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R ÉMI D HONNEUR | A VOCAT Mais les banques dénoncent les clients ou alors ne les laissent pas partir... Les banques imposent la régularisation aux clients. Mais elles prendraient un risque à dé- noncer un client, puisqu’elles seraient consi- dérées comme complices. Il est clair qu’elles doivent répondre aux demandes pour prou- ver leur bonne foi. La plupart des banques refusent de donner l’argent en liquide mais elles peuvent donner un chèque de banque. D’autres banques ont fait un fonds où elles déposent les comptes en attente de régulari- sation. Les banques qui ont peur de lourdes amendes restent le moteur des régularisa- tions. Dans le cas de HSBC Genève, le juge a par exemple demandé 1 milliard d’euros de caution. Qu’est-ce qui retient certains clients de se faire régulariser? L’argent n’a pas atterri en Suisse exclusive- ment pour des raisons fiscales. La plupart des dossiers actifs sont problématiques dès lors que le titulaire du compte a conscience de frauder. Les dossiers d’héritage passent un peu mieux. Les avocats ne sont-ils pas eux aussi menacés? Si le client refuse de se régulariser et que l’avocat continue de l’assister, il devient complice de blanchement de fraude fiscale. Dans l’affaire Arlette Ricci (ndlr: l’héritière de la maison de couture Nina Ricci a été poursuivie pour avoir dissimulé au fisc des fonds déposés chez HSBC Genève) l’avocat a été condamné à un an de prison avec sur- sis, alors que la cliente s’est vu condamner à trois ans (dont un an ferme). L’avocat a aussi été condamné au paiement solidaire des amendes. Comment cette pression sur la profession d’avocat se manifeste-t-elle? En 2014, il y a eu des dizaines de perqui- sitions chez des avocats, pas toutes il est vrai pour des affaires d’évasion fiscale et de comptes en Suisse. Les avocats sont aussi mis sur écoute et leurs études peuvent être «so- norisées» depuis une loi de décembre 2013, sans avoir à demander l’avis d’un juge. Les juges, eux, ont beaucoup de créativité en matière de délits de blanchiment. Dans l’affaire Ricci, l’avocat a ainsi été condamné pour avoir créé une société civile immobilière (SCI) dans le but de protéger le patrimoine immobilier de Madame. Est-ce que tous les clients qui le souhaitent peuvent demander une régularisation? Non. Par exemple si un chirurgien plastique comme l’est Jérôme Cahu- zac encaisse des honoraires à l’étranger c’est possible, mais s’il prend des commissions des laboratoires, il entre dans le champ des activités occultes et ne peut se régulariser. A l’origine de ces activités occultes, il y a souvent du trafic d’influence, du blanchiment ou de la captation d’héritage. Toute personne qui a subi un contrôle fiscal depuis 2006 ou a été sollicitée de s’ex- pliquer par l’administration et n’en a pas profité pour annoncer les comptes non déclarés est jugée de mauvaise foi et n’est pas susceptible de bénéficier d’une régularisation au STDR. De ce point de vue une bonne partie des dossiers en stock ne sont pas régularisables. Le problème est qu’on ne peut être fixé qu’après avoir initié une procédure. L’administration, pour sa part, peut se permettre d’attendre: avec l’échange automatique elle aura la liste des contribuables non déclarés... Beaucoup de clients français espèrent une amnistie en 2017... C’est inconcevable. Il y a un climat en France qui est hostile à une telle mesure et la majorité n’y est pas favorable. Même avec un nouveau pouvoir ce sera difficile. L’histoire politique montre que tous les gouvernements qui ont fait une amnistie ont perdu le pouvoir. Après l’amnistie de 1986, Chirac a dit plus jamais ça. ProposrecueillisparMohammadFarrokh Des milliers de comptes de clients français ne sont pas régularisables L e processus de régularisation des clients français titulaires d’un compte non déclaré en suisse pourrait bien s’éten- dre sur dix ans, affirme Rémi Dhonneur, avocat fiscaliste de l’étude Kramer Levin, à Paris et chargé de cours en fiscalité