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SAVOIR MEDICAL ET REPRESENTATIONS DU CORPS HUMAIN XVII–XIX EME SIECLES Journées d’étude EXPLORA (CAS – EA 801/Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse) organisées dans le cadre du projet inter-MSH "Savoirs littéraires, savoirs scientifiques" 5–6 décembre 2011 Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse/Musée de la Médecine de Toulouse Le développement des sciences médicales a métamorphosé la vision du corps humain au fil des siècles, un corps qui se dessine et se redessine dans la littérature et les arts visuels, permettant souvent de retracer l’évolution de la pensée et de la recherche médicale. Dans la médecine antique, la théorie des humeurs élaborée par Hippocrate et développée par Galien, qui marquera l’histoire de la médecine, influencera aussi l’art de la Renaissance et le théâtre élisabéthain, comme le montre l’apparition de la Comédie des Humeurs de Ben Jonson. Alors que la physiologie humorale perdure jusqu’à la fin du XVIII ième siècle, étant même défendue par Auguste Lumière au XIX ième siècle, le corps humain bascule peu à peu dans une vision mécaniciste. Sang, phlegme, bile jaune ou noire entrent en compétition avec de nouvelles images qui transforment le corps- chaudière en divers circuits et pompes, préfigurant déjà la théorie des animaux-machines de Descartes. Bien avant l’avènement des sciences et techniques et la métaphore du mécanisme d’horlogerie de La Mettrie, la révolution de l’anatomie, à la fin du XV e siècle et dans la première moitié du XVI e siècle, ouvre la recherche médicale sur l’étude de l’intérieur du corps humain, offrant au savant une mécanique mise à nu. La figure de l’homme mécanique, directement liée aux progrès en anatomie et physiologie, redéfinissent l’homme comme un assemblage de pièces amovibles. En outre, les planches anatomiques (de celles de Vésale à celle de Léonard de Vinci dans le domaine artistique) témoignent de la façon dont médecins et artistes font de la dissection un moyen d’accès à la vérité cachée. Les mystères du corps cèdent sous la lame du dissecteur ou du chirurgien, dès la naissance de la chirurgie moderne avec Ambroise Paré, et à mesure que le scalpel dévoile des profondeurs jusqu’alors invisibles, faisant disparaître muscles et tendons pour faire apparaître l’ossature, un nouveau rapport au corps humain se fait jour, à la fois dans les traités médicaux et dans les représentations artistiques. Les corps disséqués montrent comment l’exploration des cadavres transforment l’épistémè : la recherche de la vérité semble se situer à l’intérieur, sous les chairs que l’on ne sait encore ôter. Ainsi, le passage des fluides aux viscères se retrouve vite mis en scène dans l’art pictural qui place soudainement l’acte de dissection sous les feux de la rampe, nombre d’enluminures dès le XIV e siècle reflétant les recherches médicales du temps. Entre esthétisme et rigueur scientifique, les gravures anatomiques, à l’instar de celles de Jacques Gautier d’Agoty, ou même les cires de Gaétano Zumbo et du chirurgien Guillaume Desnoues et les écorchés d’Honoré Fragonard, offrent à un public avide d’émotions un nouveau réalisme. Cette journée d’étude s’adresse aux chercheurs en histoire de la médecine, philosophie des sciences et en littérature. Elle cherchera à retracer les grandes théories qui marquent l'histoire des sciences médicales et leurs représentations du corps et proposera une réflexion épistémologique sur la diffusion et l’impact de disciplines et champs liés aux sciences médicales sur les représentations littéraires des XVII e –XIX e siècles. Il s’agira de suivre le passage de nouvelles épistémè et découvertes médicales dans les représentations littéraires du corps humain. Les nouveaux modèles de la connaissance induits par les développements de l’anatomie, de

SAVOIR MEDICAL ET REPRESENTATIONS DU … · développement de l’embryon sur la conception du roman et la théorie de la littérature en Allemagne dans le ... proche de la fortune

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SAVOIR MEDICAL ET REPRESENTATIONS DU CORPS HUMAIN XVII–XIXEME SIECLES

Journées d’étude EXPLORA (CAS – EA 801/Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse) organisées dans le cadre du projet inter-MSH "Savoirs littéraires, savoirs scientifiques"

