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20 Revue Marocaine de Rhumatologie Disponible en ligne sur www.smr.ma Le rhumatisme articulaire aigu (RAA ou maladie de Bouillaud) est l’une des maladies les plus répandues au monde, à tel point qu’elle constitue un problème de santé publique dans les pays de l’hémisphère sud avec 20 millions de sujets atteints, et approximativement 500.000 décès liés à cette pathologie par année, mais en nette régression à l’occident surtout après l’introduction des antibiotiques durant les années cinquante et la généralisation des mesures prophylactiques [1]. C’est une maladie inflammatoire réactionnelle à une infection streptococcique souvent pharyngée, caractérisée par son polymorphisme clinique important, dont le diagnostic est assuré par les critères de Jones modifiés en 1992, qui incluent des critères majeurs et d’autres mineurs associés à une preuve de l’infection streptococcique. La prise en charge thérapeutique repose sur l’éradication du foyer infectieux en cause, le traitement des différents symptômes inflammatoires, mais surtout la prophylaxie secondaire et primaire avec l’apparition des premiers essais du vaccin anti streptocoque. PATHOGÉNIE Les signes de la maladie surviennent 2 à 3 semaines après l’infection streptococcique qui est souvent Résumé Le rhumatisme articulaire aigu est une maladie inflammatoire réactionnelle à une infection streptococcique, souvent pharyngée, fréquente en bas âge et qui sévit encore à l’état endémique dans les pays sous-développés, avec plus de 20 millions sujets atteints et 500.000 décès liée à cette pathologie. La pathogénie de la maladie a dépassé le rôle du streptocoque β hémolytique du groupe A, avec ses particularités structurales, pour inculper l’hôte en mettant en évidence une liaison aux allèles de CMH classe II (HLA DR4, DR2, DR1, DRW6), qui pourrait expliquer l’incidence élevée chez certaines ethnies. Les critères de Jones modifiés en 1992 ont été validés par un groupe d’expert en l’an 2000, pour faciliter le diagnostic de la première poussée de RAA, grâce à des critères majeurs et mineurs associés une preuve d’infection streptococcique. La prise en charge thérapeutique devrait être précoce en visant le foyer infectieux et les manifestations inflammatoires, et surtout différée par les mesures prophylactiques, en attendant les résultats des premiers essais de vaccination. Mots clés : Cardite, polyarthrite; Prophylaxie; RAA; Streptocoque. Abstract Acute rheumatic fever (ARF) is a reactive inflammatory condition due to a streptococcal infection, often pharyngeal, frequently observed in childhood and remaining at higher prevalence in underdeveloped countries, with more than 20 million involved people and 500,000 deaths annually. Pathogenesis has evolved from the role of β hemolytic group A streptococcus with its structural particularities, to indict the host by identifying linkages to class II CMH allels (HLA DR4, DR2, DR1, DRW6), which may explain the higher incidence in some ethnics. The 1992 modified Jones criteria have been validated by an expert group in 2000, in order to facilitate the diagnosis of the first ARF flare, thanks to major and minor criteria associated with the evidence of a recent streptococcal infection. Management should include early treatment by aiming at fighting infection and inflammation, and more importantly prophylaxis. Promising vaccines are under development. Key words : Carditis; Polyarthritis; Prophylaxis; ARF; streptococcus. Rhumatisme articulaire aigu : mise au point et perspectives Acute rheumatic fever : update and perspectives Khalid Testas 1 , Samy Slimani 2 . 1 Service de médecine, Etablissement Hospitalier Publique El Khroub, Constantine – Algérie 2 Département de Médecine, Université de Batna, Batna – Algérie. Rev Mar Rhum 2015;31:20-6 Correspondance à adresser à : Dr. K. Testas Email : [email protected] DOSSIER RHUMATISMES ET INFECTIONS

Rhumatisme articulaire aigu : mise au point et perspectives

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Revue Marocaine de Rhumatologie

