Risques, incertitudes et solutions économiques face à un ...Climate Casino. Risk, Uncertainty, and Economics for a Warming World by William Nordhaus. ... 9782807325296_INT_001_352_CASINO_CLIMATIQUE.indd

Risques, incertitudes et solutions économiques

face à un monde en réchauffement

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jérôme Duquène et Françoise Rajewski

William Nordhaus

9782357454309_INT_001_352_CASINO_CLIMATIQUE.indd 3 06/05/2019 09:27

Crédits photos de couverture :pixelrobot – stock.adobe.commozZz – stock.adobe.com

© De Boeck Supérieur s.a., 2019 1re éditionRue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve Pour la traduction en langue française

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Nouveaux Horizons est la branche édition d’Africa Regional Services (ARS), qui fait partie du Bureau des affaires africaines du département d’État américain. Les éditions Nouveaux Horizons traduisent et publient en français des livres d’auteurs américains et les commercialisent en Afrique subsaharienne, au Maghreb et en Haïti.

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Distribution Nouveaux Horizons – ARS, Paris, 2019, pour l’Afrique francophone et Haïti.

ISBN : 978-2-35745-430-9

Tous droits réservés pour tous pays.Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Dépôt légal : Bibliothèque nationale, Paris : juin 2019 Bibliothèque Royale de Belgique, Bruxelles : 2019/13647/082

Ouvrage original :Climate Casino. Risk, Uncertainty, and Economics for a Warming World by William Nordhaus.

Copyright © 2013 by William Nordhaus.Originally published by Yale University PressAll rights reserved


Remerciements

L’auteur souhaite souligner les précieuses contributions apportées à la modélisation de l’énergie par feu l’économiste de Stanford Alan Manne, qui fit œuvre de pionnier dans cette discipline tant par ses méthodes que par sa modélisation empirique. D’autres, qui ont participé aux avancées réalisées dans ce domaine, ont fourni suggestions et critiques bienveillantes sur le présent travail, parmi lesquels George Akerlof, Lint Barrage, Scott Barrett, Joseph Boyer, William Brainard, William Cline, Noah Diffenbach, Jae Edmonds, Alan Gerber, Ken Gillingham, Jennifer Hochschild, Robert Keohane, Charles Kolstad, Tom Lovejoy, David Mayhew, Robert Mendelsohn, Nebojsa Nakicenovic, David Popp, John Reilly, Richard Richels, John Roemer, Tom Rutherford, Jeffrey Sachs, Herbert Scarf, Robert Stavins, Nick Stern, Richard Tol, David Victor, Martin Weitzman, John Weyant, Zili Yang, Janet Yellen et Gary Yohe, ainsi que nombre de relecteurs et personnes de référence ano-nymes.

Ce livre est parvenu à son élégante forme finale grâce aux efforts habiles et acharnés du personnel de Yale University Press, à New Haven. Ils ont guidé l’auteur et fait d’innombrables suggestions afin d’améliorer la forme autant que le fond. Des remerciements particuliers doivent être adressés à la responsable éditoriale Jean Thomson Black qui, des gribouillis électroniques au livre publié et au-delà, a mené à bien cette entreprise. Sara Hoover, assistante d’édition, s’est montrée experte en résolution de problèmes. Mary Pasti, réviseuse de manus-crits, Lindsey Voskowsky, conceptrice graphique, et Maureen Noonan, responsable de la production, ont apporté une aide tout aussi pré-cieuse. Bill Nelson a réalisé le graphisme. Debbie Masi et Westchester Publishing Services ont fait des fichiers électroniques de belles pages imprimées. L’art de la publication de livres est un autre rappel de l’ob-servation d’Adam Smith que les « plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail […] sont dues à la division du travail ».

