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Slaves - Tome 4,5: Senan - ekladata.comekladata.com/.../Slaves_Tome_4_5_Senan...converted.pdf · notre terre natale. Quitter ma famille n’était pas chose facile, mais le devoir

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Amheliie

SLAVES

TOME 4,5

Senan

ISBN : 978-1533050397

© 2016 AmheliieTous droits réservés, y compris droits de reproduction totale ou partielle, sous toutes ses formes.

Copyright Couverture :© stryjek - Fotolia.com

© jovannig - Fotolia.com

Prologue

Hiver 1328,Saint-Empire Germanique, Frontière entre L'État Monastique des Chevaliers Teutoniques et laPologne.

Le froid du nord de l’Europe était diabolique à cette époque. Le paysage s’était recouvert d’uneépaisse couche de neige blanche et le ciel n’avait pas retrouvé son bleu depuis une dizaine de jours.Il faisait gris et sombre. Les jours et les nuits se ressemblaient sans que nous arrivions à nous repérerdans le temps. L’hiver semblait sans fin.Même avec mon épais manteau de fourrure et les habits qui tentaient de me maintenir au chaud, jesentais le froid du blizzard me crisper les muscles, et me brûler les poumons.Je savais que cette traversée était de la folie, mais je devais m’assurer que notre territoire était ensécurité. Les rumeurs qui couraient à la frontière polonaise depuis un mois étaient trop inquiétantespour les ignorer, sans compter ce que j’avais reçu.Je regardais le drapeau rouge ayant la grande croix blanche de nos bannières, avec l’espoir de rentrerchez moi le plus rapidement possible.J’avais toujours connu la Guerre. Ce sentiment de danger et d’insécurité. Depuis ma naissance endébut de l’an 1300, le monde n’avait pas cessé de traverser des périodes sombres. Entre la grandefamine de l’an 1315 qui dura deux longues années et la peste noire qui décima la populationeuropéenne de moitié, la Guerre avec nos voisins de Pologne ne venait pas arranger la situation aucœur de l’Europe. Cela faisait dix-sept ans que l’Empire Germanique et l'État Monastique des Chevaliers Teutoniquesse battaient contre les Polonais. Suite à la Mort de leur Roi Venceslas en 1306, et à la demanded’aide des nobles de Pomérélie auprès des margraves de Brandebourg pour contester à Ladislas Ierde Pologne la succession du Duché de Poméranie, la région s’était retrouvée occupée à une exceptionprès : la citadelle de Dantzig. Ladislas demanda alors à son tour l'aide des chevaliers Teutoniquesqui expulsèrent les Brandebourgeois de Dantzig deux ans plus tard. Mais les Polonais tardant àverser l’indemnité promise en échange du service rendu, les chevaliers refusèrent de céder la ville.Ce qui amena à l’obtention du contrôle de la Pomérélie et permit aux Chevaliers de créer un territoireoù rallier leurs possessions prussiennes avec les frontières du Saint-Empire Romain Germanique. LaPologne, alliée des Chevaliers jusqu’à cette querelle, est devenue l’ennemi. La Guerre éclata etl’Empire Germanique alla prêter main forte à ses alliés les Chevaliers.J’avais été envoyé sur le front depuis six mois pour remplacer mon frère, fatigué de deux ans loin de

notre terre natale. Quitter ma famille n’était pas chose facile, mais le devoir était plus grand. Je nevoulais pas décevoir mon père et lui faire honte. J’avais été un fils ainé exemplaire jusqu’alors.J’avais épousé une femme magnifique qui garantissait fortune à notre famille en ces temps sombres,je maniais l’épée avec talent et l’art de la Guerre n’avait aucun secret pour moi. J’étais une réussite.Puis, il y eut ce jour sombre où les affrontements avec les Polonais se sont faits plus virulents qued’ordinaire. Nous comptions de nombreuses pertes, une tension palpable au sein du campement dueaux rumeurs qui circulaient, comme quoi des troupes ennemies venant du Sud, des terres reculées deTransylvanie ou de Hongrie, commettaient des massacres sur leur route et se dirigeaitdangereusement vers nos Terres. Je n’y prêtais pas vraiment attention. Ces rumeurs étaient sinombreuses et souvent fausses. Je refusais de me faire du souci en sachant pertinemment que nosfamilles à Magdebourg étaient en sécurité.Puis, une missive urgente est arrivée par un messager de confiance que Crescentia n’utilisait qu’encas d’urgence. Mais elle l’avait utilisé cette fois-ci, et Siegmund n’aurait pas chevauché les pleinesdurant huit jours pour simplement m’avertir d’une requête sans importance. Cela concernaitseulement deux sujets et d’après les quelques mots écrits à l’encre noire, cela ne concernait pas lesnouvelles que j’espérais apprendre. Crescentia n’avait rien dit de concret dans sa lettre, elle m’avaitsimplement ordonné de rentrer avec nos hommes.J’avais décidé de séparer nos troupes en deux parties. L’une resterait près de la frontière pourcontenir les attaques des Polonais, l’autre m’accompagnerait jusqu’à Magdebourg. Bartholomäus, le benjamin de notre famille, celui qui est resté, était certain que c’était un piège,qu’on voulait s’en prendre au premier héritier du Vassal de Magdebourg. Mais je connaissais mafemme, je savais qu’elle n’aurait pas pris un tel risque pour rien. Alors je suis parti.Notre bannière et sa centaine d’hommes avançaient lentement sur la route enneigée depuis unesemaine déjà. Nous y étions presque. Magdebourg n’était plus qu’à une demi-journée de chevauchée,moins sans doute si nous continuons à avancer à ce rythme, nous serions arrivés à temps avant latombée de la nuit.Je pourrai me réchauffer dans les bras de ma femme, et calmer ses nombreuses inquiétudes.Alors, nous avons avancé lentement et la tempête de neige cessa. Mon autre frère Emmerich putparler avec moi durant notre chevauchée. Il n’hésitait jamais à me faire part de ses craintes, et toutcomme notre benjamin, il craignait que nous tombions dans un piège. Que la missive d’une femme nepouvait pas être prise au sérieux.Jusqu’au bout, je lui tenu tête. J’ignorais ses confessions sur ses peurs et ses craintes. Un sentimentmauvais planait autour de nous. Emmerich avait la tête sur les épaules, et un instinct pour anticiperles événements. Il avait sans doute raison, comme souvent, mais je l’ignorais.Pourtant, je refusais de l’écouter et d’écouter ce que je ressentais au fond de moi. J’étais unchevalier, un homme de guerre qui connaissaient les tactiques de cet art à la perfection. Bien sûr quetout cela pouvait être un piège, mais il y avait beaucoup trop de zones d’ombre pour prendre le risquede ne pas être présent en cas de problème sur nos terres. Nous avions beaucoup à perdre.Je refusais de mettre en danger ma famille. Nous devions être là pour la protéger et non à l’autre boutdu pays pour affronter des Polonais enragés depuis presque deux décennies. Notre absence ne seremarquerait même pas.J’avais peur de ce qui nous attendait, mais je ne devais pas le montrer. Je devais rester le Seigneur deGuerre digne et puissant. Mais j’avais peur. Comme un pressentiment que notre retour n’allait pas se

passer comme prévu. Je sentais mon cœur battre à un rythme anormal au creux de ma poitrine, c’étaitcomme lorsque les affrontements avec l’ennemi débutaient. Comme lorsque je n’étais pas certain derecroiser un jour les longs cheveux blonds de ma femme souriante.L’air autour de nous sentait la mort, c’était comme un cortège funéraire géant invisible qui nousemmenait directement à la tombe.Alors que nous approchions de l’entrée sud de la ville, la neige cessa de venir renforcer le manteaublanc sur les plaines à perte de vue. On voyait au loin Magdebourg et les fumées des cheminées sedissiper dans l’obscurité de la fin de journée.Les hommes se reposaient quelques minutes, pendant que je marchais dans la neige pour medégourdir les jambes de plusieurs jours de chevaucher avec mon fidèle ami Moritz, un magnifiquecheval noir.Je profitais de ces quelques instants en retrait, loin des remarques de mon frère et de mes conseillersqui désespéraient de me voir prendre cette direction. Ils avaient sans doute raison, mais je devais enavoir le cœur net.Mon corps en entier se figea lorsque je vis un fin rayon de soleil transpercer les nuages. Comme unrésistant à cette tempête glaciale et sombre. Mes pas grincèrent dans la neige poudreuse. Sanshésitation, j’ai retiré mon gant pour que mes doigts glacés profitent de ce court instant de chaleur.C’était le bonheur. Sentir le soleil absent depuis plusieurs jours et son éternelle chaleur me caresserla peau comme le faisaient les douces mains de ma femme.Jamais je n’aurais pensé ce jour-là que cette faible lueur de soleil serait la dernière qui frôlerait mapeau.J’aurais aimé écouter ce sentiment qui me tordait les tripes et me chuchotait à l’oreille queBartholomäus ne vivait pas dans la paranoïa constante. J’aurais aimé m’arrêter, prendre le temps deréfléchir plus. Mais l’amour m’a aveuglé. La peur de perdre ce qui m’était le plus cher m’a aveuglé.Et avec le recul, quels que furent mes choix, la fin aurait été la même. J’aurais simplement souhaitéque ce qui s’est produit à la nuit tombée n’ait jamais existé.

Chapitre 1Nouvelle Mission

2016,Hawaï, Je peux le dire : Hawaï est la putain d’île aux galères. Voilà comment je pourrais résumer ce futur séjour pour le boulot. Ma mission vient de me conduiredans le trou du cul du monde, avec 23 degrés au minimum la journée sous cette nuit éternelle, jedéteste ce putain de soleil qui passe au travers des mailles du filet. Même en étant un vampire, jecrève de chaud.Je n’ai quasiment pas de réseau, je me demande comment je vais faire pour rester en contact avecDecease en cas de besoin et avoir les nouvelles importantes du continent. Après tout, je quitte ma« famille » en plein milieu d’une crise, avec un espion, un enfant prophétie sur le point de naître etune menace de Guerre ! Et moi ? J’accepte de fuir à l’autre bout du globe.Pitoyable !J’essaye d’ignorer le bruit autour de moi pour me concentrer sur la vue qu’offre Hawaï et sespaysages de cartes postales, mais rien n’y fait. Mon esprit est bien loin. Il est encore hanté par NewYork. Je n’ai pas laissé mes problèmes là-bas, ils sont venus avec moi, au fin fond de mes bagages.Decease pense que m’éloigner me fera du bien. Je doute que cela marche sur le long terme, tôt outard, je serai obligé de rentrer sur la Côte Est et revenir à la case départ : être l’enfoiré qui a misenceinte sa meilleure amie, trahi l’un de ses amis, et refilé à un enfant un passé plus que merdique.Un frisson de rage me gagne, je ne pensais pas que je connaîtrais à nouveau un tel sentiment de haineenvers moi-même. Je pensais que la dernière fois m’aurait suffi, je pensais avoir vécu le pire.Mais non, je me suis surpassé et à présent je suis en train de craquer. J’ai merdé ces dernièressemaines à New York, avec les autres, parce que je n’étais plus capable de me gérer moi-même.Ai-je été capable de le faire un jour ? J’en doute.Mon regard sanglant découvre Hawaï de nuit. Je ne pense pas que l’île de beauté avait la mêmegueule avec du soleil toute la journée. C’est beau dans cette obscurité, mais c’est sombre.L’archipel est plus vaste que je ne le pensais. J’ai un retard de trois heures sur mon arrivéeofficielle. Je pensais que trouver la Maison Drac serait aussi simple que sur un continent. Grossièreerreur de ma part.Au lieu de débarquer à l’aéroport d’Hilo, je me suis retrouvé à l’autre bout de l’île à celui de Kona.Je venais de me taper 12h30 d’avion, et ce n’est pas avec le peu de sommeil que j’ai en stock depuis

des mois, que j’ai tout de suite compris que je n’étais pas « vraiment » arrivé. Il a fallu que j’attendeun bus pour me rendre à la bonne adresse.Trois heures plus tard, après un embouteillage sur ces petites routes, j’arrive enfin à destination, plusque quelques minutes de bus et mon calvaire entouré d’autant d’individus sera fini.Je hais la foule.Qu’est-ce que j’apprécie de toute façon ces derniers temps ? Pas grand-chose. Je deviens chiant.Lassé serait le terme qui conviendrait le mieux, j’en ai assez de tout ce merdier.Et on a pensé que la meilleure solution était de m’expatrier.Me voici à Hilo, une ville côtière de l’État d'Hawaï, sur l’île se prénommant également Hawaï. C’estla communauté la plus peuplée de l’île Hawaï. La Maison Drac se trouve à l’extrémité du LacWaiakea en bordure avec la côte et l’Océan Pacifique d’après les indications que le Français m’adonnées lors de notre petite « sauterie ».Je ne comprends pas ce qui m’a poussé à accepter cette mission. C’était débile, profondément débile,bordel, c’est moi le débile en fait. Qu’est-ce que les plages paradisiaques vont pouvoir m’apporter ?Rien, que dalle. La solitude va me permettre de réfléchir, mais est-ce que j’ai franchement envie deremuer le couteau dans la plaie ? Non.Je ne compte pas me faire une « amie ». On ne confond pas boulot et vie perso. Et puisque je suis lespécialiste dans cette matière, je parle en connaisseur ; je sais qu’il ne faut plus jamais que je dérape.Le bus s’arrête et annonce mon arrêt. Je laisse les femmes accompagnées d’enfants qui me sourient etme saluent comme si j’étais un humain comme les autres. J’ai beau cacher mes yeux, mes canineselles, ne se cachent pas.Les Hawaïens n’ont pas peur des vampires. Cette faculté, ils l’ont développée grâce au ChamanismeHawaïen, célèbre pour ses mythes et croyances. Ce sont bien les seuls humains avec les individuspratiquant le vaudou, à ne pas nous détester et nous fuir comme si nous représentions le mal enpersonne. OK nous sommes le mal pour eux, mais grâce à leurs religions particulières et auxdifférentes croyances et mythes, celles-ci leur ont appris à vivre avec nous, en sachant se protéger,sans nous craindre. C’est appréciable de temps en temps de paraître normal. D’ailleurs, les vampiresne se sont jamais cachés dans ces territoires.Pourtant, je n’ai pas retiré mes lunettes de soleil. Elles ne m’ont jamais réellement servi pour leurvéritable utilité, mais lorsque la nature vous a doté d’yeux rouges, mieux vaut se protéger des regardsun peu trop scrutateurs qui ont tendance à profondément m’agacer.Il faut dire que les vampires ne sont pas si nombreux que ça. Je n’en ai pas croisé beaucoup depuisque je suis arrivé.Peut-être parce qu’ils ont des bagnoles et qu’ils ne sont pas obligés de prendre le bus.Lorsqu’il ne reste plus grand monde dans l’autocar, je saisis mon sac de voyage et quitte le bus à montour. Je salue à peine le chauffeur qui est tout sourire en me saluant de leur affectueux Aloha.J’en peux plus de tous leurs Aloha. Entre leur sourire et leur bonne humeur, j’ai eu ma dose àl’aéroport, le collier de fleurs a été le summum, ce qui a poussé ma patience à bout.Bon sang, depuis quand suis-je devenu aussi con ?Je refoule cette pensée en examinant ce qui m’entoure. Le bus est parti ainsi que la foule. J’ai le choixentre trois petites routes. Une face à moi, et deux autres sur les côtés.Putain de français, il ne m’avait pas parlé de ça…

— La femme que tu cherches est là-bas. Je me tourne vers la voix qui m’a distrait. Une vieille Hawaïenne aux cheveux gris est assise sousson porche, elle tisse quelque chose avec des bouts de bois. Elle pointe du doigt la route face à moi.Je ne réponds rien et commence à marcher le long du chemin. Je marche je ne sais combien de temps,vingt bonnes minutes au moins avant d’arriver à ma destination, les pieds dans le sable, le son desvagues s’échouant sur la mer à quelques mètres devant moi. Je m’arrête quelques instants pouradmirer la vue. L’Océan scintillant sous les reflets de la Lune Pleine. C’est beau et vraiment différentde New York… de l’Europe surtout. Je retire mes lunettes de soleil en arrivant sous le porche de lagrande maison blanche aux volets jaunes. On dirait une bâtisse pouvant accueillir une vingtaine depersonnes. Je ne fais pas de bruit, observant les alentours, essayant de repérer du personnel, maispersonne à l’horizon. Ce qui ne manque pas de m’étonner. — Je suis ravie de voir que c’est toi qu’on m’a envoyé. Mon attention se porte la seconde d’après sur une femme sortant de la baie vitrée. Elle est vêtued’une robe à fleurs ample qui cache les courbes de son corps. Une fleur est logée dans ses cheveux.C’est une grande brune aux longs cheveux tressés jusqu’aux reins. Des mèches rebelles viennentencadrer son visage rond, sa peau est légèrement ambrée, mais ce qui retient le plus mon attention, cesont ses yeux.Bon sang ses yeux…Je n’en ai jamais vu des pareils. Violets avec quelques reflets marron. Mais surtout violet. On diraitqu’elle a deux améthystes dans les yeux…J’en reste sans voix tant ils sont hypnotisant. On aimerait s’y noyer dedans…Je fronce les sourcils subitement en m’entendant penser. Bordel qu’est-ce qui me prend de penserça ? Depuis quand « je me noie dans les yeux de quelqu’un ?! ».La vampire – si j’en crois ses canines blanches qui ressortent lorsqu’elle me sourit – me tire de mespensées.J’adopte une expression froide, mon récent comportement vient de me mettre en rogne. — Senan Zederman… Comment sait-elle mon nom ? — Bordel, si vous me dites « Aloha », je me tire. La vampire se contente de sourire un peu plus, ses yeux violets croisent les miens et je pourrais jurerqu’elle sonde mon âme à cet instant.Un sentiment de malaise m’envahit, un que je déteste profondément. Je n’aime pas ces individus quilisent chez les gens. Je n’aime déjà pas les vampires qui lisent dans les pensées, alors une Sorcière…je ne sais pas à quoi m’attendre. — Dans ce cas, bienvenue à Hawaï, le grognon.

Je soupire, si elle attend des excuses, elle peut se les mettre où je pense. Je ne suis pas d’humeurpour les salutations… d’ailleurs, je ne l’ai jamais été.Je marche dans sa direction, monte les six marches de l’entrée pour arriver sous le porche. Je lasurplombe d’au moins trois têtes, elle fait si petite face à moi. Mais cela ne semble pas la déranger. — Je suis Mary Drac. — Ouais. Mary Drac, fille « bâtarde » d’Aldéric Drac, Président français, allié précieux des États-Unis,Membre de la Coalition. Une vampire… à moitié sorcière.Non, ça je ne l’ai pas oublié, cette information va rester gravée en moi durant très longtemps.Elle me tend une main que je refuse d’accepter. Je ne touche pas une sorcière tant que je n’ai pascompris comment elle fonctionnait.Ma réaction ne l’étonne pas, elle range sa main dans son dos, en continuant avec ce sourire quim’agace.Parce qu’il est chaleureux et qu’il illumine son visage. — Aimable, il faudra manger un clown avec moi au petit déjeuner. Je la foudroie d’un regard noir. Un qui terrifie les gens d’habitude avec le rouge et ma gueule d’angedéchu, j’ai tendance à faire paniquer ceux qui m’entourent. — J’ai l’air d’être un amateur de blagues ?! C’est toujours aussi sec, et j’ai enfin une réaction qui semble me mettre moins mal à l’aise face à unspécimen comme elle ; Mary Drac se fige, et perd son petit sourire. Ses yeux violets me scrutentattentivement, comme si elle cherchait à déceler quelque chose. — Il va falloir t’y faire, tu vas vivre en présence d’une Sorcière, je peux me montrer charmante ettendre et la seconde d’après pénible et très indiscrète… Entre. La vampire me fait signe de pénétrer dans sa demeure. Je n’hésite pas et franchit l’immense baievitrée.Nous sommes dans un grand hall d’entrée donnant sur un couloir et un escalier en face, ainsi que deuxpassages pour accéder à chaque aile de la maison. La déco est presque aussi moche qu’à la MaisonNoire. Trop kitch, trop bling-bling, beaucoup trop luxueux pour moi. — Tu ne vas pas regretter d’être venu, lâche mon hôte, viens, suis-moi. Je ne suis pas sûr de partager son avis.Je suis la demi-vampire qui passe devant moi pour ouvrir la marche. Elle se déhanche un peu trop à

mon goût, elle ne se force pas, c’est naturel, seulement… c’est moi qui la mate et ce n’est pas normal.J’espère qu’elle va me montrer où je vais squatter, parce que je rêve d’une seule chose à cetteinstant ; une douche et dix minutes de solitude.Alors que nous traversons la maison dans un silence calme, Mary Drac me sort de ma contemplationdes lieux. — Tu sais lire ? — Oui, je suis un vampire, pas un illettré, je réponds sèchement. Sa remarque m’agace. Je soupire sans discrétion, la petite bourge me prend pour un débile peut-être ?Comme Queen au début… — T’aurais-je blessé ? — Non, je grogne. La Française ne se tourne même pas en me parlant, on dirait qu’elle se concentre pour arriver àdestination. Ses pas sont sûrs, prudents, elle marche droit.Une drôle de démarche d’ailleurs. — Tu parles latin ? — Ouais. Malheureusement.Nous montons l’escalier et prenons à gauche pour traverser un autre couloir. — Les langues mortes ? renchérit la sorcière. C’est quoi ce questionnaire ?Je fronce les sourcils, elle veut peut-être se montrer aimable ? Surtout qu’elle ne se force pas…pourtant je réponds. — Je parle le Vieux Slave[1], le Slovince[2], le Polabe[3], le Cambrien[4] et le Sudovien[5]. — Tu en parles presque autant que l’ami de mon père. — Et qui est l’ami de ton père ? Que je me méfie.Je ralentis le pas et Mary fait de même. Elle se tourne dans ma direction, son regard cherche le mien,on dirait qu’elle réfléchit.

— Un des quatre Premiers Vampires. — Dead Creaving ? je renchéris brusquement. — Voilà, Dead Creaving. J’ai la mémoire qui me fait défaut parfois. Le mélange vampire-sorcièreressemble plus à l’eau et à l’huile que l’eau et le citron. Doux exemples pour comparer des problèmes de santé. Pourtant, elle m’a l’air tout à fait bienformée…Je jure, comment je peux encore avoir ce genre de pensées ? — Je sais qu’il parle toutes les langues mortes existantes, mais tu en as pas mal à ton actif. C’est unplus. — Un plus pour quoi ? je l’interroge. Qu’est-ce qu’elle me prépare la sorcière… — As-tu une bonne vue ? poursuit Mary, comme si de rien n’était. — Oui, je réponds, lassé. Elle se tourne et reprend sa route en m’annonçant comme si de rien n’était. — Très bien parce que moi non. Je n’ai que ma bouche pour me défendre et mes talents. Je me fige en comprenant… ses regards perdus dans le vide ne voulaient pas dire qu’elleréfléchissait, elle ne voit pas. J’ai donc affaire à une semi-vampire quasiment aveugle, ayant destrous de mémoire.Génial ! — Non, je ne suis pas complètement aveugle, mais j’y vois… flou, m’explique mon hôte d’un airdétaché. Je jure à nouveau, bordel elle lit dans mes pensées ?!Nous arrivons devant une porte double, j’examine avec attention ses gestes, jamais je n’aurais cruqu’elle soit… malvoyante.C’est pour ça qu’elle n’a pas fait fixette sur mon regard rouge sang. Même les vampires le portent enhorreur. Je reconnais qu’il est effrayant, il est tellement rare, et souligne tant de choses. Aucunvampire n’a les yeux rouges par pur accident. — As-tu des choses à cacher ? renchérit-elle.

— Tout le monde à des choses à cacher. Moi en particulier. Surtout moi, en fait.Ma voix est sèche, ce petit bout de femme ne m’impressionne pas… elle me rend juste mal à l’aise etc’est ma façon de réagir ; être froid.Je croise les bras sur ma poitrine, en la fusillant du regard, Mary ne réagit pas cependant et fait minede rien. — Pas en présence d’une sorcière, me répond-t-elle, d’une voix douce, presque compatissante. Elle se tait quelques instants, comme si la foudre divine venait de s’abattre sur elle. — Tu n’en as jamais rencontré une, pas vrai ? Pourtant tu es un vampire âgé… Je serre les dents en entendant une information personnelle qu’elle n’a pas pu savoir. Son père ne luia pas dit mon prénom ni aucune information pouvant lui servir. Maintenant je comprends mieux. Jen’ose pas imaginer mon cauchemar si Mary Drac en savait plus sur moi. Elle semble toucher ce quifait mal avec une facilité déconcertante. — Non jamais. Il faut dire que vous n’êtes pas nombreuses. — Exact. As-tu peur de l’obscurité ? Sa main reste sur la poignée sans ouvrir la porte. Qu’est-ce qui se cache derrière ? Pourquoi j’aidroit à un véritable examen !Je sens la colère monter, je n’ai plus autant de patience qu’avant et je le vois à cet instant. — As-tu peur de ton passé ? Je me fige. Là, elle va trop loin. — On va être clair, je ne suis pas venu ici pour subir les désagréments d’une petite sorcière quis’ennuie et qui n’a jamais vu d’autre vampire hormis son paternel. Je suis venu veiller sur toi, et je nevais pas te laisser fouiller ou découvrir quoi que ce soit. Je ne suis pas ton nouveau jouet, Maléfique. Mary Drac me sourit en haussant de sourcils, comme surprise par ce que je viens de dire. — Maléfique. Notre cohabitation va être amusante. Tu ne sembles pas comprendre pourquoi je memontre aussi curieuse, mais soit, tu le découvriras bien assez tôt. Il faut que tu saches que mon pèrem’a avoué ce qui était en train de se préparer. Quand il a commencé à me poser des questions sur mesorigines, et sur des histoires dont j’aurais eu vent, j’ai compris qu’il fallait faire quelque chose. Jesuis une demi-sorcière et mon devoir en tant que demi-vampire, c’est d’aider les membres de la Race

de mon père. J’aime mon père, et il ne mérite pas que les efforts qu’il a faits depuis dix-sept anssoient réduits à néant par un fou. Si je peux l’aider, je le ferai… j’ai accepté de me cacher à unecondition. Être à Hawaï. — Pourquoi ? — Tu l’apprendras bien assez tôt. Son sourire pointu m’agace et me fait perdre mon calme. Je pose mon sac au sol et m’approche d’elleun peu trop brusquement. Son odeur de fleur tropicale m’envahit. Bordel…Je la dévisage en me demandant ce que je viens foutre dans cette histoire, si elle a envie de perdreson temps, c’est son droit, pas le mien. — Écoute la sorcière, je ne suis pas venu ici pour m’amuser. J’ai un devoir, et ma mission c’est de teprotéger… — Exactement, tu dois me protéger, et tu vas pouvoir le faire tout en aidant ta Race. La Sorcière ouvre la porte l’instant d’après me faisant découvrir une immense bibliothèque abritantdes objets qui me sautent directement aux yeux. — Mais qu’est-ce que… Je me tourne vers Mary Drac pour avoir une réponse, qu’elle n’hésite pas à me fournir. — Tu vas m’aider à percer le secret de l’immortalité des Premiers Vampires issus des mythes desSorcières.

***

Putain c’est quoi ce bordel…Je dévisage la Sorcière en me maudissant d’avoir accepté ce boulot. Je suis en compagnie d’unedingue. Une dingue curieuse qui ne cesse de poser tout un tas de questions et qui veut se lancer dansune Traque aux sorcières.Je croise les bras en louchant sur la pièce face à moi. La grande bibliothèque sent les livres ancienset la montagne de pages en langues mortes à traduire. Il y a un magnifique lustre en cristal au centrede la pièce, avec en dessous, une longue table en bois pouvant sans doute contenir une dizaine depersonnes autour. Et sur les quatre murs ? Des livres, des tas de livres, avec des étagères amovibles,ce qui rend la pièce totalement envahie de pages manuscrites. On se croirait dans une répliqueminiature de la Grande Bibliothèque Nationale. Cette pièce ressemble à celle de la Maison de Dead

en France, là où il conserve soigneusement les derniers exemplaires restant de la Bible desVampires. Mais ce n’est pas tout. Mes yeux rouges distinguent parmi ce foutoir littéraire, sur lesétagères, le sol et la table, des objets pas communs : une collection de Dagues Athamés, un Pentacle,une armoire contenant des petites bouteilles, des pierres précieuses, beaucoup de bougies, plusieurstarots, des pendules, un sachet contenant des runes. Et même une putain de boule de cristal en pleinmilieu de la table !Ça y est, je suis chez les fous. Pourtant j’en ai vu des trucs dingues dans ma longue vie, mais pas à cepoint.Je passe une main dans mes cheveux noirs, détachant ma queue de cheval au passage avant derapidement la refaire. Je me sens légèrement… — Déstabilisé ? me lance la demi-vampire. Je lui jette un regard glacial. La petite sorcière est accoudée à la porte, un sourire satisfait sur sesdouces lèvres pulpeuses.Pulpeuses ? J’ai dit ça ? Bon sang, tuez-moi, je déconne grave. — Le secret de l’immortalité des Premiers Vampires issus des mythes des Sorcières, ben voyons. Etpourquoi pas le secret tout court de l’immortalité ? Ou le pouvoir obscur du côté de la Force ? Ça,c’est un sacré défi, je renchéris en pointant du doigt ce bordel. Mary se fige. L’expression de son visage se durcit. Ses yeux violets deviennent plus sombres, ilssemblent être envahis par une sorte de voile qui entoure les quelques rares âmes de ses pupilles. Ellefait un pas vers moi en me pointant à son tour. — Tu te trouves amusant ? — Et toi ? je la questionne en retour. La Sorcière soupire en pénétrant dans la bibliothèque. Je reste dehors, mal à l’aise avec tout ceci. Jene sais pas grand-chose sur les sorcières, j’ai beau aimer prendre des risques dans la vie, cesderniers temps, je cumule un certain nombre de conneries, j’aimerais souffler et éviter d’en rajouter àma longue liste. Je veux simplement faire mon boulot, veiller sur elle, point. Le reste de mon temps,je le consacrerai à ma rédemption. — C’est très sérieux. Ma requête est noble et juste, et tu dois m’aider, poursuit Mary, en marchantdans la pièce. Cette femme est intrigante. Ses mains touchent tout, elles glissent sur chaque objet comme si celal’aider à mieux les visualiser. On ne dirait pas qu’elle est malvoyante. Elle semble se déplacer plusrapidement que d’ordinaire, et sa présence dégage quelque chose que je n’arrive pas à expliquer.J’étais contrarié à mon arrivée, je le suis moins en l’espace de quelques minutes.Y’a un truc qui cloche, et ça ne me plait pas.

— Mon boulot n’est pas de t’aider, mon boulot est de veiller sur toi, et non de te servir de secrétaire.Embauche quelqu’un d’autre. Je me tourne pour quitter cette bibliothèque et laisser Maléfique, pour commencer mon job etexaminer la maison sous toutes les coutures pour être certain que nous serons à l’abri de visites nondésirées, quand sa voix, profonde résonne à mes oreilles. — Tu n’aimerais pas que cette Guerre se termine ? Pour tes proches ? Pour savoir ceux que tu aimesen sécurité ? À l’abri des menaces ? Je ferme les yeux en jurant. Elle n’aurait pas dû dire ça. Je sens un pincement bien trop familier naîtreau creux de ma poitrine.Ça fait mal bordel. — Je n’ai personne, je réponds amèrement. Avant j’en avais. Il y a quelques mois encore, j’en avais. J’avais une femme exceptionnelle sous maprotection, une femme magnifique que j’ai aimée, une femme que j’ai trahie et qui m’a trahi. Unefemme qui m’a donné une fille que je ne connaîtrai jamais. J’ai fait du mal à beaucoup trop de monde,en plus de me briser un peu plus.Certaines cicatrices sont beaucoup trop sensibles et il suffit de pas grand-chose pour les rouvrir.Mon schéma ne fait que de se répéter, depuis toujours je suis condamné à aimer, m’attacher aux genset à les perdre douloureusement. Une Guerre n’arrangera pas les choses, et aujourd’hui, je ne suisplus certain d’être le vampire capable de mettre à l’abri des menaces ceux auxquels je tiens. Puisqueces personnes-là m’ont renié. — On a tous quelqu’un Senan Zederman. — Pas moi. — Tu n’as pas d’ami qui compte ? Les Creaving ? Eux, ils comptent sur toi. Je crois que ce n’est passeulement un hasard qu’on t’ait envoyé. Je sais que tu peux m’aider, et nous devons nous lancer dansce périple, pour le bien de nos deux races. Aide-moi. — Ne me dit pas que tu crois en ses conneries de destin, je marmonne, agacé. Mary me sourit. — Si je te dis que je l’ai lu dans ma boule de cristal et que les cartes m’ont parlé, tu me prendraispour une folle. — Je ne t’aiderai pas, je conclus froidement.

Mary me sourit davantage, son manège ne marche pas, je ne céderai pas. Elle affiche un air sûrd’elle, comme si elle était certaine que j’allais changer d’avis.Je secoue la tête, hors de question, je ne changerai pas d’avis. Je ferai mon job, pas plus. Lesdernières fois où j’ai fait « plus », ça m’a mis dans un sacré merdier. Alors stop. — C’est ce que nous verrons, conclut la Sorcière en me lançant un défi silencieux. Défi que j’accepte malgré moi.

Chapitre 2Un Homme de Secrets

Une semaine plus tard… Je regarde la nuit s’assombrir sur la terrasse en composant le numéro que je connais par cœur.Depuis mon arrivée sur l’ile des fleurs de tiaré et de la bonne humeur, j’essaye de joindre Deceasepour prendre des nouvelles du continent. On ne m’a pas demandé de faire de rapport concernant mamission, mais une part de moi, mon côté missionnaire sans doute, a besoin de savoir où les choses ensont. Qu’en est-il de la quête pour la libération de l’ainé des Creaving, du procès, des menaces deGuerre.Mon cul, en réalité, j’ai besoin de m’accrocher à des personnes qui me rappellent encore et encore cequi s’est produit. Je n’arrive pas à totalement couper le cordon.C’est lamentable d’être aussi faible.Je suis un gros con de toute façon, je l’ai assez prouvé dans mes actes. Je devrais être habitué àressentir l’agacement et la déception en moi.Je tombe sur le répondeur de Decease, comme les autres jours. Je me demande ce qui se passe à NewYork pour qu’il me filtre. Ou bien, mon meilleur ami a enfin compris qu’il devait me lâcher la grappeet me laisser me démerder seul. Faire ce que je lui ai demandé comme un gros bouffon.Je jure, je m’énerve tout seul. Depuis l’histoire avec Queen, j’ai perdu toutes capacités logiques deme questionner sur moi-même. Je doute, sans arrêt. L’image que je me renvois de mon être merépugne. Les choix et les actes que j’ai pu faire ses derniers mois me hantent et me bouffent del’intérieur. La culpabilité a atteint le summum de tolérance et je ne trouve pas la solution pour sortirde ce pétrin. Je ne la trouvais déjà pas à New York, mais les sept jours depuis mon arrivée ici et letemps admirablement long que j’ai pour réfléchir, ne m’aident toujours pas. J’ai l’impression d’êtrefoutu.Le bruit de la sonnerie m’indiquant que l’appel n’a pas été pris résonne en moi quelques instantsencore, avec en fond sonore, les vagues qui viennent mourir sur la plage et taper contre les poteauxde bois de la terrasse. L’endroit est vraiment idyllique, on dirait un paradis tropical coupé de tout. Celieu devait sans doute être magnifique avec les rayons du soleil. Désormais, il n’y a que les faisceauxde lumières de la lune qui peuvent rendre le paysage beau. L’odeur tropicale me chatouille lesnarines dès le matin, la mer est à perte de vue. C’est beau et apaisant, ça change des bruits sourds dela vie citadine de New York.Je soupire. Depuis quand je regarde le paysage ? Depuis quand je pense aux belles choses ? Je perds

vraiment la tête.Ça fait une semaine que j’ai pris mon poste auprès de la fille du Président Français Drac. Unesemaine que je cohabite avec ce spécimen étrange. Cette femme me déstabilise. Elle semble lire dansmes pensées, deviner ce que je ressens. Mary Drac donne l’impression de prendre possession devotre âme dès qu’elle s’approche de vous. Son regard améthyste un peu perdu dans le vide metrouble. J’essaye de l’éviter le plus possible, sa présence me rend mal à l’aise et me pousse àressentir des choses étranges. Des choses que je ne devrais plus ressentir. Des choses que je necomprends pas.Je suis venu me mettre au vert et faire un boulot que j’ai fait un nombre incalculable de fois. Maiscette fois-ci, tout semble plus compliqué.Mary Drac n’est pas une vampire comme toutes les autres. Elle est à demi sorcière et cetteparticularité me déplait. Je ne sais pas à quoi m’attendre avec elle. Dans l’ensemble, cette brune estjoviale, amusante et possède un humour un peu cassant. Elle ne semble pas être une casse-couillescomme Queen pouvait l’être à une époque, mais elle dégage un sentiment de danger. Ses yeux violetsn’indiquent rien de bon, comme si elle cachait une part d’elle-même. Une part sombre que je n’arrivepas encore à percer au bout d’une semaine.Mon esprit vagabonde quelques instants encore, puis mes pensées reviennent vers une personne quiles hante de plus en plus. Queen…Bordel j’y pense souvent en ce moment, à elle, à ce que nous étions, et à ce que nous ne serons plus.Partir à Hawaï, ne plus redouter qu’on se croise, que je la croise, m’a levé un poids dans la poitrine.Je n’ai que les regrets pour m’accompagner et les souvenirs de ces derniers mois. Mon altercationavec Deryck me reste en mémoire, je n’arrive pas à oublier ses mots. Ils étaient durs, cruels, maisétrangement, je n’arrive pas à être en colère contre lui. Le plus salopard de nous deux, ça reste moi.C’est moi qui ai mis enceinte sa femme, moi qui serai celui à qui Sawyer ressemblera. Deryck a peut-être sa famille, mais je suis l’ombre pesante dans leurs mémoires qui ne s’en ira jamais. J’ai répanduun venin imprévisible dans leur cocon familial, un venin dont je ne connais pas l’étendu des dégâtsque j’ai pu transmettre à cette petite fille innocente que je n’ai vu que quelques fois.J’ai en mémoire la douceur de sa peau blanche, l’odeur de bébé qu’elle dégageait, la couleur de sescheveux noirs, et l’émotion dans ses pupilles rouges sang.Je tremble en me remémorant ses yeux. Bon sang, qu’est-ce qu’on lui dira lorsqu’elle seragrande concernant la couleur de ses pupilles. N’importe quel vampire sait, qu’un individu n’a pas lesyeux rouges par pure coïncidence.Je n’aurais jamais dû avoir à vivre ça. Ce n’est pas juste. Pour elle, tout comme pour moi.J’entends encore les voix de Faith, de Decease me dirent que ce n’est pas uniquement ma faute.Qu’une erreur est à la portée de n’importe qui, mais cette erreur-là, a un prix tellement élevé. Un prixqui me fait mal à la poitrine quand j’y pense. J’ai l’impression d’avoir foncé tête baissée dans unpassé que je pensais rayer de ma mémoire pour l’éternité.Une fois encore, c’est raté.Je sursaute, en entendant un bruit bizarre venant de l’intérieur de la maison. Une sorte de gros« boum », comme si un poids lourd s’était écrasé violemment sur le sol.En quelques secondes, je me lève de la chaise extérieure matelassée et pénètre dans la maison encourant. Je traverse le long couloir décoré de pleins de peintures, sculptures et plantes vertes. J’aicommencé à bien me familiariser avec les lieux, puisque la nuit, je ne dors quasiment pas.

J’arrive devant la double porte qui abrite l’antre de la sorcière, que je fuis, avec ses objets étranges,ses gros livres poussiéreux et ce sentiment qui me dit « si tu entres dans ce jeu, tu vas perdre desplumes ».J’ouvre les portes brusquement, en saisissant le Smith et Wesson que j’ai toujours sur moi en mission. — Qu’est-ce que vous foutez bordel ! je lance d’une voix brusque. Devant moi, Mary Drac est à genoux sur le sol, entourée par une pile de livres lourds et vieux. Elletente de ramasser des runes éparpillées tout autour et du verre a été brisé, me semble-t-il.La Sorcière se fige en entendant ma voix. Sa tête brune se tourne vers moi, elle m’adresse un regardnoir. — Je tente de travailler, figurez-vous ! Elle termine de récupérer chacune de ses runes, elle pose le sachet sur la pile de gros livrespoussiéreux et la ramasse en se redressant. — Et ce n’est pas facile lorsqu’on n’y voit pas grand-chose et qu’on doit chercher des élémentsseule. Je remarque que sa voix a pris un ton plus doux, presque angélique et un brin enfantin. Je l’observeposer le gros tas de livres sur la table, faisant trembler les cartes et les divers objets dessus.Elle tente de m’avoir en me donnant de la pitié. Elle se trompe, Mary Drac n’inspire absolument pasla pitié. Elle a beau être « aveugle », elle n’en perd pas son charme pour autant. Cette femme sait sedébrouiller seule. Je l’ai observée faire durant cette semaine, il n’y a pas de personnel dans laMaison Jaune près de l’eau. La fille du Président Français fait tout toute seule et elle le fait bien. Ellea une facilité à la conversation qui m’agace profondément. — Je ne suis qu’une jeune vampire, je ne connais pas toutes ces langues. — Eh bien… engagez quelqu’un, je l’interromps. Je croise les bras en la regardant ranger ses livres. Elle a toujours cet air désespéré sur son visagefinement dessiné.Son manège ne marchera pas. — Est-ce une démarche qui nous garantirait toujours la sécurité si nous faisions venir ici unétranger ? souligne malicieusement Mary en me tournant le dos. Je soupire. Elle a raison. Comment fait-elle pour toujours avoir raison sur tout ? À croire qu’elle atravaillé son manège depuis plusieurs jours. Elle tente à chaque repas de me convaincre de l’aider,mais plus depuis 48 heures. Je pensais qu’elle avait enfin fini par capituler. Apparemment je metrompais.

Mais mine de rien, je prends quelques secondes pour évaluer les risques. Il faudrait trouver unhistorien, voir un ancien vampire aussi âgé que son père ou moi. Si Aldéric n’a pas pu aider sa fille,je doute qu’un autre puisse le faire. Et par les temps qui courent, faire appel à un comparse de notreRace que nous ne connaissons pas personnellement est une démarche dangereuse pour sa sécurité. Jedois rayer cette option de mes solutions.Je réfléchis aux vampires qui sont dans notre gouvernement. Trenton est trop jeune pour connaitretoutes ces langues, Deryck aussi, Sherran également. Seul Louis pourrait l’aider, mais je doute, aprèsles mois de service auprès de Faith pour lui rédiger l’exposé le plus complet sur les Races vivantsdans notre monde, qu’il ait davantage d’informations qu’il n’en a communiqué à la Première Damedes États-Unis.Il ne reste que moi comme solution pour l’aider. — Alors ? me demande Mary, attendant une réponse. Je soupire à nouveau. — Non, je reconnais rapidement, ce ne serait pas prudent. — Alors vous êtes le seul à pouvoir m’aider. Peut-être, mais j’ai refusé, et je continuerai de refuser. Je ne veux pas me mêler à ça. Je ne connaispas suffisamment les Sorcières pour me frotter à elles en étant qui je suis. Je trouve que je suissuffisamment dans les emmerdes pour éviter de m’en rajouter.Ma décision est sans appel. — Je vais vous répondre la même chose que depuis une semaine : non je ne vous aiderai pas. Mary lâche le grimoire qu’elle a dans les mains et me dévisage longuement. Je jurerais qu’elle mefusille de ses yeux améthyste. — Pourtant vous aimez les défis. — Bon sang, nous n’allons pas revenir dans ce débat ! Je ne suis pas présent pour ça ! Le ton de ma voix fait sursauter Mary. Je suis moi-même surpris, je ne pensais pas que je pourrais memontrer si dur, mais la demi-vampire n’est pas une femme qui comprends quand on lui dit non. — Vous savez que cette recherche pourrait mettre fin aux conflits planétaires qui risqueraient de nousmener à une guerre, rabâche la fille Drac sèchement. Je jure. J’ai horreur qu’on me force la main. Pourtant ses arguments sont justes, je pourrais aider monpays en bossant avec elle… mais non. Je dois cesser ces mauvaises habitudes d’en faire toujours pluspour les autres.

Mary Drac frotte les siennes comme si elle tentait d’enlever la poussière sur ses doigts. Elle se taitquelques instants, comme si elle réfléchissait. — Bon, dans ce cas, j’ai besoin de faire une pause, déclare la petite sorcière au bout d’un moment. Rapidement, je rebrousse chemin et pars en direction de la sortie de la bibliothèque, j’aimerais éviterd’avoir un entretien en tête à tête avec elle devant un café. Ses yeux violets et son regard pénétrantbien que malade me filent les frissons. — J’aimerais aller en ville. Vous m’accompagnez ? Je me fige à mi-cheminElle le fait exprès. — Je ne peux pas sortir seule. Mon père me l’a dit et vous aussi, m’informe-t-elle. Donc vous êtes obligé de m’accompagner, reste en suspens.Je me tourne pour lui faire face. Nous nous retrouvons l’un en face de l’autre, au deux extrémités del’immense table en bois. On dirait deux ennemis qui s’apprêtent à se confronter dans une lutte. Je sensla tension qui habite les lieux et ce n’est pas normal de ressentir ça envers une femme qui semble sidouce. Elle… m’attire.Elle ne m’a rien fait. Je ne devrais pas être si salopard envers un membre de la gent féminine qui nem’a rien fait.Je ne suis pas son ennemi, mais je ne suis pas non plus son ami. Je suis le type qui doit veiller surelle, c’est tout. J’ai appris de mes erreurs du passé, je ne les referai pas une seconde fois. Le travaild’un côté, le reste de l’autre, et quand il s’agit de l’autre désormais, je suis certain d’être tranquilledurant plusieurs années, je n’ai plus envie de me lancer dans ces histoires. J’en ai trop chié cesderniers mois. — Très bien, allons faire une ballade en ville, je marmonne en levant les yeux au ciel. Mary esquisse un sourire en se frottant les mains sur sa robe blanche à fleur violettes. Elle sembleravie de me voir « accepter » gentiment notre balade. Pas que j’aie grand-chose à faire d’autre que lasuivre. — Je vais me changer et j’arrive dans le garage. J’ai en tête un endroit parfait. Je quitte la bibliothèque en rangeant mon flingue dans mon dos, je ne doute pas qu’elle ait en têtel’endroit parfait. Tant qu’elle ne m’emmène pas sur le seul lieu que mes précédentes missions m’ontfait atterrir sur Hawaï, j’accepte de la suivre. Mais avec Mary Drac, mieux vaut s’attendre à êtresurpris.

*** Non mais je rêve.Je claque la portière de la Madza MX5 rouge en regardant la baie profonde devant nous. Je reconnaisimmédiatement les lieux ; nous sommes à Pearl Harbor.Je jette un coup d’œil à la petite Sorcière qui esquisse un magnifique sourire. Ses cheveux bruns sontattachés dans une très longue tresse. Elle met toujours des robes qui dévoilent ses formes fémininesaux courbes généreuses.Je secoue la tête, depuis quand je me suis mis à la mater ? Ça ne me ressemble pas. Elle n’est pascomme les autres. Elle n’est pas comme Queen, elle n’est pas non plus comme… elle est différentealors pourquoi je la regarde comme un homme observe sa prochaine conquête ?Je suis un idiot. — Pourquoi vous m’avez trainé ici ? je lâche froidement. Je reconnais parfaitement les lieux. Nous avons été envoyés avec Decease pour traquer des vampiresqui s’étaient infiltré dans l’US ARMY en 1941. Ils ont profité du désastre de l’attaque Japonaise pourse remplir les poches et le corps de sang frais. Pearl Harbor a été un des tournants dans nos vies demissionnaires. Depuis la Guerre Civile de 1861, nous n’avions pas assisté à une pareille boucherie.En plus d’exterminer les vampires qui se montraient trop indiscrets, nous devions masquer les tracesd’attaques des corps. Et pour cela, nous devions davantage les profaner. Ce fut un week-end des pluséprouvants.Je fourre mes mains dans les poches de mon jean. J’ai vissé mes lunettes de soleil sur mon nez, jen’aime pas le regard compatissant des gens envers mes yeux rouges. Je les emmerde. — Pearl Harbor était considérée comme la résidence de la déesse requin Ka'ahupahau, et de sonfrère Kahi'uka par les légendes Hawaïenne. J’adore ce paysage, même s’il a abrité un des piresmassacres américains, et montrer que l’Homme humain peut être un véritable sanguinaire. Elle m’a enlevé les mots de la bouche.Mary vient poser ses fesses sur le capot de la voiture, elle semble observer ce qui l’entoure. Je medemande ce qu’elle voit. Lors de notre rencontre, Mary m’a dit qu’elle voyait flou, mais flou jusqu’àquel point ?Pourquoi je pense à ça ? — Vous savez que l’archipel d’Hawaï regorge de légendes et de mythes ? Je ne réponds rien, faisant comme si elle ne me parlait pas. Pourtant, Mary commence un longmonologue sur la mythologie hawaïenne. — Il y a Kane, le Père des créatures vivantes. Ku, le dieu de la guerre, des sacrifices humains étaientfait en son honneur à une époque. Lono est le Dieu des choses qui poussent, de la pluie, des récoltes,

de la paix et des sports. Pele, la Déesse des volcans et de la violence. Hina, la Déesse du travail desfemmes. Laka, la Déesse de la hula. Papahanaumoku c’est la déesse créatrice et la déesse mère.Chacun a une histoire passionnante que les Sorcières ont ancrée dans leurs coutumes et histoires. Je fais semblant de ne pas avoir écouté, mais une part de moi, a enregistré chaque parole. J’ai lesentiment que la petite sorcière a un plan derrière la tête. — Et pour finir, l’une des plus célèbres est Kanaloa, la Déesse de la mort, de l'obscurité et del'océan. — Pourquoi vous me racontez ça ? je demande tranquillement, pour ne pas éveiller les soupçons. Parce qu’en réalité, je suis intrigué. Je commence à croire qu’elle ne m’a pas tout dit. Et que cesquelques explications en cachent d’autres.Serais-je en train de tomber dans un piège ? — Oh comme ça, me répond Mary Drac en faisant un signe de la main. Je fronce les sourcils, perplexe. Elle lâche trop vite l’affaire.Nous restons quelques minutes face à la mer, et à la nuit encore claire. Vivre dans l’obscurité depuispresque vingt ans, a permis de démontrer que la nature savait se débrouiller face à un changementclimatique. On croirait presque que le soleil a totalement disparu une fois qu’on foule le sable blancde l’archipel, mais il est là présent, je le sens à travers mon t-shirt me réchauffer la peau.La voix de Mary me surprend et concentre toute mon attention à son égard. — Les Sorcières sont des êtres puissants, Senan, j’ai beau n’être qu’une demi-sorcière, l’ADN quema mère m’a transmis vit en moi. Et ces particularités, j’ai du mal à les contrôler en présence desgens. J’ai remarqué que cela vous gênait, je sais que vous savez que j’ai connaissance de certaineschoses sur vous que vous ne m’avez jamais confié. Il faut que je me montre franche. Je vous appréciebien Senan, même si vous êtes un bourrin asocial. Je ne réponds rien, je la laisse parler, un brin surpris de la voir s’ouvrir à ce point. Elle « m’aime »bien ? Moi ? Je me retiens d’éclater de rire, ça se voit qu’elle ne me connait pas. — Je suis désolée de me montrer parfois pénible, mais c’est ma façon d’agir envers les gens. Je suissouvent insistante, mais j’aimerais vous aider, c’est plus fort que moi. Une sorcière a de nombreuxpouvoirs, poursuit Mary calmement. Je possède de nombreux pouvoirs, tel que l’empathie[6], et lepouvoir de psychométrie[7]. Ce ne sont pas les seuls, mais ceux-là m’ont permis de comprendre et dedeviner certaines choses à votre égard. J’ai de l’empathie pour vous, et je sens bien que voussouffrez énormément… Je reste un peu en retrait, sans rien rajouter, essayant d’analyser tout ce qu’elle me dit. Certaineschoses prennent un sens. Comment elle peut deviner certaines bribes de mon passé et sa façon de se

comporter toujours très poliment à mon égard 90% du temps.Je ne soulève pas, et je me contente d’observer ces lieux si calmes en apparence maintenant que lescarcasses de bateaux et d’avions brulés ne sont plus là pour entacher les lieux. L’odeur de carburantet de fumée vient chatouiller mes narines comme si j’étais de retour dans le passé.Et le sang. Bordel, je me rappelle encore de la couleur rouge de l’eau et cette odeur de fer semblableau sang. C’était une… boucherie. Une putain de boucherie qui m’en a rappelé tant d’autres. Je n’aipas pu fermer l’œil de la nuit durant presque trois semaines après notre mission ici. Des frissonsparcourent ma peau en y repensant. — Pourquoi vous ne dormez jamais ? La nuit je vous entends vagabonder dans la maison. Vous êtesanxieux ? Je serre les poings en sentant la colère me gagner. Elle me livre des informations sur elle, pourensuite mieux me questionner ? Ce n’est pas loyal. — Vous faites des cauchemars ? Il y a des choses qui vous préoccupent ? Pourquoi vous avez… — Stop ! Je me tourne vers elle, la colère envahit chacun de mes pores. J’ai envie de me tirer, de fuir sesquestions qui m’agacent et font naitre en moi un profond sentiment de malaise. — Ca ne vous regarde pas ! Rien ne vous regarde, je ne suis pas venu ici pour devenir votre meilleurami, mais votre garde du corps. Alors cessez vos putains de questions. Cessez de me raconter votrevie, la vie des autres. Je ne veux rien savoir ! Mary croise les bras en soupirant. Je remarque qu’elle… lève les yeux au ciel ? C’est moi quil’agace ! Bordel, je ne fais que défendre mes positions ! — Bien sûr que si, tout vous intéresse, vous êtes un missionnaire. Vous aimez découvrir de nouvelleschoses. La preuve, vous faisiez mine de ne pas m’écouter, mais vous avez été plus qu’attentif, et jevous ai senti presque… soulagé lorsque je vous ai parlé un peu de moi. Vous aimez ça, résoudre uneénigme. Je m’approche de Mary en la pointant du doigt. Mon regard rouge foudroie le sien, mais elle ne sedégonfle pas. — Je ne suis plus un homme comme ça, d’accord ? J’essaye d’être intransigeant, mais même moi, je remarque à quel point ces derniers mois denégligence m’ont rendu moins… persuasif.Putain !

— Et qui êtes-vous dans ce cas ? poursuit Mary, calmement. — Un vampire qui doit vous protéger, point barre. Le reste on s’en fout. — Vous avez l’âme torturée, Senan Zederman. Je jure en reculant. Ma peau me picote, et le regard que je sens sur moi me donne envie de fuir.Qu’est-ce qui se passe bon sang ?! — Vous ne savez pas ce que c’est, d’avoir l’âme torturée. Alors foutez-moi la paix, je lancesèchement. — Détrompez-vous. Vous ne me connaissez pas non plus, vous ne savez rien de moi. — Et tant mieux, je déclare. — Vous êtes toujours ce même homme, Senan. Je le sens. Si je vous ai emmené ici, c’est parce que jesais que Pearl Harbor a été pour vous une de vos missions les plus marquantes de votre vie demissionnaire. Vous n’êtes pas simplement un garde du corps, vous êtes un homme de talent dans laquête du savoir et de la recherche. Mettez vos connaissances à profit d’une juste cause et je vouspromets que je ne tenterai plus de lire en travers de vos lignes si vous m’aider à trouver uneSorcière. Un silence pesant s’installe entre nous. Nous nous dévisageons longuement, ses yeux flous dans lesmiens. Je retire mes lunettes de soleil et m’avance vers elle. Mary tente de ne pas montrer qu’elle estimpressionnée. Je me suis rarement montré aussi froid à son égard.Nous restons quelques instants face à face, je réfléchis, je pèse le pour et le contre. Ma mission estpour une durée indéterminé, j’ignore dans combien de temps, je vais rentrer. Je vais devoir vivre desmois aux côtés de Mary Drac… et l’idée de vivre avec son obstination et la fouille intellectuelle demon passé, ne me branche pas vraiment.Elle a raison sur un point ; si je l’aide, on en terminera plus vite avec cette histoire. — Plus de questions personnelles sur mon passé, ou sur qui je suis ? je lance. — Plus de questions, me répond Mary, lentement. — Et je ne veux plus que vous usiez de vos pouvoirs de sorcière sur moi. — Senan… je ne peux pas contrôler mes pouvoirs tout le temps. — Eh bien, vous le ferez en ma présence si je dois vous aider. La petite sorcière soupire, peut-être qu’elle se sait incapable de tenir sa part du contrat.

