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«Certaines restrictions de

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En début de mandat, vous affir-miez vouloir faire de la psychiatrie une devos priorités, comment avez-vous mené cetobjectif ?J’ai effectivement fait le choix d’inscrirela psychiatrie comme l’une des prioritésde mon mandat de six ans. Ceci principa-lement pour deux raisons. Tout d’abord, lecontrôle général n’a pas encore visité l’en-semble des établissements de santé deFrance, comme il a pu le faire pour les pri-sons ou encore les centres de rétention admi-nistrative. Nous avons contrôlé environ untiers des 429 établissements de santérecensés, ce qui nous a permis bien sûrde faire un certain nombre de constats etrecommandations. Mais nous devons encorefaire de nombreuses visites pour approfon-dir notre connaissance de ces lieux, d’au-tant plus que les modes d’organisation etde fonctionnement peuvent être très dif-férents d’un hôpital à l’autre.Par ailleurs, les questions relatives auxdroits des patients hospitalisés sansconsentement, ainsi que celles relativesà la prise en charge psychiatrique des per-sonnes privées de liberté, sont trop peuprésentes dans le débat public en France,alors qu’elles posent de véritables problèmesquant aux droits fondamentaux. Lorsqu’ilen est question, c’est malheureusementtrop souvent à l’occasion de faits diversd’où ressort une image réductrice dumalade mental dangereux qui doit être tenuà l’écart de la société.Il est encore trop tôt pour faire un bilan dela mise œuvre de cet objectif. Outre l’aug-mentation du nombre d’établissements visi-tés dans ce domaine, je me suis attachéelors des premiers mois de mon mandat à

conforter et développer des liens avec leplus grand nombre d’acteurs du milieuhospitalier : syndicats, associations de pro-fessionnels, familles et usagers… Ces lienspermettent d’accroître la visibilité du CGLPLdans les établissements de santé et d’enfaciliter l’identification. Outre notre mis-sion de contrôle des établissements, nouspouvons être destinataires de saisines indi-viduelles, nous diffusons cette informa-tion au plus grand nombre car nous rece-vons aujourd’hui encore peu de témoignages.J’observe également de près la questiondes modalités de recours devant le jugedes libertés et de la détention qui ne m’ap-paraissent pas satisfaisantes en l’état. Denombreux psychiatres, encore hostilesaux lois de 2011 et 2013 (1), rédigenttrop souvent des certificats de contre-indi-cation à l’audience. De leur côté, beau-coup d’avocats ne se déplacent pas dufait d’une trop faible indemnisation.Enfin les magistrats restent perplexessur leur rôle en ce domaine. C’est pour-quoi il m’apparaît nécessaire de procé-der assez vite à une évaluation des pra-tiques en ce domaine.

– Vous constatez que le fonctionnementdes établissements psychiatriques (et pourcertains leur implantation géographique)entraîne une privation ou une restrictionde l’autonomie des personnes hospitali-sées sans consentement. Comment appré-hender cette notion d’autonomie dans lecadre particulier de la psychiatrie ?La plupart des lieux que nous contrôlonstendent vers un objectif de resocialisation,ce qui est particulièrement vrai pour leshôpitaux psychiatriques. Cet objectif

liberté sont anormales»Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privationde liberté (CGLPL), publie son rapport d’activité 2014.L’occasion de faire le point sur les visites effectuées dans lesétablissements psychiatriques et les recommandations quien découlent.

© Alain Signori.

