Roman en Russie Et en Inde Deux Cas Transfert Objet Culturel Occidental Dans Une Culture Non Occidentale

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    Revue germaniqueinternationale21 (2004)

    Lhorizon anthropologique des transferts culturels

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    Sergei Serebriany

    Le roman en Russie et en Inde. Deuxcas de transfert dun objet cultureloccidental dans une culture nonoccidentale

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    Avertissement

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    Rfrence lectroniqueSergei Serebriany, Le roman en Russie et en Inde. Deux cas de transfert dun objet culturel occidental dans uneculture non occidentale , Revue germanique internationale[En ligne], 21 | 2004, mis en ligne le 19 septembre2011, consult le 11 octobre 2012. URL : http://rgi.revues.org/1006 ; DOI : 10.4000/rgi.1006

    diteur : CNRS ditionshttp://rgi.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://rgi.revues.org/1006Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Tous droits rservs

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    Le roman en Russie et en Inde.Deux cas de transfert d'un objet culturel occidental

    dans une culture non occidentale

    SERGEI SEREBRIANY

    Pour un indianiste russe, c'est une tentation permanente que de comparer l'Inde et la Russie. Mais il y a une base objective de telles comparaisons. Comme l'a crit Toynbee, l'Inde et la Russie appartiennent la

    grande majorit non occidentale de l'humanit

    1

    . L'histoire de l'Inde etde la Russie durant les trois cents dernires annes (du XVIIIe au XXe sicle)est dans une large mesure l'histoire de confrontations avec l'Occident aussibien que l'histoire du transfert (de la transplantation) de bien des objetsculturels occid ent aux sur un sol no n occidental.

    La formation de l'empire russe et de l'empire anglais des Indes auxXVI I I

    e

    -X IXe sicles peut tre interprte comme un moment du processus

    global dsign en bre f co mm e F occidentalis ation . L'histoire del'empire russe commence avec les rformes de Pierre le Grand qui

    s'effora opinitrement de transplanter (transfrer) des lments de la civilisation europenne occidentale sur le sol non occidental de la Russie.L'activit de constructeur d'empire de Pierre le Grand et de ses successeurs en Russie trouve son parallle en Inde (en Asie du Sud) dansl'activit de constructeurs d'empires des Anglais qui ont dlibrment ounon transplant (transfr) nombre d'lments de la civilisation occidentalesur le sol non occidental de l'Inde.

    D'habitude les histoires de ces deux empires sont racontes de faontrs diffrente : l'u ne c om me l'histoire de la transf ormation de la Russie

    initie et ralise par les Russes eux-mmes, l'autre comme l'histoire d'unepuissance trangre dans un pays colonis et assujetti . Mais la diffrence n'est pas aussi absolue qu'elle le semble. La transformation de l'Indeaux XVIIIe et XIXe sicles a t ralise non seulement par les Anglais maisencore par de nombreux Indiens qui, d'une manire ou d'une autre, rejoi-

    1. A . T o y n b e e , The World and the West, Lo nd re s , e tc . , Ox fo rd Univ crs i t y Press , 1953 , p . 2 .

    Revue germanique internationale,21 /2 00 4, 149 162

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    gnirent et/ou compltrent (parfois corrigrent) les efforts de la puissancetrangre. La transformation de la Russie, d'un autre ct, n'a pas t seulement inspire par l'exemple de l'Europe occidentale, mais bien des Occidentaux du XVIIIe et mme du XIXe sicle ont jo u un rle trs im po rt an tdans le processus. A partir de la seconde moiti du XVIIIe sicle, mme lesmonarques russes taient d'un point de vue ethnique plutt des Europensde l'Ouest (essentiellement des Allemands) que des Russes. Aprs euro-panisation intro duite p ar P ierre le Gra nd , la distance culturelle e ntre

    l'lite duque des gouvernants d'un ct et les masses russes traditionnelles en Russie d'un autre ct tait peine moindre que la distance culturelle entre l'lite anglaise (ou europanise) en Inde et le reste de la populat ion . Les idologues slavophiles dans la Russie du XIXe siclesoul ignrent le ct t ran ger de l'lite d uqu e en Russie et la c om pa rrent parfois prcisment avec les Anglais en Inde.

    Pierre I e r fonda en 1703 la capitale de son nouvel empire, Saint-Ptersbourg, l'embouchure de la Neva qui reliait l'arrire-pays avec lesmers et les ocans. Vers la mme poque, la fin des annes 1690, les

    Anglais fondrent la future capitale de leur empire en Inde, Calcutta (queles Indiens crivent maintenant Kolkata), l'embouchure du Gange, lefleuve qui reliait, aux yeux des Anglais, les mers et les ocans avec l'arrire-pays. Pierre I e r voulait , selon la clbre fo rmule, ouvrir un e fentre surl'Europe . Les Anglais voulaient ouvrir une fentre sur l'Inde . Dans lesdeux cas le choix d'un emplacement pour leur capitale, choix dict par desconsidrations politiques et conomiques, ne fut pas heureux : les plaintes propos du mauvais climat de Saint-Ptersbourg et de Calcutta sont desthmes rcurrents respectivement en Russie et en Inde. Il y a aussi quelques

    similarits frappantes entre les images architecturales des deux capitales1

    .Par une autre trange concidence les deux villes cessrent d'tre lescapitales de leurs empires respectifs vers le mme moment : Calcutta officiellement en 1911 , mais rellemen t au db ut des ann es 19 20 ; Saint-Ptersbourg (alors dj Petrograd) en 1918. Dans les deux cas les dirigeants dcidrent de rendre la capitale son sige originel au cur dupays, Delhi en Inde et Moscou en Russie.

