda notion de bien commun)). Les Jeunes Agriculteurs entendent que l’tvolution ne s’optre pas au seul profit de ceux qui disposent d’une formation et de moyens financiers suffisants; ils visent ctle rattrapage technique et kconomique des agriculteurs les plus dtfavorisiss (c.N.J.A., 1963). 11s souhaitent que les consom- mateurs ne supportent pas seuls le rtajustement des prix agricoles et se referent volontiers au systeme anglais des {(deficiency payments)). Ici et la, les craintes relatives de surproduction suggtrent aux paysans la ntcessitk de satisfaire les besoins non solvables et d’entrer dans une tconomie de don.

L’effort rtcent du syndicalisme est responsable pour une large part de ces nouvelles orientations de l’agriculture. Son histoire depuis les origines (1884) refltte d’ailleurs les mutations profondes et lentes de la paysannerie, ses inquittudes et ses contradictions. Emiettk en quelques 3 0 ooo syndicats locaux, ce mouvement a beaucoup contri- but A aortir)) l’exploitant de sa ferme, A le rendre solidaire des autres cultivateurs. La rtunion A Strasbourg de six cents dirigeants agricoles de la c.E.E., le I 5 novembre 1963, pour affirmer leur volontt de cons- truire une communautt oh l’agriculture aura sa juste place parmi les activitks tconomiques, marque une ttape. Les actions communes avec les syndicats ouvriers, la crktion du Groupe de Recherches Ouvrier et Paysan (novembre I 962) pour ttudier l’amtnagement des structures politiques signifient une nouvelle attitude des agriculteurs A l’tgard d’eux-mCmes. 11s se dtcouvrent un element de la sociktt, tgal aux autres, et non pas suptrieur ni infkrieur, indispensable sans Ctre dominant.

Certes le syndicalisme ne sait pas toujours cacher ses tensions inter- nes et l’entrke des cjeunes)) en 1956 a accentut A sa manitre le vieillis- sement des ctanciens)). Ceux-ci, htritiers des grands proprittaires fondateurs des syndicats ou des gros exploitants crtateurs des associa- tions de producteurs spdcialists, attachks au protectionnisme douanier et A la defense des prix, partisans d’une agriculture autaruque, considerent le syndicalisme c o m e dkfenseur des seuls intkrfts de ses

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RiYolfes e t rholntion pysanne 111

membres et l‘individu c o m e maitre absolu de faire ce qu’il veut. Pour eux, l’etat est avant tout objet de mtfiance, fournisseur attitrt d’assistance et garant du bon fonctionnement des mtcanismes Cconomiques libkraux. Lcs ccjeunesn - la limite d’ige des militants est fixte a 35 ans - pour la plupart formts dans les mouvements d’Action Catholique, introduisent m e idtologie et des comportements quasi ~ ~ C O M U S auparavant. Le syndicat se veut un instrument de revendica- tion, m a i s aussi de dialogue ou de collaboration avec les pouvoirs publics, de dtfense du bien commun en meme temps que de celui des professionnels; a la libertt du laisser-faire ils ajoutent ou substituent la responsabilitt dans la gestion des affaires sociales. Reflet du monde paysan, ccdeux gtntrations aux idtologies divergentes)) sont aux prises (Tavernier, 1962, p. 603)~ qui orientent vers des options A long terme Wtrentes et commandent des techniques d’action parfois inconciliables. En ddfmitive, elles s7&ontent autour de la notion de dibertt>).

U N C O M B A T S I L E N C I E U X P O U R L A LIBERTI!

Pour certains, l’agriculteur trouve la libertt dans sa terre; elle est dots (#adaptation permanentc a la nature)), ttat premier et inchangea- ble; c’est pourquoi mne des causes psychologiques du malaise paysan est le mtpris de la vile pour les sabots)) (Leblanc-Penaud 8c Fontaine, 1963, pp. 7 et 107). 11s reprochent aux coopkratives d’ amorcer la collectivisation totale, a l’agriculture de g roup de prolt- tariser les travailleurs, car la libertt se confond avec 1’ indtpendance dont la proprittt privte est la meilleure traduction et le seul garant. Par contre, pour les tenants de la Nouvelle Entreprise Agricole, la concentration des exploitations favorise l’initiativc grace au travail d’tquipe qui substitue la coopkration A la subordination patronale. Cette responsabilitt de chacun a l’inttrieur d’une ccstructure de groupe)) est ccsynonyme de libertts et ccc’est son absence que l’agriculteur redoute le plus dans la condition de salarii)); ((la libertt est dans la participation)) (Poullain, 1963, p. 66). Avec des perspectives pratiques autres, A l’inttrieur d’exploitations familides moyennes, les Jeunes Agriculteurs justifient de m a d r e analogue leur action. Participation aux dtcisions a tous les niveaux et exercice de la responsabilitt dans la vie de travail, ((efficacitt tconomique et libertt des hommesn rtsument leur volontC (Debatisse, 1963, p. 263).

Certes l’expression des oppositions ne rev& pas toujours cette nettett. Mais les tensions se distinguent dans le moindre village en

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kvolution, parfois dans la meme f a d e . Les niveaux de l’afiontement sont multiples, difiiciles A stparer, imbriquts dans les choix ou les rtticences. L’importance donnte A la proprittt ou i l’exploitation, au produaeur plut6t qu’au produit, aux besoins des hommes ou A leur capacitC d’etre clients n’implique-t-elle pas l’une ou l’autre conception de la libertt? I1 est kvident qu’elle n’est pas fonction de l’iige ou de la taille de l’exploitation, ni de l’adhtsion A un syndicat ou du mode de fake-valoit. Des etudes seraient nkcessakes pour saisir le cheminement de l’une A l’autre ou leur surgissement dialectique. La liben& bute aujourd’hui sur une question dtcisive pour les agricul- teurs et pour la socittt frangaise: la paysannerie va-t-elle s’orienter vers une situation lui permettant d’assurer par elle-mCme la totalitt de son existence au prix de douloureuses rtvoltes peut-&re ou bien attendra- t-elle encore de la collectivitt qu’elle prtltve sur ses resources les finances ntcessaires pour assister, et de plus en plus, une agriculture en voie de pauptrisation?