des entreprises et fiscalité internationale à l’Université de Paris-Sud. Il relève en particulier que l’administration française applique une politique rigoureuse en matière d’acceptation des dossiers sus- ceptibles de bénéficier de la régularisation au sens de la circulaire Cazeneuve de juin 2013. Des milliers de comptes ne pourront ainsi pas bénéficier de la régularisation. Quel est le nombre de dossiers de régularisation transmis au Service français de traitement des déclarations rectificatives (STDR)? On parle de 39.000 en ce qui concerne les comptes en Suisse non déclarés... Passé 40.000, dont 5000 ou 6000 ont déjà été traités. Le STDR avance à pas mesurés, car ils sont soucieux de vérifier l’origine des fonds. Les dossiers borderline sont envoyés à la Direction nationale des vérifications de situa- tion fiscale (DNVSF). Beaucoup de dossiers déjà traités sont de petits dossiers, mais tous donnent beaucoup de travail car il faut véri- fier l’ISF (impôt sur la fortune) depuis 2007 et l’impôt sur le revenu depuis 2006, refaire toutes les déclarations. L’exercice se compli- que quand il y a des structures interposées. Il y a un échange de vues avec le STDR et l’institut des avocats fiscaux: ils ont leurs positions et appliquent leur doctrine. Au train où vont les choses, le processus pourrait bien s’étendre sur dix ans. Que se passe-t-il en présence de structures interposées? Dès qu’on identifie une structure située sur un territoire qui n’a pas d’accord d’échan- ge de renseignements avec la France, les revenus sont directement imposables avec majoration de 25%. Même en l’absence de revenus, les comptes sont taxés sur une base forfaitaire qui atteint 4% ou 5%. Au moins les gens savent à quoi ils s’exposent... Pas vraiment: sur certains sujets techniques complexes, il y a des doctrines différentes, au sein même de l’administration. Mais les gens n’ont pas trop le choix: l’échange automatique va intervenir dès septembre 2017. Tout le monde doit donc demander une régularisation Tout le monde peut demander une régularisation, mais le STDR refuse de régulariser les avoirs acquis sur la base de fraude ou qui auraient pu l’être plus tôt si les personnes concernées avaient saisi les perches qu’on leur ten- dait. Certains clients ne peuvent bénéficier de la régularisation car l’affaire a été publiée dans la presse. L’administration estime alors que la demande n’a plus un caractère spontané. Cela est valable pour les 9000 clients fran- çais de HSBC Genève qui se sont retrouvés sur la liste Falciani. Combien reste-t-il de clients français non encore déclarés? Selon l’ASB, il doit y avoir encore 80.000 dossiers prêts à être régularisés, mais il y en a aussi beaucoup où le caractère français des clients concernés n’est pas évident. Il y a d’autres pays concernés, notamment le Luxem- bourg où il y aurait beaucoup de dossiers. Il y a aussi eu des départs... Oui, notamment pour les Etats-Unis, mais il arrive aussi que l’argent soit formellement envoyé à Dubaï et reste déposé à Genève. Parmi les réfractai- res, il y a encore ceux qui ont choisi de déménager pour s’installer en Suisse, et ce sont essentiellement des gens qui ont des avoirs non déclarés. Il existe diverses situations. 1990 Enseigne le droit fiscal et du patrimoine à l’Université de Paris Sud. Il continuera à enseigner en parallèle à sa pratique d’avocat fiscaliste. 1991 Entre au service fiscal de Baker MacKenzie à Paris et devient partner en 1998. 1998- Il est régulièrement speaker au Banking Seminar organisé 2003 à Montreux avec des avocats de Baker MacKenzie venus du monde entier. 2005 Il fonde DLF Avocats, une étude spécialisée dans le contentieux et le conseil fiscal. «En 2008, ils ont créé la cellule Woerth en me consultant», relève-t-il. 2009 Contacté par Kramer Levin, il entre au service de l’étude franco-américaine avec l’équipe de fiscalistes de DLF Avocats. RÉMI DHONNEUR. AVOCAT FISCALISTE DE L’ÉTUDE KRAMER LEVIN ET CHARGÉ DE COURS À PARIS PAGE . INDICES | | Mai 2015 |