    Mais ce n'est pas une concidence si la fois en Russie et en Inde lespremiers romans (crits selon des modles occidentaux) parurent respecti

    vement Saint-Ptersbourg et Calcutta.Le roman comme genre littraire fut l'un des nombreux objets culturels avec l'impr imerie , les che min s de fer, les sciences exprimentale s, les

    1. Cf . R . Heber , Narrative of a Joumey through the Upper Provinces of India..., vo l . 2 , Lo nd re s ,

    1828 , p . 31 8 ; A. D. Saltikoff, Lettres sur l'Inde, Par is , 18 48 (let t re en dat e du 9 oc to br e 1841) ;

    J . S ion , Asie des moussons, 2 e p a r t i e , In d c - In d o ch i n e - In s u l i n d e (Go g rap h i e u n i v e r s e l le p u b l i e s o u s

    la dir ec t io n de P. Vid al de L a Bla ch e et L. Gallois .) , t . 9, Paris , 1 929 , p. 30 6, . . . la "ci t des

    P a l a i s " [C a l cu t t a ] a l i g n e s es s o m p t u eu s es co n s t ru c t i o n s d ' u n s t y l e n o -g rec , q u i r ap p e l l en t t r an g e

    ment , sous les t ropiques , Pet rograd , au t re v i l l e ar t i f i c ie l l e cre dans la boue .

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    universits, la dmocratie parlementaire, etc., avoir t transfrs del'Occident la fois vers la Russie et vers l'Inde. En fait, prendre le romanco mm e sujet de desc riptio n et d'analyse est un e stratgie de discours artificielle (quoique parfaitement lgitime et habituelle). Le genre duroman a t transfr en Russie et en Inde comme partie d'un ensembleplus large baptis littrature (moderne) qui pour la prsente dmonstration peut tre dcrit comme une institution sociale ou culturelle, c'est--

    dire un processus englobant la distribution de textes imprims (de genrediffrent) dans une langue vernaculaire parmi un public de lecteurs qui estsuppos co ns om me r ces textes en les lisant en priv (ou dans de petit sgroupes comme des familles). Autant que je sache, l'histoire du transfert dela littrature moderne comme une institution socioculturelle globale laRussie ou l'Inde n 'a pas encore t crite. J ' ai d on c choisi po ur la pr sente contribution un fragment de cette histoire plus large et non crite ;on po ur ra it appeler cette con tri but ion u n essai de transfrologie com pare .

    Je vais commencer par la Russie parce que la part russe du rcit estpeut-tre mieux connue, qu'elle peut tre raconte brivement et servird'arrire-plan la partie indienne de mon expos.

    L'ins titutionnal isation de la litt rature m od er ne (au sens dcrit ci-dessus) a commenc en Russie au XVIIIe sicle. Dans les histoires standardde la littrature russe, ce sicle est d'habitude trait comme une poquespar e, une sorte de long prol ogue l'p oque vrit ablem ent mo de rn edes XIXe et XXe sicles. De fait, la m mo ir e culturelle d'un Russed'aujourd'hui moyennement duqu ne va pas au-del du passagedu XVIIIe au XIXe sicle, en gros elle ne va pas au-del d'Alexandre Pouchkine (1799-1837) et de ses contemporains.

    Mais l'crivain qui est maintenant considr comme le premier romancier russe est mort avant la naissance de Pouchkine. En Russie onl'appelait Fiodor Emin (1735-1770). Ce n'est pas un hasard si l'homme quia le pr em ie r transfr en Russie le genr e du rom an fut un tr ang er(d'une identit ethnique incertaine ; pro bab lem ent u n Armn ien ou peut -tre un Valaque ou un Slave du Sud, mais de confession musulmane avantd'tre baptis l'ambassade de Russie Londres). N Istamboul, aliasConstantinople, et duqu en Italie (il disait avoir appris le latin et plusieurs langues europennes modernes), Emin ne vint Saint-Ptersbourgqu 'e n 1761 et servit de tra duc teu r en divers lieux et ju sq u' au c a b i n e t de Catherine II. En moins de dix ans il publia dix-neuf volumes d'uvres,surtout des romans, crits d'aprs des modles d'Europe occidentale. Ainsison roman Les lettres d'Ernest et de Doravra (1766) est prsent comme une reprise de Julie ou la Nouvelle Hlose (1761) de Jea n-J acq ues Rous seau .Mais dans la Russie actuelle les romans d'Emin ne sont plus lus, s'ils lesont, que par des historiens de la littrature.

