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SORBONNE UNIVERSITÉ
ÉCOLE DOCTORALE IV: Civilisations, cultures, littératures et sociétés
Laboratoire de recherche: CRIMIC (EA 2561)
T H È S E
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ SORBONNE UNIVERSITÉ
Discipline : Études Romanes / Espagnol
Présentée et soutenue par :
Marisella BUITRAGO RAMIREZ
Le 12 juillet 2018
Histoire et intertextextualité dans l’œuvre romanesque de
Juan Gabriel Vásquez
Sous la direction de:
M. Eduardo RAMOS-IZQUIERDO, Professeur des Universités, Sorbonne Université
Membres du jury:
Mme Luisa BALLESTEROS ROSAS, Maître de Conférences HDR, Université de Cergy-Pontoise
Mme Trinidad BARRERA, Professeur des Universités, Université de Séville
Mme Carmen PINEIRA-TRESMONTANT, Professeur des Universités, Université d’Artois M. Eduardo RAMOS-IZQUIERDO, Professeur des Universités, Sorbonne Université
Hay verdades que no quedan en los periódicos. Hay verdades que no son
menos verdaderas por el hecho de que nadie las sepa. Tal vez ocurrieron
en un lugar raro adonde no pueden ir los periodistas ni los historiadores.
Juan Gabriel Vásquez, La forma de las ruinas
REMERCIEMENTS
La réalisation de ce projet de recherches a été rendue possible grâce à l’appui financier et
académique du programme de mobilité doctorale sous l’égide de Colfuturo et coordonné par
l’Ambassade de France et l’Association Colombienne des Universités (ASCUN), au travers
la convocation unilatérale, Colombie-France, opérée par le programme de mobilité doctorale,
en 2012.
De même, tous mes remerciements et toute ma gratitude vont aux universités Sorbonne
Université, et Antonio Nariño, dont les bases de troisième cycle dans les programmes de
formation de haut niveau (PFAN) m’ont accueillie et m’ont associée au crédit-bourse qui
m’a permis de réaliser ce Doctorat et, sans lequel, ce projet n’aurait pu être mené à bien. La
bourse m’a permis de me consacrer pleinement et avec enthousiasme à ce projet de recherche,
effectuant des déplacements entre Paris et la Colombie, de 2012 à 2018. Mon séjour de
formation et de recherches, ainsi que la participation aux séminaires Amérique Latine ont
été rendus possibles par ces financements.
En outre, j’exprime ma gratitude la plus profonde et la plus sincère au professeur Eduardo
Ramos-Izquierdo pour son accueil, sa collaboration, ses orientations pertinentes et, en
particulier, pour son travail appliqué comme maître à penser et assesseur. Ses suggestions
bien-fondées à toutes les étapes du projet ont contribué à me donner confiance et de
l’assurance pour élaborer mon travail académique et professionnel.
D’autre part, j’adresse tous mes remerciements à l’ensemble des professeurs du Département
d’Éducation, Espagnol et Anglais de l’Université Antonio Nariño pour leur appui constant et
enthousiaste pendant toutes les phases de ce parcours. Et tout particulièrement à Nelly
Bayona pour sa patience, son engagement, son aide et son accompagnement qui m’ont permis
d’avancer dans ce processus difficile. À Lyda Gonzalez pour la confiance témoignée lors de
l’évaluation et du développement de la recherche et au professeur Pedro Vargas pour sa
précieuse collaboration tout au long de l’avancement du projet grâce à ses apports perspicaces
et toujours stimulants.
Je remercie aussi Clara Lucia Calvo pour sa collaboration inconditionnelle qui a permis de
mener à bien ce projet. Merci aussi à mes amis et collègues de doctorat: Sandra Acuña,
Jerôme Dulou, Camilo Vargas, Alex Ortega, Eduardo Cortes, Gerardo Centenera, Raquel
Molina, Diana Pulido, Roberta Previtera, Paula García Talaván qui ont collaboré lors des
échanges sur les avancées de la recherche de chacun, donnant de la profondeur et de la rigueur
à mon propre travail, enrichissant ainsi tous les projets au niveau académique et stimulant la
suite du processus.
Mes remerciements vont aussi à l’écrivain Juan Gabriel Vasquez pour le temps qu’il m’a
accordé afin de résoudre les problèmes soulevés, me permettant ainsi d’approfondir divers
détails et minuties de son art de romancier.
Enfin, c’est avec émotion que je remercie profondément ma mère, Blanca, à qui je dédie ce
projet pour sa présence tout au long de mon parcours, son réconfort et la vigueur qu’elle a
insufflé à mon esprit pour continuer et surmonter les obstacles, autant de moteurs pour
parfaire les moments les plus importants de ma vie.
6
TABLE DES MATIERES
Introduction 9
Partie I. Relation entre littérature et histoire 20
I.1 De la réalité à la fiction, de la fiction à la réalité 21
I.1.1 L’histoire et les mécanismes de la fiction 21
I.1.2 L’histoire et sa relation avec le discours romanesque 39
I.2 Mémoire individuelle et collective 54
I.2.1 La mémoire à partir du roman et autres manifestations artistiques 54
I.3 Relations transtextuelles 70
I.3.1 Typologies de la transtextualité 70
I.3.2 Le concept d’intertextualité et ses caractéristiques 83
Partie II. L’écrivain et ses chimères 100
II. 1 Position du romancier dans la sphère littéraire colombienne. Passage du “non
officiel” à “l’officiel” 101
II.1.1 Du roman contemporain en Colombie et du récit chez Vásquez 101
II.1.2 La chimère dans le travail du romancier 146
II.2 Exploration d’autres genres littéraires 163
II.2.1 La trajectoire du romancier dans un autre domaine de l’écriture, le conte 163
II. 3 L'histoire officielle romancée 183
II.3.1 La Colombie comme scénario dans la réinvention de nouvelles interprétations 183
II.3.2 Du roman autobiographique à l’autofiction dans la description de la Colombie 203
Partie III. Accès aux axiomes de l’histoire 213
III.1 Le narrateur et son récit 214
III.1.1 L’art de la spéculation et la distorsion de l’histoire 214
III.1.2 La condition humaine face à la mimesis de la réalité dans la fiction 227
III.2 L’auteur face à l’histoire et à la mémoire historique 239
III.2.1 Les personnages de l’auteur et du lecteur dans l’œuvre littéraire 239
III.3 La représentation du passé 261
III.3.1 Les liens entre la littérature et d’autres discours dans la reconstruction de l’histoire
de la Colombie 261
7
Conclusions 274
Bibliographie 280
1. L’œuvre littéraire de Juan Gabriel Vásquez 280
1.1 Romans 280
1.1.1 D’autres romans 280
1.2 Contes 280
1.3 Biographie 280
1.4 Essais 280
1.5 D’autres écrits 280
1.6 L’œuvre journalistique 280
1.6.1 Articles 280
1.6.2 Entretiens 314
2. A propos de l’œuvre de Juan Gabriel Vásquez 315
2.1 Œuvres 315
2.2 Articles et entretiens 315
3. Théorie et méthodologie 318
3.1 Théorie littéraire 318
3.2 Théorie sur l’intertextualité 322
4. Critique, culture et société colombienne 323
5. Oeuvres littéraires d’autres auteurs 324
6. D’autres sources 327
Annexe I- Entretien avec Juan Gabriel Vásquez (2016) 335
Annexe II- L’œuvre littéraire de Juan Gabriel Vásquez 345
Annexe III- Prix Littéraires 346
Annexe IV- Index des auteurs et des personnages 347
8
Liste des abréviations
Juan Gabriel Vásquez (JGV)
Romans
Persona (P)
Alina Suplicante (AS)
Los informantes (LI)
Historia secreta de Costaguana (HSC)
El ruido de las cosas al caer (ERCC)
Las reputaciones (LR)
La forma de las ruinas (LFDLR)
9
Introduction
10
Las novelas son segundas vidas. Como los sueños de los que habla el
poeta francés Gérard de Nerval, las novelas ponen al descubierto los
colores y las complejidades de nuestras vidas y están llenas de gente,
rostros y objetos que creemos reconocer. Cuando nos sumergimos en una
novela, y al igual que sucede en los sueños, a veces es tan honda la
impresión que nos causa la extraordinaria naturaleza de las cosas que
leemos, que olvidamos dónde estamos y es como si estuviésemos rodeados
de la gente y los acontecimientos imaginarios que estamos presenciando. En esas ocasiones, tenemos la sensación de que el mundo ficticio que
descubrimos es más real que el propio mundo real.
Orhan Pamuk, El novelista ingenuo y el sentimental
Le présent travail de Doctorat plonge dans les relations transtextuelles qui servent de cadre à
la narration de l’écrivain colombien Juan Gabriel Vásquez, et tout particulièrement dans
l’intertextualité, phénomène manifeste dans la création de son œuvre littéraire. Actuellement,
Juan Gabriel Vásquez est un des auteurs majeurs des lettres colombiennes contemporaines,
tant sur un plan national qu’international. Ses œuvres ont été traduites en de nombreuses
langues, elles suscitent chez ses lecteurs différents regards sur les épisodes occultes ou privés
des histoires officielles que l’écrivain a fictionnalisées. Pour JGV, l’écriture équivaut à
l’apparition d’une mémoire individuelle ou collective, à d’autres narrations et leurs relations,
au dialogue autour d’expériences propres ou étrangères, et même à des héritages inespérés
qui suscitent de nouvelles recherches et analyses en quête de réponses.
Le narratif littéraire de l’auteur a suscité de nouvelles approches à l’histoire de la Colombie
qui est abordée à partir de différentes époques; et aussi, l’interrelation de son narratif avec
d’autres textes, personnages, évènements, problématiques qui ont été traités par d’autres
écrivains nationaux et étrangers. Des thèmes connexes à la politique, à la violence, à l’histoire
officielle, aux legs et à la littérature ont été autant de scénarios repris par l’écrivain pour faire
un apport significatif à la narration colombienne.
Vásquez a suivi la tradition d’autres écrivains contemporains qui consiste à recourir à
l’histoire nationale, à son passé latent et parfois occulte pour les Colombiens. Sa proposition
narrative a replacé le lecteur dans la recherche et l’exploration de nouveaux contextes afin
de fournir des réponses possibles à une infinité de questions, jusque-là sans réponse, ou
d’épisodes récurrents de l’histoire des dernières décennies. De même, il a utilisé différents
11
genres narratifs en reprenant des histoires officielles comme base de ses spéculations.
Des écrivains comme Gabriel García Márquez, William Ospina, Evelio Rosero, Tomás
González, Roberto Burgos Cantor, entre autres, ont procédé à des recherches et identifié dans
l’histoire officielle des incertitudes, des évènements peu documentés et, en conséquence, ont
fait une proposition d’écriture pour apporter leur contribution au domaine littéraire par de
nouvelles versions fictionnalisées de l’histoire. Dans cette approche, la préoccupation des
écrivains est manifeste quant à la manière officielle de narrer les conflits, en lien avec des
personnages et à ces vies étrangères qui ne peuvent être abordées par les romanciers que dans
leurs propositions d’écriture.
D’autre part, les genres littéraires et non littéraires abordés par l’auteur ont été multiples;
parmi eux, il a privilégié le récit, le journalisme, l’essai, le roman court et la biographie, ce
qui a permis de les intégrer dans ses romans officiels. Le terme romans officiels1 s’applique
à la série de romans qui ont débuté par la publication de Los informantes en 2004, selon les
dires de l’auteur, et qui s’étalent jusqu’à nos jours. Les “non officiels”, Persona (1997) et
Alina suplicante (1999) sont ses deux premiers romans dans lesquels il affirme vouloir
oublier son passé et demande qu’ils ne soient pas pris en compte dans le cadre de son écriture.
Ce projet de doctorat est né de mon intérêt pour connaître et approfondir l’histoire de la
Colombie à partir de la représentation narrative de l’écrivain Juan Gabriel Vásquez qui
enquête, spécule et propose d’autres perspectives du passé et de son histoire officielle. On
peut considérer ses romans comme des dramatisations de l’histoire de la Colombie, en tant
que formes représentatives de l’intertextualité, auxquelles recourt l’auteur à partir des
différents genres narratifs mentionnés ci-dessus.
1 À propos du terme roman “non officiel”, l’auteur confirme dans un entretien son intérêt pour vouloir oublier
ses deux premiers romans: “J’ai deux romans, Persona et Alina suplicante, écrits en 97 et 99, que je voudrais
éliminer de ma biographie”. Lucy Lorena Libreros. “Letras de Juan Gabriel Vásquez para exorcizar el miedo
al narcotráfico”. El País [en ligne], 22 janvier 2013. Disponible sur:
http://www.elpais.com.co/elpais/cultura/noticias/letras-juan-gabriel-Vásquez-para-exorcisar-miedo-
narcotráfico.
12
Pour réaliser sa proposition narrative, l’auteur consulte un ensemble de documents, tels des
discours politiques, lettres, récits anecdotiques, enquêtes, témoignages, entretiens, articles de
presse, caricatures politiques, photographies, poèmes, chansons, enregistrements, entre
autres, légués par la tradition littéraire du pays, en mettant en relation les uns avec les autres.
Toute la compilation du matériel littéraire et non littéraire remonte à la consultation de
sources reconnues et même à ces sources peu connues que pendant des décennies l’auteur a
récupérées pour s’en servir comme matériel de première main pour son travail littéraire,
surtout pour les romans dont les racines plongent dans l’histoire officielle. C’est ainsi que la
littérature représente, au travers de symboles et du langage figuré, des faits de cette histoire
officielle, permettant aux lecteurs de créer des mondes possibles.
