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SOLIDARITES FAMILIALES A AIX AU XVIe SIECLE Lieu de permanence, la famille semble bien porter sur elle une partie des responsabilités quant à la résistance aux changements. D'une part, les stratégies matrimoniales telles que les a présentées Pierre Bourdieu 1 fonctionnent grâce à un habitus qui oriente le choix des familles dans le sens d'une reproduction intergénérationnelle. D' autre part, le système familial en confiant des rôles spécifiques à chacun de ses membres. assure par ce moyen, le maintien du système sociaP. La fam ille du XVI' siècle paraît un li eu privilégié pour observer la pénétration d'une notion nouvelle qui réussit souvent grâce à un processus d'alternance qui permet de vaincre les résistances. Selon Nathalie Davis. elle définit ses nouvelles frontières et intensifie la 'solidarité au sein de la famille immédiate au détriment des autres solidarités). Selon nous. si la solidarité familiale existe comme notion fondamentale au siècle. les frontières de cette solidarité s'écartent cependant plus ou moins du noyau père-mère selon les avantages que les membres croient retirer d'une solidarité qui s'éte nd à un plus ou moins grand nombre d'individus. A Aix- en -Provence au XVI' siècle, le choix de la famille large ou immédiate est d'abord un choix stratégique avant d'être un (( trait de mentalité ». LE POUVOIR URBAIN Nous avions d'abord cru trouver confirmation de cette hypothèse en observant les réseaux familiaux auxquels participaient les conseillers minicipaux aixoi s. Peu loquaces sur leur conception de la famill e. les consei ll ers n'ont fina lement se rvi qu'à poser le problème. Les registres de délibérations municipales permettent de dresser la liste des membres du conseil et de mesurer l'intérêt pris par les conseillers aux affaires de la cité en vérifiant leur présence aux assemblées. Seuls les conseillers qui o nt assisté au moins 4 fois aux assemblées, sur une période de 1. Pierre BOURDIEU. « Les stratégi es matrimoniales dans le système de reproduc- tion ». dans Anna/ts E.S.C, 27 t année, nOS 4-5, juillet-octObre, 1972. p. llOL 2. A. MICHEL, Soàolog;, dt la fami/lt tl du mariagt, 2 t édition. Paris. 1978. p. 21 ). Nathalie DAVIS, If Ghosts. Kin and Progeny : Some Features of Farnily Life in Earl y Modern France n, dans Datda/us, vol. 106. nO 2. printemps 1977, p. 100.

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SOLIDARITES FAMILIALES A AIX AU XVIe SIECLE

Lieu de permanence, la famille semble bien porter sur elle une partie des responsabi lités quant à la résistance aux changements. D' une part, les stratégies matrimoniales telles que les a présentées Pierre Bourdieu 1

fonctionnent grâce à un habitus qui oriente le choix des familles dans le sens d'une reproduction intergénérationnelle. D'autre part, le système fami lial en confiant des rôles spécifiques à chacun de ses membres. assure par ce moyen, le maintien du système sociaP.

La fam ille du XVI' siècle paraît un lieu privilégié pour observer la pénétration d'une notion nouvelle qui réussit souvent grâce à un processus d'alternance qui permet de vaincre les résistances. Selon Nathalie Davis. elle définit ses nouvelles frontières et intensifie la 'solidarité au sein de la famille immédiate au détriment des autres solidarités). Selon nous. si la solidarité fami liale existe comme notion fondamentale au XVI~ siècle. les frontières de cette solidarité s'écartent cependant plus ou moins du noyau père-mère selon les avantages que les membres croient retirer d'une solidarité qui s'éte nd à un plus ou moins grand nombre d'individus. A Aix-en -Provence au XVI' siècle, le choix de la famille large ou immédiate est d'abord un choix stratégique avant d'être un (( trait de mentalité ».

LE POUVOIR URBAIN Nous avions d'abord cru trouver confirmation de cette hypothèse en

observant les réseaux familiaux auxquels participaient les conseillers minicipaux aixois. Peu loquaces sur leur conception de la fam ille. les conseillers n'ont fina lement servi qu 'à poser le problème.