    Le premier roman russe qui soit encore largement lu par des Russesest Eugne Onguine,le ro ma n en vers d'Alex andr e Pouc hkin e co mm e

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    dit le sous-titre, qui fut crit en 1823-1831 (la premire dition complteparut Saint-Ptersbourg en 1833). Les historiens de la littratures indiquent plusieurs uvres d'Europe occidentale qui pourraient ou doiventavoir inspir Pouchkine et ont servi de modle Eugne Onguine. O nmentionne en premier lieu Adolphe (1816) de Benjamin Constant et Don

    Juan (1818-1823) de G. Byron. Nanmoins Eugne Onguineest une uvr ehautement originale, du moins aux yeux des Russes, l'un des plus grandsro ma ns de la litt ratu re russe. Jusqu ' la fin du XXe sicle Eugne Onguine,

    autant que je sache, n'a pas t beaucoup apprci en dehors de laRussie. Mais dans la seconde moiti du sicle, plusieurs traductionsanglaises ont t publies et l'une d'elles (celle de Charles Johnston,1977)1 a inspir un auteur indien, Vikram Seth (n en 1952 Calcutta),l'incitant crire, en anglais, son roman en vers La porte dore,explicitement compos d'aprs Eugne Onguine2. La preuve est fournie que leroman de Pouchkine a dsormais t clairement tabli au rang demo me nt im po rta nt de la littrature mond iale .

    Mais les premiers romanciers russes dont les uvres devinrent clbres

    en dehors de la Russie ds les annes 1880 (ou dois-je dire seulementdansles annes 1880 ?) d'abord en Europe occidentale puis, travers elle, dansle reste du mo nd e, taient plus jeu nes qu e Pouchk ine d' au mo ins deuxgnrations. Leurs noms sont vraiment mondialement connus maintenant :Ivan Tourgueniev (1818-1883), Feodor Dostoevski (1821-1881), LonTolsto (1828-1910). L'objet culturel (le roman) transfr en Russie depuisl'Occident a t cultiv et perfectionn par les Russes avec tant de succsque ses variantes russes revinrent auprs des Occidentaux presque commeune sorte de rvlation.

    Le distingu germaniste russe Victor Zirmunski (1891-1971), dans sonlivre Goethe dans la littrature russe (1937), suggrait un e ide (nous pouvonsdire forgeait une notion) qui est mon avis trs importante pour le thmede la prsente contribution et pour les transferts culturels en gnral.V. Z irmunski crit : La pre mire t ape de la litt ratu re bourgeo ise allemande du XVIIIe sicle n'est pas encore marque de faon significative parl'originalit nationale et elle suit les modles des littratures les plus avances en Occident, la franaise et l'allemande. C'est seulement avec lesuvres du jeune Goethe que la littrature bourgeoise allemande se mani

    feste de manire indpendante sur la scne mondiale Werther fut la premire ou vre de la je un e littrature bourgeo ise al lema nde q ui passa del'tape du provincial isme et de l'autosuffisance [dans le texte original russesamoobsluzivanie] aux larges espaces de la "littrature mondiale". 3

    La notion sur laquelle je voudrais attirer l'attention est celle de samo-

    1. A. Pushkin, Eugene Onegin, t r . b y C h ar l e s J o h n s t o n , w i t h an i n t ro d u c t i o n b y J o h n B ay l ey ,

    Harm o n d s wo r t h (P cn g u i n B o o k s ) , 1 9 7 9 .

    2. V. Seth , The Golden Gale, A No v e l i n Ver s e b y Vi k r am S e t h , NY, R a n d o m Ho u s e , 1 9 8 6 .

    3. V . M . Z i rm u n s k i . Gete v russkoi literature [ 2

    e

    d . ] , Len i n g rad , Na u k a , 1 9 8 2 , p . 30 , 3 3 .

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    obsluzivanie (le mo t russe ta nt d cal qu de l'a lle man d Selbstbed ie-nu ng ou de l'anglais self-service ). No us pouvo ns dvelo pper la brv eremarque de Zirmunski de la manire suivante. Quand un objet culturelest transfr d'une culture dans l'autre, il peut tre cultiv dans son nouvelenvironnement d'une manire qui est si fortement conditionne par cemme environnement, ses traditions et ses besoins, que de nouvelles modifications locales de cet objet n 'o nt d' in tr t (ne sont vendab les ) qu edans cet environnement lui-mme et ne peuvent susciter aucun intrt

    dans la patrie d'origine de l'objet en question. C'est ce que Zirmunskiappe lait l'ta pe du prov incial isme et du self-service . Ma is apr s un certain te mps , de nouvelles modifica tions locales pe uven t att eindre u n telniveau de perfection (et ce que l'on pourrait appeler l'universalit) qu'ellesdevi enne nt intressantes n on seule ment localem ent mais en d'aut reslieux aussi ( globalement ) inc lua nt le pays d 'orig ine du pr od ui t culture l.C'est ce qui s'est pass en Russie avec le genre occidental du roman.