L’objectif de la recherche consiste à analyser les œuvres littéraires de Juan Gabriel Vásquez
à partir d’autres œuvres qui promeuvent un espace de réflexion autour des études littéraires,
en tenant compte d’éléments tels que les versions de l’histoire officielle, la récupération de
la mémoire historique, les représentations de l’histoire qu’a compilées et fictionnalisées
l’auteur, ainsi que de la révélation des caractéristiques intertextuelles et polyphoniques de sa
narration dans lesquelles il introduit sa pensée. De même, nous prétendons promouvoir des
espaces de délibération autour de l’analyse des romans de JGV en raison de leur apport aux
études littéraires colombiennes et à la formation chez le lecteur d’une autoconscience sur
l’histoire officielle et l’avenir de la société.
Le corpus de cette recherche est constitué des romans de l’écrivain, dont l’écriture date des
années 2004 à 2015, associés à certains faits historiques de la Colombie. Ces romans se muent
en témoignages fictionnels sur divers conflits sociaux, économiques et politiques qui,
pendant des décennies, ont coexisté dans la société colombienne et ont sensibilisé des artistes
et des écrivains qui ont assumé leur rôle social et esthétique en exprimant tout leur malaise
dans leurs créations artistiques. JGV n’est pas étranger à ces perceptions et son engagement
littéraire suit les problématiques du pays.
L’auteur a écrit sept romans,2 dont, ses cinq derniers romans Los informantes, Historia
2 Par ordre d’apparition et selon l’auteur, ses romans sont les suivants: Persona (1997), Alina suplicante (1999),
13
secreta de Costaguana et El ruido de las cosas al caer sont à attribuer au genre historique.
Par contre, Las reputaciones, correspond au genre de la nouvelle courte et le dernier, La
forma de las ruinas, est considéré comme un roman autobiographique.
Les critères de sélection relèvent de deux aspects fondamentaux. Le premier critère est
l’inclusion de l’élément historique. L’auteur a repris plusieurs moments de l’histoire
officielle du pays comme fil conducteur de la trame. Les périodes sélectionnées par JGV vont
du XIXe au XXIe siècles et abordent spécifiquement certains épisodes des années comprises
entre 1880 et 2014.
Certaines des périodes thématisées qu’il a reprises pour recréer ses histoires sont les
suivantes:
Dans Los informantes, l’écrivain affronte un des épisodes les plus obscurs et les moins
travaillés de la littérature colombienne contemporaine: la participation de la Colombie à la
Seconde Guerre Mondiale.
Historia secreta de Costaguana remonte à 1904, quand a été entreprise la première phase de
la construction du canal interocéanique par les Français. Dans ce roman, la recherche est
centrée tout particulièrement sur les relations intertextuelles avec le roman Nostromo du
Polonais Joseph Conrad. Vásquez a repris l’histoire de la vie de l’écrivain et son histoire sur
l’Amérique latine pour présenter une nouvelle version des faits.
El ruido de las cosas al caer a ses origines dans les années 70, époque qui correspond aux
débuts du trafic de stupéfiants en Colombie; il se centre aussi sur les missions des brigades
de paix dans le pays. Las reputaciones réaffirme l’importance de la caricature politique en
Colombie, dans les années 40. La forma de las ruinas remonte aux années comprises entre
1914, 1928 et 2014; y sont abordées les causes et les conséquences de certains magnicides
qui ont divisé l’histoire du pays.
Los informantes (2004), Historia secreta de Costaguana (2007), El ruido de las cosas al caer (2011), Las
reputaciones (2013) et finalement, La forma de las ruinas (2015).
14
Le second critère de sélection du corpus correspond à ses cinq derniers romans. La première
publication en vertu de ce paramètre a commencé avec Los informantes (2004) et son roman
le plus récent La forma de las ruinas (2015), chacune ayant un intervalle de publication allant
de deux à quatre ans. Les personnes et les œuvres qui ont inspiré ses romans sont des
individus de la vie réelle, tels que: des chercheurs, ingénieurs, écrivains, journalistes,
caricaturistes, avocats, entre le XIXe et XXIe siècle.
L’auteur a fait des recherches sur d’illustres personnages de l’histoire nationale comme Silvia
Galvis et Alberto Donadio qui, avec leurs révélations sur la Seconde Guerre Mondiale dans
Colombia Nazi3, ont servi de modèles à la construction de la trame dans Los informantes. De
même, ont été utiles les témoignages partagés avec l’auteur qui ont permis la reconstruction
d’anecdotes pour la trame de la nouvelle. Un autre cas est celui de l’écrivain Joseph Conrad
et de son œuvre Nostromo inclue dans Historia secreta de Costaguana. Dans cette œuvre, on
trouve d’une part l’histoire de la vie de l’écrivain polonais, ainsi que sa narration, raison pour
laquelle elles entrent toutes deux dans l’argument de son second roman officiel.
Le journaliste Cesar García4 et son article sur la mort d’un hippopotame ont ému le pays. En
2009, des chasseurs ont tué un des hippopotames qui appartenaient au grand domaine rural
Nápoles5, propriété du trafiquant de stupéfiants Pablo Escobar. Cet acte a été justifié dans
une large mesure par plusieurs dénonciations sur les dommages causés aux cultures et à
l’environnement en général; en outre, ils étaient censés être dangereux pour les populations
locales. L’histoire de cet animal remonte à l’époque de la fuite de plusieurs hippopotames de
l’Hacienda Nápoles du chef du cartel pour s’interner dans la nature, d’où une reproduction
3 Silvia Galvis et Alberto Donadio. Colombia Nazi. 1939-1945 Espionaje alemán La cacería del FBI Santos,
López y los pactos secretos. Bogotá: Editions Planeta. 1986. 4 Cesar García. “Muere a bala hipopótamo que era de Pablo Escobar”. [En ligne], 10 juillet 2009.
Disponible sur: http://www.semana.com/nacion/medio-ambiente/articulo/muere-bala-hipopotamo-pablo-escobar/105018-3 5 L’hacienda Napoles est une luxueuse propriété située à Puerto Triunfo, Antioquia. Elle appartenait au fameux
trafiquant colombien de cocaïne Pablo Emilio Escobar Gaviria (1949-1993) fondateur du cartel de Medellín.
Elle hébergeait différentes espèces d’animaux exotiques, venues de différentes parties du monde pour
symboliser sa puissance et son succès commercial. Après que le trafiquant ait été harcelé et assassiné par les
autorités, beaucoup de ces animaux furent abandonnés, d’autres moururent par manque de soins, et d’autres
furent abattus comme ce fut le cas de Pepe, l’hippopotame médiatique. Actuellement, l’hacienda Nápoles est
un parc thématique ouvert aux touristes.
15
massive postérieurement considérée comme un problème environnemental.
Compte tenu de cette problématique, le Ministère de l’Environnement a concédé le permis
de chasse de ces animaux en vertu du caractère légal de la “chasse sélective”. Plus tard, la
publication de l’information relative aux conditions de mise à mort de l’animal et la mise en
circulation d’une photo sur laquelle les soldats posaient avec lui peu avant de le dépecer, a
été source de critiques, entre autres, de la part des écologistes, des autorités
environnementales et du commun des mortels. Ces critiques remettaient en cause la violence,
l’extermination, les déplacements forcés auxquels ont été soumises diverses espèces.
Vásquez a repris cette histoire de la mort, avec ce qu’elle représentait pour la société, dans la
construction et le développement du récit El ruido de las cosas al caer.
Dans d’autres romans, l’auteur récupère des personnages publics avec des rôles sociaux très
marqués comme ce fut le cas de Ricardo Rendón, caricaturiste politique du XXe siècle, dans
les années 40. Ce personnage est recréé dans son bref roman Las reputaciones, ce qui a invité
l’auteur à consulter les vies de quelques-uns des caricaturistes les plus fameux du pays et
restitués par María Teresa Ronderos dans 5 en humor6.
Finalement, les exploits du jeune avocat Marco Tulio Anzola et son legs juridique dans
Asesinato del General Uribe Uribe: ¿Quiénes son?7, font partie des diverses révélations
présentées par l’écrivain dans La forma de las ruinas. Autres figures illustres, parmi d’autres,
mêlées à ses récits, le philosophe et orateur Démosthène, le leader libéral Jorge Eliécer Gaitán
(1903-1948), l’ingénieur français Ferdinand de Lesseps (1805-1894), et William
Shakespeare, dont les œuvres, témoignages de vie et d’histoires, ont servi de motifs littéraires
pour spéculer sur les conflits sociaux, économiques et politiques de la Colombie.
Outre les cinq derniers romans objets de cette étude, l’auteur en a écrit deux autres; Persona8
6 María Teresa Ronderos. 5 en humor. Bogotá: Ediciones Aguilar, 2007. 7 Marco Tulio Anzola. Asesinato del General Uribe Uribe: ¿Quiénes son? Bogotá: Collection Miscelánea,
1917. 8 Juan Gabriel Vásquez. Persona. Bogotá: Cooperativa Editorial Magisterio, 1997.
16
et Alina suplicante9, ses deux premiers romans publiés par la Coopérative Editorial
Magisterio et le groupe d’éditions Norma. Ces romans n’abordent pas des thèmes de
l’histoire de la Colombie. Toutefois, nous en tiendrons compte pour aborder l’évolution de
la narration chez l’auteur. Les deux critères indiqués antérieurement sont applicables à tous
les romans.
Entre son premier et dernier roman, se sont intercalés divers mouvements idéologiques,
politiques et sociaux qui ont divisé l’histoire du pays. Le regard critique de Vásquez révèle
sa vision de la réalité colombienne pendant une période qui porte sur quelques 200 ans
d’histoire.
C’est ainsi que s’ouvrent de nouvelles perspectives sur l’histoire de la Colombie, de la
construction du canal interocéanique à nos jours. Sont à signaler certains épisodes, peu
abordés par la littérature et très douloureux pour le pays, d’un passé qui présente beaucoup
de conflits et d’incertitudes, produit d’une société en mutation qui n’autorise pas l’oubli.
De même, à la suite de la lecture du récit de l’auteur, nous notons qu’il formule diverses
critiques à l’encontre du gouvernement colombien; des pactes secrets entre gouvernements,
l’exposé de conflits sociaux, politiques, économiques, de conspirations, la double morale des
personnages publics, ainsi que la révélation de plusieurs moments très précis de l’histoire du
pays.
Plusieurs évènements survenus pendant ces années sont sans doute le point de départ de notre
compréhension du monde contemporain et une explication de tellement d’années de violence,
ainsi que des avancées technologiques, de nouvelles conceptions du monde et des
transformations dans de nombreux domaines. Le lecteur découvrira de nouvelles approches
d’évènements très précis retenus par l’auteur; de faits historiques qui ont fait partie de
multiples processus dans lesquels la politique et ses décisions ont eu un rôle de protagoniste.
Face à cette problématique, on peut alors se demander quels aspects ont changé en Colombie
9 Juan Gabriel Vásquez. Alina suplicante. Bogotá: Grupo Editorial, 1999. Les deux romans précédents sont
considérés par l’auteur comme ses deux premiers romans non officiels.
17
au cours des dernières décennies et de quelle manière on a fait face à cette situation? De
même, quelles ont été les causes de ces changements, et quelles séquelles ils ont laissé dans
la société colombienne? Finalement, vient l’ultime question: de quelle manière les décisions
du passé affectent-elles le présent?
À cet égard, on peut affirmer qu’il y a plusieurs questions, restées sans réponse, qu’explorent
les romanciers, et ils élaborent leurs propositions narratives pour enquêter sur ces épisodes
occultes et privés du passé. Ces interrogations rendent aussi nécessaire d’enquêter sur
l’intérêt de l’écrivain pour l’histoire de son pays, tel que le fait Vásquez, qui est intéressé par
les témoignages historiques sur la Colombie, tout particulièrement pendant les années de
crise, d’incertitudes, de guerres, de vide et de faits encore inexpliqués, événements très
présents dans son œuvre.
Compte tenu du contexte colombien et de ses particularités, il existe dans cette thèse un
intérêt à révéler la nature d’aspects comme: pourquoi l’auteur a-t-il écrit depuis son exil sur
l’histoire de la Colombie? Quels sont ses principales motivations et intérêts pour reprendre
l’histoire et en faire un produit narratif? De quelle manière l’auteur met-il en relation
l’histoire d’un pays et la mémoire historique, individuelle et collective pour construire des
relations intertextuelles? À ces questions et à bien d’autres, voilà ce à quoi nous espérons
pouvoir répondre dans cette recherche.
Les analyses de ces réalités colombiennes réintroduites dans les récits de l’auteur mettent en
évidence diverses recherches menées par ses soins et par d’autres auteurs, qui ont contribué
aux fondements des récits. Grâce au rôle du romancier, le lecteur peut donc avoir des visions
différentes de faits d’intérêt social et enquêter sur ces vies lointaines et privées qui échappent
à l’attention d’autres supports écrits.
Pour aborder la narration chez l’auteur, la recherche s’est centrée sur le phénomène de
l’intertextualité, élément littéraire constant qui met en relation les œuvres de l’auteur. Le
terme proposé par Mikhaïl Bakhtine, sous le vocable de dialogisme et polyphonie textuelle,
18
a été repris ultérieurement par Julia Kristeva qui lui a donné le nom d’intertextualité10. De
son côté, Gérard Genette a également abordé ce concept comme une des catégories propres
de la théorie de la transtextualité. Conformément à ce qui précède, les apports théoriques et
critiques présentés par ces trois auteurs ont été confrontés avec les œuvres littéraires de Juan
Gabriel Vásquez citées antérieurement.
