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Le grand Naufrage ? Bilan des politiques sociales en Europe REVUE APE La Revue des Affaires publiques et e uropéennes de Sciences po Automne 2012 - N°5

Revue APE n°5

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A lire dans ce numéro d'automne de la Revue des Affaires publiques et européennes : un dossier sur les politiques sociales en Europe, des articles d'actualité, des comptes rendus de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat...

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Le grand Naufrage ?

Bilan des politiques sociales en Europe

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Automne 2012 - N°5

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Edito Cela ne vous aura pas échappé, c’est la crise qui

structure l’actualité en France et en Europe. C’est elle qui marque son rythme et s’impose comme le prisme à travers duquel s’analysent les évolutions de notre société, de notre économie et des grands équilibres du monde. C’est elle, surtout, qui façonne cette nouvelle génération que l’on appellera peut-être dans quelques décennies « les enfants de la crise ». Cette génération, ce sont les membres de votre famille, vos amis, chacun d’entre vous qui entrez dans un univers en pleine recomposition avec les lunettes de l’ancien monde. Car si la crise est un thème récurrent et presque usé par l’emploi excessif qu’en ont fait les journalistes et politiques de tous bords, force est de constater aujourd’hui que nous sommes engloutis, non pas dans une crise « classique », mais dans une Crise avec un grand « C », c’est-à-dire, à proprement parler, une révolution.

La France et autour d’elle l’Europe dans son intégralité, sont confrontées à des défis tellement redoutables que d’aucuns s’efforcent de les minimiser ou refusent de les regarder en face : explosion du chômage de longue durée, érosion des ressorts de la croissance, spectre des nouvelles puissances économiques et de la pénurie énergétique, mécontentement et désespoir social…

Avant d’annoncer la fin apocalyptique de l’Europe ou, au contraire, l’avènement de nouveaux lendemains qui chantent, notre devoir en tant que citoyens est d’abord de comprendre la portée de cette crise, d’en saisir non seulement les effets immédiats, mais également les implications de long-terme. Cette entreprise n’est pas aisée, tant le tourbillon des évènements politiques, économiques et sociaux nous empêche de discerner des lignes de continuité, des structures communes. C’est l’objet de ce numéro que de soumettre à votre jugement une série d’articles sur les relations entre la crise économique et les réformes des modèles sociaux en Europe. Comment ces derniers réagissent-ils à une pression économique sans précédent ? La crise justifie-t-elle une refondation complète des systèmes de protection contre les risques sociaux ? Les

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réformes des modèles européens constituent-elles une voie de sortie face à cette crise qui nous entraîne irrésistiblement vers l’effondrement économique et la dissolution sociale ? Est-il souhaitable et possible de construire un modèle social proprement européen ? Autant de questions traitées dans notre dossier principal et qui visent à mettre en perspective une problématique abordée de manière souvent fragmentaire dans l’actualité médiatique.

A ce dossier principal s’ajoute une rubrique « Actualités » qui dresse quelques pistes de réflexion sur des thématiques actuelles telles que l’encadrement des loyers en France ou la célébration de l’année européenne de la citoyenneté en 2013. La revue APE s’enrichit également d’une rubrique juridique : ce numéro vous offre un panorama de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une rentrée politique bien remplie, et du juge des référés du Conseil d’Etat, institution trop méconnue au regard de son rôle primordial en matière de protection des libertés. La rubrique étudiante revient sur les spécificités de la fonction publique française avant de dresser une présentation des principaux concours administratifs.

La compréhension synthétique de la crise et de ses implications est une œuvre individuelle qui empruntera nécessairement des voies propres aux sensibilités particulières. Peut-être même que l’idée fondatrice de ce numéro - le caractère exceptionnel de la crise et son rôle dans l’émergence d’un ordre économique et social nouveau - ne fera pas l’unanimité. Mais c’est précisément la diversité des opinions que nous recherchons et nous nous réjouissons à l’avance des réflexions que suscitera la lecture de ces articles. Bonne lecture !

Benoît Carval et Capucine Capon, rédacteurs en chef

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DOSSIER : LE GRAND NAUFRAGE. LA CRISE ET LES POLITIQUES SOCIALES EN EUROPE

p 9 La refondation des modèles sociaux européens

Construire une Europe sociale : mission impossible ? Charles Mosditchian

p 10 Allemagne La compétitivité allemande, 23% de travailleurs pauvres ? Frédéric de Carmoy

p 14 Espagne La refondation du modèle social espagnol Benoît Carval

p 19 Royaume-Uni The state of social policies in the United Kingdom Emilie Hermet

p 21 France Y a-t-il une véritable politique de la jeunesse en France? Candice Le Louarn

p 26 p 28

Politiques de la ville Les villes au secours de l’Etat-Providence ? Caroline Guillet La politique de la ville, cet OVNI politique François Fournier

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LES POLITIQUES DE LA VILLE

p 32 Théorie

Sur quelques théories du droit social Simon Chassard

ACTUALITES

p 37 Cité de la Réussite Retour sur la conférence « Qu’est-ce que le partage ? » François Fournier et Candice Le Louarn

p 39 Citoyenneté européenne 2013 : l’Année européenne de la citoyenneté Cristina Juverdeanu

p 42 Santé publique Les agences régionales de santé : y a-t-il un pilote dans l’agence ? Thomas Bayle

p 46 Logement L’encadrement des loyers, fausse bonne idée ? Camille Hartmann

LE COIN DU DROIT

p 51 Conseil constitutionnel Panorama de la jurisprudence du Conseil constitutionnel Alexandre Leconte

p 55 Conseil d’Etat L’automne 2012 dans la salle Odent Benoît Carval

RUBRIQUE ETUDIANTE p 63 Pourquoi la fonction publique française attire-t-elle tant ?

Miriam Tardell

p 64 Les concours de la fonction publique Capucine Capon

p 69 La Revue APE et vous Impressum et Crédits photos L’équipe de la Revue

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Construire une Europe sociale :

mission impossible ?

Le prix Nobel de la paix attribué à l’Union européenne en octobre 2012 a fait couler beaucoup d’encre. Jürgen Habermas a interprété la décision du Comité d’Oslo comme une récompense décernée à l’Union pour l’instauration d’une paix durable sur le continent européen autant que comme un appel à construire une véritable Europe sociale. Cette prise de position montre bien l’actualité du débat sur le sujet de l’Europe sociale. Si elle a été posée à de nombreuses reprises, la question de l’orientation politique à donner à l’Union européenne demeure. La Confédération des syndicats européens définit le modèle social européen comme un système qui « consiste en une vision de la société qui allie une croissance durable et des conditions de vie et de travail sans cesse améliorées ». Il faut néanmoins le rappeler, la dimension sociale n’a jamais été une priorité dans l’histoire de la construction européenne, avant tout économique. Au sortir de la guerre, la volonté politique de pacifier le territoire européen s’est en effet traduite par un processus de coopération économique étroite entre la France, l’Allemagne, l’Italie et les États du Benelux, à travers la mise en commun des ressources essentielles que représentaient le charbon et l’acier à l’époque. Si on ne peut nier la portée politique d’un tel projet de mutualisation de ressources, ses conséquences les plus visibles ont pourtant été éminemment économiques. Ainsi, l’élément social a toujours été perçu par les Pères fondateurs comme un simple corollaire de la dimension économique qui viendrait de manière aussi naturelle que subsidiaire s’ajouter à celle-ci. Les questions sociales ont par conséquent été abordées par pure opportunité et dans l’intérêt avoué de supporter l’intégration économique initiée en 1951. Cette vision est d’ailleurs inscrite noir sur blanc dans l’article 151 du TFUE relatif à la politique sociale de l’Union.

Dans son troisième alinéa, les États membres estiment en effet que le maintien de la compétitivité de l’Union résultera « du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des système sociaux ». A la lumière de ces considérations historiques, force est aujourd’hui de constater que l’Europe sociale reste parcellaire et très largement insuffisante. Les raisons de ces lacunes sont nombreuses. La grande diversité des systèmes sociaux nationaux constitue le principal frein à la construction d’un modèle social européen cohérent. Les politiques sociales des États membres sont en effet très hétérogènes et une entente à 27 sur ces problématiques relève du miracle.

Unis dans la diversité sociale ?

Quand on parle d’opposition au modèle social européen, on pense naturellement au Royaume-Uni qui a traditionnellement toujours refusé de se laisser dicter sa conduite par Bruxelles. Dans la longue lignée de l’euroscepticisme des gouvernements britanniques successifs, la réticence à se voir appliquer les mesures sociales des traités occupe une place de choix. Lors de la signature du Traité de Maastricht en 1992, les timides débuts de la politique sociale européenne avaient déjà été sujets à de nombreux opt-out. C’est, à l’époque, la Charte des droits fondamentaux des travailleurs, rattachée au

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traité, qui avait fait l’objet d’une telle dérogation sous Margaret Thatcher et John Major, lesquels la considéraient comme une atteinte à la sacro-sainte liberté d’entreprendre. Lors de la signature du Traité de Lisbonne, le gouvernement travailliste de Tony Blair a lui aussi négocié des exemptions portant sur l’extension des compétences de l’Union dans le domaine de la protection sociale. Le retour

au pouvoir des Tories sous l’égide de David Cameron n’a fait qu’accentuer ce mouvement – les Conservateurs revendiquant, par exemple, une exemption totale du Royaume-Uni des dispositions d’une directive relative à la durée du temps de travail dans les États membres, au motif qu’elle mettait à mal le National Health Service (le système de santé britannique).

On l’aura compris, les Britanniques tiennent mordicus à conserver les spécificités de leur système social. Mais la Grande-Bretagne n’est pas la seule à exprimer ses réticences sur ce

sujet. On se souvient des mots du Ministre de l’économie allemand Ludwig Erhard dénonçant le « romantisme social » du projet européen à la veille de l’adoption du Traité de Rome et le qualifiant même d’ « extrêmement dangereux ». Ces propos, tenus à l’encontre de l’une des seules clauses à portée sociale contenues dans le traité, et en l’espèce relative à l’égalité salariale entre hommes et femmes, témoignent bien de la défiance des

gouvernements nationaux à l’égard d’une harmonisation des normes sociales. Les dirigeants ont passé mais les réserves à l’encontre de l’Europe sociale ont perduré jusqu’à aujourd’hui.

Le sujet fiscal est encore plus épineux. Le taux d’imposition sur les sociétés est le parfait exemple de la relation étroite qui existe entre les politiques fiscales et sociales et des tensions qu’elles engendrent entre les membres de l’Union. Le taux de l’impôt sur les sociétés diffère en effet selon les États ; et si la France et l’Allemagne tentent de mettre en place une

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convergence graduelle de leur fiscalité des entreprises entre 29,5% et 33,3%, certains États de l’UE disposent, pour leur part, d’un taux bien plus bas. L’Irlande et ses 12,5% font ainsi figure de paradis pour les entrepreneurs et de concurrent déloyal favorisant le « dumping social » pour ses partenaires européens.

Abdication politique et compétence limitée

Mais la diversité des politiques nationales de protection sociale n’est pas la seule explication du désert social européen. Le second écueil auquel se heurte l’Union est le manque de volonté politique des dirigeants nationaux sur le sujet. En 1956, Jean Duret, économiste spécialiste du marché intérieur, considérait déjà que les politiques français avaient abandonné toute idée d’Europe sociale, effrayés par « le tête-à-tête avec les masses françaises dans le cadre national ». La volonté sociale des dirigeants nationaux est aujourd’hui toujours en question. Malgré l’adoption, en 2000, de la Stratégie de

Lisbonne, un programme décennal visant à mener des réformes économiques et sociales et auto-désigné comme « une stratégie positive et qui combine la compétitivité et la cohésion sociale », les résultats sont décevants et l’Union n’avance pas sur les grands chantiers sociaux tels que la lutte contre l’exclusion sociale. Le compromis que constituait la Stratégie de Lisbonne est aujourd’hui inconnu des citoyens de l’Union et a échoué à créer un sentiment d’appropriation des questions sociales à l’échelle européenne. Cette stagnation sur les sujets sociaux témoigne du manque d’ambition politique récurrent et de l’abdication généralisée des gouvernements sur ce sujet.

Car si les efforts n’ont pas été à la hauteur ce n’est pourtant pas l’Union qui est à blâmer. L’UE n’a en effet que les compétences que les États membres ont bien voulu lui octroyer. Or elle ne dispose que d’une compétence d’appui et de coordination en la matière. En

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encourageant « la coopération entre les États membres » et en facilitant « la coordination de leur action dans tous les domaines de la politique sociale », l’article 156 du TFUE en témoigne : l’action de l’Union dans ce domaine est uniquement complémentaire de celle des États membres, qui disposent, eux, de l’essentiel des compétences à ce sujet.

Pour un investissement social européen

L’Europe sociale doit-elle pour autant se construire en dépit de ces limites, ou en tout cas malgré le manque de volonté manifeste des États membres ? Rien n’est moins sûr et quelques pistes semblent se dessiner. Pour Philippe Garabiol, haut-fonctionnaire et maître de conférences en questions sociales à Sciences Po, la particularité du modèle social européen repose sur son attachement à des valeurs fortes « de solidarité, de partenariat social et de subsidiarité » nées d’une « lutte contre l’exclusion et les discriminations qui distingue le modèle européen du modèle des pays émergents ». Se prévalant de cette histoire sociale particulière à l’Europe et observant les différences de cultures sociales entre les États membres, il préconise de renforcer le sentiment d’identité sociale européenne par l’adoption de mesures s’inspirant de cet esprit social européen, telles que des procédures de négociations collectives communes à tous les États membres ou encore la fixation d’un salaire minimum européen.

En effet, les seules mesures d’austérité ne semblent plus suffire à endiguer la crise actuelle. C’est donc bien un « pacte d’investissement social » que l’Europe devrait initier pour accompagner les mesures économiques qu’elle adopte pour lutter contre la crise. C’est l’argument utilisé par Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po et spécialiste des questions sociales, pour promouvoir le développement d’une « caring Europe, qui s’occupe de l’avenir commun » de ses citoyens. Pour développer l’idée d’une telle « Europe-

providence », chère à Philippe Perchoc, cofondateur du think-tank Nouvelle Europe, il s’agit d’augmenter les investissements publics dans les secteurs de la recherche et du capital humain. Dans cette optique, la mise en place d’outils tels que le Fonds social européen (FSE), qui soutient le développement de projets sociaux, est fondamentale. C’est, en effet, grâce à l’instrument de cohésion sociale que constitue le FSE que l’UE peut financer et coordonner des initiatives facilitant l’accès à l’emploi des populations fragiles, investissant dans le capital humain et favorisant une plus grande inclusion sociale. Au-delà de cet instrument de cohésion qui constitue un intermédiaire fondamental entre le niveau européen et le niveau national, les institutions de l’UE ont aussi leur rôle à jouer. Le Parlement européen n’est pas en reste sur les questions sociales. Il peut, par la publication de rapports, alerter la Commission et ne s’en prive pas. En soutenant l’idée de project bonds (grands emprunts européens) destinés au financement de projets sociaux ou en proposant une taxe sur les transactions financière pour rééquilibrer la fiscalité du travail et la fiscalité du capital, les députés européens jouent un rôle moteur dans la construction d’une Europe solidaire, faisant ainsi du Parlement l’un des acteurs les plus à même de faire bouger les lignes sur le front social

Charles Mosditchian

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La compétitivité allemande : 23% de travailleurs pauvres ? La campagne présidentielle de 2012 a révélé à quel point, en temps de crise, l’Allemagne est vue comme un modèle dont la France devrait s’inspirer. Il y a d’abord les grands symboles. Le triple A conservé par les trois grandes agences de notation, quand la France a vu sa note dégradée par Standard & Poor’s en janvier 2012. La croissance allemande à 3% en 2011 quand la croissance française était à 1,7%. Le taux de chômage allemand à 6,5%, quand celui de la France dépasse à nouveau les 10% depuis janvier 2012. Taux de chômage allemand qui, d’ailleurs, baisse de manière presque ininterrompue depuis avril 2005, où il avait atteint un pic à 11,5%, quand celui de toutes les autres grandes économies européennes prend le chemin inverse. L’Allemagne est cette grande puissance économique un peu mythifiée qui semble être la seule épargnée par les soubresauts sociaux frappant la plupart de ses voisins. Première puissance exportatrice d’Europe, l’Allemagne est le pays de la compétitivité, en particulier de la compétitivité hors-prix, incarnée par exemple par la “deutsche Qualität”, vantée régulièrement dans les publicités de grandes marques automobiles.

Source : Chaunu pour Ouest France

Vivre à 5 euros de l’heure

La compétitivité allemande, pourtant, c’est aussi, - c’est peut-être d’abord ! - une compétitivité qui s’appuie sur une main d’œuvre à très bas coûts. Profitant de la proximité géographique de l’Allemagne avec l’Europe centrale et orientale, beaucoup d’entreprises allemandes ne se privent pas d’embaucher par exemple des Polonais ou des Tchèques, ce que la législation européenne autorise. Mais que dire des 6,5 millions d’Allemands payés moins de 10 euros brut de l’heure, ou, pire encore, des 2,2 millions d’Allemands payés moins de 6 euros brut de l’heure ? La réunification allemande, soit le processus par lequel la République Fédérale Allemande a accueilli en son sein, en à peine deux ans, les 17 millions d’Allemands de l’Est et les structures économiques à bout de souffle de la DDR, n’a évidemment pas été sans conséquences. Le système allemand des conventions collectives (Tarifverträge), fierté de la jeune République Fédérale au sortir de la Guerre, marqué par le désengagement total de l’Etat dans la politique de fixation des salaires et garant des décennies durant d’une remarquable justice sociale, est sorti effroyablement affaibli de ces années 1990. Depuis bientôt deux ans, moins d’un Allemand sur deux est couvert par ces conventions. Le problème ne touche donc pas que les anciens citoyens de la DDR : il n’est plus rare, à Brême ou dans les banlieues des grandes villes de la Ruhr, de trouver des caissières payées 5,80 euros de l’heure, des fleuristes 6,20 et des coiffeurs 6,60. D’ailleurs, quoiqu’elle ait ouvert la voie à des salaires minimaux par branches depuis 1997, qui valent aujourd’hui pour les électriciens et les ouvriers de la construction par exemple, l’Allemagne n’a toujours pas de salaire minimal généralisé.

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Dans ces conditions, le phénomène des working poors (ou Niedriglohnempfänger) atteint des proportions ahurissantes: 23% des actifs allemands sont considérés comme des travailleurs pauvres, soit près de un sur quatre. Sans législation commune sur les salaires, et sans non plus que son système de négociation entre syndicat et patronat fonctionne assez bien pour permettre à tous d’avoir des rémunérations décentes, l’Allemagne prend le risque, pour assurer l’emploi et la compétitivité, de devenir une société à deux vitesses, sabordant ainsi sa classe moyenne, la fameuse Mittelschicht qui a été, par son soutien indéfectible à la consommation, l’un des grands secrets de la vitalité économique du pays durant les Trente Glorieuses. Si, entre 2000 et 2008, 3% des Allemands sont passés de la Mittelschicht aux classes supérieures, ils sont en revanche 9% à être passés en dessous du seuil à partir duquel le risque de pauvreté existe. Certes, l’on pourra rétorquer que l’écart croissant entre riches et pauvres est le lot commun de tous les pays industrialisés, mais cela semble rarement aussi vrai qu’en Allemagne. Là-bas plus qu’ailleurs, la pauvreté des enfants augmente. Là-bas plus qu’ailleurs, la pauvreté des personnes âgées se développe. Qui s’est déjà rendu à Berlin ces dernières années ne peut pas ne pas avoir croisé le regard de ces retraités collectant, en pleine nuit, dans les poubelles ou par terre, des bouteilles de bières vides. Avec le système des consignes, ils en tireront 8 centimes d’euros par unité, de quoi compléter maigrement une retraite souvent déjà réduite à peau de chagrin. Le Ministère allemand du Travail et des Affaires Sociales a récemment publié ce chiffre alarmant : 660 000 personnes âgées de 65 à 74 ans occupent un travail ou une petite activité afin de subsister.