    Regardons maintenant vers l'Inde et la littrature indienne. Par opposition avec la littrature russe nous avons affaire ici un phnomne beau

    coup plus complexe, plurilinguistique et de fait pluriculturel, car l'Inde(l'Asie du Sud) comme aire culturelle peut tre compare avec l'Europe(ou au moins avec l'Europe occidentale) et la littrature indienne est une chose ou un e ide , un con cep t aussi comp lexe que la litt ratureeuropenne'. Krishna Kripalani, un distingu homme de lettres indien,crivait un jo ur : Le terme de littrature i ndi enn e semble devoir induireen erreur moins d'tre compris dans un sens aussi large que l'expressionde "littrature europenne". La stupfiante varit de ses langues et littratures [de l'Inde] rivalise avec celles de l'Europe. 2

    Une tude compare de la littrature indienne dans son ensemble danssa croissance et son dveloppement historique d'un ct, et de la littratureeuropenne dans sa dimension historique comme un tout de l'autre ctn'a pas encore t entreprise, autant que je sache. Cela pourrait devenirdans les faits un fascinant champ de recherche. Dans le contexte prsent, ilsuffit de men ti on ne r qu e m me le con cep t de litt ratur e indi enn e peuttre interprt comme un transfert culturel de l'Europe vers l'Inde. Ceconcept est une invention des Indianistes europens du XIXe sicle3. Surtout, on peut dire que le concept mme de l'Inde comme un ensemble his

    torique et culturel embrassant l'poque vdique, le bouddhisme et le ja-nisme, l 'hindouisme tardif, la pr iode dite islamique et la pr iod e dite

    1. A l t e rn a t i v em en t l ' I n d e (Asi e d u S u d ) co m m e t o u t p e u t t r e co m p ar e n o n p as av ec l a

    R u s s i e e t h n i q u e , co m m e s em b l e l ' i m p l i q u e r l e t i t r e d e m a co n t r i b u t i o n , m a i s , co m m e j e l' a i s u g

    gr au db ut de l ' a r t i c le , l 'E mpi re russe h i s tor ique ap pel URSS de 1 922 19 91. D e m me la

    l i t t ra ture ind ienne comme un tout peut t re compare - sons cer ta ines rserves - avec ce qu 'on

    app ela i t en URSS la l i t t ra tur e sovi t ique mul t in at i ona le .

    2. K . K r i p a l a n i , Literature of Modem India. A panoramic glimpse, Ne w De l h i , Na t i o n a l B o o k

    Tru s t , 1982, p . 2 -3 .

    3. C f . S . M u k h er j ee , Towards a Literary History of India, S iml a , 1975 , p . 5 -15 .

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    bri tan niq ue a t invent aux XVIIIe -XIXe sicles par des rudits occide nta ux puis ac cept p ar les Indiens eux- mmes ; certains, pas tous.Ensui te le con cep t de litt rature lui -m me, lment de la not ioncomp lexe de littr ature in die nne , est venu aussi d'Eu ro pe .

    Le concept de littrature e uro pe nne est don c plut t une inventio ntardive, mais non pas un cas de transfert culturel parce qu'il a t invent l'intrieur de la tradition culturelle dont il est cens dcrire un aspect.Probablement ce concept peut tre appel un transfert temporel parce

    qu'il transfre des ides d'une poque dans d'autres poques (passes).Pour en revenir spcifiquement la littrature indienne nous pouvons,

    pour commence, discerner dans son histoire un contrepoint aux littraturesclassiques, grecque et romaine, de l'Europe. C'est naturellement la littrature sanscrite qui a eu, et dans une certaine mesure a toujours, un statutpanindien, concernant tout le sous-continent 1. Le sanscrit, une langue in do-e ur op enn e ap pa re nt e au latin et au grec, a pou r toute l'Asie duSud une importance comparable au grec et au latin pour l'Europe. Le destin du sanscrit en Asie du Sud peut tre compar celui du latin, en Europe

    occidenta le. Le latin a servi de langue g lobale (et classique ) de ha ut eculture et de grande littrature longtemps aprs avoir cess d'tre la langueparle de quelque peuple particulier. Mais avec le temps le latin a tprogressivement vinc et supplant par les langues romanes, ses jeunesparentes, aussi bien que par des langues d'autres groupes linguistiques (surtout germaniques et slaves) qui devinrent comme des enfants adoptifs dulatin. Au cours du second millnaire de notre re, l'Europe s'est dveloppecomme un concert d'tats varis, certains des plus larges tant des tats nationaux avec leurs langues nationales respectives, et ainsi l'histoirede la littrature europenne est d'habitude raconte comme nombred'histoi res des littratures nationales (bien que la lgitimit d'un e tellenarration puisse tre aisment remise en question).

    Dans l'Asie du Sud aussi le sanscrit a t progressivement vinc parses jeun es par en tes, les langues indo -ar yen nes , ainsi qu e plusieurs enfantsadoptifs (les langues dravidien nes). Cet te histoire a t bea uc ou p pluscomplique que son quivalent en Europe, mais ici nous n'avons pas enviede la considrer dans toute sa complexit, et nous allons seulement dcrirequelques points pertinents pour notre sujet 2.