5–6 décembre 2011

Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse/Musée de la Médecine de Toulouse Le développement des sciences médicales a métamorphosé la vision du corps humain au fil des siècles, un corps qui se dessine et se redessine dans la littérature et les arts visuels, permettant souvent de retracer l’évolution de la pensée et de la recherche médicale. Dans la médecine antique, la théorie des humeurs élaborée par Hippocrate et développée par Galien, qui marquera l’histoire de la médecine, influencera aussi l’art de la Renaissance et le théâtre élisabéthain, comme le montre l’apparition de la Comédie des Humeurs de Ben Jonson. Alors que la physiologie humorale perdure jusqu’à la fin du XVIIIième siècle, étant même défendue par Auguste Lumière au XIXième siècle, le corps humain bascule peu à peu dans une vision mécaniciste. Sang, phlegme, bile jaune ou noire entrent en compétition avec de nouvelles images qui transforment le corps-chaudière en divers circuits et pompes, préfigurant déjà la théorie des animaux-machines de Descartes. Bien avant l’avènement des sciences et techniques et la métaphore du mécanisme d’horlogerie de La Mettrie, la révolution de l’anatomie, à la fin du XVe siècle et dans la première moitié du XVIe siècle, ouvre la recherche médicale sur l’étude de l’intérieur du corps humain, offrant au savant une mécanique mise à nu. La figure de l’homme mécanique, directement liée aux progrès en anatomie et physiologie, redéfinissent l’homme comme un assemblage de pièces amovibles. En outre, les planches anatomiques (de celles de Vésale à celle de Léonard de Vinci dans le domaine artistique) témoignent de la façon dont médecins et artistes font de la dissection un moyen d’accès à la vérité cachée. Les mystères du corps cèdent sous la lame du dissecteur ou du chirurgien, dès la naissance de la chirurgie moderne avec Ambroise Paré, et à mesure que le scalpel dévoile des profondeurs jusqu’alors invisibles, faisant disparaître muscles et tendons pour faire apparaître l’ossature, un nouveau rapport au corps humain se fait jour, à la fois dans les traités médicaux et dans les représentations artistiques. Les corps disséqués montrent comment l’exploration des cadavres transforment l’épistémè : la recherche de la vérité semble se situer à l’intérieur, sous les chairs que l’on ne sait encore ôter. Ainsi, le passage des fluides aux viscères se retrouve vite mis en scène dans l’art pictural qui place soudainement l’acte de dissection sous les feux de la rampe, nombre d’enluminures dès le XIVe siècle reflétant les recherches médicales du temps. Entre esthétisme et rigueur scientifique, les gravures anatomiques, à l’instar de celles de Jacques Gautier d’Agoty, ou même les cires de Gaétano Zumbo et du chirurgien Guillaume Desnoues et les écorchés d’Honoré Fragonard, offrent à un public avide d’émotions un nouveau réalisme.

Cette journée d’étude s’adresse aux chercheurs en histoire de la médecine, philosophie des sciences et en littérature. Elle cherchera à retracer les grandes théories qui marquent l'histoire des sciences médicales et leurs représentations du corps et proposera une réflexion épistémologique sur la diffusion et l’impact de disciplines et champs liés aux sciences médicales sur les représentations littéraires des XVIIe–XIXe siècles. Il s’agira de suivre le passage de nouvelles épistémè et découvertes médicales dans les représentations littéraires du corps humain. Les nouveaux modèles de la connaissance induits par les développements de l’anatomie, de

l’ostéologie, de la physiologie et de la biologie (avec, par exemple, les études en histologie et cytologie, réduisant l’humain à une somme de cellules) seront au cœur de cette manifestation scientifique interdisciplinaire. On pourra se demander si, au moment où la mécanique du corps semble révéler ses mystères, les représentations littéraires des sciences médicales ne deviennent pas un témoin privilégié de la cartographie du corps, un indice des nouveaux modèles épistémologiques que le texte met constamment en scène à travers ses stratégies narratives et personnages. Le modèle hydraulique, lié à la découverte de la circulation sanguine de l’anatomiste William Harvey, ou bien le modèle anatomique, sont autant de révolutions médicales dont on cherchera à suivre l’exportation dans le discours littéraire. On pourra aussi étudier le voyage de l’iconographie anatomique dans les œuvres littéraires afin de mesurer comment les transformations d’un corps indivisible à un corps fragmenté ou encore disséqué suivent l’évolution de la pensée médicale. En retraçant le chemin parcouru par le savoir médical dans la littérature, il s’agira également d’évaluer notamment comment le texte se charge souvent d’une émotion que la science refoule, mettant en lumière à la fois la précision grandissante de l’observation scientifique et la peur d’une médecine inhumaine qui transforme l’homme en objet d’expérimentation. Ainsi, la littérature du XVIIe au XIXe siècle deviendrait peut-être un miroir, fidèle ou magique, réfractant ou déformant l’image du savant : à mesure que son accès au corps devient de plus en plus direct, que la distance physique entre le scientifique, médecin, anatomiste ou biologiste et son objet d’étude se réduit, la littérature ne se révèle-t-elle pas la distance psychologique qui sépare chaque jour un peu plus la science médicale de l’humain ?

Les propositions de communications (500 mots ; document WORD) sont à envoyer à Laurence

Talairach-Vielmas ([email protected]) avant le 1 avril 2011.

