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Revue de poésie et de photogRaphieAUTOMNE 2016
SAISON BAROQUERevue de poésie et de photographieAUTOMNE 2016 - Numéro 21
Direction littéraireFrançois Godin
Direction photoIsabelle Clément
Comité de rédactionRévision linguistiqueHugo Beauchemin-LachapelleMathieu BlaisNathalie EthierFrançois GodinBenoît MoncionJulia Pawlowicz
GraphisteKevin Fillion
FondateursClaude BeausoleilJean-Marc DesgentRené LavoieJean-François Poupart
Dépôt légal4e trimestre 2016Bibliothèque et Archives CanadaBibliothèque et Archives nationales du QuébecISSN 1489-2162, no 21, 2016Cette publication du cégep Édouard-Montpetit paraît deux fois par année.
ImpressionMaska inc.
Site internetwww.saisonbaroque.wordpress.comCourriel : [email protected]
Photographie de la page couverture Lumière au bout du tunnel, Ophélie Coughlan
Photographie de la page couverture arrière Défaire les nuages, François Godin
Coralie Beaudin
Francis Robindaine Duchesne
Benoit Moncion
William Laplante
Axel Jarry
Victor Bégin
André Bouchard
Isabelle Clément
Alex Handfield
Danielle Laplante
Alex Handfield
Jessica Lambert
Francis Robindaine Duchesne
Audrey-Anne Marchand
L’amour c’est de l’argent
François Godin
Catherine Côté
Frédérique Dubois
Vincent Filteau
Youssef Sawan
Clément Isaac
Jérémy Champagne
Collaborateurs
Cartographie 3Épaves 5Mémoire flottante 6
Much less stars 7
Milieu de vie 10
Bout-d’en-bas 13
Gravure 14Réfraction 15
16
Beau drap 18
Chaise guillotine 19
La pluie qui tombe 20
Sous la fenêtre 22
Écho dans le gymnase 23
Romance fût 24Feeling Côte-nord 25Horticulture pour les nuls 26
Cigarette chasse-moustique 27
Ce qui est léger 28
Ophélie Coughlan 30
En suspens 31
32
Retour aux sources 36
37
Stagnation : défaire une défaite 39
44
De l'autorité du poème dans le déséquilibre insuffisant des choses 45
48
SOMMAIRESOMMAIRE
Tu fais pipi sous les mots,tu vois bien l’immense froid,la rafale la figuration mobile du blanc,tu parles à tes mains dures,tu es une vieille peau tu parles à tes fusils.
Ne calme pas les dragons, Jean-Marc Desgent
CORALIE BEAUDIN
Cartographie
je dessinenos têtes éclatéescitrouilles grugées de l'intérieurun vide réconfortantoù je me réfugie les matins de gel
mes voix se dissolventdans nos poumons-rucheun mot par alvéole
synapses aléatoiresnos rencontresdans ma tête
j'arpente les nervuresde notre peauà la recherche de ces cellules créatricesqui moisissent en nous
je trace la topographie de nos racinesdes mains griffues m'empêchent de dévier de la lignedécharge improbablej’éclate sur notre arbre généalogique
SAISON BAROQUE 3
je creuse nos hémisphères orangésje me videouverture béantenos entrailles exposées
on m'évidehors de moides mains inconnues tentent de nous dissocier leur encrelaisse des taches sur nos vertèbresindélébiles
nos ailes atrophiées se déchirentje me fragmentedes os tranchantscreusent nos paysages
4 SAISON BAROQUE
Épaves
J’enfouis ma sœur dans les plis du plafondsur son dosles étoiles en plastiquem'observent
Je dors les yeux ouvertsde peur qu'elle disparaisseencore
Elle s'éloigne gonflée à l'hélium vers la voûte qui s'ouvre
la gueule béante des clowns dans les fêtes d'enfants
Je la retienspar le fil de mon cerf-volant
Dans le lit de la rivière le corps en fuite ses doigts bleutés coulent sur les galets
ses yeux rieurs s'effacent comme les feuilles d'automne
SAISON BAROQUE 5
Mémoire flottante
Je voudrais la suivremais les flots m'avalentdes racines saisissent mes chevillesfusionnent avec mes jambesles arbres me digèrent
L'eau gronde dans ma têtedéborde du litnoie les oreillerset les animaux en peluche
Ma sœur-bouée indissoluble arrimée à sa branche le courant les entraîne vers la cataracte
