12
Séquence Lesprit des Lumières Objet d'étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours Problématique : Qu’est-ce que l’esprit des Lumières ? Extraits vus en Lecture Analytique Explic n°1 FONTENELLE, Histoire des Oracles (1687) : “La dent d’or” Explic n°2 MONTESQUIEU, Lettres persanes : Lettre n°24, de Rica à Ibben Explic n°3 VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance : “Lettre au Jésuite Le Tellier” Lecture d'une œuvre intégrale : Candide, de VOLTAIRE Explic n°1 Chapitre 1 Incipit : Du début à “le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la terre” Explic n°2 Chapitre 5 Le tremblement de terre : “A peine ont-ils mis le pied dans la ville...” jusqu’à “et Pangloss lui apporta un peu d’eau d’une fontaine voisine.” Explic n°3 Chapitre 30 Le dénouement : “Candide, en retournant dans sa métairie...” jusqu’à la fin Textes complémentaires - L’ironie au service de la critique Texte n°1 : MONTESQUIEU, L’Esprit des Lois (l’esclavage) Question : En quoi l’apparente logique du propos contraste-t-elle avec le caractère irrecevable des idées ? - Argumentation et justice Lecture cursive d'un corpus de textes argumentatifs : ANONYME, LA FONTAINE, VOLTAIRE Question : En quoi ces textes posent-ils un problème de justice ? Question : Quelles morales peut-on tirer de ces textes ? - Dénoncer la guerre Lecture cursive d'un corpus de textes argumentatifs : VOLTAIRE, RIMBAUD, GIRAUDOUX, PLANTU Question : A quels genres et registres recourent ces différentes dénonciations de la guerre ? Etudes d'ensemble - Mouvement littéraire : notions sur les Lumières - Transversale : Armes et cibles de la critique chez les philosophes des Lumières - Transversale : La philosophie optimiste - Dissertation : La littérature a-t-elle pour vocation de faire réfléchir l’homme sur sa condition ? Histoire de l'art Comparaison de deux tableaux (p. 364 du livre) : - BOUCHER, La Marquise de Pompadour - “Anonyme” d’après QUENTIN DE LA TOUR, Madame du Châtelet, / Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow 1 12

S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

  • Upload
    lytuong

  • View
    217

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

!!

!!!!!!!!

Séquence ③ L’esprit des LumièresObjet d'étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours

Problématique : Qu’est-ce que l’esprit des Lumières ?

Extraits vus en Lecture Analytique

Explic n°1 FONTENELLE, Histoire des Oracles (1687) : “La dent d’or”

Explic n°2 MONTESQUIEU, Lettres persanes : Lettre n°24, de Rica à Ibben

Explic n°3 VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance : “Lettre au Jésuite Le Tellier”

Lecture d'une œuvre intégrale : Candide, de VOLTAIRE

Explic n°1 Chapitre 1 Incipit : Du début à “le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la terre”Explic n°2 Chapitre 5 Le tremblement de terre : “A peine ont-ils mis le pied dans la ville...” jusqu’à “et Pangloss lui apporta un peu d’eau d’une fontaine voisine.”

Explic n°3 Chapitre 30 Le dénouement : “Candide, en retournant dans sa métairie...” jusqu’à la fin

Textes complémentaires

- L’ironie au service de la critique Texte n°1 : MONTESQUIEU, L’Esprit des Lois (l’esclavage) Question : En quoi l’apparente logique du propos contraste-t-elle avec le caractère irrecevable des idées ?

- Argumentation et justice Lecture cursive d'un corpus de textes argumentatifs : ANONYME, LA FONTAINE, VOLTAIRE Question : En quoi ces textes posent-ils un problème de justice ? Question : Quelles morales peut-on tirer de ces textes ?

- Dénoncer la guerre Lecture cursive d'un corpus de textes argumentatifs : VOLTAIRE, RIMBAUD, GIRAUDOUX, PLANTU Question : A quels genres et registres recourent ces différentes dénonciations de la guerre ?

Etudes d'ensemble - Mouvement littéraire : notions sur les Lumières

- Transversale : Armes et cibles de la critique chez les philosophes des Lumières

- Transversale : La philosophie optimiste

- Dissertation : La littérature a-t-elle pour vocation de faire réfléchir l’homme sur sa condition ?