PROGRAMME PRÉVISIONNEL LUNDI 5 DÉCEMBRE 2011 (MUSEUM D’HISTOIRE NATURELLE DE TOULOUSE) 8.45–9.00 : Accueil des participants et présentation du projet 9.00–9.30 : Rafael Mandressi (Centre Alexandre Koyré, CNRS) : ‘Espaces et descriptions savantes du corps’ 9.30–10.00 : Hélène Cazès (Université de Victoria, Canada) : ‘La fabrique d’une icône : l’invention vésalienne de l’anatomie moderne (1543, 1725)’ 10.00–10.30 : Didier Foucault (Université de Toulouse (UTM) : ‘Système cérébro-nerveux et activités sensorimotrices de la physiologie ancienne au mécanisme des Lumières’ 10.30–11.00 : Pause café 11.00–11.30 : Claire Crignon (Université de Bourgogne, Centre George Chevrier) : ‘La persistance du 'modèle' humoral dans le discours philosophique et médical en Angleterre début XVIIe-début XVIIIe siècle : enjeux épistémologiques et anthropologiques’ 11.30–12.00 : Nathalie Rivère de Carle (Université de Toulouse (UTM) : ‘Under the knife, there is no self”: excoriation and the self in Renaissance Drama’ 12.00–12.30 : Frédérique Fouassier (Université de Tours, Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance) : ‘Le corps syphilitique dans le théâtre anglais de la Renaissance’ 12.30–14.00 : Pause déjeuner 14.00–14.30 : Elena Taddia : ‘Inscrire le corps de l’enfant dans le discours scientifique: la naissance de la médecine légale sur les enfants en Europe et la docimasie hydrostatique pulmonaire (1660-1830)’ 14.30–15.00 : Bénédicte Abraham (Université de Besançon) : ‘L’influence des recherches relatives au développement de l’embryon sur la conception du roman et la théorie de la littérature en Allemagne dans le dernier tiers du XVIII siècle’ 15.00–15.30 : Laurence Dahan-Gaida (Université de Franche-Comté) : ‘Du nerf à l’écriture… et retour ! Médecine et anatomie chez Georg Büchner’ 15.30–16.00 : Pause café 16.00–16. 30 : Laurence Talairach-Vielmas (Université de Toulouse (UTM)) : Titre à préciser 16.30–17.00 : Ruth Richardson : ‘Modernity and visuality in the imagery of Gray's Anatomy’ 17.00–18.00 : Visite commentée du Mur des Squelettes (MHN Toulouse) MARDI 6 DÉCEMBRE 2011 (MUSÉE DE LA MÉDECINE DE TOULOUSE) 9.00–9.30 : Hélène Machinal (Université de Bretagne Occidentale, Brest) : ‘Le singe et l'ange : le corps de l'origine dans la littérature de la fin du 19ème siècle’ 9.30–10.00 : Gaïd Girard (Université de Bretagne Occidentale, Brest) : ‘Les Corps mesmériques’ 10.00–10.30 Gisèle Seginger (Université Paris-Est) : ‘Nerval et Flaubert : corps mystiques, esprits malades" 10.30–11.00 : Pause café 11.00–11.30 : Pierre C. Lile (Centre d’Etudes d’Histoire de la Médecine) : ‘Le « corps invisible » dans le « Secret de Wilhem Storitz » de Jules Verne’ 11.30–12.00 : Jean-François Chassay (Université du Québec, Montréal) : ‘Le discours sur la dégénérescence : s’attaquer à la racine du mal’ 12.00–13.00 : Visite du Musée de la médecine 13.00 : Clôture des journées d’étude

RÉSUMÉS DES COMMUNICATIONS ‘Espaces et descriptions savantes du corps’ Raphael Mandressi (Centre Alexandre Koyré, CNRS)

Les références spatiales sont un élément fondamental dans les représentations du corps issues du savoir médical de la première modernité. Elles jouent un rôle organisateur dans des démarches visant autant à satisfaire des opérations de visualisation que des stratégies de description, partant de mise en forme des narrations savantes du corps humain. Espaces intérieurs à explorer par le récit, projections du volume corporel en deux dimensions à travers l'imagerie médicale, cartographies du corps, sous-tendent dans la longue durée des manières de saisir ce dernier et de lui donner une intelligibilité. La communication que je propose vise à en examiner les principaux aspects.

‘La fabrique d’une icône : l’invention vésalienne de l’anatomie moderne (1543, 1725)’ Hélène Cazès (Université de Victoria, Canada)

Publié pour la première fois en 1543 et réédité, avec plus de soin encore, en 1555, le traité d’anatomie d’André Vésale, De Fabrica Humani Corporis tient une place à part dans l’histoire de la médecine comme dans l’histoire du livre. Or, de ce traité, on a tout d’abord et longtemps vu seulement la naissance de l’illustration scientifique telle que l’a définie la tradition pédagogique et récente d’ouvrages de vulgarisation. L’image y servirait le discours, comme une carte servirait des indications topographiques. L’image et le mode de déchiffrement visuel du De Fabrica semblent néanmoins concurrencer le modèle discursif de l’illustration légendée par la continuité du texte. Voire, le dispositif de lecture des images invite à reconnaître symboles et emblèmes dans un théâtre de mémoire. L’image semble non plus accompagner le texte mais lui substituer une autre forme d’exposé scientifique. Notre communication étudiera en détail les modes de lecture de l’iconographie vésalienne, en particulier dans la réédition des œuvres de Vésale (1725) proposée par Hermann Boerhaave à Leyde.

De fait, l’image se fait opaque, à la fois canon, symbole, puis icône du savoir anatomique et de ses représentations. Car il apparaît d’abord que les images anatomiques proposées par Vésale furent perçues, dès leur parution, comme un canon de la représentation. En effet, le traité de Vésale, en format in folio, luxueusement et précisément illustré fait suite aux planches anatomiques de 1537 et sera repris, pillé, résumé par de multiples éditions de ses planches, depuis Valverde et Grévin jusque nos modernes « écorchés » à l’usage des étudiants de médecine. Trois images, tout particulièrement, ont connu une exceptionnelle notoriété, proche de la fortune de la Joconde depuis sa mythification au XIXe siècle : le portrait de Vésale présentant une dissection de la main, le titre gravé du De Fabrica représentant une séance de dissection, l’homme dépecé marchant devant un paysage italien.