Pour apporter une réponse aux questions posées ci-dessus, nous avons décidé de diviser cette
étude en trois grandes parties, chacune divisée en trois sous-parties. Le premier chapitre
traitera du cadre théorique qui sert de fondement à la recherche. Nous nous arrêterons
brièvement sur la relation de la littérature avec l’histoire et nous aborderons les théories
proposées par Bakhtine (1895-1975), Ricœur (1913-2005), White (1928), Todorov (1939) et
Sarlo (1942).
À l’intérieur du premier chapitre, en second lieu, nous reprendrons les relations
transtextuelles et nous approfondirons le phénomène de l’intertextualité au travers des
théoriciens : Bakhtine (1895-1975), Kristeva (1941), Genette (1930) et finalement Camarero
(1958). Pour mener à terme l’étude intertextuelle, nous identifierons les typologies
intertextuelles introduites par chacun de ces théoriciens et leurs propositions dans les
analyses des œuvres de l’auteur.
Dans le second chapitre, la recherche se centrera sur la vie et l’œuvre de l’écrivain Juan
Gabriel Vásquez. Une analyse du contexte culturel sera opérée et le romancier sera situé par
rapport au milieu littéraire national et latino-américain. Pour y parvenir, on tiendra compte
de son évolution narrative, ainsi que de son intérêt pour la création littéraire.
D’autre part, nous retournerons sur le personnage de Vásquez, le plaçant dans la génération
des écrivains qui sont nés pendant les années 70, ainsi que sur la publication de ses romans.
10 Claire Stolz. “Polyphonie et intertextualité”: Fabula, La recherche en littérature, 2002. “En effet, Julia
Kristeva, dans l'article où elle présente la théorie bakhtinienne de la polyphonie (« Le mot, le dialogue, le
roman»), introduit le terme (dans un paragraphe intitulé « le mot dans l'espace de textes ») et la définition restée
célèbre d'une notion présentée comme « une découverte que Bakhtine est le premier à introduire dans la théorie
littéraire : tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un
autre texte”. Disponible sur : http://www.fabula.org/atelier.php?Polyphonie_et_intertextualit%26eacute%3B
19
Nous insisterons sur certaines de ses expériences comme journaliste et écrivain qui l’ont
amené, à l’instar d’autres écrivains de sa génération, à s’intéresser à l’histoire du pays et de
ses conflits, de même qu’à l’art de la narration. L’attitude critique de l’auteur face aux conflits
sociaux, politiques et économiques est récurrente dans sa narration et ses travaux en tant que
journaliste. Son travail d’écrivain lui a permis d’être reconnu chez lui et à l’étranger.
Enfin, le troisième chapitre sera consacré à l’analyse des œuvres de Vásquez, conformément
aux catégories indiquées, tirées de la lecture rigoureuse de ses œuvres et de l’instauration de
relations transtextuelles. Les perceptions de l’auteur de la réalité colombienne et ses
trouvailles sur des thématiques, intérêts et récurrences dans son œuvre littéraire, entreront
dans l’analyse de ce chapitre.
Notre étude se centrera aussi sur les personnages des narrateurs dont les différentes approches
montrent aux lecteurs l’évolution et la transformation de la société colombienne dans
différents domaines comme le politique, l’économique et le social, tout au long de plusieurs
périodes historiques qu’a traversées le pays. D’autre part, nous analyserons le caractère
complexe des personnages-narrateurs qui se singularisent par leur pouvoir dans un monde de
fictions.
Chacun des romans de l’auteur reprend des évènements, personnages, problématiques
propres à la Colombie et le matériel officiel relatif aux documents qui ont un caractère public
et qui sont acceptés à l’intérieur d’un groupe particulier de la société. Exemple: l’information
enregistrée dans les journaux, dans les chroniques; l’histoire trouvée dans les encyclopédies,
dans les livres d’histoire, etc. L’objectif général vise à révéler les caractéristiques
intertextuelles de son œuvre. Les objectifs spécifiques de la recherche sont les suivants:
-Identifier l’influence littéraire d’autres textes écrits par Juan Gabriel Vásquez pour élucider
et interpréter la représentation de la réalité colombienne dans ses romans.
-Interpréter la conception du monde de l’auteur colombien à partir de ses romans.
-Contribuer à l’approfondissement des études littéraires en Colombie à partir de la
proposition littéraire de Vásquez.
20
-Enfin, promouvoir un espace de réflexion autour des études littéraires en tenant compte des
éléments historiques, des discours, de la mémoire historique narrative de l’auteur.
21
Partie I. Relation entre littérature et histoire
22
I.1 De la réalité à la fiction, de la fiction à la réalité
I.1.1 L’histoire et les mécanismes de la fiction
La literatura nos ha de permitir enlazar las sombras de tal
manera que la realidad deje de superar a la ficción, pues la
misión del escritor consiste en condensar el tiempo en la
palabra para rehacer el futuro posible, y nosotros como
lectores, comprender(nos) más en la diferencia.
Juan Alberto Blanco
Dans le domaine littéraire, l’histoire a joué un rôle essentiel dans la construction et la
reconstruction des divers moments les plus controversés d’un pays. Pour ce motif, les
écrivains ont eu recours à l’imagination, c’est-à-dire à la fiction, tandis que les historiens
s’appuyaient sur la vérité, sur les certitudes qui montrent un fait tel qu’il s’est produit; que
ce soit, entre autres, au travers d’écrits, journaux, témoignages ou lettres. L’un et l’autre,
aussi bien le romancier que l’historien, recourent à des stratégies narratives dans lesquelles
l’écriture fictionnelle pour le premier et non fictionnelle pour le second s’approchent du passé
pour aborder des expériences sociales sur une période donnée de l’histoire.
Il convient alors de signaler qu’il “existe un grand écart entre le fait tel qu’il s’est produit et
le fait relaté dans le texte”11, historiens et romanciers s’appuyant sur divers textes et contextes
pour créer et recréer leurs récits. C’est ainsi que l’on considère que les narrations des
historiens appartiennent au genre non fictionnel, alors que celles des romanciers sont à
rattacher au genre fictionnel.
Pour donner un exemple de ce qui précède, Ramirez Bonilla considère que le rôle de
l’historien est celui de “configurateur d’informations”12, les lecteurs pouvant y trouver des
données concrètes sur une “réalité effective”13 en relation avec des “expériences vérifiables
11 Gerardo Ramírez Bonilla. “Alcances de la narrativa en el campo de la educación a partir de la obra Tiempo y
Narración de Paul Ricœur”. Revue Papeles, Vol. 6 juillet 2004-juin 2015, pp. 65-66. 12 Ibid., p. 66. 13 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo. Madrid: Editions Síntesis, S.A. 1996, p. 28.
23
empiriquement”14, alors que le romancier recourt à “l’imagination créatrice”15, en faveur de
la création de mondes possibles constitués au travers de réalités données.
Conformément à ce qui précède, l’écriture non fictionnelle correspond au réel; c’est-à-dire à
ce que des témoins ont mis en évidence du passé. Nous soulignons que les faits sélectionnés
par l’historien correspondent à une réalité passée, à laquelle il est impossible d’accéder. Son
travail consistera alors à expliquer des évènements dans lesquels l’histoire apparaît comme
une dimension de l’existence humaine correspondant à la conscience de l’époque16. À ranger
parmi les textes non fictionnels, nous trouvons, entre autres, les chroniques, reportages,
essais, autobiographies et lettres.
D’autre part, entrent dans le genre fictionnel les récits qui explorent des évènements de
l’existence humaine, pour lesquels l’écrivain puise dans son environnement pour la
construction de son récit; son matériel de travail est basé sur des archives publiques,
documentaires et livres d’histoire; et aussi sur ses expériences vécues, préoccupations,
témoignages, etc.
C’est ainsi que les propriétés littéraires du fictionnel et du non fictionnel, c’est-à-dire
l’opposition entre littérature et histoire ou, si l’on préfère, fiction et histoire, sont reliées à la
typologie du discours employé. Hayden White signale qu’ “à mesure que l’histoire prend
conscience de sa structure narrative, les frontières entre histoire et littérature s’estompent”17.
La différence réside dans le fait que l’histoire poursuit la véracité des évènements narrés,
alors que dans la littérature, la vérité peut faire l’objet de distorsions.
Or, dans le domaine de la fiction, certains romanciers, de forme délibérée et consciente de
leur habileté narrative, font participer le lecteur aux mécanismes de leur invention. De même,
14 Ibidem. 15 Gerardo Ramírez Bonilla. “Alcances de la narrativa en el campo de la educación a partir de la obra Tiempo y
Narración de Paul Ricœur”, loc. cit., p. 66. 16 Leonardo Ordoñez Díaz. “Historia, literatura y narración”. Bogotá: historia crítica nº 36, juillet-décembre
2008, pp. 194-222. 17 Hayden White. Metahistoria. La imaginación histórica en la Europa del siglo XIX. Mexique: Fondo de
Cultura Económica, 1992, pp. 1-42
24
ils exposent les défis présentés auxquels ils ont dû se mesurer pour construire leurs récits. À
propos de cela, Figueroa Sánchez mentionne ce qui suit:
“[…] entrada de la década de los setentas, se advierte un distanciamiento, en la narrativa
colombiana, de los modelos instaurados con el “Boom”, que luego durante los ochentas y
noventas, motiva rupturas cada vez más radicales conectadas con conflictos de espacios y
mentalidades urbanos, con nuevas perspectivas para abordar el discurso histórico y con distintos
grados de conciencia de los procesos estructurales”18.
Compte tenu de ce qui précède, les évènements ont été un matériau de choix pour
l’imaginaire des romanciers qui, pour créer leurs histoires, ont puisé dans les histoires
officielles, de même qu’ils ont exploré d’autres langues, dépassant les barrières culturelles,
grammaticales et idéologiques, processus qui leur a permis d’accéder à davantage de sources
d’information pour leurs projets littéraires.
La preuve en est que des écrivains comme Joseph Conrad (1857-1924), Polonais de
naissance, mais que “sa fascination pour la langue anglaise enracine dans une recherche
identitaire très personnelle”19, a décidé d’utiliser l’anglais pour écrire toute son œuvre
littéraire; en outre, sa connaissance de la langue 20 lui a valu de faire de nouveaux contacts
qui ont contribué de manière significative à la recherche pour ses projets d’écriture.
Par exemple, pour la construction de Nostromo21, nouvelle dont le thème porte sur
l’Amérique latine, l’écrivain polonais a sollicité son grand ami Robert Cunninghame
Graham22 pour l’associer à son projet d’écriture. Ce dernier a été une de ses principales
sources d’information à cause de ses voyages dans des pays latino-américains et de son
bagage littéraire. À propos de Nostromo, Vásquez a écrit dans le prologue de ce roman les
18 Cristo Figueroa Sanchez. “Ciudades, memoria y ficción en la narrativa colombiana contemporánea. Dos
proyectos significativos: Luis Fayad y Roberto Burgos Cantor”. Dans Hallazgos en la literatura colombiana.
Balance de proyección de una década de investigaciones. Bogotá: Éditions Pontificia Universidad Javeriana,
2010, p. 29 19 Marie Delaperrière. Joseph Conrad, un Polonais aux confins de l’Occident. Paris: IES, 2009, p. 7. 20 Pour Joseph Conrad, l’anglais est sa troisième langue officielle. Il l’a appris sur le tard ce qui ne l’a pas
empêché d’en faire usage dans toute son œuvre narrative. 21 Joseph Conrad. Nostromo. Madrid: Verticales de bolsillo literaria, 2007. 22 Robert Cunninghame Graham (1852-1936) a été un homme politique écossais, écrivain, journaliste et grand
ami de l’écrivain Joseph Conrad qu’il a aidé dans la recherche pour son roman Nostromo. Il a publié de
nombreux livres et articles de nature historique; en outre, il a exploré divers genres littéraires comme les essais,
la biographie et la poésie.
25
mêmes mots que Conrad adressera à Graham, en 1903, pour solliciter son aide: “Je veux te
parler de l’œuvre qui m’occupe actuellement. J’ose à peine te confesser mon audace, mais le
l’ai située en Amérique du Sud, dans une république que j’ai nommée Costaguana”23.
C’est ainsi que l’auteur polonais commence à enquêter sur la réalité sociohistorique, politique
et culturelle de Panama afin de fusionner ses propres expériences avec celles d’autrui pour la
construction de son récit. Il partage avec ses collègues certaines de ses difficultés pour
progresser dans sa création littéraire, mais en même temps ces difficultés sont des défis qui
l’incitent à chercher des solutions. En ce sens, il indique que :
Conrad pretende indagar en el alma política de una civilización que no es la suya, de la cual lo
separan barreras geográficas, lingüísticas, idiosincrásicas. El esfuerzo como evidente, exige grados de empatía y de conocimiento del alma humana que sólo están al alcance de los grandes
novelistas; pero en el caso de Conrad las limitaciones se multiplicaban, pues su contacto directo
con el terreno de la novela había sido demasiado breve, demasiado superficial y escueto24.
Dans ces conditions, Conrad utilise une autre source d’information, l’exilé colombien
Santiago Pérez Triana25, auteur du livre De Bogotá al Atlántico26, qui est devenu une des
sources principales pour la création de la république de Costaguana27. L’invention de
l’histoire imaginée par Conrad correspondrait à la problématique de la séparation du territoire
panaméen de la Colombie, en 1903, quand il s’est déclaré indépendant. Ce fait réel a été
repris par l’écrivain polonais pour le transformer en évènement fictionnel qui présente dans
Nostromo des analogies assez évidentes avec l’épisode historique.
