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ROMESOUS LE REGARD

DES HISTORIENS LATINS

Anthologie

César – Salluste – Tite-Live – AugusteVelleius Paterculus – Tacite – SuétoneFlorus – Justin – Ammien Marcellin

Histoire Auguste – Orose

Choix de textes, traduction, présentation, notes,chronologie, bibliographie, glossaire et index

par Annette FLOBERT

Ouvrage traduit avec le concoursdu Centre national du livre

GF Flammarion

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Optima nutricum nostris, lupa Martis, rebus,qualia creuerunt moenia lacte tuo !

Louve de Mars, la meilleure des nourrices[pour notre histoire,

vois quelles murailles ton lait a fait grandir !

Properce, Élégies, IV, 1, v. 55-56.

© Éditions Flammarion, Paris, 2008.ISBN : 978-2-0813-5711-2

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PRÉSENTATION

Les hommes sont faits les uns pour les autresDonc instruis-les ou supporte-les.

Marc Aurèle, Pensées, VIII, 59.

La réflexion de l’historien, qu’elle porte sur desfaits anciens, récents ou contemporains, impliquel’analyse des documents, le choix des événements etla recherche d’une finalité qui explique, justifie oucondamne la politique suivie. Tous les historiens pro-testent de leur bonne foi : ils rendent la déficienceou la multiplicité des sources responsables de leursincertitudes, voire de leurs erreurs. Quand la traditionhésite, il arrive que l’historien, par probité intellec-tuelle, énonce plusieurs versions des faits sans tou-jours préciser les raisons de ses préférences. Leproblème de la vérité historique se pose de façon dif-férente pour César ou Ammien Marcellin, quiexposent les événements auxquels ils ont participé,pour Salluste, Tacite, Suétone ou Velleius Paterculus,qui ont été mêlés de plus ou moins près à la périodequ’ils évoquent et ont pu bénéficier de témoignagesdirects, et pour un « antiquaire » comme Tite-Livequi remonte aux origines de Rome et dont le récit,qui devait le conduire au moins jusqu’à la mort de

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Drusus, frère de Tibère, en 9 av. J.-C., s’achève pournous aujourd’hui à la mort de Persée en 167 av. J.-C.

La conscience historique des Romains

Comme tous les peuples portés par l’ambition, lesRomains ont commencé très tôt à s’intéresser à l’his-toire ou plus exactement à leur histoire. Ils ont écritd’abord en grec, puis en latin, à la suite de Catondont la « petite histoire » veut qu’il ait attendu d’avoirquatre-vingts ans pour apprendre le grec : de ces pre-miers historiens, il ne nous reste plus que quelquesfragments, mais les auteurs dont les œuvres nous sontparvenues ont utilisé leur travail, autant et peut-êtremême plus que celui des Grecs qui les ont précédés.Très attachés à leur passé, les Romains consignaientles faits marquants dans les Annales maximi 1, chro-niques tenues par les pontifes, et conservaient la listedes magistrats de la République dans les Fastesconsulaires ; les grandes familles gardaient pieuse-ment le souvenir des hauts faits de leurs ancêtres. Ilest remarquable que le plan annalistique (année parannée), imposé dans une certaine mesure parl’annuité des magistratures républicaines, se retrouveencore chez Ammien Marcellin, qui s’inscrit dans lalignée de Tacite 2.

1. Cette expression ainsi que tous les termes spécifiques à l’his-toire de Rome employés dans la présente anthologie sont définisdans le glossaire qui figure en fin d’ouvrage (p. 508 sq.) ; de même,les personnages et les lieux évoqués dans ce volume font l’objetd’une présentation dans l’index (p. 537 sq.).

2. Voir p. 416.

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PRÉSENTATION 7

Les lectures publiques en vogue au début del’Empire 1 et les monographies sur un sujet particulierou publiées à la mémoire d’un membre de la famillede l’auteur (comme celle que composa Tacite enl’honneur de son beau-père Agricola) révèlent le goûtdu public cultivé pour l’histoire. Les ouvrages étaientgénéralement très longs : Tite-Live établit une sortede record en livrant au public une Histoire romaineen cent quarante-deux livres ; l’une de ses sources,Valérius Antias, avait consacré au moins soixante-quinze livres à l’histoire de Rome des origines à lamort de Sulla. Des résumés, des anthologies, des com-pilations apparaissent, souvent pour les besoins del’enseignement ; même si c’est un travail de secondemain, dépourvu la plupart du temps de rigueur et devaleur scientifique, ces productions révèlent uneréflexion sur l’histoire et souvent la naissance d’unenouvelle idéologie : nous citons à l’appui de ces chan-gements de mentalité des extraits de Florus, Justinet Orose. Il faut faire une place à part à l’étrangerecueil transmis sous le titre Histoire Auguste (vers400 apr. J.-C.), composite, disparate même, qu’il soitle résultat d’un travail d’équipe, comme on le croitgénéralement, ou qu’il constitue une mystificationdont un écrivain protéiforme serait l’auteur : trentevies d’empereurs ou d’usurpateurs se succèdent à par-tir d’Hadrien (117-138 apr. J.-C.) ; dans ce vastepanorama qui couvre plus d’un siècle et demi ets’arrête juste avant Dioclétien (284 apr. J.-C.), le faithistorique côtoie souvent la simple anecdote et le sen-sationnel prend le pas sur la vérité ou même sur lasimple vraisemblance.

1. Sur les différentes périodes de l’histoire de Rome, voir l’index,p. 613-615, et la chronologie générale, p. 496.

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Le goût des Romains pour leur histoire se justifiepar le respect du passé ; il s’y ajoute un sentimentcomplexe de fierté nationale et de reconnaissance àl’égard des dieux et des hommes : c’est un devoird’arracher à l’oubli ceux qui ont fait la grandeur deRome et les lieux témoins de leur gloire. Cicéron,peut-être encouragé par l’exemple de César, songeaità écrire le récit des événements auxquels il avait étémêlé ou à confier ce soin à d’autres, comme le poèteArchias, qui se déroba ; pris par l’action puis par latourmente, il ne réalisa pas son projet, mais il eut letemps d’écrire en vers l’histoire de son consulat, dontil nous reste quelques fragments. On verra se dévelop-per sous l’Empire la mode des panégyriques, dont lepremier exemple conservé est le discours en l’honneurde Trajan prononcé par Pline le Jeune à l’occasion deson consulat et remanié par la suite. Pline le Jeuneaussi se sentait une vocation d’historien, sur les tracesde son oncle Pline l’Ancien dont l’œuvre historique,monumentale, est aujourd’hui perdue ; il s’estcontenté de monographies à la mémoire des victimesde Néron ou de Domitien, qui n’ont pas étéconservées.

Les limites de l’objectivité

Souvent engagés dans l’action politique, les histo-riens de Rome cherchent à se justifier ou à se conso-ler. Ce thème revient avec insistance dans les préfaces,de Salluste à Tacite en passant par Tite-Live. Onconçoit que le témoignage de César, malgré la garan-tie de faits connus de tous et d’ailleurs publiés réguliè-rement dans les rapports annuels au sénat, soitparfois sujet à caution dans la Guerre des Gaules et

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PRÉSENTATION 9

plus encore dans la Guerre civile : ses Mémoires ouCommentaires sont destinés à valoriser la loyauté etla bravoure de ses soldats, à expliquer son action poli-tique, en un mot à servir sa propagande, même s’ilsait rendre hommage à l’occasion à ses ennemis et àses adversaires 1. Son fils adoptif, l’empereur Auguste,établit à la fin de sa vie un bilan de sa vie politique.Ce document, Res gestae divi Augusti (Bilan du règned’Auguste), fut gravé sur les plaques de bronze devantson mausolée 2.

Il arrive parfois que la polémique fausse les pers-pectives : la modération dont auraient fait preuve lesGoths d’Alaric, leur respect des lieux saints lors de laprise de Rome en 410 apr. J.-C. paraissent suspectset révèlent le parti pris d’Orose, prêtre et historienengagé 3. Avec plus de probité sans doute, AmmienMarcellin a tendance à donner le beau rôle à l’empe-reur Julien, ce qui le rend souvent injuste à l’égardde Constance II 4. La désignation de Julien commeAuguste à Paris ne fut peut-être pas une surprise pourlui 5 ; en tout cas la scène, à laquelle Ammien n’a pasassisté, est fort bien rendue et fourmille de détails prissur le vif.

La formation des hommes politiques passait néces-sairement par l’école des rhéteurs ; à l’enseignementthéorique s’ajoutait l’indispensable pratique du forum.Tous avaient l’occasion de s’exprimer à la tribune auxharangues, au sénat, à l’armée. Ils soutenaient leursopinions, plaidaient leur cause, participaient auxdébats, défendaient leurs amis, encourageaient leurs

1. Voir p. 41.2. Voir p. 256.3. Voir p. 484.4. Voir p. 426.5. Voir p. 432.

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soldats avant la bataille. De là vient que la tournured’esprit des Romains et leur mode d’expression privilé-gié accordent une place essentielle aux discours. Leshistoriens, sauf dans les cas précis où ils affirment citertextuellement un propos 1, ne prétendent pas reproduireles paroles des orateurs. Toujours recomposés, ces dis-cours ne présentent aucun caractère d’authenticité,même si l’historien dispose de documents précis ou uti-lise ses souvenirs personnels ; cependant, il ne faudraitpas les réduire à de simples exercices de style : le dis-cours éclaire les motivations secrètes, analyse la situa-tion, explique les raisons de la décision. Justin, qui citeen le résumant Trogue-Pompée, contemporaind’Auguste, critique l’emploi chez les historiens du dis-cours direct, qui lui paraît trompeur, et met nommé-ment en cause Salluste et Tite-Live 2 : il ne prétend paspour autant que le violent réquisitoire de Mithridatecontre les Romains soit authentique ! César, de soncôté, préfère généralement le style indirect, plus incisifet plus sobre.

Pour recréer l’atmosphère des débats, les historiensse plaisent à pasticher l’orateur : Salluste, dans le dis-cours qu’il prête à Memmius, tribun de la plèbe en111 av. J.-C., imite son style vigoureux, violent, sansconcessions, reflétant les mœurs du siècle passé 3. Cer-tains discours prennent un relief particulier du faitdes circonstances : Ammien, qui accompagnait Julienen Orient, même s’il n’assista pas aux derniersmoments de l’empereur, évoque avec émotion ledernier entretien de celui-ci avec ses amis dans une

1. Voir p. 125 et 384.2. Voir p. 409.3. Voir p. 141-145.

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PRÉSENTATION 11

atmosphère recueillie et sereine 1. L’Histoire Auguste,volontairement parodique, multiplie les faux docu-ments, déclarations, lettres, discours suivis : ils sonttous apocryphes. Le discours permet de présenter defaçon vivante les conflits d’opinion : à propos dudébat sur le sort des complices de Catilina, Salluste« cite » in extenso le discours de César 2 et celui de sonprincipal adversaire, Caton, qui finira par emporter ladécision ; le lecteur est ainsi amené à se forger sapropre opinion. On sait que les discours de Cicéronont tous fait l’objet d’importants remaniements avantleur publication ; certains discours n’ont même jamaisété prononcés, comme la quatrième Catilinaire queCicéron prétend avoir prononcée devant le sénat etdont Salluste, bien entendu, ne parle pas. L’aspectrhétorique est un des caractères distinctifs de l’his-toire romaine, source d’informations mais aussi, etsurtout, œuvre littéraire, destinée, suivant la formulede Cicéron, à plaire et à instruire.

Quelle que soit l’époque retenue, le choix de l’histo-rien est dicté par son admiration pour la grandeur deRome, par l’horreur des guerres civiles, et parfois parle dégoût de son temps. Le « pessimisme » qu’onreproche souvent à Tacite s’explique trop bien par lesdrames qui ont marqué la dynastie julio-claudienne,de l’avènement d’Auguste à la mort de Néron en68 apr. J.-C. La quête du passé console des malheursprésents ; cette tendance générale a pour conséquencela restauration des monuments et le respect desauteurs anciens : la culture classique, diffusée par lesécoles, devient ainsi un élément d’unité pour les élitesintellectuelles. Des images récurrentes hantent la

1. Voir p. 443-445.2. Voir p. 126-131.

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mémoire collective des Romains : l’humiliation desFourches caudines, la prise de Rome par les Gaulois,l’occupation de l’Italie par les troupes d’Hannibal, lesconspirations et leur répression impitoyable, l’incen-die du Capitole, la peur des invasions ; mais il ne fautpas oublier non plus la fierté ressentie lors de la célé-bration des triomphes et des cérémonies en l’honneurdes dieux. Tels sont les thèmes qui nous ont servi defil conducteur dans le choix des textes que nous pré-sentons dans cette anthologie. Longtemps favoriséepar la Fortune, qui avait son temple dans toutl’Empire romain et qui devint protectrice officielle desempereurs, Rome, à qui elle offrait une sorte degarantie d’éternité, finit par succomber sous lapoussée des hordes barbares. La Ville doit à ceux quiont écrit son histoire de rester, même pour ceux quil’ont vaincue, une grande puissance conquérante : sonœuvre civilisatrice a survécu à sa gloire militaire.