Le succès de la seconde de ces images met l’accent sur la valeur symbolique de ce nouveau canon humaniste. Le titre gravé représentant une séance d’anatomie en un théâtre empli de spectateurs, cumule références, allégories et allusions picturales. Etrangement, dans le désordre apparent d’une foule compacte, le regard est appelé à se « reposer » sur l’acte profanatoire du couteau ouvrant et montrant les chairs. Cette rupture de la surface, de l’enveloppe, semble alors représenter emblématiquement le geste épistémologique de « découverte ». Et la rupture scientifique d’avec les maîtres et modèles semble alors, également, se raconter sur le modèle de la profanation et de la violence. Or, tout comme la quadrature de l’homme par Alberti symbolise dorénavant l’union néo-platonicienne de l’homme et de l’univers, le frontispice du De Fabrica en est venu, très tôt, à représenter le « nouvel esprit scientifique » de la Révolution de 1543 : l’observation. Cependant, ce qui est en jeu est alors de représenter la représentation de cette observation.

Pour montrer l’observation, il s’agit de la démontrer et de lui donner une valeur scientifique. Car le statut avant tous revendiqué dans le traité de dissection de Vésale est le statut du livre comme représentation, comme série de planches. Au même moment, les théâtres de mémoire, partout en Europe, organisent spatialement connaissances et disciplines : comme le dit l’historien de l’art et des idées Daniel Arasse (« Ars Memoriae et symboles visuels: la critique de l'imagination à la fin de la Renaissance » Symboles de la Renaissance, Presses de l'ENS, Paris, 1976, pp. 57-77), la Révolution scientifique est visuelle. Dès lors, le retournement de l’illustration en symbole se fait icônique l’héroïsation de Vésale, le succès immédiat de quelques images, la réduction d’un discours à trois vignettes, voilà qui introduit un dernier motif spéculaire, faisant une image de la valeur des images. Car c’est à proprement parler une icône que l’image de la dissection par Vésale

et cette icône célèbre non pas tant le savoir anatomique que sa représentation, par le livre et par l’illustration.

‘Système cérébro-nerveux et activités sensorimotrices de la physiologie ancienne au mécanisme des Lumières’

Didier Foucault (Université de Toulouse (UTM) :

Si la médecine ancienne est souvent définie comme une médecine « humorale », c’est avant tout parce que la théorie des quatre humeurs, dont l’équilibre garantirait la bonne santé, est à la base de la réflexion pathologique et de la thérapeutique. En revanche, si l’on se situe sur le plan de la physiologie, le paradigme humoral n’a plus guère de pertinence. De la Grèce ancienne à l’époque moderne, en effet, la physiologie humaine, comme animale, repose sur deux grands principes, qui n’entretiennent que des relations lointaines avec les humeurs :

- Le finalisme : la nature ne faisant rien en vain, chaque organe est déterminé par une « faculté ». Il se voit assigner une fonction précise, vitale pour l’organisme tout entier.

- Le mécanisme : trois appareils (les systèmes hépatoveineux, cardioartériels et cérébronerveux) mettent en relation les différentes parties de l’organisme ; chacun propulsant dans les vaisseaux un fluide nécessaires à la vie (le sang, lesprit vital et l’esprit animal).

Le but de cette communication est, après avoir présenté le système cérébronerveux tel que le concevait la physiologie ancienne, d’examiner ce qu’en ont conservé et transformé les théories mécanistes du cartésianisme et des penseurs des Lumières pour expliquer les activités sensorimotrices.

‘La persistance du 'modèle' humoral dans le discours philosophique et médical en Angleterre début XVIIe-début XVIIIe siècle : enjeux épistémologiques et anthropologiques’ Claire Crignon (Université de Bourgogne, Centre George Chevrier)

Comprendre le rôle et les usages des modèles dans le domaine de la philosophie naturelle classique suppose de rompre avec une conception de l'histoire des sciences qui tend à présenter une doctrine comme un "modèle" ou un "paradigme" guidant la science et la pratique jusqu'au moment où des découvertes importantes provoquent une "crise", laquelle aboutirait à une "révolution" (cf. Th. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques). Dans cette perspective, on présente William Harvey comme celui qui aurait signé la fin de la théorie des humeurs en découvrant le principe de circulation sanguine. C'est en particulier dans le Traité de la génération (1651) et dans les exercices 51 et 52 que Harvey rejette explicitement l'existence des humeurs. Cette affirmation est reprise par le médecin oxonien Thomas Willis qui réfute l'idée selon laquelle les humeurs pourraient être considérées comme la cause des fièvres : ce ne sont pas les humeurs mais les esprits qui constituent l'élément central à prendre en compte pour rendre compte de la maladie et de la santé (Willis, Of Fevers, 1659). Boyle (Sceptical Chymist, 1661) rejette lui aussi cette théorie d'origine hippocratique et galénique qui structure depuis des siècles le discours des médecins et des philosophes sur la nature de l'homme. Pourtant, Willis continue à faire référence à la doctrine des tempéraments lorsqu'il rend compte des maladies nerveuses dans son De Anima Brutorum en 1672 et dès le traité des fièvres il évoque la fonction analogique de la doctrine des humeurs, justifiant ainsi un usage possible de ce modèle, qui cohabite dans son oeuvre avec le recours au modèle de la fabrique (atomisme) et à celui du corps alambique (médecine chimique).