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pose question au regard de la libertéd’aller et venir.Lors de nos visites, nous contrôlons tou-jours si les personnes ont accès à unparc ou à une zone extérieure suffisam-ment grande et aménagée ainsi que lesconditions de cet accès. Il en va de mêmepour la cafétéria qui est un lieu propiceà la sociabilisation.Le CGLPL a constaté des restrictionsanormales de la liberté d’aller et venir dansdeux séries de cas :– concernant les sorties des patientsadmis en soins à la demande d’un tiers(SDT) dans l’enceinte des établissements,parcs notamment, il arrive fréquemment

que la direction des établissements condi-tionne ces sorties à un accompagnementpar des soignants, même si les psy-chiatres estiment que l’état du malade nele justifie pas. Cette pratique est contraireaux dispositions du code de la santépublique.– concernant les sorties de patients en SDThors de l’établissement, les préfets impo-sent parfois aux établissements des condi-tions supplémentaires ne correspondantpas aux prescriptions médicales (condi-tions de progressivité : d’abord accompa-gnement par deux soignants, puis un soi-gnant avant d’autoriser l’accompagnementpar un membre de la famille).

suppose de préserver l’autonomie despatients, ou d’aider à son apprentissage.Et pourtant, nous constatons que, tropsouvent, l’enfermement entraîne uneinfantilisation et une déresponsabilisa-tion des personnes. Il est bien évidem-ment nécessaire d’établir des règles devie mais ces dernières ne doivent pas entraî-ner des restrictions telles que les patientsen perdraient toute capacité d’initiative.Dans certains établissements visités, leCGLPL constate que l’impératif de sécu-rité, par suite de la crainte de fugues,prend trop d’importance par rapport à celuidu soin.L’emplacement géographique des éta-blissements est important car il condi-tionne les possibilités de lien avec lacollectivité. Un hôpital situé près de lacité facilite la venue des proches, l’or-ganisation d’activités extérieures. Demême la présence de commerces à proxi-mité permet aux patients les plus auto-nomes de sortir faire des achats ou sim-plement d’aller prendre un café. Or lesétablissements de santé mentale les plusanciens ont été volontairement implan-tés bien loin des centres des villes et duregard des gens.Pour ce qui est du fonctionnement desétablissements, nous constatons unegrande disparité des pratiques entre leshôpitaux, voire entre différents servicesau sein d’un même hôpital, sans quecela soit vraiment justifié autrement quepar des considérations de sécurité oude gestion. Il en est ainsi par exempledu port obligatoire du pyjama ou de l’in-terdiction totale du téléphone, de la sup-pression de visites pendant une périodedonnée, pour tous sans distinction, quiconstituent des atteintes aux droits fon-damentaux. De telles restrictions devraienttoujours être proportionnées, individua-lisées et justifiées par des nécessitésde soin, d’autant qu’il n’existe aucunrecours contre ces décisions.

– Quels constats faites-vous sur cette ques-tion de la liberté d’aller et venir ? (la ques-tion de l’espace privatif de la chambre,l’accès à l’air libre, individualisation des res-trictions de la liberté de mouvement)La question de la liberté d’aller et venirau sein de la structure hospitalière est essen-tielle. Le CGLPL a souvent constaté quedes unités visitées ont les portes fer-mées, pour des motifs assez flous, alorsque ces unités hébergent également despatients admis en soins libres, ce qui

Le Contrôleur général des lieux de privation de libertéInstitué en 2007*, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) veille à ce queles personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignitéinhérente à la personne humaine. Sa mission est triple :– s’assurer que les droits intangibles inhérents à la dignité humaine sont respectés,– s’assurer qu’un juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux des personnes privées

de liberté et les considérations d’ordre public et de sécurité est établi,– mais aussi et surtout prévenir toute violation de leurs droits fondamentaux.Dans le cadre de sa mission, le Contrôleur général s’attache en particulier aux conditions dedétention, de rétention ou d’hospitalisation mais aussi aux conditions de travail des personnelset des différents intervenants.