Les étapes de la conquête

La puissance expansionniste de Rome est indé-niable : la tradition se plaît à insister sur la modestiedu premier habitat (un « asile », refuge de bergers etde hors-la-loi) afin de mieux mettre en valeur sondéveloppement ultérieur 1. À la différence des villesgrecques, Rome a de tout temps accordé le droit decité aux étrangers, parcimonieusement d’abord et àtitre individuel, puis collectivement. La conquête del’Italie fut accompagnée d’un effort d’intégration quiprit des formes diverses. La puissante gens des Claudii

1. Voir p. 183-184.

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PRÉSENTATION 13

était fière de rappeler que son ancêtre sabin, AttusClausus, avait été le premier « étranger » admis parmiles pères en 504 av. J.-C., an V de la République ;et son lointain descendant l’empereur Claude, pourdéfendre l’octroi de la citoyenneté complète auxGaulois de la Lyonnaise, rappelle tous les avantagesque Rome a tirés de l’adoption de familles d’Espagneou de Gaule narbonnaise 1. Après l’annexion de plu-sieurs bourgades (le vetus Latinum), Rome dut livrerune guerre longue et difficile contre les peuples duLatium : la bataille de Véséris en 340 av. J.-C., célèbrepar le sacrifice (devotio) du consul Décius Mus, quidonna sa vie pour sauver ses légions, régla leur sort,octroyant aux villes de la confédération demeuréesfidèles, à titre de récompense, la citoyenneté complèteet l’inscription dans les tribus rustiques. L’intégrationdes Samnites, des Étrusques, des Transpadans se fiten échange d’obligations militaires et fiscales qui fon-dèrent le statut des municipes ; des colonies decitoyens romains (surtout le long des côtes) et descolonies latines sur l’ensemble du territoire jouèrentun rôle actif dans le processus de romanisation : lepeuplement de ces dernières était assuré en partie pardes citoyens romains, mais en majorité par les alliés.Contraints d’entrer dans l’alliance de Rome à la suitede défaites, les alliés gardaient leurs institutions etleurs coutumes locales mais devaient à Rome unecontribution militaire et une aide financière établiesune fois pour toutes par traité ; dans l’armée républi-caine, ils constituaient plus de la moitié des effectifs.Pour maintenir le calme et assurer la diffusion de lacivilisation romaine, des colonies militaires (peuplées

1. Voir p. 337.

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de vétérans) étaient réparties sur l’ensemble du terri-toire, en Italie et surtout dans les provinces.

La Grande Grèce, à l’exception de la Sicile, résistaplus longtemps à l’assimilation ; Tarente fit mêmeappel à Pyrrhus pour lutter contre l’occupationromaine. Quand la ville passa à son tour sous ladomination de Rome, en 272 av. J.-C., la conquête del’Italie était achevée – toute la péninsule, y comprisla Cispadane, était désormais soumise à Rome. LesGaulois établis sur la rive gauche du Pô furent refou-lés en 222 lorsqu’ils tentèrent de franchir le fleuve ;les territoires autrefois concédés aux Gaulois sur lacôte adriatique, l’ager Gallicus, furent confisqués etdistribués à des colons qui en devinrent propriétaires.Cependant cette unité était encore fragile : après ladéfaite de Cannes (216 av. J.-C.), toutes les cités deGrande Grèce, à l’exception de Nole, se rallièrent augénéral carthaginois Hannibal qui leur promettait deles libérer de la domination romaine.

La crise provoquée par les Gracques (134-121 av. J.-C.) puis la guerre sociale, ou guerre desAlliés (91-88 av. J.-C.), témoignaient d’un profondmalaise 1. Le mécontentement était soigneusemententretenu par les formations politiques soucieuses derécupérer la clientèle italienne : au lendemain de lavictoire de Pydna en 168 av. J.-C., les citoyens romainsfurent dispensés de l’impôt alors que les alliés conti-nuaient à payer la contribution fixée par traité (vecti-gal). De vastes territoires annexés ou confisqués,notamment dans l’opulente Campanie, étaient réqui-sitionnés par l’État (ager publicus) ou répartis engrands domaines alors que la plèbe rurale manquaitde terres : la question agraire posée par les Gracques

1. Voir p. 269-278.

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PRÉSENTATION 15

n’a cessé d’alimenter l’opposition tribuniciennejusqu’à la fin de la République. La première coloniede citoyens romains en dehors de l’Italie, Narbo Mar-tius, fut fondée en 118 av. J.-C. et donna son nomà la Gaule narbonnaise. Dès l’année 103, le tribunSaturninus réclamait des terres en Afrique pour lesvétérans de la guerre contre Jugurtha. En 91, MarcusLivius Drusus, reprenant les propositions de GaiusGracchus, se préparait à faire voter une loi donnantla citoyenneté à tous les Italiens quand il fut assas-siné. L’année suivante, la lex Julia octroyait lacitoyenneté à tous les Latins et aux alliés qui n’avaientpas pris les armes contre Rome au sud d’une lignePise-Ariminum : l’opposition conservatrice, incarnéepar le sénat, freina d’abord ce mouvement, cependantl’idée faisait son chemin. En 49 av. J.-C., César fitvoter la lex Roscia, qui donnait la citoyennetéromaine à tous les hommes libres de Cisalpine : lapéninsule était romaine des Alpes au détroit de Mes-sine ; la même année, toujours sous l’impulsion deCésar, Marseille devenait ville romaine. Le processusprit de plus en plus d’ampleur ; Vespasien, par recon-naissance, accorda le droit latin à toutes les cités deLusitanie ; en 212 apr. J.-C., Caracalla déclaracitoyens romains tous les hommes libres de l’empire.

La constitution de l’empire

Hors de l’Italie, la conquête est présentée par leshistoriens latins comme une conséquence directe ouindirecte des guerres puniques ; elle est justifiée entout cas par la rivalité qui ne cessa d’opposer Romeet Carthage pour obtenir l’hégémonie dans le bassinméditerranéen. C’est indéniable pour la Sicile,

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ROME16

première colonie romaine en 241 av. J.-C. La guerrede Macédoine contre Philippe V s’expliquerait par laconnivence du Macédonien avec Hannibal et parl’envoi d’un contingent macédonien à Zama 1 : c’estseulement en 146 av. J.-C., après la destruction deCorinthe, que la Macédoine fut organisée en pro-vince. Hannibal en tout cas, ennemi irréductible deRome, joua un rôle majeur dans la guerre contreAntiochus chez qui il s’était réfugié ; dans le mêmetemps, la destruction de Carthage autorisait la créa-tion de la province d’Afrique. Au dernier siècle dela République, Rome bénéficia de plusieurs legs quiaugmentaient considérablement l’étendue de ses terri-toires d’outre-mer : en 133 le royaume d’Attale (pro-vince d’Asie), en 96 la Cyrénaïque, en 74 le royaumede Bithynie légué par Nicomède III ; Pompée, vain-queur de Mithridate, organisa entre 65 et 63 les pro-vinces du Pont-Bithynie et de Syrie, et donna àl’ensemble de l’Asie Mineure un statut qui demeuralongtemps en vigueur. La conquête de l’Espagne, pro-voquée par l’offensive carthaginoise en 218 av. J.-C.,était encouragée par les richesses minières de laBétique, la défense des frontières de Gaule narbon-naise et le contrôle du bassin occidental de la Médi-terranée : amorcée par Publius et Gnaeus Scipion,continuée par Scipion l’Africain, elle s’acheva sousAuguste qui participa personnellement à la luttecontre les Cantabres. Rome intervint en Numidiepour protéger la province d’Afrique, et ce fut laguerre contre Jugurtha pour laquelle le sénat montrad’abord peu d’empressement : le but avoué de l’inter-vention était la défense de la province d’Afriquecontre les incursions numides et la protection des

1. Voir p. 226.

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PRÉSENTATION 17

hommes d’affaires italiens installés sur le territoirenumide 1. La guerre contre Mithridate, menée à bienpar Pompée, protégeait les intérêts romains en Asie,défendait la frontière syrienne et confirmait l’hégé-monie de Rome sur mer. Dans le même temps survintun événement dont il convient de soulignerl’ampleur : les premières invasions des Cimbres et desTeutons, repoussées par Catulus et Marius en 102 et101 av. J.-C. ; les frontières mêmes de la patrie furentalors menacées.

Les provinces extérieures (Sicile, Sardaigne-Corse,Espagnes citérieure et ultérieure) avaient d’abord étéconfiées à l’un des préteurs puis, à partir de Sulla (lexCornelia), à un ancien consul avec titre de proconsul.Pompée imposa en 52 av. J.-C. un délai de cinq ansentre la magistrature et la promagistrature ; ces fonc-tions étaient annuelles, le choix de la province étaitsoumis au tirage au sort, même si des arrangementsrestaient possibles. Il y avait en effet de bonnes pro-vinces, lucratives et peu belliqueuses comme l’Asie, etd’autres dangereuses, moins recherchées. L’organisa-tion des provinces fut profondément modifiée parAuguste : doté en 23 av. J.-C. de l’imperium proconsu-laire, il se réservait les provinces « à risques » (les pro-vinces impériales dans lesquelles il délégua des légatspro praetore ou pro consule pour une durée variable),qui disposaient d’une armée ; dans les provinces séna-toriales, démilitarisées, le « proconsul » était choisipar le sénat parmi d’anciens consuls (Asie, Afrique)ou d’anciens préteurs (Espagnes) et nommé pour unan ; l’Égypte, sous les ordres d’un préfet nommé parl’empereur, bénéficiait d’un statut particulier.

1. Voir p. 136 et 141.

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ROME18

La conquête connut sous Trajan (98-117 apr. J.-C.)une accélération notable, préparée par les efforts deVespasien pour consolider et protéger les frontièresde l’empire. Les guerres se succédèrent sous son prin-cipat : en Dacie, pour renforcer la frontière danu-bienne contre les invasions barbares ; en Arabie,contre les Nabatéens qui menaçaient les relationsentre l’Égypte et la Judée ; contre les Parthes, pourassurer la protection de la Syrie : désormaisl’Euphrate était franchi. Les historiens anciens ontblâmé Trajan d’avoir voulu marcher sur les tracesd’Alexandre, ou, plus modestement, sur les pas deCésar et d’Antoine. Il reviendra à son successeurHadrien 1, l’empereur voyageur, de consolider lesfrontières au lieu de poursuivre l’annexion : dès117 apr. J.-C., les conquêtes orientales de Trajan sontabandonnées ; en 123, une fois la paix conclue avecles Parthes, la frontière de l’empire est marquée parle cours inférieur de l’Euphrate. Il s’agit maintenantde défendre l’empire contre les attaques : d’offensive,la guerre devient défensive. Le « mur d’Hadrien »protège la partie de la (Grande-)Bretagne soumise àRome contre les Pictes et les Scots ; le long du Rhinet du Danube, le limes, ligne fortifiée aux frontièresde l’empire, est renforcé de Colonia Ulpia Trajana(Xanten) à Castra Regina (Regensburg). Des campsfixes et des villes de garnison protègent les Germa-nies, la Rétie, puis le Norique et la Pannonie : Vetera,Novaesium, Cologne, Bonn, Aix ; des villes se déve-loppent sur le Rhin (Mayence, Trèves, Strasbourg) oudans la vallée du Danube : Augsbourg (Augusta Vin-delicum), au confluent de la Lech et de la Wertach,Vienne (Vindobona) – où Marc Aurèle trouvera la

1. Voir p. 453-461.

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PRÉSENTATION 19

mort –, Carnuntum, ou encore Sirmium, au confluentde la Save, qui deviendra résidence impériale. Dessignes inquiétants apparaissent un peu partout dansl’immense empire : les bandes d’envahisseurs s’orga-nisent, se regroupent. Les plus redoutables sont lesAlamans qui s’installent dans les Champs décumates,périmètre délimité par le Rhin, le Neckar et le hautDanube ; les Francs occupent la rive droite du Rhininférieur, les Goths descendent du nord. La ligne duDanube, que Marc Aurèle s’était épuisé à défendre,est exposée aux raids des Sarmates.