La gauche ultralibérale

Outre les séquelles de la réunification et la pression à la baisse sur les salaires imposée dans de nombreuses régions allemandes par leur proximité avec les pays d’Europe de l’Est,

ce phénomène de paupérisation à l’allemande est aussi la contrepartie de certaines des réformes de soutien à l’emploi initiées au début des années 2000 par le gouvernement Schröder. En particulier, la fameuse loi Hartz IV de 2003, en libéralisant considérablement le marché du travail, s’est certes traduite par un boom sans précédent de l’emploi, avec un nombre de chômeurs ramené de 5 millions en 2004 à un peu moins de 3 millions aujourd’hui, mais elle y est aussi pour beaucoup dans l’ampleur des déséquilibres sociaux actuels. Depuis qu’elle est en vigueur, cette loi supprime aux chômeurs le droit à une indemnisation indexée sur leurs anciens salaires s’ils ne trouvent pas un travail dans l’année. Du jour au lendemain, c’est donc une indemnité forfaitaire de 359 euros qu’ils touchent s’ils vivent seuls, à peine plus s’ils sont mariés ou s’ils ont des enfants. De même, la loi Hartz IV a par exemple inventé la formule des “Minijobs”, ces emplois dont le salaire n’est pas imposable, ni pour l’entreprise ni pour le salarié, tant qu’il n’excède pas 400 euros par mois. Aubaine pour les deux camps ? Pas vraiment, car le Minijobber, en plus d’être sous-payé pour un emploi qui peut l’occuper 20 voire 30 heures par semaine (aucune limite n’est, à ce jour, prévue par la loi), n’a accès ni à la retraite ni à la sécurité sociale, quoiqu’il reçoive sporadiquement quelques aides financières de l’Etat. L’employeur a, de son côté, tout à fait intérêt à embaucher 3 de ces travailleurs en Minijob, fiscalement neutres, plutôt qu’un employé à temps plein, ce qui explique d’ailleurs le succès retentissant de cette forme d’emploi : près de 5 millions de personnes sont aujourd’hui concernées. Conséquence: le taux de chômage fond. Mais en retour, le travail se précarise de manière considérable.

La politique de l’emploi du gouvernement Schröder, pourtant formé par une coalition entre les socialistes (SPD) et les Verts allemands (Grünen), n’a en somme pas grand-chose à envier à un programme néolibéral type Reagan ou Thatcher. D’ailleurs, ce sont les

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chrétiens démocrates de la CDU/CSU, le grand parti de droite en Allemagne, et les libéraux du FDP qui semblent aujourd’hui les plus convaincus du succès de la réforme Hartz IV, quand les socialistes et les Verts ne sont pas toujours à l’aise avec l’héritage Schröder. Pas étonnant que, pendant la campagne présidentielle française, Nicolas Sarkozy, bien plus que François Hollande, se soit fait le partisan d’une réforme du marché de l’emploi sur le modèle allemand.

Réformer la réforme

Portée par l’immense majorité des syndicats allemands, mais aussi par les trois grands partis de la gauche allemande (le parti Linke, -très proche en termes d’orientation politique du NPA français-, les Verts et la SPD), l’idée d’une nouvelle réforme du marché du travail fait son chemin en Allemagne. Symbole de cette mouvance, la volonté d’instaurer un salaire minimal unique, sur le modèle du

National Minimum Wage britannique, instauré par Tony Blair en 1999. Par la mise en place d’une telle mesure, l’Allemagne rendrait illégaux les salaires de misère pratiqués actuellement, et s’extirperait par là-même de son statut d’exception en Europe. Dans les rangs des conservateurs et surtout des libéraux, l’on s’inquiète du retour de bâton : instaurer un salaire minimum, ce serait prendre le risque que le taux de chômage remonte aussi vite qu’il est tombé ces dernières années. Le travail au noir, déjà important en Allemagne, pourrait lui aussi exploser. En outre, l’interventionnisme de l’Etat, surtout en matière de salaires, est une tradition absolument étrangère à l’Allemagne. Les opposants au salaire minimal pointent du doigt la possible inconstitutionnalité d’une telle réforme : s’il est fixé trop haut, le minimum salarial rendrait caduques la plupart des conventions collectives appliquées en Allemagne. Or, le système des négociations entre syndicats et patronat est protégé par la

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Loi Fondamentale de 1949; la Constitution allemande.

Devant les chiffres accablants du phénomène des travailleurs pauvres en Allemagne, et avec la volonté aussi sans doute de ne pas laisser à la gauche le monopole du thème de l’emploi et surtout l’immense manne électorale qui va avec, la droite allemande, peu à peu, s’est ralliée à l’idée du salaire minimal. Le principe semble acquis, mais les modalités restent toutefois largement incertaines. Cette question

devrait être au centre des débats lors de la campagne pour les élections législatives de septembre 2013, qui est en train de se lancer. Surtout, si la prochaine coalition en Allemagne, comme les sondages le laissent pressentir, est formée à la fois des socialistes de la SPD et des conservateurs de la CDU, la question du salaire minimal devrait être rien de moins que l’enjeu central de la politique allemande durant le prochain mandat

Frédéric de Carmoy

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La refondation du modèle social espagnol __________

La crise… cela fait maintenant cinq ans que ce mot rythme les alternances politiques sur le vieux continent, structure les débats de société, marque la vie des citoyens européens. Cinq ans que l’actualité charrie son lot quotidien de nouvelles accablantes, de messages d’espoir ou de désillusions. Dans ce foisonnement continu de chiffres, d’annonces, de réformes, de « sommets de la dernière chance », il n’est pas facile de discerner le mouvement de fond qui traverse nos sociétés et d’appréhender la refondation des modèles sociaux européens. Car la crise actuelle est,

semble-t-il, le moteur d’une véritable révolution sociale dont les rouages ont déjà happé certains pays européens et dont les lignes de force souterraines enserrent le continent. L’Espagne, par les ravages de son économie, l’ampleur de ses réformes sociales et l’absence de perspectives claires de redressement, est symptomatique de ce « mal européen » révélé et accentué par la crise. L’objet de cet article est de mettre en perspective les évolutions du modèle social espagnol au regard de la situation économique du pays et de saisir la profondeur des mutations en cours.

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Le modèle social espagnol sous pression (2008-2009)

Durant les années 2000 et jusqu’en 2007, l’Espagne affiche une santé économique et financière presque insolente : une croissance moyenne de 3,5%, un taux de chômage en baisse continue (8,3% en 2007) et surtout, des excédents publics de 2% du PIB depuis 2005. Cette situation n’en cache pas moins des faiblesses internes dont la profondeur est cruellement mise en lumière par la crise. L’éclatement de la bulle immobilière, conjugué aux effets contagieux de la crise internationale, plombe la croissance qui se contracte à 0,9% en 2008 puis à -3,7% en 2009. Une réaction en chaîne est amorcée : la paralysie du secteur de la construction et l’effondrement de près d’un quart des prix de l’immobilier provoquent une crise bancaire qui se traduit par une succession de faillites et une restriction importante du crédit. Le renflouement des banques, les plans de sauvetage du gouvernement de José Luis Zapatero ainsi que la baisse importante des recettes fiscales creusent rapidement le déficit public de l’Etat qui passe de -4,2 % du PIB en 2008 à -11,1% en 2009. Sur le plan social, les effets de la contraction de l’activité se font durement ressentir. La dynamique de réduction graduelle du taux de chômage s’inverse brutalement : ce dernier augmente de trois points en une année pour atteindre 11,4% de la population active. C’est à partir de 2009 que les premiers craquements du modèle social font douter de sa capacité de résistance face à la crise. Si la tourmente est passagère et que les plans de sauvetage portent leurs fruits, le filet de sauvetage espagnol tiendra ; en revanche, le pire est à prévoir si la crise s’installe et fauche toujours plus d’emplois… Parallèlement, certaines caractéristiques du modèle social espagnol sont pointées du doigt par diverses formations politiques et institutions internationales comme un facteur de vulnérabilité du pays à la crise : l’OCDE, par exemple, affirme que la forte dualité du

marché du travail (développement rapide des contrats à durée déterminée offrant peu de garanties et régime très protecteur des contrats à durée indéterminée) a entraîné un sur-ajustement du chômage à la contraction de l’activité. L’illusion des « bourgeons de la reprise » (2009-2011)

En mai 2009, Elena Salgado, alors ministre de l’économie, annonce que la situation du pays montre des « bourgeons de reprise » (« brotes verdes ») et qu’il ne reste plus qu’à espérer que ces derniers soient à l’origine d’une reprise durable de l’activité. Les divers « plans de sauvetage » adoptés par le gouvernement dans la crainte d’une reproduction du scénario noir des années 1930, n’ont toutefois pas les effets escomptés et l’Espagne s’enfonce toujours plus profondément dans la crise. Devant la progression constante du chômage – 20,1% en 2010 – et sous la pression de l’opposition et du patronat, le gouvernement socialiste se résout à adopter des réformes économiques afin notamment de flexibiliser le marché du travail. Toutefois, ces mesures ne sont pas seulement destinées à démanteler le système de protection des salariés mais visent également une meilleure sécurisation des emplois. A titre d’exemple, la réforme du 17 septembre 2010 prévoit dans certaines conditions la suspension des conventions collectives ou la réduction du temps de travail, mais rend obligatoire le contrat à durée indéterminée après une succession sur trois ans d’au moins deux contrats précaires. Cette stratégie repose sur l’idée que la crise, temporaire, ne justifie pas d’entreprendre une réforme profonde du droit du travail et que la rigueur sociale, par ses incidences sur la consommation, risque d’étouffer les mouvements de reprise économique.

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Un modèle social au bord du gouffre

La coalition socialiste est victime de la dégradation continue de l’économie du royaume et Mariano Rajoy accède au pouvoir le 21 décembre 2011. Ce dernier hérite d’une situation économique et sociale alarmante. Le taux de chômage atteint près de 24% de la population active et se rapproche de la barre des 50% pour la catégorie des jeunes actifs tandis que le déficit public, qui a gravement dérapé en cours d’année, s’élève à 8,5% du PIB. Cette évolution inquiétante s’accom-pagne de tensions accrues avec les communautés auto- nomes, dont certaines revendiquent une plus grande autonomie financière, et d’une crise bancaire qui menace sérieusement la timide trajectoire de redressement des comptes publics. Face à l’accumulation de ces menaces économiques et dans la foulée de l’alternance politique, le gouvernement de Mariano Rajoy a entrepris une série de réformes qui ont profondément remodelé le droit du travail et ouvrent la voie à une véritable refondation du modèle social espagnol. La réforme du travail

La réforme-phare du gouvernement Rajoy est sans doute la grande réforme du travail (« reforma laboral ») du 13 février 2012, qui vise résolument à accroître la flexibilité du marché du travail espagnol et se distingue des précédents de 2010 autant par la portée des assouplissements consentis aux employeurs que par la faiblesse des compensations accordées aux salariés. Trois des multiples mesures prévues dans le cadre de cette réforme concourent à une véritable redéfinition du droit du travail espagnol.

Tout d’abord, la loi facilite considérablement les licenciements individuels en les revêtant d’une présomption de légalité. Les critères de recours aux licenciements sont assouplis, les entreprises devant simplement justifier de neuf mois de diminution des revenus ou d’une prévision de pertes. Les indemnités sont limitées à 20 jours par année travaillée et dans un plafond de douze mois.

Les « plans de régulation de l’emploi » (« expedientes de regu-lación de empleo » ou « ERE ») - qui recouvrent les licen- ciements collectifs, les suspensions tempo- raires d’emploi ou les réductions du temps de travail - sont également libérés des nombreuses contraintes qui pesaient

sur eux. La plus grande rupture tient sans doute à la suppression de l’autorisation administrative préalable des licenciements collectifs ainsi que de la nécessité de parvenir à un accord avec les représentants des salariés. La disparition de ces deux dispositifs a eu des effets immédiats considérables sur le recours aux ERE : ceux-ci ont augmenté de deux tiers en cinq mois tandis que le nombre d’ERE passés sans accord au niveau de l’entreprise a été multiplié par près de quatorze sur cette période. Une évolution non moins spectaculaire réside dans le renversement de la pyramide des normes du droit social : si les conditions économiques le justifient, les accords d’entreprise prévalent désormais sur les conventions collectives, ce qui aboutit à une neutralisation de facto des avantages minimaux garanties par ces dernières. Seule contrepartie, les salariés ont la possibilité de suivre 20h de formation aux frais de leur employeur.

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La réforme des retraites

La viabilité du système espagnol est plus ou moins soumise aux mêmes tensions que dans la plupart des pays développés dont la population vieillit rapidement. Les mesures d’ajustement sont bien connues : allongement de la durée de cotisation, report de l’âge minimal, réduction du coefficient de calcul des pensions. La plupart de ces dispositifs ont déjà été adoptés dans le cadre de la réforme de 2010 et devaient s’appliquer de manière très progressive. Si le Parti populaire n’a pas voulu procéder à une refonte du système de retraites espagnol, une accélération du programme de mise en œuvre de la dernière réforme s’est imposée au vu des difficultés financières en 2012 : pour la première fois, le paiement des retraites a nécessité un prélèvement à hauteur de 33 milliards d’euros sur le Fonds de réserve, un fonds spécial censé remédier aux besoins de financement du système dans les décennies à venir. L’application de l’âge minimal de départ à 67 ans, initialement prévue par le gouvernement Zapatero pour l’année 2017, sera ainsi avancée. Un durcissement des conditions d’accès aux retraites anticipées ou partielles permettra également, selon Mariano Rajoy, de rapprocher l’âge effectif de départ à la retraite, aujourd’hui de 63,5 ans, de l’âge légal. En tout état de cause, le gouvernement s’est engagé à respecter le « Pacte de Tolède », un document relatif à l’évolution du système de retraite approuvé par le Congrès des députés le 6 avril 1995 et qui affirme un certain nombre de principes faisant l’objet d’un consensus entre les diverses formations politiques du royaume. Le système de santé

Les dépenses publiques de santé représentent environ 6% du PIB espagnol et se situent dans une trajectoire d’expansion dynamique qui menace à terme le redressement des finances publiques du pays. Si ce mouvement de fond

concerne d’autres Etats occidentaux, l’Espagne se singularise néanmoins par une organisation très particulière de son système de soins et par un attachement particulier des citoyens à cette institution, qui constitue de ce fait un véritable pilier de l’Etat-providence espagnol. Depuis la loi générale de santé de 1986, le système de soins espagnol (« Sistema national de salud » ou « SNS ») se caractérise par un partage des compétences entre l’Etat et les communautés autonomes. Au niveau central, l’Etat adopte des standards minimaux et assure la coordination de l’action des communautés, mène la politique du médicament, gère l’Institut national de gestion sanitaire (INGESA) et prend en charge la politique sanitaire extérieure, notamment par la réglementation de la circulation des personnes et des marchandises en provenance ou à destination de l’étranger. Chaque communauté autonome dispose quant à elle d’un Service de santé (« Servicio de salud »), véritable « direction régionale » chargé de la planification des soins, de l’élaboration de la politique de santé publique locale et de la gestion budgétaire des services de soins. La coordination entre les deux échelons est confiée au Conseil interterritorial du système national de soins présidé par le ministre d’Etat de la santé et de la politique sociale. L’organisation décentralisée du SNS, si elle présentée par les gouvernements successifs comme un des grands principes du service public de la santé permettant de rapprocher l’administration des citoyens et d’assurer une meilleure prise en charge des patients, n’en est pas moins à l’origine de nombreux dysfonctionnements. Le cadre de la région autonome n’est pas adapté à l’organisation d’une politique de santé publique et l’absence de gestion centralisée engendre des surcoûts importants. Il est parfois difficile pour un ressortissant d’une communauté autonome d’accéder au système de soins d’une communauté voisine : un Aragonais en voyage dans les Pyrénées catalanes a intérêt à traverser

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la frontière pour se faire soigner en France plutôt qu’en Catalogne ! Le SNS présente néanmoins l’avantage d’une organisation assez rationnelle du parcours de soins, source d’efficacité pour les patients et d’économies pour les contribuables. Contrairement à la France, qui peine à établir un parcours de soins réservant le séjour en hôpital aux patients nécessitant des services spécialisés, l’Espagne connaît une nette division entre les soins de base (« Atención primaria de salud ») et les soins spécialisés (« Atención especializada »). Les premiers sont prodigués au niveau des Centres de soins, répartis dans chaque communauté selon un schéma défini par les gouvernements autonomes. Des équipes multidisciplinaires regroupant des médecins, mais aussi des pédiatres, des infirmiers et du personnel administratif, sont responsables des soins de premier recours et assurent également des missions de prévention et d’information. Si les patients ont besoin de soins spécialisés, ils sont aiguillés vers les centres hospitaliers, répartis dans des zones de soins également définies au niveau des communautés autonomes. Le gouvernement Rajoy ne s’est pas prononcé en faveur d’une refonte globale de l’organisation du système de santé dont près de 70% des Espagnols se disent satisfaits. Les réformes annoncées en matière de santé sont donc relativement superficielles. Ainsi par exemple de la facturation de chaque ordonnance médicale à un euro, une mesure expérimentée en Catalogne et qui permettrait selon la communauté de Madrid de lever près de 83 millions d’euros en un an. Une somme toujours bienvenue, mais assez dérisoire en comparaison des 60 milliards d’euros dépensés par les administrations publiques en 2009 dans le domaine de la santé. De même, la centralisation des achats de médicaments au niveau de l’Etat constitue une amélioration notable de la gestion administrative du système de santé mais ne permet pas à elle seule de garantir la viabilité financière du modèle en

l’adaptant de manière structurelle aux évolutions démographiques et économiques du pays. Une révolution assourdie

Les réformes menées tant par le gouvernement socialiste que par la majorité actuelle ont profondément modifié le modèle social espagnol. Il n’est pas anodin de faire prévaloir les accords d’entreprises sur les conventions collectives sur la base de critères peu contraignants et dans le contexte d’un affaiblissement sans précédent des syndicats. Il n’est pas anodin de repousser l’âge de départ à la retraite à 67 ans et de durcir les conditions des retraites anticipées quand de grandes économies européennes se heurtent à des oppositions sociales et politiques considérables à ce sujet. Que penser de l’assouplissement des ERE, dont les effets se sont fait durement ressentir et qui laisse prévoir un ajustement encore sévère de l’emploi dans les prochains mois ? Ce constat, les organisations syndicales et les mouvements politiques l’ont peut-être fait, mais les grilles de lecture des médias et de la plupart des citoyens espagnols semblent surtout saturées par l’enchevêtrement d’annonces économiques, de mesures superficielles et d’évènements politiques de court terme qui masquent le profond mouvement de restructuration du modèle social du pays. Les journaux télévisés semblent obnubilés par l’évolution au jour le jour des taux d’emprunt espagnols sur les marchés ou par la facturation des ordonnances médicales. S’il n’est pas question de relativiser la portée de ces questions, il est clair en revanche que les réformes sociales sont analysées à travers le prisme de la pression financière et budgétaire qui pèse sur le pays et sont vues comme des remèdes, parmi tant d’autres, plutôt qu’en elles-mêmes et par les conséquences qu’elles emportent sur la structure de l’Etat-providence espagnol.