— Très bien, finit-t-elle par lancer, après une très courte réflexion. J’hésite à lui tendre la main, et voyant qu’elle ne le fait pas, je ne m’avance pas. Je doute que MaryDrac puisse tenir longtemps sa promesse, tôt ou tard, elle viendra parler à voix haute de ce qu’elle asenti ou vu en moi. À moins que ce qu’elle apprenne ne la fasse se taire pour de bon. Certains secretssont mieux enfouis en nous qu’à l’air libre. — OK marché conclu. Mais ça n’ira pas plus loin. Nous ne quitterons pas Hawaï, je ne mettrai pasma mission en péril pour trouver une Sorcière. — Ne vous en faites pas. Nous n’aurons pas besoin d’aller bien loin. En hochant la tête, je remarque qu’un sourire vient inonder son visage. Elle semble si sûre d’ellesubitement que cela me fait tiquer. Mary rebrousse chemin et marche en direction de sa portière. — Qu’est-ce que vous faites ? Nous l’allons plus faire cette balade ? Mary me lance un large sourire qui dévoile ses canines et une lueur de malice. La traîtresse ! Ellem’a amené ici dans l’unique but de m’attendrir et de me faire plier avec ses petites histoires et sonpari. On dirait qu’elle savait comment faire pour me convaincre.Ce n’est pas juste. — C’est exactement ça ! — Arrêtez ! je grogne. — Vous l’avez hurlé tellement fort que je n’ai pas eu le temps de me concentrer. — Je pourrais revenir sur notre accord puisque vous vous êtes jouée de moi. Mary hausse les épaules en me répondant sincèrement. — Vous êtes un homme de paroles, Senan Zederman. Vous m’aiderez, je le sais. Désolée d’avoir dûêtre machiavélique pour vous convaincre, mais vous me pardonnerez vite, je le sais. Mary ouvre sa portière et s’installe sur son siège. Je grogne en rebroussant chemin à mon tour, satanésorcière, elle m’agace à me jouer ces petits tours. On ne m’a jamais dupé, sauf Mary Drac. Cettedernière me déstabilise et me surprend. Je me demande comment elle fait pour lire en moi avec l’aidede ses pouvoirs, l’empathie et la psychométrie ne permettent pas tout, comment fait-elle pour savoirdes choses secrètes me concernant ? Est-ce qu’elle est déjà au courant de mon passé ? De tous lessecrets que je garde enfouis dans ma mémoire depuis des années, si ce n’est des siècles. Mary Dracsait-elle que je ne suis plus l’homme serviable d’autrefois, mais désormais, l’ombre de ce dernier.

Un homme noyé dans l’obscurité, qui tente de chasser chacun de ses démons. Je me demande si cettequête ne risque pas de davantage m’enfoncer dans l’obscurité.

Chapitre 3Travailler avec une Sorcière

— Bon, on va commencer par les bases. Je m’assois sur l’une des chaises style Louis XV en regardant la petite sorcière s’agiter. Mes yeuxrouges observent ce qui m’entoure. Je regarde chaque recoin, comme si je craignais qu’un trucbizarre sorte de derrière un livre.La table devant moi est recouverte de carnets à moitié écrits, de grands manuscrits sentant le vieuxsont étalés. Il y a un magnifique bouquet de tiarés dans le fond de la pièce, entre la boule en cristal etune autre pile de livres. Les rideaux de la petite fenêtre dans le coin sont tirés et révèlent la vue de laplage. La nuit est claire, ce qui indique qu’il est presque midi. Le reste, ce n’est qu’étagères rempliesde livres plus ou moins anciens. La décoration reste sommaire. J’ai rarement été aussi proche de maprotégée. Nous passons certes, la plupart de notre temps en tête à tête, mais séparément dans lamaison. Lorsque Mary Drac occupe la plupart de ses journées dans cette bibliothèque, je vagabondedans la maison à la recherche de menaces extérieures, je nettoie mes armes, je pars courir sur laplage ou je prépare à manger, parce que bouffer me permet d’avoir l’esprit occupé et ça m’empêchede penser aux choses que je ne semble toujours pas être capable d’examiner.Mais malheureusement pour moi, les journées et les nuits sont longues et ces sujets-là, reviennentsouvent dans ma conscience. Trop souvent à mon goût. C’est une menace constante. Une menace quim’agace et m’effraie en même temps, cela révèle quelque chose de particulier de ma personnalité. Jefuis pour affronter mes problèmes, loin du contexte pesant, et une fois à des milliers de kilomètres dece dernier, je fuis mes problèmes tout court. Qui a dit un jour que j’ai eu du courage, que j’aille luibotter le cul. Le courage, je n’en ai que pour les autres, quand il s’agit de moi, je me tire loin, trèsloin.Quel con. — Senan, vous m’écoutez ? Je sors de mes pensées et me tourne vers la demi-vampire, qui s’est penchée dans ma direction. Sonvisage est proche du mien, son odeur envahit mes sens. Elle sent aussi bon que ces putains de fleurs.Mes yeux lorgnent son léger décolleté qui habille sa poitrine. Je n’arrive pas à me concentrer pouréviter de la regarder. Cette femme est belle, vraiment, elle a quelque chose qui attire l’attention dèsqu’on la croise. Elle fait naître chez le sexe opposé une sorte de désir puissant qui habite nosentrailles et réveille de très vieux souvenirs douloureux.

Voilà pourquoi elle m’agace depuis notre rencontre, outre le fait qu’elle soit une Madame je sais tout,Mary Drac est belle et ça me tue de le reconnaitre, davantage de l’éprouver. Mais je dois me rendre àl’évidence, si un quelque chose n’existait pas, je ne la lorgnerais pas dès qu’elle passe près de moi.Je jure, il faut que j’arrête ces conneries. — Ouais, j’écoute. Allez-y, je lance en me laissant aller contre le dossier pour m’éloigner d’elle. Mary m’étudie un instant, un sourire malicieux nait sur son visage, elle a sans doute dû remarquermon air absolument pas emballé, mais cela ne l’empêche pas de garder confiance et de se lancer dansses petites explications, qu’elle a dû soigneusement préparer. — Les sorcières appartiennent à une race plus ancienne que celle des vampires. Ma mère était unesorcière puissante d’après ce que je sais, et j’ai hérité de beaucoup de ses gênes d’après mon père.Depuis que je suis enfant, j’ai remarqué des choses étranges chez moi. Que ce soit physiquement,psychologiquement ou même surnaturel. Je ne suis pas comme toutes les autres jeunes femmes quinous entourent. Ni humaine, ni vampire, ni sorcière. Je suis le mélange de deux espèces qui n’étaientpas censées se rencontrer. Et bien que ce mélange ne soit pas toujours très positif, il me permet d’êtreproche d’une Race très ancienne. Petite, et encore aujourd’hui, la nuit, mes rêves sont toujours hantésde femmes que je ne connais pas, par des rites étranges. Je ne comprenais pas tout ça en étant enfant,mais en grandissant, lorsque j’accompagnais mon père en voyage à travers chaque recoin de laplanète, j’ai remarqué qu’à certains endroits, des voix envahissaient ma tête. Plus je restais dans cetendroit, plus je bougeais à proximité d’un « lieu » non-dit, plus ces dernières devenaient plus fortes. Je l’écoute en croisant les bras, mon instinct de chasseur qui faisait fureur lorsque j’étais unmissionnaire s’éveille, Mary Drac est comme son père, elle a hérité de ses talents de compteur. — Vous entendez des voix ? je l’interromps brusquement. Mary hoche la tête en poursuivant, toujours autant amusée de me voir si… attentif. — Je n’entends pas n’importe quelles voix, Senan. J’entends celles des sorcières qui sont à proximitéde moi. — Mais si vous les entendez, vous pouvez tenter de trouver un indice nous permettant de lestrouver ! je la coupe. La petite sorcière esquisse un grand sourire sur son doux visage, elle émet un petit rire face à maremarque, comme si cette dernière était stupide. Je fronce les sourcils, légèrement agacé de la voirme prendre pour un con. Je doute que notre collaboration fonctionne, nous ne sommes pascompatibles pour travailler ensemble si chacun de nous prend l’autre pour un idiot.C’est pas gagné… — Je ne suis qu’à moitié sorcière. Je les entends, mais je ne les comprends pas. Elles parlent une

langue qui m’est inconnue. La langue maternelle de ma mère. C’est un dialecte très ancien que seulesles sorcières parlent. Même mon père n’a jamais pu comprendre un mot de ce que racontait ma mèreen dehors du vieux français. — Donc, vous entendez des voix de sorcières lorsque vous êtes à proximité de l’une d’elles, jesouligne, histoire de voir que nous sommes sur la même longueur d’onde. Mary hoche la tête en se levant de son fauteuil, elle marche en direction des étagères remplies delivres. Je l’observe fermer les yeux, sa main se pose sur la reliure du premier livre, elle restequelques secondes figée, avant de secouer la tête et de passer au suivant. Je n’arrive pas à reportermon attention sur autre chose, je reste subjugué par sa façon de faire. Cette femme n’est nullementhandicapée par son problème de vision, si elle n’avait pas parfois son regard absent et sa franchise,jamais je n’aurais cru qu’elle était malvoyante.Une part de moi, une part que je pensais enterrée pour de bon, m’informe qu’elle est admirative de lademi-vampire. Si j’étais encore l’homme d’il y a 700 ans, je lui aurais dit, mais plus maintenant.D’ailleurs, je chasse bien vite ce sentiment qui n’a pas sa place. C’est une grosse connerie.Je me demande ce qu’elle est en train de faire. De ce que j’ai pu apprendre de ses pouvoirs, lapsychométrie lui permet de voir l’histoire des objets qu’elle touche. Est-ce que cela remplace savue ? Sans doute, mais ce n’est pas pareil.Au bout de trois bonnes minutes, je vois Mary sourire et prendre un gros livre à la couverture rigideen cuir orné de feuilles d’or et d’un titre gravé dans ces dernières. C’est un ouvrage très ancien pasde doute. Mais la création est magnifique, c’est une véritable œuvre d’art couchée sur des pagesjaunies qui ont traversé les siècles.Mary le porte tant bien que mal, il doit faire 40cm de longueur sur 30 et semble peser une tonne, lasorcière le pose sur la table en bois déjà bien encombrée. Un nuage de poussière la fait tousser. Ellel’ouvre et sa douce voix résonne à mes oreilles la seconde d’après. — Il y a 11 clans de sorcières répartis à travers le monde. Ces clans sont ensuite divisés en grandesfamilles, on en comptait des milliers et des millions de Sorcières dans l’Antiquité. — Et désormais ? je souligne voyant un « mais » arriver. Mary ouvre le livre doucement, ses doigts fins glissent le long de la première page. D’où je suis, jevois inscrit, « Répertoires des Races ». — Désormais, il reste toujours 11 clans, mais les familles se comptent en centaines à travers lemonde. La dernière fois que j’ai pu lire un manuscrit de mes propres yeux, c’était en 1562, justeavant les guerres de religion des huit conflits, qui ont ravagé le royaume de France à cette époque. Àcette date, on recensait 800 000 sorcières. Il faut dire que c’était l’époque où l’Église Catholiquecommençait à exécuter les femmes soupçonnées de sorcellerie. Autant dire que leur nombre aconsidérablement baissé. Les chasses aux sorcières, une époque bien malheureuse sachant que les véritables Sorcières, sans

doute, ne devaient pas se faire attraper. Tant d’innocents brûlés pour une soi-disant « juste cause »,bordel, je ne supporte plus ces « justes causes ». Beaucoup trop d’innocents ont crevé pour ça. — De plus les Sorcières ne sont pas connues pour se reproduire massivement, mais nous yreviendront, reprend Mary, me ramenant au présent. Et inconsciemment, je la remercie d’être si… présente autour de moi. Quand elle parle, il n’y a quele son de sa voix qui compte. — Dans ces 11 clans, les plus anciennes sont les Wicanes, qu’on peut retrouver un peu partout dansle monde, les Druidesses sont établies en Europe, Europe Centrale. Les Celtiques proviennent descontrées anglo-saxonnes. Les Nordiques vivent dans les pays froids, principalement ceux d’Amériquedu Nord et de Russie. Elles sont dans tous les pays froids. Les Orientales et les Égyptiennes viventdans tous les pays de l’ancien Orient. Les Hindouistes et les Aztèques en Amérique du Sud et auMexique. Leurs clans ont plusieurs variantes, mais ils appartiennent tous à cette famille. Les Saamisont dans les pays du nord de l’Europe. Les Vaudous sont établis en Afrique centrale et Afrique duSud bien sûr mais celles qui nous intéressent le plus sont les Chamanes. Je fronce les sourcils, soudain perplexe plus que d’habitude. — Les Chamanes ? — Les Chamanes habitent les îles exotiques. Celles dans les océans Pacifique, Indien et Atlantique.Les voix n’ont jamais chuchoté aussi fort que lorsque je me rendais ici pour les vacances d’hiver. Çan’arrête jamais, les sorcières parlent beaucoup et sans arrêt. Mary soupire, ce qui me trouble, elle semble… triste, et c’est du gâchis sur une femme pareille.Bordel qu’est-ce que je raconte. Maintenant je la dévisage comme on dévisage une… « amante ».Ressaisis-toi bon sang ! — Mais leurs voix se sont faites plus discrètes ces derniers temps. Depuis que Dying Creaving arepris sa traque, les Sorcières se préparent à disparaître des radars de la Terre. Elles ne peuvent pasle faire avant d’avoir confié à une personne le secret qui permettrait d’anéantir la menace qui pèseau-dessus de nos têtes. Les Hawaïens ont pour religion le chamanisme. Les Sorcières de cette partiedu monde pratique la sorcellerie tirée de la religion chamane. C’est l’un des clans les plus anciens etles plus unis qui reste encore dans ce monde. Elles seules seraient en mesure d’avoir la réponseconcernant la perte de l’immortalité des Creaving. Je relie dans ma tête toutes les informations qui me proviennent remarquant à quel point, Mary Drac adéjà pas mal avancé dans ses recherches. Concentre-toi sur ses mots, et seulement ses mots, ni sur la tendresse de son visage et encoremoins sur ce corps caché sous cette robe.

— Mon pouvoir de psychométrie me permet de percevoir, en touchant un objet, les particularités deson histoire et de celle de son propriétaire. Comme tu as pu le constater, cette pièce regorge d’objetsen tous genres, que mon père a commencé à accumuler au cours des années à ma demande. Je voulaisretrouver ma mère et je savais que j’y parviendrais en ayant une collection d’objets et de livresparlant des Sorcières. — Ces livres ne sont pas des contes de bonnes femmes, non ? je lance en les pointant du doigt. Histoire d’être certain. Il ne manquerait plus que ce soit des histoires racontées par des savants fousqui s’ennuyaient.Mary me sourit en entendant ma question. — Tout juste, ce sont des ouvrages qui ont appartenu à d’autres vampires, à des sorcières elles-mêmes, à des personnes baignant dans l’ésotérisme, mais il y a aussi des ouvrages de Démons et deValkyries. Je crois qu’ils sont sur votre gauche derrière vous, ce sont les livres aux lettres bizarres. Je me tourne pour voir les montagnes de vieux livres. Au cours des siècles, j’en ai rencontré desindividus étranges et appartenant à d’autres Races, mais cette sorcière, je dois avouer, me laissevéritablement perplexe. Depuis que j’ai pénétré dans cette baraque, je sens que quelque chose achangé en moi. Je n’ose imaginer ce que je pourrais apprendre dans ces bouquins. — La femme de mon père déteste Hawaï, donc, il a tout fait stocker ici et il lui a fait croire que lamaison n’était plus leur propriété. — C’est pour cela que vous avez demandé à venir ici en fuyant l’Europe ? — Tout juste. — Bon, vos histoires sont passionnantes… — Vous voyez, je savais que ça vous plairait. Je soupire en levant les yeux au ciel. Ce n’est pas possible à quel point, elle est… agaçante àtoujours tout savoir.Si c’était pour ça seulement qu’elle t’agaçait. — Ouais bon, bref, qu’allons-nous faire au juste ? je reprends en tentant de chasser cette petite voixchiante. Je montre d’un signe de la main les montagnes de livres et les bibliothèques qui nous entourent. — Notre but est de trouver une famille de Sorcières appartenant au Clan des Chamanes. Je sais qu’ily a des Sorcières qui nous entourent. Il faut seulement trouver un moyen de les contacter. Et pour ça,

nous devons obtenir une piste, ou une indication pour venir à elles. Nous allons travailler enplusieurs temps. La bibliothèque regorge de presque 1250 ouvrages parlant des sorcières. Il faut leslire… — Attendez, vous voulez que je lise 1250 livres ! Mary éclate de rire, mais je ne trouve pas ça drôle. Je ne suis pas un amateur de lecture. Je vivais àune époque où lire n’était pas un divertissement, mais un moyen de s’instruire et de survivre. Là c’esttout simplement un travail de titan ! Le dernier livre que j’ai dû lire en entier… je ne m’en souviensmême pas. — Laissez-moi finir, Senan. Je ne vous demande pas de lire 1250 livres. Je vous demande derépertorier ces 1250 livres en fonction de leur titre donc de leur sujet. Ensuite, une fois que nousaurons trouvé ceux parlant des Chamanes, et des moyens de les localiser ou de les contacter, nous leslirons et je les toucherai pour qu’on puisse connaître la vie de son ancien propriétaire. Puis, vousferez marcher vos talents de missionnaire et nous mettrons en place un plan pour parvenir jusqu’àelles grâce à nos connaissances. Un silence envahit la pièce quelques instants. Je pense à son plan, à sa façon d’agir qui est un peubrouillon, mais ça, on ajustera ça au fur et à mesure. Mais un point m’interpelle plus que les autres. — Votre idée est pas mal… — Mais ? me coupe Mary en croisant les bras. — Mais vos informations datent de plusieurs centaines d’années, vous ne pensez pas qu’avec lesmenaces, les Sorcières ont changé leur plan ? Leurs habitudes, leurs lieux de vie ? — Senan, ces livres existent en très peu d’exemplaires. Oui bien sûr, Mademoiselle Drac a encore réponse à tout. Et c’est… attirant de la défier. Elle estcomme… Queen. Malheureusement là-dessus, j’ai l’impression de voir mon ancienne amie. MaryDrac est cultivée, énormément, elle sait tenir tête aux hommes en paroles et en actes. Je ne doute pasque bavarder avec elle soit un plaisir. Comme il l’était de le faire avec… Queen.Bon sang, dans quel merdier je me suis mis. — Qui vous dit que Dying n’en a pas ? je souligne sèchement. Mary hausse un sourcil en me dévisageant droit dans les yeux. Elle doit se demander pourquoi je suisà ce point volatile dans mes humeurs. Si elle savait… si elle savait à quel point je me sens troublépar sa présence qui m’agace autant qu’elle m’intrigue.La sorcière pointe du doigt ses précieux ouvrages en disant ;

— Rien ne m’indique que le Président Russe n’en a pas. Mais à la différence, il n’a pas auprès de luiune demi-sorcière capable de faire les dernières démarches pour atteindre les Sorcières. Je sais qu’ilfaut trouver les Chamanes en particulier parce que je sais qu’elles sont à proximité. Mais Dyingignore sans doute ce moyen de communication. Je la dévisage sans rien dire pendant un moment. — Peut-être trouverons-nous un bouquin parlant de leur légende et de mythes, je renchéris. — Peut-être, mais cela m’étonnerait. Je ne réponds rien, c’est ce que nous verrons. J’adorerais contredire Mary Drac.Bordel non Sen, ne commence pas. — Alors, que pensez-vous de mon idée ? m’interroge ma nouvelle partenaire de travail. Je me redresse sur ma chaise et zieute ce qui nous entoure quelques instants en réfléchissant. C’esttrès intéressant, et je la rejoins sur ce qu’elle me disait au début, cela pourrait énormément aidernotre Race contre Dying Creaving. Sur le plan professionnel, l’idée est parfaite, mais concernant monplan personnel, cette collaboration va me foutre dans un pétrin. Je refuse de faire les mêmes choix quim’ont amené à me retrouver dans ce merdier avec Queen, et là, j’ai l’impression de foncer têtebaissée dans une nouvelle histoire, où mon « moi » torturé viendra rependre le bordel, parce qu’il setrouve en présence d’une femme qui l’attire.Je gigote sur ma chaise en sentant une érection se former dans mon jean. Génial, il ne manquait plusque ça.Deryck aurait dû me couper les couilles, cela m’aurait rendu service. — Je pense que c’est un travail de fourmis et que cela va nous prendre des mois, je lâche ensoupirant. Mary referme le gros livre et repars s’asseoir à sa place d’un pas déterminé et sûr, elle semblemaître de l’instant et de ce qui se passe. Ce qui n’est pas mon cas.Discrètement, je tente de trouver une position adéquate en évitant de regarder Mary. Depuis des mois,ça ne m’était pas arrivé de bander pour une femme avec toute la merde que j’ai en tête. Visiblement,entre colère et désir, il n’y a qu’un pas et cela semble incontrôlable.Qu’est-ce qu’il m’arrive… — Mais non, ne partez pas si… négatif. Je suis certaine que dans un mois, nous en aurons fini. Dansdeux mois, grand maximum, vous serez auprès de votre compagne Queen et vous pourrez cesser defaire la tête. Je me fige en entendant les derniers mots de la demi-vampire. Elle a parlé de… Queen. Elle a biendit qu’elle était ma compagne. Ce qui veut dire qu’elle l’a compris en entendant ou en m’effleurant.

Mais Mary se trompe amèrement, Queen n’est plus qu’un lointain souvenir, une erreur du passé, uneerreur douloureuse qui me fait souffrir et qui a blessé une famille.Sa remarque me crée un pincement à la poitrine, je serre les poings, la mâchoire, j’essaye de fairepartir ce sentiment, le désir que je ressentais pour la petite sorcière s’estompe subitement, et laisseplace à de l’amertume en repensant au passé. De plus, Mary ne semble pas m’aider en remettant unecouche. — Ai-je dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? — Non. Trop de choses ne sont pas à dire. — Pourquoi vous faites une sale tête alors ? Je tourne la tête en direction de Mary. Elle me fixe un peu dans le vide en fronçant les sourcils.J’aurais envie de lancer une vanne peu sympathique comme quoi elle ne peut pas voir ma tête, mais jesais que ses talents d’empathe lui permettent de le sentir. J’adore jouer les gros cons quand je mesens vulnérable, et à cet instant, je le suis pour diverses raisons. — Je n’ai pas de compagne, je réponds sèchement. Mary fait un pas en arrière en prenant une mine surprise. — Oh… alors pourquoi vous… Je la coupe. — Qu’est-ce que j’ai dit concernant vos pouvoirs sur moi ? Mary semble subitement embêtée. Elle commence à se mettre à bafouiller un peu. Ah… la petitesorcière serait-elle parfois impressionnée par les grosses voix? — Je n’ai pas lu en vous aujourd’hui, seulement, l’autre nuit vous étiez en dehors sur la plage et… Je la foudroie du regard. Ma voix continue de devenir de plus en plus brusque sans que j’y prêtevraiment attention. — Vous « pensiez » et ça ne fait pas de vos pensées une réalité. Je suis un être comme tout le monde,et parfois il m’arrive de réfléchir avec l’organe qui me sert de cerveau. Je continue de marmonner en pensant que je dois vraiment avoir l’air d’un con pour qu’on me traitede la sorte et ça me gonfle.

— Vous êtes vraiment à cran pour partir sans cesse au quart de tour ! parle froidement Mary Drac. Visiblement, je me suis trompé, elle sait se ressaisir rapidement la petite sorcière.Comme elle.Bon sang ! Sans arriver à me contrôler, je tape violemment du poing sur la table en bois, faisantsursauter la petite sorcière. — Et vous êtes étrangement chiante quand vous vous y mettez ! Mary me dévisage un instant, et je jurerais que ses yeux améthyste viennent s’ancrer dans les miens.La stupeur de mon rapide accès de colère laisse vite place à… l’amusement ? Bordel, elle se met àrire. On dirait que c’est nerveux, qu’elle se fout de moi.Comme elle.Je rêve ! — Pourquoi vous riez ? je demande en soupirant. Parce que si elle se fout de ma gueule, ça risque de ne pas me plaire du tout. Déjà que je ne suis pasréputé pour être patient et sympathique ces derniers temps, si en plus Mary en rajoute une couche, jene donne pas cher de l’aboutissement de cette nouvelle tournure concernant mon travail.Mary continue de rire, c’est la première fois que j’entends ce son provenant de sa bouche pulpeuse.La mélodie est douce et sincère, comme le son d’un piano à queue. Elle s’essuie les yeux enreprenant son souffle avant de me répondre avec un large sourire. C’est doux à l’oreille, et apaisant.Bon sang ! — Parce que vous êtes l’un des rares à me parler comme un chien, sans vous soucier de mon…problème de vue. Cette femme a toujours le sourire bon sang ! Comment fait-on pour être toujours ainsi, heureux ? Cettepensée me renfrogne davantage, un visage me revient en mémoire et je sens une pointe douloureusenaître au creux de ma poitrine au souvenir d’une gaieté pareille sur une autre personne qui n’a plussouri depuis très longtemps.Je chasse ce visage merveilleux et me concentre sur la sorcière qui se retient de rire à nouveau et quielle aussi, aborde une expression qui ne s’oublie pas. — Vous êtes malvoyante, pas stupide, et encore moins parfaite, je rétorque froidement. — Je vous l’accorde. Mais concernant… Je la foudroie du regard à nouveau, je sens la tension de la pièce se gorger d’une ambiance malsaineremplie de colère. Mary la petite sorcière se tait.Est-ce qu’elle sait d’autres choses concernant Queen. Comme quoi j’ai été le plus gros salopard, que

je l’ai mise enceinte, et brisé son couple et sa petite famille parfaite. Sait-elle pour ma… fille ? Jesoutiens son regard, curieux et à la fois agacé de savoir si oui ou non Mary Drac en sait plus.La Sorcière se met à trifouiller des objets devant elle, attendant patiemment que je me calmevisiblement.Au bout de quelques minutes, elle se lève de son fauteuil et part chercher un livre épais sur latroisième étagère de la bibliothèque en face de moi. Je ne vois pas l’expression de son visagelorsqu’elle me dit presque froidement : — Bon excusez-moi, cela ne me regarde pas. Vous avez le droit d’avoir un faible pour n’importe qui.Je tâcherai de contrôler mes paroles. Un petit rire m’échappe. Je croirais entendre la blague du siècle. — Ouais, faites ça. Comme si elle pouvait s’en empêcher.Depuis notre balade à Pearl Harbor, Mary a déjà gaffé trois fois. Pourtant, une part au fond de moique je ne comprends pas, n’arrive pas à revenir sur ma parole. Je devrais lui dire d’aller se fairevoir avec sa chasse aux sorcières, mais ces mots ne sortent pas. Je suis certain que la petite sorcièreaveugle m’a jeté un sort, ou un truc dans le genre, c’est obligé. Je ne me reconnais pas. En apparenceje suis le même en ce qui me concerne, mais la concernant elle, c’est différent. Les barrières que jetente de me fixer depuis mon arrivée, Mary Drac semble trouver un moyen de toujours me fairechanger d’avis et en ce qui concerne ce que je ressens en sa présence, j’essaye au maximum de ne pasm’écouter.Parce que c’est troublant. — Pourquoi vous ne cherchez pas votre mère ? je finis par demander. Mary laisse échapper un petit soupir en tripotant toujours les objets devant elle. Je remarque qu’ellesaisit un pendule et joue avec le cristal. — Parce que ce serait peine perdue. Elle me fuit et fuit surtout mon père. Au bout de 400 ans, on s’yhabitue. Maintenant, je préfère me contenter des recherches qui aboutiront à quelque chose de viable.Vous savez, on peut se tutoyer maintenant qu’on va travailler ensemble. Je soupire, hors de questions. Ce serait trop personnel et la dernière fois, ça a commencé ainsi.Tes barrières, mec ! — Non, on reste au vouvoiement pour le moment. — Pourquoi ? Son visage s’illumine d’une pointe de taquinerie. Pour une vampire âgée de plusieurs siècles, elle a

ce mélange unique entre le respect et l’innocence que dégagent les traits de son visage. C’est unefemme au caractère particulier, et nul doute désormais que ses pouvoirs d’empathie l’ont influencéedans sa vie. Elle est fascinante et ça me tue de le penser. — Parce que, je lâche simplement. — Ça a un rapport avec celle dont il ne faut pas prononcer le nom ? Je me mets à jurer en me levant, qu’est-ce que je disais ? Incapable de se contenter de ce qu’elle saitet promet. Elle en veut toujours plus.Maudite sorcière. — Mary, qu’est-ce que je vous ai dit ! je lance d’une voix brusque. La sorcière se fend d’un sourire, elle lève les mains en signe de défense. — D’accord, on ne parlera pas de ça. Mais sachez que je suis réputée pour mon oreille attentive.Mon père me confie tous ses secrets. — Je ne suis pas votre père. — Non mais vous semblez être un homme qui en a gros sur la conscience. Je me rassois en jurant. Cette femme va me rendre fou, ses pouvoirs vont me rendre fou. Ces non-ditsme filent déjà la migraine, je sais que Mary voudrait comprendre pourquoi je suis comme ça, unvampire si froid. C’est sa nature d’empathe, mais je n’ai ni l’envie ni le courage de me lancer dans cetype de relation. Je suis venu pour être garde du corps, et déjà je me retrouve à faire la lecture. Jetrouve que mes engagements commencent à beaucoup trop s’éloigner du projet initial.Tâchons de garder la tête sur les épaules et pas l’esprit direction plein sud et ma queue. — Bon, et si nous commencions à créer des piles de livres ? Vous essayerez de trouver ceux dontvous parlez les langues, on commencera par ceux-là. Rappelez-moi le nombre de langues mortes quevous connaissez ? lance Mary histoire de me sortir de mes pensées. — Une dizaine environ, entre le Vieux Slave, le Slovince, le Polabe, le Cambrien, le Sudovien, leLatin, les langues germaniques, le vieux français, l’allemand germanique, ainsi que l’anglais del’époque, je réponds. — Un vrai traducteur vivant, plaisante-t-elle en faisant glisser sa main sur les livres. Si on peut dire ça.Être âgé de 700 ans, nous permet d’acquérir un certain nombre de connaissances. Des connaissancesque je mets rarement à profit désormais. Avant l’ère de l’évolution de la technologie, ces capacités

m’aidaient énormément, mais désormais, seuls ma force et mon cerveau m’aident. Queen disait quec’était un gâchis de se cacher derrière du cuir et du noir et une expression froide alors qu’en réalité,j’étais beaucoup moins con que je ne le paraissais. Mais Queen avait tort, ce n’est pas un apitoiementsur mon sort, j’ai simplement les pieds sur terre. 700 ans de vie aident également à garder la tête surles épaules.Je reste un gros connard, qui ne fait jamais ce qu’on attend de lui et qui tôt ou tard, finit par merder.Là est la réalité, et Mary Drac se rendra vite compte, que je ne suis pas celui qu’elle attendait.La Sorcière m’offre un sourire ravi. Elle m’indique la première étagère à vider sur la table. Je retirema veste en cuir et la jette sur le petit fauteuil près de l’entrée. Une fois en t-shirt, je vérifie que maqueue de cheval tient. C’est le cas. Alors je commence à user de mes muscles et à suivre lesdirectives de la petite Sorcière qui ne cache pas sa joie de m’avoir fait flancher.Si elle savait les raisons du pourquoi j’étais réticent, elle s’éloignerait, et encore, je commence àcroire que Mary Drac aime les cas désespérés, les rares empathes que la vie m’a permis derencontrer aimaient la compagnie des âmes torturées. C’est étrange, mais c’est comme ça et ils ontrarement bien fini.

*** Je m’assois lourdement dans le sable en récupérant la bouteille de Whisky que j’ai trouvée dans lemini bar de la maison. Il doit être presque deux heures du matin, je n’arrive toujours pas à fermerl’œil. Dormir est devenu un luxe et je n’ai pas assez d’argent en poche pour me le payer.Ça fait mal de se sentir aussi impuissant.Parfois j’ai l’impression que ma vie elle-même m’échappe. Mes choix, je ne les ai plus, c’est ledestin qui les fait à ma place.Je retire le bouchon et porte le goulot de la bouteille en verre à mes lèvres. Sans réfléchir, j’avale leliquide coûteux.Cette fois-ci, ce n’est pas les cauchemars qui m’ont fait sortir de mon lit, mais plutôt l’étrangesentiment de désir qui m’a gagné alors que mon esprit cogitait entre remords et regrets. Je ne désireplus personne depuis Queen. Plus aucune femme ne me fait de l’effet, et pourtant, je me suis retrouvéavec une érection entre les draps blancs de ma chambre en repensant à ma journée, à ce parfumdiabolique de tiaré, à cette femme bizarre aux yeux améthyste.Je sens le liquide ambré me brûler la gorge en l’avalant. Mes yeux rouges sang me piquent, je ne veuxplus ressentir ça, je n’ai pas le droit d’éprouver ce type de sentiments. C’est injuste. Je ne veux plusavoir ce pincement à la poitrine qui me fait mal. Instantanément, mes pensées vont vers celles que j’ai aimées à en crever. En sept siècles d’existence,deux femmes m’ont rendu fou, deux femmes qui n’ont pas su me protéger des conséquences del’amour. Certains connaissent des idylles magnifiques avec des hauts et des bas qui se termineronttoujours bien. Ce n’est pas mon cas. Tous ceux que j’aime finissent mal. Et j’en ai marre dem’attacher pour souffrir au final. Je ne veux plus désirer quelqu’un. Plus jamais. Je veux faire unecroix là-dessus. J’en ai trop chié et j’ai retenu la leçon.Mais comment faire maintenant que je me suis lancé dans cette recherche qui sera bénéfique pour

notre pays et notre Race avec une femme qui semble réveiller en moi des sentiments enfouis ? Je nesais pas… je me retrouve devant un mur, encore une fois.Je m’écroule sur le sable. Ma vie est un ensemble de merdes, et je semble aimer m’en rajouter.J’essaye de mettre des barrières avec les gens, de me contenter uniquement de ce que j’ai, et de meprotéger des dégâts que je pourrais de nouveau causer, mais je crois que j’incarne l’exemple mêmede l’individu autodestructeur qui aime s’en rajouter.Après mon passé, après Queen, me voici confronté à une espèce de désir naissant envers une sorcièreet je ne sais pas comment le gérer. Absolument pas, et je commence à croire que je suis entré dans uncercle vicieux sans fin qui attend que je pète un câble pour exploser pour de bon et mettre un pointfinal à une existence douloureuse qui a beaucoup trop duré.

Chapitre 4La fille aux yeux gris

Juillet 2003,New York. Le jour où j’ai rencontré Queen est sans doute l’un des événements qui ne s’effacera jamais de mamémoire. C’était cinq ans après le renversement du monde par les vampires. Les États-Unis étaienten pleine crise, le Président Campbell faisait vivre aux humains ce qu’on appellerait plus tard « lesannées sombres ». Les non-vampires étaient traqués et on recensait beaucoup de débordement de lapart des possesseurs de crocs. Les camps de survivants humains étaient attaqués et les dégâts étaientconsidérables. Dead avait réussi par on ne sait quel moyen à créer des patrouilles de surveillancepour éviter davantage de dégâts et voir la Race Humaine sur le continent Amérique se faireéradiquer. Deryck, et d’autres membres du parti, moi compris, avions pris des patrouilles autour descamps humains connus par le gouvernement depuis plusieurs mois.Une nuit de janvier, alors que le froid terrassait les bas-fonds de la ville et les quartiers les pluspauvres de la nouvelle Capitale, le vampire et les collègues de garde ce jour-là, se sont retrouvés enplein cœur d’une attaque de vampires dégénérés qui avaient décidé de prendre d’assaut le camp enfaisant un massacre pour s’amuser. Les membres du corps de la patrouille se sont battus en duelcontre les assaillants, évitant le massacre à venir. Mais malgré leur intervention, le camp de réfugiésa été réduit en cendres, la presque totalité des humains ont péri dans les flammes, le froid de la nuit,ou entre les bras d’un vampire avide de les vider de leur sang.Alors que Deryck tentait de trouver des survivants, plusieurs heures après l’attaque, il est tombé surQueen, à moitié nue, grelottant dans le froid et la neige, couverte d’un sang qui ne semblait pas être lesien. Il nous a raconté par la suite, qu’elle s’était presque jetée sur lui, et qu’il n’avait pas pu lalâcher. C’était comme une claque, un truc qui vous frappe en pleine poitrine comme une évidence.Cette femme, apeurée et blessée, ne se doutant pas une fraction de seconde que l’homme sur lequelelle s’était réfugiée était un vampire, l’avait touché au tréfonds de son âme. Deryck un vampire deplusieurs centaines d’années, qui n’avait pas connu de compagne, n’avait vécu que pour ses frèresd’armes et des « causes », se pliait en quatre face à une jeune femme. Queen n’avait même paspaniqué lorsqu’elle avait vu ses yeux et ses crocs, acceptant sans doute le fait que sa fin était proche.Deryck l’avait rassurée, et au lieu de l’amener dans un autre camp de réfugiés, il l’avait conduitechez-lui, et depuis, il ne l’avait pas quittée. Il a pris soin d’elle, l’a soignée, réconfortée, protégée, etpetit à petit ils sont tombés amoureux l’un de l’autre.L’attaque s’était passée il y six mois de ça. Six mois que l’un des bras droits les plus importants de

Dead Creaving s’était mis en retrait pour s’occuper de « sa » compagne. Mais désormais, Dead avaitbesoin des compétences de Deryck et le mâle ne pouvait pas lui faire faux bond. Alors Deryck m’acontacté. Je revenais de mission avec Decease en plein cœur de l’Afrique Centrale pour négocier unpartenariat avec des peuples vampires locaux. Je n’avais pas franchement la tête à ça. La missionavec le Vampire Azaan avait été coriace, je rêvais de me terrer dans mon appartement et d’attendre laprochaine mission de Dead. Mais puisque Decease avait été envoyé en Russie dès son retour sur lesol Américain pour partir gérer des conflits familiaux avec les Russes, il ne restait que moi pour fairele babysitting et j’étais « ravi » de me coltiner cette tâche aussi chiante.J’ai toujours su que mon incapacité à refuser de rendre service était dû à mon complexe d’inférioritéavec mon père. Lorsque j’étais encore humain, j’étais l’héritier, et je devais sans cesse faire mespreuves. Un homme qui répondait non à une requête était très vite catalogué d’incapable et detrouillard. Je refusais de le décevoir et de passer pour un moins que rien.Sept cents ans plus tard, mes défauts étaient toujours bien présents, renforcés par un besoin presqueobsessionnel de toujours avoir l’esprit occupé pour ne pas avoir à penser.Me voilà donc dans l’ascenseur menant à l’appartement privé de Deryck. Le vampire semble tendu, ilme jette des regards suspicieux et il ne cesse de me donner des indications qui commencent àvraiment m’agacer. — Ne lui parle pas avec froideur, fait preuve d’un peu de sympathie avec elle, s’il te plait. Je regarde les étages défiler sur l’écran au-dessus de la porte. Je le laisse se torturer l’esprit, de toutefaçon, je ferai comme je voudrai, je n’ai pas d’ordres à recevoir, c’est déjà assez sympa de ma partde me reconvertir en babysitteur d’une humaine qui vit cloitrée chez elle dans une prison dorée. — Évite aussi de t’endormir, je n’ai pas envie que tu la terrorises avec un de tes cauchemars, monvieux. — Je peux respirer ? je l’interroge sèchement en le foudroyant du regard, agacé. Deryck soupire en m’ignorant, il fourre ses mains dans les poches de son pantalon de costume gris enrenchérissant ; — Évite aussi ton regard de meurtrier, je t’en prie. Ouais, c’est ça. Senan soit simplement un fantôme dans ce putain d’appartement.Deryck continue son laïus jusqu’au 20e étage de l’immeuble, ma patience inexistante est mise à rudeépreuve, je me demande comment ça se fait que le vampire ne se soit pas encore pris une droite.Parce qu’on est « amis » depuis plusieurs siècles et que derrière ses airs de dandy, DeryckMacTavish est un vampire peu commun.L’ascenseur s’arrête, et avant que les portes ne s’ouvrent, je me tourne vers lui et parle d’une voixclaire et sérieuse ; — Bien sûr, j’évite aussi de sortir ma queue, de boire son sang, ou du sang tout court, et surtout,

surtout, je ne m’approche pas d’elle à moins de trois mètres. OK, j’ai compris le message silencieuxque tu tentes de me glisser depuis tout à l’heure, mon vieux. Deryck me défie du regard, ses yeux bleus-verts me quémandent presque de ne pas me comportercomme un con. J’ai envie de rire. S’il n’avait pas confiance en moi, il n’avait qu’à pas me confierson humaine. Je veux bien ne pas être l’individu le plus cordial, mais je suis loin d’être la pireordure sur terre.Voyant qu’il ne se décide pas à l’ouvrir, je jure en me maudissant et lorsque je m’apprête à passer lesportes de l’ascenseur, il m’arrête. — J’ai confiance en toi Senan. Je ne devrais peut-être pas, mais là, je te confie ce qui m’est de pluscher depuis… toujours. Cette humaine n’est pas comme les autres à mes yeux. Prends-en soin. Soudain, je perçois chez le mâle une lueur dans son regard qui m’est connue. Cette lueur. Celle qu’unhomme éprouve pour la femme qu’il aime plus que sa propre vie et qui serait capable du pire pour laprotéger de n’importe quel danger. Deryck a tout du vampire lié, il est lié à cette humaine, elle a prispossession de son cœur et de son âme, c’est quelque chose de dix fois plus viscéral que lorsqu’on estHomme. Je me reconnais en lui à cet instant. Je reconnais un individu que j’ai été autrefois et je nepeux que plier à sa demande, au souvenir d’une conversation que j’avais eu avec mon frèreauparavant, il y a très, très longtemps. — Tu peux me faire confiance, je réponds sans trace d’agacement, et avec beaucoup de sérieux. En hochant la tête, Deryck laisse apparaître un léger sourire satisfait sur son visage. Il me fait signede le précéder. Nous sortons de l’ascenseur, et atterrissons dans le hall d’entrée des troisappartements luxueux de l’étage. Je patiente le temps que le vampire sorte sa clé magnétique. Il ouvresa porte d’entrée et pénètre chez lui. Je le suis en me faisant le plus discret possible, comme j’aiappris au fil des siècles, à me faire invisible. Les missions avec Decease en tant que missionnaire dela Race Vampire dans un monde encore dirigé par les Humains m’ont permis d’acquérir un certainnombre de savoirs. — Queen ? lance Deryck assez fort pour qu’on l’entende dans tout l’appartement. Je ferme la porte d’entrée d’un coup de pied, cette dernière claque dans un bruit sourd, ce qui faittrembler les objets de décorations luxueux du hall d’accueil.Deryck se tourne vers moi en me foudroyant du regard. — Je t’ai connu plus discret. — Et moi je t’ai connu moins protecteur, je rétorque sèchement. Ça va ce n’est qu’une putain de porte.Deryck soupire en secouant la tête, ignorant complètement ma remarque. Il continue d’avancer dans

l’appart, et débarque dans la pièce à vivre, un grand salon avec au sol du carrelage en marbre blancet gris, au centre des canapés, une cheminée et un écran de télévision dernier cri. Les murs sont desbaies vitrées donnant sur une terrasse. La cuisine est sur notre droite. Tout est trop… moderne pourmoi, et d’un luxe exagéré. — Queen ? renchérit Deryck, en faisant preuve d’un calme sans précédent. J’entends un bruit étouffé, mais il est si bref que je n’ai pas le temps de savoir d’où il provient suivid’une petite voix féminine qui semble provenir de la cuisine. — Tu n’es pas seul Deryck, n’est-ce pas ? Je fronce les sourcils en cherchant la jeune femme, il n’y a personne dans cette putain de cuisine. Jeregarde dans le salon, jette un coup d’œil vers le petit escalier sur notre gauche donnant à l’étagesupérieur, où se trouve le restant des pièces. Personne non plus.Qu’est-ce qu’elle fout bordel.Mon attention se porte vers Deryck, qui marche vers la cuisine. — Non, je suis avec Senan, celui dont je t’ai parlé. Silence. Suivis d’un rapide grincement de porte, je ne cache pas ma surprise en voyant la porte dupetit placard sous l’évier de la cuisine s’ouvrir. J’entraperçois un corps mince et féminin qui se jettedans ses bras. Deryck se penche vers elle pour lui chuchoter à l’oreille, alors en tant que« gentleman », je me tourne pour leur laisser un brin d’intimité.Quelques minutes passent avant que mon prénom ne résonne. — Sen ? Je me tourne vers eux, et me fige subitement. Un frisson étrange me parcourt lorsque je croise leregard gris cendré de la jeune femme blonde. Ses cheveux sont détachés et retombent sur ses épaulesjusqu’à sa poitrine. Une frange assombrit ses yeux, les rendant davantage mystérieux qu’ils ne le sontà la base. C’est stupéfiant ce qu’il se dégage de cette humaine. Elle me dévisage droit dans les yeux,ne cachant pas sa peur de rencontrer des pupilles rouges, un regard d’assassin, une expression durecomme la roche et peu aimable, et pourtant, derrière la peur, je perçois comme une pointe detendresse. Cette femme, avant d’être une humaine affolée se cachant dans les placards, était sansdoute d’une gentillesse extraordinaire et pouvait faire preuve d’une grande compassion.Pourtant, ce n’est pas ça qui me laisse sans voix, ce sont les sensations étranges qui naissent en moi,des sensations que je n’ai pas ressenties depuis très longtemps. Depuis sept cents ans à vrai dire. Jesens ma peau se réchauffer, et une chaleur m’irradier très au sud. Mes crocs s’allongent et je restefigé, mes yeux rouges dans ceux gris cendré. L’atmosphère se fait plus lourde, mais pas d’un malaise,de quelque chose de plus spécial, de plus étrange que je n’arrive pas à expliquer.Qu’est-ce qu’il m’arrive…

— Sen ? Je secoue la tête et ignore complètement ce qui vient de se passer. Pire, je reprends une attitudeglaciale pour ne rien laisser passer. — Tu ne m’avais pas dit que tu l’avais fait tienne, je murmure. Deryck passe un bras protecteur autour de la taille de Queen qui se blottit contre lui comme unnaufragé en mer. Elle semble terrorisée. Si j’étais Decease, j’aurai sorti une vanne pour détendrel’atmosphère, mais je suis réputé pour ne posséder aucun humour.Faudra qu’elle fasse avec. — J’aurais dû le préciser ? Je secoue la tête, non. Alors pourquoi j’ai posé la question si je m’en contrefous ?Ça pue cette histoire.Deryck s’avance en accompagnant Queen vers moi. Elle est habillée sobrement, un jean, et un simplet-shirt noir et ses yeux sont partout, comme si elle analysait la situation. — Sen, je te présente Queen. Queen, voici Senan, celui qui va veiller sur toi en mon absence. Je la dévisage sans savoir quoi faire. Decease sortirait une blague à cet instant, moi… je regarde lesgens jusqu’à ce que le malaise les empare et qu’ils se retrouvent obligés de détourner le regard. MaisQueen, elle, elle jette un coup d’œil à son compagnon qui hoche la tête comme pour la conforter dansson idée.La petite humaine fait les trois pas qui nous séparent, elle me tend sa douce main, et déclare d’unevoix peu sûre d’elle : — Ravie de… te rencontrer. Je continue de la dévisager sans savoir comment réagir. Je regarde Deryck qui me presse de faire demême. Bon sang, je ressemble à un débile asocial froid.Mais je suis un asocial froid.Je tends ma main dans sa direction et la serre doucement, ne sachant pas trop comment m’y prendre. — De même. Deryck nous a beaucoup parlé de toi. Je serai discret ne t’en fais pas, et sache que j’aidéjà diné. Je tente même un sourire, mais je dois ressembler à un chien se prenant un thermomètre dans le cul.Silence autour de moi.Je me mets à m’insulter intérieurement pour ma profonde tentative de faire une blague. Voilà pourquoic’est Decease qui s’occupe toujours de « l’animation ». Je suis un naze en ce qui concerne l’humour.Queen me dévisage un instant, avant d’éclater de rire, comme si j’étais un débile. Elle a raison, je

passe pour un abruti avec ma remarque de looser. Blaguer est un art plus qu’indispensable dans lasociété de nos jours. Un art que je ne maîtrise pas.Deryck la rejoint dans son rire. Il est mélodieux, comme le son d’une harpe jouant un air demélancolie. Queen serre ma main en me souriant franchement et j’en reste inerte. J’oublie qu’elle ritde moi, j’oublie son compagnon.À cet instant, lorsque sa paume touche la mienne, je sens comme une décharge électrique qui meprend dans tout le corps et une certitude nait en moi ; Deryck a raison, cette humaine n’est pas commeles autres. Sinon, je ne réagirais pas ainsi. Sinon, je resterais impassible à ce qu’elle dégage. Maisnon, Queen l’humaine que je ne connaissais pas encore venait d’écrire le premier chapitre de notre« histoire », et j’aurais aimé me rendre compte à cet instant, dans quoi je me lançais. Peut-être quej’aurais fait les choses autrement, et peut-être que j’aurais pensé à protéger mon cœur déjà pas malabimé de ces yeux cendrés.

Chapitre 5Retrouvaille

Hiver 1328Saint-Empire Germanique, Frontières entre L'État Monastique des Chevaliers Teutoniques et laPologne. Nous sommes arrivés au Château de Magdebourg à la nuit tombée. Les serviteurs et les gardes de nuitsur les remparts avaient déjà allumé les torches, éclairant l’obscurité de ce mois d’hiver enneigé.Nous avons discrètement traversé les ruelles principales du village, suivant les chemins glissants etgelés jusqu’aux portes du château. La ville de Magdebourg était une forteresse. Il n’y avait que lespaysans possédant des champs qui habitaient à l’extérieur des remparts, les autres étaient plus desdomestiques ou des paysans engagés par d’autres. Notre arrivée ne fut pas annoncée, et heureusement,cela aurait sans doute éveillé le soupçon que quelque chose de grave se produisait peut-être. Dieumerci, je n’étais pas d’humeur à gérer un mouvement de foule dans ce froid glacial.Depuis six mois, les choses n’avaient pas vraiment changé. Le peu que je voyais dans la pénombreme confirmait dans mon idée. Je rentrais à la maison pour m’assurer que tout allait bien, j’allaisavoir la chance de voir ma femme qui me manquait tant avant de repartir. Comme un chef se doit defaire.C’était un moyen supplémentaire de prouver à mon père que je serais à la hauteur pour lui succéder.Bien que je doute qu’il apprécie de me voir débarquer ainsi sans prévenir. Je risque d’avoir droit àun sermon avant de pouvoir m’expliquer, mais qu’importe, je suis fier d’avoir écouté mon instinct etnon cette peur qui semble s’être évanouie maintenant.Tandis que notre convoi était établi dans la cour devant le château depuis une quinzaine de minutes, jeretirais la selle de mon cheval, et le préparait pour l’emmener à l’écurie lorsqu’une voix familière semit à résonner à mes oreilles. — Senan ! Je me tourne pour voir une flèche sortir de l’une des portes de service, celle donnant aux cuisines. Unsourire nait sur mes lèvres en reconnaissant le manteau en fourrure d’ours brun. J’aimerais lui dired’arrêter de courir, qu’elle risque de tomber sur le sol gelé et qu’elle devrait rentrer pour ne pasattraper froid, mais j’ai tellement envie de la serrer contre moi que mon instinct protecteur se tait.Sans réfléchir, je me mets à mon tour à courir, j’ignore les regards scrutateurs de mes hommes, etpars rejoindre la femme qui a volé mon cœur avec ses yeux bleus magnifiques et sa longue tresse

blonde.J’ai du mal à l’apercevoir en détail dans cette pénombre, mais je sais bien que c’est elle, c’est maCrescentia.La collision de nos deux corps se fait l’instant d’après. Je sens le soulagement s’emparer d’elle. Dieuce qu’elle m’a manqué. — Mein Süßes[8], je murmure. J’embrasse son front en la serrant un peu plus contre moi. Elle m’a terriblement manqué. Tellement.Crescentia se blottit également contre mon torse enveloppé d’un épais manteau de fourrure. Sonvisage légèrement caché par sa capuche épaisse se lève vers moi. Un sourire sincère se dessine surson tendre visage, ses yeux bleus sont comme deux lacs bleus en été, on s’y noie dedans et on s’ybaigne avec plaisir. — Je suis si heureuse de te revoir. Les nuits sont longues sans toi. À mon tour, j’esquisse un sourire. Les sous-entendus de cette femme sont toujours très finementglissés. Avec elle, je ne pense même pas à aller voir ailleurs, elle rendrait heureux n’importe quelhomme, et accepte beaucoup de choses. Cette femme est parfaite et c’est la mienne.Je la vois grelotter et je décide qu’il est grand temps de poursuivre ces retrouvailles à l’intérieur. Jeme tourne vers l’un des mômes qui nous dévisage en grelottant de froid, se bouger ne lui fera pas demal. — Gamin, tu peux rentrer mon cheval et ranger mes affaires ? Le gamin visiblement surpris de ma demande se met à bafouiller en me répondant un oui. Je reportemon attention sur Crescentia qui a glissé ses fins doigts au creux des miens. — Rentrons, je déclare en la guidant vers l’entrée principale. Ma femme me suit silencieusement sans s’écarter. Elle reste contre moi, à savourer simplement maprésence. En chemin, nous croisons une dizaine de serviteurs qui nous reconnaissent et nous saluent.Je manque légèrement à mes devoirs de seigneur et préfère mettre ma femme au chaud. Lorsque lesépaisses portes de bois se referment derrière nous. Deux servantes accourent pour nous débarrasserde nos manteaux mouillés. Je redécouvre le corps de la femme qui occupe mon lit toute seule depuissix mois en mon absence. Crescentia a simplement enfilé une robe verte qui dégage ses épaulesqu’elle a recouvertes d’une écharpe tricotée. Une fine ceinture vient marquer sa taille, soulignant sanouvelle allure. Sa tresse est plus longue que d’ordinaire. Elle est magnifique et mon corps abstinentdepuis plusieurs mois, ne peut que réagir à sa vue et au souvenir de ces formes dénudées se mouvantau-dessus de moi dans la pénombre d’une nuit beaucoup plus chaude. — Ton père t’attend dans la salle de réception, déclare ma femme doucement.