Dioclétien (284-305), après une crise politique trèsgrave, réorganisa l’empire ébranlé de tous côtés : lesGoths attaquaient la Grèce et l’Asie, les Saxons fai-saient leur apparition sur les bords de la mer du Nord,les Alamans envahissaient la Gaule et menaçaientl’Italie, les Roxolans et les Sarmates se jetaient sur laPannonie ; Palmyre faisait sécession ; le roi de PerseSapor Ier (241-272) fit prisonnier l’empereur Valérienet le mit à mort ignominieusement. Dioclétien com-mença par morceler les provinces qui de quarante-septpassèrent à quatre-vingt-cinq ; il les regroupa en treizediocèses confiés à des vicaires : quatre étaient rattachésà la préfecture d’Orient (Thrace, Asie, Pont-Orient,Égypte), six à la préfecture d’Italie (Macédoine, Dacie,Pannonie, Afrique, Italie, Rome), trois à la préfecturedes Gaules (Gaules, Espagnes, Bretagne). Le préfet dela Ville administrait Rome et Ostie ainsi qu’une zonede cent milles (cent cinquante kilomètres) autour de laville. Pour mieux surveiller l’immense empire, Dioclé-tien mit en place la tétrarchie, instaurant deuxAugustes et deux Césars qui se partageaient l’Orient(Sirmium, Antioche) et l’Occident (Milan, Trèves) ; lesystème ne lui survécut pas et Constantin rétablitl’unité de l’empire en 324. Le partage du pouvoir

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n’était pas une idée nouvelle, mais c’était la premièrefois qu’apparaissait une scission entre l’empire d’Occi-dent et l’empire d’Orient ; l’admirable groupe égypti-sant en porphyre rouge placé à l’angle de la basiliqueSaint-Marc à Venise et provenant de Constantinople(comme le prouve la découverte récente du pied d’undes tétrarques dans cette ville) pouvait donner l’illu-sion que ce partage, équitable et serein, était le gaged’une paix solide. En 330, l’empereur inaugura sa nou-velle capitale, Constantinople, redessinée sur le modèlede Rome, à l’emplacement de l’ancienne Byzance.

Les invasions allaient tout remettre en question. Lesempereurs ont cru arrêter le déferlement de hordes bar-bares en sédentarisant les hommes et en les établissantcomme colons : ces immigrés pourraient mettre lesterres en culture et fournir des soldats ; cependant iln’était pas question de les intégrer. Vers 375, les Hunsfranchirent la Volga, poussant devant eux les Alains ;ils se heurtèrent aux Ostrogoths d’Ukraine, chassèrentles Wisigoths et traversèrent le Dniestr : Valens finit parles autoriser à s’installer sur la rive droite du Danube :l’année suivante, il perdait la vie à la bataille d’Andri-nople (378) 1, et les envahisseurs, Ostrogoths, Alains etSarmates, ne s’arrêtèrent qu’à Constantinople. Théo-dose Ier dut traiter avec les Goths en 380. Le statut juri-dique des Barbares admis dans l’empire différaitsuivant les peuples et les circonstances de leur défaite :les vaincus (déditices), installés sur des terres publiquesou privées, devaient payer la capitation et effectuer unservice militaire ; les « fédérés », qui avaient obtenu deRome un traité, avaient droit de propriété ; les « lètes »(Francs) et les « gentils » (Sarmates) fournissaientdes recrues en échange de terres. La physionomie des

1. Voir p. 445-450.

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Balkans allait être définitivement marquée par cetafflux de populations étrangères.

Les instruments de la conquête

Le service armé apparaît d’abord comme un devoiret un privilège de classe. La constitution prêtée au roiServius Tullius (578-535 av. J.-C.) prévoyait la réparti-tion du corps civique en cinq classes (plus une centu-rie de prolétaires exemptée du service militaire)suivant la fortune recensée (le cens). Les soldats depremière classe, les plus riches, portaient un casque,un bouclier, des jambières et une cuirasse ; ils étaientarmés de la lance et de l’épée : cet armement, inspirédes hoplites grecs, devenait plus sommaire quand onpassait dans les classes suivantes, jusqu’à la cin-quième, simplement équipée de frondes et de pierres.Les fantassins fournissaient eux-mêmes leurs armes.Les cavaliers appartenaient tous à la première classe :l’État versait une indemnité pour l’achat du chevalqu’il fallait nourrir et entretenir à ses frais. Camille,qui sauva Rome de l’humiliation en 390 av. J.-C. 1,réforma l’armée : la légion comptait alors trentemanipules de deux centuries chacun, soit un total dequatre mille six cents hommes. Les consuls recru-taient chaque année, en accord avec le sénat, leslégions en nombre suffisant (généralement quatre)pour défendre la ville et répondre aux agressions exté-rieures ; les soldats leur prêtaient serment : aban-donner son général était une faute grave que lesvaincus de Cannes payèrent cher 2. À partir du

1. Voir p. 189.2. Voir p. 207.

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IIIe siècle av. J.-C., des contingents alliés fournis parles peuples d’Italie soumis à Rome doublèrent l’arméenationale, mais il n’y avait pas de soldats merce-naires ; dans les provinces, les généraux recrutaient enpartie sur place les troupes dont ils avaient besoin.

Marius, à qui le sénat refusait les troupes qui luiétaient nécessaires pour mener à bien la guerre contreJugurtha, réforma l’armée en 107 av. J.-C., tant sur leplan tactique que militaire : ce fut la fin de l’armée cen-sitaire. On recruta tous ceux qui se présentaient àcondition qu’ils fussent citoyens romains, sans distinc-tion de classe ou de fortune ; le volontariat complétaitle service obligatoire ; à l’armée nationale se substituaitune armée professionnelle, essentiellement proléta-rienne, entièrement dévouée à son chef. L’unité tac-tique était la cohorte formée de trois manipules dedeux centuries chacun ; la légion comprenait dixcohortes, soit six mille hommes. Après la batailled’Actium (31 av. J.-C.), il fallut démobiliser : trois centmille hommes rendus à la vie civile reçurent des terresen Italie, en Gaule narbonnaise et en Espagne ; en6 av. J.-C. fut créé l’aerarium militaire, destiné à payerles retraites. À la mort d’Auguste, l’armée romainecomptait vingt-cinq légions (chacune comprenant cinqmille fantassins et cent vingt cavaliers), recrutées pourl’essentiel en Italie ; des unités auxiliaires étaient four-nies par les citoyens romains des provinces.

L’armement évolua et se perfectionna. Au tempsdes guerres puniques, les légionnaires portaient unecotte de maille, un casque en cuir ou en fer empruntéaux Gaulois, un bouclier long, le scutum, empruntéaux Samnites, une lance, deux javelots, un glaived’origine espagnole (le gladius, remplacé au cours duIIe siècle par une épée plus longue) et un poignard.Aux heures les plus sombres de l’occupation carthagi-

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noise, on en vint même à recruter des esclaves pourne pas faire appel aux mercenaires : en 214 av. J.-C.,le consul promit la liberté à ceux qui rapportaient latête d’un ennemi (ils coupèrent la tête de ceux quiétaient déjà morts !). Il était de règle que l’ennemid’hier, pacifié, servît dans l’armée du vainqueur : c’estainsi que Philippe V participa aux côtés des Romainsà la guerre contre Antiochus, son ancien allié. Il fautsouligner l’importance croissante de la garde préto-rienne, garnison de Rome et garde personnelle del’empereur, créée par Auguste en 26 av. J.-C. : àl’origine, ce corps comportait neuf cohortes, disper-sées dans les villes du Latium puis regroupées parTibère dans le camp prétorien à la porte de Rome.Dans les périodes de troubles, c’était l’armée qui choi-sissait et proclamait l’empereur, rôle dévolu normale-ment au sénat : au cours de l’année des « quatreempereurs » (69 apr. J.-C.), les rivalités entre lesarmées d’Espagne, du Rhin et d’Orient provoquèrentle retour des guerres civiles auxquelles mit fin l’avène-ment de Vespasien 1. À partir du IIIe siècle apr. J.-C.,on vit apparaître des « usurpateurs » qui, poussés parl’armée, revendiquaient le pouvoir aux dépens del’empereur en titre. Septime Sévère, originaire de Lep-tis Magna en Tripolitaine, proclamé empereur par sestroupes en 193 apr. J.-C., doubla les effectifs de lagarnison de Rome (de quinze mille à trente millehommes) et maintint en Italie des forces considérablespour lutter contre les coups de force et les usurpa-tions ; on l’accusa d’avoir « barbarisé » l’armée et lagarde.

L’armée romaine était devenue avec le temps unearmée de métier : la solde, qui avait fait scandale au

1. Voir p. 293-303.

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temps de Camille vers 400 av. J.-C., avaitsubstantiellement augmenté. Cependant le recrutementrestait difficile ; la carrière était longue, peu attractive :les lettres des soldats à leur famille qui nous sont parve-nues évoquent l’ennui sous des cieux souvent peu clé-ments. Dans les guerres des temps reculés, le butin, plusqu’un appoint, constituait la véritable source de revenusdes soldats, qui n’étaient payés qu’à la fin de la cam-pagne ; dans la vallée du Danube où était concentrél’essentiel des troupes aux confins de peuplades barba-res, en Thrace, en Germanie, en Bretagne, en Afriquemême, on ne pouvait guère espérer tirer grand-chosedu pays. Des inscriptions et des monuments funérairesexaltent en termes stéréotypés le sacrifice des centurionset des officiers, parfois même des simples soldats, mortsloin de chez eux. Le recrutement étranger dépassait lar-gement l’élément national : longtemps, les empereursimposèrent un commandement romain ; il parut plusnormal au Bas-Empire de confier le commandement detroupes étrangères à des généraux étrangers dont la bra-voure était reconnue ; et c’est même parfois parmi cesétrangers qu’on recrutait les dignitaires tels que leVandale Stilicon, ou les empereurs, comme lors de lagrande crise qui frappa l’empire entre 235 et260 apr. J.-C.

Le danger était particulièrement grave quand onrecrutait sur place les troupes destinées à la sur-veillance des frontières : les mutineries n’étaient pasrares, par exemple sur la ligne du Rhin, et plus encoreen Orient en raison de l’éloignement ; tenues par leurserment d’obéir à leur général, les troupes s’esti-maient libérées à sa mort et chacun rentrait chez soi.Au Bas-Empire, les corps auxiliaires recrutés parmiles Barbares étaient prédominants : le service était

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toujours obligatoire mais on enrôlait d’abord lesvolontaires qui généralement suffisaient. L’effectif deslégions était de mille à cinq mille hommes ; les auxi-liaires regroupés en corps de cinq cents ou millehommes se divisaient en ailes (cavalerie), cohortes(fantassins) et numeri, troupes de soldats étrangersqui gardaient leur uniforme, leur armement et le nomde leur pays d’origine : les Maures, les Illyriens, etc.Cette évolution, relativement maîtrisée tant que lepouvoir central était fort, risquait de dégénérer :l’exemple de Vindex sous Néron, la mutinerie del’armée du Rhin fidèle à Vitellius et la création d’unEmpire batave 1, la création d’un empire des Gaules(258-273) et la soumission de Tétricus sous Aurélien 2,la sécession d’Odenath à Palmyre sous le prétexte dedéfendre la frontière d’Asie contre l’impérialismeperse, révélèrent autant de fissures inquiétantes.Quand les envahisseurs, par leur nombre, leur bruta-lité, leur farouche détermination, firent sauter les bar-rages, la porte fut largement ouverte aux tragédies depalais et aux usurpations.

La guerre était soigneusement codifiée. Avant toutechose, pour bénéficier de l’aide des dieux, il fallaits’assurer que la guerre était « juste », c’est-à-diredéfensive : réponse à une agression, représailles,demande de réparations. Sous la République, le sénatdécrétait la guerre qui devait être votée par le peuple.Les fétiaux, collège de vingt prêtres nommés à vieet recrutés par cooptation parmi les patriciens et lesplébéiens, jouaient un rôle déterminant : ils accompa-gnaient les missions diplomatiques à l’étranger, assis-taient à la déclaration de guerre et à la conclusion de

1. Voir p. 304.2. Voir p. 472.

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la paix, observaient à cette occasion des rites spéci-fiques, très archaïques. Pour connaître la volonté desdieux, on prenait les auspices avant de livrer batailleen examinant les entrailles des poulets sacrés quel’armée emportait avec elle : si les signes étaient défa-vorables, les opérations étaient suspendues. Le géné-ral victorieux négociait lui-même les conditions depaix qui devaient être ratifiées à Rome. Le sénatenvoyait généralement une commission de dixmembres observer la situation sur place : ce travailoccupait souvent une année entière. Traditionnelle-ment, pendant la durée de la guerre, les portes dutemple de Janus demeuraient ouvertes. Le général,avant son départ à la tête de l’armée, prononçait desvœux dont il s’acquittait scrupuleusement à sonretour ; le sénat décrétait des prières d’actions degrâces aux dieux et, après discussion, votait letriomphe : pour l’obtenir, il fallait être – ou avoir été –consul ou dictateur, avoir fait une guerre juste, avoiragrandi l’ager publicus et avoir tué au moins cinqmille ennemis.