Histoire de l'art Comparaison de deux tableaux (p. 364 du livre) : - BOUCHER, La Marquise de Pompadour - “Anonyme” d’après QUENTIN DE LA TOUR, Madame du Châtelet,

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow1 12

Page 2: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

!

Dans son essai Histoire des Oracles, Fontenelle explique que les oracles dont l’Antiquité était si friande n’étaient que des illusions auxquelles les Anciens eux-mêmes ne croyaient guère. Mais au-delà des Anciens, Fontenelle s’en prend à l’esprit religieux en général, dans lequel il voit, chez les prêtres de la fourberie, et chez le peuple de la naïveté. !! Assurons nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point. Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici. “En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs ! Figurez vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs ! En la même année, afin que cette dent ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eut examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent, avec beaucoup d'adresse ; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre.” Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que, non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux.

!!

Séquence ③ : Qu’est-ce que l’esprit des lumières ? Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours

Texte n° ①  FONTENELLE, Histoire des oracles (1687), Première Dissertation, chapitre IV!

La dent d’or

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow2 12

Page 3: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

La lettre XXIV, qui traduit les premières impressions du Persan RICA à Paris, offre une vue d’ensemble sur les principaux thèmes de l’ouvrage.!

! RICA À IBBEN.!

À Smyrne.!!Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel.

Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.

Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu’on jugerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée : et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras.

Tu ne le croirais pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne. Il n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine1 que les Français ; ils courent, ils volent : les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d’allure, j’enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête ; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi et qui me passe2 me fait faire un demi-tour ; et un autre qui me croise de l’autre côté me remet soudain où le premier m’avait pris ; et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues.

Ne crois pas que je puisse, quant à présent3, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner.

Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne4 son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre5, et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies6, et ses flottes équipées.

D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient7. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent, et ils en sont aussitôt convaincus8. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant9, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits. (...)!

De Paris, le 4 de la lune de Rebiab, 1712.!!!!!!!!!!!!!!!1. organisme, corps 2. dépasse 3. dès à présent 4. Allusion aux mines d’or du Pérou 5. Selon les besoins du trésor, des charges (ou “offices”) étaient créées. Elles s’achetaient fort cher car elles conféraient la noblesse. 6. fortifiées, mises en état de défense 7. Des édits royaux fixaient arbitrairement la valeur des monnaies. Entre 1689 et 1715 interviennent 43 dévaluations... 8. C’est en 1716 que John Law crée la Banque Générale qui émettra du papier-monnaie contre de l’or, donc après la date que porte la

lettre XXIV. Il semble bien pourtant que Montesquieu fasse ici allusion au “système de Law” (qui s’écroulera en 1720) 9. On attribuait aux rois de France le pouvoir de guérir les écrouelles (tuberculose des ganglions du cou), par imposition des mains. !

Séquence ③ : Qu’est-ce que l’esprit des lumières ? Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours

Texte n° ② MONTESQUIEU, Lettres persanes (1721) :!

Lettre XXIV

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow3 12

Page 4: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

Si Voltaire (1694-1778) était clairement anticlérical, il n'était ni athée ni antireligieux. C'est l'intolérance, fille du fanatisme, qui fut toujours sa cible privilégiée, ce qu’il appelait “l’Infâme” (le fanatisme, la superstition, mais aussi les rites religieux et le clergé)!Pour Voltaire, la persécution contre les protestants, qui a ressurgi si vivement deux ans auparavant, au moment de l’affaire Calas, est une manifestation particulièrement odieuse de “l’Infâme”.!Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ses cibles favorites depuis qu’ils avaient contribué à faire interdire L’Encyclopédie. Cette lettre écrite à un père jésuite est un exemple de son génie de la provocation. Il feint en effet d'adopter le point de vue de son auteur supposé, en proposant, pour la défense de la Compagnie de Jésus, les pires méthodes imaginables.!!!

CHAPITRE XVII!!Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) !!

Mon révérend père, !J’obéis aux ordres que Votre Révérence m’a donnés de lui présenter les moyens les plus propres de délivrer Jésus et sa Compagnie3 de leurs ennemis. Je crois qu’il ne reste plus que cinq cent mille huguenots4 dans le royaume, quelques-uns disent un million, d’autres quinze cent mille ; mais en quelque nombre qu’ils soient, voici mon avis, que je soumets très-humblement au vôtre, comme je le

5 dois. 1° Il est aisé d’attraper en un jour tous les prédicants5 et de les pendre tous à la fois dans une même place, non-seulement pour l’édification publique, mais pour la beauté du spectacle. 2° Je ferais assassiner dans leurs lits tous les pères et mères, parce que si on les tuait dans les rues, cela pourrait causer quelque tumulte ; plusieurs même pourraient se sauver, ce qu’il faut éviter

10 sur toute chose6. Cette exécution est un corollaire7 nécessaire de nos principes : car, s’il faut tuer un hérétique, comme tant de grands théologiens le prouvent, il est évident qu’il faut les tuer tous.