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LES POLITIQUES DE LA VILLE

Les manifestations qui ont ponctué ces derniers mois l’actualité sociale du royaume montrent bien que les Espagnols ont conscience de la précarité sociale où les a plongés la crise et de l’impact de chaque réforme annoncée par le gouvernement conservateur. Mais le tonnerre des dégradations de la note souveraine de l’Etat, le fracas des licenciements collectifs, le grondement des 24% de chômeurs, les clameurs des communautés autonomes et les échos quotidiens des nouvelles économiques couvrent les craquements du chantier social en cours. A défaut d’être silencieuse, la révolution sociale espagnole est assourdie. L’avenir du modèle social espagnol

Dans ces temps de crise, où les équilibres traditionnels sont au bord de la rupture et où tout peut basculer d’un côté comme d’un autre, prédire les évolutions du modèle social espagnol serait bien présomptueux. En revanche, il est possible d’anticiper une accélération prochaine des réformes dans le domaine des retraites, de l’assurance-chômage et de la santé, trois secteurs sous pression dont la restructuration, à peine ébauchée, semble inéluctable au vu des perspectives économiques du pays. Deux questions se poseront alors avec acuité dans les prochains mois : celle, tout d’abord, de l’efficacité de la réforme sociale dans le traitement de la crise et celle, ensuite, de la capacité d’adaptation de la population espagnole à cet ajustement sévère. Les réformes sociales, préconisées par toutes les institutions internationales et surtout, au niveau européen, par l’Allemagne, fer de lance des réformes structurelles, sont censées recréer les bases d’une croissance saine et durable. Pour autant, si les réformes en Allemagne ont permis de relancer les exportations et de renforcer la viabilité financière de la protection sociale, il n’est pas évident que l’Espagne se prête aux mêmes évolutions. En d’autres termes, si la rigidité du modèle social espagnol fut unanimement dénoncée comme un facteur

d’aggravation de la crise, personne ne saurait affirmer que le rattrapage de compétitivité issu des réformes successives du travail permettra aux entreprises exportatrices espagnoles de relancer une croissance aujourd’hui paralysée par la crise bancaire, la faiblesse de la consommation intérieure et le repli continu du secteur immobilier. La question de l’impact de la réforme du modèle social sur la lutte contre la crise reste donc ouverte. C’est pourtant à partir de la réponse à cette question qu’émergeront des éléments d’évaluation de la cohésion de la société espagnole. Plus la crise durera, emportant dans son sillage de nouvelles destructions d’emplois, moins les Espagnols seront prêts à accepter les réformes que leur impose leur gouvernement et qui leur sont présentées comme des remèdes temporaires aux maux du pays. Il est déjà remarquable que la société ne se dissolve pas sous l’action corrosive d’un taux de chômage de près de 25% et de 50% pour les jeunes, ainsi qu’une augmentation continue du nombre de chômeurs de longue durée. Il n’est pas certain, en revanche, qu’elle résiste à une remise en cause des piliers du système de soins que sont l’universalité et la gratuité, ou à une aggravation durable de la précarité économique et sociale. Sans qu’il soit besoin d’apprécier la nécessité de nouvelles réformes structurelles ou la pertinence des mesures déjà adoptées par le gouvernement, il est clair que la population espagnole est de plus en plus fragilisée par l’évolution de son économie. La situation actuelle rend donc extrêmement délicate la restructuration d’un modèle social sous pression : attention, lors de la grande rénovation de l’édifice social, de ne pas en saper les fondements sans prévoir de mécanisme alternatif de stabilisation. La cohésion sociale n’existe pas par elle-même et repose sur des fondements plus fragiles qu’il n’y paraît

Benoît Carval

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The state of social policies

in the United Kingdom __________

Between the picture of graceful nurses and playful children jumping on their bed and celebrating the role of the NHS in British society during the London Olympic Games ceremony, and social policies reforms designed by the British government as a response to the economic crisis, a feeling of uneasiness arises. During the London Olympic Games we were bombarded with images of graceful nurses and playful children jumping on beds and celebrating the role of the NHS in British society. Yet counterpoised to this idealised image lies the reality of social policy reforms designed by the British government as a response to the economic crisis; it is an uneasy juxtaposition. In the past few years, public spending in all areas has been reduced or frozen. The dilemma in this situation is not only for the Welfare State to become more efficient in meeting public needs, but also for the government to make the right choice, imposing cuts that would cause as little harm as possible for society. Thus, while not every social policy areas has been impacted by the cuts in real terms - the most popular ones having been relatively preserved - all the others have been sharply affected by austerity measures. To start with some general observations, public spending in the United Kingdom has been increasing steadily for the last sixty years in real terms (see figure 1); from £120 million in 1948 when the Beveridgian Welfare State was emerging after the Second World War, to £700 million for the year 2010-2011 (source: “The changing composition of public spending”, Institute for Fiscal Studies, 2011,

www.ifs.org.uk). This sevenfold increase in public spending underlines how significant state intervention in some policy areas has become for British society. In 2010, social welfare, health and education represented two thirds of public expenditure, while thirty years earlier it had barely accounted for half of it (see figures 2 and 3). Healthcare and schools thus seem to be two policy areas of particular importance for British citizens. The National Health Service, which symbolises one aspect of the identity of the country, is very popular. As the British Social Attitude survey shows (available online: www.bsa-29.natcen.ac.uk), a large majority of the society is in favour of maintaining the universal healthcare provided by the NHS, with 73% of the population opposed to making the NHS “available only to those with lower incomes”.

As a result, healthcare and education spending has been relatively well protected from austerity: actually, it somewhat rose in real terms in both areas. Despite the austerity measures designed by the government, the education budget has slightly increased from £51,461 million in 2010-2011 to £51,495 for 2011-2012 while the health budget follows the same trend with a small rise from £99,018 million in 2010-2011, to £102,767 million 2011-2012 (see statistics for 2011-2012 on Her Majesty’s Treasury website: www.hm-treasury.gov.uk). On the contrary, spending in all other areas has been significantly reduced, with particularly sharp cuts in housing and higher education funding. This latter cut was offset by substantial increases in tuition fees: a bachelor degree at the LSE now costs £9000 a

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year for British students regardless of their social background or income, a 400% increase! Additionally, public sector wages have been frozen and sharp reductions are being implemented in a range of social security benefits. This includes cuts to benefits aimed at families with several children, yet benefits for the elderly have been protected, such as free bus passes for the over-60s . However, if NHS and schools spending has been relatively well protected in real terms, the slight increase seen in 2011-2012 is not sufficient to meet the increasing demands of an ageing society nor the educational needs of a rapidly increasing number of pupils. As a consequence, spending per patient and pupil is set to fall, threatening the quality of the service provided. It is evident that the impact of the cuts is felt everywhere when one considers public perceptions of the impact on service provision. As the British Social Attitudes survey on health shows, the number of people satisfied with the NHS dropped from 7 out of 10 in 2010, to slightly less than 6 out of 10 in 2011, only a year later, while 68% of the population saw healthcare as the first or second priority for additional government spending in 2011 (see: www.bsa-29.natcen.ac.uk). Rather than maintaining the same level of public service in healthcare and education, both sectors are facing a historical spending squeeze.

Finally, all social policy areas have been impacted by austerity measures in the United Kingdom in the last few years. Even the most popular universal services in the English Welfare State - the NHS and schools - have been affected. Insufficient funding to these services means they cannot satisfactorily cover social needs; threatening both the quality of public policies and the equality of access as further anticipated cuts might make them no longer universal. It is not quite clear today whether additional budgetary measures will have a strongly negative impact on public policies efficacy: will educational attainment or health deteriorate because of spending constraints? It seems probable that the discrepancy between the needs of the population and the choices of the government of the United Kingdom and of other European countries within the context of the current economic crisis will result in growing public mistrust not only towards government efficiency but also towards the European Union which is seen as limiting the room for national policy-making Emilie Hermet, with many thanks for the graceful help of Peter Robinson, professor in Economics and Social Policy at the London School of Economics and Political Sciences.

Dépenses publiques au Royaume-Uni, de 1948 à 2015 (estimations)

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Y a-t-il une véritable politique de la jeunesse en France ? Martin Hirsh, Haut-commissaire à la jeunesse de 2007 à 2010, définissait la politique de la jeunesse comme « une politique visant à créer une jeunesse qui soit autonome, solidaire, responsable et engagée. » A cet effet, l’idée de dotation en capital des jeunes, poursuivant le double objectif d’autonomie et de réduction des inégalités, est régulièrement évoquée en France, mais reste toujours au stade des propositions.

Assurer l’indépendance matérielle des jeunes en les dotant d’un capital est une idée ancienne, remontant aux écrits de Thomas Paine à la fin du XVIIIème siècle. Dans son manifeste dédié au Directoire en 1797, La Justice Agraire, il suggérait que soit versé un capital de 15 livres à tout jeune de 21 ans sans héritage : de quoi acheter du bétail et quelques terres.

Pourtant, l’idée de bourse étudiante sur critères universels - mise en place au Danemark - ne fait guère partie de la culture française, où la plupart des politiques de jeunesse passent par le soutien aux familles. La jeunesse, force de l’avenir, ne mérite-t-elle pas que l’on se penche plus sur son sort ? Les jeunes adultes issus de ménages pauvres ne méritent-t-ils pas qu’on leur donne, eux aussi, les moyens de s’émanciper ? Ces politiques sont-elles envisageables en France ?

La méritocratie de façade

En France, il existe nombre de dispositifs pour assurer en théorie aux plus méritants le privilège d’étudier, d’obtenir des diplômes, voire d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat. L’école gratuite, les coûts peu élevés de la faculté ou les concours d’entrée dans la fonction publique en sont des illustrations. Néanmoins, des cas particuliers soulignent une défaillance dans ce modèle. Dans les ménages les plus pauvres ou dans les ménages où les transferts monétaires entre parents et enfants ne sont pas de rigueur, un jeune ne bénéficiera

pas de conditions idéales pour entreprendre des études. A aptitudes égales, les jeunes ne sont pas égaux pour envisager la durée des études, le coût de ces études, ou les études tout court. Si la possibilité d’étudier est compromise par manque d’argent, alors comment envisager une promotion sociale et professionnelle des individus assurée par le mérite ?

Jusque-là, la majorité des politiques de soutien aux jeunes, comme les allocations familiales ou les divers allégements fiscaux, sont perçues dans le cadre familial, en fonction des revenus des parents et fortement complétées par les solidarités intergénérationnelles (par exemple, 43 % du budget mensuel moyen des étudiants en France est financé par les parents, alors qu’ils ne l’est qu’à hauteur de 11 %, 26 % et 29 % en Finlande, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas selon une enquête Eurostudent de 2005). Même les bourses versées directement à l’étudiant sont calculées en fonction des revenus parentaux. L’ironie est que dans ce système, même les enfants issus de familles aisées sont lésés au niveau de leur propre autonomie et de leur passage à l’âge adulte. On peut également regretter que l’Etat n’investisse pas plus dans la connaissance, afin que tous les talents se développent et se prêtent à l’économie de demain.

Selon une enquête de l’OCDE de 2010, dans les pays où des financements des étudiants

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sous condition universelle sont mis en place, comme au Danemark, la probabilité de faire des études supérieures pour un individu issu d’une famille peu instruite est plus forte que dans les pays qui ont recours à d’autres types de financement comme en France. Toujours selon ce document, atténuer les contraintes financières des jeunes aurait pour conséquence de favoriser la mobilité sociale. Par exemple au Danemark le degré de corrélation entre le salaire des parents et le salaire des enfants est le plus faible d’Europe (0,1) alors qu’en France, il est un des plus élevé (0,4).

On distingue donc trois raisons d’assurer l’indépendance matérielle des jeunes : une acception moderne de l’égalité, donnant à chacun la possibilité d’édifier ses propres choix, un investissement en capital humain, et une réduction de la reproduction des inégalités.

La réussite des politiques danoises de la jeunesse

Au Danemark prévaut une logique plus égalitaire, qui repose sur un financement universel et direct des étudiants. Le montant de ce soutien financier, en 2012, est de 759 € par mois pour un étudiant habitant seul et de 377,22€ pour un étudiant habitant avec ses parents. A cela peuvent s’ajouter les prêts accordés par l’Etat, d’un montant de 388,42 € mensuels avec un taux d’intérêt de 4% pendant la période d’étude. La bourse en poche, les jeunes Danois partent à la conquête de leur développement personnel, et alternent emplois et études jusqu’à environ 30 ans. C’est par la symbolique de « l’expérience » qu’ils passent à l’âge adulte (Van de Velde, 2008).

La mise en place d’une telle politique publique au Danemark est couplée à d’autres politiques de jeunesse visant à encourager la « responsabilité partagée » ainsi que la participation active des jeunes au secteur associatif, à la politique nationale et au marché du travail. Par exemple, les politiques de jeunesse s’organisent autour du « DUF »

(« Conseil de la Jeunesse » danois). Le DUF est financé par l’Etat mais les fonds et les projets sont entièrement gérés par les jeunes. Au sein du parlement danois, le DUF est représenté dans plus de 30 commissions consultatives dans les domaines de l’éducation, de la vie associative, et des droits de l'homme. Le système éducatif joue également un rôle actif dans la participation des jeunes à la société. Les élèves comprennent de façon implicite qu’ils sont responsables de leur propre apprentissage et sont encouragés à développer des attitudes participatives vis-à-vis de l'enseignement. Autre exemple, la bourse étudiante vient en remplacement non pas des revenus familiaux, mais des revenus de l’activité salariée individuelle. L’étudiant peut compléter sa bourse par une activité salariée temporaire, fortement valorisée sur le marché du travail.

La comparaison avec le modèle danois, où engagement et emploi semblent constituer une condition fondamentale de l’autonomie des jeunes, nous montre que la création d’une dotation en capital ne devrait pas être envisagée isolément en France. Elle fait partie d’un processus d’entrée dans l’âge adulte, où l’autonomisation passe par la responsabilisation.

A la recherche d’un nouveau modèle d’action publique français

Des municipalités comme Chenove ou le Grand Quevilly ont mis en place une allocation d’autonomie à la fin des années 1980. Plus tard, des acteurs de la vie politique et sociale n’ont cessé d’envisager sa mise en place nationale : le Commissariat général du plan (1998), le Crous, les syndicats étudiants, la Commission nationale pour l’autonomie des jeunes (2001), la Commission sur la jeunesse présidée par Martin Hirsch (2009), et enfin François Hollande dans la proposition n° 39 de son programme présidentiel, « Je créerai une allocation d’études et de formation sous conditions de ressources dans le cadre d’un

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parcours d’autonomie ». Dans une période de crise et de restriction budgétaire, on ne peut éviter le débat sur le coût financier de telles dépenses sociales. Elles pourraient être compensées par des suppressions des allocations familiales après 18 ans, et de la demi-part fiscale.

Le modèle républicain de méritocratie pourrait être complété par les pratiques danoises pour assurer une véritable promotion sociale. L’allocation d’autonomie, qui facilite l’accès à l’enseignement universitaire des jeunes de milieux défavorisés, stimulent la mobilité

sociale et est susceptible de profiter à la croissance. Cependant, l’allocation d’autonomie ne peut être envisagée sans un volet « responsabilisation », qui passe par des réformes touchant aussi bien le système éducatif, et la participation des jeunes dans la société. Au final, est au centre de ce sujet la construction de symboliques propres à souligner le passage à l’âge adulte, dont notre jeunesse française manque cruellement aujourd’hui

Candice Le Louarn

Pour aller plus loin …

- VAN DE VELDE. Devenir Adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, PUF, coll. « le lien social », 2008 - Etude OCDE Une affaire de famille : la mobilité sociale intergénérationnelle dans les pays de l’OCDE, 2010

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Les villes au secours de l’Etat providence? __________ Dans le débat sur le déclin de l’Etat providence, les villes restent peu mises en avant alors même que leur rôle est de plus en plus important. Cet article propose donc une réhabilitation de la ville dans la formulation des politiques publiques et des propositions pour la France. Le déclin de l’Etat providence?

L’Etat est une construction récente datant du XIXe siècle dont la création a nécessité la mise en place conjointe d’un Etat-providence, permettant de créer un territoire et une nation unie. Cependant, si pendant quelques siècles l’Etat-providence s’est renforcé jusqu’à devenir un « bio-Etat » selon les termes de Foucault, il semble que cette dynamique se soit affaiblie au cours des dernières années. En effet, à partir des années 1970, suite aux grands chocs pétroliers et à la récession économique, les décideurs politiques se sont tournés vers le néolibéralisme, une stratégie utilisant l’Etat pour son propre démantèlement (Brenner). Dès lors, il semble que la qualité des prestations sociales soit réduite à la fois par la réduction des dépenses et par la managérialisation des services publics. Si cette tendance inquiète, il semble néanmoins difficile d’affirmer que nous vivons plus mal aujourd’hui qu’il y a quarante ans. Ce paradoxe est le résultat du rôle d’un acteur des politiques publiques dont le rôle est encore largement ignoré: les villes. Les villes au chevet de l’Etat-providence?

Les villes sont apparues bien avant la création de l’Etat en Europe et ont permis un développement économique régional important (Le Galès). La création des Etats est le résultat de la subordination des villes à travers la coercition physique et fiscale (Charles Tilly). Néanmoins, ces dernières n’ont cessé d’exister et ont continué de s’accroître, notamment à

partir du XIXème siècle avec l’industrialisation. Aujourd’hui, le rôle des villes est encore méconnu et néanmoins, elles participent de la formulation des politiques publiques. Ceci-dit, la France étant un Etat fortement centralisé, les politiques publiques mises en place au niveau municipal agissent davantage comme une compensation des manques de celles formulées au niveau national. Par exemple, dans le cas des politiques de jeunesse, l’Etat est en charge de nombre d’institutions nécessaires. Néanmoins, il semble moins capable de répondre aux problèmes des jeunes dans les métropoles, dans la mesure où leurs besoins varient d’une métropole à l’autre. Dans le cas de Paris, l’accès au logement et au marché de l’emploi est soumis à de fortes pressions auxquelles l’Etat central, s’il en a pris la mesure, n’est pas capable de répondre. Par conséquent, la ville prend le relais et met en place des politiques locales permettant de compenser le manque d’efficacité des politiques nationales. La question du rôle des villes devient dès lors de plus en plus prégnante et leur redonner du pouvoir permettrait par conséquent de pallier les manques de la protection sociale. Cependant, redonner du pouvoir aux villes peut se faire de différentes manières et ce choix doit être fait de manière éclairée afin d’éviter un effondrement de la protection sociale. Repenser le rôle de la ville dans la formulation des politiques publiques

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Le débat sur la décentralisation des politiques publiques a surgi en même temps que l’Etat a réduit son niveau de prestations sociales. Cependant la décentralisation n’est pas une solution miracle. En effet, la décentralisation peut être administrative, fiscale et politique, les deux ou les trois à la fois, et les étapes de cette décentralisation, ainsi que leur degré, varient d’un pays à l’autre (Falleti). Dans le cas de la France, permettre aux villes de mettre en place leurs propres politiques pourrait se traduire par la possibilité de lever leurs propres ressources, tout en continuant de bénéficier de financements de l’Etat afin d’éviter un creusement des inégalités territoriales. Les villes pourraient également tenter de soulever davantage le levier démocratique afin de permettre à leurs citoyens d’être plus impliqués dans la formulation de politiques publiques qui les concernent. Enfin, administrativement, un appareil puissant, connecté au terrain, pourrait permettre une meilleure mise en place des politiques au niveau local. Dans un temps long, les villes ont gouverné beaucoup plus longtemps que l’Etat. Néanmoins, c’est l’Etat qui a permis l’émergence et une véritable mise en place des politiques de protection sociale, et ce notamment grâce à des outils de contrôles beaucoup plus élaborés. Par conséquent,

remettre les villes au premier plan n’implique pas forcément une destruction de l’Etat moderne. L’Etat pourrait mettre, dans les mains des villes, les outils qui ont permis son succès, notamment en termes de protection sociale

Caroline Guillet

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La politique de la ville, cet ovni politique

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Tout le monde sait, d’instinct, ce qu’est la politique de la ville… N’est-ce pas ? N’est-ce pas ?

