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SOCIÉTÉ FRANK MARTIN Bulletin n° 36 2014

SOCIÉTÉ FRANK MARTIN · 2017. 2. 21. · En 1978, le Conservatoire recueillait la bibliothèque de Fernande Peyrot (1888-1978). Cette remarquable compositrice, élève dʼEmile

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  • SOCIÉTÉFRANK MARTIN

    Bulletin n° 36 2014

  • Éditorial

    À LʼOMBRE DU JET DʼEAU

    Lʼappartenance de Frank Martin à sa patrie genevoise ne fait, pour personne, lʼombre du moindre doute. Sa famille était établie à Genève de longue date, il y a passé son enfance, sa jeunesse, fait ses études, enseigné, travaillé, composé, jusquʼà son départ pour la Hollande, en 1946. Mais peut-on parler dʼun compositeur de lʼ”École genevoise”? Certainement non, dʼune part parce quʼil nʼexiste pas de véritable «école genevoise» de composition, marquée par une lignée de compositeurs et dʼenseignants, mais surtout parce que Frank Martin, sans avoir été un authentique autodidacte, a été peu influencé par lʼenseignement quʼil a suivi (notamment auprès de Joseph Lauber), cherchant son esthétique musicale autant dans la musique ancienne que chez ses contemporains.

    Mais il nʼest pas interdit de penser quʼà Genève Frank Martin a pu trouver le climat musical qui lʼa porté et encouragé dans son œuvre de compositeur: tant par les concerts quʼil a pu y écouter (il a lui-même souligné lʼimportance de cette audition de la Passion selon St Matthieu de Bach, présentée en 1903 par la Société de Chant sacré dirigée par Otto Barblan) que par la présence de musiciens qui ont accompagné son œuvre au fur et à mesure de sa création. On pense bien sûr dʼabord à Ernest Ansermet, mais aussi à Samuel Baud-Bovy, Nelly Grétillat, Pierre Segond, Dinu Lipatti, Henri Honegger, Hugues Cuénod et tant dʼautres.

    Mais il y a plus encore: cʼest lʼaréopage formé par les collègues compositeurs qui œuvrent dans la Cité de Calvin; et là, la liste est particulièrement riche, on nous pardonnera de ne pas tous les citer: Henri Gagnebin, Bernard Reichel, Fernande Peyrot, Roger Vuataz, André-François Marescotti, Pierre Wissmer, Charles Chaix, Pierre Maurice, Jean Binet, et beaucoup dʼautres. Cʼest dans ce creuset dʼidées, de conceptions, de sensibilités, dʼesthétiques, parfois convergentes mais le plus souvent très diverses que Frank Martin a pu trouver lʼémulation stimulante qui a orienté sa vocation de compositeur puis sa recherche dʼun langage personnel.

    On ne saurait négliger le rôle de ce climat de créativité, soutenu par lʼAssociation des musiciens suisses et par la Radio suisse romande, par les subventions des autorités politiques, dans lʼépanouissement du compositeur. Climat trop tumultueux? Le départ de Frank Martin en Hollande pourrait être considéré comme une réaction contre un excès de sollicitations; mais ce tumulte musical nʼen demeurait pas moins indispensable pour lancer sa carrière créatrice.

    Et finalement, dans ce climat favorable à lʼépanouissement dʼune authentique personnalité de compositeur, il y a également le rôle du public, intéressé par la musique en général, et en particulier par la musique de son temps, faisant corps avec la création, en dépit de ses frilosités ou de ses réticences.

    Puissions-nous également être le public qui encourage et reconnaît la musique de notre temps; puisse-t-elle, de son côté, être dʼune qualité comparable à celle de Frank Martin.

    Didier Godel

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  • Cʼest avec un grand plaisir que nous accueillons dans ces colonnes lʼarticle rédigé par Jacques Tchamkerten, responsable de la Bibliothèque du Conservatoire de Musique de Genève, qui nous présente les manuscrits de Frank Martin déposés dans son institution.