La religion traditionnelle continuait de marquer lesesprits, même à basse époque : l’empereur Julien, le« Renégat », croyait aux rêves prémonitoires, consul-tait les haruspices qui se reportaient toujours auxlivres Sibyllins, voyait dans le passage d’une étoilefilante le présage de sa mort prochaine 1. Le christia-nisme faisait de timides progrès, mais l’armée, desouche paysanne, résistait aux idées nouvelles. Lesempereurs chrétiens luttaient contre les manifesta-tions du culte traditionnel : Constance II interdit lessacrifices païens et ordonna la fermeture de certainstemples (356) ; le paganisme fut abandonné comme

1. Voir p. 441.

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religion d’État, mais l’affaire de l’autel de la Victoire,que l’empereur Gratien voulait faire enlever de lacurie, dura près de vingt ans, de 382 à 402 ; en 385,l’examen des entrailles des victimes fut proscrit parThéodose ; en 392, il interdit le culte païen dansl’empire : le renouvellement de cette interdiction parValentinien III en 435, cinq ans après la mort de saintAugustin, montre que le paganisme n’était pas encoremort.

La gloire de Rome

Les triomphes, célébrés généralement à la fin del’année civile, étaient une grande fête patriotique etreligieuse à laquelle le peuple tout entier participait 1 :en tête marchaient les sénateurs, les magistrats, lesmusiciens ; venaient ensuite les dépouilles prises àl’ennemi, le butin, les prisonniers voués à la mort ; aucentre, précédé de licteurs, l’imperator, assis sur sonchar de triomphe, était revêtu de la toga palmata, cou-ronné de laurier et portant le sceptre ; en fin de cor-tège, l’armée, témoin et artisan de la victoire ;l’hommage à la bravoure des hommes était complétépar des prières aux dieux pour les remercier. À partirde la prise du pouvoir par Auguste en 27 av. J.-C.,l’empereur est chef suprême des armées. Dès lors, ilest seul susceptible de remporter le triomphe, touteguerre étant faite « sous ses auspices », c’est-à-diresous sa responsabilité et avec la protection des dieux ;il délègue son autorité à ses « légats », et les générauxvainqueurs obtiennent seulement les « insignes dutriomphe » – couronne de laurier et toge pourpre

1. Voir p. 250-251.

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brodée d’or. Le triomphe est exclu s’il est remporté« sur le sang romain », autrement dit après une guerrecivile. Le caractère sacré du triomphe se perdit avecle temps : jamais Vopiscus, l’un des auteurs présumésde l’Histoire Auguste, n’aurait décrit le triomphed’Aurélien sous des traits aussi cocasses si la cérémo-nie avait gardé à son époque le caractère sacré desorigines 1.

Les funérailles des grands personnages étaient aussil’occasion d’exalter la gloire individuelle : le défilé desimagines (portraits peints ou sculptés), les inscriptionsflatteuses qui les accompagnaient remplissaientd’admiration le Grec Polybe au milieu du IIe siècleav. J.-C. : « Lorsqu’un personnage important de lafamille vient à mourir, on fait porter les portraitsdans le cortège funèbre par des hommes ayant unestature et une corpulence comparables à celles des dis-parus qu’ils représentent […]. Lorsqu’ils atteignent lesRostres, ils s’asseyent tous à la file sur des siègesd’ivoire. On ne saurait imaginer plus noble spectacleque celui-là pour un jeune homme épris de gloire etde vertu. Est-il en effet quelqu’un qui, voyant réuniesles images pour ainsi dire vivantes et animées de cesgrands hommes honorés pour leur mérite, ne seraitstimulé par ce spectacle ? Se peut-il rien voir de plusbeau 2 ? »

La politique conquérante de Rome trouvait sonaboutissement naturel dans l’art monumental. AuForum, le consul Maenius orna la tribune auxharangues au sud du Comitium du premier trophéede guerre, les éperons (rostra) enlevés aux Antiates en

1. Voir p. 470-474.2. Polybe, Histoire, VI, 53, trad. D. Roussel, Gallimard, « Biblio-

thèque de la Pléiade », 1970.

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338 av. J.-C., d’où le nom de Rostres qui lui restaattaché. En 260 av. J.-C., une colonne rostrale célébrala victoire de Duillius sur la flotte carthaginoise (pre-mière guerre punique). Les remerciements aux dieuxsous forme d’ex-voto et les inscriptions flatteuses pre-naient tant de place sur la terrasse du Capitole queles censeurs étaient périodiquement obligés de la fairedégager. Il y avait des statues partout, dans les rues,sur les places, dans les lieux publics, les théâtres, lesthermes, les bibliothèques, à l’ombre des portiques,dans les parcs privés ou publics. Les rois, les grandesfigures du passé, les héros de la guerre, les empereursétaient partout présents et ornaient les nouveauxforums : outre l’Ara Pacis Augustae, citons l’autel dela Piété élevé par Claude entre 50 et 60 apr. J.-C.,le monument érigé par Marc Aurèle (onze panneauxsubsistent dont huit ont été remployés pour l’arc deConstantin), ou encore le monument historié à Véruset Marc Aurèle qui ornait la via d’Éphèse(aujourd’hui à Vienne). Des scènes de bataille concur-rençaient sur les sarcophages les sujets mythologiqueset consacraient la supériorité de Rome sur les Barba-res. Auguste, souvent associé à Livie (Augusta), étaithonoré de son vivant à Rome et dans tout l’empirepar des autels en Espagne (Tarragone, Mérida), enGaule (autel des trois Gaules au confluent de laSaône et du Rhône, autel de Narbonne), au bord duRhin (autel des Ubiens sur le site de Cologne) et del’Elbe, tous élevés entre 26 av. J.-C. et 13 apr. J.-C. Untemple voué après le décret d’apothéose lui fut dédiéen 37 apr. J.-C. Citons encore le temple de la Paix,voué par Vespasien pour célébrer la fin de la guerrecivile et achevé par Hadrien, le temple de Vénus et deRome – dédié et, dit-on, dessiné par Hadrien –, letemple d’Hadrien divinisé élevé par Antonin, le

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temple d’Antonin et Faustine sur le Champ de Mars.D’autres ont partiellement disparu ou ne sont connusque par des monnaies : le temple de Claude élevé parAgrippine et achevé par Vespasien dans les jardins duCaelius, près du portique que Domitien consacra àVespasien et Titus divinisés (porticus divorum), ou letemple monumental de Trajan et Plotine surle Forum. Des confréries étaient chargées d’assurerle culte des empereurs. Les provinces s’ornaient detemples, comme celui d’Hadrien à Éphèse (vers 120)ou, dans cette même ville, le monument à MarcAurèle et Vérus (166-170). Chaque province avait unchef-lieu où se trouvait l’autel de Rome et d’Augusteet où se réunissait l’assemblée provinciale.

Les victoires étaient commémorées par les tro-phées, à l’origine simple dépôt d’armes fixé à unarbre : le trophée de la Turbie, près de Nice, érigépar Auguste en 6 av. J.-C., célèbre la pacification desrégions alpines ; les deux trophées de Domitien, auCapitole, ses victoires sur les Germains (84 et90 apr. J.-C.). Le trophée qui est certainement le plusimpressionnant se trouve dans la Dobroudja, àAdamklissi (vers 109 apr. J.-C.) ; destiné à rendrehonneur aux victoires de Trajan sur les Daces, il seprésente sous forme de métopes historiées. Les mon-naies véhiculaient partout l’effigie de l’empereur,qu’elles représentaient en majesté, couronné par laVictoire, tenant le globe du monde ou, plus tard, pro-tégé par le chrisme. On doit à Auguste le premier arc,simple porte triomphale, qui orna le Forum, en l’hon-neur de la victoire d’Actium ; il fut transformé dixans plus tard, à la fois pour effacer le mauvais souve-nir des guerres civiles et pour célébrer le retour desenseignes romaines que gardaient les Parthes depuisla défaite de Crassus en 53 av. J.-C. : sur ses trois

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arches était gravé le nom de tous les consuls de laRépublique. Les arcs de triomphe se multiplièrent parla suite, à la gloire de Rome : l’arc d’Auguste, à Suse(vers 10 av. J.-C.) ; l’arc de Titus (80-85 apr. J.-C.), àl’entrée du Forum et au débouché de la via Sacra,pour célébrer sa victoire sur les Juifs et la prise deJérusalem ; l’arc de Trajan, à Bénévent, voté par lesénat en 114 apr. J.-C., rappelant l’ouverture de lanouvelle via Appia qui facilitait les relations avec leport de Brindes, terminé sous Hadrien ; l’arc dontSeptime Sévère orna sa ville natale de Leptis Magna,et qui le représentait entre ses deux fils Géta et Cara-calla, sur le char triomphal. Sur l’arc qu’il fit édifier àRome, les victoires sur les Parthes occupent les quatrepanneaux qui surmontent les petites arches, tandisque la cérémonie du triomphe s’étire sur la frise quisépare les voûtes latérales des panneaux historiés.L’arc de Constantin à Rome commémorait la victoiredu pont Milvius sur Maxence, le 28 octobre312 apr. J.-C. Constantin ne devait passer à Rome quequelques mois de l’année 315 et y célébrer la premièredécennie de son règne : pour que l’arc soit prêt àtemps, il fallut faire vite, et les artistes utilisèrent despanneaux historiés pris sur le monument de MarcAurèle.

Deux monuments triomphaux méritent une men-tion spéciale : la colonne Trajane et la colonne Auré-lienne en marbre, sur lesquelles est sculpté en basrelief le récit des batailles. Construite entre 110 et 113apr. J.-C. sur le forum de Trajan, la colonne Trajane,percée ultérieurement d’un escalier intérieur, est hautede 29,78 mètres, soit exactement cent pieds romains.Le socle est orné d’armes amoncelées ; le fût est forméde dix-sept tambours en marbre de Paros ; les motifs

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historiés se déroulent sur vingt-trois tours, soit unelongueur totale de deux cents mètres ; la hauteur despersonnages, de 60 centimètres en bas, atteint 80 cen-timètres en haut pour corriger les effets de la perspec-tive. La fresque raconte les deux guerres de Dacie(101-102 et 105-107 apr. J.-C.), destinées à protéger laMésie contre les Daces : à cette époque, presque toutela mer Noire passait sous le contrôle de Rome. Quantà la colonne Aurélienne, elle a été élevée par Com-mode pour célébrer les victoires de Marc Aurèle surles Marcomans, les Quades et les Sarmates. Son sou-bassement a été martelé à la Renaissance : l’effigie,ou du moins le nom de Commode, dont la mémoireétait maudite, devait y figurer. De même hauteur quela colonne Trajane, elle compte deux tours de moins,si bien que les figures sont sensiblement plus grandes ;on y voit toutes les horreurs de la guerre : scènes demassacres (par les auxiliaires barbares), incendies devillages, désespoir des femmes qu’on emmène commeesclaves ; le visage de l’empereur, grave et austère,n’exprime pas la joie du triomphe mais l’angoisse etla lassitude. Non loin de là se trouvait la colonnemonolithe en granit rouge d’Antonin le Pieux dontles reliefs (apothéose d’Antonin et de Faustine) sontconservés au Vatican ; le fût de la colonne fut utilisépour restaurer l’obélisque qui a pris sa place.

Ces manifestations à la gloire de l’empire, à l’étran-ger plus encore que sur le sol italien, contribuèrent àforger une conscience collective, le sentiment d’appar-tenir à la même communauté ; l’armée romaine deve-nue cosmopolite, les colonies de peuplement en terreétrangère ont permis un brassage de peuples dontnous sommes tributaires aujourd’hui encore.

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Le revers de la médaille

Rome a toujours été très soucieuse des règles ;consciente de ses devoirs, elle se sentait investie d’unemission civilisatrice : aux nomades et aux envahis-seurs barbares, elle apportait ses lois ; mais cettedevise valait-elle encore dans les pays de vieille civili-sation comme l’Égypte ou l’Asie, profondément hellé-nisées ? Il faut reconnaître que, si fortement ancréqu’ait été le mépris des Barbares, qui se manifestaitpar les massacres, la réduction en esclavage, la dépor-tation des populations, Rome reconnaissait aux citésle droit de conserver leurs coutumes, leurs institu-tions, et même leur religion à condition que fût res-pecté le culte de l’empereur. Les historiens se plaisentà faire entendre la voix des peuples opprimés : ilsdénoncent la cupidité des Romains, la vénalité deleurs magistrats, la brutalité de leurs procédés, leurdébauche enfin. Jugurtha juge sans indulgence lesdirigeants au pouvoir à son époque 1 ; les provincesétaient alors mises au pillage. L’exemple de Verrès,amplifié par les plaidoiries de Cicéron, n’est pas isolé :Scipion, gouverneur d’Asie, ne s’apprêtait-il pas àdépouiller le temple d’Aphrodite à Éphèse quandPompée le fit rappeler d’urgence 2 ? Il paraissait nor-mal de « refaire » sa fortune dans les provinces.L’adjudication des impôts, de plus en plus lourds, deplus en plus impopulaires, ouvrait la porte à tous lesexcès. Mais il faut rappeler aussi la curiosité de Césarpour les mœurs des Gaulois et des Germains 3, l’inté-rêt d’Hadrien pour la Grèce, l’intégrité de Cicéron en

1. Voir p. 140.2. Voir p. 101.3. Voir p. 65-73.

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Cilicie, celle de Pline le Jeune, scrupuleux jusqu’àl’excès dans le gouvernement de sa province de Pont-Bithynie ; on disait même que Caton le Censeur étaitrevenu appauvri d’Espagne après sa préture. Malgrétout, les procès étaient continuels : César, ancien pré-teur en Espagne, était pressé de devenir consul pourbénéficier de l’indemnité ; la même motivationl’encouragea à franchir le Rubicon après son procon-sulat en Gaule.