3° Je marierais le lendemain toutes les filles à de bons catholiques, attendu qu’il ne faut pas dépeupler trop l’État après la dernière guerre ; mais à l’égard des garçons de quatorze et quinze ans, déjà imbus de mauvais principes, qu’on ne peut se flatter de détruire, mon opinion est qu’il faut

15 les châtrer tous, afin que cette engeance ne soit jamais reproduite. Pour les autres petits garçons, ils seront élevés dans vos collèges, et on les fouettera jusqu’à ce qu’ils sachent par cœur les ouvrages

de Sanchez et de Molina8. 4° Je pense, sauf correction, qu’il en faut faire autant à tous les luthériens9 d’Alsace, attendu que, dans l’année 1704, j’aperçus deux vieilles de ce pays-là qui riaient le jour de la bataille

20 d’Hochstedt10. !!!!!!!1. Confesseur de Louis XIV et adversaire passionné des protestants, il poussa le roi à révoquer l’Edit de Nantes en 1685. 2. Possesseur d’un bénéfice ecclésiastique, c’est-à-dire de biens et de revenus attachés à l’exercice d’une fonction dans l’Eglise : la

perception des revenus d’une abbaye ou d’un évêché constitue un bénéfice majeur, la perception des revenus d’une simple paroisse constitue un bénéfice mineur.

3. Transposition burlesque du nom de l’ordre des Jésuites : la Compagnie de Jésus 4. Ce terme désigne les protestants 5. Ministres du culte protestant 6. Avant tout 7. Conséquence 8. Jésuites espagnols 9. Protestants qui suivent la doctrine de l’Allemand Luther 10. Défaite française qui rejeta les Français hors d’Allemagne, en 1704, lors de la guerre de succession d’Espagne !(1) Note de Voltaire, ajoutée en 1771 : “Lorsqu’on écrivait ainsi, en 1762, l’ordre des jésuites n’était pas aboli en France. S’ils avaient

été malheureux, l’auteur les aurait assurément respectés. Mais qu’on se souvienne à jamais qu’ils n’ont été persécutés que parce qu’ils avaient été persécuteurs ; et que leur exemple fasse trembler ceux qui, étant plus intolérants que les jésuites, voudraient opprimer un jour leurs concitoyens qui n’embrasseraient pas leurs opinions dures et absurdes.” !!

Texte n°  ③ VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763)!

“Lettre au Jésuite Le Tellier”

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow4 12

Page 5: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

Œuvre intégrale : Candide!Rappel des textes étudiés en lecture analytique!!

Il y avait en Westphalie, dans le château de monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu'il était fils de la sœur de monsieur le baron et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l'injure du temps. ___Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin; ses palefreniers étaient ses piqueurs; le vicaire du village était son grand-aumônier. Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes. ___Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s'attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss était l'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son caractère. ___Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles. ___« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement ; car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées et pour en faire des châteaux; aussi monseigneur a un très beau château: le plus grand baron de la province doit être le mieux logé; et les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l'année: par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise; il fallait dire que tout est au mieux. » ___Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment; car il trouvait mademoiselle Cunégonde extrêmement belle, quoiqu'il ne prît jamais la hardiesse de le lui dire. Il concluait qu'après le bonheur d'être né baron de Thunder-ten-tronckh, le second degré de bonheur était d'être mademoiselle Cunégonde; le troisième, de la voir tous les jours; et le quatrième, d'entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la terre. !!!

