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SAVOIR(S) ET APPRENTISSAGE : COMMENT APPRÉCIER L'INTELLIGENCE ORGANISATIONNELLE ? Corinne Baujard L'Harmattan | Savoirs 2014/1 - n° 34 pages 47 à 70 ISSN 1763-4229 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-savoirs-2014-1-page-47.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Baujard Corinne, « Savoir(s) et apprentissage : comment apprécier l'intelligence organisationnelle ? », Savoirs, 2014/1 n° 34, p. 47-70. DOI : 10.3917/savo.034.0047 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Groningen - - 129.125.6.1 - 05/05/2014 22h35. © L'Harmattan Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Groningen - - 129.125.6.1 - 05/05/2014 22h35. © L'Harmattan

Savoir(s) et apprentissage : comment apprécier l'intelligence organisationnelle ?

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SAVOIR(S) ET APPRENTISSAGE : COMMENT APPRÉCIERL'INTELLIGENCE ORGANISATIONNELLE ? Corinne Baujard L'Harmattan | Savoirs 2014/1 - n° 34pages 47 à 70

ISSN 1763-4229

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-savoirs-2014-1-page-47.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Baujard Corinne, « Savoir(s) et apprentissage : comment apprécier l'intelligence organisationnelle ? »,

Savoirs, 2014/1 n° 34, p. 47-70. DOI : 10.3917/savo.034.0047

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan.

© L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Savoir(s) et apprentissage : comment apprécier l’intelligence organisationnelle ?

Corinne Baujard1

Résumé : Dans un contexte où les entreprises sont soumises à des pertes de savoirs professionnels, la formation est confrontée à la transformation des environnements d’apprentissage. Ses dispositifs, plus ou moins forma-lisés, révèlent la difficulté de la transmission en raison de la nature tacite des enjeux. L’intelligence organisationnelle revêt aujourd’hui une dimension variable en raison de nombreux départs des salariés (retraites, démissions et licenciements). Comment la définir ? Comment repérer et opérationnaliser ce concept afin de mieux l’appréhender au sein des entreprises ? À par-tir d’une étude de cas exploratoire menée auprès d’un groupe international dans le secteur industriel, un cadre théorique en train de se réaliser est pro-posé pour transformer les décisions en problèmes scientifiques, expliciter les éléments et proposer des solutions. Si comprendre c’est inventer (Piaget, 1972), l’intelligence organisationnelle émerge selon une stabilisation de pra-tiques régulières entre des acteurs organisés. Dans ce contexte, la formation accueille de nouveaux espaces de savoirs professionnels avec une démarche propre qui mobilise l’action collective d’apprentissage.

Mots clés : Apprentissage, théorie de l’activité, contexte technologique, transmission des savoirs, intelligence organisationnelle

Knowledge (s) and learning: How to assess organizational intelligence?

Abstract: In an environment where companies are subject to a loss of professional knowledge, education is faced with the transformation of lear-ning environments. Its more or less formalized features reveal the difficulty of the transmission due to the tacit nature of the issues. Organizational intelligence is now of a variable dimension because of many employee de-partures (retirement, resignations and dismissals). How to define it? How to identify and operationalize this concept in order to better understand its role in business? On the basis of an exploratory case study conducted by an

1 Maîtresse de conférences HDR, Université d’Évry Val d’EssonneDirectrice Département Gestion/AES.

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international group in the industrial sector, a theoretical framework under construction is proposed to turn decisions into scientific issues, explain the factors, and propose solutions. If understanding is to invent (Piaget, 1972), organizational intelligence emerges through a stabilization of regular prac-tices between organized actors. In this context, education welcomes new areas of professional knowledge with a specific approach that mobilizes a collective learning action.

Keywords: Learning, activity theory, technological, knowledge transfer, organizational intelligence

Conocimiento (s) y aprendizaje:¿Cómo entender la inteligencia organizacional?

Resumen : En un ámbito en el que las empresas se ven sometidas a la pérdida del conocimiento profesional, el campo de la formación de adultos se enfrenta a la evolución de los entornos de aprendizaje. Sus dispositivos más o menos formalizados muestran lo difícil que es la transmisión dado el carácter tácito de lo que está en juego. Hoy en día la inteligencia orga-nizacional cobra una dimensión variable en función de numerosos casos de cese de actividad (jubilación, renuncias, despidos de empleados). ¿Cómo definirla? ¿Cómo identificar y hacer operativo este concepto con el fin de comprenderlo mejor en el contexto empresarial? A partir de un estudio de caso exploratorio llevado a cabo en un grupo internacional del sector indus-trial, se ha propuesto un marco teórico en vías de elaboración con el fin de contribuir a la transformación de decisiones en problemas científicos, a la explicación de los factores y a la propuesta de soluciones. Si entender es inventar (Piaget, 1972), la inteligencia organizacional surge según una estabilización de las prácticas habituales entre actores organizados. En este contexto, la formación de adultos alberga la creación de nuevas áreas de conocimiento profesional con un enfoque particular de aprendizaje que contempla la acción de aprendizaje colectivo.

Palabras claves : aprendizaje, teoría de la actividad, la trasmisión de conocimientos tecnológicos, la inteligencia organizacional

1. Introduction

Au moment où la formation en entreprise est au centre de multiples débats, l’intelligence organisationnelle revêt une dimension d’autant plus

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importante que les départs de salariés (retraites, démissions et licenciements) remettent en cause la transmission des savoirs professionnels dans les orga-nisations. Sans parvenir à concilier l’hétérogénéité des pratiques observées, la formation constitue un projet ambitieux pour toute entreprise qui sou-haite intégrer différents modes d’apprentissage (Argyris et Schön, 2002). L’intelligence organisationnelle apparaît comme l’aptitude à s’aventurer stratégiquement dans l’incertain, tout en recherchant le maximum de certi-tudes, de précisions et d’informations (Morin, 1999) dans l’appréhension du contexte d’apprentissage. Une série de dispositifs ne cesse de se généraliser afin de capitaliser les connaissances métiers, les savoir-faire et l’expertise dans un collectif de travail complexe. Les chercheurs en sciences de gestion ont tenté de comprendre ce contexte spécifique, tout en décomposant la réalité du phénomène étudié. L’approche par les ressources envisage l’entre-prise comme un patrimoine de ressources lié à l’expérience accumulée dans le temps et dans l’espace (Barney, 1991). L’exploitation des compétences se construit selon des processus complexes composés de savoirs et de techno-logies pour s’adapter aux évolutions des projets managériaux. Les sciences de l’éducation envisagent le savoir comme un processus de représentation construit par l’expérience : les mécanismes de l’apprentissage sont identi-fiés comme une condition de la production de la connaissance scientifique (Piaget, 1967, 1970). La distinction entre le changement dans l’apprentis-sage et la modification des représentations mentales est liée à la stratégie mise en œuvre dans les pratiques de formation. L’aspect cognitif apparaît aussi fondamental que le développement de l’intelligence dans le succès de la transmission des savoirs à visée de formation.