Il peut attendre encore un peu.Je mets un genou à terre et glisse mes bras autour de sa taille. Mon visage vient à la rencontre de ceventre qui a pris davantage de volume depuis mon départ. Elle est énorme, comme une vache sur lepoint de mettre bas. Mais elle garde son charme et son incroyable beauté.Ses doigts glissent dans mes cheveux noirs détachés, Crescentia me laisse faire, mon père attendra.Cet enfant est sans doute l’événement le plus attendu de l’année. J’aurais dû rentrer à sa naissance,mais je suis heureux de pouvoir admirer ce changement chez elle avant. Ma mère pense que cela neme donnera plus envie de l’honorer en la voyant si… changée. Elle se trompe, je la trouveresplendissante. Elle porte et fait grandir mon enfant c’est tout ce qui compte à mes yeux.Le devoir conjugal attendra cependant. — Senan… soupire-t-elle. — Laisse-moi saluer mon fils. Je pose une main délicate sur ce ventre rebondi et le caresse doucement. — C’est peut-être une fille, me corrige-t-elle, amusée. — Ce sera un fils, je réponds. Nos petites querelles m’avaient manqué. Nous ne sommes jamais d’accord sur rien et c’est ce qui meplait. Elle a toujours été ainsi, une femme de caractère, qui n’est sans doute pas née à la bonneépoque. Avant de devenir ma femme, Crescentia était ma meilleure amie, la fille du Seigneur voisin,également ami de mon père. Nous avons grandi ensemble, je lui ai appris à se battre avec une épée, età monter à cheval comme un homme, elle m’a appris à écrire, à danser et à nouer puis dénouer leslacets d’un corset de femme. Je n’ai toujours eu d’yeux que pour elle, nous avons un an de différence,et lorsque j’ai été en âge de prendre une femme, je ne voulais qu’elle et nous avons eu une immensechance. Il est si rare à notre époque que les mariages soient heureux, le nôtre l’est. Les sentimentssont présents depuis des années et ils ne semblent pas s’atténuer au fil des ans. Et maintenant quenous allons fonder notre famille, les souvenirs de notre enfance m’inondent souvent. J’aimerais quenotre enfant connaisse ça.Je parle en germanique à mon enfant, en continuant de caresser le ventre de sa mère. Je regrettepresque d’être rentré pour gérer des affaires urgentes. J’aurais aimé l’emmener dans notre chambre,retirer cette robe et m’enfouir en elle.Je croise son regard bleu qui me presse d’aller voir mon père. Je soupire, les responsabilités sontparfois pesantes. — Tu as raison Meine Liebe[9], que ce soit une fille ou un garçon, je serai heureux. Et puisque jecompte te faire une dizaine d’enfants, nous avons largement de quoi faire une cavalerie de frères et desœurs à cet enfant. — Va voir ton père Senan, s’il te plait, me presse ma femme, en changeant radicalement de sujet.

Je me relève, et sens un léger engourdissement dans mes jambes. Je commence à me faire vieux. Lavingtaine et déjà mal partout, ça promet pour la suite. Le hall d’entrée du château est plus chaud quel’extérieur et malgré l’humidité, nous allons rapidement nous réchauffer. Je passe un bras autour deshanches de ma femme, et nous guide vers la salle principale où mon père nous attend. — Que se passe-t-il ? Siegmund est venu me chercher avec une lettre. Tu n’étais pas très clair danstes propos. Crescentia soupire en me fuyant du regard, l’air visiblement très inquiète. — Les deux comtés les plus proches ont été attaqués par des hommes. Personne ne sait véritablementce qu’il s’est passé, le clergé a coupé les routes venant à ces villages. On ignore qu’est-ce qu’il s’estvéritablement produit. Ni même s’il y a des survivants. J’ai tenté d’envoyer un espion s’infiltrer, maisil a été démasqué. Le Père Luitger a été convoqué, il est parti tard dans la nuit il y a trois jours avecdes affaires et ses tenues de cérémonies ont disparu. À cette époque, l’Église régnait en maître sur la plupart des pays de l’Europe, et cela ne m’étonnaguère d’apprendre qu’ils avaient étouffé l’affaire. Si l’église se mêlait de cette histoire, c’était quequelque chose de grave s’était passé. — Je ne sais pas ce qu’il se passe, rajoute Crescentia, ton père et mon père refusent d’écouter, maistoi, je sais que tu m’écouteras. J’ai comme un mauvais pressentiment. Cela fait des mois que desrumeurs se chuchotent dans les couloirs et les maisons. Tout le monde dit qu’une troupe d’inconnusvenant du Sud-Est fait régner la terreur et le sang. Ma femme cesse de marcher. Elle se fige devant moi en prenant ma main dans la sienne froide. Sesyeux bleus percent les miens jusqu’à l’âme. Je n’aime pas cette expression sur son visage. On diraitqu’elle ne me dit pas tout. — Meine Liebe, dis-moi ce qui te tourmente tant. Crescentia glisse ses mains sur ma tunique épaisse, elle se blottit contre moi comme pour chercher duréconfort. Elle me rappelle la nuit où mon père m’a annoncé que je partais remplacer mon frère à lafrontière. Je savais qu’il voulait se prouver que son héritier était capable d’affronter le pire. LeVassal pensait que j’étais trop tendre. Il ne s’était pas trompé, la guerre m’a endurci, mais pas enprésence de ma femme, Crescentia m’apporte de la tendresse, et j’en ai terriblement besoin après cesmois difficiles. Mais lorsque je la vois, à cet instant, je ressens le même tiraillement que lorsque j’aiaperçu le premier rayon de soleil sur le chemin.Je la serre avec force contre moi, pour lui donner le courage de m’avouer ce qu’elle a sur le cœur. — Je t’en prie Senan, fais quelque chose. Si ton père ne veut pas comprendre que nous devons sortirles armes pour préparer une défense en cas d’attaque, nous devons partir. Partons dans ta maison vers

le Nord. Fuyions ce danger qui rôde. Je sais que tu me penses excessive, mais cela fait des mois quetu es sur le champ de bataille, tu n’as pas eu vent des horreurs qui se racontent aux alentours de laville. J’ai peur ! Elle est effectivement apeurée, tout son être dégage une terreur qui la fait trembler. Je peux lacomprendre, je peux la sentir. Mais malheureusement, nous ne pouvons pas fuir devant la menace.Fuir c’est pour les lâches. — Je ne peux pas abandonner ma famille, je murmure doucement. On ne peut pas partir tant quel’hiver est là, et tu es sur le point de mettre au monde notre enfant. Cressie, soit raisonnable s’il teplait. — Je ne veux pas mourir, Senan. J’ai peur, est-ce que tu le comprends ça ? Je t’ai fait quérir pour quetu viennes trouver une solution. Mein Ritter[10], je t’en prie. Le silence nous gagne, nous restons l’un contre l’autre durant un moment. Je réfléchis au pour et aucontre de tout ça, avant de répondre, quelques minutes plus tard. — Je vais parler à mon père et nous verrons ce que nous ferons après, d’accord ? Calme-toimaintenant, va dans notre chambre, mets-toi au lit, je te rejoins dès que je finis. Elle s’écarte de moi, ses joues sont rouges et humides. J’aime sa force, j’aime sa faiblesse. Cemélange des deux est merveilleux. J’embrasse son front avant de me tourner pour reprendre mamarche vers la salle principale quand un souffle glacial pénètre le couloir d’entrée, éteignant lestorches accrochées au mur. Le froid vient glacer ma peau, et instinctivement je me tourne vers mafemme pour la rassurer. — Crescentia ? Des voix résonnent bruyamment dans le couloir sombre, j’ai l’impression de reconnaître celle de mafemme, mais elle semble lointaine alors que je n’ai fait que quelques pas. — Cressie ? — Sauve-moi. Je sens un souffle froid vers moi. Mes yeux s’habituent à la pénombre, les torches se rallumentsubitement, je la vois inerte, et très blanche, elle recule, les bras en arrière, je ne comprends plus cequi se passe sous mes yeux, ce n’est pas la réalité, mais une déformation de cette dernière. — Sauve-nous. Crescentia pousse un cri strident avant de se jeter sur moi. Puis, les voiles de ce passé qui me hante

tant se font plus brouillonnes, plus obscures, plus douloureuses. Du sang, il y en a partout. Cettefameuse nuit défile si vite sous mes yeux, m’amenant à ce moment fatidique, ce moment qui a fait demoi l’homme que je suis à présent. Le souvenir de l’horreur revient jouer son cirque dans les brumesde mon sommeil, et ma réaction ne change pas depuis sept cents ans. Je hurle à m’en crever lespoumons, totalement paniqué et tremblant de peur en revivant avec une intensité cette nuit où tout achangé.J’aurais dû l’écouter, mais je ne l’ai pas fait et nous sommes restés.

Chapitre 6Le Cauchemar de mes Nuits

2016,Hawaï, Nous aurions dû nous en aller.C’est le terrible constat que je fais chaque nuit. Nous aurions dû fuir dès le départ, dès sa confession,et jamais ça ne se serait produit.Elle avait si peur et j’ai failli, je n’ai pas respecté mon serment, je l’ai abandonnée à sa peur parcrainte de décevoir mon paternel dans une lutte que nous avions déjà perdue d’avance.Mais il était trop tard depuis tellement longtemps.J’aurais dû la sauver de cette terreur avant, tellement longtemps avant, et j’ai échoué. J’échoueencore chaque nuit. Mes souvenirs me hantent et me font revivre sans cesse cette nuit de cauchemars.Comme une torture lente qui s’étale sur la durée, la mienne est longue et pénétrante, et c’est affreux.Je n’entends plus mes cris de douleurs alors que mon corps se remémore les sévices qui ont suiviaprès. Mon esprit tente de ne pas comprendre les images qui se déroulent sous mes yeux, ce sonttoujours les mêmes, mais elles ne perdent pas en violence.J’ai mal, à la poitrine, dans cet organe qui ne me sert plus à grand-chose ces derniers temps. Respirerest difficile, bouger l’est tout autant, je suis prisonnier de mes propres songes quand ces derniers nese mélangent pas aux autres.J’aimerais cesser d’avoir mal, arrêter de sentir cette douleur au fond de ma poitrine qui me bouffe etme rend fou. Chaque nuit je crains de ne jamais me réveiller, de rester enfoui dans cet océan desouvenirs néfastes qui me détruisent petit à petit.Je sens à peine les deux mains qui me secouent et la tendre voix qui m’appelle. Elle paraît irréelledans cet abime de terreur.Elle ne peut pas être là. Il n’y a que Cressie, il n’y a qu’elle et ses hurlements. Ses plaintes et sessuppliques devant mon incapacité à réagir, elle veut que je la sauve, mais je n’y arrive pas.Et je n’y arriverai jamais. — Senan ! hurle une voix proche. Une violente douleur sur ma joue me fait ouvrir subitement les yeux. Je me redresse d’un bond et meretrouve assis sur mon matelas, face à un visage familier depuis peu de temps. Il est si proche, si près

du mien, ses lèvres pulpeuses à seulement quelques centimètres des miennes. Je croise des pupillesviolettes magnifiques, qui me pénètrent jusqu’à l’âme. Une douce main vient caresser ma jouerâpeuse, je reste figé devant la Sorcière. Hypnotisé par sa présence qui rend les choses subitementplus douces.Et soudain, sans comprendre, la peur qui fait trembler mon corps s’atténue, la détresse me quitte peuà peu et la douleur dans ma poitrine diminue au fur et à mesure des minutes qui passent.Et ça, seulement grâce à sa présence.Putain de pouvoir d’empathie. Putain d’empathe.J’ignore combien de temps, il se passe avant qu’une pensée cohérente puisse traverser mon esprit. Jereste assis, en respirant difficilement sans bouger. Mary est près de moi, assise en travers de mon lit,sa main ne se retire pas. Elle me murmure des choses que je ne comprends pas et ça me tued’admettre que sa présence me fait du bien. C’est presque douloureux de me rendre compte qu’uneinconnue arrive à calmer quelque chose qui n’a jamais trouvé de remède en 700 ans. C’est presquetrop beau pour être vrai et je m’attends à me prendre le retour de ce calmant qui fait tellement debien.Ça fait tellement de bien de ne pas avoir mal.Ça ne m’était jamais arrivé auparavant de retrouver un certain calme en moi après un réveilmouvementé à ce point. Il me faut parfois des heures pour immerger, mais pas cette fois-ci, pas enprésence de Mary qui semble aussi absente que moi.Sa main ne quitte pas mon visage, elle joue un peu avec mes cheveux noirs détachés, elle me scruteavec attention, comme pour s’assurer que je n’ai rien. Je me maudis de ne pas trouver la force de larepousser, je me maudis d’apprécier ce calme en moi, je me maudis d’être égoïste et pour ce qu’ellevoit sur mon torse dénudé. — Ça va mieux ? chuchote-t-elle doucement. Je dévisage Mary avec insistance, je ne comprends pas ce qu’elle m’a fait, je ne comprends pascomment elle l’a fait, tout ce que je sais, c’est qu’en étant là, c’est parti. Ce qui faisait si mal est partidoucement.Je ressens comme un frisson, mais différent de ceux de terreur, celui-là est plus… puissant, plusétrange, plus… déstabilisant. Le contact tiède de sa paume sur mon visage m’électrise, et mon corpssans comprendre se met à réagir. Je sens que mes crocs s’allongent, une autre partie de mon anatomiese réveille, et me fait comprendre que quelque chose de similaire à la dernière fois avec ma dernièreprotégée va se reproduire. Ce qui se passe, ce que je ressens, c’est… comme du désir, et c’est horsde question.Je ne suis qu’un connard.Je m’écarte du contact chaleureux et apaisant de la sorcière et me laisse tomber sur mon matelas, enjurant. Je tente de rendre ma voix dure lorsque je romps le silence qui nous habite. — Partez Mary, je vous en prie, je murmure à mon tour, stupidement. Même moi j’ai entendu la détresse dans ma voix.Bordel.

— Laissez-moi faire quelque chose, je.... je vous ai entendu hurler, c’était… pire que les nuitsprécédentes et je pense que je… Non, elle ne fera rien, elle ne me touchera plus, c’est hors de question. Je ne veux pas me foutre dansles mêmes embrouilles qu’avec Queen. Ça a commencé ainsi. Et Mary semble beaucoup trop bienpour un type comme moi. Elle n’écoute que ses pouvoirs d’empathie qui lui disent de venir en aide àun pauvre mec comme moi. Elle ne devrait pas m’aider, elle devrait s’éloigner, ne pas vouloir plusqu’une simple relation de « boulot ». Je ne suis pas un type bien, je fais partie des types de lacatégorie « torturé ». — J’aimerais être seul. J’aimerais ne pas ressentir ce que je ressens en moi en ta présence.Ça me déstabilise, et je ressens le besoin de m’enfuir. De partir loin d’elle, de cette femme quim’agace mais qui semble m’apporter un certain calme, un calme que je n’ai plus connu depuislongtemps.Je suis foutu. — Senan… soupire Mary. Sa main se pose sur ma cuisse, je tressaille.Pas ça, pitié pas ça. Ne fais pas ça.Je remue dans mon lit pour la fuir, je lui tourne le dos et fixe la pleine lune haute dans le ciel étoiléd’Hawaï. J’aimerais ne plus vivre ça, j’aimerais qu’aucune personne ne soit témoin de ça. Je détesteme montrer faible, je déteste qu’on remarque que je peux être faible.Je sens toujours la présence de la petite sorcière derrière moi, elle est coriace, mais je sens quel’ambiance de la pièce est également chargée de tristesse. Mary ne devrait pas être triste pour moi,d’une certaine façon, je n’ai que ce que je mérite.Mais sa présence me fait me sentir tellement bizarre. Je ne veux plus ressentir ça. — Mary, s’il vous plait, je ne veux pas que vous soyez témoin de ça. Partez. — Je peux vous aider, renchérit-elle. — Personne ne peut m’aider. Mes amis n’ont pas pu, alors je doute qu’une inconnue puisse le faire, sorcière ou pas. Certainesâmes sont damnées à jamais dans le palais obscur des tourments, je fais partie de celles-ci, et j’yresterai toute l’éternité, tel est mon fardeau, telle est ma destinée, je l’ai accepté. — Vous vous trompez Senan. Tu te trompes amèrement.

J’aimerais sourire de ce soudain élan de proximité, mais je ne veux pas aller sur ce terrain. — J’ai raison, alors ne perdez pas votre temps, Mary. Retournez dormir, laissez-moi. Laisse-moi lutter contre le sommeil, laisse-moi tenter d’échapper à mes cauchemars, laisse-moime battre, comme j’aurais dû le faire.Et même avec une paire de crocs et une puissance accumulée au fil des siècles, je reste toujoursl’homme faible qui a merdé.Putain de destin.J’entends un froissement de tissus, sans doute la petite robe qu’elle porte pour dormir. Elle semblaitparfaitement aller avec son corps si féminin. Le matelas ne se creuse plus et je commence à croireque Mary Drac rend les armes. — Je suis désolée, chuchote la demi-vampire en marchant vers la porte. J’aimerais savoir pour quoi elle est désolée. Pour ce qu’elle ressent en raison de ses pouvoirsd’empathie, pour les images de mon cas si désespéré qu’elle a dû percevoir grâce à son don.La porte se referme doucement, je me maudis et je maudis le ciel pour la cuisante douleur qui semblerefaire surface au creux de ma poitrine. Avec une telle violence que ma respiration se coupe uninstant. Je tente de rester concentrer sur la lune, sur les étoiles mais je ne peux pas. Ça fait mal, sesouvenir fait mal. Je pensais être habitué après 700 ans de crise, mais je ne le suis pas. On n’estjamais préparé à vivre le pire. On apprend sur le tas.J’aimerais croire que quelqu’un puisse m’aider, que ce quelqu’un soit une autre que la femme quivient de quitter ma chambre et qui semble détenir le prochain premier rôle de mon désastre.Putain de destinée.

Chapitre 7Dance of the Druids [11]

Je sors sur la terrasse en essayant de faire le moins de bruit possible. Je ne veux pas alerter maprotégée que j’ai une nouvelle fois quitté mon lit. Depuis la nuit où Mary m’a trouvé tremblant dansma chambre, je la sens sur ses gardes. Elle fait semblant d’être fatiguée pour ne pas travailler troplongtemps dans la bibliothèque alors que je sais qu’elle ment. Cette quête, c’est « toute sa vie » pourl’instant, c’est son obsession, elle a juste pitié et ça m’agace.J’ai envie de rire, j’espère qu’elle ne pense pas que je compenserai ces heures d’emmerdement avecdu sommeil. Ce serait avoir mal compris le problème.Je soupire, je suis vraiment salaud avec cette vampire. Mary Drac incarne la gentillesse et la douceuret je la traite comme une vulgaire idiote. Je sais qu’elle aimerait m’aider, mais je n’ai pas envie del’être, je veux me débrouiller tout seul.Si je pensais que venir ici m’aiderait à obtenir du temps pour peser le pour et le contre, je me suisamèrement trompé. Après Decease dans le rôle du babysitteur, j’ai une sorcière empathe à mestrousses. J’aimerais que ça me fasse chier plus que ça, mais avec Mary, je ne sais pas sur quel pieddanser. Ce que je ressens en sa présence est beaucoup trop troublant.C’est le bordel.Je chasse ces idées, et me dirige vers les marches pour partir me balader sur la plage. Il fait clair cesoir, la lune est pleine et éclaire les alentours comme une lumière forte, faisant briller par la mêmeoccasion l’eau trouble de l’océan Pacifique.Je n’ai même pas le temps de faire deux pas de plus, que le tableau qui se dresse sous mes yeux melaisse stupéfait.Face à moi, la plage est envahie par cinq torches enflammées formant un grand cercle, avec à leurpied, des tas de ce qui me semble être des pétales de rose blanche. Au centre se trouve une femmeque je reconnaîtrais entre mille à présent. Sa peau est dépourvue de vêtement, Mary est totalementnue. Elle semble danser, bercée par le rythme de sa voix qui chantonne un air que je ne reconnais pas.La langue chantée ne m’ait pas familière non plus. Mais le son qui résonne à mes oreilles estmagnifique. Doux, envoûtant. Il semble parvenir d’une autre dimension. Sa voix est incomparableface aux instruments de musiques connus dans le monde. C’est beau.Je reste debout comme un con à la regarder danser dans son cercle de feu, ce qu’elle fait me rappelleles rites anciens racontés par ma grand-mère qui avaient beaucoup voyagé à travers l’EuropeAncienne, où le Catholicisme n’avait pas encore gagné du terrain, où des croyances plus mystiques etmoins conformistes vivaient encore au cœur de ceux qui faisaient vivre ces idéaux.Je ne tente même pas de comprendre ce qu’il se passe réellement, qu’est-ce qu’elle fait au juste, et

pourquoi je la retrouve à poil sur la plage à danser et jeter des pétales de fleurs blanches autourd’elle. J’ai affaire à une sorcière, ma logique m’amène à penser que j’assiste en direct à unecélébration issue des croyances de sa mère sorcière. Elle a ça en elle, ça se voit, il n’y a qu’àl’observer. On sent que c’est naturel, que les mots, les pas et les gestes sont fluides et réalisés dansune grâce que de rares personnes peuvent exécuter.J’ignore combien de temps, je reste debout, à la regarder danser, jouant avec le sable, son corps nuaux courbes féminines délicieuses à regarder. N’importe quel homme succomberait. Mary a la peauincroyablement blanche ce soir. L’effet de la lune sans doute.Mes yeux rouges glissent le long de son dos, vers ses fesses galbées, elle se tourne, mon regards’attarde sur ses seins dénudées mais surtout vers la vallée entre ses cuisses qui m’appelle. Je suishypnotisé et mon être tout entier ne peut rester insensible face à cette femme. Je sens des frissons meparcourir la peau, un sentiment étrange naître au creux de ma poitrine et ma queue se raidit sous leshoot que mes yeux lui envoient.Ce n’est pas la première fois en présence de Mary, mais c’est déstabilisant de ressentir ça à nouveau.Je tente de mettre de côté ce désir cuisant qui semble grandir petit à petit en moi, mes caninesdeviennent plus longues et n’arrangent pas les choses.Détourne le regard.Je ne peux pas.Ce qui me laisse le plus surpris, hormis cette envie que j’ai d’elle, c’est de constater que ces pétalesde roses disparaissent dans le vent en un millier de petits débris brillants qui s’envolent vers le cielcomme une fumée blanche.Je devrais l’interrompre, lui faire part de ma présence, mais je ne peux pas. Je reste spectateur de cespectacle plus que troublant.Au bout d’un moment, les torches semblent se consumer, et les pas de Mary se font plus lents, plusdoux et moins énergiques, sa voix baisse en intensité, et elle finit par s’allonger sur le sol en riant. Jel’observe nue, sa peau blanche en contraste avec le reste, elle semble apprécier le contact du sableencore chaud, du bruit des vagues qui viennent mourir sur le rivage.C’était… magnifique.Je déglutis avec difficulté lorsque je fais le terrible constat de l’effet que ce manège a eu sur moi.Mon jean est à l’étroit une fois de plus. La vision de cette sorcière dansant au clair de lune m’aexcité, et je pense qu’il est préférable de retourner à l’intérieur en faisant comme si rien ne s’étaitproduit.Je me force à détourner mon attention du corps pâle et sculpté généreusement de Mary quand une voixféminine résonne sur la plage endormie. — Vous vous en allez sans vouloir d’explications ? Je me fige en jurant. C’était évident qu’elle m’a vu, un idiot de vampire aux yeux rouges la regardant,n’importe qui, même un humain peut sentir la présence de quelqu’un qui le regarde.Je me tourne et descends les trois marches pour me rapprocher d’elle, suffisamment pour qu’ellem’entende parler correctement, mais avec un intervalle de sécurité convenable. — Je n’ai pas à vous demander quoi que ce soit.

Mary s’assoit dans le sable, et ramène ses jambes vers sa poitrine, cachant en partie son corps nu.Dieu merci j’espère qu’elle n’a pas vu l’état de mon entrejambe. — Mais vous pouvez. Après tout, vous me trouvez nue un soir de pleine lune à danser étrangement. Jeme poserais des questions à votre place. Mary me lance un sourire amusé, je la foudroie du regard, elle a pris cet air que je reconnais que tropbien. Celui qu’ont les femmes de caractère lorsqu’elles prennent les hommes pour des cons.Je déteste ce regard… parce qu’il me plait beaucoup trop. — Et qu’est-ce que c’était ? — Vous êtes donc curieux. — Intrigué. De plus, ce type d’informations pourrait me servir à l’avenir si vous faites d’autressorties nocturnes dans ce genre sous ma garde. — La prochaine fois, vous serez de la partie alors ? Je lui jette un regard noir. — Ne rêvez pas, je lance d’une voix froide. — C’est très… relaxant et libérateur ce type de célébration, renchérit-elle avec une nuanced’amusement. Mary se relève d’un bon, et se retrouve totalement nue face à moi. Je me raidis devant ce corps etdétourne instantanément le regard.Bon sang… — Est-ce que… — Est-ce que je peux me rhabiller ? C’est bien ça votre question ? me taquine-t-elle. Maudite Sorcière.Je me doute qu’elle n’est pas dupe de ce que je ressens. Je reste un homme, elle est une très bellefemme, et en tant que sorcière empathe, mon désir, elle a sans doute dû le percevoir. De quoi rendreles choses très compliquées à gérer.Je suis une calamité.Je reste comme un con debout, le regard en l’air en attendant que la vampire se rhabille. Mary prendson temps, elle part récupérer une longue robe blanche qui me semble transparente. Mais qui feral’affaire pour le moment.

Elle sort du cercle de torche et marche dans ma direction en optant pour une allure qui me rappelleceux des félins.Cette femme est douce comme un agneau et l’instant d’après, elle ressemble à un démon. — Senan, j’ai beau être une vampire à 50%, les 50 autres, je suis une sorcière. J’ai des besoins, etj’ai des convictions qui vont au-delà de vos croyances. Mon statut m’oblige avec grand plaisir à fairetout ceci. — Je ne vous juge pas, je rétorque froidement. J’ai beau être comme je suis, je ne me mets pas en juge. Je déteste ça. Je suis juste intrigué. Il n’y apas une facette de Mary Drac qui ne m’intrigue pas. Nous n’avons pas encore eu le temps de nousplonger dans la lecture des manuscrits, autant dire que le sujet des sorcières reste un mystère pourmoi. Tout ce que je peux apprendre je le prends, si ça peut m’éviter d’être sans cesse sur mes gardeset dans l’inconnu.Peut-être que je finirai par comprendre pourquoi elle éveille en moi d’étranges sentiments.Mary s’arrête à ma hauteur, je résiste à reculer, sa proximité me rend nerveux. Mais la sorcière n’yprête pas attention. Elle commence à se faire une tresse de ses longs cheveux noirs tout enm’apportant des explications. — À chaque pleine Lune, les sorcières se réunissent pour célébrer et entrer en osmose avec lesDieux et la Nature. Ce sont des Esbats[12]. C’est ce que je faisais. Mais nous avons aussi tout un tasde célébrations, les neuf Sabbats, les treize Esbats, les quelques rituels de protections à faire dansl’année, les bains de purification. Et puis parfois, nous sommes obligées de convoquer les morts, lesesprits ou les Dieux. C’est une charge à plein temps qui m’occupe depuis longtemps. Je mentirais sije disais que ça ne me plait pas. Mary se tait, le regard perdu dans le vide. Elle semble réfléchir. À quoi ? Je n’en sais rien. Mais ellesemble perplexe, comme si un élément la gênait.Son soupir de lassitude me le confirme l’instant d’après. — Oh et puis venez, je vais vous montrer quelque chose, vous serez moins tendu comme ça. Je me fige, surpris, elle n’a pas idée de ce que ses mots font sur mon hémisphère sud.Je n’ai pas le temps de m’interroger davantage que la demi-vampire saisit ma main, et m’entraînedans l’eau. Étrangement, je ne résiste pas. Je suis poussé par un élan de curiosité qui m’aide à lasuivre sans discuter.C’est super pro, ça Sen !Mary m’entraîne dans l’eau tiède jusqu’à la taille. L’océan est calme ce soir, et c’est plutôt agréablede se baigner même si mon jean et mon t-shirt sont désormais trempés.Mary lâche ma main, lève son visage pour plonger ses yeux malvoyants dans les miens. Elle m’offreun magnifique sourire qui me laisse sans voix.

— Je sais que vous n’êtes pas à l’aise avec ma condition de Sorcière, alors, laissez-moi vousmontrer une petite part de ce que je suis. Vous voulez voir quelque chose qui n’est pas ordinaire ? Je fronce les sourcils, analysant chacun de ses mots. Je me méfie d’elle autant qu’elle m’attire, et jepense avoir de quoi. Une minute passe, je ne réponds rien, mais j’ai compris que Mary avaitcommencé à interpréter mes silences avec une incroyable facilité. C’est comme si elle sentait ce queje voulais.La demi-vampire me montre ses mains, elles les posent à plat sur l’eau et les lèvent doucement. Jereste idiot quand soudainement, comme par… magie l’eau se met à se lever en deux petitesstalagmites.L’eau autour de nous se met à scintiller, Mary la guide par ses gestes, c’est étrange, tout en étantfascinant. Elle joue avec cet élément liquide qui ne peut d’ordinaire être manipulé. Elle crée desformes dans le vide, simule des plongeons de dauphins. Elle s’amuse et je me surprends à sourirecomme un gamin. — En plus de l’empathie, je possède le don de contrôle de la météorologie, donc des éléments.Comme la plupart des sorcières, l’eau, le feu, le vent ne me résistent pas, m’explique Mary d’unevoix chaleureuse. — C’est… Je continue de sourire, je suis admiratif devant ce que je vois, même si je ne comprends pas tout, çareste incroyable.Mary se met à s’agiter un peu plus, créant un amas d’éclaboussures. Elle finit par taper des mains, etses pouvoirs créent à présent une petite pluie qui tombe sur nous comme les soirs d’orages. Je suistrempé, Mary aussi. Le tissu blanc de sa robe lui colle à la peau, dévoilant sa poitrine, et ses tétonsqui pointent dans ma direction. La sorcière m’offre un sublime sourire satisfait, son regard ne quittepas le mien.Elle non plus ne fuit pas mes pupilles rouges. Je l’ai remarqué, et ça me déstabilise aussi.Je la dévisage, et je le sens en moi, ce sentiment étrange, cette sensation que quelque chose de fortvous pénètre et prend possession de votre être de façon violente et inattendue. La chaleur m’envahit,des frissons reviennent, je ne dis rien quand elle s’approche un peu plus de moi. Elle entre dans monpérimètre, à une vingtaine de centimètres de mon corps. Je n’aurais qu’à tendre le bras pour venir laplaquer contre moi et dérober ses lèvres qui dévoilent deux superbes crocs. — C’est la première fois que je te vois sourire, Senan, me confie-t-elle. Le ton de sa voix est rauque. Je savoure cette tessiture en fermant les yeux. Sa voix est magnifique.Je suis envouté, et je ne sais pas si j’aimerais que cela cesse.C’est tellement bon de connaître à nouveau le calme.Je sursaute lorsque sa main vient caresser ma joue, mais comme la dernière fois dans ma chambre, jene la repousse pas, je me surprends même à apprécier de nouveau ce contact salvateur et doux.

— Mary, je… Mais les mots ne sortent pas.Ma main se pose dans le creux de son dos, je sens la peau de Mary frissonner, comme si elle étaitsurprise de ce contact. Je n’y ai pas vraiment réfléchi. À vrai dire, je ne réfléchis pas à cet instant. Iln’y a que cette attirance, ses yeux et cette douceur qui m’envahit en étant près d’elle qui semblecompter à cet instant.Elle est vraiment belle, si semblable et pourtant si différente des autres femmes que j’ai connues. Sesyeux violets me tuent, ils dégagent un je ne sais quoi qui me rend totalement sous le charme. — J’aurais aimé voir ton visage avec clarté à cet instant. La belle vampire m’avoue ce qu’elle pense naturellement, et ses paroles viennent enrichir mon désir.Je sens mon cœur battre de plus en plus vite et mon sexe durcir à sa proximité. Mes crocs veulent queje la morde.Je la veux.Et je ne devrais pas, je le sais, mais cette part de moi est piétinée par le reste.Mary fait un pas, l’eau tiède de la mer vient clapoter contre mon torse, sa main glisse vers ma nuque,et sans que je n’aie le temps de réfléchir à ce qui va se passer, Mary se dresse sur la pointe des piedset vient à la rencontre de ma bouche.Nos lèvres se touchent pour la première fois. Un courant électrique m’envahit violemment, alimentantavec puissance tout mon être et mon excitation. Je ne réfléchis plus lorsque je lui rends son baiser. Jene réfléchis plus lorsque je la plaque contre moi, contre ma queue qui ne cache rien de mon désirpour elle.Mary laisse échapper un gémissement. Sa bouche embrasse la mienne avec autant de ferveur que depassion. Je la découvre.Nos lèvres se cherchent et se dévorent d’une façon inattendue. Je me laisse emporter par cette femmequi crée en moi des sentiments que je ne comprends pas. Sa langue vient à la rencontre de la mienne,mes mains glissent le long de son corps, elles viennent agripper ses fesses que je serre. Je presseMary contre moi et à cet instant, je jurerais qu’en l’absence de nos vêtements, je m’enfoncerais enelle pour faire exploser cette excitation entre nous.Je m’enfoncerais en elle.Ce constat silencieux me sert de déclic. La passion s’échappe la seconde d’après lorsque je réalisece que je suis en train de faire.Je ne peux pas la vouloir.Je ne dois pas.La dernière fois ça a commencé comme ça.Et je ne veux plus de ça.Je suis le roi des cons qui cherche les problèmes, bon sang !Je m’écarte d’elle et la repousse avec force. Je titube en arrière, sonné, et je finis par me retrouver lecul dans l’eau, trempée de la tête au pied pour de bon.Qu’est-ce que j’ai fait…Assis dans l’eau je ne peux que constater l’ampleur des dégâts. J’ai une érection douloureuse qui me

rappelle des souvenirs que je préférerai oublier. J’ai merdé ce soir, j’ai vraiment merdé, et je nem’en suis même pas rendu compte.Qu’est-ce qu’il m’arrive bon sang ! Qu’est-ce qu’elle me fait !Mary se relève et marche dans ma direction, j’entends ses pas dans l’eau, mais je ne peux pas. — NON ! je lance plus fort que voulu. La petite sorcière s’arrête de marcher. Je sens l’atmosphère entre nous se charger de tension, elle estgênée. — Je suis désolée Senan, je… Je secoue la tête, non elle n’était pas désolée, elle le voulait, elle le désirait si fort, je l’ai vu dansses yeux. Cette lueur de désir que n’ont que les gens qui veulent. Mary me désirait à cet instant avecun sentiment si ardant, que même un idiot aurait pu comprendre. Elle ne devrait pas, nous ne devrionspas, je n’aurais pas dû la laisser faire, lui laisser croire que je pouvais… non.Apparemment les barrières que j’ai tentées d’ériger ne sont pas aussi solides que je le pensais. — Ça n’aurait pas dû arriver. — Senan… Sa voix ne cache pas sa tristesse de voir ma réaction. Je l’ai blessée en la repoussant, et une part demoi aimerait être désolée. Mais je ne le suis pas, je n’arrive pas à trouver un soupçon de regret enmoi face à ce baiser. — Ça n’arrivera plus. Je me relève et sors de l’eau à grands pas. Je dois m’éloigner de Mary Drac et vite. Mais cettedernière n’a pas l’air de comprendre. — Je ne voulais pas être impolie, simplement je… Je la coupe, je ne veux pas en entendre plus, je veux… je veux oublier cette sensation en étant prèsd’elle. — Les choses ont débordé, oublions. Tâchons de rester chacun à notre place, évitons les… Tentations. — Tu mens. — Pardon ?

Je ne souligne même pas le fait qu’elle me tutoie depuis tout à l’heure.Je me tourne vers elle. Elle est toujours dans l’eau à me dévisager, les bras croisés comme gênée desa soudaine quasi nudité. — Tu me mens et tu te mens à toi même. Tu as le droit d’éprouver de l’attirance, tu… Mary baisse les yeux, et je jurerais qu’elle est en train de rougir. — J’ai senti que… Je sens la colère me gagner avec rapidité. — Mary, qu’est-ce que j’ai dit concernant vos pouvoirs sur moi ? — Je n’ai pas pu faire taire mes dons d’empathie alors que ce qui émanait de toi était si puissant. Stop, je ne veux pas en entendre davantage. — Écoutez-moi bien Mary. Ce n’est pas parce que notre corps réagit en présence d’une très bellefemme que forcément il y a quelque chose. Ma voix est dure, et je vois très bien que je la blesse en lui disant ça. Mary reste silencieuse uninstant, je me sens de trop sur cette plage. Et puisqu’elle ne dit rien, je me remets en chemin pourpénétrer dans la maison quand sa voix résonne à nouveau. — Est-ce qu’elle t’a brisé le cœur ? C’est pour ça que tu es si froid ? Où y a-t-il une autre raison ? Si seulement il n’y avait eu que ça.Je baisse les yeux dans l’eau noire scintillante, refusant de l’affronter de face, refusant de lui montrerqu’elle est plus douée qu’elle ne le pense pour cerner les gens.La froideur n’est qu’un moyen de survie. Un camouflage que l’on s’impose pour survivre. Est-cequ’on se remet d’un cœur brisé ? La réponse est oui. Mais le reste ? Je crois qu’on n’en guéritjamais. On survit aux blessures, et on apprend à vivre avec les cicatrices que ces dernières ontlaissées. À la différence, certaines sont plus profondes que d’autres, certaines font plus mal, et letemps n’y change rien. — J’aurais aimé qu’elles ne fassent que ça, je réponds dans un murmure douloureux. Mais le pire dans tout ça, c’est de se rendre compte après tant d’années, que certaines blessures ne sesont pas refermées, et que d’autres se sont rouvertes il n’y a pas si longtemps. — Je peux comprendre, me lance Mary avec douceur.

Elle a l’air sincère, elle semble désolée de me voir si… désespéré. Elle ne devrait pas. Je suiscomme ça désormais, je l’ai accepté, mais je refuse quoi que ce soit d’autre qu’une relation deprotecteur à protégée. — Oubliez ça Mary, oubliez ce que vous ressentez, ce n’est qu’un désir malsain né de la proximité.Vous êtes empathe, vous êtes une sorcière et j’ignore encore quels pouvoirs vous possédez qui vousinfluencent dans vos choix. Je vous attire parce que je possède une âme sombre qui vous fascine. Jene suis qu’une nouvelle distraction dans votre vie, et croyez-le, mieux vaut ne pas trop s’approcherde moi. — Je ne suis pas comme toutes les autres, et mes dons d’empathie ne font pas de moi une salope. Jene comprends même pas ce qu’il m’arrive. Comme ça nous sommes deux et ça ne me rassure pas d’apprendre que ce qu’elle semble ressentir,elle ne le comprend pas non plus. — Non effectivement, vous n’êtes pas comme toutes les autres, mais vous restez une femme. Et vousméritez bien mieux que de vous entichez d’un cas comme moi. — Et si je n’ai pas envie ? Je me tourne vers elle, et plonge mes yeux rouges dans les siens améthystes, j’aimerais tellement à cetinstant qu’elle puisse y lire la détresse qui me gagne. Je ne veux pas revivre ça. C’est fini pour moitoutes ces conneries. Je ne pense pas être apte à pouvoir supporter.J’ai beau être un vampire de 700 ans, les blessures que le temps nous laisse, nous affaiblissent.Et si elle n’en avait pas envie ? Je ne saurais quoi faire pour gérer ça. J’ai l’impression d’être unmaudit. Senan le maudit qui n’est pas foutu de tomber sur une femme ne possédant aucune qualitécapable de me faire flancher.Mais c’est toujours le même schéma, il n’y a que les culs d’un soir qui ne se ressemblent pas. Lesautres femmes, celles qui entrent sérieusement dans ma vie pour une durée indéterminée sont toutesdotées de capacités pour écorcher mon cœur.La dernière fois, ça a commencé comme ça. La dernière fois, c’était comme ça. Une attirance, unrapprochement, un baiser, l’amour, l’aimer et finir par une fin où je me suis crashé. Comme la foisd’avant.

Chapitre 8Sentiments

2008New York, Je n’oublierai jamais le jour où j’ai compris que je l’aimais, que mon attirance s’était transformée enquelque chose de beaucoup plus profond, beaucoup plus sombre et dangereux. C’était un après-midid’été, cinq années venaient de s’écouler depuis ma rencontre avec Queen. Cinq ans où je n’auraisjamais cru possible que la petite flamme éteinte depuis longtemps au creux de ma poitrine puisse seremettre à scintiller un jour. Pourtant, je la sentais. Elle grandissait petit à petit en prenant son temps,se moquant de savoir ce que j’en pensais. Dès le départ, j’avais compris que quelque de chose despécial s’était glissé au sein de notre relation. Mais j’étais loin de me douter de l’ampleur de cetteattirance. À mille lieux de prévoir ce qu’il se passerait par la suite.Nous avions commencé par être de simples inconnus, se jetant de nombreux regards remplis dequestions dans ces longues heures silencieuses. Puis, d’un commun accord silencieux, nous avonscommencé à briser la glace pour passer d’étrangers à connaissances, de connaissances à amis,d’amis à prétendant.Du moins, pour ma part.Queen était, et sera toujours, cette femme débordante d’une affection que vous n’arriverez jamais àcerner avec exactitude. La frontière entre ses sentiments est si mince, qu’il est difficile de savoir surquel pied danser avec elle, jusqu’à ce qu’on trébuche et qu’on tombe.Je n’ai jamais su la cerner, et jusqu’au bout, j’étais certain d’être tombé dans le même sac qu’elle, etqu’ensemble, nous étions en train d’écrire le récit malheureux de deux êtres qui ne pourraient jamaiss’aimer comme j’avais pu aimer à l’époque où ma nouvelle vie m’était encore inconnue.Plus j’apprenais à connaître Queen, plus je me sentais bien en sa présence. Elle avait des similitudesavec une femme que j’avais connue autrefois. Même couleur de cheveux, même sourire angélique,même regard pénétrant. Et surtout, ce même caractère qui rend un homme fou. J’adorais soncaractère. Il était fort, agressif et imposant, mais il possédait une face cachée, remplie de douceur etde tendresse. Queen avait vécu des années sombres, des années qui avaient forgé son être dans ladouleur, et fait d’elle, cette femme extraordinaire aux remarques piquantes et attachantes.Parfois, lorsque je la regardais, je me retrouvais en elle. Je retrouvais ce calme avant la tempête, cemal-être qui dort silencieusement, menaçant à chaque instant d’exploser.Parfois, je savais qu’elle me comprenait. Parfois, je pensais que les âmes torturées se

reconnaissaient. Et j’aurais dû admettre qu’on pouvait se tromper.Cinq ans de combat intérieur, cinq ans de remises en question, d’interrogations sur ces nouveauxsentiments en moi lorsque je passais du temps avec la femme d’un ami, qui était elle-même devenue,ma seule amie en dehors de notre famille de vampire.Queen a su creuser la carapace en moi pour y trouver un homme hanté qui ne s’ouvrait jamais. Avecelle, petit à petit en instaurant de la confiance et un équilibre, je me suis ouvert en donnant tout. En luidonnant beaucoup trop.Queen était mon amie avant qu’elle ne devienne véritablement, la femme qui a fait chavirer moncœur. L’espace d’un instant, sans comprendre, sans le voir venir, j’étais à sa merci, fort en apparence,mais si faible à l’intérieur face à cet amour.Les hommes, quels qu’ils soient, humains, vampires ou démons, se retrouvent sur un pied d’égalitélorsqu’il s’agit d’aimer. Nous devenons faibles. C’est comme ça, c’est ainsi, et lorsque nous nous enrendons compte, il est déjà trop tard depuis longtemps.Et je me souviens de ce jour, de ce fameux jour qui m’a fait réaliser que j’étais foutu, etqu’étrangement, aussi douloureux que la situation fût, cela ne me dérangeait nullement.

*** — Queen, t’es où ? J’ai apporté de quoi rassasier ton côté carnivore. Je ferme la porte d’un coup de pied et m’avance jusqu’à la cuisine où je dépose les deux sacs dutraiteur d’en bas. Madame MacTavish est seule ce soir, et elle a voulu que je vienne passer la soiréeavec elle puisque « je n’ai rien d’autre à faire ». Comment lui dire non ? On ne peut pas dire non àQueen, elle se débrouille toujours pour vous faire culpabiliser de lui refuser ce qu’elle veut. Elleaurait fait une parfaite négociatrice. — Dans l’atelier, me répond une voix familière. Qu’est-ce qu’elle me réserve encore. Queen se plait que ma culture en art soit inexistante, alors qu’en700 ans de vie, j’aurais pu développer de grandes connaissances. Malheureusement pour moi (ouheureusement) j’avais d’autres choses à foutre que de m’extasier devant des peintures hideuses. Maisce n’est pas l’avis de tout le monde, Queen adore faire ça, elle adore contempler des tableauxmoches, et en connaître l’histoire.Depuis deux ans, elle bosse avec une amie de Louis, également amie de Deryck qui bosse elle-mêmedans le milieu de l’art. Dorénavant, Queen travaille au Musée National. Ça lui plait, et ça me plait dela voir si épanouie, même devant des horreurs.Je déboule dans l’atelier, une grande pièce aux murs anciennement blancs, à présent envahis par descroquis, des dessins, des tableaux. Le sol est recouvert de bâches en plastique et il y a du matérield’art un peu partout. L’odeur de peinture me chatouille toujours autant le nez. La peinture c’est sonpetit secret qu’elle n’ose pas avouer à tout le monde. Il n’y a que Deryck et moi qui sommes aucourant. Une part malsaine de moi, est contente d’être dans la confidence.

Je découvre une Queen assise sur un tabouret, devant une grande toile, elle a remis sa salopette enjean taché, et son t-shirt blanc moulant qui n’a plus rien de blanc à présent. Elle est… magnifiqueavec ses cheveux attachés grâce à un pinceau, dégageant sa sublime nuque.Si belle et tellement inaccessible. Je le sais, je l’ai compris. Mais je pense pouvoir remarquer labeauté de cette femme humaine.Quel con ! Je me sens idiot. — Qu’est-ce que s’est… — C’est un Picasso, me confirme Queen en pointant du doigt l’œuvre. Un Picasso, OK, si elle le dit.Je m’approche d’elle, Queen ne se retourne même pas, elle reste fixée devant l’œuvre. Elle secontente de bouger la tête pour me faire la bise et me saluer. L’odeur de son parfum vient me frapperde pleins fouet. Elle ne devrait pas le mettre, il est beaucoup trop… tentateur.Je m’écarte rapidement en fourrant mes poings dans mon jean pour me faire plus de place. En cemoment, ce type de réaction m’arrive de plus en plus souvent. C’est gênant. — Mes nouveaux contacts au musée Tate Modern travaillant à la collection nationale d'art modernem’ont prêté l’œuvre pour mon exposition sur la Guerre, m’explique mon amie en se tournant versmoi. Comment tu vas ? Un magnifique sourire vient illuminer son visage. Elle n’est pas maquillée aujourd’hui, mais elle n’enperd pas pour autant son charme.Je décide d’ignorer sa question, elle connaît déjà la réponse. Je n’ai pas envie de m’étaler et del’emmerder avec des problèmes qui ne partiront jamais. Queen les connaît, elle sait mon passé, ellele comprend, et je préfère en sa présence, profiter du calme qu’elle m’apporte plutôt que de remuerle couteau dans mes plaies. — On t’a autorisé à faire ce type d’expo ? je demande simplement. Queen soupire. Aie, qu’est-ce qui se passe encore. — Ordre de Campbell. Pour les dix ans de sa prise au pouvoir, il veut sans doute faire « fort », etmarquer les esprits. — Elle ne devrait pas être en lieu sûr ? je la questionne en pointant du doigt la toile. Mon amie esquisse de nouveau un sourire moqueur, comme si ma remarque était stupide. AvecQueen, j’ai souvent eu l’impression d’être un con qui ne connaissait rien alors que j’avais plusd’années à mon actif. Elle a toujours ce regard et cette expression un peu hautaine qui vous laissentcroire que quoi que vous fassiez, vous êtes un con comparé à elle. Queen est comme ça, on adhère oupas et moi… j’adhère.

— Dans un coffre-fort au fond d’un musée ? Pitié, tu sais très bien que rien n’est sûr lorsqueCampbell est proche. Il sera présent à l’exposition et je compte rendre cette œuvre à songouvernement. Picasso restera donc là.Je me mets à tripoter chaque élément dans la pièce, Queen ne me dit rien, elle me laisse faire. Nouscommençons à parler de tout et de rien. Elle me demande comment s’est passée ma dernière missionen Équateur avec Decease et je lui raconte ce que je peux. Queen est à l’écoute, elle n’a peut-être pasréponse à tout, mais elle sait donner de bons conseils parfois. C’est dommage que son mari ne lecomprenne pas. Elle souffre du silence de Deryck. Ce dernier la pense encore fragile alors que c’estun roc qui aimerait voir l’homme qu’elle aime lui faire confiance.Au bout d’un moment, alors que le silence a pris part de la pièce, je sens une tension familière nousgagner. Je sens son regard gris sur moi, je sens que mon amie me cache quelque chose, c’est étrange.Je finis par prendre l’autre tabouret de la pièce et viens m’asseoir en face d’elle. Mes yeux rougescroisent les siens, Queen est l’une des rares personnes qui ne détourne pas le regard en les voyant.Elle a appris à les aimer, parce qu’ils sont ce que je suis.Un sourire se dessine sur son visage, et là je comprends. — Je ne suis pas comme Trenton à lire dans les pensées, alors, je te prierais de bien vouloir meconfier celles qui te font glousser comme une lycéenne, je déclare d’une voix rauque, légèrementagacée. Queen se mord la lèvre en hésitant, je vois ses joues prendre de la couleur. Cette réaction n’annoncerien de bon. — Queen, je commence à m’impatienter. Elle se met à ricaner un peu, avant d’enfin lâcher sa bombe. — Avec plusieurs galeristes peintres, nous organisons une exposition que nous allons faire le moisprochain, et nous aimerions faire un pan de mur d’œuvre encore méconnues du grand public. OK jusqu’ici c’est normal. — Et ? je renchéris. — Et j’aimerais participer à ce nouveau projet. — Et ? j’insiste à nouveau, sachant qu’elle ne me dit pas tout. Queen prend un air sournois. Ses yeux gris ont la lueur de la malice, elle continue de mordiller salèvre. Je m’attends au pire, mais pas à ce qu’elle me demande.

— J’aimerais que tu sois mon modèle. Je me fige. Qu’est-ce que ça signifie bordel ?Je fronce les sourcils, soudain perplexe. — Et qu’est-ce que je devrais faire ? — Poser… Queen hésite et l’intelligence me frappe de plein fouet. Il n’en est pas question.Je me lève d’un bon de mon tabouret et manque de trébucher comme un con. — À poil, tu veux que je pose à poil, c’est ça ? Queen hoche la tête en se retenant de rire. — Hors de question ! je réponds en passant une main dans mes cheveux noirs pour une fois détachés. Mon amie se lève à son tour pour s’approcher de moi. Je quitte l’atelier de l’horreur pour aller dansla cuisine et commencer à manger. Peut-être que la vue de la bouffe lui fera faire une croix sur sonprojet profondément débile.Dangereux surtout. — Pourquoi ? me questionne Queen en essayant de me retenir. — Parce que… Je lui tourne le dos en arrivant dans la cuisine et tente de m’occuper pour trouver l’excuse la plusadéquate.Parce que je risquerais de me trouver dans une position délicate. Rien que l’idée de savoir que sesyeux vont glisser le long de mon corps, je ressens comme un besoin viscéral de me jeter sur elle pourassouvir ce qui dort en moi depuis notre rencontre.Qu’est-ce qui me prend bon sang ? On dirait une bête ! — Parce que ? insiste Queen. Je soupire en me tournant vers elle. Je sais qu’elle ne va pas lâcher l’affaire. — Parce que tu es mariée et que je refuse de me faire empaler par ton vampire de mari. Je maintiens son regard pour essayer de la déstabiliser, mais Queen est vraiment forte à ce jeu-là.

— J’ai déjà l’autorisation de Deryck, m’annonce-t-elle fièrement. Bon sang ! — Alors pourquoi tu ne lui demandes pas de poser à poil pour toi ? je renchéris sur le même ton fier. — Il n’a pas le temps de rester allongé plusieurs heures sans bouger. — Tandis que moi oui ? je demande en haussant un sourcil. Queen se fend d’un sourire, elle prend son air de gamine adorable qui fait éveiller en moi de drôlesde sentiments. Ils sont de plus en plus présents ces derniers mois, ce qui me rend parfois perplexe. — Tandis que toi, reprend Queen, tu ne repars pas en mission avant plusieurs semaines, j’aurai déjàfini les grands axes du tableau. — C’est non. Je secoue la tête et commence à sortir les plats du traiteur. Je pensais qu’elle avait faim, mais en fait,c’était un véritable piège son invitation. — Oh allez Sen, tu es un beau gosse à la peau blanche et aux cheveux noirs comme la nuit. Ce serasublime. En plus tes yeux rouges, s’ils ne te plaisent pas, personnellement je les trouveraismagnifiques sur une toile. Je soupire à nouveau, je reconnais très bien sa façon de faire pour « séduire », elle sait que je ne saispas lui dire non. Je deviens idiot en sa présence, mais comment résister aux sourires d’une femme ?Je n’ai jamais pu en tant qu’humain résister à ceux de ma femme, alors ceux de Queen…N’y pense pas. — C’est toujours non. Tout le monde saurait que c’est moi, et j’en ai déjà assez des remarquesdébiles sur mes cheveux. — Et si je me mets à poil également ? On serait sur un pied d’égalité. Je me tourne vers elle brusquement, en déglutissant avec difficulté, chassant les images de mon esprit.Elles sont trop… trop indécentes. Trop interdites. Et ce n’est… pas normal. — C’est encore davantage non. — Sen… — Quoi ? je grogne.

Queen vient s’installer en face de moi. Elle récupère une barquette de canard laqué et l’ouvre enhumant l’odeur avant de poursuivre. Ses yeux gris accrochent les miens et elle continue avec ceregard de biche.Bon sang ! — Je te promets que je ne dirai pas que c’est toi. Je changerai la couleur de tes yeux si tu veux. — Et qu’est-ce que tu fais de mes beaux yeux rouges sur ta magnifique toile ? je la taquine en luitendant des baguettes. — On les remplacera par d’autres. Dis-moi, quelle était la couleur de tes yeux à l’époque ? Queen ne m’a jamais demandé comment mes yeux étaient avant.Je m’assois lourdement sur mon siège en refoulant la vision de ma femme les regardant longuementtard le soir, lorsque j’étais enfoui dans la chaleur rassurante de son être. Crescentia me dévisageaitexactement de cette façon-là, et je ne pouvais lui résister.Elle a toujours été mon point faible et Queen… Queen ne me la rappelle que trop bien. — Ils étaient verts, j’avoue dans un murmure. Comme les arbres qui entouraient notre village, comme l’herbe près des lacs qui nous ont vusgrandir. Comme la stupidité.Bordel retrouve tes couilles. — Tu penses à elle, n’est-ce pas ? me demande doucement Queen. Je ne dis rien et me contente de déchiffrer ces putains de barquettes. — J’aime quand tu me parles de ta femme, renchérit-elle. Moi je n’aime pas. — Tu es tout simplement curieuse. — Non, je suis ton amie, donc c’est normal que je connaisse tout de toi. Queen avale un bout de canard en me lançant un clin d’œil complice. Exact, elle sait tout de moi. — Comme tu sais tout de moi. — Hélas je connais même le type de tampons que tu utilises, c’est pitoyable, je la tacle en ouvrantune canette de soda.