Lectores de Nostromo: en pocas páginas se encontrarán ustedes con Sulaco, la provincia
costaguanera que en el curso de la novela, con la intervención y el patrocinio militar de Estados
Unidos, se separa de Costaguana y se declara república independiente. Se encontrarán con Sulaco,
cuya suerte depende de la explotación de aquella riqueza que la hace única: la mina de plata de
San Tomé, explotada desde tiempo atrás por un tal Charles Gold, idealista inglés, con la ayuda
23 Juan Gabriel Vásquez. “Prologo. Viaje a Costaguana”. Nostromo. Madrid: Verticales de bolsillo literaria, 2007, p. 7. 24 Ibid., p. 10. 25Santiago Perez Triana (1858-1916) a été diplomate, écrivain et journaliste. Il a également fourni à l’écrivain
Joseph Conrad une précieuse information sur son pays pour l’écriture de Nostromo. 26 Santiago Pérez Triana. De Bogotá al Atlántico. Bogotá: éditions Kelly, 1942. Dans son livre “Pérez Triana
s’avère un observateur sagace de la réalité nationale de même qu’un styliste élégant qui nuance ses récits par
des observations empreintes d’ironie et de certitude. Les descriptions de la faune et de la flore des régions du
Meta et de l’Orénoque sont admirables par la vigueur littéraire qui les anime”. 27 Ibid., p. 12.
26
de un tal Holroyd, empresario norteamericano. Las coincidencias son demasiado flagrantes: es
imposible, salvo en caso de miopía o de desinformación pasarlas por alto. Y sin embargo, la
relación entre la revolución panameña y la novela costaguanera sólo puede ser materia de
especulación.28
À cet égard, Delaperrière signale que “L’écriture de Conrad et la richesse métaphorique de
ses récits ont été d’une fécondité remarquable, comme en témoigne la diversité – et parfois
même la discordance- des œuvres qui s’en sont nourries”29. Toutefois, l’accueil de la critique
de l’époque, en 1904, fut décourageant. Le Times Literary Supplement souligna que “la
publication d’un livre comme celui-là est une erreur artistique”30. On n’avait pas pris en
considération que le roman publié “exigeait une nouvelle manière de lire la fiction”31. On
pourrait affirmer qu’alors les lecteurs avaient coutume de lire les œuvres conformément à
des patrons liés à des thématiques et des trames connues, à des coutumes propres, à des
préoccupations et à des réalités proches et que, sans doute, Nostromo ne correspondait pas
aux attentes des lecteurs de cette époque.
Précisément, Eagleton avertit qu’en interprétant les œuvres littéraires par le biais d’intérêts
personnels, le lecteur est incapable d’avoir un autre regard, d’autres connaissances et
perspectives, ne pouvant prendre en compte d’autres points de vue. C’est pour cela que
certaines œuvres ne sont pas appréciées, alors que d’autres, après un certain temps,
conservent ou obtiennent une reconnaissance littéraire. Au fil des ans, “il est possible, bien
sûr, que nous restions sensibles à bon nombre de problématiques de l’œuvre considérée; mais
il est également possible que, en réalité, et sans le savoir, nous n’ayons pas évalué la “même”
œuvre. “Notre” Homère n’est pas identique à l’Homère du Moyen-âge, et “notre”
Shakespeare n’est pas le même que celui de ses contemporains”32. Pour le critique, ce sont
des périodes historiques distinctes dans lesquelles la littérature et ses fonctions ont aussi été
remises en question sur la base d’éléments littéraires formels.
28 Juan Gabriel Vásquez. “Viaje a Costaguana”. El arte de la distorsión. Bogotá: distributeur et éditeur Aguilar,
Altea, Taurus, Alfaguara, S.A., 2009, p, 151. 29 Maria Delaperrière. Joseph Conrad, un Polonais aux confins de l’Occident, op. cit., p. 8. 30 Juan Gabriel Vásquez. “Viaje a Costaguana”, loc. cit., p. 154. 31 Ibidem. 32 Terry Eagleton. “Introducción: ¿Qué es la literatura? Una introducción a la teoría literaria. Bogotá: Fondo
de Cultura Económica, 1994, p. 24.
27
D’autres écrivains ont été victimes d’une situation de ce type; par exemple, la première
édition de leurs œuvres n’a pas reçu l’accueil que des décennies plus tard elle connaîtra. La
liste est significative. En premier lieu, on trouve Edgar Allan Poe (1809-1849) qui a eu des
difficultés pour être admis dans le monde littéraire nord-américain:
Les conditions n’étaient pas les meilleures pour les auteurs nationaux qui se voyaient
désavantagés par rapport aux étrangers, car il n’existait pas de législation internationale qui régule
leurs publications, les maisons d’éditions américaines remplissaient leurs caisses avec les œuvres
anglaises, sans devoir payer un centime de droits ou de royalties”33.
Face à cette situation, on peut considérer que l’écrivain n’a pas eu les mêmes possibilités de
publication et les mêmes conditions de travail que les auteurs étrangers, car soit il ne trouvait
pas de financement pour ses projets d’édition, soit les ventes n’étaient pas celles qu’il
attendait; ceci l’a découragé et mené à l’alcoolisme.
Pour ce motif, Conde note que chez Poe, “on cherche toujours l’ivrogne, le délirant, le
maudit, ou le poète fragile qui succombait devant les femmes sans même en arriver à les
toucher. On insiste peu sur son gros travail de critique littéraire et de protagoniste des lettres
américaines”34. Aujourd’hui, cet écrivain est considéré comme l’un des meilleurs
représentants de la nouvelle; alors que d’autres considèrent qu’une partie de son travail
narratif renvoit “à la naissance du roman policier ou à celle de la science-fiction”35.
Un autre cas est celui de l’écrivain américain Herman Melville (1819-1891) qui a exploré
plusieurs genres narratifs. Pendant sa carrière littéraire, certaines de ses œuvres n’ont pas été
du goût du public, situation qui l’a conduit à la ruine36. Une de ses œuvres les plus
33 À propos du thème, Conde indique ce qui suit: “Existían, en cambio, leyes internas que obligaban a
reconocimientos económicos para los autores locales, pero estas leyes más que beneficiarlos, los perjudicaba:
¿Por qué editar a un autor nacional, adeudándole desde un principio y sin la garantía de que va a vender, cuando
se podía editar a un inglés sin reconocerle un níquel?” Juan Alberto Conde. Edgar Allan Poe. El nocturno
americano. Bogotá: Panamericana Editorial Ltda, 2004, p. 69. 34 Ibid., p. 70. 35 Tzvetan Todorov. "Limites d'Edgar Allan Poe". Les genres du discours. Caracas: Monte Ávila. Ed.
Latinoamericana, 1991. 36 Une critique de Hillway sur la publication de certaines de ses œuvres indique ce qui suit: “Si le public
américain répondait avec quelque enthousiasme à l’allégorie satyrique de Mardi ou au réalisme psychologique
de Pierre, Melville aurait pu être flatté et compter davantage sur sa puissante imagination. Puisque les lecteurs
ont préféré soit le genre larmoyant ou l’aventure exotique et ont semblé horrifiés par toute violation des
conventions littéraires, lui, par contre, a été dégoûté de la réaction du public et a senti que l’adulation des masses
28
emblématiques est Moby Dick (1851). Toutefois, à cette époque, le roman a été un échec qui
l’a discrédité sur le plan littéraire. De même que Poe, il a connu de gros problèmes financiers
et il est mort quasiment oublié de la critique. C’est à partir du XXe siècle que sa littérature a
été réévaluée, puisqu’il est devenu un des plus grands représentants de la littérature
universelle. Tyrus Hillway affirme que “Herman Melville was “rediscovered” by American
readers of the 1920s after more than half a century of neglect. Interest in his writ ings has
increased rapidly ever since, and studies of his life and works have appeared to great
profusion”37.
On trouve aussi Stieg Larsson (1954-2004), écrivain suédois et auteur de la trilogie
Millennium38. Sa saga a été un phénomène éditorial. Toutefois, sa mort précoce après avoir
remis le troisième tome à son libraire, ne lui a pas permis de jouir de la renommée39.
D’autres auteurs ont connu le même sort, méconnus à leur époque, bien qu’ayant publié leurs
œuvres, et ayant dû conserver l’anonymat pour ne pas être poursuivis, exilés et même
emprisonnés. Toutefois, leur legs créatif est pérenne comme s’il s’agissait de véritables
reliques littéraires. Parmi certaines de ces œuvres, on trouve:
Le Lazarillo de Tormes (1554), nouvelle picaresque qui dépeint la société espagnole de
l’époque. Les épisodes narrés permettent au lecteur de connaître les aventures de Lazare,
avec ses bonnes et mauvaises fortunes; notamment, la misère et la faim qu’il a connues en
compagnie de ses maîtres. Cette œuvre, classique de la littérature universelle et a été publiée
ne valait peut-être pas la peine d’être recherchée”. Tyrus Hillway. Herman Melville. New York: Twayne
Publishers, 1979, p. 113. 37 "Herman Melville a été "redécouvert" par les lecteurs américains dans les années 1920 après plus d'un demi-
siècle de négligence. Depuis lors, l'intérêt pour ses écrits a augmenté rapidement, et les études de sa vie et de
ses œuvres sont apparues avec une grande diffusion". Ibid., p. 9 38 Millennium est une saga de feu l’écrivain Stieg Larsson. Elle compte trois tomes: Les hommes qui n’aimaient pas les femmes (2005), La fille qui rêvait avec une allumette et un bidon d’essence (2006) et La reine dans le
palais des courants d’air (2007). 39 Vargas Llosa dans un article d’opinion réfléchit sur le roman de l’auteur: “La nouveauté et le grand succès
de Stieg Larsson est d’avoir inverti les termes habituels et d’avoir fait du personnage féminin l’être le plus
actif, valeureux, audacieux et intelligent de l’histoire et de Mikael, le journaliste forniqueur, un magnifique
second rôle, un peu passif, mais sympathique, bienveillant et dote d’un sens infaillible et presque biologique de
la décence”. Mario Vargas Llosa. “Lisbeth Salander debe vivir”. Éditions El País, SL, 2009. Consulté le 2 avril
2014. http://elpais.com/diario/2009/09/06/opinion/1252188011_850215.html
29
dans l’anonymat, bien que plusieurs critiques aient attribué l’œuvre au “grand écrivain,
diplomate et militaire espagnol”40, Diego Hurtado de Mendoza41.
Le Cantar del Cid42. Selon les recherches de don Ramón Menendez Pidal43, cette œuvre a été
créée en 1140. C’est une chanson épique en langue romance qui se distingue par sa valeur
littéraire et son style. Elle narre les exploits d’un héros aux multiples facettes et présente sa
biographie, ses exploits et son amour pour sa femme et ses filles. Le personnage “n’entre pas
en scène avec ses triomphes et ses victoires, sinon avec ses malheurs et ses misères: l’injuste
exil imposé par le roi don Alfonso, celui-là même contre lequel le Cid avait lutté par le passé
et qu’il se proposait, à présent, de servir loyalement ”44. Le Cantar del Cid, connu également
comme Cantar de Mio Cid est le premier document conservé de la poésie épique espagnole45.
Comme nous l’avons exposé, la relation de la littérature avec l’histoire et les thématiques
abordées, reflètent des appréciations d’un passé où l’histoire assume un rôle principal dans
le développement de la trame. Comme le note Bakhtine, “Le thème de l’œuvre littéraire est
celui d’énoncé complet en tant qu’acte sociohistorique déterminé”46. De même, la mémoire
individuelle et collective, les souvenirs propres et ceux d’autrui, ainsi que les témoignages
sont des sources importantes de la construction des récits. C’est pour cela que ce couple,
littérature-histoire, est incontournable, parce que parfois le discours historique est insuffisant
40 Anonyme. El lazarillo de Tormes. Buenos Aires: Éditions Tor, 1939, p. 5. 41 L’œuvre El lazarillo de Tormes, a été attribuée à divers génies de l’époque, la plupart des critiques espagnols et étrangers les plus éminents, parmi lesquels Julio Cejador y Frauca, Rodriguez Marin, Mila y Fontanall,
Americo Castro et Jose Giner de los Rios, affirmant qu’elle appartient à Hurtado de Mendoza, le Lazarillo de
Tormes étant un des romans picaresques les plus originaux de la littérature espagnole passée. D.H. de Mendoza.
Ibid., p. 7. 42 Anonyme. Cantar del Cid. Madrid: Ateliers graphiques des éditions Espasa-Calpe, 1985. 43 Don Ramon Menendez Pidal (1869-1968), philologue, historien et membre de la royale académie de la langue
espagnole, de 1902 à son décès. Il a été lauréat du prix de la RAE en 1938 pour son travail littéraire autour de
la grammaire et du vocabulaire du poème du Cid, continuant ensuite à travailler sur ce thème et, plus tard, il a
publié une thèse de doctorat intitulée Cantar del mio Cid: texto, gramática y vocabulario. 44 Martin de Riquer. “El Cantar del Cid para el lector actual”. Cantar del Cid. Madrid: Ateliers graphiques des
éditions Espasa-Calpe, 1985, p. 29. 45 […] on peut supposer qu’avant le Cantar del Cid qui a été conservé, ont existé d’autres versions espagnoles
de la geste. Mais décider comment elles étaient, les localiser et les dater est une tâche difficile basée sur des
hypothèses et des données souvent mouvantes et sur lesquelles le philologue peut difficilement raisonner sans
se laisser emporter par des critères personnels sur les caractéristiques de la littérature médiévale et par sa
position face au problème controversé de la transmission des thèmes populaires et légendaires”. Martín de
Riquier. “El Cantar del Cid para el lector actual”. Cantar del Cid. Madrid: Ateliers graphiques des éditions
Espasa-Calpe, 1985, p. 25-26. 46 Mikhaïl Bakhtine. El método formal en los estudios literarios. Madrid: Alianza Editorial, 1994, p. 112.
30
pour rendre compte du passé, de ses reconstructions et des approches possibles des diverses
expériences sociales au fil du temps.