Disponible en ligne sur

www.smr.ma

Le rhumatisme articulaire aigu (RAA ou maladie de Bouillaud) est l’une des maladies les plus répandues au monde, à tel point qu’elle constitue un problème de santé publique dans les pays de l’hémisphère sud avec 20 millions de sujets atteints, et approximativement 500.000 décès liés à cette pathologie par année, mais en nette régression à l’occident surtout après l’introduction des antibiotiques durant les années cinquante et la généralisation des mesures prophylactiques [1]. C’est une maladie inflammatoire réactionnelle à une infection streptococcique souvent pharyngée, caractérisée par son polymorphisme clinique important, dont le diagnostic est

assuré par les critères de Jones modifiés en 1992, qui incluent des critères majeurs et d’autres mineurs associés à une preuve de l’infection streptococcique. La prise en charge thérapeutique repose sur l’éradication du foyer infectieux en cause, le traitement des différents symptômes inflammatoires, mais surtout la prophylaxie secondaire et primaire avec l’apparition des premiers essais du vaccin anti streptocoque.

Pathogénie

Les signes de la maladie surviennent 2 à 3 semaines après l’infection streptococcique qui est souvent

RésuméLe rhumatisme articulaire aigu est une maladie inflammatoire réactionnelle à une infection streptococcique, souvent pharyngée, fréquente en bas âge et qui sévit encore à l’état endémique dans les pays sous-développés, avec plus de 20 millions sujets atteints et 500.000 décès liée à cette pathologie. La pathogénie de la maladie a dépassé le rôle du streptocoque β hémolytique du groupe A, avec ses particularités structurales, pour inculper l’hôte en mettant en évidence une liaison aux allèles de CMH classe II (HLA DR4, DR2, DR1, DRW6), qui pourrait expliquer l’incidence élevée chez certaines ethnies. Les critères de Jones modifiés en 1992 ont été validés par un groupe d’expert en l’an 2000, pour faciliter le diagnostic de la première poussée de RAA, grâce à des critères majeurs et mineurs associés une preuve d’infection streptococcique. La prise en charge thérapeutique devrait être précoce en visant le foyer infectieux et les manifestations inflammatoires, et surtout différée par les mesures prophylactiques, en attendant les résultats des premiers essais de vaccination.

Mots clés : Cardite, polyarthrite; Prophylaxie; RAA; Streptocoque.

abstractAcute rheumatic fever (ARF) is a reactive

inflammatory condition due to a streptococcal

infection, often pharyngeal, frequently observed

in childhood and remaining at higher prevalence

in underdeveloped countries, with more than 20

million involved people and 500,000 deaths

annually. Pathogenesis has evolved from the

role of β hemolytic group A streptococcus with

its structural particularities, to indict the host

by identifying linkages to class II CMH allels

(HLA DR4, DR2, DR1, DRW6), which may explain

the higher incidence in some ethnics. The 1992

modified Jones criteria have been validated by

an expert group in 2000, in order to facilitate

the diagnosis of the first ARF flare, thanks to

major and minor criteria associated with the

evidence of a recent streptococcal infection.

Management should include early treatment by

aiming at fighting infection and inflammation,

and more importantly prophylaxis. Promising

vaccines are under development.

Key words : Carditis; Polyarthritis;

Prophylaxis; ARF; streptococcus.

Rhumatisme articulaire aigu : mise au point et perspectivesAcute rheumatic fever : update and perspectives

Khalid Testas1, Samy Slimani2.1 Service de médecine, Etablissement Hospitalier Publique El Khroub, Constantine – Algérie2 Département de Médecine, Université de Batna, Batna – Algérie.

Rev Mar Rhum 2015;31:20-6

Correspondance à adresser à : Dr. K. TestasEmail : [email protected]

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pharyngée, ce qui a permis d’émettre l’hypothèse d’une maladie réactionnelle à une infection résolue avec des manifestations inflammatoires auto-immunes. Le streptocoque β hémolytique du groupe A de Lancefield est une bactérie cocci à gram positif groupée en paires ou en chainettes, négative pour l’activité catalase, aèro-anaérobie facultative, responsable d’une hémolyse sur gélose enrichie de sang [2].