Au croisement de plusieurs champs scientifiques, il n’est pas facile de stabiliser le concept d’intelligence organisationnelle. Dès lors que la plupart des recherches soulignent l’importance du concept, chaque communauté cherche à identifier les déterminants au travers de modèles plus ou moins prescriptifs, mais sans vraiment en identifier les dimensions. Comment peut-on définir l’intelligence organisationnelle ? Comment la repérer au sein de la formation des entreprises ? Au fond, il s’agit de s’interroger sur un paradoxe qui envisage les savoirs dont la vocation à se matérialiser dans la formation rend aujourd’hui de plus en plus complexe la transmission dans l’activité professionnelle. Il apparaît à l’évidence que le contexte organisationnel joue un rôle central dans la transmission des savoirs (2). Dès lors, la revue de litté-rature envisage différentes dimensions de l’intelligence organisationnelle (3). Une étude de cas exploratoire menée dans une grande entreprise internatio-nale permet de proposer une opérationnalisation du concept d’intelligence

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organisationnelle (4). Un cadre théorique interroge les prolongements pos-sibles de cette recherche au regard de la transmission des savoirs (5).

2. Contexte organisationnel

Dans un contexte où les entreprises sont de plus en plus confrontées au départ de leurs salariés, les responsables de formation modifient les modali-tés d’apprentissage dans l’activité professionnelle (Quenson, 2012). Mais si la transmission des savoirs devient la clé essentielle de la compétitivité des entreprises, les dispositifs déployés demeurent délicats à évaluer dans les situations de travail qui « ne modifient pas les seules activités utilisant direc-tement les outils en question, mais l’ensemble social vivant de ces activités » (Alter, 2003). Depuis quelques années, la création de postes spécifiques, tels que directeur « des transferts de savoirs » (MGI Coutier), directeur du « knowledge management » (Peugeot), directeur « de la gestion des actifs » (Renault), directeur « des emplois et de gestion des connaissances » (IBM), directeur « du capital intellectuel » (Valoris), directeur de « la gestion des connaissances » (Skandia AFS) ou responsable du « Réseau d’échanges réci-proques de savoirs » (La Poste), rend compte de la diversité contextuelle de la transmission des savoirs dans les organisations. Les entreprises adoptent des politiques d’intégration mondiale, tout en faisant preuve de réactivité au niveau local. Loin d’apparaître isolées, les entreprises tentent de dépasser les schémas traditionnels d’apprentissage afin de coordonner la mise en place de dispositifs de formation de plus en plus élaborés. Au reste, l’appel à des outils souples et réactifs pour améliorer la compétitivité n’est-il pas le signe d’une confusion avec la gestion stratégique des ressources ?

Les travaux menés sur les savoirs établis par Polanyi (1968), Nonaka et Takeuchi (1997) distinguent les savoirs explicites aisément transmissibles et les savoirs tacites qui relèvent de la pratique et de l’expérience plus difficiles à appréhender. L’entreprise adopte des stratégies d’exploitation et d’explo-ration dans une perspective d’avantage compétitif (March et Sutton, 1997). Les travaux d’Argyris et Schön (1978) ont insisté sur les acteurs qui créent des savoirs pour l’action lorsque les routines implicites modifient les repré-sentations collectives du système. Les pratiques en cours dans les entreprises proviennent de la codification des savoirs explicites ou de l’interaction des savoirs tacites à travers le transfert d’expérience. Pour surmonter les obs-tacles auxquels sont confrontés les chercheurs qui étudient l’apprentissage, il s’agit de faire référence au management des systèmes apprenants ou à la gouvernance dans le pilotage des systèmes. Les thèmes de l’organisation ap-prenante, du management des savoirs ou de la gestion des savoirs (knowledge

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management) aident à identifier le savoir-faire et l’expérience des collabora-teurs d’une organisation. Une importance toute particulière est accordée aux apprentissages collectifs dont les effets reposent sur les différents processus de l’intelligence organisationnelle en tenant compte à la fois des moyens technologiques et du contexte social.

3. Revue de littérature

Le concept d’intelligence organisationnelle a été abordé par la sociologie américaine (Wilensky, 1967, p. 176) qui considère que la stratégie collec-tive dans la production de connaissances se manifeste selon un processus de recueil, d’analyse, d’interprétation et de diffusion. Penser l’intelligence collective dans l’organisation est difficile à identifier, car elle résulte de re-présentations dans les processus de transfert des savoirs qui présentent un avantage concurrentiel (Argyris et al., 2002). On a pu montrer que les pro-cessus d’adaptation de l’organisation à son environnement témoignent d’un ensemble de représentations pouvant être partagées entre les savoirs tacites et les savoirs implicites (Nonaka, 1995). En effet, le transfert de savoirs résulte de processus qui portent sur l’acte d’apprentissage impliquant la par-ticipation des salariés dans un système d’activité. Dès lors, l’apprentissage organisationnel au sein de communautés dépend de situations spécifiques à chaque contexte (Wenger, 2005). L’intelligence induit une organisation « habile dans la création, l’acquisition, le transfert du savoir et dans la modi-fication de son comportement afin de refléter une compréhension et une nouvelle connaissance » (Garvin, 1993, p. 80). Autant dire que ces situations elles-mêmes structurantes transforment des savoirs individuels en savoirs organisationnels.