Le CGLPL peut visiter à tout moment, sur l’ensemble du territoire français, tout lieu où despersonnes sont privées de liberté, notamment :– établissements pénitentiaires– établissements de santé, plus particulièrement :– établissements ou unités de santé recevant des personnes hospitalisées sans leur consentement(hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers)– chambres sécurisées au sein des hôpitaux– unités pour malades difficiles (UMD)– unités médico-judiciaires (UMJ)– établissements placés sous l’autorité conjointe du ministère de la santé et du ministère de la

justice :– unités d’hospitalisation sécurisées interrégionales (UHSI)– unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA)– l’établissement public de santé national de Fresnes– le centre socio-médico-judiciaire de sûreté

Le Contrôleur général adresse au(x) ministre(s) concerné(s) un rapport de visite puis desrecommandations qu’il peut rendre publiques.  Il remet chaque année un rapport d’activité auPrésident de la République et au Parlement.Il porte à la connaissance du procureur de la République tout fait laissant présumer l’existenced’une infraction pénale.Il porte à la connaissance des autorités disciplinaires les faits de nature à entraîner des poursuitesdisciplinaires.

Le CGLPL est nommé pour six ans. Adeline Hazan, magistrate, ex-député européenne et ex-mairede Reims, a succédé en juillet 2014 à Jean-Marie Delarue, qui a exercé cette fonction de juin 2008à juin 2014.

* Loi n° 2007 – 1545 du 30 octobre 2007.

• En savoir plus, consulter le rapport 2014 : www. cglpl.fr

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Par ailleurs, il est nécessaire de laisser auxpersonnes la possibilité de se retrouver seulespar moments si elles le souhaitent. À cetégard, l’accès aux chambres est souventproblématique ; fréquemment nous avonsconstaté que les patients n’avaient pas ledroit de séjourner dans leurs chambresdurant plusieurs heures « pour se rendreaux activités », alors même qu’il n’y apas d’activités ou très peu. De ce fait, ilsse retrouvent tous regroupés dans la sallede vie, somnolant ou endormis dans lesfauteuils, ce qui est indigne.Enfin une autre question reste très pré-occupante : on constate souvent desséjours très longs en établissements psy-chiatriques (parfois plus d’une dizaine d’an-nées) ne se justifiant pas par l’état cli-nique du patient mais par l’absence deplaces dans des structures spécialisées ;il est urgent que les pouvoirs publicsmènent une réflexion de fond sur cettequestion.

– Vous évoquez les modalités d’informa-tion du patient. Comment les mettre enœuvre et y faire figurer la limitation d’al-ler et venir ?La notification des mesures de soins sansconsentement reste un sujet préoccu-pant. Parfois elle est effectuée par lepsychiatre, parfois par le cadre de santé,parfois par l’agent des admissions . Il estabsolument nécessaire de prévoir uneprotocolisation de cette procédure. Toutepersonne admise en soins psychiatriquessans consentement doit pouvoir être infor-mée de manière claire et précise sur lesmotifs de son hospitalisation, sur sesdroits et sur les voies de recours quis’ouvrent à elle. La délivrance de cesinformations, nécessite du temps, de laprévenance et des précautions. Mais lesprocédures de notification obéissent àdes pratiques diverses. Pour y remédier,le CGLPL recommande que le ministèrede la santé établisse un document-typeexpliquant en termes simples les diffé-rents modes d’hospitalisations souscontrainte et les voies de recours. Ilreviendrait ensuite aux établissementsde le compléter pour l’adapter aux spé-cificités locales (en indiquant par exempleles adresses des autorités compétentes).Tout patient doit également être informésur les règles de vie de l’hôpital et les élé-ments utiles à son séjour. En principe cesdernières sont expliquées au patient à l’ar-rivée dans l’unité de soins et un livret d’ac-cueil lui est remis. Certains établissements

prennent l’initiative d’afficher les règlesde vie dans chaque chambre, cela méri-terait d’être généralisé.Enfin, des permanences d’accès au droitsont organisées dans quelques établisse-ments, permettant aux patients d’obte-nir des renseignements sur leurs droitsen tant que personnes malades, maiségalement sur d’autres questions juri-diques. Le contrôle général soutient la miseen œuvre de ces dispositifs.Concernant la question fondamentale del’opportunité du placement sous contrainte,le CGLPL a parfois constaté un recours tropimportant aux soins sans consentementen cas de « péril imminent » pour éviterla recherche d’un tiers ou encore parsuite du refus du tiers de s’impliquer.