!À peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bienfaiteur, qu'ils sentent la terre trembler sous leurs pas ; la mer s'élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l'ancre. Des tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques ; les maisons s'écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent ; trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines, Le matelot disait en sifflant et en jurant : « Il y aura quelque chose à gagner ici. -- Quelle peut être la raison suffisante de ce phénomène ? disait Pangloss. -- Voici le dernier jour du monde ! » s'écriait Candide. Le matelot court incontinent au milieu des débris, affronte la mort pour trouver de l'argent, en trouve, s'en empare, s'enivre, et, ayant cuvé son vin, achète les faveurs de la première fille de bonne volonté qu'il rencontre sur les ruines des maisons détruites et au milieu des mourants et des morts. Pangloss le tirait cependant par la manche. « Mon ami, lui disait-il, cela n'est pas bien, vous manquez à la raison universelle, vous prenez mal votre temps. -- Tête et sang ! répondit l'autre, je suis matelot et né à Batavia ; j'ai marché quatre fois sur le crucifix dans quatre voyages au Japon ; tu as bien trouvé ton homme avec ta raison universelle ! » ! Quelques éclats de pierre avaient blessé Candide ; il était étendu dans la rue et couvert de débris. Il disait à Pangloss : « Hélas ! procure-moi un peu de vin et d'huile ; je me meurs. -- Ce tremblement de terre n'est pas une chose nouvelle, répondit Pangloss ; la ville de Lima éprouva les mêmes secousses en Amérique l'année passée ; même causes, même effets : il y a certainement une traînée de soufre sous terre depuis Lima jusqu'à Lisbonne. -- Rien n'est plus probable, dit Candide ; mais, pour Dieu, un peu d'huile et de vin. -- Comment, probable ? répliqua le philosophe ; je soutiens que la chose est démontrée. » Candide perdit connaissance, et Pangloss lui apporta un peu d'eau d'une fontaine voisine. !� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow5 12

TEXTE ① Chapitre 1 : L’incipit

TEXTE ② Chapitre 5 : Le tremblement de terre

Page 6: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

Candide en retournant dans sa métairie fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin: Ce bon vieillard me paraît s'être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons eu l'honneur de souper. Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes; car enfin Églon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baasa; le roi Éla, par Zambri; Ochosias, par Jéhu; Athalie, par Joïada; les rois Joachim, Jéchonias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d'Angleterre, Édouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Charles Ier, les trois Henri de France, l'empereur Henri IV? Vous savez..... Je sais aussi, dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin. Vous avez raison, dit Pangloss; car, quand l'homme fut mis dans le jardin d'Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu'il travaillât; ce qui prouve que l'homme n'est pas né pour le repos. Travaillons sans raisonner, dit Martin, c'est le seul moyen de rendre la vie supportable. ___Toute la petite société entra dans ce louable dessein; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était, à la vérité, bien laide; mais elle devint une excellente pâtissière; Paquette broda; la vieille eut soin du linge. Il n'y eut pas jusqu'à frère Giroflée qui ne rendît service; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme: et Pangloss disait quelquefois à Candide: Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles; car enfin si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l'amour de mademoiselle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

� /� Lycée Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow6 12

TEXTE ③ Chapitre 30 : Le jardin (dénouement)

Page 7: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

La prospérité de Bordeaux, patrie de Montesquieu, repose en partie sur la traite des Noirs , commerce admis au XVIII° siècle et jugé indispensable à 1

l’exploitation des colonies antillaises. Avec Bordeaux, ce sont plusieurs villes de la façade atlantique (Nantes, La Rochelle) qui tirent leur opulence du commerce triangulaire.Montesquieu n’en a que plus de mérite de dénoncer ce qu’il considère comme la honte de l’humanité, et de la chrétienté, et à en chercher les causes. Sa démonstration par l’absurde (une défense de l’esclavage dont tous les arguments sont faux) constitue la première dénonciation de l’esclavage colonial, dont l’Encyclopédie se fera l’écho.!!Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie , 2 3

qui font des eunuques , privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une façon plus 4 5

marquée . 6

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains. Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si grande conséquence. Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la

miséricorde et de la pitié ?

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow7 12

Séquence ③ : Qu’est-ce que l’esprit des lumières ? Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours

Texte complémentaire MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748) : Livre XV, chapitre 5!