L’infection oro-pharyngée à répétition serait nécessaire pour déclencher la réponse immunitaire et donc le premier épisode de RAA. Elle est caractérisée par la présence d’une capsule faiblement immunogène constituée de protéines (M,R ,T) et de polysaccharides, mais sa virulence est liée à la protéine M , dont le gène codant emm connait un polymorphisme important (plus de 100 allèles) [3], et l’interaction avec le système immunitaire induit la formation des anticorps qui peuvent réagir avec des auto-antigènes qui reconnaissent des similitudes structurales (myosine, synoviale, endocarde…), responsable ainsi des différentes manifestations inflammatoires. (figure 1).

L’hypothèse d’une susceptibilité individuelle a été soulignée par plusieurs auteurs devant l’incidence remarquablement

élevée chez certaines ethnies comme les autochtones d’Australie, et les aborigènes de la nouvelle Zélande, et aussi la liaison à des allèles de CMH classe II (HLA DR4 et DR2) chez les caucasiens et DR1, DRW6 chez les noirs d’Afrique du sud [4] (Figure 2).

Premier episode deRAA

Infections répétées àstreptocoque β hémolytique

Mimétisme moléculaire entre lestreptocoque et les antigenes de l’hote

Réponse immunitairelymphocytaire T exagérée

Episodes répétés de RAA

Evenement précipitant : infection à streptocoque détenant des

facteurs de virulances

Carditerhumatismale

Facteurs génétiques liés à l’hote

Scuseptibilitéindividuelle

Facteurs environementaux,surpeuplement

Figure 2 : Pathogénie du rhumatisme articulaire aigu

Figure 1 : Structure du streptocoque et antigenes.

Rhumatisme articulaire aigu : mise au point et perspectives

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aSPectS éPiDéMiologiqueS

Selon la WHO (World Health Organisation), 15,6 millions de personnes présentent une cardiopathie rhumatismale et 233.000 décès sont directement attribués au RAA [5]. Classiquement, le RAA est fréquent chez l’enfant de plus de deux ans et l’adolescent, rarement chez l’adulte, mais des cas ont été décrits jusqu’à l’âge de 45 ans [1]. L’incidence de la maladie est variable selon le pays et son niveau de développement, avec un gradient Nord-Sud évident durant ces dernières années, les pays industrialisés ont connu l’inversement de la courbe d’incidence depuis le début du 20ème siècle, et surtout après l’avènement des antibiotiques et la généralisation des mesures préventives ; par contre, le reste de l’hémisphère sud continue à connaitre des incidences élevées : 360/100.000 au Brésil (6), 30 en Tunisie [7] et 6,2 en Algérie (8) (Tableau 1).

DeScRiPtion clinique

Les différents signes cliniques sont inclus dans les critères diagnostiques de Jones révisés en 1992, avec un début souvent brutal survenant 2-3 semaines après un épisode de pharyngite parfois ayant passé inaperçue.

1. La fièvre

Souvent dépasse 38° à 40°, survenant dans un contexte de polyarthrite et d’asthénie, amenant parfois à discuter une origine infectieuse, mais aussi un fébricule ou apyrexie sont possibles, dont la prise d’anti inflammatoires devrait être précisée.

2. Manifestations articulaires

La polyarthrite est souvent présente (70% des enfants) [2],

précoce et présente des caractéristiques sémiologiques particulières : souvent d’apparition aigue, fugace et migratrice, touchant surtout les grosses articulations des membres inférieurs (genoux et chevilles), puis les hanches et celles des membres supérieurs (coudes et poignets). Une monoarthrite est possible, surtout au début évoquant une arthrite infectieuse, de même pour l’atteinte des petites articulations, du rachis lombo-sacré et cervical qui peuvent dérouter le diagnostic au début. Parfois, le tableau se limite à une polyarthralgie inflammatoire fugace et migratrice.