Rémi DhonneuR vocAt Des milliers de comptes de clients ......Dans l’affaire Arlette Ricci (ndlr: l’héritière de la maison de couture Nina Ricci a été poursuivie pour avoir

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Rémi DhonneuR | AvocAt

Mais les banques dénoncent les clients ou alors ne les laissent pas partir... Les banques imposent la régularisation aux clients. Mais elles prendraient un risque à dé-noncer un client, puisqu’elles seraient consi-dérées comme complices. Il est clair qu’elles doivent répondre aux demandes pour prou-ver leur bonne foi. La plupart des banques refusent de donner l’argent en liquide mais elles peuvent donner un chèque de banque. D’autres banques ont fait un fonds où elles déposent les comptes en attente de régulari-sation. Les banques qui ont peur de lourdes amendes restent le moteur des régularisa-tions. Dans le cas de HSBC Genève, le juge a par exemple demandé 1 milliard d’euros de caution.

Qu’est-ce qui retient certains clients de se faire régulariser?L’argent n’a pas atterri en Suisse exclusive-ment pour des raisons fiscales. La plupart des dossiers actifs sont problématiques dès lors que le titulaire du compte a conscience de frauder. Les dossiers d’héritage passent un peu mieux.

Les avocats ne sont-ils pas eux aussi menacés?Si le client refuse de se régulariser et que l’avocat continue de l’assister, il devient complice de blanchement de fraude fiscale. Dans l’affaire Arlette Ricci (ndlr: l’héritière de la maison de couture Nina Ricci a été poursuivie pour avoir dissimulé au fisc des fonds déposés chez HSBC Genève) l’avocat a été condamné à un an de prison avec sur-sis, alors que la cliente s’est vu condamner à trois ans (dont un an ferme). L’avocat a aussi été condamné au paiement solidaire des amendes.

Comment cette pression sur la profession d’avocat se manifeste-t-elle?En 2014, il y a eu des dizaines de perqui-sitions chez des avocats, pas toutes il est vrai pour des affaires d’évasion fiscale et de comptes en Suisse. Les avocats sont aussi mis sur écoute et leurs études peuvent être «so-

norisées» depuis une loi de décembre 2013, sans avoir à demander l’avis d’un juge. Les juges, eux, ont beaucoup de créativité en matière de délits de blanchiment. Dans l’affaire Ricci, l’avocat a ainsi été condamné pour avoir créé une société civile immobilière (SCI) dans le but de protéger le patrimoine immobilier de Madame.

Est-ce que tous les clients qui le souhaitent peuvent demander une régularisation?Non. Par exemple si un chirurgien plastique comme l’est Jérôme Cahu-zac encaisse des honoraires à l’étranger c’est possible, mais s’il prend des commissions des laboratoires, il entre dans le champ des activités occultes et ne peut se régulariser. A l’origine de ces activités occultes, il y a souvent du trafic d’influence, du blanchiment ou de la captation d’héritage. Toute personne qui a subi un contrôle fiscal depuis 2006 ou a été sollicitée de s’ex-pliquer par l’administration et n’en a pas profité pour annoncer les comptes non déclarés est jugée de mauvaise foi et n’est pas susceptible de bénéficier d’une régularisation au STDR. De ce point de vue une bonne partie des dossiers en stock ne sont pas régularisables. Le problème est qu’on ne peut être fixé qu’après avoir initié une procédure. L’administration, pour sa part, peut se permettre d’attendre: avec l’échange automatique elle aura la liste des contribuables non déclarés...

Beaucoup de clients français espèrent une amnistie en 2017...C’est inconcevable. Il y a un climat en France qui est hostile à une telle mesure et la majorité n’y est pas favorable. Même avec un nouveau pouvoir ce sera difficile. L’histoire politique montre que tous les gouvernements qui ont fait une amnistie ont perdu le pouvoir. Après l’amnistie de 1986, Chirac a dit plus jamais ça. � Propos�recueillis�par�Mohammad�Farrokh

Des milliers de comptes de clients français ne sont pas régularisables

Le processus de régularisation des clients français titulaires d’un compte non déclaré en suisse pourrait bien s’éten-dre sur dix ans, affirme Rémi Dhonneur, avocat fiscaliste de

l’étude Kramer Levin, à Paris et chargé de cours en fiscalité des entreprises et fiscalité internationale à l’Université de Paris-Sud. Il relève en particulier que l’administration française applique une politique rigoureuse en matière d’acceptation des dossiers sus-ceptibles de bénéficier de la régularisation au sens de la circulaire Cazeneuve de juin 2013. Des milliers de comptes ne pourront ainsi pas bénéficier de la régularisation.