A y regarder de plus près, peu nombreux sont les initiés qui comprennent vraiment ce qu’elle recouvre, les acteurs qu’elle implique, les décisions qu’elle suggère. Et pour cause, c’est un domaine très large dans lequel l’action politique est dure, longue, sans reconnaissance immédiate, et a priori particulièrement peu clivante… Pas tout à fait « du sang de la sueur et des larmes », mais pas loin. D’autant que la politique de la ville concerne … tout sauf la

ville. Elle est en réalité en charge des zones de relégation et d’exclusion.

Et pourtant, elle est au cœur de très nombreux enjeux. Ce ne sont pas moins de huit millions de citoyens qui habitent dans les quartiers relevant de son champ d’action ! Née dans les années 1980 suite aux émeutes urbaines des Minguettes et à chaque émeute urbaine, la politique de la ville est au centre des débats,

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sans nécessairement être identifiée directement. Pourtant, le chercheur Gilles Kepel, enseignant à Sciences Po, en publiant Banlieue de la République (cf. encadré 1) a cherché à mieux comprendre les difficultés de ces zones enclavées, et la manière dont il était possible d’y répondre. C’est donc un sujet qui intéresse, qui est au cœur des enjeux actuels, mais qui demeure méconnu.

La politique de la ville, c’est aussi un budget considérable. Le programme de rénovation urbaine lancé par Jean-Louis Borloo en 2004 avait alloué 600 millions d’euros à la seule zone de Clichy-Montfermeil, véritable « plat de résistance » de cette politique, aux dires du ministre même. C’est donc une politique qui nécessite nombre de concertations, d’arbitrages et de compromis, ce qui n’est pas sans lien avec la lenteur qu’elle accuse.

De grands enjeux donc : l’enclavement des zones sensibles, le chômage, la multiplication du zonage sans véritable coordination à la clé, qui ne peuvent se résoudre que par le biais d’une territorialisation accrue ainsi que d’une reconnaissance du caractère transversal de cette politique.

L’attaque du métro 123 – l’enclavement des zones urbaines sensibles est un enjeu crucial

Pour vous rendre à Clichy-Montfermeil, comptez deux bonnes heures en partant du centre de Paris et une découverte initiatique de tout ce que les transports parisiens peuvent offrir de pire : dégradations, agressions, retards… Le trio classique qui hante les nuits des quelques millions de travailleurs habitant les zones enclavées. L’isolement ne se traduit pas toujours en un enclavement territorial. La condition des habitants de ces zones les empêche de voir leur avenir ailleurs, autrement. Pour la plupart, ils sont attachés à leur quartier. Les difficultés rencontrées par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine mentionnées dans l’ouvrage Banlieue de la République en témoignent. Certains habitants

refusent de quitter leur logement pourtant considéré comme insalubre au prétexte du déracinement que suppose le déménagement.

Banlieue de la République

Banlieue de la République est une étude commandée par l’Institut Montaigne et réalisée par Gilles Kepel, Leila Arslan et Sarah Zouheir en 2011. Elle comporte deux phases : d’une part la réalisation d’entretiens avec des habitants de Clichy-Montfermeil et de sa périphérie autour de six grands thèmes (la rénovation urbaine, l’éducation, l’emploi, la sécurité, la participation politique et les questions religieuses), et d’autre part la synthèse de ces données afin d’établir des propositions dans le cadre de l’élection présidentielle de 2012. Pour cela a été mis en place un site internet dédié (www.banlieue-de-la- republique.fr) sur lequel le résumé de l’enquête, une bibliographie ainsi que l’ensemble des propositions sont toujours consultables.

Pour répondre à ces difficultés, le gouvernement actuel considère que la politique de rénovation urbaine doit s’accompagner d’une mise en place d’un plan transport afin de désenclaver les zones urbaines sensibles. Voilà une belle illustration du caractère interministériel de la politique de la ville.

Reste néanmoins la question du financement. Dans une période de disette budgétaire, la priorité des communes et intercommunalités risque de ne pas être celle de la reconstruction du réseau de transport qui les dessert.

L’enclavement psychologique comporte une dimension sociale qui nécessite en plus une mobilisation des acteurs locaux et associatifs pour accompagner l’action politique nationale. En ce sens, l’objet de l’association Un stage et après ainsi que celui de Nos quartiers ont des talents est intéressant (cf. encadré 2), mais ses effets probablement insuffisants. Les initiatives

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de cet ordre doivent se multiplier pour encourager les jeunes de ces zones enclavées à en sortir et y revenir enrichis de leur expérience. C’est là un enjeu majeur mais la multiplication des acteurs rend la concertation toujours plus difficile. Le mille-feuille territorial ne facilite pas la mise en œuvre d’une politique coordonnée en la matière.

« J’dynamite, j’disperse, j’ventile » – la multiplication des zonages rend illisible une politique qui se veut coordonnée

Aujourd’hui, la France compte 751 zones urbaines sensibles. Autant dire que réaliser des arbitrages dans ces conditions, notamment en matière de budget, relève de l’exploit et peut être politiquement risqué. Face à cette multiplication des zonages, le gouvernement a proposé un contrat unique et une réduction du nombre de zones sensibles afin de mieux concentrer ses efforts sur les territoires présentant de réelles spécificités, autres que la couleur politique du maire. Cette démarche se fondera sur une concertation avec les élus locaux au niveau intercommunal, lieu de tous les conflits politiques. Reste donc à savoir si ceux qui verront se réduire leur budget sous prétexte qu’ils ne sont plus aussi prioritaires qu’en 2004 l’accepteront avec déférence en considérant l’impératif de réduction budgétaire et d’efficacité dans l’allocation de ces fonds.

En outre, depuis la loi SRU, un certain pourcentage de logements sociaux est requis par commune, sous peine de payer une amende au Fonds national pour le logement. Pourtant, des disparités continuent d’exister et certaines villes huppées préfèrent parfois payer l’amende plutôt que de voir leur réputation diminuée. Ainsi, si la politique de la ville ne peut pas faire l’économie d’une territorialisation de son action dans un cadre décentralisé, là réside aussi sa plus grande faiblesse. Son efficacité dépend de l’implication des acteurs locaux, soumis à nombre d’intérêts parfois divergents.

Les associations, acteurs

essentiels de la politique de la

ville

Les associations dans ces zones urbaines sensibles sont souvent le véritable poumon du quartier. Elles agissent notamment pour le désenclavement de ces zones. Un stage et après : fondée en 2009, cette association travaille avec les collèges de zones urbaine sensibles pour permettre aux élèves en classe de troisième de trouver un stage qui soit utile pour leur avenir. Les nombreux partenariats qu’elle a avec des entreprises franciliennes permettent aux élèves de réaliser leur stage obligatoire dans Paris. Elle participe, en cela, au « désenclavement psychologique » de ces zones. Nos quartiers ont des talents : fondée en 2005, elle assiste les jeunes diplômés issus de zones urbaines sensibles dans leur recherche d’emploi. Les entreprises partenaires s’engagent à mettre à disposition leurs réseaux et compétences. Elles animent des ateliers thématiques (CV, lettre de motivation, recherche d’emploi) et permet ainsi aux jeunes professionnels de trouver un emploi, souvent en dehors de leur lieu de résidence.

Une logique territoriale et interministérielle conditionne l’efficacité de la politique de la ville

Maurice Leroy, ancien ministre de la ville avait écrit : « la politique de la ville est transversale, tous partis confondus. C’est sa force ». Si seulement… Un examen plus précis démontre que la politique de la ville, si elle doit être interministérielle, n’en comporte pas moins des clivages. Elle est porteuse de valeurs qui sont l’objet d’un choix démocratique. En 2003,

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Jean-Louis Borloo avait initié le mouvement de rénovation urbaine en considérant que l’amélioration de l’habitat et par conséquent du cadre de vie entraînerait nécessairement une dynamisation de ces quartiers.

A la lumière de l’ouvrage de Gilles Kepel, la réalité semble bien différente. Si cette rénovation urbaine ne s’accompagne pas d’une véritable politique de l’emploi dans ces quartiers, alors elle ne fait que déplacer les maux précédents vers d’autres zones. Dans ce but, le ministre de la ville François Lamy a proposé la création d’emplois francs qui tendent à améliorer l’employabilité des habitants de ces quartiers. Cette expérimentation, portant d’abord sur quatre villes (Amiens, Grenoble, Marseille et Clichy-sous-Bois), vise à inverser la logique des zones franches urbaines du précédent gouvernement pour éviter l’effet d’aubaine constaté alors (les entreprises s’installaient dans ces zones sans embaucher de salariés y résidant tout en bénéficiant de l’abattement fiscal y afférent). Désormais, les entreprises intéressées devront embaucher d’abord des salariés résidant dans ces villes pour ensuite bénéficier des allégements fiscaux. Cette mesure demeure floue dans son application et ses contours ne sont pour le moment pas Dans la même logique, 30% des 150 000 emplois d’avenir seront réservés aux jeunes des quartiers difficiles.

Finalement, « L’accompagnement social est une dimension primordiale de la politique de la ville », selon Sarah Zouheir, co-auteure de Banlieue de la République. C’est cette dimension sociale qui est le fruit d’un arbitrage politique porteur d’une certaine vision de la société et de l’action publique. La politique de la ville mérite donc plus que quelques lignes dans une revue universitaire. Elle doit être replacée au cœur des débats afin de mieux en comprendre les enjeux et de connaître les actions possibles et efficaces qui peuvent être mises en place. La politique de la ville est donc une politique globale, qui mobilise l’ensemble des ministères au service de la dynamisation de ces zones oubliées de la République

François Fournier

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Sur quelques théories du droit social

__________ Au-delà des politiques sociales, ne faut-il pas (re)penser le droit social lui-même ? Et à cette fin, ne faut-il pas s’extirper d’une analyse strictement juridique, pour en venir à un essai, certes expérimental, mais plus fondamental, d’histoire des idées sociales ? C’est à tout le moins ce que suggérait dès 1946 le très estimé (mais désormais très oublié) Maxime Leroy, dans le préambule qu’il donnait à son Histoire des idées sociales en France. C’est cette entreprise que le présent article se propose de mener, avec humilité, et sans prétendre à l’exhaustivité : partant de l’évolution séculaire du droit et de la norme sociales, il esquissera une première trame d’analyse théorique. Charge à ses détracteurs, ensuite, d’en user, d’en abuser, de critiquer. Car les arguments développés ici prêtent assez volontairement le flanc à la polémique. Une fois n’est pas coutume, ils n’iront pas dans le sens du vent : s’étonnera-t-on, par exemple, de ce que l’idée d’un « droit social, œuvre collective » récemment mise en avant par le Vice-président du Conseil d’Etat, M. J.-M. Sauvé, soit sévèrement jugée, mise en question, scrutée, enfin, d’un œil franchement circonspect ? Bien au contraire, c’est à une réorientation radicale du débat qu’il faut désormais aspirer : les questions théoriques relatives au statut, à l’élaboration, et au contenu de la norme sociale ne sont pas, et de loin, désuètes. Notre capacité à penser théoriquement les enjeux du social déterminera à l’avenir (et pour longtemps) notre capacité à élaborer des politiques sociales légitimes, efficaces et cohérentes. Il ne faut pas en douter. Aux questions que soulèvera cet article, nous apporterons d’ores-et-déjà les éléments de réponse suivants, qui éclaireront le lecteur sur notre angle d’analyse : 1°) quel doit être le but de nos politiques sociales ? Protéger 2°) selon quelle

logique élaborer un droit social de protection légitime ? Celle du pluralisme raisonnable 3°) comment unifier le processus d’élaboration de la norme sociale, sans la délégitimer ? En acquérant une puissance de décision qui s’en rapportera à l’assentiment des groupes sociaux. « Théoriser » le droit social : l’au-delà des politiques sociales

Mais tout d’abord, comment définirons-nous le droit social ? Le droit social, si on l’entend strictement (et dans une vision finalement assez proche de la conception marxienne des rapports de production) c’est le droit qui trouve son unité dans la « structure profonde du statut salarial » (expression heureuse que nous devons au professeur A. Supiot). En d’autres termes, c’est le droit qui, rassemblant droit du travail, droit de la santé et droit de la protection sociale, traduit dans un champ juridique a priori neutralisé le statut, les droits et les obligations qui découlent dans une démocratie corporatiste telle que la nôtre, de la condition salariale. C’est précisément cette définition qu’il s’agit de dépasser pour identifier, à la source de notre droit social positif, un droit social « naturel » ou plutôt, fondamental. L’exercice n’est pas simple. La première formulation de ces préoccupations « fondamentalistes », nous la trouvons chez Georges Gurvitch, lequel publie en 1932 une thèse qu’il intitule L’idée de droit social. Pour Gurvitch, cette référence au droit social est lourde de conséquences épistémologiques : elle implique en effet de se départir définitivement d’une vision civiliste du droit social, qui réfléchissait alors les rapports sociaux dans une logique trop étroitement contractualiste et se révélait incapable de saisir la réalité des nouvelles formes de production et d’organisation du travail. A cette conception

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quelque peu restrictive donc, Gurvitch va substituer une définition centrée sur le caractère « pluraliste » de la production de la norme sociale. Le pluralisme juridique, voilà l’apport essentiel de Gurvitch à la théorie du droit social. Car son postulat de base – la production plurielle, et non plus « étatique-centrée » de la norme sociale – bouleverse les termes du débat : le droit social, Gurvitch entend le saisir au-delà des politiques sociales et du droit positif, dans un espace normatif jusqu’alors assez mal identifié. Le droit social, c’est le droit qui émane directement des groupes sociaux, s’élabore, se construit et se pense en dehors des cadres qui enserrent traditionnellement la production normative. En somme, l’analyse de Gurvitch aboutit à dégager un critère organique et fonctionnel d’identification de la norme sociale, et implique de renoncer au critère « substantiel » que retenait traditionnellement la législation sociale républicaine. Pluralité de groupes, et partant, pluralité de sources: le droit social gurvitchéen, ce n’est pas le droit de la

« matière sociale », c’est le droit de la société dans son entier, produit par elle par l’intermédiaire de ses « groupes ». Gurvitch en donne une définition qui ne se distingue d’ailleurs pas par sa clarté ou sa transparence conceptuelle : « un droit autonome de communion, intégrant d’une façon objective chaque totalité active réelle qui incarne une valeur positive extratemporelle ». Pour les besoins de la synthèse, on peut ramener sa définition (sans trop la dénaturer) à une position de type conflictualiste : dans cette conception, le rapprochement agonistique des opinions et des intérêts débouche spontanément, via un mécanisme d’autorégulation, sur une norme positive et intégrative qui satisfait en principe l’ensemble des besoins sociaux exprimés. En d’autres termes, c’est le conflit qui produit l’ordre. Rien d’original dans une telle position au regard de l’histoire des idées (on la trouve déjà, notamment, dans les Discours sur la première décade de Tite-Live de Nicolas Machiavel), mais elle a pourtant le

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mérite de réactualiser de vieux thèmes de la philosophie politique, tout en offrant à la réflexion juridique un nouvelle fenêtre d’épanouissement, d’approfondissement. La tendance à appréhender le groupe comme un « fait social » absolument intégré ; l’idée anti-constructiviste qu’il faut s’en tenir, pour ce qui est du droit, aux normes qui émanent directement de la société ; la croyance en la capacité d’une totalité sociale indifférenciée à surmonter les différends qui pourraient l’habiter… autant de côtés par lesquels l’analyse de Gurvitch se fait éminemment (du point de vue de notre époque) critiquable. Mais enfin, elle donne une bonne idée de ce que doit être la théorie du droit social : une réflexion sur l’ au-delà des politiques sociales qui permettra de penser, in fine, les conditions de leur légitimité, de leur efficacité, de leur cohérence. Pour un droit social objectif : rompre avec le subjectivisme et la logique des droits-créances

Il y a certainement un biais idéologique dans l’invitation à penser le droit social dans les termes de l’analyse gurvitchéenne : l’idée propre à Gurvitch (et aux juristes qui ont pensé le déploiement d’un « droit social » à partir des années 1920) est tout de même-celle d’un certain objectivisme juridique, lequel implique de facto la référence au « tout », au « groupe » et nous ne dirons pas : à la « communauté ». Tirer les conséquences pratiques de l’approche gurvitchéenne peut ainsi conduire à valoriser, d’un point de vue méthodologique, et l’autorité sociale du droit restant impersonnifiable, les « groupes sociaux » qui en sont à l’origine. Autant dire qu’on se situerait alors dans une perspective radicalement différente de celle que retient la modernité juridique, résolument plus libérale et individualiste. C’est au juriste weimarien Gustav Radbruch (« Vom individualistischen zum sozialen Recht », 1930) qu’est revenue la tâche ardue de mettre en évidence – et de faire admettre - le glissement qui s’opère progressivement, à partir du XIXème siècle, d’un droit centré sur l’individu à un droit proprement « social ». A l’image libérale de

l’Homme libre et isolé (qui se traduisait en droit par l’abstraction « personne juridique »), Radbruch substitue la vision d’un Homme « situé » dans son groupe, dans sa communauté, ce qui le conduira naturellement à désigner sous le vocable de droit social, le droit qui « rend compte du pouvoir social relatif des différents individus et les considère selon leur position sociale » (N. Le Bouëdec). Un droit « situant » donc, qui ne se satisfait pas des abstractions formelles proposées par le libéralisme juridique, mais lui préfère un droit social à vocation redistributive. Radbruch part de l’idée marxienne selon laquelle le droit, produit des dynamiques parallèles de l’infrastructure et de la superstructure, « formalise » la domination bourgeoise ; fort de ce constat, il cherche cependant, dans le fil de son travail sur le droit social, les voies et moyens d’un dépassement de la fatalité qu’engendre le système de production capitaliste. Ce dépassement, il le trouvera dans la vision d’un Etat capable de réformer l’organisation économique, de rétablir l’égalité de fait ; l’instrument de cet Etat réformiste ? Le droit social, qui, défait de ses oripeaux « bourgeois » et autonomisé, autorisera l’intervention sur les rapports sociaux et favorisera l’émergence d’une société juste. Que nous faut-il retenir de la théorie radbruchienne du droit social ? Quel est son intérêt, si l’on peut dire, pour aujourd’hui ? 1. Elle permet (en 1930) de révéler un paradigme nouveau (et qui nous intéresse au premier chef), celui de la « norme concertée » 2. Elle invite à rompre avec la logique purement subjectiviste qui a présidé à la consécration, depuis une cinquantaine d’années, des droits-créances. Deux séries de remarques s’imposent alors. S’agissant du caractère « concerté » de la norme sociale, le système de Radbruch (lequel insistait par exemple sur l’importance des conventions collectives comme « normes » limitatives de la domination bourgeoise) nous rappelle que la norme sociale protectrice, pour être pleinement légitime, doit être le produit « pur » de la concertation des acteurs politico-sociaux. Est-ce bien d’ailleurs le cas dans le système français qui laisse une large (trop large) place à la médiation de

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l’Etat, ayant pour effet de déresponsabiliser syndicats et associations de salariés et du patronat ? Rien n’est moins sûr. S’agissant ensuite de la question des droits-créances, l’intuition que nous découvrons chez les théoriciens du droit social nous semble être la bonne : c’est que les véritables droits « sociaux » ne seront pleinement légitimes qu’à la condition de ne plus ressortir exclusivement d’une logique de « créance individuelle ». L’efficacité du mécanisme de garantie des droits sociaux nous paraît en effet être conditionnée à la multiplication des normes sociales produites à un échelon infrasociétal, au plus près des groupes, bien plus

qu’à la multiplication des droits-créances individuels. Car qui se préoccupe de faire respecter des droits sociaux consacrés par des textes lointains, généralement établis par la seule autorité de l’Etat, dans un contexte de forte contrainte sociale ? Rapprocher la norme sociale de la condition matérielle des personnes situées en favorisant une concertation partiellement « apurée » de l’influence de l’Etat : voilà une ambition pour qui voudrait donner sa pleine efficacité démocratique à la production de la norme sociale

Simon Chassard

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Actualités

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Qu’est-ce que le partage ?