    LES MANUSCRITS DE FRANK MARTIN À LA BIBLIOTHÈQUEDU CONSERVATOIRE DE MUSIQUE DE GENÈVE

    Bien que né à Genève et ayant fait ses études dans sa ville natale, Frank Martin nʼy fut jamais lʼélève du Conservatoire. Il reçut des rudiments dʼéducation musicale de la part de ses sœurs aînées, puis devint en 1906 lʼélève privé de Joseph Lauber (1864-1952), qui sera son unique professeur pour le piano, et lʼécriture musicale. De ce compositeur prolifique, au métier irréprochable, longtemps professeur au Conservatoire, Frank Martin dira « [quʼil] était un très bon technicien, mais peu artiste. Cʼest ce que je pouvais souhaiter de mieux : il mʼa beaucoup appris mais peu influencé ».

    Joué dès 1911 dans le cadre de lʼAssociation des Musiciens Suisses, Martin est pressenti en juin 1915 pour siéger au comité du Conservatoire de Genève. Il nʼy fera cependant son entrée quʼen juin 1923, en même temps quʼErnest Ansermet, et sera, deux ans plus tard, lʼun des artisans de la nomination dʼun musicien professionnel au poste de directeur en la personne dʼHenri Gagnebin (1886-1977). Professeur dʼensemble vocal (1926-27) puis de musique de chambre avec piano (1933 à 1935, puis 1941 à 1946), il est contraint de démissionner du comité en 1933, sa présence nʼétant statutairement pas compatible avec ses nouvelles fonctions de directeur du Technicum moderne de Musique. Il nʼen poursuivra pas moins son enseignement jusquʼà son départ définitif pour la Hollande, en 1946.

    Pendant de longues années, la Bibliothèque du Conservatoire de Genève nʼa conservé aucun manuscrit autographe de Frank Martin, hormis quelques lettres de caractère administratif. Ce nʼest que quatre ans après sa mort quʼelle aura le privilège dʼintégrer un premier manuscrit musical suivi, au fil des années dʼautres précieux documents originaux à la suite de dons, de legs ou dʼachats.

    En 1978, le Conservatoire recueillait la bibliothèque de Fernande Peyrot (1888-1978). Cette remarquable compositrice, élève dʼEmile Jaques-Dalcroze enseigna longtemps à lʼInstitut fondé par ce dernier et cʼest là sans doute que Martin, qui avait lui-même obtenu en 1928 son diplôme de rythmicien, lʼavait connue. Composé essentiellement de ses propres œuvres, ce fonds comprend quelques partitions dʼautres compositeurs. Cʼest le cas du manuscrit autographe dʼune brève et charmante Chanson en canon à six voix : Le petit village, de Frank Martin, sur un texte de Charles-Ferdinand Ramuz, document qui porte la date de 1929.

    Si ce morceau a été publié, il nʼen va pas de même dʼune curieuse composition dont la Bibliothèque a pu faire lʼacquisition en 1997 ; il sʼagit dʼune Variation polymétrique sur le thème [do, ré, mi, sol, la, do] pour deux pianos, 2 tambours sans âme, tam-tam, baguette de bambous faisant xylophone et flûte de bambou à 4 trous. La page de titre comprend une dédicace à la rythmicienne Mary Seaman, ainsi quʼune liste dʼinterprètes pour une exécution hélas non précisée. Les noms de ces musiciens,

  • appartenant tous au cercle dʼélèves et dʼamis dʼEmile Jaques-Dalcroze (Bernard Reichel, Jean Baeriswyl, Georges Piguet, Muriel Bradford etc.) laissent penser que le morceau - à la fois polyrythmique et polytonal - a étécomposé au cours des années dʼétudes de Frank Martin, aux alentours de 1927-28. La musique, au parfum orientalisant - notamment par son thème pentatonique - superpose des dessins mélodiques en ostinatos de différentes valeurs métriques, évoluant parallèlement et se « recalant » au bout de six mesures.

    En 1998, la Bibliothèque du Conservatoire recevait un don important de partitions provenant de la collection de la cantatrice, comédienne et poétesse Simone Rapin (1901-1988). Cette dernière avait été une interprète passionnée des musiciens de son temps et sʼintéressait particulièrement à la mélodie vers laquelle lʼinclinait son amour de la poésie. En décembre 1939, elle avait tenu le rôle-titre dans Armide de Gluck, dans une version revue par Frank Martin, lors de représentations données aux Grand-Théâtre de Genève.