Je salue tout spécialement la mémoire de mes professeurs et parfois collaborateurs qui ont inauguré des domaines essentiels au développement de l’économie du changement climatique, en particulier


8 Le casino climatique

Tjalling Koopmans, Robert Solow, James Tobin et Paul Samuelson. Les recherches sous-tendant ce livre ont été généreusement supportées par l’université Yale, la U.S. National Science Foundation*, le ministère de l’Énergie des États-Unis et la Glaser Foundation. Cet ouvrage se veut une vue d’ensemble sur la discipline plutôt qu’une monographie de recherches originales. Nombre de chapitres sont parus sous une forme technique dans de plus anciennes publications. Toutefois, la plupart des explications, graphiques et tableaux ont été conçus expressé-ment pour ce livre.

* Fondation nationale des États-Unis pour la science. [Toutes les notes de bas de page sont dutraducteur.]


Partie 1La genèse du changement

climatique

« Le risque varie en raison inverse de la connaissance. »

Irving Fisher


1Premières rencontres

dans le Casino climatique

Si vous lisez le journal, écoutez la radio ou consultez les blogs, vous êtes presque assuré de trouver des sujets sur le réchauffement clima-tique. Voici un échantillon puisé à diverses sources :

– La dernière décennie a été la plus chaude jamais enregistrée.

– Le fait le plus gênant est l’absence de réchauffement planétaire depuis maintenant bien plus de dix ans.

– Les ours polaires pourraient disparaître dans moins d’un siècle.

– Les prétentions de réchauffement climatique sont un canular.

– L’inlandsis du Groenland a subi une fonte record1.

Il ne fait aucun doute que le réchauffement planétaire jouit, de nos jours, d’une grande attention. Et il ne fait pas plus de doute que les gens sont en désaccord sur sa réalité, son ampleur et ce qu’il signifie pour les sociétés humaines. Que devrait conclure le citoyen intéressé de tous ces comptes rendus contradictoires ? Et, si la réponse est que le réchauffement climatique est réel, dans quelle mesure est-il important ? Où devons-nous placer nos inquiétudes en matière de réchauffement climatique par rapport aux autres problématiques aux-quelles nous sommes confrontés, telles que la persistance du chômage, une dette publique croissante, les conflits de basse intensité et la pro-lifération nucléaire ?

Une réponse brève consiste à dire que le réchauffement global est une menace majeure pour les êtres humains et le monde naturel. Je filerai une métaphore : nous entrons dans le Casino climatique. J’entends par là que la croissance économique produit, dans le système



climatique et le système Terre, des changements non désirés mais dangereux. Ces changements vont à leur tour entraîner des conséquences imprévisibles et probablement périlleuses. Nous lançons les dés du climat ; il en résultera des surprises, et certaines risquent fort de se révéler funestes. Mais nous venons juste d’entrer dans ce Casino climatique, et il n’est pas trop tard pour tourner les talons et en ressortir. Ce livre décrit les aspects scientifiques, économiques et politiques en jeu, ainsi que les mesures nécessaires pour défaire ce que nous sommes en train de faire.

Itinéraire du voyage que nous entreprenons

Le réchauffement climatique est l’une des problématiques majeures de notre époque. À côté des conflits violents et des dépressions économiques, il figure parmi les forces qui dessineront les paysages humain et naturel de l’avenir encore indéterminé. Le réchauffement climatique est aussi un sujet complexe. Il couvre des disciplines allant de la climatologie, l’écologie et l’ingénierie fondamen-tales à la science économique, la politique et les relations internationales. Il en découle un livre aux chapitres nombreux. Avant d’embarquer pour un voyage au long cours, le lecteur pourra trouver utile de consulter la carte afin de décou-vrir l’itinéraire qui l’attend. Voici les cinq thèmes principaux abordés dans les cinq parties qui suivent.

La première partie dresse un état des lieux de la science du réchauf-fement global. La climatologie est un domaine dynamique, mais ses éléments essentiels ont été développés par les climatologues au cours du siècle dernier et sont bien établis.