3. atteinte cardiaque

Les trois tuniques cardiaques peuvent être concernées par la réaction inflammatoire ; elle survient entre la 1ère et 2ème semaine après l’infection streptococcique, sa fréquence est variable selon les études mais globalement elle survient chez 70% des enfants [14]. L’examen clinique est primordial car l’atteinte cardiaque est souvent silencieuse et incite à étayer le diagnostic avec l’ECG et surtout l’échocardiographie. La péricardite sèche est souvent présente, mais un épanchement minime est possible, responsable d’un frottement péricardique et d’un micro voltage à l’ECG, l’échocardiographie dans ce cas est d’une grande importance. La myocardite est souvent d’expression électrocardiographique avec un trouble de la conduction auriculo-ventriculaire, mais une défaillance cardiaque gauche est possible, constituant une urgence thérapeutique, afin d’éviter des lésions irréversibles (Figure 3).

L’endocarde constitue la cible la plus fréquente de la réaction auto-immune avec comme site de prédilection les valves, donnant une insuffisance mitrale et/ou aortique, qui s’exprime cliniquement par un souffle, mais parfois n’est découverte qu’à l’échocardiographie, soulignant l’importance de cet examen chez n’importe quel enfant suspect de RAA. La pancardite avec atteinte des trois tuniques est rare, se manifestant par une insuffisance cardiaque aigue, pouvant engager le pronostic vital de l’enfant [15].

4. Manifestations neurologiques

La chorée de Sydenham constitue une complication rare et très évocatrice de la maladie, souvent d’apparition tardive (2 à 6 semaines après l’infection streptococcique), elle touche les filles plus que les garçons, avec une gravité potentielle quand elle survient chez la femme enceinte. Elle est caractérisée par des mouvements involontaires, désordonnés et explosifs, souvent associés à des troubles de la concentration, de

DoSSieR RhuMatiSMeS et infectionS

Tableau 3 : Incidence du RAA, études publiées depuis 1990.

Pays Année Age Incidence

Cernay et al, 1993 (9) Slovenia1990-

910-14 0-7

Carapetis et al, 2000 (10)

Australia 1987-96 5-14 508

Meira, 1995 (6) Brazil 1992 10-20 360

Padmavati, 2001 (11) Inde1984-

955-14 54

Kermani and Berah, 2001 (8)

Algérie997-2000

4-19 6.2

Kechrid, 1997 (7) Tunisie 1990 4-14 30

Baker et al, 2000 (12)Nouvelle zelande

1988-97 5-14 167

Eltohami et al, 1997 Quatar 1984-94 4-14 11.2

Omar, 1995 (13)Kuala

Lumpur1981-90 enfants 21.2

K. Testas et al.

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l’écriture et du langage, et disparait lors du sommeil et augmente à l’effort et l’émotion [16]. L’évolution se fait vers la guérison spontanée au bout de 2 à 3 semaines.

5. Manifestations cutanées

Les anciennes descriptions de la maladie ont été faites par des tableaux de peinture illustrant les nodules sous cutanés de Meynet, qui s’observaient dans les formes graves très inflammatoires. Ce sont des nodules indolores, siégeant en regard des surfaces osseuses, des tendons et des articulations (coudes, poignets, région occipitale et saillies vertébrales) (16). L’érythème marginé de Besniere est décrit chez 4 à 15% des patients, caractérisé par un rash évanescent, prédominant au niveau du tronc et s’étendant d’une façon centrifuge, disparaissant généralement au bout de quelques heures [16].

6. autres manifestations

Parfois, l’expression est très polymorphe et trompeuse :

tableau pseudo-chirurgical, douleur abdominale, malaise, anémie et épistaxis ou tachycardie persistante en dehors de toute accès fébrile.

quelleS exPloRationS DeManDeR ?