    Parmi les nombreuses partitions manuscrites et imprimées conservées dans ce fonds figuraient deux documents particulièrement significatifs : le manuscrit autographe - daté de 1935 - dʼune Prière pour chant et piano, du compositeur français Pierre Capdevielle (1906-1969), sur un poème de Charles Péguy, ainsi que - de la main de Frank Martin - lʼorchestration, pour une formation symphonique, de cette même Prière, le manuscrit portant la date de 1942. Dans une lettre à Simone Rapin datée du 13 février 1942, accompagnement ce document inédit et inconnu jusquʼalors, Frank Martin sʼexplique sur les difficultés quʼil a rencontré dans lʼélaboration de cette instrumentation : Chère Mademoiselle,Voici enfin terminée cette partition de la Prière que vous attendez depuis bientôt une année […]Elle mʼa donné du mal parce quʼelle est tout en coups de cloches et quʼil nʼy a rien de plus difficile à rendre à lʼorchestre ; elle est toute en résonnance, alors que lʼorchestre est composé dʼinstruments chantants ; en outre, il faut donner lʼillusion dʼune formidable puissance sonore et ne pas couvrir la voix. Là, je ne sais si jʼai réussi ! […]Jʼaurais voulu aussi lʼécrire pour un orchestre moins nombreux, vu le ton de cette pièce, je ne lʼai pas cru possible. Jʼai donc utilisé lʼorchestre symphonique normal en y adjoignant un piano.Telle quʼelle est, jʼespère que cette partition vous rendra les services que vous en attendez et je suis content si jʼai pu rendre service à ce jeune compositeur et à vous-même […]Aucun matériel dʼorchestre nʼaccompagne ce manuscrit qui ne comporte par ailleurs aucune indication dʼinterprétation ni mention dʼexécution, laissant penser que lʼouvrage ne fut jamais donné sous sa forme orchestrale.

    En 1938, Frank Martin écrivait une Sonata da chiesa pour viole dʼamour et orgue ; trois ans plus tard, il en rédigeait une nouvelle version pour flûte à lʼintention de son épouse Maria que cette dernière créera le 11 juin 1942 à la cathédrale de Lausanne, accompagnée par lʼorganiste Charles Faller. Si lʼon en croit une note sur la page de titre, cʼest ce dernier

  • qui communiqua le manuscrit autographe du compositeur à son collègue - auteur de ladite note - Pierre Segond (1913-2000), lequel sera fréquemment lʼinterprète de lʼouvrage. Ce précieux document a été légué au Conservatoire de Genève en même temps que lʼensemble des partitions musicales ayant appartenu à cet admirable musicien, qui y fut professeur dʼorgue pendant de longues années, parallèlement à ses fonctions dʼorganiste titulaire de la cathédrale St Pierre à Genève. Ce manuscrit comprend de nombreuses indications de régistration et dʼexécution, dues à Faller et à Segond ainsi quʼà un troisième interprète, vraisemblablement germanophone, quʼil ne nous a pas été possible dʼidentifier. Cʼest manifestement Pierre Segond qui a reporté les quelques modifications dans le texte et dans les indications effectuées par le compositeur pour la publication de lʼœuvre, en 1952, chez Universal Edition. Notons que celle-ci se présente sous la forme dʼun fac-simile dʼune copie de la main de Martin, effectuée probablement sur calques.

    En été 1942, en pleine guerre, Genève célébrait avec faste son deuxième millénaire par diverses manifestations dont un vaste spectacle historique donné au Grand-Théâtre de Genève. Intitulé La Voix des siècles, alternant déclamation et musique, il avait pour auteurs trois écrivains de la cité : Paul Chaponnière, Albert Rheinwald et Henri de Ziegler. Quatre compositeurs genevois illustraient musicalement les différents épisodes de lʼouvrage : André-François Marescotti, Roger Vuataz, Louis Piantoni et Frank Martin, ce dernier prenant en charge le dernier tableau, illustrant la Genève « moderne », avec les épisodes de la Restauration (1814), lʼarrivée des suisses au Port-Noir et la fondation de la Croix-Rouge.