Je plonge à sa poursuitemes cheveux s'emmêlentde débris métalliques
la carcasse rouilléed'un lit à deux étages
6 SAISON BAROQUE
FRANCIS ROBINDAINE DUCHESNE
Much less stars
s’il fallait cité et horizonoù l’orange le vert illuminentlibèrent des rythmes de caressesdraps en dégradéondulent et le ventjonche mon aveugle champ
SAISON BAROQUE 7
je ramassais des morceaux de charbon le long du rail qui atteint le Mt. Washington
Pruitt-Igoe m’est ancien
il pleut des épaisseurssur les distances
n’inondantnul barrageoù la modernité s’efforce
nul métarécit n’envahit mon café gratuit
8 SAISON BAROQUE
les néons filent en hyperespacedans la constellation des stations de métro
le meilleur des reniflements absconsm’a trahiNotre-Dame de l’Espacedans mon carnetle vaisseau MR-63
la clarification des musiquesdans les chuchotements
SAISON BAROQUE 9
BENOIT MONCION
Milieu de vie
[PAGE À ÉCRIRE]
10 SAISON BAROQUE
[PAGE PRÉCÉDENTE]
Ça encore dans la bouche il faut que ça parle quelque chose nombreux qui n’est pas l’existence d’un lieu, tor-rent de bave remuée piégée au bassin de tranquillisation. L’aval, c’est quand, pour se déprendre se faire prendre, un rendez-vous les mains sur la tête, ses galets polis mis en examen, turbulences mesurées.
L’imprévu,aimer qui pour être dit, je, sans l’antenne de sa solitude descendue s’entendre devenir une signature en bas du cœur c’est déjà le ventre paginé, corps, par où se donner ne pas,s’en tenir à l’impossible quoi, ne promettre qu’avec ça, je ne me prête pas facilement à la fragilité d’aucun texte. Une vie toute proche, ça ne s’écrit pas les eaux vives, quand même, ça se regarde souvent par-dessus l’épauleça hésite surtoutça ne se voit pas mais ça hésite souvent même le choix d’une typo qui m’arrête, c’est bien fait : menottes, plein les bras d’une langue d’élevage, une langue de dogue qui me fait du poil aux pattes et me met en pension, l’os en cage. Au casier ! Ça se sent, le cul se détourne larmoyant, ça tombe bien. Ce sont d’anciennes valeurs, mes arrières. Ça me surveille.
Une fois seul le temps toujours s’essaietu verras assis dans sa nuit, c’est quelqu’un d’autre ses murmures, après moi je n’y peux rien la fabrication des jours tournés plus vite que le fer des machines, les fantômes ont mon téléphone un rien de voix, ça me dérangeun rien je dis,pas le temps pour un accident, mourir égratigné par ses bijoux. Le luxe d’effrayer la beauté du haut d’un escalier, je sais ce qu’est un regard qui tombe et je n’entérine la croyance de personne, toi témoin, la cession de mes dépendances comme des domaines,
le territoire s’organise, avec ses ombres, sa lenteur, me condense quelque part parlé.
SAISON BAROQUE 11
[PAGE SUIVANTE]
Au milieu des figures croisées moi ça s’accroche les interrupteurs, on me brise ma quié-tude refaite à chaque fois ne demande que ça le sens, sa lumière au visage qui s’invite a du front, des déclics : je ne saurai pas ce qui aurait pu arriver.Le jour coule de partout sur mes jambes.
Je suis su par en dessous, me sauvel’humiliation trop grande qui m’échappe m’éblouit, vortex aphasique autour duquel se bouscule ce qu’il me reste à placarder, m’occupe pour que les mensonges qui nous possèdent nous appartiennent. Les man-chettes se renversent mon histoire à jamais je vais en découdre avec le refus d’hostilités qui me convoitent. Je m’éclate en douceur, reçois tout, les coups comme les cadeaux, je me fais ma fête mes réconciliations à coups de sabre célèbrent la déveine. La réalité parle d’elle-mêmeà ma place,
ailleurs je suis le calme fait froid. J’allume mes forêts avec les pages nécrologiques, caresse le massacre de la cendre de mes mains, c’est délicat, une menace peut-être, choisis. Mais ne le dis pas ou je me brûle les doigts.