Pour gérer des situations de travail, l’intelligence relève de savoirs indis-sociables des expériences subjectives qui demeurent largement mises en évi-dence dans une « vie intellectuelle professionnelle » liée aux enjeux organisa-tionnels (Barbier, 2001, pp. 303-317). La diversité des parcours d’apprentissage se traduit par une perte ou un déplacement de savoirs complexes qui émerge de l’activité selon une démarche formalisée d’apprentissage. Par le biais de leurs activités cognitives, les salariés donnent du sens à l’apprentissage (Piaget, 1967 ; Weick, 1995). Les savoirs ne sont pas toujours aisés à repérer dans les activités professionnelles, car la transmission dépend du contexte social, tout particulièrement au sein des entreprises soumises à une rotation importante des salariés. Les expériences professionnelles qui y apparaissent sont des « assembleurs de ressources » fondées sur des pratiques réflexives (Wittorski,

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2007). Il faut synthétiser les théories à visée compréhensive de l’intelligence organisationnelle afin de révéler différentes modalités d’apprentissage.

Les travaux classiques consacrés à l’apprentissage organisationnel (Argyris et Schön, 1978 ; Senge, 1990) s’appuient généralement sur une distinc-tion entre différents niveaux d’apprentissage : organisationnel, collectif ou individuel. Le travail devenant plus abstrait, plus intellectuel, sollicite des compétences d’expertise technique tendant à rapprocher l’apprentissage de l’activité professionnelle. La formation intègre dans un même mouvement des niveaux d’apprentissage différents dans la gestion d’un même processus formatif. Il importe alors de comprendre les formes d’interactions avec le contexte social, de découvrir les processus qui évoluent dans l’organisation. La confrontation des théories devient l’occasion d’un débat sur la manière de comprendre l’apprentissage organisationnel et l’apprentissage du salarié qui ne relèvent pas des mêmes disciplines. Les activités d’exploitation des savoirs explicites et tacites sont issues de l’activité du travail pour devenir des savoirs organisés. Les savoirs sont partagés par les salariés (routines, processus) dont la compréhension revêt une dimension cognitive abor-dant une démarche mobilisant différentes disciplines (sciences de gestion, sciences de l’éducation). L’intelligence est une activité cognitive permettant l’amélioration de l’action organisationnelle. D’emblée, l’interaction dans la situation de travail est construite par le sujet dans sa propre activité et entre les acteurs (Barbier, 2009). On constate que cette définition renvoie à la notion d’activité et d’action. Il est cependant possible de considérer que si les champs scientifiques offrent des modèles abstraits, les contributions théoriques peuvent être présentées autour de la variable « interaction » et la variable « cognition » qui contiennent des savoirs d’apprentissage qui à leur tour résultent également de savoirs. Le critère de distinction montre que les salariés possèdent des savoirs implicites qu’ils appliquent dans l’action et qui peuvent s’opposer à ceux qu’ils affichent lorsqu’ils expliquent leur façon d’exercer leur activité. Les observations montrent que l’activité ne résulte pas de mécanismes d’ajustement, mais plutôt de choix destinés à augmenter la capacité d’apprentissage. L’apprentissage nécessite des interactions entre les salariés qui agissent dans l’organisation. La dimension cognitive dans l’action résulte d’un mécanisme d’adaptation des savoirs permettant d’ac-croître l’efficacité de l’apprentissage. À travers la revue de la littérature, il est apparu que la transmission des savoirs dépend autant des interactions dans l’interprétation des activités que de la compréhension de l’action.

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Interactions dans l’interprétation des activités

Dimension cognitive dans la compréhension de l’action

- L’ensemble de représentations est partagé entre la connaissance tacite et le savoir impli-cite (Nonaka, 1995).- Les pratiques relatives aux différentes si-tuations sont spécifiques à chaque contexte (Wenger, 2005).- L’organisation est « habile dans la création, l’acquisition, le transfert du savoir et dans la modification de son comportement afin de refléter une compréhension et une nouvelle connaissance » (Garvin, 1993, pp. 54, 79, 80).- Par le biais de leurs activités cognitives, les salariés donnent du sens à l’apprentissage (Piaget, 1967 ; Weick, 1995).- L’intelligence relève d’une expérience subjec-tive largement implicite, non verbale, « d’une in-telligibilité des phénomènes étudiés » (Barbier, 2001, p. 303).- Les expériences professionnelles sont des pra-tiques réflexives (Wittorski, 2007, pp. 117-122).

- L’intelligence relève des groupes de travail (Lévy, 1997).- La stratégie collective dans la production de connaissances se manifeste selon un processus de recueil, d’analyse, d’interpré-tation et pour gérer des situations nouvelles en apportant des réponses adaptatives » (Wilensky, 1967, pp. 176-177).

- Les processus de transfert d’un avantage concurrentiel durable sont permis par l’ap-prentissage organisationnel (Argyris et al., 2002).- L’intelligence est une dimension impor-tante pour comprendre les projets managé-riaux (Barney, 1991).- Un processus qui porte sur l’acte d’ap-prentissage implique la participation des salariés dans un réseau d’activité (Callon et al., 1991).- Les interactions sociales réduisent la com-plexité des situations (Dewey, 2004, p. 91).

Tableau 1. Synthèse revue de la littérature

À partir de la revue de littérature, nous pouvons repérer plusieurs dimen-sions qui caractérisent l’intelligence organisationnelle selon un cheminement analytique. Il s’agit de privilégier une démarche collective émergente et par-tagée entre les intelligences individuelles, qui résulte d’une interprétation des salariés. On est confronté à un « concept d’intelligibilité » qui donne envie de « réaliser une activité qui n’est pas uniquement sur soi, mais aussi une activité de soi qui transforme le monde » (Barbier, 2001, p. 303). Il est donc question de ce que le sujet apprend de son activité et de ce que l’activité de transfor-mation du monde, et de transformation de soi, résulte d’une construction mentale. Dès lors que le savoir est construit par le sujet dans son activité, l’action suppose une « intention d’action », la capacité de produire en situa-tion de formation, c’est-à-dire une inférence causale qui explique l’activité et la relation du sujet résultant de l’activité. Il faut donc trouver un concept de l’intelligence organisationnelle selon des paramètres et des variables. C’est privilégier une approche en termes d’articulation émergente et en termes d’interaction. L’intelligence collective devient une intelligence organisation-nelle par la transmission des savoirs qu’elle permet ; les acteurs deviennent coproducteurs des savoirs transmis, car ils échangent des savoirs.