Les registres de délibérations municipales permettent de dresser la liste des membres du conseil et de mesurer l'intérêt pris par les conseillers aux affa ires de la cité en vérifiant leur présence aux assemblées. Seuls les conseillers qui ont assisté au moins 4 fois aux assemblées, sur une période de

1. Pierre BOURDIEU. « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduc­tion ». dans Anna/ts E.S.C, 27 t année, nOS 4-5, juillet -octObre, 1972. p. llOL

2. A. M ICHEL, Soàolog;, dt la fami/lt tl du mariagt, 2t édition. Paris. 1978. p. 21 ) . Nathalie DAVIS, If Ghosts. Kin and Progeny : Some Features of Farnily Life in

Earl y Modern France n, dans Datda/us, vol. 106. nO 2. printemps 1977, p. 100.

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5 ans (de 155 9 à 156 3) ont été retenus. Sans pouvoir être considérés comme des conseillers actifs (le nombre d'assemblées tenues durant ces j ans est d'environ 20 par année), ces membres consti tuent néanmoins un échantillon des notables aixois qui souhaitent détenir leur part du pouvoir dans la vi lle.

Les délibérations municipales ne SOnt guère prolixes sur les membres du conseil dont elles donnent le nom, mais très rarement la profession. Pour ètre utilisables. ces listes doivent être complétées par les actes nota ri és qui nous fournissent les renseignements économiques, sociaux et fami liaux ind ispensables. Sans aller plus loin dans la méthode utilisée. soulignons cependant que le groupe témoin retenu comporte 134 personnes et que nous avons retrouvé pour J'instant le statut socio-professionnel de 98 d'entre elles. Globalement, les membres du conseil se définissent eux -mêmes suivant quatre catégories, sur le modèle d'ailleurs adopté pour le choix de l't'xécmif de la cite

TABLEAU 1 - LES CONSEILLERS MUNIC IPAUX

Groupe

Marchands-bourgeois Juristes Ecuyers -bourgeois Membres de la noblesse fi effée Autres

TOTAL

Nombre d'individus

37 36 11 12 2

98

La catégorie des bourgeois est diffici le à définir, elle semble bien une étape intermédiaire entre la marchandise et la noblesse mais clle ne constitue pas un statut dont on peut se prévaloir une fois pour toutes. On sera tantôt marcha nd. tantôt bourgeois, suivant les contrats. de même on sera tantot bourgeois,tantôt écuyer mais jamaÎs un même indi vid u ne se prévaut des trois statuts dans des contrats différents rapprochés dans le temps. Le tableau précédent montre d'une part, l'intérêt pris par les marchands aux affai res de la ville et d 'autre part l'omni -présence des avocats ct autres juristes au se in du conseil.

Les réseaux familiaux, si on arrivait à les reconstituer. devraient nous éclairer sur les réseaux de pouvoir et nous permett re de resituer la participation au conseil municipal. au sein d'un processus d'accaparement. de tous les lev iers du pouvoir par des groupes restreints qui garantissent ainsi leurs intérêts

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Cette reconstitution n'est guère faci le car elle se heurte à des difficultés part iculières. Les SOUfces notariales qui constituent la mi ne de renseigne­ments la plus fournie pour cette reconstitution (en l'absence de registres d'état civil à cette époque), ne conduisent pas toujours aux résultats attendus. Comparons les reconstitutions d'alliances issues des sources notariales avec les généalogies établies par nos prédécesseurs pour des groupes précis. Nous constatons d'entrée que la qualité de la source notariale dépend de l'anention que le clerc met à bien inscrire les noms que son client lui don ne. C ependant. elle corrige les infidéli tés gràce à la répétition des mêmes renseignements d'un contrat à l'autre. Cette reconstitution implique donc de relever tous les actes passés par les conseillers choisis et de noter touS les renseignements fam il iaux qui s'y trouvent. Le travail est long. Nous ne donnerons ici que les résultats préliminaires, ils seront tout de même suffisants pour nous permettre de déceler une tendance que les résultats plus complets affineront ultérieurement.

Les deux groupes marchands et juristes semblent participer à des réseaux fam iliaux différents qui s'organise nt à partir d' intérêts différe nts. Certai ns conseillers marchands sont parents cntre eux mais ces alliances ne constituent pas des réseaux; tOut au plus deux marchands sont-ils frères, deux autres beaux-frères sans qu'i l y ait là monopolisation des charges municipales par quelques familles marchandes. Il semble ut ile à la marchandise de placer au conseil un grand nombre de ses membres mais il n'existe pas de liens fami liaux entre les individus qui y siègent. Pourtant, le milieu de la marchandise est relativement fermé sur lui-même et les alliances soulignent l'importance qu'on accorde au choix d' un conjoint issu de la marchandise.