Les examens complémentaires à demander en cas de suspicion de rhumatisme articulaire aigu ont pour objectif :

• De prouver l’infection streptococcique,

• De démontrer le caractère inflammatoire de la maladie,

• D’établir une cartographie des atteintes organiques liées à cette maladie.

1. Prouver l’infection streptococcique

Le prélèvement de la gorge est fait dès la première consultation, avant toute antibiothérapie, à la recherche du streptocoque β hémolytique du groupe A, mais les porteurs sains sont fréquents, rendant l’interprétation difficile. Les anticorps antistreptolysine O (ASLO), dont la positivité prouve une infection récente dans un délai de 4 à 5 semaines, il est recommandé de faire deux prélèvements à 2 semaines d’intervalle pour s’assurer de la séroconversion, avec un seuil de positivité de 200 UI/ml [17]. Les autres anticorps : antihyaluronidase, antistreptokinase et anti DNAase, ne sont demandés que dans les cas limites tel que la négativité des ASLO. Enfin, le test de détection rapide de l’antigène streptocoque « strep », utilisé en consultation, a une bonne spécificité (95%), mais quand le test est négatif, ça ne peut en aucun cas éliminer une infection streptococcique.

2. Bilan inflammatoire

Une élévation de la CRP et de la vitesse de sédimentation est un signe qui prouve le caractère inflammatoire de la maladie, avec une évolution parallèle aux différentes manifestations cliniques [16]. Le liquide synovial prélevé des grosses articulations est souvent de formule inflammatoire, riche en polynucléaire, mais stérile.

3. impact de la maladie

La radiographie standard des articulations est souvent sans anomalies, hormis un gonflement des parties molles. L’ECG est systématique à la recherche des signes indirects d’une péricardite (microvoltage), ou d’une myocardite (trouble de la conduction et allongement de l’espace PR) [14]. L’échocardiographie, même en absence des signes d’appels cardiaques, est indiquée à la recherche d’une valvulopathie mitrale ou aortique, un épanchement péricardique et évaluer la taille et la fonction du ventricule gauche [14,15].

Rhumatisme articulaire aigu : mise au point et perspectives

Figure 3 : Allongement de l’espace PR au cours d’une myocardite

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4. Voies de diagnostic prometteuses

Le polymorphisme des signes cliniques, accusant souvent un retard diagnostique, a poussé la recherche vers des marqueurs prédictifs de la maladie, en se basant sur ses mécanismes physiopathologiques. La génomique et la protéomique spécifique des streptocoques, constitue une voie privilégiée pour trouver un marqueur fiable.

Le niveau sérique des molécules d’adhésion (E-selectin, VCAM-1 et ICAM-1), pourrait constituer un facteur prédictif d’une valvulopathie cardiaque et aussi un critère diagnostique d’une infection streptococcique [16]. SpeB (streptococcus pyogènes exotoxine B) est une cystéine protéase qui dégrade des protéines sériques, dont les facteurs du complément, des immunoglobulines et des protéines de la matrice extracellulaire, ce qui facilite l’évasion de la bactérie dans l’hôte et sa déposition dans ses sites privilégiés, donc ça pourrait constituer un biomarqueur prometteur pour le diagnostic et l’évaluation pronostique. Le facteur d’opacité du sérum (SOF) est une protéine exprimée par plusieurs souches de streptocoque, jouant un rôle important dans sa pathogénie, en facilitant son adhésion aux cellules de l’hôte, et dans la résistance à la phagocytose ; plusieurs essais sont en cours en le ciblant comme un vaccin [17].

DiagnoStic PoSitif

Jusqu’à ce moment, il n’y a pas un examen qui confirme la maladie, mais le diagnostic se fait grâce à un faisceau d’arguments cliniques et biologiques après avoir prouvé une infection streptococcique. Les critères de Jones 1944 ont été les premiers utilisés, puis révisés en 1992, et validé par un groupe d’experts en 2000 [18]. La documentation d’une infection streptococcique, associée à deux critères majeurs ou un critère majeur et deux mineurs, permet de rendre le diagnostic d’un rhumatisme articulaire aigue fortement possible.

eVolution et coMPlicationS

L’évolution des différents symptômes est souvent favorable à court terme, avec disparition des signes inflammatoires articulaires au bout de 2 à 4 semaines, de même pour la fièvre, la péricardite et la myocardite qui régressent sans séquelles sous anti inflammatoires.