On est ça, vierge partout comme dans sa tête l’hymen traîne avec n’importe qui, trouve ses offenses dans des lits qui me devancent, l’esprit s’abime derrièredes rideaux que mes mains tirent. Ne m’en veux pas si s’égarent les fenêtres, c’est la timidité qui fait ça qui fait tout trop tard, c’est moi c’est toi le silence c’est pareil à tout le monde retourné. Ce sont tes yeux, on n’oublie pas une maison.
On ne voit pas le jour en pleine lumière les corps petits tâtonnements perdus tout nous manque, il y a des heures encore à nous fausser compagnie. Je ne souris pas toujours seul dans mes couloirs où me surprend l’image de mon unique grandeur regrettée, inventée, tissus de chaleur où ici le moment n’offre pas de doublure, je suis aux êtres partout des touchers osseux comme des maladies qui m’enfoncent leurs lendemains des ongles plein les pores.
Hier arraché, je ne suis pas encore le temps qui me fait ou l’inverse,
le progrès sonde ses cadavres ne font pas leur âge, parfois, je suis un être météorolo-gique, des soleils tètent mes caprices,réparent en vain mes entreprises.
Chaque geste bercé s’agenouille dans la mémoire des chairs en attente qui ne prennent pas ce qui passe pour que je n’abandonne personne
12 SAISON BAROQUE
Bout-d’en-basWilliam Laplante
SAISON BAROQUE 13
AXEL JARRY
Gravure
Depuis la baignoire j’entends la plomberiegargouiller des naufragesraconter les profondeursque les baleines cartographientseulement par leur chant
je leur demande comment traduireces espaces improbablesdans leur anatomieles phalanges de leurs nageoiresou leurs membres vestigiaux
ma voix perturbe la cathédrale les colonnes dressées pour soutenir les vagueset les cénotaphes endormisrésonnentdans la moelle
la marée m’entraîneje disparais dans les tuyauxleurs fanons me filtrent et m’expulsentvers un océan souterrain
14 SAISON BAROQUE
Réfraction
Je m’éveille dans le segment d’ombrede notre fraternité parfaitementgéométriquetu te tiens toujoursdans une autre longitudeau centre d’une lumière totalej’attends ton émersionen vain
j’enfonce la pupille du soleilet le nerf crachote des gerbes d’oren projections coronalesle gouffre éteint de l’orbiteque contournent les rayonsme renvoie vers l’anté-ombrede tes yeux aveugles
SAISON BAROQUE 15
Peut-être que quelque part un musée retrace les histoires de cœurs à combler et que je trouverais une liste de noms à appeler pour assembler des personnes comme un casse-tête et peut-être que quelque part quelqu’un pense la même chose parce qu’il relit les quelques mots qui changent sa vie sinon sa journée et toi je ne te changerai jamais
tandis que tu textes sans arrêt les dino-saures resurgissent donc je regarde l’élasmosaurus au-dessus de toi et je rêve qu’il t’engloutisse qu’il fasse de toi Atlantis
je fais la danse des sept voiles tu bouges à peine les invités s’enivrent et tu manges tes émotions comme une adolescente je fais jouer mes morceaux préférés mais personne n’écoute la musique de mes poignards volants comme tu t’asperges de toutes les eaux du monde
VICTOR BÉGIN
16 SAISON BAROQUE
Le casino investit de l’argent pour en gagner plus et nous y sommes allés sans dépenser un sou et j’en suis sorti quand même plumé et c’est que tu avais les clés de la voiture ainsi que la plus grosse des voix et que Nico a quitté en prenant la navette parce qu’il ne pouvait pas nous voir dépossédés
tu dis qu’on ne se ressemble pas je ras-semble mes biens dans des cartons mon appartement est vide de toi plein d’avenir merci pour tes serments de cactus mourant
je dis ton nom une dernière fois Thierry ça me semble une logique que tu décor-tiques en non- intention tu crois que mes gestes sont vides de sens comme les tiens et c’était sur la ligne d’arrivée un faux départ annoncé