Queen me lance un regard assassin, elle n’aime pas quand je redeviens « le méchant Senan ». — Tu es parfois très con et très froid quand tu veux. — C’est ce qui fait mon « charme », je déclare en buvant une gorgée. Je commence à manger alors que le silence revient. Queen joue avec plusieurs boites en me jetant desregards attendrissants. Ça m’énerve de me sentir si… faible face à cette femme.Queen poursuit son acharnement pour me voir à poil sur sa maudite toile : — Tu sais que c’est une indication très précieuse sur ta situation géographique de l’époque ? Ce sontles individus vivant en Europe centrale qui ont les yeux verts. Ils sont rares, tout comme les yeuxrouges. Tout comme les Senan. Ils ne courent pas les rues. — Queen, ça ne marche pas, je soupire. Si ça marche, je me sens minable de lui dire non, alors que ce n’est pas la première femme qui mevoit à poil. C’est tout simplement Queen et avec le désordre dans ma tête, me retrouver dans cetteposition me laisse perplexe. — Bien sûr que ça marche, tu vas craquer, je le vois, plaisante-t-elle, ça me ferait énormémentplaisir de partager ça avec toi. Et j’ai craqué. Il m’a fallu un dixième de seconde, son regard dans le mien, et cette lueur, comme lapremière fois. À la différence, l’organe dans ma poitrine s’est mis à battre plus fort et j’ai ressenticomme un courant électrique dans tous mes membres. Ça me frappe si fort que j’en oublie derespirer. — Bon, d’accord, mais c’est vraiment pour te rendre service. — Tu es génial ! Queen ne remarque rien, elle se lève de sa chaise et s’approche de moi en sautillant presque, ellepasse ses bras autour de mon cou et dépose un baiser sur ma joue. Un contact qui semble se graversur ma peau. Mon amie quitte la pièce en exprimant sa joie. Je me fige et constate que les battementsse font plus irréguliers et qu’un sentiment familier, depuis trop longtemps enfoui revient à la surface.J’aime cette femme, j’en suis tombé amoureux et je constate que j’en viens à accepter n’importe quoipour elle, pour simplement la faire sourire. Et dire que tout ceci a simplement débuté grâce à unregard puis un sourire, une parole, un rapprochement. L’amour nous frappe lorsqu’on s’y attend lemoins, et c’est étrange de s’en rendre compte, étrange de ne pas penser à tout ce que cela pourraitengendrer. Je n’y ai pas pensé, je suis simplement parti la rejoindre pour me foutre à poil et la laissermassacrer une toile. Tout ça parce que je l’aimais… je l’aimais plus qu’elle ne le méritait, mais ça,

je ne m’en suis rendu compte qu’après.

Chapitre 9Savoir

2016,Hawaï, Toujours pas de nouvelles du continent depuis mon arrivée il y a un mois environ. J’essaye de meconvaincre que sans nouvelles égale forcément des bonnes nouvelles, mais j’en doute. J’ai quitté lepays sous la menace d’une Guerre. Je sais que ce silence radio ne laisse rien présager de bon mêmesi cela fait partie de nos prérogatives.Je connais Decease, c’est notre façon de faire. Je dois me contenter de notre vécu pour gérer lesprochaines semaines si ce n’est les mois à venir. Être à Hawaï nous coupe du monde entier. Personnene viendrait voir ce qui se passe sur la petite île perdue en plein Pacifique et mon meilleur amisemble y veiller.S’il ne me donne pas de nouvelles, c’est évidemment pour nous protéger. Voilà ce que j’en ai déduitla nuit dernière, alors depuis, j’ai coupé les communications, noté les numéros importants et balancémon téléphone à la mer, même en étant relié à une ligne sécurisée, je préfère prendre la menace ausérieux maintenant que mes doutes semblent s’être confirmés.Nous voilà seuls, Mary et moi, coupés des continents, coupés de la Guerre, coupés de tout… sauf dece qui se passe dans la maison jaune sur la plage.Depuis notre interlude nocturne sur la plage, Mary est devenue plus… rangée. Elle se fait moinsindiscrète et fait en sorte que nous nous croisons moins. Je commence à penser que je l’ai blessée.Tant pis, c’était pour son bien. L’empathe en elle aurait dû sentir le pourquoi de mon comportement.Visiblement la petite sorcière se laisse plus facilement emporter qu’elle ne le pensait.Depuis une bonne semaine, nous nous évitons sauf durant nos six heures quotidiennes de tri dansl’immense bibliothèque. Nous avons terminé hier de classer les livres, et je dois dire qu’il étaittemps. Jamais je n’aurais cru que cela nous prendrait autant de temps. Je n’avais pas calculél’ampleur de la tâche, ni mes récentes lacunes en langues. À force de ne pas les pratiquer, les languesmortes finissent par l’être pour nous également. Mais nous sommes finalement venus à bout de 1578livres.Pour les classer, je dois le feuilleter, tenter de déchiffrer le thème du bouquin, les faire toucher àMary pour qu’à l’aide de ses pouvoirs, elle puisse me dire si ce qu’elle perçoit peut nous servir. Sic’est le cas, le livre atterrit dans le petit salon bleu. Si ça ne l’est pas, le livre va dans l’autre petitsalon, celui aux tons orange. Ensuite, il faut trier les livres retenus en fonction de leurs sujets. Je ne

comprends pas toujours ce qu’il y a de marqué, surtout lorsque les livres sont écrits dans des languesméconnues, comme celle des Spectres, des Démons ou des Sorcières. Mon côté aventurier ne cachepas sa satisfaction de découvrir des renseignements, tenus jusqu’alors « secrets » par une infimepartie de la population. Je touche de près des informations concernant une race dite « éteinte », je visavec un membre de cette Race, je mange en face d’elle, je la côtoie toute la journée et je la désire.C’est compliqué. Compliqué de dire à Mary que je ne veux qu’une relation professionnelle alors quemon corps réagit contre mon gré en sa présence. C’est une belle femme, elle a quelque chose qui meplait envers et contre tout, surtout contre mes « bonnes résolutions ». — Je l’ai trouvé ! Je sors de mes pensées et me tourne vers Mary debout entre deux montagnes de gros bouquinspoussiéreux. Elle caresse la couverture d’un gros manuscrit gris. — Senan ? Elle me cherche, je l’entends au son de sa voix.Je me relève pour qu’elle aperçoive mon reflet et fais un signe pour attirer son attention pendant queje marche vers elle. — Je vais pouvoir vous raconter avec exactitude l’histoire des Sorcières. Je pointe du doigt le gros bouquin, intrigué. J’espère que c’est le livre qu’elle m’a fait désespérémentchercher durant trois jours. — À qui a appartenu ce livre ? — À une sorcière. Ce livre regorge du souvenir où une grand-mère sorcière a raconté à sa petite-fillel’histoire de leur Race. Je soupire, soulagé. On va enfin avancer. Si j’obtiens des bases suffisantes sur le domaine dessorcières, on arrivera mieux à travailler. Mais pour ça, il fallait trouver cette espèce de « conte ».Mary ne pouvait pas faire sans, avec sa mauvaise vue et ses défauts de mémoire, la petite sorcière nevoulait pas louper des éléments importants. — Lorsque vous êtes arrivé, je vous ai expliqué qu’il existait onze clans de sorcières. — Exact, et celui qui nous intéresse est celui des Chamanes. Mary sourit, elle est contente de voir que j’ai retenu ces informations. Parfois j’ai l’impressionqu’elle croit que je me fous de tout. Or, lorsque je m’engage dans un projet, je me donne à fond,même s’il me déplait.

— Mais avant… Mary semble hésiter un peu. Je la vois caresser du bout d’un doigt la couverture usée. — Allez-y, je peux tout entendre après le rituel à poil, je lance d’une voix sarcastique. La Sorcière se fige, mal à l’aise de ce souvenir qui a légèrement dérapé. Levant le voile sur notreattirance commune que j’ai décidé de refouler pour le bien de chacun. — D’accord, alors je vais vous révéler ce que peu de gens savent à propos des sorcières. — Vous pouvez me faire confiance. Ce qui sortira de votre bouche ne sortira pas de la mienne par lasuite. Je suis bien connu pour être une tombe. Avec mon job, j’en ai entendu des choses importantes qu’ilne fallait pas dévoiler. Et elles sont toujours enfouies dans ma mémoire en sécurité. — Vous gardez ce secret, je garde les vôtres, conclut-elle. Je fronce les sourcils. Mary se contente de sourire, un peu gênée. Je me doute que certains de messecrets lui ont été révélés par le biais de ses dons. Malheureusement je ne peux rien n’y faire, si cen’est espérer qu’elle ne les mette pas sur le tapis. — J’ai confiance en vous Senan. Et moi aussi… malgré tout.Mary détourne son regard presque inefficace et se concentre sur ce qui nous intéresse. Elle inspirecomme pour se donner du courage et se lance dans une série d’explications. — Les sorcières sont plus âgées que les vampires. Je pense que personne ne saurait dire avecexactitude de quand date leur naissance. Comme vous le savez, elles ont des dons. Dès que lesvampires sont nés, elles ont commencé à se faire exterminer, exploitées pour leurs pouvoirs dedivination, ou leurs capacités sanguines. Au fil des siècles, leur nombre a diminué, et elles ont finipar se cacher dans des coins sombres et reculés des populations. Les véritables sorcières sont toutesdes femmes. Les hommes n’existent pas. Je me fige, surpris, et l’arrête en posant une main sur son épaule pour attirer son attention. Maryouvre les yeux et croise les miens. Ses pupilles sont beaucoup plus dilatées que la normale. Signequ’elle est… en communication avec le livre ou je ne sais quoi. — Vous dites que les sorciers n’existent pas ? Il n’y a que des femmes ? Mary hoche la tête en me le confirmant de vive voix.

— Les sorcières se reproduisent très rarement avec un homme d’une race extérieure. Ce qui donnedes sangs mêlés puissants, mais « handicapés ». Ils ne sont pas parfaits et souffrent souvent dehandicaps. Le mélange de sang n’est pas bon. Je note au son de sa voix une sorte de gêne. Mary Drac est l’exemple même que nos deux races nesont pas totalement compatibles. Et si sa vue laisse à désirer, le reste donne plutôt un résultat très…séduisant.Bon sang !Je tente de ne pas prêter attention à mon commentaire, et décide d’obtenir plus d’informationsconcernant ce… détail. — Comment font-elles pour se reproduire alors ? je l’interroge, perplexe. Mary se tourne vers moi pour me faire face, sa paume est toujours sur la couverture du livrelorsqu’elle me répond. — Une sorcière de pure souche, née de la communion de la femme qui la porte avec son autre moitiéd’âme qui représente le côté « masculin ». — Attendez, les sorcières ont deux… âmes ? je répète, histoire d’être certain de bien toutcomprendre. Mary m’explique que les Sorcières sont faites ainsi. Elles ont une apparence humanoïde, mais n’ontrien d’humain en réalité. Elles ont deux cœurs, deux âmes, leur sang est noir. Ce sont des êtresparticulièrement puissants. Elles le sont tellement qu’elles ont une unique forme corporelle pour lemasculin et le féminin. Un genre d’hermaphrodisme. — C’est comme ça qu’elles arrivent à procréer seules, m’explique Mary, avec patience. — Pourquoi ne le font-elles pas plus souvent dans ce cas ? Je m’assois lourdement sur la chaise à ma droite, cette histoire me donne la migraine. Je pensais queles vampires étaient déjà des êtres compliqués, c’était avant d’en apprendre plus sur les Sorcières. — Parce que ça demande une sacrée puissance de créer soi-même la vie. Les sorcières qui donnentelles-mêmes la vie sont très puissantes. Cela demande un don de soi que mes pairs n’ont pas toujours.Mais lorsqu’elles le font, la sorcière naissante sera aussi puissante que sa mère, si ce n’est plus. Je dévisage Mary longuement. J’ai du mal à visualiser tout ça. Naître sans un tiers, sans un homme,sans la communion de deux personnes qui s’aiment et qui font la démarche de donner la vie. J’ai vécuce moment, j’ai été dans le rôle d’un homme fécondant une femme, je sais ce que ça fait, d’aimer lafemme qu’on voudrait voir porter nos enfants. C’est un don de soi, un geste magnifique qui laissera

une marque de nous.Est-ce que ces femmes – sorcières – connaissent ça un jour ? Je me le demande, si le plaisir de lachair fait partie de leur existence ou bien si elles sont trop supérieures pour s’adonner à ce type depratique. — Et votre mère ? je l’interroge doucement, est-elle une sorcière issue de ce… procédé ? Ma remarque amuse la petite sorcière. Mary se mord la lèvre, en souriant, cela éclaire son visaged’une lueur qui fait réagir mon entrejambe.Cette femme est belle. — Oui d’après mon père, ma mère est née ainsi. Mais… elle voulait découvrir d’autres horizons. Donc sa remarque me confirme que les sorcières en règle générales ne baisent pas. Elles ont sansdoute raison.Mary me jette un coup d’œil intrigué, je pense qu’elle aimerait savoir ce qui trotte dans ma tête, maisc’est trop… étrange et indiscret pour en parler à voix haute.J’intime à Mary de poursuivre, elle n’hésite pas. — Les sorcières ont un pouvoir étrange avec les divinités, l’avenir n’est pas un secret. Elles peuventsentir les âmes blessées, et les apaiser. Elles peuvent connaître le passé de quelqu’un seulement en lecôtoyant. La « magie » des Sorcières est souvent en relation avec les autres religions et autresmagies. Cela les rend davantage puissantes. Elles sont naturellement belles, ont toutes la peau un peubasanée, des cheveux noirs et des yeux violets. Elles sont assez solitaires, très intelligentes etpossèdent une panoplie de pouvoirs. — Lesquels ? je l’interromps. Mary se tait quelques instants, comme pour rassembler ses idées. — Eh bien, d’après ce que j’ai pu apprendre, il y a celles qui ont des capacités de clairvoyance,d’autres contrôlent les molécules. Certaines sont sourcières, elles possèdent un contact curatif ou ontl’empathie, parfois même la psychométrie, le contrôle de la météorologie. D’autres sorcières peuventêtre dotées de la projection mentale et astrale ou bien elles ont des pouvoirs en rapport avec lanécromancie. Toutes les sorcières ont de fortes connaissances en herbologie, philtres, envoûtementset rituels. Je tique sur un terme qui ne semble pas trouver de signification dans mon esprit. Au sein du mondevampire, plusieurs membres sont dotés de pouvoirs. J’en côtoie plusieurs d’ailleurs, Dead, Decease,Trenton… Moi. Mais c’est la première fois que je rencontre un « sourcier ». — Une sourcière ?

Je sens que la pièce s’emplit de tension.Bon sang, qu’est-ce qu’elle me cache encore. — Ma réponse ne va pas vous plaire. — Il n’y a pas grand-chose qui me plait ces derniers temps, je lâche un peu sèchement. Mis à part toi.Mary joue avec la couverture grise, faisant traîner sa réponse. — Qu’est-ce que c’est une sourcière ? j’insiste pour rompre le silence. — C’est une Personne qui arrive à connaître le passé d'une autre par un simple contact. Je frissonne, c’est donc logique les choses qu’elle sait sur moi. Elle les a sus en me touchant.Étrangement, je ne ressens pas de colère, seulement… de la déception de ne pas pouvoir combattrece type d’élément avec mes propres armes.Je sens le regard violet de Mary sur moi. Elle cherche ses mots pour s’excuser ou pour m’expliquerqu’elle ne le fait pas exprès. Je le sais tout ça, et je n’ai pas envie de l’entendre. Alors je me dépêchede renchérir. — Et qu’est-ce qui attire les vampires selon vous ? — Le sang. Évidemment. — Les sorcières ont un sang particulier. Plus… doux et meilleur que le sang humain. D’après monpère, il serait aphrodisiaque. Quelques gouttes suffiraient à provoquer l’extase chez n’importe quelêtre. C’est pire qu’une drogue. Mon père me racontait qu’il lui était très difficile de s’arrêterlorsqu’il commençait à boire. Mais au-delà du plaisir, le sang de sorcières est un calmant quiapaiserait les maux et calmerait les âmes blessées, tout comme le contact physique et la proximité del’une d’elles, m’explique Mary. Sa voix se fait plus douce vers la fin, comme si elle tentait de me faire passer un message. Jedétourne le regard pour contempler les piles de livres que je devrai bientôt feuilleter à nouveau. Cesexplications apportent des réponses à certaines de mes questions, comme celle du pourquoi je mesens plus… calme en sa présence. Je ne cache pas que je me sens un peu dupé et tripoté comme unpantin.Mais c’est tellement bon de ne pas souffrir. — Senan…

— D’accord, je commence à cerner le truc. C’était… très intéressant. Complètement bizarre en vérité, mais intéressant.Je tente de me concentrer sur autre chose que Mary qui s’approche de moi. Je frissonne en sentant samain se poser sur mon épaule, elle me surprend. Je devrais lui dire d’arrêter ça, mais je ne le faispas. Je lève mon visage vers le sien, et découvre de l’inquiétude. Comme une crainte de m’avoirblessé.Si elle savait… il me faut plus que quelques vérités pour me froisser. — Vous m’en voulez de vous avoir caché tout ça, n’est-ce pas ? — Ça dépend des choses que vous savez à mon sujet, je réponds d’une voix calme. — Pas tout j’en ai peur. J’entends de la déception. Elle ne devrait pas. Me connaître, c’est connaître ce qui est enfoui en moiet je ne le souhaite à personne, sorcière ou non. — Ayez peur de ce que vous savez déjà, je chuchote. Je ferme les yeux en me maudissant d’apprécier ce simple contact. Je suis bien avec Mary mis à partla raideur dans mon pantalon. J’aime ce calme qui plane en moi lorsque nous sommes dans la mêmepièce.Et même si c’est dû à ses… « pouvoirs », lorsqu’on est habitué à déguster, on savoure chaque instantde plénitude comme un bon vin. — Est-ce que diner vous ferez plaisir ? Je suis assez fatiguée de la journée, j’aimerais qu’on stoppeles recherches et qu’on reprenne tranquillement demain ou dans la semaine, car pour la suite desopérations, il va y avoir beaucoup de travail et mieux vaut être en forme. Mary Drac me tend une perche pour détendre l’atmosphère. Elle s’écarte et rompt le contact. Créantune sensation étrange dans tout mon corps que je ne saurais expliquer.Je sens bien qu’elle aimerait un peu plus de légèreté entre nous depuis la nuit sur la plage. Je devraisrefuser, et pourtant, ce n’est pas ces mots-là qui sortent. — Seulement si je vous aide. Mary esquisse un léger sourire, elle me fait signe de la précéder en chuchotant des mots que j’ai dumal à comprendre.Cette femme me surprendra sans cesse, et ça me déstabilise… tout comme j’aime ça.

***

— J’ai grandi dans les campagnes françaises en compagnie de gouvernantes et d’amis de mon père.C’était très divertissant la proximité avec la nature, les bêtes. Et le silence. Je me rappelle de cechamp près du petit cours d’eau, le bruit des lucioles la nuit. J’observe Mary me raconter son enfance avec une certaine mélancolie que je comprends. Le temps del’innocence et de l’ignorance me manque parfois. Il n’y avait que les jeux avec les copains quicomptaient, les balades et les futilités que seuls les enfants peuvent vivre et qui semblent tellementdérisoires en devenant adulte.La conversation s’est entamée toute seule. Nous avons pour la première fois depuis un mois de« colocation » cuisiné ensemble. Mary m’a fait découvrir un plat typiquement hawaïen, le LocoMoco. C’est à base de riz, de morceaux de viande hachée sur laquelle on dépose un œuf au plat.C’est simple, rapide, mais bon.Passé le malaise des premières minutes, Mary s’est mise à entamer la conversation. Me parlant de laconstruction de cette maison, des étés qu’elle a passés ici durant son « adolescence », du changementque l’ile a eu. Elle me parle également de la Guerre, de Pearl Harbor qui a bien failli détruire lamaison. Des voyages qu’elle a faits avec son père. Elle semble l’aimer plus que tout. Son présidentde père est son idole. Dès qu’elle parle de lui, elle le voit comme le grand sauveur de toute unenation. Elle a raison. Si l’Europe se porte bien aujourd’hui, c’est grâce à lui.Aldéric Drac est un homme qu’on ne peut pas détester de toute façon, il est droit, agréable, juste. Safille lui ressemble, elle a ce même don de conteur qui hypnotise la personne à l’écoute.D’habitude, je déteste entendre parler sans cesse. Faith ne parlait pas beaucoup, Queen était uneexception. Mais Mary parle autant qu’elle et ce qu’elle dit, est toujours passionnant. Je me plais àsimplement l’écouter en mangeant. C’est beaucoup mieux que la télévision. — … et puis une fois adulte, je suis partie m’exiler un peu dans les petites villes anglaises. — D’où le léger accent que vous avez parfois, je l’interromps en coupant un bout de viande. Un sourire radieux illumine son visage. — C’est exact. Mary me jette un regard étrange. Il me pénètre profondément, et vient faire tambouriner l’organe mortdans ma poitrine. La petite sorcière est peut-être aveugle, mais ses yeux violets ont un don puissantsur moi. Tout comme le fait que mes pupilles rouges ne l’effraient pas. C’est tellement rare de ne pasvoir les personnes détourner leur attention. Et je sais que ce n’est pas seulement parce qu’elle estmalvoyante. Mary n’est pas comme les autres, elle me le confirme chaque jour.Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais les mots sortent de ma bouche sans que je n’aie le temps d’yréfléchir plus sérieusement. Ils sont présents dans mon esprit depuis le début. Ils trottent dans ma têtedepuis que je sais que je vais m’occuper d’elle. Ils sont en écho avec ce que je vis au quotidiendepuis la naissance de Sawyer.

J’aurais simplement aimé avoir son don de la délicatesse. — Comment vous l’avez vécu ? — Pardon ? Je me maudis en soupirant. Mary ne cache pas sa surprise. Elle peut, c’est assez brusque de ma part. — Le fait de… J’hésite, je passe une main tremblante dans mes cheveux noirs détachés. Je me sens subitement idiotde lui avoir demandé ça. Mais la question me brûlait tellement les lèvres depuis le début.Au fond de moi, j’ai besoin de connaître son ressenti, besoin de savoir quoi faire en rapport avec lapetite fille qui n’est pas dans ma vie.Puis, la tension entre nous s’accentue, et je comprends que Mary a saisi le sens de ma question. — Le fait d’être une bâtarde issue d’un vampire et d’une sorcière ? — Laissez tomber. Je n’aurais pas dû. Mary se penche dans ma direction, et sa main vient se poser sur la mienne calleuse. Son geste mesurprend et je me fige. — Non, vous avez bien fait. Cela ne me gêne pas de répondre. Ce n’est pas un sujet tabou. Bien aucontraire, c’est une situation unique dont il faut éclaircir parfois les horizons. La petite sorcière me sourit, mais je sens malgré tout que ça la touche. J’aimerais lui répéter delaisser tomber, mais j’ai besoin de savoir ce qu’elle, elle a ressenti en vivant cette vie. — Je n’ai rien demandé Senan. Je n’ai pas demandé à naître, mais je suis là, vivante. Je suis née del’union de deux personnes qui se sont aimées, malgré certains préjugés, malgré certainsinconvénients, et barrières dans leurs vies. Mon père est tombé amoureux d’une autre femme alorsqu’il était marié, il était plutôt heureux même si sa compagne n’était pas la meilleure des épouses, ill’aimait. Mon père est un homme de paroles, de responsabilités. Lorsqu’il dit oui, il ne revient jamaisen arrière même s’il aimerait faire les choses autrement. C’est sans doute pour cela qu’il n’a jamaischerché à se battre pour ma mère. Il savait que face à ses convictions, il serait perdant. Il a résisté,longtemps d’après ce qu’il m’a raconté. Ce n’est pas qu’il aimait moins ma mère, ou qu’il m’aimaitmoins moi, il était prisonnier de deux amours envers deux femmes différentes. Et puis parfoisl’évidence est plus forte que tout. Parfois on succombe, malgré nos convictions. Parfois on tombeamoureux d’une personne qu’on ne devrait pas aimer et c’est compliqué. J’écoute la douce voix de Mary avec attention. Chacun de ses mots ont une résonnance en moi. C’esttellement juste et sincère ce qu’elle dit. Tellement vrai, que cela parait si simple. Je tente de refouler

la boule qui nait dans ma gorge et ma poitrine, mais ce n’est pas évident. C’est la première foisdepuis longtemps que j’ai une conversation à… cœur ouvert à ce sujet.La main de Mary ne quitte pas la mienne, et je me surprends à laisser glisser mon pouce sur sa peaulégèrement basanée.Nos regards sont plongés l’un dans l’autre, lorsqu’elle poursuit. — On ne devrait jamais regretter d’avoir aimé un jour, même si ça fait mal, même si c’estdouloureux, même si on ne voit que l’erreur commise, aimer c’est… ça crée de belles choses.L’amour de mes parents, bien que tabou, m’a créé moi. Et mon père ne le regrette pas. Même si jepense qu’il aurait aimé que cela se passe différemment. On ne peut pas vivre une vie à la perfection,on s’adapte face à ce que le destin nous offre. Comment je vis le fait d’être issue de l’union de deuxêtres qui se sont aimés en secret ? Je laisse échapper un léger sourire sur mon visage en voyant qu’elle anticipe toutes mes questions. Jedeviens un simple spectateur de son témoignage et d’un côté, j’apprécie de n’avoir pas àl’interrompre. Poser des questions viendrait à me dévoiler, et je sais déjà que Mary a compris que cesujet me concernait personnellement. — Je le vis Senan. Je vis. Je ne dis pas que c’est simple tous les jours, je ne dis pas que jen’aimerais pas que mon père avoue à sa femme qu’il a une fille de plus de deux cents ans. Parfoisj’aimerais lever le mystère qui plane autour de mon existence. Mais c’est notre jardin secret. Lorsquemon père vient me voir, lorsqu’il m’accorde son temps libre, si rare ces derniers temps, il n’y a quemoi qui compte. Le reste, sa femme, ses responsabilités, il n’y a plus rien qui compte. J’ai unerelation que je n’aurai jamais avec un autre, et qu’aucun autre n’aura avec lui puisqu’il n’aura jamaisd’autres enfants. J’ai toujours connu ça, je ne peux pas manquer de ce que je n’ai jamais vécu. Maiscela ne m’empêche pas de rêver de choses que je n’ai pas connues. C’est mon éternelle question, savoir ce que j’aimerais faire avec Sawyer plus tard. C’est ma fille, lachair de ma chair, le sang de mon sang. J’ai envie d’être dans sa vie. Envie de partager des tas dechoses avec elle, c’est ce que j’aurais pu faire, si les circonstances n’avaient pas été les mêmes.Malheureusement, nos vies ne sont pas propices à réaliser mes souhaits. Je suis le salopard qui adétruit une famille et qui ne doit rien réclamer… et pourtant, ce besoin d’être proche de cette part demoi me bouffe. Ça me ronge de savoir que jamais elle ne saura que je suis son père. Ça me ronge desavoir qu’elle ne comprendra pas des tas de choses. Ça me ronge de ne pas pouvoir assumercomplètement. Et ça me détruit d’être conscient du lourd secret qu’elle va porter sur ses épaules sansmême sans rendre compte. Tout ça par ma faute.Je vois dans le regard de Mary qu’elle a compris que j’étais en pleine introspection. Sa main n’a pasquitté la mienne et j’apprécie ce contact, aussi simple qu’il soit. C’est… puissant. Ça crée des chosespuissantes en moi. — Est-ce que vous auriez aimé ne jamais savoir ? je demande d’une voix rauque. — Que mon père était Aldéric Drac et ma mère une Sorcière ?

— Oui. Mary hésite quelques secondes, sans doute pour réfléchir à la bonne réponse ; — Je n’ai jamais connu ma mère et je reconnais que je regrette de ne pas savoir certaines choses àmon sujet. Mais j’ai appris à vivre avec ces lacunes en espérant qu’un jour, quelqu’un viendrait lescombler. Mais vous savez, je pense que nous ne sommes jamais à l’abri d’un coup de foudre. J’esquisse un léger sourire. — Non, je suis sérieuse. Et à cet instant, à l’intensité de son regard, je sais qu’elle se doute de quelque chose. — J’ai… — Je sais Senan. Je sais. Je secoue la tête, non, elle ne sait pas tout. Elle a sans doute deviné des choses, mais pas la totalitéde l’histoire. — Non vous ne savez pas tous. — Vous avez un enfant issu d’une relation qui n’aurait pas dû naître ? renchérit Mary doucement. Dit à voix haute, cela prend toujours une ampleur différente. Je suis père… mais je n’ai pasl’impression de l’être, et c’est douloureux. — Je suis le père biologique d’un enfant qui a déjà des parents, je murmure pour moi-même. — Vous êtes son père, me corrige Mary. — Je ne l’élèverai pas. Je ne serai pas son père à mes yeux. Je ne suis que le géniteur, IL sera sonpère. C’est lui qui la verra grandir… C’est Deryck qui l’aimera comme j’aurais dû l’aimer.Je détourne le regard en fermant les yeux. Priant silencieusement que la douleur cuisante dans mapoitrine cesse. Je ne veux pas me montrer aussi… à découvert devant Mary.C’est trop tard malheureusement. —Comment s’appelle cet enfant ?

— Sawyer, et c’est une petite fille. — C’est un très joli prénom. Il l’est, même si je ne l’ai pas choisi.Je me sens à découvert, et j’ai une envie dingue de prendre la fuite. Mais la main de Mary m’endissuade. Elle dégage quelque chose de rassurant qui me fige. — Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça, j’avoue stupidement. — Parce que vous y pensez. Parce que vous vivez depuis plus d’un mois en compagnie d’une femmequi est à cette place. Je sais ce que ça fait d’être considéré comme la bâtarde aux yeux de ceux quisavent. Je sais comment on vit ces choses. Je sais, et c’est ce qui vous manque. Un avis de quelqu’unqui a vécu tout ça. Les choses sont bien faites, Senan. Si nos chemins se sont croisés, ce n’est paspour rien. Notre collaboration peut être davantage. Et si une fois dans ma vie de sorcière vampire, jepeux aider quelqu’un qui le mérite, alors je veux le faire. Laissez-moi faire. Nous méritons tous uneseconde chance. Nous méritons tous d’être pardonnés, et de se pardonner. Et pour cela, il faut parfoisaccepter la main que nous tend une tierce personne. Mary serre sa prise sur ma main. La tension de la salle à manger devient de plus en plus pesante. Jesens le danger. Celui du désir et de la fine barrière entre nous. Les risques sont tellement grands detomber dans une histoire qui se finirait forcément mal. Elles finissent toujours ainsi avec moi, maisMary… elle crée en moi des sentiments que je ne suis pas apte à gérer. Je suis submergé par sa façond’être, de se comporter, par tellement de choses en vérité. — Je ne deviendrai peut-être jamais ton amie, peut-être que tu finiras par me détester d’être si rentre-dedans, de vouloir à tout prix t’aider, mais la souffrance, c’est un sentiment que je connais. Un jour tuseras prêt à en parler. Crois-moi, même dans la pire des obscurités, avec de l’aide, on arrive toujoursà remonter vers la lumière. C’est donnant-donnant. Tu m’aides, alors je compte t’aider, que tu soisd’accord ou non cette fois. Mais après ce soir, ne me rejette pas. Le silence. Nos regards uniques se défient l’un l’autre, c’est étrange ce qu’il se passe en cet instant.Comme une claque, je vois l’évidence se dessiner sous mes yeux. Et à ma façon, sans besoin d’unegrande réflexion comme si mon être savait, je lâche le dernier cadenas qui la repoussait à ce niveau-là. — Tu n’as donc pas lâché l’affaire, je me contente de dire. On en revient au tu, et c’est subitement moins… désagréable. — Jamais. J’ai compris à la minute où nos deux mains se sont serrées pour se saluer que tu auraisbesoin de moi, autant que j’aurai besoin de toi.

Je suis foutu.Je le comprends à cet instant. Mais je chasse cette idée, je chasse l’interprétation de ce regard violetaveugle qui veut tant dire.Je ne peux pas m’occuper de ça, pas maintenant même si ça déclenche en moi des sensations uniquesqui ne m’avaient pas envahi depuis très longtemps.Mary n’est pas comme les autres, c’est sûr.Et pour une fois, je ne la rejette pas. Je me surprends à accepter cette part d’elle qu’elle m’offre. Saprésence et son aide. Parce qu’il est tellement plus simple de se battre contre mes démons que contreMary Drac. Elle a ouvert une part de sa vie et je lui ai confié l’une des miennes sans vraiment levouloir.Alors, j’ai commencé à parler à mon tour, de tout, surtout de rien. Mais j’ai parlé. J’ai évité les sujetsles plus fâcheux et Mary ne s’en est pas vexée. Elle m’a écouté. Elle a soulagé sans doute une partiedes questions qu’elle se posait à mon sujet. Je lui ai dit d’où je venais, je lui ai vaguement parlé demon enfance et j’ai parlé de Queen, du début de notre relation. Je ne suis pas non plus rentré dans lesdétails, je ne suis pas aussi bavard que la Française.Ce fut bref, mais ce fut bien. Pour la première fois depuis des mois, je n’ai pensé à rien d’autre, qu’àcette femme en face de moi qui ne m’a pas jugé, qui ne me jugera pas. Qui comprend et qui apportecette oreille attentive que je pensais ne plus jamais connaître chez quelqu’un.J’aimerais détester Mary Drac pour sa persévérance, pour son franc-parler et pour cette facilitéqu’elle a de cerner les gens. J’aimerais vraiment la détester d’être cette personne-là, incarnant lagentillesse, et créant en moi, des sentiments qui vont au-delà de la sympathie, mais je ne peux pas.Cette femme n’est pas comme toutes les autres, elle n’est pas comme Crescentia, elle n’est pascomme Queen, elle est beaucoup plus forte. Elle s’est forgée à travers les siècles grâce à sa proprehistoire. C’est un roc d’une douceur qui me touche plus que je ne le voudrais. Et je n’arrive pas àrésister. Je n’arrive pas à la rejeter, à rejeter son aide. Non, je n’y arrive plus.Je sens que j’en ai besoin. Besoin de saisir la main qu’on me tend. Besoin d’une tierce personne pouraffronter des blessures qui auraient dû cicatriser depuis longtemps. Et tant pis si je n’ai pas lacertitude de ne pas déraper et de recommencer un cycle infernal. Mary n’est pas comme les autres, etpeut-être que je ne me comporterai pas comme avec les autres.On peut devenir amis, ou peut être plus, je ne sais pas. Mais ce que je sais à cet instant, c’est quenous sommes deux individus apportant de l’aide à l’autre et c’est tout ce qui compte pour le moment.

Chapitre 10Une Lecture Atypique

Deux mois plus tardHawaï, Nous sommes en mai. Il n’y a pas eu de véritables différences depuis mon arrivée, le temps esttoujours le même, la chaleur est toujours étouffante et l’étau se resserre entre ma raison et mespulsions.La proximité avec Mary n’a pas aidé, notre choix non plus. La laisser s’approcher davantage m’a faitsérieusement travailler mon sens du contrôle.Ce n’est pas facile d’accepter l’aide de quelqu’un lorsqu’on a toujours été réfractaire à cette idée.Alors j’essaye petit à petit de m’habituer à ça. À cette aide gratuite que Mary m’offre sans véritablecontrepartie.Avec Mary, une fois que vous avez donné votre parole, rien ne peut vous faire revenir en arrière. Lademi-vampire prend son rôle très à cœur et je commence à me demander qui doit veiller sur qui.Mon boulot de garde du corps reste assez monotone, l’île est assez peu visitée, le quartier surtout. Àcroire que la mention « baraque habitée par des vampires » est inscrite sur la boite aux lettres. Pasl’ombre d’un vampire Russe, d’un espion, ou encore moins d’un dingue. Ça manque d’action sur l’île,mais je ne vais pas me plaindre. Je préfère ce silence radio de la part du continent. Mieux vaut êtremort aux yeux de tous que bien vivant et poursuivi par des ennemis. Nous avons déjà donné dans cettecatégorie-là avec Decease et c’est loin d’être pratique à gérer.Depuis trois semaines, j’ai recommencé à boire du sang régulièrement. D’après ma « colocataire »,j’avais fait la grève de l’hémoglobine. Je n’ai pas soulevé. À vrai dire, j’ai vite compris que discuteravec Mary Drac s’avérait inutile, elle arrive toujours à ses fins. Mais il est vrai qu’elle n’avait pastort. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point le sang m’avait manqué. C’est une véritable droguemeurtrière.L’avantage lorsqu’on est un vampire de plusieurs centaines d’années, on peut se nourrir une fois parmois sans ressentir de différence en nous. Le sang n’est qu’un moyen de se rendre plus fort et deconserver de bonnes vieilles habitudes.Mais il est vrai qu’en cas de pénurie dans l’organisme, un vampire peut mourir s’il ne s’alimente pas.La mort serait lente et douloureuse, des dizaines d’années pour entendre le dernier battement d’uncœur appartenant à un porteur de canines. C’est sans doute la pire façon de quitter cette terre avecl’exposition au soleil. Mais puisqu’il fait nuit éternellement, la question ne se pose pas.

Alors oui, peut-être que Decease avait raison, peut-être que j’étais rentré dans une phase suicidaireoù mon but était de m’affamer jusqu’à ce que la mort vienne petit à petit. J’ai eu comme un déclic queje déraillais énormément depuis des mois lorsque j’ai avalé le premier verre rempli de ce liquiderouge. Mary l’a tout de suite remarqué. Mes canines se sont allongées et je l’ai vidé d’un trait commeun assoiffé devant une source d’eau en plein désert.La Sorcière n’a rien dit, elle s’est contentée de me tendre une nouvelle poche de sang d’une maintremblante. Je ne doute pas qu’elle ait compris à cet instant ce qui se tramait en moi et dont je n’étaispas véritablement conscient.À vrai dire, depuis que je suis loin de New York, je commence lentement à sortir la tête de l’eau. Jeredécouvre des sensations que je pensais éteintes à jamais depuis l’événement avec Queen. Le désir,la joie, et cette sensation de plénitude, le défi et la tension. La nuit, lorsque je regagne ma chambre, c’est toujours en compagnie de ce serrement à la poitrine. Jesais ce qui m’attend, je sais que les nuits seront toujours pleines de démons et que mes songesresteront ma prison. Mais le matin, lorsque la sorcière est à proximité et non à l’autre bout de lamaison, la tension accumulée et les pensées néfastes sont chassées… comme par magie. Cettesituation est surréaliste, mais elle marche. Elle marche trop bien.Et quand je pense à l’avenir, je ne cache pas que cela me rend perplexe. Je sais que cette situationn’est pas éternelle et que nous devrons un jour ou l’autre retourner à nos vies respectives. Et ce jour-là ? Je me demande ce que je vais faire.Mary est devenue ce calmant indispensable. Une dose de drogue capable de calmer n’importe quelsmaux. C’est effrayant de voir à quel point douze semaines en sa compagnie m’ont… apaisé.Plus nos liens semblent se tisser et plus cela semble se renforcer. Et ça m’effraie. Je ne veux pas êtredépendant physiquement de quelqu’un, surtout pas d’une femme. Pas après Cressie, encore moinsdepuis Queen.Mais c’est plus fort que ma raison. Mes instincts de survie et de mâle sont en éveil en sa présence.Mon âme se rend compte du bien-être que la sorcière empathe lui apporte. Je ne peux pas me battrecontre moi-même et contre mon passé. Il faut choisir ses ennemis si l’on veut les combattre un jour.Alors j’essaye de mon mieux de remplir la part de notre marché. Je ne suis pas facile. Je me demandemême comment Mary n’a pas craqué. Je ne lui rends pas la tâche aisée, je ne m’ouvre pas souvent. Etmis à part quelques anecdotes, elle ne saurait quasiment rien de moi si elle s’en tenait à ce qui sort dema bouche.Heureusement pour elle, ses pouvoirs de sorcières l’aident à combler ce manque. Une faculté quicontinue de me laisser tendu. Ne pas savoir ce dont elle a connaissance est stressant. Mais MaryDrac est Mary et jamais je n’aurais cru avoir confiance en une « inconnue ».Parce que je sais qu’un jour, les secrets sortiront d’eux-mêmes. Je croiserai le regard malvoyant decette femme aux cheveux noirs et je lui dirai tout. Mais pas aujourd’hui, pas encore. — Je crois que je suis tombé sur un truc, je lance d’une voix enrouée. Je fais craquer ma nuque en soupirant. Mes paupières sont lourdes et mon cou raide. Je ne pensaispas que la lecture serait un exercice aussi monotone et douloureux. Je suis habitué à bouger et vivred’action. Faire marcher mes neurones centenaires n’était pas un objectif principal dans ma formation.Mais ça fait partie du deal avec la petite sorcière, alors je m’applique à en faire autant qu’elle en fait

pour moi et ça depuis deux mois.Nous avons commencé la phase de « lecture » des manuscrits. Nous nous sommes divisé la tâche, etsi Mary ne peut pas lire à cause de sa vue, avec ses dons, elle lit avec ses mains. Avec une rapiditéagaçante. Elle n’a pas besoin de décortiquer les mots et les langues puisqu’elle voit dans sa têtel’histoire du livre et de ses propriétaires. Il faut juste qu’elle fasse le tri. — Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-elle. Je jette un coup d’œil à Mary qui me dévisage, assise en face de moi. Ses yeux trouvent toujours lesmiens, et à chaque fois, je jurerais qu’elle me voit aussi clairement que je la vois elle.Plus je la côtoie et moins j’arrive à nier que cette demi-vampire ne me plait pas. Physiquement, ellerespire la féminité, l’épanouissement. Ses cheveux noirs donnent envie de jouer avec durant desheures. Et ses pupilles violettes, bon sang cette couleur mélangée à son sourire, ça me fait bander. Çam’électrise d’une façon incompréhensible.Je secoue la tête pour me remettre les idées en place et me mets à chercher la réponse à sa question,un peu hésitant. — D’après ce que je comprends, c’est du latin, une traduction d’un livre écrit en hawaïen. Ce livredate de 1794. Je tourne la page et tombe sur une note d’avant-propos. — De ce que j’en comprends, l’auteur du livre aurait recopié plusieurs carnets contenant desinformations sur les Chamanes et y aurait rajouté des réflexions personnelles. — C’est-à-dire ? poursuit Mary, en fronçant les sourcils, perplexe de mes informations. Visiblement la petite sorcière n’a pas compris l’importance du livre entre mes mains dans notrerecherche des Sorcières Chamanes. — C’est comme si l’auteur avait retranscrit des carnets intimes, je l’informe. — Des carnets intimes de sorcières ? J’entends au son de sa voix, une lueur d’espoir. — D’une apparemment et il a rajouté ses pensées à lui. Enfin d’après ce que je comprends de l’édito. Ça ressemble plus à une mise en garde, comme sil’auteur avait couché sur du papier, ses pires secrets et ses découvertes et qu’il tentait de dissuader lelecteur. Je me demande ce que ce pauvre type a vécu pour écrire une page d’intro aussi…dissuasive : « … Vous ne serez plus jamais le même, vous ne verrez plus le monde de la mêmemanière après la lecture de ce livre. Cher lecteur, réfléchissez bien si vous souhaitez entrer dans le

clan des fous, ou rester dans celui des ignorants. » — Tu n’as pas un nom ? me demande Mary, impatiente. Je ne m’étais pas rendu compte qu’elle était à ce point intriguée. — Si attends… Je tourne les pages pour trouver une signature. Je la trouve inscrite tout en bas de la première page,écrit si petit, comme si l’auteur voulait ça discret. — D’après J.-C.J, je réponds d’un ton calme. — C’est tout ? — Oui, il n’y a que des initiales, tu t’attendais à quoi ? À ce qu’une sorcière Chamanes ait rédigéeune sorte d’autobiographie ? je l’interroge un peu sarcastiquement. Il faut dire qu’après être tombé sur une biographie d’un démon un peu névrosé parlant de ses mille etune conquêtes, on peut s’attendre à tout. Mais cela aurait été beaucoup trop simple. — Et l’ouvrage se nomme ? Mary clôt le sujet rapidement en prenant un air un peu pincé qui m’amuse, comme si ma réflexionl’avait agacée. — Les Chamanes, Histoire et Légendes de ces Sorcières cachées sur l’île de beauté, je réponds. — C’est le titre ? — Oui, je confirme. La petite sorcière se fige en dévisageant le vide. Elle secoue la tête en marmonnant quelque choseque je ne comprends pas. À coup sûr, elle ne me croit pas. — Tu viens de l’inventer. — Non, c’est comme ça que le livre s’appelle, j’insiste. — Tu as fait une mauvaise traduction, alors, déclare-t-elle en souriant. OK, j’ai compris, elle me cherche.

— Je sais lire, je te rappelle, je lance sèchement. — Moi aussi à une époque, et maintenant je ne sais même plus lire une recette de cuisine imprimée en20. Je jure en entendant cette blague de mauvais goût sur sa cécité. Mary garde beaucoup d’humour à cesujet, et parfois, il est difficile de ne pas rire. — Alors, fais-moi confiance. Je te dis que le livre s’appelle ainsi et que son auteur n’est d’autresqu’un certain J.C.J. Mary soupire en faisant un signe de la main comme quoi la conversation est close. Elle a tort, et ellene le supporte pas. Ce qui est assez rare et amusant. D’habitude, elle est plus tenace. — Qu’est-ce que le livre raconte ? se contente-t-elle de me demander. — Je pense qu’il faut que je le lise en détail. Il semble y avoir une tonne d’informations… Je feuillette le manuscrit avec attention, il y a des croquis, des petites annotations, des chapitresspéciaux, des pages entières de récits. C’est assez brouillon, mais cela semble regorger d’infos. Detoute façon, après le Guide complet des Races, je peux tout lire.Je me fige en tombant sur des dessins plus… sophistiqués.Ce type n’était pas seulement une connaissance d’une Sorcière, visiblement, il a eu la « chance »d’apercevoir un cadavre de l’une d’elle de plus près et semble livrer des détails sur leur physiologie.Je n’ose imaginer ce qu’il a dû faire d’autre au nom de la science.Je jette un coup d’œil à Mary qui continue de m’observer à sa façon, en pianotant avec ses doigts surla table en verre de la bibliothèque. — Laisse-moi le toucher, je vais peut-être avoir des informations plus rapidement… — Non. Hors de question qu’elle le touche si c’est pour voir des horreurs. Les miennes doivent amplement luisuffire. — Senan donne-moi ce livre s’il te plait, me demande Mary d’un ton autoritaire. Je le ferme et le repousse de l’autre côté de la table pour que Mary ne l’attrape pas. J’y empile mêmeplusieurs livres pour le dissimuler.Mon comportement semble énerver ma partenaire. — C’est agaçant ! murmure Mary en s’appuyant sur son fauteuil type Louis XV.

— De quoi ? — De ne pas voir. Je suis certaine que tu me caches quelque chose. Je ne réponds rien et me contente de hausser les épaules. Le silence est parfois la meilleure desréponses. — Tu n’as qu’à poser une main sur moi pour savoir ce que je ressens. Pourquoi tu ne le fais pas si çat’agace autant ? je la nargue assez froidement. Mary lève les yeux au ciel pour me montrer à quel point ma remarque est stupide. — Parce que je commence à croire que tu fais ça dans l’unique but de me protéger. Tu respiresl’instinct de protection. Comme si tu voulais me conserver à l’abri d’une mauvaise nouvelle. Qu’est-ce que tu as lu dans ce livre qui te rend si mystérieux ? — Rien. — Ne mens pas, je sais que tu as lu quelque chose qui ne t’a pas plu. Parle m’en, je jugerai moi-même de l’étendue de l’information. — Non, je répète toujours aussi froidement. — C’est comment ? Je suis surpris de sa question qui ne semble avoir aucun rapport avec la conversation. — De ? — D’être toujours contraint d’afficher un masque de pierre. Ça c’est fait.Je ne réponds rien face à sa remarque, petite vengeance personnelle de sa part.Pour avoir la paix, je décide de lui en révéler un peu. — OK, je pense que le type qui a recopié les carnets et inscrit son histoire auprès des Chamanes n’apas fait que des bonnes actions. Je pense qu’il a participé à une extermination d’indigènes. Si ce n’est plus. — Et tu penses qu’elles sont toutes mortes ? — Non, je pense qu’en tant qu’empathe, toucher ce livre ne t’apportera rien de bon.

Mary pousse un bruyant soupir. Ma réflexion n’a pas dû lui plaire. — Je sais gérer ce type de choses. Tu crois que tous les livres que j’ai caressé ces deux derniersmois ne renfermaient pas leurs lots de souffrances ? Je refoule rapidement les images qui envahissent mon esprit. Lorsque je la voyais passer la paume desa main sur chacune des centaines de couvertures de livres, comme lorsqu’on caresse la peau d’unefemme, mon sexe se mettait au garde-à-vous, et désirer éperdument que cette main délicate toucheautre chose que du cuir tanné. — Je n’ai jamais dit ça, je réponds en croisant les bras. — Alors, laisse-moi jeter un coup d’œil à ce livre. Un silence s’installe entre nous. Je la maudis, elle et ses blagues foireuses. Elle me fait penser àDecease parfois.Mary éclate de rire et je me surprends à sourire pour ne pas faire de même. — Tu souris, déclare-t-elle. Je ne réponds pas. — Oui, tu souris, sinon tu m’aurais dit le contraire. — Je ne souris pas, je grogne. — L’ambiance de la pièce s’est changée lorsque j’ai dit ça. Ma remarque t’a amusé. Mary se lève de sa chaise, contourne la table et s’approche de la mienne. Je la regarde faire, figé. Nesachant pas trop quoi faire, je reste assis comme un con. Je me demande ce que Mary va faire… — Bon maintenant tu vas… J’ai à peine le temps de voir qu’elle va trébucher sur une pile de livres qui traîne qu’elle se prendles pieds dedans et tombe la tête la première.Je me lève pour la ramasser et la remettre sur ses deux pieds. La petite sorcière rit de bon cœur enjurant. Elle se débat pour le faire seule, mais Mary semble un peu désorientée. Tomber lui arrivequelquefois, si son périmètre de sécurité est entaché par un objet inattendu que sa mauvaise vue nepeut pas voir. — Je te préviens, si tu me dis « tu ne peux pas regarder où tu marches », je me débrouille pourt’arracher les couilles.

— C’est toi qui fais de l’humour stupide, pas moi. — Non, toi tu te contentes d’être un glaçon. Je ne soulève pas et me contente de la soulever elle. Mais Mary est têtue, elle tente d’échapper à maprise et nous fait trébucher tous les deux sur mon siège. Mon dos tape contre l’accoudoir, je sers decoussin à cette femme qui vient se blottir maladroitement contre moi.Elle s’étale sur la table en glissant encore sur un livre, faisant tomber une pile au sol. Cette femme estun ouragan.Je reste figé comme un con, les mains en l’air, ne sachant pas quoi faire ni où les poser. Mary elle, nebouge pas. Elle reste contre mon torse.Le silence revient, fini les rires et les vannes, juste le silence. — Tu avais raison. — Quoi donc ? je chuchote d’une voix rauque. Elle est trop près. — Le livre. Il semble renfermer des secrets très sombres. Tu l’as touché, et je sens encore le poidsque cet objet porte. Il y a beaucoup de remords dans l’écriture de son auteur. — Nous devrions bien nous entendre lui et moi dans ce cas. Mary fronce les sourcils et je jurerais qu’elle me foudroie du regard, visiblement insatisfaite de maremarque.Pourtant c’est la vérité, deux âmes blessées se comprennent facilement. C’est indéniable. — C’est comment ? — De ? — De ne jamais connaître la paix ? Je jure en posant les mains sur Mary pour l’aider à se redresser. Mais la Sorcière arrive à atterrir, jene sais pas comment sur la table. Ses jambes sont à présent étalées sur les miennes, et nos deuxvisages sont proches l’un de l’autre. — Pas en ta présence, j’avoue sans vraiment réfléchir. — Je sers à quelque chose, me confie-t-elle.

Si elle savait… — Ce sera différent après. — Après quoi ? me questionne Mary. Je déglutis avec difficulté, sentant un poids inhabituel en sa présence surgir. L’ambiance tendue de lapièce s’accentue et dévie sur une tension semblable à la nuit où je l’ai retrouvée nue sur la plage.Reste calme, Sen. — Après tout ça. Lorsque nous aurons chacun rempli la part de ce contrat fictif. Mon devoir de gardedu corps, mon devoir de compagnon de Traque, j’explique. Mary se penche vers moi. Je sens son souffle sur mon visage. Est-ce qu’elle se rend compte de l’effetqu’elle fait naître en moi ? — Tu as raison, ce sera… différent. Difficile même. Je ferme les yeux en sentant un pincement qui ne devrait pas être là dans ma poitrine. Je le chasserapidement. De toutes mes forces. C’est hors de question. — Il le faudra pourtant, ça ne pourrait pas perdurer en dehors de ces murs, je lance d’une voixhésitante. Mary sourit légèrement et si elle ne voit pas la confusion en moi, je ne doute pas qu’elle doit lesentir. — Tout à fait. Mais tu ne partiras pas d’ici avant d’aller mieux. Je soupire. — Mary… je ne suis pas malade. Je suis seulement… — Abimé. Je me fige en sentant ses doigts jouer avec ma petite queue de cheval, qu’elle détache la seconded’après. Mes cheveux noirs tombent sur mes épaules. Je dois ressembler à un pirate avec ma gueulede casse-cou, ma barbe de quelques jours et la coupe de cheveux. — Je les préfère détachés, me confie Mary d’un ton chaleureux. Elles les préféraient également détachés.

— Alors tu ne repartiras pas d’ici avant d’avoir été recollé, conclut la belle sorcière en souriant. Je ne détache pas mon regard du sien. Mary ne m’observe pas, elle a les yeux fermés, c’est comme sielle voyait des choses en jouant avec les mèches de mes cheveux noirs.Cette situation est… étrange. Cela fait deux mois que nous n’avons pas été aussi proches. Je gardaismes distances, et Mary se contentait de ce que nous avions dit. Mais là… c’est inattendu. Tellementque mon cerveau s’est déconnecté. Je me surprends à apprécier ce contact intime qui réveille dessensations disparues depuis longtemps.Bon sang, si Mary se rendait compte de ce qu’elle fait naître en moi. — Je me demande… Mary m’interrompt dans la foulée. Ses doigts se posent sur ma bouche pour me faire taire. — Tu en vaux la peine Senan Zederman. Tu vaux la peine qu’une femme te donne de son temps pourt’aider, puisque tu fais de même. Aucune âme ne devrait demeurer en peine pour l’éternité. Il faut lessoigner, prendre le temps qu’il faut pour les guérir et leur apprendre à se pardonner. Tu sais que j’airaison, et si tu étais moins renfermé, peut-être que tu pourrais connaître quand je ne suis pas là, lemême calme qu’en ma présence. C’est loin d’être gagné. Avant elle et même en étant proche de Queen, je ne ressentais pas ça.Pourtant… — Je ne veux pas que tu sois une solution sur le long terme Mary, je lui avoue en appuyant mon frontcontre le sien. — Je ne suis pas une solution sur le long terme, Senan et tu le sais. Même si elle aimerait. Je le sais. Il y a quelque chose en moi qui l’intrigue et lui plait, autant qu’ellem’attire.Mary vient se glisser sur mes genoux, je ne la repousse pas. Je pense qu’à cet instant, je luttesuffisamment pour ne pas franchir le dernier pas. Celui qui me pousserait à lui relever sa robe verteet la prendre sur cette table comme un dingue. — Bien que je… pourrais. — Je ne veux pas de ça non plus, et tu le sais, je chuchote doucement. — Je sais… Son odeur de fleur de tiaré m’envahit. Bon sang, cette femme va me rendre fou. Mes crocs rêvent devenir se planter dans ce cou, où bat une magnifique carotide.

