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REVUE ALGERIENNE DE PROSPECTIVE ET D’ETUDES STRATEGIQUES ISSN 2477-9962 Vol.2 - N°2 Avril - Juin 2016 INSTITUT NATIONAL D’ETUDES DE STRATEGIE GLOBALE

REVUE ALGERIENNE DE PROSPECTIVE ET … · Directeur de la Publication Dr. Liess BOUKRA, DG de l’INESG E-Mail : [email protected] Comité de Rédaction M. Mohamed BELHADJ E-Mail :

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REVUE ALGERIENNE DE PROSPECTIVE ET

D’ETUDES STRATEGIQUES

ISSN 2477-9962 Vol.2 - N°2 Avril - Juin 2016

INSTITUT NATIONAL D’ETUDES DE STRATEGIE GLOBALE

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Directeur de la PublicationDr. Liess BOUKRA, DG de l’INESG E-Mail : [email protected]

Comité de Rédaction M. Mohamed BELHADJE-Mail : [email protected]

Comité de LectureM. Bertrand BADIEM. Jean-François DAGUZANM. Majed NEHMEM. Nadji SAFIRM. Abdelmadjid BELALAM. Mustapha HADDABM. Slimane BEDRANIM. Mourad MEDJAHED

Editeur Institut National d’Etudes de Stratégie Globale (INESG)BP 137 Les Vergers Birkadem. Alger Tél. + 213 (0) 21 54 07 07Fax + 213 (0) 21 54 01 39 E-Mail : [email protected]: http://www.inesg.dz

Les articles publiés représentent le point de vue de leurs auteurs, et ne sauraientdonc exprimer la position de l’INESG.

L'Institut National d'Etudes de Stratégie Globale (INESG) est une institution del'Etat algérien, placée auprès de la Présidence de la République.

Créé par Décret n°84.398 du 24 décembre 1984, l'INESG bénéficie du soutiende la plus haute institution de l'Etat algérien pour promouvoir ses activités. Il lefait avec une totale autonomie de réflexion en associant, de la façon la plus largepossible, l'expertise algérienne.

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SOMMAIRE

LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

Dr. Gabriel GALICEPrésident de l’Institut international des recherches sur la paix à Genève (GIPRI).........................................................................

LE REGIME AFRICAIN ANTITERRORISTE

Dr. Bruno MVE EBANGDocteur en Science politique à l’Université Omar Bongode Libreville (GABON)...................................................................................................

LES ENjEUx DE L’ENGAGEMENT DES éTATS-UNISEN AFRIQUE

M. Tewfik HAMELChercheur en Histoire militaire et en Relations internationales....................

LES PUISSANCES MOYENNES DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES : éTUDE DU CAS DE LA NORVÈGE

M. Zakari TERBAOUIDiplomate à l’Ambassade d’Algérie au Burkina-Faso..................................

LA CONFéRENCE DE PARIS SUR LE CLIMAT : ENjEUx ET OPPORTUNITéS

Dr Ahmed DjOGHLAFCo-président du Comité Préparatoire de la COP21.......................................

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LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx1

Dr. Gabriel GALICE2

Résumé

Les notions communes (identité, mondialisation, gouvernance…) qui décri-vent le malordre du monde sont adéquates à son état de guerre.

Le texte propose une autre terminologie pour un cheminement vers la paix.Il part du processus par lequel les humains et les sociétés qu’ils constituents’approprient leur milieu. La propriété est à la fois le caractère de la personne etle bien qu’elle s’approprie par la préhension matérielle et la compréhensionimmatérielle. Les groupes sociaux, les Etats, procèdent semblablement, consti-tuant des hiérarchies, des dominations. Ces processus sont violents, en actes ouen structures. La violence structurelle s’appelle communément pouvoir. Admise,démocratisée, légitimée, elle est contenue. Le basculement du monde depuis lesannées 1970 a ouvert sur un système chaotique qui va se dégradant. Les violencesdes marchés ont nourri des marchés de violence. La finance mondialisée, dernierstade du néo-capitalisme de marché, en démantelant les Etats, remet en questionsles équilibres internes aux capitalismes nationaux autant que les relations entreEtats. Ces processus sont mis en œuvre par des élites dissociées progressivement deleurs peuples d’origine au point de devenir des éligarchies. Les anciennes factions po-litiques perdent leur sens et brouillent les repères. Le désarroi accompagne la violence.

Emerge un système national / mondial hiérarchisé (SNMH) dont les forcesmilitaires et marchandes, livrées à elles-mêmes, tout au plus accompagnées pardes instances politiques gestionnaires de moins en moins démocratiques, débou-chent sur des conflits internes associés à des antagonismes externes. Ces forcessont organisées en empires constitués de territoires politico-militaires et deréseaux commerciaux-informationnels-financiers.

Face aux empires territoriaux et réticulaires, il s’agit de restaurer la raisonpolitique, l’Etat, les citoyens dont il émane réellement, les Peuples-Nations, lescoopérations régionales solidaires, les échanges équilibrés, l’architecture desécurité, dans un monde appelé à devenir effectivement multipolaire.

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LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

1 Conférence animée par Dr. Gabriel Galice au siège de l’INESG, le 29 mars 2016.2 Dr. Gabriel Galice est Président de l’Institut international des recherches sur la paix à Genève

(GIPRI) .

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Nommer, penser, agir sont trois modalités complémentaires de la viesociale. Elles gouvernent le pouvoir des groupes humains dansl’ordre interne et dans les relations internationales. Appropriation du

monde réel et compréhension du monde représenté vont de pair. En quelques dé-cennies, une nouvelle configuration politique, économique, culturelle, militaireporte triplement atteinte à la démocratie, à la paix et à la survie de la planète. Laconfiguration est concrètement constituée d’éligarchies affranchies descontraintes de la démocratie, pour autant qu’elle ne soit pas réduite à un rituelélectoral, mais exprime la volonté et les intérêts des peuples. La chute du mur deBerlin aura été une parenthèse optimiste.

1. Les mots des croyances globalitaires

Chaque société prend ses croyances pour des évidences, celles des autres pourdes superstitions. En Occident, nos sociétés sécularisées ont remplacé descroyances par d’autres. Nouvelle déesse, l’économie exige des sacrifices ;elle fonctionne au crédit, qui vient de credo, je crois en latin. Sousl’appellation de « marché », le credo économique remplace le credo chrétien.

« Le prince fait toujours circuler ses projets ; il veut commander pours’enrichir et s’enrichir pour commander ; il sacrifiera tour à tour l’un

et l’autre pour acquérir celui des deux qui lui manque, mais ce n’estqu’afin de parvenir à les posséder enfin tous les deux ensemble

qu’il les poursuit séparément, car pour être le maître deshommes et des choses, il faut qu’il ait à la fois l’empire et

l’argent ».

Jean-Jacques Rousseau,Jugement sur le Projet de paix perpétuelle, 1758

“War is peace. Freedom is slavery. Ignorance is strength.”

George Orwell, 1984

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LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

Pierre Legendre, dans son Désir politique de Dieu3, explique le réagencement dela culture managériale4 sur fond de pensée romano-chrétienne. La pensée mana-gériale a aussi détrôné l’Etat, ouvrant ainsi l’espace d’un envahissement du reli-gieux comme symbolique récurrente. La religion et le politique sont en effetassociés autant que concurrents comme référence possible des sociétés, commetotem. Le symbolique se fonde sur la triangulation, le tiers permettant le dialogue,la résolution du conflit.

Les croyances globalitaires reposent sur les dogmes de la globalisation, de lacompétitivité et des marchés, à commencer par les marchés financiers. Le contrôledes hommes et des sociétés passe par les mots qui ordonnent les actes et les pensées.

Les systèmes symboliques sont aussi divers que les langues, langages et so-ciétés. Ils tendent à se penser comme universels ; ils se heurtent à d’autres uni-versaux adossés à d’autres intérêts. Le terme identité, sur lequel nous reviendrons,procède d’une identification dans le montage symbolique, d’une appropriationmatérielle et idéelle à la fois.

La mise aux normes libériste5 du monde passe par sa mise en mots, car lesvocables portent des idées. En quelques décennies, la normalisation rhétorique ainstallé un lexique anglosaxon. Novlangue orwellienne, le jargon affecte deuxgrands domaines : la gestion et la politique internationale.

Gouvernance ou démocratie ?

La démocratie est de moins en moins l’expression de la volonté populaire,de plus en plus la gouvernabilité des masses par les élites, puis la gouvernance,associant les entreprises autant que la « société civile » à la représentation poli-tique. La démocratie de marché éclipse la démocratie représentative. En 1975, laCommission Trilatérale dans son rapport, «The Crisis of Democracy», trace desperspectives vigoureuses pour les décennies à venir6. La conclusion est de purger

3 P. Legendre. Le désir politique de Dieu. Paris, Fayard, 1988.4 P. Legendre, Dominium Mundi. L’empire du management .https://www.youtube.com/watch?

v=rQQxCFosKic.5 Benedetto, Croce (1866-1952) pose la différence entre libéraux politiques et libéristes

économiques.6 La crise de la démocratie, sous titré « Rapport sur la gouvernabilité des démocraties », publié

en 1975, est un éclairage des réformes à venir. Il porte la signature de Michel J. Crozier, SamuelP. Huntington et Joji Watanaki. Ici, les références sont celles de la version anglaise éditée chezNew York University Press.

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la démocratie de ses excès. « Needed, instead, is a greater degree of moderationin democracy.” 7 (…) “There are potentially desirable limits to the indefiniteextension of political democracy8 . Democracy will have a longer life if it has amore balance existence”. Mettre la démocratie à l’abri de ses méfaits par la voiejuridique (Tribunal constitutionnel, Cour suprême) est une chose, la subordonnerà des instances non-démocratiques attentant aux intérêts des peuples en est uneautre. Le rapport est une feuille de route de gouvernance antipopulaire9. L’uni-versité10, les médias11, la pensée critique, l’autoadmiration des « sociétés de laTrilatérale » sont des chantiers d’avenir. Les quarante ans qui nous séparent desa publication apportent des réponses aux inquiétudes des auteurs.

Problématique identité

La notion d`identité relève trop de la rhétorique12, trop peu de la réalité tan-gible13, celle de l’être humain dans son milieu, en société, en lutte pour saconstruction par l’appropriation des ressources, matérielles ou immatérielles.Mieux vaudrait lui substituer la propriété comme être (la propriété physico-chi-mique d’un corps, (Eigenschaft en allemand) et comme avoir (Eigentum)14,

7 Idem, p.113.8 Idem, p.115.9 Le consentement populaire (people’s consent) remplace la volonté populaire. L’opinion se

manipule.10 “Yet intellectuals as agents of change and moral guides in a period of fast changes should be

and are effectively in the vanguard of the fight against the old aristocratic tradition” (p.31).11 “Journalists possess a crucial role as gatekeepers of one of the central dimensions of public

life. (…) Journalists’ autonomy does not lead necessary to transparency and truth but may dis-tort the perception of reality“ (p.35-36).

12 « De fait, c’est une véritable énigme pour la sociologie. Il y a quelques décennies à peine,« l’identité » était loin de nos préoccupations, elle n’était que prétexte à élucubration philo-sophique. Aujourd’hui, tout le monde ne parle plus que de ça. », Z. Bauman. Identité. Paris,L’Herne, 2012, p.27. Et aussi : « La raison identitaire – on doit admettre que cette notion poseproblème, et qu’à la limite l’identité n’existe pas, alors que les actions en son nom existent,elle, bel et bien – donne à réfléchir (…) ». M. Kilani. Pour un universalisme critique. Paris,La Découverte, 2014, p.12.

13 « (…) la notion d’identité est tout à la fois hautement nécessaire et fort redoutable, éminemmentdifficile à manier avec rigueur. « L’identité est le diable en personne, et d’une incroyable im-portance », notait Wittgenstein. P.-A.Taguieff. La République menacée. Paris, Textuel, 1996,p.85.

14 G. Galice et Ch.Miqueu. Penser la République, la guerre et la paix sur les traces de Jean-Jacques Rousseau, notamment de p.135 à 140 (Genève, Slatkine, 2012).

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LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

résultat de l’appropriation. Par le « perpétuel travail d’assimilation des apportsextérieurs », Emmanuel Mounier rapproche l’être et l’avoir dans la propriété15.L’appropriation (individuelle et collective) est matérielle (préhension, pronation16,prédation, mainmise) et idéelle (compréhension, acquisition de la langue, descodes, us et coutumes, lois). L’identité s’arc-boute sur des références figées in-voquant le passé, la nature ou l’ethnie.

15 « La vie personnelle (…) s’affirme dans un perpétuel travail d’assimilation des apports exté-rieurs. Elle s’élabore en les élaborant. (…) Il ne faut donc pas opposer trop brutalement l’avoiret l’être, comme deux attitudes existentielles entre lesquelles il y aurait à choisir. (…) En cesens, la propriété, comme l’intimité, est une exigence concrète de la personne ». EmmanuelMounier. Le personnalisme. Paris, PUF, 2010, p.51.

16 « Parce que la pronation est le geste premier du conatus - il met la main sur…-, l’éventualitédu heurt violent surplombe en permanence la rencontre avec un semblable », F. Lordon. L’in-térêt souverain. Paris, La Découverte, 2006, p.52.

PROPRIETE ET APPROPRIATION

Schéma 1

Approprié - Identité - Appartenance

PROPRIETE

Etre - Eigenschaft

Avoir - Eigentum

Appropriation

PrendrePrédationPronation matérielle (Génétique, économique...)

ComprendreApréhensionCompréhension idéelle

Source : Conférence de M. G. GALICE « Croissance économique ou développement humain » Cycle géopolitique et paix, Université de Genève, 7 mai 2009.

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Individu ou personne ?

La différence entre identité et propriété implique la distinction faite par Em-manuel Mounier entre l’individu et la personne. Miguel Benasayag et Anne Wein-feld explicitent cette approche personnaliste : « individu » est pourtant le nomd’une organisation sociale, d’une cosmogonie et d’un pouvoir. C’est pourquoinous ne pensons pas qu’on puisse identifier le concept d’individu avec celui de« personne », mot que nous utilisons pour désigner le pli caractérisé par uneunité contradictoire et qui détermine l’être-là de chacun de nous dans le monde ».17

équidistant de l’individualisme consumériste, cher à « l’Occident » et du com-munautarisme, prisé à l’Est et au Sud, la personne (persona vient du latin per-sonare, parler à travers, et désigne le masque de théâtre) pourrait faire synthèse.Régis Debray note : « Il se mène en ce moment de par le monde une grande dis-pute, à coup d’images, de mots et de grenades : entre les champions de la libertéindividuelle et ceux de la dignité des peuples18, (…) le tout-communautaire et letout-à-l’égo ».19

La domination sur les choses accompagne l’autorité sur les humains, elles serenforcent l’une l’autre. La même idée sera développée par Rosa Luxembourg,citée par Hannah Arendt20, commentée par David Harvey. Les travaux de JaredDiamond sur l’appropriation mettent en évidence la double relation des humainsentre eux et avec leur milieu. Les quatre étapes de la bande, de la tribu, de lachefferie et de l’Etat marquent le passage « de l’égalitarisme à la kleptocratie21 ».

L’appropriation (des choses par les humains, des humains par les sociétés,des humains par d’autres humains…) obéit, de façon générale, à la relation desstocks sur des territoires et des flux au travers de réseaux. Humains et chosessont organisés en stocks (population, greniers à grain, agglomération, barrages,

17 M. Benasayag et A. Weinfeld. Le mythe de l’individu. Paris, La Découverte1998, p.14.18 Régis Debray.L’intellectuel face aux tribus. CNRS éd. Paris, 2008, p.11.19 Ibidem, p.58.20 « Une accumulation indéfinie de biens doit s’appuyer sur une accumulation indéfinie de pou-

voir (…) Le processus illimité d’accumulation du capital a besoin de la structure d’« un Pou-voir illimité », si illimité qu’il peut protéger la propriété croissante en augmentant sans cessesa puissance », Hannah Arendt. Les origines de l’impérialisme, cité par D. Harvey. Le nouvelimpérialisme. Paris, les Prairies ordinaires, 2010, p.58.

21 J.Diamond. De l’inégalité parmi les sociétés – essai sur l’homme et l’environnement dansl’histoire. Paris, Gallimard, 2000, pp.170 -174.

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LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

nappes phréatiques, mines, réserves de pétrole, centres de données informa-tiques…) et en réseaux (voies fluviales, maritimes, routières, aériennes, orbitessatellitaires, aqueducs, tuyaux d’eaux, oléoducs, liaisons Internet…).

Les humains en sociétés agissent dans des champs de forces qui leur échap-pent peu ou prou, selon qu’ils dominent plus ou moins, personnellement ou col-lectivement. Décisive est en effet l’interrogation sur les actents (à la fois acteursagissant et agents agis par des champs de forces) majeurs de nos sociétés contem-poraines (Etats, classes, entreprises, castes, élites…) et comment leurs interactionsont évolué depuis quatre décennies.

La question des actents pose du même coup celle des formes de leur pou-voir, de la division sociale du travail, de la répartition politique du pouvoir etdu non-pouvoir.

Droits de l’homme

Après la civilisation (Robert Fisk), les droits de l’homme sont la nouvellebannière de l’Occident. Ils s’entendent plus restrictivement que ceux de la décla-ration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de la déclaration universel-le des droits de l’homme de 1948. Ils s’affranchissent volontiers du droit audéveloppement (remplacé subrepticement par l’incantatoire lutte contre la pau-vreté), du droit à l’enseignement ou à la santé. Ils font fi du droit des peuples,sauf pour une protection aussi paternaliste qu’intéressée, que le politique droitd’ingérence enchâsse dans la « responsabilité de protéger », abusivementinterprétée dans l’intervention militaire libyenne débouchant sur un changementde régime.

L’Occident se voit confronté à d’autres champs de force stratégiques, culturelset rhétoriques, à l’Est et au Sud. Ces autres champs partagent pour partie l’ambi-tion globalitaire et universelle. Ils sont d’ailleurs hétérogènes (comme les nôtres),même si de grandes visions dominent. L’opposition des blocs sémantiques com-plète l’opposition des blocs stratégiques sans les recouvrir, puisque la rhétoriquen’a pas pour ambition de comprendre, mais de convaincre ou de contraindre.Quelles sont les principales rhétoriques alternatives à l’Occident ?

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22 F. Julien. Si parler va sans dire. Paris, Le Seuil, 2006.23 « La démocratie dirigiste » de Singapour ou le couple capitalisme / parti unique en Chine conti-

nentale « penchent plutôt vers l’idée d’un autoritarisme bienveillant, un héritage confucianistecombinant sens de la hiérarchie et collectivisme, deux caractéristiques qui ont duré tout aulong des temps impériaux », China Daily, cité par Courrier international n°1270 du 5 au 12mars 2015.

24 I.P. Kamenarovic. Le conflit, perception chinoise et occidentale. Paris, Le Cerf, 2001.25 Ibid., p.74.26 Q. Liang et W. xiangsui. La guerre sans limite – L’art de la guerre asymétrique entre ter-

rorisme et globalisation. Paris, Payot, 2003.

Logos et tao

Le monde chinois est l’obsession discrète de l’Occident. La Chine est le peercompetitor (rival de même niveau) des Etats-Unis, chef de file de l’Occident.François Jullien oppose le logos grec, matrice intellectuelle occidentale, ordre dudiscours et discours de l’ordre aristotélicien, exempt de contradiction, au tao chi-nois, principe d’unité au-delà du dualisme22. Non sans relever qu’Héraclite se dé-marque d’Aristote et que l’enseignement de Lao Tseu n’est pas celui deConfucius23. Ivan P. Kamenarovic24 explore les conceptions chinoise et occiden-tale du conflit, en commençant par remarquer que l’opposition entre le yang et leyin est moins celle de l’homme et de la femme que celle du versant de montagneensoleillé (adret) ou ombragé (ubac). « La paix, nous apprend le classique chinoisde l’antiquité intitulé La Grande Etude, est le fruit d’une succession d’apaise-ments qui, de l’individu à l’empire tout entier en passant par la famille et la prin-cipauté, doit gagner peu à peu tous les niveaux de la communauté humaine ensuivant un double parcours qui, descendant du sommet de l’Etat au plus humblesujet, remonte depuis chaque individu jusqu’à l’ensemble de la société25».

Et si la guerre suivait des chemins de traverse ?

« La guerre sans limites »

Le livre de Qiao Liang et Wang xiangsui, deux colonels de l’armée de l’airchinoise, rend compte des modalités de « la guerre sans limites26 ». La nouvelleguerre excède les champs de bataille de tous types. Tous les secteurs et tous lesvecteurs sont mobilisés contre les puissances adverses, Etats, entreprises et autres. Clairement destinée à contrer d’abord la suprématie des Etats-Unis,

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27 J.-J.Rousseau. Discours sur les sciences et les arts. OC, Paris, Gallimard, OC III, p.389.28 M. Kilani. Pour un universalisme critique. Op. cit., p.289.

la pensée stratégique des auteurs est une arme tous azimuts. Par sa multidimen-sionnalité, le conflit procède comme la paix selon La Grande Etude. Ni guerreformelle ni paix véritable, c’est « l’état de guerre ». Dans sa forme moderne, ilcombine les atouts des territoires et des réseaux.

« Terroristes barbares » versus « djihadistes »

Terroristes et djihadistes sont deux vocables en miroir, le premier péjoratif;le second laudatif. Les actes terroristes visent l’effroi par le spectaculaire.L’Occident les nomme « terroristes », « barbares » parfois, eux-mêmes se quali-fient de « djihadistes ». Le qualificatif de « terroriste » a de fâcheux précédents ;les nazis appelaient ainsi les résistants, le régime d’apartheid qualifiait de la sortel’ANC. Il semble moins épineux de qualifier l’acte, dès lors qu’il s’agit d’uneatteinte violente aux civils et à leurs biens, a fortiori en territoire étranger (atten-tats de Londres, de Madrid, de Paris). Le cas des insurgés résistants chez eux àune occupation étrangère ne mérite pas le qualificatif de « terroriste ». Le termede « barbares » devrait en revanche être disqualifié pour éviter l’engrenage d’une« guerre des civilisations » autoréalisatrice. Les grands philosophes du siècle desLumières sont moins primitifs que les actuels adeptes du droit d’ingérence. AinsiJean-Jacques Rousseau, renversant l’appellation de « barbares » : « Si desbarbares ont fait des conquêtes, c’est parce qu’ils étaient très injustes. Qu’étions-nous donc, je vous prie, quand nous avons fait cette conquête de l’Amérique qu’onadmire si fort ? » 27.

Les djihadistes se flattent en s’appelant ainsi. Le « grand djihad » est combatcontre soi-même, voisin de la « vertu » chrétienne.

Chaque culture est tentée de se penser a priori universelle. « Paradoxalement,l’universalisme a besoin du particularisme28 ».

2. 1973 – 1989 : le chaos en marche constitue le SNMH

L’espoir d’un monde meilleur s’ouvre en 1945 avec la Charte de l’ONUproclamant : « Nous, Peuples des Nations unies, résolus …» (1973) marque uncoup d’arrêt.

LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

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1973 et 1989 : deux dates charnières

Les années 70 ont vu dans le monde un basculement de perspective, à laconjonction d’une remise en cause de l’ordre international et d’une mise au pasdes aspirations populaires.

1973 est l’année charnière. Elle commence par l’entrée du Royaume-Uni, del’Irlande et du Danemark dans la CEE (Communauté économique européenne),l’assassinat d’Amilcar Cabral, se prolonge avec la mise en place d’un systèmede changes flottants au sein du système monétaire international, la conférenced’Helsinki de l’OSCE, la destitution du roi et la proclamation de la Républiqueen Afghanistan, la constitution de la Commission Trilatérale29 (réplique à la Tri-continentale constituée à la Havane en 1966 et aux mouvements estudiantins etpopulaires), la conférence des non-alignés réclamant à Alger un Nouvel OrdreEconomique Mondial, le renversement du gouvernement d’Allende par la juntedu Général Pinochet (inaugurant l’ordre néolibéral en économie, avant Thatcheret Reagan) le 11 septembre, le lancement par le GATT du Tokyo Round préconi-sant l’abaissement des barrières douanières non-tarifaires, la guerre du Kippourdébouchant sur le quadruplement du prix du pétrole, constituant les pétrodollarset stimulant les débouchés de l’industrie d’armement ; en Chine, l’annonce des« quatre modernisations. ».

1989 est la seconde étape décisive. La chute du mur de Berlin, amorçant l’im-plosion du communisme, est concomitante du mouvement de libéralisation descapitaux. L’hyperpuissance étasunienne fera illusion une dizaine d’années, im-posant son ordre de la Yougoslavie disloquée30 à l’Irak meurtri, privilégiant l’al-liance avec l’Allemagne, puissance ré-émergeante en Europe centrale.

2001 n’est pas seulement l’année des attentats assourdissants sur le territoiredes Etats-Unis, c’est aussi, trois mois après, l’année de l’adhésion de la Chine àl’OMC. Se constitue un système de trois empires rivaux à prétention mondiale :les Etats-Unis, la Chine, l’Allemagne31. Le Japon et la Russie, anciens empires,sont réduits aux rôles de puissances régionales, à dominante économique pour lepremier, à prépotence militaire pour le second. Les stratèges étasuniens, de Zbi-gniew Brezinski à Henry Kissinger, expliquent pourquoi et comment leur paysdoit et peut faire perdurer sa domination.

29 Zbigniew Brezinski en est nommé directeur.30 Ch.-A.Morand. La crise des Balkans de 1999. Bruylant Bruxelles – LGDJ Paris, 2000.31 J.-M. Quatrepoint. Le choc des empires. Paris, Gallimard, 2014.

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Le Système National / Mondial Hiérarchisé

L’inexactitude du mot « globalisation » a conduit Michel Beaud à proposerla notion de système national / mondial hiérarchisé32. Cette mondialisation, lar-gement portée par le capitalisme national / mondial, est hiérarchisée, elle est da-vantage une intrication de pyramides de pouvoirs inégaux qu’un globe lisse.

Capital et marché en leurs logiques

Le marché est une modalité essentielle des échanges humains. Sa significationexcède la dénomination courante, de deux façons au mois. D’abord, en sa dimen-sion anthropologique, il est échange ritualisé de gestes de reconnaissance réci-proque. Dans l’histoire économique, le marché est beaucoup plus ancien que lecapitalisme, abusivement désigné par beaucoup comme « économie de marché. »

L’implosion des régimes de socialisme d’Etat a non seulement ouvert desmarchés au capital, mais fermé les alternatives à l’imagination. John KennethGalbraith évoque l’avènement de la Corporate Republic, (République d’entre-prise), coextensive à l’Etat prédateur33.

Le capitalisme de marché appartient à la dialectique globale des stocks (enl’espèce le capital) et des flux (en l’espèce le marché). Parler d’« économie demarché » omet le rôle essentiel de l’accroissement du stock, l’accumulation ducapital34. La Bourse de New-York s’appelle explicitement « New-York Stock Ex-change », disant tout à la fois le stock (l’action d’une entreprise est bien une frac-tion de stock, d’où son nom) et le flux (Exchange).

32 M. Beaud. Capitalisme, système national / mondial hiérarchisé (SNMH) et devenir duMonde. Cahier du GIPRI n°4, Paris, L’Harmattan, 2006.

33 J.-K. Galbraith. L’Etat prédateur. Paris, Seuil, 2009.34 « Le choix d’économie de marché pour remplacer avantageusement capitalisme n’est qu’un

voile d’absurdité trompeur jeté sur la réalité profonde de l’entreprise : le pouvoir du produc-teur, qui influence et même dirige la demande du consommateur. Mais cela ne se dit pas.On ne s’appesantit guère sur le sujet dans le débat et l’enseignement économiques contempo-rains », J. K. Galbraith. Les mensonges de l’économie. Paris, Grasset, 2004, p.22.

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35 Cf. La grille des besoins, in : M. Beaud, Ibid., p.68.36 Ch. Comeliau. L’économie contre le développement ?.L’Harmattan, 2009, p.187.

Egalement Jacques Fournier. L’économie des besoins. Paris, Odile Jacob, 2013.

La logique de la valorisation financière tournée vers la demande solvablelaisse de côté les besoins vitaux insolvables35. La marchandisation privilégie lavaleur d’échange au détriment de la valeur d’usage, susceptible d’être prise encharge par la puissance publique à vocation non-lucrative. Christian Comeliautient que « la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange indique peut-être le cœur du problème ».36

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Pro�t

−CAPITAL

+

SCHEMA 2

LE MARCHE CAPITALISTE

LOGIQUE DU CAPITAL LOGIQUE DU MARCHE

Demande solvable clients possibles

Besoinsmarché total potentiel

Vente

de biens et de services

Source : article de G. Galice, « Le marché, la paix, la guerre »,

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Enclosures généralisées

L’abaissement des barrières commerciales s’accompagne de l’érection denouveaux murs politiques, de césures politico-culturelles,37 mais aussi de ver-rouillages économiques plus discrets, allant du brevetage du vivant, des savoir-faire médicinaux et agricoles (Monsanto) ancestraux, à la systématisation desdroits de propriété, d’accroissement des inégalités. Ce processus duplique le mou-vement de clôturages généralisés des champs en Angleterre entre 1760 et 1840.Les enclosures ont facilité la concentration en grands domaines et conduit àl’usine les anciens paysans ne pouvant plus bénéficier de pâturages collectifs(commons). Dominiques Pestre décrit le processus actuel : « Cette captationconstitue un mouvement d’enclosures à grande échelle, corrélatif à l’ouverturedes frontières, prioritairement aux capitaux et aux marchandises. (…) Ces annéessont donc celles d’un nouveau contrat social auquel se plient sans déplaisir lessavants qui deviennent patrons de laboratoires industriels, consultants, créateursd’instituts universitaires techniques – tout en gardant leur statut social de purssujets connaissants dédiés à la seule vérité et développant leurs activités de façondésintéressée ».38

La vente et l’achat sanctionnent et anticipent l’accroissement de valeur

Encore le capitalisme de marché39 n’est-il pas ce que prétendent ses thurifé-raires, et ce pour deux raisons. Le capitalisme entrepreneurial des petites etmoyennes entreprises (PME) se prolonge en monopoles ou oligopoles, par fusionsou acquisitions. Le marché tend ainsi au marché captif (« private market » évoquépar Fernand Braudel dans sa forme ancienne). La seconde raison est l’associationdu capital aux forces politico-militaires en général, aux Etats en particulier. Laforme subtile en est la démocratie de marché (soumise aux groupes de pressionsplus ou moins corrupteurs) et sa réciprocité, l’Etat tourné vers les entreprises(Corporate Welfare) ; la forme extrême du capitalisme « de connivence »(ou « de copinage ») (Crony Capitalism) teinté de militarisme.

37 « Ce que nous vivrons désormais comme la fermeture du monde », M.-M.Ould Mohamedou.Contre-croisade. Paris, l’Harmattan, 2011, p.8.

38 D. Pestre. Science, argent et société. Paris, INRA éditions, 2003, p17.39 Qu’Henry Kissinger préfère nommer « Free market capitalism », version française

« Le FMI fait plus de mal que de bien ». Le Monde du 15 octobre 1998.

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40 G. Labica. Théorie de la violence. La città del sole Naples / Librairie philosophique J. Vrin –Paris, 2007, p.10.