Il est assez instructif de relire les conseils que don-nait Cicéron à son frère Quintus au moment où ilpartait pour l’Asie en qualité de propréteur : « At-tache-toi de tout ton cœur et avec toutes les ressourcesde ta volonté à gouverner selon les principes que tuas suivis jusqu’ici : aimer, protéger de toute manière,rendre aussi heureuses que possible les populationsque le sénat et le peuple romain ont placées sous taloyale protection et remises en ton pouvoir. Si letirage au sort t’avait désigné pour gouverner les Afri-cains, les Espagnols ou des Gaulois, nations barbareset incultes, il n’en eût pas moins été de ton devoird’homme civilisé de penser à leur bonheur, de tedévouer à leurs intérêts et à la protection de leursexistences. Mais quand les hommes placés sous nosordres sont d’une race qui, non contente d’être civili-sée, passe pour être le berceau de la civilisation, àcoup sûr ils ont droit au premier chef à ce que nousleur rendions ce que nous avons reçu d’eux 1. » Romerencontrera de plus en plus de difficultés à convaincreles peuples soumis de sa mission pacificatrice et civili-satrice : en acceptant les ennemis d’hier pour défendreses frontières, sur le Rhin ou le Danube, elle a eu la

1. Lettre à son frère Quintus, in Correspondance, I, 1, trad.L.-A. Constans, Les Belles Lettres, « CUF », 1962.

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PRÉSENTATION 35

naïveté de croire que ces populations, pacifiées etreconnaissantes, feraient barrage aux envahisseurs ;mais la communauté de races se retourna contre elle,provoquant au contraire l’amorce d’un sentimentnational parmi ces peuples autrefois dispersés.

Il y a loin, sans doute, des intentions aux faits. Césarfut le premier à vanter la douceur, l’indulgence, la tolé-rance dont il fit preuve en Gaule 1 et plus encore àl’égard de ses adversaires politiques 2. Auguste, à sasuite, donna la mesure de sa clémence ; impitoyabledans la répression des guerres civiles, il savait pardon-ner aux vaincus : « J’ai envoyé en exil les assassins demon père et j’ai puni leur acte dans le respect de la léga-lité. J’ai vaincu deux fois en bataille rangée ceux quipoursuivaient la guerre contre la République. J’ai sou-vent combattu, sur terre et sur mer, dans des guerresciviles ou extérieures, dans le monde entier et, après lavictoire, j’ai épargné tous les citoyens qui demandaientleur pardon. Quand on pouvait épargner sans dangerdes populations étrangères, j’ai préféré leur salut à leuranéantissement 3. » Ce motif, repris par les historienset les orateurs, devint un slogan national : Rome est unmodèle de loyauté, de générosité, de tolérance. Cepen-dant les guerres s’enchaînaient, de plus en plus cruelles,et les soldats étaient las de se battre. Écoutons laréflexion amère de Marc Aurèle : « Une araignée esttrès fière de chasser la mouche, d’autres le sont de chas-ser le lièvre, ou la sardine au filet, ou le sanglier, ou bienl’ours, ou le Sarmate. Ces derniers ne sont-ils pas desbrigands, à bien examiner leurs pensées 4 ? » On a cru

1. Voir p. 55 et 66.2. Voir p. 97-99.3. Res gestae divi Augusti, § 2-3 (voir p. 256).4. Pensées, X, 10.

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noter dans les figures de la colonne Trajane et surtoutdans celle de la colonne Aurélienne plus de considéra-tion pour les vaincus, plus de commisération à l’égarddes Barbares, malgré les massacres qui se perpé-tuaient : rien n’est moins sûr. Tout au plus peut-on direque les élites, juristes, hauts fonctionnaires, philo-sophes, conscients des devoirs de Rome, étaient indi-gnés des abus les plus criants et les dénonçaientpubliquement.

On n’a pas fini d’épiloguer sur les causes de la chutede Rome : invasions, crise politique, décadence desmœurs, domination des étrangers, partage du pouvoir,décomposition de l’armée. Tous ces éléments ont dûjouer un rôle, à un moment ou à un autre, même si lapression des ennemis venus de l’Orient ou du nord étaitirrésistible. Il fallut renoncer définitivement à la Dacie,abandonner la frontière de l’Euphrate, laisser des Bar-bares occuper des postes de commandement.L’implantation durable d’éléments étrangers, long-temps sentie comme une source d’enrichissement intel-lectuel et moral, ne risquait-elle pas à la longue dedétruire l’âme romaine ? L’intégration était possible àfaible échelle, mais l’assimilation, réalisable avec despeuples dont on partageait les lois, les mœurs, la reli-gion, était devenue impossible sous l’afflux des inva-sions. C’est l’honneur de Rome, et le principe même dela tolérance romaine, d’avoir laissé leurs usages et leursinstitutions aux peuples auxquels elle imposait sonalliance. Civiliser les Barbares, telle fut sa gageure. Necédons pas à la tentation de récrire l’histoire : conten-tons-nous de la lire en retenant ses leçons, sans cher-cher à imposer notre point de vue de Modernes.

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PRÉSENTATION 37

Nous nous sommes laissé guider dans le choix desextraits par le regard que les historiens de languelatine portaient sur Rome et sur son empire. Cestextes sont présentés dans l’ordre où ils ont été écritspour mettre en valeur l’évolution de l’opinionpublique et le changement des mentalités.

Des chronologies et des notices détaillées per-mettent de resituer dans le temps les événements dontil est question dans chacun de ces récits. On trouveraégalement en fin de volume une chronologie générale,un glossaire et un index présentant les différents per-sonnages, peuples et lieux évoqués.

Nous nous sommes fait une règle de rester fidèleau texte latin et de respecter le style de chaque auteur.Le lecteur sera peut-être parfois surpris des change-ments de temps au cours du récit d’un événement, quireflètent la liberté du latin à cet égard ; nous avonsmaintenu les discordances quand elles étaient signifi-catives et ne paraissaient pas trop choquantes.

Annette FLOBERT.

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ROMESOUS LE REGARD

DES HISTORIENS LATINS

Anthologie

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CÉSAR(101-44 av. J.-C.)

Guerre des Gaules

Les sept livres de la Guerre des Gaules racontent, annéepar année, la campagne menée par César comme proconsulentre le printemps 58 et la reddition de Vercingétorix àl’automne de 52 av. J.-C. Les élections consulaires pour 55,constamment retardées, avaient entraîné la vacance du gou-vernement : Pompée et Crassus furent finalement élus audébut de l’année ; dans le courant du mois de mars 55, letribun Trébonius proposa aux consuls en titre l’attributiondes Espagnes ultérieure et citérieure et de la Syrie« jusqu’au cinquième retour des calendes de mars » ; lesconsuls accordaient le même privilège à César en Gaule.L’imperium de César expirait donc le 1er mars 49 : pourquoia-t-il arrêté son récit en 52 ? La soumission de Vercingétorixne terminait pas la guerre : le proconsul avait trop de clair-voyance pour l’ignorer. La fin de la campagne (livre VIII)fut consignée par un témoin oculaire, Hirtius, qui devaitmourir devant Modène, comme consul, en avril 43. En cetteannée 52 particulièrement troublée, qui avait commencé parl’assassinat de Clodius et avait été marquée par des procèsretentissants, César, affaibli par la dissolution de fait dutriumvirat, éprouvait sans doute le besoin de consolider sonimperium et de renforcer son prestige. Au mois de juin 53,Crassus était mort à Carrhes dans la guerre contre les

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CÉSAR42

Parthes ; Julie, fille de César, que Pompée avait épousée,venait de mourir. Que restait-il de l’accord de 60, ou pre-mier triumvirat, renouvelé à Lucques quatre ans plus tard ?

Le récit de la Guerre des Gaules fut certainement rédigéet publié avant la fin de l’année 52 av. J.-C. On admet surle témoignage d’Hirtius, qui admire la rapidité avec laquellel’ouvrage fut écrit, qu’il était terminé dans le trimestre quisuivit la reddition de Vercingétorix. Pour d’autres, la publi-cation, à des fins politiques, s’est faite en trois fois – lesdeux premiers livres en 57, les deux suivants en 55, les troisderniers en 52 (ces dates correspondent aux décretsd’actions de grâces du sénat) –, mais c’est moins vraisem-blable. Chaque année, le proconsul envoyait une relationdétaillée au sénat qui votait plusieurs jours d’actions degrâces en fonction des résultats obtenus et de la bonnevolonté des sénateurs : ces rapports constituent sans doutel’ébauche du récit que César, dans le feu de l’action, n’a paseu le temps de rédiger au jour le jour.

RAPPEL DES ÉVÉNEMENTS 1

61 : victoire d’Arioviste, chef des Suèves, sur les Gaulois coalisés,près d’Admagétobrige (Sélestat ?).

60 : les deux consuls de l’année sont chargés de la Gaule : LuciusAfranius de la Gaule cisalpine, Quintus Métellus Céler de laTransalpine.

59 : César, consul, propose au sénat de décerner à Arioviste lestitres de roi et d’ami du peuple romain dans l’espoir d’une paixdurable ; sur proposition du tribun Vatinius, il obtient la Cisal-pine et l’Illyrie à sa sortie de charge pour cinq ans, avec troislégions ; le sénat décrète de lui confier en outre la Transalpine,demeurée vacante à la mort de son administrateur, et une qua-trième légion.

58 : exode massif des Helvètes pour échapper à la pression desGermains et surtout des Suèves : rassemblement des immigrantsà l’équinoxe du printemps ; César quitte l’Italie vers le 20 mars,

1. Voir aussi p. 363-364.

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GUERRE DES GAULES 43

arrive huit jours plus tard à Genaba (Genève), ville de la pro-vince romaine, et fortifie la frontière qui sépare les Helvètes desSéquanes. Aux ides d’avril (13 avril), César leur interdit de traver-ser la Province pour se rendre en Saintonge. Mai : avec cinqlégions supplémentaires qu’il est allé chercher en Italie, il franchitle Rhône et lance l’attaque contre les Helvètes ; les Éduens,d’abord partisans des Helvètes, se retournent contre eux : vic-toire romaine (juin) et retour des Helvètes chez eux (juill.) ; pre-mière assemblée de la Gaule celtique avec l’autorisation de Césarau mont Beuvray (Bibracte) ; rupture avec Arioviste (août), puisvictoire sur les Germains qui repassent le Rhin en septembre.Quartiers d’hiver chez les Séquanes. César rejoint la Gaule cisal-pine. – LIVRE I.

57 : printemps : soulèvement de la Belgique (Atuatuques, Éburons)sous la direction de Galba, roi des Suessions. Été : capitulationdes Suessions et des Bellovaques. Sept. : prise de la citadelle desAtuatuques. Pacification de toute la Gaule. Quartiers d’hiverdans les régions nouvellement pacifiées. César en Cisalpine. Lesénat décrète quinze jours d’actions de grâces. – LIVRE II.

56 : fin de l’hiver : César est rappelé d’Illyrie en Gaule par le soulè-vement des peuples de l’Océan ; victoires de Sabinus sur lesAulerques, les Lexoviens et les Unelles. 15 avril : il rencontrePompée à Lucques en Cisalpine : renouvellement du triumvirat(consulat de Pompée et Crassus pour 55, prolongation du pro-consulat de César en Gaule). Campagne de César contre lesVénètes ; pacification de l’Aquitaine sous la conduite de PubliusCrassus. Automne : César poursuit les Morins et les Ménapiens.Quartiers d’hiver chez les Lexoviens et les Aulerques. César passel’hiver en Cisalpine. – LIVRE III.

55 : les Usipètes et les Tenctères, opprimés par les Suèves, passentle Rhin ; victoire de César qui décide de franchir le fleuve à sontour avec ses légions, retour en Gaule dix-huit jours plus tard(courant de l’été). 25-27 août : traversée de la Manche. 30-31 août : la flotte est en partie détruite par la tempête d’équinoxe.Mi-sept. : retour en Gaule. Quartiers d’hiver en Gaule belgique,César en Cisalpine. Le sénat décrète vingt jours d’actions degrâces. – LIVRE IV.

54 : règlement de divers conflits en Illyrie ; César s’attarde en Cisal-pine jusqu’au mois de mai. Campagne contre les Trévires. Juill.-sept. : deuxième expédition en Bretagne. Il répartit ses légionsentre plusieurs cités pour l’hiver en raison des difficultés d’appro-visionnement. Oct. : révolte des Éburons (Ambiorix) au début

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CÉSAR44

de la saison d’hiver ; massacre de l’armée romaine (mort de Sabi-nus) ; attaque du camp de Quintus Cicéron. César passe l’hiveren Gaule. – LIVRE V.