— Non. — Bien sûr que si, je sais dans quoi tu ne veux pas te lancer. Mais ne crois pas que tu succombes àchacune des femmes que l’on met sous ta garde. Tu as fait une erreur une fois, tu ne l’as pas fait àchaque fois, m’explique-t-elle. Sa main repart dans mes cheveux, son visage se rapproche du mien. Je sens mon cœur battre plus vitedans ma poitrine, mon entrejambe réagir.Bon sang. — Comment se fait-il que tu sois à ce point aveugle alors que la malvoyante c’est moi. Pas besoin d’un dictionnaire pour comprendre le sous-entendu. Je sais très bien ce que Mary veutdire. Je le sais, je le sens. C’est indéniable l’attirance qu’il y a entre nous. J’ai essayé de garder mesdistances malgré notre choix de s’aider mutuellement. Mais c’est difficile.Parfois il serait si simple de tout oublier, de laisser libre cours à ces sentiments.Je me rends compte que nos lèvres ne sont qu’à quelques centimètres de se retrouver à nouveau. Sarespiration se mélange à la mienne. Je sens l’excitation du désir qui nous est propre nous envahiravec force. C’est si violent. Je vois même ses canines s’allonger.Elle me veut comme je suis et c’est… trop difficile d’accepter de la mêler à ça. — Lis vite ce livre Senan, qu’on puisse passer à la vitesse supérieure. La sorcière se lève de mes genoux, en prenant soin d’avoir un équilibre stable avant de retirer lamain de mon épaule.Elle a compris, sans que je n’aie besoin de le dire, elle l’a senti. — Je vais aller faire à manger, je te laisse vaquer à tes occupations, puisque parler ne te tente pas. Je ne tente même pas de discuter. Je la laisse quitter la pièce. J’aurai pu faire une remarque face à safaçon de marcher pour éviter de trébucher à nouveau entre les piles de livres et de documents quitraînent sur le chemin de la porte de la bibliothèque, mais je m’abstiens.Je sens bien que mon comportement à la repousser encore la blesse. Mais je ne peux pas luipermettre de s’approcher de trop près, pour elle, comme pour moi, malgré notre « accord ».Accepter qu’elle m’aide est déjà un pas de géant, le reste est plus complexe à gérer pour moi.Relâcher un peu de lest est compliqué.D’après Mary, il ne suffit pas d’une seule conversation pour réussir à bander des blessures qui sontouvertes depuis des années. Il faut parler. Mais tout lui dévoiler sur un plateau me semble encoreinterdit. Mon passé est encore la seule chose que cette femme ignore sur ma personne.À chaque fois que sa main me frôle, et que nous sommes en contact, elle découvre une part de moi.Ce n’est pas fait exprès, mais c’est ce qui se produit pourtant. Et elle accepte. Je ne l’ai pas vu unefois en deux mois montrer une quelconque marque de rejet face à ce qu’elle devait voir.Je baisse les yeux vers mon entrejambe. Je jure en constatant l’ampleur des dégâts et mon incapacité

à me contenter d’une seule chose. Ça tiendrait du miracle qu’elle n’ait pas senti mon érection contresa cuisse.Mes pensées et mes actes sont en constantes contradictions. Et je me demande bien comment je vaissortir de cette expérience-là. Pas indemne, c’est sûr.

*** Les Chamanes vivent entre elles comme une meute de Loups. À la différence des autres sorcières quisont principalement isolées et seules, les Chamanes vivent tous ensemble en communauté.L’isolement n’est pas un de leur critère de vie. C’est ce qui fait leur force.À l’époque, on les situait sur l’île de Niihau. Elles la peuplaient entièrement et les autres autochtonesles laissaient vivre en paix. Leurs liens de parenté restent assez flous, mais le fait de partager lesmêmes croyances a dû les aider à se fondre dans la masse.Au fur et à mesure que je découvre l’histoire des Chamanes, j’apprends qu’elles auraient toujoursvécu sur les autres îles d’Hawaï. L’auteur de ce manuscrit parle même qu’elles avaient des ancêtresayant vécu à la même époque que les premières civilisations polynésiennes, il y a environ 2000 ansde l’an 2016. Elles ont vécu en harmonie avec les monarques locaux, les Ali’i.Les détails les plus importants les concernant datent de la découverte de l’Amérique et des îlesalentours quelques années plus tard. C’est à partir de l’an 1778, date à laquelle l’Histoire avec ungrand H a recensé la première mention des Iles, qu’on les a découvertes, elles.Il ne m’a pas fallu très longtemps pour comprendre que l’auteur de ce livre avait un rapport avec lenavigateur, explorateur et cartographe britannique, James Cook. Ce dernier a visité à plusieursreprises les îles entre 1778 et 1779. Dont il les nomma par un affreux prénom « îles Sandwich ».Mais le livre ne peut pas être de lui, puisqu’il est mort en 1779. Il se poursuit jusqu’en 1805.J.C.J serait un parent. Son fils peut-être. Mais l’ouvrage ne donne aucune information sur les auteurs.Tout est écrit à « JE », ou à « ELLE ». Il n’y a pas de prénoms, aucunes indications qui permettrait desavoir quelle sorcière précisément l’auteur de ce manuscrit a rencontré. Vu les dates, et d’après lesinformations de Mary concernant la longue longévité des membres de cette Race, cette dernière doitêtre encore en vie. Mais ça… ce serait un miracle que si nous la rencontrions.Après quelques recherches, je me suis rendu compte que l’île de Niihau était privée et qu’elleappartenait depuis 1864 à la famille Robinson. L'accès est contrôlé dans le but de protéger la culturehawaïenne. Mais depuis le Renversement des vampires, l’île n’a plus jamais fait parler d’elle. Jepense que c’est une piste que nous ne devrions pas négliger. Bien qu’en l’espace de deux siècles, leschoses aient pu changer, et les sorcières Chamanes déménager. Partir en exploration ne nous coûterarien. Si nous avons raison, nous pourrions rapidement terminer cette enquête et espérer avoir desréponses à nos questions. Si réponse les Chamanes ont. Je referme le livre en bâillant. Je viens de terminer de lire le chapitre concernant la bataille contreles indigènes. Une erreur que semble amèrement regretter l’auteur.Les Chamanes se sont coupées de la civilisation pour de bonnes raisons. Visiblement ce livre n’estpas seulement un ramassis d’informations. C’est la confession d’un homme qui est tombé amoureuxd’une femme pas comme les autres. La confession d’un homme qui a vécu des choses que personne ne

pouvait comprendre. Et cette confession va m’apprendre sans doute des tas d’autres élémentsimportants.Cet homme a fait un mauvais choix, qu’il semble regretter. Mais ce choix-là, l’a amené sur desterrains pentus, où il est difficile de faire machine arrière.Et étrangement, je le comprends.

Chapitre 11Une Bataille Sanglante

Hiver 1328Saint-Empire Germanique, Frontières entre L'État Monastique des Chevaliers Teutoniques et laPologne. Ils n’ont pas mis longtemps à arriver.Je suis parti pour l’audience avec mon père après avoir raccompagné Crescentia dans nosappartements. Ils n’avaient pas changé, ils étaient comme dans mon souvenir. Le grand lit à baldaquinrempli de fourrures de bêtes, les rideaux nous coupant du monde extérieur la nuit. Elle était toujoursaussi inquiète, je le voyais dans son regard et dans sa façon de me tenir la main comme pour me fairela demande silencieuse de ne pas la laisser.Alors je suis resté de longues minutes à ses côtés, lui racontant nos souvenirs d’enfants, luipromettant qu’à son réveil je serai à ses côtés. J’ai tenté du mieux que je pouvais de la réconforter, jen’ai jamais été très doué pour ça. C’est Cressie qui s’occupait de soulager les âmes en peine, pasmoi.Et cette nuit-là, j’ai fait comme j’ai pu. Pas grand-chose sans doute, ma présence suffisait. Je devaislui manquer, plus qu’elle ne l’admettait. Crescentia était une femme comme notre époque en laissaitrarement exister. Elle avait un fort caractère et une fierté semblable à celle d’un homme. Et jel’aimais pour ça.Je suis resté quelques minutes debout devant notre lit, à la contempler dormir comme je le faisaisfréquemment. Ma femme dormait toujours sur le côté droit, une main sous sa tête. Ses cheveux tressésdans son dos. Elle prenait toute la place dans le lit, tellement qu’au bout d’un an de vie commune, j’aicessé de compter le nombre de fois où je m’étais retrouvé par terre au beau milieu de la nuit.J’ai mémorisé chacun des traits de son visage qui n’était pas détendu malgré ma présence. Entre sagrossesse et l’inquiétude, ce n’était pas une période facile pour elle. Puis, je l’ai laissée se reposer,et je suis parti affronter la colère de mon père qui m’attendait.Ce fut comme je le craignais. Le Seigneur du Château de Magdebourg était fou de rage de voir sonfils ainé abandonner son poste sur les territoires hostiles de la guerre pour rentrer écouter des diresd’une bonne femme enceinte. Si Cressie n’avait pas eu le temps de me parler en détail des derniersévénements, j’ai mis en marche mon talent de persuasion. Effrayant mon père avec la peur de mafemme, touchant les points faibles de cet homme qui m’avait tout donné pour le forcer à réagir. Monfrère était de mon côté, il m’appuyait dans chacune de mes propositions, contredisant mon père et ses

trois conseillers. Nous devions nous préparer à la menace. Si Cressie avait raison, nous serions lesprochains dans peu de temps. Mourir était une fin qui ne me plaisait pas. Je voulais vivre, et vieillirdans une maison entourée de verdure en compagnie de ma femme et de nos petits-enfants, leurraconter tard le soir, mes épopées. Je ne voulais pas renoncer à ça.Et après une bonne heure de discussion, la nuit étant bien avancée, mon père se faisant vieux, nousavons décrété de ne prendre aucune mesure avant l’aube. À ma plus grande colère. Le temps nousétait précieux et nous le gaspillions pour un sommeil qui ne nous serait plus d’une grande utilité sinous mourions tous le lendemain. C’est ce que la guerre nous apprend, que le temps nous est compté.Et lorsque je suis sorti de cette audience pour le moins mouvementée, ils étaient là.Un simple regard donnant sur l’extérieur et nous voyions déjà les premières maisons aux alentoursdes remparts s’embraser. Je n’ai pas mis longtemps à comprendre ce qu’il se passait. Mon frère àmes côtés non plus. Nous nous sommes jeté un regard furtif, laissant passer ce message silencieuxentre nous. J’ai toujours pu communiquer avec lui en un coup d’œil. Il me comprenait et moi aussi.Je suis parti en direction des appartements privés, lui est parti alerter les gardes. Il fallait que jeprévienne ma femme et le reste de ma famille, ils sauraient quoi faire pour fuir.Le Château était réputé pour ses passages secrets et souterrains menant sur l’extérieur. L’attaquevenait du nord, ses échappatoires étaient encore praticables. Ils avaient encore une chance.Ma mère comprit à l’instant où elle me vit, mes sœurs aussi et ma femme… ma femme avait ce regardqu’on ne peut pas oublier. Elle était terrorisée et en même temps, je lisais une lueur de reproches.Elle m’a écouté, toutes mes instructions, celles que je lui avais tant de fois répétées en casd’attaque. Cressie savait ce qu’il fallait faire, à qui il fallait faire confiance et où se réfugier. Mafamille devait quitter le pays et partir vers la France le plus tôt possible. Vers de la famille qui lesmettrait en sécurité le temps que tout se calme ici.J’ai à peine eu le temps de lui dire au revoir que ma mère venait la chercher. J’étais mortd’inquiétude, il faisait si froid à cette heure et elle était enceinte, vraiment très enceinte. Qu’est-cequ’il se passerait pour elle si jamais notre enfant décidait de naître maintenant ? J’essayais d’ignorercette peur qui grandissait en moi. Mais c’était dur de tenir le rôle de l’impénétrable. Même devant safemme.Crescentia m’a murmuré un « je t’aime » silencieux, seules ses lèvres ont remué. Et l’instant s’estfigé. Il n’y avait plus que son regard plongé dans le mien, et ce lien étrange qui nous a toujours unis.Je sentais l’amour qu’elle me portait à travers son regard inquiet. Elle me donnait la force et lecourage de survivre à cette nuit. Et c’était tout ce dont j’avais besoin.Je me suis rapidement armé, j’ai enfilé une cote de mailles, et pris mon épée pour rejoindre mon frèredans la cour, avec le peu de soldats présents.Il faisait si froid. L’air gela mes poumons lorsque je franchis les portes de l’enceinte du Château. Jene pouvais pas me vêtir comme un Seigneur pour combattre, je n’aurais pas été libre dans mesmouvements. Je devais penser à ma survie, même si mourir d’hypothermie ne me tentait guère. Jen’avais pas le choix, nous ne l’avions plus. Il fallait agir et réfléchir vite pour tenter de sauverMagdebourg. De plus, je n’avais pas mon armure au complet. Elle était restée sur le champ debataille.J’ai rejoint mon frère et les hommes, deux centaines environ dans la grande cour, devant le pont-levis. Le ciel étoilé avait pris une allure orangée fumante des feux nous entourant. Les archers postésen hauteur nous décrivaient l’horreur. Mais l’horreur est une chose variable en fonction des gens.

Pour prendre conscience du danger, il faut le voir soi-même. Et jamais je n’aurais cru voir ça un jour.Après plusieurs mois en plein cœur d’une bataille, ce que j’avais sous les yeux ne ressemblait à riende ce que j’avais connu auparavant.Ils étaient des centaines, si ce n’est des milliers. Une vraie armée marchait droit vers nous. C’étaitimpossible. Même dans nos pires cauchemars d’enfants, un tel scénario ne se produisait pas. Lessoldats ne semblaient pas être à cheval, mais à pied. On aurait dit des loups sauvages tellement ilsétaient rapides dans leur pas. Des hurlements retentissaient chez les paysans qui n’habitaient pas dansl’enceinte du Château. Ils les massacraient tous sur leur passage. J’essayais d’apercevoir unebannière ou un quelconque signe nous permettant de les identifier, mais rien. Ils semblaient arriverdroit sur nous, en anonymes, comme la Mort bien décidée à nous prendre.Et la peur, une peur insurmontable m’envahit. J’avais beau être Senan, fils du Seigneur deMagdebourg, un homme courageux et vaillant, je n’étais pas préparé à affronter une mort si cruelle.Un sentiment étrange m’envahit, l’espace des quelques minutes où je restai inerte devant ce spectaclemacabre. Le même que lorsque j’avais effleuré du bout des doigts le fin rayon de soleil quelquesheures auparavant.Nous n’étions pas préparées à résister face à l’ennemi. Nos troupes n’étaient pas au complet, leshommes qui demeuraient dans la bâtisse n’étaient pas des chevaliers, des aguerries de l’épée. Nousavions peu de chances de gagner la bataille. Nous nous contentions seulement de faire gagner dutemps à nos proches pour fuir.Je le savais. Je l’ai su à la minute où j’ai aperçu cette foule d’êtres courant dans la vallée. Il fallaitque je me tourne vers ces courageux sacrifiés pour leur donner la force de lever leur épée et decombattre malgré tout.Et je l’ai eu. Les mots sont sortis d’eux-mêmes, le courage que ma femme m’avait donné, je leurtransmis, sous les yeux terrifiés de mon frère qui savait très bien que nous n’aurions plus jamaisl’occasion, un jour prochain, de bavarder autour d’une bière.Il savait que ce regard serait notre au revoir et il n’a pas flanché.Et nous avons attendu. Ce ne fut pas long, l’ennemi réussi à pénétrer dans l’enceinte des remparts dela ville en quelques minutes. Ils avançaient en ligne, ne laissant aucun survivant sur leur passage.Au cœur de la cour du Château, nous entendions les cris de terreur des villageois. Nous étions lesspectateurs impuissants des maisons qui partaient en fumée.Ils arrivaient vite à nous. Comme s’ils savaient qu’ils nous trouveraient là, et qu’ils espéraient fairemonter en puissance notre peur en entendant les vestiges d’un massacre nocturne réalisé en unedizaine de minutes. J’étais aveugle du carnage, mais je savais que les ruelles devaient ressembler àdes rivières de sang. Que les corps joncheraient les sols poisseux, les femmes encore vivantesserviraient de prisonnières s’ils ne les violaient pas avant, les enfants auraient la gorge tranchée avecen bruit de fond, leurs rires amusés.J’avais vu l’horreur sur les champs de bataille, je l’avais vécu en témoin, et je pensais avoir déjà toutobservé sur les champs de bataille, mais ce qui se dévoila sous mes yeux me laissa stupéfait.Lorsque les portes de la cour du Château cédèrent après une demi-heure de massacre au sein de laville, ma main agrippa fermement mon épée, prêt à tous les combattre.Un homme est un danger lorsqu’il en sa possession une épée aiguisée comme les crocs acérés d’unloup. Un homme avec de l’entraînement et un savoir-faire, est capable de tout tuer. Mais un homme nepeut rien faire, face à des êtres qui semblent invincibles.

C’était bien un rendez-vous intime avec la Mort que ces hommes venaient nous donner. Ils avaienttout d’êtres humains, mais n’en étaient pas. Ils bougeaient si vite, que combattre paraissaitimpossible.Le choc de notre rencontre fut violent, le silence dura quelques instants, avant que les bruits descorps qui se rentrent dedans et des épées qui s’entrechoquent ne résonnent. Si je devais mourir cettenuit, je voulais le faire comme un homme, l’arme à la main, couvert du sang de mes ennemis.Et malgré l’étrangeté de ces hommes, je réussis à en combattre quelques-uns. Ce furent les duels lesplus sanglants et difficiles de ma vie. Mes adversaires semblaient immortels. Mais la chose quisurprit le plus fut leurs yeux. Ils semblaient vivants, habités par des choses étranges qui brillaientdans le noir et semblaient flotter dans leurs pupilles. Mais ce qui me glaça le plus le sang fut lescanines pointues qui dépassaient de leur sourire satisfait. Pour les tuer, il fallait leur trancher la tête.Les décapiter comme un bourreau avec sa hache. Même avec une épée aiguisée et puissante, il fautbeaucoup de force pour faire cela. Et dans ce froid nocturne où la neige nous gelait les pieds, resterle plus combatif possible se révélait être un exercice difficile.Mais je n’ai pas un seul instant baissé ma garde. Les hommes tombaient un à un à mes côtés, je neflanchais pas. Je ne savais pas si mon frère faisait partie des victimes et je ne devais pas y penser. Jedevais me défendre, défendre mon chez-moi qui partait en fumée, défendre ces terres qui m’avaientvu naître et grandir.Et c’est ce que je fis.J’en avais vu des horreurs, mais pas à ce point-là. Les membres du camp ennemi se jetaient sur leurvictime, ils ne les tuaient pas à coup de lame, non, ils leur sautaient à la gorge pour leur arracher dela chair et s’abreuver de leur sang.Comme des monstres.Ils étaient des monstres agissant dans la nuit, faisant le plus de victimes possible, se délectant de voirautant de sang tâcher la neige blanche.Mes muscles me faisaient mal, le froid me paralysait malgré mes mouvements. Mes vêtements étaienttachés de sang qui n’était pas le mien en partie. J’avais si froid, et même l’adrénaline ne m’aidait pasà tenir le coup. Ils étaient beaucoup trop nombreux. Un tombait, cinq apparaissaient. Nous étionsencerclés, envahis par des monstres qui se battaient pour des victimes sanguinolentes. Des monstresqui riaient devant de tels massacres. Des monstres qui orchestraient avec plaisir ces abominations.La haine m’envahit avec une telle force, que mon esprit se déconnecta de toute raison en voyant unsoldat qui se démarquait des autres dans sa façon de combattre. Je reconnus tout de suite ses talentsde « maîtres ». Il n’était pas un simple chevalier, il était beaucoup plus que ça. Un commandant sansdoute, une des têtes pensantes de cette attaque.Mes pas dans la neige me guidèrent vers lui avec violence. Si je devais mourir, je voulais qu’ilmeure avec moi. Je n’avais plus rien à perdre.Avant que je puisse faire un pas de plus, je me suis retrouvé jeté au sol avec une violence qui me fittourner la tête. Ma vue est devenue floue, avant de réapparaitre rapidement. — Vous avez vaillamment combattu, lança une voix d’outre-tombe. Je sentais la pointe d’une épée contre ma gorge. Elle était recouverte d’un sang qui n’était pas lemien. Je sentais l’odeur âcre du fer, et de la chair brulée autour de nous. Un regard gris avec ces

étranges choses transperça le mien, créant des pulsations cardiaques à mon cœur. Nous avions perdu. — Dis à tes hommes de cesser les combats, sinon, nous vous tuerons tous jusqu’au dernier, renchérit-il en laissant apparaître ses canines développées. Un monstre.L’individu me pressa de me relever, et je le fis. Lentement, avec cette pointe aiguisée près de moncou. Je dus lâcher mon épée qui résonna d’un bruit sourd dans la neige.Je me demandais comment il avait su que j’étais celui qui les dirigeait. — Vous le ferez malgré ça, hurle un homme qu’on tente de maîtriser. Mon frère.Je le reconnus entre mille même dans la pénombre et malgré le sang sur son visage. Il était dans lesbras de deux autres monstres qui semblaient prendre leur pied en le voyant se débattre.L’homme aux yeux gris esquissa un sourire diabolique, révélant ses… crocs. Je suis resté figer devantune telle horreur, tellement que je ne vis pas venir la suite des événements. Il fit un signe de la main etles deux individus se jetèrent sur mon frère, lui arrachant des cris d’agonie qui allaient rester dans mamémoire jusqu’à la fin de ma vie.Ils venaient de massacrer mon frère, devant la dizaine de personnes qui étaient encore en vie. Ils… Jen’avais plus de mots, j’étais sous le choc, et la peine ne s’était pas encore montrée.Mon regard croisa celui du chef, et je compris. Il me demandait ma soumission, j’étais le perdant, jedevais le reconnaître et baisser les armes.Et dès l’instant où mon genou atterrit au sol, je sus que nos vies se termineraient ici. J’entendaisencore le son de la voix de ma femme me supplier de nous faire partir.Et dans cette neige blanche maculée de sang rouge, je priais Dieu d’épargner ces innocents que mafaiblesse avait empêché de secourir. En espérant que si je ne voyais pas le jour se lever, ma femme etmon enfant à naître le verraient.

Chapitre 12Ballade en mer

2016Hawaï, — Tu es certain d’avoir bien compris ? Je me retiens de sourire en l’entendant me reposer la question pour la centième fois. Depuis que je luiai dit que j’avais une piste sérieuse concernant la localisation des sorcières, Mary n’arrête pas de medemander si je suis bien « certain ». Bon sang, oui, je le suis, sinon, je ne l’aurais pas traînée en pleinocéan pacifique.Je ne lui ai rien dit avant ce matin. J’ai attendu d’avoir terminé de lire le manuscrit poussiéreux dufameux J.C.J, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il était intéressant, sur plusieurs points de vue.D’abord, sur nos recherches concernant les sorcières. Le fameux J.C.J est tombé fou amoureux del’une d’elles lors de son arrivée à Hawaï. Il a entretenu une relation secrète avec elle. Visiblementc’était déjà mal vu à l’époque, qu’une sorcière s’entiche d’un simple humain. Mais ils sont allés au-delà des interdictions.Ça pourrait être un bon bouquin. Une bonne romance à l’eau de rose, qui ferait une adaptationcinématographique sympathique. Depuis les années « vampires » au ciné, on peut tout faire à présent.Pourquoi pas un remake de ma sorcière bien-aimée sous le soleil d’Hawaï à l’époque des colons ?Je divague, mais sincèrement, ce livre était loin d’être à chier. Je l’ai trouvé intéressant. Les notes decet homme m’ont permis de mieux cerner les sorcières Chamanes. Il y explique tous leurs rites ettraditions, leur façon de vivre en communauté et non isolées. À l’époque elles vivaient auprès desIndiens d’Hawaï.Mais surtout, il y apporte son ressenti d’homme. Tomber amoureux d’une sorcière n’a pas l’air d’êtreune mince affaire.Si j’étais moins renfermé, j’aurais trouvé un moyen de contacter Aldéric Drac pour lui en mettreplein la gueule de m’avoir fourré avec sa fille unique. Après le savon, je lui demanderais comment ila fait pour gérer ses sentiments envers sa mère. Le fameux auteur de l’ouvrage explique clairement ceque je ressens en présence de la demi-vampire. Le trouble, l’attirance, et ce désir inexpliqué si fort,que c’est une lutte intérieure pour ne pas y succomber.Les Chamanes vivent donc sur l’île, elles suivent les fêtes communes à toutes les Wicca et célèbrentcelles de la religion Chamane. Elles ont également des liens très étroits avec la Mort et le souvenir.

Les ancêtres et le passé ont deux places très importantes, des rituels sont même consacrés à ces deuxéléments.Apparemment, il y aurait des légendes sur ces sorcières, comme quoi, elles ont la capacité d’entreren communication avec les Dieux Créateurs, appelés aussi les « Divinités ». Ces derniersdétiendraient le savoir ultime et toutes les connaissances qui se sont perdues au fil des siècles.Si cette histoire est vraie, elles doivent sans doute savoir comment venir à bout d’un PremierVampire. Et si c’est faux, et bien, je pense que personne d’autre, si ce n’est La Mort elle-même,pourrait nous fournir cette info. Mais puisque Mortem ne prendra jamais de parti pris dans cetteguerre, le monde sera voué à s’entretuer jusqu’à ce que les Premiers Vampires soient les derniers.Putain d’avenir.C’est dingue de savoir que tout est en train de se jouer, que personne d’autre que Mary et moi-mêmene soient au courant.Je sens le regard malvoyant de Mary sur moi, elle aimerait obtenir sa réponse, et mon silence semblel’agacer. — Il y avait écrit « l’île de Niihau ». Il n’y a bien qu’une seule île de ce nom ici ? je renchéris enprenant un air supérieur. — Oui, mais… — Y’a pas de mais. Le mec a écrit « elles habitaient sur l’île de Niihau ». Donc, nous avons unechance que peut-être, elles y soient encore puisque l’île est devenue privée depuis plusieursdécennies. Ça ne nous coûte rien d’aller voir, je l’interromps, catégorique. Je termine de boire mon thermos de café. Mary m’a fait faire un détour par un marché 100%traditionnel, et ça faisait un siècle que je n’avais pas bu un pareil nectar. Le café Kona est brut etréveillerait un mort par son intensité. — Je me demande comment j’arrive à travailler avec toi, se lamente Mary en soupirant. Tu es tropsecret et tu ne partages que les informations que tu souhaites, ce n’est pas juste. Comme il n’est pas juste d’étaler mon passé et mes pensées à chaque fois qu’elle me touche.Pourtant, je n’en fais plus un drame.C’est tendu entre nous depuis deux semaines. Depuis notre entrevue dans le bureau, elle sur mesgenoux. — Tu n’as pas le choix, je renchéris plus calmement. — Je me serais débrouillée autrement, lance-t-elle froidement. Je jure en déchirant le papier aluminium contenant la bouffe qu’on a pris en cours de route. Il doitêtre aux alentours de quatorze heures et je n’ai rien avalé depuis le matin.De plus, le goût du sang qui persiste dans ma bouche m’embrouille l’esprit. Ce n’est pas conseillé de

faire un régime intensif d’hémoglobine et de reprendre ses vieilles habitudes en l’espace de quelquesjours. Bon sang ce que la petite sorcière peut être chiante. — Arrête ça Mary, je n’ai pas envie de m’énerver. À quoi joue-t-elle bon sang ? Elle semble contrariée par quelque chose que je ne saisis pas. Jepensais que Mary prendrait sur elle concernant notre ambiguïté. Elle a accepté de m’aider, mais àmon rythme, et de mettre une barrière à nos relations. Pourquoi cette ambiance pesante entre nousdepuis la découverte de ce putain de bouquin ?À moins que ce soit l’idée que notre future collaboration arrive à son terme si jamais nous trouvonsles Chamanes aujourd’hui, qui la rende si froide.Je l’observe du coin de l’œil, à travers mes lunettes de soleil qui ne servent à rien dans la nuitéternelle. Mary est assise avec moi à l’avant du grand bateau en bois, elle a retiré ses sandales, etportent toujours ses robes légères qui couvrent à peine ses formes. Ses cheveux noirs sont attachés enune longue tresse.Elle est… magnifique, je ne peux que le reconnaître, même si la contrariété lui fait apparaître uneride sur son front lisse.Je m’apprête à lui demander si elle est indisposée pour être aussi susceptible aujourd’hui, quand elleme devance en me relançant sur ce maudit livre. — Tu ne m’as pas beaucoup parlé du livre. Je dévisage Mary qui émiette son sandwich à la dinde, elle essaie d’en savoir plus en glissantdoucement la conversation. Elle est maligne la petite sorcière. Maligne et chiante.Et j’aime ça malgré tout. C’est plus fort que moi. — Ce que je t’ai dit résumait l’essentiel des choses à connaître. Je n’allais pas te raconter deséléments inintéressants. Notre but était de savoir où étaient les sorcières, non ? Le reste, tu leconnais. Tu connais toute l’histoire des clans des Sorcières dans leur grande ligne, pas besoind’approfondir tes connaissances…. Je suis interrompu par un rire nerveux de la part de ma partenaire d’enquête. — Je ne peux pas jouer la comédie plus longtemps, Senan, m’avoue-t-elle, l’instant d’après. Je fronce les sourcils, perplexe face à cette confession si soudaine qui ne semble annoncer rien debon. — Pardon ? Quel est le rapport avec le livre ?Mary arrête de torturer son pauvre sandwich et lève les yeux dans ma direction. .

— Je sais ce que tu me caches et que tu refuses de confier. J’ai compris ce qu’était ton véritableproblème en plus de ton passé rempli de zones d’ombres. J’aurais aimé que les choses se passentautrement, mais tu ne m’as pas laissé le choix. Ça fait plus de trois mois qu’on vit ensemble, tu es làpour me protéger du gouvernement Russe et je veux t’aider. Je t’ai donné ta chance il y a deux mois.Tu ne l’as pas saisie Senan et… il fallait que je sache. Je ne peux pas vivre dans un tel flou, c’esttrop dur à gérer. — Qu’est-ce que tu as fait… je murmure méfiant. Mary ne me regarde plus, l’atmosphère entre nous se gorge d’une ambiance tendue, synonyme qu’unegrosse connerie a été commise.Celle-là, je ne l’avais pas vu venir. — Il n’y a que trois façons d’avoir les yeux rouges. La première, en étant transformé par un vampireles portant, et descendant de la morsure d’un Première Vampire ayant lui-même les yeux Rouges. Laseconde façon, c’est si ton père ou ta mère vampires avaient les yeux rouges, tu étais humain avantqu’on te transforme, donc ça ne pouvait pas marcher. Je me raidis en entendant chacun de ses mots. Je comprends maintenant pourquoi elle était aussifroide ces derniers jours. Visiblement sa culpabilité lui pesait sur la conscience. Pendant que jecherchais à déchiffrer ce putain de livre, Mary se débrouillait pour « percer » mon secret.Bon sang. — Alors j’en ai déduit que c’était soit la première soit la dernière. Mais avec ce que je sais sur toi,il n’y avait que la dernière possibilité qui allait avec toute la structure que tu représentes. La colère commence à monter en moi, mélangée à la déception. — Mary… je commence à l’interrompre d’une voix menaçante. Mais elle ne s’arrête plus. — J’aurais aimé que tu me dises toi-même tout ça. J’aurais aimé savoir que tu étais de ceux qui ontété transformés par plusieurs sangs. J’ai eu accès à certaines bribes de ton passé en te touchantmalencontreusement, mais ça… ça c’était beaucoup trop enfoui pour que je le découvre d’un simpleeffleurement. Pourquoi tu ne m’as pas dit de ta propre bouche que tu étais un Exécuté, Senan ? Je me lève d’un bond du banc et marche vers le conducteur du bateau, un vieil hawaïen, uneconnaissance de Mary apparemment. Il s’appelle Makaio, et semble un peu sourd.Heureusement.Il me fait un sourire et un signe de la main en me voyant mais se raidit en croisant mon regard rougemeurtri par la colère.

— On rentre. Ma voix est sans appel. Au diable cette putain d’expédition pour sa putain de traque. Mary vient defranchir une ligne qu’elle n’avait pas à franchir. C’est la goutte de trop. Je suis passé outre tous sesagissements pour la lutte qui est commune à nos intérêts, mais je ne lui avais pas accordé lapermission de me poignarder dans le dos de la sorte. — Nous sommes bientôt arrivés près de l’île, m’informe Makaio. Bon sang…Je lui fais signe de continuer et pars vers l’arrière du bateau pour rester seul. — Senan. La petite sorcière tente de me rattraper, mais je vais plus vite qu’elle et atteins le cul du bateau enquelques dizaines d’enjambées.Elle ne me laissera pas tranquille. — Laisse-moi seul, j’annonce froidement. — Non, laisse-moi d’abord m’expliquer. Je prends une grande inspiration en espérant que ça va calmer mes nerfs. Mais rien. Je sens la colèrebouillonner en moi. Elle m’a déçu. — Tu es allé beaucoup trop loin, Mary, aujourd’hui, je renchéris, sans même la regarder. Mes yeux restent rivés vers le grand large sombre. — Tu ne côtoies pas assez de vampires pour obtenir une telle information, je n’ai jamais prononcé cenom, alors comment sais-tu ? je poursuis, toujours aussi énervé. Comment sait-elle ça ? Dans tous les livres que nous avons épluchés, je n’ai trouvé aucune mentiondes Exécutés. Elle semble l’avoir appris récemment alors que nous sommes coupés de la civilisation,comment elle a su…Je percute en une fraction de seconde. Et je sais d’avance que sa réponse me confirmera que mis àpart sa « trahison », nous aurons un autre problème à notre retour.Voyant qu’elle ne répond pas, je me retourne pour lui faire face, et malgré sa malvoyance, j’arrive àlui foutre une trouille bleue. — J’ai appelé mon père, marmonne-t-elle.

— Bon sang Mary ! Je recule d’un pas, sinon je risque de fracasser quelque chose et je n’aimerais pas que ce soit sa tête.Elle m’aura rendu fou. Cette mission m’aura rendu dingue du départ jusqu’à la fin, si fin il y a. — C’est une ligne sécurisée… se justifie-t-elle. Mais on s’en branle ! Plus rien n’est sécurisé à présent. — Nous sommes en Guerre Mary ! je la coupe. Tu es complètement inconsciente ! Tu fais partie descibles les plus potentiellement recherchées, et tu appelles ton vieux pour soulager ta putain decuriosité. Qu’est-ce que ça change maintenant que tu sais ! Qui te dit que des espions Russes ne sontpas en route pour Hawaï à l’heure où nous parlons ? Qui me dit qu’ils ne sont pas déjà là.Bon sang, comment on va faire pour s’assurer que notre couverture est encore solide. Pourquoi m’a-t-elle désobéi ? « Ne pas téléphoner, ou communiquer avec l’extérieur », ce n’est pas compliqué !La faute à sa putain de curiosité féminine. Les femmes mettent toujours la merde. — Je veux simplement comprendre, m’avoue-t-elle avec tristesse. — Il n’y a rien à comprendre ! je hurle. Mon élan de colère la pétrifie. Elle fait un pas en arrière et son expression ne cache pas soninquiétude.J’aimerais me calmer, mais c’est impossible, ça fait trop de choses en une seule demi-heure. — Oui, je suis un Exécuté. Oui, c’est pour ça que j’ai les yeux rouges, et non, tu ne sais rien ! Tu nepeux pas comprendre, et tu ne pourras pas m’aider Mary ! je lance d’une voix forte. — Non, c’est sûr, je ne sais pas tout, commence-t-elle à me dire pour me tenir tête. Mais maintenantje sais pourquoi tu es si… brisé. — Arrête, tu ne sais pas de quoi tu parles ! Elle ne sait pas ce qui se cache derrière un tel… statut.Je fais quelques pas, refoulant ce besoin qui me prend aux tripes de sauter dans l’eau et nager jusqu’àla prochaine rive pour la fuir. J’ai envie de rentrer, de faire mon sac et de partir. Je ne supporte pas lapitié, encore moins la trahison, et venant de sa part, je ressens tout ça. Et ça me fait plus mal que je nel’aurais pensé. — Quand comptais-tu me dire que tu étais un Mémoire de la Race ? Parce que cela va de pair. Lesexécutés sont des êtres rares qui…

— Ça suffit. Ma voix est ferme. Je ne veux plus l’entendre parler. Mais faire taire Mary est une affaire délicate.Putain de femme au caractère de merde. — N’est-ce pas un don exceptionnel ? reprend-elle. Pourquoi ne t’es-tu pas montré honnête dès ledépart, nous aurions pu faire les choses différemment. J’aurais pu t’aider différemment, je… — Parce que c’est irréversible, d’accord ? je l’interromps froidement à nouveau. Parce que c’estcomme un putain de virus qui se propage chez les autres. Ce n’est pas un don, c’est un véritablecauchemar d’être qui je suis, d’accord ? Mary se rapproche de moi, je tente de l’en empêcher, mais elle s’obstine. — C’est un don. — C’est un putain de handicap. — Être malvoyante est un handicap, être comme toi, c’est différent. Tu n’as rien demandé, mais tu asbesoin qu’on prenne enfin soin de toi, qu’on t’apprenne à gérer tout ça. Ce que tu as, c’est un fardeau,pas un handicap. Si seulement elle pouvait voir les choses de ma façon, elle comprendrait que ce « fardeau » est plusterrible qu’il n’en a l’air. — Attention Mary, insiste encore, et je m’en vais. Je ne veux parler de ça avec personne, c’est monfardeau, ça n’a pas à être celui de quelqu’un d’autre. Ma remarque la surprend. — Tu ne reviendrais pas sur tes promesses, m’interroge-t-elle, troublée. — Je ne suis pas parfait, je sais décevoir les gens. Si elle savait le nombre de personnes que j’ai pu décevoir, l’image de chevalier au cœur briséqu’elle a à mon sujet en prendrait un coup. — Tu partirais, au péril de ma sécurité ? Aux portes de découvrir la solution qui pourrait sauvernotre Race ? Tout ça parce que tu es trop lâche pour affronter tes problèmes en face ! s’énerve-t-elle. — Un lâche se serait déjà tranché la gorge pour ne plus avoir à subir ce que je vis depuis sept centsans ! je renchéris sur le même ton.

Cette conversation est stérile en plus d’être inappropriée. Je jure en me maudissant, en la maudissantelle. — Tu nous as mis en danger, point final, le reste n’a pas d’importance. — Non. J’étouffe un rire sarcastique. Elle se trompe si elle pense m’apprendre mon job. — J’ai bossé pour un gouvernement et je sais comment ça se passe. J’ai fait plusieurs missionsd’infiltration sur le sol Russe pendant seize ans. Le pro, c’est moi, et aujourd’hui tu as merdé. Tu asperdu ma confiance en appelant ton vieux pour apprendre ce que je te… cachais. Certaines choses ne sont pas faites pour être dévoilées au grand jour et Mary devrait le comprendre. — Pourtant, il est bien là le fond du problème, Senan. Sans ce qu’il t’est arrivé, jamais tu ne serais lapersonne que tu es à présent… — N’espère pas qu’en refermant mes blessures, je m’autoriserais à laisser exprimer mon désir à tonégard, je l’arrête. Ces choses-là sont terminées pour moi. J’y ai fait une croix à la naissance del’enfant à qui j’ai transmis ce fabuleux don et rien ne pourra me faire changer d’avis, et certainementpas la rédemption, le pardon, ou toutes autres conneries. Parfois certaines choses sont brisées pourde bon, et tu as la preuve flagrante sous tes yeux que tout n’est pas reconstructible. Nous sommes interrompus par la voix baryton de Makaio qui met fin à cette querelle stérile. — Monsieur Zederman ? — Ouais, je marmonne en passant une main dans mes cheveux détachés. — Nous arrivons à proximité de l’île. Parfait. Plus vite nous aurons une confirmation, plus vite nous pourrons nous tirer. Et le retour à laMaison Jaune risque de ne pas plaire à la demi-vampire. — La conversation est close, Mary. À vouloir aider les gens blessés, c’est toi-même que tu finis parblesser. — Senan… — Mary n’insiste pas plus. Contentons-nous du pourquoi nous sommes venus ici.

Je demande Makaio de couper le contact. Nous sommes à une distance raisonnable de l’île, je metourne vers Mary qui est face au large, comme si ma proximité la dérangeait subitement.Bon sang ! — Est-ce que tu entends leurs voix ? je demande d’une voix qui se veut plus calme. Je prends sur moi, elle n’imagine pas à quel point.Le silence nous gagne, j’attends plusieurs minutes, le temps de laisser à Mary ce qu’il faut pourqu’elle réfléchisse.Et lorsque je commence à croire que c’est fichu, Mary retrouve la parole. — Je crois que… oui. Elle n’y met pas du sien. — Tu crois, ou tu les entends ? Concentre-toi, je la brusque un peu, impatient. Je veux savoir si elle les entend avec certitude et clarté. Si ce qu’elle m’a confié marche vraiment,plus elle est proche d’une sorcière plus les voix sont compréhensibles. Là, je ne vois pas commentêtre plus proche par rapport à la Maison. — Oh bon sang ! Mary se tourne vers moi, une expression de surprise sur le visage. — Ça n’a jamais été aussi clair. J’entends des voix nettes, des voix de femmes qui parlent dans uneancienne langue. On dirait de l’hawaïen. C’est comme un appel à l’aide que lancent les sorcières. Je me laisse tomber sur le banc du bateau, le soulagement m’envahit. Après cette immense colère, cesentiment est le bienvenu.Mais j’ai à peine le temps de le savourer que Mary me harcèle de questions. — Qu’est-ce qu’on fait ? On s’approche et nous allons les voir. — Non. — Pourquoi ? Je soupire, ça se voit que c’est une femme qui n’a pas baigné dans le monde stratégique. — Parce que maintenant que nous avons la confirmation qu’elles y sont. Il faut qu’on trouve un moyende pénétrer sur leur territoire sans se faire remarquer. On ne peut pas débarquer comme ça. On doitse poser les bonnes questions. Et si c’était un piège ? Et si un vampire détenait une sorcière pour en

rameuter d’autres ? Le mieux c’est de rentrer et d’étudier l’île. J’ai l’impression de me croire en mission avec Decease. — Faire une sorte de planque ? me questionne Mary. — Voilà, ensuite nous planifierons une expédition, et nous irons sur le terrain. Je me tourne vers Makaio et l’interpelle en sifflant. Il se tourne vers moi. — On rentre à Hilo, merci pour la ballade Makaio. Il me salue d’un signe de la main et redémarre le moteur. Je me lève du banc et pars vers l’avantpour… fuir Mary. — Senan. Mary m’attrape le bras, je m’arrête et lui jette un regard en coin. — Je suis désolée, j’ai mal agi, je le reconnais… — Oui tu as mal agi. Pourquoi tu fais tout ça ? Regarde où ça nous mène ! Prends conscience quepeut-être, les gens cherchent à te protéger de choses qui te dépasseront. Tu n’as que deux cents ansputain ! J’en ai cinq cents de plus et je pense connaître suffisamment de choses pour prendre lesbonnes décisions, me concernant et te concernant ! Je lui en veux d’avoir cherché à savoir qui j’étais avant que je ne lui dise. Je me doutais que certainsindividus connaissent les noms des centaines d’Exécutés encore vivants. Ceux qui ne sont pas encoredevenus fous. Qu’Aldéric Drac soit au courant ne m’étonne pas. Dead l’est, Decease aussi et nos plusproches membres du gouvernement le savent. Même Queen était au courant, bien qu’elle ne connaissepas ce terme précis.Avec Mary, tout sort naturellement. Et peut-être qu’un jour, si notre mission ne s’était pas accéléréeà ce point, j’aurais fini par lui avouer pourquoi j’ai l’âme aussi torturée. Pourquoi un Exécuté est unvampire rare à croiser, et pourquoi avoir un enfant me fait terriblement culpabiliser. Peut-être que jedevrais lui dire maintenant que nous ne pourrons jamais être ensemble comme le sont deux vampiresunis, sans doute, cela mettra un terme définitif à tout ce cirque.Mais Mary me devance question révélation. — Si j’ai fait tout ça espèce d’idiot, c’est parce que j’ai des sentiments pour toi ! Je me fige, comme si ces mots venaient de me baffer. Je vois les yeux violets de Mary se remplir delarmes, elle tente de les contenir, mais c’est plus fort qu’elle. J’essaye de me convaincre que sesagissements étaient pour la « bonne cause », qu’elle ne l’a pas fait dans le but de me blesser, mais de

m’aider. Mais après ce qu’elle vient de me dire…Bon sang ! — J’ai essayé Senan et je ne peux pas. Ça va au-delà de mes capacités d’empathe. J’ai dessentiments pour toi que je n’arrive plus à contenir. Je ne comprends pas, et honnêtement, je ne veuxpas comprendre. C’est la première fois que Mary me l’avoue clairement. Je savais qu’entre nous, des liens étroitss’étaient formés depuis notre rencontre, mêlés de notre attirance, du désir et d’un sentiment encoreplus puissant que je n’arrive pas à comprendre. Si nous étions restés dans le flou jusqu’à présent,désormais, Mary Drac vient de lever le voile sur notre relation et me pousse à lui faire mal, même siau fond de moi, d’une certaine façon, je ressens la même chose. — Je ne peux pas faire ça Mary. Je suis désolé, j’avoue dans un murmure douloureux. Je me penche vers elle et embrasse son front. Mary ferme les yeux et je sens bien la tristesse lagagner. Ça me fait mal de devoir lui faire de la peine. Elle mérite mieux. Elle mérite mieux qu’unvampire bousillé qui refuse sans cesse son aide parce qu’il est lui-même flippé par ce qu’il est.Mais j’ai été à sa place durant longtemps, j’ai aimé quelqu’un qui ne voulait pas m’aimer et je sais ceque ça fait.La différence entre mon histoire avec Queen et celle avec Mary, c’est que je pourrais l’aimer, maisj’en suis incapable après tout ce que j’ai traversé.

Chapitre 13Révélation

Octobre 2012New York, J’ouvre la porte d’entrée qui part claquer contre le mur d’à côté dans un bruit sourd.Il fait sombre dans l’appartement de Queen. Il y a une coupure de courant depuis trois heures, etmême avec quelques bougies, l’atmosphère de l’appartement des MacTavish est pesante. Il règne unelueur de désespoir entre ses murs. Une ambiance qui me rend méfiant.Quelque chose ne va pas ici.J’ai reçu un appel paniqué de Queen il y a une demi-heure environ, j’ai tardé à arriver car j’ai mis dutemps à traverser la ville de New York sous l’orage violent. Mon amie ne m’a pas dit grand-chose, etc’est bien ce qui m’a inquiété. Ses propos étaient confus, elle me parlait de sang et elle pleurait. Jen’ai pas tenté d’en savoir plus. Pour agir, il faut se rendre sur les lieux mêmes « du crime ». Etpuisque Deryck est bloqué à Paris à cause de la météo, Queen ne pouvait joindre que moi en cas depépin.Et problème il y a eu visiblement.Je fronce les sourcils en sentant une odeur reconnaissable entre mille : celle du sang.Pas besoin de lumière pour distinguer les traces rouges sur le sol. D’abord en simple goutte, puis deplus en plus imposante. Je suis ce chemin sanglant jusqu’au bout, en espérant ne rien trouver debouleversant. J’arrive à hauteur de la salle de bain, la porte est entrouverte et j’entends des sanglots.C’est Queen. Je les reconnaîtrais entre mille. Je n’hésite pas et pénètre dans la pièce sombre. Il n’y aqu’une faible bougie pour éclairer le grand espace. Ce qu’il se découvre sous mes yeux me laissesans voix.Il y a du sang près des WC. Une flaque imposante. Queen est assise dedans, elle est secouée par dessanglots.Elle tourne légèrement la tête vers moi, et ses larmes redoublent d’intensité. Ma voix est rauquelorsque je mets fin à ce silence. — Queen, qu’est-ce qu’il s’est passé ? — Sen…

Je ne réfléchis plus, et romps les derniers mètres qui nous séparent. Je m’accroupis près d’elle, danstout ce sang. J’essaye de rester lucide, de croire que ce n’est pas trop grave. Je ne suis pas unspécialiste, mais j’ai déjà connu ça.Crescentia avait fait une fausse couche quelques semaines après notre mariage, j’avais cru la perdreen la découvrant inerte sur le sol de notre chambre. C’est impressionnant. Parfois le corps d’unefemme peut faire des choses traumatisantes et incompréhensibles.Je caresse ses cheveux pour attirer son attention à travers ses larmes. — Je… Sen… le bébé… j’ai perdu mon bébé… je… Queen baisse les yeux vers le sol taché de sang. Sur le carrelage blanc, c’est davantage traumatisant.Je détourne son attention en m’asseyant face à elle.J’ignore le pincement au creux de ma poitrine. Elle était enceinte et elle ne m’a rien dit. Pourquoi ?Pourquoi ce silence alors que nous nous sommes vus régulièrement au cours de ces dernièressemaines.Je dois gérer, pour elle je dois mettre de côté mes… sentiments. Je dois agir en tant que protecteur, entant qu’homme responsable. — Ça va aller, je suis là, j’annonce d’une voix claire. Mais qui a bien du mal à cacher son émotion. J’ai beau être ce vampire froid, en sa présence, c’estcomme si une autre facette de moi refaisait surface.Queen pose une main tremblante et tachée de sang sur mon avant-bras, elle s’accroche à ma veste encuir, son regard gris trahit son désespoir et sa peur. Elle est terrorisée et malheureuse.Et ça me fait mal de la voir dans cet état. — Ne me laisse pas, me supplie-t-elle. Son visage est meurtri par les larmes et ça me fend l’organe dans ma poitrine. — Je ne vais nulle part. Je la dévisage un instant, ses yeux gris dans les miens rouges. Je veux qu’elle comprenne que je ne lalaisserai pas. Comme toujours.Je dois rapidement réfléchir. Est-ce que c’est plus grave que ce que je pense ? Est-ce que derrièrecette fausse couche ne se cache-t-il par autre chose de plus sérieux ? Qu’est-ce que je peux faire poursoulager son mal et sa peine ? Je me le demande. Je ne suis pas une femme, je ne sais pas quoi dire,ni comment gérer ces choses-là. Cressie avait voulu me tenir à l’écart, c’était sa façon de faire ledeuil de cette grossesse, nous n’en avons jamais parlé.Mais qui suis-je pour Queen ? Quel rôle je dois prendre à cet instant ?Bordel de merde, je ne sais pas ! — Il faut que je te conduise voir un médecin.

— Non ! Queen tente de se relever, mais elle est trop faible pour ça. Je la rattrape avant qu’elle ne se fassedavantage mal.Je perds mon calme, je n’arrive pas à rester zen face à un tel spectacle macabre. — Bordel Queen soit raisonnable, tu baignes dans ton sang. — Deryck va avoir des ennuis… il… Queen se remet à pleurer, elle se blottit contre moi, et je me fous de me retrouver couvert de sang. Jela serre contre mon torse, calmant son chagrin comme je peux. Avec une autre, j’aurais été mal àl’aise, je n’aurais pas su quoi faire, mais avec Queen, il suffit que je m’arrête de réfléchir et le restese fait naturellement. Je lui dis que ça va aller, que tout ira bien et que demain ce sera un mauvaissouvenir.Si seulement ça pouvait être aussi simple… — Il n’était même pas au courant, il ne savait même pas pour l’enfant, m’avoue Queen. Maudite loi. Putain de Campbell et ses interdictions de sang-mêlé. Voilà où ça nous mène bordel ! — J’étais tellement heureuse, sanglote Queen, tellement heureuse de savoir que j’allais devenir mère.Pourquoi ? Pourquoi ça n’a pas marché encore… Je tique en entendant ses paroles et la douleur au creux de ma poitrine s’accentue. Ce n’était pas lapremière fois…Il y a eu des autres fois, bon sang ! — Queen, ce n’est pas la première fois qu’il… t’arrive la même chose, je murmure doucement. — Ça se termine toujours ainsi, chuchote mon amie. Ses yeux gris croisent les miens, et j’aimerais enlever cette lueur de tristesse chez elle. Ça me met enrogne de la voir dans cet état. C’est injuste, Queen a suffisamment souffert au cours de sa vie pour nepas avoir à vivre ça. — Oh Senan, je suis tellement désolée de te mêler à tout ça… — Arrête de dire des conneries. Je ne dis rien. Je me contente de me lever et de prendre Queen dans mes bras. Elle semble être dansune sorte de transe. C’est peut-être mieux.

Je la conduis vers la baignoire et décide de rapidement la nettoyer. J’essaye tant bien que mal de ladéshabiller sans regarder, en priant pour que mon corps ne réagisse pas naturellement. Queen ne medit rien. Elle ne me regarde même pas. Je l’aide à retirer les traces de son malheur et l’enveloppedans un peignoir en coton épais. Je la reprends dans mes bras et décide de la conduire dans sachambre pour qu’elle dorme. Ensuite, je viendrai tout nettoyer et je resterai à son chevet en lasurveillant, en réfléchissant à la meilleure façon d’informer Deryck. Il doit savoir ce qu’il se passe. Ildoit aider sa femme à traverser ces moments. Il ne peut pas toujours déléguer aux autres. — Sen ? Sa voix n’est qu’un murmure lorsque je la dépose sur son lit. — Oui ? — Tu peux rester avec moi s’il te plait ? Mon rythme cardiaque s’accélère, et je me rends compte que ma décision a été prise il y a déjà bienlongtemps. Je ne peux rien refuser à Queen. — Je ne comptais pas bouger. Je vais aller chercher le fauteuil… Queen m’attrape la main pour me retenir. — Non, prends-moi dans tes bras. J’hésite un court instant. Nous n’avons jamais été aussi… proches. Aussi près de franchir unebarrière que je m’imposais. Je devrais lui dire non, mais ce serait moche de le faire alors qu’elle abesoin de réconfort.Et comme à chaque fois, je n’ai pas pu résister. Je suis parti emprunter un bas de survêtement àDeryck, j’ai retiré mon jean tâché de sang. Je l’ai prise dans mes bras, elle s’est serrée contre moncorps, savourant la mince chaleur de mon étreinte. — Deryck… — Je vais le prévenir. Queen secoue la tête en se blottissant davantage. — Il ne doit jamais savoir. Je t’en prie. — Queen… je soupire. — Il n’était même pas au courant. C’est trop dangereux. Je ne veux pas qu’il lui arrive malheur si

jamais quelqu’un venait à apprendre qu’il a mis enceinte sa compagne humaine. Et je l’ai détesté. J’ai hais Deryck cette nuit-là. C’était plus fort que la jalousie que je terrai, c’étaitpire. Je le détestais de savoir que j’étais obligé de réparer des blessures qu’il causait sans s’enrendre compte. J’ai détesté Deryck pour ça. Pour chacune des larmes que Queen a versées en sonabsence, pour l’ignorance qu’il avait. Je l’ai détesté d’avoir à endosser le rôle de confident et luid’amant.Deryck était mon ami bien avant Queen. Mais notre histoire ne trahit pas les règles. Une femme peutséparer deux nations, et rompre des liens qu’on pensait indestructibles.J’étais dans une situation où personne ne pouvait me venir en aide, puisque je ne me rendais mêmepas compte dans quel pétrin je me fourrais.Personne ne voyait où nous allons. Où notre relation était en train de nous conduire.Nous étions amis. J’étais celui qui devait la protéger et l’ami de l’homme qui l’avait sauvée. Jen’avais pas à l’aimer.Et pourtant.Alors cette nuit-là, je suis resté à son chevet. Je l’ai serrée dans mes bras comme seul un amant estcensé le faire. J’aurais dû partir lorsque Queen s’est endormie, mais je n’ai pas pu.Elle s’abandonnait à moi, elle me laissait voir ses pires blessures et faiblesses, elle me faisaitconfiance, et me confiait des secrets que Deryck n’apprendrait jamais.Queen était mon amie avant que je ne comprenne que notre relation ne ressemblait à rien d’une banaleamitié. Je la côtoyais comme je vivais auprès de ma femme. Et c’était dangereux. Dangereux de secomporter différemment des autres. Dangereux de me laisser aller, de ne pas écouter ma raison maisplutôt ces sentiments.J’avais aimé comme un fou en étant humain, et je redécouvrais ça en étant vampire avec une autrefemme que ma femme.Pourtant, je n’avais pas l’impression de trahir Crescentia.Tomber amoureux de Queen en étant vampire était une nouveauté. Je ne connaissais pas. Je n’avaisjamais tenté l’expérience ni même connu de moyen de comparaison avant cette humaine. Mon cœuravait été fidèle tout au long de ces sept siècles de solitude, à l’unique femme à laquelle j’avais juréfidélité devant le Seigneur. C’était l’unique chose qui me faisait garder un peu d’humanité. Même messouvenirs ne m’aidaient pas.Et puis il y a eu Queen et j’ai eu l’impression de me revoir il y a sept cents ans.Les seuls points de comparaison étaient les battements de mon cœur plus rapides et le frisson qui megagnait en sa présence.Quand avais-je succombé à cette humaine ? J’ai toujours pensé que le point de non-retour avait étéatteint lors de notre rencontre. Avec le recul, j’ai compris que le moment où j’avais basculé dans unehistoire impossible fût lorsqu’elle s’est montrée la plus vulnérable en ma présence.J’aimais déjà beaucoup trop Queen pour me rendre compte dans quel merdier je m’étais fourré.J’aimais une femme mariée et liée. Ça ne pouvait pas se finir comme dans ces putains de contes defées. Mais pour m’en rendre compte, il aurait fallu que j’aie les idées plus claires, et moinsaveuglées par ses yeux gris.