C O N C L U S I O N

L’analyse sommaire esquisste laisse volontairement A l’arrihre-plan les rtsistances et les tchecs; elle peut paraitre de ce fait indClment opti- miste. L’adoption par le plus grand nombre de quelques attitudes significatives jusqu’ici des plus evoluts fait discerner i travers les rtvoltes souvent anarchiques et contradiaoires les linkaments d’une revolution authentique. ( 2 s mutations sont toujours en Ctroite dtpendance les unes des autres. Elles constituent une sorte de reaction en chaine qui modifie l’ensemble des campagnes fransaises. Les processus de leur apparition aideraient i dresser une typologie de la paysannerie. Pour l’essentiel, ces changements semblent provoquts par la ntcessitt qu’tprouvent les agriculteurs de trouver la vkrite de leur place dans la societt et d’abord la vtritt A l’tgard d’eux-memes.

N O T E S

L‘importanu dorm& aux produits a indtk Ic Ministre dc I’Agricuiturc A dkdver: cdXsormais nos aides iront aux productcurs et non plus aux produitw ( I j octobrc 1963). * 11s sont plus dc 300, adhkrents au G n t r e des Jeuna Patrons. mouvcmcnt cornpod dc 4000 membres, la plupart d i r i p t s d’entreprises industriella. Leur rcvuc mensucllc est <( Jcunc Patronw.

R ~ F E R E N C E S

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599-646.

S U M M A R Y

R E V O L T S A N D A G R I C U L T U R A L R E V O L U T I O N IN F R A N C E

Despite the fact that French agricultural producers have been in- dulging in mass demonstrations, there is evidence that farmers are aware of, and consciously participate in, a profound change of a part of their most traditional attitudes. All farmers find themselves involved in a process of change, which they meet with willingness but not

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without ambiguous feelings. They feel penalized for their efforts in modernization which brings the claims of the consumer in the midst of their enterprise, making a farmer more a salesman than a producer. A change of attitude expresses itself in a growing attention for the position of aged people, wives and particularly for youth, who should receive a professional training in order to facilitate the choice of a suitable profession. There is a marked tendency to place a higher value on work than on property. Under the influence of the farmers’ professional organisation the French farmer leaves his isolated position and develops feelings of solidarity with other farmers and even with workers

R B S U M B R ~ V O L T E S ET R ~ V O L U T I O N P A Y S A N N B D A N S L A F R A N C E C O N T E M P O R A I N E

A travers ses revendications sociales ou ses manifestations de masse, l’ensemble de la paysannerie franpise exprime la transformation de certaines attitudes qui jusqu’ici ktaient propres aux plus 6voluCs. Tous les agriculteurs se trouvent maintenant pris dans une volontk de changement. En second lieu, les exigences des consommateurs s’introduisent de plus en plus A I’intkrieur de l’exploitation elle-meme obligeant les paysans A subordonner leur fonction de producteurs A celle de vendeurs. De plus, la sociCtt rurale connait un remodelage dkmographique qui se traduit par des comportements nouveaux A I’tgard des vieillards, des femmes et surtout des jeunes pour lesquels est souhaitte une preparation professionnelle apte A leur faciliter le choix d‘un metier. Ces mutations impliquent une kvolution psycho- logique gCnCrale du paysan qui disormais tend A porter son attention &vantage sur le travail que sur la propritti et sort de son isolement pour devenir solidaire des autres agriculteurs et dtjh par moments de tous les travailleurs.

Z U S A M M E N F A S S U N G

R E V O L T E N U N D L A N D W I R T S C H A F T L I C H E R E V O L U T I O N I N F K A N K R E I C H

Trotz Veranstaltung von Massenkundgebungen der landwirtschaft- lichen Bevolkerung Frankreichs, ist ganz offensichtlich, dass sich die Landwirte in einem grundlegendem Wandel der meisten ihrer tradi- tionalen Verhaltensweisen behden und bewusst auch daran teil-

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Rholter e t rhohtion paysanne 115

nehmen. Sie alle sehen sich in einen Prozess verwickelt, dem sie bereit- willig aber nicht ohne zweifelnde Gefiihle begegnen. Die Landwirte kommen sich bestraft vor wegen h e r Bemuhungen um Modernisie- rung der Betriebe, dass die Verbraucherwunsche in den Mittelpunkt ihres Unternehmens riicken und dass der Landwirt mehr zu einem Verkaufer als zu einem Erzeuger wird. Ein Bewusstseinswandel Iussert sich in zunehmender Beachtung der Lage der alten Leute, der Frauen und besonders der Jugend; diese sollte eine Berufsausbildung erhalten, urn die Wahl eines geeigneten Berufes zu erleichtern. Da ist eine bezeichnende Tendenz, die Arbeit hoher als das Eigentum einzuschitzen. Unter dem Einfluss der landwirtschaftlichen Berufs- organisation gibt der franzosische Landwirt seine isolierte Position auf und entwickelt Gefiihle der Solidaritat mit anderen Landwirtcn und geradc mit Arbeitem.