Dans ce cas, tant la littérature que l’histoire forgent une conscience historique chez les
lecteurs, c’est-à-dire que l’écrivain aborde ce que l’être humain aurait pu être ou aurait pu
faire tout au long de l’histoire, recourant à l’enquête, à la spéculation et à la distorsion; tandis
que l’historien replace le sujet dans divers contextes ou époques et relate les faits avec la
plus grande objectivité possible. Ordoñez Díaz déclare que les deux types de connaissances,
celle de la littérature et celle de l’histoire, montrent “la précarité de notre participation à
l’histoire”47 et il rappelle constamment les réalités potentielles sur le faire, le penser et le dire,
à une époque déterminée.
Or, la combinaison intentionnelle du matériel officiel sélectionné par l’auteur avec les
techniques narratives propres à la littérature prend de l’importance et gagne en nuances, le
contexte d’un pays en guerre pouvant être utilisé comme produit narratif. En plus, pour la
création du roman, “il faut comprendre et voir la vie de telle manière qu’elle puisse se troquer
en matériel de roman, il faut voir les nouvelles relations plus profondes et plus amples, ainsi
que les mouvements de la vie à grande échelle”.48
Sur les relations entre histoire et littérature, il convient de se rappeler des mots de Pérez: “Il
y a plusieurs courants interprétatifs sur lesquels repose un discours historiographique; tous
assument le passé comme objet d’études et recréent un contexte dans lequel la théorie, la
synthèse et la généralisation supplantent le détail, l’expérience et le récit”49; alors que “la
littérature est l’édification de tout raisonnement et sentiment naturel et artificiel. C’est dire
que la littérature est le lieu de l’expérience humaine à partir d’une perspective beaucoup plus
ample, hétérogène, fragmentaire et polyphonique”50. Dans cet ordre d’idées, tant les discours
47 Leonardo Ordoñez Diaz. “Historia, literatura y narración”, loc. cit. Disponible sur:
http://www.redalyc.org/pdf/811/81111930011.pdf 48 Mikhaïl Bakhtine. El método en los estudios literarios, op. cit., p. 215. 49 Yorgy Pérez. “La relación entre la historia y la literatura: (con) fusión para (re)presesentar la experiencia
(des)humana. Argos, [online]. Vol. 29, nº 56, 2012, p. 43. Disponible sur :
http://www.scielo.org.ve/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0254-16372012000100004 50 Ibidem.
31
historiographiques que la littérature s’approchent d’un passé, qu’il soit proche ou éloigné
pour les écrivains et leurs lecteurs. Dans ces contextes, historiographiques et littéraires, les
évènements sociaux, politiques, économiques, entre autres, font partie de cet exercice de
réflexion que réalisent les historiens tout comme les romanciers, conformément à leurs
préoccupations, champs disciplinaires et références multiples sur l’histoire d’un pays et ses
problématiques.
Par conséquent, l’une et l’autre, c’est-à-dire l’histoire et la littérature, s’opposent pour
générer des mécanismes de réflexion et de dialogue autour d’éventuelles questions sur un
passé qui hante le souvenir et la mémoire. De même, elles s’immergent dans la recherche
d’éventuelles réponses sur divers évènements, problématiques sociales qui sont toujours en
vigueur dans un monde en constante transformation. Il convient d’ajouter qu’au niveau de la
créativité et de la hâte de représenter des moments particuliers du passé, on se sert de ces
regards rétrospectifs qui donnent accès à des réalités complexes qui sont abordées pour
donner du sens. Par conséquent, Pérez affirme que:
La literatura se convierte en espejo de múltiples reflejos; por ejemplo, la denuncia en contra de
la identidad y la construcción de lo auténtico nacional, síntomas de una crisis […] pero también
en una oportunidad para la reflexión y la imaginación de un fragmento de nuestra existencia51.
En reprenant la perspective de Pérez, on peut considérer que les romanciers ont le pouvoir
de dépasser les limites et la ligne d’horizon pour transporter leurs lecteurs à des moments
spécifiques de l’histoire nationale, permettre la révélation de faits passés et parcourir des
lieux grâce à leur commune imagination; je veux dire tant celle des écrivains que celle de
leurs lecteurs. Leurs constructions relatives à des histoires officielles et non officielles
admettent des rapprochements pour la compréhension et l’interprétation de réalités
potentielles.
Dans cette optique, dans le narratif on trouve de manière récurrente diverses formes de
corrélation avec le passé où la reconstruction à partir de la fiction ou de la connaissance
historique renvoient à la contemporanéité, grâce à la notion d’énergie sociale. Chartier
51 Ibid., p. 45.
32
reprend ce principe proposé par Greenblatt en 1988 quand il considère comme “une notion
clé tant pour le processus de création esthétique que pour la capacité des ouvrages de
transformer les perceptions et les expériences de leurs lecteurs ou spectateurs”52. C’est ainsi
que le narratif inclut divers langages et discours dans la création artistique sur les pratiques
sociales et leurs possibles évolutions. L’énergie sociale dans ce cas est codifiée par les
romanciers comme partie de leurs visions et perceptions du monde pour la transmettre à un
public en particulier.
C’est ainsi que l’humanité et ses conflits font partie de ces deux mondes possibles dans
lesquels diverses réalités ont un sens pour un groupe en particulier, et c'est là que le romancier
s’approprie le contexte d’un passé, et de diverses expériences pour sa création. L’auteur se
caractérise par son incrédulité vis-à-vis des versions présentées des histoires officielles et de
leurs interprétations. En conséquence, il anime de nouvelles relectures et approches de
l’histoire connue pour fournir des réponses possibles, au travers de faits détaillés et
intéressants, puisque l’auteur comme le lecteur participent de manière active et intense à la
séduction de l’imagerie littéraire et au plaisir du texte.
Sarlo, pour sa part, s’immerge dans le temps verbal, comme dans un passé en conflit, c’est-
à-dire où l’histoire “ne peut pas toujours croire la mémoire et la mémoire ne fait pas confiance
à une reconstruction qui ne place pas en son centre les droits au souvenir (droits à la vie, à la
justice, à la subjectivité)"53. De cette manière, il s’avère nécessaire de souligner le besoin des
sociétés de recourir constamment à un passé proche ou lointain, propre ou étranger. En son
sein, on trouvera toujours des situations, entre autres, inimaginables, nouvelles et
mystérieuses qui attirent l’attention des romanciers comme celle des lecteurs, car elles sont
reliées aux souvenirs, témoignages, mémoires individuelles et collectives qui s’installent
dans le présent. Selon Walter Benjamin, il faut signaler que la rédemption du passé par la
mémoire rend possible une approche du passé qui permet de découvrir, explorer et actualiser
des situations de diverses époques selon les intérêts particuliers, tant des auteurs que des
52 Roger Chartier. “Le passé dans le présent: littérature, mémoire et histoire”. Art cultura, Ubrlandia, V. 15, nº
27, juillet-décembre, 2013, p. 30. 53 Beatriz Sarlo. Tiempo pasado. Cultura de la memoria y giro subjetivo una discusión. Iztapalapa: Éditeurs
Siglo XXI, 2006, p. 9.
33
lecteurs54. Il est même possible de retrouver ces traces du passé dans lequel étaient présentes
les sociétés et leurs idéologies, et qui sont ressuscitées par la compilation de mémoires
publiques et privées, ce qui conduit à la rénovation et à de possibles transformations de
l’histoire nationale.
Conformément à ces antécédents, depuis plusieurs décennies, on a mis en évidence cette
proposition narrative dans la littérature colombienne, c’est-à-dire celle dans laquelle les
formes particulières de raconter l’histoire du pays, ses problématiques et histoires
témoignées, font partie du contenu littéraire. Des écrivains comme García Márquez “ont fait
avancer l’idée que leur travail est un fidèle reflet de la réalité”55. Sur ce point particulier,
Menton considère que le romancier latino-américain plonge dans l’histoire et la conscience
de sa patrie où “le protagoniste n’est pas un individu, mais un peuple, une ville ou une
nation”56.
Les études de Lince Campillo57 sur la littérature vue comme “narration d’expériences
historiques” proposent de réfléchir sur son pouvoir de consentir des approches à des moments
très précis des histoires officielles, parvenant à dépasser des horizons où auteur comme
lecteur s’imprègnent d’autres discours et échangent ainsi des significations. Tel est le cas du
prix Nobel colombien dans Cien años de soledad58, œuvre célèbre qui a été considérée par
les historiens comme une source historique pour leurs recherches. À propos du Macondo de
García Márquez, Posada écrit ce qui suit:
Macondo era un lugar próspero hasta que llegó la explotación y la corrupción de la compañía
frutera; la ola de destrucción se completó durante una huelga general, cuando 3000 trabajadores
fueron masacrados por el ejército; este episodio, sin embargo, fue borrado de la memoria
colectiva: a los recuerdos de los sobrevivientes se contrapuso una falsa versión de los eventos,
aceptada por los historiadores y repetida en los textos escolares59.
54 Ibid., p. 34. 55 Eduardo Posada. “La novela como historia. Cien años de soledad y las bananeras”. Boletín Cultural y
Bibliográfico, Vol. 35, nº 48, 1998, p. 5. 56 Seymour Menton. La novela colombiana. Bogotá: Fondo de Cultura Económica, 2007, p. 349. 57 Rosa Maria Lince Campillo. “La relación de poder entre el intérprete de la vida y su texto: la literatura como
narración de experiencias históricas”. México: Universidad Nacional Autónoma de México, Faculté des
Sciences politiques et sociales. Centre d’études politiques. Études politiques nº 30 (septembre-décembre 2013),
pp. 11-30. 58 Gabriel García Márquez. Cien años de soledad. Barcelona: Random House Mondadori, 2012.
59 Eduardo Posada. “La novela como historia. Cien años de soledad y las bananeras”, loc. cit., p. 3.
34
C’est ainsi que l’histoire fictionnelle récréée par García Márquez est présente chez les
lecteurs colombiens comme la version officielle de ces évènements de 1920 quand s’est
produite la tuerie des bananeraies. Est à souligner dans l’histoire de Macondo que “jamais on
ne pourra vérifier le nombre exact de victimes”60; on sait seulement avec certitude que le
nombre était significatif. En tout cas, il reste encore des questions que seule la narration peut
résoudre: “l’idée que les romans sont historiquement plus dignes de foi que l’histoire elle-
même a une large tradition dans la région ”61. Conformément à ce qui précède, l’histoire d’un
pays offre de multiples interrogations toujours sans réponse, l’aboutissement d’une période
historique permettant tant aux historiens qu’aux romanciers d’explorer diverses réalités de
différentes manières en fonction de leurs possibilités.
Dans le cas des discours romanesques, les romanciers tout comme leurs lecteurs peuvent
parvenir à retrouver la trace de divers évènements dans des œuvres littéraires, des objets
culturels ou des témoignages qui se réfèrent à de possibles révélations existantes dans les
textes eux-mêmes. Leurs interprétations permettent que les lecteurs se trouvent liés ou
associés aux personnages avec lesquels ils partagent un certain niveau identitaire qui
transcende la fiction pour devenir réel.
D’autre part, il y a l’effet contraire selon lequel les lecteurs acquièrent de nouvelles
perspectives sur des faits imprévus ou méconnus générant pour eux des modifications de
sens. Ceci permet de reconnaître les limitations face à un évènement historique, ce qui
autorise une prise de conscience de diverses réalités et confère un plus ample regard sur un
fait déterminé, grâce aux discours romanesques. Leurs histoires peuvent être vues sous
l’angle de possibles relations entre moi et un tiers, dans lesquelles on peut vivre des
expériences de mondes étrangers liés aux mondes personnels, en créant de l’identité.
Toutefois, les limites entre fiction et réalité sont lâches pour les écrivains de récits fictionnels
qui recourent à tout type de matériau: visuel, audiovisuel, imprimés, auditif et techniques de
recherche, ils font de même usage de diverses sources pour enrichir leurs écrits et transformer
60 Ibid., p. 10. 61 Ibid., p. 19.
35
les évènements réels en faits fictionnels. De cette manière, ils proposent de nouvelles visions
des faits et des mondes possibles, en les présentant avec le regard de narrateurs-modeleurs
d’histoires.
Par conséquent, dans les histoires fictionnelles, on trouve plusieurs voix narratives, des récits
autobiographiques et des témoignages qui permettent aux lecteurs d’interagir avec ces
réalités exposées; de reconstruire les faits du passé et d’être des témoins actifs de la trame.
L’interprétation de ces mondes possibles et les sujets abordés dans les narrations permettent,
en outre, de mettre en évidence la multiplicité des relations entre les narrations et l’histoire
dans lesquelles selon Figueroa “sont remises en question les structures sociales, on parodie
les discours politiques ou de pouvoir et on multiplie la topographie urbaine”62.
Or, les intentions et les perceptions littéraires des romanciers sont diverses, car l’auteur “écrit
sur certains sujets, car il a imaginé des choses”63; “il fouille aussi dans sa propre expérience
pour inventer des histoires”64. Le romancier montre sa défiance vis-à-vis de la réalité passée;
c’est pour cela qu’il reprend ce passé et le transforme, faisant que ses lecteurs découvrent la
diversité des témoignages uniques afférents à une période de temps déterminée. Le romancier
réfléchit sur divers contextes, agents et évènements qui l’inquiètent ou qui, d’une certaine
manière, ont sollicité son attention.