De l’Esclavage des nègres

La Porte du Non-retour, au Bénin

Au XVIII° siècle, un nègre était un esclave noir. De nos jours, le terme est devenu péjoratif (raciste) sauf lorsqu’il est employé par les 1

Noirs eux-mêmes. Ce qui définit l’homme, ce qui en constitue l’essentiel2

Ceux que dénoncent les Lettres persanes pour leur ignorance et leur brutalité3

Qui pratiquent la castration sur les hommes qui gardent les harems4

Les organes masculins5

On pratiquait sur les eunuques noirs une castration beaucoup plus mutilante (“eunuques parfaits”)6

Page 8: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

Objet d’étude : la question de l’homme dans les genres de l'argumentation du XVI° au XX° siècle. !Argumentation et justice

A – Anonyme, Le Prud’homme qui sauva son compère, XIII° siècle.B – Jean de La Fontaine, « L’Huître et les Plaideurs », Fables, IX, 9, 1678.C – Voltaire, Zadig, chapitre 6, 1747. !Questions 1) Quel problème commun posent ces trois textes ? 2) Quel(s) texte(s) présente(nt) une morale clairement exprimée ?

a) Vous reformulerez cette morale.b) Vous rédigerez la morale du (ou des) texte(s) qui ne l’exprime(nt) pas clairement.

La réponse à ces deux questions doit être rédigée mais brève, de l’ordre d’une demi-page par question. Ecriture Sujet 1 : Commentaire Vous ferez le commentaire du texte de Voltaire, de “Il fit sentir à tout le monde...” à “vous qui aimez le mieux votre père.” Sujet 2 : Dissertation L’apologue est-il simplement un récit divertissant ou peut-il éveiller la réflexion du lecteur ? Sujet 3 : Ecriture d’invention Vous écrirez à votre tour une fable moderne dont la moralité sera : « L’essentiel est invisible pour les yeux. » Vous prendrez soin de réutiliser les caractéristiques du genre de la fable, sans utiliser nécessairement une forme versifiée. !Document A Un jour un pêcheur s’en allait en mer pour tendre ses filets. Regardant devant lui il vit un homme près de se noyer. Il était vaillant et agile ; il bondit, saisit un grappin et le lance, mais par malchance il frappe l’autre en plein visage et lui plante un crochet dans l’œil. Il le tire dans son bateau, cesse de tendre ses filets, regagne la terre aussitôt, le fait porter dans sa maison, de son mieux le sert et le soigne jusqu’à ce qu’il soit rétabli. Plus tard, l’autre de s’aviser que perdre un œil est un grand dommage. « Ce vilain m’a éborgné et ne m’a pas dédommagé. Je vais contre lui porter plainte : il en aura mal et ennui. » Il s’en va donc se plaindre au maire qui lui fixe un jour pour l’affaire. Les deux parties, ce jour venu, comparaissent devant les juges. Celui qu’on avait éborgné parla le premier, c’était juste. « Seigneurs, dit-il, je porte plainte contre cet homme qui naguère me harponnant de son grappin m’a crevé l’œil : je suis lésé . Je veux qu’on m’en fasse justice ; c’est là tout ce que je demande et n’ai rien à dire de plus. »7

L’autre répond sans plus attendre : « Seigneurs, je lui ai crevé l’œil et je ne puis le contester ; mais je voudrais que vous sachiez comment la chose s’est passée : voyez si vous m’en donnez tort. Il était en danger de mort, allait se noyer dans la mer ; mais ne voulant pas qu’il périsse, vite, je lui portai secours. Je l’ai frappé de mon grappin, mais cela, c’était pour son bien : ainsi je lui sauvai la vie. Je ne sais que vous dire encore ; mais, pour Dieu, faites-moi justice. »Les juges demeuraient perplexes, hésitant à trancher l’affaire, quand un bouffon qui était là leur dit : « Pourquoi hésitez-8

vous ? Celui qui parla le premier, qu’on le remette dans la mer, là où le grappin l’a frappé et s’il arrive à s’en tirer, l’autre devra l’indemniser. C’est une sentence équitable. »Alors, tous à la fois s’écrient : « Bien dit ! La cause est entendue. » Et le jugement fut rendu. Quant au plaignant, ayant appris qu’il serait remis dans la mer pour grelotter dans l’eau glacée, il estima qu’il ne saurait l’accepter pour tout l’or du monde. Aussi retira-t-il sa plainte ; et même beaucoup le blâmèrent .9

Aussi, je vous le dis tout franc : rendre service à un perfide , c’est là vraiment perdre son temps. Sauvez du gibet un 10 11

larron qui vient de commettre un méfait, jamais il ne vous aimera et bien plus, il vous haïra. Jamais méchant ne saura 12

gré à celui qui l’a obligé : il s’en moque, oublie aussitôt et serait même disposé à lui nuire et à le léser s’il avait un jour 13

le dessus.