La source ultime du réchauffement climatique est la combustion de car-burants fossiles (ou carbonés) tels que le charbon, le pétrole et le gaz naturel, qui entraîne des émissions de dioxyde de carbone (CO2). On qualifie les gaz comme le CO2 de gaz à effet de serre (GES). Ceux-ci s’accumulent dans l’atmo-sphère et y demeurent longtemps. De plus fortes concentrations atmo sphériques de GES provoquent un réchauffement de surface des terres et des océans. Ces premiers impacts de réchauffement sont amplifiés par des effets de rétroaction dans l’atmo sphère, les océans, les nappes glaciaires et les systèmes biologiques. Les incidences qui en résultent sont des modifications des températures ainsi que des effets sur les extrêmes de température, les configurations de précipi-tations, l’emplacement et la fréquence des tempêtes, les manteaux neigeux, l’écoulement des cours d’eau, la disponibilité de l’eau et les nappes glaciaires. Chacun de ces éléments influera en profondeur sur les activités biologiques et humaines sensibles au climat.

Les climats du passé – allant d’une Terre dénuée de glace à la Terre boule de neige – étaient les produits de causes naturelles. Le changement climatique actuel résulte, quant à lui, de plus en plus des activités humaines. Le principal moteur du réchauffement planétaire réside dans les émissions de CO2 dues à la


Premières rencontres dans le Casino climatique 13

combustion de carburants fossiles. Les concentrations de CO2 dans l’atmo sphère s’élevaient à 280 parties par million (ppm) en 1 750 et ont aujourd’hui atteint 390 ppm. Les modèles prédisent qu’à défaut de mesures fermes pour réduire l’uti-lisation des combustibles fossiles, elles grimperont jusqu’à 700-900 ppm d’ici à 2100. Selon les modèles climatiques, cela entraînera un réchauffement moyen à l’échelle planétaire de l’ordre de 3 à 5 °C en 2100 et un réchauffement encore croissant et significatif par la suite. À moins d’un ralentissement majeur de la croissance économique ou de mesures énergiques pour infléchir considérablement les émissions de CO2, on peut donc s’attendre à des accumulations continues de CO2 dans l’atmo sphère – et au réchauffement planétaire qui s’ensuit, avec toutes les conséquences qu’il implique.

La deuxième partie analyse les impacts du changement climatique. Les inquiétudes de premier plan ne portent pas sur la température en soi mais sur les effets subis par les systèmes humains et naturels. Un concept fondamental dans l’analyse des impacts consiste en ce qu’un système peut être géré ou non. Les secteurs non agricoles des pays à revenu élevé sont hautement gérés, carac-téristique qui permettra à ces secteurs de s’adapter au changement climatique moyennant des coûts relativement faibles, au moins pendant quelques décennies.

Néanmoins, nombre de systèmes humains et naturels sont non gérés ou ingérables, et hautement vulnérables au changement climatique à venir. Si certains pays ou secteurs pourraient bénéficier du changement climatique, d’importantes perturbations sont probables dans des domaines étroitement liés aux systèmes physiques sensibles au climat. Les dégâts potentiels risquent de se concentrer fortement sur les régions à faible revenu et tropicales telles que l’Afrique tropicale, l’Amérique latine, les États côtiers et le sous-continent indien. Ces systèmes vulnérables sont notamment l’agriculture pluviale, les manteaux neigeux saisonniers, les régions côtières, l’écoulement des cours d’eau et les éco-systèmes naturels. Dans ces domaines, les impacts risquent de s’avérer graves.

Les scientifiques sont particulièrement préoccupés par les « seuils de bas-culement » dans les systèmes terrestres. Ils concernent des processus au sein desquels des changements soudains et irréversibles se produisent lorsque ces systèmes franchissent des seuils. Nombre d’entre eux s’opèrent à une si grande échelle qu’ils sont matériellement immaîtrisables par les humains à l’aide des technologies existantes. Quatre seuils de basculement planétaires sont la fonte rapide des grandes nappes glaciaires (comme le Groenland), les modifications de grande ampleur des courants marins, comme le Gulf Stream, les processus de rétroaction, par lesquels le réchauffement produit plus de réchauffement, et le réchauffement accru à long terme. Ces seuils de basculement représentent des dangers énormes, car, une fois amorcés, ils sont difficilement réversibles.

La troisième partie traite des aspects économiques des stratégies visant à ralentir le changement climatique. Il existe plusieurs stratégies possibles à cet effet, mais la plus prometteuse est l’« atténuation », soit la réduction des émissions de CO2 et autres GES. Malheureusement, cette approche est coûteuse.