La preuve en est que dans El país de la canela65, l’écrivain propose une nouvelle version des
faits présentés par l’historiographie, un groupe d’hommes entreprenant une expédition vers
le pays de la cannelle. Il reprend ici des personnages connus de l’histoire comme Gonzalo
Pizarro, conquérant espagnol et principal acteur de diverses conquêtes. Dans ce cas, les
thématiques abordées par différents écrivains, en particulier par ceux qui reprennent l’histoire
du pays, sont considérées comme des “épisodes politiques de “longue haleine” qui, non
seulement sont autant de nouveaux départs pour le pays, mais qui divisent l’histoire de la
62Cristo Figueroa Sánchez. “Ciudades, memoria y ficción en la narrativa colombiana contemporánea. Dos
proyectos significativos: Luis Fayad y Roberto Burgos Cantor”, loc. cit., p. 30. 63 Mario Vargas Llosa. Cartas a un joven novelista. Bogotá: Planeta Colombiana Editorial, 1997, p. 23. 64 Ibidem. 65 William Ospina. El país de la canela. Bogotá: Groupe Editorial Norma, 2008.
36
capitale […] génèrent des tissus culturels caractérisés par l’hétérogénéité, la résistance et le
conflit”66. C’est dire que ces thématiques sont particulièrement latentes dans le monde de la
fiction, comprise comme “un mensonge qui occulte une profonde vérité; c’est la vie qui n’a
pas eu lieu, celle que les hommes et les femmes d’une époque donnée auraient voulu avoir
et n’ont pas eue, et qui pour cette raison ont dû l’inventer”67. Depuis cette perspective, les
discours romanesques permettent diverses dénonciations, conjectures et inclusions pour
introduire dans le présent diverses thématiques et évènements passés sur ce qui a pu se
produire à une certaine époque de l’histoire du pays. Toutes ces nouvelles créations
romanesques sont valides conformément aux perceptions des romanciers comme de leurs
lecteurs. Grâce à elles, tous deux peuvent être transportés vers d’autres espaces, temps et
dimensions pour découvrir et réinventer des vérités possibles, lors d’un processus individuel
de lecture où ils importent autant que le texte.
D’autre part, Bakhtine note que “les évènements sociopolitiques trouvent leur sens dans le
roman grâce à leur relation avec les évènements de la vie privée”68. On pourrait affirmer que
les évènements sociohistoriques, culturels et politiques thématisés dans la narration
contribuent à la compréhension de divers épisodes d’un passé inventé. Pour ce processus, est
mis l’accent sur la participation des divers acteurs actifs tels les personnages, l’auteur et les
lecteurs qui assument divers rôles sur le texte en vertu du fictionnel, de l’écriture et de la
lecture, selon leurs préoccupations et intérêts particuliers.
Pour donner un exemple de ce qui précède, ces acteurs, à partir de leurs rôles de personnages,
d’écrivain ou de lecteurs, passent par des périodes ou des niveaux d’enquête, de spéculation
ou de distorsion, avec l’intention de connaître, entre autres, les détails d’histoires
particulières, de clarifier des situations d’intérêt individuel ou collectif ou d’exposer des
réalités occultes.
66 Cristo Figueroa Sánchez. “Ciudades, memoria y ficción en la narrativa colombiana contemporánea. Dos
proyectos significativos: Luis Fayad y Roberto Burgos Cantor”, loc. cit., p. 31. 67 Mario Vargas Llosa. Cartas a un joven novelista, op. cit., p. 13. 68 Mikhaïl Bakhtine. “Las formas del tiempo y del cronotopo en la novela”. Teoría y estética de la novela.
Madrid: Altea, Taurus, Alfaguara, S.A., 1989, p. 262.
37
Par exemple, dans les romans, les personnages sont des êtres qui influent sur la vie des autres
personnages, même dans d’autres domaines comme celui qui va de la fiction à la réalité. Tel
est le contexte dans lequel se sont présentées de nombreuses situations impliquant différents
romanciers où leurs lecteurs se sentient dans la peau des personnages et, en d’autres termes,
proches des réalités présentées par l’auteur et des droits et gains tirés des produits narratifs.
Tel est le cas du Prix Nobel Gabriel García Márquez qui, de son vivant, a été accusé par
Miguel Reyes Palencia “d’avoir attenté à son honneur et à sa dignité”69 dans Crónica de una
muerte anunciada70. Dans cette affaire, la juge Clementina Godin Ojeda qui a mené le procès
a conclu qu’elle “ne trouvait le nom de Reyes dans aucun des personnages du roman “Crónica
(…)”, sinon qu’elle y voyait une narration “imaginaire de l’écrivain dans laquelle il
impliquait une kyrielle de personnages littéraires”71. De même, le marin Luis Alejandro
Velasco a présenté une action en justice contre le romancier en revendication de droits
“patrimoniaux et moraux”72 pour Relato de un náufrago73 sous le prétexte que son
témoignage avait induit l’auteur à composer cette œuvre74.
69 “García Márquez a gagné son action contre celui qui lui avait inspiré Crónica de una muerte anunciada”. El
comercio: 29 novembre 2011. Consulté le 14 avril 2006. http://elcomercio.pe/luces/arte/garcia-marquez-gano-
demanda-quien-le-inspirocronica-muerte-anunciada-noticia-1341226 70 Gabriel García Márquez (1981). Crónica de una muerte anunciada. Bogotá: Carvajal Soluciones Educativas
S.A.S., 2012. 71 “Garcia Marquez gagne son procès contre l’inspirateur de Crónica de una muerte anunciada”, op. cit.
Consulté le 14 avril 2006. http://elcomercio.pe/luces/arte/garcia-marquez-gano-demanda-quien-le-
inspirocronica-muerte-anunciada-noticia-1341226 72 John Gutierrez. “Gabo a gagné son procès pour Relato de un náufrago”. El tiempo: 7 février 1994. 73 Gabriel García Márquez. Relato de un náufrago. Bogotá: Carvajal Soluciones Educativas 2012. 74 Le romancier Garcia Marquez fait aussi allusion à cet épisode dans Vivir para contarla. Dans sa narration, il
expose l’origine du Relato de un náufrago, les détails de sa construction, l’identité du protagoniste de cette
aventure, en plus des problèmes générés par les médias et les décisions prises par l’écrivain sur la paternité de
l’oeuvre et ses conséquences. García Márquez explique qu’en raison de son admiration pour le marin, il lui a
octroyé les crédits en fin de prologue, avec pour conséquence que les droits lui ont été payés par la maison
d’éditions Tusquets pendant 14 ans. Ce qui suit est tiré du prologue de Relato de un náufrago et de Vivir para
contarla: “Il y a des livres qui n’appartiennent pas à celui qui les écrit, mais à celui qui en souffre, et celui-ci
en fait partie. Les droits d’auteur, en conséquence, iront à celui qui les mérite. Le compatriote anonyme qui a
dû souffrir dix jours sur un radeau sans manger ni boire pour que ce livre soit possible”. Gabriel García Márquez.
Vivir para contarla. Bogotá: Penguin Random House Grupo Editorial, 2014, pp. 521-522. Malgré le geste de l’auteur sur la reconnaissance des droits d’auteur du livre au marin Luis Alejandro Velasco,
ce dernier décida plus tard de l’assigner en justice en quête de majeurs bénéfices; toutefois, la sentence ne lui
fut pas favorable et en fin de compte, il perdit tout. “L’action a été présentée à mon encontre devant le tribunal
22 du circuit de Bogota. Mon avocat et ami Alfonso Gómez Méndez donna alors aux éditions Tusquets l’ordre
de supprimer le paragraphe final du prologue dans les éditions successives et de ne pas payer à Luis Alejandro
Velasco un centime de plus des droits jusqu’à la décision de justice. C’est ce qui se fit. Au terme d’un long
débat incluant des preuves documentaires, techniques et par témoins, le tribunal décida que j’étais le seul auteur
de l’œuvre et ne fit pas droit aux prétentions de l’avocat de Velasco. Par conséquent, les paiements qui lui
38
García Márquez face à cette situation a conclu comme suit: “[…] tous les épisodes qui étaient
autour du drame obéissent à une technique primordiale de l’art du romancier qui consiste à
n’emprunter à la vie réelle que les éléments considérés intéressants d’un point de vue
dramatique et humain et à les reconstruire dans le livre à la guise de l’auteur pour rendre la
vie plus agréable à ses lecteurs”75.
En définitive, les deux récits peuvent avoir été inspirés par des faits réels, mais il faut aussi
souligner leur invention littéraire conformément à des stratégies narratives propres
qu’emploie n’importe quel romancier. “Des centaines d’œuvres littéraires, artistiques et
cinématographiques ont eu pour histoire centrale des faits de la vie réelle, et puis ont été
adaptées selon la perspective de leur créateur, sans que cela constitue un obstacle pour
réclamer les droits économiques afférents”76.
Une autre attitude des lecteurs est qu’une fois le produit narratif mis sur le marché,
apparaissent de nouveaux informateurs qui aimeraient faire entendre leurs témoignages,
histoires vécues ou expériences. Ces personnes vont à l’écrivain en qualité de témoins et de
porteurs d’informations, dans l’intention d’apporter le témoignage de leurs histoires ou de
celles d’autrui sur la thématique exposée par l’auteur. De cette manière, ils lui suggèrent de
réaliser un second livre avec de nouvelles versions et actualisations afin que l’histoire publiée
ait une suite.
Ici, le lecteur-informateur considère que ses histoires et expériences, qu’elles soient les
siennes ou celles d’autrui, ressuscitent dans un monde de fiction. Il est manifeste que les
informateurs ont besoin de partager leurs histoires publiées et privées grâce à la narration
comme outil de communication pour présenter ces situations qui les affecte ou les
enorgueillit77.
avaient été faits jusqu’à ce jour, de mon fait, n’avaient pas eu pour fondement la reconnaissance du marin
comme coauteur, sinon la décision libre et volontaire de celui qui l’avait écrit.” Ibid., p. 521-522. 75 Nora Viater. “García Márquez le ganó un juicio a uno de sus personajes”. Consulté le 05 avril 2016.
http://www.revistaenie.clarin.com/literatura/Garcia-Marquez-gano-juicio-personajes_0_601140075.html 76 Ibidem. 77 Pour donner un exemple de ce qui précède, Vásquez a commenté dans une entrevue certains des inconvénients
qu’il a eus pour trouver des informations de première main sur des témoins ou anecdotes qui lui permettraient
de connaître les détails propres à la construction de son premier roman officiel Los informantes. Pour cette
39
En définitive, les propositions de Bakhtine sur l’écriture de l’histoire et ses mécanismes
renvoient à une réflexion sur les divers évènements et leurs possibles transformations. Le
matériau résultant de la sélection d’expériences, tant individuelles que collectives, que peut
utiliser l’écrivain, est considéré comme infini. Pour le critique, “un texte se transforme ainsi
en un nouveau modèle du monde, qu’on obtient à partir de l’extraposition, de l’excédent ou
de l’excès de visión, et de l’horizon idéologique et de ce qui l’entoure”78. Reprenant la
position du critique, on peut affirmer que les écrivains font usage de leur aptitude narrative
pour recréer des réalités sous divers angles, en évitant les restrictions. L’écrivain se sert de
divers outils qui lui permettent d’idéaliser des personnages, des moments historiques,
d’exposer des réalités comme de possibles vérités sur un passé inconnu.
recherche, l’auteur explique qu’il lui a été difficile de localiser des personnes pour lui parler d’épisodes des
années 40, pour sa thématisation sur la Seconde Guerre Mondiale; toutefois, après la publication du roman, ont
surgi plusieurs informateurs demandant à l’auteur l’exclusivité de relater et faire connaître leurs histoires. 78 José Romera Catillo et al. Bajtín y la literatura. Madrid: Instituto de Semiótica Literaria y Teatral. UNED,
1994, p.16.
40
I.1.2 L’histoire et sa relation avec le discours romanesque
Le temps est humain dans la mesure où il s’exprime sous forme
narrative; à son tour, le récit est significatif dans la mesure où il décrit les
traits de l’expérience temporelle.
Paul Ricœur
La narration du fait historique, en général, et l’intégration de l’histoire dans le roman d’un
écrivain entrent dans la construction culturelle et sociale abordée par diverses disciplines.
L’une d’elles correspond au domaine de la littérature vers lequel convergent plusieurs
discours, tant imaginaires que réels; c’est ainsi que le discours romanesque est doté d’une
infinité d’énonciations qui donnent du sens à des réalités distinctes, dépassant les limites
existantes entre l’histoire officielle d’un pays et ses possibles relations et associations, parmi
lesquelles, l’œuvre littéraire.
De cette manière, la réflexion sur les discours de l’histoire nationale, est généralement une
attribution de l’historiographie qui englobe les discours historiques; or, l’écrivain peut
reprendre ces discours historiques pour les recréer et les transformer en nouvelles
propositions d’ordre esthétique. Pour y parvenir, le discours romanesque a recouru tant au
discours historique qu’à l’imagination de l’auteur pour contextualiser, critiquer, interpréter,
éclairer et parodier des moments, des époques ou des périodes qui font allusion à un
évènement spécifique. Au travers du discours littéraire, se présentent d’autres options de
recherche et d’autres approches possibles visant à trouver des réponses à certains
évènements, interpréter des documents de diverse nature, décrire des faits passés, recréer des
histoires existantes ou irréelles, enfin pour imaginer le littéraire romanesque. Ce processus a
permis que le discours historique focalise son attention sur un passé collectif, alors que le
discours romanesque se préoccupe de ce qui aurait pu se passer; c’est-à-dire qu’il rend
compte de faits inventés et imaginés pour la création de mondes possibles, dont
l’intentionnalité dépend de l’interprétation de chaque lecteur.