Nous proposons dans cette communication de mettre en évidence les enjeux de cette cohabitation entre différents "modèles" du corps au XVIIe siècle et jusqu'au début du XVIIIe siècle en nous appuyant sur l'étude des textes de Willis mais aussi sur celle des écrits du médecin et disciple de Bacon Walter Charleton. Souvent présenté comme l'un des principaux responsables de la diffusion du mécanisme en Angleterre, Charleton théorise dans ses Enquiries into Human Nature (1680) la légitimité d'un usage analogique des humeurs et convoque lui aussi différents modèles du corps dans sa physiologie sans jamais prétendre que le recours à l'un de ces modèles serait susceptible de rendre les autres illégitimes. Nous souhaitons proposer une autre lecture de la persistance du modèle des humeurs que celle que proposait par exemple Mirko Grmek dans l'Histoire de la pensée médicale en occident ("le concept de maladie", dans Histoire de la pensée médicale en Occident, Paris, 1997) : loin de la lire comme le signe de la persistance de "combats d'arrière garde", il nous semble nécessaire de mesurer les enjeux anthropologiques de sa survie jusqu'au XVIIIe siècle et de comprendre les raisons qui ont poussé les médecins à proposer des synthèses entre médecine ancienne et médecine moderne pour penser la santé et le fonctionnement du corps (cf. par exemple Castle, George, The Chymical Galenist : A Treatise

wherein the Practise of the Antients is reconcil’d to the new Discoveries in the Theory of Physick, London, 1667 ou encore E. Maynwaring, Praxis Medicorum, Antiqua et nova : the ancient and modern practice of physick examined, London, 1671).

‘Under the knife, there is no self”: excoriation and the self in Renaissance Drama’ Nathalie Rivère de Carle (Université de Toulouse (UTM))

When Richard Holmes explained the principles of anatomy in a lecture on Science and Literature, he defined the core discipline of anatomy as exploration and creation. Exploring the human body is equated with a form of retroactive genesis, a destructive iteration of the generation of the body. In European early modern drama such exploration is performed on living bodies rather than dead bodies and implies the questioning of both the means and the purposes of the representation of a violent exploration of the human body and above all of the self. Images of Marsyas, Saint Bartholomew and other excoriated victims are usually linked with the notions of crime and punishment, but also needs to be considered as socio-political explorations of the individual. Anatomy starts with an incision as a first bloody violation of the integrity of the human body. Hence, this presentation offers to analyse the treatment devolved to human skin in the visual arts (theatre, emblems and painting). The exposition of Sisamnes’ flayed body in Preston's Cambises, the diseased skin of De Flores in Middleton’s The Changeling, the symbolic raw flesh of Martius after the battle in Shakespeare’s Coriolanus illustrate but a few of the representational challenges of peeling human skin off. Considering the skin as the entrance door to the mysteries of the human body, it seems essential to see how it became symbolic of but also influenced socio-political structures. The violence exerted against the skin whether for scientific or criminal purposes onstage echoes the scientific necessity to understand the genesic principles of Man and illustrates the growing ontological mobility of the early modern self.

‘Le corps syphilitique dans le théâtre anglais de la Renaissance’ Frédérique Fouassier (Université de Tours, Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance)

La syphilis fait des ravages en Europe (en particulier en Angleterre) à partir de la fin du XVème siècle, pour connaître une apogée au milieu du XVIème. Elle est alors plus grave qu’aujourd’hui et dans la plupart des cas mortelle. Elle est à l’origine d’une « grande peur » qui traumatise les esprits et marque profondément les consciences. L’épidémie est d’une telle ampleur qu’elle fait partie du quotidien des contemporains de Shakespeare et de Jonson. La connaissance de la maladie et son traitement progressent vite, et les traités à son sujet se multiplient. Cependant, de nombreuses zones d’ombre demeurent, essentiellement dues au fait que beaucoup des symptômes de la syphilis sont également caractéristiques d’autres maladies « honteuses » qui font de nombreuses victimes, comme la lèpre.

Si la syphilis traumatise autant, c’est non seulement en raison des douleurs physiques qu’elle engendre, mais aussi parce que ceux qui en souffrent apparaissent aux yeux de leurs concitoyens comme des individus au comportement dépravé dont le corps porte les marques visibles de la conduite licencieuse. En effet, si au début, on pense que la maladie se transmet par l’air (comme la peste), le mode sexuel de contamination est rapidement décelé et désigne le patient comme coupable de fornication, vice particulièrement grave et honteux dans une société où la légitimité des héritiers assure la bonne transmission du capital et des titres. Les symptômes dermatologiques notamment trahissent la dépravation de membres prétendument respectables et influents de la société et révèlent la corruption de la société urbaine dans laquelle il n’est désormais plus possible de mentir.

Ces préoccupations sont au cœur du quotidien des contemporains de Shakespeare et se retrouvent par conséquent tout naturellement dans la littérature de l’époque, notamment la littérature dramatique. Cette communication se propose de mettre en perspective l’état et l’évolution des connaissances médicales sur la syphilis dans l’Angleterre de la Renaissance (en particulier à travers le premier traité écrit en langue anglaise sur le sujet, à savoir A Briefe and Necessary Treatise, Touching the Cure of the Disease Called Morbus Gallicus, or Lues Venerea, by Unctions and Other approoved Waies of Curing du barbier-chirurgien William Clowes (1579)) et le portrait qui est fait de la maladie dans la littérature de l’époque, essentiellement dans les pièces de théâtre. Que savent les dramaturges de la maladie ? Quelle image donnent-ils de ceux qui en sont atteints ? Ce qui est dit de la syphilis dans les pièces de théâtre constitue-t-il une représentation fiable de l’état de la connaissance médicale de la Renaissance ? On remarquera notamment que les descriptions du corps des syphilitiques abondent, et qu’elles participent au comique des pièces, un humour noir, carnavalesque, teinté de morbidité. Quels buts littéraires ou idéologiques la présence insistante du corps syphilitique dans la littérature dramatique sert-elle ? Quel est l’intérêt de ces passages pour l’historien de la médecine ? Leur dimension métaphorique prime-t-elle sur l’aspect documentaire ? Voici quelques-unes des pistes que nous nous proposons d’explorer ici.