Les études indiquent qu’il en coûtera de l’ordre de 1 à 2 % du revenu mondial (entre 600 et 1 200 milliards de dollars par an au niveau d’aujourd’hui) pour atteindre les objectifs climatiques internationaux, même si elle est entreprise efficacement. Bien que certaines percées technologiques miraculeuses soient concevables, qui pourraient réduire considérablement les coûts, les experts ne les envisagent pas pour un avenir proche.

L’économie du changement climatique est simple. Lorsque nous brûlons des combustibles fossiles, nous rejetons malencontreusement du CO2 dans l’atmo -sphère, ce qui entraîne un grand nombre d’effets potentiellement nocifs. Un tel processus est une « externalité », qui se produit parce que ceux qui génèrent ces émissions ne paient pas pour jouir de ce privilège et que ceux qui en souffrent ne sont pas compensés. Une leçon primordiale de la science économique veut que les marchés non réglementés ne puissent pas traiter de façon efficace les externalités nuisibles. Dans le cas présent, les marchés non réglementés pro-duiront trop d’émissions de CO2, car le prix des dommages externes causés par les émissions de CO2 est nul. Le réchauffement climatique est une externalité particulièrement épineuse, parce qu’il est planétaire et s’étend sur des décen-nies à venir.

La science économique met en évidence une vérité qui dérange en matière de politique climatique : pour qu’une politique soit efficace, elle doit majorer le prix du marché des émissions de CO2 et autres GES. L’attribution d’un prix aux émissions vient corriger la sous-évaluation de l’externalité sur le marché. Le prix peut être majoré en imposant une limite négociable régle-mentaire à la quantité d’émissions admissible (« plafonnement et échange ») ou en levant une taxe sur les émissions carbonées (une « taxe carbone »). Un enseignement fondamental de l’histoire de l’économie réside dans le pouvoir des incitations. Pour ralentir le changement climatique, l’incitation doit garan-tir que tout le monde – les millions d’entreprises et les milliards d’individus qui dépensent des milliers de milliards de dollars – remplacera progressive-ment sa consommation actuelle reposant sur les combustibles fossiles par des activités peu carbonées. L’incitation sera d’autant plus efficace que le prix du carbone sera élevé.

L’augmentation du prix du carbone servira quatre objectifs. Premièrement, elle signalera aux consommateurs quels biens et services ont une forte teneur en carbone et devraient donc être consommés avec plus de parcimonie. Deuxièmement, elle signalera aux producteurs quels intrants renferment beaucoup de carbone (tels le charbon et le pétrole) et lesquels consomment moins ou pas de carbone (tels le gaz naturel et l’énergie éolienne), encourageant de cette façon les entre-prises à se tourner vers des technologies peu voraces en carbone. Troisièmement, elle fournira au marché des incitations pour que les inventeurs, innovateurs et banques d’investissement inventent, financent, mettent au point et lancent des produits et processus consommant peu de carbone. Enfin, un prix du carbone permettra de réaliser des économies sur les informations nécessaires pour entre-prendre toutes ces tâches.



La quatrième partie examine les questions centrales de la politique cli-matique : Avec quelle rigueur les pays doivent-ils réduire leurs émissions de CO2 et autres GES ? À quelles échéances les réductions d’émissions doivent-elles être soumises ? Comment répartir les réductions entre les différents pays et indus-tries ? Quels outils politiques – taxes, plafonnements des émissions reposant sur un marché, réglementations ou subventions – sont les plus efficaces ?

Il est tentant de définir des objectifs climatiques stricts fondés sur l’his-toire du climat ou des principes écologiques. Mais une simple approche par les objectifs est inapplicable, car elle ignore les coûts à endurer pour atteindre le but. Les économistes défendent une approche connue sous le nom d’analyse coût-avantage, dans le cadre de laquelle les objectifs sont déterminés par le biais d’une mise en balance des coûts et des avantages.