Chapitre 14Succomber

Équinoxe d’Été,Hawaï, Je ne peux plus.Je tourne en rond dans la bibliothèque. Il doit être aux alentours de minuit, et je n’arrive pas à dormir.Mes pensées se battent en duel entre elles et j’en ai assez. Assez de la tension qui règne dans cettemaison, assez de communiquer avec Mary avec des putains de post-it sur la porte du frigo.On s’évite depuis l’incident sur le bateau. Elle me fuit parce qu’elle ne sait pas gérer sa révélationconcernant ses sentiments, et je la fuis parce que j’essaye d’être en colère après elle, après ce qu’ellea fait, après ce qu’elle m’a dit, mais je n’y arrive pas.Deux semaines qu’on ne s’est pas parlés face à face et le constat est terrifiant à mes yeux ; Mary Dracme manque. Son sourire, sa joie de vivre et cette sensation au creux de ma poitrine qu’elle faisaitnaître me manquent. Je me sens fade. Vide de l’intérieur. J’ai l’impression de retomber dans ce puitssans fin qui m’a tant de fois accueilli à bras ouverts. Nous sommes amis, ce néant et moi. Et je doisavouer qu’il ne m’avait pas manqué.Depuis mon arrivée à Hawaï, en présence de la petite sorcière aux cheveux noirs, mes maux s’étaientatténués. Ils n’avaient pas disparu, mais c’était devenu plus gérable, moins intenses.Deux semaines à vivre isolé de Mary et je suis perdu. Je me rends compte de l’importance que cettefemme a pour moi, et pas seulement concernant mon âme brisée. L’homme que je suis est en manque,tout simplement.Je n’aime pas cette pointe que je ressens dans la poitrine en pensant à notre dernière conversation età tout ce que cela engendre. J’ai l’impression d’avoir perdu quelque chose, alors que ce dernier n’est qu’à quelques mètres de maportée.C’est affreux d’être déchiré entre ses envies et son passé. Il me pousse à résister, à ne pas succomber.Ça me protège de ce que j’ai pu vivre les dernières fois. Mais est-ce que toutes les histoires sontpareilles ? J’en doute. Il y a parfois des ressemblances, mais rien de concret.Rien n’est pareil…J’arrête de déambuler dans l’immense bibliothèque chargée de livres poussiéreux. J’essaye d’oubliermon désir pour Mary en me plongeant dans cette traque aux sorcières, mais ce soir, je crois que j’aiatteint mon maximum en terme de résistance. J’ai l’impression d’être au bord d’un gouffre à quelques

pas de faire le grand saut, et cette tension, j’ai du mal à la gérer.Je m’approche de la grande fenêtre donnant sur la plage. Je prends appui dessus, le froid du verre surmon visage me fait remarquer à quel point je bouillonne de l’intérieur.Mon attention est soudainement accaparée par une lumière vive passant devant moi. C’est comme lestorches que nous utilisions lors des expéditions nocturnes à l’époque où j’étais humain et que le noirne nous permettait pas de voir distinctement.Mon instinct de vampire réagit le premier.Certes après notre retour de l’escapade en bateau près de l’île aux sorcières, j’ai été davantage surmes gardes. J’ai même passé une nuit à faire des rondes autour de la maison pour vérifier quepersonne n’était là. L’appel de Mary à son père a peut-être été ignoré. Je l’espère. En tout cas, endeux semaines, je n’ai vu aucun signe que nous avions été démasqués.À moins qu’ils aient mis plus de temps à arriver que je ne le pensais.Je n’hésite pas une seconde, je saisis mon arme sur la table, et sors en trombe de la bibliothèque pourmarcher vers la porte d’entrée. Mary s’est couchée il y a deux heures déjà, je l’ai entendue. Etj’espère qu’elle ne s’apercevra de rien. À l’intérieur, elle est en sécurité, et en sachant ça, je pourraifaire mon boulot correctement.Lorsque je sors de la maison et atteins la dernière marche du petit escalier menant à la maison, jem’arrête en découvrant le spectacle sous mes yeux.Non, ce n’est pas un espion Russe, ou un pauvre fou venu foutre le feu à une maison habitée par desvampires. Ce n’est que Mary.Je reste debout dans le sable à la regarder et cette scène a un goût de déjà-vu. Elle a allumé huitflambeaux, et rassemblé plusieurs paniers contenant des fleurs et d’autres utilités pour son rituel.Mary porte une fine robe blanche à moitié transparente, qui ne laisse pas beaucoup de place àl’imagination. Elle ne semble pas m’avoir entendu. Alors je m’octroie quelques instants pourl’admirer. Elle est magnifique, d’une beauté simple en apparence mais qui renferme son lot demystère et de charme. Je ne suis pas surpris quand j’entends les battements de mon cœur s’accélérer lorsque Mary retire sapetite robe blanche, dévoilant à nouveau sous mes yeux, son corps nu. Mon regard glisse le long deses courbes. Sur ses fesses bien dessinées et ses longues jambes que je rêverais de sentir se refermerautour de ma taille. Mon sexe réagit immédiatement, je sens le désir naître en moi avec force. C’estincontrôlable, c’est plus puissant que moi. Je ne peux pas y résister.Et ma langue se délie comme elle a toujours su si bien le faire en sa présence. — J’aimerais être quelqu’un d’autre Mary. Je fais un pas vers elle en sécurisant mon Beretta que je coince dans mon dos dans l’élastique de monshort.Ma voix interpelle Mary qui se fige. — Je n’arrive pas à t’en vouloir comme je le devrais, je poursuis lentement. J’avance encore en l’observant. Mary ne réagit pas, mais je sais qu’elle m’écoute attentivement.

— Parce que rares sont les personnes pour qui j’ai tant compté. La petite sorcière se tourne vers moi, ses yeux violets malvoyants trouvent les miens, et j’y lis de latristesse. — Tu crois en moi, comme je n’ai jamais cru. Et je ne comprends pas. Je m’arrête de marcher à quelques mètres de son cercle de feu. Une légère brise se lève, faisantfrissonner sa peau. J’ai l’impression de me mettre à nu devant elle, alors que c’est elle qui l’est. Jelui donne le maximum de ce que je peux donner à quelqu’un actuellement et lève l’une des dernièresparts d’ombres me concernant. — Je ne comprends pas pourquoi en ta présence la vie semble soudainement plus calme. Pourquoimon calvaire silencieux s’atténue. Pourquoi je te désire autant alors que nous nous connaissonsdepuis si peu de temps. Mary détourne le visage quelques instants, le temps de discrètement essuyer ses yeux. J’espère qu’entant qu’empathe, elle ressent la sincérité de mes paroles, et les sentiments puissants qui vivent en moicar je ne sais pas si je serais capable de le dire clairement à haute voix. — Le temps est éphémère lorsque nous avons une éternité à vivre, murmure Mary. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres, elle a raison. L’échelle n’est pas la même lorsqu’il s’agitd’apprendre à se connaître quand nos jours ne sont pas comptés. — J’ai mis toute une vie humaine à comprendre que j’aimais ma femme et j’ai mis des années à merendre compte que j’aimais Queen. Mais toi… Tu m’as mis à terre en un seul regard. Je ne peux riente promettre, je ne suis certain de rien. Mais la seule chose dont je suis sûr, c’est que je te veux. — Senan… Mary fait les quelques pas qui nous séparent et vient me rejoindre. Je la prends dans mes bras, sapeau est plus chaude que la mienne, et la sentir si près après cette distance ne manque pasd’intensifier le désir que j’ai pour elle. Mary m’étreint avec la douceur qui lui est propre. Son visagese glisse dans mon cou, et je sens sa respiration saccadée. Son odeur m’envahit, je retrouve ceparfum de fleur de tiaré qui ne manque pas de mettre à mal mon peu de résistance. — Je n’en peux plus de lutter, Mary, je chuchote contre son oreille, alors ne me brise pas unetroisième fois. Mary secoue la tête laissant traîner ses lèvres sur ma peau. Lorsque mes doigts effleurent son dos,elle se met à trembler. Je ne doute pas qu’elle doit ressentir la même chose que moi à cet instant. Cebesoin incompréhensible d’avoir l’autre au plus près. Je la veux avec tellement de force que ça me

fait mal. — Je t’accepte comme tu es. Sa main caresse ma joue râpeuse, sa voix se fait plus rauque lorsqu’elle poursuit : — Ça prendra du temps Senan. Tu mettras du temps à m’accepter, à accepter le fait que tu puissesaimer encore. Mais un jour ça arrivera. Je ne suis pas ta femme, je ne suis pas Queen, je suis Mary, etje suis capable d’affronter les choses et me défendre. Laisse-moi t’aimer comme tu le mérites, laisse-moi guérir tes plaies, laisse-moi t’aider à te pardonner tes fautes passées. Je banderai ces blessuresqui ne se voient pas. Je te chérirai, et je t’aimerai avec tout mon cœur, de tout mon être. Parce que tues un homme bon Senan, tu es un homme extraordinaire, doté de capacités exceptionnelles, quisouffre et qui ne mérite pas de souffrir. Sa main se pose sur ma poitrine, et l’organe à l’intérieur se met à battre plus fort. —Tu souffres et j’en suis désolée. Mais je ne m’excuserai pas d’être tombée amoureuse de toi.Encore moins de vouloir t’aider. Et je l’accepte. J’accepte tout, même si ce n’est pas facile, j’ai compris qu’on ne peut pas luttercontre les choses qui nous font du bien. Je ne peux pas lutter contre les sentiments qui nous lient avecMary, je ne peux rien faire contre la douceur et la tendresse qu’elle m’apporte depuis notre rencontre.Je ne m’étais jamais senti aussi apaisé depuis ma transformation.Je n’ai jamais ressenti un tel besoin d’avoir une femme en particulier. Je ne me l’étais pas autorisédepuis Crescentia. Queen était une exception. Mais les sentiments que je ressens à l’égard de Marysont identiques à ceux de la femme que j’ai épousée et aimée lorsque j’étais humain. — Ne me rejette pas encore une fois, murmure Mary se serrant contre moi. Je glisse une main dans ses cheveux bruns détachés. Mon entrejambe réagit de plus en plus à saproximité.Je veux m’enfoncer en elle, j’en ai besoin, comme j’ai besoin de sa présence à mes côtés. — Je crois que je n’en serai plus capable, j’avoue sans hésitation. Ma réponse fait naître une lueur de joie dans les pupilles améthyste de la demi-vampire. Mary se metsur la pointe des pieds, ses bras s’enroulent autour de mon cou, elle m’attire vers elle et je ne résistepas. Mon visage s’approche du sien, je sens sa respiration s’accélérer, je perçois son excitation et ledésir qu’elle éprouve pour moi.C’est tellement puissant. C’est comme si Mary me transmettait tout ça en me touchant.Mon regard sanguin croise le sien. Le temps semble s’arrêter l’espace de quelques secondes, il n’y aplus qu’elle et moi, et ce besoin d’avoir l’autre qui reste en suspens.

— Senan… J’arrête de réfléchir, j’arrête de peser le pour et le contre. Je me laisse submerger par cette attiranceet par le lien étroit qui se tisse entre nous depuis notre rencontre. Je romps les quelques centimètresqui nous séparent et embrasse sa bouche comme si ma vie en dépendait. Un frisson me parcourt lecorps en entier, je sens l’excitation s’accroître en moi. Les lèvres de Mary remuent contre lesmiennes pour me redonner mon baiser. La tendresse qu’elle m’offre fait palpiter l’organe dans mapoitrine. Je n’ai plus embrassé de femme de la sorte depuis des mois. Avec une telle passion, et un telbesoin d’avoir ce que j’ai sous les mains. Je glisse mes mains le long de son dos, caresse ses fesses nues, et la soulève pour la plaquer contremoi. Ses seins s’écrasent sur mon torse, et son entrejambe vient frotter contre mon sexe. J’ai envied’elle. Tellement. C’est comme si le désir irradiait dans tout mon être et augmentait au fur et à mesuredu passage des minutes.

Mary continue de m’embrasser à en perdre haleine. J’entends les battements de mon cœur résonner.Ma petite sorcière ne rompt pas un seul instant le contact de nos bouches s’aimant l’une l’autre. Jesens sa langue effleurer mes canines qui se sont allongées. Elle semble perdue dans la frénésie dudésir.C’est plus fort que nous. On en a besoin. Comme un drogué en manque, j’ai besoin de m’enfoncer enelle, d’obtenir plus que sa simple présence.Les douces mains de Mary se glissent dans mes cheveux noirs, elle joue avec sans s’en rendrevéritablement compte. Elle m’hypnotise. J’aime le goût de ses lèvres, leurs douceurs et le message silencieux qu’elles font passer. Mary sefrotte contre moi, son corps dénudé créant une friction divine qui m’enflamme un peu plus. Je sensmon sexe se raidir davantage lorsque je perçois la chaleur de son entrejambe contre le tissu fin demon short.Je me fige lorsque la vérité me frappe de plein fouet. Je ne désire pas seulement cette femme pour unenuit, pour soulager le feu qui sommeille en moi depuis notre rencontre. Je veux Mary comme on veutune femme qu’on désire faire sienne. Je veux son sang en moi, je veux sentir la chaleur de son sexe serefermant sur le mien lorsque je la ferai jouir. Je veux entendre chacun de ses soupirs, chacun de sesgémissements, chacune de ses plaintes. Je veux l’aimer avec des actes puisque je ne sais pas sij’arriverai à l’aimer un jour autrement. — Fais-moi, l’amour Senan, murmure Mary contre mes lèvres. Je ferme les yeux en encaissant la vague de désir qui déferle en moi. Mon sexe se presse contre lachaleur du sien, Mary étouffe un petit gémissement.Elle me veut.Et je ne peux plus lui résister, pas après ce qu’il s’est dit.Je marche dans le sable fin vers le cercle qu’elle a créé pour sa célébration nocturne. Je remarqueque Mary a étendu un tapis orné de runes. Je nous y conduis, et me mets à genoux. Mary s’étend sur letissu, ses cheveux s’étalent sur le tapis, elle est à l’aise avec son corps. Les pointes de ses seins sedressent sous mes yeux, sa jugulaire bat vite, sa respiration est de plus en plus désordonnée.

Je rêve de faire courir ma langue sur ce ventre, découvrir ces zones sensibles, et partir explorer laprison accueillante entre ses cuisses. Je rêve de m’y perdre, de sentir chaque parcelle de son sexeemprisonner le mien.Cette vision ne manque pas de faire réagir mon érection dans mon short, où déjà une bosse est plusque voyante.Mary dégage un mélange de tendresse et de passion qui me bouleverse. Je retire mon Beretta que je pose à ma portée. Mon t-shirt suit le mouvement l’instant d’après. Marytend un bras vers moi, l’une de ses jambes se glisse autour de mon bassin, elle m’attire contre elle, etje ne résiste pas.Nos lèvres se retrouvent et recommencent à se chercher dans une lutte brûlante. Je l’embrasse commesi l’essence même de la vie se trouvait dans chacun de ses baisers. Ils alimentent le feu en moi,comme un souffle d’air sur des braises.Je mordille ses lèvres, joue avec. Ma langue les caresses, et Mary entre dans le jeu. Son éternelledouceur laisse place à la passion.Ses mains glissent le long de mon dos, elles effleurent et caressent chaque parcelle de peau à sadisposition. C’est comme un combat entre nous, savoir lequel de nous deux, découvrira l’autre enpremier sous la paume de ses mains.Je tente de refouler la boule qui naît au creux de ma gorge lorsque ses mains arrivent au niveau demon torse. Il y a des choses qu’on ne peut pas cacher au toucher.Queen n’y avait pas prêté attention lorsque nous avons fait l’amour. Elle était trop occupée à ne paspenser. À agir avec son corps et non avec son cœur. Mais c’est différent avec Mary. Elle n’aime pasl’apparence que je dégage, elle aime l’homme que je représente. Mon physique, elle s’en tape, je lesais. Elle ne sait même pas à quoi je ressemble véritablement puisque de ses yeux, le monde entierest flou.Mary se fige contre ma bouche, son souffle est désordonné. Je sens l’émotion la gagner, au-delà dudésir et de l’envie d’être contre moi.Ses doigts tracent le contour sur chacune des cicatrices qui recouvrent mon torse. Ce sont desmarques de morsures. Elle prend le temps de les découvrir, et je comprends la signification de cegeste silencieux. Mes marques ne la dérangent pas.Les cicatrices forgent les hommes, et je n’échappe pas à la règle. Chaque marque fait partie de moi,chaque plaie renferme un souvenir douloureux que je ne peux oublier.Je sais que beaucoup de questions demeurent sans réponses, mais elles viendront. Je comblerai meslacunes la concernant, si Mary m’en donne l’occasion.Je décide de détourner l’attention de ma partenaire en remuant contre elle. Mon érection vientappuyer contre un point sensible de son entrejambe, un petit gémissement lui échappe et je succombeà l’envie d’en découvrir plus. Je veux la sentir frissonner sous moi, sous chacune de mes caresses.Je veux l’aimer tout simplement.Ma bouche descend vers son cou, je laisse traîner ma langue sur sa jugulaire que je rêverais detranspercer. Je glisse jusqu’à ses seins, et m’empare de l’un de ses tétons que je titille et suce. Marylaisse échapper un râle de plaisir, et commence à se tortiller sous moi.L’une de mes mains remonte le long de sa jambe que j’écarte lentement. Mary frisonne sous moncontact, et ça me plait.Je fais subir le même sort à son autre sein, avant de poursuivre mon chemin vers son intimité. Ma

langue glisse en alternance avec mes lèvres le long de son ventre. Je joue avec son nombril et lui faisnaître des frissons. Mary s’impatiente, comme si son corps savait parfaitement ce qui allait seproduire.Je lève les yeux vers ceux de Mary, même si elle ne me voit pas clairement, les siens sont braquésdans ma direction. J’admire son corps tendu sous l’excitation, et la légère timidité qui s’empared’elle en n’osant pas me demander ce qu’elle veut que je lui fasse. Elle est plus à l’aise avec lesgestes qu’avec la parole, et ça ne manque pas de m’amuser. Parce que j’espère bien délier sa langueet faire résonner sa voix sur cette plage déserte où seul le bruit des vagues résonne.Je ne la quitte pas des yeux lorsque j’écarte davantage ses cuisses, et m’installe entre elles, pourenfin découvrir cette partie qui symbolise toute sa féminité. L’odeur de son excitation me frappe, et jesuccombe au besoin de sentir son désir jusqu’au fond de ma gorge.Ma bouche se referme sur son sexe, et Mary laisse échapper un gémissement. Mon cerveau sedéconnecte de toute autre raison, il n’y a plus qu’elle.Ma langue se fait inquisitrice. Je lèche chaque parcelle de sa chair humide, en goûte la saveur,l’embrasse avec ferveur. Je laisse traîner mes canines sur son sexe sensible, et suce son clitoris avantde le titiller du bout de la langue. Mes mains viennent rejoindre la partie, je glisse en elle, deux demes doigts et constate la chaleur brûlante de son excitation. Ils vont et viennent en elle, en écho avecles caressent de ma bouche et de ma langue qui ne l’épargne pas.Sous moi, Mary se liquéfie. Elle laisse s’exprimer son plaisir, ce qui ne manque pas de me fairebander comme un fou.Les doigts de Mary se glissent dans mes cheveux, elle s’y accroche en remuant son bassin contre monvisage, réclamant davantage. Je veux qu’elle jouisse sur ma langue. Je veux sentir chacun desspasmes de son orgasme. Je veux la rendre folle.Je continue mon manège un moment, je découvre son corps pour la première fois, mais j’apprivoiserapidement ses sens. Je comprends quand il faut que je m’arrête, et quand il faut que je reprenne avecplus de dextérité.J’adore ça. J’ai toujours aimé voir une femme s’abandonner. Mais c’est différent le plaisir qu’ondonne à une femme qu’on… aime, d’une femme qui sera seulement l’histoire d’un soir. Et avec Mary,c’est différent.Ma langue continue de la torturer, mes doigts s’enfoncent plus rapidement et plus profondément enelle. Je sens qu’elle est proche à nouveau et au bord d’un gouffre émotionnel sous la tension qui règneen elle. — Senan, s’il te plait… gémit Mary haletante. Je ne peux pas résister à sa supplique. J’appose un dernier coup de langue sur son sexe endolori parle plaisir, mes doigts la pénètrent une dernière fois, et Mary est submergée par un puissant orgasmequi lui arrache un cri.Je n’arrête pas de la taquiner, jusqu’au dernier instant. Je prolonge son plaisir avec patience. Je suisà deux doigts d’exploser dans mon short, tant la lécher et la voir s’abandonner m’a excité.J’embrasse l’intérieur de sa cuisse, et me redresse, en embrassant son ventre, ses seins, son cou et sabouche. La respiration de la Sorcière est laborieuse, mais un sourire satisfait se dessine sur sonvisage.

— Waouh, murmure-t-elle contre mes lèvres. Je souris à mon tour, satisfait. Il ne lui faut que quelques instants pour reprendre ses esprits.Les mains de Mary vont vers mon short. Ses doigts agrippent l’élastique et le font lentementdescendre. Je l’aide à le faire dégager rapidement.Ma queue se dresse entre nous, j’ai rarement autant bandé qu’à cet instant. Et pourtant j’en ai vu desspectacles chauds au cours de ma longue existence.J’ai à peine le temps de me réinstaller entre ses cuisses, que les doigts de Mary se referment sur monérection.Un gémissement étouffé s’échappe de ma gorge, je me laisse envahir par des frissons de plaisir danstout le corps lorsqu’elle commence à me caresser. D’abord lentement, en alternant les pressions, puisde plus en plus soutenu. À un rythme qui me fait grincer des dents tellement c’est bon. — Mary… Ses dents mordillent mon oreille, elle continue. Son pouce taquine mon gland. Elle prend son tempspour découvrir chaque partie de mon érection. C’est une torture.Je mordille à mon tour son cou, laissant sans doute une marque visible de mes canines sur sa peau. Jesuis à deux doigts de craquer, mais c’est en elle que je veux succomber, pas dans sa main. En elle, enétant profondément enfoui dans la chaleur accueillante de son sexe. Pour faire cesser son manège, je la saisis dans mes bras, et nous fais basculer. Je me retrouve assis,Mary sur moi. Sa main a quitté ma queue, et cette dernière a trouvé d’elle-même l’intimité de Mary.Mon sexe se presse contre le sien, un seul mouvement et je m’enfoncerai en elle.Mary me dévisage, ses lèvres près des miennes, elle se blottit contre moi, et m’enveloppe d’unesensation réconfortante et apaisante. Je sais qu’elle ne le fait pas exprès, sans doute une conséquenceentre le mélange de ses sentiments et ses pouvoirs parfois incontrôlables. Ça fait du bien de sentirqu’on est désiré, que notre présence ravive une flamme.Il n’y a rien de plus frustrant et de meilleur que cet instant, ce court instant avant de connaître enfin lepremier stade du plaisir. M’enfoncer en elle en fait partie. La tension entre nous se fait plus forte, plus violente. Ce sentiment nous consume. Je laisse glissermes mains le long de son dos, vers ses fesses que j’agrippe et soulève. Je la positionne au-dessus demon érection qui se dresse vers elle.Mary se laisse lentement aller sur mon sexe. Elle l’accueille avec douceur, s’habituant petit à petit àmon intrusion. Je ne veux pas lui faire mal, mais bon sang, c’est de la torture une pareille lenteur.Je ressens chacune des caresses provoquées par son intimité étroite. Chacun des spasmes de sonexcitation, je les sens. Et la chaleur qu’elle dégage me rend fou.Sans prévenir, Mary s’empale sur moi d’un geste brusque, un grognement m’échappe, ce qui semblel’amuser. Des frissons naissent à nouveau sur sa peau. Elle murmure quelque chose que je nedistingue pas avec clarté. Mary se met à trembler, et à respirer de plus en plus vite. Elle n’imaginepas le plaisir fou qu’elle me procure, simplement en étant en elle. Ma queue est divinement bienentourée. Je me sens… à l’abri.Et aimé.

Puis Mary commence à aller et venir sur moi. Son bassin indique le mouvement à prendre et je lasuis. Je la pénètre lentement et profondément. Augmentant le rythme au fur et à mesure du temps quis’écoule. Notre étreinte devient plus passionnée, plus instable, et plus forte. Je ne la ménage pas. Jeveux la pousser à bout une nouvelle fois, la sentir exploser autour de moi.Nos deux respirations sont désordonnées, nos gestes se font plus brusques, je m’enfonce en elle avecforce, et Mary répond en plaintes et gémissements de plaisir.C’est fou, c’est dingue tant c’est puissant et enivrant. J’ai rarement eu l’occasion de faire l’amouravec une femme de cette façon-là, en communion. C’est comme si nos deux corps n’en formaient plusqu’un. Que notre désir était partagé par notre étreinte.Les flambeaux autour de nous deviennent plus vifs, j’entends le bruit des vagues s’écrasant sur lesable. Une brise légère vient caresser nos corps couverts d’une fine couche de sueur.Et nous nous aimons lentement, longtemps. À corps perdu, comme deux êtres qui se découvrent enfin.Mary perd totalement pied, et j’aime ça. La sentir s’abandonner entre mes bras, sous moi. J’aimequ’elle m’offre cette part d’elle.Je sens des picotements qui m’indiquent que je suis proche du point de non-retour. Mary l’estégalement. J’essaie de résister à l’envie soudaine et puissante qui me gagne. Mes instincts devampire aimant se sont réveillés. Et la soif de connaître le goût de son sang au fond de ma gorge sefait immense.Comme si elle le sentait. Mary presse mon visage contre son cou. Mes canines effleurent sa peau, jeferme les yeux, chassant l’envie cuisante de la mordre. Je ne devrais pas. Je ne peux pas la lier à moi,même si j’en crève d’envie. Ce serait égoïste de la mêler à tout ça. À mes histoires de Mémoire de laRace, à ce virus qui vit en moi et qui me bouffe. Même si Mary est différente, ce serait injuste. Injustede la mordre sans son autorisation, injuste de la pousser à faire la même chose alors qu’il reste tantde parts d’ombre dans notre relation. Parce que si mes crocs transpercent sa peau, sa réaction sera defaire de même et nous ne pourrons plus jamais revenir en arrière. Mais mon instinct de vampire me pousse à bout, à la limite du raisonnable. Mes crocs s’allongent aupoint de me faire mal. L’excitation en plus, ne rendant pas les choses faciles.Jamais je n’avais ressenti ça avec Queen.Lorsqu’on aime, les barrières qui nous séparent de cet amour peuvent être oubliées. J’ai mis de côtéle fait que Queen était mariée et liée. Mais jamais je n’ai désiré la faire mienne comme j’en ai envieavec Mary.Il n’y a pas d’explication, mon cerveau n’en trouve pas, mais mon cœur lui, dresse un tableau encoreinvisible à ma raison.Ce n’est pas pour rien que je veux la posséder de cette façon. Il y a bien un motif à tout ça. — Fait le… chuchote Mary, haletante à mon oreille, mord moi. Et je succombe. À la seconde où elle me donne son autorisation, je transperce sa peau, avale sonsang et m’enfonce en elle une dernière fois pour nous faire basculer vers la jouissance.Mary s’abandonne à nouveau dans mes bras, elle explose en murmurant mon prénom. Son sexepalpite autour du mien, et je la rejoins. Perdu entre le bien-être d’un orgasme et du sang de sorcièrequi prend possession de mon âme.C’est comme renaître de ses cendres. C’est mourir dans ses bras, et en revenir plus fort. C’est

terriblement intense. Une explosion de plaisir me possède. Je n’ai jamais connu pareille expérience.Son sang est doux, et sucré, comme un nectar rare que peu on eut la chance de connaitre.J’ai l’impression de ne faire qu’un avec Mary. Comme si nos deux âmes se liaient entre elles et sereconnaissaient.Et cette impression se confirme lorsque je sens deux canines me mordre et mon sang couler dans labouche de Mary.J’ignore combien de temps nous restons là, l’un dans l’autre à boire à la veine de l’autre. Maislorsque je lèche les plaies à son cou pour les refermer, j’ai la confirmation de ce dont je n’étais passûr ; j’aime Mary Drac.Mary ne tarde pas à faire pareil, elle referme dans une lente caresse sa morsure. À contrecœur, jequitte son intimité, et m’allonge sur le dos en emportant Mary sur moi.Les doigts de Mary caressent mes cheveux. Elle ne dit rien et moi non plus. Pas besoin de mettre demots quand le silence suffit à exprimer ce qui doit être dit. Mes actes parlent pour eux-même, et j’aibeau essayer de chercher le regret dans mes gestes, il n’y a rien. Je ne regrette rien, et c’est ça quim’effraie.

Chapitre 15Regarde-Moi

Hiver 1328Saint-Empire Germanique, Frontières entre L'État Monastique des Chevaliers Teutoniques et laPologne. Je pensais que le pire était passé, mais je me trompais. Depuis le début, je me trompais. J’étais loind’imaginer les réelles intentions de ces monstres. Je présumais que c’était des brigands, desdéserteurs, où tout simplement des missionnaires envoyés par un Roi d’Orient dans le but derependre la terreur dans une Europe déjà meurtrie.Mais je me trompais.Ils ont aligné dans la cour les survivants humains de la bataille, ceux qui n’étaient pas blesséssévèrement. Les autres ont été vidés de leur sang sous nos yeux par des monstres riant et se délectantde voir la pile de cadavres s’agrandir. Nous sommes restés, une vingtaine de personnes et moi, dansle froid de l’hiver, assis dans la neige qui nous glaçait le sang et les membres. La légère brise brûlaitnos poumons, et l’odeur du sang et de la mort régnait autour de nous en maîtresse. Jamais je n’avaisconnu ça. J’avais toujours le parti des victorieux, jamais celui des perdants. J’attendais en grelottantdans le froid, le sort qu’allait nous réserver nos geôliers avec la rancœur d’un perdant, mais l’espoirque notre sacrifice ne serait pas vain. — Seigneur. Je relève le regard vers l’homme qui vient de sortir de la porte de l’armurerie du château. Il se dirigevers le « Seigneur ». C’est un grand blond couvert de sang. Mon cœur ne manque pas de battre plusvite, j’espère que les enfants et les femmes, surtout ma femme, ont pu s’échapper à temps.Mais très vite, mon doute se confirme et la peur recommence à grandir en moi lorsque j’entendsplusieurs cris féminins. Dans l’obscurité, j’ai du mal à reconnaître leurs visages.La grosse voix qui résonne a des accents venant de l’Est. J’en ai croisé des gars comme lui encroisade il y a trois ans. — Nous les avons trouvés derrière le château, près des écuries donnant sur le sud des plaines. Ellesfaisaient échapper les femmes et les enfants.

— Combien vous en avez récupérer ? — Une dizaine. Il semblerait que la bataille leur ait servi de diversion pour leur fuite. — Tiens, tiens… Le Seigneur se tourne vers nous, je baisse les yeux pour ne pas attirer l’attention. Si ma sœur, mamère ou même ma femme se trouvent parmi elles, je ne veux pas qu’elles me reconnaissent etdeviennent des monnaies d’échanges.Pourtant la tentation est forte de savoir si elles sont en sécurité. J’espère sincèrement avoir raison,j’espère qu’elles sont déjà loin à cet instant. — Nous avons tué l’homme qui les accompagnait. D’après John, il était le Seigneur de ces lieux.D’après ce que j’ai compris, son fils était resté ici pour la bataille. Je me fige, et tente de ne pas réagir face à cette nouvelle. Malgré le fait que nous étions la plupart dutemps en désaccord, il était mon père, et j’étais son fils. Son héritier. Notre relation devait êtreconflictuelle. C’était ainsi. Et même s’il était dur, mon père restait mon père.Et il est mort.J’encaisse la nouvelle en tentant de ne rien laisser paraitre, mais c’est brutal. Après mon frère, voilàque mon père vient s’ajouter à la liste de ceux que je ne verrai plus.Un terrible constat se dresse devant moi. J’ai du mal à réaliser. Mon frère est mort sous mes yeux.Mon père est mort. Que reste-il de notre famille ? Mon autre petit frère à l’autre bout du pays, enpleins cœur d’une guerre qui dure depuis trop longtemps déjà.Une douleur encore inconnue m’envahit au niveau de la poitrine. J’ai l’impression d’avoir du mal àrespirer. C’est le choc. Je comprends enfin que rien ne sera comme avant après cette nuit. Et qu’unepart de moi, va rester sur le sol glacé si je survis.J’entends des pas dans la neige se diriger dans ma direction. — Et si nous parlions de tout ça avec le maitre de ces lieux. Je ne réponds pas et tente de rester impassible. Le monstre s’accroupit pour me faire face, mais je nele regarde pas. Ce n’est pas de la peur, seulement de l’indifférence, je veux lui montrer qu’il n’estrien à mes yeux, que ce qu’il a fait, ne m’affecte pas. En apparence, je veux être aussi froid que latempérature de cette nuit. Mais à l’intérieur, mon âme pleure à chaude larmes. — Très bien, Seigneur, allons voir ces charmantes jeunes femmes. Le monstre aux canines pointues me saisit par le col de mon manteau et me soulève sans difficulté.Les chaines autour de mes pieds et de mes mains s’entrechoquent. Il me traîne vers le regroupementde femmes et de… monstres inhumains sans difficulté, comme si je pesais aussi lourds qu’une plume.Je ne les regarde toujours pas, j’ai les yeux rivés vers le ciel, vers cette nuit qui s’est étrangementdégagée et qui laisse apparaître les constellations. Je repère le Dragon, c’est la préférée de Cressie.

Et je me contente de la compter en priant de pouvoir continuer d’être indifférent et que cetteindifférence, les sauvent elles.Faites qu’aucune d’entre elles n’y soient. — Mes dames, dites-moi, laquelle de vous a envie de vivre… — Senan ! Je ferme les yeux en reconnaissant cette voix. Le Seigneur me saisit par les cheveux et me force à laregarder dans les yeux. — Mais qu’avons-nous là ! C’est ta femme ? me chuchote-il à l’oreille. Ma sœur. C’est ma petite sœur qui se trouve face à moi. Elle est terrifiée, je le vois dans son regard.Elle tremble comme une feuille, et je lis sa demande silencieuse de trouver un moyen de l’aider.Mais ce qui manque de me tuer sur le coup, c’est de constater l’identité des deux femmes au bout durang. Ma mère et Cressie sont également des captives.Elles n’ont pas pu fuir.Bon sang !Lilith n’est pas habituée à se contrôler. Si ma mère et ma femme ont appris à jouer les indifférentesdans les pires situations, ce n’est pas son cas. — Non, ça doit être ta sœur, elle te regarde comme si tu étais son héros, avec l’amour d’une gaminequi te glorifie. Mais quel héros es-tu ? Un pauvre minable à qui on a décimé son armée et qui n’amême pas su aider sa propre famille. Le Seigneur saisit ma tête et la tourne vers Crescentia qui ne me regarde pas. Je vois les larmesqu’elle tente de refouler.Je suis désolé Mein Süßes… — C’est elle ta femme, n’est-ce pas ? C’est elle que tu tentais de sauver en te battant comme unhomme, au péril de ta vie. N’est-ce pas ? se moque-t-il froidement. — Je n’ai pas de femme, je réponds lentement. Je remarque à peine le tremblement de Cressie lorsqu’elle entend mes dures paroles. Elle sait que jene les pense pas, elle sait que je les dis pour la protéger.Je ne veux pas qu’elle devienne une cible. — Oh alors, tu ne vois pas d’inconvénients à ce que nous la livrions aux mains de mes gardes. Le Seigneur claque des doigts et montre ma femme. Je vois trois hommes s’approcher d’elle.Pas question.

— NON ! je hurle sans même pouvoir m’en empêcher. Je tente de me dégager de sa prise, mais le Seigneur me retient fermement et me jette au sol sansmême avoir à user de la force. Je me retrouve le cul dans la neige, un peu sonné. Je n’ai jamaisrencontré quelqu’un avec autant de puissance dans les muscles. Il fait naître un sentiment étrange, unesorte de présage, qui ne laisse rien prévoir de bon. Cet homme, quel qu’il soit, semble être entouré ethabité par la mort. — C’est bien ce que je pensais, lâche-t-il en s’approchant de ma femme. J’essaye de me relever, mais deux sbires viennent m’en empêcher. Ils me saisissent par les bras, etles tirent en arrière pour me bloquer. Le moindre mouvement fait naître une douleur dans mesmembres. Je suis pris au piège. Impuissant face à ce qui va se passer. Il m’a mis en simple spectateur.Et cette position-là, je ne l’aime pas.Mon rythme cardiaque s’accélère au fur et à mesure que je le vois tourner autour des femmes qui sontdans ma vie. Ma petite sœur fond en larmes lorsqu’il s’approche d’elle et la renifle comme unvulgaire morceau de viande.Ma mère reste cette femme froide en apparence, qui tente de rester maîtresse de ses émotions. Maislorsqu’il pose la main sur elle, et l’attire en arrière, elle pousse un hurlement d’effroi qui me glace lesang.Mais il ne la touche pas. Il se contente de la laisser dans la neige, tremblante. Ma sœur se penchevers elle pour l’aider, mais le Seigneur la pousse avec force, la faisant trébucher à son tour. Unmoment de sauvagerie l’emporte, il va vers chacune des femmes encore en vie, et sans comprendrecomment il y parvient, elles tombent une à une au sol, la gorge lacérée, du sang se répandant à grandecoulée dans la neige. Ses hommes deviennent fous, ils se jettent dessus et posent leur bouche sur cesplaies ruisselante.C’est un spectacle d’horreur auquel nous assistons impuissant tant il se déroule vite. Je ne réfléchispas lorsque je le vois s’approcher de nouveau de Cressie. Je ne veux pas qu’il la violente. — Arrêtez ! je lance d’une voix forte pour qu’il m’entende, ne les touchez pas ! Le Seigneur se tourne vers moi en essuyant sa bouche couverte de sang, il rit. — Ernest, tu as entendu ça, il a dit qu’on ne pouvait pas les toucher… Plusieurs rires autour de nous se font entendre. Je sens la tension s’accentuer dans la cour, comme uneprémisse que l’horreur n’est pas finie et je déteste ce sentiment.Je croise le regard effrayé de ma petite sœur, elle tremble comme une feuille. Son visage est pétrifiépar la peur. J’aimerais trouver les mots justes pour la réconforter, mais rien ne vient.Le Seigneur ne me quitte pas des yeux lorsqu’il ordonne d’une voix sans appel ses intentions. — Tue la gamine.

— NON ! J’ai à peine le temps de parler, qu’un des monstres se rue vers ma sœur, avec sa lame. Il lui tranchela gorge d’un coup sec et pose sa bouche sur la plaie pour y récolter la moindre goutte rouge. Je medébats en hurlant à pleins poumons, mais les deux types sont plus forts. Il me maintienne immobileface à ce spectacle insoutenable. Où est la justice dans tout ça ?Je refoule la nausée et des larmes en voyant le corps sans vie de ma sœur. Ma mère pleure à chaudeslarmes et Cressie tente de l’approcher, mais un garde la foudroie d’un regard désapprobateur.Dieu tout puissant, ayez pitié de nous.Le Seigneur marche vers moi à grandes enjambées. Il me saisit les cheveux et attire mon visage àportée du sien. — Sache l’humain, que je n’ai pas à recevoir d’ordres de la part de ta misérable espèce. Vous existezseulement pour nos besoins. Vous n’êtes rien. Vous ne méritez la vie que pour que nous vous laprenions. Et j’aime ça. Ernest… Son bras droit aux cheveux blonds s’approche des femmes restantes, il s’arrête derrière ma mère.J’étouffe un sanglot lorsque je vois la lame près de sa gorge, je ne peux pas regarder. Je ne veux pasvoir la femme qui m’a mise au monde finir ainsi. Elle ne mérite pas ça.Je détourne les yeux en contenant ma rage et la douleur cuisante qui grandit dans ma poitrine.Cressie craque et se met à pleurer à chaudes larmes en voyant le corps sans vie de ma mère tomberau sol. Deux monstres se jettent sur son cadavre et se ruent vers la plaie sanguinolente.Je me mets à hurler des horreurs, je le maudis pour ses actes, et lui promets que je me vengerai. Maisma colère ne semble pas l’effrayer, bien au contraire. — Voyons, petite prince, tu sais que vous n’en sortirez pas vivants. Tu ne verras pas le jour se lever,et aucun homme ne le reverra d’ailleurs. Alors implore ma pitié afin de me montrer clément une seulefois. Je dégage ma tête de sa prise et lui crache à la figure en l’insultant. La colère me domine pour lemoment, mais pour combien de temps ? Combien de temps je vais pouvoir contenir cette douleur quime presse la poitrine. Je viens de voir ma petite sœur de dix-sept ans se faire assassiner sous mesyeux, et ma mère, la femme qui m’a donné la vie, périr sans raison.C’est pour ma femme.C’est pour Cressie que je ne succombe pas. Je dois la sauver, seulement j’ignore comment. — Supplie-moi d’épargner sa vie et celle de son enfant à naître. Je regarde Crescentia qui me dévisage en tentant de me cacher ses larmes. — Demande-moi de la laisser en vie, renchérit le Seigneur.

À cet instant, je m’en veux plus que tout. De ne pas l’avoir écoutée, de ne pas avoir fui tant qu’il enétait encore temps. Elle avait raison. Elle a toujours eu raison sur tout et comme un idiot, je ne l’aipas écoutée. — IMPLORE ! hurle-t-il en me secouant. Je ferme les yeux en demandant pardon de me montrer si faible. Un homme ne se laisserait pasinfluencer par ses sentiments, mais moi, j’aime ma femme, je l’aime plus que ma propre vie et je nepeux pas la laisser mourir sous mes yeux.Je dois la sauver. — Ne lui faites pas de mal, je chuchote, je vous en supplie ne la touchez pas, je ferai ce qu’il fautpour que vous la laissiez en vie. Mais par pitié ne la touchez pas.Le Seigneur me lâche en riant à nouveau, visiblement satisfait d’avoir obtenu ma reddition. — Comme les humains sont divertissants. Ernest, fais-en ce que tu veux, lâche-t-il. — NON ! Je tente de me débattre en hurlant à plein poumons. Je dois me faire mal, mais la douleur sembleinexistante. Il faut qu’on me lâche, j’ai besoin de me lever pour la protéger. Mais les deux hommesqui me tiennent, ne me lâchent pas. Ils me bloquent même, de telle sorte que je ne puisse pasdétourner le regard de ce qui se passe en face de moi.Ernest s’approche de ma femme en se léchant les lèvres, comme un vulgaire animal. Cressie paniqueet tente de reculer et manque de trébucher. — Fais ce que tu veux, mais sous nos yeux, l’informe le Seigneur en s’approchant à son tour. — Avec plaisir, Seigneur. Ils sont cinq à se ruer vers Cressie la seconde d’après. Elle tente de courir pour leur échapper, maisils vont plus vite. Ils l’attrapent et l’amène près de nous. À moins de dix mètres. L’un d’eux labouscule et elle tombe à genoux face à moi.Je continue de me débattre et d’user de ma voix pour que quelqu’un intervienne, mais personne ne lefera. Personne. — N’oubliez pas messieurs, qu’il n’y a rien de meilleur que le sang d’un être innocent, conclut leurchef en observant attentivement la scène. Je hurle à m’en briser la voix en comprenant ce qu’il va se passer. Tout explose en moi, la peine, larage, et la douleur. C’est tellement violent que j’ai l’impression que ça va me détruire. Je me sens

pénétré d’une telle force douloureuse que j’ai du mal à respirer.Je tente de me débattre de toutes mes forces pour échapper à leur prise et me brise la voix lorsque jevois un type se jeter sur ma femme, qui se retrouve allongée dans la neige, un poignard en l’air prèsde son ventre qu’il transperce.Crescentia hurle de douleur et tente de se débattre, mais deux types la retiennent pendant qu’un autres’emploie à ouvrir la plaie. Je vois du sang partout, sur sa robe, son manteau, se rependre sur laneige. Ses cris d’agonie qui me tordent le cœur et me font succomber à la rage et à la peine. Ma vuedevient trouble, je cherche le regard de ma femme. — Regarde-moi ! je hurle d’une voix brisée. Cressie tourne la tête dans ma direction, du sang tache son beau visage. Elle ne me quitte pas un seulinstant, ses yeux verts sont rivés dans les miens, je vois une larme glisser le long de sa joue. Je neveux même pas regarder le reste, je n’y prête pas attention, même si je sais très bien ce qu’ils sont entrain de lui faire. De leur faire. J’aperçois une petite silhouette tâché de sang qui ressemble à unenfant nouveau-né et je détourne le regard de la vision d’un homme sortant son arme.Faites que ça se termine. — Ca va aller, Mein Süßes, je te le promets, ça va aller… je murmure dans un sanglot étouffé. J’entends ses gémissements de douleur et ses pleurs d’agonie, le bruit affreux d’une chair qu’onmutile. Je vois du sang tacher la neige blanche. Ces hommes se penchent vers son corps, ils nel’épargnent absolument pas.Je veux que ça s’arrête, je prie pour que ça s’arrête et vite. Et je me sens tellement impuissant face àson cauchemar. Elle meurt sous mes yeux et je ne peux rien faire pour l’éviter. Son corps est secouépar des spasmes, je ne vois que ces hommes autour d’elle qui s’abreuve du peu de sang qu’il luireste.Faites que ça se termine.Des larmes de souffrance et de colère s’échappent de mes yeux, je suis secoué par des sanglots,j’entends les deux gars qui me retiennent rire du spectacle. Et j’ai mal. Si mal. La douleur m’étouffeen même temps que la rage. Mais je ne la quitte pas du regard. Je veux être la dernière image qu’elleemporte de cette vie désastreuse, où moi son mari, je n’ai pas pu la sauver d’un tel sort. — Regarde-moi… je chuchote doucement. Cressie fini par fermer les yeux, comme lorsqu’on s’endort paisiblement. Elle ferme les yeux et s’enva. C’en est fini de souffrir, fini d’avoir mal, de sentir la vie s’éteindre en elle petit à petit. Il n’yavait même plus cette lueur dans son regard.Elle est partie.Elle est partie de la pire des façons qu’on puisse mourir. Ils l’ont tuée comme des barbares.Les deux types qui me retenaient me lâchent, je tombe dans la neige, effondré, incapable de me retenirde laisser libre court à mon chagrin.J’ai envie de mourir. La douleur est si forte. Elle me pénètre de part en part comme si une épée

m’avait transpercé brutalement, sans que je m’y attende. Je souhaite à cet instant que le chagrinm’emporte.Je n’entends pas les pas dans la neige venir vers moi. Je n’entends que cette voix rauque amusée dela situation. — La vie est faite d’injustice. Et je suis là pour la faire régner. Je ne me rebelle même pas. Je reste immobile à dévisager le spectacle macabre sous mes yeux. Je nesens plus le froid, ni même l’humidité de mes vêtements. Il n’y a plus que cette douleur cuisante dansma poitrine. J’oublie même toute notion d’humilité lorsque je suis terrassé par une crise de larmesincontrôlable. Je pleure comme un petit garçon l’aurait fait, je ne peux pas m’arrêter. Et ça ne semblemême pas me soulager. Pire, on dirait que ça ne fait qu’augmenter le degré de souffrance que la perted’un être cher impose. — Donner le reste de leurs cadavres aux chiens. Je n’arrive pas à détourner le regard de leur corps dans la neige, les hommes du Seigneur se sontrelevés, repus. Ils l’ont laissée nue dans cette neige, sans prendre la peine de recouvrir son corpsmutilé.J’aimerais me réveiller, je voudrais tellement me réveiller de cet affreux cauchemar et me rendrecompte que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve. Ça ne peut pas être possible, elle ne peut pas êtremorte.Lorsque deux hommes s’approchent d’elle, je tente de me lever pour les en empêcher mais rien ne sepasse, rien ne bouge. C’est comme si le chagrin m’avait pétrifié sur place. Je les regarde me laprendre une bonne fois pour toute, et je sais que jamais je ne la reverrai. Jamais plus je ne pourrai laprendre dans mes bras, entendre son rire, et sentir la douceur de ses mains. Jamais plus je ne laverrai sourire. Elle n’aura même pas droit à une sépulture décente.Je tombe dans la neige gelée, sanglotant comme un enfant, et je prie de toutes mes forces pour que siune puissance divine existe, qu’elle ait pitié de moi et me prenne à ses côtés. Aucun homme nedevrait ressentir ça.Réveillez-moi de ce cauchemar. — Amenez les prisonniers aux cachots, nous les exécuterons demain à la tombée de la nuit, ordonnele Seigneur en marchant vers l’entrée du château. Je ne réagis pas, je reste dans la neige, près des traces rouges laissés par le cadavre sanguinolent dema femme.Ma vue est de plus en plus trouble, je ne sens même plus les larmes brûlantes glisser le long de mesjoues. Je ne suis plus qu’un amas de chair respirant par réflexe, et non par désir.Je veux mourir.Je veux que cette douleur cesse, je veux qu’on y mette fin. Je veux qu’on arrache cet organe dans mapoitrine qui me fait si mal.Ma respiration se fait laborieuse, j’étouffe, j’ai l’impression que ça ne va jamais s’arrêter. Que la

souffrance va me submerger davantage. Elle va me bouffer de l’intérieur.Et j’ai mal. Si mal.Tout est mort en même temps que Crescentia. En même temps que cet enfant que je n’aurai jamais vu,ni même entendu pousser son premier cri. Il est mort lui aussi, on lui a ôté la vie avant même qu’ilpuisse se rendre compte qu’il était né. On lui a pris ce droit. On me les a pris, tous les deux.Comment survivre à ce genre de perte ? Comment survivre à l’assassinat des êtres qui nous sont leplus cher. On ne peut pas. On succombe, surtout lorsqu’il n’y a plus aucune raison de se battre pourvivre.Ils m’ont tout pris.Je ne suis qu’une chose vivante qui respire et qui souffre. Je ne pensais pas que perdre un être aiméferait aussi mal. On ne peut pas imaginer à l’avance comment on vivrait ce genre d’événementtragique. Je n’étais pas préparé, et je ne pouvais pas l’imaginer. Un homme aussi terrible qu’il soit, ne peut pas tuer une femme enceinte. Mais ce ne sont pas deshommes, ce sont des monstres.Je sens à peine les deux bras qui se glissent sous les miens et me traînent en arrière. Loin de ce quime relie encore à ma femme. Loin de l’endroit où on lui a pris la vie. Et je n’ai même plus la force detenter de faire quoi que ce soit pour qu’on me laisse dans ce froid.Qu’ils m’emportent comme ils auraient dû tous nous emporter.Je veux que la nuit me prenne, comme elle a pris les nôtres sans même hésiter.Je suis mort, à l’instant même où ils ont massacré les miens, je suis mort avec eux. Plus rien nepourrait me sauver de cette descente aux enfers.Il n’y avait que la douleur qui me maintenait en vie, et j’espérais que cette dernière m’emporte plusvite que la lame de l’épée tranchante qui m’attendait le lendemain.

Chapitre 16Confessions

2016,Hawaï. Je repère la Couronne Boréale, le Dragon et Persée en regardant le ciel étoilé qui se dégage lorsquela nuit tombe sur la Terre. Le phénomène de la nuit éternelle sur notre planète après le renversementdu monde par une Race « démoniaque » m’a toujours perturbé. Et lorsque les étoiles reprennent leurplace dans le ciel noir, on penserait presque que tout est encore comme avant.Le silence entre nous s’est fait le maître sur la plage. Il n’y a que le bruit des vagues, des torches quibrûlent et nos respirations qui ont repris un rythme normal. Pour la première fois depuis longtemps, jeme sens bien. Apaisé. Et la femme nue dans mes bras éveille des choses nouvelles au creux de mapoitrine. Des choses que je pensais oubliées à jamais. — Ça va ? chuchote Mary dans mon cou. Je ne réponds pas, je me contente de hocher la tête. Je réfléchis, j’attends que mes vieux démonsarrivent avec le regret et la colère, mais rien ne vient. Je me sens calme, soulagé. J’ai l’étrangesentiment de me sentir… différent. Comme si j’avais quelque chose de nouveau en moi.Le goût encore sucré dans ma bouche me rappelle qu’effectivement, quelque chose a changé. Je mesuis lié avec une demi-vampire sorcière. J’ai laissé libre court à mes sentiments, comme je l’aitoujours fait. Sauf que cette fois-ci, je ne semble pas avoir commis d’erreur. Je ne le vois pas commetel. — Et toi ? je demande en jouant avec ses cheveux bruns. — Très bien. Le silence revient, je sens Mary bouger, son corps se blottit contre le mien, sa peau chaude, encorevictime de notre étreinte passée. J’apprécie le calme après cette tempête inattendue. — J’ai toujours adoré la façon dont le ciel se dégageait lorsque la nuit réelle tombait, m’avoue-t-elle.