41 Ibidem, p.1442 Ibidem, p.15.43 Ibidem, p.16.44 J.-J. Rousseau, Du contrat social, Œuvres complètes, III, Paris, Gallimard, 1964, p.354.45 M. Weber. L’histoire économique. Paris, Gallimard, 1991, p.16. La version originale allemande

«Weltgeschichte » date de 1923. „Geld ist folglich kein harmloser Maßstab wie irgend ein an-deres Meßinstrument, sondern der Geldpreis, in dem geschätzt wird, ist ein Kompromiß ausKampfchancen auf dem Markte, so daß der Schätzungsmaßstab, ohne den die Kapitalsrech-nung nicht leben kann, nur aus dem Kampf des Menschen mit den Menschen auf dem Marktgewonnen wird. Daraus ergibt sich die „formale“ Rationalität der Geldwirtschaft im Vergleichzu jeder „naturalen“ (sei es Eigen-, sei es Tausch-) Wirtschaft“. München und Leipzig, VerlagDuncker und Humblot, 1923, S.7.

3. Violences cachées, violences exhibées

Dans sa Théorie de la violence, Georges Labica la qualifie de « profuse, dif-fuse, confuse ».40 « La violence avec un V n’existe pas ».41 Ce sont « Trois vio-lences : la basique, la réactive et la répressive ».42 Selon Labica, la violencestructurelle ou systémique est « un véritable soubassement des violence, au moinsà l’échelle de notre époque ».43 Elle génère la violence réactive, qui entraine laviolence répressive.

La violence en acte (ou réactive) est spectaculaire, à dessein dans l’acte ter-roriste. La violence structurelle ( Johan Galtung) est discrète, institutionnalisée,policée. Galtung la définit comme « toute forme de contrainte sur le potentield’un individu du fait des structures politiques et économiques ». Violence en acteset violence structurelle sont indissociables, elles se nourrissent l’une de l’autre.La force et le droit sont les noms de la violence structurelle. « Le plus fort n’estjamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droitet l’obéissance en devoir ».44 Les violences systémiques, du côté des dominations,appellent les violences résistantes, du côté des opprimés et humiliés. Le couplagedu capital et du marché dans la marchandisation est devenu central dans la vio-lence structurelle des sociétés contemporaines. « Le critère d’évaluation, sans le-quel le compte de capital ne peut pas exister provient, d’une manièreconstamment renouvelée, de la lutte de l’homme avec l’homme sur le marché »45

écrit Max Weber en 1923, se démarquant de Karl Marx sans céder pour autant àl’angélisme du marché harmonieux.

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46 M. Aglietta et A. Orléan. La violence de la monnaie. Paris, PUF, 1984 et aussi D. Dupré,La création monétaire ne doit pas être un crime contre les peuples. Le Temps, 17 février2012.

47 M. Aglietta et A. Orléan. La monnaie souveraine. Paris, Odile Jacob, 1998, p.11.48 D. Harvey, op. cité, p.177.

Les violences des marchés

Les violences du marché capitaliste ont fait d’énormes avancées. Le rapportmondial sur le développement humain (2005) note : « Si le progrès enregistrédans les années 1980 s’était maintenu jusqu’ici, on aurait compté 1,2 million dedécès d’enfants en moins cette année ». En 1984, Michel Aglietta et André Orléananalysent la violence de la monnaie.46 Ils prolongent leur travail en 1998 avec Lamonnaie souveraine : « L’autonomisation de l’économie, l’instrumentalisationdes formes collectives et le primat des rapports de pouvoir sur les formes d’au-torité ne dessinent pas un modèle social cohérent, lequel suppose au contraire,la subordination des rapports de pouvoir à un rapport d’autorité. L’autorité estun ensemble de valeurs collectives au nom desquelles est affirmée la cohésionde la société. (…) On dira que l’autorité subordonne en valeur le pouvoir. Celui-ci est un rapport de domination fondée sur la possession des moyens de productionpermettant à certains individus de dicter leur conduite à d’autres ».47

La violence s’exprime par « l’accumulation par dépossession », sur laquelleinsiste D. Harvey. Elle est intra- et extra-capitaliste. « Le capitalisme fait siennesdes pratiques de cannibales aussi prédatrices que frauduleuses ».48

Cette violence se poursuit avec la guerre que se mènent les puissances au traversde leurs monnaies respectives. Le taux de change influe sur la concurrence entremarchandises et capitaux. Le 15 août 1971, le Président Richard Nixon fait un véri-table « coup d’Etat international » en déclarant la fin de la convertibilité du dollarétasunien en or, mettant fin à l’architecture de Bretton Woods. Ce sera la porte ou-verte à la financiarisation du capitalisme, accélérée ensuite par les technologies del’information et le règne des spéculateurs. Cette dématérialisation a son pendant : lamontée du chômage et des travailleurs pauvres, victimes de la violence de la mon-naie. Le crédit s’est envolé, avec lui le crédo d’un néocapitalisme baptisé « néo-li-béralisme » dans son accompagnement politique et son habillage rhétorique.

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Les cures d’austérité imposées aux peuples pour sauver les banques sacrifientla santé, l’éducation, la dignité du logement et de la vie. Dans sa livraison du 22février 2014, la revue médicale britannique The Lancet publie un article intitulé« Mortality and the economic crisis in Greece » Avec 116 670 décès en 2012, laGrèce atteint le record de 1949. Un tiers de la mortalité additionnelle de 2013 se-rait imputable à l’austérité, soit 2000 personnes. Les plus de 55 ans sont particu-lièrement touchés. Yanis Varoufakis fournissait en 2014 les détails des chiffresactualisés de l’économie réelle, de l’économie financière et des désastres so-ciaux.49 La bibliothèque universitaire d’Athènes tourne au ralenti, les jeunes s’ex-patrient, les traitements médicaux lourds ne sont plus pris en charge, la préventioncontre les épidémies est délaissée. Peu après, la presse annonçait « le retour dela Grèce sur les marchés financiers ». Le gouvernement grec a mandaté sixbanques pour lever un emprunt à cinq ans au taux de 6,08%, dont Goldman Sachs.Cette dernière fut complice du maquillage des comptes de la Grèce et procéda àune levée de fonds en 2010. Elle en profita et aggrava la situation. Caricatural, lecas grec n’est pas exceptionnel de cette violence de la finance.

La violence budgétaire inclut autant l’évasion fiscale par les entreprises jouantla concurrence entre Etats que la diminution des prestations au bénéficedes citoyens.

Plus largement, la gouvernance économique mondiale nourrit les violences,directement et indirectement. Joseph Stiglitz : « Les bombes sont jetées à 15 000m d’altitude pour que le pilote ne ressente pas ce qu’il fait, et l’économie inter-nationale, du haut d’un hôtel de luxe, impose sans merci des politiques que l’onrepenserait à deux fois si l’on connaissait les êtres humains dont on va ravagerla vie ».50 Indirectement aussi : Mayeul Kauffmann : « Notre propre étude éco-nométrique montre que les pays qui suivent un programme d’ajustement structurelpréconisé par les Institutions Financières Internationales ont un risque d’entreren guerre civile plus élevé que les autres (…) ».51

49 http://yanisvaroufakis.eu/2014/03/01/whatyou-should-know-about-greeces-present-state-of-affairsan-update.

50 J. Stiglitz cité dans Libération du 15 avril 2002, cité par M. Kilani. Guerre et sacrifice. Paris,PUF, p.108.

51 M. Kauffmann. Gouvernance économique mondiale et guerres civiles . In : La guerre est-elle une bonne affaire ? Cahier du GIPRI n°7, Paris, L’Harmattan, 2007.

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Ainsi, les marchés capitalistes contemporains portent des violences (indus-trielles, financières, monétaires, commerciales, budgétaires…) génératrices decontre-violences. Mais les contre-violences générées s’instituent à leur tour enressources économiques, en objet d’échange, inscrits dans le schéma d’ensembledes violences des marchés. Les marchés de violence en sont une expression.

Les « marchés de violence »

Georg Elwert avança la notion de « marchés de violence » (Gewaltmärkte).Martin Kalulambi Pongo et Tristan Landry prolongent sa réflexion dans leur livre« Terrorisme international et marchés de violence ». « Dans son acceptionconceptuelle, le terme de marchés de violence renvoie plus directement à l’an-thropologie qu’à l’économie : le marché est un lieu d’échange inscrit culturelle-ment. Appliqué aux rationalités d’échange dans les zones de guerre, il ouvre surune théorie qui permet de mieux comprendre la capacité d’une société à gérerses conflits, de même que son aptitude au state-building. La théorie des marchésde violence focalise sur l’action stratégique des acteurs sociaux, qui ne sont passeulement des hommes politiques âgés aux commandes des institutions locales,mais aussi de jeunes hommes généralement ignorés par les études centrées surles élites et qui, dans une société gérontocratique comme le sont beaucoup de so-ciétés dans les pays en développement, choisissent l’« option AK47 », c’est-à-dire qui cherchent dans les marchés de violence la possibilité de se constituer uncapital social et économique ».52

Les ventes et achats mondiaux d’armes, qui dérogent aux règles de l’OMCau nom de la souveraineté et de la sécurité des Etats, entrent dans le système desmarchés de violence autant comme violence d’un marché particulier que commeforme singulière d’un marché de violence. Le SIPRI les décrit non seulementcomme facteur belligène, mais aussi comme première source de corruption (com-missions et rétro-commissions), par là d’atteinte à la démocratie.53

52 M. Kalulambi Pongo et T. Landry. Terrorisme international et marchés de violence. Les pressesde l’Université de Laval, 2005, pp. 2-3.

53 “Corruption and the arms trade: sins of commission”.In :SIPRI Yearbook 2011 – Armments,Disarmament and International Security, pp.13-35.

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CHEMA N°3 LES MARCHES DE VIOLENCE

ACTEURS

Marchés de violence

- Espace où se négocient divers intérêts individuels et collectifs.

- Suppose une dimension d’échange et

INTERNES- Etats- Armées régulières - Groupes insurgés- Milices - Bandes armées

- Enfants-soldats- Population- etc

EXTERNES- Etats étrangers- Multinationales- Compagnies de mercenariat et mercenaires- Organismes humanitaires- ONG

- Marchands d’armes- etc.

mus par des comportements rationnels

Source :

Les Entreprises Militaires et de Sécurité Privées sont une expression nouvelledu croisement des marchés de violence et de la violence des marchés. Elles en-cadrent des exploitations de mines ou de gisements pétrolifères dans des zonesde conflits violents, et sont financées par le fruit de l’extraction. Groupes armésnon étatiques, elles sont le pendant des bandes criminelles, insurrectionnelles, ré-sistantes ou terroristes.

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54 Ibid., p.49.55 R. Passet et J. Liberman. Mondialisation financière et terrorisme. Paris, Enjeux planète,

2002, p.25; 55; 56.56 F. Lordon. Et la vertu sauvera le monde…. Paris, raisons d’agir, 2003, p.20.

« Pourquoi le 11 septembre a-t-il eu lieu ? » demande Mohammad-MahmoudOuld Mohamedou. « La réponse réside essentiellement en l’existence d’un pro-fond sens d’injustice que des millions d’Arabes et de musulmans ressentent parrapport au comportement des EU et de l’Occident à leur égard. La question nerelève pas du fanatisme religieux, de la pauvreté ni encore de l’absence dedémocratie dans le monde arabe. Il s’agit plutôt de justice, de soif de justiceprimordiale ».54 Faut-il exclure la pauvreté du sentiment d’injustice ? Faut-il dis-socier le dégoût de la corruption, de l’absence de démocratie ?

« La misère et l’humiliation sont le terreau du terrorisme, l’argent sale enest l’engrais », écrivent Passet et Lieberman, qui soulignent le blanchiment de« l’argent sale » par les banques55. Cette vision est partagée par M. KalulambiPongo et T. Landry, et par nous. D’autres, plus soucieux de sécurité que de paix,conçoivent le terrorisme comme une idéologie violente étrangère à notre monde,portée par des « barbares », à éradiquer par tous les moyens.

4. Recompositions sociales et politiques : les éligarchies contre les Etats

Les marchés marchent par les marchands. Ni complot préconçu de A à Z nihasard de la nature, la « mondialisation » est le fruit de réflexions pluridécennaleset de tâtonnements de plusieurs fractions des classes dominantes.

Frédéric Lordon en rend compte : « Car, après la parenthèse historique dufordisme qui avait vu, à la faveur de la reconstruction et des « Trente Glorieuses »,une nouvelle génération de hauts fonctionnaires affirmer leur autonomie et im-poser leur rationalité d’Etat, le cas échéant contre le capital privé, la sainte al-liance de tous les dominants se reforme autour de la finance. (…) Ainsiconvergent les divers groupes appelés à se retrouver dans un nouveau bloc hé-gémonique constitué autour d’un projet commun qui se clarifie et se dégagecomme tel progressivement, à mesure que la financiarisation révèle toutes sesopportunités ».56

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57 G. Galice. Du Peuple-Nation. Lyon, Mario Mella, 2002.58 Ch Lasch. La révolte des élites et la trahison de la démocratie. Paris, Champ essai, 2010.59 R. Reich. The Work of Nations, indument traduit en français par L’économie mondialisée.60 Z. Bauman. Le coût humain de la mondialisation. Paris, Hachette, 1999.61 R.- M. Jennar. Europe, la trahison des élites. Paris, Fayard, 2004.62 A. Garrigou. Les élites contre la République. Paris, La Découverte, 2001.63 R. Debray. Le pouvoir intellectuel en France. Paris, Ramsay, 1979.64 G. Galice. Des micronationalismes en Europe : ˮidentitéˮ, pouvoir et appropriation en

Ecosse et en Savoie, in L’Europe à la recherche de son identité, Ch. Villain-Gandossi, Paris,CTHS, 2002.

Les démantèlements des Etats : pourquoi ?

En se déterritorialisant, les élites mondialisées se coupent des peuples-na-tions57 dont elles émanent au point de devenir des oligarchies, des éligarchies.Elles prirent l’Etat pour cible, coupable de freiner leurs ambitions en s’efforçantà la cohésion sociale. Christopher Lasch58, Robert Reich59, Zygmunt Baumann60,Raoul Marc Jennar61, Alain Garrigou62 ont rendu compte de ce processus de sé-cession des élites. Les éligarchies financières et politiques ne sont pas seulesconcernées. Une large fraction des élites intellectuelles s’associe à la médiocratie,machine médiatique à formater l’opinion. « Son caractère numériquement infimeet apparemment marginal ne peut plus longtemps voiler le rôle stratégique jouépar la haute intelligentsia française dans les rapports politiques de classe, na-tionaux et internationaux. L’alliance qu’elle a passée avec la nouvelle médiocra-tie (de media et kratein, gouverner), avec laquelle elle tend à la fusion pure etsimple, lui assure le monopole de la production et de la circulation des événe-ments et des valeurs ».63

Le sécessionnisme des éligarchies est à la fois vertical et horizontal. La ver-ticalité s’exprime par les écarts croissants de revenus et par la faculté de se jouerdes territoires. Le sécessionnisme horizontal s’exprime dans les micronationa-lismes64 refusant la solidarité avec le reste du pays (Catalogne, Padanie…)

La mise à distance de la volonté populaire est assurée par la sélectionmonétaire (et les lobbys) d’une part, par la mise en place de « pare-feu » d’autrepart (gouvernance, instances non-élues décisionnaires, du Fonds MonétaireInternational à la Banque Centrale Européenne en passant par la Commissioneuropéenne).

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Le démantèlement des Etats : modalités

L’Etat est pris sous le feu croisé de ces deux sécessionnismes. Selon Europol,les actes terroristes sont majoritairement le fait d’indépendantistes intra-natio-naux. L’Etat, voilà l’ennemi. Il s’agira de le restreindre, de le contraindre, de leprivatiser, de l’instrumentaliser au bénéfice de minorités en le mettant hors deportée d’un peuple tenu pour incompétent. Les projets libre-échangistes, du défuntAccord Multilatéral sur l’Investissement au Partenariat Transatlantique de Com-merce et d’Investissement tentent de mettre les entreprises à l’abri des contesta-tions par les Etats et par les citoyens, une juridiction privée tranchant les litiges.La privatisation de la justice participe à la privatisation des Etats.

L’Etat est démantelé par la violence économique ou par la force militaire. Ladécolonisation a subi des coups d’arrêts. La néo-colonisation a organisé des clien-tèles branchées sur les éligarchies du Nord plutôt que sur les peuples du Sud, pardes corruptions croisées, des commissions et des rétro-commissions. Les Etatsne sont ni « voyous », ni « faillis ». Ils sont mis en faillite par la concurrence éco-nomique inégale ou détruits par la force. Au-delà des Etats, ce sont les peuples-nations qui sont démantelées, les communautés étant dressées les unes contre lesautres selon l’adage Divide ut imperas (divise pour régner). La destruction desEtats suppose un habillage rhétorique honorable. Le peuple et l’Etat sont d’abordpersonnalisés en leur chef, puis le chef est démonisé. Nasser = Hitler fut recycléavec Milosevic, Saddam, Khadafi, Poutine et bien d’autres.

Pourtant, tous les segments de l’appareil d’Etat et de ses annexes ne subissentpas le démantèlement, ou pas dans les mêmes proportions.

L’Etat sécuritaire détrône l’Etat social

Les sociétés s’adonnent tour à tour à l’Etat militaire et à l’Etat social. AlainSupiot en dresse le constat : « A deux reprises, à l’issue de la Première, puis dela Seconde Guerre mondiale, d’abord dans la Constitution de l’Organisation in-ternationale du travail (OIT) en 1919, puis dans la Déclaration de Philadelphieen 1944, la communauté internationale s’est efforcée de tirer les leçons de cesexpériences en affirmant solennellement qu’« il n’est pas de paix durable sansjustice sociale ».65

65 A. Supiot. Grandeurs et misères de l’Etat social. Paris, Collège de France / Fayard, 2013, p.20.

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La construction de l’ennemi, la diabolisation du concurrent, de l’adversaire,font prévaloir la violence sur le droit au nom de la morale et des bons sentiments.On aime à lever des tabous pour s’affranchir des interdits, à communiquer plutôtqu’à dialoguer. « L’interdit, c’est ce qui permet aux hommes de se parler plutôtque de s’entre-tuer ».66

« Military spending – Hands off the Warfare State!67 » titre The Economist.68

Le même choix militariste préside en 2001 aux orientations des conservateurs ré-publicains aux Etats-Unis. Dès le 21 septembre 2001, l’American Stock Exchangea établi un index composé exclusivement de 15 entreprises du secteur de l’arme-ment, le Defense Index (DFI), dont les cinq premiers fournisseurs du départementde la Défense, qui se partagent près de la moitié des commandes d’équipements.69

Thomas Friedman systématise le couplage entre l’économique et le militaire :« L’intégration économique de la planète requiert la disposition de la puissanceaméricaine à utiliser sa force contre ceux qui, de l’Irak à la Corée du Nord, me-naceraient le système de mondialisation. La main invisible du marché ne peutpas fonctionner sans un poing caché – McDonald’s ne peut pas fonctionner sansMcDonnell Douglas, qui construit les F-15. Et le point caché qui rend le mondesûr pour les technologies de la Silicon valley s’appelle l’armée, la force aérienne,la force navale et les marines des Etats-Unis ».70

L’alternance de la prédominance militaire et de la prépotence économiquescande autant la vie des Etats-Unis que les relations internationales. Le passagede l’administration Bush à celle d’Obama marque un infléchissement du hardpower au smart power. Au nom de l’enlargement, l’administration Clinton avaitdéjà stimulé la guerre économique par la création du National Economic Council, les services de renseignement assurant le lien entre l’économique, le politique etle militaire / sécuritaire.

66 A. Supiot, Idem, p.88.67 Dépenses militaires. Touche pas à mon Etat guerrier !68 http://www.economist.com/blogs/democracyinamerica/2010/10/military_spending69 L. Mampaey et C. Serfati. Les groupes de l’armement et les marchés financiers : vers une

convention « guerre sans limites » ? In : La finance mondialisée.Paris, La Découverte, 2004.70 T. Friedman. The Lexus and the Olive Tree, cité par S. Halimi. Le grand bond en

arrière. Paris, Fayard, 2004, p.414.

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LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

En fin de compte, la destruction des Etats crée un vide symbolique. PierreLegendre attirait l’attention sur le risque encouru : « On ne voit pas qu’il y agrand péril quand l’Etat ne joue plus son rôle de totem et de garant de la raison(…) L’idéologie du réseau, c’est la féodalité, qui engendre des relations extrê-mement violentes ».71

5. Puissance et impuissances de « l’empire libéral »

Affublé de l’adjectif « libéral », l’impérialisme retrouve ses lettres de no-blesse, dévalorisées entre 1945 et 1973. Au début des années 2000, accompagnantla vision néoconservatrice de George W. Bush et de son équipe, des auteurscomme Niall Fergusson, Robert Cooper72 ou Michel Ignatieff vantent les notionsd’empire et d’impérialisme. Cooper écrit : « Mais, l’Amérique étant à ce jour lagarante du système, il est somme toute préférable qu’il en soit ainsi pour lemoment ».73 Ces auteurs renouent avec les concepts d’empire et d’impérialisme :« C’est ce que les historiens anglais parlant de l’Angleterre du XIXème siècleappelaient l’impérialisme du libre-échange, parce que la puissance économiquela plus forte a pour intérêt à détruire les barrières qui empêchent ses produits dese placer dans le monde ».74 Les guerres de l’opium contre la Chine en furent uneforme emblématique ; les Chinois n’ont pas oublié. Les puissances impérialesfurent protectionnistes avant de s’être dotées des moyens de la conquête exté-rieure, tels les fabricants de machines à tisser le coton des Etats-Unis, conseilléspar Friedrich List75, contre le libre-échangisme de leurs concurrents anglais.76

71 P. Legendre. L’humanité a besoin d’ombre pour échapper à la folie. Le Monde du 22avril 1997.

72 R. Cooper. Why we still need empires. The Oberserver du 7 avril 2002.http://observer.guardian.co.uk/worldview/story/0,11581,680117,00.html ethttp://www.theguardian.com/world/2002/apr/07/1 Cooper fut successivement conseiller duPremier-ministre britannique Antony Blair, puis du Haut représentant de l’UE à la sécurité,M. xavier Solana.

73 Robert Cooper. La fracture des nations – Ordre et chaos au XXIème siècle. Paris, Denoël,2003 p.66.

74 S. Hoffmann. L’impérialisme du libre-échange. Sciences humaines hors-série,La mondialisation en débat, n°17, Juin-Juillet 1997.

75 Auteur du célèbre Système d’économie politique, dans lequel il préconise un protectionnismepour les « industries dans l’enfance ».

76 Ha-Joon Chang. Du protectionnisme au libre-échange, une conversion opportuniste.Le Monde diplomatique, Juin 2003.

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« L’impérialisme du libre-échange » fournit un double enseignement.L’opposition entre libre-échange et mercantilisme est plus théorique que pratique.Les Etats combinent protectionnisme et libre-échange en fonction de la conjonc-ture et de leurs intérêts, de leur positon dans la domination. La seconde leçon estque la défense nationale est partie prenante de l’accompagnement par l’Etat dela puissance économique. Margareth Thatcher le souligne : “I was asking theConservative party to put its faith in freedom and free markets, limited govern-ment and a strong national defence”.77 Les canons de la flotte espagnole proté-geaient les galions chargés d’or et d’argent, la Royal Navy fut garante des succèsmarchands de l’empire britannique, auquel succède le Commonwealth, le canalde Panama servait d’abord les marines marchandes et militaires des USA.

Les partisans de l’empire ont le grand mérite de pointer une réalité et une am-bition : conserver la suprématie étasunienne le plus longtemps possible. L’admi-nistration Obama n’a que partiellement rompu avec cette tendance lourde, jouantplus finement que son prédécesseur sur les claviers du smart power, drones, es-pionnage intensif des 17 agences de renseignement et prodigue des financementsd’ONG par des fondations à l’appui.

Empire réticulaire et impérialismes territoriaux

Le nouvel empire est constitué par l’intrication de territoires politiquement-militairement dominants et de réseaux tissés par les grandes entreprises commer-ciales, financières et informationnelles. « Mais cet empire du marché libéralisén’est pas seulement (…) un monstre abstrait, socialement désincarné. En fait, ils’identifie à des nations dominantes (…) et, en leur sein, à des couches socialesqui n’ont jamais été dans une situation aussi favorable. Cet empire constitue enfait un système d’alliances entre élites à l’échelle mondiale (souligné par GG).Il renforce l’implantation du capitalisme dans certaines zones, à l’exclusion desautres, mais à la grande différence d’avec le passé, son limes n’est pas géogra-phique, il est devenu social ».78 Il conviendrait de nommer « terréseaux » cetteintime imbrication des territoires et des réseaux de domination, qui légitimel’ingérence partout, sous des couverts humanitaires souvent. Les deux projetscommerciaux de partenariats transatlantique et transpacifique en sont une illus-tration. Le volet militaire n’est jamais loin.79

77 M. Thatcher, The Downing Street Years, London, Harper Collins Publishers, 1993, p.15.78 E. Morin et S.Naïr. Pour une politique de civilisation. Paris, Arléa, 1997, p.42.79 http://www.bruxelles2.eu/2014/06/03/un-accord-militaire-avec-les-usa.

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LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

Ce nouvel empire, encore piloté par les Etats-Unis et leurs alliés, prétend da-vantage à l’omniprésence qu’à l’omnipotence. Alain Joxe écrit : « L’empire amé-ricain n’a même pas tenté de réussir, comme les Russes ou les Français, lamoindre phase de colonialisme réel, c’est-à-dire de conquête politique. Il joue seule-ment un rôle dans la destruction des souverainetés étatiques, y compris la sienne ».80

L’Europe, empêtrée dans ses divergences, opte souvent pour un « alter-im-périalisme (…) : attaché à l’imposition de la paix et de l’économie de marché,multilatéraliste. Et menant des guerres des droits de l’homme ».81

Si la propriété d’une personne ou d’un groupe se définit par ses appropriationsmatérielles ou immatérielles, le pouvoir politique d’un Etat se caractérise par lanature et les modalités des prédations, pronations et autres acquisitions. Les ana-lyses courantes mettent l’accent sur les flux et les réseaux, occultant les stocks etles territoires. Négligeant le capital, Frédéric Gros évoque les Etats de violenceet la fin de la guerre82, moyennant quelques faiblesses le conduisant malencon-treusement à la guerre juste et à la fascination pour les flux83.

L’Etat de guerre combine la concurrence des entreprises et la rivalité entreEtats, les violences des marchés et les marchés de violence. Marc Guillaume qua-lifie l’ordre économique d’état de guerre : « De cet ordre, je retiendrai d’abordun aspect qui illustre les capacités qu’il a de distordre des valeurs qui semblaientassurées : c’est l’acceptation, et même l’exaltation, d’un état de guerre perma-nent, comme situation normale, voire idéale. Cet état de guerre, c’est bien sûr, laguerre économique que se livrent les entreprises et les nations, guerre considéréecomme légitime en dépit des misères et des drames qu’elle impose aux pays lesplus pauvres et, de plus en plus, aux pays industrialisés eux-mêmes. L’ordre éco-nomique, c’est d’abord cela, cette mobilisation interminable, cet ordre de laguerre, cet ordre idéalisé ou euphémisé en modèle de concurrence ».84 Pour cesraisons précisément, nous préférons, quant à nous, le qualifier de « mal-ordre ».

80 A. Joxe. Les guerres de l’empire global. Paris, La Découverte, 2012, p.195. 81 C. Serfati. Impérialisme et militarisme. Lausanne, Editions Page deux, 2004, p.195. 82 F. Gros. Etats de violence - Essai sur la fin de la guerre. Paris, Gallimard, 2006.83 « Le monde global semble largement dominé par une logique de flux : flux de marchandises,

flux de populations, flux d’informations et d’images, (…) De nouvelles identités se créent dansces mouvements, ignorant la citoyenneté. (…) L’Empire avait des bords et l’Etat des frontières.Le système de sécurité a des marges plutôt ». Idem, p.237. Le verbe « semble » est crucialdans ce diagnostic borgne.

84 M. Guillaume. L’héritage de l’histoire ambiguë. In : P. Dockès (dir.). Ordre et désordres dansl’économie-monde. Paris, PUF, 2002, p.41.

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La grille ci-dessous éclaire les ambitions et les moyens des puissances ou desempires. Le pouvoir implique le contrôle des stocks et des flux. Le cas du pétroleest le plus fréquemment évoqué. Son contrôle suppose l’accès aux puits, la sécu-risation des oléoducs et des principales voies maritimes empruntées par lespétroliers géants, la gestion des raffineries, mais aussi l’influence sur les prix, laréduction des consommations, etc. La carte des puits et des gazoducs coïncideavec celle de nombreux conflits.

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StatutRessource Stocks Flux

Population Peuples-Nations Migrations

Ressources primaires

Mines, nappes,gisements, carrières,réserves, barrages…

Agriculture, (silos,greniers), élevage(étables, écuries,

bergeries…), ateliers,fabriques, main

d’œuvre

Banques privées, banques centrales,

nucléaires,bactériologiques,

chimiques, centresde cyberwar.

Troupes Casernes

Ressources secondaires

Armes

Idées – images – signes –données - codes

Cultures, langues,religions, universités,

écoles, fondations, clubs,Think Tanks, brevets

et licences, centres destockage de données

Voies de communication,aqueducs, oléoducs,gazoducs, voirie et

Echanges et hybridationsculturelles, satellites,médias, câbles sous-marinset souterrains

Mouvements de troupes

Vecteurs terrestres,maritimes, aériens,

Bourses de valeurs, marchés, transferts, immatériels, swaps divers, internet

Voies de communication, législations internatio-nales sur le commerce, les communications et télécommunications, internet...

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Ni l’empire réticulaire ni les empires territoriaux ne contrôlent effectivementle mal-ordre du monde. Le pouvoir politique, subordonné au jeu des intérêtsprivés, confronté aux empires, autodessaisi de ses prérogatives, se retrouve« acratique » (M. Beaud). Des Etats de moindre importance peuvent se comporteren impérialistes plus ou moins discrets. L’alimentation en argent, prédicateurs,images, armes et combattants armés par des puissances pétrolières est un exempleparmi d’autres d’impérialismes virulents de second rang.

6. Les peuples-nations contre les empires

Coopérations ou dominations ?

Les Etats-Unis se défendent d’unilatéralisme, ils invoquent le « multilatéra-lisme efficace » ou « vertébré », étant entendu qu’ils ont vocation à assumer leleadership en étant la colonne vertébrale. « If current U.S. policy differs at allfrom U.S. policy in the past, it is a result of our recognition that, in the post-ColdWar era, multilateralism is more important than ever, and that without leadership– without backbone – multilateralism is predictably condemned to failure. In anumber of recent instances where we thought it necessary, we have chosen to pro-vide the leadership – the backbone – required for multilateralism to succeed. Ourinsistence that multilateralism be effective may not always make us popular,butit hardly makes us “unilateralist”».85

« Smart Power » et « Regime Change »

Le Président Obama, plus retenu dans l’action que son prédécesseur, gardeexplicitement le même cap stratégique : “Here’s my bottom line: America mustalways lead on the world stage. If we don’t, no one else will. The military thatyou have joined is and always will be the backbone of that leadership. But U.S.military action cannot be the only – or even primary – component of our leader-ship in every instance. Just because we have the best hammer does not mean thatevery problem is a nail. And because the costs associated with military actionare so high, you should expect every civilian leader – and especially your Com-mander-in-Chief – to be clear about how that awesome power should be used (…)

LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

85 S. G. Rademaker, Assistant Secretary of State for Arms Control, Conférence du désarmement,Genève, 13 février 2003, „The commitment oft he United States to effective multilateralism“,http://2001-2009.state.gov/t/isn/rls/rm/17744.htm.