53 : dans le courant de l’hiver, mobilisation des Gaulois : alliancedes Trévires avec les Germains et les Éburons. Printemps : ras-semblement des chefs gaulois sur convocation de César à Sama-robriva (Amiens) ; expédition contre les Trévires ; César fait unebrève incursion outre-Rhin et renonce à poursuivre les Suèves.Début de l’été : campagne contre les Éburons ; attaque du campde Quintus Cicéron. César préside l’assemblée d’automne àDurocortorum (Reims) ; les légions passent l’hiver à la frontièredes Trévires, chez les Lingons (Langres) et les Sénons (Sens) ;lui-même se rend en Cisalpine. – LIVRE VI.

52 : mouvements en Gaule à l’instigation des Carnutes : massacrede citoyens romains à Cenabum (Orléans). Appel à la résistancelancé par Vercingétorix ; César rentre en Gaule dans le courantde janvier : prise et pillage de Cenabum ; siège et prise d’Avaricum(Bourges) ; échec devant Gergovie ; trahison des Éduens ; bataillede Lutèce ; siège d’Alésia et reddition de Vercingétorix. Quartiersd’hiver en Gaule. César séjourne à Bibracte (mont Beuvray). Lesénat décrète vingt jours d’actions de grâces. – LIVRE VII.

I. Le péril germanique(58 av. J.-C.)

Peu après avoir forcé à rentrer chez eux les Helvètesqui s’apprêtaient à traverser le territoire des Allobrogesincorporés à la Province et se dirigeaient vers la Sain-tonge, César reçut l’appel des Éduens, peuple de la Gauleceltique : ils se plaignaient des incursions des Germainsconduits par Arioviste, fournissant ainsi à César un nou-veau prétexte pour intervenir dans les affaires de la Gauleindépendante (I, 30-40).

30. À l’issue de la guerre contre les Helvètes, lesdirigeants gaulois avaient presque tous envoyé unedélégation féliciter César. Ils comprenaient que

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GUERRE DES GAULES 45

l’intervention romaine, en réprimant les anciennesprétentions des Helvètes, intéressait les Gaulois aumoins autant que les Romains, car ces envahisseursavaient quitté leur pays malgré sa prospérité, dansl’intention de faire la guerre à toute la Gaule, d’impo-ser leur autorité et de choisir pour s’y installer lemeilleur endroit possible, celui qui présentait le plusd’avantages, contraignant ainsi les autres peuples àleur payer tribut. Ils le priaient de fixer en accord aveceux la date de leur prochaine assemblée générale : ilsavaient à lui soumettre des questions de grandeimportance. Ils s’entendirent donc sur la date ets’engagèrent solennellement à n’admettre dans lesecret que les membres qu’ils auraient désignésensemble.

31. Après la réunion, les notables qui étaient venustrouver César la première fois l’abordèrent à nouveauet lui demandèrent la permission de lui parler, sanstémoins et dans un lieu secret, de questions dontdépendait leur salut et celui de tout le pays. Leurrequête fut acceptée : tous se jetèrent en larmes auxpieds de César ; obtenir satisfaction comptait moinsà leurs yeux que la promesse que l’entretien resteraitstrictement confidentiel : c’était primordial pour euxcar toute indiscrétion leur vaudrait immanquable-ment les pires supplices. L’Éduen Diviciacus prit laparole au nom de tous. La Gaule, dit-il, était diviséeen deux clans dominés l’un par les Éduens, l’autrepar les Arvernes. Après avoir lutté pendant plusieursannées pour obtenir la suprématie, les Arvernes et lesSéquanes avaient fini par appeler des mercenaires ger-mains. Dans un premier temps, près de cent millehommes avaient franchi le Rhin ; puis ces rudes Bar-bares, qui appréciaient le pays, son art de vivre et sesressources, étaient venus plus nombreux. On en

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CÉSAR46

comptait actuellement près de cent vingt mille enGaule. Les Éduens et leurs vassaux avaient souventpris les armes contre eux, mais ils avaient subi unegrave défaite et perdu toute leur classe dirigeante,membres du sénat et cavaliers. Ces combats et cesmalheurs avaient brisé leur courage : eux qui devaientautrefois leur puissance à leur bravoure et aux rela-tions d’amitié et d’alliance qu’ils entretenaient avecRome, ils avaient dû livrer leur élite aux Séquanes àtitre d’otages et jurer de ne pas les réclamer, de ne pasappeler les Romains à leur secours et de ne rien fairepour échapper à la servitude et à la tyrannie aux-quelles ils étaient soumis. Il avait été le seul de toutela communauté éduenne à ne pas prêter serment et àne pas livrer ses enfants comme otages. Il avait quittéson pays pour cette raison et était venu à Romedemander de l’aide, puisqu’il était le seul à n’être liéni par un serment ni par des otages. Mais le sort desSéquanes après leur victoire avait été pire encore quecelui des Éduens après leur défaite, car le roi des Ger-mains, Arioviste, avait occupé leur territoire et confis-qué le tiers du pays, les meilleures terres de toute laGaule. Aujourd’hui, ils expulsaient un autre tiers dela population pour loger vingt-quatre mille Harudesqui lui réclamaient un territoire pour s’y installer.D’ici quelques années, il ne resterait plus de Gauloisen Gaule et tous les Germains auraient franchi lefleuve tant la richesse du sol et la qualité de la vie leurplaisaient. Aussitôt après sa victoire sur les troupesgauloises devant Admagétobrige, Arioviste s’étaitcomporté en maître despotique et cruel : il exigeaitles enfants des grandes familles comme otages, leurinfligeait toutes sortes de mauvais traitements pourservir d’exemple si on ne respectait pas ses ordres ouses caprices. C’était un individu brutal, irascible,

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GUERRE DES GAULES 47

imprévisible et sa tyrannie était devenue insuppor-table. Si César et le peuple romain ne venaient pas àleur secours, tous les Gaulois devraient faire commeles Helvètes, quitter leur pays, chercher loin des Ger-mains un endroit où s’établir durablement et s’expa-trier coûte que coûte. Si leurs doléances parvenaientaux oreilles d’Arioviste, il exécuterait sûrement tousles otages qu’il détenait. César pourrait utiliser saréputation et celle de son armée, l’effet de sa récentevictoire ou encore le prestige de Rome pour empêcherl’arrivée massive des Germains d’outre-Rhin et proté-ger la Gaule dans son ensemble contre le despotismed’Arioviste.

32. Après le discours de Diviciacus, tous deman-dèrent en larmes à César de venir à leur secours.César observa que les Séquanes étaient les seuls dansl’assistance à ne pas se comporter comme les autres :ils baissaient la tête et regardaient à leurs pieds d’unair consterné. Intrigué par leur attitude, il leurdemanda une explication. Les Séquanes ne répon-daient pas et manifestaient leur affliction sans riendire. L’Éduen Diviciacus prit la parole. La situationdes Séquanes était plus difficile et plus pénibleencore : il leur était interdit de se plaindre même ensecret ou d’oser implorer de l’aide ; eux seuls redou-taient la cruauté d’Arioviste en son absence commes’il se trouvait devant eux. S’il restait aux autres lapossibilité de s’enfuir, les Séquanes, qui avaient faitvenir Arioviste chez eux et placé toutes leurs villessous son contrôle, étaient exposés à toutes les misères.

33. À cette nouvelle, César rassura les Gaulois etpromit de prendre l’affaire en main : il comptait fer-mement sur le souvenir des services rendus et sur sonautorité personnelle pour amener Arioviste à cesserses agressions. Sur ces mots, il libéra ses interlocu-

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CÉSAR48

teurs. Beaucoup de raisons, outre ces récriminations,le poussaient à prendre l’affaire au sérieux et à s’enoccuper. Il voyait les Éduens, auxquels le sénat avaitsouvent décerné le titre de frères de même sang,réduits en esclavage après leur soumission aux Ger-mains, et il venait d’apprendre que des otages étaientau pouvoir d’Arioviste et des Séquanes : il se considé-rait aussi concerné que le gouvernement par cetaffront à l’autorité romaine. Il constatait par ailleursque les Germains avaient pris peu à peu l’habitude depasser le Rhin ; or, il jugeait que cet exode massif étaitun danger pour Rome : ces sauvages, ces Barbares,une fois qu’ils se seraient fixés partout en Gaule,envahiraient la Province comme l’avaient fait les Cim-bres et les Teutons et passeraient ensuite en Italied’autant plus facilement que le Rhône séparait seulles Séquanes de la Province. Il lui paraissait nécessairepour toutes ces raisons d’intervenir le plus rapide-ment possible. Il trouvait en outre inadmissiblesl’orgueil et l’insolence d’Arioviste.

34. Il décida donc d’envoyer des émissaires deman-der à Arioviste de lui fixer un lieu où ils puissent serencontrer : il voulait aborder avec lui des questionsqui les touchaient tous deux de très près. Ariovisterépondit aux porte-parole que s’il avait eu besoin deCésar, il serait venu le trouver ; mais si César avaitquelque chose à lui dire, il était normal que celui-cifasse lui-même le déplacement. D’ailleurs, il n’osaitpas s’aventurer sans troupes dans cette région de laGaule que contrôlait César, et le rassemblement deson armée en un seul point poserait de gros pro-blèmes de ravitaillement et d’intendance. Il ne com-prenait pas ce que César et Rome d’une façongénérale venaient faire dans une région de Gaule quilui appartenait par droit de conquête.

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GUERRE DES GAULES 49

35. Quand on lui rapporta cette réponse, Césarenvoya les mêmes porte-parole avec ses instructions.Après les preuves d’amitié qu’Arioriste avait reçuesdu peuple romain et de lui-même, le sénat lui ayantdécerné sous son consulat les titres de roi et d’ami deRome, puisqu’il le remerciait lui et le peuple romainen refusant de venir quand il lui proposait de le ren-contrer et en pensant qu’il n’avait aucun intérêt à dis-cuter avec lui, voici quelles étaient ses exigences :premièrement, l’arrêt de l’immigration en Gaule despeuples d’outre-Rhin ; deuxièmement, la restitutionaux Éduens des otages qu’il détenait et la liberté pourles Séquanes de leur rendre ceux qui étaient détenussur leur territoire ; interdiction en outre d’attaquerinjustement les Éduens et de leur faire la guerre à euxet à leurs alliés. Qu’il compte sur la reconnaissance etl’amitié du peuple romain et de César s’il obtempé-rait ; mais s’il refusait d’obéir, celui-ci le punirait pourles torts subis par les Éduens : sous le consulat deMarcus Messala et Publius Pison, le sénat avaitdécidé que le magistrat chargé de la Gaule défendraitdans l’intérêt de l’État les Éduens et tous les amis dupeuple romain.

36. Voici quelle fut la réponse d’Arioviste. Les loisde la guerre voulaient que les vainqueurs imposentleurs conditions aux vaincus. Les Romains avaientl’habitude d’appliquer ce principe en toute liberté àceux qu’ils avaient vaincus sans obéir aux ordres depersonne. S’il se gardait d’indiquer aux Romainscomment ils devaient exercer leurs droits, il était nor-mal que les Romains ne le gênent pas dans l’exercicedes siens. Les Éduens avaient tenté leur chance à laguerre : battus au cours des combats, ils étaient tom-bés sous sa dépendance. L’arrivée de César lui causaitbeaucoup de tort en suspendant le paiement des

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CÉSAR50

taxes. Il ne rendrait pas leurs otages aux Éduens et neleur ferait pas la guerre sans motif non plus qu’à leursalliés, s’ils respectaient les conventions passées etpayaient le tribut annuel ; en cas de refus de leur part,leur titre de frères du peuple romain ne leur serviraità rien. César le menaçait de représailles à la suite destorts subis par les Éduens : qu’il sache que tous lespeuples qui s’étaient attaqués à lui avaient été exter-minés. César pouvait engager le combat quand ilvoudrait : il verrait alors ce que les Germains, quiignoraient la défaite et faisaient si souvent la guerrequ’ils n’étaient pas rentrés chez eux depuis quatorzeans, pouvaient obtenir par leur bravoure.

37. Les représentants des Éduens et des Trévires seprésentèrent au moment où César recevait cetteréponse. Les Éduens se plaignaient des ravages queles Harudes, arrivés depuis peu en Gaule, exerçaientsur leur territoire : ils n’avaient pu obtenir qu’Ario-viste les laisse en paix malgré la livraison d’otages.Les Trévires le prévenaient qu’une centaine defamilles suèves stationnaient sur les bords du Rhinavec l’intention de franchir le fleuve ; à leur tête setrouvaient deux frères, Nasua et Cimbérius. Vivementpréoccupé par ces nouvelles, César décida qu’il fallaitréagir rapidement si on ne voulait pas que d’autresSuèves grossissent les effectifs d’Arioviste et rendentla résistance plus difficile. Il se fit livrer du bléd’urgence et partit à vive allure à la rencontre d’Ario-viste.