À cet égard, Todorov indique qu’il “n’y a pas de faits, mais seulement des discours sur les
faits; par conséquent, il n’y a pas de vérité sur le monde, mais simplement des interprétations
41
du monde”79. Dans cet ordre d’idées, l’histoire d’un pays est connue par des énoncés narratifs
générés par les différentes interprétations, lues et écrites, des actions humaines, des effets du
temps passé et de leur relation avec le présent. Le discours littéraire permet alors une
approche d’un monde infini de réalités qui sont élaborées de manière cohérente pour parvenir
à les comprendre, à partir de divers points de vue et hypothèses. C’est ainsi que le lecteur
commence à interagir avec ces discours en se plongeant dans des mondes potentiels,
référencés et configurés.
Dans cette perspective, il est important d’expliquer comment l’être humain est immergé dans
divers contextes “ émotivo-cognitifs ”80 et sociaux dont il tire parti selon ses intérêts et ses
besoins, à partir de l’interaction avec d’autres. Une de ces interactions est précisément le
domaine de la littérature qui a un rôle historique et social parce qu’elle “explore l’existence
humaine en tant qu’infinité de possibilités”81. C’est possible grâce à la narration littéraire,
entendue comme acte de communication entre un narrateur82 et un narrataire83; tous deux,
constructions textuelles fictionnelles sur la reconstruction de situations communicatives.
Dans ce cadre, nous pouvons souligner que le concept de littérature pour Van Dijk
correspond à “une famille de types de discours, dans laquelle chaque type peut avoir des
structures textuelles très distinctes”84 et avec des fonctions socioculturelles particulières,
comme le discours du roman, par lequel sont thématisés des problèmes historiques, sociaux
et moraux. Cette idée est conforme à celle de Bakhtine quand il énonce que “dans une œuvre
littéraire, peut être abordée une grande diversité de genres discursifs et d’énoncés qui
79 Tzvetan Todorov. "Fiction et réalité". Les morales de l'histoire. Barcelona: Éditions Paidós Ibérica, 1993, p.
120. 80 Teun Van Dijk. “Conferencia 5. Estructuras y funciones del discurso literario”. Estructuras y funciones del discurso. Mexique: Éditeurs Siglo XXI, 2005, p. 116. 81 Leonardo Ordoñez Díaz. “Historia, literatura y narración”, loc. cit., p. 216. 82 Dans le présent paragraphe, le narrateur est “la figure centrale d’une théorie du récit et objet de la principale
“activité” parmi celles présentes dans le pacte de communication narrative”. José María Pozuelo Yvancos.
“Estructura del discurso narrativo”. La teoría del lenguaje literario. Madrid: Cátedra. Crítica y estudios
literarios, 1994, p. 240. De cette manière, le narrateur est le second-moi de l’auteur, et, en d’autres termes,
l’acteur implicite qui narre l’histoire et adopte une perspective, une approche, pour focaliser le récit. 83 Le narrataire est la personne à laquelle est dirigé le discours du narrateur; en d’autres termes, “le récepteur
immanent et simultané de l’émission du discours et qui assiste, depuis l’intérieur du récit, à son émission, à
l’instant précis de sa naissance” Ibidem. 84 Teun Van Dijk. “Conferencia 5. Estructuras y funciones del discurso literario”, loc. cit., p.119.
42
surgissent à partir de la communication entre narrateurs et personnages, principale
caractéristique de l’écriture”85.
Conformément à ce qui précède, les réalités abordées dans les discours, même si elles sont
fictives, c’est-à-dire reliées au discours romanesque, permettent l’auteur de plonger dans les
faits vécus et les expériences auxquels l’être humain est exposé. Aussi ses interprétations du
monde acquièrent-elles un nouveaux sens au travers du discours, qui “fonctionne comme une
métaphore du monde, comme un exemple de ce qui est réel dans l’univers du possible ”86.
C’est le rôle de la littérature de recréer la réalité par l’imagination, mais l’histoire, en tant
que discours officiel sur la réalité d’un pays, est parvenue à jouer un rôle prédominant dans
les divers raisonnements qui l’illustrent, en particulier dans l’historiographie et dans le
roman, comme dimension centrale de l’humanité et du temps. En conséquence, écrivains
indiquent qu’il est nécessaire d’avoir à l’esprit ces histoires dans lesquelles les personnes ne
sont ni des héros ni des héroïnes de leur pays; en d’autres termes, des personnes sans histoire,
mais qui au travers de la narration voient leurs histoires vécues exaltées par le pouvoir de
l’invention, des abstractions et des visions du monde récréées par l’auteur.
Dans une telle perspective, les histoires vécues dans la fiction acquièrent un sens; les
personnages y créent leurs propres conjectures, présentent leurs perceptions de ce que la
société aurait pu expérimenter dans un moment particulier, compte tenu de l’histoire
officielle. Grâce au narratif littéraire, il est possible que les lecteurs recréent des moments du
passé et suscitent des intérêts, entre autres, sur certains évènements, personnages ou lieux.
Nous soulignons la capacité et la liberté du romancier pour recréer ces abstractions, ce qui
rend possible d’accéder, à partir de l’imagination, à un passé latent et changeant.
85 María Antonia Álvarez. “Relevancia de la tipología del discurso literario de Bajtín para una análisis del
narrador – observador en Henry James”. Bajtín y la literatura. Madrid: Instituto de Semiótica literaria y Teatral.
UNED, 1995, p. 155. 86 Graciela Reyes. Polifonía Textual. La citación en el relato literario. Madrid: Éditions Gredos, 1984, p. 108.
43
Par exemple, Germán Arciniegas87, écrivain de l’histoire colombienne, est partisan de l’idée
selon laquelle: “L’histoire a acquis une nuance inconnue de ses propagateurs: ne pas
construire des vies de papier, mais révéler comment ont vécu “les grands”, mais aussi “les
humbles”88. Dans cet ordre d’idées, la représentation de ces expériences vécues, impressions,
infortunes et intérêts de personnages inconnus des histoires officielles, permet aux lecteurs
de découvrir de nouvelles interprétations sur certaines réalités qui sont recréées avec leur
marge de réussite ou d’erreur. En conséquence, l’écrivain littéraire invente un monde et le
représente au travers de ses personnages, que ce soit pour la compréhension ou pour
l’approche de diverses situations fictionnalisées qui peuvent s’avérer véridiques pour les
lecteurs, ou pour la représentation de faits historiques qui se sont effectivement produits, mais
que l’auteur représente de manière imaginaire, exagérant ou modérant les actions et
continuant, toutefois, de les présenter aux lecteurs comme vraisemblables.
Il faut alors relever que le roman, en particulier, contient divers discours parmi lesquels les
discours historiographiques, littéraires (poétique, narratif et dramatique), journalistiques,
repris par l’écrivain pour en faire un roman; c’est-à-dire “ l’imitation au travers du langage”89,
grâce à sa capacité créatrice. Pour ce faire, l’auteur a recours à l’imitation de dialogues
quotidiens qui font partie du contenu du roman; ils sont, en outre, connectés à certains genres
discursifs comme, par exemple, les lettres, poèmes, chansons, textes journalistiques,
rapports, enquêtes, utilisés pour construire des histoires.
Au sujet des genres discursifs, Bakhtine considère que:
Los géneros discursivos organizan nuestro discurso casi de la misma manera como lo organizan
las formas gramaticales (sintáctica). Aprendemos a plasmar nuestro discurso en formas genéricas,
y al oír el discurso ajeno, adivinamos su género desde las primeras palabras, calculamos su
aproximado volumen (o la extensión aproximada de la totalidad discursiva), su determinada
87 Germán Arciniegas (1900-1999), avocat, homme politique, journaliste et écrivain colombien considéré
comme un des plus grands penseurs de son pays. Son intérêt était centré sur les grands mouvements politiques
et sociaux comme le fascisme, le nazisme, le péronisme et les dictatures hispano-américaines. Il nous a légué
environ 78 œuvres divisées en chroniques, reportages, essais, théâtre et roman. Ses histoires ouvraient un débat
sur les histoires officielles. 88 Alexander Betancourt. Historia y Nación. Medellín: La Carreta Editores, 2007, p. 100. 89 Tzvetan Todorov. Les genres du discours, op. cit., p. 14.
44
composición, prevemos su final, o sea que desde el principio percibimos la totalidad discursiva
que posteriormente se especifica en el proceso del discurso90.
En ce sens, le roman absorbe, réélabore, transforme et inclut plusieurs discours par
l’entremise de ses narrateurs et personnages. Si bien que les lecteurs trouvent dans les récits
romanesques une infinité de genres discursifs qui vont en se transformant à l’intérieur d’une
nouvelle réalité donnée; par conséquent, “l’œuvre est reliée à d’autres œuvres-énoncés: avec
celles auxquelles elle répond et avec celles qui lui répondent; en même temps, à l’instar de
la réplique d’un dialogue, une œuvre est séparée des autres par les frontières absolues du
changement de sujets discursifs”91.
Ceci posé, l’origine du discours dans une narration littéraire, comme l’affirme Reyes,
correspond à un narrateur qui est celui qui le produit et l’adresse à un narrataire; c’est alors
que convergent plusieurs énoncés simultanés, tous créés par l’auteur. De cette manière, il y
a multiplicité des voix assumées et reproduites par le narrateur pour fournir toutes les
informations nécessaires, afin que le lecteur reconstruise cet univers narré. En revanche, pour
le critique Pozuelo, le discours narratif “crée la réalité, ordonne et agence l’expérience de
l’évènement”92 ou, en d’autres termes, manipule d’une certaine manière le temps de l’histoire
et sa création dans une dimension temporelle.
Chaque narration est composée d’une série d’énoncés correspondant à la communication
discursive par laquelle les lecteurs peuvent connaître et percevoir l’individualité propre de
chacune des voix du récit. Dans ce cas, le discours offre un monde de possibilités qui, grâce
au langage et aux aspects discursifs propres à chaque personne, fait que les lecteurs puissent
se reconnaître, recréer des mondes possibles, y aller de leurs conjectures, établir des
connexions avec l’histoire et la société.
A ce propos, Bakhtine signale que “ très souvent, le locuteur (ou l’écrivain), dans les limites
de son énoncé, formule des questions, y répond, se dédit et écarte ses propres objections,
90 Mikhaïl Bakhtine: Estética de la creación verbal. Coyoacán: Siglo XXI, 1982, p. 268. 91Ibid., p. 265. 92 José María Pozuelo Yvancos. “Estructura del discurso narrativo”, loc. cit., p. 227.
45
etc.”93. Ceci signifie que les lecteurs, au travers des énoncés présentés dans les œuvres,
peuvent identifier les intentionnalités discursives comme volontés, intentions, désirs et
besoins des sujets énonciateurs. Tel est le cas des personnages dont la fonction réflexive est
aussi celle d’être narrateurs car, à l’intérieur du discours, ils manipulent toutes les
intentionnalités possibles pour que le lecteur connaisse ou non l’histoire, en tout ou partie,
selon leur choix. Même l’auteur qui, conformément à sa vision du monde, au contexte et à
son bagage culturel rend possible l’inclusion d’une infinité de genres discursifs.
Bakhtine souligne en même temps que “l’auteur et son point de vue non seulement
s’expriment par l’entremise du narrateur, de son discours et de son langage, mais en plus au
travers de l’objet de la narration qui est un point de vue différent du point de vue du
narrateur”94. Sur ce thème, Bakhtine octroie une place prépondérante au lecteur comme sujet
récepteur de plusieurs récits; ceux de l’auteur, du narrateur et des personnages. Toutes ces
narrations possibles sont structurées, reliées et conditionnées, conformément au point de vue
de l’auteur, mais assujetties à la lecture interprétative de chaque lecteur. Cette représentation
dialogique permet d’identifier ou non, dans une certaine mesure, l’attitude de l’auteur sur
l’évènement décrit. Nous soulignons que le discours du narrateur est un discours étranger au
discours de l’auteur; toutefois, ce dernier peut s’exprimer par l’intermédiaire de ses
personnages. En définitive, l’auteur est libre de s’autodéfinir ou de présenter ses propres
opinions dans sa narration à travers ses personnages, et le lecteur acquiert la faculté de le
reconnaître ou non.
En ce sens, il est nécessaire de noter que “le genre discursif n’est pas une forme linguistique,
mais plutôt une forme typique de l’énoncé”95, par lequel le mot acquiert un sens
conformément à une réalité et à des évènements spécifiques où confluent plusieurs discours,
laissant au second plan sa fonction sémantique ou sa structure grammaticale.
93 Mikhaïl Bakhtine: Estética de la creación verbal, Ibid., p. 261. 94 Mikhaïl Bakhtine: “La palabra en la novela”, loc. cit., p.131. 95 Mikhaïl Bakhtine: Estética de la creación verbal, op. cit., p. 277.
46
En ce qui concerne la présente analyse du discours romanesque, il appartient “à une classe
de discours qui ont pour trait commun celui d’être fréquemment définis en termes
d’évaluation des lecteurs/auditeurs: le locuteur/auteur veut que l’auditeur/lecteur aime le
discours”96. Pour mener à bien ce processus, l’auteur réalise des échanges d’informations
avec le lecteur par l’intermédiaire du narrateur et des personnages, couvrant plusieurs
périodes historiques; sur des thématiques, des styles, des visions du monde qui coïncident
parfois avec le monde réel. Le lecteur peut agir à l’identique, à partir de la lecture de ces
discours dont:
Il peut apprendre, ce qui est entendu comme se forger des connaissances ou un point de vue qu’il
n’avait pas auparavant ou dont il n’avait pas pris conscience, avec pour résultat qu’il altère ses
opinions en fonction de celles du discours (ou de l’auteur) et, par conséquent, modifie ses
intentions quant à ses actions futures97.