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“First, let me repeat a principle I put forward at the outset of my presidency: TheUnited States will use military force, unilaterally if necessary, when our core in-terests demand it – when our people are threatened, when our livelihoods are atstake, when the security of our allies is in danger”.86

Le Center for Strategic Affairs and International Studies définit le “smartpower” comme : “an approach that underscores the necessity of a strong military,but also invests heavily in alliances, partnerships, and institutions of all levels toexpand American influence and establish legitimacy of American action”. Le casukrainien l’illustre. Les relations économiques, leurs rapports de force se voientqualifiés (approximativement) de soft ou de smart power. L’alliance du pouvoiréconomique et du pouvoir militaire, associée au pouvoir intellectuel et au pouvoirpolitique, constitue aujourd’hui le cœur de la puissance. Les pouvoirs parcellairescomposent le Pouvoir global.

Alain Joxe ne tient pas l’empire pour protecteur contre le chaos mais, aucontraire, générateur de désordre. Les firmes transnationales « réellement sou-veraines rejoignent donc le modèle du chaos privé de Hobbes »87. Plus large-ment : « On peut démontrer que la mutation économique a sa source conjointedans la métamorphose globale des rapports de force militaires et celle des nou-veaux moyens décisionnels financiers, toutes deux issues des innovations tech-niques et scientifiques.88 (…). Il existe cependant un manque de penséethéorique de l’articulation globale violence/économie quand les appareils d’en-treprise pèsent peut-être désormais autant que les appareils d’Etat dans les dé-cisions d’entrer en guerre ».89

L’arrogance occidentale, les stratégies du chaos, la privatisation de la violencesur des « marchés de violence », les guerres par procuration, la mise en cause dudroit international, les actions terroristes constituent des menaces majeures inter-dépendantes.

86 « Remarks by the President at the United States Military Academy CommencementCeremony », West Point New York, 28 mai 2014. http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/05/28/remarks-president-united-states-military-academy-commencement-ceremony

87 A. Joxe. Les guerres de l’empire global. Paris, La Découverte, 2012, p.67.88 Idem, p.66.89 Idem, p.67.

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La dislocation du Pacte de Varsovie aurait dû conduire à une remise en causede son adversaire, l’OTAN, et à la définition d’une nouvelle architecture militaireinternationale, construite à partir de l’OSCE. Tournant le dos à cette perspective,les Etats-Unis et leurs alliés ont opté pour un élargissement sélectif90 doublé d’uneextension géographique de la zone de compétence de l’organisation. BertrandBadie évoque le contrat : « Bill Clinton reconnut publiquement le deal, voire lelinkage : admettre la Russie dans le club des oligarques, puis à l’OMC à conditionque Boris Eltsine approuve l’élargissement de l’OTAN à ses anciens satellites,voire à certaines des anciennes républiques soviétiques, à l’instar des Etatsbaltes ». 91 L’Union européenne invoque une Politique de Défense et de SécuritéCommune (PESD), de facto subordonnée à l’OTAN même si elle n’est, de jure,que « compatible » avec l’Organisation. Madeleine Albright théorisa cette dépen-dance en « 3D » : « No Decoupling, no Duplication, no Discrimination » Les al-ternatives ne furent qu’esquissées.92 La non duplication de matériels permet auxEtats-Unis de conforter leur avance technologique et numérique. En cas de besoin,ils peuvent ajouter leur législation nationale interdisant la vente de matériels com-portant plus de 10% de composants étasuniens vers des pays mis au ban des na-tions, par l’ONU ou par eux-mêmes.

Les guerres en Yougoslavie ont donné lieu à plusieurs discours idéalistes, deJürgen Habermas à Bertrand Badie.93 Avec le recul, l’opération a surtout permis,mondialement, une légitimation de l’OTAN et, régionalement, une renaissanceallemande en Europe centrale.94 Ce fut l’aboutissement d’un ancien dessein :« Le but de l’OTAN est de déguiser une alliance américano-allemande en l’inté-grant dans un ensemble plus vaste ». 95 L’OTAN reste l’alliance dominante.

90 Z. Brzezinski : « Exclure la Russie (de l’UE ou de l’OTAN) pourrait être lourd de conséquences- cela validerait les plus sombres prédictions russes -, mais la dilution de l’Union européenneou de l’OTAN aurait des effets fortement déstabilisateurs ». Le grand échiquier, l’Amérique etle reste du monde. Hachette Littératures - Pluriel, 2002.

91 B. Badie. Le Temps des humiliés. Paris, Odile Jacob, 2014, p.37. Référence est faite au livrede William Clinton. My Life. New York, Vintage, 2005, p.750 et suiv.

92 P. Quilès. L’OTAN, quel avenir ? Rapport d’information n°1495 enregistré à la Présidence del’Assemblée nationale française le 24 mars 1999.

93 La realpolitik classique qu’on connait depuis deux siècles s’estompera. Le Monde du 13 avril1999.

94 « Ce qui est sûr, c’est que les Serbes se sont comportés de manière peu humaine sur le sol duKosovo, mais ce qui est tout aussi sûr, c’est que des bombes occidentales ont été lancées surl’Etat souverain de Yougoslavie. Autrement dit, sous la tutelle des Etats-Unis, nous n’avonspas respecté le droit international, ni la Charte des Nations unies, charte signée par les Etats-Unis

LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

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et même directement inspirée par eux. Nous étions tous soumis à cette charte, puisque nousl’avons ratifiée, mais nous ne l’avons pas respectée. (…) Très probablement, en ce qui concernela Slovénie et la Croatie, le gouvernement allemand aurait adopté, sous ma présidence, uneposition plutôt réservée. (…) Après la disparition de l’Union soviétique, les Américains sesont crus la seule superpuissance du monde, erreur profonde que les deux décennies à venirvont s’appliquer à confirmer. Je dis cela, parce qu’il est inimaginable que la Russie, sur leplan politique et économique, s’éternise dans la même situation de faiblesse ». HelmutSchmidt. L’Allemagne porte une responsabilité. L’Hebdo, 1er avril 1999,http://www.hebdo.ch/laquolallemagne_porte_une_responsabiliteacuteraquo_6956_.html.

95 Hermann Kahn cité par J. Grapin. Forteresse America. Paris, Grasset, 1984, p.203.

Le renforcement de l’OTAN exclut la Chine et la Russie, de la sorte incitéesà se rapprocher. Le processus conduisit à la constitution, en 2001, de l’Organisa-tion de Coopération de Shanghai (OCS). En 2002 est décidée la constitution del’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective), effective en 2003, quiregroupe la Fédération de Russie et quelques pays alliés.

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96 J. Shea. Les conflits modernes et les média. In : A.-M. Dillens. La guerre et l’Europe.Bruxelles, Facultés universitaires de Saint-Louis, 2001. La métaphore médicale est doublementbancale. Bien des traitements dispensent d’une intervention chirurgicale. Quand elle est né-cessaire, l’opération chirurgicale ne vise pas à tuer mais à éviter la mort, à la différence des «frappes chirurgicales. »

97 http://www.gipri.ch/wp-content/uploads/2013/06/Note-danalye-n%C2%B02-de-Gabriel-Galice-25-mai-2014-Lacrise-ukrainienne-dans-une-perspective-%C3%A9tasunienne-et-la-probl%C3%A9matique-de-l.pdf.

98 http://www.gipri.ch/wp-content/uploads/2013/06/Etat-de-guerre-et-guerres-par-procuration-aujourdhui1.pdf.

Le 23 septembre 2008, le Secrétaire Général de l’ONU, M. Ban Ki-Moon etle Secrétaire Général de l’OTAN, M. Jaap de Hoop Scheffer ont signé en toutediscrétion une « Déclaration commune sur la collaboration des Secrétariats des Na-tions unies et de l’OTAN ». Un tel accord de collaboration vise abusivement à octroyerà l’OTAN un statut officiel de co-responsabilité dans le maintien de la paix mondiale.

M. Jamie Shea, directeur de l’information et de la presse de l’OTAN pendantla guerre contre le Kosovo en 1999, explique : « Ce qui est assez ironique, c’estque, pour réussir, la force doit soigner le désordre par le désordre. L’ulcère nepeut être guéri tant que le patient n’est pas opéré ».96

Un aspect pérenne des conflits armés post-Guerre froide consiste en « guerrespar procuration » évitant aux grandes puissances de s’affronter directement. Enréalité, il s’agit soit de guerres proprement dites, soit de troubles fomentés ou ren-forcés par des ingérences extérieures débouchant sur des guerres civiles, descoups d’Etat, avortés ou réussis. Les actuels conflits syrien et ukrainien97 illustrentces guerres par procuration, impliquant, aux côtés de forces spéciales, des mer-cenaires financés par des particuliers ou par des Etats.98

Les empires sont leur pire ennemi. L’histoire est celle de leur ascension, deleur domination et de leur décadence. Leurs dissensions internes contribuentautant à leur déclin que les hostilités sécrétées par leur domination, y comprisculturelle.

Les guerres au Proche et Moyen-Orient portent les cicatrices de l’effondre-ment de l’empire ottoman, des mandats britanniques et français, des deux guerresmondiales. Il s’agit d’une zone interstitielle entre les blocs continentaux asiatique,européen et africain.

LES EMPIRES EN TERRITOIRES ET RéSEAUx

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99 J. Rancière. Aux bords du politique. Paris, Gallimard, 1988.100 J.-M. Siroën distingue multilatéralisme « universel » et multilatéralisme « coopératif » comme

il différencie régionalisme « minimaliste » (de type ALENA) et régionalisme «fédérateur »(de type MERCOSUR), in : Régionalisme contre multilatéralisme ?Les Cahiers français,n° 269, janv.-fév. 1995.

101 B. Barber. L’empire de la peur. Paris, Fayard, 2003, p.96.102 http://www.gipri.ch/?s=preiswerk.

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Après l’expérience trentenaire, encore en cours, de la destruction des Etatsouvrant la porte aux bandes, aux clans, aux tribus, aux mafias, aux pseudos-Etats,il semble temps d’en revenir aux Peuples-Nations organisés par des Etatsconstruits de l’intérieur, non par des ambitions impériales prétendant au StateBuilding d’importation. A cette condition externe s’ajoutent deux conditionsinternes : le resserrement du lien entre le Peuple (ensemble politique) et l’Etatd’une part, le rapprochement entre le peuple social (aporoï chez Aristote, havingnot en anglais, petit peuple en français99) et l’élite possédante, dirigeant effecti-vement (euparoï, having, élite). Soit l’équation :

Peuple politique = peuple social + élite(s) A contrario : Population = « populace » + éligarchie(s).

En concevant aussi des confédérations, puis des ensembles régionauxcoopératifs plus que concurrentiels, en Europe inclusivement.100

Benjamin Barber : « A longue échéance, les Etats-Nations restent l’expressionla plus puissante de la communauté humaine et les meilleurs garants de stabilité(bien que pas toujours de démocratie) ». 101 Il vante le modèle confédéral.

7. Les conditions d’une paix positive

La paix ne se réduit pas à l’absence de guerre ou d’autres conflits violents.Elle n’est pas non plus la domination.

En 1980, le président du GIPRI, le professeur Roy Preiswerk, a défini lesconditions de la paix positive et dynamique102. L’authentique paix inclut la justice,car l’injustice appelle la révolte, le trouble, la guerre civile ou extérieure.L’authentique paix absolue n’est pas de ce monde, mais il convient d’y tendre.

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103 Au sens du CETIM (Centre Europe-Tiers Monde) de Genève http://www.cetim.ch104 « Le principe dialogique nous permet de maintenir la dualité au sein de l’unité. Il associe deux

termes à la fois complémentaires et antagonistes », Edgar Morin. Introduction à la penséecomplexe. ESF Editeur, Paris, 1990.

105 G. Corm. Pour une lecture profane des conflits. Paris, La Découverte, 2012, p.33.

Pour ce faire, il importe de partir de la réalité, du monde tel qu’il est pour, mesurantl’écart, promouvoir les réformes le rapprochant d’un ordre souhaitable, par une vision partagée dans l’élaboration d’un consensus. La perspective de « paix positive etdynamique » est une réponse à la dénonciation de la « violence structurelle ».

La réalité est celle d’un ordre/désordre s’apparentant au chaos. Puissancesétablies, puissances en devenir, impuissances frustrées contribuent aux rivalités,à l’instabilité, au chaos. Ce désordre organisé, nous le qualifions de mal-ordre,coextensif au malaise et au maldéveloppement103. Les guerres contre l’Irak etcontre la Libye ont activement participé à la constitution de l’Etat islamique.

La guerre se met en scène et en mots autant qu’en armes. Le chercheur pourla paix se doit d’échapper aux simplifications induites par les propagandes mas-quées en informations. Il doit s’efforcer de penser en termes dialectiques et dia-logiques,104 (E. Morin). Les conflits de religions ou « de civilisations » serventde paravent aux divergences politiques ou économiques, comme le remarqueGeorges Corm. « Il est important de tenter une mise en ordre des différentes cau-salités qui peuvent expliquer le maintien, et dans certaines zones, l’extension desconflits. Une des plus importantes a trait à la pesanteur historique qui affecte lebloc des nations occidentales, encore largement prisonnières du poids du passé ».105

L’article 47 (ch. VII) de la Charte des Nations unies, stipulant un Comitéd’état-major auprès du Conseil de sécurité, est resté lettre morte. L’heure n’est-elle pas venue de réunir les conditions de sa mise en œuvre ?

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106 « L’hubris, rappelons-le, ce n’est pas seulement l’orgueil coupable, mais aussi la fougue,l’ardeur, l’élan vitale » relève Régis Debray dans « Occident, fiche technique », in revue Mé-dium, 34, 1er trimestre 2013. Point trop n’en faut.

107 G. Corm. Pour une lecture profane des conflits. Paris, La Découverte, 2012, p.235 et suivantes.

108 H. Belmessous. La guerre urbaine dans les cités françaises ; Regards croisés sur la guerreet la paix . Cahier du GIPRI n°9, Paris, L’Harmattan, 2009.

Conclusion

Passer de l’hubris (démesure106) à la phronesis (prudence), des éligarchiesdissociées des nations aux élites associées à leurs peuples, de l’antagonismeindividu / communauté à une valorisation de la personne insérée dans une col-lectivité nationale, du « dialogue entre religions » à des échanges équilibrés entrepeuples par une « laïcité laïcisée » 107, sont les conditions d’un humanisme appeléà sous-tendre la réorganisation du monde.

L’ordre moins instable du monde passe par un rééquilibrage culturel, poli-tique, économique, militaire, assis sur une reconstruction conceptuelle et séman-tique. Le manque d’idéal collectif conduit des jeunes vers des idéologiesviolentes. Les élites intellectuelles et politiques portent une lourde responsabilitédans ce délitement social et moral.

Encore faut-il que les peuples s’approprient ou se réapproprient leurs Etatslargement privatisés, confisqués par des éligarchies. Le mal-ordre mondial estl’extension du désordre régnant dans maints Etats. Le désordre est, sinon organisé,du moins impulsé par les forces davantage aptes à détruire qu’à construire.En apprentis-sorciers, ces forces militaromarchandes tiennent le chaos pour créa-teur d’un nouvel ordre. Face à elle, en miroir, des djihadistes, plus artisanaux, secomportent en entrepreneurs de violence invoquant Dieu, totem symbolique.

Les guerres actuelles combinent souvent des conflits internes et des affronte-ments de grandes puissances, économiques ou politiques. Les « Occidentaux »s’épargnent encore les guerres civiles, mais les conditions de leur probabilitégagnent en importance. Les scénarios de « guérilla urbaine » enseignés dans desacadémies policières ou militaires pourraient s’avérer les modèles de guerresciviles à venir, nourries de l’extérieur.108

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109 E. Kant. Projet de paix perpétuelle, Paris. Gallimard, 1986, Œuvres complètes, vol.III,p.351.

En 1795, Emmanuel Kant annonce notre « post-modernité » : « A quelle dis-tance de cette perfection ne sont pas les nations civilisées et surtout les nationscommerçantes de l’Europe ! A quels excès d’injustice ne les voit-on pas se porter,quand elles vont découvrir des pays et des peuples étrangers ! (Ce qui signifiechez elles les conquérir). (…) Sous prétexte de n’établir dans l’Hindoustan quedes comptoirs de commerce, ils y débarquèrent des troupes étrangères et par leurmoyen ils opprimèrent les naturels du pays, allumèrent des guerres entre les dif-férents Etats de cette vaste contrée, y répandirent la famine, la rébellion, la per-fidie et tout ce déluge de maux qui afflige l’humanité ».109

Les « nations civilisées » n’ont plus le contrôle exclusif de la puissance, maisleurs éligarchies gardent plusieurs attributs de la suprématie territoriale et réticu-laire. Leurs propres peuples ne sont guère moins victimes que les « peuples étran-gers », ils subissent moins de violence directe. Les peuples des puissancesémergentes ne sont pas mieux lotis.

Le défi démocratique double le défi pacifique dans la nécessaire réorganisa-tion du monde et pour la survie de la planète.

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GLOSSAIRE

Acratie : « Incapacité des hommes au pouvoir à l’assumer réellement, à affronterles enjeux majeurs, les problèmes les plus graves, à définir et engager les straté-gies nécessaires et à imposer les efforts que les choix faits impliquent. Et mêmeceux dont les discours montrent, qu’ils ont bien vu l’essentiel, se révèlent inca-pables de le prendre en charge ou de mettre en œuvre les processus ou les procé-dures qui s’imposent ». Michel Beaud. Le basculement du monde. Ed. 2000,p.232.Actent : l’acteur est supposé agir librement, l’agent est tenu pour un acteur plutôtpassif du système, l’actent est agi et agissant dans un champ de forces.Appropriation : processus par lequel les êtres humains, les groupes sociaux etles sociétés s’approprient des ressources matérielles et immatérielles constitutivesde leurs propriétés.Eligarchie : les élites associées à leurs peuples deviennent des éligarchies en s’endissociant.Mal-ordre : désigne l’ordre/désordre du monde empreint de malaise et de mal-développement.(CETIM)Propriété : être et avoir, la propriété éclaire, par l’appropriation, l’imprécisenotion d’identité.SNMH : « Système national / mondial hiérarchisé ». Expression argumentée deMichel Beaud pour préciser la notion floue de « mondialisation ».Terréseau : le pouvoir multidimensionnel, multisectoriel, globalisé, est àl’articulation impériale des territoires et des réseaux.

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LE REGIME AFRICAIN ANTITERRORISTE

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1 Dr. Bruno Mve Ebang est Docteur en science politique à l’Université Omar Bongo deLibreville (GABON).

LE REGIME AFRICAIN ANTITERRORISTE

Dr. Bruno MVE EBANG1

Résumé

Le terrorisme est la menace à la sécurité internationale par excellence.Les attentats en France, la guerre civile syrienne, l’Etat Islamique sontdes faits qui démontrent que depuis les attentats du 11 Septembre, lerythme des actions terroristes s’accélère constamment. L’Afrique n’estpas en reste dans cette insécurité généralisée et toutes les politiques desécurité et de défense semblent inefficaces au regard de la capacité deregénérescence des mouvements terroristes. Via la théorie des régimesinternationaux, l’analyse théorique, stratégique et juridique de l’ordonnan-cement répressif antiterroriste universel et africain nous permet de mettreen lumière une nouvelle grille de lecture facilitant la compréhension etl’orientation de l’émergence de la lutte contre ce phénomène en Afrique.L’antiterrorisme africain est en marche et ne pourra être pérenne qu’avecune mise en œuvre militaire efficace. La coopération et la répression ju-ridique de ce régime ne peuvent être justifiables que si l’Afrique acquiertune indépendance militaire.

Mots clés : Régime, coopération, antiterrorisme, lutte, Afrique.

Abstract

Terrorism is the threat to international security through excellence. Theattacks in France, the Syrian civil war, the Islamic State are all done sho-wing that since the attacks of September 11, the pace of terrorist actionsconstantly accelerating. Africa is not left behind in this widespread inse-curity and all security and defense policies seem ineffective in terms of the regeneration capacity of terrorist movements. Via the international re-gimes theory, the theoretical, strategic and legal analysis of the universal

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and African counterterrorist repressive scheduling allows us to highlighta new interpretative framework to facilitate the understanding and theorientation of the emergence of the fight against this phenomenon. Africancounterterrorism is running and can only be sustainable with a setting ef-fective military work. Cooperation and legal repression of that regimecan’t be justified that if Africa acquires a military independence.

Keywords : Regime, cooperation, counterterrorism, fight, Africa.

Introduction

La prise de 7 otages dans la mine d’Arlit au Nord du Niger le 17septembre 2010 par l’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), l’en-lèvement de 276 filles par Boko Haram le 14 avril 2014 à Chibok au

Nord du Nigéria, l’attaque des Shebabs ayant fait plus de 148 morts à l’Uni-versité de Garissa à l’Est du Kenya le 2 avril 2015, et le 20 décembre 2015,l’attentat d’Al-Mourabitoun2 ayant fait 27 morts au Radisson Blu de Bamakoau Mali. Voilà autant d’actes terroristes qui démontrent l’accélération du phé-nomène terroriste en Afrique. Et le 15 janvier 2016, l’attentat au Splendid Hôtelde Ouagadougou (Burkina-Faso), ayant fait 29 morts, montre que la donne n’estpas prête de changer. En effet, depuis que les Etats-Unis ont été touchés parune agression majeure, le terrorisme constitue la menace désétatisée par excel-lence, le stade suprême de la menace asymétrique qui s’incarne en un élémentqui répand la terreur n’importe où3. L’insécurité internationale issue du terro-risme notamment en France, en Syrie et en Turquie montre qu’au-delà descoalitions militaires et autres, la lutte contre ce fléau nécessite avant tout un en-gagement ferme et une action interétatique conjointe.

2 C’est un groupe islamiste armé créé le 20 août 2013 suite à la fusion du groupe Al-Moulatha-moun (Signataires par le sang) de Mokhtar Belmokhtar, ex-chef d’AQMI, et du Mouvementpour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).

3 Tercinet Josiane. La lutte contre le terrorisme, un défi pour le Conseil de sécurité. In : Lutteantiterroriste et relations transatlantiques. Collection études stratégiques internationales,Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 195.

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Face à une telle menace qui concerne chacun, la réponse adaptée est une coo-pération internationale étroite mais difficile à mettre en œuvre. En effet, en dépitde ce désordre international, force est de constater que « des périodes de concertentre puissances succèdent à des périodes de guerre, que les courses aux arme-ments n’empêchent pas des processus de contrôle des armements, voire de dés-armement que le libre-échange organisé se dispute au libre-échange prédateur,etc.»4. Dès lors, les manifestations contemporaines du terrorisme exigent etconduisent à une diversification et une amplification des mécanismes de lutte.Ces instruments de répression sont essentiellement des outils internationaux pourune action antiterroriste universelle, régionale, voire sous-régionale primordiale.

4 Battistella, Dario. Théories des relations internationales. Paris, PUF, 2012, p. 447.

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L’étude de ces rapports de coopérations institutionnalisés, analysés via la Théoriedes Régimes Internationaux (TRI), nous permet de mettre en évidence un régimeafricain antiterroriste.

La TRI, comprise dans les théories de la régulation, implique l’analyse de ré-gimes comme des « institutions fonctionnelles ayant pour but d’aider les États àrésoudre des dilemmes posés par la coopération des jeux répétés à l’échelleinternationale5 ». La TRI est née dans les années 1970, sous l’égide de l’Econo-mie Politique Internationale (EPI), avec pour but d’offrir des outils théoriques derégulation de la société internationale6. En effet, l’EPI, qui traite de « l’interactionréciproque et dynamique dans les relations internationales entre l’accumulationde la richesse et la poursuite de la puissance7 », avait permis de mettre en lumièreles divergences, les affrontements, mais aussi la coopération entre différents Etatsdurant la Guerre froide. Elle est donc apparue dans un contexte d’insatisfactionpar rapport au classicisme théorique qui n’arrivait pas, dans une situation d’af-frontements, à expliquer l’émergence de rapports néoréalistes de coopérationsinstitutionnalisés dans des domaines de la vie internationale. Force est donc deconstater que l’urgence de la lutte contre le terrorisme pousse aujourd’hui lesEtats-Unis et la France à discuter avec la Syrie et la Russie face à l’emprise del’Etat Islamique, sa force de frappe et sa capacité à recruter de nouveaux djiha-distes européens missionnés pour commettre des attentats en Europe.

D’après la définition devenue canonique de Stephen Krasner, un régime sedéfinit comme « un ensemble explicite ou implicite de principes, de normes, derègles et de procédures de prise de décision autours duquel les anticipations desacteurs convergent dans un domaine donné des relations internationales8 ». Lesprincipes sont des standards comportementaux, les normes se traduisent en termede droits et d’obligations, tandis que les règles mettent en scène des prescriptionsou proscriptions9. De fait, un régime peut engendrer une institution/

5 Breitmeier, Helmut [et al.]. Analyzing International Environmental Regimes. London, MITPress, p. 5.

6 Kebadjian, Gérard. La théorie de la régulation face à la problématique des régimes interna-tionaux. http://www.redcelsofurtado.edu.mx/archivosPDF/kabad1.pdf, consulté le 2/01/2016à 17H43.

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8 Krasner, Stephen. Structural causes and Regime Consequences : Regimes as InterveningVariables. International Organization, vol. 36, n°2, p. 186.

9 Idem.

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organisation mais ne pas y être réduit10 . En effet, toutes les organisations inter-nationales sont des régimes, mais tous ne donnent pas nécessairement naissanceà des organisations internationales.11 Malgré d’autres tentatives définitionnelles,il faut reconnaitre que celle de Krasner continue de faire figure de favorite dansla discipline, ce qui pousse à parler de « consensus de définition12». Plus tard,Keohane ajoute que le régime se situe à un niveau plus élevé, que les accords bi-latéraux ou multilatéraux13 qui sont des arrangements institutionnels interéta-tiques14 dans un domaine défini, généralement préoccupant. Le terrorisme, enl’occurrence, trouve l’institutionnalisation de sa répression en Afrique du fait desa montée en puissance.

La pluralité de définitions existantes du terrorisme démontre qu’il est conti-nuellement sujet à discussion, à interprétation et à émotion, car « le terroriste desuns est le résistant ou le combattant de la liberté des autres15». Cette différencia-tion démontre que « le phénomène de la qualification de tel acte, personne oumouvement comme "terroriste", est victime de l’époque et de la récupération ter-minologique qui en est faite pour apaiser les aspirations sensationnalistes desjournalistes et des hommes politiques faisant référence au tragique de l’histoirepour renforcer la peur du présent16». Or d’après la doctrine, tout effort de quali-fication et de définition doit se conformer à deux principes essentiels que sontles critères de cohérence intellectuelle et de pertinence heuristique, mais aussi laconservation d’une proximité maximale avec le sens commun17. Dans le casdu terrorisme, ces deux exigences d’objectivité sont difficilement réalisablesà cause de la subjectivité et des différents aspects émotionnels qui y sont attachés.

10 Oran Young fait une distinction entre institution et organisation. Une institution possède desbureaux, un budget, des fonctionnaires et est souvent juridiquement identifiable, tandis quel’organisation est un ensemble de codes de conduite.

11 Smouts Marie-Claude. Les Organisations internationales. Paris, A. Colin, 1995, p.27.12 Hasenclever Andreas [et al.]. Interests, Power, Knowledge : The Study of International Re-

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Ainsi, toutes les définitions se cantonnent à la condamnation et révèlent soncaractère destructeur dont les racines historico-politiques tracent son inhumanité.18

Le terrorisme peut être conçu comme une « forme de violence s’attaquant àdes individus innocents, le plus souvent par le biais d’attentats spectaculairesafin de paralyser, d’intimider tous les autres membres de la société ou de la com-munauté visée. Cette violence serait barbare, illégitime dans la mesure où elles’en prendrait à des individus innocents, non concernés par le conflit, et parcequ’elle s’exercerait le plus souvent dans le cadre d’États qui permettent d’autresmoyens d’expression que la violence pour faire connaître son opposition à lapolitique gouvernementale »19. Cette définition aborde le terrorisme sous les deuxangles fondamentalement pris pour le concevoir : le mobile politique et lesméthodes utilisées. Si pour certains « le mobile n’importe pas »20, pour d’autresle terrorisme est fondamentalement et intrinsèquement de nature politique,21 carà travers cela, les terroristes essayent de parvenir à leur fin, qui est d’obtenir dela cible une attitude favorable à leurs revendications en l’obligeant à des conces-sions, et en la contraignant à un comportement donné. En revanche, la cause dé-fendue ne peut pas légitimer les moyens utilisés pour la défendre malgrél’asymétrie de l’affrontement terroriste-Etat22. En effet, le terrorisme est conçucomme le recours du mécontent et l’arme du faible. Pourtant, depuis le 11 sep-tembre 2001, le monde est contraint d’accepter une chose : le mécontent ou lefaible peut se montrer aussi décisif qu’une véritable armée et dispose de moyensefficaces. Le temps des conflits étatiques classiques s’éloignant, nous sommesentrés dans une période historique où un homme ou un groupe dispose d’un pou-voir de contrainte violent. En dépit de notre désir de ne pas l’accepter, une réalités’impose, et partout, nous voyons que l’état est impuissant à s’imposer aux« vrais croyants23».

18 Derrida Jacques et Habermas Jurgen. Le concept du 11 septembre : dialogue à New York(Octobre-Décembre 2001) avec Giovanna Borradori. Paris, Galilée, 2004.

19 Bigo Didier. L’impossible cartographie du terrorisme. Cultures et Conflits, mis en ligne le 25février 2005 in http://conflits.revues.org/index1149.html. Consulté le 17/07/2015.

20 Eqbal Ahmad. Terrorism : theirs and ours. In: Howard, Russel et Sawyer, Reid. Terrorismand Counter terrorism : understanding the new security environment. Guilford/Mc Graw- hill/Dushkin, 2003, p.43.

21 Lire Burgess. Mark, A brief history of terrorism. Washington, Washington DC center for De-fense information, 2003.

22 Di Rienzo Stephen et David Dominique. Terrorisme : une forme inédite d'expression de lapuissance. Politique étrangère, 2006/2, p. 379.

23 C’est Eric Hoffer qui a le premier repris ce concept dans son ouvrage : The True Believer:Thoughts on the Nature of Mass Movements. New York, Harper Publishers, 1951.

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Le Word Trade Center (WTC) révèle donc au monde l’émergence d’une nou-velle menace extrêmement violente et intégriste. L’invasion américaine de l’Irak,sous le coup de l’émotion et aux motifs subjectifs24, conduit à une traque de BenLaden pendant dix ans. Cette chasse à l’homme, l’existence jusqu’à nos joursd’Al-Qaida et la naissance de nouvelles mouvances terroristes font prendreconscience de certains éléments, notamment en Afrique.

D’abord, le caractère industriel sanglant, massif et médiatique visé par l’at-taque terroriste démontre que le terrorisme est « un extrémisme de moyen et nonde fin25 » défini par « la peur qu’il engendre et qui opte plutôt à créer une am-biance de terreur que de causer des dégâts matériels26 » : Bombay en 1993 (317morts), Dar es Salam et Nairobi en 1998 (224 morts), plus de 3000 en 2001 auWTC, etc.