Moi aussi. Ça me rappelle les nombreuses nuits qu’on a passé avec Decease en mission, à voyager.Mais l’obscurité ne remplace pas la lumière. La lumière est plus merveilleuse, plus réconfortante. Ames yeux, elle est synonyme de sécurité. Et dans mon subconscient j’ai l’impression de ne l’avoirplus jamais été depuis ma transformation. — Il n’y a rien de plus beau que le soleil, je renchéris. — Il brûle, me répond Mary. Oui il brûle des êtres qui ne sont pas humains. Le soleil est un ennemi des vampires, il l’a toujoursété. Mais lorsqu’on l’a connu différemment, on ne peut s’empêcher de regretter la chaleur quiirradiait notre corps lorsque ses rayons touchaient notre peau. — Je n’ai jamais connu le soleil, poursuit Mary. Je fronce les sourcils en tournant mon regard vers elle. Ses doigts tracent des cercles autour descicatrices sur mon torse. Cette caresse me file des frissons.Elle n’est pas totalement vampire, et ce constat est toujours… troublant. J’aurais pensé que lessorcières pouvaient se balader à la lumière du jour lorsque le soleil était encore présent.Mary sent ma perplexité, et réponds à ma question silencieuse. — Je suis à demi-vampire, je crains le soleil. De plus, je vivais au même rythme que mon père. Je nepeux pas regretter quelque chose que je n’ai pas connu. Vu de cette façon, elle n’a pas tort. — Senan ? reprend-t-elle. — Oui ? Je sens la crainte naître en elle, c’est un sentiment bizarre, comme une connexion invisible entre nous.Je pense que je m’y ferais, ce n’est pas désagréable après tout, cette proximité avec quelqu’un.Je caresse son dos nu, et l’incite à parler. — Tu regrettes ce qu’il vient de se passer ? Je n’hésite pas, parce qu’il n’y a pas à hésiter. Je laisse parler mon cœur, sans me cacher. — Non et toi ? — Non, même en sachant tout ce que ça implique ? renchérit Mary. Même en sachant tout ça. Je pense que ça va au-delà d’une simple histoire d’attirance entre elle et

moi. Si mes instincts se sont réveillés et m’ont poussé à la mordre pour la faire mienne, ce n’est pasrien, encore moins un coup de folie. J’en suis persuadé.Ce type d’instinct ne se trompe jamais. On ne peut pas toujours tout maîtriser. — Je me dis que si ça s’est passé ainsi, c’est pour une bonne raison. Rien n’arrive inutilement. Je remarque que Mary se met à sourire. — Pourquoi tu souris ? je demande en embrassant sa peau. — Nous sommes la nuit de l’équinoxe d’été. — Et ? — C’est la fête de Litha, le solstice d'été. C’est lorsque la nature est à l'apogée de sa puissance.C’est une période de fertilité de la Déesse et du Dieu, qui est favorable aux pratiques de magies ditesd'amour. C'est la meilleure célébration que j'ai jamais faite pour l'Équinoxe. — Ravi d’y avoir participé. Mary se blottit davantage contre moi, en soupirant de bien-être. C’est drôle, je ne pensais plusconnaître un jour ce genre de moment dans les bras d’une femme. Pourtant, je le vis à l’instantprésent, et c’est presque difficile de l’apprécier tant cela me parait irréel.Je sens dans l’air un flot de non-dit. Mary se pose beaucoup de questions et ne semble pas rassurée.Je la comprends, je pense que je m’inquiéterais également si je venais de me lier à un être commemoi, indécis, blessé et compliqué.Ma voix est légèrement cassée lorsque je commence à parler. — Je suis née en 1300 en Rhénanie dans une famille plutôt riche. Mon père était le Seigneur d’uncomté qui s’appelait Magdebourg. J’étais l’ainé de ma fratrie, l’héritier. À cette époque, noussommes au quatorzième siècle, et en Europe c’était une période assez difficile. Je suis né lors d’unepériode longue sécheresse, il faisait tellement chaud et sec qu’on pouvait traverser le Rhin à pied.Puis il y a eu plusieurs années humides qui ont mis à mal les récoltes, suivies d’un début de pestelorsque j’ai atteint la majorité. J’ai perdu mes cousins et un frère pendant les épidémies. — C’était avant la Grande Peste de 1347 ? Je souris, j’en connais une qui a étudié son histoire en étant enfant. — Exact. Mais à cette époque-là, j’étais déjà un vampire. Mon humanité n’a pas dépassé l’année1328. Je ferme les yeux lorsque des souvenirs me reviennent, violents, sanglants. D’une nuit que je ne

pourrai jamais oublier. Elle fait partie de moi. Elle a construit ma nouvelle existence. C’est le derniersouvenir que j’ai de ma femme. La dernière année où tout était encore… comme avant.Mary m’enlace et ça m’apporte un peu de soulagement face à ces mauvais souvenirs qui me hantent,mais qui pour l’instant, ne semblent pas la hanter elle. — Tu peux me parler d’elle tu sais. Je suis assez curieuse d’en savoir plus sur elle. De mettre un nomsur un visage que j’ai souvent vu. C’était une belle femme. Je souris, elle était belle au naturel, sans retouche, une vraie perle rare. C’est étrange, elle a pu voir àquoi ressemblait Cressie dans sa tête, mais pas moi. Peut-être qu’en touchant quelqu’un qui meconnaît, elle m’apercevra clairement. Peut-être pas. Peut-être que je resterai flou à ses yeux et qu’ellem’aimera simplement pour ce que je suis et non pas pour ce que je ne suis pas. — J’avais neuf ans, je reprends, lorsque j’ai rencontré ma femme, Crescentia. Elle était la fille d’unami proche de mon père. Nous n’avions qu’un an d’écart. C’était une magnifique enfant aux longscheveux blonds et aux yeux verts comme la couleur de l’herbe qui entourait le lac près de chez-moi.Je m’en souviendrai toujours, elle était dans la petite cour réservée aux habitants du château, ellejouait avec un cerceau et un bâton en bois. Elle n’était pas tellement douée, mais ce n’est pas ça quim’a frappé en premier. Déjà petit, je lui avais dit qu’elle serait un jour la maîtresse de ce château.Elle avait rétorqué que c’était trop somptueux pour elle et qu’elle ne m’épouserait donc pas. Je souris et ma remarque semble amuser Mary. — Je crois que je suis tombé amoureux d’elle à cet instant. Elle était belle et elle me parlait commeme parlaient mes frères. Alors puisque pour le moment, elle ne voulait pas de moi, nous sommesdevenus amis et nous avons grandi ensemble. Crescentia avait la grâce d’une dame un instant, et laseconde d’après, le franc-parler et la logique d’un homme. Elle m’a appris à danser pour séduire lesfemmes, alors qu’honnêtement, je tentais de la séduire elle, et je lui ai appris à monter à cheval puis àse battre comme un homme. Nous étions inséparables. Et lorsque les années de l’adolescence sontarrivées, mon père m’a parlé de mariage, de responsabilités et de guerre. Ce genre de choses qu’onécoute que d’une oreille. Il voulait que j’épouse la nièce d’un Chevalier Teutonique pour nousassurer une alliance avec cet Empire. J’ai refusé. Je ne voulais pas d’elle pour femme. J’en voulaisune autre. Je voulais faire ma vie avec Cressie. Alors je me suis battu, j’ai tenu tête à mes parents etj’ai trouvé le courage de demander Crescentia en mariage. Quelques mois plus tard, on s’est marié, etvoilà. Je pensais que j’avais tout pour être heureux. J’avais tout pour l’être. J’avais une femmeextraordinaire. Elle avait un fort caractère, et une fierté semblable à celle d’un homme. Et je l’aimaispour ça. J’aime et j’aimerai toujours ma femme d’une façon spéciale. Je ne pourrai jamais l’oublier,je termine d’une voix calme qui ne cache pas la tristesse. — Je ne suis pas jalouse, je comprends, me rassure-t-elle. Je sais que ce n’est pas la même chose. Et ça me rassure de savoir qu’il n’y aura pas de compétition entre elles. Ce serait stupide. Mary n’estpas Cressie, tout comme Mary n’est pas Queen.

Queen… il faudrait qu’on en parle. Je n’ai plus le choix, je ne pourrai plus faire machine en arrière.Je vais devoir affronter mes erreurs et parler du fond du problème avec… Mary. Puisqu’on estdésormais liés d’une certaine façon. — Pas pour l’instant Senan. Pour l’instant, m’interromps Mary, c’est toi et elle. Pas toi et Queen. Je hoche la tête, Mary a compris. Elle se penche et dépose tendrement ses lèvres sur les miennes.Pour l’instant, elle veut simplement en savoir plus concernant mon époque d’humain. Et ça ne medérange pas.Je reprends mon récit d’une voix anxieuse. — C’était avant la Grande peste et la Guerre de Cent Ans, pendant la conquête de l’Europe desChevaliers de l’Ordre Teutonique, auxquelles la Germanie était alliée. C’est là que les massacres demasses d’un clan vampire ont commencé. Personne ne pouvait se rendre compte de l’ampleur dudésastre puisque la moitié du continent Européen était dévasté par la Guerre. Les vampires en ontprofité pour agrandir leurs rangs, gagner des terres, ou simplement faire le… mal. Ils venaient del’Ouest, de France, de la Russie, et des pays alentour. Ils étaient les ennemis de l’Empire Teutonique,membre de l’Église. L’Église savait pour les vampires, elle connaissait leur existence, mais n’a rienfait pour les empêcher d’agir. Elle ne pouvait pas de toute façon. Pour vaincre des monstres, il fautégalement faire appel à des monstres. Je retiens un rire sarcastique, c’est triste de se dire que j’en suis devenu un aussi par la suite. — En 1328, c’est là que tout a basculé. Mon père m’avait envoyé remplacer mon frère à la frontièrede l’ancienne Pologne. Je n’avais pas vu ma femme depuis plusieurs mois lorsque j’ai reçu une lettreme demandant de rentrer. Crescentia était enceinte de notre premier enfant lorsque tout ça s’estproduit. Nous avions mis plusieurs années pour parvenir à fonder une famille. J’étais tellementheureux d’avoir enfin un héritier. Mais à cette époque, j’étais partagé entre mon devoir et mon amourpour ma femme. J’étais perdu, je ne voulais décevoir personne. Je commence à lui faire le récit tragique de cette nuit où tout a basculé. Je lui raconte l’horreur, et laperte des êtres qui m’étaient le plus cher. Je n’arrive plus à me taire. J’ai besoin que ça sorte, aussimal que ça puisse faire paraître.Mary essuie discrètement les quelques larmes rebelles qui s’échappent de mes yeux et ne refoule pasles siennes, je n’ose même pas imaginer ce qu’elle doit ressentir en étant une empathe. Mais si elledoit faire partie de ma vie, elle doit savoir tout ça. Elle doit prendre conscience que certainesblessures, elle ne pourra pas les refermer. Qu’il faudra vivre avec.Mais ça ne semble pas la gêner, bien au contraire. — Et cet homme ? Est-ce que tu l’as retrouvé ? me demande-t-elle après plusieurs minutes. — Semyon, c’était comme ça que s’appelait le Seigneur. J’ai su bien plus tard qu’il était un des brasdroit de Dying, envoyé pour mener des insurrections jusqu’au camp où se trouvaient les Frères

Creaving. Decease m’a raconté qu’il a été tué lorsque son armée est intervenue pour faire cesser lesmassacres de masse. Il est mort, mais ça n’enlève pas ma peine. J’aurais voulu venger ma femme, etle faire souffrir autant qu’il pouvait me faire souffrir au quotidien. Le plus triste dans cette histoire,c’est que cela ne m’aurait soulagé qu’un temps. La plaie serait restée malgré tout ouverte. Je voulaisma femme, et ce n’était pas possible de la retrouver. Pourtant j’en ai fait des choses qu’on pourraitqualifier d’affreuses pour tenter de soulager mon désespoir avant de comprendre qu’on ne peut pasramener à la vie ce qui est mort. J’ai perdu ma femme, et notre enfant, et dans cette cruauté,j’ignorerai toute ma vie si c’était une fille ou un fils. Puis, quelques temps après, j’ai croisé la routede Decease Creaving. Ils étaient à la recherche des Exécutés. Il m’a trouvé, m’a ramené avec lui, ilm’a aidé à sortir la tête de l’eau. On est devenu amis, et je me suis engagé aux côtés des Creavingpour défendre leur cause, qui était la mienne à présent. Si les aider à faire tomber Dying Creavingpouvait me soulager un peu, j’étais prêt à faire n’importe quoi. Et j’ai fait n’importe quoi. Les sièclessont passés, et je n’ai pas bougé. J’étais vivant d’apparence, mais mort de l’intérieur. Je suis devenuun danger public, mais j’étais utile et c’est tout ce qui comptait. Jusqu’à Queen, jusqu’à la naissance de notre fille… jusqu’à toi. — … Les vampires qui sont comme moi, je poursuis, avec hésitation, possèdent la faculté detransmettre à ceux qui boiraient leur sang leurs souvenirs en totalité, en plus de ceux des vampires quiles ont transformés et de ceux à qui ces derniers ont enlevé la vie, en plus de ceux à qui il aurait ôtéla vie. À chaque fois que je bois le sang de quelqu’un, j’ai dans ma tête certains de ses souvenirs.C’est une sorte de dominos géants. On appelle ça les Mémoires de la Race. Mary avait vu juste.Les nuits sont chargées de cauchemars. Parfois il y a du bon, mais la plupart du temps, ce n’est pas lecas. On apprend à vivre avec ça, mais ça n’aide pas à nous rendre plus sociable, bien au contraire.Cette faculté nous enferme dans un engrenage douloureux. — Ta fille a la même faculté alors ? m’interroge Mary. — Sans doute, je soupire. Sawyer ne comprendra sans doute jamais ce qu’il lui arrive, et c’est ce qui me tord le cœur. Savoirque je ne pourrai pas l’épauler dans cette lutte. Savoir que je ne serai pas présent pour lui apportermon soutien. Ce « don », se transmet de génération en génération d’après les recherches que nousavions faites avec Decease. C’est un talent rare, un poison à mes yeux. — Je suis désolé, je finis par murmurer en serrant Mary contre moi. — Pourquoi ? — Parce que je t’ai sans doute contaminé.

Ma petite sorcière sort de mon étreinte et grimpe sur moi. Son entrejambe vient se frotter à mon sexequi se manifeste. Je me redresse pour m’asseoir à mon tour, ce sera plus simple de se contrôler. Samain glisse dans mes cheveux, elle m’attire contre elle pour me parler : — Senan, je suis une sorcière. Ça ne… ça ne me changera pas tellement de ce que je peux voir. Deplus, je pense que ça ne marchera pas. Je ne me sens pas plus différente qu’avant. Ne t’excuse pas dece qu’il s’est passé, parce que je ne regrette rien. Ses lèvres embrassent les miennes avec ferveur. Je sens la chaleur grimper en moi, et ce besoinintense de la faire mienne à nouveau. — Comme je ne regrette pas d’être tombée amoureuse de toi, me chuchote-t-elle en rompant notrebaiser. Moi non plus. Plus maintenant.Je la fais basculer sous moi et me loge entre ses cuisses.Le reste viendra après, mais pour le restant de la nuit, je veux seulement profiter de Mary. Toutsimplement.

Chapitre 17Une beauté aux yeux rouge

2015,New York. Ça s’est passé comme ça. Un soir, sans vraiment qu’on y réfléchisse, ça s’est produit. Notre histoireavec Queen ressemble au jeu de l’allumette qu’on brûle. On joue à l’allumer, puis à l’éteindrerapidement avant qu’elle ne se consume totalement, puis on en prend une nouvelle, on recommence,jusqu’à finir par se brûler les doigts en ne s’étant pas méfié de la flamme qui grandissait. Alors on nepeut pas se plaindre lorsqu’on a rien fait pour éviter que cela se produise.Une part de moi voulait Queen de cette façon-là. Je la désirais comme désire un amant, je voulaisqu’elle m’appartienne ainsi.J’avais passé des années à la vouloir en secret. J’ai enfoui mes sentiments pour elle au fur et àmesure que notre relation devenait de plus en plus ambiguë.J’avais été jaloux de son mariage, jaloux de Deryck qui n’était là que pour partager le bon, jaloux del’amour qu’elle lui portait, envieux de leur intimité, en colère contre cette injustice. Je n’aimais pasle simple rôle que je jouais : l’ami à qui l’on confie tout, celui qui a connaissance de ses secrets,même les plus inavouables, mais qui ne sera jamais plus. J’étais l’éternel meilleur ami de QueenMacTavish et personne ne voyait qu’il y avait plus que ça.Jusqu’à ce que Faith Creaving débarque. À travers les yeux d’une humaine qui ne nous connaissait pas, j’ai réalisé à quel point, j’avais touchéle fond. À quel point, je m’étais rabattu sur Queen pour oublier ma femme, oublier ces siècles desouffrance, oublier qu’une partie de moi était morte une froide nuit d’hiver.J’étais tombé amoureux de cette femme, puisque Queen m’avait ouvert une part d’elle et j’y avaisretrouvé ce condensé qui me faisait perdre la tête chez une femme. Je voulais avancer, cesser devivre dans le passé, mais j’étais tombé sur la mauvaise personne. Et de nouveau, j’avais sombré,petit à petit, sans vraiment m’en rendre compte.Puis un jour, tout a basculé. Ce n’était pas prévu. Deryck s’était de nouveau absenté, Queen m’avaitappelé, elle était en colère après lui. On a parlé, longtemps. Et lorsqu’elle m’a embrassé, je ne l’aipas repoussée.C’est comme si elle avait appuyé sur un bouton off.J’ai cessé de réfléchir avec mon cerveau, mais plutôt avec l’organe qui battait dans ma poitrine etj’ai plongé tête baissée dans une aventure qui finirait au même moment que notre amitié.

On a fait l’amour, mais c’était différent de ce que j’avais imaginé. On pense que ce sera un momentfort qui permettra de lever le voile sur toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites, mais c’est faux.C’est un acte qui met le feu aux poudres, qui fait exploser une relation à peine stable. Tout nous pète àla gueule avec violence, et on ne réalise que trop tard qu’on a merdé bien avant de se retrouver dansle même lit.Mais je l’ai fait, Queen aussi. Nous étions deux, il n’y en avait pas un plus fautif que l’autre.Je ne sais pas ce qu’il y a de pire. Faire l’amour avec une femme qu’on aime, prendre chacun duplaisir ou la voir s’effondrer juste après.Queen a pleuré, comme si je lui avais annoncé la pire nouvelle. A-t-elle réalisé à cet instant qu’elleéprouvait pour moi plus que de simples sentiments d’amitié ? Je l’ignore. Elle a eu peur sans doute etje la comprends. M’aimer est une chose délicate qui n’est pas sans risque, d’une certaine façon, ellele savait. Elle me connaissait mieux que personne, elle avait appris à dompter l’être froid que j’étaisdevenu sans la moindre difficulté. Queen m’a harponné sans le faire exprès. Et après ce que l’on avécu, on finit par se demander, si dans une vie antérieure, on a fâché un Dieu ou une autre conneriedans ce genre lorsqu’on comprend, que jamais on ne pourra connaître à nouveau un sentiment aussibouleversant que l’amour.Après la nuit que nous avons passée ensemble, je pensais que le pire nous était arrivé. J’avais eu tort.Le pire est toujours tapi dans l’ombre et débarque lorsqu’on s’y attend le moins.Je ne m’attendais pas à me prendre le revers de la médaille avec autant de violence.Et je ne fus pas déçu.J’ai compris à la minute où j’ai croisé le regard de l’humaine prophétie. J’ai compris que j’avaisperdu face au destin, et que je payais le prix de mon erreur, une note salée. La pire qu’il soit dans masituation.Faith ne sait pas mentir. Elle a cette lueur dans le regard, celle qui dit tout sans un mot. Elle était auxbords des larmes lorsque sa voix rendue rauque par l’émotion m’a appelé.Et j’ai compris que rien ne serait plus comme avant, que de nouveau, le château de cartes allaits’effondrait et l’espace d’un instant, je me suis demandé si j’allais survivre à cette nouvelle perte.Mais même lorsque l’évidence se révèle, notre raison ne peut y croire tant que nous n’avons rien vude nos propres yeux. J’ai rejeté cette idée, et je suis parti affronter le résultat d’une énorme erreur enpriant pour que tout ceci soit l’un des nombreux cauchemars qui me hantaient.Ma tête va exploser. C’est ce que je me dis alors que je marche dans ce couloir blanc, avec cesportes où des numéros de chambres sont inscrits en bleu, je tente d’oublier. Mais je n’y arrive pas.J’atteins la fameuse porte, j’hésite. Je suis pris par un sentiment étrange, un qui m’est familier depuisun certain temps. J’ai envie de prendre la fuite, de partir loin de ce désastre, de me faire oublier.Mais je ne peux pas. D’autres instincts s’éveillent en moi, et me poussent à ouvrir cette porte.J’entre dans la pièce, une ambiance tendue et triste me gagne. La joie ne règne pas dans cette chambrealors qu’une naissance est censée être le plus beau moment dans la vie d’une femme. — C’est moi, j’annonce d’une voix presque éteinte. Je referme doucement la porte, et me tourne vers Queen, assise dans son lit. Elle me dévisage uninstant, ses yeux gris dans les miens. Elle semble épuisée, mais ce n’est pas ce qui me fait le plusmal. C’est de voir à quel point, elle est effondrée.

On ne s’est quasiment pas parlé depuis la nuit où notre amitié s’est arrêtée. Nous n’avons pu nousparler qu’une fois, et nous nous sommes engueulés. Elle m’a évité tout au long de sa grossesse, parpeur sans doute. Elle pouvait être effrayée en effet. — Je suis désolée… a-t-elle murmuré. Et Queen s’est mise à pleurer. Elle s’est effondrée, je ne l’avais jamais vue dans cet état, même lorsde ses fausses couches. Elle était brisée.J’aurais voulu rester impassible à sa douleur, mais je n’ai pas pu.Alors je suis allé m’asseoir sur le rebord du lit, et je l’ai prise dans mes bras. Je l’ai serréelongtemps contre moi, en retenant également la peine qui m’envahissait. Je l’ai soutenu encore, fidèleau poste malgré nos différents.Le chagrin de Queen me confirmait ce que Faith m’avait dit tout bas. L’enfant qui venait de naîtren’était pas celui de Deryck, mais bien le mien.J’ai une fille.J’essaie de ne pas réagir face à cette nouvelle qui me frappe de plein fouet. Mais c’est dur, dur de nepas envoyer tout péter. Dur de ne pas exploser.Queen finit par plus ou moins se calmer, elle s’écarte de mon étreinte et se tourne vers le petitberceau derrière elle. Je me fige en voyant ce tout petit être silencieux dormir. Mon cœur fait uneembardée, j’encaisse le choc de cette arrivée. De cette rencontre.Elle est… magnifique.Queen ne me regarde même pas lorsque qu’elle me chuchote : — Je ne peux pas Senan. Je ne peux pas… Je reste figé devant le berceau. Je n’arrive pas à détacher mon regard de la petite chose endormie.Elle est dans un pyjama rose, la tête tournée vers le mur. Ses quelques cheveux sont foncés, mais jecrois que tous les nouveau-nés sont comme ça.Enfin pour ce que j’en sais ! — On va trouver une solution, je lance doucement. Ce ne sera pas facile, nous allons sans doute traverser une période sombre, mais ce n’est paspossible de faire n’importe quoi, de faire comme si rien ne s’était produit. Queen ne peut pas agirsans réfléchir, pas en ayant mis au monde une enfant… issue de mon sang. Ce n’est pas n’importequel bébé, cette petite fille aura des capacités qui dépasseront sa mère.Mais on saura gérer, j’essaierai de faire de mon mieux maintenant qu’elle est là.Parce qu’un vampire protège le sang de son sang.Queen se tourne vers moi, ses yeux sont rougis par les larmes. Je vois la colère l’envahir.Je ne comprends pas ce bouleversement en elle. — Je suis désolée Sen, mais tu ne pourras pas faire partie de sa vie. Je ne veux pas perdre mon mari.

Je me fige, comme si elle m’avait mis une baffe. J’essaye de voir si elle plaisante, mais non. Elle estsérieuse, elle me raye de sa vie.Mais malheureusement, la vie c’est plus compliqué que ça. Queen a peut-être l’habitude que Deryckcraque face à tous ses caprices, sauf que je ne suis pas lui.Je ne compte pas me laisser faire.Je fronce les sourcils en m’écartant légèrement pour mieux la voir, et demande d’une voix calme : — Est-ce que tu vas penser à quelqu’un d’autre que toi, l’espace d’un court instant ? — Et toi, tu penses à cette enfant ? renchérit Queen sèchement en essuyant ses larmes. Je me lève du lit, je préfère m’éloigner d’elle avant de me laisser emporter par la colère. Je suisabasourdi par son égoïsme. Je savais Queen capable d’agir pour ses propres intérêts, mais pas à cepoint. Pas lorsqu’il s’agit d’un « problème » entre elle et moi. — Je ne suis pas amoureuse de toi Senan, je ne l’ai jamais été et je ne le serai jamais. Nous avonsfait une erreur et je n’ai pas le choix, poursuit l’humaine. Je laisse échapper un petit rire. C’est la meilleure de l’année. Je déteste lorsqu’elle joue lesvictimes. Depuis le départ, elle se met dans ce rôle-là, et me laisse porter le chapeau. Alors que pourfaire cette enfant, nous étions deux. Je n’ai pas abusé d’elle, les torts ne sont pas seulement de moncôté. Nous avons fait une erreur à deux.Mais Queen ne semble pas le voir de la même façon. — Dans la vie, nous avons toujours le choix, tu ne sais pas ce que c’est, de ne pas avoirvéritablement le choix, je lance amèrement. Au moins, elle ne la rejette pas. Ç’aurait peut-être été plus simple. Si Queen n’en avait pas voulue,j’aurai pu… enfin j’en sais rien.Tout se mélange dans ma tête, c’est le flou le plus total. Je pense que je ne réalise pas encore ce qu’ils’est passé. Je ne réalise pas que ce petit être innocent est de moi.J’ai une fille. — Sen… Je ferme les yeux en serrant les poings pour ne pas fracasser quelque chose. Des sentiments plus quenocifs m’envahissent. La colère en prime, elle ne comprend pas. Je ne peux pas abandonner ce quiest… mien. — C’est ma fille ! je rétorque d’une voix sans appel. — Deryck ne te laissera pas en vie si tu tentes de t’imposer. C’est sa fille ! lance Queen sur le mêmeton.

Je m’approche d’elle, je la vois se raidir, comme si elle craignait que je la frappe. Je suis peut-êtreen colère, mais je ne vais pas aller jusqu’à la maltraiter. Je ne suis pas un monstre. — C’est mon sang, Quen. — C’est ma fille ! — Et c’est la mienne aussi ! je hurle. Le ton de ma voix réveille le nourrisson, et je me maudis d’être aussi con. Queen me foudroie duregard, elle se penche vers sa fille qu’elle prend dans ses bras. Elle la berce – ma fille – pour laconsoler de son chagrin.Ma fille… — Renonces-y Senan, tu ne pourras jamais te battre, tu n’as pas les bonnes cartes dans l’histoire. Tues perdant, me prévient-elle. Je n’ai jamais vu Queen aussi… menaçante. Il n’y a plus de liens entre nous, plus rien n’est commeavant, je ne suis plus « Senan, le pauvre con amoureux de sa meilleure amie », mais plutôt « Senan,le connard qui a détruit la famille de sa meilleure amie ». Elle veut me jeter, comme elle jette toutce qui ne lui plait plus. Deryck en a fait un humaine pourrie gâtée dans sa prison dorée. Et le résultatfait de sacrés désastres chez moi. — Nous irons jusqu’en justice s’il le faut, mais je serai son père, je la menace à mon tour.

Mais pourtant, ma menace ne semble pas fonctionner. — Tu ne seras pas son père. — Tu es égoïste à ce point ? je crache en la dédaignant du regard. — Je me protège Senan, rétorque Queen avec détachement. Je protège cette enfant, et je sais que tu nepourras rien lui apporter de bon. Tu es détruit depuis trop longtemps. Je me fige à nouveau, les pleurs de la petite ont cessé, j’encaisse ces reproches qu’une amie nem’aurait jamais faits. C’est trop simple de jouer sur la carte des blessures passées. C’est lâche envérité, mais ça marche. Queen appuie là où ça fait mal, et dans de telles circonstances, je n’arrivepas à gérer cette vague d’événements.Elle souffle sur le château de cartes qui s’effondre. — Dans une autre vie, nous aurions peut-être pu être ensemble, m’avoue-t-elle calmement, mais pasdans celle-ci. Je ne suis pas celle qu’il te faut Senan. Je ne le serai jamais, il faut que tu tournes la

page. Nous avons fait une erreur, ne faisons pas souffrir nos proches. Ils n’ont rien demandé. Sawyern’a rien demandé. Ses mots résonnent en moi dans un écho lointain. Je n’écoute plus vraiment, je suis seulementconcentré sur ce qui se passe devant mes yeux et le constat édifiant que rien ne va s’arranger.Je vais la perdre. Elle que je ne connais pas encore. — M’as-tu aimé un jour ? je demande en détournant le regard. On dirait un pauvre idiot.Queen respire, comme si elle se retenait de pleurer. Ce n’est pas juste, il n’y a pas qu’elle dans cettehistoire, personne n’est la victime, elle n’a pas à endosser ce rôle-là. — Je crois… qu’il y a toujours eu plus que de l’amitié entre nous. Mais il y a Deryck, et je l’aimecomme jamais je ne pourrai t’aimer. Ne brise pas ma famille Senan. Si tu m’aimes encore, ne fais pasça. Et pense à elle. Pense à ce qu’elle vivrait si elle était partagée entre trois personnes qui sedéchirent pour son amour. La vie est suffisamment compliquée comme ça. Je ferme les yeux en encaissant à nouveau. Alors c’est à moi de me sacrifier. C’est moi qui fais tachedans le décor. C’est moi qui ai encore le mauvais rôle.Putain de vie. — Promets-moi que tu ne feras rien de stupide. Je t’en prie Sen, je t’en supplie, ne brise pas mafamille, me supplie Queen. — Est-ce que tu as pensé à moi lorsque tu as fermé les yeux sur ce qui se passait entre nous. Queen ne me répond pas, pas besoin de réponse en fin de compte. — Non, tu n’as toujours pensé qu’à toi. Tu es donc à ce point sans cœur ? je demande d’une voixéteinte. Elle se remet à pleurer et je me sens totalement désemparé. Je ne l’écoute plus. Je ne veux plusentendre un seul mot de sa part. Je n’en ai plus le courage ni la force pour rester calme. Je me senssur le point d’exploser, d’atteindre ce point de non-retour, comme lorsque Cressie est décédée. C’estbeaucoup trop à encaisser. — Est-ce que je peux la prendre au moins une fois ou est-ce trop te demander ? je lance d’une voixsèche. Queen hoche la tête, et me tend sa fille. Je n’hésite pas, c’est comme si je l’avais fait toute ma vie. Jeprends dans mes bras cette petite chose légère comme une plume, qui a cessé de pleurer et qui meregarde droit dans les yeux. Je cesse de respirer en voyant ces pupilles rouge sang. Elle est…

magnifique, encore plus belle de près.Les bébés se ressemblent tous, mais pas la mienne. Sawyer serre mon doigt lorsque j’effleure sapetite main. Je sens les larmes me monter aux yeux, je vais craquer. Comme une nana, parce que ceque j’ai devant moi est la plus belle chose qui m’ait été permis de tenir dans mes bras.Je pense à tellement de choses en l’espace d’un instant, à des souvenirs que j’aurai pu connaître si lafameuse nuit de l’hiver 1328 n’était pas arrivée, si nous avions eu ce bébé avec Crescentia. Je penseà ce futur que je ne connaîtrai jamais en compagnie de Sawyer puisque ses parents ne voudrontjamais me laisser une place dans sa vie. Elle ne pourra pas comprendre ce qui se passera dans sa têtela nuit ni les souvenirs de toutes ces vies qu’elle n’aura pas connues ni prises. Elle sera seule dans cecombat, et ça me tue de savoir qu’elle vivra cette vie remplie de zones d’ombres sans espoir deconnaitre la clarté.J’aurais aimé que les choses se passent différemment. Parce que je resterai seulement l’inconnu quil’a tenue dans ses bras quelques heures après sa naissance et non pas l’homme de sa vie. Le hérospaternel qu’ont toutes les petites filles.Même si je me bats.Savoir que je serai perdant quoi qu’il arrive, ne fait qu’agrandir cette blessure dans ma poitrine. — Je ne peux rien te promettre. Je ne peux pas l’abandonner, je lance presque dans un murmure àQueen. Je suis allé reposer ce petit ange aux yeux rouges dans son berceau, et je suis parti, sans dire un mot àQueen qui s’est mise à me hurler dessus. Je ne pouvais plus la regarder, pas après ce qu’elle m’avaitdit. Je savais qu’elle pouvait se montrer cruelle, mais pas à ce point.J’ai fermé la porte de la chambre, et je me suis effondré. Je n’ai pas supporté la douleur fulgurantedans ma poitrine, et les assauts des souvenirs d’une autre nuit cauchemardesque. J’avais l’impressionde tomber à nouveau dans ce puits dans fin, attendant ma rencontre avec le sol. Et ça faisait mal.J’ai brisé la vie d’une enfant qui n’avait rien demandé, et je ne pourrai rien faire pour me rattraper.J’avais dit à sa mère que je ne l’abandonnerais pas, mais pourtant, c’est ce que je venais de faire.Je l’ai abandonnée.Parce qu’elle avait raison, j’étais trop brisé pour prendre soin d’un enfant, pour me lancer dans cetteguerre, contre Deryck, contre moi, contre tous ceux qui viendraient se mêler à l’affaire. J’étaisdétruit, et cette naissance, me confirmait que j’avais atteint un point de non-retour.Je n’étais pas devenu père en étant humain, et je ne le deviendrai pas non plus une fois vampire. Ledestin et une part de moi, celle sombre et torturée m’arrachaient à nouveau ce droit-là.Et ça faisait vraiment mal de tout perdre une nouvelle fois.

Chapitre 18Invocation

2016,Hawaï. Je regarde Mary s’activer dans la pièce. Je crois qu’elle est nerveuse, ou bien c’est de l’impatience.À vrai dire, je ne sais pas ce qui se trame en elle depuis quelques jours. Elle semble… changée. Àcran, comme si quelque chose la préoccupait.Elle m’observe de ses yeux aveugles comme si elle craignait que je m’échappe dans la seconde.Même la nuit, lorsque j’ai du mal à dormir, je la sens cogiter.J’aimerais comprendre ce qu’il se passe, je me doute que notre récente découverte joue pas mal à cesujet.Depuis que nous avons trouvé l’ultime indice qui nous conduira sans doute aux portes de l’île, Marys’est renfermée. Elle a touché le livre et m’a dit d’examiner attentivement chaque dessin. Je l’ai fait,j’ai même pris une loupe et un miroir pour être certain de ne passer à côté de rien. Et je suis tombéune note dissimulée écrite dans une langue que je ne comprenais pas. J’ai dû épeler chaque lettre àMary qui a fini par me dire que c’était des termes issus de l’ancienne langue des Sorcières qu’elleavait apprise lorsque sa vue ne lui faisait pas encore défaut. Une fois la traduction faite, j’ai comprisque nous avions touché le Graal. J’avais peut-être réussi à trouver un plan pour entrer sur l’île, maiscette découverte, si cela marchait, nous permettrait d’entrer en contact avec les Chamanes.Seulement, l’indication ne nous précisait pas quelle sorte de contact nous aurions.Je regarde Mary s’installer à ma droite. Elle pose le plateau de ouija, un poignard ainsi qu’un petitbouquet de plusieurs plantes, un mélange de jasmin, une fleur aidant à la manifestation des facultéspsychiques, de petites branches de gui qui apportent la chance, de la lavande qui efface les angoisses,et du laurier pour acquérir une vision claire et sans obscurité de l’avenir.À côté, elle fait brûler du Millepertuis et un Lys séché, qui aident à la protection. L’odeur est presqueaussi divine que celle de Mary.Nous sommes plongés dans l’obscurité. La bibliothèque est seulement éclairée par des cierges noirset rouges. L’atmosphère est digne des pires films d’horreur, mais l’ambiance n’est pas pesante.Je ne cache pas mon scepticisme face à ce qu’il va se dérouler. Je suis quelqu’un d’assez terre àterre, et mes expériences tout au long des siècles, m’ont permis d’acquérir une certaine sagesse. Desimposteurs vaudous, j’en ai croisé, comme des pseudos guérisseuses. Je ne doute pas des capacitésde Mary, je doute seulement de ce rituel.

— Tu vas bien ? je demande. — Je suis… stressée, m’avoue Mary en souriant. Je pose une main sur elle pour la calmer. Elle lève son visage vers moi, elle semble plus questressée, elle est également préoccupée. Pourtant nous touchons presque « le but ». — Pourquoi ? — Parce que j’aimerais que ça marche, j’aimerais aller de l’avant. Je ne dis rien, je me contente de la laisser se calmer. Les femmes sont ainsi, il faut tout décortiquersoi-même, chacune de leurs paroles silencieuses. Quand Mary dit qu’elle veut aller de l’avant, ellene parle pas seulement de notre chasse aux sorcières, elle parle de plus. De ce qu’il y a entre nous etque nous n’avons pas abordé.Mary se détourne de la conversation, elle pose sur le coin de la table en verre, un petit calepin avecdes reliefs incrusté dessus. Je comprends vite que c’est du braille. Ça doit être son carnet desortilèges ou un truc dans le genre.Je me mets à tout scruter avec attention, il est bientôt minuit. J’observe l’objet en bois avec curiosité.Cela fait des années que je n’en ai pas vu une qui faisait aussi vrai. C’est une planche où apparaissentles lettres de l'alphabet latin, les dix chiffres arabes, ainsi que les termes « bonjour » « oui », « non »et « au revoir ». Sur celle-ci, il y a des runes gravées, ainsi que des dessins de démons, d’ailes, et deflammes.La « goutte », l’accessoire plus petit en forme de goutte avec une pointe n’est pas encore mis sur leplateau.Mary se met à parler dans une langue ancienne. Je ne comprends pas, mais je suis fasciné par ce queje vois. Elle semble raconter une histoire dans sa langue maternelle.J’ignore combien de temps se passe avant que le silence ne revienne, plusieurs minutes sans doute.Mary referme son petit calepin, j’ai longuement observé ses doigts parcourir les pages, comme unedanse envoutante. Elle semble plus détendue dans son univers. Les flammes autour de nous se fontplus vives, je sens l’atmosphère s’intensifier.Le silence revient, ses mains se posent sur la goutte, elle me fait signe de faire pareil. Mes grandesmains enveloppent les siennes, je sens sa peau frissonner. — Surtout, laisse-toi aller, chuchote Mary. — Tu l’as déjà fait ? Je parle bien évidemment du rituel de ouija. Lorsqu’on a découvert qu’il fallait faire ça, la demi-sorcière m’a semblé intriguée, mais elle ne m’a pas dit si elle l’avait déjà vécu.Mary me sourit. — Une fois, en cachette de mon père.

— Et pourquoi l’avoir fait ? — Je voulais en savoir plus sur ma mère. Je lis sur son visage, une expression plutôt triste. J’aimerai être plus doué que ça pour communiquer.Mary aurait déjà trouvé les mots pour renchérir, mais rien ne sors. Je m’apprête à lui répondre ce quime passe par la tête, comme un « veux-tu en parler », mais elle me devance en commençant lesparoles d’invocation pour entrer en contact avec les Sorcières. Nous ne savons pas si nous aurons unsigne des Chamanes, où bien la visite d’une ancienne sorcière.Mais il faut tenter. Sa douce voix résonne à mes oreilles l’instant d’après. — Sorcière, que tu sois de ce monde ou de l’autre, je t’en prie, aide-nous. Ses mains quittent les miennes, elle saisit sa dague et se coupe la paume sans hésiter. Je sens mescanines s’allonger à la vue de son sang pourpre. Elle laisse glisser quelques gouttes sur son bouquetde plantes. — Par ce sang versé, je t’appelle et t’implore de nous venir en aide. Sa main ensanglantée se pose de nouveau sur la mienne, je suis sous le charme, comme envouté parses prunelles violettes concentrées. L’odeur de son sang sucré vient chatouiller mes narines, je sensl’excitation me gagner de plus en plus. — Montre-nous la voie à prendre pour sauver nos pairs, poursuit Mary. Guide-nous vers le savoir.Écoute le son de ma voix qui te raconte la raison de notre appel. Ma sorcière se met à raconter notre aventure comme si elle le faisait à un enfant âgé de quelquesannées. Je l’écoute avec attention, ses paupières à présent fermées, bercée par une ambiance qui sefait plus forte. J’entends les battements de mon cœur s’accélérer, l’odeur du sang m’envoute un peuplus chaque minute.Je commence à croire que rien ne se passera, mais soudain, d’une façon inexplicable, je sens sousmes doigts, la goutte remuer. Je regarde Mary, un sourire se dessine sur ses lèvres, et je sais que cen’est pas elle qui fait bouger l’objet, mais quelque chose qui ne peut pas s’expliquer.Mary me demande d’épeler les lettres que la pointe de l’objet montre. Je suis surpris de la chosemystérieuse qui se déroule sous nos yeux. — I, L, A, N, I, je murmure lorsque la goutte se fige. Mary fronce les sourcils, j’ai manqué les premières lettres. — Ilani ? répète ma sorcière.

J’acquiesce et la goutte se met à vibrer, nos doigts restent dessus, les flammes autour de nous se fontplus vives. L’objet se remet à bouger, la pointe montre des lettres à une vitesse impressionnante. Jepense déceler le mot sorcière, vampire, secret, race, mais le reste est brouillon.Mary étouffe un petit cri surpris lorsque la goutte est expédiée à l’autre bout de la pièce, un ventfroid vient éteindre les bougies. Nous nous figeons l’espace d’un instant, dans l’attente de voir cequ’il va se passer par la suite.Au bout de plusieurs minutes, rien. Mary et moi nous nous dévisageons dans la pénombre, elle a lesouffle court, elle semble fatiguée.Je me penche pour l’attirer dans mes bras. Je saisis ses mains, et porte celle ouverte à mes lèvrespour refermer la plaie. Mary frissonne quand ma langue s’attarde sur l’ouverture. Je sens mon corpsse tendre lorsque le goût de son sang persiste dans ma bouche.Ce n’est pas le moment. — Est-ce que ça à marché ? je demande en embrassant sa joue. Mary laisse échapper un gémissement de plaisir, je ferme les yeux en savourant sa proximitéapaisante. — Je l’ignore, nous verrons bien, me répond-elle d’une voix rauque. Peut-être que l’invocationmarchera, peut-être que non. Nous restons silencieux un moment. J’observe les quatre coins de la pièce, tout semble figé. Et jepense qu’il ne se passera rien de plus. — Maintenant, est-ce que tu accepterais de m’emmener dans ma chambre et d’y rester avec moi ? mepropose Mary doucement, mettant fin au calme. Je souris en me levant. Mary s’accroche à mon cou, et nous quittons la grande bibliothèque. Latension s’est dissipée comme par magie.Nous verrons ce que ce « rituel » donnera. J’ai des doutes concernant sa validité, mais en compagniede Mary Drac, j’ai appris que rien n’était impossible, il suffit juste d’y croire et de se donner lesmoyens pour y parvenir.

*** Deux jours ont passé depuis le rituel. Notre routine a repris son cours, nous nous sommes replongéstoute la journée dans les bouquins, j’ai appelé plusieurs personnes sur l’île pour organiser uneexpédition sur l’autre île. Si tout se passe comme prévu, demain nous nous y rendrons à la tombée dela nuit. Mary semble déçue que le rituel n’ait pas marché, une part de moi la comprend, mais cequ’elle m’a montré était un moment hors du temps que j’ai su savourer grâce à ma curiosité de nature.

Je rejoins Mary avec un thé, elle est blottie devant la cheminée, pour une raison inconnue, la météo sedéchaine depuis deux jours, la pluie déferle, le vent s’est levé, les éclairs viennent s’entrechoquerdans la pénombre. On penserait que le ciel explose d’une colère étrange.Je m’assois dans le canapé, et tend la tasse chaude à Mary qui semble perdue dans ses pensées. — Qu’est-ce qui te préoccupe ? je lui demande. — J’ai réfléchi. — À quoi ? Elle boit à sa tasse avant de la poser sur la table basse, elle se blottit contre moi en respirant dansmon cou. Je glisse mon bras autour de ses épaules en me surprenant d’apprécier à ce point cettesoudaine proximité. — À toi et à nous deux. — Y’a matière effectivement. Mary hoche la tête en caressant mon torse. Elle hésite un instant, sans doute pour réfléchir au mieux àla façon de me parler. — Je ne veux te brusquer en rien d’accord ? Ce n’est pas comme si nous n’avions pas une éternitédevant nous, on prendra notre temps. Mais il y a des choses qui ne peuvent pas attendre. Non c’est sûr, il y a un tas de choses qui ne peuvent pas attendre, j’en ai une liste aussi longue quemon bras. — Et ta fille ne peut pas t’attendre, poursuit Mary. Je me fige et me mets à regarder avec intérêt les flammes crépiter dans la cheminée. Je me doutaisbien que Mary allait revenir à la charge concernant Sawyer… je la comprends. Mais j’ail’impression de n’être toujours pas prêt à parler de ça. De cette blessure qui a très peu de chance dese refermer. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je n’arrive pas à accéder à lasolution. — Nous n’avons pas vraiment parlé d’elle, j’attendais que tu sois prêt pour m’en parler. Mais cettenuit, tu m’avais l’air perturbé. Et j’ai vite compris la raison lorsque je me suis blottie contre toi. Je me rappelle encore du réconfort de sa chaleur contre moi cette nuit, cela m’a paru insensé. Je croisque je ne suis pas habitué.Mary se redresse, son corps se colle au mien, et le mien réagit instantanément.

— Tu ne peux pas ne pas être dans sa vie. Personne n’a le droit de t’empêcher de connaître ta fille. Etpersonne ne peut t’imposer d’être un inconnu à ses yeux. Sa main caresse ma joue en douceur. — Quand je suis parti, j’espérais qu’en venant ici, cela me permettrait de faire le point sur ma vie,j’avoue. — Et tu l’as fait. — Grâce à toi. Tout seul, je n’aurais pas avancé d’un poil. J’aimerais me battre, mais c’est flou. Je sais reconnaître mes faiblesses, la confirmation de ma paternité dans de telles circonstances, à untel moment, m’a affaibli. — Tu le peux, seulement tu n’en as pas conscience. Regarde de quoi tu es capable Senan. Ce n’estpas parce qu’on t’a dit que tu étais brisé, que ça ne fait pas de toi un être incapable d’aimer. Cettepetite fille mérite de t’avoir comme père. Parce que derrière ces yeux rouges et cette froideur, il secache un homme exceptionnel capable d’aimer même lorsque ça l’effraie. Son visage se rapproche du mien, je sens son souffle sur ma peau. L’émotion la gagne, je vois sespupilles s’embellir d’une lueur particulière. Ma poitrine se serre. — Je ne connais pas Queen, je ne connais pas non plus son mari, mais j’ai appris à te connaître toi.Alors, promets-moi que lorsque tu rentreras à New York, tu feras en sorte d’être dans sa vie. Je glisse une main dans ses cheveux noirs détachés. Je la regarde et je me demande comment j’ai faitpour tomber sur cette femme-là, qui se démène corps et âme pour trouver une solution au problèmequi m’est le plus douloureux actuellement. — De plus, si nous arrivons à pénétrer sur l’île, notre routine va disparaître, je vais devoir rentrer enFrance auprès de mon père et toi auprès des tiens… Je l’interromps, mes instincts parlent à ma place. — Non, tu viendras avec moi, tu es sous ma protection, je lance sans hésitation. — Je ne le serai pas éternellement, poursuit Mary calmement. — Je ne peux pas te laisser partir après ce qu’il s’est produit entre nous. Mary se fige, un sourire triste se dessine sur ses lèvres. Notre situation est compliquée, nous sommesdans une impasse où nos deux vies vont forcément entrer en collision tôt ou tard. C’est une chose de

s’unir une nuit de folie, où nos instincts deviennent les maîtres, c’en est une autre de le fairelorsqu’on pense aux conséquences qui viennent par la suite. — Je sais. — Alors si je dois rentrer aux États-Unis, est-ce que tu me suivrais ? je tente. Je prie pour qu’elle ne remarque la montée de stress qui m’empare. — Ai-je le choix ? — Pas vraiment. De plus je doute que l’Europe soit la meilleure terre d’accueil pour une Sorcière. — Tout va changer Senan si nous obtenons réponse à nos questions, soupire Mary. Je resserre ma prise autour d’elle, mon cœur bat un peu plus. — Est-ce que tu voudrais de cette vie-là ? — Je me suis liée à toi, n’est-ce pas déjà ma réponse ? — Non, est-ce que tu accepterais d’être la compagne d’un vampire qui a trahi l’un de ses amis… Mary embrasse furtivement ma bouche avant de poursuivre : — Ta fille ne me dérangera pas Senan. Au contraire, si ça peut aider à te rendre heureux, je suisd’accord. Et peut-être ce sera ta seule chance d’être père. Ma sorcière baisse le visage, et je l’attire à moi pour obtenir son attention. — Pourquoi tu dis ça ? je chuchote à son oreille. — Parce qu’en tant que moitié sorcière, moitié vampire, je ne sais pas si je pourrai tomber enceinteun jour. Je ne veux pas que tu passes à côté de cette chance, si toi et moi, ça doit durer. Je m’apprête à lui répondre, lorsque de violents coups résonnent à la porte. Mary et moi, nous nousfigeons avant de nous tourner vers la porte d’entrée. Il y a du tonnerre depuis cet après-midi. Peut-être est-ce un caprice du ciel ?Mais lorsque les coups redoublent, je comprends que ce n’est pas ça. Quelqu’un est là.Je sors de l’étreinte de Mary qui se lève en même temps que moi. Je saisis mon flingue sur la tablebasse, retire la sécurité en m’approchant de la porte. Les coups recommencent, et je me demande quipeut venir nous interrompre à cette heure-ci, alors qu’un orage fait rage à l’extérieur. Nous sommescensés être coupés du monde.

Qu’est-ce que c’est ce bordel… — Qui est-ce ? me questionne Mary doucement. — La réponse à vos questions, répond une étrange voix derrière la porte. Mon sang ne fait qu’un tour dans mon corps. Je garde mon calme, mais je ne cache pas moninquiétude face à cette intervention. Est-ce une ruse de la part des Russes ? Comment notre visiteur apu entendre le murmure de la demi-sorcière ?Nous n’avons pas affaire à n’importe qui.Voyant que nous ne répondons pas, la voix étrange renchérit. — Mary, c’est bien ça ? C’est vous la demi-sorcière, fille d’un vampire très puissant, dont la mèreest issue du clan des Celtiques ? Je me tourne vers Mary qui est figée. Elle hoche la tête pour me confirmer que tout ceci est vrai. — Ouvre-lui, me demande-t-elle. Je secoue la tête. Je n’ouvre pas à quelqu’un qui débarque comme ça en balançant des informationsque seules quelques personnes connaissent. Je ne suis pas fou au point de nous emmener droit dans unpiège. — Hors de question, je rétorque sans appel. Ma petite sorcière soupire en s’approchant, elle tente de me pousser pour accéder à la porte, mais jesuis plus lourd qu’elle. Le regard qu’elle me jette ne manque pas de faire réagir mon entrejambe. Jene l’ai jamais vu aussi mécontente. Mais cette réaction fait ressortir sa féminité. — Je suis Leilani, poursuit la voix étrange. Je suis venue de la part d’une personne que vous aveztenté de joindre, il y a deux jours. Elle vous a fourni mon nom grâce à la goutte. Mary se fige et je comprends. Les deux lettres qui nous manquaient étaient le L et le E. Le rituel adonc… marché.Je n’hésite pas. Je marche vers la porte et l’ouvre en brandissant mon arme vers l’intrus, prêt à tireren cas de besoin. L’obscurité de la nuit se révèle à nous, une silhouette vêtue d’une toge noire épaissecachant son visage se dévoile sous nos yeux. Elle nous voit, mais nous non. Son comportement nemanque pas de m’alarmer.C’est quoi ce bordel. — Vous êtes une sorcière… je lance. — Et vous êtes à la recherche de l’une d’entre nous pour sauver votre Race d’une Guerre

destructrice, me confirme-t-elle. Sa voix est vraiment étrange, comme si elle était venue d’outre-tombe.Je fronce les sourcils pour tenter de voir à quoi elle ressemble, mais elle ne se laisse pas aller versla lumière.J’ai toujours appris à me méfier des individus qui préféraient l’obscurité. — Qu’est-ce qui me prouve que vous n’êtes pas un imposteur ? je renchéris. La Sorcière sort de l’ombre d’un bond, je pousse Mary vers l’arrière pour la protéger. La femme ales yeux violets, la couleur est beaucoup plus prononcée que sur les pupilles de Mary. On dirait deuxaméthystes brillants à la lumière. Sa peau est légèrement tannée. Je pointe mon arme dans sa directionlorsqu’elle sort un poignard qui se reflète à la lumière. Je m’apprête à la menacer de lâcher çalorsqu’elle s’entaille l’avant-bras sans hésiter. Du sang noir comme l’ébène sort de sa plaie et nousconfirme son identité. — Je pense que les présentations sont faites. Elle range son arme sous sa toge et nous dévisage longuement. Elle a tout des racines des îles : sesyeux légèrement bridés et un nez un peu épais. Son regard est froid et mystérieux. Indéchiffrable. Ilferait frissonner d’inquiétude n’importe qui. Moi le premier si je n’avais déjà pas côtoyé l’horreurpar le passé. Derrière moi, Mary est inquiète, je le sens.Je découvre des dents pointues. Cette sorcière n’inspire pas la sécurité, elle dégage quelque chosed’indescriptible qui me fait penser aux démons. L’humanité ne semble pas faire partie d’elle et leséchos des discours de Mary me reviennent en mémoire la seconde d’après. Cette femme a peut-êtrenotre apparence, mais en réalité, elle n’a rien de tel. Elle n’a rien d’humain, et ne pense pas commenous. C’est un être dangereux tout comme les Spectres. — Qu’est-ce qui vous dit que nous ne tentons pas de vous piéger ? je continue, toujours méfiant. J’entends Mary soupirer derrière moi, la tension la quitte peu à peu, comme lorsqu’on comprend quele pire est passé. Ce n’est pas mon cas. Je veux être sûr que nous ne craignons rien. — Vous êtes lié à une demi-sorcière. Vous l’auriez vidée de son sang si vous étiez intéresséseulement par ce dernier. De plus, je doute que quelqu’un qui n’ait pas envie de nous trouver puissele faire, vu les longues recherches qu’il y a à faire. Silence dans le petit hall d’entrée. Je jette un coup d’œil à Mary, je la retrouve plus confiante qu’il ya quelques minutes, elle semble convaincue. — Êtes-vous venue nous donner la réponse à nos questions ? l’interroge-t-elle avec calme etassurance.

La Sorcière la dévisage comme si je n’existais pas. On ne peut pas dire qu’elle est aimable. — Non, je ne dispose pas de ce savoir. Mais nos ancêtres l’ont. Je suis venue vous conduire au cœurdu clan chamane, où peut-être, si vous vous montrez méritant, vous découvrirez comment tuer unPremier Vampire immortel. Mary fait un pas vers moi. Sa main se pose sur mon bras pour attirer mon attention.Je n’ai pas confiance. — Senan. Je ne réponds rien, je réfléchis. Je ne veux pas qu’on se retrouve dans un piège. Rien ne me confirmeque nous n’allons pas nous jeter dans une mort certaine.Je ne veux pas la perdre.La Sorcière semble comprendre mes inquiétudes et n’hésite pas à faire étalage de son… savoir. — J’ai le pouvoir de prémonition. Je peux voir dans le futur, comme dans le passé, je ne vousconnais pas et pourtant je sais que vous avez perdu une femme dans les bras d’un vampire un soird’hiver. Je ne vous conduis pas dans un piège, je suis venue vous aider. Vous faites partie du boncôté. Une Guerre a éclaté et elle fait rage. Si nous vous permettons d’accéder au savoir, peut-être quenous aurons une chance de nous en sortir, conclut Leilani. Je regarde Mary qui fait de même. Je sais qu’elle ne me voit pas clairement, mais le message passe etje sais que nous prenons la bonne décision.

Chapitre 19Sorcières, sorcières, êtes-vous là ?

Nous y sommes.Après plusieurs heures de trajet direction l’île, nous voilà aux portes du lieu qui abrite depuis dessiècles, les sorcières du clan chamane. Leilani est apparue sur la plage de la maison des Drac commepar… magie. Bravant la foudre et l’orage comme si ce dernier ne pouvait pas l’atteindre. Elle atraversé l’archipel à bord d’un petit bateau ressemblant à la barque du Passeur des Enfers.Je n’arrive pas à être serein en sa présence, ses yeux violets semblent lire en moi d’une façon étrangequi me déplait. Elle n’inspire pas confiance, elle inspire la crainte et renvoie une image hostile. LaSorcière est méfiante, mais semble être guidée par des instincts qui la poussent à faire un pas versnous. Apparemment notre appel à l’aide a marché, les Chamanes savent pourquoi nous les avonsrecherchées, et quels sont les enjeux de cette rencontre. Mais ce qui me surprend le plus, c’est biende me rendre compte que nous étions surveillés depuis mon arrivée. Les Sorcières ont prédit« l’arrivée d’un vampire aux yeux rouges venant répandre les malheurs de l’Autre Monde, celuiau-delà du rivage de leurs plages ».Elles se savaient recherchées, mais pas menacées par ce fameux vampire. Je pense qu’elles ontcompris les enjeux et leur rôle concernant la sauvegarde de notre monde tel que nous le connaissons.J’ai pris mon arme au cas où et je garde un œil sur ma petite sorcière qui semble dans son élément,Leilani ne parle pas beaucoup, mais durant le trajet elle a répondu aux questions de Mary.Mary m’a avoué qu’elle entendait des voix claires dans sa tête qui lui souhaitaient la bienvenue. Jepense que pour la première fois de sa vie, elle ne se sent pas rejetée par ses pairs comme sa mère l’arejeté elle.Une fois débarqué sur une plage isolée, Leilani nous a fait suivre un petit chemin se perdant dans laforêt sombre et peu éclairée de l’île. Nous avons marché une bonne heure avant d’atteindre une archegéante en pierre où des runes et inscriptions dans une langue inconnue sont gravées dans la rochecomme une sorte d’avertissement. J’ai l’impression d’être en expédition en pleine jungle encompagnie de Decease. Le souvenir de notre Traque des célèbres jumeaux aztèques me revient enmémoire comme si c’était hier. Une époque qui est à présent révolue.Nous cessons de marcher une fois au pied de cette arche. La Sorcière retire sa toge, la pluie a cesséde tomber dès notre arrivée. Elle est simplement vêtue d’une tunique couleur ocre. — Chez les Chamanes, l’accès au savoir se fait au mérite, nous murmure-t-elle de sa voix étrange. Elle lève les mains au ciel et récite une phrase dans une langue qui me rappelle les bénédictions de

Mary lors de ses nuits de rituels. — Il faut plusieurs conditions pour pouvoir se prêter au rituel d’invocations des anciens. La Sorcière se tourne vers nous et nous scrute avec froideur. Les récits de Mary disaient vrai, lesmembres de cette Race sont véritablement dépourvus de quelconque sympathie. — Quel genre ? l’interroge Mary de sa voix douce. — Pour commencer, il faut que l’entrée des damnés vous juge bon. Les armes, les maléfices, outoutes choses nuisibles pour notre camp ne peuvent pas passer cette porte. Il faudra tout laisser ici. Etpour finir, il faudra accomplir un acte de courage en accomplissant le Ho’oponopono. Si l’ancêtreconsidère que vous méritez d’obtenir réponse à vos questions, elle viendra parmi nous et sera votreserviteur. Je jette un coup d’œil à Mary qui enlace discrètement ses doigts aux miens. Je n’aime pas ça. Jen’aime pas cette méfiance en elle comme si elle voulait nous tester. Si nous voulions toutes lesmassacrer, nous l’aurions prise en otage et nous aurions déjà fait de leur camp un amas de chairssanglantes. Nous sommes simplement venus pour leur aide.Putain de Creaving, à cause d’eux et de leurs traques, les vampires sont vus comme des bêtesassoiffées de sang. — Le Ho’oponopono veut dire « remettre les choses en ordre » ou « rétablir l'équilibre » de quelquechose. Et il y a un parfait candidat parmi nous, déclare sèchement la Sorcière en sentant sûrement maperplexité. Comme si avoir des problèmes était une putain de tare.J’essaye de rester zen, mais c’est compliqué. Je sens la tension me gagner, j’ai la sensation quequelque chose de grave va se passer, comme un mauvais pressentiment. Je ne veux pas foncer têtebaissée dans un piège qui nous mettrait dans une situation délicate. — Cela permet de purifier les âmes, de chasser les démons et les pensées les plus sombres. Chaqueparticipant doit avoir le cœur et l’esprit libre, au risque de faire venir des esprits qui n’ont pas leurplace, conclut la Sorcière en traversant l’arche. Elle fait deux pas avant de se retourner, puis elle fait signe à Mary de faire de même. La demi-vampire lâche ma main et passe à son tour l’arche de pierre. Il ne se passe rien. Pas de foudre, nid’explosion ou de barrière.Je n’aime pas ces conneries de magie.Mary et la Sorcière me dévisagent, attendant que je fasse pareil, mais je ne suis pas convaincu. — Posez votre arme de métal au sol, vous n’en aurez pas besoin. Nous ne vous voulons aucun mal etce n’est pas avec des balles que vous arriverez à vous faire entendre.