Traduction en prose de G. Rouger. Anonyme, Le Prud’homme qui sauva son compère, XIII° siècle. 14!Document B Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent 15

Une Huître, que le flot y venait d’apporter :Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ; À l’égard de la dent il fallut contester. L’un se baissait déjà pour amasser la proie 16

L’autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie . Celui qui le premier a pu l’apercevoir 17

En sera le gobeur ; l’autre le verra faire. – Si par là l’on juge l’affaire,

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow 8 12

Lésé : qui a subi un tort.7

Bouffon : homme moqueur, insolent.8

Blâmer : désapprouver.9

Perfide : trompeur et dangereux.10

Gibet : instrument servant au supplice de la pendaison. 11

Larron : voleur, brigand.12

Obligé : qui lui a rendu service.13

Prud’homme : homme sage, loyal, vaillant.14

Pèlerins : voyageurs qui se rendent dans un lieu sacré.15

Amasser : ramasser.16

Joie : le plaisir de la manger.17

Page 9: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

Reprit son compagnon, j’ai l’œil bon, Dieu merci. – Je ne l’ai pas mauvais aussi, Dit l’autre, et je l’ai vue avant vous, sur ma vie.– Eh bien ! vous l’avez vue, et moi je l’ai sentie. » Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge. 18

Perrin, fort gravement, ouvre l’Huître, et la gruge , 19

Nos deux Messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit d’un ton de Président : « Tenez, la Cour vous donne à chacun une écaille, Sans dépens , et qu’en paix chacun chez soi s’en aille. » 20!Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ; 21

Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles, Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui,Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles . 22

Jean de La Fontaine, Fables, IX, 9, 1678. !!Document C

LE MINISTRE Le roi avait perdu son premier ministre. Il choisit Zadig pour remplir cette place. Toutes les belles dames de Babylone applaudirent à ce choix, car depuis la fondation de l’empire, il n’y avait jamais eu de ministre si jeune. Tous les courtisans furent fâchés ; l’Envieux en eut un crachement de sang, et le nez lui enfla prodigieusement. Zadig, ayant remercié le roi et la reine, alla remercier aussi le perroquet « Bel oiseau, lui dit-il, c’est vous qui m’avez 23

sauvé la vie, et qui m’avez fait premier ministre : la chienne et le cheval de Leurs Majestés m’avaient fait beaucoup de mal, mais vous m’avez fait du bien. Voilà donc de quoi dépendent les destins des hommes ! Mais, ajouta-t-il, un bonheur si étrange sera peut-être bientôt évanoui. » Le perroquet répondit : « Oui. » Ce mot frappa Zadig. Cependant, comme il était bon physicien, et qu’il ne croyait pas que les perroquets fussent prophètes, il se rassura bientôt et se mit à exercer son ministère de son mieux.Il fit sentir à tout le monde le pouvoir sacré des lois, et ne fit sentir à personne le poids de sa dignité. Il ne gêna point les voix du divan , et chaque vizir pouvait avoir un avis sans lui déplaire. Quand il jugeait une affaire, ce n’était pas lui qui 24

jugeait, c’était la loi ; mais quand elle était trop sévère, il la tempérait ; et quand on manquait de lois, son équité en faisait qu’on aurait prises pour celles de Zoroastre .25

C’est de lui que les nations tiennent ce grand principe : qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. Il croyait que les lois étaient faites pour secourir les citoyens autant que pour les intimider. Son principal talent était de démêler la vérité, que tous les hommes cherchent à obscurcir. Dès les premiers jours de son administration, il mit ce grand talent en usage. Un fameux négociant de Babylone était mort aux Indes ; il avait fait ses héritiers ses deux fils par portions égales, après avoir marié leur sœur, et il laissait un présent de trente mille pièces d’or à celui de ses deux fils qui serait jugé l’aimer davantage. L’aîné lui bâtit un tombeau, le second augmenta d’une partie de son héritage la dot de sa sœur ; chacun disait : « C’est l’aîné qui aime le mieux son père ; le cadet aime mieux sa sœur ; c’est à l’aîné qu’appartiennent les trente mille pièces.» Zadig les fit venir tous deux l’un après l’autre. Il dit à l’aîné : « Votre père n’est point mort, il est guéri de sa dernière maladie, il revient à Babylone. – Dieu soit loué, répondit le jeune homme ; mais voilà un tombeau qui m’a coûté bien cher ! » Zadig dit ensuite la même chose au cadet. « Dieu soit loué, répondit-il ; je vais rendre à mon père tout ce que j’ai ; mais je voudrais qu’il laissât à ma sœur ce que je lui ai donné. – Vous ne rendrez rien, dit Zadig, et vous aurez les trente mille pièces : c’est vous qui aimez le mieux votre père. » Une fille fort riche avait fait une promesse de mariage à deux mages, et, après avoir reçu quelques mois des instructions de l’un et de l’autre, elle se trouva grosse . Ils voulaient tous deux l’épouser. « Je prendrai pour mon mari, dit-elle, celui 26