Les mécanismes impliqués dans le changement climatique et ses impacts sont à ce point complexes que les économistes et les scientifiques s’en remettent à des modèles informatisés d’évaluation intégrée afin de prédire les tendances, d’évaluer les politiques et de calculer les coûts et les avantages. Une décou-verte majeure réalisée grâce à la modélisation d’évaluation intégrée consiste en ce que les politiques de réduction des émissions doivent être mises en œuvre sans attendre. Les politiques les plus efficaces sont celles qui nivellent les coûts différentiels ou marginaux de la réduction des émissions dans tous les secteurs et pays. Des politiques efficaces doivent bénéficier de la plus grande « partici-pation » possible ; c’est-à-dire que le maximum de pays et de secteurs doivent être au plus tôt de la partie. Le comportement du passager clandestin doit être découragé. En outre, une politique efficace se renforce progressivement – aussi bien pour accorder aux individus le temps de s’adapter à un monde où le prix du carbone est élevé que pour serrer de plus en plus la vis aux émissions carbonées.

Alors que toutes les approches s’accordent sur les trois principes centraux – participation universelle, nivellement des coûts marginaux dans tous les usagespour une année donnée et rigueur croissante au fil du temps –, de grandes diffé-rences divisent les analystes sur la rigueur des politiques. Notre analyse suggèreque les politiques doivent viser une limitation de la hausse de la température àune fourchette située entre 2 et 3 °C au-dessus du niveau de l’ère préindustrielle(considérée ici comme étant la température de 1900) en fonction des coûts, dutaux de participation et de l’actualisation. Un objectif exigeant est approprié siles coûts sont faibles, le taux de participation élevé et le taux d’actualisationdes effets économiques futurs faible. Un objectif moins exigeant s’appliquera àdes coûts élevés, un faible taux de participation et une actualisation élevée.

Une politique efficace doit nécessairement avoir une portée planétaire. Les premiers traités (tels que le protocole de Kyoto) se sont révélés inopérants parce qu’ils ne fournissaient aucune incitation favorisant la participation. Les pays ont de fortes incitations à se comporter en passagers clandestins, car les réductions d’émissions sont locales et coûteuses, alors que les avantages sont diffus et éloignés dans l’espace comme dans le temps. Un accord mondial efficace



exigera un mécanisme performant afin d’encourager la participation et de décou-rager le comportement du passager clandestin. L’approche la plus prometteuse consiste à imposer des droits de douane sur l’importation des produits et ser-vices des non-participants. Cela sera suffisamment pénalisant pour inciter la plupart des pays à participer à un régime climatique international.

Comme l’expose la cinquième partie, un diagnostic réaliste doit prendre en compte les obstacles considérables qui se dressent sur la voie de l’élaboration de politiques efficaces visant le ralentissement du réchauffement climatique. Bien que les climatologues aient réalisé des progrès remarquables dans la compréhension des tendances fondamentales, il s’est avéré difficile de mettre en œuvre des poli-tiques pour ralentir le changement climatique.

Une cause majeure de ces lents progrès réside dans le dilemme natio-naliste, qui mène au comportement du passager clandestin. Les pays qui ne participent pas à un accord mondial pour la réduction des émissions profitent des diminutions coûteuses supportées par les autres pays. Cette incitation conduit à une situation d’équilibre non coopératif dans le cadre duquel une minorité de pays mettent en œuvre des politiques climatiques rigoureuses – une situation qui ressemble étroitement à l’environnement politique international actuel. Ils parlent fort, mais le geste n’accompagne pas la parole. Un lien grâce auquel les non-participants seraient pénalisés à travers les droits de douane aiderait à atténuer le syndrome du passager clandestin.

En outre, il existe une tendance de la génération actuelle au comporte-ment du passager clandestin en ce qu’elle reporte sur les générations futures les coûts qu’entraînerait le traitement du problème du changement climatique. Le comportement du passager clandestin générationnel s’exerce parce que la plupart des avantages des réductions des émissions réalisées aujourd’hui ne seront per-ceptibles que dans des décennies.