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Nous proposons de définir l’intelligence organisationnelle comme une interprétation d’un collectif issu de l’interaction de ses membres pour faire face à une situation réelle dans l’organisation. Si l’on met en relation l’activité et les capacités de compréhension des salariés en relation les uns avec les autres pour agir, l’intelligence organisationnelle repose sur un apprentissage qui intervient au sein de plusieurs registres. Cette définition permet de repé-rer des régularités au sein d’un processus qui opère dans un environnement organisationnel lui-même structurant, sous l’influence des interactions qu’il entretient avec les acteurs (Giddens, 1984). Pour définir l’intelligence orga-nisationnelle, il faut donc qualifier les situations d’interaction qui constituent la cohésion collective dans l’organisation. Mais, comment peut-on à partir de ces dimensions apprécier l’intelligence organisationnelle au sein des entre-prises ? Notre étude de cas exploratoire tente de répondre à cette question.

4. Étude de cas

Notre terrain d’étude repose sur une entreprise industrielle de dimen-sion internationale qui souhaite déployer une plate-forme d’apprentissage en s’inspirant du modèle universitaire. Elle souhaite diffuser auprès des sala-riés des méthodes de travail, mais aussi former les salariés de ses clients. Son activité est basée sur un dispositif de knowledge management décidé au niveau de la direction. Il s’agit d’une décision stratégique qui modifie l’organisation du travail au sein de l’organisation. Il apparaît que les départs en retraite ou les recours d’experts ont été l’occasion à plusieurs reprises de diffuser l’ex-périence formalisée à l’ensemble des pays. Mais, aujourd’hui, la complexité de l’activité demande de nouvelles compétences aux collaborateurs qui par-tagent leurs savoir-faire selon un principe générationnel : les collègues plus anciens accompagnent directement les plus jeunes sur les postes de travail. Les processus sont gérés collectivement en relation avec les acteurs internes, mais aussi en collaboration avec les clients. Sur le plan méthodologique, notre travail de recherche s’inscrit dans une démarche inductive. Nous opte-rons pour la méthode de la recherche-action fondée par Kurt Lewin (1951), puis définie par les chercheurs lors du colloque en 1986 de l’Institut Natio-nal de Recherche Pédagogique comme une « recherche dans laquelle il y a une action délibérée de transformation de la réalité qui poursuit un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant cette transformation » (Hugon et Seibel, 1988, p. 13).

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4.1. Démarche adoptéeUne étude de cas exploratoire permet de comprendre la vie profession-

nelle souvent peu documentée en théorie afin d’enrichir le questionnement (Yin, 2003). Il s’agit d’élaborer une théorisation en train de se réaliser en évitant la description objective de la réalité sociale tout en saisissant l’expé-rience d’un responsable de formation impliqué dans le projet qui fait sens pour lui (Avenier, 2011, p. 373). Nous avons envisagé de répondre à la ques-tion suivante : comment peut-on apprécier l’intelligence organisationnelle au sein des entreprises ? Pour répondre à la logique de dispersion et augmenter la fiabilité des résultats, un entretien de plusieurs heures mené auprès du res-ponsable formation a été retranscrit sur des feuilles de contacts permettant de conserver ses commentaires et de formuler des propositions explicatives. À ce stade, il convient de mettre en lumière un travail de catégorisation afin de définir un univers de référence du discours. L’échange s’est achevé lorsque le responsable eut répondu à l’ensemble des situations sociales pos-sibles. Pour faciliter l’entretien dans lequel l’action est enracinée, nous nous sommes inspirés du modèle d’activité développé par deux psychologues russes (Leontiev et Vygostsky, 1920), enrichi plus tard par Engeström (2001) qui étudie les interactions dans lesquelles évoluent les dimensions collectives de l’apprentissage. Il s’agit de mener une approche compréhensive, autant à partir des dispositifs que des représentations.

Afin d’identifier les dimensions de l’intelligence organisationnelle, nous nous sommes d’abord interrogés sur le caractère opérationnel du modèle d’activité pour interroger le responsable. Il apparaît particulièrement adapté pour découvrir « des concepts et catégories utilisés par les acteurs sociaux eux-mêmes pour interpréter et organiser leur monde » (Glaser et Strauss, 1967). On accorde ainsi un rôle prépondérant au terrain. Le salarié (le su-jet) interagit avec les autres collaborateurs (la communauté) pour organiser l’activité dont les interactions sociales réduisent la complexité des situations (Dewey, 2004, p. 91). En attribuant un sens collectif à l’environnement d’apprentissage, on comprend comment les interactions entre les acteurs font évoluer l’organisation et construisent la réalité pour donner un sens explicatif ou interprétatif selon un procédé de comparaison constante. La recherche vise à produire une théorie qui aide à déceler la présence d’un phénomène, à découvrir ses caractéristiques. La recherche tend à démontrer que la théorie possède une évidence empirique. Il s’agit de constituer un corps de connaissances plutôt qu’une collection de faits. On sait que, pour les positivistes, la réalité est objective, imparfaite et détachée du chercheur, alors que pour les constructivistes la réalité sociale est multiple et se construit

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à partir de perspectives qui évoluent avec le temps. Nous adopterons une position intermédiaire qui permet de réfléchir à la fois sur le postulat d’une détermination structurelle et sur le résultat de processus complexes. Il s’agit de se demander si les structures sociales qui transforment les relations ne dépendent pas largement du processus d’interaction entre des acteurs et des objets.

4.2. Justification du choix de l’entreprise étudiéeLe choix de cette entreprise pour effectuer des recherches scientifiques est

intervenu après la rencontre du responsable au cours de l’année 2009/2010. Il est apparu que la volonté de mettre en œuvre un pilotage d’optimisation des savoirs était le moyen de conserver l’expertise des salariés qui quittaient l’entreprise. Une nouvelle gestion des savoirs reliée à la formation devait se réaliser autour d’un réseau de plusieurs centres répartis dans le monde entier. La direction souhaitait mettre en place une stratégie d’apprentissage inspirée du modèle universitaire, permettant la création d’une communauté afin de générer des solutions à des problèmes identifiés pour constituer un support de la mémoire collective.