Les juristes, à première vue, ne se comportent pas vraiment différemment des marchands. Ils constituent un bloc un peu moins imperméable cependant puisqu'on retrouve quelques conseillers juristes alliés avec des conseillers possédant fjefs. L'état de nos recherches ne nous permet pas de constater à cc moment l'omniprésence de quelques fami lles de juristes installées au conseil. Comme pour les marchands, quelques juristes sont parents entre eux mais on ne peut pas parler de réseaux fam iliaux dans la mesure où ceux-ci ne dépassent pas deux personnes. Contrairement aux marchands pour qui le conseil municipal était un sommet, les juristes se servent du conseil municipal com me d'une succursale du Parlement. Il faut ici non seulement considérer les alliés des conseillers juristes mais la carrière complète de ces derniers. En effet, les réseaux fa miliaux ne s'observent pas à l'intérieur du conseil municipal mais peut­être seront-ils plus se nsibles si )'on considère les liens que les conseillers juristes Ont avec les membres du Parlement. Six conseillers juristes deviendront par la suite conseillers au Parlement, trois autres obtiendront cette promotion grâce à leur fil s ou à un gendre. Les 134 conseillers municipaux que nous observons icj peuvent se prévaloir de deux beaux -

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frères conseillers au Parlement et d'un frère qui n'obtiendra sa charge que

bien plus tard . On peut donc considérer que si les liens entre les deux pouvoirs passent par la solidarité fami liale. ils le font dans la mesure où on écarte la famille immédiate.

Deux hypothèses découlent de ces considérations: la plus simple serait de considérer que le passage d'un pouvoir à un autre s'effectue sans qu'il y ait intervention de la famille. grâce seulement au dynamisme de l'individu. La deuxième hypothèse pose que l'intervention de la famille ne se comprend que si l'on considère deux niveaux de solidarités parallèles qui se relaient: le premier, constituant celui auquel on se réfère dans des conditions normales (la fam ille immédiate), le second utilisé dans les cas exceptionnels et puisant sa justification dans des conceptions plus lointaines (en l'occurence la famille large). Bien que les conseillers municipaux ne manifestent pas un intérèt particulier pour la famille large, dans des conditions normales. celle-ci a pu être utilisée dans le cas des liens Parlement-Municipalité.

Les recherches en cours concernant les notables ne nous permettent pas d'a ller plus loin. On peut cependant vérifier si ce type de solidarités parallèles apparaît dans la société aixoise au XVIe siècle. En s'interrogeant sur la notion de famille telle qu'elle apparaît dans les contrats de mariage et dans les teStamentS, il sera possible de cerner de plus près les types de solidarités en exercice.

Le corpus comprend les contrats de mariage (128) et les teStaments (98) conservés chez les notaires pour l'année 1559. Inutile de juStifier une fois de plus la représe ntativité de l'échanti llon, la popularité du recours au notaire dans le Midi est bien connue. Je passe également sur les points de méthode, rien ne différenciant vraiment les actes notariés du XVIe siècle aixois de ce que l'on trouve ailleurs dans le MidiS, Les deux sources possèdent une remarquable complémentarité et leur étude, l'une par rapport à l'autre permet de minimiser les effets d'une assiette statistique étroite6•

NOTION DE FAMILLE ET CLIVAGES SOCIAUX

Ainsi que l'ont démontré les historiens de la fami lle, cette dernière repose lors de sa création sur une très forte endogamie sociale'. A Aix comme ailleurs, on se marie suivant son statut et l'on recherche pour sa fille ou son fils non pas le meilleur pani mais celui qui « convient n. Notons tOutefois que le clivage entre métiers agricoles et métiers urbains ne semble pas très résistant puisque les all iances impliquant laboureur et artisan SOnt fréquentes à Aix.

5. Lt5 afttJ no/arifs. 50urct dt l'His/oirt socialt du XVI'~XTXt sitclt!. Ac/tS du Col/oqUt dt Strasbourg (mars 1978), rtunis par Ikrnard VOGLER, Strasbourg, 1979, p. 347

6. Les minutes des notairts aixois St trouvtnt aux Archivts dtparttmtntalts dts Bouch es -du-Rhônt, dtpôt anntxt d'Aix-tn-Provenct.