La double difficulté du comportement du passager clandestin est aggravée par les groupes d’intérêts, qui ne font qu’embrouiller les débats en produisant des analyses trompeuses des coûts climatologiques et économiques. Ces climato-sceptiques mettent l’accent sur les anomalies et les questions scientifiques non résolues tout en ignorant les preuves convaincantes soutenant les prédictions actuelles de changement climatique et les travaux scientifiques sous-jacents. La nécessité de mettre en œuvre des politiques efficaces s’est révélée particuliè-rement difficile aux États-Unis, où l’opposition idéologique s’est renforcée alors même que l’inquiétude scientifique s’est progressivement exacerbée.

Trois mesures dès à présent

Les citoyens engagés se demandent naturellement ce que l’on peut faire pour ralentir dès à présent le cours du réchauffement planétaire. Il s’agit d’un pro-cessus complexe impliquant le public, l’économie et la technologie. J’insisterais sur trois éléments spécifiques sur lesquels se concentrer.



• Premièrement, les individus, où qu’ils se trouvent, doivent comprendre etadmettre la gravité des incidences du réchauffement climatique sur le mondehumain et naturel. Les scientifiques doivent poursuivre leurs recherchesintensives sur tous les aspects, des aspects scientifiques à l’écologie, enpassant par la science économique et les relations internationales. Le publicdoit se montrer méfiant à l’égard des affirmations claironnées par les contra-dicteurs, qui trouvent des kyrielles de raisons pour attendre des décenniesavant de prendre les mesures adéquates.

• Deuxièmement, les nations doivent élaborer des politiques majorant le prixdes émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Si ces mesures ren-contrent une résistance – comparable à notre aversion pour les médicamentsqui ont mauvais goût –, il s’agit pourtant d’éléments essentiels pour inflé-chir les émissions, promouvoir les technologies peu voraces en carbone et, cefaisant, vacciner notre planète contre la menace d’un réchauffement débridé.De plus, nous devons veiller à ce que ces actions soient mondiales plutôtque seulement nationales. Tandis que les politiques peuvent être locales etque l’opposition à des mesures strictes pour ralentir le réchauffement vientd’attitudes nationalistes, le ralentissement du changement climatique néces-site, quant à lui, une action mondiale coordonnée.

• Troisièmement, il est évident que le secteur énergétique doit rapidementopérer des avancées technologiques afin de passer à une économie peu car-bonée. Les technologies actuelles peu consommatrices de carbone ne peuventremplacer les combustibles fossiles sans une sanction économique substan-tielle des émissions carbonées. La mise au point de technologies peu voracesen carbone et bon marché réduira le coût de réalisation de nos objectifs enmatière climatique. En outre, si les autres politiques échouent, les techno-logies consommant peu de carbone seront la dernière chance d’atteindre cesobjectifs. Par conséquent, les États et le secteur privé doivent œuvrer enfaveur de technologies consommant peu de carbone, n’en consommant pasdu tout, voire en capturant.

Ces trois thèmes imprégneront tout ce livre : une conscience accrue du public, la tarification du carbone et des autres gaz à effet de serre, ainsi que l’accélération des recherches dans le domaine des technologies visant à décar-boner nos économies.

Le circuit du changement climatique, des effets et de la politique

La figure 1 nous permet de visualiser le propos de cet ouvrage ; elle représente le circuit logique des émissions aux effets et revenant enfin aux émissions, bou-clant ainsi la boucle.



La croissance économique génère des émissions de CO2

(voitures, chauffage, refroidissement,

voyages aériens…)

Les politiques climatiquesréduisent les émissions

(plafonnement et échange, taxe carbone,

réglementations…)

?

?

L’augmentation des concentrations de CO2 et d’autres forces entraînent le changement climatique (température, précipitations, élévationdu niveau de la mer…)

Le changement climatique infligedes effets écologiques et

économiques (moins bonnesrécoltes de céréales, inondations

côtières, acidificationdes océans…)

Figure 1 – Le circuit du phénomène scientifique du réchauffement climatique, de ses effets et de sa politique.