‘Inscrire le corps de l’enfant dans le discours scientifique: la naissance de la médecine légale sur les enfants en Europe et la docimasie hydrostatique pulmonaire (1660-1830)’ Elena Taddia

National Archives, ASSI (6/1) Lent Assises 1825, n.17 in calendar Rex v. Martha Saukey for murder ‘Report of the surgeon Charles Mott: The external appearance of the child was healthy the only mark of violence is the injury done to the neck by the tape ...being firmly twisted twice round… He opened the body by order of the coroner…The vessels of the lungs are also in a similar state of distension and it is the opinion that the appearance above stated were not natural but occasioned by the strangulating effects of the tape which was formed about the child neck. Taken and acknowledge the day year and place mentioned before me John Wollaston, Coroner A partir de la deuxième moitié du XVIIème siècle apparaissent des textes qui montrent un intérêt naissant envers le corps mort de l’enfant et en particulier du nourrisson. A travers des études précurseurs sur les poumons et sur la respiration comme ceux de Marcello Malpighi et Thomas Bartholin le débat sur les poumons et sur la respiration est lancé ; peu après le néerlandais Jan Swammerdam (Tractatus Physico-anatomico-medicus de Respiratione usuque Pulmonum - 1667) ouvre celui sur une controverse technique chirurgicale qui va enflammer le débat scientifique en Europe jusqu’au XIXème siècle. Il s’agit de la docimasia hydrostatica pulmonum, qui consistait en l’extraction des poumons du nourrisson victime d’un supposé infanticide et leur immersion dans un vase d’eau afin de prouver que si les poumons émergeaient jusqu’à la surface - donc s’ils contenaient de l’air - le nouveau-né avait respiré au moment de la naissance et avait ensuite été tué. Le débat touchera son sommet au XVIIIème siècle, même l’Encyclopédie s’intéresse à la docimasie pulmonaire, et l’Allemagne, berceau des Facultés de médecine en Europe, est le pays ou le plus élevé nombre de textes sur ce sujet a été publié. Ce débat, accompagné d’une nouvelle curiosité autour du cadavre de l’enfant, donne naissance à la médecine légale sur les enfants, une science dont le chemin doit encore être éclairci. A travers une analyse de textes imprimés aussi bien que de manuscrits d’archives – très rares sont les images de dissections d’enfants – j’analyserai comment la docimasie pulmonaire semble progresser ou être mise en discussion au fil du temps en Europe, essayant d’établir comment le corps/corps mort de l’enfant s’inscrit enfin, grâce à la circulation des textes et des idées, dans un débat scientifique très pointu au sein de la communauté médicale en Europe.

‘L’influence des recherches relatives au développement de l’embryon sur la conception du roman et la théorie de la littérature en Allemagne dans le dernier tiers du XVIII siècle’ Bénédicte Abraham (Université de Besançon)

Johann Friedrich Blumenbach (1752 – 1840) est un biologiste célèbre en Allemagne pour avoir mené des recherches décisives sur le développement de l’embryon. Les sciences naturelles sont, dans le dernier tiers du XVIII siècle, un domaine scientifique en pleine expansion et suscitent non seulement l’intérêt des élites cultivées et de la société civile en général, mais elles proposent également à d’autres disciplines un modèle de pensée scientifique. Par ailleurs, elles fournissent à ces dernières des métaphores, notamment organiques, dont on se sert pour décrire autant la formation des peuples et de l’humanité que celle du savoir ou encore de l’individu. Philosophes, historiens, écrivains se mettent à penser en termes de processus vivant de la formation. L’influence de Blumenbach et de sa théorie du « nisus formativus » ou Bildungstrieb (J. F Blumenbach, De generis humani varietate native liber (1775); Über den Bildungstrieb (1780)) est notamment perceptible chez Herder, lequel, dans sa philosophie de l’histoire, utilise même le terme de « polype » - terme qui n’est pas sans rappeler les expériences sur les polypes verts relatées par Blumenbach lui-même - afin d’établir une comparaison avec la constitution politique d’un pays. Friedrich Schlegel, chef de file du premier romantisme allemand, utilise de manière récurrente, dans les Fragments de l’Athenäum, le terme ‘Bildung’ et il est même question, dans son essai sur le Wilhelm Meister de Goethe, de « la force génératrice infinie de Wilhelm » (« Wilhelms unendlicher Bildungstrieb »).

Notre communication souhaite montrer l’influence de la théorie du « Bildungstrieb » sur la conception romanesque à la fin du XVIII siècle en Allemagne et préciser comment le roman est pensé dès lors comme un tout organique et s’inscrit dès lors dans un processus plus général de transition du mécanicisme à l’organicisme. Les auteurs auxquels il sera fait référence seront très probablement Goethe, Schlegel et Herder.