Peu après, il a été mis en place un conseil pédagogique organisé autour de trois groupes : un groupe informatique de la communauté de pratique, un groupe gouvernance qui anime la communauté, un dernier groupe qui cor-respond à la culture de knowledge management. Le groupe a recherché la meil-leure façon d’exploiter et de capitaliser l’expérience collective, la connais-sance et les savoirs afin d’améliorer la transmission des savoirs auprès des salariés pour « résoudre les questions qui se posent dans le cadre du travail, [car] la disparition massive des compétences pose un problème » et pour « préserver les compé-tences de salariés qui partent à la retraite ».

4.3. Exploitation des données recueilliesÀ partir de l’élaboration des propositions explicatives, la validité externe

n’a pas permis de réduire la subjectivité inhérente aux situations. Il s’agit de proposer des résultats à partir des données recueillies et de les comparer à d’autres domaines. La validité interne met en jeu la crédibilité des résultats par rapport à d’autres modes d’accès aux connaissances. Au fur et à mesure de la collecte des données, les regroupements fournissent l’ébauche d’une théorisation qui permet de garder un état d’esprit d’ouverture en évitant d’influencer le processus d’analyse.

Contexte : Les exigences de l’environnement et les préoccupations in-ternes pèsent sur l’organisation et dépendent des ressources externes liées

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aux choix des activités stratégiques de ses marchés. Les ressources internes sont axées sur les processus organisationnels et l’infrastructure technolo-gique. Le groupe international est un « groupe sur des marchés complexes, où la création de nouveaux métiers et l’apparition des nouvelles technologies demandent à chaque collaborateur des compétences qui sont en augmentation ». La structure du groupe est complexe, car on s’aperçoit que les « compétences sont très vite périmées et il est primordial de disposer d’une vision globale des ressources humaines, qui est pour nous une question de survie ». Le contexte constitue un niveau d’analyse permettant de confronter ce qui est externe à l’organisation (environnement d’interpréta-tion) à ce qui est interne (la représentation des salariés). Autrement dit, l’or-ganisation dépend de la façon dont l’entreprise parvient à mobiliser la trans-mission des savoirs. « La transmission des savoirs est devenue problématique pour notre groupe afin de capitaliser sur notre savoir-faire. Nous devons adopter des formats d’apprentissage différents, plus en phase avec leurs habitudes d’usage des TIC, notamment en termes de communautés de pratiques et de jeux. […] Les salariés n’ont plus à réaliser des tâches codifiées à l’avance, mais à faire face à des demandes qui évoluent sans cesse. »

Ressources : On constate que les technologies de l’information de l’en-treprise s’inscrivent dans les processus de management. Toute interroga-tion sur le changement technologique est un défi pour l’apprentissage. « En matière de gestion des ressources humaines, nous avons élaboré une véritable politique permettant de favoriser la rétention des compétences critiques et d’attirer de nouveaux col-laborateurs plus jeunes. » D’une manière générale, la rationalisation des savoirs varie selon des interactions réciproques entre l’outil et l’organisation. La dé-marche retenue privilégie toujours le contenu technologique de l’apprentis-sage. « Nous avons adopté une solution de knowledge management partagée qui permet de trouver un ensemble de savoirs pour résoudre un problème. » Les échanges dans un nouvel espace de relations permettent de prendre en considération un certain nombre de critères organisationnels.

Conséquences : Les travaux de l’école sociotechnique ont envisagé les relations entre les aspects technologiques, sociaux et organisationnels. « Les savoirs, ce sont des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être qui modifient pour prendre en compte l’incertitude et le changement suscitant aujourd’hui des changements dans les modes d’apprentissage. » Le processus de structuration opère dans un environ-nement organisationnel lui-même structurant, qui intègre la réflexion sur les technologies de l’information au sein de la structure sociale de l’entreprise. « La transmission de savoirs s’inscrit dans les possibilités offertes par les nouvelles tech-nologies comme une occasion de restructurer nos échanges avec nos collaborateurs internes et externes. »

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Accompagnement : Les structures sociales deviennent des institutions dans l’organisation. « Plus la technologie est utilisée plus l’accompagnement devient in-dispensable… l’expérience que nous menons actuellement n’est pas transposable dans une autre entreprise. » Il est pourtant bien souvent impossible de prédire l’usage de la technologie et des relations sociales, car le premier usage ne détermine pas le contexte organisationnel. C’est pourquoi l’un des éléments essentiels tient aux ressources qui obligent à repenser les flux d’informations internes et à aménager les relations entre les salariés et les compétences. C’est l’occasion d’une rationalisation des processus qui se traduiront par un déploiement du système d’information. « Les utilisateurs peuvent consulter toutes les informa-tions concernant les produits, processus et ressources dont ils ont besoin pour leur acti-vité. » « On cherche à rapprocher l’entreprise de ses clients, afin d’améliorer la qualité de l’apprentissage et de faire de l’intranet d’apprentissage un véritable outil collaboratif. Les savoirs périssent très vite, d’où la nécessité de former rapidement le collectif de travail. »

Moyens : La cohésion des processus repose sur les échanges de savoirs entre toutes les activités. « La transmission des savoirs au travers de notre intranet, c’est de relier tout le groupe qui est aussi indispensable que la dimension organisationnelle dans laquelle elle s’insère. » La mobilisation des salariés repose sur la reconnais-sance de son système social, mais vise aussi à conserver les savoirs à travers des pratiques culturelles qui résultent d’histoires socialement réussies. « Nous pensons que si la culture de partage semble maîtrisée, c’est en partie grâce au sentiment collectif des salariés, qui crée un sentiment de cohésion entre les salariés participant acti-vement à l’amélioration des compétences collectives. »

Changement : Le changement organisationnel implique de conduire une réflexion renouvelée de l’intelligence collective dans l’expertise et la diffusion des savoirs dans les entreprises. « Transmettre des savoirs, c’est aussi réfléchir au lien qui existe entre l’organisation du travail, la motivation des salariés dans la stratégie des ressources humaines de notre entreprise. Nous accordons beaucoup d’im-portance aux différents projets parce que nous considérons qu’ils constituent un élément déterminant de la motivation des salariés », sur les interactions entre l’outil des salariés et les profils diversifiés pour renforcer le lien social. « Nous avons été amenés à réorganiser le travail d’équipe pour que le salarié puisse dénicher une informa-tion précise. » Les représentations structurent le champ social (Giddens, 1987). « Travailler en équipe, c’est promouvoir une nouvelle conception relationnelle. » « Comme je vous l’ai déjà indiqué, dès le départ, nous avons associé tous les managers aux change-ments technologiques. » Dans cette entreprise, l’analyse des savoirs répond à un besoin précis, un moyen devant permettre de développer les compétences des salariés dont les performances sont jugées stratégiques. « La formation exige une bonne connaissance des compétences dont nous disposons qui s’expliquent par