    1. Le l ivre oc cid ent al clas siqu e su r le sujet est tou jou rs : A. B. Ke it h, A History oj Sanskrit Lite-

    rature, L on do n (OUP), 1920 (no mbr eus es rdi t ions) . Cf . auss i l ' h i s to i re de la l i t t ra tur e ind i en ne de

    M. Wintern i tz (voi r no te su ivante) .

    2. Pour une vue plus large sur la l i t trature de l ' Inde (d 'Asie du Sud) le grand travai l de

    M o r i t z Wi n t e r n i t z e s t t o u j o u r s u t i l e : M . W i n t e rn i t z , Geschichte der Indischen Literatur, t . 1-3, Leipzig,

    1 9 0 8 -1 9 2 2 ; M . Wi n t e rn i t z , A History oj Indian Literature, vol . 1-3 (diverses di t ion s ind ie nn es

    dep uis 19 27, cer t a ine s d ' e n t r e e l l es au tor i ses pa r l ' au te ur) . Mais ma in te na nt l ' ouvr age doi t t re

    complt par de nombreux aut res l iv res . Cf . S . K. Chat tcr j i , Languages and Literatures oj Modem India,

    Cal cut ta , 1963 ; E . C . J r . Dim oc k, The Literatures ojlndia. An introduction, C h i cag o e t Lo n d re s , Th e

    Univers i ty of Chicago Press , 1978 (d ' au t res rfrences sont donnes dans le prsent ar t i c le) .

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    Les musulmans qui exercrent le pouvoir politique dominant dans lesous-continent du XIIIe au XVIIIe sicle transfrrent en Asie du Sud lesdeux principales langues classiques de l'Islam, l'arabe et le persan.Aux XVIe et XVIIe sicles, presque tous le sous-continent tait embrassdans l'empire du Grand Mogol. La langue de l'administration aussi bienque de l'historiographie, de la posie, etc., dans cet empire tait le persan.A partir de la seconde moiti du XVIIIe sicle l'empire du Mogol en voie dedislocation est devenu l'hritage des Anglais qui construisirent leur propre

    empire, officiellement proclam en 1858. Le persan fut remplac parl'anglais comme langue administrative et culturelle, la nouvelle langue imp ri ale , et d' un e cer taine faon classique , de tout le sous-continent. Et mme aujourd'hui c'est principalement l'anglais qui donne la rpublique indpendante de l'Inde son unit administrative et culturelle.L'anglais est en fait considr comme et est rellement devenu une langueindienne, l'une de ces nombreuses langues et peut-tre prima inter pares.

    Les langues indignes de l'Inde moderne, comme les langues europennes modernes ont commenc leur existence principalement durant le

    second millnaire de notre re. Les langues modernes d'Europe occidentale existrent durant quelques sicles dans l'ombre du latin. De faoncomparable les langues de l'Inde moderne existrent durant quelquessicles dans l'ombre de leurs langues classiques : le sanscrit dans le cas deshindous, l'arabe et le persan dans le cas des musulmans, et l'anglais dansles deux cas depuis la fin du XVIIIe sicle. Jusqu ' la fin du XXe sicle enAsie du Sud il n'y avait rien de comparable aux tats nationaux del'Europe occidentale, si bien que nous pouvons difficilement parler de langues nationales et de littratures nationales . Nanmoins les langues

    modernes de l'Inde se dvelopprent, et durant les XIXe

    et XXe

    siclesapparurent dans nombre d'entre elles des littratures modernes 1 .Aujourd'hui l'Acadmie de littrature (Sahitya Akademi) de la rpubliquede l'Inde reconnat 22 langues littraires ( l'inclusion du sanscrit et del'anglais) 2.

    Par littrature moderne, comme indiqu plus haut, on entend un processus socioculturel et institutionnel comprenant la diffusion de textes imprims de genre divers dans une langue vernaculaire parmi un public cultivqui est suppos consommer ces textes en les lisant en priv ou dans des

    petits grou pes c om me les familles. Le mot mo de rn e ici co mm e ailleurssignifie occidental , au moins d'origine occidentale 3 .En Russie le mot qui ds igne le ro ma n est le term e de rom an

    emprunt soit l'allemand soit directement au franais. Dans diverses

    1. Cf. S. K. Chatterj i , op. cit.

    2. Sah i tya Ak ad em i d i te dep uis l e d bu t des an n es 1960 un e sr ie d 'o uvr age s sur l ' h i s to i re

    des d iverses l i t t ra tures in d ie nne s . En vi r on 20 h i s to i res de ce type ont dj t pub l ie s .

    3 . U n d b a t s'est dc len ch sur l a que s t io n de savoi r si mo de rni sa t io n s igni fie nce ssai r e

    m e n t o cc i d en t a l i s a t i o n , m a i s n o u s n ' a v o n s p as b es o i n d ' ab o r d e r i ci ce p ro b l m e .

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    langues indi ennes, on par le bien de rom an (avec diffrentes modifications phontiques).

    La nouveaut du roman dans le contexte indien est mise en videncepar le fait que dans les langues indiennes modernes il n'y avait gure deprose avant le XIXe sicle. Toutes les uvres produites dans ces langues (etbeaucoup d'entre elles taient de fait de grandes uvres d'art et/ou dedvotion religieuse) furent presque toujours composes en vers et non enprose. Mme dans les anc iennes langues classiques d'Asie d u Sud

    comme le sanscrit et le persan, il y avait comparativement peu de prosenarrative et bien sr il n'y avait pas de genre comme le roman moderne.Pour simplifier un peu, mais pas trop, nous pouvons dire que le genre deprose narrative simple que nous associons avec le genre du roman a ttransfr d'Europe en Inde au XIXe sicle.