Je fronce les sourcils, et ne cache pas mon inquiétude. Elle sait pour l’arme.Putain de sorcière. — Ce n’est pas de vous dont je me méfie, je renchéris. — Passez cette arche et vous n’aurez à vous méfier de personnes. Vous êtes en sécurité, soupire lasorcière. Mon regard accroche celui de Mary, elle hoche la tête, je soupire à mon tour. Je saisis mon arme et lapose à contrecœur sur une roche à ma gauche. Je retire également le poignard militaire que j’aitoujours dans mon dos, et lève les mains en me tournant pour montrer à la sorcière que je n’ai rien deplus. — Par contre, je ne peux pas les enlever, je lance ironiquement en pointant mes canines. — Vous ne me faites pas peur, vampire, déclare la Sorcière avec amertume. Mary me fait les gros yeux et ça ne manque pas de m’amuser de la voir si sérieuse. — Une petite question. — Senan, passe cette arche qu’on puisse avancer, lance Mary agacée de me voir hésiter. Je secoue la tête en faisant un pas. Je suis prévoyant, j’ai connu les pires lieux sur cette putain deplanète, entre les couloirs piégés des pyramides en Égypte, les temples aztèques, les palais asiatiqueset les manoirs hantés, on apprend à tout analyser avant de foncer tête baissée dans une direction. — Si on ne me juge pas « bon », qu’est-ce qui se passera ? je l’interroge. Leilani me scrute avec attention, ses pupilles se font plus vives, on dirait que deux éclairs vont jaillir. — Vous exploserez. Je me fige, si c’est une blague, elle est de très mauvais goût. — Senan, elle plaisante, intervient Mary, ce n’est pas ce qui est gravé. Tu seras simplement… — … paralysé et vous ne pourrez pas franchir les portes. Le sort dure plusieurs heures et il est trèsdouloureux. Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas un vrai « méchant ». Passez cette porte, les autresnous attendent et la nuit s’écoule rapidement. Nous n’allons plus avoir beaucoup de temps, et nousaimerions que vous soyez partis au lever du jour.

Je jure en maudissant cette sorcière. Je comprends pourquoi les vampires veulent les exterminer,elles représentent une menace pour nous. Si elles sont capables de mettre k-o l’un d’entre nous grâceà un sort, sans utiliser des éléments plus nocif, je n’ose même pas imaginer comment elles arrivent ànous tuer.Sans réfléchir, je franchis à mon tour l’arche, et rien ne se passe. La sorcière ne me prête plusattention, elle reprend sa route, et nous faisons de même avec Mary qui vient glisser sa main dans lamienne.Sa voix résonne à mon oreille avec un ton moqueur. — Tu vois, tu n’es pas mort. — Je n’aime pas ça. — Je te l’avais dit qu’elles n’étaient pas des plus sympathiques, mais elles vont nous aider. Je l’espère.Nous poursuivons notre route, des torches balisent le chemin, je me rends compte que Mary n’a mêmepas besoin d’aide pour se diriger, comme quoi, les instincts de vampire sont parfois les plus forts. Onpeut avancer dans le noir sans jamais trébucher.La forêt se fait plus dense, plus nous approchons de leurs lieux de résidence, plus je sens une étrangesensation me gagner.Nous arrivons devant une autre arche, au loin, on peut apercevoir de petites maisons en briquesregroupées autour d’un feu géant. On aperçoit des femmes danser autour. Leur façon de vivre me faitpenser à celle des Indiens.Lorsque nous passons les « portes », le son des tambours et des chants cessent. Leilani ne nous prêteplus attention et part rejoindre une femme face à nous qui semble prier devant le feu.Je sens une centaine de regards sur nous l’instant d’après. Mary presse davantage sa main dans lamienne. Je ne cache pas mon étonnement de voir autant de pupilles violettes. Les Sorcières Chamanesse ressemblent presque comme deux gouttes d’eau. Elles ont toutes de longs cheveux noirs et desrobes drapées ocre. Des fleurs ornent leurs cheveux.Les Chamanes semblent vivre dans une autre époque, coupées de tout. Mais ce qui m’intrigue le plus,c’est bien de savoir ce qui les protège du monde extérieur. Je doute que j’obtiendrai la réponsemalheureusement.De plus, je me sens légèrement… seul. Il n’y a pas un seul homme. — Nous vous attendions. Cette voix profonde et ancienne attire mon attention. Je cesse d’examiner ce qui nous entoure, unefemme se tourne vers nous, elle est plus âgée que ces pairs, ses cheveux sont grisonnants, elle doitavoir des centaines d’années, si ce n’est peut-être une dizaine de siècles. Ses yeux sont violetsétincelants. Elle nous sourit et marche vers ma demi-vampire, les bras ouverts. — Mary, mon enfant, vous êtes la bienvenue ici parmi vos paires.

Je remarque la surprise se dessiner sur son visage lorsque la vielle femme l’étreint. — J’ai entendu vos paroles résonner dans ma tête depuis des semaines, reprend-elle. Je suis heureusede voir que vous avez réussi à atteindre le point culminant de vos talents de sorcière. Il n’est pas sifacile de nous trouver. Mais vous êtes ici pour de justes raisons, alors ne perdons pas de temps. Je comprends que depuis le rituel, elles préparaient notre arrivée. Elles ont compris l’enjeu de ce quise passe en ce moment.On nous conduit près du feu, je ne m’éloigne pas de Mary. Elle est détendue, et un brin troublée parcet ensemble de femmes qui sont ce qu’elle est. Depuis toujours la fille du puissant vampire Drac aété coupée de cette branche d’elle-même, côtoyer des sorcières est une chose nouvelle pour elle.Je surveille Leilani, elle s’est un peu éloignée avec la sorcière âgée et lui chuchote des paroles àl’oreille qui ne m’échappent pas. — Mère, j’ai expliqué à nos invités les détails de l’invocation. Nous allons pouvoir commencer. — Lequel subira le Ho’oponopono pour l’acte de courage ? interroge la vieille sorcière. — Le vampire a l’âme la plus meurtrie qu’il m’ait été permise de rencontrer un jour. Il lui faudrafaire preuve du plus grand des courages pour venir à bout de ses peurs. S’il parvient à rétablirl’ordre en lui, je ne doute pas que la Divinité qui se présentera à nouveau sera à la hauteur de nosespérances. Je comprends que ma venue n’est pas inutile. Elles avaient également besoin d’un… cobaye, d’unechose à sacrifier. Voilà pourquoi elle n’a pas discuté ma venue.Je ne le sens pas. — Tu connais ce rituel ?, je chuchote à l’oreille de Mary. Ma vampire secoue la tête en scrutant le feu, elle semble perdue dans un flot de pensées étranges. Soncorps vient se blottir davantage contre le mien alors que les femmes autour de nous se remettent àdanser aux sons des tambours et des chants qui reprennent. — Non, je ne savais pas qu’il fallait accomplir un acte de la sorte pour obtenir nos réponses.Cette magie dépasse mes connaissances. J’ignorais ces rituels-là concernant les Chamanes, merépond Mary. Nous sommes deux alors à être passés à côté de ça. Dans l’Encyclopédie des Races, ou chaquecoutume est répertoriée, celle-ci était absente.Tant qu’elles ne nous tranchent pas la gorge, je suis prêt à tout tenter si cela nous permet d’apprendrela manière de tuer un Premier vampire.La vieille sorcière revient vers nous, elle est plus petite que moi, mais elle dégage un sentiment

craintif.Comme toutes ces paires. — Je pense que vous avez deviné ce qu’il va se passer ? m’interroge-t-elle. Je hoche la tête en répondant. — Vous avez besoin que quelqu’un fasse preuve de courage pour pouvoir accomplir votre rituel. Ses yeux violets scrutent les miens. Ce n’est pas l’heure de plaisanter, ce qu’il se passe est trèssérieux. L’ambiance se gorge d’une tension palpable aux rythmes des tambours qui résonnent à mesoreilles. Je sens les battements de mon cœur s’accélérer, je n’aime pas ce qui naît en moi, unsentiment d’inconfort, de crainte. Il va se produire quelque chose qui va me dépasser.Et je n’aime pas ne pas être mon propre maître.La vieille sorcière prend un air plus doux qui me surprend. — C’est un combat contre vous-même que vous devrez mener. Je vais devoir vous plonger dans unsommeil qui va vous entraîner dans votre subconscient, le rituel commencera alors. Vous serezconnecté à chacune des sorcières présentes, et c’est votre réussite qui déterminera la suite desévènements. Nos Divinités sont des êtres qui ne donnent rien sans mérite. Pour obtenir les réponses àvos questions, vous devrez être méritant. — Pourquoi je ne peux pas le faire ? questionne Mary de sa voix douce. La chef de clan sourit à Mary. — Votre âme est bien trop pure et protégée. Vos combats ne sont pas assez impressionnants pour fairevenir un Dieu. Mais vos pouvoirs vont nous aider à les contacter. Le vampire a un lourd passé, et despeurs qu’il n’a pas encore affrontées. Mary se rapproche, étrangement, je sens sa crainte m’envahir, on dirait qu’elle a peur pour moi, et çane fait qu’accentuer la puissance des sentiments que j’ai à son égard.Ça va aller. Ce n’est pas si différent de ce que j’ai l’habitude de connaître lorsque je dors. À ladifférence que je ne devrai pas me réveiller. — Et qu’est-ce que je vais devoir affronter ? je la questionne. La vieille sorcière ferme les yeux et pose une main sur mon front. Sa peau est chaude, beaucoup pluschaude que la nôtre. On dirait qu’elle exerce son pouvoir de sourcière sur moi, et ça me laisseperplexe. Ce geste est réservé à Mary, je ne l’associe qu’à elle et c’est troublant. — La nuit où vous avez perdu votre humanité, déclare la chef de cette grande famille.

Je me fige, mon sang ne fait qu’un tour dans mon corps et je sens la tension me gagner. Le souvenir dudécès de ma femme, est bien la chose que je crains le plus. Certains vampires ne se souviennentjamais de leur transformation, d’autres le vivent plutôt bien, comme une sorte de renaissance, pourma part, c’est l’un de mes pires cauchemars.Autour de nous les sorcières cessent de danser, elles s’assoient toutes en cercles autour du feuflamboyant qui crépite au son des tambours. La vieille sorcière me montre derrière elle, une sorted’autel en pierre. Je suis rassuré de ne pas constater de traces de sang séchées. Des flashs backsrapides naissent sous mes yeux. Je tente de les chasser rapidement alors que mon rythme cardiaques’accélère.Je n’hésite pas. Je n’écoute pas ma raison qui me conseille de m’en aller. Je suis mon instinct, celuiqui me guide dans chacune de mes missions. Je prends ce geste de courage comme tel.Je m’allonge dessus, Mary me suit en souriant, elle tente de cacher son inquiétude, mais ce n’est pasune très bonne comédienne.Je tends ma main vers elle, sa peau est plus froide, et rassurante. J’embrasse sa paume et savoure lefrisson qui la gagne. — Je vais survivre ne t’en fais pas. Je ne suis pas doué en humour et je le constate lorsque je vois l’émotion la gagner. Je sens sa peine etj’aimerais qu’elle n’ait pas à être malheureuse pour moi. — J’aurais aimé que tu n’aies pas à faire ça, m’avoue-t-elle d’une voix douce. Moi aussi, mais… nous n’avons pas tellement le choix.Je détourne le regard vers le ciel qui s’est dégagé, on peut voir quelques étoiles, mais la lueur du feucache la vue de la plupart d’entre elles. — Fermez les yeux et laissez-vous guider par votre instinct. Affrontez votre peur et gagnez la réponseque vous attendez tant, m’explique la vieille sorcière. J’acquiesce et ferme les yeux alors que le son des tambours se fait aussi virulent que les battementsde mon cœur. J’ai l’impression de partir en guerre, et c’est ce que je fais, je vais me battre avec moi-même, et ça m’effraie.Les voix des sorcières se mettent à chanter, puis comme lorsqu’on s’apprête à plonger dans unprofond sommeil. Je sens le vide se faire autour de moi, comme si le néant m’aspirait. Il n’y a plus debruit, plus de voix chantant des phrases que je ne comprends pas, plus d’existence, seulement moi, etmon pire cauchemar.

Chapitre 20Exécuté

Hiver 1328Saint-Empire Germanique, Frontières entre L'État Monastique des Chevaliers Teutoniques et laPologne. Le froid, c’est ce qui m’aurait presque fait croire que ce qui s’était produit été réel. En vérité çal’était… , je ne sais pas si c’est un souvenir ou bien un cauchemar.Nous avions passé deux jours enchaînés dans les cellules du château, en priant pour que le froid nousemporte avant que ces monstres ne le fassent. Mais la Mort n’est pas venue, bien au contraire, elle estrestée tapie dans l’ombre, attendant le meilleur moment pour s’inviter.J’étais à moitié mort lorsqu’on m’a sorti de ce trou, je respirais seulement, mais je ne vivais déjàplus. Je n’ai pas réagi lorsqu’ils nous ont arraché nos vêtements et jetés dans la neige. Les monstresavaient réuni tous les prisonniers survivants, et leurs troupes à l’extérieur de la ville, dans un champenneigé qui servait d’arène d’exécution.C’est ce qu’ils allaient faire, nous exécuter comme des chiens pour leur bon plaisir, mais je n’yprêtais plus attention. L’homme que j’avais été n’était plus de ce monde depuis longtemps. Je n’étaisplus qu’un amas de chair, plus qu’un être incapable de penser, je n’étais pas mieux qu’eux. J’étaisdevenu une loque vivante souffrant des cauchemars éveillés auxquels j’avais assisté. La scène dumassacre de ma famille se rejouait sans cesse devant mes yeux. Je voulais mourir, je ne voulais pasrester une seconde de plus sur cette terre affreuse.Et j’avais mal, comme j’avais rarement connu la douleur. La perte de l’amour de ma vie m’avait ôtél’envie de continuer ma route, seul. Je n’en avais plus la force.Je ne voulais plus être Senan de Magdebourg. Je ne voulais plus être cet homme conquérant et indestructible.Je ne voulais pas être celui qui se relèverait encore.Je voulais en finir, et je savais que mon heure était proche.Alors j’ai attendu, dans cet hiver glacial où la douleur me permettait de ne pas sentir le froid dévorerma peau Je n’entendais pas le son de la voix du monstre qui m’avait détruit, ni les hurlements et lespleurs de détresse de mes compatriotes. Je n’étais plus rien.Le Seigneur a choisi des monstres au hasard et les a conviés autour de cette table sur l’estrade qu’ilsavaient grossièrement construite. Ils ont fait venir le premier homme, l’ont attaché de force à cettetable, le malheureux a à peine eu le temps de faire ses adieux à ce monde qu’ils se sont jetés dessuscomme des affamés. Ils l’ont mutilé et vidé de son sang comme lorsque nous buvions du bon vin lors

de nos réceptions. Je voyais des plaies à son cou, le long de ses bras, sur son torse, ses jambes. Ils lesaignaient et s’emblaient s’en délecter. La foule était hystérique, elles bouillonnaient de ce massacre,elle vibrait de cette horreur. La neige se tachait de sang, et je restais là, impuissant. Je n’avais mêmepas peur, non la peur viendrait plus tard, lorsque je monterais à mon tour sur cette table. En attendant,le Seigneur prenait un malin plaisir à faire exécuter un homme après l’autre, et chaque meurtre étaitplus sanguinaire que l’autre.J’ignore pourquoi, mais sur la vingtaine d’hommes prisonniers, il fit une chose étrange sur deuxd’entre eux. Au moment où les derniers instants de leur vie se montraient, il portait à leur bouche, sonpoignet ensanglanté et les forçait à boire. La nausée m’envahissait et j’ai compris de quoi il en était.Il les transformait.C’est à cet instant que la peur s’est faite maîtresse en moi. C’était sans doute le pire des châtiments,connaître ces événements affreux et devenir l’un des leurs pour agir de la sorte dans un futur proche.Je ne voulais pas devenir un monstre, je voulais mourir, même si ma mort s’avérait être un spectacle,je voulais retrouver les bras de ma femme.Et la peur de savoir notre rencontre à jamais repoussée ne fit qu’aggraver ce sentiment d’injustice.Alors quand vint mon tour, j’étais le dernier, la foule était en délire comme lors des tournois dechevalier, elle réclamait le sang. Elle voulait le mien, et le Seigneur voulait me faire connaître lespires des souffrances.Une part de moi, un courage que je pensais ne plus avoir, me fit me rebeller. J’ai tenté de résisterlorsqu’on m’a soulevé pour me traîner jusqu’à l’autel couvert d’un sang qui n’était pas le mien. Je mesuis débattu lorsqu’on a refermé les chaines autour de mes poignets et de mes chevilles. Et j’ai hurléà pleins poumons pour m’exprimer lorsqu’on m’a immobilisé et que ma peau se tachait de sang,l’odeur qui m’entourait été nauséabonde. Quelques choses en moi subsistait, une part encore vivantene voulait pas que je connaisse un tel sort.Je n’étais pas encore mort.Elle voulait que je vive, que je me batte, comme je l’avais toujours fait au cours de mon existence.Ma rébellion semblait amuser mon agresseur, je continuais de me débattre alors que quatre monstress’approchaient de moi, crocs sortis. Leurs dents étaient longues et tâchées de sang, leur sourire necachait pas leur envie de me vider jusqu’à la dernier goute de cette essence qui maintient en vie.Ils se sont répartis autour de moi en s’agenouillant sur l’estrade tachée de rouge. Mon corps étaitoffert à leurs sévices, je ne pouvais pas les combattre. Je savais ce qui m’attendait, et j’espérais queleurs actes m’emportent rapidement.Un gémissement de douleur m’a échappé lorsque leurs dents ont commencé à déchiqueter ma peau. Jesentais ma chair se faire déchirer alors que ces bêtes aspiraient le liquide rouge qui coulait dans mesveines. J’avais l’impression que des lames de rasoir me massacraient la peau.La force semblait me quitter peu à peu et le froid se faisait maître en moi.C’était donc ça mourir…Le Seigneur est venu se mettre dans mon champ de vision, il était satisfait. Je le voyais. Mais je nevoulais pas le supplier. — Regardez-moi ça. Tu as envie de vivre n’est-ce pas ? Les bêtes sanguinaires ne cessaient de me mordre à différentes artères, et à chaque fois, la douleur

était plus forte, mais je ne voulais pas geindre, je ne voulais pas lui donner cette satisfaction.Pourtant j’avais mal. Si mal… — Je veux mourir dignement, ai-je répondu en crachant du sang. Mon corps commençait à s’engourdir, je ne sentais plus mes pieds, mes membres me faisaient mal etsemblaient peser une tonne. Ma tête était lourde, je sentais le goût métallique du sang dans mabouche. J’avais du mal à respirer. J’étais prêt à mourir… mais ma volonté non.Le Seigneur m’a souri, et j’ai compris que j’aurais droit au même sort que les deux autres. J’ai vouluhurler, mais aucun son n’est sorti.L’ignoble personnage qui m’a détruit a ordonné une directive à ses hommes dans une langue que je neconnaissais pas. Ils ont cessé de me vider de mon sang et se sont relevés. La douleur dans mesmembres s’est légèrement atténuée.De ma vue trouble, je les ai vus s’ouvrir les veines et refermer mes plaies avec leur propre sangavant d’en verser dans une petite gourde. Ma peau piquait sous cette soudaine cicatrisation. Lesmonstres ont remplis le récipient un à un, jusqu’à la donner au Seigneur. Il s’est également ouvert uneveine, a rajouté son sang au mélange avant de me dévisager.Mon cœur s’est arrêté de battre à cet instant. La panique m’a envahi. J’ai tenté de me débattrelorsqu’il a amené à mes lèvres le goulot de la gourde. Je ne voulais pas boire ça. Mais j’étais faible.Mon corps ne me répondait pas. La vie m’échappait un peu plus à chaque instant et je priais pour queça aille plus vite que son geste.J’avais tort.Je n’ai pas pu me battre lorsque le mélange de sang a pénétré mon corps. J’avais autant mal quelorsque je m’étais brûlé la main étant gamin. Le feu naissait en moi, comme si de l’huile brûlante étaitinjectée dans mes veines. Leur venin me paralysait, il était en train de me transformer en monstre.J’allais devenir comme eux.Je devenais comme eux. Je ne comprenais pas vraiment comment ça se passait. Je savais juste qu’enayant perdu de mon sang et qu’en buvant le leur, quelque chose se produirait.Et cette fois-ci, alors que je revivais ce cauchemar, je ne me suis pas réveillé. J’ai revécu cettehorreur et cette peur. J’ai senti de nouveau cette douleur qui me tordait le corps et la poitrine alorsque la vie me quittait, pour une renaissance que je ne voulais pas. J’allais devenir comme eux, unmonstre sans humanité… mais en vie. Je serais en vie, et c’était la pire des punitions qu’on pouvaitm’infliger, survivre à leur mort… pour l’éternité.

Chapitre 21Le Secret

2016Hawaï. J’ouvre les yeux brusquement en me redressant comme si on m’avait tiré du sommeil en me giflant.Mon rythme cardiaque est affolé. J’ai du mal à comprendre que je ne suis plus victime de cette transeétrange. C’est le fait que je ne sente pas la vie m’échapper ni les brûlures des plaies causées parleurs crocs qui me confirme que je suis de retour dans la réalité.Je ne suis plus sur cette table de pierre dans ce froid glacial, mais auprès d’une femme qui m’enlacecontre elle.J’ai affronté ce cauchemar, cette peur. Je ne me suis pas réveillé avant que leur sang ne pénètre moncorps. J’ai résisté à la douleur, je l’ai vécu de nouveau, l’affrontant comme je l’ai fait le jour où onm’a exécuté. J’ai résisté à la mort, à la mienne. Je l’ai revécu.Lorsque ça s’est produit, une part de moi ne voulait pas que je quitte ce monde et le Seigneur l’avaitcompris, c’est d’ailleurs pour ça qu’il a ordonné qu’on referme mes plaies avec le mélange de sangde cinq vampires. Dont le sien.Dans mes cauchemars, j’ai encore en bouche, le gout âcre du fer, et cette brûlure qui devenait plusvive à l’intérieur.Mais ce n’est qu’un souvenir. — Il a réussi ! lance une petite voix. Je regarde autour de moi, et vois toutes les sorcières agenouillées, la tête baissée, comme si elles seprosternaient, Mary est assise à mes côtés et semble scruter le feu. Je me tourne à mon tour et nemanque pas d’être surpris en découvrant le spectacle.Une silhouette translucide apparait au-dessus des flammes rouges. Elle semble voler comme unefeuille à la force du vent.La déesse est une jeune femme aux longs cheveux noirs laissés libres, une couronne de branchestaillées en pointes est posée sur le haut de sa tête. Dans sa main, elle tient une espèce de bâton quifait penser à celui de mon père. Son corps est vêtu d’une toge noire fluide. — Déesse Kanaloa, pardonnez-nous de vous avoir dérangée dans votre repos éternel. Mais nousavons besoin de votre savoir…

La vieille sorcière est interrompue par la main du… fantôme. Un fantôme qui n’est autre que lapuissante déesse Hawaïenne de la Mort, de l’obscurité et de l’Océan. J’ai entendu parler d’elle dansles contes et légendes d’Hawaï.Cette dernière prend la parole et sa voix résonne comme un écho lointain. — Je sais pourquoi vous m’avez convoquée. La silhouette se tourne vers Mary et moi. — Le vampire a fait preuve d’un immense courage et mérite d’obtenir sa réponse. Sachez qu’il y abien longtemps, avant que je ne passe de vie à trépas, j’étais de ce monde. Nous étions nombreux àécumer la Terre et à répandre des légendes nous concernant. Les Divinités régnaient en maîtressur la Terre, bien avant que l’ère des races nouvelles ne commence. Nous utilisions une magie trèspuissante, qui n’était ni du bien ni du mal. Une magie capable de tout créer. Du plus petit papillonau plus grand des sommets. Nous étions capables d’accomplir de belles choses. Et lorsque la Terrefut prête à accueillir des êtres plus intelligents et développés que de simples bêtes, nous avons faitconfiance aux mauvaises personnes, et nous avons été dupés par cette puissante magie. Si laCréation des nouvelles races telle que les Hommes ou les descendants des propres Divinités avaitété de beaux projets, certains aspects de notre magie nous ont emmenés à notre perte. La déesse se tait un instant, son regard se perd dans le vide comme si des souvenirs remontaient à lasurface. J’écoute attentivement son histoire, et sens l’excitation gagner la demi-vampire à mes côtésalors que nous approchons d’aussi prêt notre but. — Avant que la quasi-totalité des Divinités ne périssent dans le chaos du néant maléfique, nousavons pu accéder au savoir ultime de chacun des secrets que renfermait cette magie. Nous savionsles tenants et les aboutissants, ainsi que les effets de chaque rituel qui pouvait être faits. Mais àcause de rivalités, une querelle violente éclata entre les Divinités. Seul douze survécurent. LaMort en faisait partie, son Frère, créateur des Anges, fit également parti des survivants. Puis, il sepassa des siècles avant que cette puissante Magie ne se réveille. La déesse fantomatique se tourne vers Mary, on dirait qu’elle tente de sortir des flammes comme pourmieux nous examiner.Au cours de ma longue vie de vampire, j’en ai vu des choses étranges, mais pas à ce point. Je ne mesuis jamais retrouvé en face d’une Divinité morte en pleine confession d’un passé lointain.Mais j’écoute parce que je sais que chacun de ses mots a un sens. Je me demande bien quand est-ceque cette fameuse « magie » s’est réveillée. Et la Déesse ne tarde pas à confirmer l’idée naissantedans mon esprit. — Ce fut lorsque les Hommes ont commencé à nuire à cette Terre, que les Dieux se sont mêlés dece conflit pour sauver le monde. C’est à cet instant que tout a basculé. Au lieu de s’unir main dansla main comme ils auraient dû le faire, ils se sont haïs et ont continué d’attiser cette rivalité entre

eux, pour savoir qui réussirait à ramener vers le droit chemin la Race prometteuse des Hommes.La Mort a dupés les Divinités survivantes en se servant de cette ancienne magie qui faisait partiede lui. Il a donné naissance à ses vampires, et lorsque le moment d’écraser son frère pour dominerle monde est arrivé, il a utilisé ce savoir qui se perdait. Donnant l’immortalité à ses fils. Uneimmortalité que seul une Divinité méritait. Cette magie est puissante et destructrice, elle donnepuis reprend comme elle nous a ôté la vie. Les choses ne sont pas éternelles, elles ne doivent pasdurer. C’est pour cela que nous chérissions tant de projets chez les Humains. Cette Race dont sesmembres grandissent, apprennent et s’éteignent avec l’âge. Les vampires ne devraient pas êtreéternels, encore moins leurs précurseurs. Pourtant ils le sont. Même l’eau du Styx n’arrive pas àles blesser mortellement. — Alors comment faire pour les détruire ? je demande sans chercher à savoir si je peuxl’interrompre ou pas. La Déesse me transperce de son regard froid en me répondant : — Pour tuer un Premier vampire, il faut revenir au point de départ de leur immortalité. Leurcréateur les a rendus invincibles, mais ce sort n’est pas définitif si on a connaissance de lapuissante magie que ce dernier a utilisé pour ses fils. Pour créer une nouvelle Race, ils leur fautle sang de la femme issue de leur prophétie mélangés au leur. Pour les détruire, il faut lier le sangde leur prophétie avec celui de leur créateur pour donner vie à l’arme destructrice qui permettrade venir à bout d’un Premier vampire. Le choc.Lier le sang de la prophétie avec celui de leur créateur.Ses mots résonnent en moi, et je comprends que Faith va devoir… s’unir avec la Mort pour vaincreDying.C’est donc la façon de lever leur immortalité.C’est la merde. — Le destin n’est pas encore écrit, reprend la Déesse mais les pages invisibles de l’avenir leseront bientôt. Ne perdez pas votre temps et gardez toujours en tête, que la destinée de chacun peutbasculer à n’importe quel moment. Peut-être que même avec les plus grands efforts que la Racedes Vampires fournira, elle ne pourra se sauver. Le monde va connaître de véritables heuressombres. Peut-être faudrait-il accepter la fin d’une ère pour laisser place à la nouvelle. La silhouette de la déesse se fait plus floue, jusqu’à totalement disparaître dans l’obscurité de la nuit.Le silence persiste, aucune sorcière n’ose rompre ce calme. Les flammes se ravivent autour de nouset crépitent à nos oreilles.Je cherche du regard la vieille sorcière qui semble subjuguée. — En gros, elle nous affirme que quoi qu’on fasse, nous avons plus de chances d’échouer que deparvenir à rétablir une paix ? je l’interroge.

La vieille sorcière laisse échapper un soupir. J’ignore si c’est moi qui l’agace ou bien si c’est lasituation. — Kanaloa était une déesse juste, m’informe-t-elle avec douceur, en plus de maîtriser le domaine dela mort et de l’obscurité. Son conseil est sage. Elle vous a livré ce secret bien gardé. Elle n’avait pasà vous donner la voie à suivre pour survivre. Les Divinités ne le font jamais. A nous de nousdébrouiller avec les messages qu’ils nous transmettent. Je me tourne vers Mary, l’expression de son visage ne trahit pas l’inquiétude qui la gagne. Nousavons obtenu la réponse que nous cherchions, mais elle n’est pas si facile à avaler.Elle est cruelle et injuste.Ce sont toujours les mêmes qui trinquent. — Il faut que l’on rentre à New York, je murmure. Je me lève de l’autel, Mary me suit, je commence à réfléchir au comment digérer cette information, etpense à la meilleure façon d’informer notre gouvernement de cette découverte. Le contexte n’est pasle plus favorable, Dead a disparu et est en esclavage. Une Guerre vient d’éclater, j’ignore même cequ’il s’est passé ces derniers mois aux États-Unis alors qu’est-ce que notre retour va engendrer ? Jeme le demande. — Nous devons rentrer, je répète à voix haute pour que les sorcières comprennent que nous nerestons pas. — Attendez ! La vieille sorcière se met devant mon chemin, elle semble troublée, et inquiète. Nous le sommes tous.Est-ce que ces Divinités mortes ont connaissance de notre futur proche ou est-ce simplement une miseen garde ? Et elles ? Est-ce que ses femmes venant d’une autre race savent ce que nous, les vampiresignorons au quotidien ? — Nous sommes traquées par certains vampires. Nous sommes en sécurité ici, mais nos sœurs ne leseront pas éternellement et nous non plus si nos ennemis venaient à apprendre que nous sommes ici,m’explique la sorcière. Je comprends qu’elle s’inquiète. Après tout, nous n’étions pas censés les trouver. Nous étions censésfaire partie de ceux qui les côtoyer sans jamais se rendre compte de leur présence. Mais il a fallu queMary soit différente des autres vampires. Sans ça, jamais nous n’aurions su. — Sachez que je vous fais le serment de protéger comme ma propre vie, la localisation de ce lieu.Merci pour… ce que vous avez fait, je la rassure avec sincérité.

Ma promesse semble satisfaire l’ainé de cette famille. — Nous n’avons rien fait. Nous vous avons seulement montré le chemin. De plus, nous savons quevous êtes de confiance : vous êtes liée sous Litha à une sang mêlé. Vous êtes son âme sœur et noussavons qu’une sorcière ne fait pas ça avec n’importe qui. Une âme sœur ?Je fronce les sourcils, les vampires n’ont pas d’âme sœur. Nous choisissons nos compagnes. Noussommes suffisamment dirigées par nos instincts.Mais les sorcières…Voyant mon trouble, la vieille sorcière m’explique : — C’est ainsi que nous appelons les êtres d’une autre race qui s’unissent selon nos rites avec unesorcière. Que cette dernière soit sang-mêlé ou pas. De plus, certains signes ne trompent pas.Attirance, passion, désir. C’est un secret bien gardé, et un phénomène rare. Le hasard n’existe pasdans notre monde, chaque chose arrive pour une bonne raison. Si la sang-mêlé vampire a croisé votreroute à ce moment précis de votre vie, c’est qu’il y a une bonne raison. Vous êtes un être bon. Vousavez un cœur brisé, mais qui a la chance d’avoir croisé un être capable de vous guérir de cesblessures. N’ayez pas peur de faire des choix, Senan. Faites-les sans hésiter, vous avez un boninstinct. Je serre la main qu’elle me tend. Mary caresse doucement mon dos, et j’apprécie son contact. Jesavais que notre attirance n’était pas due à rien. Je ne pouvais pas tomber amoureux dans cescirconstances et pourtant, lorsque je vois Mary, j’ai cette émotion qui me gagne au fond de lapoitrine. Ce sentiment étrange que j’ai connu peu de fois, mais si intense qu’il est reconnaissableentre mille.La vieille sorcière se tourne vers Mary, elle saisit sa main et chuchote à son oreille. — N’ayez jamais honte d’être ce que vous êtes. Vous ne possédez pas un sang pur, mais vous avezcette part d’humanité transmise par votre père qui fait terriblement défaut, à nous les sorcières. Nechangez pas Mary, qu’importe ce qu’il se passera dans cet avenir proche, aimez et continuez de voirle monde comme vous le voyez à cet instant. Ne perdez jamais vos convictions. Elles vous serontutiles lors de ces heures sombres. La souffrance n’a pas à vous faire changer. Elle vous fera grandir,mais ne tombez pas dans la duperie du mal. Elle recule, les autres font pareil, un silence réapparait. Les mots de la sorcière à Mary résonnentcomme une mise en garde pour l’avenir.Est-ce qu’elle sait quelque chose ? Je me le demande de plus en plus.Mary ne réagit pas, elle se contente de la remercier silencieusement.Nous ne sommes pas restés longtemps, mais suffisamment pour approfondir nos connaissances. Detoute façon, notre but n’était pas de le faire. Peut-être qu’un jour dans de meilleures circonstances,nous reviendrons. Peut-être que Mary le voudra, et elle aurait raison. Je pense que nous pourrions enapprendre davantage sur les grands secrets de nos existences à tous.

La vieille sorcière nous sourit, sa fille nous rejoint et je comprends qu’elle va nous servir de guidejusqu’à la plage. — Leilani va vous ramener. Vous avez la solution en main à présent, faites en bon usage. Je la remercie, un bras se glisse autour de la taille de Mary qui est étrangement restée silencieuseaprès les paroles de la femme âgée. Je pense que quelque chose s’est passé en elle, quelque chosedont j’aurai connaissance lorsque nous serons en privé, tout ce que je sais, c’est que cette rencontrel’a bouleversée. Je le sens.Nous commençons à marcher vers la sortie du village, je me tourne vers le rassemblement de femmesaux yeux violets, elles nous dévisagent toutes avec cette lueur dans le regard qui fait froid dans ledos. Elle est remplie d’espoir, mais également de crainte. Et je comprends à cet instant, à leur façonde nous dévisager, qu’elles ont déjà connaissance de l’avenir qui nous attend. Elles ne savaient paspour le secret de l’immortalité des Premiers Vampires, mais pour le reste, elles sont au courant. Ellesont préparé notre venue, parce qu’elles l’ont vue. Tout comme elles ont dû voir ce que ces prochainsmois, nous dévoileront au fur et à mesure.

Epilogue

Je ferme la porte de la maison d’un coup de pied. Mary sursaute et reste un peu éloignée de maproximité. Je la comprends, je me sens à cran, énervé, inquiet. Bon sang, ce que nous venonsd’apprendre dépasse mon imagination. Je ne m’attendais à pas ce type de révélation. Comment fairepour annoncer ça ? C’est comme injecter volontairement ce venin à quelqu’un et attendre les effetssecondaires du poison sans savoir à quoi s’en tenir, en espérant qu’un tiers trouvera la solution pouréviter une fin tragique. Je me demande ce que cette découverte va engendrer comme conséquences.Avec ce qu’il s’est passé ces derniers mois au sein de notre famille, l’esclavage de Dead, la Guerre,les alliances, les trahisons et tout le reste… une union avec la Mort ? C’est la merde !Je fais les cent pas dans le hall d’entrée de la maison, attendant que la colère redescende. Il faut queje réfléchisse et vite. La seule chose dont je sois sûr, c’est qu’il faut que j’informe Decease de cettedécouverte, ainsi que le conseil. Nous devons réfléchir ensemble de l’action à mener, mais surtout,nous devons en parler avec la principale concernée : Faith.Après tout ce qu’elle a vécu ces deux dernières années, rajouter ça à ses « devoirs », ce n’est pasjuste.Je finis par m’asseoir lourdement sur un fauteuil à l’entrée. Mary est toujours près de la porte et elles’approche de moi lentement, attendant ma réaction. Mais très vite, je l’attire contre moi, sur mesgenoux, en espérant que sa présence me calme rapidement. — Nous devons prendre le premier avion en partance pour New York, je chuchote à son oreille. Nous savions que nous ne pourrions pas rester éternellement à Hawaï dans la petite maison jaune aubord de l’océan, loin de tout et des problèmes extérieurs. Mais la vie n’est pas faite pour vivre enautarcie loin des autres. Tôt ou tard, nos engagements refont surface et dépassent les plus récents.Protéger Mary était une échappatoire, un « contournement » à ma vie actuelle, mais un épisode quim’a aidé et m’a fait découvrir d’autres horizons que je ne pensais jamais connaître de nouveau.Je sens la main de Mary dans mes cheveux détachés. — Je sais. C’est maintenant que nos chemins se séparent… ou pas. Et je n’ai pas envie de la voir rentrer enFrance auprès de son père. J’aimerais qu’elle reste avec moi.Parce que tu es tombé amoureux d’elle. — Senan ? lance une voix douce à mon oreille.

Je redresse mon visage vers celui de Mary, ses yeux violets et marron ont la même lueur de doute quelorsque nous étions sur cette maudite île. Elle est inquiète et j’aimerais savoir pourquoi. — Qu’est-ce qui ne vas pas ? je demande. — Cette rencontre m’a fait peur. — Pourquoi ? Mary laisse échapper un petit soupir. — Parce que j’ai senti qu’elles savaient des choses que nous ignorons. J’ai senti… une étrangeconnexion avec elles, une sensation que je n’avais jamais connue, et ça m’a troublée d’être si prochede personnes qui me rappelaient que je ne le serai jamais avec celle qui m’a mise au monde. Je saisque nous n’étions pas venus pour des raisons personnelles mais pour trouver un moyen de fairebasculer cette guerre de notre côté. Je caresse son dos pour lui apporter un peu de réconfort, je ne suis pas doué là-dedans. Marymaîtrise, mais moi je fais de mon mieux. Elle mérite quelqu’un qui puisse lui apporter autant qu’elledonne au quotidien et j’aimerais être ce vampire-là. Celui qui la mérite malgré ce que je suis. — Nous y retournerons un jour, je te le promets, je lance avec réconfort. Lorsque tout sera plus calme dans nos vies, et que la tension qui règne dans le monde se sera éteinte.Nous reviendrons chercher des réponses concernant sa mère. Parce que Mary mérite d’en connaîtreplus sur elle. Je l’ai vu tout au long de nos recherches, elle espérait tomber sur un livre, un souvenirlui appartenant.Mary glisse sa tête dans mon cou, la nuit a été longue et la journée ne fait que de commencer. Nousn’allons pas dormir de sitôt et la fatigue chez elle se fait ressentir. Elle n’a pas l’habitude de faire desnuits blanches.Peut-être que notre départ pour New York pourrait attendre qu’elle dorme quelques heures. — Comment vont réagir tes proches face à cette nouvelle ? me demande-t-elle. La voix douce de Mary me sort de mes pensées.Quand j’y pense, je sens un frisson me gagner, je n’ai pas envie d’être le porteur de mauvaisesnouvelles et pourtant, c’est ce que nous allons faire. Je pensais simplement que les choses seraientplus simples, mais dans notre existence, lorsqu’on côtoie les frères Creaving, on apprend à encaisserles injustices, on apprend que les choses ne sont jamais simples. Tout est compliqué. — Je l’ignore, j’ignore même s’ils ont réussi à parvenir à un accord permettant de libérer lePrésident des États-Unis des griffes de son frère…

— Se lier à la Mort, c’est funeste comme destin, constate Mary. Je la serre davantage contre moi. Ça l’est. — Affreusement cruel. Faith hait son beau-père peut être autant que les frères de son mari. Mais je nepeux pas prédire leur réaction, pour ça, il faut rentrer. Je sens Mary se raidir contre moi, et mon corps réagit à sa proximité. Depuis la nuit sur la plage, jen’ai pas cessé de la désirer, de vouloir me perdre en elle comme si ma vie en dépendait. Je croisbien que je suis foutu, mais ce n’est pas mal. Pas cette fois-ci. Il n’y a rien de malsain dans marelation avec Mary, juste de la passion et des sentiments, même s’ils sont récents et s’il y a notre lotde problèmes. — Qu’adviendra-t-il de nous lorsque nous serons à New York ? chuchote Mary avec une pointe decrainte. Auprès d’elles et du reste.Auprès de ma fille, de Queen, de notre famille qui se déchire dans une lutte sans merci contre desfous. Ce ne sera pas facile, les temps seront durs, mais je ne doute pas qu’avec du soutien et… un peud’amour on réussisse à surmonter ça sans devenir nous-mêmes des fous.Je saisis le visage de Mary par le menton et lui relève la tête pour que nos regards se croisent. Jesens les battements de mon cœur s’affoler un peu plus lorsque je lui avoue ce que j’ai sur le cœur. — Les choses vont changer une fois de retour à New York. Je ne compte pas me cacher, j’ai envied’être avec toi, nous sommes liés. J’ai besoin d’être près de toi, de continuer de te connaître et departager mon existence avec la tienne. J’ai envie que tu sois dans ma vie, et que tu sois mon soutiendans ces prochaines heures sombres. Je pense que je suis prêt à me battre pour les choses qui méritent une bataille, pour ma fille parexemple. Elle mérite que je me batte pour elle.Je vois l’émotion l’envahir. Elle se rapproche de mon visage, je sens sa respiration contre ma peau.Bon sang, elle a le chic pour atténuer de violentes colères, mais également pour éveiller de violentespassions. — Qu’adviendra-t-il de nous lorsque ton père entrera en jeu ? je lance à mon tour. Mary esquisse un sourire en fourrant un peu plus sa main dans ma chevelure. — Je lui dirai la vérité. Je lui dirai que je suis tombée amoureuse de toi, je t’ai séduite, tu m’asrepoussée, j’ai lutté, tu as lutté, nous avons succombé, nous nous sommes en partie liés, et que jecompte rester auprès de toi si tu me laisses la place d’être dans ta vie, qu’importe ce qui va sepasser, parce que je t’aime.

Elle met fin à la conversation en déposant sa bouche sur la mienne dans un baiser qui déviera versd’autres horizons qu’un simple contact chaste si je la laisse faire.J’arriverai à lui dire un jour. Les mots sortiront naturellement. Mais je sais, que Mary a connaissancede mes sentiments pour elle, elle les savait bien avant que je ne le comprenne.Nous restons un moment assis dans ce couloir, à savourer ces derniers instants de calme avant latempête. Pour la première fois depuis longtemps, je suis serein face à mon retour à New York. Etc’est grâce à Mary.

*** New York… Je ferme la voiture à clé, et marche vers Mary pour glisser un bras autour de sa taille. Nous sommesarrivés il y a deux heures, et je ne pensais pas revenir dans un tel climat de tension.J’ai compris que notre pays et d’autres du monde avait subi de lourdes représailles suite à ladéclaration de Guerre. À l’Aéroport, des soldats étaient partout. Il y avait des affiches concernantl’actuel état des lieux, de la propagande d’armée et de recrutement, des unes de journaux quidonnaient froid dans le dos lorsqu’on les lisait. J’étais content que Mary ne puisse pas tout lire, elle est suffisamment anxieuse comme ça.Nous n’avons prévenu personne de notre arrivée, je préfère l’effet de surprise, et éviter que noscommunications ne parviennent à des oreilles indiscrètes. Je ne veux pas mettre en danger Mary.Après tout, même si nous avons trouvé le secret des Sorcières concernant les Premiers Vampires,Dying lui, en est toujours à la traque de ces dernières.Enfin, je l’espère.Je jette un coup d’œil autour de nous, si je ne me suis pas montré très méfiant à Hawaï, ici à NewYork, les choses sont différentes. Le danger est partout.La Maison Noire n’a pas changé depuis mon départ. Elle est toujours imposante, et distinguée, enamont de la ville. Les lumières sont allumées, mais le personnel n’est pas encore arrivé, il est tôt.J’entraîne Mary vers l’immense porte d’entrée, nos pas résonnent sur le gravier. Nous arrivons àhauteur de la dizaine de marches, que nous montons rapidement. Je sonne deux fois et attends. Shri ouRoosevelt vont sans doute nous ouvrir. Ils vont être surpris de me voir, il faut dire que je suis partiprécipitamment.Je souris à Mary qui fait de même, une part de moi est ravie de la voir entrer dans notre famille,même si cette « union », ne va pas plaire à grand monde. Tant pis.J’entends le son de la grande clé de l’entrée, le grincement de la porte qu’on ouvre. Lorsque je metourne, le visage familier que je rencontre, n’est pas celui auquel je pensais.Decease se tient face à nous, j’ai l’impression de l’avoir tiré du lit. Il semble fatigué, torse nu et unbavoir de bébé est sur son épaule.Soudain je comprends, le bébé de Faith est né.Une expression d’abord surprise envahit le visage de mon meilleur ami, puis un sourire se dessinesur ses lèvres, laissant apparaître ses crocs.

— Sen ! Bon sang ! Le vampire fait un pas vers moi et m’enlace chaleureusement. Ses mains tapotent mon dosfraternellement.Je lui rends son accolade, je suis heureux de le revoir après quatre mois de silence radio. Nous avonsrarement été aussi longtemps coupés de nouvelles l’un de l’autre. Un fidèle ami est toujoursprimordial dans une vie, même si cette fois-ci, être coupé du monde m’a plutôt bien réussi.Je recule, Decease fait de même, il récupère le bavoir et le fourre dans sa poche. — Pourquoi es-tu rentré si tôt ? Est-ce que tu as reçu une directive de la part de Drac ? me demande-t-il soudainement. Et je comprends qu’il soit… méfiant. Je n’étais pas censé rentrer comme ça. — Non, nous sommes rentrés à New York par nos propres moyens. Decease fronce les sourcils et passe une main dans ses courts cheveux noirs. Il ne comprend pas,mais ça va venir. Je me tourne vers Mary et la lui présente, un sourire sur le visage. Ce qui nemanque pas à la vision du vampire. — Je te présente Mary Drac. Decease la salue en lui faisant la bise comme s’il la connaissait depuis toujours. Il me jette ce regard,celui qu’ont les amis entre eux lorsque des événements se sont produits en l’absence de l’autre. Je luiréponds que je lui expliquerai plus tard. Et je compte le faire. — Je suis heureux de te voir après ces longs mois d’absence, mais permets moi de m’interroger surle pourquoi de ton retour précipité, renchérit Decease. Je sens le regard malvoyant de Mary sur moi, la tension nous gagne, un poids qui nous habite depuisnotre départ de l’île.Nous sommes le venin.Je redeviens sérieux, froid, mes yeux rouges trouvent ceux de Decease et j’annonce la raison de mavenue : — J’ai des informations capitales à communiquer au conseil. Des infos qui pourraient faire basculercette guerre. Decease hoche la tête avant de soupirer, on dirait qu’il est lui aussi porteur de lourds… secrets.Quatre mois ont passé depuis mon départ, trois depuis que la guerre a éclaté. Je ne sais rien de cequ’il s’est passé ici et vise versa. Il y a tant de choses à rattraper, et vu sa tête, je comprends que cen’est pas que de bonnes nouvelles.Decease s’écarte et me fait signe d’entrer.

— Entrez, moi aussi j’ai des choses à te raconter qui ont fait prendre un tournant radical à cetteguerre. Je presse Mary d’entrer, ce qu’elle fait. Je me penche vers Decease pour murmurer tout bas : — De quel genre ? Son regard bleu est rempli d’inquiétude, ce qui ne manque pas de me rendre nerveux. Il me confirmesilencieusement que des choses graves se sont passées en mon absence. — Du genre à faire plonger toute une planète dans le chaos. Espérons que mes informations ne viendront pas seulement rajouter de l’huile sur ce feu ardent.

À suivre…

Remerciements

Merci à Micheline pour son énorme travail de correction et relecture. C’est toujours un plaisir detravailler avec toi. Merci pour ton sérieux, et ta générosité. Merci à nos fidèles lectrices du Blog, de Facebook, aux fans de SLAVES impatientes de lirel’histoire de Senan, et toutes celles qui restent anonymes. Vous êtes toujours aussi géniales les filles !Merci pour votre fidélité, votre soutien sans faille. Sans vous nous n’en serions pas là. Merci à nos partenaires chroniqueuses. Vous êtes au top les filles ! Merci à toi, ma lapinou, Tahlly ! Pour tout ce que tu sais. Ton amitié, ton soutien et ton humour. Merci à ma vilaine Maryrhage, ma moitié dans l’univers de livresque, qui m’a soutenu dans l’écriturede ce nouvel opus de SLAVES. Mais qui surtout, m’a donné son prénom pour la compagne de Senan,Mary. Tu es une bêta lectrice du tonnerre. Ta patience, ton avis, ta présence et notre amitié sont mesmeilleurs soutiens. Une nouvelle fois, je confirme que je ne sais pas ce que je ferais sans toi ! Mercide partager encore et toujours, tout ça avec moi. Merci à ma mère que j’ai mise encore à contribution ! Et qui me « déteste » encore à la fin de cetome. Merci à toi pour ton boulot sur la relecture de ce tome. Tu deviens une super bêta lectrice !Merci de croire en moi. Et puis bien évidement, merci à toi lectrice (ou lecteur) d’avoir poursuivis l’aventure de SLAVESaux côtés de Senan. Ta fidélité me touche toujours autant. J’espère que ce tome t’aura plu ! L’écriturede cet opus fut très différente des précédents. Senan était un personnage auquel je tenaisparticulièrement et je voulais être à la hauteur le concernant. Alors j’espère que découvrir son passé,ses pensées, ses blessures t’aura ému autant que cela m’a touché de partager trois mois d’écriture àses côtés.On se retrouve très vite avec le prochain opus en octobre, avec peut-être, le retour tant attendu deDead. Merci pour tout !

Les “Familles” dans SLAVES

Les Américains:Dead Creaving*

Faith Wilkins CreavingDecease CreavingReaper CreavingLouis Stanhope*

Deryck MacTavishQueen MacTavish

Sawyer MacTavish*Trenton Wellington*Senan Zederman*Solenn Chatterton

Ripley*Jacob Kroven

RooseveltShri

Les Membres du Gouvernement Américains:WarnerSheeran

RosembaunKeatonGlendaCooper

SageLily

AnnabelleSeymourThaddeusLothaire

Layton O'Shaughnessy

Les Français:Aldéric Drac

Henry BastideCharlotte Drac

Marjorie BastideMary Drac (Sorcière)*

Les Russes:

Dying Creaving*Died CreavingNinel Creaving

Les Membres des Gouvernement :Carmela Galluci et Antonio Galluci

(Italie et Pays alentours)

Maria-Helena Rivera et le Roi d’Espagne(Espagne & Portugal)

Sierra Tremblay et Monsieur Tremblay

(Canada)

Dema Zahir et le Monsieur Zahir(Afrique)

Paige Wallis et Monsieur Wallis

(Océanie)

Les Personnages des Autres dimensions:Mortem (La Mort)*

Wraith Shadow (Spectre)*Balthazar Darken (Démon)*Victoire Berkeley (Vampire)

Aimée Hepburn (Loup Garou)

Deaths Creaving*

Mort*possède un ou des pouvoirs

La Saga “SLAVES”

DEJA PARUS :Slaves, Tome 1 : Vie Humaine

Slaves, Tome 2 : ProphétieSlaves, Tome 3 : RévélationSlaves, Tome 3.5 : Decease

Slaves, Tome 4 : Avenir SombreSlaves, Tome 4.5 : Senan

PROCHAINEMENT :Slaves, Tome 5 : Sanguin

Slaves, Tome 5.5 : TrentonSlaves, Tome 6

Slaves, Tome 6.5 : LouisSlaves, Tome 7Slaves, Tome 8

Prochainement

SLAVESTome 5

Octobre 2016

(En papier et numérique)

***

PATRIOTES

(M/M)

24 Juillet 2016(En papier et numérique)

***

BLOOD OF SILENCETome 4Klaxon

Fin 2016

(En papier et numérique)

***

ADDICTED TO YOUEte 2016

(En papier et numérique)

***

ROAD(M/M)

L’auteur, Amheliie

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[1] : Ancêtre du bulgare et du macédonien. Parlé en tant que langue liturgique des églises ortodoxes.[2] : Parlé en Poméranie et disparu au XXe siècle.[3] : Parlé en Allemagne du Nord-Est. Disparu au XVIIIe siècle.[4] : Parlé en Cambrie (Angleterre) et disparu au Moyen Âge à la suite de l'invasion saxonne.[5] : (ou 'Yotvingien) : parlé en Prusse-Orientale et disparu après le Moyen Âge.[6] : Ce don permet à celui qui le possède de ressentir toutes les émotions et les sentiments des autres. Bien que ce soit un atout danscertains cas, il est aussi un poids énorme pour celui qui le porte. En effet, l'empathique ressent toute la souffrance du monde, et cela peutmener à des situations extrêmes.[7] : Capacité de percevoir, en touchant et en regardant un objet, les particularités de son histoire et de celle de son propriétaire.[8] : « Ma Douce » en allemand.[9] : « Mon Amour » en allemand.[10] : Mon chevalier, en allemand.[11] : « Dance of the Druids » est une chanson de Raya Yarbrough (il est conseillé de l’écouter durant la lecture de ce chapitre)[12] : Les Esbats correspondent aux célébrations de la pleine lune. Il y en a treize au total.