des deux qui m’a mise en état de donner un citoyen à l’empire. – C’est moi qui ai fait cette bonne œuvre, dit l’un. – C’est moi qui ai eu cet avantage, dit l’autre. – Eh bien ! répondit-elle, je reconnais pour père de l’enfant celui des deux qui lui pourra donner la meilleure éducation. » Elle accoucha d’un fils. Chacun des mages veut l’élever. La cause est portée devant Zadig. Il fait venir les deux mages. «Qu’enseigneras-tu à ton pupille ? dit-il au premier. – Je lui apprendrai, dit le 27

docteur, les huit parties d’oraison , la dialectique , l’astrologie, la démonomanie ; ce que c’est que la substance et 28 29 30

l’accident, l’abstrait et le concret, les monades et l’harmonie préétablie . – Moi, dit le second, je tâcherai de le rendre 31

juste et digne d’avoir des amis. » Zadig prononça : « Que tu sois son père ou non, tu épouseras sa mère. »!Voltaire, Zadig ou la Destinée, Romans et contes, 1748.

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow 9 12

Perrin Dandin : juge qui termine tous les procès de manière expéditive (rapide) mais pas toujours juste.18

Gruger : manger.19

Dépens : frais.20

Plaider : défendre oralement une cause en justice.21

Sac et quilles : le juge prend l’enjeu de la partie, et il ne reste plus aux plaideurs que les accessoires du jeu.22

Perroquet : “personnage” du récit qui a précédemment aidé Zadig.23

Divan : conseillers du sultan.24

Zoroastre : sage de l’Antiquité orientale.25

Grosse : enceinte.26

Pupille : enfant dont un tuteur a la charge.27

Parties d’oraison : parties du discours28

Dialectique : art du raisonnement.29

Démonomanie : délire dans lequel un malade se croit possédé par le diable.30

Substances, accidents, abstrait, concret sont des termes techniques de l’ancien vocabulaire philosophique ; monades et harmonie préétablie renvoient 31

au lexique de Leibniz, philosophe du XVIII° siècle dont Voltaire se moque volontiers.

Page 10: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

Objet d’étude : la question de l’homme dans les genres de l'argumentation du XVI° au XX° siècle. !!Dénoncer la guerre !

A. VOLTAIRE, article “Guerre”, Dictionnaire philosophique (1764) B. Arthur RIMBAUD, “Le Mal”, Poésies (1870) C. Jean GIRAUDOUX, La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935). D. Jean PLANTUREUX, dit PLANTU, Le Monde (6 Février 1994). Annales corrigées : question sur le !Question A quels genres et à quels registres recourent ces différentes dénonciations de la guerre ? Votre réponse n’excédera pas une vingtaine de lignes. Après avoir répondu à cette question, les candidats devront traiter au choix l’un des trois sujets suivants : Ecriture Sujet 1 : Commentaire Vous ferez le commentaire du texte de Giraudoux Sujet 2 : Dissertation Pourquoi une œuvre de fiction est-elle efficace pour inciter à réfléchir sur l’homme et sur le monde ? Vous vous appuierez sur des exemples, tirés du corpus et de vos lectures personnelles. Sujet 3 : Ecriture d’invention Le rédacteur du journal de votre lycée vous a désigné pour interviewer le caricaturiste Plantu. Vous l’interrogerez sur la conception qu’il se fait de son métier, et sur l’utilisation du “dessin argumentatif”. !Document A Article « Guerre » ![...] Misérables médecins des âmes , vous criez pendant cinq quarts d'heure sur quelques piqûres d'épingle, et vous ne 32

dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux ! Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a de plus affreux dans la nature entière. Que deviennent et que m'importent l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu'une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes yeux, qui s'ouvrent pour la dernière fois, voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu'entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirants sous des ruines, le tout pour les prétendus intérêts d'un homme que nous ne connaissons pas ?