SAISON BAROQUE 17
Beau drapAndré Bouchard
18 SAISON BAROQUE
Chaise guillotineIsabelle Clément
SAISON BAROQUE 19
ALEX HANDFIELD
La pluie qui tombe
Chaque fois que j’entends la pluie qui tombeJe pense que le ciel pleureCeux que j’ai fait pleurer J’espère que mes erreurs
N’ont pas fait trop de mal- Jean Leloup
Sur le sol il y a un globeElle l’a laissé là en partantParfois il le fait tourner Et il tente d’imaginer où elle n’est pas
Il était petitInnocent Il avait les pieds ancrés Dans sa voix à elle - Je reviensDans ses mots à elle - Ne bouge pas
Il n’a pas bougéIl ne bouge pas
20 SAISON BAROQUE
Le globe tourne et inventeToutes les places possibles Où une mère peut s’enfuir
LuiIl attend
Ici Les saisons tournent
Au printempsIl a écoutéLa brise murmurer Ce qu’elle murmurait - Je reviens
Il a dû tourner sur lui-mêmePour faire fondre le givre Et l’hiver Pour ne pas perdre sa trace Ne pas perdre les traits de son visageImprimé dans la terre
Aujourd’huiToutes les feuilles sont tombéesLes arbres sont nusIl a grandi Où les feuilles s’envolentOù la voix reste en écho
Elle est partie Quelque part sur le globeIl s’imagine qu’elle pleurePour qu’iciIl danse sous la pluie de l’été
SAISON BAROQUE 21
Sous la fenêtreDanielle Laplante
22 SAISON BAROQUE
ALEX HANDFIELD
Écho dans le gymnase Une seule entrée, au sud sous de multiples néons. Sur le sol, un labyrinthe de lignes.
Les noires suivent le contour des quatre murs gris où quatre paniers de basketball se font face par paires. Les bleues mènent au tableau blanc, sur le mur nord,un tableau blanc au milieu d’un mur gris, son reflet sur le sol blanc se mélangeà la lumière des néons.Les vertes sont celles qui dirigent à l’horloge, sur le mur ouest.Une horloge numérique noire avec des chiffres rouges qui ne changent qu’aux minutes.Les roses longent un banc, sous un panier, renversé. Les jaunes sont presque effacées, elles vont vers la sortie, une porte jamais utilisée.
Une corde brune, une seule, à l’est.
La corde accrochée à un panier descend vers un nœud, sous le nœud il y a une boucle et dans la boucle, Un silence.
SAISON BAROQUE 23
JESSICA LAMBERT
Romance fût
une aurore boréaleBoréale en bouteille quand les autres visages dessinent l'ombre ses yeux une aurore soleil-pilier dans la nuit Coors Light les rebonds beer-ponglui jusqu'à moi
24 SAISON BAROQUE
Feeling Côte-nord
ce soir le ciel une palette de flammèches des couleurs road trip à s’en remplir les yeux le cœur le ventreà s’en vider la tête
SAISON BAROQUE 25
Horticulture pour les nuls
t’as pas mal le pouce vert un peu comme ma mine nausée mal-de-cœur t’as vraiment l’tourmême sans soleil sans amour ni eau fraîche tu fais pousser des fleurs dans mes poumonset je ne respire plus
26 SAISON BAROQUE
Cigarette chasse-moustiqueFrancis Robindaine Duchesne
SAISON BAROQUE 27
AUDREY-ANNE MARCHAND
Ce qui est léger
tu n’appartiens pas à ta mémoiretu ne sais pas si ça commence ou ça finit
tout ce qui se passe de toi dans tes vies antérieurestoutes tes morts en cachette
Philippe More
ton silence révèle de toutes petites lumières j’ai prévu des théories pour l’inévitable calmeà force de noyades je recommence à guérir le désordre diminue l’espace entre les métaphoresmais l’inquiétude ne tient pas dans une seule pièce
j’essaie une leçon d’être avec mes gestes faux bouleversée par la lenteur des fins du monde quand tu cherches encore une issue à l’amour frôler la débâcle est une lente performanceune chorégraphie complexe apprise par cœur
28 SAISON BAROQUE