‘Du nerf à l’écriture… et retour ! Médecine et anatomie chez Georg Büchner’ Laurence Dahan-Gaida (Université de Franche-Comté)

Dans son discours de réception du prix Büchner (« Briser le corps », 1995) – discours où le récipiendaire expose traditionnellement sa vision de l’œuvre de Büchner – le poète allemand Durs Grünbein présentait le grand dramaturge allemand comme le précurseur d’un « réalisme anthropologique » qui cherche, non pas la synthèse, mais veut « briser les corps » pour isoler le « nerf singulier » qui va le conduire au cœur de la « nature humaine » (Grünbein, 1995). Si Büchner marque un point tournant dans l’histoire littéraire, c’est parce qu’il accorde « la primauté au nerf » et fait « du corps l’ultime instance. Voilà un poète qui trouve ses principes dans la physiologie comme d’autres avant lui dans la religion ou l’éthique. Il libère de la pure zootomie l’idée que la vie se suffit à elle-même et n’obéit pas à des buts extérieurs ou supérieurs » (Grünbein, 1995). L’intérêt de Büchner pour le détail anatomique, pour l’exploration et la dissection de l’intérieur du corps lui a permis d’ouvrir une voie nouvelle, entre médecine et littérature : « la physiologie saisie dans la littérature », où elle permet d’introduire « une grammaire plus dure, un ton plus froid : l’outil adéquat pour l’intelligence amputée du cœur » (Grünbein, 1995). Büchner est un poète du corps, passionné par la biologie et la physiologie, notamment celle du cerveau, comme en témoigne le titre de sa leçon inaugurale à Zürich le 5 novembre 1836, Über Schädelnerven (« Sur les nerfs du crâne »). Pour Büchner, il ne s’agit pas simplement de ramener l’âme au corps et le corps à la physiologie, mais aussi de porter un regard critique sur la médecine de son temps qui déshumanise l’homme en le transformant en objet. Il s’agira de voir, d’une part, comment les discours de l’anatomie et de la neurophysiologie informent l’écriture de Büchner, lui ouvrant la voie de la modernité et, de l’autre, comment ces mêmes discours deviennent objets d’une critique acérée et lucide.

‘Modernity and visuality in the imagery of Gray's Anatomy’ Ruth Richardson (Independent Scholar)

The illustrations in the textbook Gray's Anatomy were extremely modern at the time of its original publication (1858). This talk demonstrates how modernity and anatomy intermeshed in the book's visual design and discusses the presentation of humanity in this new guide for the deconstruction of the body.

‘Nerval et Flaubert : corps mystiques, esprits malades" Gisèle Séginger (Université Paris-Est)

Les travaux de Cabanis et Broussais ont légué au XIXe siècle une exigence de scientificité qui se manifeste par une prééminence de la physiologie, du corps et des symptômes observables. On veut alors même localiser les lésions organiques qui pourraient expliquer la folie, et la dissection est employée pour fournir des observations. Cette tendance est durable dans les études médico-psychologiques et le célèbre docteur Pinel s’y rattache. Toutefois, dans les années 1840, d’autres médecins vont progressivement délimiter le rôle de la physiologie dans le domaine des études psychiques en donnant au corps un rôle différent. Avec le docteur Moreau de Tours et avec Alfred Maury (membre lui aussi de la société médico-psychologique bien qu’il ne soit pas médecin mais historien des religions), le rapport du physique et du moral commence à être repensé. Il ne s’agit pas de réduire l’importance du corps mais d’étudier des phénomènes physiologiques dont l’origine ne serait pas physiologique, de penser l’action du moral sur le corps. Ainsi voit-on dans les travaux de Moreau de Tours, et surtout dans ceux de Maury (que lira Freud) s’ébaucher les prémisses théoriques de la somatisation et de l’inconscient. Pour ancrer sa pensée du côté du positivisme, et contre le spiritualisme et le catholicisme, Maury défend encore la tendance physiologiste, l’influence du corps sur l’esprit et il se réclame d’Esquirol, lui-même élève de Pinel. La polémique le conduit à insister sur sa fidélité à une lignée physiologiste à une époque où certains aliénistes se font au contraire les défenseurs du catholicisme (Brière de Boismont) et où Victor Cousin critique tous ceux qui essaient d’expliquer par la maladie et les troubles physiologiques les actes intellectuels ou les faits moraux de personnages célèbres. Toutefois, si Maury veut éviter les dérives de l’école spiritualiste, et s’il maintient l’importance du corps, il en vient très vite à repenser son rôle et à mettre au premier plan l’action des idées, des sentiments, expliquant que le désir se dit, s’écrit, se raconte dans le corps. De son côté, Moreau de Tours, qui n’élimine pas non plus la physiologie, ne croit cependant pas que la dissection d’un corps fournira des observations utiles, car les troubles de la folie proviennent plutôt d’une irritation nerveuse qui se manifeste à la fois par des comportements et des pensées et qui nécessite une forme d’observation nouvelle dont seul le mode narratif peut rendre compte. Je voudrais montrer comment de nouvelles conceptions du rapport entre le physique et le moral sont utilisées par les écrivains – Nerval et Flaubert tout particulièrement – dans la représentation d’expériences religieuses ambiguës et comment les savoirs médicaux contribuent à une mise en scène littéraire des corps.