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différentes interactions et la qualité de celles-ci avec notre système d’information. » « La situation professionnelle est réflexive pour devenir formatrice. Il faut s’appuyer sur les retours d’apprentissage dans les situations de travail pour assurer un véritable transfert de savoirs professionnels où chacun a conscience du rôle qu’il apporte dans la construction des savoirs, même si cela demeure très complexe. » Par exemple, en matière de sécu-rité ou d’incident technique, les savoirs experts doivent être instantanément transmis à l’ensemble des salariés. Le changement apparaît à la fois comme une pratique sociale et le résultat d’un processus d’apprentissage qui dépend de la façon dont le travail est organisé. « Dans les différents groupes, nous choisis-sons toujours les processus et les décisions RH en accord avec les salariés parce que notre culture de changement ne peut être mise en œuvre que si les salariés se l’approprient. »

4.4. Démarche d’analyseDès lors que le savoir est l’objet fondateur des modalités de la transmis-

sion, le codage d’un unique entretien est toujours délicat, surtout lors du découpage des catégories qui vont l’accueillir. À cette fin, un codage ouvert, axial et sélectif a été utilisé. Le codage ouvert se rapproche le plus pos-sible de la prise de notes. L’entretien permet d’aboutir à une série d’unités d’analyses (contexte, ressources, conséquences, accompagnement, moyens). Progressivement, une liste des codes s’est constituée et a été regroupée dans un tableau de codage par thèmes. Ainsi, « CONT » se réfère à la catégorie « contexte » et « CONTEX » à la sous-catégorie « environnement ». Ce tableau est un outil précieux pour identifier les caractéristiques des modes de transfert des savoirs entre les salariés. Il permet de regrouper les unités d’analyses retranscrites, d’établir progressivement les catégories et d’attribuer à chacune un code. Le codage axial transforme les unités d’analyses en caté-gories. Il sert à repérer les interactions explicatives des relations qui révèlent dans la majorité des cas que l’apprentissage s’explique par des facteurs hu-mains et technologiques. Chaque catégorie trouve un écho dans le discours et dans les questions de recherche. Les unités s’intègrent dans un ensemble d’interprétations explicatives. On repère alors les ressources à l’origine de l’intelligence organisationnelle. Cette phase de compréhension constitue une phase d’interprétation. Un processus de réinterprétation dans l’utilisa-tion des concepts aide à trouver le fil conducteur des variables en les reliant au contexte externe et interne, en tenant compte de leurs conséquences sur l’organisation et des effets sur les pratiques professionnelles. Il opère des re-groupements conceptuels pour représenter le phénomène étudié sans qu’il soit nécessaire de revenir aux entretiens. Cette phase de vérification repose sur une restitution des catégories : « contexte », « ressources », « accompa-gnement », « moyens », « conséquences » et « changement ». Les déclarations

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du responsable ont été peu modifiées. Le modèle de l’activité a facilité l’ex-ploitation de l’entretien qui a servi de support à la compréhension des situa-tions avant la généralisation des catégories aux éléments contextuels.

Catégories Codes Concepts

Contexte CONT

Externe CONTEX Environnement d’interprétation

Interne CONTI Représentation collective

Ressources RESS

Technologiques TEC Capitalisation des savoirs

Humains HUM Interaction avec le groupe

Conséquences CON Retours

d’expériences EXP Réflexion partagée

Appartenance APPA Mobilisation des salariés

Accompagnement ACCOM

Cohésion COH Cohésion des compétences collectives.

Relations REL Consensus collectif

Moyens MOY

Échanges ECHA Expérience singulière

Reconnaissance RECO Mobilisation

Changement CHANG

Conduite COND Réflexion partagée

Culture CULT Modification de l’activité professionnelle

Tableau 2. Relations entre les catégories et les éléments contextuels

Le rapprochement entre l’apprentissage et l’organisation révèle toujours des situations de travail transformées en pratiques d’action de formation. Le lien social entre les savoirs et le changement organisationnel résulte généra-lement de l’interaction entre l’environnement, les ressources et la situation de travail de l’organisation. Le changement passe par une phase qui consiste à susciter le besoin de changement de façon intense dans l’organisation. Au niveau interne, la situation de management est liée à des stimulations des salariés. Un tel projet est un axe majeur d’un management de l’entreprise adapté au contexte, soumis aux exigences de l’environnement et intégrant des composantes structurelles dans le système d’organisation. Il peut encou-rager une logique d’intelligence organisationnelle.

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Les solutions retenues dépendent des logiques de transmission des sa-voirs. On constate que l’entreprise privilégie l’apprentissage sans s’interro-ger sur la nature des capacités cognitives du salarié. Puis, elle réalise peu à peu que l’activité collective n’est pas systématiquement dotée de la capacité à identifier les savoirs formalisés selon des règles adaptées collectivement. Certaines activités aboutissent à des situations de conflits ou de crise dont le chercheur mobilise difficilement la part de l’intelligence. Il est donc pré-férable d’insister sur les processus cognitifs des salariés qui participent au système d’activité, notamment les interactions détectées dans les situations de travail.

Au demeurant, on ne sait pas à l’avance quel dispositif d’apprentissage va émerger. Cette absence de connaissances de départ conduit donc à une construction progressive de notre démarche qui ne peut pas se résumer à cumuler des concepts. Il s’agit de privilégier un cadre théorique qui doit être envisagé comme partie prenante de la découverte progressive de l’intelli-gence organisationnelle.