tu entends le sommeil conjuguer mes défaites même si discipliner les tissus est une imposture quelque chose décime le doute dans ma voix souligne ce que j’ai à la place d’une hypothèsechoisir tes incendies aura pris du temps
je ne réponds plus de la mer ni des os la possibilité d’un lieu sûr demeure une fable comme une mise en scène du supportabletu redessines le paysage avec ton souffle coupéparce qu’il y a des traductions incurables
cela ne me fait rien de ne plus dérangerje cherche à faire disparaître les murs blancsquand ton corps ne sera plus une quarantainele bruit n’aura plus rien à dire de ma douleurje choisirai ce deuil parce qu’il est léger
SAISON BAROQUE 29
Ophélie CoughlanL’amour c’est de l’argent
30 SAISON BAROQUE
En suspensFrançois Godin
SAISON BAROQUE 31
CATHERINE CÔTÉ
Montréal fait froid à ma peau à mes dents je garde sous ma peau toute la chaleur de l’été
je ne suis pas partieje n’ai pas à revenir, je stagnesous les lumières magnifiques qu’on voit ici
32 SAISON BAROQUE
des kilomètres et des kilomètres où courir sans avoir à parlercomme le vinaigre lourd et rouge sous ma peau(je ne vois pas dans mes propres veinesmais j’imagine)
SAISON BAROQUE 33
j’ai accroché mon beau sourire à l’entréepour le récupérer plus tard, sans doute
parfois, il n’y a rien d’autre à fairese laisser mourir un petit peurentrer pour dormir sous des couvertures trop mincesen attendant que le lendemain arrive
34 SAISON BAROQUE
je ne sais plus commentme laisser porter par la brise
si je le pouvais, j’irais me construireune petite cabane dans la forêtdes fenêtres, des rideaux, un poêle en fontecomme dans les films
SAISON BAROQUE 35
Retour aux sourcesFrédérique Dubois
36 SAISON BAROQUE
VINCENT FILTEAU
Mourir de ça :
la barbe rajeunie de Stéphane Gendronles canettes de Pepsi qui débouchent le rectum idéologique de Québec les petits berlingots de la compassion le glaucome de Jean-Luc Mongrain les casques des contremaîtres la mélancolie des plats surgelés
nous nous aimions tant les caresses de stationnements vides Motörhead en bruit de fondles faux-totons du Couche-Tardla cousine abusée dans le cabanon les oiseaux de nuit grondent dans la neige un suicide au gaz dans le rang 10les entrepreneurs prospères aux danseusesles condos à vendre derrière le boulevard Taschereaula haine du siècle : Maxime Bernier dans une salle de Bingole chat d’Éric Duhaime et la prévention des vers du cœurMarie-Mai qui « fait le point » sur sa rupture amoureuse les visites guidées du Centre Vidéotron Mike The Situation de passage au Beach Club
Qui nous guérira ?
Je suis dans le limon des arbres et la pitié des ombres. Je bois l’agonie des idées et Nathalie Normandeau m’agresse dans le portique des anges.
SAISON BAROQUE 37
Quelques spectateurs sont assis dans les gradins : des fils d’agriculteurs et de garagistes qui cuventla tristesse du dimanche soir.Le grondement de l’aréna surplombeleurs conversations saccadées.
Un inconnu qui me ressemble est encore assis près d’eux. Pas tout à fait un revenant. Derrière le comptoir de la cantine il regarde des adolescents se précipiter sur la glace sous le coup de sifflet de l’arbitre. Ils sont personne et grandioses à la fois. L’odeur des granges et du cambouis ne les traque plus derrière les portesde la chambre des joueurs.Pendant une heure ou deux ils désertent le poids du réel et des généalogies ratées.
Ils rêvent de Milwaukee la promesse d’un club-école. Une ville dont ils ne connaissent rien hormis les récits qu’en rapportent les camionneurs du coin. Milwaukee, Omaha, Des Moines. Des noms de villes tristes le même décor les mêmes faunes désespérées : la fumée des usines l’ennui des jeunes filles et les matchs de hockey le dimanche soir dans un aréna vide comme celui-ci.