    Toute l'histoire de ce transfert culturel n'a pas encore t crite nitoute l'histoire d'un moment, le transfert du roman sur le sol indien. Maisles traits gnraux des deux histoires sont plus ou moins connus. Nouspouvons distinguer au moins trois ou quatre sortes d'agents et de motiva

    tions humains intgrs dans le processus. D'abord il y avait les missionnaires chrtiens, de dnomination diffrente, empresss de dlivrer leur message aux paens . Da ns quelques langues ind ienn es on t rouv e par mi lespremires uvres en prose des tracts, crits par des missionnaires, et/oudes traductions de textes bibliques (les vangiles ou l'ensemble du Nouveau Testament, ou mme toute la Bible). Au moins dans une langue del'Inde (l'assamais) un des premiers romans est dit avoir t crit par unmissionnaire {Kaminikantar charitra [La vie de Kaminikanta] de A. K. Gur-ney, 1877)1. Les traductions d'autres livres europens furent une part

    importante du transfert dans les langues indiennes de la prose en gnralet du roman en particulier. Ainsi dans bien des langues fut traduit Pilgrim'sProgress de Bunyan , co mm e s'il s'agissait d'u n m od le pou r de futursromans. L'uvre de Bunyan a t traduite soit par des missionnaires soitpar des Indiens convertis au christianisme. Au moins dans deux languesindiennes les premiers romans ont t aussi crits par de tels convertis : enmarathi [Tamuna-paryatan [Un voyage de Yamina] de Baba Padmanji,1867) et en tamoul [Piratapa Mutaliyar carittiram [La vie de Piratapa Muda-liar] de Samuel Vedanayakam Pillai, 1879) 2.

    Des administrateurs britanniques ont donc t parfois des instrumentsdu transfert quand ils ont donn naissance des romans en langue del'Inde. Leurs motivations dans la plupart des cas semblent avoir t pdagogiques. Ainsi on dit que le premier roman en gujarati a t crit par

    1. P . G o s w a m i , Fiction in Assamese, Ga uh at i , 1963 , p . 1 ; S . N. Sa rm a, Assamese literature (An

    Hi s t o ry o f In d i an L i t e ra t u re , ed . b y J . G o n d a , v o l . IX , P a r t . I I , F as c . 2) , Wi e s b a d en , Har r as s o w i t z ,

    1976 , p . 91 .

    2. Cf. T. W. Clark (d.) , The Novel in India. Its Birth and development, Lo n d res , A l l en & Un w i n ,

    1970 , p . 84- 86 , 184-18 9.

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    Nandashankar Mehta (mort en 1905) l'instigation de M. Russel, uninspecteur de l'ducation sous les ordres duquel il travaillait . Le livre intitul Karan Gheloet crit en 1866 fut le pr em ie r ro man h isto rique ou po urtre prcis la premire romance en langue gujarati. Il est fond surl'vnement que fut la chute de Karan Vaghelo, le dernier roi hindou duGujarat qui, en raison de sa labilit tait appel Ghelo (fou) au lieu deVaghelo (son nom de famille) 1 . Le plus pr ob ab le est que l' aut eur gujaratiavait lu les romans historiques de Walter Scott et qu'il essaya de transfrerdans son uvre propre la transformation opre par ce dernier del'histoire en une narration fictionnelle. On peut noter sous ce rapport quemme l'ide d'histoire a t transfre graduellement dans les esprits desHindous durant le XIXe sicle. Dans la pense traditionnelle des Hindous,il n'y avait rien qui ressemble l'histoire dans notre sens occidental duterme.

    Mais naturellement la plupart des romans indiens du XIXe et duXXe sicle taient crits par des Indiens qui n'taient ni convertis au christianisme ni motivs par leurs suprieurs administratifs britanniques. On

    peut supposer que leurs motivations ressemblaient celles des auteursoccidentaux pour crire leurs romans.

    Pyaricand Mitra (1814-1883), un Bengali de Calcutta, crivit au milieudes annes 1850 ce qu'on dsigne d'habitude comme le premier roman enbengali et le premier roman indien en gnral, sous le titre Alafer Gharer

    Dulal (ce qu 'on peu t tradu ire pa r Enfan t pe rd u de riche famille ). Leroman est d'abord paru en feuilleton dans un mensuel bon march quitait publi par l'auteur lui-mme et visait l'dification et la distractiondes femmes 2. Dans la prface l'auteur crivait que le but principal de son

    uvre tait de dmontrer les effets destructeurs d'une mauvaise ducation des enfants. Le sujet de son roman est trs simple. Un hindou nouveauriche de Cal cu tt a a de ux fils. Le plus g est pervert i par un e m auvaiseducation. Aprs la mort de son pre il frquente une mauvaise compagnie,dilapide son important patrimoine et se trouve rduit la misre. Mais sonvertueux jeune frre vient le secourir et russit remettre le pauvre garonsur un meilleur chemin. Certains rudits indiens affirment que P. Mitra s'estservi de Tom Jones de Fielding comme modle pour son roman, mais il n'y apas d'unanimit sur ce point. Derrire ce sujet banal et ce didactisme

    simpliste nous pouvons, je crois, reconnatre de plus vastes problmesconcernant la modernit reflts dans de nombreux romans et passeulement de l'Inde. Il y a les problmes de l'individu dans une socit quichange. L'individu ne peut continuer vivre avec des valeurs traditionnelles(qui ne peuvent mme pas lui tre transmises par l'ducation), mais il ne