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Cette année, la Cité de Réussite organisée par la Sorbonne s’est intéressée à la question du partage. Nous avons eu la chance de participer à la conférence de clôture sur le thème d’introduction « Qu’est-ce que partager ? », animée par Thierry Guerrier, journaliste à Europe 1. Étaient présents Jacques Attali, que l’on ne présente plus, Joël de Rosnay, scientifique, Thierry Derez, Président directeur de Covéa, et Odon Vallet, président de la fondation éponyme, historien et spécialiste des religions. Avec un panel aussi éclectique d’intervenants, l’objectif de ce débat était de concentrer tous les points de vue sur la question. Mission accomplie. Partager est un acte difficile à comprendre dans une société où prime l’individu sur le collectif - ce n’est pas là un jugement de valeur, mais un constat unanimement accepté. Un véritable paradoxe était donc au cœur du débat. Belle entrée en matière. Pourtant tous les intervenants, ne boudant pas un peu de communication, ont témoigné des partages qu’ils ont pu réaliser dans leurs secteurs respectifs. Ainsi, après avoir hérité d’une fortune considérable, Odon Vallet a décidé de constituer une fondation pour financer les études, en France, d’étudiants étrangers aux moyens limités, principalement originaires du Bénin et du Viêt-Nam. Lui-même le reconnaît : « Je n’avais pas le temps de dépenser cet argent ». Soit, mais le geste reste noble. Joël de Rosnay est le fondateur de http://www.agoravox.fr/, un média citoyen participatif qui s’enrichit des contributions des uns et des autres, modérés par les citoyens-rédacteurs plus réguliers. Thierry Derez, « assureur militant », lui aussi partage. Son métier est bien entendu au cœur de cette notion. Enfin Jacques Attali partage… son temps et son savoir, ce qui n’est pas peu dire. Tous partagent donc, mais pas de la même manière.

Don ou partage ?

Odon Vallet insiste ainsi longuement sur la différence essentielle entre le don, ce qu’il pratique (puisqu’il a mis l’intégralité de sa fortune héritée dans sa fondation), et le partage, qui suppose en effet qu’une partie ou la totalité de ce qui est transmis (dans le cas de biens non fongibles) demeure en possession du détenteur initial. Partager n’est donc pas donner. Organiser le partage pour qu’il rapporte : « l’altruisme intéressé »

Partager n’est pas non plus donné… Reste ainsi le paradoxe essentiel : le partage désintéressé peut-il exister et se comprendre dans une société de l’individu où la notion microéconomique d’utilité marginale a plus de succès qu’un concert de Madonna ? La réponse de Jacques Attali est sans ambages : non. Selon lui, le partage ne peut se comprendre et s’intégrer dans une économie de marché qu’en le rapprochant de la notion « d’altruisme intéressé ». L’altruisme désintéressé n’existe pas. Adam Smith, Diderot affirmaient déjà que l’on a un plaisir infini à aider, une façon comme une autre de se réaliser. Déprimant, certes, mais réaliste. Rien ne sert donc de rêver lorsqu’il suffit d’ouvrir les yeux. Peu importe les motivations, tant qu’elles se soldent par un partage. Voilà en somme la leçon de notre Attali national. Cette vision utilitariste, aussi triste soit-elle, n’en est pas moins essentielle à la bonne compréhension des enjeux actuels : elle est par exemple au centre de la micro-finance, ou du « peer-to-peer ». Il s’agit d’altruisme, car en partageant, son savoir par exemple, on prête à l’autre les moyens de réussir ses propres affaires, on crée les conditions de son autonomie. Ce partage est « intéressé » car l’on associe l’autre à ses propres affaires, on associe l’autre à notre communauté de destin. Cet altruisme intéressé est une notion d’avenir car il permet de basculer d’une

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économie de la rareté, des ressources énergétiques limitées, ou rien ne peut être partagé car tout vient à manquer, à une économie de l’abondance absolue, de l’information, permettant de créer les moyens techniques, économiques, ou intellectuels, qui permettront un jour de dépasser cette rareté. Dépasser l’idée de partage de la rareté en créant de nouvelles richesses

Pour que le partage soit effectif, il ne faut pas se limiter à partager la rareté (ce qui existe, ou ce que l’on a précédemment créé et utilisé). La solution passe par la création de plus de ressources, de richesses. Dans la Bible, dans le livre de Qohelet, est écrit plusieurs fois le constat « rien de nouveau sous le soleil ». En réalité, comme le fait remarquer Jacques Attali, ce qui est nouveau se trouve « au-dessus du soleil » : la solution au problème de la rareté n’est pas dans l’éternel recommencement d’un partage dont les parts vont en s’amenuisant, mais dans la recherche de solutions pouvant dépasser cette rareté. Toutes les nations confrontées à la rareté en sont sorties non pas en partageant mieux mais en créant de nouvelles richesses. Par exemple, les hollandais n’avaient pas assez de terre pour nourrir leur population, ils ont donc cessé de cultiver des céréales pour développer l’industrie. Ce dépassement et cette recherche de solutions innovantes passent indubitablement par le partage du savoir, du temps, et par la création commune.

Un type d’altruisme propre à chaque culture

Odon Vallet souligne qu’il existe des différences considérables entre pays sur la notion d’altruisme. Aux Etats-Unis, le don vise traditionnellement les catégories les plus défavorisées. Il n’existe pas cette notion d’héritier réservataire, et de ce fait on peut tout donner à des fondations, comme Bill Gates ou Warren Buffet l’ont fait en cédant la moitié de leur fortune. Ce don (presque) total n’est pas possible en France si on a plus d’un enfant. Traditionnellement, les Français donnent plus volontiers à leur descendance. La France, pays de droit romain, a vu cette idée se développer que le patrimoine doit rester dans la famille. Les solidarités familiales et le don des parents aux enfants sont très développés. En Afrique, le don est également familial mais suit une logique inverse : les solidarités sont des transferts des enfants aux parents. Dans les pays confucéens, conclu Odon Vallet, l’altruisme a une nature davantage patriotique, le partage se faisant avec plus de facilités à l’échelle du pays. En guise de conclusion, cette phrase de Joël de Rosnay, véritable réflexion sur le sens de la vie : « plus tu donnes, plus tu restes »

François Fournier et Candice Le Louarn

Conférence « Qu’est-ce que le Partage » © Cité de la Réussite

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2013 : L'« Année européenne des citoyens»

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La proposition de la Commission de désigner l’année 2013 comme l' « Année européenne des citoyens » est non seulement une célébration de la citoyenneté européenne, introduite par Maastricht, mais aussi un moyen de la promouvoir. Mais où en est-on, vingt ans après l’introduction de la citoyenneté européenne?

Le Conseil économique et social européen a proposé au Parlement Européen et au Conseil, le 29 février 2012, que l’année 2013 soit consacrée à la citoyenneté européenne. La Commission européenne a accepté cette proposition. Quelles sont les raisons de ce choix ? La réponse la plus évidente est liée à la célébration de 20 années de citoyenneté européenne mais, en plus de l’anniversaire, il y a d’autres explications ou, du moins, implications possibles. 20 ans après, le temps est venu de dresser un bilan. Nous allons le faire en adoptant une perspective qui se livre à l’analyse des perceptions des individus et à leur prise de conscience par rapport à la citoyenneté européenne.

Nous nous trouvons maintenant face à la première difficulté. Comment acquérir cette perspective ? Tout en prenant les précautions requises par l’utilisation des sondages, nous allons accepter l’offre proposée par l’Union Européenne et nous allons nous servir des Eurobaromètres. D’une certaine façon, nous sommes face à une Europe qui se mesure et s’apprécie elle-même.

Prenons le dernier Eurobaromètre standard qui se penche sur le sujet de la citoyenneté européenne (Eurobaromètre 77 du printemps 2012) en examinant des perspectives diverses. Dans une première approche, il interroge les Européens sur la signification qu’ils donnent à l’expression d’ « attachement à l’Union européenne ». En demandant « quelle est la perception de l’influence que l’Union européenne (UE) a sur les conditions de vie ? »

ou plus encore, « quelles sont les achèvements, les succès et les bénéfices de l’UE ? », on pose plutôt des questions liées aux conditions matérielles. Certes, des réponses portant sur des valeurs sont possibles, mais les résultats montrent que, d’habitude, les sondés estiment que les plus grandes réalisations de l’Union sont la suppression du contrôle aux frontières ou l’introduction de la monnaie unique. Ce n’est qu’en deuxième ressort qu’on adresse des questions qui portent plus spécifiquement sur ce qui pourrait relever d’une identité européenne.

La définition que l’Eurobaromètre 77 propose est particulièrement éloquente quant à la nature hybride de la citoyenneté européenne. Le rapport spécifie qu’ « une majorité d’Européens se sentent comme étant des citoyens de l’Union, avec un nombre important d’éléments partagés, comme la monnaie et les valeurs ». L’ordre de ces deux derniers mots peut sembler curieux. Pourtant, il est bien justifié par la logique dite de « spillover » qui prévoit l’entraînement du politique par l’économique et qui a guidé l’évolution de l’Union européenne depuis sa création.

Un cadre donné On parle aujourd’hui d’un processus d’intégration en panne, qui se trouverait dans cette situation faute d’avoir réussi à intégrer les citoyens. Plus encore, la citoyenneté européenne est souvent considérée comme « inachevée». Mais inachevée par rapport à quoi ? Sur ce point, il semble évident que

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l’unité de comparaison ne peut être que l’Etat-nation.

On a tout d’abord commencé par se demander si une citoyenneté en dehors de l’Etat-nation serait possible. L’innovation de Maastricht a bien montré qu’effectivement, la citoyenneté peut sortir du cadre donné de l’Etat-nation – même si posséder la citoyenneté d’un Etat membre de l’Union européenne est une condition sine qua non à la possession de la citoyenneté européenne. Alors, soit on prédit sa future défaillance, liée au manque d’identité collective comparable à celle nationale soit, on envisage, à travers elle, le développement d’une nouvelle forme d’identité collective basée non pas sur le sang et la filiation, mais sur les valeurs communes et le débat public (c’est la vision prônée par Jürgen Habermas à travers son concept de « patriotisme constitutionnel »). Pour l’instant, vingt années après son introduction, la citoyenneté européenne ne semble avoir embrassé aucune de ces voies.

Admettons, après avoir reconnu la coexistence des citoyennetés européennes et nationales, l’inachèvement de cette première face à la matrice nationale. Inachèvement qui s’explique par le fait que la citoyenneté européenne demeure une citoyenneté de complément. Elle est la seule forme de citoyenneté qui n’a pas la compétence d’attribution, bien au contraire : elle est attribuée automatiquement à tout citoyen d’un Etat membre et ne peux pas être obtenue indépendamment de ce statut. A l’heure du traité d’Amsterdam, on a vite ajouté une phrase, pour rassurer davantage les Etats membres : « La citoyenneté européenne complète la citoyenneté nationale mais ne la remplace pas ». Nous arrivons à ce point à la carence inhérente de cette forme de citoyenneté : en étant supplémentaire, elle ne peut générer des devoirs. Nous pourrions peut-être nous demander ce qu’il y a d’inquiétant dans ce constat, mais il faut ici rappeler que les devoirs citoyens créent des rapports horizontaux entre les individus et donc, un

certain sens du partage, du civisme, et finalement de l’identité.

Elle demeure dépendante de la citoyenneté nationale et, par voie de conséquence, elle emprunte quelques caractéristiques de cette dernière, parfois même en les accentuant. Comme toute forme d’identité collective, même dans cet état primaire ou plutôt hybride, la citoyenneté européenne trace des frontières en désignant l’autre. Nous pouvons ainsi identifier trois catégories de résidents en Europe : les nationaux, citoyens de l’UE, ensuite les résidents non-nationaux mais citoyens de l’UE et finalement les résidents non-nationaux et non-citoyens européens. Vingt ans est un délai trop court pour pouvoir estimer les implications d’une telle typologie. Pourtant, on peut, pour l’instant, se borner à reconnaitre l’apparition de cette nouvelle catégorie des « non-communautaires ».

Et pourtant…

Observons ses réalisations. Il ne s’agit pas ici des éléments considérés par les citoyens comme les plus grands achèvements de la

citoyenneté européenne, à savoir la suppression du contrôle douanier et la création de la monnaie unique. Il s’agit plutôt d’aborder une perspective dynamique et de voir comment est perçue l’évolution de la citoyenneté européenne par l’individu. Pourtant, il faut rappeler qu’à l’origine, elle n’était que la création curieuse d’une Communauté économique. Au début, on ne vise que la mobilité des travailleurs, ce qui correspond

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tout à fait à la logique du marché intérieur. C’est dans cette perspective que le Traité de Maastricht est « révolutionnaire », car il dépasse cette vision purement économique. De plus, il renverse complètement le lien, qu’on croyait figé, entre nationalité et citoyenneté, la première vue comme l’appartenance à un Etat-nation et la deuxième vue plutôt du côté des droits et de la participation dans le même Etat. A l’heure du Traité de Maastricht, la frontière est transgressée et la citoyenneté englobe désormais plusieurs nationalités. Notre propos n’est pas d’énoncer les droits introduits par la citoyenneté. La protection diplomatique de tout citoyen européen par toute ambassade d’un Etat de l’Union sur le territoire d’un Etat tiers ou le droit d’un citoyen européen de se présenter aux élections locales d’un Etat dont il n’a pas la nationalité ne concernent qu’un nombre restreint de personnes. Pourtant, l’initiative citoyenne, le Médiateur européen et la gamme entière des symboles qui visent à sensibiliser le citoyen européen sont des efforts nets dans le sens d’une prise de conscience et d’une participation citoyenne accrue. La participation en elle-même est perçue comme une voie vers plus de démocratie et vers plus d’apprentissage démocratique. Il reste, néanmoins, à préciser qu’en raison de sa trajectoire particulière, la quête de légitimité de l’Union européenne à travers sa citoyenneté s’avère encore plus difficile que celle des Etats-nations.

Reconnaissons encore la chance que constitue la citoyenneté européenne. Elle a le pouvoir de ne pas refaire le même chemin que l’Etat-

nation en ce qui concerne la désignation de l’autre et son exclusion. A présent, elle n’est guère fondée sur des critères linguistiques ou religieux et elle pourra en profiter pour éviter un potentiel dérapage vers la discrimination. Il faut ainsi reconsidérer le discours sur ce qu’est l’Europe et prendre avec précaution l’instrumentalisation de « l’héritage commun européen ».

Concluons. Vingt ans après, la citoyenneté européenne est encore une citoyenneté jeune. En dépit des prévisions, elle n’a pas (encore) fait un choix ou un autre. Ses bénéficiaires la perçoivent surtout en termes de… bénéfices. Elle est une citoyenneté inachevée ou, au moins, complémentaire. Mais cette raison n’est pas suffisante pour prévoir son blocage. Nous pouvons même envisager qu’à un moment donné elle pourrait entrer en concurrence avec la citoyenneté nationale. Pour l’instant, elle reste secondaire mais tout en apportant des droits et des avantages. Avec plus ou moins de succès, elle incite à la participation. Et il ne faut pas oublier que toute forme de participation ou de démarche citoyenne est également un processus d’appréhension et de construction identitaire. Dans la même logique, le fait de consacrer une année à la citoyenneté européenne est plus qu’une forme de célébration d’un succès, c’est une manière de sensibiliser les citoyens européens eux-mêmes, en vue de l’obtention de ce succès

Cristina Juverdeanu

Pour aller plus loin…

European Economic and Social Committee, Opinion on the Proposal for a Decision of the European Parliament and of the Council on the European Year of Citizens (2013) Mark Dubrulle et Gabriel Fragnière, Identités culturelles et citoyenneté européenne. Diversité dans la construction démocratique de l’Europe, Ed. Scientifiques internationales, Bruxelles, 2009.

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Les Agences régionales de Santé : Y a-t-il un pilote dans l’agence ?

__________ Accès aux soins, maîtrise de la dépense, démocratie sanitaire… tels sont les défis qui attendent l’agence régionale de santé. Sous l’égide du directeur général, le rassemblement d’institutions diverses doit permettre d’assurer un pilotage unifié de la santé en région. Du regroupement légitime à l’empilement infructueux, il n’y a pourtant qu’un pas. Le tourbillon législatif qui emporte le domaine de la santé publique a conduit à l’adoption d’une quinzaine de lois au cours des dix dernières années. Dernière réforme majeure en date, la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, également appelée « loi HPST » ou « loi Bachelot », bouleverse le système de santé depuis la prévention jusqu’à la direction des établissements médicaux et médico-sociaux. La loi entérine également le mouvement de régionalisation de la santé par la création des agences régionales de santé (ARS), mises en place à partir d’avril 2010. Héritière directe de l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) créée par l’ordonnance Juppé du 24 avril 1996, l’ARS assure la coordination de la politique de santé au niveau de la région. Disposant de compétences étendues destinées à piloter les soins hospitaliers, mais également les soins ambulatoires, la prévention, la gestion du risque et le secteur médico-social, les nouvelles agences disposent d’une autonomie et de pouvoirs élargis qui semblent en faire de véritables « préfectures sanitaires ». Une comparaison qui contraste avec le maintien d’une hiérarchie entre la préfecture et l’agence, l’étanchéité à l’égard de

l’assurance maladie et les difficultés liées à l’organisation interne et aux fusions de services à l’intérieur de l’ARS. Le bastion sanitaire de l’Etat en région

De la Révolution française à la fin du XXe siècle, l’intervention sanitaire de l’Etat est exceptionnelle et se limite à l’appui aux communes ou à la lutte contre des périls pandémiques. La nationalisation de l’administration de la santé est la conclusion d’une série de trois phénomènes qui ont cours au XX e siècle : la multiplication des hôpitaux et des sanatoriums conduit à l’établissement d’un ministère chargé de la santé en 1920 afin d’en assurer la tutelle ; à partir de la seconde moitié du XX e siècle, l’augmentation des dépenses de la sécurité sociale amène l’Etat à intervenir pour maîtriser les dépenses de l’assurance maladie, tout en garantissant le développement d’une politique d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire. Enfin, les drames sanitaires de la fin du siècle dernier (affaire du sang contaminé, crise de l’amiante, crise dite « de la vache folle ») aboutissent à la montée en puissance des enjeux de santé publique, et confortent l’Etat dans son rôle d’acteur clé.

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La région est le cadre privilégié de l’action de l’Etat dans les territoires. La création des Agences régionales hospitalières (ARH), mises en place lors de la réforme Juppé de 1996, permet d’assurer le pilotage de la politique du ministère chargé de la santé en matière d’hospitalisation. La loi n°2004-806 de santé publique du 9 août 2004 crée les Conférences régionales de santé et les Plans régionaux de santé, outils destinés respectivement à la concertation et à la planification de la politique de santé. En instaurant les ARS, la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires) de 2009 confirme la dynamique d’étatisation des enjeux sanitaires engagée depuis un siècle, et s’inscrit dans la continuité de la régionalisation du pilotage de la santé qui est engagée depuis une quinzaine d’années. Egalité et qualité sont les maîtres mots de la réforme. Les ARS doivent contribuer à la lutte contre les inégalités territoriales de santé, ces dernières incombant principalement à l’offre de soins présente sur le territoire. Par ailleurs, les agences doivent participer à la qualité du système de santé en créant un continuum entre, d’une part, la médecine de ville et la médecine hospitalière afin d’améliorer le parcours de soins et, d’autre part, entre l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements sanitaires et sociaux, dans une optique de maîtrise des dépenses de santé. Une organisation motivée par le décloisonnement des politiques et le rapprochement des acteurs

La loi HPST ambitionne le rapprochement de l’assurantiel et de l’hospitalier. Avant la réforme, l’éclatement des structures institutionnelles liées au médical et au médico-social provoquait une double rupture : la santé publique était segmentée entre des entités relevant de l’accessibilité aux soins et d’autres de la prévention ; le parcours de soin était brisé par la séparation entre les entités étatiques ayant tutelle sur la médecine hospitalière et les organismes d’assurance-maladie s’occupant de la médecine de ville.