7. L'apport de la dtmographit historique est capital à Ct sujtt . Les nombrtux articlts parus ces derni~rts années mentnt en tvidtnce J'endogamit sociale

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Cette endogamie sociale devrait renforcer la cohésion au sein du groupe et nous perm~ttre de déceler des différences de comportement d'un groupe à un autre. Il n'en est rien. Alors que les testaments nous permettent, grâce aux clauses pies notamment, de définir une mort du pauvre différente de la mort du riche, nous ne pouvons cerner une notion de famille qui soit particulièrement le fait de l'un et non de l'autre. L'échantillon est peut-être trop mince pour permettre de saisir les clivages mais le fait est qu'on ne peut, sans sourciller, accepter d'emblée que les familles plus favorisées soient celles chez qui la notion de famille au sens large se maintient avec le plus de tenacitéS,

Trois suppOrtS nous aideront à définir la notion de famille: la familiarité d 'abord qu'exprime l'intervention des membres de la famille dans les moments importants de la vie, la cohabitation ensuite qui fut longtemps une des variables essentielles dans le débat entre les tenants de la famille large et ceux de la famille nucléaire, les liens familiaux au-delà de la mort enfin, grâce auxquels on peut tenter d'approfondir la notion de famille en l'isolant des contingences matérielles.

LA FAMILIARITE

Posons d'abord la famille nucléaire (père-mère-enfants) comme la famille-type du XVP' siècle. Les membres de cette entité seront les principaux acteurs des grandes étapes de la vie familiale. Il n'est pas excessif de penser que les individus qui s'agrègent temporairement au noyau familial au moment de ces étapes le font grâce à des liens profonds qui tiennent d'une conception de la famille qui s'étend au-delà du noyau.

Les contrats de mariage sont passés généralement en présence des époux et de leurs pères et mères. Les frères apparaissent également mais de façon très irrégulière. La présence au contrat de parents autres que ceux de la famille immédiate pourrait révéler, soit une familiarité spontanée entre ces parents et les mariés, soit une solidarité morale réveillée par une situation exceptionnelle.

TABLEAU II - PRESENCE DES PARENTS AU CONTRAT DE MARIAGE

Présence extra-nucléaire spontanée Présence liée à la mort d'un père Présence du noyau seulement

TOTAL

Nombre de

31 89

128

6,3 %

24,2 % 69,) %

100,0 %

30,) %

8. F. LAUTMAN, « Différences ou changement dans l'organisation familiale 'l, dans Annalts E.5.C., juillet-octobre. 1972, p. 1191

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La présence spontanée des ondes et des tantes au contrat de mariage de leurs neveux et nièces n'est pas si rare qu'on aurait pu le croire. Dans la mesure où cette présence révèle un attachement réel aux mariés, on peur considé rer qu'environ 6% des familles maintiennent des liens étroits avec une fami lle plus large. Ces liens renaissent en quelque sorte chez les autres quand la famille immédiate ne joue plus son rôle. 52% des conjoints de 15 59 n'ont plus leur père, la famille nucléaire est donc amputée de son chef une fois sur deux. Alors que la mère ou les frères s'occupent des prob lèmes matériels. les oncles et les tantes retrouvent les racines commu nes et soutiennent les mariés en augmentant la dot ou en offrant leur assistance

TABLEAU JlI - PARENTS PRESENTS AU CONTRAT DE MARIAGE EXCLUANT LE NOYAU FAMILIAL

Aïeuls Oncles et tantes Cousin Parrâtres et marràtres Parrains

5 24

1 5

Les parents intervenant ici semblent appartenir à la génération du père et de la mère. L'âge expliquerait largement le phénomène . Peu d'aïeuls sont vivants, quant aux cousi ns, ils sont trop jeunes pour agir sans l'autori sation de leurs parents.

Les testaments nous permettent de compléter l'analyse sans pour autant fournir d'éléments permettant d'évaluer le caractère supplétif des solidarités touchant une famille plus large. Comme pour le mariage. les individus touchés normalement par les dernières volontés d'un testateur sont ceux du noyau familial. Il est donc important d'observer l'intérêt des testateurs pour les membres plus éloignés de leur famille. Si l'on ajoute aux legs faits en prévision d'une dot , les legs simples, on constate que 29 testateurs sur 98 sentent le besoin d'associer un membre autre qu'un fils ou un frère à leur famille. Les parents ainsi agrégés procèdent des mêmes filiations que ceux des contrats de mariage, les cousins seuls ayant conquis une place nouvelle.