Ensuite, les réseaux terroristes, surtout ceux d’inspiration islamiste, constituésd’un assemblage d’entités et d’individus organisés sur un mode horizontal et plusou moins connectés entre eux, sont atomisés, déstructurés et ne révèlent pas uneorganisation pyramidale, hiérarchisée, avec des donneurs d’ordre identifiables.Ainsi, ils ne sont pas établis sur un territoire délimité par des frontières et leurspropensions à les transcender rendent difficiles toutes les entreprises répressives,surtout unilatérales.

Enfin, des organisations telles qu’Al-Qaida deviennent des sortes de label aupoint où des groupes lui prêtent allégeance et se revendiquent d’appartenir à samouvance : le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), crééen Algérie en 1998, prête allégeance le 24 janvier 2007 et devient AQMI. Le 7mars 2015, Boko Haram se soumet à l’Etat Islamique et se rebaptise ProvinceOuest-africaine de l’Etat Islamique.

24 Au motif qu’il cachait Oussama Ben laden et des armes de destructions massives, GeorgesBush envahit l’Irak. Or, aujourd’hui, il est clairement avéré que Saddam Hussein ne cachait nile terroriste ni lesdites armes, mais en plus l’attaque de Bush fils avait pour but de venger Bushpère qui avait connu un échec lors de la première Guerre du Golfe durant l’opération « Tempêtedu désert » au début des années 1990.

25 Jongman, Albert [et al.]. Political terrorism: a new guide to actors, authors, concepts, databases, theories and litterature. New Brunswick, Transaction Books, 1988, p.14.

26 Aron Raymond. Paix et guerre entre les nations. Calmann-Lévy, Paris, 1962, p.19.

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Face à ce constat, pourquoi a-t-il fallu attendre 2002 pour la ratification dupremier instrument continental antiterroriste africain qu’est la Convention d’Algersur la Prévention et la Lutte contre le Terrorisme ? Le massacre de Louxor enEgypte le 17 novembre 1997 ou encore la destruction des ambassades américainesà Nairobi (Kenya) et à Dar es Salam (Tanzanie) le 7 aout 1998, auraient justifiécela, mais après l’adoption de la Convention d’Alger en 1999, il a donc fallu at-tendre trois ans pour qu’elle soit ratifiée. Par ailleurs, le mimétisme de ce textevis-à-vis des instruments internationaux démontre que l’édiction d’un régime afri-cain antiterroriste ne pourrait se concevoir autrement que dans une diffusion del’échelle mondiale à l’échelle étatique. Et c’est là un autre problème ! Si l’un desobjectifs de cette contribution est de mettre en lumière les différentes normes, rè-gles et principes antiterroristes africains en cherchant à comprendre pourquoicette institutionnalisation a pris autant de temps, nous verrons que la définitionde normes antiterroristes africaines provient d’une juridicisation internationaledictée par des organismes mondiaux (ONU), dont se sert une hyperpuissance pourremplir sa fonction de « gendarme du monde » (Etats-Unis), afin de résoudre unproblème qui touche l’ensemble des régions. A partir de là, quand on connaitl’attentisme et les faiblesses sécuritaires de l’Afrique, on pourrait penser qu’ilserait malvenu d’y concevoir l’existence d’un régime autrement que dansun suivisme de l’ordonnancement juridique international27(1). Ce dernier est doncle résultat d’une coopération institutionnelle d’interdépendance. La diffusion auniveau régional et intra-étatique dudit normativisme obéit donc au même schéma (2).

1. La « dépendance de sentier » de l’Afrique à l’antiterrorisme international

L’évolution des régimes internationaux, par des amendements oudes diffusions, change difficilement de trajectoire dès lors que les buts sontclairement définis notamment à cause de leurs profonds ancrages juridico-idéo-logiques. L’adoption par une région ou d’un Etat de principes, normes etrègles déjà prises au niveau universel ne peut donc se faire que dans unsuivisme, dans une path dependence, de l’ordonnancement déjà établi28 (1.1).

27 Agnoro, Sami [et al.]. La lutte contre le terrorisme en Afrique : mythe ou réalité ? Questionsde sécurité, p.196.

28 Palier Bruno et Bonoli Guiliano. Phénomènes de path depedence et réformes des systèmes deprotection sociale. Revue Française de Science Politique, vol. 49, 1999, pp. 399-420.

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Ce néo-institutionnalisme africain obéit donc au fait que les décisions passéesinfluencent les décisions présentes et futures afin de renforcer (positive feedback)et d’assurer la survie du régime. En effet, le néo-institutionnalisme voit les insti-tutions comme des outils de production de mécanismes de coordination29, d’équi-libre et de calculs stratégiques face à des dilemmes internationaux30. Ainsi, selonson approche sociologique, « la création de nouvelles institutions se fait dansune logique de compatibilité avec celles déjà existantes31». L’isophormisme an-titerroriste africain se fait donc de façon graduelle et lente, car il s’inscrit dans unprocessus d’évolution déjà balisé. Les Etats, ayant des intérêts communs, mettentainsi en place des standards de gouvernance par le biais d’une coopération à unhaut degré d’institutionnalisation, l’objectif étant la mutualisation des moyens.Si les Etats-Unis, comme fer de lance surtout depuis le 11 Septembre, font figurede locomotive au niveau étatique, à l’échelle institutionnelle, c’est l’ONU quidispose d’une pluralité de textes antiterroristes (1.2). Cette coopération révèleune interdépendance qui invoque non seulement une vision normative, mais aussisolidariste des rapports internationaux en mettant l’accent sur « la communautéde destin32 ». Dans ce cadre, les Etats sont devenus interdépendants de telle sorteque « ce qui affecte l’un d’entre eux, affecte tous les autres33». Au final, cettemondialisation, à l’origine de l’avènement d’un régime antiterroriste, est prochedu multilatéralisme qui se conçoit comme un « ordre international coopératif ré-gissant les interdépendances internationales34».

1.1. De l’existence d’un régime international antiterroriste

Si la Convention d’Alger propose une définition et une répressiondu terrorisme en Afrique, le fait en lui-même, au-delà de l’ambiguïté quantà la distinction entre terroristes et combattants de la liberté, y est unevieille tradition dont la lutte n’était basée que sur un normativisme universel.

29 Thelen, Kathleen. Historical Institutionnalism in Comparative Politics. Annual Review of Po-litical Science, n°2, 1999, p.382.

30 Lecours, André. L’approche néo-institutionnaliste en science politique : unité ou diversité ?Politiqueet Sociétés, vol.21, n°3, 2002, pp. 11-13.

31 Idem., p. 9.32 Battistella, Dario [et al.]. Dictionnaire des Relations internationales. Paris, Dalloz, 2012, p.289.33 Devin, Guillaume. Traditions et mystères de l’interdépendance internationale. In : Morvan,

Pascal (Dir.). Droit, politique et littérature : mélanges en l’honneur du Professeur Yves Gu-chet. Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 123.

34 Petiteville, Franck. Le multilatéralisme. Paris, Montchrestien, 2009, p. 63.

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Et c’est à ce niveau que nous parlions de suivisme, car le phénomène terroristeafricain, qu’il soit étatique35 ou issu d’organisations politiques dont les leaderssont devenus des chefs d’Etats reconnus comme Nelson Mandela, a attendu laguerre contre le terrorisme mondial, à laquelle s’est substituée en 2005 « le com-bat mondial contre l’extrémisme violent », pour connaitre une ratification de l’or-donnancement répressif de la principale organisation africaine. Pourtant, en raisondes répercussions sur l’industrie du tourisme, la large médiatisation des attentatsde Louxor et des ambassades américaines nairobiennes et irinopolitaines sont au-tant de faits marquants qui justifiaient l’émergence d’un tel régime. Ce retard àl’allumage dans la pénalisation africaine du terrorisme peut aussi s’expliquer parle fait qu’à la notable exception de l’Algérie qui en a connu les conséquencesavec l’apparition du Front Islamique du Salut à la fin des années 1980, peu depays s’étaient auparavant frottés et ensuite préparés à la gestion de ce péril. Il adonc fallu attendre les exactions terroristes des années 90 évoquées ci-dessuspour constater une prise en compte africaine.

En attendant, la lutte africaine antiterroriste se basait donc sur des conventionsuniverselles sectorielles, des résolutions et Conventions de l’Assemblée Généraledes Nations Unies (AGNU), et des résolutions du Conseil de Sécurité des NationsUnies (CSNU)36.

Au titre des Conventions sectorielles, ce sont des textes adoptés par desinstitutions internationales spécialisées dont des Etats africains sont parties. Ainsi,nous avons par exemple les instruments de l’Organisation de l’Aviation CivileInternationale (Convention de la Haye pour la répression de la capture illicited’aéronefs de 1970 ; Convention pour la répression des actes illicites dirigéscontre l’aviation civile de 1971, etc.), de l’Organisation Maritime Internationale(Convention de Rome pour la répression d’actes illicites contre la sécurité et la na-vigation maritime de 1988, etc.) et de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique

35 Les attentats de Lokerbie commandités par le gouvernement libyen en 1989 et son hébergementsans réagir des groupes terroristes dont celui de Ben Laden jusqu’en 1996 pousseront les Etats-Unis à classer ce pays au rang d’ « Etat voyou ». Lire par exemple Skubiszewski Krzysztof.Definition of terrorism. Israel yearbook of Human rights, 1989, vol. 19, pp. 46-49, Paye, Jean-Claude. Lutte antiterroriste ou terrorisme d’Etat. Parangon, Paris, 2004. Capelle, Jean-Marc.Existe-il un terrorisme d’Etat ? Editions Strasbourg, Strasbourg, 1987.

36 Martin, Jean-Christophe. Le terrorisme. In : Hervé Ascensio [et al.]. Droit internationalpénal. Paris, Pédone, 2012, pp.280-284.

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(Convention de Vienne sur la protection physique des matières nucléaires de1979). Si certains de ces textes n’ont pas été rédigés spécifiquement pour lalutte antiterroriste et n’y sont pas exclusivement dédiés, ils sont pourtant consi-dérés comme tels : tout détournement d’aéronef n’est pas forcément terroriste,et l’assassinat par un mari jaloux d’un diplomate n’a rien de terroriste. Or, cedernier est protégé par la Convention de Vienne de 1973 sur les infractionscontre les personnes jouissant d’une protection internationale, considéréecomme un texte antiterroriste37.

En ce qui concerne l’AGNU, nous avons des mesures, visant à éliminer leterrorisme international et à protéger les libertés fondamentales de cette menace,édictées, par exemple, dans la Convention pour la répression des attentats ter-roristes à l’explosif de 1997 et 2005, dans la Convention pour la répression dufinancement du terrorisme de 1999, etc. Il y a notamment aussi la Résolution49/60 de 1994 qui condamne tous les actes, méthodes et pratiques terroristes,où qu’ils se produisent et quels qu’en soient les auteurs, et la 51/210 de 1996qui a créé le comité ad hoc sur le terrorisme ayant notamment adopté la Réso-lution 60/288 de 2006 chargée de définir la Stratégie antiterroriste mondialedes Nations Unies38.

En considérant que « tous les actes de terrorisme […], quels qu’en soient lesmotifs, qu’ils soient commis et quels qu’en soient les auteurs, constituent l’unedes plus graves menaces contre la paix et la sécurité internationale » (résolutions1566 (2004)), le CSNU a adopté la célèbre Résolution 1373 de 2001 qui imposeaux Etats de réprimer et prévenir le terrorisme, et d’autres mesures vigoureusesleur demandant de lutter contre des personnes physiques et morales considéréescomme étant liées à Al-Qaida et aux Talibans (Résolutions 1267 (1999), 1333(2000), 1455 (2003), etc.).

En lisant ces instruments juridiques, on constate une constante normative quidicte l’attitude à adopter par les Etats parties à ces instruments, car il leur estnotamment énoncé des obligations de prévenir, de condamner, d’éliminer,de s’abstenir de tolérer, d’organiser, d’aider, de fomenter, de financer ou d’encou-rager le terrorisme39 et, à terme, d’adopter dans leurs législations nationales

37 Rapport des travaux de la 24ème session de la Commission du Droit International, A/8710/Rev.,p.343.

38 Klein Patrick. Le Droit international à l’épreuve du terrorisme. RCADI, Tome 321, 2006,pp. 310-328.

39 Samar Yassine. Le Conseil de Sécurité et la lutte contre le terrorisme. Thèse de Doctorat enDroit Public, Université Montpellier I et Université Libanaise, 2001, pp.120-133.

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des mesures spécifiques de lutte40. Ces obligations erga omnes, collectives et dansl’intérêt commun sont intégrales et se définissent comme des obligations, dontl’exécution scrupuleuse constitue une condition sine qua non pour le fonctionne-ment du régime41. Les états se trouvent alors en face de nouvelles obligations quipeuvent être non prévues par leurs législations internes, cependant, ils sont tenusde les appliquer de bonne foi ou par la contrainte. A ces obligations normativess’ajoutent des règles coutumières qui reconnaissent, incriminent et répriment tousles actes de terrorisme. Le Tribunal Spécial pour le Liban, dans sa décision pré-judicielle du 16 février 2001 (affaire n°STL), affirme que le terrorisme est uncrime international en vertu du droit international coutumier, et à ce titre, toutEtat a l’obligation de prévenir, réprimer, poursuivre et juger sur son territoire lespersonnes impliquées dans des actes de terrorisme.

Au-delà de ces obligations énoncées en particulier dans la Résolution 1373,conçue comme « un catalogue de mesures pour éliminer le terrorisme interna-tional42 », le régime international antiterroriste préconise une forte coopération,judiciaire et policière, et une conjonction des moyens interétatiques pour faireface à cette menace. En effet, il ressort par exemple de l’examen de quelques ré-solutions que les Etats sont tenus de collaborer d’urgence pour prévenir et répri-mer les actes de terrorisme43. Ils doivent aussi perfectionner leur coopérationinternationale en prenant des mesures supplémentaires pour prévenir et réprimersur leurs territoires le financement et la préparation de tout acte de terrorisme44.Cela passe donc par une prestation mutuelle d’une assistance lors des enquêtescriminelles et autres procédures portant sur le financement d’actes de terrorismeou l’appui dont ces actes ont bénéficié, y compris l’assistance en vue de l’obten-tion des éléments de preuve qui seraient en leur possession et qui seraient néces-saires à la procédure. Les échanges de renseignements conformément au droitinternational et national passent ainsi par une coopération sur les plans adminis-tratifs et judiciaires afin de prévenir les actes de terrorisme45.

40 Résolutions 1373 (2001) et 1540 (2004) du CSNU.41 Sicilianos Linos-Alexander. Classification des obligations et dimension multilatérale de la res-

ponsabilité internationale », in DUPUY, Pierre-Marie (dir), « Obligations multilatérales, droitimpératif et responsabilité internationale des États. Institut Universitaire Européen, Colloqueinternational de Florence 7 et 8 décembre 2001, Paris, Pedone, 2003.

42 Samar Yassine. Op. Cit., p. 128.43 Alinéa 7 de la Résolution 1373 du 28 septembre 2001 puis, par la suite, l’alinéa 3 de la Réso-

lution 1617 du 20 octobre 2005 à réaffirmer ce principe.44 Alinéa 8 de la Résolution 1373 du 28 septembre 2001 puis, par la suite, le dernier alinéa de la

Résolution 1540 de 2004 à consacrer cette norme.45 8ème considérant de la Résolution 1535 de 2004 et l’alinéa 6 de la Résolution 1566 (2004).

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1.2 - Le régime de lutte contre le terrorisme de l’OUA à l’UA

Il existe un lien entre la résurgence du phénomène en Afrique et le terrorismeinternational. En Algérie par exemple, après le retrait soviétique en 1989 et la finde la guerre en Afghanistan, 600 à 1000 combattants islamistes, qui pour la pluspart avaient combattus aux côtés des Etats-Unis46, regagnèrent le pays de 1986 à1989, constituant dès cette époque la base d’une expansion terroriste sur uneassise islamiste. Quant à son financement, il fut d’abord assuré par l’Arabie saou-dite, puis par Oussama Ben Laden et d’autres contributeurs privés. C’est ainsique fut revivifié un extrémisme local prônant la violence, mais en se tournantdésormais vers l’extérieur. Le détonateur fut l’annulation des élections législativesde 1992 en Algérie. Des milliers de personnes furent tuées ou blessées dans laguerre civile qui s’ensuivit, dérivant d’une radicalisation favorisée par la stagna-tion économique et le chômage massif dans les banlieues et les bidonvilles. Lanuit de 29 décembre 1997, 412 hommes, femmes et enfants furent horriblementtaillés en pièces dans trois villages de la région de Relizane. En Tunisie, Libye,Egypte et dans certains Etats subsahariens, seules des mesures de sécurité rapideset efficaces colmatèrent la brèche. Cela démontra qu’en dépit d’une marginalisa-tion et minoration du fait terroriste africain, on entrait bien dans un nouveauchapitre d’une vieille histoire.

La prise de conscience africaine de sa sécurité n’est donc pas anodine toutcomme la révélation du régime énoncé ici. Cette africanisation de la sécurité seréfère à l’accroissement de la participation des Africains aux questions sécuritairescontinentales, notamment par l’implication croissante des institutions régionaleset le déploiement d’opérations de paix sur les théâtres de conflits47. Elle passe parune appropriation africaine correspondant à une tendance à la prise de contrôlepolitique effective de ces questions par les acteurs locaux.

C’est donc la Convention d’Alger, adoptée après le « point tournant48 » (cri-tical juncture des institutionnalistes historiques) du WTC, qui énonce pour la pre-mière fois une définition continentale du terrorisme et des engagements des Etats.

46 Cilliers Jakkie. L’Afrique et le terrorisme. Afrique Contemporaine, n°209, 2004/1, p. 85.47 Esmenjaud Romain et Franke Benedikt. Qui s’est approprié la gestion de la paix et de la

sécurité en Afrique ? Revue Internationale et Stratégique, 2009/3, n° 75, pp. 37-46.48 Lecours André. L’approche néo-institutionnaliste en science politique : unité ou diversité ?

Politique et Sociétés, vol. 21, n°3, 2002, p.12.

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Selon l’Article 1 § 3, un acte terroriste est « tout acte ou menace d’acte enviolation des lois pénales de l’État partie susceptible de mettre en danger la vie,l’intégrité physique, les libertés d’une personne ou d’un groupe de personnes,qui occasionne ou peut occasionner des dommages aux biens privés ou publics,aux ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel, et commisdans l’intention : (i) d’intimider, provoquer une situation de terreur, forcer, exer-cer des pressions ou amener tout gouvernement, organisme, institution, popula-tion ou groupe de celle-ci, d’engager toute initiative ou de s’en abstenir,d’adopter, de renoncer à une position particulière ou d’agir selon certains prin-cipes ; ou (ii) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la pres-tation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de criseau sein des populations ; (iii) de créer une insurrection générale dans un État Partie ».

Cette définition ne prend pas en compte l’extrémisme religieux violent, maispostule une répression du phénomène. Aussi, cette définition contient certainséléments vagues et incertains, tels que les locutions «selon certains principes»,«susceptible de» et «occasionne ou peut occasionner». Celles-ci n'ont pas decontours précis et les modalités de participation criminelle auxquelles elles fontréférence ne sont pas précisées. On peut donc dire que, dans la mesure où desconséquences sont attachées à la qualification d'un crime comme constituant unacte terroriste au sens de cette définition, cette conception de « l’acte terroriste »porte atteinte au principe de légalité des crimes et des délits, dans la mesure oùelle ne porte pas une définition assez stricte et précise de l’infraction. Le risqueest que certains crimes ou délits soient englobés dans la catégorie des actes ter-roristes alors qu’ils n’en auraient pas la nature. En effet, la Convention d'Algerélimine la frontière entre délit politique et acte terroriste. Aussi, en assimilant l'in-surrection au terrorisme, la Convention d'Alger nie l'existence du délit politique,voire même du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et ses connexités. Acteterroriste et délit politique sont deux catégories pénales différentes, soumises àdes règles distinctes, notamment en matière d'extradition. S'il est probable quelors d'une insurrection des actes terroristes soient commis – et leurs auteursdoivent être traduits en justice à ce titre – il s'agit d'un problème de concours d'in-fractions. Le droit international ne prohibe pas l'insurrection. Ce qui est interdit,et illicite, c'est la commission de certains actes49, car la prohibition du recours

49 Art. 3 commun aux Conventions de Genève, de 1949, et Protocole additionnel aux Conventionsde Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non interna-tionaux (articles 4 et 13).

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à la terreur et aux actes terroristes n'est pas générale ni abstraite, et elle est enétroite relation avec les notions de population civile et de personnes protégées dudroit international humanitaire50.

En outre, les articles 4 et 5 définissent les domaines de coopération dans les-quels les Etats parties doivent se consulter afin de bouter le phénomène du conti-nent. Ainsi, entre les engagements « à s’abstenir de tout acte visant à organiser,soutenir, financer, commettre, encourager des actes terroristes » (Art. 4 § 1), àles prévenir et à les combattre (Art. 4 § 2), à coopérer mutuellement (Art. 5) no-tamment en renforçant les échanges d’informations (Art. 4 § 2.e, Art. 5 § 1, Art.5 § 2 et suivants), ladite convention démontre que la lutte contre le terrorisme,malgré les moyens financiers ou militaires, ne peut être effective sans une coo-pération à toute épreuve. L’interdépendance vis-à-vis de la menace terroriste etle désir de coopération réaffirmé de l’OUA à l’UA démontrent que la conceptionanarchique de la scène internationale ne signifie pas le désordre et le chaos dé-bridé51. La coopération, moyen politique visant à rendre le monde plus sûr52,conduit lors de son édiction normative internationale à une institutionnalisationdu comportement extérieur des Etats. Donc, au-delà de la quête de la puissanceet de la richesse caractéristique de l’égoïsme étatique, on ne peut ignorer que« les trêves passagères53 », face à une menace transnationale, conduisent à unehomogénéisation et institutionnalisation des rapports interétatiques. Cela révèleque « l’entrechoc des boules de billards54 » peut laisser la place à « une toiled’araignée composée d’une pluralité d’acteurs aux transactions enchevêtrées55».

Dans le Protocole à ladite convention adopté à Addis-Abeba en Juillet 2004,il est juste réaffirmé un certain nombre d’engagements sans pour autant énoncerdes mesures de lutte concrètes ni intégrer la donne religieuse. Pourtant, ilest paradoxal de remarquer que lors de la 28ème session ordinaire de la Confé-rence des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OUA de Dakar, du 29 juinau 1er juillet 1992, il avait été recommandé un renforcement de la coopération

50 Andreu-Guzman Federico. Terrorisme et droits de l’homme : nouveaux défis et vieux dangers.Commission internationale des juristes, occasional papers, n°3, march 2003, pp. 150 -152.

51 Battistella Dario. Op. Cit., p.431.52 Claude Inis. Swords into plowshares. New-York, Random House, 1956, p.16.53 Spector Céline [et al.]. Jean-Jacques Rousseau : principes du droit de la guerre. Ecrits sur la

paix perpétuelle. Paris, Virin, 2008, p.568.54 Wolfers Arnold. Discord and collaboration. Baltimore, The John Hopkins Press, 1962, p.63.55 Burton John. World Society. Cambridge, Cambridge University Press, 1972, p. 36.

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et de la coordination afin de lutter contre les phénomènes de l'extrémisme et duterrorisme. L’absence de la prise en compte de l’extrémisme dans la Conventionet le Protocole pourrait s’expliquer par une négligence, une incapacité, voire unmanque de volonté de prendre au sérieux ce phénomène à ce moment-là. Néan-moins, l’article 2 du Protocole, tout comme celui de la Convention, réaffirme unrenforcement de sa mise en œuvre et la nécessité d’une coordination des effortsdu continent dans la prévention et la lutte antiterroriste. Aussi, il prévoit des en-gagements antiterroristes des états parties, comme par exemple empêcher l'entréede terroristes sur leur territoire ou geler des fonds et avoirs à des fins terroristes,et des recommandations dans la révision de leurs législations nationales.

En somme, malgré plusieurs sommets et autres réunions de l’OUA, il estdécevant de constater qu’il a fallu attendre son remplacement par l’UA pour voirune réelle émergence d’un régime africain antiterroriste. Par ailleurs, c’est lorsde la 341ème réunion du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), du 13 novembre2012, de la nouvelle organisation qu’on constate une prise en compte de la donnereligieuse et du caractère extrémiste violent du phénomène terroriste. C’est leRapport de la Présidente de la Commission de l’Union Africaine, lors de cetteréunion, qui énonce cet aspect pour la première fois sans pour autant véritable-ment le définir, mais conçoit cet extrémisme dans un sens de radicalisation. Néan-moins, des mesures de lutte, comme le développement de systèmes de justicepénale ou la mise en place de politiques de déradicalisation, sont énoncées et réaf-firmées. Mais, l’adoption de ce rapport par le CPS ne s’est suivie que par uneréaffirmation de certains engagements et le seul apport est l’opérationnalisationd’un sous‐comité contre le terrorisme, créé lors de sa 311ème réunion le 20 février2012, chargé de faire des recommandations sur les groupes, entités et individusà inclure sur la liste de l’UA des terroristes.

2. Internalisation régionale et étatique de l’antiterrorisme

L’intégration régionale est « la tendance vers la création volontaire d’unitéspolitiques plus larges, chacune évitant consciemment le recours à la force dansses relations avec les autres unités participantes56 » en créant ainsi des « ilôts de paix

56 Haas, Ernst. The study of regional integration. Reflections on the joy and anguish of pretheo-rizing. In: Lindberg, Leon et Scheingold, Stuart (eds). Regional integration. Theory and re-search. International Organization, 24/4, 1970, p. 607-646.

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au sein du système international57». Cette conception internationaliste s’inscritdans un programme de quête de la paix partagé par les néo-fonctionnalistes quipostulent que dans un monde fondamentalement devenu homogène, il ne faut« non pas […] maintenir les nations pacifiquement séparés les unes des autres,mais […] contribuer à les unir activement les unes aux autres 58 » afin de favoriserun « développement continu d’activités et d’intérêts communs transfrontaliers59 »(2.1). Cette volonté de régulation de la scène internationale via la coopérationpour la régionalisation aurait donc pris la place de l’hétérogénéité et de l’intérêtétatique particulier60. Avec l’interdépendance mutuelle, l’homogénéité commefondement et l’Etat comme pierre angulaire, une région peut désigner une airegéographique donnée détenant des caractéristiques propres qui révèle une histoirecommune, des valeurs et une certaine vision du type de relations à entretenir lesuns avec les autres dans le but de pérenniser le système. Une perduration quipasse aussi par une intériorisation étatique des principes, normes et standardsdudit système (2.2).

2.1- Des instruments sous-régionaux

Nous le verrons, il est paradoxal de constater que les premières initiativesnormatives antiterroristes africaines sont l’œuvre d’organisations régionales etsous-régionales. En effet, l’inefficacité de l’OUA devant les guerres fratricideset les massacres était révélatrice de ses faiblesses et « la multiplication des conflitsaux conséquences humaines et économiques dévastatrices, l’incapacité de l’OUAà y remédier, sont les raisons majeures qui, semble-t-il, ont conduit les dirigeantsafricains à prendre conscience de l’urgence de doter le continent d’une nouvelleinstance politique61 ». L’institutionnalisation de l’UA arrive donc dans uneAfrique insécurisée, où les organismes régionaux ont le vent en poupe. Dans lecadre de la lutte antiterroriste, elle se matérialise par l’adoption de textes visantà le réprimer via une coopération régionale efficiente. Cette institutionnalisationnormative et comportementale répressive des Etats d’une même sous-région vis-à-vis du terrorisme est tout de même promue dans le Protocole de l’OUA (Art. 6)

57 Nye Joseph. Peace in parts. Integration and conflict in regional organization. Boston, LitteBrown, 1971, p. 182.

58 Mitrany David. A working peace system. Chicago, Quadrangle, 1966, p.15.59 Idem., p. 62.60 Smouts Marie-Claude. Les nouvelles approches des relations internationales. Pratiques et

théories. Paris, Presses de Sciences Politiques, coll. « Références inédites », 1998, p. 135.61 Fogue Tedom Alain. Enjeux stratégiques et conflits politiques en Afrique noire. Paris, L’Har-

mattan, 2008, p. 348.

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notamment la promotion de la coopération régionale (Art. 6 § c et e), amiable(Art.7), afin d’aider les Etats de la région concernée « à mettre en œuvre les ins-truments régionaux […] de prévention et de lutte contre le terrorisme » (Art. 6 § f).

Un certain nombre de constructions régionales africaines ont adopté des textesvisant à ériger des principes, normes et règles afin de lutter contre le phénomèneterroriste ; certains bien avant la ratification de la Convention de l’OUA. Ainsi,par exemple, on a la Convention arabe sur la répression du terrorisme du 22 avril1998 et entrée en vigueur le 7 mai 1999, la Convention de l'Organisation de laConférence Islamique sur la lutte contre le terrorisme international du 1er juillet1999 entrée en vigueur le 7 novembre 2002, la Convention relative à la luttecontre le terrorisme en Afrique centrale du 27 mai 2004 de la Communauté Eco-nomique et Monétaire de l’Afrique Centrale à laquelle nous pouvons adjoindrela Convention de l'Afrique centrale pour le contrôle des armes légères et de petitcalibre, de leurs munitions et de toutes pièces et composantes pouvant servir àleur fabrication, réparation et assemblage, dite Convention de Kinshasa, adoptéele 30 avril 2010. Nous avons aussi la Directive n°04/2007/CM relative à la luttecontre le terrorisme dans les états membres de l'Union économique et monétaireouest-africaine du 4 juillet 2007.

Si toutes ces conventions réaffirment leurs engagements à tous les textes nor-matifs internationaux les précédant, deux d’entre elles, notamment la Conventionarabe et celle de l’Organisation de la conférence islamique, affirment le caractèrenon-violent de leur religion en rejetant de facto l’extrémisme et toutes justifica-tions religieuses à des actes portant atteintes aux droits de l’Homme et à la viehumaine. Dans la droite ligne de ces Conventions, les Etats membres de laCEDEAO ont décidé, le 17 décembre 2015 à Abuja, d’interdire le voile islamiqueintégral dans toute l’Afrique de l’Ouest afin de mieux lutter contre la multiplica-tion des attentats kamikazes commis notamment par des femmes. De la coopéra-tion diplomatique à la coopération policière (Convention de l’Afrique centrale),ces règles et engagements démontrent la volonté de chaque Etat d’intégrer larépression du terrorisme. En fait, il n’y a aucune innovation particulière dansl’ordonnancement de ces textes, à part la donne religieuse, car ils s’inscriventdans la lignée du régime universel et continental antiterroriste.

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2.2 - Du normativisme antiterroriste intra-étatique

Au-delà des normes et standards comportementaux internationaux, un régimeest aussi conçu comme « une procédure interétatique, de normalisation ou derésolution d’un problème d’action collective, dans un domaine donné des rela-tions internationales et son effectivité repose sur des règles à effet indirect quilaissent aux Etats participants des libertés (sinon toute liberté) pour en interna-liser les effets, c’est-à-dire pour s’y adapter62 ». Cette adaptation intra-étatiquese traduit par l’adoption d’un arsenal législatif répressif du fait terroriste, voiremême par sa constitutionnalisation, si leurs législations existantes ne sont passuffisantes. Les Etats sont aussi obligés d’établir leurs compétences sur lesinfractions commises sur leurs territoires et perpétrées par leurs ressortissants àl’étranger. Ils sont aussi permis de juger les auteurs d’un crime commis à l’étran-ger contre ses ressortissants, de connaitre des actes de terrorisme commis àl’étranger par des étrangers dans la mesure où leur sécurité est affectée, et dejuger l’auteur présumé d’un acte terroriste sur son territoire même si ni l’auteur ni lesvictimes n’ont pas la nationalité de l’Etat et que ni ses intérêts ni sa sécurité n’ont étédirectement mis en danger.