Le bilan biologique inflammatoire constitue un moyen de surveillance très important dont la normalisation signe la régression de la poussée ; par contre, la persistance d’une élévation de la CRP et /ou la VS pourrait être en rapport avec une cardite encore active. La gravité de la maladie est liée à l’atteinte de l’endocarde qui survient souvent après plusieurs poussées et qui laissera des séquelles valvulaires responsables d’une insuffisance mitrale et/ou aortique, dont l’évolution ultérieure se fait vers l’insuffisance cardiaque ou la greffe oslérienne en absence de remplacement valvulaire.

PRiSe en chaRge théRaPeutique

Aucune étude contrôlée randomisées n’a été faite pour tester les différents traitements du rhumatisme articulaire aigue. Le traitement du RAA repose sur l’éradication de l’infection streptococcique, stopper le processus inflammatoire avec traitement des différents symptômes, et surtout prévenir une éventuelle rechute. L’hospitalisation est nécessaire en cas de cardite, d’arthrite sévère ou d’atteinte neurologique ; la durée est variable selon la sévérité des symptômes, mais généralement jusqu’à normalisation du bilan inflammatoire.

1. L’antibiothérapie antistreptococcique

Elle n’a aucun impact sur l’évolution des symptômes inflammatoires, mais le but est d’éradiquer toute foyer infectieux streptococcique surtout pharyngé. Une injection intramusculaire de benzathine benzylpénicilline G (extencilline®), à raison de 1,2 millions UI si le poids ≥ 27 kg, et de 0,6 millions UI si le poids ≥ 27 kg est souvent

DoSSieR RhuMatiSMeS et infectionS

Le diagnostic de RAA :• Deux critères majeurs, ou un critère majeur et deux mineurs.

• Et preuve d’infection streptococcique.

Les critères majeurs :• Cardite.

• Polyarthrite.

• Chorée.

• Erythème marginé.

• Nodule sous cutanée.

Les critères mineurs :• Fièvre.

• Arthralgies.

• Antécédents de RAA ou cardiopathie rhumatismale.

• Syndrome inflammatoire biologique (VS, CRP).

• Allongement de l’espace PR à l’ECG.

Preuve d’infection streptococcique :• Elévation des ASLO ou d’autres anticorps anti streptococciques.

• Culture du prélèvement de gorge positive pour streptocoque hémolytique du groupe A.

• Scarlatine récente.

Les critères de Jones 1992

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suffisante, mais un traitement par voie orale pénicilline V (oracilline®) à raison de 1 à 2 millions UI durant 10 jours est possible [20]. En cas d’allergie au β lactamines, le recours aux macrolides est nécessaire, azithromycine 12,5 mg/kg/j en mono prise, ou érythromycine 40 mg /kg/j.

2. Traitement anti inflammatoire

Le but est de contrôler le processus inflammatoire et les différents symptômes et surtout de préserver la fonction cardiaque.

Selon la présence ou non d’une cardite, on peut schématiser le traitement anti-inflammatoire comme suit :

• En absence d’une atteinte cardiaque : l’acide acétyle salicylique (aspirine®) à dose 100 mg/kg/j est utilisé en première intention chez les enfants, et 6 à 8 g/j chez l’adulte, l’objectif sera une salicylémie = 20 mg/dl avec amélioration des symptômes et normalisation du bilan inflammatoire, en moyenne arrêté au bout de 4 à 8 semaines.