    1. M . J h a v e r i , History of Gujarati Literature, Ne w De l h i , S ah i t y a Ak a d em i , 1 9 7 8 , p . 8 5 .

    2. The Novel in India, p. 36.

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    peut pas non plus trouver de nouvelles valeurs pour lui-mme et de lui-mme. Le rsultat est ce qu'Emile Durkheim appelle l'anomie. Un tel tatde l'individu peut aussi tre baptis perte des racines. Ce n'est pas un hasardsi le premier roman indien sur un personnage coup de ses racines a tcrit et publi Calcutta, une ville sans racines dans le sol local. L'auteur duroman, P. Mitra, appartenait aux premires gnrations d'Hindous soumis l'ducation anglaise, et il connaissait ainsi fort bien le type de tensions quele heurt des cultures et les rapides changements de culture crent pour un

    individu.L'histoire crite par P. Mitra occupe une place d'honneur dans

    l'histoire du Bengale et la littrature indienne. Mais elle pourrait difficilement tre lue aujourd'hui, mme par des lecteurs bengalis moyens, commeun roman, comme une uvre littraire. Et elle n'aurait gure de succscomme roman si elle tait traduite pour des lecteurs non indiens.

    U n pe u diffrent est le cas d' un aut re pr emie r r om an , le pre mierde la littrature en malayalam. Il a t crit par Chandu Menon (1847-1899) qui servait dans l'administration de la prsidence de Madras.

    Publi en 1889 , le roman avait un titre trs explicite : Indulekha. Inglisnoval matiriyil ezutappettittulla oru katha, ce qui signifie Indu lekha. U ne histoire crite sur le modle d'un roman anglais . Le sujet est une histoired'amour dans un cadre contemporain. Chandu Memon n'a sans doute

    jamais lu le Trait de l'origine des Romans (1670) du distingu rudit franaisPierre Daniel Huet (1630-1721). Mais l'uvre de l'auteur indien taitentirement conforme la dfinition du roman comme genre littrairepropre au XVIIe sicle franais : . .. ce que l'on appelle pr op re me ntromans sont des fictions amoureuses, crites en prose avec art, pour leplaisir et l'instruction des lecteurs.

    Ma dh av an , un je un e ho mm e cha rm an t et bien lev (c'est--direlev l'anglaise) aime Indulekha, une jeune fille belle et aussi bienleve ( la fois en anglais et en sanscrit). De la caste des Nayars ils sontdes cousins loigns, appartenant une mme famille largie. Mais lechef de cette famille, qui n'aime pas Madhavan, veut qu'Indulekhapouse un brahmane d'ge mr, Nambydripad, selon les anciennes traditions de l'poque. Aprs une srie de conflits et de malentendus Madhavan et Indulekha russissent l'emporter et se marier. Avant letriomphe final de l'amour et des attitudes progressistes un plein chapitreest consacr une sorte de dialogue socratique entre trois hommes surl'existence de Dieu et sur la politique du Congrs national indien. Leroman s'achve avec l'appel de l'auteur accorder aux femmes indiennesle bienfait d'une ducation anglaise.

    Indulekha est vivement clbr par les historiens de la littrature indienneet est mani fes tement lu ju sq u' nos jo ur s pa r les Malayalis . De 1889 1956il connut 53 ditions (je n'ai pas de donnes plus rcentes). Ds 1890 unetraduction anglaise tait publie Madras (maintenant Cennai). La traduction tait faite par W. Dumergue, le suprieur de l'auteur au sein des Ser-

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    vices civils de Madras 1 . W. Dumergue traduisit aussi la prface de l'auteur l'dition originale. La prface nous donne une occasion de sentir la dimension humaine du processus par lequel le genre littraire occidental fut transfr dans un environnement indien. Il vaut donc la peine de donner unelongue citation du dbut de cette prface :

    J'ai commenc lire de faon extensive des romans anglais... la finde 1886 et j ' a i alors consacr tous les loisirs que me laissa ient mes obligations officielles lire des ro ma ns . Sur ce j ' a i trouv que le cercle de mes

    pro che s avec lesquels j' av ai s t acco ut um passer le temps da ns desconversations et des distractions sociales se considrait comme un peunglig, et par consquent je cherchai des moyens pour concilier mes relations avec la poursuite de mes romans. Avec cet objectif j 'essayai d 'abordde leur transmettre en malayalam l'essentiel de l'histoire contenue danscertains romans que j'avais lus, mais mes auditeurs ne semblaient pas particulirement intresss par les versions que je leur donnai de deux ou troisde ces livres. la fin il arr iva qu' un e de ces per sonne s fut for tementimpressionne par Henrietta Temple de Lors Beaconsfield, et le got acquis