Au titre de pays ayant ratifiés, puis intégrer la répression du terrorismedans leurs ordonnancements juridiques internes, nous avons par exemplele Burundi63, le Nigéria64 ou encore le Soudan65. Si certains de ces texteslégislatifs n’innovent pas en matière définitionnelle à l’image du décret burundaisqui incorpore in extenso la définition de la Convention d’Alger. D’autres commele Nigéria voit le simple « fait de propager des informations, qu’elles soientvraies ou fausses avec l'intention de provoquer la panique, de susciter la violenceou d'intimider une personne » comme un acte terroriste en déniant la liberté d’ex-pression. Le Soudan, lui, en renvoyant à la définition de la Convention d’Alger,se contente de prescrire la peine de mort. En effet, « les traités internationauxlaissent libres les Etats dans le choix tant de la nature que du quantum des sanc-tions, sous réserve toutefois, que celles-ci soient adaptées à la gravité de l’acte 66

».62 Berthaud Philippe et Kebadjian Gérard. La question politique en économie internationale.

Paris, La Découverte, 2006, p. 23.63 Décret présidentiel de Décembre 2001 portant « interdiction du financement du terrorisme et

de la facilitation des actes de terrorisme international ».64 « Anti-Terrorism Economic and Financial Crimes and Allied Matters Law » de Décembre 2005.65 « The Terrorism (Combating) Act » 2000.66 Martin Jean-Christophe. Le terrorisme. In : Ascencio, Hervé [et al.]. Op. Cit., p. 294.

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L’Afrique du Sud, quant à elle, à côté d’une législation spécifique67, a mêmeconstitutionnalisé, bien avant cette loi, l’antiterrorisme, car la Constitution est,de plus en plus, considérée comme un moyen efficace de lutte contre le terro-risme68. En effet, le Droit constitutionnel, par la liaison qu’il établit entre ledroit national et le droit international69 et du lien ténu qu’entretiennent sécuritéintérieure et sécurité extérieure70, peut être considéré comme un outil efficacede lutte antiterroriste. Malgré tout, il est paradoxal de lier Constitution et terro-risme, car ce dernier s’oppose radicalement à l’idée même de « Constitution »,puisqu’il vise à la remise en cause de l’ordre politique établi71. Aussi, du faitdes restrictions aux libertés fondamentales qu’induit la lutte antiterroriste72, ils’agit donc d’une sorte « d’auto-immunisation73 » des Constitutions l’ayant misen œuvre que de réguler cette lutte en énonçant des principes de coopérationinterétatique antiterroriste (Art. 4 de la Constitution brésilienne de 1988 parexemple), en édictant des sanctions aux personnes accusées de terrorisme (Art.9 de la Constitution chilienne de 1980 et Art. 140 de la Constitution péruviennede 1993 par exemple) ou alors en précisant le cadre dans lequel s’inscrit cettelutte (Art. 55-2 de la Constitution espagnole de 1978, Art. 34-3 et 207-1 de laConstitution portugaise de 1976 notamment).

Donc, seul pays d’Afrique à avoir constitutionnalisé la lutte contre le terrorisme(1996), l’Afrique du Sud, touchée par des attentats en 1999, dispose dans son arsenaljuridique de dispositions constitutionnelles relatives à l’état d’urgence (article 37de la Constitution) ou à l’état de défense nationale (article 203 de la Constitution).

67 « Protection of Constitutional Democracy Against Terrorist and Related Activities Act » 2004.68 Philippe xavier. Constitution et terrorisme en Afrique du Sud. AIJC, xIx, 2003. Cerda-

Guzman Caroline. La Constitution : une arme efficace dans le cadre la lutte contre le ter-rorisme ? Revue Française de Droit Constitutionnel, n°73, 2008/1.

69 Renoux Thierry. France-Table ronde : lutte contre le terrorisme et protection des droits fon-damentaux. AIJC, xVIII, 2002, p. 195-244.

70 Thuillier Frédéric. La menace terroriste : essai de typologie. Revue politique et parlementaire,n° 1028, janvier-février-mars 2004, p. 41.

71 Ascencio, Hervé. Terrorisme et juridictions internationales. In : Ascencio Hervé. Les nouvellesmenaces contre la paix et la sécurité internationales. Journée franco-allemande de la Sociétéfrançaise pour le droit international, éd. A. Pédone, Paris, 2004, p.272.

72 Lire Bribosia Emmanuelle et Weyembergh Anne. Lutte contre le terrorisme et droits fonda-mentaux. Bruxelles, Bruylant, 2002.

73 Cette notion a été développée par Jacques Derrida pour illustrer la tentation de certains étatsd’introduire en leur sein de la violence pour lutter contre la violence ; ils s’inoculeraient eux-mêmes le venin contre lequel ils luttent. Cf. Derrida Jacques. Voyous. éd. Galilée, Paris, 2003.

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La particularité de la Constitution sud-africaine, qui constitue un avantage inté-ressant pour bien des commentateurs74, réside dans les modalités d’instaurationde cet état d’urgence, car cet état d’exception est considéré comme un terme dela lutte antiterroriste75. Par ailleurs, cette Constitution sud-africaine préserve uncertain nombre de droits fondamentaux indérogeables (Art.37).

Conclusion

Généralement, les travaux sur l’Afrique ne finissent pas sans faire une étudecritique acerbe de ce qui a été dit. De l’insuffisance des moyens économico-financiers, militaires et à l’attentisme, les critiques ne manquent pas. Difficile eneffet de dire que les mesures normatives énoncées ci-dessus sont efficaces, si surle terrain l’Afrique n’arrive pas à bouter le terrorisme de son espace. On ditgénéralement qu’en Afrique les textes existent et sont bien écrits, mais l’applica-bilité pour les soutenir manque toujours. Le régime antiterroriste africain répondévidemment à cette conception. Néanmoins, émettre des critiques déjà formuléesdans d’autres travaux consisterait à saper notre étude positiviste malgré lesquelques piques que nous avons mises en lumière. Par ailleurs, cela ne fera pasavancer les choses que de dire des redites. Les propositions, pour que ce régimeafricain atteigne ses objectifs, paraissent plus pertinentes. Ainsi pour éclairer laréflexion sur sa possible efficacité, il est utile de distinguer son produit, sonrésultat et son impact76. En effet, son produit renvoie à l’adoption de programmes,normes ou de règles par les territoires nationaux pour mettre en œuvre leditrégime. L’internalisation législative répressive du terrorisme que nous avonsévoquée ci-dessus rentre notamment dans ce cadre. Le résultat, lui, est un chan-gement de comportement des acteurs pour se conformer aux règles adoptées.

L’aide et intervention, bien que tardive, tchadienne au Nigéria et au Came-roun en est un exemple. Les attaques et enlèvements de Boko Haram, en pas-sant par ceux des Shebabs, ont fait constater aux Africains la nécessité d’agir.

74 Ackerman Bertrand. Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme. Esprit, Août/Sept.2006,p.157.

75 Padis Marc-Olivier. Introduction. Sécurité et terrorisme : un défi pour la démocratie. Esprit,Août/Sept.2006, p.69.

76 Morin Jean-Frédéric. Les régimes internationaux de l’environnement. Ceriscope Environne-ment, 2014. Consulté le 11.12.2015 à 9h03 in http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/part3/les-regimes-internationaux-de-l-environnement.

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Cette prise de conscience permet donc de mesurer la contribution effective d’unemesure politique à la résolution du problème terroriste. A ce titre, l’arrêt de l’avan-cée de Boko Haram est un exemple en la matière qui démontre que la coopérationinterétatique préconisée par le régime africain porte quand même des résultats.

L’édiction d’un certain nombre de règles, comme nous venons de le voir, estdéjà un bon pas dans une volonté de lutte antiterroriste. En effet, les lire à l’aidede la TRI révèle une institutionnalisation des rapports interétatiques dans unmonde anarchique, mais offre aussi une nouvelle grille de lecture aux relationsinterafricaines. L’anarchisme sécuritaire africain, conjugué aux faiblesses dechaque Etat, plaide pour une coopération accrue qui ne peut être efficace que parun normativisme juridico-politique. Ainsi, au-delà des moyens financiers etmilitaires, le droit est le moyen par excellence pour régir et réguler les rapportsinternationaux. Il est vrai que ce droit africain antiterroriste n’est que de l’encreinscrite sur du papier sans un activisme militaire et policier efficace.

C’est vrai ! Un régime n’est efficace que si sa mise en œuvre sur le terrainl’est aussi. Un régime continental ou sous-régional n’a d’importance que parceque la coopération et le respect de normes sont additionnés aux déploiements mi-litaires visant à débusquer et détruire les mouvances terroristes. Malgré les ti-mides engagements militaires contre le terrorisme, la réappropriation africainede son destin est en marche avec le régime antiterroriste énoncé ici, car sonancrage juridique et idéologique rend toute déviation de trajectoire difficile.

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LES ENjEUx DE L’ENGAGEMENT DES éTATS-UNIS EN AFRIQUE

M. Tewfik HAMEL1

Résumé

L'article fournit un aperçu historique de l'engagement américain en Afriqueen examinant les différentes dimensions qui ont fait que l'Afrique estvenue progressivement à occuper une place stratégique dans la visionmondiale des Etats-Unis.

Abstract

The article provides a historical overview of American engagement inAfrica by examining the different dimensions that made that Africa isgradually coming to occupy a strategic place in the world view of theUnited States.

La marginalisation de l’Afrique par les états-Unis a duré jusqu’à ce queles ressources naturelles du continent soient considérées commestratégiques. Leur engagement dans une guerre globale contre le

terrorisme, l’accès aux marchés africains en pleine croissance et l’émergence dela Chine ont à leur tour renforcé la place de l’Afrique dans les affaires mondiales.Il est faux de penser que l’Afrique est simplement l’objet de préoccupationsd’ordre humanitaire ou une cause de charité. L’Afrique représente l’avenir. Elleconnait certes une forte instabilité, mais représente aussi de grandes opportunités,alors même que la crise secoue l’économie mondiale. Selon Theresa Whelan,ancienne Secrétaire américaine adjointe à la Défense, l'Afrique fournit « desdizaines de milliers d'emplois américains […], possède 8% du pétrole du monde,et est une source importante de minéraux essentiels, de métaux précieux et dedenrées alimentaires2 ».

1 M. Tewfik Hamel est chercheur en Histoire militaire et en Relations intérieures.

2 In Wafula Okumu. Africa Command : Opportunity for Enhanced Engagement or the Milita-rization of U.S.-Africa Relations? Testimony given to the House Committee on Foreign Affairs,Subcommittee on Africa and Global Health, 2 Aout 2007, p.13. http://www.issafrica.org/uploads/AFRICOMWOKUMU.Pdf.

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L’approche du Président Obama n’est pas si différente de ses prédécesseurssinon plus offensive. Le récent sommet états-Unis/Afrique d’Aout 2014 révèlela détermination des Américains à saisir les opportunités (notamment écono-miques) qu’offre le continent africain. La création sous Bush d’un nouveau Com-mandement des états-Unis pour l’Afrique (Africom) représente plus qu’un simplechangement administratif au niveau du Pentagone3. Il traduit l’évolution dans laperception des décideurs américains de l’importance géopolitique croissante del’Afrique pour les intérêts stratégiques américains. Toutefois, il existe de nom-breuses interrogations quant à la nouvelle approche américaine en termes d’ob-jectifs en Afrique, étant donné que les moyens financiers que les états-Unis luiconsacrent sont minimes par rapport à ses besoins réels.

Les Etats-Unis parlent de l’approche des 3-D (Diplomatie, Développement etDéfense représentés respectivement par le Département d’Etat, l’Agence des états-Unis pour le développement international (USAID) et le Département de laDéfense), mais dans la réalité c’est le Département de la défense qui mène et exé-cute la politique américaine en Afrique par le biais d’Africom. Par faute demoyens, le Département d’Etat et l’USAID n’arrivent pas à suivre. Dans de nom-breux cas, ce sont les militaires qui prennent le leadership et assurent des tâcheset des missions qui devraient être assurées par des civiles. Globalement, les défisde l’Afrique sont davantage politiques, économiques, sociaux que militaires. Maisl’Amérique traite la maladie non pas en fonction du diagnostic, mais en fonctiondu médicament que l’on a en stock. D’où le retour abusif à la puissance militaire.En médecine, la réussite d’une greffe nécessite certaines conditions. Il en est pareilpour le domaine stratégique. Comment justifier et légitimer une telle politique ?L’approche des « 3-D » (appelée aussi l’approche de « l’ensemble du gouverne-ment » ou des trois piliers) développée dans le cadre de l’Africom vise à masquerla militarisation de facto et des pratiques brutales tout en mettant l’accent (dans lediscours) sur les aspects Développement et Diplomatie.

3 La création d'un nouveau Commandement exige du Président des changements à apporter auPlan du commandement unifié (Unified Command Plan, UCP), un document stratégique défi-nissant les missions, responsabilités et zones géographiques de responsabilité des Commande-ments combattants. Les changements à introduire à l'UCP sont généralement initiés par le Chefd’état-major des armées américaines qui présente une recommandation au Secrétaire à la Défense,et après l'examen par ce dernier, une proposition est présentée au Président pour approbation.Avant l’avènement d’Africom, le plus récent Commandement unifié fut Northcom, créé en 2002après les attaques du 11 Septembre pour protéger le territoire américain. L’UCP est révisé aumoins tous les deux ans. La révision de l’UCP de 2011 a apporté d’importantes modifications,notamment l’élargissement de la zone de responsabilité de Northcom à l’Antarctique.

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Perspectives historiques

En 1958, la naissance du Ghana, la première colonie d'Afrique subsaharienneà obtenir son indépendance, a coïncidé avec la création, au niveau du Départementd’état, du Bureau des affaires africaines (Bureau of African Affairs). L’intérêt dugouvernement américain pour l'Afrique n’a cessé de se modifier depuis la fin dela Seconde Guerre mondiale. Les deux constantes étaient que l'Afrique était consi-dérée moins stratégique que les autres régions, et que l'Europe devait prendre lesdevants en s’engageant dans la région. Cette approche a abouti à des politiquesincompatibles, temporaires, réactives. Par la suite, la fin de la Guerre froide asignifié que les lignes directrices traditionnelles destinées à faire face aux défisdes pays en développement ne s'appliquaient plus et que de nouveaux critèresdevaient être établis.

Ainsi, la politique africaine des états-Unis était alimentée par la vision du« nouvel ordre mondial » du Président Georges Bush et plus tard par la politiquedu Président Bill Clinton du « multilatéralisme affirmé », et enfin de l’« engage-ment et de l’élargissement ». Globalement, la tendance était de reléguer l'Afriqueà la périphérie de la stratégie américaine pour lui accorder peu d’efforts, voirel'ignorer. Il en a résulté une tendance à l'activisme sans suivi. L’administrationClinton réagissait aux défis immédiats, mais manquait d’un cadre stratégiqueglobal à long terme, et son programme était vaste et manque de profondeur etd’obligation de résultat. Le Président Clinton avait lui-même déclaré en 1999 que« pendant trop longtemps dans ce siècle, la relation entre les États-Unis etl'Afrique a souffert de l'indifférence de notre part 4». Par ailleurs l’un des objectifsde son voyage de Mars 1998 en Afrique, était de convaincre les Américains quece continent (l’Afrique) « existait réellement5».

Les Américains percevaient, en effet, l’Afrique essentiellement commeune zone annexe aux relations états-Unis/Europe. L’administration Clintonavait annoncé une série d’objectifs politiques en Afrique : promouvoirla paix par la prévention, la gestion ou la résolution des conflits ; fournirune assistance humanitaire ; encourager la démocratie et le respect des droitsde l'homme ; soutenir la croissance économique et le développement.Parmi ces objectifs, le Département de la défense reconnaissait que ses prioritésétaient de se concentrer sur la prévention, la gestion et la résolution des conflits.

4 Edwin Cochran. The Pivotal State. Parameters, hiver 2000-01, pp. 81-101.5 Ibid.

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Aucun des autres objectifs n’était réalisable, selon lui. Pour le Pentagone àl’époque, les « intérêts de sécurité de l’Amérique en Afrique [étaient] très limités »et l’Afrique ne représentait que « très peu d’intérêts stratégiques traditionnels6 ».Un point de vue partagé par le Secrétaire d'état, Lawrence Eagleburger, qui dé-clarait en 1995 : « Quand vous allez à travers le monde et regardez les intérêtsnationaux américains, l’Afrique se situe tout au bas de la liste7». Ce n’est pasune coïncidence si la Stratégie de sécurité nationale de 1998 la classe au dernierrang des régions du monde.

L’aide américaine au développement a ainsi baissé d’environ 52% en passantde 1,93 milliard de dollars en 1992 à 933 millions de dollars en 2000. Les diri-geants américains ne percevaient également aucune raison impérieuse de mobi-liser la communauté internationale pour la renaissance du continent. Au niveaudes Chambres des représentants et du Congrès, il y avait non seulement un dés-intérêt, mais aussi une instrumentalisation de l’Afrique à des fins politiciennes.L’un des exemples de cette tendance a été l’instrumentalisation par les Républi-cains de l’insatisfaction de l’opinion publique américaine au sujet du rôle desétats-Unis à l’ONU, dans le but d’appuyer leurs demandes de coupes dans la par-ticipation financière américaine à celle-ci et de réduction des activités de maintiende la paix de l’ONU en Afrique et dans d’autres régions du monde. C’est juste-ment cette logique qui a entrainé le blocage pendant plusieurs années du finan-cement des Nations Unies, jusqu’à ce que l’ONU accepte la réduction descontributions américaines au budget total (22% au lieu de 25%) et au budget desopérations de paix (27% au lieu de 30%), non sans conséquences sérieuses, entre-temps, pour les activités de l’ONU en Afrique8.

Selon l’idée dominante dans les années 1990, étant donné que l’Afrique étaitperçue comme offrant peu d’opportunités aux états-Unis concernant leurs intérêtsfondamentaux globaux de sécurité, il était donc peu probable que les états-Uniss’engagent militairement dans cette « Afrique marginalisée ». Sauf des événe-ments imprévus majeurs, cette marginalisation semblait devoir se poursuivre,

6 DOD Office of International Security Affairs. United States Security Strategy for Sub-SaharanAfrica. 1er aout 1995. http://www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=943.

7 Norman H. Murdoch. United States Interests and Policies in Africa. Journal of Third WorldStudies, Spring 2004.

8 Peter Schraeder. Finie la rhétorique, vive la géopolitique. Politique africaine, n° 82, Juin 2001,pp.133-150.

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étant donné que les intérêts géostratégiques américains étaient minimes en dehorsde l'angle nord-est du continent, l’élargissement du commerce et les investisse-ments semblant peu probables dans un avenir proche9. Mais depuis que les res-sources du continent représentent un intérêt stratégique, nombreux sont ceux quiappellent à repenser cette négligence à un moment où l’Afrique connait de vasteschangements politiques, sociaux et économiques. Désormais, tout le monde re-garde l’Afrique qui devient de plus en plus compétitive. Sous cet angle, il apparaitclairement que la création d’Africom représente « la reconnaissance du rôle im-portant que l’Afrique joue dans les affaires mondiales », selon le Secrétaire à ladéfense Robert Gates.

L’Afrique et le Plan de Commandement unifié

Le continent n'a été inclus dans la structure de commandement militaire amé-ricain qu’en 1952, lorsque plusieurs pays d'Afrique du Nord ont été ajoutés auxresponsabilités de l’U.S. European Command (EUCOM) en raison de leur relationhistorique avec l'Europe. Le reste du continent est resté en dehors de la respon-sabilité de tous les commandements jusqu'en 1960, quand les préoccupations dela Guerre froide sur l'influence soviétique dans les pays africains récemment in-dépendants ont conduit le Pentagone à inclure l'Afrique subsaharienne sous laresponsabilité du Commandement de l'Atlantique (LANTCOM), laissantl'Afrique du Nord à l’EUCOM. L’UCP a été révisé à nouveau en 1962 sous Ken-nedy et la responsabilité de l’Afrique subsaharienne a été transférée à STRICOMnouvellement crée, qui était responsable des opérations au Moyen-Orient, enAfrique subsaharienne et en Asie du Sud. En 1971, STRICOM fut renommé« Readiness Command » (REDCOM), et sa responsabilité sur l'Afrique a été dis-soute, laissant l'Afrique subsaharienne en dehors de la structure de commande-ment jusqu'en 1983. Sous l'administration Reagan, l’ « endiguement » a conduitle Département de la Défense à un partage des responsabilités en Afrique qui està l’origine de la configuration géographique des trois commandements jusqu’àla création de l’AFRICOM10.

9 Karl P. Magyar (dir). United States Interests and Policies in Africa. St. Martin's Press, NewYork, 1999.

10 Lauren Ploch. Africa Command: U.S. Strategic Interests and the Role of the U.S. Military inAfrica. Congressional Research Service, Washington, D.C., 2 octobre 2009, p.13.

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L’Afrique n’a jamais était une « priorité stratégique » ni pour les Etats-Unisen tant que tels ni pour aucun des Commandements géographiques. Jusqu'à lacréation d’Africom, les activités militaires américaines en Afrique relevaient detrois Commandements :

1. EUCOM était chargé de 90 pays dont 42 étaient des pays africains, la majeure partie du continent ;

2. CENTCOM (chargé principalement du Moyen-Orient et, depuis 1999,de l’Asie centrale) supervisait 6 pays africains dont l’Egypte et la régionde la Corne de l’Afrique ;

3. PACOM assurait l’administration des liens militaires avec le Madagascar,les iles Maurice et les autres îles de l’Océan Indien.

Chacun d’eux focalisait son attention principalement sur ses zones deresponsabilités respectives et disposaient de peu de moyens matériels et humainsà consacrer à l’Afrique. Chacun considérait que son impératif stratégique estailleurs. Au final, conséquence ou cause de cet engagement américain sporadique,une répartition des responsabilités et un manque d’intérêt injustifié en dépit quele continent accumule l’ensemble des facteurs d’instabilité et conflits. Par ailleurs,lorsque le Pentagone a envisagé la création d’un seul commandement pourl’Afrique, le CENTCOM (principalement axé sur les guerres en Afghanistan eten Irak) ne lui restait que peu de moyens humains et financiers à consacrer àl'Afrique. L’EUCOM ne fait pas exception. Des portions importantes de ses forces« ont été engagées dans la zone de responsabilité du Commandement centraleaméricain à l'appui des Operations Enduring Freedom et Iraqi Freedom ».11

11 General Charles Wald. New Thinking at USEUCOM: The Phase Zero Campaign. JFQ, n°43,4th Quarter 2006, p.73.

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http://www.usace.army.mil/CEMP/iis/Documents/DOS%20DOD%20AORs%20Map.pdf

La marginalisation de l’Afrique a continué jusqu’à ce que le pétrole et lesressources naturelles du continent soient définis d’un intérêt stratégique pour lesEtats-Unis. Leur engagement dans une guerre globale contre le terrorisme etl’activisme des puissances émergentes (notamment la Chine) ont, à leur tour, ren-forcé la place du continent aux yeux des Américains, conduisant ainsi à l’évolu-tion de leur perception de l’Afrique. Un sondage de Gallup de Mai 2000 montreque 69% des Américains pensent que l’Afrique est soit d’une importance vitale

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(18%) ou est importante (51%).12 La création d’Africom traduit cet intérêt crois-sant ainsi que la volonté d’éviter d’avoir affaire aux trois commandements et auxEuropéens pour traiter avec l’Afrique.13 Concrètement les Américains venaientde placer le continent dans le spectre des zones sensibles pour leur sécurité. Ainsi,le 1er octobre 2008, ce sont au total 172 missions, activités, programmes et exer-cices qui ont été transférés à l’Africom à partir des trois commandements. Les52 Etats faisant partie de la zone de responsabilité d’Africom représentent prèsde 3.000 groupes culturellement distincts, plus de 2.000 langues différentes, etsouvent des populations chrétiennes, musulmanes, etc. On peut d’ores et déjà direque non seulement l’Africom n’est (et ne sera) pas en mesure de faire face à l'am-pleur des problèmes du continent, mais il reste à voir s’il ne fera pas plus de malque de bien. A vrai dire, la création de l’Africom (à l’instar de l’intervention amé-ricaine en Irak) est un cas d’école de la militarisation de la sécurité énergétiquedes Etats-Unis.

Pétrole : Afrique versus Moyen-Orient

Depuis plus de cinq décennies, la carte mondiale du pétrole a été centrée surle Moyen-Orient. Peu importe que de nouvelles ressources énergétiques aient étédécouvertes et développées ailleurs. Pratiquement toutes les prévisions indiquentune dépendance croissante des états-Unis du Moyen-Orient. Cette réalité irré-versible a non seulement façonné la politique énergétique américaine, mais aussila géopolitique et l’ensemble de l’économie mondiale. En effet, la région del’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (MENA) comprend les plus grandsexportateurs de pétrole au monde et les plus importants goulots d'étranglementmaritimes. Alors président, George Bush père a fait savoir que l’ « implication[des États-Unis] dans le Golfe n'est pas temporaire. Elle a précédé l'agressionde Saddam Hussein [du Koweït] et lui survivra ». Effectivement, la doctrinede Carter était dans sa formulation et exécution une manière d’étendre la doctrinede Monroe à la région. « Finalement, les États-Unis sont prêts à intervenir

12 Pour plus d’informations voir PIPA. Importance of Africa, Regional Issues. World Public Opi-nion.Org, Washington, visité le 27/07/2010http://www.americans-world.org/digest/regional_is-sues/africa/africa1.cfm#top voir également un rapport du groupe indépendant Peggy Dulanyet Salih Booker. Promoting U.S. Economic Relations with Africa. Task Force Report, n°16,Council on Foreign Relations Press, Février 1998.

13 Cf. Charles Corey. L'Africom est un nouvel élément essentiel des relations entre les É.-U etl'Afrique. IIP Digital, 14 mai 2008. http://iipdigital.usembassy.gov/st/french/article/2008/04/20080424162650wcyeroc4.508609e-02.html#axzz3Nw4QGgZV.

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avec leurs propres forces pour défendre le régime [saoudien] contre les attaquesintérieures ». Cela a été rendu très clair en 1981, lorsque le Président Reagan adéclaré qu’il ne « permettrait pas à un mouvement de révolte de renverser le mo-narque saoudien 14».

La région produit 29,1 millions de Barils par jour (mb/j), un tiers de l'appro-visionnement pétrolier mondial, et ses exportations de pétrole représentent envi-ron 40% du commerce mondial du pétrole. La région est la plus critique, car elleest à la fois instable et restera le centre du pétrole mondial au-delà de 2030. Lesprojections futures révèlent que les pays de MENA fourniront conjointementenviron 43% de l’approvisionnement mondial en pétrole brut en 2035 (contre37% en 2007), et produiront une part encore plus grande du pétrole exportabledans le monde. Dans ses prévisions, le Département américain de l'énergie asouligné l’importance du pétrole de l’OPEP et la nécessité d’augmenter sa pro-duction de 28 mb/j en 1998 à 60 mb/j en 2020, avec la majorité de l'offre devantprovenir du Moyen-Orient.15

La problématique de sécurité énergétique ne cesse pas de prendre de nouvellesdimensions de plus en plus à la fois stratégiques et complexes et, surtout, inquié-tantes. L’industrie pétrolière est une industrie cyclique et des événements conjonc-turels sont responsables de la plupart des pics et montée des prix de l’énergie. Larelation de l’offre et la demande de pétrole est compliquée. Les conséquences dela chute des prix ne sont pas les mêmes pour les pays consommateurs et produc-teurs. Les pires effets pour les pays importateurs de la hausse des prix sont surl'inflation et le chômage, mais il y a aussi des effets négatifs importants sur lacroissance économique et la balance commerciale. Les importations du pétrolelimitent aussi la liberté d’action dans les affaires mondiales. Le marché mondialdu pétrole, en raison de la convergence d'un certain nombre de facteurs, a connuune étanchéité significative depuis la fin de 2003. La situation s’est renverséerécemment. Certains des facteurs qui influencent le marché pourraientêtre temporaires, certains peuvent être cycliques et d'autres éventuellement per-manents. Bien que de nombreuses situations d'instabilité et de conflit au Moyen-Orient restent à une échelle limitée, toute crise intérieure ou régionale

14 Michael T. Klare. Resource Wars. Metropolitan-Owl Books, 2001, p. 75. 15 U.S. Department of Energy. International Energy Outlook 2010. Washington, D.C., Juillet 2010 ; U.S.

Energy Information Administration. World Oil Transit Chokepoints. Country Analysis Brief,Fév. 2011.

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concernant la sécurité des approvisionnements pétroliers du Moyen-Orientaux marchés mondiaux est considérée comme une menace à la paix internationale.Le plus inquiétant reste toujours une déstabilisation à grande échelle.

Dans son discours le 27 juillet 2005 devant le Congrès sur les risques de ladépendance pétrolière des états-Unis, le président de Securing America’s FutureEnergy, Robbie Diamond, a exposé les conséquences d’une indisponibilité, mêmemineure, du pétrole sur les marchés mondiaux. Selon lui : « Compte tenu del'équilibre précaire entre l'offre et la demande du pétrole, si une très faible quan-tité de pétrole devenait indisponible sur le marché, cela entraînerait une haussespectaculaire des prix […]. Un déficit mondial de 4% de l’approvisionnementquotidien entrainerait une hausse de 177% du prix du pétrole, passant de 58 à161 dollars le baril […]. Lorsque des perturbations dans les approvisionnementspétroliers se produisent, peu de choses peuvent être faites dans le court termepour protéger l'économie américaine de leurs impacts »16. Les pires effets de lahausse des prix ? L'inflation et le chômage, sans compter les effets négatifs im-portants sur la croissance économique et la balance commerciale. Pour limiterces risques liés à la dépendance énergétique des Etats-Unis vis-à-vis du Moyen-Orient, la volonté des Américains de diversifier leurs ressources, notamment enAfrique, se fait de plus en plus remarquer.

16 Shawn Wals. Oil Vulnerabilities and United States Strategy . U.S. Army War College, Carlisle,30 mars 2007, p.2.

Source: Gulf Oil and Gas, 20 juin 2011.

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De nombreux responsables américains ont commencé à considérer le pétroleafricain d’« un intérêt stratégique national ». Au début de l’année 2002, WilliamJefferson a affirmé que le « pétrole africain devait être traité comme une prioritéde la sécurité nationale américaine post-11/9 ». Les implications de ces attaquesétaient claires, selon lui : « Nos sources traditionnelles de pétrole ne sont pasaussi sûres que nous le pensions ».17 Dans un contexte marqué par une demandemondiale croissante en pétrole et un Moyen-Orient de plus en plus instable, lepétrole africain constitue une alternative fiable et stratégique.