Ainsi au terme de la réforme, seules les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et les caisses nationales d’assurance maladie (régime général, régime agricole et régime des indépendants) rassemblées au sein de l’union nationale des caisses d’assurance maladie l’UNCAM, restent à l’extérieur du dispositif. L’ARS fusionne au sein d’un « guichet unique » sept entités : ARH, direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS), volet hospitalier des caisses régionales d’assurance maladie (CRAM), unions régionales des caisses d’assurance maladie (URCAM), groupement régional de santé publique (GRSP) et mission régionale de santé (MRS).

Placée sous l’autorité d’un directeur général nommé en Conseil des ministres, l’ARS établit un « projet régional de santé » (PRS) qui planifie la mise en œuvre de ses différentes missions en tenant compte de la spécificité de son territoire. Etablissement public administratif, son organisation interne repose sur des pôles fonctionnels spécialisés (santé publique, offre de soins, démocratie sanitaire, etc.) et des délégations territoriales assurent son action dans les départements. Le choix du statut d’établissement public par le législateur nécessitait une tutelle assez souple pour garantir l’autonomie des agences. Aussi la

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question du pilotage national s’est-elle soldée par une solution originale. L’idée de créer une Agence nationale de santé a rapidement été écartée. C’est un Conseil national de pilotage (CNP), composé de membres des ministères sociaux, des directeurs des caisses nationales d’assurance maladie et du directeur de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qui est chargé de valider objectifs et directives des ARS pour s’assurer de leur bonne cohérence.

Les ARS, composantes budgétaires

et humaines de premier ordre dans

la politique de santé

En 2011, le budget consacré aux ARS (dépenses de personnel et de fonctionnement) s’élève à environ un milliard d’euros pour près de 10 000 emplois (dont 150 millions d’euros pour l’Île de France, qui compte 1200 agents. Ce budget est cofinancé par l’Etat (80%) et les régimes d’assurance-maladie (20%).

La planification de l’offre de soin Les ARS sont dépositaires de l’ensemble des missions prises en charge par les entités qui les précédaient, de la veille sanitaire à la gestion du risque en passant par la politique de prévention. Héritière des ARH, elles sont chargées de la planification de l’offre de soins et de la tutelle des établissements de santé et du médico-social. A cet égard, plusieurs outils sont à la disposition des agences. Les directeurs d’ARS contribuent à la nomination des directeurs hospitaliers. Ils disposent en outre d’une fongibilité asymétrique de leur budget protégeant le soutien en faveur des personnes âgées et du handicap : la création d’établissements du secteur de la santé ne peut se faire au détriment des fonds garantis au secteur médico-social. Les ARS signent également un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) avec les établissements. La planification de l’offre de soin sur le territoire est un autre enjeu essentiel. L’agence régionale de

santé rédige des schémas régionaux de prévention, d’organisation des soins, et d’organisation du secteur médico-social au sein de son PRS. Le directeur général de l’ARS (DGARS) jouit de prérogatives étendues au sein du dispositif des communautés hospitalières de territoire (CHT), créées par la loi HPST. La CHT donne aux établissements sanitaires et médico-sociaux la possibilité de mettre en commun leurs moyens administratifs et techniques afin d’assurer la spécialisation des établissements et le transfert des spécialistes, la diminution des coûts et une offre unifiée sur l’ensemble du territoire. C’est le DGARS qui autorise la création d’une CHT et peut en imposer la configuration en fonction des besoins de la région. Une interface de dialogue

Les agences régionales de santé doivent concourir à améliorer le dialogue sanitaire au sein des institutions et dans la société civile. Le Conseil national de pilotage associe ainsi des représentants de l’Etat et de la sécurité sociale. Par ailleurs, les agences régionales de santé s’inscrivent dans l’ambition de promotion de la démocratie sanitaire. Les conférences régionales de la santé et pour l’autonomie (CRSA) réunissent à ce titre une centaine de représentants des métiers de la santé dans la région afin de se prononcer sur les grandes décisions de l’ARS et notamment rendre un avis sur son projet régional de santé. Y a-t-il un pilote dans l’agence ?

De l’étendue du spectre des missions de l’ARS et de l’autonomie dont elle dispose, on ne saurait toutefois conclure à l’existence d’une « préfecture sanitaire ». La multiplicité des acteurs du champ sanitaire et médico-social, au sein des services de l’Etat, entre l’Etat et collectivités et entre l’Etat et la sécurité sociale, condamne tout pilotage unifié par le DGARS. Les préfectures ont autorité sur les ARS. En effet, le préfet préside le conseil de surveillance de l’agence, qui approuve le budget, le projet régional de santé et le contrat pluriannuel d’objectifs et de

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LES POLITIQUES DE LA VILLE

moyens (CPOM) que l’ARS passe avec son ministère de tutelle. Le préfet bénéficie en outre de l’expertise sanitaire de l’agence et, en cas de crise sanitaire menaçant l’ordre public, doit pouvoir disposer de ses services. L'articulation du sanitaire et du médico-social risque d'être entravée par le co-pilotage du secteur médico-social: le schéma régional d'organisation de l'ARS doit en effet être impérativement compatible avec celui du conseil général. L’empilement des structures issu de la fusion est un défi pour le pilotage et la gestion par le nouveau directeur général. En effet, afin de garantir la paix sociale, le statut des directeurs ou sous-directeurs des anciennes directions a été maintenu au sein de la nouvelle structure, contribuant à maintenir de fait les anciennes hiérarchies. Par ailleurs, la gestion du personnel est d’autant plus complexe que se côtoient au sein du même établissement des membres de la fonction publique d’Etat, de la fonction publique hospitalière, des agents contractuels de droit public et, s’agissant des membres des anciennes caisses d’assurance maladie, des agents de droit privé. Les deux cultures en présence – celle de l’Etat et celle de la Sécurité sociale – se mêlent difficilement et, en pratique, les membres des anciennes caisses d’assurance maladie ne constituent que 15 % du personnel.

C’est bien dans la timidité du rapprochement de l’assurance maladie et de l’Etat que se trouve la plus grande faiblesse des agences régionales de santé. L’assurance maladie conserve la plupart de ses prérogatives, notamment sur la gestion du risque. Elle participe au Conseil national de pilotage et peut donc imposer ses vues aux ARS. L’autonomie dont dispose l’assurance maladie empêche le pilotage unifié du parcours de soins en limitant toute action sur la médecine ambulatoire. L’outil dont dispose l’ARS sur la médecine libérale – le schéma régional de l’offre de soins ambulatoire – n’est pas contraignant pour les professionnels, et l’outil le plus puissant à la disposition de l’assurance maladie – les conventions médicales – exclut les agences. La concertation avec la médecine libérale n’émerge donc pas en région. La rupture du pilotage du parcours de soin n’empêche pas seulement aux ARS d’accéder au titre de « préfecture sanitaire », elle nuit également aux usagers des territoires disqualifiés pour lesquels la perspective s’éloigne d’une offre unifiée et de qualité

Thomas Bayle

Pour aller plus loin…

Didier Tabuteau, « Loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) : des interrogations pour demain ! », Revue de santé publique, volume 22, n°1, 2010.

Claude Evin, Isabelle Grémy (coord.), « Les agences régionales de santé un an après », ADSP, volume 74, 2011.

Jean-Louis Vidana, « Les agences régionales de santé : de l’usage du mythe du préfet sanitaire », RDSS, n°2, 2012.

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L’encadrement des loyers en France,

une fausse bonne idée ?

__________ L’envolée des prix du loyer met en relief la dérégulation du marché de l’immobilier locatif en France. Elle s’inscrit dans un contexte de crise du logement à laquelle les gouvernements successifs peinent à répondre. Entré en application le 1er aout 2012, le décret relatif à l’encadrement des loyers offre une nouvelle occasion de s’interroger sur le dispositif qui devrait être mis en place pour faire face à l’augmentation exponentielle des loyers.

Quel est l’état des lieux ?

Au cours des vingt dernières années, les montants des loyers ont largement augmenté. Ce phénomène s’explique par un décalage entre l’offre de logements à louer et une demande plus élevée sur le marché locatif. Construire davantage de logements serait une réponse efficace mais des contraintes financières (le déficit public), économiques (la crise du secteur de la construction) et spatiales (manque de terrains disponibles) rendent nécessaire une solution parallèle d’autant plus que les disparités territoriales s’accentuent dans l’Hexagone. Aujourd’hui, Paris est de

loin la ville la plus touchée par la crise du loyer avec un prix au m2 avoisinant les 20,8 €.

Partout la hausse moyenne des loyers a été plus rapide que l’inflation et l’augmentation des salaires. La charge de logement prend donc une place croissante dans les budgets des locataires les plus modestes, ce qui a pour effet de réduire leur pouvoir d’achat et de perpétuer les inégalités sociales.

Faciliter l’accès au logement, une des priorités de l’agenda gouvernemental

L’annonce d’une réforme en profondeur de la politique du logement figurait parmi les

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promesses électorales de François Hollande. Lors de sa campagne présidentielle, le candidat

socialiste avait énoncé les trois axes majeurs de son programme en matière de logement : développer l’offre de logement, promouvoir l’habitat écologique et faciliter l’accessibilité étaient au centre de ses priorités. Le projet a été ensuite confié au Ministère de l’Egalité des Territoires et du logement dirigé par Cécile Duflot. Avec la publication du Décret relatif à l’encadrement des loyers au Journal Officiel le 21 juillet dernier, le gouvernement propose une réponse provisoire à visée expérimentale en vue de l’adoption d’une loi-cadre à l’horizon 2013. Ce décret est issu d’une riche réflexion qui prend en compte l’héritage des politiques précédentes et s’inspire des solutions développées par les autres pays européens.

Le sillage des expériences précédentes

De l’entre-deux guerres jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le blocage des loyers était une mesure courante en Europe. Ce contrôle des loyers de « première génération » a été partiellement levé en France par la loi de

1948 qui a limité le gel locatif aux logements construits avant son entrée en application. L’effet inflationniste des chocs pétroliers a réactivé le débat autour de la régulation des loyers à la fin des années 1970. Le décret du 21 juillet 2012 s’inscrit dans la continuité de cette politique des loyers de « seconde génération » entreprise sous la présidence de François Mitterrand. Le 22 juin 1982, la loi Quillot confère aux organisations représentatives des bailleurs et des locataires le soin de mettre en place des accords de modération régissant le niveau des loyers. La loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 contraint quant à elle les bailleurs à justifier une hausse de loyer lors du renouvellement du bail par rapport aux loyers correspondant à des logements comparables. Une Commission de conciliation des rapports locatifs est mise à la disposition des locataires qui souhaitent contester la proposition de leur bailleur. La dernière entreprise d’envergure remonte à la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs votée sous le gouvernement de Michel Rocard. Cette dernière dispose que des mesures relatives à l’encadrement des loyers lors du renouvellement de bail peuvent être prises par décret pris en Conseil d’Etat.

L’influence des modèles européens

Un regard sur les initiatives de quelques pays voisins témoigne de la diversité des solutions possibles pour réguler le marché locatif privé. On distingue quatre modèles principaux : le modèle allemand de « miroirs de loyer », le modèle suisse de lutte contre les loyers abusifs, le modèle suédois de loyers négociés et le modèle néerlandais de loyers à point.

En Allemagne, certaines municipalités ont mis en place un observatoire « Miroir des loyers » qui permet de mesurer les niveaux de loyer pratiqués. Le locataire peut s’adresser au juge s’il estime que son loyer est supérieur de 20% à la moyenne des loyers pour des logements équivalents. La Suisse a mis en place un système dans lequel le locataire peut contester le montant abusif du loyer devant une autorité

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de conciliation dans un délai de 30 jours après son entrée dans les lieux. La Suède a opté pour l’alignement des loyers du privé sur les loyers du logement public, négociés chaque année par la municipalité avec les associations des locataires et bailleurs. Une marge de 5% est tolérée entre le niveau des loyers privés et celui des loyers publics. Les Pays-Bas ont quant à eux créé un système de « loyers à point » dans lequel la valeur du loyer est déterminée à partir du nombre de points que le logement a acquis en fonction de sa superficie et de son équipement.

La réponse française : le décret provisoire du 21 juillet 2012

Le décret annoncé par Cécile Duflot est une réponse d’urgence, valable pour un an à partir du 1er août 2012. Son objectif est triple. Il a tout d’abord une dimension sociale en ce qu’il vise à réduire les inégalités face à l’accès au logement. Il a aussi une visée économique dans la mesure où le réajustement des loyers surévalués par rapport aux salaires est susceptible de relancer le pouvoir d’achat des locataires. Enfin, il répond à une volonté politique d’honorer immédiatement une promesse électorale. C’est une mesure symbolique qui marque une transition avec le gouvernement précédent.

Le décret de 2012 complète la législation de 1989 en étendant son périmètre d’application géographique. Désormais, l’encadrement des loyers concerne 38 « agglomérations à risques » (27 en métropole, 11 en France d’outre-mer) de plus de 50 000 habitants qui affichent entre 2002 et 2010 une augmentation moyenne de loyer de plus de 3,2% (soit 2 fois l'Indice de Référence des Loyers moyen sur cette période) et un prix supérieur à 11,1 €/m2 en 2010.

Le bailleur reste libre de fixer le loyer de son choix quand il loue pour la première fois son bien. Le décret régule la fixation de loyers de logements non-meublés, loués à usage d’habitation principale ou mixte (professionnel

et d’habitation) lors du renouvellement du bail et d’une relocation. Deux dérogations sont admises : lorsque le loyer a été manifestement sous-évalué ou lorsqu’il a fait l’objet d’une rénovation importante. En cas de contestation lors du renouvellement du bail ou d’une relocation (hausse injustifiée du loyer, désaccord sur la nature des travaux réalisés etc.), le bailleur ou le locataire peut saisir la Commission Départementale de Conciliation gratuitement. Si la conciliation échoue, il est possible d’engager une action en justice devant le tribunal d’instance. L’ADIL (Agence Départementale d’Information sur le Logement) a mis en place un numéro vert pour répondre aux questions éventuelles (0 805 160 111).

Evaluation du dispositif d’encadrement des loyers mis en place

Pour mesurer les effets de la nouvelle réglementation des loyers, il est important de s’interroger sur les difficultés techniques que rencontre le dispositif. Tout d’abord, il est très difficile de recueillir des données homogènes sur l’ensemble du territoire pour évaluer l’évolution des loyers dans le parc locatif privé. La réforme appelle de nouveaux outils d’observation et d’analyse. Les données de la CAF, de l’INSEE et de

l’association CLAMEUR (Connaître les Loyers et analyser les Marchés selon les Espaces Urbains et Ruraux) ont servi de références pour sélectionner le panel d’agglomérations visées par le décret de 2012. Développer à l’échelle locale des Observatoires de loyers fiables (comme l’OLAP, créé en 1987 dans l’agglomération parisienne) permettrait d’étudier efficacement le marché locatif. L’exemple de l’Allemagne est à cet égard riche d’enseignements. La seconde difficulté est de s’assurer que le

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locataire dispose bien d’un recours effectif pour contrôler a posteriori la légalité du loyer que son bailleur lui propose : sans recours effectif du locataire, le bailleur pourrait violer en toute impunité le décret. Or à l’heure actuelle, le recours est encore entravé par l’opacité de la fixation du prix du loyer. En effet, à l’occasion d’une relocation, le bailleur n’est pas obligé de communiquer le loyer précédent au nouvel arrivant. Privé de cette information, le locataire doit faire appel à ses connaissances du marché locatif pour saisir la Commission Départementale de Conciliation d’un recours. Cette démarche nécessite une certaine expertise et un effort de recherche peu incitatif.

Faut-il pour autant établir une « police de l’immobilier» ?

Une des solutions serait de créer une institution chargée de veiller à l’application du décret, une sorte de « police de l’immobilier » à qui les bailleurs soumettraient leur proposition de modification de loyer à chaque relocation ou renouvellement de bail. Un contrôle a priori risquerait néanmoins de freiner l’investissement locatif en faisant peser des contraintes trop lourdes sur les démarches des bailleurs. La pression sociale devrait suffire à rétablir la relation de confiance entre bailleur et locataire.

L’intervention de l’Etat dans le marché locatif est-elle souhaitable ?

La nouvelle législation a soulevé de nombreuses craintes parmi les investisseurs du parc locatif privé qui verraient la rentabilité de leur location diminuer. Une chute des profits risquerait de diminuer l’investissement foncier privé. Démesurée, elle inciterait même les bailleurs à vendre leur bien pour encaisser une plus-value. Or les prix de vente immobilière ne peuvent pas être régulés. Un contrôle trop strict pourrait conduire à une envolée des prix de

l’immobilier et induire une raréfaction de l’offre locative. Par conséquent, il freinerait la mobilité résidentielle et entraînerait l’apparition de marchés de logement parallèles. Afin d’éviter la fonte du parc locatif privé, il serait donc envisageable de mettre en place des incitations fiscales en parallèle du dispositif d’encadrement des loyers. Les mesures de régulation des charges locatives a également éveillé l’attention de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, soucieuse de préserver l’effectivité du « droit au respect des biens » (article 1er du Protocole 1er de la CEDH). Dans son arrêt « Mellacher et autres c. Autriche » du 19 décembre 1989, elle a reconnu que le dispositif d’encadrement des loyers relevait non pas d’une « privation de propriété » mais d’une « réglementation de l’usage des biens conformément à l’intérêt général ». Toutefois elle n’a pas hésité, le 12 juin dernier, à dénoncer l’inconventionnalité de la régulation des loyers mise en place en Norvège. Elle a estimé que les mesures faisaient peser une charge disproportionnée sur les bailleurs qui violait le « droit au respect des biens ». Elle rappelle que les politiques nationales doivent chercher un équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Le projet esquissé en France sur l’encadrement des loyers n’est pas a priori de nature à créer une disproportion manifeste entre les loyers encadrés et les prix du marché, et donc susceptible de menacer le « droit au respect des biens ». Si une telle dérive pointait toutefois à l’horizon, il est certain que la Cour de Strasbourg, saisie par un bailleur lésé, sonnerait le signal d’alarme

Camille Hartmann

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Le coin du droit

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Panorama de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ________ Le Conseil constitutionnel est une institution plutôt discrète, à l’image de la rue de Montpensier, qui contraste avec le brouhaha de la place du Palais-Royal. Il occupe néanmoins un rôle croissant, non seulement dans la régulation des pouvoirs publics, mais également dans la protection des libertés fondamentales. A cet égard, la rentrée 2012 s’avère particulièrement riche. C’est, en premier lieu, dans sa dimension de régulateur des pouvoirs publics que ce dernier est intervenu. En effet, les juges de l’aile Montpensier ont eu à connaître des contentieux subséquents aux élections du printemps dernier, lesquels se traduisent tant sur le terrain normatif que sur le terrain du contentieux post-électoral. Tout d’abord, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur certaines réformes voulues par le nouveau Gouvernement. Il a également statué en vertu de l’article 59 de la Constitution sur de nombreux contentieux issus des élections législatives. Enfin, l’agenda déjà chargé du Conseil constitutionnel devait composer avec le contrôle de constitutionnalité a posteriori défini à l’article 61-1 de la Constitution. Pour illustrer cette rentrée, on citera certaines décisions topiques de chacun de ces contentieux. On évoquera, tout d’abord, une décision du Conseil constitutionnel rendue au titre de l’article 59 de la Constitution, c’est-à-dire du contentieux électoral. Ensuite, nous attirerons l’attention sur une décision rendue dans le contrôle a priori, et qui illustrera le rôle du Conseil constitutionnel face à une majorité

pressée de faire passer ses réformes. Enfin, nous nous attarderons sur une décision QPC. De cette manière, nous pourrons mettre en évidence, comment, en quelques mois, le Conseil constitutionnel a été conduit à déployer presque tout l’éventail de ses compétences contentieuses. 1. Sous l’empire des Constitutions des Républiques précédentes, le contentieux des élections législatives incombait à l’assemblée nouvellement constituée. Une telle situation a donné lieu à un certain nombre de scandales, le dernier en date ayant eu lieu en 1956, suite aux élections de nombreux « poujadistes ». En 1958, les auteurs de la Constitution ont voulu mettre un terme à cette pratique et ont confié au Conseil constitutionnel la compétence pour statuer sur la régularité des élections législatives. Les années d’élections législatives sont des années particulières pour le Conseil Constitutionnel. D’une part, l’institution – pourtant discrète – se trouve être médiatisée. D’autre part, l’institution se trouve être saisie d’un contentieux assez volumineux, qui, de plus, est forcément empreint de politique.