Cousins

TABLEAU IV - PARENTS MENTIONNES DANS LES TESTAMENTS EXCLUANT LE NOYAU FAMILIAL

Neveux et nièces Petit-fils (nommément) : II 29 ='''fflo/98 ( Parents»

29,6 %

La coïncidence des pourcentages est étonnante. Au moment de la mort, alors que le testateur trace pour lui-même les contours de sa famille

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tout comme lors des contrats de mariage où la fam ille doit présenter des garanties. environ 30 1X) des gens intègrent dans cette notion de fami11e des membres en d'autres temps exclus. Cette exclusion est-cHe donc.si réelle?

LA COHABITATION

La faiblesse de la base statistique utilisée ici est évidente. Les résulrats ne peuvent ètre qu'indicatifs et il n'est pas question de déduire une quelconque proportion de ménages habitant sous un même toit à Aix à partir des données qui suivent. Au mariage comme au moment de la mort, certains indi vidus souhaitent organiser la vie familiale suivant des normes qui sont les leurs. Ils prévoient pour cela le regroupement des membres de la famille sous un même toit et précisent par le fait même l'étendue de cette dernière.

Encore une fois les chiffres concordent: Il ,7 % des contrats de mariage contiennent des dispositions de cohabitation; 10,2 % des testaments prévoient de telles cohabitations. Une analyse un peu fine de ces dispositions revient à cÎter des cas: les mariés vivront avec les beaux­parents pour un temps limité, le temps nécessaire pour s'installer croirait­on: les parents fourniront alors logement, nourriture et vêtement. C'est là le cas le plus fréquent. Le contrat de mariage ne donne pas d'indication sur le nombre de ménages vivant ainsi sous le même toit. Les testaments, quant à eux, laissent davantage tr<lnsparaitre la réalité de la cohabitation de plusieurs ménages. Une partie de ces cohabitations repose sur le devoir que s'impose la famille envers ses membres. Assurer le logement et la nourriture des membres plus faibles est une des premières obligations de la solidarité fami liale. Ces membres plus faibles s'agrègent alors à un noyau plus stable économiquement parlant et contribuent à leur tour à élargir la notion de famille.

LA FAMILLE AU-DELA DE LA MORT

Dans son article fort stimulant sur la famille au début des temps modernes, Nathalie Davis soulignait l'importance du culte des morts dans l'évolution de la conception de la famille9. Il n'est pas indifférent pour notre propos de vérifier comment les solidarités s'organisent quand il s'agit de choisir son lieu de sépulture ou encore de répartir les messes aux défunts.

Près de la moitié des testateurs choisissent leur sépulture en fonction d'une proximité familiale. Le conjoint est cncore le compagnon préféré (16 mentions) mais les prédécesseurs le suivent de près ( 12). Le père quant à lui est apprécié bien modérément (6). Choisir une sépulture est obligatoire ; les préférences révèlent Cenes une solidarité qui s'étend au-delà de la mort mais elles tiennent aussi de la règle.

L'initiative est beaucoup plus significative quand il s'agit d'associer ses parents défunts aux prières que l'on demande pour son âme. Moins de 20 %

9. Nathalie DA VIS, loc. cie p. 94

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des testateurs poussent la solidarité jusque là, elle s'exerce d'ailleurs dans la plupart des cas envers son père et sa mère.

Les contrats de mariage et les testaments aixois de 1559 dessinent à grands traits l'image que se font les Aixois de la famille et des solidarités familiales. Cette image présente au premier plan la famille immédiate. Cette famille immédiate ne semble pas pour autant se définir uniquement par rapport au noyau père-mère-enfant et elle s'adjoint, suivant les circonstances, des membres d'autres noyaux en difficulté. La solidarité au XVI' siècle, si elle s'exerce d'abord au niveau des proches, semble répondre davantage à la demande et aux besoins qu'à une règle de fonctionnement immuable. La famille n'a pas encore fixé exactement ses frontières ce qui permet de choisir l'un ou l'autre parti en fonction de ses propres intérêts.

Le problème posé par les réseaux familiaux qui soutiennent les différents pouvoirs urbains demeure entier. Tout au plus croyons-nous avoir établi les bases sur lesquelles pourrait reposer la notion de famille qui préside au fonctionnement de tels réseaux. Les fondements de la solidarité familiale large semblent liés, au XVI' siècle, aux concepts de protection et de devoir. Les réseaux familiaux s'articuleront donc par rapport à ces deux idées. Il reste maintenant à poursuivre l'investigation qui nous permettra de reconstituer ces réseaux.

Claire DOLAN.