Le pétrole africain est de bonne qualité et donc relativement peu coûteux àraffiner. L'Afrique est entourée d'eau : l'accès à la mer et le transport maritimequi doit en assurer l’acheminement est peu coûteux, par rapport à l'Asie centralequi doit l’acheminer par pipelines. Le continent représente un pourcentage plusélevé de nouvelles découvertes. De plus, les découvertes récentes de réservesoffshores couplées aux nouvelles technologies de forages dans les eaux profondeset de transbordement direct à partir de plates-formes pétrolières évitent les pro-blèmes d’offshores habituels. En dépit du conflit dans le delta du Niger et d'autreszones pétrolières, le forage en eaux profondes dans le Golfe de Guinée possèdeun potentiel intéressant.

Les estimations de la CIA suggèrent que l'Afrique peut fournir jusqu’à 25%des importations américaines d'ici à 2015. En effet, les ressources naturelles, enparticulier énergétiques, dominent les produits américains importés d'Afrique,qui fournit aux états-Unis environ la même quantité de pétrole brut que le Moyen-Orient. En 2006, le pétrole d’Afrique subsaharienne représentait environ 18 %de toutes les importations des états-Unis (environ 1,8 mb/j) contre 21% du GolfePersique (2,2 mb/j)18. Le Pésident George. W. Bush a voulu « remplacer plus de75% des importations de pétrole issues du Moyen-Orient d'ici 2025 ». D’où l’in-térêt de l’Afrique. En 2004, par exemple, en raison de la guerre au Moyen-Orient,le Nigeria a produit plus de pétrole que l’Irak, et l’Angola a produit la moitié decette quantité. En 1995, le Pentagone notait déjà que « l'Afrique [avait] toujoursété un fournisseur régulier de pétrole brut ». « Au cours de la crise pétrolière de1973 à 1974, le plus grand fournisseur de pétrole [des États-Unis] était le Nigeria.

17 Amy Myers Jaffe. Global Oil Geopolitics Post-September 11. James A. BAKER III Institutefor Public Policy of Rice University, octobre 2002, p.3.

18 Sean McFate. U.S. Africa Command. Military Review, janvier/février 2008, pp.10-21.

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19 Office of International Security Affairs. U.S. Security Strategy for Sub-Saharan Africa. De-partment of Defense, Washington, 1 aout 1995. http://www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=943.

20 Uwe Nerlich. Energy Security or a New Globalization of Conflicts? Strategic Insights,Février 2008.

Le pétrole brut d'Afrique subsaharienne représentait près de 10% des importa-tions quotidiennes [américaines] ».19

La politique de l’administration Bush sur les marchés du pétrole africain étaitlargement basée sur la National Energy Policy du 17 mai 2001, le rapport finaldu National Energy Policy Development Group appelé « Rapport Cheney ».Accordant une importance aux ressources naturelles du continent, le rapport« recommandait au Président de faire de la sécurité énergétique une priorité dela politique commerciale et étrangère américaine ». Le rapport mettait l’accentsur le besoin d’améliorer l’accès au pétrole africain dans le but de réduire la dé-pendance des états-Unis vis-à-vis du Moyen-Orient, qui est considéré commefondamentalement instable. L’idée n’était pas de s’en passer : cette région resteincontournable dans toute équation énergétique. Même dans le cas de la Mer Cas-pienne, il n’a jamais été question que la région devienne une alternative duMoyen-Orient. En outre, la diversification permet d’optimiser un approvisionne-ment sécurisé, mais cela ne met pas le pays en question à l’abri d’une hausse desprix de l’énergie, suite à la perturbation d’une région pétrolière dont il ne dépendpas. Le prix du pétrole est déterminé sur un marché mondial, et il est peu probablequ’une nation puisse s'isoler des forces motrices de ce marché. Si les événementspolitiques dans le Golfe Persique provoquent la hausse des prix du pétrole, cettehausse impacterait toute la production de pétrole produit dans le monde.

De nouvelles infrastructures massives sont nécessaires tout au long de lachaine d’approvisionnement et le coût sera énorme. Il est estimé par l’Agenceinternationale de l’énergie (AIE) à 16 000 milliards de dollars d’ici 2030.L’AIE insiste sur le fait que les facteurs géopolitiques et la guerre peuventfreiner l'intérêt des investisseurs pour des projets énergétiques et perturberl’extension du commerce de l’énergie. La situation se complique quand on saitque « les risques géopolitiques sont des risques plus difficiles à intégrer dansle cadre d’un approvisionnement sécurisé en pétrole ». La perte de confiancedans le marché mène nécessairement à la sécurisation des approvisionnementset, corolairement, à la militarisation de la sécurité énergétique comme c’est lecas de l’engagement américain en Afrique avec la création de l’Africom.

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James Jones a fait valoir que « l'établissement d'un tel groupe [Military TaskForce en Afrique de l’Ouest] pourrait également envoyer un message à des en-treprises américaines qui investissent dans de nombreuses régions en Afrique ».Dans le même temps, à travers une implication dans des projets de développementnullement altruistes, mais s’inscrivant dans ce qui est appelé la « philanthropiestratégique », ces entreprises pourraient contribuer à la réalisation des objectifsde sécurité nationale.

La centralité de la dimension énergétique dans la stratégie américaine

Avec 4,5% de la population mondiale, les Etats-Unis représentent environ30% de la consommation mondiale du pétrole brut. Les Etats-Unis envoient en-viron un milliard de dollars par jour à l’étranger pour importer du pétrole. Ladette annuelle, qui en découle, est plus importante que le déficit commercial avecla Chine. En 2008, les importations du pétrole ont crée un déficit de 386 milliardsde dollars contre 266 milliards de dollars de déficit commercial avec la Chine.Environ un dollar sur six dépensés pour les importations des états-Unis est utilisépour le pétrole, ce qui représente 16% de toutes les dépenses pour l’importationdu pays en 2008. Selon les estimations, les dépenses des états-Unis pour importerdu pétrole étranger s’élevaient à 2,3% du PIB total en 2008. Dans la même année,l’Amérique a importé environ 4 millions de barils de pétrole par jour à partir depays jugés par le département d’Etat comme « dangereux ou instables ».

Au-delà du souci de l’instabilité, il y a la question du prix. Depuis laSeconde Guerre mondiale, l’énergie a été abondante et pas chère, à l'exceptionde deux courtes périodes pendant les années 1970 et 1980 et, tout récemment.En 2006, le Président George W. Bush prévient que « garder la compétitivitéaméricaine nécessite une énergie abordable. Et ici nous avons un graveproblème: l'Amérique est dépendante du pétrole, qui est souvent importé derégions instables du monde […] Et pour garder l'Amérique compétitive, unengagement est avant tout nécessaire ». Les prix élevés du pétrole sont souventl'élément déclencheur de crises économiques. Les prix élevés du pétrole affai-blissent les économies des pays importateurs de pétrole : 10 des 11 récessionsaux Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale (y compris 2008) ont étéprécédées par des prix élevés du pétrole.

Bien que les origines d'une future crise soient difficiles à prévoir, il est clairque les interruptions de l'énergie pourraient avoir un impact potentiellementénorme sur l'économie américaine et mondiale, et auraient une incidence sur lasécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis de façon spectaculaire.

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Dans cette perspective, une politique basée sur les forces du marché comprenantla promotion de l'ouverture aux investissements étrangers en matière d’énergieest considérée comme la meilleure façon de favoriser la croissance de la pro-duction pour atteindre la sécurité énergétique. Cette idée est au cœur du rapportCheney qui reconnait que « depuis de longue date, la politique américaine sou-tient un secteur énergétique mondial libéralisé qui est ouvert au commerce etaux investissements internationaux » pour répondre à une « demande mondialecroissante ».

D’importantes ressources sont consacrées chaque année par les Etats-Unispour assurer un approvisionnement en pétrole sécurisé et durable. Deux tiers desréserves mondiales de pétrole et près de la moitié des approvisionnements en gaznaturel se trouvent au sein des vingt pays sous le Commandement central quel’on peut décrire comme le commandement de la sécurité énergétique. Outre desexercices conjoints avec les pays producteurs, le CENTCOM est chargé de lasécurisation des champs de pétrole et d’une multitude d’autres tâches liées au pé-trole, y compris la surveillance des lieux de transit et goulots d’étranglement ma-ritimes. En 2010, le gouvernement a dépensé environ 90 milliards pour assurerl'accès et le transport des approvisionnements en pétrole et autres énergies. Cechiffre n’inclut pas les sommes considérables consacrées à la guerre en Irak et enAfghanistan.

Dans un monde où la demande mondiale de pétrole est prévue de dépasserl'offre, où le rythme des remplacements des réserves ne suit pas la croissance dela production et de la consommation, et les découvertes de nouveaux champspétroliers sont de plus en plus rares, la lutte est d'obtenir ce qu'il en reste. Le faitque des compagnies pétrolières nationales gèrent ou contrôlent maintenant envi-ron 80 à 90 % de l'approvisionnement en pétrole dans le monde (par rapport auxannées 1970, lorsque les compagnies internationales de pétrole commandent 85%des réserves mondiales de pétrole) ne fait que rendre la concurrence plus intense.Parmi les 20 plus grandes entreprises pétrolières, en termes de réserves de pétroleet de gaz, 16 sont nationales. D’un point de vue américain, elles devraient êtreaffaiblies et privatisées. Contrairement à la croyance populaire, les états-Unisn'ont jamais été dépendants du Moyen-Orient pour leur approvisionnement enpétrole. Au contraire, l'essentiel de la vulnérabilité énergétique des Etats-Unisétait leur incapacité à maintenir le prix du pétrole sous contrôle, étant donnéque les principaux pays producteurs (notamment l’OPEP) ont la mainmise surl'offre mondiale de pétrole.

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Le « nationalisme des ressources » a conduit à l'exclusion de certaines socié-tés occidentales des investissements au Venezuela, en Bolivie et en Russie. Lesecteur des hydrocarbures moyen-orientaux a longtemps été inaccessible auxinvestissements occidentaux avec une coopération mineure dans le secteurpétrolier et du gaz. En outre, le « nationalisme des ressources » est considérécomme constituant le principal obstacle pour répondre adéquatement à lademande future de pétrole. Plusieurs pays notamment de l’OPEP sont réticents àune grande ouverture de leurs secteurs pétroliers. Pour les stratèges américains,la hausse des prix du pétrole leur donne l'occasion de briser le dos de cette orga-nisation qui est considérée comme étant la cause. Les tendances démographiqueset l’industrialisation ont poussé à la hausse la demande de pétrole de 44 mb/j en1973 à 88 mb/j en 2013, mais l’OPEP qui possède trois quart des réserves mon-diales n’a pas, aux yeux des Américains, suffisamment augmenté sa productionqui est de 30 mb/j (soit un tiers de la production mondiale de pétrole). Pour lesEtats-Unis et leurs compagnies pétrolières, renverser cette tendance marquée parle monopole des sociétés pétrolières nationales et l’exclusion des multinationalesétrangères serait un objectif de premier plan. C’est la seule option pour augmenterla production et répondre à la demande croissante.

Le pétrole figure dans les calculs de Washington comme étant une ressourcestratégique plutôt qu’économique. Donc il ne faut pas penser uniquement à l'Irak,mais considérer les conditions géopolitiques et l’importance du Moyen-Orientdans son ensemble par rapport au capitalisme mondial. Le plan pour le change-ment de régime en Irak stipule ouvertement que l'influence d'un gouvernementpro-américain serait bénéfique et pourrait influencer des changements de régimesimilaire ailleurs (l'Iran et la Syrie étaient les cibles les plus évidentes). L’en-semble des pays de la région seraient alors sous l’énorme pression de suivrel'exemple de l'Irak et permettre l’entrée en forces des investissements étrangers.Il y a dans l’administration même ceux qui pensent que la conflagration généraledans la région serait une occasion de redessiner toute la carte du Moyen-Orient(comme cela s'est passé dans l'ancienne Union soviétique et la Yougoslavie).Dans ce contexte, Michael Renner a conclu en 2003 : « Si un nouveau régime àBagdad déroule le tapis rouge pour le retour des multinationales pétrolières, ilest possible qu'une plus large vague de dénationalisation pourrait balayer l'in-dustrie pétrolière, en inversant les changements historiques du début des années1970 ». L’Irak était le début et la situation dans laquelle se trouve aujourd’huil’OPEP est assez illustrative.

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Derrière l’euphémisme de la mondialisation, il y a des forces bien organi-sées avec des agendas clairs. On parle d’une économie mondiale dérégulée !Mais, le forum de Davos, par exemple, prouve le contraire ; des chefs d’entre-prises, hommes politiques, commentateurs et universitaires se réunissent etdiscutent des politiques à mener. Les interventions occidentales s’inscriventdans le cadre de l’interventionnisme dit néolibéral. La « Responsabilité de pro-téger » de l’ONU reflète le nouvel équilibre de pouvoir dans la sphère interna-tionale. Les justifications de nouvelles normes interventionnistes sont aussidépendantes des besoins de la Realpolitik comme ce fut le cas plutôt pour ladoctrine de l'égalité souveraine et de non-intervention. Les nouvelles approchesplus interventionniste développées depuis la fin de la Guerre froide pour faireface aux problèmes de reconstruction post-conflit et des Etats fragiles visent etcherchent à aller au-delà des approches traditionnelles de prévention desconflits ou la « paix négative » ; vers l'exportation des cadres néolibéraux liésaux marchés. L’objectif principal des opérations de maintien de la paix devientainsi non pas tant la création d’espaces de résolution des conflits négociés entreles Etats, mais de contribuer activement à la construction de politiques, d’éco-nomies et de sociétés néolibérales. C’est ce qui a été fait en Irak et qui est entrain de se faire en Libye.

Si les moyens utilisés diffèrent selon la région et le pays, l’objectif final estla transformation et la réorganisation des institutions politiques, économiques,sociales, sécuritaires et militaires du pays-cible pour permettre ensuite son inté-gration dans un système mondial néolibéral, c’est-à-dire une telle intégrationn’est possible qu’après sa réorganisation et sa transformation. Donc on est faceà des processus agressifs de pénétration par des agents extérieurs (politiquement,économiquement, militairement, culturellement) visant la réorganisation desstructures politiques, économiques, sociales, sécuritaires et militaires (tout cequi forme l’Etat) en fonction des intérêts du centre. L’intervention directe enIrak, en Afghanistan et en Libye ; les opérations indirectes en Syrie ; le projetdu Grand Moyen-Orient ; le Millenium Challenge Account (MCA), etc. visenttous le même objectif. Toutefois, dans un cas, on privilège la puissance militaire,dans l’autre les pressions politiques et la conditionnalité économique. La créationd’Africom signifie que l’engagement américain en Afrique n’est pas temporaireet vise à conquérir les marchés africains, et que le gouvernement estdisposé à soutenir et protéger les investissements américains sur ce continent.

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L’accès aux marchés : l’émergence de la Chine et la croissance de l’Afrique

Au cours des dix dernières années, les pays en développement ont réalisé unecroissance d’environ quatre fois plus rapide que les pays développés. Même dansle cas de l’Afrique, les perspectives économiques sont prometteuses, confirmantsa bonne résistance aux chocs internes et externes et son rôle en tant que pôle decroissance dans une économie mondiale en difficulté. En effet, « les perspectivesà moyen terme pour l'ensemble du continent sont positives : la croissancemoyenne devrait s'accélérer, frôlant les 5 % en 2014 et se situant entre 5 et 6 %en 2015 »21. Entre 2000 et 2011, les exportations de l'Afrique ont presque qua-druplé en valeur, passant 148.6 milliards à 581,8 milliards de dollars, selon laConférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNU-CED). Mais la géographie des échanges a changé. Tout d'abord, l'Union euro-péenne et les Etats-Unis ont vu leur part des exportations de l'Afrique chuter (de47% en 2000 à 33% en 2011 dans le cas de l'Europe et de 17 à 10% pour les états-Unis). Deuxièmement, les économies émergentes ont augmenté leur commerceavec le continent africain. La Chine, l'Inde et le Brésil consomment de plus enplus de pétrole, de matières premières et de produits manufacturés provenant del’Afrique. La Chine a augmenté sa part des exportations africaines de 3,2% en2000 à 13% en 2011 ; l'Inde de 2,8 à 6% ; le Brésil de 2 à 3% ; et la Fédérationde Russie de 0,2 à 0,3%. Les économies émergentes ont 8% des exportations del'Afrique en 2000 contre 22% en 2011. L'Afrique cherche également à renforcerson intégration régionale et reconnaît la nécessité d'accélérer le processus de miseen œuvre. Cela devrait permettre de relever les défis spécifiques liés à la petitetaille de nombreuses économies africaines. Il s'agit notamment de la vive concur-rence sur les marchés internationaux et le pouvoir de négociation avec des facultésaffaiblies dans les négociations commerciales internationales.22

21 Banque africaine de développement, Organisation de coopération et de développement éco-nomiques et Programme des Nations Unies pour le Développement. Perspectives économiquesen Afrique 2014 : Les chaînes de valeur mondiales et l'industrialisation de l'Afrique. EditionsOCDE, Paris, 2014, p.22.

22 African Economic Outlook 2013. SPECIAL THEME: Structural Transformation and NaturalResources. The African Development Bank (AfDB), the OECD Development Centre & theEconomic Commission for Africa (ECA) et the UN Development Programme (UNDP), 2013,p. 14.

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C’est dans ce cadre (c’est-à-dire se (re) positionner sur le marché africain)qu’il convient d’appréhender la loi américaine, dite l’ « African Growth andOpportunity Act » (AGOA). En effet, le commerce bilatéral entre les Etats-Unis et l'Afrique a plus que doublé depuis que la loi est entrée en vigueur en2000.23 Quelques chiffres sont illustratifs de la nouvelle réalité : 1600 milliardsde dollars : le PIB collectif de l'Afrique en 2008 était à peu près égale à celuidu Brésil ou la Russie. Le continent est l'une des régions du monde avec uneplus forte croissance économique. 860 milliards de dollars : les dépenses deconsommation combinée de l'Afrique en 2008 ; 316 millions de dollars: le nom-bre de nouveaux abonnés au téléphone mobile en Afrique depuis 2000 ; 60% :la part de l'Afrique de la totalité des terres arables et incultivables. Avec cettequantité de terres et de faibles rendements, l'Afrique est mûre pour une révo-lution verte comme celles qui ont transformé l'agriculture en Asie et au Brésil.Une telle révolution serait énorme en termes de hausse des revenus ruraux, enstimulant la croissance du PIB et en créant d'énormes nouvelles opportunitésd'affaires. D’autres chiffres sont aussi intéressants. 52 : le nombre de villesafricaines avec plus d’1 million de personnes ; 20 : le nombre de sociétés afri-caines avec des revenus d'au moins 3 milliards de dollars ; 2600 milliards dedollars : le PIB collectif de l’Afrique en 2020 ; 1400 milliards de dollars : lesdépenses de consommation des Africains en 2020. Les cinq plus grands mar-chés de consommation du continent en 2020 (Alexandrie, le Caire, le Cap, Jo-hannesburg, Lagos) auront chacun plus de 25 milliards de dollars par an dansles dépenses des ménages et seront de taille comparable à Mumbai et NewDelhi ; 1,1 milliard : le nombre d'Africains en âge de travailler d’ici 2040. Lesforces actives en Afrique se développent plus rapidement que partout dans lemonde. Le continent compte plus de 500 millions de personnes en âge de tra-vailler (entre 15 et 64 ans). En 2040, ce nombre devrait dépasser 1,1 milliard– plus qu'en Chine ou en Inde. 128 millions: le nombre de ménages africainsavec un revenu discrétionnaire en 2020. L'Afrique a déjà plus de ménages dela classe moyenne (définis comme ceux ayant un revenu de 20 000 dollars ouplus) que l'Inde. La hausse des consommateurs urbains africains sert un nouveaumoteur de la croissance interne : 50%: la portion des Africains qui vivent dansles villes d'ici à 2030.

23 Office of the Special Adviser on Africa (OSAA) & New Partnership for Africa's Development(NEPAD) et Organization for Economic Co-operation and Development (OECD). EconomicDiversification in Africa : A Review of Selected Countries. OECD/United Nations, 2011, p.21.

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En 2030, 18 premières villes du continent pourraient avoir un pouvoir d'achatcombiné de 1300 milliards de dollars.24 En 1980, seuls 28% des Africains viventdans les villes. Aujourd’hui, le marché agricole africain représente 313 milliardsde dollars et pourrait atteindre, en cas de modernisation du secteur, 1.000 milliardsde dollars en 2030.25

Tout cela a conduit les sociétés occidentales à tourner les yeux vers le conti-nent africain, l'une des dernières arènes dans laquelle elles peuvent opérer avecune relative liberté. La concurrence en effet est de plus en plus rude. Ironie dusort, le Président G. W. Bush annonçait le 6 février 2007 que les Etats-Unisallaient créer l’Africom, 26 alors que le Président chinois Hu Jintao était en tournéedans huit pays africains pour consolider l’engagement chinois en Afrique.27

L’Afrique est en train d’accroître son intégration dans l’économie mondiale et dediversifier ses partenariats; la concurrence est de plus en plus rude. En 2009, laChine a dépassé les états-Unis et est devenue le principal partenaire commercialde l’Afrique ; par ailleurs, la part des échanges de l’Afrique avec les pays émer-gents a sensiblement augmenté au cours des dix dernières années, passant de23 à 39 %. 28 Outre les inquiétudes et les espoirs que suscite l’engagement de laChine en Afrique, c’est un fait que l'impact macro-économique qu’il pourraitavoir sur les économies africaines ne peut plus être ignoré. Le rôle croissant dela Chine dans la production pétrolière en Afrique est souvent cité commel'exemple le plus important de la façon dont les nouvelles puissances émergentesusurpent la place des Etats-Unis/Europe et menacent de chasser l’Occident ducontinent. Ce qui est exagéré, c’est que Pékin ne reçoit que moins de 9% desexportations totales de pétrole provenant de l'Afrique subsaharienne, tandis que32% du pétrole de l'Afrique va encore vers les états-Unis et 33% à l'Europe.

24 Charles Roxburgh (et autres). Lions on the Move : The Progress and Potential of African Eco-nomies. (McKinsey and Company, Washington, DC., Juin 2010; Tom Cargill. Our CommonStrategic Interests Africa’s Role in the Post-G8 World. Chatham House, The Royal Institute ofInternational Affairs, London, Juin 2010

25 World Bank. Growing Africa : Unlocking the Potential of Agribusiness. Washington, D.C., Janvier 2013.

26 The White House. President Bush Creates a Department of Defense Unified Combatant Com-mand for Africa. Office of the Press Secretary, 6 février 2007.

27 Wafula Okumu. Africa Command: Opportunity for Enhanced Engagement or the Militariza-tion of U.S.-Africa Relations? Testimony given to the House Committee on Foreign Affairs,Subcommittee on Africa and Global Health, 2 aout 2007, p.6. http://www.issafrica.org/uploads/AFRICOMWOKUMU.PDF.

28 “ African Economic Outlook 2011. SPECIAL THEME: Africa and its Emerging Partners ”,The African Economic Outlook (AEO), Lisbon, 6 juin 2011.

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En réalité, la Chine ne reçoit pas des quantités significatives des pays africains –environ 30% de ses importations totales proviennent principalement du Soudan,de l’Angola et du Nigéria. La grande quantité de son pétrole importé provient duMoyen-Orient, et plus précisément de l’Arabie saoudite, où la production de pé-trole est dominée par les entreprises américaines.

“China in Africa : Developing ties”, BBC, 26 novembre 2007.

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Source : Benedicte Vibe Christensen. China in Africa A MacroeconomicPerspective. Working Paper, n°. 230, The Center for Global Development, Washington, D.C., décembre 2010, p. 5.

In Billions of US Dollars

Source : UN Contrade

35,0

30,0

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0,5

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2005 2006 2007 2008 2009

Perc

ent

USA

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In Percent of Total Imports

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China in Africa : Developing ties, BBC, 26 novembre 2007.

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Au-delà de son rôle dans l’approvisionnement énergétique, la guerre contrele terrorisme, la rivalité avec la Chine et d’autres acteurs émergents, un autre élé-ment très important (pas toujours souligné) explique l’engagement américain enAfrique. Vu le rôle du « complexe militaro-industriel » dans l’économie améri-caine, il ne faut pas négliger l’opportunité que représente le marché africain en lamatière. Bien que les conflits fassent rage, derrière la création de l’Africom etles programmes d’assistance à la sécurité, il y un « keynésianisme » militaire29 etun marché fleurissant à conquérir avec toutes les conséquences en matière de paixet de stabilité que cela implique. Comme l’explique Eugene R. Black, ancienprésident de la Banque mondiale, lorsque le libre-échange est défendu au nomde la démocratie, les entreprises occidentales prospèrent grâce à leurs programmesd’aide étrangère. L'aide étrangère représente un marché important pour les pro-duits et services américains. Elle alimente également la croissance des nouveauxmarchés internationaux pour les entreprises américaines. Enfin, l'aide étrangèredirige les économies nationales vers un « système de la libre entreprise danslequel les entreprises américaines peuvent prospérer ».30

Bien que « les acteurs extérieurs conservent une influence significative surl'évolution de l'Afrique », la Forecast Internationale a clairement souligné dansun rapport de Décembre 2007 l’importance du continent en matière d’armements.Malgré le fait que le marché africain ne représente pour le moment qu'une fractionde la valeur de tous les autres marchés régionaux, la tendance risque de changer.En considérant la confluence des exigences de sécurité en plein essor, d’une part,et des vastes réserves de gaz et de pétrole dans le contexte de prix élevés de l'éner-gie, d’autre part, le rapport conclut qu'il existe des nations africaines ayant lescaractéristiques rappelant les marchés du Moyen-Orient d’il y a trois décennies31.

29 Selon le Pentagone, les ventes militaires extérieures « font progresser les objectifs de sécuriténationale et de politique étrangère, car elles renforcent les relations bilatérales dans le do-maine de la défense, soutiennent la constitution de coalition, et augmentent l'interopérabilitéentre les forces américaines et les militaires amis et alliés ». Ces ventes contribueraient éga-lement « à la prospérité américaine grâce à l'amélioration de la balance commerciale desÉtats-Unis, au maintien d'emplois hautement qualifiés dans la base industrielle de défense, àl'expansion des lignes de production et à la diminution des coûts de production de certainssystèmes d'armements essentiels ». In Caroline Pailhe. La législation américaine sur les trans-ferts d'armes. GRIP, Bruxelles, 2007/2008, p.13.

30 Harry Magdoff. Imperialism Without Colonies. Monthly Review Press, New York, 2003, p.69.31 Matthew Ritchie. Energy Driving Long-Term Growth Prospects in African Market . Press Release,

Forecast International, 3 décembre 2007; Shaun McDougall. African Defense Market ChurningDespite Economic Woes. Press Release, Forecast International, 2 décembre 2009.

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Plus intéressant, les fonds dans ces pays sont de plus en plus consacrés à l'acqui-sition d’armes américaines et européennes. Entre 1999-2002 et 2003-2006, la partde l’Amérique et de l’Europe dans la valeur totale des accords de transfert d’armesavec l'Afrique a augmenté de 34 à 37%.32

Les transferts et trafics d'armes nourrissent les conflits et ont un impact dé-vastateur sur l'Afrique subsaharienne. À supposer que la prolifération des armesn’a pas provoqué les guerres en Afrique, elle les a prolongées et rendues plusmeurtrières. Pour en déduire leur impact économique, il suffit de savoir qu’en2012 les conflits armés et les autres formes de violence ont coûté à l’économiemondiale pas moins de 9.460 milliards de dollars (11% du PIB planétaire).Simplement dit, les transferts d'armes américains, qui accompagnent toujours desbases militaires américaines, finissent par alimenter les conflits et aggraver lasituation des droits de l’homme. « 20 des 25 premiers clients d’armes américainesdans le monde en développement en 2003 – pas moins de 80% – étaient soit desrégimes non démocratiques ou des gouvernements avec des dossiers de violationsgraves des droits de l'homme. Loin de servir comme une force pour la sécurité etla stabilité, les ventes d'armes des États-Unis servent souvent à armer des régimesinstables et non démocratiques au détriment de la stabilité ». 33 La période post-11 septembre 2001 est une nouvelle étape dans les ambitions impériales de l'Amé-rique. Comme c'était le cas avant le 11 Septembre, l’influence mondiale, sinon lecontrôle pur et simple, est toujours l'objectif politique primaire, et la projectionde puissance dans le monde entier pour atteindre cet objectif est motivée par uneintention impériale. Le discours sur la démocratie, la prospérité, le développementsert à donner l’impression et à maintenir l’illusion.

Conclusion

Tout le monde regarde vers l’Afrique qui continue à chercher sa voie etplace dans notre « espace monde ». Elle n’est plus l’enfant délaissé. Le conti-nent connait de vastes changements politiques, sociaux, économiques, et tra-verse une phase de transition cruciale vers sa propre prise en charge.

32 Frida Berrigan [et al.]. US Weapons at War 2005 : Promoting Freedom or Fueling Conflicts ?World Policy Project. A World Policy Institute Special Report. Juin 2005.

33 Open Society Justice Initiative. Globalizing Torture: CIA Secret Detention and ExtraordinaryRendition. Open society Foundations, New York, 2013.

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Au-delà des progrès réalisés en matière de démocratisation, l’Afrique est large-ment inexplorée et offre par conséquent d’énormes opportunités. Les défis deconflits et d’insécurité restent l’obstacle principal à une croissance soutenue. Maisle continent n’est pas devenu plus chaotique, c’est notre incapacité à le compren-dre et à agir qui le fait paraître ainsi. A bien des égards, le monde est plus paisibleaujourd'hui qu'à n'importe quel autre moment dans le siècle dernier. « Pourchaque mille pages sur les causes de la guerre », constate l'historien GeoffreyBlainey, « il y a moins d'une page évoquant directement les causes de la paix ».Peut-être qu’il exagère, mais il ne fait aucun doute que les chercheurs sont géné-ralement plus intéressés à expliquer les origines de la guerre que les déterminantsde la paix. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le déclin remarquabledes guerres dans l’ère post-guerre froide. Tout comme la guerre est graduelle, ilen va aussi de la paix, qui peut aller d'un cessez-le-feu fragile à des accords for-mels de paix, au désarmement et à la démocratie.34

Cela est vrai pour l’Afrique dont les problèmes d’instabilité ont principale-ment pour origines la faiblesse des Etats africains. Mais comment l’approcheaméricaine pourrait fonctionner en Afrique lorsque les Américains dépensentmoins d’un centime pour leurs activités non-militaires internationales contre vingtcentimes pour leurs activités militaires? Il y a un certain nombre de façons depenser à la création de l’Africom. La réponse la plus évidente est soutenir la po-litique américaine et promouvoir les objectifs de sécurité nationale des Etats-Unisen Afrique où leurs intérêts stratégiques sont nombreux, notamment l’accès auxressources naturelles (énergétiques en particulier), le commerce, les préoccupa-tions liés à la violence extrémiste et la lutte anti-terrorisme et d’autres menacespotentielles posées par les espaces non-gouvernés, tels la piraterie et le trafic il-licite. Egalement, l’influence grandissante des puissances émergentes (particu-lièrement la Chine) ne font qu’accroitre la valeur du continent sur le marchégéopolitique mondial, tandis que sa croissance soutenue fera augmenter son courssur la bourse géoéconomique mondiale. Il ne faut pas sous-estimer le rôle quepourrait jouer le continent en matière de sécurité énergétique, de crise alimentairemondiale, de crise économique qui sévit encore. Cela dépend de l’attitude de lacommunauté internationale. Est-elle enfin prête à tenir ses engagements enversl’Afrique ? Son intérêt y va aussi, mais « personne ne connaît l'histoire de la nuitsuivante », disait Yoruban saying.