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En cette rentrée 2012, le Conseil constitutionnel a, comme pour chaque année électorale, été saisi de la contestation de certaines élections. A ce titre les décisions rendues, classées « AN » (« Assemblée Nationale »), sont pour la plupart des décisions de rejet, c’est-à-dire qu’elles ne concluent pas à l’annulation de l’élection. Il n’empêche que certaines annulations d’élections ont été prononcées, en particulier celle, le plus commentée dans la presse, de M. Patrick Devedjian (décision n° 2012-4563/4600 du 18 octobre 2012). L’élection de M. Devedjian dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine a été contestée au motif que son suppléant, M. Siffredi, avait la qualité de remplaçant d’un sénateur et était, par suite, inéligible, en application de l’article L.O. 134 du code électoral. M. Devedjian a tenté de contester, par voie de question prioritaire de constitutionnalité (art. 61-1 de la Constitution), la conformité de l’article L.O. 134 du code électoral aux droits

et libertés que la Constitution garantit. Néanmoins, l’une des conditions pour qu’une telle question soit admise est que la disposition contestée n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision antérieure du Conseil constitutionnel. Or comme le fait observer ce dernier, la disposition contestée a déjà été déclarée conforme à la Constitution, et ce dans une décision en date du 10 juillet 1985. Au surplus, dès lors qu’il n’y a pas de changements de circonstances, le Conseil constitutionnel a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner cette question. S’agissant de la question de savoir si l’élection de M. Devedjian devait être annulée, le Conseil constitutionnel a répondu par la positive. Observant que M. Siffredi a bien figuré sur une liste de candidats aux élections sénatoriales qui se sont déroulées dans le département des Hauts-de-Seine le 25 septembre 2011, et qu’il avait, au sens de l’article L.O. 134 du code électoral, la qualité de remplaçant de sénateur, le Conseil constitutionnel a considéré que M. Siffredi ne pouvait être remplaçant de M. Devedjian. Par conséquent, le Conseil constitutionnel a décidé d’annuler les opérations électorales des 10 et

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17 juin 2012 dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine. 2. La nouvelle majorité, élue avec un programme chargé, a eu tout l’été pour préparer la mise en œuvre de certaines de ses promesses. Ainsi, avec, d’une part, une nouvelle majorité voulant mettre en œuvre son programme et, d’autre part, une opposition qui entend jouer son rôle avec fermeté, le Conseil constitutionnel est pleinement sollicité dans son rôle de « régulateur des pouvoirs publics ». Une décision du Conseil constitutionnel a, tout particulièrement, été sous le feu des projecteurs : il s’agit de la décision relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production et de logement social (décision n° 2012-655 DC du 24 octobre 2012). Cette décision est intéressante dans la mesure où elle a trait à la nouvelle procédure parlementaire, issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ce dont il était question, en l’occurrence, ce n’était pas la conformité au fond de la loi, mais sa conformité au regard de la procédure parlementaire telle qu’elle résulte de la Constitution. Si l’on s’exprime en termes de contentieux administratif, c’est la constitutionnalité externe de la loi qui était en cause. D’ailleurs, les soixante sénateurs qui, le 10 octobre 2012, avaient saisi le Conseil constitutionnel, avaient uniquement soulevé des moyens relatifs à la procédure d’examen du projet de loi devant le Sénat. L’article 42 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, dispose que « La discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l’article 43 ou, à défaut, sur le

texte dont l’assemblée a été saisie ». Le deuxième alinéa de l’article 42 prévoit une dérogation à cette règle nouvelle pour certains textes : « Toutefois, la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale porte, en première lecture, devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l’autre assemblée ». Cette disposition constitutionnelle fait ainsi partie, parmi d’autres, de l’ensemble des nouveaux mécanismes censés participer au rééquilibrage des institutions. Il est utile, pour comprendre l’esprit de cette disposition constitutionnelle et le sens de la décision du Conseil constitutionnel, de se rappeler que la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 était intitulée « loi de modernisation des institutions » et que M. Balladur avait été nommé à la tête d’un « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République ». Le problème de droit qui était posé au Conseil constitutionnel était de savoir si, comme le soutenaient, entre autres moyens, les soixante sénateurs saisissants, l’article 42 de la Constitution n’avait pas été respecté. Compte tenu tant de l’enjeu de la loi déférée au Conseil constitutionnel qu’aux questions de droit parlementaire qui se posaient, le président du Sénat avait estimé utile de présenter des observations en défense de la loi. Toutefois, le Conseil constitutionnel, observant que l’examen en séance a porté sur le texte du projet de loi dont le Sénat avait été saisi, et que la loi n’a pas été discutée conformément au premier alinéa de l’article 42 de la Constitution (discussion sur le texte adoptée par la commission permanente désignée en application de l’article 43 de la Constitution), a

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donné raison aux parlementaires saisissants. La loi a donc été déclarée inconstitutionnelle. 3. Le contentieux de l’article 61-1 de la Constitution est, pour sa part, moins « politique », en ce sens qu’il n’est pas lié à un agenda politique, comme c’est le cas pour le contentieux a priori (art. 61 de la Constitution). La décision du 12 octobre 2012 Société Canal plus et autres en est une illustration (décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012). En l’espèce, il s’agissait d’une question prioritaire de constitutionnalité posée au Conseil constitutionnel notamment par la Société Groupe Canal plus. A l’origine, l’Autorité de la concurrence a décidé, le 20 septembre 2011, de retirer l’autorisation de concentration qu’elle avait accordée à la Société Canal Plus. Cette décision était fondée sur le motif tiré de ce que le Groupe Canal Plus n’avait pas respecté les engagements pris cinq ans auparavant, lorsque l’Autorité de la concurrence avait autorisé la concentration du Groupe Canal Plus avec TPS. Le Groupe Canal Plus a déposé une requête en annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence précitée et a, en plus, soulevé deux QPC, qui ont fait l’objet de la décision du 12 octobre 2012. Deux principaux moyens d’inconstitutionnalité ont été soulevés : celui selon lequel l’Autorité n’est ni indépendante ni impartiale lorsqu’elle

statue en matière de concentration (violation alléguée de l’article 6 de la CEDH), et, en deuxième lieu, celui selon lequel les pouvoirs de l’Autorité en matière de concentration portent atteinte à la liberté d’entreprendre. Comme on peut le constater, aucun de ces moyens n’a prospéré. En effet, le Conseil constitutionnel a décidé qu’étaient conformes à la Constitution tous les articles du code de commerce contestés. On se bornera à constater qu’en ce qui concerne la liberté d’entreprendre, la décision s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui consiste à considérer que la liberté d’entreprendre, consacrée à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 n’est « ni générale ni absolue ». 4. L’ensemble de ces décisions rendues au titre des trois derniers mois permet d’illustrer l’articulation des différents contentieux qui peuvent être portés devant le Conseil constitutionnel. Aussi montrent-ils que le Conseil constitutionnel doit à la fois composer avec un agenda politique qui, après une élection présidentielle, est particulièrement chargé ; avec un contentieux des élections législatives qui, tous les cinq ans, se présente devant lui ; et, enfin, avec le contentieux de la QPC dont l’intensité est jusqu’à présent assez aléatoire

Alexandre Lecomte

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L’ automne 2012 dans la salle Odent __________ Cet article présente la structure des procédures contentieuses prévues au titre V du code de justice administrative et vise à mettre en perspective l’activité du juge des référés du Conseil d’Etat par des illustrations concrètes et récentes. Peut-être saura-t-il éveiller l’intérêt des lecteurs pour la vie du bureau des référés du Conseil d’Etat voire, sait-on jamais, susciter des vocations… La création des référés d’urgence : la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000

L’intérêt des procédures d’urgence est de suspendre l’exécution de certains actes unilatéraux de l’administration. Décrets de nomination ou de révocation, arrêtés préfectoraux d’expulsion ou de reconduite à la frontière, refus d’enregistrement de demandes d’asile, arrêtés de péril et autres rameaux du grand arbre administratif français ont tous un point commun : leur caractère exécutoire. En effet, contrairement aux particuliers qui doivent solliciter un titre exécutoire puis le concours de la force publique pour obtenir l’exécution d’un acte de droit, l’administration a la possibilité de prendre des décisions de manière unilatérale créant des obligations vis-à-vis des administrés et exécutoires par elles-mêmes. Ce « privilège du préalable », règle fondamentale du droit administratif bien connue des étudiants de droit, est certes atténué par la possibilité, offerte aux citoyens, de rechercher l’annulation des actes qui leur font grief devant le juge administratif. Une annulation contentieuse, par ses effets rétroactifs, est normalement de nature à réparer les préjudices causés par l’exécution partielle ou totale d’un acte illégal. Il n’en reste pas moins que les annulations, parfois tardives, ne sauraient effacer des effets dommageables devenus irréversibles. L’infortuné abbé Olivier n’est qu’un

représentant parmi d’autres des requérants, si nombreux, ayant obtenu satisfaction devant le juge de l’excès de pouvoir sans toutefois retirer de bénéfice pratique de l’annulation prononcée : l’exigence de nécessité et de stricte proportionnalité des mesures de police municipale affirmée par le Conseil d’Etat en 1909 n’a pas ressuscité sa procession religieuse, interdite trois ans auparavant par le maire de Sens ! Les procédures de sursis à exécution, censées remédier aux inconvénients de cette situation, ont toutefois été appliquées dans des conditions trop strictes pour être réellement efficaces, et poussaient les justiciables à invoquer, à tort plus souvent qu’à raison, la voie de fait devant le juge judiciaire. C’est dans ce contexte que la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, complétée par le décret n° 2000-1115 du 22 novembre 2000 et modifiant le titre V du code de justice administrative, a été adoptée dans le but de rénover les procédures des référés d’urgence. Les trois référés d’urgence

La loi n° 2000-597 instaure trois procédures distinctes : le référé-suspension (art. L. 521-1 CJA), le référé-liberté (L. 521-2 CJA) et le référé « mesures utiles » (L. 521-3 CJA). Ce dernier est bien le « parent pauvre » de la famille des référés d’urgence : le juge dispose

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L ’automne 2012 d’un

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large éventail de mesures mais ces dernières ne peuvent faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, positive ou de refus, ce qui explique que le juge des référés du Conseil d’Etat n’ait pas fait usage de tels pouvoirs ces derniers mois. Il en va tout autrement des référés-suspension et des référés-liberté. Le référé-suspension

Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « lorsqu’une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) ». Le Conseil d’Etat peut être compétent en premier ressort pour les litiges dont l’objet relève au fond de sa compétence. Si le tribunal administratif est compétent, c’est en premier et dernier ressort : le Conseil d’Etat est alors juge de cassation et non d’appel. La suspension de l’exécution d’une décision administrative ne constitue qu’une mesure provisoire : seul le juge du fond, saisi de la requête en annulation, peut annuler la décision contestée (l’annulation emporte alors la disparition rétroactive de l’ensemble des effets produits par la décision litigieuse). Le juge des référés peut faire usage des pouvoirs qu’il détient au titre de l’article L. 521-1 CJA si deux conditions sont cumulativement remplies : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. C’est tout l’enjeu pour les parties, dans leurs mémoires ou à l’audience, d’essayer d’établir ou au contraire de nier la réunion de ces deux conditions. L’urgence au sens de l’article L. 521-1 CJA est établie lorsque la décision administrative

contestée « préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (CE, 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres). La situation d’urgence s’apprécie objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce. Le demandeur peut soulever tout moyen de légalité externe (incompétence, vice de procédure, vice de forme) ou de légalité interne (erreur de droit, exactitude matérielle des faits) pour faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Il est important de préciser que le juge des référés ne saurait, sous peine de préjuger du fond, constater une illégalité. Son office est de relever un doute suffisamment sérieux pour justifier la suspension d’un acte normalement exécutoire. La suspension d’une décision administrative au terme de la procédure prévue à l’article L. 521-1 CJA est relativement rare. Ces derniers mois, néanmoins, le juge des référés a ordonné la suspension de plusieurs décisions, dont l’affaire n° 360792 constitue une illustration éclairante. Dans cette affaire, le Conseil national des professionnels de l’automobile demandait la suspension, sur le fondement de l’article L. 521-1 CJA, de l’exécution de l’arrêté du 2 mai 2012 relatif aux agréments des exploitants des centres VHU (véhicules hors d’usage) qui prévoyait que « les zones affectées à l’entreposage des véhicules à risque [devraient être revêtues sous peu] de surfaces imperméables avec un dispositif de collecte des fuites ». Le Conseil soutenait en premier lieu que la condition d’urgence était remplie dès lors que l’arrêté du 2 mai 2012 préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation financière de la filière des centres VHU agréés. Il soulevait aussi le moyen tiré

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de ce que l’arrêté contesté portait, du fait des contraintes qu’il imposait dans de brefs délais, une atteinte disproportionnée au principe de liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre. Le juge des référés, ayant pris connaissance des moyens et arguments développés lors de la procédure écrite et pendant l’audience, a considéré que les deux conditions posées à l’article L. 521-1 CJA étaient remplies. S’agissant de l’urgence, le juge a relevé qu’un nombre important des entreprises concernées - dont la plupart sont de dimension modeste - se trouvaient dans l’obligation, pour se conformer à la nouvelle réglementation, de réaliser des investissements représentant une part significative de leur chiffre d’affaires. Ainsi, il a estimé que l’exécution des dispositions contestées dans les délais très brefs portait atteinte aux intérêts des entreprises représentées par l’organisation requérante ; une atteinte suffisamment grave et immédiate pour que la condition d’urgence soit regardée comme remplie. Quant au doute sérieux, le juge a conclu que « les moyens tirés de ce que les prescriptions litigieuses imposent des contraintes excessives aux exploitants des centres VHU et des installations de broyage et méconnaissent, par la brièveté des délais qu’elles prévoient […] les exigences de la sécurité juridique et, s’agissant de mesures prises pour l’application du droit de l’Union, de la confiance légitime, sont, en l’état de l’instruction, de nature à faite naître un doute sérieux sur la légalité de ces décisions ». Le référé-liberté

Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.

Le juge se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Le Conseil d’Etat est compétent en premier ressort ou en appel des ordonnances du juge des référés du tribunal administratif. Là encore, les mesures ordonnées par le juge des référés n’ont qu’un caractère provisoire. Elles constituent néanmoins une vaste panoplie au service de l’exercice effectif des libertés fondamentales : suspension de l’exécution de la décision, injonction de statuer sur une demande ou de prendre une mesure, éventuellement assortie d’une astreinte. A noter qu’exceptionnellement et si aucune mesure provisoire n’est susceptible de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le juge des référés peut prendre des mesures définitives (CE, 30 mars 2007, Ville de Lyon). Le juge des référés peut faire usage des pouvoirs qu’il détient au titre de l’article L. 521-2 CJA si deux conditions sont cumulativement remplies : l’urgence « au sens de l’article L. 521-2 » et l’existence d’« une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». L’urgence ne s’apprécie pas de la même manière lors d’un référé-suspension et d’un référé-liberté. Il est de jurisprudence constante que « la procédure définie par l’article L. 521-2 du code de justice administrative répond à une situation différente de celle prévue à l’article L. 521-1 de ce code ; que les conditions auxquelles est subordonnée l’application de chacun de ces deux articles ne sont pas les mêmes, non plus que les pouvoirs dont dispose le juge des référés ; qu’en particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure de sauvegarde susceptible d’être prise utilement

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par le juge des référés dans un délai de quarante-huit heures ». La partie demanderesse doit donc justifier d’une situation particulière telle une menace imminente de reconduite à la frontière ou encore des limitations à l’exercice de libertés prises en l’absence de motif sérieux de prévention de trouble à l’ordre public. L’existence d’une atteinte grave et manifestement immédiate à une liberté fondamentale doit aussi être solidement étayée par les requérants. Les libertés reconnues comme « fondamentales » au sens de l’article L. 521-2 CJA ont été dégagées au fil de la jurisprudence et sont aujourd’hui au nombre de dix-huit. Si des atteintes au principe d’égalité, à la liberté d’entreprendre, à la liberté personnelle ou au droit d’asile sont fréquemment invoquées, les moyens soulevés manquent souvent de précision ou de pertinence et ne convainquent pas toujours le juge des référés. S’il est fondamental que l’exercice effectif des libertés fondamentales soit efficacement protégé, si besoin au moyen de mesures fortes, il n’est pas souhaitable que les citoyens encombrent la juridiction administrative de requêtes manifestement irrecevables ou dénuées de fondement. L’usage par le juge des référés du Conseil d’Etat des pouvoirs qu’il détient au titre de l’article L. 521-1 CJA dépend des circonstances de chaque affaire : le rythme de ses interventions est donc assez aléatoire. La décision n° 363381 offre une illustration assez complète d’une telle intervention.

Dans cette affaire, le juge des référés

du Conseil d’Etat a statué en appel sur la demande d’un ressortissant somalien. Ce dernier soutenait que le préfet de l’Hérault avait méconnu le droit d’asile en estimant que l’Etat n’était plus tenu, au regard de l’état de la procédure, de lui assurer des conditions matérielles d’accueil décentes.

Examinée selon la procédure prioritaire par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) sur le fondement de l’article L. 723-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la demande d’asile présentée par le requérant avait été rejetée. Ce dernier avait fait appel devant la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) mais ce recours n’avait pas d’effet suspensif : en d’autres termes, l’obligation de quitter le territoire français que lui avait adressée le préfet pouvait être exécutée à tout moment.

Il est assez fréquent que des demandeurs d’asile fassent l’objet de mesures d’éloignement du territoire français avant que la CNDA ne statue sur les recours formés contre les décisions de rejet de l’OFPRA. La jurisprudence du Conseil d’Etat ou de la Cour européenne des droits de l’homme ne considère pas cette situation contraire par elle-même au respect du droit d’asile. Encore faut-il que chaque décision adoptée au cours de la procédure soit régulière, et il appartient au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 CJA, de veiller à ce que ce soit bien le cas.

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En l’espèce, l’OFPRA n’avait pas procédé à un examen individuel de la demande d’asile du requérant : la note par laquelle son directeur général avait préconisé une décision de rejet, en méconnaissance de cette garantie essentielle, avait donc porté atteinte au droit d’asile. Il est nécessaire de souligner à cet égard que cette note avait été suspendue par le juge des référés du Conseil d’Etat quelques mois auparavant.

Dès lors, même si le recours déposé devant la CNDA ne revêtait pas un caractère suspensif, le préfet ne pouvait, sans porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile, estimer que l’Etat n’était plus tenu d’assurer au requérant des conditions matérielles d’accueil décentes.

En ce qui concerne la condition de l’urgence, le juge des référés a estimé qu’elle devait être regardée comme établie au vu des conditions d’existence extrêmement précaires du requérant.