‘Le « corps invisible » dans le « Secret de Wilhem Storitz » de Jules Verne’ Pierre C. Lile (Centre d’Etudes d’Histoire de la Médecine)

1. Novembre 1895. Découverte des Rayons X par un physicien allemand inconnu : Röntgen, suivie un an après par celle de la radioactivité par Henri Becquerel et celle du radium par Pierre et Marie Curie. N’a-t-on pas appelé le XIXe siècle, « le siècle de la science des rayonnements » ? Ce rayon X « qui va rendre la matière humaine transparente et permettre de voir au travers », va bouleverser la physique et la médecine.

2. Trois ans plus tard, en 1898, Jules Verne écrit son roman « le Secret de Wilhem Storitz », inspiré par cette découverte (le nom de Röntgen est cité dans le livre) et portant sur le rêve humain immémorial de l’invisibilité. Je parle ici du manuscrit original heureusement découvert en 1977 par Piero Gondolo della Riva chez les descendants de Jules Hetzel l’éditeur – et non de l’édition posthume de 1910 très modifiée par Michel Verne, son fils. L’Histoire en est simple : nous sommes à la fin de XIXe siècle dans une ville imaginaire, Ragz (ressemblant fort à Buda-Pest), aux confins de l’Empire Austro-Hongrois, sur le bord du Danube. Un jeune physicien allemand Wilhem Storitz utilise la découverte laissée par son père, pour se venger du Dr Roderich, un notable de la ville, qui lui a refusé la main de sa fille Myra – à qu’il voue un amour exclusif – déjà promise à un autre prétendant. L’histoire finira très mal, Storitz traqué est tué en duel quoique invisible, par le frère de Myra ; sa maison et son laboratoire sont incendiés et sa science définitivement perdue. Malheureusement il a eu le temps de rendre Myra invisible…et donc condamné à vivre sans espoir d’être « matérialisée », sinon dans la mort.

3. Comment devient-on invisible ? Nous sommes réduits, pour le savoir, à le déduire de la description du laboratoire du père de W. Storitz et de son contenu et à comprendre que la « quintessence » du secret, obtenu par la physique et la chimie se trouve dans « une fiole de forme bizarre, en verre bleuté, …dont le bouchon qui la fermait était traversé d’un tube tamponné avec un morceau d’ouate » et contenant (elle tombe et se brise sur le carreau) « une liqueur très fluide de couleur jaunâtre. Extrêmement volatile, elle s’évapora en une vapeur d’odeur singulière que je n’aurais pu comparer à aucune autre ». [ texte p.174 de l’édition Folio-Gallimard de 1996] Le roman de Herbert G. Wells « L’homme Invisible », écrit un an avant en 1897, est plus explicite (plus centré sur la physique des rayons lumineux) sur la découverte de Griffin, « le physicien le mieux doué que le monde ait jamais eu », « le premier homme à s’être rendu invisible », qui va mourir seul, rejetté par la société et victime de son expérience (comme son illustre prédécesseur dans un autre domaine ! le Dr Jekyll). On le voit, le livre de Jules Verne, mélange de fantastique (Poe) et de romantisme (Hoffman) est aussi une dénonciation évidente des dangers que peuvent représenter les recherches scientifiques…pour l’humanité.

4. Mais parler de l’invisibilité n’est-il pas dans notre contexte « anatomique » un paradoxe voire une provocation. Au contraire, un peu plus de 100 ans après, au moment où les scientifiques (dont ont profité les médecins) ont poussé à un degré inouï l’exploration du corps humain, tant macroscopique que microscopique, tant physiologique que biologique – au moment où nous pouvons réaliser de véritables « dissections » sur le vivant grâce au scanner, et à l’image par résonnance magnétique – au moment où la scintigraphie osseuse (injection de substance radioactive) dessine un squelette en marche, comme ceux de Vésale ou de Gamelin, dernier stade avant la désintégration – n’est-ce pas une sorte « d’homme invisible » que va contempler le médecin sur son écran d’ordinateur, à travers une image. C’est au moins l’impression que ressent le malade, frustré de la « présence » du vieux et chaleureux dialogue hippocratique. Le corps invisible pourrait être ainsi, le drame de la médecine d’aujourd’hui, et il faut le craindre, celui de la médecine de demain.

‘Le discours sur la dégénérescence : s’attaquer à la racine du mal’ Jean-François Chassay (Université du Québec, Montréal)

Hérédité, génétique, évolution : ces trois mots, lourds de sens aussi bien d’un point de vue scientifique qu’idéologique, ont sans cesse fait retour dans la littérature depuis le XIXe siècle. Des mots fort présents dans la fiction et le discours social, d’autant plus que leur définition a longtemps été malaisée – et l’est encore, dans une certaine mesure. Cette communication voudrait montrer comment la littérature récupère le discours médical et hygiéniste autour du concept de « dégénérescence », dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ce discours très idéologique (qui est pour une bonne part, mais pas uniquement, un discours de classe) est aussi propre à un imaginaire apocalyptique très « fin de siècle ». Il s’agira d’aborder la question de différents points de vue, par exemple à travers l’eugénisme (L’Ève future de Villiers de L’Isle-Adam), la masturbation (Charlot s’amuse de Paul Bonnetain), la nymphomanie (Les sœurs Vatard de J-K Huysmans), ou la syphilis (Les avariés d’Eugène Brieux).