34 Joshua S. Goldstein. Winning the War on War. Dutton Adult, 2011.

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Résumé

On peut considérer certains Etats-Nations influents sur le système in-ternational, qui contribuent à la coopération et à l’intérêt commun del’Humanité, comme des puissances moyennes. Ces Etats occupent unrang intermédiaire dans le monde du point de vue de la puissance etde l’influence.

Les Etats considérés comme puissances moyennes ont la capacité etla volonté d’influer sur la scène internationale et l’agenda internationaldans tous les domaines. Ils ont certaines caractéristiques : l’absenced’hégémonie, l’absence de passé colonial, la contribution efficace àl’édification d’un Ordre organisé, fondé sur le droit et le travail encommun.

Les puissances moyennes sont des Etats qui privilégient l’intérêt com-mun à l’intérêt privé. Ce sont des Etats qui ont des moyens matérielset immatériels qu’ils utilisent en dehors des frontières Ce sont desEtats non hégémoniques qui n’occupent pas de rang supérieur dans lemonde. Ce sont des Etats qui concentrent leurs efforts sur quelquessujets et thématiques.

Mots-clés : Relations internationales, puissance moyenne, Norvège, politique étrangère.

LES PUISSANCES MOYENNES DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES : éTUDE DU CAS DE LA NORVÈGE

M. Zakari TERBAOUI1

1 Diplomate à l’Ambassade d’Algérie au Burkina-Faso.

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INTRODUCTION

Depuis les dernières décennies, les relations internationales ont connudes évolutions et des transformations profondes. L’environnementinternational où activent des acteurs étatiques et non-étatiques est

devenu complexe. Ce qui a lieu dans l’environnement international n’est plusindépendant de ce qui se passe dans l’environnement interne. Il y a en quelquesorte une relation directe entre l’intérieur et l’extérieur, au sein même des fron-tières politiques des Etats et en dehors.

Depuis longtemps existe une volonté académique et scientifique de compren-dre les Relations internationales. On peut remonter à des temps anciens pour trou-ver l’origine de ces relations, mais les Relations internationales en tant quediscipline propre ne sont apparues qu’au xxe siècle durant et après la PremièreGuerre mondiale. Ce fut le début des études scientifiques et sociopolitiques réellessur le sens et la nature des Relations internationales.

Le xxe siècle et le début du xxIe siècle ont connu une évolution formidabledes Relations internationales et le besoin est apparu de donner un sens et unelogistique à ce qu’on observe en termes d’interdépendance, de multiplication desacteurs, de recul de la souveraineté des Etats, de complexité des organisationsinternationales et sont apparues des écoles théoriques chargées de comprendre etd’expliquer la discipline des Relations internationales.

De l’école réaliste à l’école critique, en passant par le libéralisme, l’institu-tionnalisme et le marxisme, les études académiques se sont multipliées surtoutaux Etats-Unis et en Grande-Bretagne pour comprendre les Relationsinternationales.

La question de l’Etat, dans son sens politique, l’Etat-Nation souverain, estcentrale dans les Relations internationales et dans le domaine académique, il y a une différence entre ceux qui croient que l’Etat est le principal acteur desrelations internationales et ceux qui croient qu’il est l’un des acteurs et est mêmeun acteur secondaire qui est dépassé par d’autres acteurs non-gouvernementaux.Chaque tendance et courant de pensée a adopté une vision du monde, des théorieset des paradigmes sur la base d’une vision spécifique sur l’acteur principal desRelations internationales.

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2 Ensemble des ressources matérielles et autres utilisées par tous les êtres humains et exploitéesen commun, telles que les mers, le climat, l’eau, les ressources naturelles, l’espace extérieur,la connaissance et les télécommunications universelles.

3 C’est la juridisation au niveau international et la réalisation d’un gouvernement mondial oudes normes impératives universelles.

Partant du fait que l’Etat est un acteur important dans les Relations interna-tionales, les études appliquées se sont multipliées sur la politique étrangère desgrands Etats et l’intérêt s’est porté principalement sur les Etats-Unis en considé-rant que c’était une puissance influente et structurante. Etant donné l’intérêt donnéaux Etats-Unis et à l’étude des grandes puissances, il est intéressant de s’intéresserà la multiplication des acteurs et notamment des Etats, principalement les Etatsni grands ni petits, mais intermédiaires et moyens.

Ces puissances moyennes ont une influence sur les Relations internationalesmalgré leur force relative. Cette influence se matérialise dans des avancées ma-jeures en Relations internationales, et ces succès ne peuvent être ignorés dans uncontexte de mondialisation et de complexité des identités et des intérêts.

L’étude des puissances moyennes, c’est l’étude d’un cadre particulier desRelations internationales sous la mondialisation économique et financière, ledéveloppement des moyens d’information et de communication, la réduction desdistances géographiques, la multiplication des contacts entre les peuples etl’apparition d’une conscience universelle sur les «biens communs de l’Humanité»2

et la «gouvernance globale».3

Le sujet traité est à cheval entre l’analyse de la politique étrangère et les étudesthéoriques des Relations internationales, c’est une étude théorique appliquée.

Le sujet est important, parce qu’il étudie des acteurs internationaux qui contri-buent à construire la paix, la sécurité et la coopération qui ont des politiques oùla force et les intérêts semblent absents. Cette étude est une contribution à la com-préhension des politiques étrangères d’une certaine catégorie d’Etats dans uncontexte particulier. Le sujet est important pour comprendre les Relations inter-nationales et classer les Etats.

Etudier les puissances moyennes permet de connaitre les causes qui font desEtats secondaires à l’échelle internationale des puissances influentes et quellessont les raisons derrière ce rôle influent et entreprenant?

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Les autres raisons du choix du sujet sont l’absence d’études et d’analysesscientifiques sur le sujet, la difficulté d’une définition claire et le mélange entreles concepts de puissance moyenne et puissance émergente et la concentrationdes études scientifiques sur les grandes puissances. C’est également une étudeanalytique de la politique étrangère dans le cadre de la mondialisation.

Dans la pratique, le choix s’est porté sur deux Etats en tant que modèles despuissances moyennes : la Norvège considérée comme un modèle de puissancemoyenne et l’Algérie comme un modèle de puissance régionale. Pourquoi la Nor-vège ? Parce que c’est un pays considéré comme modèle à l’instar du Canada etde l’Australie, l’absence de données empiriques sur le sujet et c’est un pays quia réalisé des percées au Moyen-Orient notamment. La Norvège reflète égalementun paradoxe entre la marginalisation géographique et l’influence mondiale. C’estun essai pour comprendre comment un si petit pays a réussi des avancées inter-nationales notables.

La puissance moyenne, approche théorique

Isoler un concept particulier en Relations internationales et l’étudier en détailn’est pas chose aisée du fait de l’absence de précision normative et de consensusacadémique sur les concepts. Mais les Etats considérés comme « puissancesmoyennes » sur la scène internationale ont des caractéristiques qui aident à lesétudier à travers leurs particularités, leur influence et leurs comportements. Lespuissances moyennes aident à comprendre les Relations internationales et leurthéorisation.

Définition de la puissance moyenne

Définir la puissance moyenne donne lieu à des difficultés de classification,de compréhension et d’incohérences avec d’autres définitions. Un groupe de cher-cheurs et d’académiciens a réussi à définir la puissance moyenne.

Il existe deux approches principales pour définir les puissances moyennes :l’approche behavioriste et l’approche fonctionnelle.4

4 Adam Chapnick. The middle power, Canadian foreignpolicy. Vol.7, n°2, Winter 1999, pp.73-82.

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L’approche behavioriste signifie les comportements des puissances moyennesalors que l’approche fonctionnelle définit les fonctions des puissances moyennes.Certains considèrent que l’approche fonctionnelle se compose de la définitionstatistique (force et classement hiérarchique) et de la définition normative(idées et influence).5

Les définitions behavioristes :

Selon Carsten Holbraad, les puissances moyennes sont des Etats intermé-diaires entre les grandes puissances et les petites puissances qui ont une influencerégionale.6 Son rôle est lié à l’acceptation des grandes puissances. Elle œuvrepour plus de force et d’idéologie. Au niveau régional, son rôle peut être préémi-nent, de partenariat ou conflictuel.

Le chercheur Edward Jordaan définit la puissance moyenne comme un Etatmoyen par la puissance, les capacités et l’influence, ayant la volonté de promou-voir la coopération et la stabilité au niveau international. On peut considérerl’Australie, le Canada, la Norvège et la Suède comme des puissances moyennes.En dépit de ses ressources moyennes, la puissance moyenne œuvre pour la pro-motion de la coopération et de la stabilité.7

Selon Robert Keohane, les puissances moyennes ne peuvent agir seules etont besoin de l’appui d’autres Etats et des organisations internationales pour lacoopération internationale, la protection de l’environnement, la défense des prin-cipes et valeurs, la justice et la promotion des droits de l’individu au niveau mondial.8

Pour le chercheur Cranford Pratt, il existe trois comportements de la puissancemoyenne à l’échelle mondiale : l’internationalisme radical critique, l’internatio-nalisme réformateur et l’internationalisme libéral.9

5 Jonathan Ping. Middle power statecraft, Indonesia, Malaysia in the Asia-Pacific. Ashgate,London, 2005, p.50.

6 Carsten Holbraad. Middle powers in International politics. St Martin’sPress, New York,1984, pp.125-143.

7 Barbara Marque. Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes. Chaire InbevBaillet-Latour, Université Catholique de Louvain, note d’analyse 16, p.11.

8 Ibid, p.14.9 Cranford Pratt. Middle power internationalism, North South dimension. Mc Gill Queens, Mont-

réal, 1990, p.9-32.

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Les définitions fonctionnelles

D’après le chercheur John Holmes, on peut désigner les puissances moyennesd’après cinq particularités : le champ d’application (mondiale ou régionale), lesrégions prioritaires, la manière de dialoguer avec les autres Etats (individuelle oumultilatérale), les champs d’action prioritaires, la forme de l’action (stratégies)et les lieux (initiatives et organisations). Pour Holmes, l’étude est plus descriptiveque conceptuelle.10

Pour Robert Cox, les puissances moyennes sont identifiées selon quelquesspécificités : la contribution à l’enrichissement du Droit international public, larésolution pacifique des différends, la contribution à la gouvernance globale, lacoopération avec les grandes puissances. Les puissances moyennes exercent troisfonctions principales : la concrétisation des initiatives internationales, la facilita-tion et la gestion des affaires lors de certains cas.11

L’ancien Premier ministre canadien Mackenzie définit les puissancesmoyennes comme étant les pays contributeurs à la paix internationale, ayant uneprééminence morale et qui instaurent la paix sans contreparties.12

Le chercheur Bernard Wood a défini les rôles des puissances moyennes : leleadership régional, le leadership sous régional, le leadership fonctionnel, les mé-diations, la bonne citoyenneté internationale en plus de rôles négatifs comme larecherche du statut et du rang et la critique de l’Ordre existant. Ses champs d’ac-tion sont l’Ordre sécuritaire international et la coopération.13

La définition de la puissance moyenne prend en compte les éléments durevenu national, les capacités militaires, la position géographique, la stabilitéintérieure, l’adhésion aux organisations internationales, la contribution à la paixet la sécurité internationale, l’application du Droit international public, la gou-vernance juridique mondiale, la résolution des conflits, le leadership techniquedans les négociations internationales et l’expertise et les moyens. Les éléments diffi-ciles à mesurer sont les plus importants dans la définition des puissances moyennes.

10 Andrew Cooper. Niche diplomacy, middle powersafter the Cold war. Macmillan Press, London,1997, p.149-150.

11 Andrew Cooper. Richard Higgott, Nossal. Relocating middle powers : Australia and Canadain the post cold warera. Ashgate, London, 1994, 2e édition, p.24.

12 Carsten Holbraad, Ibid, p.58. 13 Bernard Wood. Middle powers in the International system, n°1, The middle power and the ge-

neralinterest. North South Institute, Ottawa, July 1988, p.21.

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Différence entre la puissance moyenne et la petite puissance

Les petites puissances ont la particularité de ne s’occuper que de quelquesdomaines, l’intérêt pour son voisinage géographique immédiat, le recours à desmoyens politiques et diplomatiques uniquement, la promotion des valeurs et del’humanisme, la promotion des accords et des droits, la neutralité, la protectionpar les grandes puissances, le partenariat et les ressources, la coopération et lesdépenses pour renforcer la souveraineté. Contrairement à ces caractéristiques, lespuissances moyennes ont un intérêt mondial, dans de nombreux domaines et nesont pas dépendants des grandes puissances.14

Certains considèrent que les puissances moyennes sont des « puissancesfonctionnelles ».

Différence entre les puissances moyennes et les puissances émergentes et régionales

La différence entre la puissance moyenne et la puissance émergente est nette :le concept de puissance émergente est économique et signifie les Etats en phasede transition vers une économie développée et la puissance émergente peut êtreégalement une puissance moyenne ; le contraire n’est pas vrai. A titre d’exemple,l’Afrique du Sud est une puissance émergente et une puissance moyenne.

La puissance régionale est un Etat ayant un rôle influent dans sa région; il sepeut qu’elle soit l’Etat le plus puissant de sa région.

La puissance moyenne est l’Etat lié à la bonne citoyenneté internationale etest un acteur de parachèvement du bien commun. La puissance moyenne est unrôle à la recherche d’un acteur, le rôle est le travail en commun pour le bien del’Humanité. Ce qui caractérise les puissances moyennes, c’est leur internationa-lisme et leur caractère transfrontalier. Elles œuvrent pour le bien de tous dans uncadre multilatéral.15

14 Keohane. Lilliputian’sdilemmasmall states in International politics. International Organization,23.2, Spring 1969, pp.291.

15 Geoffroy Hayes. Middle powers in the new world order. Vol.51, n°2, Canadian Institute ofInternational affairs, 1993.

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Les puissances moyennes sont les Etats qu’on ne peut classer ni parmi lesgrandes puissances ni parmi les petites puissances. Elles ont des ressources al-louées à la réalisation des intérêts communs de l’Humanité et de leurs intérêts enmême temps. Elles travaillent avec d’autres acteurs gouvernementaux ou non-gouvernementaux. Elles divergent des puissances régionales et émergentes pardes variables immatérielles (influence et rôle).

Stratégies des puissances moyennes

Les puissances moyennes utilisent un ensemble de stratégies et de politiqueslui permettant de jouer un rôle sur la scène internationale. Mais la difficulté résidedans la classification des Etats selon la force et les données normatives.

Stratégies des puissances moyennes

Les puissances moyennes dans les Relations internationales s’appuient surun ensemble de stratégies pour faire valoir leurs intérêts.

La diplomatie de niche : cela signifie que les puissances moyennes sespécialisent dans une aire géographique donnée, ou bien une thématique particu-lière, ou bien œuvrent pour la réalisation d’une moralisation de l’Ordre interna-tional, la paix, l’image internationale et les biens communs de l’Humanité.

La diplomatie de niche est la consécration de toutes les ressources matérielleset humaines en des domaines précis. Le choix de ces niches dépend des pressionsinternes, de l’image que le pays veut promouvoir et le champ d’influence régionalet international.

L’agenda des puissances moyennes est complexe et vaste. Il comprend lessujets suivants :

– Questions morales : promotion des droits civils, politiques, économiqueset sociaux ; appui à la démocratie, à la bonne gouvernance et à l’étatde droit; abolition universelle de la peine de mort; lutte contre la tortureet le génocide ; appui à la justice pénale internationale ; lutte contre le ra-cisme ; promotion des droits des minorités et des peuples premiers ;respect de la diversité culturelle et religieuse ; respect des valeurs du tra-vail et de l’emploi ; lutte contre la corruption ; aide aux réfugiés

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et aux victimes des conflits ; droit international humanitaire ; droit inter-national public ; droit des réfugiés et d’asile ; le travail en faveur de l’hu-manisme ; droit à l’autodétermination ; dialogue des cultures et descivilisations ; promotion des droits de la femme et de l’enfant ; responsa-bilité de protéger durant les conflits ;

– Questions environnementales : protection de la nature ; préservation desressources naturelles; lutte contre la pollution ; préservation des catas-trophes naturelles ; diversité biologique ; lutte contre le réchauffement etles changements climatiques ; protection des mers et des océans ; utilisa-tion rationnelle des ressources naturelles ; préservation des biens com-muns de l’humanité (eau, climat, forêts) ; enrichissement du droitinternational environnemental (Protocole de Kyoto et Convention-Cadre) ;

– Questions économiques, commerciales et de développement : appui auxrègles du commerce international ; appui au développement durable ; pro-motion de la production ; consécration de 0,7% du PNB à l’aide publiqueau développement ; promotion de l’éducation, la santé, l’emploi et lesservices sociaux ; lutte contre les maladies et les épidémies ; accès au mé-dicament ; le désendettement ; réalisation des objectifs du millénaire pourle développement (pauvreté, parité, famine, éducation, santé, partenariat);sécurité alimentaire et développement rural ; réforme des institutions fi-nancières et économiques internationales (Banque Mondiale et FMI) ;promotion de la coopération et de l’intégration régionales ; promotion deséchanges et des communications.

– Questions politiques et sécuritaires : participation aux opérations de main-tien de la paix ; réconciliation et résolution pacifique des conflits ; désar-mement conventionnel et non conventionnel ; lutte contre les mines ; luttecontre le terrorisme ; lutte contre les armes de destruction massive ; pré-vention des conflits ; lutte contre la criminalité transnationale, le crimeorganisé et les trafics ; création de mécanismes de dialogue et de concer-tation ; utilisation pacifique de l’espace extraatmosphérique ; défense desdroits des femmes et des enfants durant les conflits.

– Politique de promotion du rôle et de l’image : les puissances moyennesont une politique active de promotion du rôle et de l’image à traversun rayonnement culturel régional et international, les initiatives

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et d’organisation d’événements internationaux et régionaux, la créationde mécanismes et de cadres de concertation officiels et non-officiels, etla promotion de la diplomatie publique pour faire de ces Etats des pôlesd’expertise et de compétences au niveau mondial des chercheurset académiciens.16

Le multilatéralisme : l’accroissement du nombre de thématiques sur l’agendainternational politique rend essentielle la négociation et le travail multilatéral àl’intérieur des organisations internationales, régionales ou mondiales. Pour lespuissances moyennes, toutes les solutions aux problématiques doivent êtremultilatérales17 et les Etats doivent travailler pour trouver des solutions, créer denouvelles instances et adopter un ensemble de règles, principes, cadres et loispour régir la communauté internationale et favoriser une conscience univer-selle commune.

La coopération avec les acteurs non-gouvernementaux : les puissancesmoyennes travaillent en étroite collaboration avec les acteurs non gouvernemen-taux comme les ONG, les entreprises, les personnalités d’influence et les asso-ciations caritatives pour adopter de nouvelles normes et améliorer le droitinternational. Pour les puissances moyennes, les décisions issues des systèmesinternes sont de premier plan, car elles permettent de résoudre des thématiquesque même les grandes puissances sont incapables de gérer. La puissancemoyenne est l’acteur permettant aux acteurs non gouvernementaux de jouerun rôle d’influence.

La résolution pacifique des différends : c’est l’outil le plus ancien des puis-sances moyennes qui s’appuient sur la médiation, la conciliation, l’arbitrage, lajustice internationale et les bons offices pour jouer un rôle de premier plan sur lascène internationale.

La responsabilité globale universelle : les puissances moyennessont les vecteurs de la réalisation de la gouvernance (Commission internationalesur la gouvernance globale de 1995 dit Rapport Carlsson-Ramphal),les puissances moyennes se considèrent comme les responsablesdes biens communs de l’humanité (climat, développement, paix, prospérité)

16 Ramesh Thakur, Andrew Cooper, John English. International commissions and the power ofideas. UN UniversityPress, Tokyo, New York, Paris, 2006, p.5.

17 Folashadé Soule-Kohndou. Puissances émergentes et multilatéralisme : le cas de l’Afrique duSud 1999-2008. L’harmattan, Paris, 2010, p.34.

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et cette responsabilité globale fait d’elles de bons citoyens internationaux. Avecla mondialisation, le concept de gouvernance globale a acquis de nombreuses dé-finitions et s’est élargi à de nombreux domaines.

Dans toutes ces stratégies, les puissances moyennes ont besoin d’expertise,de leadership, de volonté, d’idées, de maitrise technique des négociations, de pou-voir d’influence pour définir l’agenda international politique et les priorités.

ETUDE DU CAS DE LA NORVÈGE

Présentation de la Norvège

La Norvège est considérée comme un modèle de puissance moyenne et lequestionnement est : pourquoi la Norvège est considérée ainsi ?18

Géographie : la Norvège est située en Scandinavie en Europe du Nord, prèsdu pôle Nord, elle est voisine de la Suède, la Finlande et la Russie et donne surla Mer arctique, la Mer de Barents, la Mer de Norvège et la Mer du Nord. Sa su-perficie est de 385.186 km² et se caractérise par une géographie étroite et delongues côtes, la distance entre Oslo et le Cap Nord est équivalente à la distanceentre Oslo et le Sud de la France. Parmi les autres particularités géographiques leclimat froid, le soleil de minuit et les neiges éternelles.

Démographie : la population de la Norvège est de 5,05 millions d’habitantsavec une majorité de Norvégiens, le pays s’est ouvert à l’immigration à partir desannées 1960 et des minorités y résident. La population norvégienne est caracté-risée par son haut niveau d’instruction et un accroissement naturel positif contrai-rement aux autres Etats européens. La religion officielle est le luthérianisme.

Economie : la Norvège a une économie mixte mi-privée et mi-publiqueet l’Etat joue un rôle important notamment dans le secteur des hydrocar-bures, de l’énergie et de l’Etat providence social fondé sur les impôtset la solidarité. Le revenu national brut du pays est de 282 milliards USDet le revenu par habitant de 55.900 USD, soit le 9e rang international.L’économie est composée des services (76% du PNB), de l’industrie etde l’agriculture. Depuis la découverte offshore des hydrocarbures, la Norvège est l’un des pays les plus riches du monde. Elle a des réserves moné-taires de 700 milliards USD investies dans un Fonds souverain.

18 Norwegian Ministry of Foreignaffairs. Minifacts about Norway. 2013.

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Régime politique : la Norvège est une démocratie parlementaire et une mo-narchie constitutionnelle régie par la Constitution de 1814 qui charge le Parlement(169 députés) du pouvoir exécutif et législatif. La Norvège se caractérise par unhaut niveau de représentation des femmes en politique, la pluralité des partis etla démocratie décentralisée directe.

Evolution historique : la Norvège est connue comme la patrie des Vikingsavec une indépendance politique suivie par la domination du Danemark de 1397à 1814, suivie de l’union avec la Suède jusqu’au 7 juin 1905. La Norvège futconsidérée comme un pays de paix et de prospérité jusqu’à l’invasion allemandedurant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, le pays adhéra à l’OTANen 1949, mais le peuple norvégien a refusé par deux fois (1972 et 1994) d’adhé-rer à l’Union européenne. Il existe un clivage dans la population : la Norvègedes villes est favorable à l’adhésion et celle des ruralités est attachée à la souve-raineté nationale.19

Position internationale : au niveau mondial, la Norvège est une petite Nationpériphérique, mais en dépit de ce fait elle se classe aux premiers rangs interna-tionaux pour les aides au développement, les Fonds souverains et l’indicateur dedéveloppement humain du PNUD.

Culture : la Norvège est une Nation de grande culture et d’une brillantecivilisation nordique, elle est reconnue pour ses sports d’hiver, sa poésie et seslettres, ainsi que sa musique et son théâtre. Elle est un des pôles de la civilisa-tion occidentale.

En résumé, la Norvège est un petit pays par la géographie et la population,mais c’est un pays très riche et développé qui a donné lieu à un « modèle norvé-gien » de gestion des ressources et d’Etat-Providence.

La Norvège, modèle d’une puissance moyenne

La Norvège, pays scandinave et nordique, est considérée comme le modèlede la puissance moyenne internationale et dans les cercles académiques et de re-cherche, elle est considérée positivement comme une référence dans la gouver-nance globale et la moralisation et humanisation des Relations internationales.

19 Oivind Stenersen, Ivar libaek. The history of Norway, DinamoForlag. Oslo, 2007, p.74, 95, 115.

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Pourquoi la Norvège est un modèle de puissance moyenne ?Pour répondre à cette question, il faut voir l’historique de la constructionde ce rôle :

– en 1814, la Norvège a adopté une Constitution libérale et démocratiqueparmi les plus avancées du monde, et malgré la domination suédoisejusqu’en 1905, la Norvège a conservé son autonomie et son Parlementfort : le Storting ;

– durant l’ère suédoise et notamment à la fin du xIxe siècle, le Parlementnorvégien a soutenu l’Union parlementaire internationale (1889) et aapporté son appui à la résolution pacifique des conflits ;

– après sa mort l’industriel suédois Alfred Nobel a décidé que le Prix Nobelde la Paix sera décerné chaque année par le Parlement norvégien et laNorvège fut choisie pour son pacifisme. Depuis 1901, le Comité Nobelde la Paix attribue cette prestigieuse récompense ;20

– après la Première Guerre mondiale, la Norvège a adhéré à la Ligue desNations en 1920 et a eu un rôle influent : signature des accords de désar-mement et de règlement des conflits avec ses voisins et le diplomate nor-végien Fritjorf Nansen a fait un travail humanitaire de premier plan pourles réfugiés et les peuples victimes des conflits, ce qui a rejailli positive-ment sur la Norvège ;

– après avoir connu l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mon-diale, la Norvège a soutenu l’Organisation des Nations unies et c’est unNorvégien, Trygve LIE, qui fut choisi comme premier Secrétaire Général de l’ONU en 1946. Mais pour sa sécurité, la Norvège a adhéré à l’Allianceatlantique du fait de la proximité géographique de l’URSS ;21

– durant la Guerre froide, la Norvège s’est consacrée à l’aide des pays duSud, a fondé un Fonds d’aide en 1953 et a défendu les idées du Sud dansle cadre du dialogue Nord-Sud. Cet activisme d’aide repose sur les idéessociale-démocrates des gouvernants, le travail de l’église et la penséeluthérienne fondée sur l’entraide et la compassion ;

20 Nina Witoszek. The origins of the regime of goodnessremapping the cultural history of Norway. Universitetsforlaget, Oslo, 2011, p.193.

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– la Norvège fut considérée durant les années 1980 comme une référencemondiale au regard de ses aides publiques au développement, la créationdu ministère de l’Environnement et la création du terme « Développementdurable » par la Commission présidée par le Premier ministre de NorvègeMme Gro Harlem Brundtland ;

– à la fin de la Guerre froide, la Norvège a consolidé son rôle de paysmédiateur dans les conflits, elle a fait des percées comme les Accordsd’Oslo de 1993 entre Palestiniens et Israéliens et les processus de paix enColombie, Sri Lanka, Soudan et autres. Cet activisme fut réalisé en étroitecollaboration avec les agences non gouvernementales et les cerclesacadémiques22 ;

– durant ces dernières années, la Norvège a concentré ses efforts sur laprotection de la nature, le climat, le développement et la réalisation desObjectifs du Millénaire pour le Développement.

L’engagement pragmatique et l’humanisme moral de la Norvège relèvent dela nature du système politique norvégien, la justice sociale, l’égalitarisme, lasolidarité et l’empathie et la résolution des conflits par le dialogue.23

Le Gouvernement norvégien a adopté en mars 2009 un Livre blancsur la politique étrangère intitulé « Intérêts, responsabilités et opportunités »qui insiste sur la politique d’engagement qui sert les intérêts du pays et detoute l’humanité.

Le processus de désarmement et de lutte contre les armes à sous-munitions,dit « Processus d’Oslo », est un exemple de la politique suivie par la Norvège;les aides publiques au développement ont dépassé 1% du revenu national du pays.Les principes de base de cet engagement est la responsabilité morale particulièrede la Norvège, la préservation des intérêts du pays et l’expertise norvégienne.

21 Knut Halvorsen, Steinar Sjerno. Work, oil and welfare, the welfare state in Norway. Unvitersitets-forlaget, Oslo, 2008, p.15, 25, 41, 123.

22 Tove Bull, Harald Norvik (ed). Portrett av en nasjon, Dynamo Forlaget. Oslo, 2005,p.150-155.

23 John Langmore, Jan Egeland. Learning fromNorway, independant middle power foreignpolicyBrisbane, Australia, 2011, p.169, 170, 179.

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Parmi les initiatives de paix de la Norvège : le Soudan (avec les Etats-Uniset la Grande-Bretagne) en 2005, la Somalie (dans le cadre de l’ONU), la Colom-bie depuis 2001, le Sri Lanka en 1999, Timor-Leste depuis 2006, les Philippinesdepuis 2001, le Pakistan et le Moyen-Orient.

En conclusion, la politique norvégienne de solidarité, de moralisation et d’hu-manisme est pragmatique : idéaliste et réaliste en même temps ; par exemple endéfendant le Droit international de la Mer, Oslo défend ses intérêts et en défendantle climat et la nature, la Norvège préserve son propre environnement. C’est unengagement pragmatique.24

CONCLUSION

Le monde est composé d’Etats qui sont les acteurs essentiels des Relationsinternationales, mais l’influence des Etats sur la vie internationale est variable,selon un classement hiérarchique de la puissance, avec des grandes puissancesmajeures qui ont le rôle de premier plan dans la scène mondiale. Mais il existeune autre catégorie de pays, ni grands ni petits qui, par leurs politiques étrangères,jouent un rôle important dans le parachèvement de l’Agenda international et laconsolidation de l’Ordre légal et juridique mondial.

Apparu après la Seconde Guerre mondiale, le concept de puissance moyennea connu des développements et des évolutions notables et importantes et avecchaque évolution des Relations internationales, le concept évolua.

Le rôle des puissances moyennes est visible dans la bonne gouvernanceglobale, le renforcement du Droit international public, la construction de règleset des organisations internationales, la promotion de la paix et de la coopération,la défense des principes internationaux, l’humanisation de la mondialisation, larésolution pacifique des conflits et d’autres thématiques de la mondialisation.

Les puissances moyennes sont des acteurs de premier plan devenues centralesdans l’édification de l’Agenda politique mondial, aux côtés des autres acteurs.

24 Henrik Thune, Leiv Lunde [et al.]. National interestforeignpolicy for a globalised world, thecase of Norway. Refleksproject, UD, Oslo, 2008, p.169, 261-274.

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LA CONFéRENCE DE PARIS SUR LE CLIMAT : ENJEUx ET OPPORTUNITéS

LA CONFéRENCE DE PARIS SUR LE CLIMAT : ENjEUx ET OPPORTUNITéS

Dr. Ahmed DjOGHLAF*

Résumé

La société internationale est maintenant persuadée que les changementsclimatiques constituent une menace sur la paix et la sécurité internatio-nale, que la raréfaction de l’eau sera une source majeure de conflits et detensions entre les nations, et que le dérèglement climatique n’épargneaucun pays et aucun secteur de l’activité humaine. Afin de débattre deces points d’une extrême importance pour l’humanité, la société interna-tionales s’est mobilisée dans le cadre de la vingt et unième Conférencedes Parties Contractantes de la Convention-cadre des Nations unies surle réchauffement climatique qui s’est tenue à Paris du 30 novembre au 12décembre 2015. Cette rencontre a été le rassemblement diplomatique leplus important de l’histoire de l’humanité à plus d’un titre :

1. Le niveau de préparation, de représentation et de participation ;2. Les enjeux et les objectifs ;3. Les résultats et les impacts.