5. Retour sur la littérature, discussion et conclusion

Une organisation ne peut pas créer des savoirs par elle-même. Les sa-voirs résultant de l’observation, de l’imitation ou de la pratique sont détenus par les acteurs qui sont parfois difficiles à transmettre lorsqu’ils sont acquis par l’expérience. Des savoirs spécifiques sont mobilisés lors de la résolu-tion de problèmes en situation de travail, et la formation prend en compte les contraintes organisationnelles dans les collectifs de travail. Au reste, le modèle de la « spirale du savoir », où la transmission des savoirs se compose de quatre étapes distinctes en interaction permanente, assurant le passage du tacite à l’explicite et de l’individuel au collectif (Nonaka et Tacheuchi, 1995), est un modèle où l’interaction entre individus désigne la transforma-tion de savoirs tacites en d’autres savoirs à partir du partage plus ou moins informel d’expériences. Les savoirs explicites se diffusent dans l’entreprise, deviennent implicitement tacites et sont intégrés dans les routines traduisant l’expérience accumulée, déjà vécue lors d’expérience similaire. On est alors confronté à un apprentissage en simple boucle dans la mesure où l’organisa-tion recherche de nouvelles solutions pour prendre des décisions.

Dès lors que l’organisation valide son système d’apprentissage sur un équilibre entre apprentissage individuel et apprentissage collectif, les savoirs entre les salariés construisent l’objet d’apprentissage collectif. Le système d’activité privilégie la dimension collective dans la construction d’espaces

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collaboratifs. Quelles sont les modalités qui permettent de l’analyser ? Les contraintes souhaitées par le projet révèlent les comportements des acteurs « sans qu’aucune négociation ne soit possible qui pourrait la légitimer, au moins comme opportune et sensée » (Alter, 2003, p. 11). La capitalisation des informations n’est pas essentielle, contrairement à la possibilité d’ex-ploiter et de partager les savoirs. Les outils informatiques encouragent les changements nécessaires pour favoriser l’interaction et l’efficacité collective. Les salariés analysent, transfèrent et échangent au quotidien des masses d’informations. Le travail individuel consiste à résoudre des problèmes ou à prendre des décisions. Dans ces conditions, la transmission réside alors dans les processus, les résultats et les mécanismes de régulation déployés. C’est ainsi que l’entreprise tend à renforcer les mécanismes de coordination, et que les trajectoires de transmission reposent de plus en plus sur les compé-tences individuelles et collectives des acteurs.

Comment peut-on définir l’intelligence organisationnelle ? Dans l’entre-prise, certains savoirs sont aisés à repérer (la tâche codifiée, le processus, le projet), d’autres sont plus difficiles à cerner dans l’activité. Souvent, ils orga-nisent les missions des salariés selon une spécialisation du travail. La gestion des processus s’appuie sur l’acquisition de ressources d’analyse, d’interpré-tation et de stockage de l’information. Divers ajustements se mettent alors en place après la décision d’expérimenter la solution initiale. Le contexte crée de multiples interprétations susceptibles de modifier les divers métiers de l’entreprise. Dans notre entreprise, les retours font apparaître des visions différentes. Les savoirs sont gérés comme un objet intellectuel (« capitaliser sur notre savoir-faire ») qui apparaît comme le résultat final d’un processus ou bien des savoirs transformés pour réaliser l’apprentissage. « Nous avons adopté une solution de knowledge management partagée qui permet de trouver un ensemble de savoirs pour résoudre un problème. » Cette intelligence est une ressource indis-pensable à l’action. Toute activité est le résultat d’un enchaînement de rela-tions entre les apprentissages individuels et collectifs qui peuvent plus moins aisément être identifiés. Si l’on envisage l’action comme une capacité à coor-donner un ensemble de relations en vue d’atteindre des objectifs (Nelson et Winter, 1982), une variété de niveaux d’apprentissage est à relever. Les savoirs sont liés aux salariés qui réalisent l’activité pour l’action collective. Les technologies de l’information valorisent la gestion des savoirs selon un processus organisationnel et non comme une ressource. « Nous avons décou-vert certains éléments progressivement au fur et à mesure du déroulement de l’expérience d’apprentissage… l’intranet propose un espace personnel à tous les collaborateurs, qui change la manière de travailler tout en permettant la reconnaissance du capital de chaque

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salarié. » Le développement des technologies se poursuit selon les objectifs finalisés aux conséquences sociales plus ou moins ignorées (Giddens, 1985). L’apprentissage organisationnel (Argyris et Schon, 1978) invite à considérer que l’apprentissage des savoirs résulte de l’intelligence des processus orga-nisationnels selon « une relation entre acteurs reproduite et organisée en pratiques sociales régulières » (Rojot, 1998, p. 6) ; on réalise que les savoirs sont transformés par le contexte des formes d’interactions qu’il suscite. Les acteurs qui ont une liberté d’action n’en subissent pas moins l’influence de la structure sociale qui constitue un indicateur du cadre de travail collectif. Ainsi, un cadre théorique provisoire de l’intelligence organisationnelle déve-loppe un concept entre les relations et les savoirs. L’activité n’a pas de sens hors des relations entre acteurs et l’action n’a du sens que par rapport à la compréhension des savoirs détenus par les salariés.

Concepts Propositions DimensionsInteractions.Information interprétée.Activité.

Système relationnel d’interprétations partagées.

Processus résultant d’actions collectives en relation avec l’activité de formation.

Cognitifs.Capacité de compréhension.Action.

Transfert de ressources complexes inscrit dans une action.

Collectif professionnel de résolution de problèmes pour trouver des solutions dans un contexte.

Tableau 3. Cadre théorique de l’intelligence organisationnelle

Le cadre théorique de l’intelligence organisationnelle rejoint notre revue de littérature. C’est dans l’interaction et dans la cognition que les savoirs émergent. Ils ne sont pas indépendants de l’activité ou de l’action. Si l’intel-ligence se développe par le transfert des savoirs, elle doit s’inscrire dans une activité qui aboutit à une action, car elle formalise la représentation que les salariés détiennent de leur activité, mais aussi un objet intermédiaire résultant d’actions collectives en relation avec l’activité de formation. Cette socialisation (Nonaka et Tacheuchi, 1995) souligne la dimension sociale de l’intelligence organisationnelle. Les salariés doivent être en situation qui transforme l’action. Ainsi, les savoirs collectifs sont nécessaires à la réalisa-tion de l’activité. « Nous pensons que si la culture de partage semble maîtrisée, c’est en partie grâce au sentiment collectif des salariés, qui crée un sentiment de cohésion entre les salariés participant activement à l’amélioration des compétences collectives. » L’articu-lation de l’apprentissage des salariés vers l’organisation et de l’organisation vers les salariés se situe dans l’action et dans l’interaction. Autrement dit, un agencement organisationnel peut se déployer selon des formes d’interac-tions, d’échanges qui évoquent l’existence d’objets épistémologiques comme

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témoins de la transmission des savoirs. Ainsi, nous pouvons compléter notre définition de l’intelligence organisationnelle : une interprétation d’un collec-tif organisationnel complexe issu de l’interaction de ses membres, mis en œuvre pour résoudre des problèmes à l’égard d’une situation réelle.