• En cas de cardite : après avoir hospitalisé l’enfant, une corticothérapie est nécessaire à une posologie de 2 mg/kg/j d’équivalent prednisone pendant 2 à 4 semaines jusqu’à normalisation du bilan inflammatoire et disparition des signes cardiaques, puis une dégression progressive est nécessaire s’étalant sur 4 à 8 semaines [21].

• En tout cas le traitement anti-inflammatoire devrait être personnalisé selon la sévérité de la maladie, la réponse au traitement et l’évolution du bilan inflammatoire.

3. traitement symptomatique

La fièvre répand favorablement aux anti-inflammatoires et dès les premiers jours de prise, mais en cas de persistance malgré une dose efficace d’aspirine, une cardite sous diagnostiquée est à craindre. L’insuffisance cardiaque nécessite un régime sans sel associé à un diurétique et corticoïde, mais dans les formes sévères le recours aux digitaliques et aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine est souvent nécessaire.

L’atteinte neurologique représentée surtout par la chorée répond mal aux corticoïdes et nécessite souvent le recours au diazépam ou phénobarbital, si en l’absence de réponse à l’halopéridol (0,25 – 0,5 mg/kg/j) ou à la carbamazipine (7 – 20 mg/kg/j) [22].

4. Prophylaxie du RAA

a. Prophylaxie primaire

Doit passer par la prise en charge des facteurs de risque

de l’infection streptococcique : pauvreté, hygiène et éducation sanitaire. Traitement précoce des infections pharyngées avec de l’oracilline 2-3 millions UI/j pendant 1O jours, ou une injection de benzathine benzylpénicilline 0,6 – 1,2 millions UI selon le poids.

b. Prophylaxie secondaire

A commencer juste après la première poussée afin d’éviter d’autres, la voie intramusculaire est la plus adaptée pour une prophylaxie au long cours, en utilisant le benzathine benzylpénicilline à raison d’une injection intramusculaire 0,6-1,2 millions unités dont le poids limite entre les deux doses est 27 kg, chaque 3 à 4 semaines. En cas d’allergie aux β lactamines le recours à l’érythromycine est nécessaire.

La durée de cette prophylaxie est variable selon la présence d’une atteinte cardiaque et sa sévérité :

• En absence d’une atteinte cardiaque : la durée est de 5 ans ou jusqu’à l’âge de 18 ans.

• En cas de cardite moyenne : la prophylaxie doit durer 10 ans ou jusqu’à l’âge de 25 ans.

• En cas de cardite sévère ou après prothèse valvulaire : la prophylaxie est à vie [21].

c. Vaccin anti streptocoque

Le streptocoque est une bactérie avec capsule dont la structure est faite de protéines membranaires (M, R, T) et de polysaccharides, sa virulence est liée à la protéine M qui connait un polymorphisme important (80 sérotypes), et codée par le gene « emm » (plus de 100 allèles différents) et présente une similitude structurale avec la myosine. La plupart des recherches menées actuellement pour trouver un vaccin anti streptocoque sont en train de cibler des épitopes sur la protéine M, mais plusieurs obstacles ont retardé son apparition : la rareté des épitopes communs entre les différents souches, et aussi les seules découvertes sont faiblement immunogènes pour induire des anticorps protecteurs et des lymphocytes T [22]. Une voie très prometteuse concerne un épitope de 28 acides aminés situés sur la région J8 de la protéine M, qui semble être efficace selon les premiers essais.

concluSion

Le rhumatisme articulaire aigu constitue un problème de santé publique dans les pays qui connaissent des difficultés à trouver une relance socio-économique. Le diagnostic est essentiellement clinique, et les critères de Jones 1992 permettent d’aider le clinicien dans sa démarche. Le dépistage d’une atteinte cardiaque surtout

Rhumatisme articulaire aigu : mise au point et perspectives

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valvulaire, devrait être systématique chez les enfants, et la prophylaxie d’une infection streptococcique constitue la pièce maitresse de la prise en charge globale de cette maladie, en attendant les résultats des premiers essais d’un vaccin efficace.

DécLARATion D’inTéRêT

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

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