Il est instructif de prendre le temps de se pencher sur la logique de la figure 1. Le problème du réchauffement planétaire démarre dans la case supé-rieure gauche, où la croissance économique et les signaux de prix inadéquats en provenance du marché entraînent des émissions à croissance rapide de CO2 dans l’atmo sphère. La flèche mène ensuite à la case supérieure droite, où les concentrations de CO2 et d’autres forces provoquent des changements majeurs dans le système climatique.

Le climat changeant produit alors des incidences sur les systèmes humains et naturels dans la case inférieure droite. Enfin, la case inférieure gauche fait apparaître les réponses sociétales à la menace de changement climatique.

La première flèche de la figure 1 représente la relation entre les dif-férentes parties de l’enchaînement économie-climat-effets-politique-économie. Néanmoins, les deux dernières flèches sont en pointillé et marquées d’un point d’interrogation. Ces liens n’existent pas encore. En 2013, il n’existe aucun accord international en vigueur pour limiter les émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Si nous persistons dans cette voie de quasi-absence de politique, ces flèches en pointillé s’effaceront, et la planète poursuivra sa dangereuse trajec-toire de réchauffement sans limite.


Table des matières

Remerciements 7

Partie 1La genèse du changement climatique

1 Premières rencontres dans le Casino climatique 11Itinéraire du voyage que nous entreprenons 12Trois mesures dès à présent 16Le circuit du changement climatique, des effets et de la politique 17

2 Le conte de deux lacs 19Un point de vue personnel 20

3 Les origines économiques du changement climatique 23Pourquoi le changement climatique est-il un problème économique ? 23Pourquoi les émissions de dioxyde de carbone sont-elles en hausse ? 25Les modèles comme outils de compréhension 28Les modèles d’évaluation intégrée 33Les prévisions : principes de base 34Des trajectoires de CO2 incertaines dans le Casino climatique 36

4 Le changement climatique à venir 39La science du changement climatique 39Des émissions aux concentrations 40Comment les concentrations croissantes de CO2 modifient le climat 42Les prévisions du changement climatique à venir 44Les prévisions de température pour le siècle à venir 46D’importantes découvertes 49La roulette climatique 50

5 Les seuils de basculement du Casino climatique 51L’irrégularité des climats passés 52Un climat en équilibre précaire 54Une étrange cuvette pour illustrer les systèmes à équilibre précaire 55Les dangereux seuils de basculement du changement climatique 56La fonte possible de l’inlandsis du Groenland 60



Partie 2Les incidences du changement climatique

sur les systèmes humains et vivants6 Du changement climatique aux incidences 69

Systèmes gérés et non gérés 70Météo et climat 74Une vue d’ensemble de l’analyse des impacts 74

7 Le sort de l’agriculture 77Croissance économique, changement climatique et dommages du changement climatique 78L’incidence du changement climatique sur l’agriculture 81L’adaptation et les facteurs d’atténuation 83

8 L’incidence sur la santé humaine 89L’incidence potentielle du réchauffement sur la santé humaine 89Les risques sanitaires dans le contexte du développement économique 92L’adaptation et les facteurs d’atténuation 93

9 Les dangers pour les océans 97Des mers montantes 97Le télescope flou : imaginer les sociétés futures 98Le cas de la migration environnementale 99L’élévation du niveau de la mer et les systèmes côtiers 100Les impacts 104Les sites du patrimoine mondial 106L’acidification des océans 108Carbonation et acidification 109

10 L’intensification des ouragans 111L’effet du réchauffement climatique sur les ouragans 112Les incidences du réchauffement 113L’adaptation 115

11 La faune, la flore et les espèces en danger 117La sixième extinction de masse ? 117Le changement climatique et son potentiel pour les extinctions 119Le défi de l’estimation des services non marchands 120Estimer les écosystèmes et les espèces 121

12 L’addition des dommages causés par le changement climatique 129La vulnérabilité par secteur économique 130Les estimations des dommages agrégés 133Une prime de risque pour les dangers dans le Casino climatique 134Des réserves par rapport aux estimations 136

Partie 3Le ralentissement du changement climatique : stratégies et coûts

13 Faire face au changement climatique : adaptation et géo-ingénierie 143L’adaptation : apprendre à vivre avec le changement climatique 144La géo-ingénierie : contrecarrer le réchauffement climatique avec des volcans artificiels 146