    En 2008, la Bibliothèque du Conservatoire recevait un important don de partitions dans lequel figurait le manuscrit dʼune marche intitulée Genava (sous-titrée Marche pour le deuxième millénaire de Genève), portant la date « mars 42 ». En lʼabsence dʼune partition dʼorchestre de La Voix des Siècles, il ne nous a pas été possible de déterminer si ce morceau faisait partie du spectacle ou, plus vraisemblablement, sʼil était destiné à accompagner un cortège ou une autre festivité du bimillénaire. Pleine de brio, mais, comme on pouvait lʼattendre du compositeur, aux harmonies toujours originales, Genava appartient à un aspect peu étudié du musicien, ses partitions de type populaires, voir « civiques » qui occupent une part non négligeable dans son catalogue.

    En 1913, Frank Martin avait composé une première Sonate pour violon et piano ; il revient au genre en 1931 avec une seconde Sonate, curieusement non numérotée, ni sur le manuscrit, ni sur la partition éditée. Terminée en 1932, elle sera créée le 7 octobre de cette même année à Genève par le violoniste Jean Goering, accompagné par le compositeur.

    Œuvre de transition vers son style de maturité, lʼouvrage reflète la fascination de Martin pour le rythme (il a terminé peu dʼannée auparavant ses études auprès de Jaques-Dalcroze) et témoigne dʼune émancipation de la tonalité qui trouvera son point extrême quelques années plus tard dans la Rhapsodie pour quintette à cordes (1935), puis dans la Symphonie pour grand orchestre (1937).

    Un heureux concours de circonstances a permis à la Bibliothèque du Conservatoire de Genève dʼacquérir, en 2012, le manuscrit autographe de cette deuxième Sonate. Celui-ci montre un important travail de révision de la

  • part de Frank Martin dans les premier et troisième mouvements où il a opéré de nombreux changements. Ce manuscrit, malheureusement en assez mauvais état, abimé par des déchirures et de nombreux morceaux dʼadhésif, sʼaccompagne dʼune copie manuscrite non autographe portant le timbre du violoniste Chil Neufeld (1902-1968). Membre de lʼOrchestre de la Suisse Romande et professeur au Conservatoire de 1957 à 1968, ce dernier en est sans doute le copiste et fut vraisemblablement le précédent propriétaire de lʼautographe du compositeur.

    Dernier manuscrit musical de Frank Martin, reçu en don en 2013 par la Bibliothèque du Conservatoire, un double feuillet autographe portant des esquisses de Maria Tryptichon, une œuvre pour soprano, violon et orchestre écrite en 1967-68. La première page comprend treize mesures, avec la ligne vocale partiellement harmonisée sur deux portées, correspondant aux mesures 45 et 58 de la première partie. La deuxième correspond aux sept premières mesures de l'oeuvre. La troisième page comporte des fragments non déterminés, et non retenus, semble-t-il, par le compositeur. La quatrième et dernière page présente, elle, deux états des mesures 13 à 20 de la première partie, le deuxième correspondant de manière quasiment identique à la partition définitive.

    Outre ces remarquables manuscrits musicaux, la Bibliothèque du Conservatoire de Genève conserve un certain nombre de lettres autographes de grand intérêt.

    Ainsi, dans les archives administratives de lʼinstitution figure une lettre adressée le 22 août 1922 par Frank Martin à Maurice Gautier, membre du comité, proposant lʼouverture dʼun « Cours pratique de musique dʼensemble instrumentale et vocale tirée de lʼœuvre de J.S. Bach » :[…] Jʼai souvent remarqué à quel point la musique de Bach est mal interprétée et comme il y a peu de musiciens capables de lui donner son vrai caractère, fait de rigueur architecturale et de poésie intimement liés.Il serait bon, à notre époque où lʼœuvre de Bach joue un si grand rôle, de la faire travailler spécialement aux jeunes musiciens.La meilleure manière dʼy arriver serait de travailler à plusieurs diverses œuvres de Bach, musique de chambre, fragments de cantates ou dʼoratorios, concertos.Ceci aurait lʼavantage en outre de permettre aux chanteurs dʼêtre accompagnés par dʼautres instruments que le piano, et de les familiariser avec ces duos pour chant et un instrument obligé, que sont les airs de Bach.

    Le comité, intéressé mais souhaitant une série de conférences plutôt quʼun cours dʼinterprétation, le musicien renoncera à son projet et nʼy reviendra jamais dans les années qui suivront.