Comment peut-on repérer et opérationnaliser cette définition afin de mieux l’appréhender au sein des entreprises ? Au sein de l’entreprise, il existe des espaces où l’intelligence organisationnelle peut être identifiée : « La situa-tion professionnelle est réflexive pour devenir formatrice. Il faut s’appuyer sur les retours d’apprentissage dans les situations de travail pour assurer un véritable transfert de savoirs professionnels où chacun a conscience du rôle qu’il apporte dans la construction des savoirs même si cela demeure très complexe. » Le transfert des savoirs professionnels au sein des salariés est difficile à formaliser pour l’organisation qui n’est pas toujours assurée de l’évolution de cette opérationnalisation. On retrouve les principes d’épistémologie organisationnelle définis par Nonaka, von Krogh et Voelpel (2006). Ces théoriciens ont montré qu’en insistant sur les proces-sus d’exploitation et la mise en relation avec le processus d’exploration, il est possible de partager des savoirs dans les projets, de créer des collaborations internes. L’exploitation est limitée dans la mesure où l’organisation favorise l’identification des pratiques managériales complexes en respectant les dif-férentes expertises mobilisées par les salariés. Au fond, l’intelligence organi-sationnelle permet d’envisager autrement le rapport au savoir. Pour trouver des solutions, les organisations s’appuient sur des collectifs professionnels dont les salariés négocient une représentation explicite de la résolution de problèmes conditionnée par les savoirs implicites des autres salariés.

Notre recherche comporte des limites inhérentes aux perspectives rete-nues. Il faut reconnaître que si la recherche-action révèle bien l’existence de liens entre les conséquences sociales, elle demeure parfois peu explicite sur l’identification du concept d’intelligence organisationnelle. La démarche inductive demande un travail de terrain important dont la méthodologie s’avère délicate à maîtriser dans les phases de codification. Le risque est de laisser trop de place à l’intuition au détriment du modèle théorique déve-loppé antérieurement. L’opinion du responsable de formation correspond souvent plus à une vision locale de la transmission des savoirs qu’à une compréhension de l’intelligence organisationnelle. Sans prendre le risque de déformer les pratiques managériales, les résultats risquent de ne produire parfois que de simples opinions. Ainsi est-il nécessaire de tenir compte de la manière dont on élabore le problème d’une situation indéterminée plutôt que de chercher seulement la « vérité ». L’interrogation méthodologique ne doit pas s’évaluer au regard de sa crédibilité, mais surtout à partir de l’utilité

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de la connaissance produite, de la capacité à répondre aux problèmes mana-gériaux, aux besoins des organisations. Il faut se demander avant tout si un cadre théorique peut être généralisable dans la mesure où il émerge d’un contexte particulier. Autant de raisons de compléter l’entretien mené pour éviter de s’éloigner de la pratique organisationnelle.

Peu de travaux de recherches ont toutefois remis en cause l’efficacité du système social d’interactions entre les acteurs. Le modèle d’activité n’explique que partiellement la mise en objet dans l’organisation de la modalité qui construit l’apprentissage. En effet, la démarche fondée sur des données qua-litatives demande une grande vigilance afin d’en assurer la neutralité. Les conséquences sociales demeurent parfois peu explicites dans le cadre de notre démarche, qui fait craindre une série de raisonnements successifs, cédant lar-gement à l’interprétation du chercheur. L’étude de cas, qui permet de com-prendre un problème en utilisant un exemple, s’inscrit dans une recherche qualitative. C’est une démarche particulièrement appropriée quand on dis-pose de peu de données sur le phénomène étudié (Yin, 2003). L’appréciation de l’intelligence organisationnelle donne l’occasion de présenter de manière distincte les constats tirés des observations du terrain, puis d’établir les élé-ments de discussion s’appuyant sur les travaux antérieurs. Mais, sur le plan heuristique, il est ainsi apparu que les premiers résultats obtenus péchaient par des insuffisances dans la qualité de la preuve, une théorisation parfois rapide et abusive, des traces qui mettaient à mal la démarche scientifique.

L’entreprise industrielle analysée souhaitait rationaliser le déploiement des savoirs afin de faire face aux départs de ses salariés. Il est apparu que la transmission des savoirs dépend autant de la maîtrise des interactions dans les activités que de la dimension cognitive de l’action. Dès lors, la relation entre l’activité et l’action doit permettre de repérer « des connaissances ac-tionnables » (Le Moigne, 1990) afin de distinguer la pensée et l’action (Schön, 1983). C’est reconnaître l’importance de l’interprétation sur l’action qui per-met à l’acteur de prendre conscience de l’amélioration des actions. On est confronté à « un concept d’intelligibilité, un concept mobilisateur qui donne envie de faire » (Barbier, 2001, p. 303). L’intelligence organisationnelle est un construit cognitif qui permet de maintenir un système d’action au travers des apprentissages collectifs des salariés. Autant de raisons de distinguer les savoirs orientés vers l’épistémologie de l’activité et les savoirs qui privilégient l’épistémologie de l’action. D’autant plus que l’intelligence organisationnelle ne doit pas être minimisée, notamment dans l’industrie, afin de prendre en considération des modélisations de formation variables. Les organisations deviennent aujourd’hui des réseaux de savoirs mettant en commun, souvent

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de manière contractuelle, donc provisoires, leurs ressources. Autant dire qu’un cadre socioconstructiviste est indispensable pour révéler que l’intel-ligence organisationnelle repose sur les interactions sociales dans lesquelles les différents acteurs se représentent la transmission des savoirs.

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