Le juge a donc non seulement annulé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif, mais également enjoint au préfet d’assurer au requérant des conditions d’accueil décentes jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande d’asile après un examen particulier des éléments présentés à l’appui de celle-ci.

La « procédure de tri »

La création de nouvelles procédures d’urgence présentait le risque d’un étouffement des tribunaux administratifs et du Conseil d’Etat sous l’afflux incontrôlé de requêtes infondées, abusives voire délirantes, cette dernière hypothèse ne constituant pas, hélas, un cas d’école. C’est dans la crainte de tels abus que fut inséré au titre V du code de justice administrative l’article L. 522-3. Celui-ci prévoit une procédure spéciale, dite « de tri », qui permet au juge des référés de rejeter la demande par une ordonnance motivée sans audience publique préalable. Le juge des référés fait un usage relativement fréquent de cette procédure dans la mesure où de nombreuses requêtes sont soit manifestement irrecevables, soit dénuées de fondement. En outre, la vie du bureau des référés du Conseil d’Etat est ponctuée de ces évènements parfois piquants, parfois affligeants mais souvent incongrus, que constituent les requêtes des « requérants d’habitude », ces personnes éternellement insatisfaites des décisions prises par l’administration et dont l’imagination juridique débordante les conduit à former recours sur recours, sans jamais se lasser. Si les ordonnances de tri ne se distinguent généralement pas par l’exubérance de leur style, l’une d’entre elles semble constituer une

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exception notable permettant de terminer cet article sur une illustration originale de la procédure prévue à l’article L. 522-3 CJA. Dans son ordonnance n° 292742 du 24 avril 2006, le juge des référés du Conseil d’Etat s’est prononcé sur la demande présentée par M. H*** et tendant à ce qu’il soit enjoint au ministre de l’emploi de soumettre à la signature du Premier ministre un projet de décret interdisant aux employeurs de signer un contrat première embauche (sic !). Le rejet par la « procédure de tri » est fondé sur les motifs suivants : « Considérant que la présente requête, laquelle ne répond manifestement à aucune des conditions posées par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, n’est qu’une illustration du comportement de M. H***, qui se distrait à encombrer le Conseil d’Etat de requêtes manifestement infondées ou irrecevables et l’a, à cet effet, saisi, en vain, d’au moins 298 requêtes depuis le mois d’août

1998, sans d’ailleurs que les multiples amendes dont ont été assorties les décisions rendues sur ces requêtes abusives aient freiné cette quérulence ; que dans ces conditions, la requête de M. H*** doit être regardée comme tendant uniquement à tester les limites de la patience des magistrats ; qu’un tel objet n’étant pas de nature à justifier la saisine d’une juridiction, cette requête, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée ». L’honnêteté exige néanmoins de préciser, à la décharge de ces requérants, que leurs multiples requêtes ont fourni aux juges du Conseil d’Etat les occasions nécessaires à d’importants revirements de jurisprudence. Leurs noms ornent pour la plupart des pages parfois mythiques du GAJA…

Benoît Carval

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Rubrique étudiante

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Pourquoi la fonction publique française

attire-t-elle tant ? ________ « Plonger dans la mer », ça veut dire quitter la fonction publique pour le secteur privé selon un idiome chinois, indiquant la sécurité associée à ce genre d’emploi. Pourtant, les attitudes des jeunes diplômés envers la fonction publique sont très différentes en France et en Suède. A la faculté de droit à Stockholm où un ami faisait ses études, un professeur a dit aux élèves au début du premier semestre : « 70% d’entre vous travailleront dans la fonction publique ». Tous les élèves se sont dit : « Pas moi, je vais plutôt être embauché par un cabinet d’avocats privé ! Seuls les juristes ratés se trouvent dans la fonction publique. » Les gens concernés par ces futures perspectives de carrière sont aiguillés par les experts du recrutement le plus tôt que possible hors de la fonction publique pour un poste dans le privé. Parmi les étudiants suédois, la plupart ne pensent pas travailler dans la fonction publique. Le secteur public est perçu par les étudiants comme un environnement trop bureaucratique et peu efficace, offrant peu d’opportunités en termes d’évolution de carrière. Toutefois, les étudiants se disent prêts à accepter un travail dans la fonction publique si la rémunération était plus intéressante. Malgré les attitudes négatives des étudiants, le pourcentage d’employés dans la fonction publique en Suède est le plus élevé du monde (34%). En France, même si les salaires sont plus élevés dans les entreprises privées, la fonction publique attire beaucoup de jeunes diplômés

qui participent aux concours administratif très exigeants afin de pouvoir décrocher un poste de haut-fonctionnaire. Les motifs les plus fréquemment avancés pour se porter candidat aux concours sont l’importance de facteurs comme « l’intérêt pour le travail » ou « la sécurité de l’emploi ». Le profil de l’étudiant faisant de l’intérêt pour le travail sa priorité première est généralement d’être plus diplômé (une grande partie a obtenu une maîtrise) que ceux qui choisissent la fonction publique pour la sécurité de l’emploi. Certes, la fonction publique française bénéficie d’avantages assez particuliers. Par exemple, 80 % des fonctionnaires bénéficient d’un emploi à vie, contre seulement 10 % en Suède. La crise économique actuelle entraîne deux effets apparemment opposés en termes d’attractivité de la fonction publique en France : s’il est peu probable que cette conservera encore longtemps son statut exorbitant en période de fortes contraintes budgétaires, le climat d’incertitude économique pousse de plus en plus de jeunes vers des emplois dont la sécurité est davantage valorisée Miriam Tardell

Pour aller plus loin…

Dominique Meurs et Florence Audier, « Qui se présente dans la fonction publique et pourquoi? », Revue Française d’administration publique, 2004/3 – no 111.

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Les concours de la fonction publique __________ Les métiers de la fonction publique vous attirent ou… vous ne le savez pas encore ? Vous avez intégré à cet effet les masters « Affaires publiques », ou encore « Corporate and public management », ou la préparation aux concours de Sciences Po ? Vous hésitez, vous manquez d’informations sur les débouchés et les probabilités de réussite ? La Revue Affaires publiques et européennes vous a concocté une mise au point sur l’ensemble des concours accessibles une fois votre diplôme en poche et sur les modalités de préparation.

NB : Nous n’aborderons dans ce numéro que les concours de la fonction publique française, les concours de la fonction publique européenne ayant déjà été évoqués dans le 1er numéro de la Revue APE !

Vous avez dit fonctionnaire ?

La notion française de fonction publique trouve ses origines dans l’Ancien Régime : le corps de fonctionnaires des Ponts et Chaussées, par exemple, date du début du XVIII ème siècle. La notion s’est perpétuée après la Révolution française, ainsi que le révèlent les propos de Napoléon : « Je veux constituer en France l’Ordre civil… Je veux surtout une corporation qui n’ait d’autre ambition que celle d’être utile et d’autre intérêt que l’intérêt public ». Du XIXème siècle à aujourd’hui, la notion s’est élargie et transformée, mais elle est restée fidèle à sa fonction première : les fonctionnaires sont au service de l’intérêt général de la République.

L’accès à la fonction publique est régi par une spécificité propre : le concours, symbole de l’égal accès, qui reste la voie royale de l’entrée dans la fonction publique. Tour d’horizon.

Quels concours pour quels étudiants ?

Nous avons sélectionné ici les principaux concours notamment préparés par les étudiants du master « Affaires publiques » correspondant à des concours de « catégorie A » ou « A+ », et accessibles à partir du niveau licence. A noter : nous ne traitons pas ici des concours d’accès à la magistrature.

Il faut d’abord distinguer clairement les trois fonctions publiques françaises, qui chacune organisent indépendamment leurs concours.

La fonction publique de l’Etat

Le concours externe de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), basée à Strasbourg, propose sans doute le plus prestigieux et le plus connu des concours de la haute fonction publique. Les 5 épreuves écrites se déroulent vers la fin du mois d’août ou au début du mois de septembre de chaque année. Les résultats d’admissibilité sont connus à la fin du mois d’octobre, et les oraux se déroulent tout au long du mois de novembre - les résultats définitifs sont publiés début décembre. En bref : un vrai marathon, pour lequel il faut partir bien entraîné… La sélection est draconienne (40 places pour environ 600 présents le dernier jour des épreuves écrites), mais le jeu en vaut la chandelle. En effet, certains corps de hauts fonctionnaires, les « grands corps » de l’Etat (Conseil d’Etat, Cour des comptes, Inspection générale des Finances) ne sont accessibles qu’à la sortie de l’ENA – et encore faut-il se placer dans les dix premières places du classement de sortie. Les autres débouchés du concours n’ont cependant pas à rougir : ils permettent notamment d’accéder à des postes de diplomate,

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L’école Nationale d’Administration à Strasbourg

d’administrateur civil ou d’administrateur de la Mairie de Paris, à la préfectorale, aux chambres régionales des comptes… Un défi qu’une trentaine d’élèves de Sciences po parvient à remporter tous les ans !

Le Ministère des Affaires étrangères ouvre lui aussi plusieurs concours à destination des étudiants disposant au minimum d’un bac + 3, et préparant tous au métier de diplomate. Deux d’entre eux – conseiller ou secrétaire des Affaires étrangères, cadre d’Orient - imposent le choix d’une spécialisation au moment du concours et la connaissance d’une langue de la région correspondante (persan, russe ou turc pour la section « Europe orientale et Asie centrale » ; chinois, hindi ou japonais pour la section « Asie méridionale et Extrême-Orient » ; et enfin arabe littéral, hébreu ou swahili pour la section « Maghreb, Moyen-Orient, Afrique »). Seul le troisième concours de catégorie A, celui de Conseiller des Affaires étrangères, Cadre général, n’impose pas la connaissance d’une langue « rare ». Au total, une quinzaine de places sont offertes par session pour chaque concours de secrétaire, et seulement deux ou trois places pour les postes de conseiller des Affaires étrangères. Les épreuves écrites des trois concours, qui comportent notamment des épreuves de langue

et une composition de questions internationales, se déroulent en septembre ou début octobre, et les épreuves orales en janvier, pour un résultat définitif au mois de mars.

Les concours des Assemblées (Assemblée nationale et Sénat) sont un autre débouché pour les étudiants du master Affaires publiques. Organisés indépendamment par chacune des Assemblées, ces concours, irréguliers en termes de calendrier, offrent des places peu nombreuses, mais de premier choix : administrateur, administrateur-adjoint, rédacteur ou analyste des débats, rédacteurs des comptes rendus… Pour l’heure, au moment où nous achevons l’écriture de ce numéro, aucun concours n’est ouvert à l’inscription. Soyez attentifs !

Le concours de conseiller de tribunal administratif et des cours administratives d’appel se destine plus particulièrement aux étudiants désireux de poursuivre une carrière juridique. Les lauréats du concours bénéficient d’une formation de six mois au centre de formation de la juridiction administrative à Montreuil avant d’être affectés, en fonction de leur classement au concours. A noter : à partir de la session du concours 2013-2014, la limite d’âge minimal de 25 ans est supprimée. Le site

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du Conseil d’Etat recense utilement les textes réglementaires relatifs à l’organisation du concours 2013, ainsi que les annales des précédents concours et un recueil des « meilleures copies ».

D’autres concours de catégorie A sont organisés, le cas échéant par certains ministères ou opérateurs de l’Etat, tels que le concours d’administrateur de l’INSEE (pour ceux qui ne sont pas fâchés avec les mathématiques !), ou le concours d’entrée dans les instituts régionaux d’administration (IRA de Bastia, Lille, Lyon, Metz, Nantes), qui permettent notamment d’accéder aux postes d’attaché et d’attaché principal d’administration. La Mairie de Paris organise également son propre concours pour le recrutement de ses attachés d’administration, en septembre de chaque année (une dizaine de places sont ouvertes à chaque session). Enfin, la Banque de France propose un concours d’adjoint de direction.

La fonction publique hospitalière

Les établissements de santé recrutent des gestionnaires capables de définir une stratégie de pilotage de ces établissements, ou de gérer efficacement ces établissements en termes de comptabilité et de financement, de ressources humaines, de management, etc. Le concours de directeur d’hôpital, dont la formation est dispensée par l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique) à Rennes, donne en particulier accès aux postes à responsabilité de la fonction publique hospitalière (FPH). Le concours de l’EN3S (l’Ecole nationale supérieure de sécurité sociale), basée à Saint-Etienne, donne accès à des responsabilités similaires, mais ses lauréats sont régis par le droit privé et non par le droit de la fonction publique.

Le concours de directeur d’hôpital conduit pour 20% au poste de chef d’établissement : pour le reste, le concours donne accès à des fonctions de directeur ou directeur adjoint des services juridiques, financiers, ou de gestion

des ressources humaines. En coordination étroite avec les autres métiers de la FPH – médecins, personnel soignant, acheteurs, techniciens…-, le directeur décide de la stratégie de l’établissement et réalise des arbitrages au quotidien pour concilier les impératifs de bonne gestion avec l’amélioration du service rendu aux patients.

La formation dispensée par l’EN3S prépare aux métiers de direction (directeur financier, DRH…) au sein des établissements de gestion de la sécurité sociale (CAF, CPAM, URSSAF…). Le cœur de la mission des lauréats du concours est ainsi de participer à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques sociales dans les différents domaines de la Sécurité sociale tels que la santé, la vieillesse, la famille ou encore le financement de la protection sociale.

Les deux concours comprennent des épreuves « généralistes » (dissertations de culture générale, d’économie ou de droit public, note de synthèse…) ainsi que des épreuves « techniques » : protection sociale, droit hospitalier… Si la filière « Santé publique » du master AP prépare donc plus particulièrement à ces épreuves, il est tout à fait possible de s’y préparer dans les autres filières du master, en suivant par exemple les cours dispensés par la Prépaconcours. En 2012, les concours externes de l’EHESP et de l’EN3S offraient respectivement 26 et 29 places.

La fonction publique territoriale

Les métiers d’administration des collectivités territoriales bénéficient d’un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années : les postes en collectivités sont souvent présentés comme plus proches des réalités du terrain que les postes en administration centrale de la fonction publique de l’Etat, tout en permettant une grande mobilité entre les fonctions au cours de la carrière : le poste de directeur adjoint dans un petit département rural et celui de directeur financier dans une communauté urbaine d’un million d’habitants n’ont évidemment pas

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grand-chose en commun ! C’est, pour les promoteurs de la « territoriale », ce qui fait l’intérêt de cette fonction publique…

L’Institut national des études territoriales (INET) prépare au métier d’administrateur territorial, qui est un fonctionnaire territorial de catégorie A+. Le concours d’accès comprend les épreuves classiques de ce niveau de concours, avec toutefois quelques épreuves spécifiques, telles que la note sur dossier se rapportant à une problématique propre aux collectivités territoriales, ou l’épreuve orale portant sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

La formation – rémunérée - au sein de l’INET dure dix-huit mois, et se divise en trois temps : une phase dite « d’intégration », une phase de « professionnalisation » et enfin, une phase de spécialisation en vue du recrutement. Ce dernier se distingue en effet nettement du mode de recrutement de l’ENA : pas de classement de sortie, ni d’affectation réservée. Les élèves administrateurs territoriaux sont inscrits à l’issue de leur formation sur une liste d’aptitude et postulent auprès des différentes collectivités territoriales sur les postes qui les intéressent. Peu d’inquiétudes à avoir toutefois quant à la possibilité de trouver un emploi : la plupart des élèves administrateurs trouvent leur futur poste au cours de leur stage. Le concours externe est sensiblement de même niveau que celui de l’ENA, avec un taux de sélection de 12% environ (une trentaine de postes offerts pour environ 400 candidats présents à la première épreuve écrite).

Y a-t-il une méthode « magique » pour se préparer ?

La préparation aux concours administratifs requiert, bien évidemment, un travail intensif, tant pour assimiler les connaissances que la méthode des exercices demandés, dont certains sont pratiqués de longue date (la dissertation en deux parties, deux sous-parties ; les exposés oraux en dix minutes), tandis que d’autres sont une découverte pour la plupart des étudiants de

première année de master (note sur dossier de questions européennes ou de questions sociales à l’ENA par exemple).

Si le master Affaires publiques est en soi une excellente préparation à la plupart des épreuves, il ne faut pas sous-estimer la part importante de travail personnel qui vous mènera aux sommets de la fonction publique.

Le choix du (des) stage(s) du premier semestre de master 2 ne doit pas non plus être négligé. Que choisir entre un stage en administration centrale, dans les grands corps, au sein d’une préfecture, d’une collectivité territoriale, en ambassade, à l’Assemblée ou au Sénat ou encore dans une entreprise privée ? Il faut se poser ces questions suffisamment tôt pour y trouver des réponses et prendre le temps de se renseigner en amont – à ce titre, vos professeurs de master sont en général une mine d’or d’informations, de même que les étudiants des promotions précédentes.

Si le cœur vous en dit, vous avez également la possibilité de compléter vos cours du master, dès la deuxième année, par les cours proposés par la Prépaconcours de Sciences Po. Organisés en directions d’études (cours magistraux, dont certains sont filmés) et en conférences, ces cours permettent de compléter utilement la formation du master Affaires publiques. En outre, la Prépaconcours organise tout au long de l’année des galops et concours blancs permettant de se préparer aux épreuves des concours.

Enfin, il est possible – et très recommandé – d’assister aux oraux d’admission de certains concours, notamment à l’ENA ou à l’EHESP. Une double raison de ne pas laisser passer cette opportunité : pour mieux appréhender les contraintes de l’exercice d’une part, et d’autre part, pour « démystifier » certaines épreuves rendues légendaires – on pense, bien évidemment, au grand O’ de l’ENA.

Capucine Capon

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LA REVUE ET VOUS La revue APE est née en 2010 d’une volonté de confronter les points de vue des étudiants des différents masters de Sciences po. L’idée est de discuter ensemble de sujets d’actualité nationale, européenne et internationale autour d’un grand thème, complété par des articles plus libres sur des problématiques actuelles qui vous concernent directement : questions juridiques, économiques, financières, européennes, géopolitiques, concours de la fonction publique française et européenne…

La revue APE est la seule revue d’actualité et de réflexion politique de Sciences Po. Elle aborde des thèmes et des problématiques qui vous seront utiles lors de votre scolarité. PROFITEZ-EN !

IMPRESSUM Le bureau de l’association « Revue APE » Benoît Carval (président, rédacteur), Capucine Capon (trésorière, rédactrice) et Emilie Hermet (secrétaire, rédactrice) L’équipe de rédaction de la Revue Thomas Bayle, Charles Mosditchian, Candice Le Louarn, François Fournier, Caroline Guillet, Camille Hartmann, Cristina Juverdeanu, Miriam Tardell, Nicolas Giordano, Frédéric de Carmoy. Les contributeurs de ce numéro Alexandre Leconte, Simon Chassard.

CREDITS PHOTOS

Couverture : tableau d’Aivazovsky ; Europe dessinée à la craie : La citoyenneté européenne © Communauté européenne, 2006 ; Manifestation contre la crise : http://mediabenews.wordpress.com ; Dessin, La compétitivité allemande : Chaunu pour Ouest France ; Une chaîne de montage dans une usine automobile en Allemagne : afp.com/Thomas Kienzle ; Drapeau espagnol : 123rf.com ; Dessin chômage en Espagne : Forges pour El Pais ; Villes européennes © Agence européenne de l’environnement ; Paris est banlieue ; Qu’est-ce que le Partage ? : www.citedelareussite.com; Puzzle européen : www.eesc.europa.eu; Stéthoscope : Alexia Tran ; Immeubles parisiens : Le Figaro ; Carte des loyers en France : Clameur ; Salle Odent : photo personnelle ; Conseil d’Etat : www.wikimedia.org ; Conseil constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr/; ENA : http://www.jmrw.com/France/Strasbourg/pages/ENA.htm ; Le 27, Eglise, le Pont Neuf : Sophie Pornschlegel.

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