    Parmi les autres correspondances, on mentionnera plusieurs lettres adressées à Walther Müller à propos dʼun projet dʼexécution de Der Cornet à Genève dans le cadre de la Société dʼétudes allemandes ; Martin y insiste sur lʼimpossibilité dʼexécuter lʼœuvre en public avec accompagnement de piano, soulignant le rôle uniquement fonctionnel de la réduction pour piano.

    Toutefois, lʼensemble le plus remarquable est constitué par les quinze lettres et cartes adressées par Frank Martin à Henri Gagnebin entre 1943 et 1970.

  • Lʼimportant fonds documentaire consacré à ce musicien, directeur du Conservatoire de Genève de 1925 à 1957, a été généreusement offert en 2011 au Conservatoire par ses héritiers. Formé avant tout par lʼensemble des œuvres de Gagnebin, sous la forme de manuscrits et dʼimprimés, il comprend également une documentation inestimable sur lʼhistoire de la musique en Suisse au siècle dernier, à travers des correspondances, photographies, articles de presse, programmes de concerts etc. Les lettres de Frank Martin montrent lʼaffectueuse estime et la confiance que ce dernier témoignait à son collègue. En outre, figure dans le dossier un écrit de la main de Martin - manifestement une réponse à une enquête - ne portant ni titre, ni date, ni signature, et qui ne semble pas avoir connu de publication.

    Probablement rédigé vers 1947-48 (le musicien indique quʼil est en train de travailler à Golgotha et aux Préludes pour piano) ce texte reflète la réflexion de Frank Martin quant à la pertinence de la recherche dʼun nationalisme musical en Suisse romande, dont il ne voit pas réellement lʼintérêt ; il y traite également des multiples influences auquel est confronté le compositeur, affirmant queQuant à moi, je ne puis guère parler dʼune influence directe que jʼaurais subie de telle ou telle tendance contemporaine car la rencontre qui a profondément modifié ma façon de comprendre et dʼécrire la musique aux alentours de la quarantaine, a été celle de la technique de Schoenberg. Or je nʼai pris de Schoenberg que son principe technique, son idée de travailler sur des séries de douze notes, et rien de son esthétique musicale ; je nʼai cessé dʼavoir en horreur et sa musique et sa volonté dʼatonalisme intégral. Ainsi, je puis dire que, dʼun même mouvement, jʼai été opposé à lui de toute ma sensibilité musicale.

    Lʼensemble des autographes de Frank Martin conservé à la Bibliothèque du Conservatoire de Musique de Genève peut sembler modeste du point de vue quantitatif. Il ne recèle pas moins des documents extrêmement intéressants, dont, on lʼa vu, plusieurs inédits, qui mériteraient un travail historique et musicologique approfondi. Nous appelons celui-ci de nos vœux en souhaitant que le présent article puisse contribuer à mettre en lumière ce remarquable patrimoine.

    Jacques TchamkertenResponsable de la Bibliothèque du Conservatoire de Musique de Genève

    Légende des documents illustrés dans les pages suivantes:

    - page 7: variation polymétrique, page de titre

    - page 8: variation polymétrique, 1ère page

    - page 9: marche “Genava”, 1ère page (réduction pour piano)

  • ENTRETIEN AVEC MARIA MARTINChère Maria, vous allez célébrer, en février prochain, votre centième

    anniversaire. Nous qui avons la chance de pouvoir partager vos souvenirs de temps à autres, nous nous sentons, grâce à votre extraordinaire mémoire et vivacité dʼesprit, en face dʼune bien jeune centenaire…

    À quand remontent vos plus anciens souvenirs ? Jʼai encore le souvenir dʼêtre assise sur les épaules de mon père et

    de jouer avec les boucles de ses cheveux. Je devais avoir 3 ans.Jʼétais le troisième enfant, après deux garçons. Mon père était alors

    professeur de chimie à Université de Gant, après avoir enseigné plus de dix à lʼUniversité de Frankfurt. Je revois très clairement les détails du jour de son enterrement. Cʼétait en 1918. Étant trop petite pour accompagner le cortège funèbre, nous lʼavions suivi avec ma bonne dans une voiture tirée par des chevaux.