Voltaire, extrait de l’article « Guerre », Dictionnaire philosophique, 1764. !!Document B « Le Mal » !Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ; Qu'écarlates ou verts , près du Roi qui les raille, 33 34

Croulent les bataillons en masse dans le feu ; !Tandis qu'une folie épouvantable, broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ; - Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !... - !- Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées 35

Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ; 36

Qui dans le bercement des hosannah s'endort, 37!Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

Arthur Rimbaud, Poésies, 1870.

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow10 12

Métaphore qui désigne les prêtres, qui prêchaient une morale austère et s’effarouchaient de ce que les femmes se mettaient du rouge aux joues ou de 32ce que l’on mange de la viande un vendredi, mais qui ne disaient jamais rien contre la guerre et les maux qu’elle engendre.

Les uniformes des Prussiens étaient verts, ceux des Français rouges.33

Désigne Napoléon III et l'empereur Guillaume Ier de Prusse.34

Damassées : tissées comme le damas, étoffe ornée à l'envers et à l'endroit, et aussi belle d’un côté que de l’autre35

Calices : vases sacrés qui contiennent le vin de la messe.36

Hossanah : hymnes de louange dans la liturgie religieuse.37

Page 11: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

!Document C Le héros et général troyen Hector — qui est au fond pacifiste et déteste la guerre — doit prononcer un discours aux morts, c’est-à-dire en l’honneur des soldats tombés sur le champ de bataille. Alors que les ennemis grecs sont en train de débarquer, il se place devant les portes de Troie.!HECTOR. — Ô vous qui ne nous entendez pas, qui ne nous voyez pas, écoutez ces paroles, voyez ce cortège. Nous sommes les vainqueurs. Cela vous est bien égal, n'est-ce pas ? Vous aussi vous l'êtes. Mais, nous, nous sommes les vainqueurs vivants. C'est ici que commence la différence. C'est ici que j'ai honte. Je ne sais si dans la foule des morts on distingue les morts vainqueurs par une cocarde . Les vivants, vainqueurs ou non, ont la vraie cocarde, la double 38

cocarde. Ce sont leurs yeux. Nous, nous avons deux yeux, mes pauvres amis. Nous voyons le soleil. Nous faisons tout ce qui se fait dans le soleil. Nous mangeons. Nous buvons... Et dans le clair de lune !... Nous couchons avec nos femmes... Avec les vôtres aussi... DÉMOKOS. — Tu insultes les morts, maintenant ? HECTOR. — Vraiment, tu crois ? DÉMOKOS. — Ou les morts, ou les vivants. HECTOR. — Il y a une distinction... PRIAM. — Achève, Hector... Les Grecs débarquent... HECTOR. - J'achève... Ô vous qui ne sentez pas, qui ne touchez pas, respirez cet encens, touchez ces offrandes. Puisque enfin c'est un général sincère qui vous parle, apprenez que je n'ai pas une tendresse égale, un respect égal pour vous tous. Tout morts que vous êtes, il y a chez vous la même proportion de braves et de peureux que chez nous qui avons survécu, et vous ne me ferez pas confondre, à la faveur d'une cérémonie, les morts que j'admire avec les morts que je n'admire pas. Mais ce que j'ai à vous dire aujourd'hui, c'est que la guerre me semble la recette la plus sordide et la plus hypocrite pour égaliser les humains et je n'admets pas plus la mort comme châtiment ou comme expiation au lâche, que comme récompense aux vivants. Aussi, qui que vous soyez, vous absents, vous inexistants, vous oubliés, vous sans occupation, sans repos, sans être, je comprends en effet qu'il faille en fermant ces portes excuser près de vous ces déserteurs que sont les survivants, et ressentir comme un privilège et un vol ces deux biens qui s'appellent — de deux noms dont j'espère que la résonance ne vous atteigne jamais — la chaleur et le ciel.

Jean Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), acte II, scène 5. !!Document D ! !!!!!!!!!!!!!!!

Plantu,dessin paru dans Le Monde, 6 février 1994. !

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow11 12 Cocarde : insigne d’étoffe ou de métal, généralement rond, indiquant l’appartenance à une nation, une armée ou un parti.38

Page 12: S quence L Õesprit des Lumi res · Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ... Lettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1) Mon

Deux figures de la femme au XVIII° siècle

François BOUCHER, La Marquise de Pompadour (1756),!p.364 du livre! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Œuvre anonyme d’après Quentin DE LA TOUR, Madame du Châtelet (XVIII° s), !p.364 du livre!

� /� Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow12 12