38. Après trois jours de marche, il apprit qu’Ario-viste se dirigeait vers Besançon avec la totalité de sestroupes et avait l’intention d’occuper la capitale desSéquanes ; il y avait trois jours déjà qu’il était sortide son territoire. César pensait qu’il fallait tout fairepour l’empêcher de réussir : dans la ville était stocké

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un important matériel de guerre ; sa position naturelleétait si forte qu’elle pouvait facilement soutenir unsiège prolongé car le Doubs l’entoure presque com-plètement, formant une courbe qu’on dirait tracée aucompas. Une haute colline occupe l’espace libre surmoins de cinq kilomètres, si bien qu’en bas elle touchela rive de chaque côté. Le mur d’enceinte court toutautour de la colline et rejoint la ville. César y parvintaprès avoir marché nuit et jour, prit la ville et y laissaune patrouille.

39. César dut rester quelques jours près deBesançon pour se procurer du blé et du ravitaille-ment ; pendant ce temps, les nôtres se renseignaient,les Gaulois et les marchands se montraient bavards :ils déclaraient que les Germains étaient d’une taillegigantesque. Leur bravoure et leur adresse dans lemaniement des armes étaient incroyables : ils lesavaient rencontrés à plusieurs reprises et prétendaientn’avoir pu supporter ni l’expression de leur visage nil’éclat de leur regard. La peur se propagea dans toutel’armée au point d’altérer de façon inquiétante le cou-rage et le moral des hommes. Les premiers touchésétaient les tribuns militaires, les officiers et tous ceuxqui avaient quitté Rome pour cultiver l’amitié deCésar mais n’avaient pas grande expérience de laguerre ; ils inventaient des prétextes pour rentrer chezeux, demandaient à César de bien vouloir les autori-ser à partir. Certains restaient par pudeur, pour qu’onne les soupçonne pas d’avoir peur. Incapables de fairebonne figure ou même de retenir leurs larmes, ils seréfugiaient sous leur tente pour se plaindre de leursort et déplorer avec leurs amis les dangers qui lesmenaçaient tous. On voyait partout sceller des testa-ments. Cette épidémie de peur finit par atteindre ceuxqui avaient une grande expérience des camps, les

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soldats, les centurions, les commandants de cavalerie.Certains, ne voulant pas qu’on les accuse de lâcheté,prétendaient ne pas avoir peur de l’ennemi : ce qu’ilsredoutaient, c’étaient les difficultés de la route,l’obstacle de vastes forêts ou le risque de manquer deblé. Certains avaient même prévenu César : quand ilordonnerait de quitter le camp et de prendre ledépart, les soldats refuseraient d’obéir et la peur lesempêcherait d’avancer.

40. Mis au courant, César réunit son conseil etadressa de violents reproches aux centurions de toutgrade qui se trouvaient dans l’assistance. Il les blâmad’abord de vouloir des explications sur le lieu etl’objectif des opérations et de discuter les ordres.Arioviste avait cherché très activement l’amitié dupeuple romain sous son consulat : pourquoi supposerqu’il manquerait à ses obligations avec une telle légè-reté ? Il était persuadé qu’Arioviste ne renoncerait pasaux avantages qu’il lui devait à lui et au peupleromain quand il connaîtrait ses revendications etcomprendrait que ses propositions étaient équitables.Et même s’il avait la folie, l’inconscience d’ouvrir leshostilités, de quoi avaient-ils peur ? Pourquoi ne fai-saient-ils pas confiance à leur courage et à sondévouement ? La première rencontre avec cet ennemiremontait à la génération de leurs pères ; Marius avaitalors chassé les Cimbres et les Teutons, l’armée s’étaitcouverte de gloire comme son général. Ils les avaientretrouvés récemment en Italie, pendant la révolte desesclaves, alors qu’ils avaient appris au contact desRomains le maniement des armes et la discipline. Ilsavaient été récompensés de leur persévérance : eneffet, ces hommes qu’ils avaient redoutés un certaintemps sans armes avaient été battus par la suitequand ils avaient des armes et des victoires à leur

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actif. Les Helvètes avaient presque toujours gagnéquand ils les affrontaient chez eux ou même sur leurterritoire ; pourtant, ils n’avaient pas pu résister ànotre armée. Si la défaite et la débandade des Gauloisles inquiétaient, il suffisait de réfléchir un peu pourcomprendre que les Gaulois étaient épuisés par lalongueur de la guerre ; Arioviste au contraire étaitresté plusieurs mois dans son camp au milieu desmarais sans ouvrir les hostilités et les avait attaquésbrusquement alors qu’ils étaient dispersés et ne comp-taient plus se battre ; ce n’est pas son courage mais saruse qui lui avait donné la victoire. Mais si son planavait réussi avec des Barbares sans expérience, il étaitimpensable que notre armée s’y laisse prendre. Ceuxqui utilisaient le ravitaillement en blé ou les difficultésde la route comme prétexte pour cacher leur peur nemanquaient pas d’aplomb car ils paraissaient mettreen doute les capacités du général ou lui dicter ce qu’ilavait à faire. Ses dispositions étaient prises : lesSéquanes, les Leuques et les Lingons fournissaient dublé, d’ailleurs il était déjà mûr dans les champs ;quant aux marches, ils en jugeraient bientôt par eux-mêmes. Il n’avait pas peur que les hommes refusentd’obéir et de prendre le départ : les chefs, il le savait,ne se faisaient pas obéir de leurs troupes quand ilsavaient subi un désastre ou étaient convaincus de mal-honnêteté ; or, toute sa vie témoignait de son intégritéet la guerre contre les Helvètes de sa chance. Il réalise-rait tout de suite ce qu’il avait pensé différer : ledépart était fixé pour cette nuit, vers quatre heures dumatin ; il pourrait vérifier immédiatement si l’hon-neur et le sens du devoir l’emportaient sur la peur.Au cas où ils refuseraient malgré tout de le suivre, ilpartirait avec la Xe légion sur laquelle il pouvaitcompter et qui lui servirait de cohorte prétorienne.

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César aimait particulièrement cette légion et avait uneconfiance absolue en sa bravoure.

II. Combats contre les Atuatuques(été 57 av. J.-C.)

L’intervention de César dans la Gaule belgique était jus-tifiée par des rumeurs faisant état d’une conspiration despeuples du nord-est, d’origine germanique, pour résister àl’occupation romaine. Après avoir battu les Nerviens dansla région de la Sambre, César s’apprêtait à marcher contreles Atuatuques qui ignoraient encore la défaite des Ner-viens. Leur oppidum se trouvait sans doute près de Namur(II, 29-32).

29. Les Atuatuques, que nous avons déjà mention-nés, étaient venus avec la totalité de leurs troupes ausecours des Nerviens ; ils repartirent directement chezeux en apprenant que la bataille avait eu lieu. Quit-tant délibérément les agglomérations et les bourgades,ils rassemblèrent tous leurs biens dans une ville admi-rablement défendue par sa position naturelle. Elleétait entièrement entourée de très hautes falaises, saufd’un côté où se trouvait un accès en pente douce d’àpeine soixante mètres de large ; ils avaient dressé unedouble muraille très élevée pour défendre le passageet avaient en réserve d’énormes pierres et des pieuxaiguisés. Ils étaient les descendants des Cimbres et desTeutons : quand ils s’étaient dirigés vers la Provinceet l’Italie, ils avaient entreposé sur la rive gauche duRhin les bagages qu’ils ne pouvaient ni traîner niemporter avec eux et laissé six mille hommes poursurveiller et défendre la place. Après l’anéantissementde leur peuple, ils furent pendant des années en lutte

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avec leurs voisins qu’ils attaquaient ou repoussaienttour à tour ; puis ils se mirent d’accord pour conclurela paix et choisirent cet emplacement pour s’y instal-ler durablement.

30. Au début, quand notre armée se présenta, lesAtuatuques faisaient de fréquentes sorties et enga-geaient des combats très limités ; par la suite, quandnotre mur atteignit plus de trois mètres cinquante dehauteur sur une longueur totale de six kilomètres, ilsrestèrent cantonnés dans la ville. Voyant de loinqu’après avoir approché les abris mobiles et construitla chaussée nos hommes y dressaient une tour, ils semirent à les railler du haut du mur et à se moquerd’un tel engin placé à une telle distance : quels bras,quelles forces leur faudrait-il, petits comme ils étaient,pour espérer jucher sur le mur une tour si pesante ?Il faut dire que les Gaulois se moquent souvent denotre taille tant ils sont fiers de la leur.

31. Mais quand ils virent que la tour bougeait ets’approchait de plus en plus, décontenancés par cephénomène inattendu qui dépassait leur entende-ment, ils envoyèrent des porte-parole à César deman-der la paix. Voici à peu près ce qu’ils dirent : lesRomains devaient forcément bénéficier de l’aide desdieux à la guerre pour pouvoir manœuvrer des enginsd’une telle hauteur à une telle vitesse et combattre deprès ; ils lui demandaient donc d’accepter leur sou-mission. Ils lui adressaient une seule demande, uneseule prière : puisque tout le monde parlait de sabonté et de sa générosité, s’il était prêt à les laisser envie, qu’il ne les dépouille pas de leurs armes. Dans levoisinage, ils ne comptaient guère que des ennemisjaloux de leur valeur. S’ils livraient leurs armes, ilsseraient incapables de se défendre. S’ils devaientaccepter cette condition, mieux valait pour eux s’en

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remettre à la décision du peuple romain quelle qu’ellesoit que mourir au milieu des supplices de la mainde ceux auxquels ils avaient l’habitude de parler enmaîtres.

32. Voici ce que leur répondit César : il aurait sauvéleur ville non parce qu’ils le méritaient mais parce quec’était dans son caractère s’ils s’étaient rendus avantque la machine touche le mur. Il n’acceptait leur sou-mission qu’à condition qu’ils livrent leurs armes. Illes traiterait comme il avait traité les Nerviens etinterdirait aux peuples voisins de causer du tort àceux qui s’étaient rendus au peuple romain. Aprèsavoir mis les leurs au courant, ils se dirent prêts à sesoumettre aux ordres. Du haut du mur, ils lancèrentdans le fossé qui entourait la ville une telle quantitéd’armes que le tas atteignait presque le haut du mur ;en fait, ils avaient gardé en secret dans leur ville prèsdu tiers de leurs armes, comme la suite le prouva.Ils ouvrirent les portes et respectèrent l’armistice cejour-là.

32. À la fin de la journée, César fit fermer les porteset ordonna à ses hommes de quitter la ville pour queleur présence ne soit pas sentie comme une provoca-tion. Mais les habitants, prévoyant qu’après leur sou-mission nos troupes partiraient, ou que du moins lasurveillance serait moins stricte, avaient pris leur déci-sion à l’avance, comme on s’en aperçut : les unsprirent les armes qu’ils avaient gardées et cachées, lesautres des boucliers faits d’écorces et d’osier tresséqu’ils recouvrirent précipitamment de peaux de bêtes.Après minuit, du côté où il paraissait le plus faciled’atteindre notre retranchement, ils sortirent soudainde la ville avec toutes leurs troupes. L’alerte, partiedes postes les plus rapprochés, circula rapidementgrâce aux feux que César avait fait disposer à

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l’avance ; les ennemis s’élancèrent et combattirentavec l’acharnement qu’on devait attendre d’hommescourageux qui tentaient leur dernière chance en dépitde leur position, contre des adversaires qui lançaientleurs traits de la palissade et des tours : leur bravoureétait leur seule chance de sauver leur vie. Environquatre mille hommes restèrent sur le terrain, lesautres furent refoulés dans la ville. Le lendemain, onenfonça les portes que personne ne défendait plus eton fit entrer les soldats. César vendit en bloc tout cequi se trouvait dans la ville. Les chiffres fournis parles acquéreurs faisaient état de cinquante mille indi-vidus.

III. Expédition en Bretagne(août-septembre 55 av. J.-C.)

On voit César franchir par deux fois les frontières de laGaule au cours de l’année 55 : on pouvait admettre encorel’expédition punitive outre-Rhin contre les Germains quiconstituaient, sous la conduite d’Arioviste, un danger per-manent pour la Gaule, mais comment justifier le débarque-ment en (Grande-)Bretagne ? Retenu en Gaule par desdéboires de sa cavalerie (en grande partie gauloise) à lafrontière germano-belge, il s’embarqua seulement à la findu mois d’août et subit une tempête qui endommagea laflotte. Un mois plus tard, il était de retour. Sans doutel’objectif de César n’était-il pas, à cette période de l’année,de conquérir l’île dont il ne connaissait pas la configura-tion avec précision, mais d’occuper le port de Douvres defaçon à préparer la seconde expédition qui eut effective-ment lieu l’année suivante. Le principal objectif de cettecampagne, outre l’attrait de l’inconnu, le désir de rivaliseravec les grands conquérants et la convoitise des soldats,

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était le contrôle du commerce maritime le long des côtesde la Manche et de la mer du Nord (IV, 23-35).