Le concierge ferme les projecteurs. Les chiffres sur le compteur défilent à toute allure. Nous sommes des milliers assis dans le noir. Personne ne nous remarque.
38 SAISON BAROQUE
YOUSSEF SAWAN
Stagnation : défaire une défaite
La volonté qui percem’a laissé un tatouage de paniquebien rouge dans une langue cachée
je désire abolir les tombespour en décorer la terre
*
tout ce que je trouve m’agrippe me tordme force en racinescorde les horizons
j’oublie l’alphabetpuis mon corps s’endortpaume serrée autour du doigt
SAISON BAROQUE 39
je ne trouve plus d’eauque des villes autographesdes vérités plastiques où je me perdsjusqu’à l’âge de maintenant
même les ponts tombentinutiles dans leur lit asséché celui d’une syntaxe de dernier recours
*
les pendus ont des poches secrètescomme elles et comme les murs j’attends :
des potentiels aux lueurs boréales un enfant qui court le crépitement ou un peu de pluie pour colorer le sol
40 SAISON BAROQUE
apprendre à boire les grains de sable est longdes scarabées vivent sous les duneset les ciels successifs parlent parfois :
c’est sous un chandail de peau que j’ai vaincu l’ankylose
c’est sous un chandail de peau que j’apprends à entendre
c’est sous un chandail de peau que je lèverai des béliers de flammes
SAISON BAROQUE 41
toute une botanique s’écoutelentementmais très bavardeses doigts courent dans ma gueulele braille de l’écorce :
quelques futurs se débloquent
42 SAISON BAROQUE
un printemps défonce la céramiquela nuit s’éveille dans le traverset je fais un dernier arrêt
mes mains immenses se tendent en boussolesje me tire enfin vers le Grand Nord.
SAISON BAROQUE 43
CLÉMENT ISAAC
Les rouages de l’universdans les plaiesde nos mains
rêvessatellitesvolcaniques sans choix les doigts déroutésen retard sur nos songes
il y a si peu de chair sur ces poucesmais ce qui reste nous l’aimons
la tectonique des contresens déploie sa sagesse telluriquenous avons droit à la saveur du monde
tu as aux entraillesune terrible monogamie
44 SAISON BAROQUE
JÉRÉMY CHAMPAGNE
De l'autorité du poème dans le déséquilibre insuffisant des choses
« Loin au-delà des barbelés, le printemps chante. »Charlotte Delbo
le ciel est bleu sur Auschwitzet suivent tes Poèmes le mouvement acide des enfants les dégueulis blancs du rivage la rose trémière qui défonce le gel d’octobre
le ciel est bleu sur Auschwitzet suivent tes Poèmes en morsures méthodiques des matins au marteau des yeux vidés des sillons creux à la cognée d’un grand mur
le ciel est bleu sur Auschwitzet suivent tes Poèmes en sourires grêles une fournaise le chlore d’une moue livide où la boue lâche se glisse en accroupissements
1.
SAISON BAROQUE 45
le ciel est bleu sur Auschwitzet suivent tes Poèmes dans l’affliction des vagues la pâleur des écumes et la crue des chairs et la ponce du cadavre et l’odeur malade et le jour vicié ovulés de naître morts
Quand suivent tesPoèmesAuschwitz sous ton ciel réminiscence en ses douleurs bleuies.
46 SAISON BAROQUE
le Poète lui est un terroriste un enfantprostré dans un envers jauni d’étoilesle doigt sur le pouls des éclaboussures d’images
le Poète est une cage une brise d’automneles sens nivelés au crépuscule des pluiessués dans le drap des absinthesdes herbes usées de luisanceIl est un nuageflanqué d’immobileoù ses mains se sont tendues sur la pâte subite du monde
le Poète est un cochon une plongée d’airen apesanteurIl est un poids dans l’insuffisance des chosesun majeur brandi aux insolences tranquillesla suture aux crachats des contusions un avenir de toiles ravalées
Il est une fulgurance rouge un souffle retenusa ligne des pôles s’est soudée à l’abandonet sa tête haute tenuedroite comme un canevas de cimentdroite comme une pointe d’agatecomme une échine de perleset droite encore par ses nuées immenses : c’est un doigt qui se pose sur l’imposture.