Quel est le nombre de dossiers de régularisation transmis au Service français de traitement des déclarations rectificatives (STDR)? On parle de 39.000 en ce qui concerne les comptes en Suisse non déclarés... Passé 40.000, dont 5000 ou 6000 ont déjà été traités. Le STDR avance à pas mesurés, car ils sont soucieux de vérifier l’origine des fonds. Les dossiers borderline sont envoyés à la Direction nationale des vérifications de situa-tion fiscale (DNVSF). Beaucoup de dossiers déjà traités sont de petits dossiers, mais tous donnent beaucoup de travail car il faut véri-fier l’ISF (impôt sur la fortune) depuis 2007 et l’impôt sur le revenu depuis 2006, refaire toutes les déclarations. L’exercice se compli-que quand il y a des structures interposées. Il y a un échange de vues avec le STDR et l’institut des avocats fiscaux: ils ont leurs positions et appliquent leur doctrine. Au train où vont les choses, le processus pourrait bien s’étendre sur dix ans.

Que se passe-t-il en présence de structures interposées?Dès qu’on identifie une structure située sur un territoire qui n’a pas d’accord d’échan-ge de renseignements avec la France, les revenus sont directement imposables avec majoration de 25%. Même en l’absence de revenus, les comptes sont taxés sur une base forfaitaire qui atteint 4% ou 5%.

Au moins les gens savent à quoi ils s’exposent...Pas vraiment: sur certains sujets techniques complexes, il y a des doctrines différentes, au sein même de l’administration. Mais les gens n’ont pas trop le choix: l’échange automatique va intervenir dès septembre 2017.

Tout le monde doit donc demander une régularisationTout le monde peut demander une régularisation, mais le STDR refuse de régulariser les avoirs acquis sur la base de fraude ou qui auraient pu l’être plus tôt si les personnes concernées avaient saisi les perches qu’on leur ten-dait. Certains clients ne peuvent bénéficier de la régularisation car l’affaire a été publiée dans la presse. L’administration estime alors que la demande n’a plus un caractère spontané. Cela est valable pour les 9000 clients fran-çais de HSBC Genève qui se sont retrouvés sur la liste Falciani.

Combien reste-t-il de clients français non encore déclarés?Selon l’ASB, il doit y avoir encore 80.000 dossiers prêts à être régularisés, mais il y en a aussi beaucoup où le caractère français des clients concernés n’est pas évident. Il y a d’autres pays concernés, notamment le Luxem-bourg où il y aurait beaucoup de dossiers.

Il y a aussi eu des départs...Oui, notamment pour les Etats-Unis, mais il arrive aussi que l’argent soit formellement envoyé à Dubaï et reste déposé à Genève. Parmi les réfractai-res, il y a encore ceux qui ont choisi de déménager pour s’installer en Suisse, et ce sont essentiellement des gens qui ont des avoirs non déclarés. Il existe diverses situations.

1990 Enseigneledroitfiscaletdupatrimoineàl’UniversitédeParisSud.Ilcontinueraàenseignerenparallèleàsapratiqued’avocatfiscaliste.

1991 EntreauservicefiscaldeBakerMacKenzieàParisetdevientpartneren1998.

1998- IlestrégulièrementspeakerauBankingSeminarorganisé2003 àMontreuxavecdesavocatsdeBakerMacKenzievenus

dumondeentier.2005 IlfondeDLFAvocats,uneétudespécialiséedanslecontentieux

etleconseilfiscal.«En2008,ilsontcréélacelluleWoerthenmeconsultant»,relève-t-il.

2009 ContactéparKramerLevin,ilentreauservicedel’étudefranco-américaineavecl’équipedefiscalistesdeDLFAvocats.

Rémi DhonneuR. avocat fiscaliste De l’étuDe KRameR levin et chaRgé De couRs à PaRis

PAGE �. inDices | | Mai 2015 |