L’Algérie, en sa qualité de co-président du Comité préparatoire de l’ac-cord de Paris a apporté une contribution décisive pour le succès de laconférence de Paris. Sa contribution s’articule autour du programme dedéveloppement des énergies nouvelles et renouvelables adopté par leConseil des ministres le 24 mai 2015. Cette ambition algérienne en ma-tière d’énergies propres n’est pas seulement un choix écologique ration-nel, mais aussi une ambition industrielle prometteuse.

* Co-président du Comité Préparatoire de la COP21.

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La vingt et unième Conférence des Parties Contractantes de la Conven-tion-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques quis’est tenue à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015, a été une

rencontre historique à plus d’un titre. Elle l’a été historique en termes de partici-pation et de niveau de représentation, elle l’a été aussi en termes de préparation,mais aussi en raison tant de ses enjeux, de ses résultats que de son impact.

I. La Conférence de Paris a été historique en termes de représentation et de participation

La Conférence de Paris, aura été, au bout du compte, le rassemblementdiplomatique le plus important de l’histoire de l’humanité, elle aura été la plusgrande conférence internationale jamais organisée, et ce tant en termes de niveaude représentation que du nombre des participants.

Plus de 150 chefs d’Etat ou de Gouvernement ont pris part à cette rencontrequi s’est tenue quelques jours à peine après les attaques terroristes du 13 novem-bre qui ont secoué Paris, mais n’ont pas empêché la tenue du plus grand rassem-blement des chefs d’Etat ou de Gouvernement. Plusieurs Chefs d’Etat ont tenu àparticiper à cette rencontre, sans précédent, en guise de solidarité avec les victimesdes attaques terroristes.

Ce record de participation est d’autant plus remarquable que les chefs d’Etatont reçu leur lettre d’invitation relativement tard. Traumatisé par le syndrome deCopenhague, le pays hôte n’a pris la décision d’inviter les chefs d’Etat quetardivement. Ils ont été invités à participer à une journée seulement qualifiée de« Journée des leaders », et ce à l’ouverture de la conférence, le 29 novembre, etnon pas, comme cela a été toujours le cas, durant la deuxième semaine des Confé-rences des Parties Contractantes, au moment des prises de décisions. Les leadersdu monde ont été invités à participer à la conférence pour prononcer une inter-vention de trois minutes seulement, et non pas pour négocier comme cela a été lecas à la Conférence de Copenhague.

La réunion s’est tenue avec la participation de plus de 46 000 participants.Jamais une conférence internationale n’a pu réunir en un seul endroit un nombreaussi imposant de participants. Seul l’aéroport militaire du Bourget pouvait abriterune telle rencontre. Il a fallu, cependant, construire plus de 80 000 m² additionnelde bâti afin d’abriter un tel nombre record de participants.

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II - La Conférence de Paris a été historique en termes de préparation

La Conférence de Paris a été une conférence historique non seulement enraison du nombre de ses participants, mais aussi en raison de son processuspréparatoire.

Plus de 16 réunions se sont tenues en 2015, à tous les niveaux, en vue de lapréparation de cette conférence du siècle. Le comité préparatoire de la COP21dit « Groupe de travail ad hoc sur la Plateforme de Durban » en vue d’une ActionClimatique Renforcée (ADP) a tenu quatre réunions préparatoires qui ont eu lieuen Février, Juin, Septembre et Octobre 2015.

Institué lors de la Conférence de Durban de Décembre 2011, ledit comité auratenu pas moins de douze réunions afin de réaliser son mandat. Le comité deDurban a été créé, à l’issue de l’échec de la Conférence de Copenhague, en vuede « l’adoption au plus tard en 2015, d’un protocole, d’un autre instrument juri-dique contraignant ou d’un résultat avec force juridique ».

Institué avec une feuille de route de quatre années ambiguë et floue, le comitépréparatoire de la Conférence de Paris a été doté d’une gouvernance inédite.

Il a été décidé que le comité sera présidé par deux co-présidents, élus à l’oc-casion des réunions des Parties Contractantes, pour une durée déterminée, l’unreprésentant les pays du Nord et l’autre les pays du Sud.

Durant les quatre années d’existence du comité, six co-présidents se sont suc-cédé à ses commandes. Les représentants de l’Inde et de la Norvège ont été éluspour lancer les travaux du comité. Ils ont été remplacés par les représentants deTrinidad et Tobago et de la Commission européenne. En Décembre 2014, laConférence de Lima a élu les représentants d’Algérie et des Etats-Unis d’Amé-rique pour mener l’embarcation à bon port.

Cette gouvernance n’était nullement de nature à assurer le succès du mandatdu comité préparatoire. Elle a été conçue sciemment, par les tenants du statu quo,afin de prévenir une cohérence et d’empêcher une continuité dans le processusde négociation.

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J’ai souvent comparé cette gouvernance à un avion transportant 196 Partiessur une ligne aérienne nouvelle avec deux capitaines à bord, localisés dans deuxcokpicks distincts, situés dans les deux extrémités de l’appareil. Un équipage aassuré le décollage de cet appareil; un autre la traversée à la vitesse de croisière;un troisième a été désigné à la dernière minute, sans préavis, pour prendre lescommandes de l’appareil durant l’approche finale et l’atterrissage à l’aéroport duBourget, sans avoir le bénéfice des détails du vol ni du système d’atterrissageautomatique.

En sus des quatre réunions dudit Comité préparatoire en 2015, le pays hôte aorganisé, quant à lui, et en partenariat avec le Pérou en sa qualité de Président enexercice de la COP20, deux réunions des chefs négociateurs qui ont eu lieu àLima en Mars et à Paris en Mai. Deux réunions ministérielles ont été organiséespar le Président désigné de la COP21 à Paris en juillet et en septembre avec laparticipation pour chacune d’entre elles de 45 ministres. La France a aussi orga-nisé une Pré-COP avec la participation de plus de 65 ministres. Ces réunions pré-paratoires à la COP21 avaient pour objet d’essayer de trouver des zones deconvergences sur les questions controversées découlant du mandat assigné au co-mité préparatoire.

Ce dernier avait pour mandat les six éléments suivants, considérés commeinter-reliés et devant être traitées de façon simultanée et équilibrée : l’atténuationdes gaz à effet de serre; l’adaptation aux changements climatiques; les moyensfinanciers; le transfert de technologie; le développement des capacités; ainsi quela transparence des actions et des moyens de mise en œuvre.

Ces mêmes questions ont été aussi abordées dans trois fora créés et institu-tionnalisés après l’échec de la Conférence de Copenhague de 2009, afin derapprocher les positions en présence de façon informelle et loin des projecteursdes caméras.

Le Dialogue de Kyoto sur le Climat et l’énergie se réunit chaque annéeau début du mois de janvier pour faire le point des résultats de la COP précédenteet préparer la prochaine. Ce Forum s’est tenu en Janvier 2015 pour préparerla Conférence de Paris, et a réuni une quarantaine de négociateurs en chef surle climat.

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Au lendemain de l’échec de la Conférence de Copenhague, le Président amé-ricain a pris l’initiative d’instituer un Forum des économies émergentes surl’Energie et le Climat dont le secrétariat est dirigé par la conseillère adjointe duPrésident américain sur les questions de sécurité, en charge des questions écono-miques. Ce Forum qui regroupe 17 ministres en charge des questions climatiquess’est réuni en avril à Washington, en juillet au Luxembourg et en septembre àNew York en marge des travaux de la 70e session de l’Assemblée générale desNations Unies. A la demande de M. Laurent Fabius, une réunion des ministresdes Affaires étrangères dudit forum a eu lieu en marge de la session de septembre.

La Chancelière allemande, Mme Angela Merkel, qui a été ministre de l’En-vironnement de son pays, a eu à ce titre à présider en Juin 1995, la premièreConférence des Parties Contractantes de la Convention Cadre sur les Change-ments Climatiques. A l’issue de l’échec de Copenhague, elle a créé le Forum dePetersburg sur les Changements Climatiques qui rassemble au mois de mai dechaque année une quarantaine de ministres en charge des changements clima-tiques. La 6e session de ce Forum, qui a eu lieu en Mai 2015 à Berlin, s’est tenueen présence de la Chancelière, mais aussi du Président français.

En sus de ces réunions ministérielles et des chefs négociateurs, le Présidentfrançais a pris l’initiative de réunir le 27 septembre 2015, quarante sept chefsd’Etat ou de Gouvernement en vue de la préparation de la Conférence de Paris.

Le Président de la 69e session de l’Assemblée Générale a pris l’initiative,quant à lui, de convoquer le 29 juin 2015 une réunion de haut niveau sur les chan-gements climatiques qui a principalement porté sur les préparatifs de la Confé-rence de Paris.

Cet événement onusien avait été précédé par un Sommet de l’AssembléeGénérale des Nations Unies sur les Changements Climatiques, convoqué par leSecrétaire Général, le 23 septembre 2014, qui s’est tenu en présence de 123Chefs d’Etat ou de Gouvernement, ainsi qu’une participation massive des PDGde compagnies privées. Cet événement a été le troisième du genre convoqué parBan Ki-moon, qui aura été le Secrétaire Général des Nations Unies à inclure leschangements climatiques comme thème prioritaire de son action à la tête de l’Or-ganisation des Nations Unies, et ce dès la prise de ses fonctions en Février 2007.

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Le Sommet dit de Ban Ki-moon sur les changements climatiques a jeté lesbases de l’initiative lancée à la Conférence de Lima qui s’est tenue en Décembre2014, dite l’Agenda d’action de Lima à Paris visant à mobiliser tous les acteursde la société civile dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Le Sommet de Ban Ki-moon a été l’occasion de l’organisation de la plusgrande manifestation citoyenne en faveur du climat qui a rassemblé plus de400 000 personnes dans les rues de New York. Une mobilisation similaire étaitprévue la veille de l’ouverture de la Conférence de Paris. La marche a été interditepour des raisons de sécurité.

La Conférence de Paris a été également préparée à travers une mobilisationsans précédent de tous les acteurs concernés. Un Sommet de la Communauté desaffaires a eu lieu à Paris, en Mai 2015, il a été suivi par une autre rencontre à NewYork en Septembre et à Tokyo en Octobre 2015. Une conférence scientifique surles changements climatiques a eu lieu au siège de l’UNESCO, en Juillet 2015, eta rassemblé plus de 2000 scientifiques du monde. Un sommet des territoires, quia réuni les responsables des élus locaux du monde, s’est tenu au début du moisde Juillet à Lyon.

La préparation de la COP21 aura également permis au Président du pays hôted’effectuer pour la première fois dans l’histoire des Etats modernes, des visitesbilatérales exclusivement consacrées aux changements climatiques. Le Présidentfrançais a effectué de telles visites aux Philippines qui ont été frappés, en No-vembre 2013, par le typhon Haiyan causant la mort de 4500 personnes et des dé-gâts estimés à 5,7 milliards de dollars. Le Président français a également effectuéen Mai 2015 une visite dans la région des Caraïbes, particulièrement vulnérablesaux effets des changements climatiques.

Le Président désigné de la COP21, M. Laurent Fabius, a effectué plus de 45fois le tour du monde durant son mandat de ministre des Affaires étrangères, soit38 000 km en moyenne par mois. Durant les deux dernières années un grand nom-bre de ses voyages ont été consacrés à la préparation de la Conférence de Paris.

La préparation de la Conférence de Paris a été aussi marquée par la publica-tion, pour la première fois dans l’histoire du Vatican, d’une encyclique sur l’en-vironnement publiée, en Mai 2015, sous le titre « Loué sois tu, sur la sauvegardede la maison commune ». Cette encyclique inédite du Pape François critique leconsumérisme et dénonce la dégradation de l’environnement, et en particulier leschangements climatiques.

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La COP21 aura été une conférence historique, aussi, en raison de sa couver-ture médiatique. Plus de 3000 journalistes ont participé à cette rencontre etl’accréditation d’un nombre impressionnant de journalistes a été refusée pour desraisons de sécurité. Le pays hôte a aussi saisi l’occasion de cette rencontre pourmener une campagne de sensibilisation impressionnante sur les changementsclimatiques utilisant tous les vecteurs de communication disponibles.

III - La Conférence de Paris a été historique en raison de ses enjeux

Les enjeux de cette rencontre étaient de taille. Apres l’échec retentissant dela Conférence de Copenhague, l’humanité avait rendez-vous avec l’histoire àParis. En effet, les changements climatiques ont été qualifiés par le Présidentaméricain, Barak Obama, comme l’un des plus grands défis dont fait face l’hu-manité. La COP 21 était donc une conférence historique en raison des enjeux. Ledérèglement climatique n’épargne aucun secteur de l’activité humaine. Il met enpéril les équilibres écologiques essentiels de notre planète menaçant ainsi la viesur terre.

Le cinquième rapport du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Cli-mat rendu public en Octobre 2014 est catégorique dans ses conclusions : la terrese réchauffe de plus en plus du fait des activités anthropiques générées par lesémissions de gaz à effet de serre et principalement le dioxyde de carbone et leméthane qui mettent des centaines d’années avant de se dissiper. De ce fait, laconcentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère a atteint des proportionsinégalées depuis plus de 400 000 années. Chaque seconde plus de 1,2 million kgde CO2 sont émis dans l’atmosphère. Chaque année plus de 40 milliards de tonnesde CO2 sont émises dans l’atmosphère.

Pour les experts du Musée d’Histoire Naturelle de Paris, une ère géologiquenouvelle est née du fait des activités anthropogéniques. Cette ère dénommée« anthropocene » serait due aux activités d’une seule espèce vivante parmi desmillions d’autres espèces, à savoir l’Homo Sapiens.

La hausse des émissions de CO2 a atteint 40% de 1990 à 2010. Ainsi laconcentration atmosphérique de CO2 qui n’était que de 56 ppm en 1880 a atteintrécemment le record historique de plus de 400 ppm (parties par million). Il s’agitlà de la concentration la plus importante depuis plus de 400 000 ans.

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Ce n’est pas un concours de circonstances fortuit si la planète se réchauffe deplus en plus depuis le début des relevés météorologiques et les 10 années les pluschaudes l’ont été durant les 12 dernières années. Une étude menée par 45 scien-tifiques de 13 pays a démontré que les 30 dernières années ont été les plus chaudesdepuis plus de 2000 ans. Selon la NASA, l’année 2015 a été l’année la pluschaude jamais enregistrée depuis 1861. La vague de chaleur qui a frappé l’Indedurant l’été 2015 a entrainé la mort de 2500 personnes ravivant le spectre de l’été2003. Cet été la vague de chaleur qui a frappé la France a entrainé la mort de plusde 20 000 personnes, et a été qualifiée par le Premier ministre de l’époque, M.Jean Pierre Raffarin, de « catastrophe sanitaire ».

Les effets pervers du réchauffement de la planète n’épargne aucun secteur del’activité humaine et se caractérise entre autres par des événements climatiquesextrêmes. Entre les années 70 et 2008, le monde a connu 8800 catastrophesnaturelles dont 90% climatiques. Selon les prévisions des experts, le nombredes catastrophes sera multiplié par trois en 2030 entrainant la mort de 500 000personnes par an.

Le cout des catastrophes aux USA a été estimé en 2012 à 1150 milliards dedollars. Les changements climatiques grèvent lourdement le budget des Etats eten particulier ceux des pays en voie de développement. Une étude menée par Ci-tiGroup souligne qu'un réchauffement planétaire excessif pourrait amputer deprès de 72 000 milliards de dollars le PIB mondial. Un autre rapport, publié dansla revue scientifique « Nature » conclut que le réchauffement climatique pourraitréduire de presque un quart le revenu mondial moyen. Selon un rapport de l'Uni-versité de Cambridge, les portefeuilles d'actions pourraient perdre jusqu'à 45 %de leur valeur, si les craintes liées au climat se répercutaient sur lesmarchés mondiaux. Le PDG d'Unilever a évalué à 330 millions de dollarsl'impact en 2015 pour son entreprise des catastrophes naturelles liées auchangement climatique.

Cependant, les émissions de gaz à effet de serre ont non seulement un coutfinancier et écologique, mais aussi un cout sanitaire élevé. Selon l’OrganisationMondiale de la Santé (OMS), la pollution atmosphérique a tué 7 millions de per-sonnes en 2012, représentant 12,5% des décès dans le monde, soit un mort sur 8.La pollution atmosphérique tue plus de personnes que le SIDA et la Malaria.Selon l’OMS, la pollution atmosphérique pourrait tuer plus de 16 millions de per-sonnes annuellement en 2050.

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Les pays les plus affectés seront les pays les plus vulnérables et donc les paysen voie de développement qui seront également durement touchés par l’augmen-tation tant en durée qu’en intensité des épisodes de sécheresse aggravant ainsi lapénurie d’eau. En 2025 les 2/3 de l’humanité, soit plus de 5,5 milliards de per-sonnes souffriront de pénuries d’eau.

La raréfaction de la ressource hydrique entrainera, quant à elle, l’aggravationdu phénomène de la dégradation des sols et l’accélération de la désertificationqui engloutit 6 millions ha de terres arables et affecte déjà 1,1 milliard de per-sonnes et menace la vie de 135 millions d’êtres humains.

Ainsi le réchauffement de la planète risque de mettre en péril la sécurité ali-mentaire du monde au moment même où la population mondiale pourrait attein-dre 9 milliards de personnes en 2050. Selon l’Organisation Mondiale del’Agriculture et de l’Alimentation, les changements climatiques seront, en 2030,à l’origine de la réduction de 50 millions de tonnes de la production alimentairemondiale. Le nombre de personnes affectées par la famine serait multiplié pardeux. Ce défi risque d’être aggravé par l’urbanisation forcenée de la planète, eten particulier dans les pays en voie de développement et singulièrement enAfrique dont la population atteindra 2 milliards en 2050 dont 70% vivront dansdes villes. Le Nigeria sera le troisième pays le plus peuplé au monde après l’Indeet la Chine.

La nature de cette urbanisation effrénée est aussi de nature à aggraver lesrisques multiformes que font peser sur l’humanité les changements climatiques.En effet, 60% des zones urbaines sont situées à moins de 100 km des cotes. Leréchauffement de la planète entraine une élévation du niveau des mers et desocéans qui, selon le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur les ChangementsClimatiques, pourrait atteindre plus d’un mètre à la fin du siècle en cours. L’élé-vation du niveau des mers et des océans risque d’entrainer la disparition des petitsEtats insulaires. C’est pour cela que le Président des Maldives dans son discoursà l’Assemblée Générale des Nations Unies a déclaré son pays « comme étantune nation en danger ».

En effet, les changements climatiques constituent une menace sur la paix etla sécurité internationale. Un rapport de la CIA prédit que la raréfaction de l’eausera une source majeure de conflits et de tensions entre les nations. Le Pentagonea créé un département des changements climatiques.

LA CONFéRENCE DE PARIS SUR LE CLIMAT : ENJEUx ET OPPORTUNITéS

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Le rapport du G8 rendu public en Juin 2015 intitulé « un nouveau climat depaix » démontre à l’évidence que les changements climatiques sont un facteurmultiplicateur des tensions et des menaces sur la paix et la sécurité mondiale.C’est pour cela que le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’est réuni à deuxreprises, en 2007, à l’initiative du Royaume Uni et en 2011 à l’initiative de l’Al-lemagne, afin d’examiner les implications des changements climatiques sur lapaix et la sécurité internationale. Ce n’est pas sans raison que le Secrétaire d’EtatAmerican, M. John Kerry, a qualifié les changements climatiques « d’arme dedestruction massive ».

C’est pour cela aussi que le Prix Nobel de la Paix a été décerné en 2009 auGroupe Intergouvernemental d’Experts sur les Changements Climatiques. C’estpour cette même raison que le Prix de la Paix Ewald von Kleist a été décerné, enfévrier 2016, à M. Laurent Fabius en sa qualité de Président de la COP 21 et àMme Christiana Figuerres, la Secrétaire exécutive de la Convention-cadre sur lesChangements Climatiques, et ce en marge de la conférence de Munich sur la Sé-curité. Le prix récompense des éminentes personnalités ayant contribué à la pro-motion de la paix et la résolution des conflits.

Si l’humanité continue à agir comme si de rien n’était, la concentration deCO2 dans l’atmosphère pourrait dépasser 1000 ppm d’ici la fin du siècle, entrai-nant une élévation de température pouvant atteindre 6°C.

Selon le GIEC l’augmentation de la température de la planète au-delà de plusde 2°C, les effets du dérèglement climatique seraient irréversibles et atteindraientdans plusieurs régions du monde, en particulier la région sub-tropique à laquelleappartient notre pays, le seuil de l’irréversible.

Il y a lieu de souligner que depuis l’ère préindustrielle, la température de laplanète a augmenté de 0,85°C et donc, la communauté internationale devra s’ef-forcer de limiter la hausse de la température à pas plus de 1,15°C. A cette fin,l’atmosphère ne devrait pas contenir plus de 3500 gigatonnes de CO2. Or à cejour plus de 2500 gigatonnes ont été accumulées. Les scientifiques préconisentdonc une réduction entre 40 et 70% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à2050 et atteindre la neutralité carbone vers la fin du siècle.

L’objectif de la Conférence de Paris était donc de limiter l’augmentation dela température de la planète à moins de 2°C.

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LA CONFéRENCE DE PARIS SUR LE CLIMAT : ENJEUx ET OPPORTUNITéS

IV - La Conférence de Paris a été historiqueaussi en raison de ses résultats

Si l’objectif de la Convention-Cadre sur les Changements Climatiquesadoptée en Juin 1992, conformément aux dispositions de son article 2, était destabiliser « les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à unniveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système cli-matique » sans pour cela définir ledit seuil, l’Accord de Paris a, quant à lui, unobjectif quantifié qui vise « à limiter l’augmentation de la température bien endeçà de 2°C par rapport au niveau préindustriel, tout en continuant à poursuivreles efforts afin de limiter l’augmentation de la température de la planète à moinsde 1,5°C ».

Si le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques adopté en 1997n’engageait que les 41 pays dits de l’Annexe I, c'est-à-dire les pays industrialisésà réduire leur émissions de gaz à effet de serre, l’Accord de Paris engage tous lesEtats membres à contribuer à la réalisation de ses objectifs sur une base volontairedéterminée souverainement au niveau national. Contrairement à la Convention-Cadre des Changements Climatiques et de son Protocole de Kyoto, les engage-ments contractés par les Etats en adoptant le 12 décembre 2015 à 18h50 l’Accordde Paris sont universels. En effet l’Accord de Paris est le premier accord interna-tional sur le climat qui soit universel. Il constitue à ce titre un nouveau régimeinternational sur le climat. Aux termes des dispositions de l’article 4 de l’Accordde Paris, toutes les Parties Contractantes s’engagent à atteindre, le plus rapidementpossible, un pic des émissions de gaz à effet de serre et décroitre leur émissions,des que ce pic sera atteint.

Le nouveau régime international sur le climat adopté à Paris repose sur lescontributions provisoires déterminées au niveau national par les parties contrac-tantes. Plus de 188 Parties ont soumis leur contribution. Ce qui constitue en soitune réussite retentissante. Ces contributions provisoires se doivent d’être trans-formées en contribution définitive avant l’entrée en vigueur en 2020 de l’accordde Paris, et feront l’objet d’examen de mise en œuvre et de révision vers la hausseune fois tous les cinq années.

Le nouveau régime international sur le climat adopté à Paris repose aussi surla parité entre les mesures d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre etcelle d’adaptation aux effets des changements climatiques.

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Aux termes des dispositions de l’article 9 de l’Accord de Paris les pays dé-veloppés se sont engagés à fournir aux pays en voie de développement une assis-tance financière tant pour les mesures d’atténuation que d’adaptation. Ils se sontégalement engagés à renforcer la coopération internationale pour le développe-ment et le transfert de technologie et d’intensifier leurs efforts pour le dévelop-pement des capacités humaines et institutionnelles des pays en voie dedéveloppement.

Il a été convenu que la mise en œuvre des engagements librement contractésseront revus des 2023 et ensuite une fois tous les cinq années.

V- l’Algérie face aux Défis et Opportunités de l’Accord de Paris

L’Algérie a été après l’Indonésie, le deuxième pays de l’OPEP à signer le 5juin 1992 l’Accord Cadre sur les Changements Climatiques. En sa qualité de vice-Président de son Comité intergouvernemental de Négociation, l’Algérie a jouéun rôle de premier plan au cours de sa négociation. L’Algérie en sa qualité deco-président du Comité préparatoire de l’Accord de Paris a apporté une contri-bution décisive pour le succès de la Conférence de Paris. L’Algérie a été le 42e

pays à soumettre sa contribution le 4 septembre 2015 et a été parmi les premierspays en voie de développement et le premier pays de l’OPEP à publier sa Contri-bution Provisoire Déterminée au niveau National (CPDN).

La contribution de l’Algérie s’articule autour des décisions adoptées le 24mai 2015 par le Conseil des ministres relatives à l’actualisation du programmenational d’efficacité énergétique. Ce programme ambitieux vise la réduction de9% de la consommation globale d’énergie à l’horizon 2030 entrainant une éco-nomie de 63 millions de tonnes d’équivalent pétrole, représentant un gain finan-cier de 42 milliards de dollars.

Ce programme ambitionne de procéder à l’isolation thermique de 100 000logements par an, ainsi qu’à la conversion du GPL de plus d’un million de véhi-cules particuliers et de plus de 20 000 autobus. Ce programme entrainera la créa-tion de plus de 180 000 emplois nouveaux.

L’actualisation du programme de développement des énergies nouvelleset renouvelables adopté par le Conseil des ministres ambitionne à l’horizon 2030,un déploiement à plus grande échelle du photovoltaïque et de l’éolien,

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accompagné, à moyen terme, de la production d’énergie à partir du solaire ther-mique, ainsi que de l’intégration de la cogénération, de la biomasse et de la géo-thermie. Ce programme actualisé, vise à terme, d’atteindre 27% de la productionnationale d’électricité grâce aux énergies renouvelables entrainant une économiede près de 300 milliards m3 de gaz sur la période 2021 - 2030.

En effet, l’Algérie, le plus grand pays en termes de territoire d’Afrique, dela Méditerranée et du monde arabe, dispose de l’un des gisements solaires lesplus élevés au monde, estimé à plus de 5 milliards Gwh/an. La moyenne annuelled’ensoleillement de tout le territoire est estimé annuellement à plus de 2500 het dépasserait les 3600 h dans les Hauts plateaux. Par ailleurs, en sus de ses 200stations thermales, l’Algérie, le dixième plus grand pays au monde, dispose d’unréservoir géothermique constitué par la nappe albienne qui s’étale sur plus de700 000 km².

C’est pour cette raison que l’Algérie envisage la création d’un Forum desEnergies Renouvelables des Pays africains. En effet l’Algérie a l’ambition de de-venir un leader africain des énergies nouvelles.

Le gaz naturel étant considéré comme une passerelle idoine entre les énergiesfossiles et les énergies renouvelables, l’Algérie pays gazier sera parmi les paysbénéficiaires de la transition énergétique générée par l’Accord de Paris.

En effet, une tonne de charbon produit le double des émissions que le gaznaturel. Une centrale de 1000 mégawatts rejette environ 6 millions de tonnes deCO2 par an, soit l’équivalent des émissions de 2 millions de voitures. L’accordde Paris a sonné le glas de l’ère du charbon et ouvert la voie à un monde sobre encarbone, voire à terme de carbonisé.

Conclusion

Selon l’Agence des Energies Renouvelables dont le siège est à Abu Dhabi,330 milliards ont été investis en 2015 dans les énergies propres, soit six fois plusqu’en 2004. La Chine à elle seule a investi 110 milliards. L’Inde envisage d’ins-taller 100 gigawatts de capacités électriques solaires en 2022 par rapport au 4 gi-gawatts d’aujourd hui. Ce pays a été à l’origine de la création à Paris d’unealliance du Solaire qui regroupe 122 pays.

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Lors de la réunion organisée à New York en Janvier 2016 avec les représen-tants du monde des affaires, le Secrétaire Général des Nations Unies a estimé quele montant des investissements dans les énergies renouvelables devrait doubleravant 2020. Durant les décennies à venir, il est prévu que ce montant atteindra1000 milliards annuellement.

Ainsi, l’ambition algérienne en matière d’énergie renouvelable n’est passeulement un choix écologique rationnel, mais aussi une ambition industrielleprometteuse.

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APPEL A PUBLICATION

L’Institut National d’Etudes de Stratégie Globale (INESG) porte à la connais-sance des chercheurs universitaires, experts et spécialistes de la création d’unerevue intitulée « Revue algérienne de prospective & d’études stratégiques ».

Elle a pour but de servir de forum pour des analyses critiques et des réflexionsportant sur les plans national, régional et international.

C’est une revue trimestrielle, qui porte sur des domaines perçus à travers nosréalités nationales et ses enjeux :

géopolitiques ;géostratégie de la zone «Middle East North Africa» ;les relations internationales, de sécurité et de défense ;les stratégies de développement économique et social ;l’énergie, l’agriculture et l’environnement ; l’évolution des institutions politiques et la transformationdes systèmes institutionnels ;le développement culturel et éducatif ;la communication ;le développement technologique.

Tous les chercheurs intéressés par l’une des thématiques citées ci-dessus sontinvités à proposer leurs contributions sous forme d’articles en tenant compte desconditions suivantes :

les contributions devront être originales, et n’avoir fait l’objet d’aucuneautre publication ;l’article comporte entre 6000 et 9000 mots, soit entre 9 et 14 pages; la page de garde comporte le titre de l’article et sous-titre si nécessaire,le (s) nom (s) de (ou des) l’auteur(s), ses (leurs) fonctions et ses (leurs)coordonnées (adresses postales personnelles et professionnelles, télé-phone, adresse électronique) ; la deuxième page comporte le résumé et les mots-clés (franç. et angl.);les articles en arabe devront comporter des résumés et des mots-clés(arabe et français ou anglais) ;les articles en arabe devront comporter des résumés et des mots-clés(arabe et français ou anglais) ;

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les textes écrits au format Word en lettres latines, le corps du texte doitêtre saisi au format A4, (21 x 29,7cm) paginé, justifié, police de caractèreTimes New Roman 11, en interligne simple, sans espacement, marge 2,5cm (haut, bas, droite, gauche) ; les textes écrits en arabe devront être rédigés en arabic simplified 14, les notes doivent figurer en bas de chaque page dans l’ordre 1, 2, 3,etc., (leur numérotation doit être continue pour l’ensemble du texte) avecun caractère Times New Roman 9 pour les textes écrits en latin et arabicsimplified 12 pour les textes écrits en arabe ;les schémas, graphiques et tableaux doivent être numérotés, comportésun titre et la référence à une source si nécessaire et intégrés dans le texteles références bibliographiques à la suite du texte, classées par ordre al-phabétique. Elles doivent être présentées suivant la norme ISO 690-2010. les citations des noms d’auteur dans le corps du texte sans parenthèses,les noms cités doivent tous être repris dans la bibliographie.

Tous les articles devront parvenir sous format Word au secrétariat de la revue

Secrétariat de la « Revue algérienne de Prospective &d’études stratégiques ». M. Mohamed Belhadj

E-mail : [email protected]

Institut National d’Etudes de Stratégie Globale (INESG)BP 137, les Vergers Birkhadem Alger

Tél. : 021 54 07 07 Fax : 021 54 01 39

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