2.
SAISON BAROQUE 47
COLLABORATEURS
Coralie BeaudinAncienne étudiante en Lettres d’Édouard-Montpetit, Coralie étudie maintenant en création litté-raire à l’UQAR. Pour cette édition de la revue, elle s’immerge dans l’imaginaire du fleuve et explore la dualité qu’il entretient avec la ville.
Victor BéginÀ la maitrise en cinéma à l'Université de Montréal, Victor travaille l'écriture sous toutes ses formes, théâtrale y compris. Son travail est marqué par la fragmentation, à travers laquelle le poème devient ainsi un genre littéraire très riche.
Jérémy ChampagneJérémy Champagne est un poète du papier fatal, né dans un l’image d’un vers et mort à la fin d’un roman réaliste anglais.
Catherine CôtéCatherine Côté vit, pense, étudie et écrit à Montréal. Elle fait un doctorat en littérature et rêve d’aller se perdre à l’étranger. Catherine écrit de la poé-sie peuplée d’ancêtres et de forêt, et lit de vieux romans. Son rêve est de trouver une machine à voyager dans le temps et de devenir l’héroïne d’un roman de Tolstoï.
Vincent FilteauVincent Filteau est né à Saint-Jean-sur-Richelieu. Il a publié des poèmes et des essais dans des revues, telles que les Écrits et Saison baroque. Selon lui, le poème est notre dernier instinct.
Alex HandfieldUn des trois membres du trio poétique Carcajou Chien de Garde, on ne connaît rien de plus sur lui, outre qu’il écrit à quatre heures du matin parce que la nuit porte conseil.
Clément IsaacClément Isaac est né à Laval en 1992 et n’en a pas honte. Vous le connaissez peut-être : il ressemble à Monsieur Net (mais en plus mou). La littérature le rend anxieux. En effet, elle lui fait des menaces quand il ne lui écrit plus.
Axel JarryPassionné d'astronomie, Axel alterne entre l'écriture, le sommeil et les jeux vidéo. Ses poèmes abordent l'attente de la fin ainsi que les lieux qui existent dans une parfaite immobilité. Son rêve est de voir l'océan.
Jessica LambertÉtudiante en Lettres, elle terminera bientôt son parcours collégial. Elle compte poursuivre ses passions à l'université, où elle trouvera sans doute les mots qu'elle cherche.
Audrey-Anne MarchandNée en 1991 à Longueuil, Audrey-Anne Marchand remporte en 2010 la mention du Prix Piché pour sa suite « Je dis non aux histoires sans fin », conséquemment publiée aux Écrits des Forges. Son recueil Le carnet vide est par la suite publié en 2014 aux Éditions Fond’tonne. Après avoir complété une maîtrise en création litté-raire à l’Université McGill, elle se consacre à présent à l’écriture d’un second recueil, Jusqu’à réussir le négatif.
Francis Robindaine DuchesneFrancis est un étudiant en littérature à l’Université de Montréal et il écrit de la poésie depuis de nombreuses années. Il aime Kerouac et voyage souvent dans l’ouest. Il aime aussi la photo-graphie argentique, mais sa passion le ramène toujours aux vers libres. C’est un Montréalais dans l’âme.
Youssef SawanYoussef Sawan est pour l'instant un myope par-cellaire, un jour viendra sûrement où sa vision englobera les choses.
Toute l’équipe de la revue SAISON BAROQUE souhaite remercier la Direction des affaires étudiantes et communautaires, la Direction des études, la Fondation du cégep et la Coopérative pour leur soutien financier, Diane Lamarche, aux Services socioculturels, pour son aide précieuse, Céline Leblanc et la Direction des communications, affaires publiques et relations gouvernementales et le Département de littérature et de français sans lesquels ce numéro n’aurait pas pu voir le jour.
cegepmontpetit.ca
En une seule phrase nombreuse Gaston Miron