    pour l'audition de romans traduits oralement devint progressivement unevritable passion... Finalement je fus press de produire une traductioncrite du ro ma n de Beaconsfield q ue j ' a i men tio nn , et j ' a i accept. Maisaprs avoir fait quelques petits progrs dans le travail, j'ai rflchi laquestion, et j ' a i dcid qu' un e tradu ctio n faite de cette man ir e n' aur aitabsolum ent au cun e valeur. J e ne trouve pas gra nde difficult c om mu ni quer mes amis qui ne connaissent pas l'anglais une ide peu prsexacte du ro ma n anglais en le rest ituan t ora lem ent , mais je pense qu'il estcompltement impossible de transmettre une impression correcte de

    l'histoire par une traduction crite... Quand la traduction est crite unsimple chapelet de mots se prsente l'esprit, et cela ne suffit pas. En traduisant oralement, la vritable force de l'expression anglaise est parfoismaintenue mais la narration comme un tout ne peut tre rendue intelligible qu'en clairant l'aide de beaucoup de commentaire les dtailsadapts tout incident tel qu'il est relat, en compensant la prononciationdes mots par des gestes et de l'expressivit. Si une traduction littrale etprofessionnelle tait parseme de tels dtails, explications et commentaires,il n'y a pas de doute que l'uvre, en tant que traduction, serait complte

    ment rduite nant. En outre un autre obstacle est que toute tentative dereproduire littralement dans une traduction crite en malayalam les passages sur l'amour qui abondent dans les romans anglais doit ncessairement tre loin d'heureuse. En considrant donc toutes ces circonstances,

    j ' a i dcid d'crire un roman en malayalam plus ou moins d'aprs lemodle anglais... 2

    1 . J ' a i m a d i s p o s i t i o n la s eco n d e d i t i o n d e ce t t e t r ad u c t i o n : C h a n d u M e n o n , Indulekha. A

    novel front Malabar, t r a d u i t e n a n g l ai s p a r W . D u m e r g u e , C a l i c u t , M a t h r u b h u m i , 1 9 6 5 .

    2. C h a n d u , M e n o n , Indulekha, p . X-XI.

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    Dans une lettre de l'auteur au traducteur est donne une liste lgreme nt diffrente d e raisons qui m' ont incit crire un roma n enhmalayalam .

    D 'a bor d il y a le dsir souvent ex pri m pa r ma femme de lire danssa propre langue un roman crit selon un modle anglais, et ensuite undsir de ma p ar t de voir si je serais capable de crer un go t chezmes lecteurs Mayalee, ignorant l'anglais ; pour cette sorte de romans dontils n'ont aucune ide, accoutums qu'ils sont lire et admirer des uvres

    de fiction en malayalam qui abondent en vnements trangers lanature et souvent absurdes et impossibles, et voir s'ils pourraientapprcier une histoire contenant seulement des faits et incidents qui peuvent se pro dui re d ans leur prop re m aison da ns certaines circonstances ;[troisimement] pour illustrer mon cercle malayalam la position, lepouvoir et l'influence que nos femmes Nair, remarques pour leurintelligence naturelle et leur beaut, pourraient obtenir en socit si onleur donnait une solide ducation anglaise ; et finalement pour apporterma faible contribution au dveloppement de la littrature malayalam

    que je regrette de voir presque morte victime d'abus et de mauvaisusages. 1

    La littrature malayalam s'est dveloppe avec beaucoup de succs auXXe sicle et le roman est devenu un des genres les plus populaires danscette littrature comme dans d'autres littratures de l'Inde. Il y a un grandnombre de romanciers indiens lous par leurs lecteurs dans leurs langagesrespectifs. Certains de ces romanciers ont mme acquis une renommepanindienne grce aux traductions.

    Mais autant que je sache, aucun roman crit par un auteur indien

    dans une langue indienne autre que l'anglais n'a eu un grand succs endehors de l'Inde. Aucun prosateur indien crivant dans une langueindienne autre que l'anglais n'a obtenu une rputation mondiale (le prixNobel par exemple). Plusieurs raisons peuvent tre avances.

    D'abord les littratures modernes en gnral et les romans en particulier ont plutt une base sociale limite en Asie du Sud. Le niveau de comptence en matire littraire y est beaucoup plus bas qu'en Europe occidentale ou en Russie.

    En d'autres termes, la rdaction de romans en Inde semble tre

    toujours au niv eau du self-service (pour utiliser l'expression deZirmunsky). Les romans indiens rpondent avec plus ou moins de succsaux besoins locaux mais ne sont pas vendables dans le monde. Un intressant parallle est celui de l'industrie indienne du cinma. C'est manifestement un cas de plus de transfert culturel russi. L'Inde occupe l'une despremires places - sinon la premire - dans le monde pour le nombre de

    1. Ibid., p. XVI.

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    films produits. Aller au cinma est devenu une des distractions les pluspop ulai res dans tou te l'Asie du Su d. Mais que dire de la valeur ma rchande des films indiens en dehors de l'Asie du Sud ?

    Nanmoins les voies de l'esprit sont imprvisibles. Et il est tout faitprobable qu'au XXIe sicle les ro ma ns ind iens (aussi bien peu t- tre q ue lesfilms indiens) se diffuseront mieux dans le reste du monde.

    Universit des sciences humaines

    Moscou

    s.serebriany@mtu-netoru