Table des matières 351

14 Ralentir le changement climatique en réduisant les émissions : l’atténuation 151D’où viennent les émissions de CO2 ? 152Les émissions de CO2 du point de vue des ménages 154Les technologies de réduction du CO2 155Des technologies futuristes 159

15 Les coûts d’un ralentissement du changement climatique 163L’unité de mesure des coûts 164Estimer les coûts de réduction des émissions de CO2 165La courbe agrégée de réduction des coûts 167Le coût du respect des objectifs en matière de température mondiale 170

16 L’actualisation et la valeur du temps 175Notre premier emprunt immobilier 175Taux d’intérêt réel et nominal 176Un exemple d’actualisation 177Les déterminants de l’intérêt 177Consommation d’aujourd’hui et consommation de demain 178Les visions prescriptive et de coût d’opportunité de l’actualisation 179Les estimations de taux d’actualisation 180L’actualisation et la croissance 181L’application aux investissements du changement climatique 182L’éthique et l’actualisation 183Le lourd fardeau d’une actualisation très faible 184Synthèse des approches du ralentissement du changement climatique 186

Partie 4Politiques et institutions pour le ralentissement

du changement climatique17 Perspectives historiques sur les politiques climatiques 189

Les accords internationaux sur le changement climatique 190Les fondements scientifiques de l’objectif de 2 °C 191

18 La politique climatique par équilibrage des coûts et avantages 197L’analyse coût-avantage appliquée au changement climatique 198L’analyse coût-avantage avec seuils de basculement 203L’analyse coût-avantage au Casino 205Les critiques d’une application de l’analyse coût-avantage au changement climatique 207

19 Le rôle central du prix du carbone 211Qu’est-ce que le prix du carbone ? 212La majoration des prix par les permis échangeables ou les taxes 213Les fonctions économiques d’une tarification des émissions carbonées 215La tarification du carbone et l’éthique environnementale 216Fixer le bon prix du carbone 217L’impact du prix du carbone sur le prix de l’énergie 219La taxe carbone et le paysage fiscal 221

20 Les politiques climatiques au niveau national 223Les deux mécanismes de tarification du carbone 223Taxe carbone et plafonnement et échange : l’équivalence centrale 227


Taxe carbone et plafonnement et échange : les différences importantes 228Les hybrides 230

21 Des politiques nationales aux politiques internationales harmonisées 233Les approches des externalités mondiales 233Une brève histoire des accords climatiques internationaux 235La structure des accords internationaux 237Un régime de prix du carbone 238Les obligations pour les riches et pour les pauvres 240Combattre les comportements de passager clandestin avec des mécanismes de mise à exécution 242

22 Le pis-aller et au-delà 247Les principales approches alternatives de la politique climatique 249Un exemple de réglementation : les normes d’efficacité des carburants automobiles 250Les approches non réglementaires 253La complication de la myopie des coûts énergétiques 255Bilan des approches alternatives 258

23 De nouvelles technologies pour une économie pauvre en carbone 261Le dernier recours 262Le défi d’une économie pauvre en carbone 263Les technologies prometteuses 264La voie technologique vers un monde peu carboné 264La nature de l’innovation 269La traversée de la vallée de la Mort 272

Partie 5Les politiques climatiques

24 La climatologie et ses détracteurs 277La signification du consensus scientifique 278Les avis à contre-courant sur le réchauffement global 280Les politiques au Casino climatique 283L’inaccessible certitude 284

25 L’opinion publique sur le changement climatique 287Les opinions publiques sur la science et le réchauffement climatique 287Comprendre l’incompréhension 290Resserrer l’écart sur la politique climatique : une perspective conservatrice 295

26 Les obstacles aux politiques du changement climatique 299Prisonniers du nationalisme 300Prisonniers du présent 301Prisonniers de l’esprit partisan 303Prisonniers de l’intérêt économique personnel 305Surmonter les obstacles 306Un verdict final 307

Notes de fin 309

Index 336


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