– Comment envisagez-vous la question del’accès à l’informatique et à internet ?L’accès à l’informatique est particulière-ment pauvre : au mieux les patients ontle droit de conserver leur ordinateur ensignant une décharge de responsabilitécontre le vol (rappelons que très peu dechambres sont équipées de placards dontle patient a la clé). Au pire, les ordina-teurs sont interdits pour tous, sans réellejustification liée à une nécessité de soins.Les contrôleurs n’ont pas constaté la pré-sence d’activité thérapeutique organisée autourde l’informatique. De même les établisse-ments ne disposent généralement pas d’unréseau internet wifi accessible aux patients.Parfois, ces derniers peuvent aller dans lebureau de l’assistante sociale effectuerdes démarches pour préparer leur sortie aveccette professionnelle.On a globalement l’impression que cet outiln’a pas pénétré les établissements desanté mentale, cela mériterait pourtantqu’une réflexion soit menée sur l’accèsà l’informatique et à internet.

– La question de la chambre d’isolement restetoujours délicate, quels sont les points pré-occupants ?Les placements en chambre d’isolementet sous contention sont évidemment lesmesures les plus attentatoires aux liber-tés. La décision d’y recourir devrait dèslors répondre à des critères précis et êtrestrictement encadrée, ce qui n’est pas tou-jours le cas.Les placements à l’isolement manquentgravement de traçabilité. S’il en est faitmention dans les dossiers des patients,il n’existe pas d’obligation de les recen-ser dans un registre. Sur le terrain, les

contrôleurs se retrouvent souvent dansl’impossibilité de connaître avec certitudele nombre d’isolements et leurs motifs.Nous recommandons depuis plusieursannées la création d’un registre spéci-fique, comprenant les heures de débutet de fin de placement, les raisons ayantconduit à l’isolement et le nom du méde-cin l’ayant ordonné ou approuvé. Concer-nant ce dernier point, il est nécessaired’encadrer davantage les conditions dedélégation de ce pouvoir par les méde-cins aux infirmier(e)s. Le projet de loi demodernisation de notre système de santé,actuellement discuté au Parlement, pré-voit la création de ce registre, je m’enréjouis.En outre les conditions dans lesquellesséjournent les patients placés à l’isole-ment sont parfois inacceptables. Il enva des chambres anxiogènes car troppetites, de l’absence d’horloge entraî-nant une perte des repères temporels,de l’absence de bouton d’appel obligeantle patient à frapper à la porte ou à hur-ler pour appeler si le poste infirmier estéloigné. Nous visitons encore des chambresd’isolement sans sanitaire dans lesquellesles patients n’ont d’autre choix que d’uti-liser un seau hygiénique.Par ailleurs, une population souffre par-ticulièrement de ces mesures, il s’agit despersonnes détenues hospitalisées quitrop souvent sont placées systématique-ment en chambre d’isolement, pour toutela durée de leur séjour, alors que rien dansleur comportement ne le justifie. Cettemise à l’écart « par principe » est très malvécue par les personnes détenues qui, seretrouvant dans une situation plus diffi-cile à l’hôpital qu’en prison, préfèrentretourner en détention alors qu’ellesauraient besoin de soins.Il est regrettable que le patient soit consi-déré comme un détenu avant d’être consi-déré comme une personne malade, etqu’il ait ainsi le sentiment de subir uneforme de « double peine ».De manière générale, on constate trop sou-vent que la prise en charge des per-sonnes détenues n’est pas adaptée à leursituation clinique.

1– Loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant

certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du

5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des per-

sonnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux moda-

lités de leur prise en charge.

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