    Suite à son décès, ma mère était partie en 1919 rejoindre son frère qui

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  • habitait à Utrecht, et je me souviens de tous les détails de la maison dans laquelle nous avions alors emménagé.Quelles ont été les années les plus marquantes de votre vie ?

    Les premières années passées à Genève ont été décisives pour moi. En 1933 jʼavais en quelque sorte quitté la Hollande en réaction à lʼautorité de mes frères aînés qui avaient repris le rôle paternel. Ces années ont été importantes non seulement parce que cʼest à ce moment que jʼai rencontré Frank Martin mais également parce quʼelles correspondent à mes débuts dans le monde de la musique

    Toutes les années que jʼai passées avec Frank Martin ont été importantes. Mais celles qui ont été les plus marquantes sont probablement celles de notre déménagement de Genève à Amsterdam en 1946, puis à Naarden.

    Ce changement avait été essentiel pour Frank, parce quʼil le rapprochait de la mer quʼil aimait tant. Il aimait également les montagnes, mais il associait la mer à un infini, à une ouverture qui était spirituellement indispensable pour lui.

    Le bonheur de retrouver un jardin, lorsque nous avons quitté Amsterdam pour Naarden était pour lui un lien avec le grand domaine de Malagnou, à Genève où il avait passé son enfance.Quelle(s)k est (sont) de ses œuvres celle(s) qui évoque(nt) le plus dʼémotion ?

    Les œuvres qui restent les plus présentes sont le In Terra Pax, commande de la Radio en 1944 pour être diffusé à la fin de la guerre, et le Golgotha en 1945.

    Elles sont bien sûr liées à des évènements bouleversants et en cette qualité, sont porteuses dʼune émotion particulière Votre parcours de vie a été marqué par une quantité dʼévènements et de rencontres. Comment pourriez-vous le résumer en quelques adjectifs ?

    Ma vie a été heureuse, riche, passionnante…Quel message nous laissez-vous ?

    Jʼadresse tous mes meilleurs vœux à mes amis, à tous ceux qui ont compris la musique de Frank Martin et à tous les musiciens qui continuent à lʼinterpréter.

    Propos recueillis par Dominique Baud

    ECHOS & NOUVELLESConformément au vœu émis par lʼassemblée générale du 3 avril 2014, le Comité a, dʼentente avec le Concours de Genève 2014, institué un “Prix Frank Martin” de 1ʼ500.- Fr. destiné à récompenser le lauréat ayant proposé la meilleure interprétation de trois des “Huit préludes pour le piano”, pièces imposées lors de la première épreuve du concours. Le jury, présidé par Pascal Rogé, a désigné le jeune pianiste russe Igor Andreev (né en 1988), qui a accompli ses études à St. Petersbourg, auprès de Vladimir Suslov, Leonid Zaichik, Irina Sharapova et Victoria Zimina, puis à Berne auprès de Tomasz Herbut. Nous lʼen félicitons et souhaitons bientôt lʼentendre, notamment dans ce répertoire.

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  • SommaireÉditorial p. 1Les manuscrits de Frank Martin à la Bibliothèque du Conservatoire de musique de Genève p. 2Entretien avec Maria Martin,pour son centième anniversaire p. 10Échos & nouvelles p. 11

    La Société Frank Martin, fondée le 10 mars 1979 à Lausanne, se donne pour but de cultiver la mémoire du compositeur et de contribuer à la diffusion de son œuvre et de sa pensée.

    Comité:Harry Halbreich, président dʼhonneur, BruxellesDidier Godel, président, GenèveMaria Martin, vice-présidente, NaardenGeorges Athanasiadès, Saint-MauriceNatacha Casagrande, GenèveIsabelle Diakoff, GenèveRomain Mayor, LausannePierre Michot, Genève

    Secrétariat:c/o Mme Dominique Baud16 rue de lʼHôtel-de-Ville, CH-1204 GenèveTél. 022 310 79 [email protected] 10-19913-4 IBAN: CH04 0900 0000 1001 9913 4

    membre cotisation annuelleindividuel Fr. 50.-couple Fr. 70.-jeunesse (jusquʼà 25 ans) Fr. 20.-individuel de soutien Fr. 250.-individuel à vie (cotisation unique) Fr. 500.- collectif Fr. 100.-collectif de soutien Fr. 1ʼ000.-

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