23. Après avoir réglé ces différentes questions,César partit vers minuit, profitant des bonnes condi-tions de navigation ; il ordonna aux cavaliers de serendre dans le port situé au sud, d’embarquer et dele suivre. La manœuvre prit plus de temps que prévuet César, atteignant la Bretagne peu avant neuf heuresavec les premiers navires, vit toutes les hauteurs occu-pées par les ennemis en armes. La nature du terrainet l’étroitesse du bras de mer bordé de falaises facili-taient le lancement des traits sur le rivage en contre-bas. Comprenant que l’endroit ne ne se prêtait pas dutout au débarquement, il attendit à l’ancre jusque verstrois heures de l’après-midi que les autres bateaux lerejoignent. Il convoqua entre-temps les légats et lestribuns : aux informations fournies par Volusénus, ilajouta ses propres instructions et leur recommandad’obéir strictement et immédiatement aux consignescomme il était de règle à l’armée, surtout sur mer oùla situation évolue vite et change facilement. Aprèsleur départ, il donna le signal, profitant à la fois duvent et de la marée ; les bateaux levèrent l’ancre ets’arrêtèrent à une dizaine de kilomètres au nord, surune côte basse et découverte.

24. Mais les Barbares avaient deviné les intentionsdes Romains : ils firent d’abord partir les cavaliers etles chars dont ils font grand usage dans les combats ;le reste de la troupe suivait pour empêcher les nôtresde débarquer. La plus grosse difficulté venait de lataille des navires qui les obligeait à s’arrêter en eauprofonde ; les soldats qui ne connaissaient pas le ter-rain avaient les mains prises, leurs armes étaient lour-des et encombrantes, et ils devaient à la fois sauter

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des navires, se tenir debout dans l’eau et se battrecontre les ennemis alors que ceux-ci, sur la terreferme ou près de la côte, totalement libres de leursmouvements, connaissaient bien l’endroit : ils lan-çaient donc leurs traits avec précision et poussaientleurs chevaux qui se sentaient en sécurité. Tous cesobstacles effrayaient les nôtres pour qui ce genre decombat était nouveau, et ils se montraient moinsactifs et moins entreprenants qu’à l’accoutumée dansles combats terrestres.

25. Comprenant la situation, César ordonna auxnavires de guerre, dont l’aspect était moins familieraux Barbares et qui manœuvraient plus facilement, des’écarter un peu des bateaux de transport, d’avancer àla force des rames et de se ranger à droite de l’ennemipuis de le déloger et le mettre en fuite au moyen desfrondes, des flèches et des machines de guerre. Lamanœuvre réussit parfaitement. La forme des navires,le remous provoqué par les rames, les machines qu’ilsne connaissaient pas impressionnaient les Barbares :ils s’arrêtèrent et reculèrent légèrement. Les nôtreshésitaient, surtout à cause de la profondeur de l’eau,quand le légionnaire portant l’aigle de la Xe légion,priant les dieux pour le succès de son entreprise,s’écria : « Sautez, camarades, si vous ne voulez paslivrer notre aigle aux ennemis ; pour ma part, j’auraifait mon devoir à l’égard de mon pays et de mongénéral ! » À ces mots, prononcés avec force, ils’élança du haut du navire et porta l’aigle au milieudes ennemis. Tous les hommes sautèrent du navire,s’étant donné le mot pour ne pas s’exposer à la honte.Leurs camarades, à bord des navires les plus proches,en firent autant et se rapprochèrent des ennemis.

26. Le combat fut acharné de part et d’autre. Lesnôtres étaient incapables de rester en rangs, de garder

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leur équilibre et de suivre les enseignes ; au fur et àmesure qu’ils descendaient des navires, ils rejoignaientn’importe quelle formation : c’était la panique. Lesennemis au contraire, qui connaissaient tous les pas-sages, apercevant de la côte des légionnaires isolés entrain de débarquer, profitaient de leur embarras pourfoncer sur eux à toute allure ; ils encerclaient à plu-sieurs des groupes isolés tandis que d’autres lançaientdes projectiles sur le flanc droit de l’armée. Dès qu’ils’en aperçut, César remplit de soldats les chaloupesdes bateaux de guerre et les vedettes d’observation etles envoya secourir ceux qu’il voyait en difficulté. Ilssautèrent en rangs sur la terre ferme et, une foisrejoints par l’ensemble de leurs camarades, atta-quèrent les ennemis et les mirent en fuite ; ils durentarrêter la poursuite car les cavaliers, déviés de leurroute, n’avaient pu atteindre l’île. Le succès de Césaraurait été complet sans ce contre-temps.

27. Après leur défaite, les ennemis en déroute seressaisirent et envoyèrent immédiatement une déléga-tion à César pour demander la paix ; ils promirentde livrer des otages et de se soumettre aux ordres.L’Atrébate Commius accompagnait la délégation ;César l’avait envoyé en observation en Bretagne,comme nous l’avons dit plus haut. À sa descente dubateau, il était en train d’exposer la mission que Césarlui avait confiée quand les ennemis s’étaient emparésde lui et l’avaient chargé de chaînes. Ils l’avaient libéréà la fin du combat et, au moment où ils sollicitaientla paix, demandaient pardon pour cette méprise invo-lontaire, incriminant la volonté populaire. César leurreprocha d’avoir ouvert les hostilités sans raison alorsqu’ils avaient envoyé d’eux-mêmes sur le continentdes porte-parole réclamer la paix ; il dit qu’il pardon-nait leur faute et exigea des otages. Ils en livrèrent la

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moitié et promirent de livrer le reste les jours suivantscar il fallait les faire venir de loin. Entre-temps, ilsordonnèrent aux soldats de retourner dans leschamps ; les notables arrivaient de tous les côtés etdemandaient à César de les prendre sous sa protec-tion ainsi que leur peuple.

28. Ces bonnes dispositions garantissaient la paix ;trois jours après le débarquement en Bretagne, les dix-huit navires transportant la cavalerie que nous avonsmentionnés plus haut quittaient le port du nord parvent modéré. Ils approchaient de l’île et on les voyaitdu camp, lorsque s’éleva une tempête si violente qu’ilsfurent presque tous déroutés : certains bateaux revin-rent à leur point de départ, d’autres furent entraînésau sud-ouest de l’île au risque de se perdre. Ils jetèrentl’ancre mais, comme les vagues recouvraient le pont,ils furent obligés de se diriger vers la haute mer ens’enfonçant dans la nuit et regagnèrent le continent.

29. La nuit suivante, c’était la pleine lune ; ce jourcoïncide généralement avec de très violentes maréesdans l’océan, mais les nôtres l’ignoraient. Les vaguesrecouvraient les navires de guerre destinés au trans-port de l’infanterie qu’on avait tirés sur la plage et lesbateaux de transport mouillant à cet endroit étaientmalmenés par la tempête qui empêchait les nôtresd’exécuter les manœuvres ou de les secourir. Beau-coup de bateaux se brisèrent ; les autres étaient inuti-lisables, ayant perdu leurs cordages, leur ancre oud’autres pièces. Les soldats s’affolèrent comme onpouvait s’y attendre. Il n’y avait pas d’autres bateauxpour repartir, on n’avait rien pour réparer les embar-cations et, comme on était sûr de passer l’hiver enGaule, on n’avait pas stocké de blé sur l’île pour lamauvaise saison.

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30. Les notables bretons qui étaient venus trouverCésar après la bataille se concertèrent quand ils furentau courant de la situation. Ils voyaient que lesRomains n’avaient ni cavalerie, ni bateaux, ni blé, et lecamp, de dimensions d’autant plus réduites que Césarn’avait pas fait transporter les bagages des légions,leur faisait croire que nous n’étions pas nombreux ;ils pensèrent qu’il valait mieux reprendre la guerre,priver les nôtres de blé et de ravitaillement et prolon-ger les opérations jusqu’à l’hiver : s’ils battaient cesenvahisseurs et les empêchaient de rentrer chez eux,il était sûr que personne n’irait plus porter la guerreen Bretagne. Ils se liguèrent à nouveau, se mirent àquitter le camp par petits groupes et à rappeler discrè-tement leurs soldats qui étaient aux champs.

31. César avait beau ignorer la coalition, il se dou-tait pourtant de ce qui allait se passer vu l’état de sesbateaux et l’interruption dans la livraison des otages.Il s’efforçait donc de pourvoir à tout. Il stockait dansle camp le blé qu’on allait chaque jour chercher dansles champs, utilisait le bois et les pièces de bronze desbateaux les plus endommagés pour remettre les autresen état et faisait venir du continent tout ce qui étaitnécessaire pour les réparations. Les soldats se mirentau travail avec la plus grande ardeur : douze naviresétaient perdus, on parvint à remettre les autres à flot.

32. Au cours de ces préparatifs, la légion portant lenuméro VII était partie seule chercher du blé commed’habitude sans que rien ait pu laisser prévoir lareprise de la guerre ; des Bretons travaillaient dans leschamps, d’autres allaient et venaient dans le camp.Les centurions qui montaient la garde aux portes ducamp signalèrent à César qu’on apercevait un nuagede poussière plus dense qu’à l’ordinaire du côté oùs’était dirigée la légion. César soupçonna la vérité :

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les Barbares se rebellaient. Il ordonna aux cohortesqui gardaient les portes de partir avec lui dans cettedirection ; deux cohortes devaient les remplacer tan-dis que les autres prendraient leurs armes et lesuivraient immédiatement. Il aperçut à une certainedistance du camp ses hommes aux prises avecl’ennemi : ils étaient en grande difficulté car la légionen formation compacte était visée de tous côtés. Lamoisson était rentrée partout sauf à cet endroit et lesennemis s’étaient cachés dans la forêt pendant la nuit,se doutant que les nôtres s’y rendraient. Les nôtresétaient donc en plein travail, dispersés et sans armes,quand les ennemis s’étaient brusquement jetés sureux : il y eut des morts ; les autres ne retrouvaient pasleur place, encerclés par la cavalerie et les chars.

33. Voici comment fonctionnent leurs chars decombat : ils commencent par rouler dans tous lessens, lancent des projectiles et l’effroi qu’inspirent leschevaux et le bruit des roues suffit généralement àmettre le désordre dans les rangs ; une fois qu’ils sesont introduits au milieu des escadrons de cavalerie,les soldats sautent des chars et se battent à pied ; lespalefreniers s’éloignent peu à peu du champ debataille et rangent les chars de façon que leurs cama-rades puissent facilement s’y réfugier s’ils cèdent sousle nombre. Les Bretons allient ainsi la mobilité descavaliers à la solidité des fantassins ; grâce à une pra-tique et des exercices quotidiens, ils savent retenir leschars sur une pente raide, ralentir brutalement etchanger de direction ; ils s’entraînent à courir le longdu timon, à se tenir sur le joug et à remonter ensuitele plus vite possible sur le char.

34. César arriva juste à temps pour secourir lesnôtres que cette tactique insolite avait complètementdéroutés ; à son arrivée, les ennemis s’arrêtèrent et les

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nôtres se remirent de leur frayeur. Ce résultat acquis,il se dit que ce n’était pas le moment de poursuivrel’ennemi et d’engager le combat : il resta sur ses posi-tions et ramena peu après les légions au camp.Pendant cet accrochage, les Bretons qui étaient dansles champs, voyant que les nôtres étaient occupés, enprofitèrent pour s’en aller. Plusieurs jours de suite, deviolentes tempêtes forçèrent les nôtres à rester aucamp et empêchèrent les ennemis de se battre. LesBarbares pendant ce temps envoyaient partout desagents dénoncer la faiblesse de nos effectifs et mon-trer comme il était facile de piller le camp et de selibérer pour toujours s’ils se débarrassaient desRomains. Attirés par ces perspectives, fantassins etcavaliers se rendirent en masse à proximité du camp.

35. César prévoyait que la scène des jours précé-dents se répéterait : les ennemis seraient repoussés ets’échapperaient grâce à leur rapidité ; pourtant, il pritune trentaine de cavaliers que l’Atrébate Commiusdont nous avons parlé plus haut avait amenés aveclui et rangea les légions devant le camp. Le combats’engagea ; les ennemis ne purent résister longtempsà l’attaque des fantassins et tournèrent le dos. Lesnôtres les suivirent à la course jusqu’à la limite deleurs forces, firent beaucoup de morts, puis rentrèrentau camp après avoir mis le feu à toutes les fermes surune vaste étendue.

36. Les porte-parole des ennemis venus trouverCésar pour demander la paix arrivèrent dans la jour-née : César exigea deux fois plus d’otages que précé-demment et ordonna qu’on les amène sur le continentcar c’était bientôt l’équinoxe et il ne voulait pass’aventurer en mer à la mauvaise saison avec desbateaux en mauvais état. Le temps était favorable : ildonna l’ordre d’appareiller peu après minuit. Tous les