Le lecteur est impliqué dans le discours en ce sens qu’il est capable de connecter certains
épisodes de l’histoire d’un pays avec ce qui est narré par l’auteur, réalisant d’autres
interprétations possibles des évènements. Ce qui est faisable grâce au sujet discursif ou à
l’auteur de l’œuvre qui crée des liens avec d’autres discours et d’autres œuvres, de telle sorte
que le locuteur/auteur du roman recourt à différents discours pour séduire et convaincre le
lecteur de son récit et réduit, en outre, la brèche entre réalité et fiction; c’est-à-dire qu’ “il fait
vivre au lecteur ce mensonge comme si c’était une vérité impérissable, cette illusion, comme
la description de la réalité la plus solide et la plus tangible ”98.
Dans le discours romanesque, l’auteur recourt à des expériences vécues, par lui-même ou par
autrui, construites, entre autres, à partir d’anecdotes, témoignages ou documents qui
transmettent au lecteur une illusion basée sur des images, épisodes historiques et recréaction
de mondes possibles et réels. Le discours se constitue alors sous une forme virtuelle de
représentation dans laquelle l’auteur crée un univers de mondes probables, basé sur diverses
réalités. Par conséquent, “le récit de fiction implique la création de mondes, semblables ou
96 Teun Van Dijk. “Conferencia 5. Estructuras y funciones del discurso literario”, loc. cit., p.134. 97 Ibid. p. 135. 98 Mario Vargas Llosa. Cartas a un joven novelista, op. cit., p. 36.
47
non à la réalité effective, mais, en tout cas, alternatifs par rapport au monde objectif, appuyés
sur la réalité (interne ou externe) et dont l’existence rend le texte possible”99.
Dans la même veine, de multiples discours comme ceux du narrateur et des personnages sont
configurés dans le récit. A propos de celui-ci, Genette indique ce qui suit:
Le récit ne représente pas une histoire (réelle ou fictive), il la raconte, en d’autres termes, il la
signifie au travers du langage, à l’exception des éléments verbaux antérieurs à cette histoire (dialogues, monologues) qu’il n’imite pas non plus, non parce qu’il ne peut pas, mais simplement
parce qu’il n’en a pas besoin, pouvant les reproduire directement ou, pour être plus précis, les
transcrire”100.
Vus sous cet angle, “les modes de (re)production du discours et de la pensée des personnages
dans le récit écrit”101 correspondent selon la critique à un discours intérieur dans lequel sont
analysées les pensées des personnages assumées en propre par le narrateur. On présume alors
que l’histoire reproduit des discours déjà existants, alors que le roman promeut des discours
déjà inventés. C’est ainsi que la production de discours dans le domaine romanesque
correspond à une représentation fictive qui s’appuie tant sur les discours authentiques que
sur ceux qui existaient déjà dans d’autres genres.
Le discours romanesque, alors, “s’alimente en principe des discours correspondants aux
autres genres qu’il accueille en son sein”102. Parmi eux, nous trouvons lettres, journaux,
documents historiques, notices, entretiens insérés dans les textes fictifs, permettant qu’ils
soient lus comme de possibles interprétations de diverses réalités.
A propos de l’approche par les lecteurs des discours des œuvres littéraires, Reyes suggère
que :
La lectura de una obra literaria se enriquece con la reconstrucción de las circunstancias histórica,
sociales, biográficas, en que fue compuesta, y de las normas literarias que le dieron forma; una
obra literaria es un producto histórico porque lo es la enunciación, porque lo es la intertextualidad
99 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit., p. 29. 100 Gérard Genette. Nouveau discours du récit. Madrid: Cátedra, Crítica y estudios literarios, 1998, p. 31. 101 Ibid. P. 36. 102 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit., p. 240.
48
y las instituciones o géneros textuales creados por esa intertextualidad; sacar a una obra literaria
de la historia es negarle el carácter de artefacto cultural103.
Ce qui précède vaut pour le texte du roman, dans lequel le discours peut être construit par la
narrativité de l’histoire; en d’autres termes, on franchit les frontières existantes entre histoire
et roman où se conjuguent personnages historiques et évènements historiques. Dans le
discours romanesque, on peut illuminer, éclairer, recréer des aspects de l’existence humaine,
d’un pays, de la société, d’un fait particulier qui, jusqu’alors, serait passé inaperçu. De même,
ce discours permet de présenter des individus anonymes avec différents rôles sociaux,
contextes et histoires personnelles qui connectent plusieurs manifestations historiques aux
évènements qui se sont déroulés dans un pays, fournissant au lecteur de nouvelles versions
et interprétations des faits.
Dans un tel contexte, pour Bakhtine, les relations dialoguées:
représentent un phénomène beaucoup plus étendu que les relations entre les répliques d’un
dialogue exprimé structurellement, sont un phénomène presque universel qui imprègne tout le
discours humain et tous les liens et manifestations de la vie humaine, en général, tout ce qui
possède un sens et une signification104.
C’est dire que pour Bakhtine le langage romanesque caractérise la polyphonie des voix qui
émergent de l’espace narratif, non comme un discours monologué et individuel de chaque
personnage, sinon comme un concert de voix qui parlent et débattent simultanément à
l’intérieur du discours représenté. C’est la principale caractéristique du roman moderne, créé
pour interpréter la conscience des personnages, chacun s’exprimant avec une voix et un style
propres dans une simultanéité spatio-temporelle narrative. Sous cet angle, il est possible de
lire et d’interpréter l’altérité, au travers de la polyphonie des voix et de leurs transformations
insérées dans les discours, dont les configurations littéraires ont pour résultat diverses visions
du monde, leurs relations polyphoniques, et ces interprétations des récits de chacun des sujets
actifs de l’écriture, que le lecteur présume, sont exposées et perçues dans les dialogues
narratifs grâce à l’interaction des voix qui supposent l’existence de l’autre.
103 Graciela Reyes. Polifonía textual. La citación en el relato literario. Madrid: Ediciones Gredos, 1984, p. 113. 104 Mikhaïl Bakhtine. Problemas de la poética de Dostoievski. Mexique: Fondo de Cultura Económica, 1986,
p. 66.
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A propos du dialogue comme capacité discursive d’interaction dans différents domaines, en
particulier dans le roman, Bakhtine assure que
est toujours présente l’intersection, la consonance ou l’interruption des répliques du dialogue
ouvert grâce aux répliques des dialogues internes des héros. Partout existe un ensemble déterminé
d’idées, de pensées et de mots qui sont acheminés, par le truchement de voix séparées, chacune
ayant un accent différent105.
On comprend alors que l’interaction polyphonique des voix des personnages du roman,
correspond à celles de plusieurs sujets, parmi lesquelles celle de l’auteur, des narrateurs, des
personnages et des lecteurs. Toutes, dit Bakhtine, sont internes comme externes; c’est-à-dire
sonnent à l’intérieur du texte, comme à l’extérieur, se combinent entre elles, favorisant
plusieurs points de vue et opinions à caractère idéologique, social, politique et économique.
En conséquence, la diversité des voix sociales et leurs corrélations occultes ou explicites sont
stylistiquement présentées et recréées par l’auteur. Par leur entremise, sont exposées des
intentions, opinions «dialogisées» intérieurement, énonciations de divers points de vue, non
seulement de l’auteur, mais aussi des narrateurs, des personnages, qui acquièrent ainsi leur
propre liberté de s’exprimer dans le récit considéré.
De manière similaire, Kundera affirme que “l’intention polyphonique reste artistiquement
inachevée”106. En effet, c’est ainsi que tout roman renvoie à la continuité, à une nouvelle
version, à une nécessité d’actualiser l’information, de donner des réponses qui sont rendues
possibles par l’insertion de voix dans les récits pour extérioriser des expériences, présenter
des évènements passés, décrire une situation d’intérêt individuel ou collectif, aller à
l’encontre de l’oubli, entre autres intentionnalités. On peut alors considérer que les deux
concepts donnés par Bakhtine, dialogisme et polyphonie, font référence à la multiplicité et
variété des voix, ainsi qu’aux discours idéologiques présents dans le roman.
Dans le cas du dialogisme, le critique russe note que
105 Bakhtine, Mikhaïl. Estética de la creación verbal, op. cit., p. 194. 106 Milan Kundera. L’art du roman. Paris: Éditions Gallimard, 1986, p. 91.
50
les relations dialogiques représentent un phénomène beaucoup plus étendu que les relations entre
les répliques d’un dialogue structuré dans son expression, sont un phénomène presque universel
qui imprègne tout le discours humain et tous les liens et manifestations de la vie humaine et, en
général, tout ce qui possède un sens ou une signification107.
Pour vérifier cette idée, on peut avancer que l’écrivain, pour recréer son récit, reprend une
grande diversité de manifestations discursives, de sujets immergés dans un monde changeant
et significatif pour lui. De même, toutes les relations dialogiques exposées sont interprétées
dans et en dehors du texte, instaurant ainsi un grand dialogue sur diverses réalités par rapport
à un thème où confluent différentes approches et divers points de vue.
A l’ égard de la polyphonie, elle est entendue par le critique Bakhtine comme “la pluralité de
voix et de consciences indépendantes et impossibles à confondre”108 présentes dans les textes.
Ces voix sont orientées par l’auteur qui est chargé de les mettre en relation avec ces mondes
possibles qui existent dans un récit. Avec pour résultat que les images et perceptions de la
vie des sujets, leurs mondes, expériences et voix, sont présentés comme une approche
artistique, arbitraire et indépendante des sociétés en général, sur diverses scènes et pendant
diverses périodes.
Ainsi, tant les auteurs que ses personnages et ses lecteurs participent aux dialogues, à
l’intérieur comme à l’extérieur de l’œuvre, formant ainsi des mondes polyphoniques sur un
objet et un thème particuliers. Ces relations dialogiques et polyphoniques sont l’expression
des discours des sociétés; ainsi que de leurs manifestations, perceptions, qu’elles soient
publiques ou privées, au travers des discours et voix des personnages et de leurs narrateurs.
Ils sont recréés en tenant compte des diverses idéologies, sociale, politique ou culturelle,
entre autres, qui ont été sélectionnées par l’auteur pour le développement de l’œuvre.
Il s’ensuit que le dialogisme romanesque et la polyphonie renvoient au discours de l’altérité,
c’est-à-dire au discours des autres, présentés et recréés sous forme consciente par l’auteur à
l’intérieur de l’œuvre. A partir de cette perspective, on note alors que les relations dialogiques
et les voix sur lesquelles sont construits les récits sont possibles puisque leur auteur
107 Mikhaïl Bakhtine. Problemas de la poética de Dostoievski, op. cit., p. 66. 108 Ibid., p. 16.
51
pronostique et prévoit des attitudes tant polyphoniques que dialogiques. De ce point de vue,
les contenus et thématiques propres des locuteurs des discours romanesques sont perçus par
les lecteurs, ainsi que leurs pensées et influences. Ce qui précède est possible grâce à la
créativité et aux compétences littéraire, artistique et stylistique des écrivains pour faire
converger plusieurs idéologies et dialogues, aussi bien sociaux que politiques, religieux et
culturels, pour ne nommer qu’eux. De même, l’écrivain rend possible que tant son discours
d’auteur que les personnages dialoguent et interagissent, à l’intérieur d’un même récit vers
lequel converge et diverge une infinité de points de vue, de pensées, au travers d’attitudes et
d’expériences vécues par chacun.
Dans la théorie sur le discours, présentée par Bakhtine, les relations dialogiques sont
constituées par les relations logiques et thématico-sémantiques. L’auteur signale que
ces dernières pour être dialogiques doivent s’incarner, c’est-à-dire qu’elles doivent faire partie
d’une autre sphère de l’être, arriver à être un discours, c’est cela, un énoncé, et recevoir un auteur,
un émetteur d’un énoncé déterminé dont la position exprime cet énoncé109.
Dans cette approche, ces relations dialogiques peuvent être possibles au travers de la
transformation et de la matérialisation du langage dans le discours du narrateur et des
personnages qui transforment le langage en énoncés. Par conséquent, les relations établies
par le langage, en tant que thèmes et significations, se muent en représentations dialogiques
exprimées par les sujets de l’énonciation et se concrétisent dans la compréhension par le
phénomène interprétatif du lecteur.
Conformément à cela, le discours dialogique, déclare Bakhtine, renvoie aussi à l’écriture
“comme subjectivité et comme communicabilité ”110, espaces d’où il est possible de lire
l’autre ou les autres et d’abstraire certains aspects de la société au travers du discours. En ce
sens, il est envisageable de considérer l’ambivalence de l’écriture comme une activité qui
permet à l’écrivain de s’approprier, d’interpréter et d’entrer dans l’histoire pour la recréer et
l’extérioriser.
109 Ibid., pp. 256-257. 110 Julia Kristeva. Le texte du roman. Barcelona: Éditions Lumen, 1974, p. 124.
52
Pour en continuer avec le thème du discours, mais cette fois dans la perspective de Kristeva,
elle propose le concept d’ambivalence, se référant dans ce cas à deux interprétations possibles
comme “l’insertion de l’histoire (de la société) dans le texte, et du texte dans l’histoire”111.
De même, si pour Kristeva, le discours littéraire met en relief l’histoire de la société, pour
Bakhtine ces deux interprétations sont confondues en une seule; en d’autres termes, elles sont
présentes dans un même texte. Ce qui indique que la relation entre le texte et l’histoire perçue
au travers des discours renvoie à différentes manifestations et évènements sociaux passés et
présents dans lesquels est souligné leur caractère mimétique et polyphonique.
Cette attitude est partagée également par Betancourt qui note que “la possibilité de recréer
cette dimension du passé ne devait pas être l’exclusivité de l’histoire, mais qu’elle pourrait
aussi être une tâche à laquelle pourrait participer la littérature”112. De ce point de vue, le
narratif est élaboré au travers des possibles interprétations de l’auteur et de sa compréhension
du passé, à partir de contextes propres ou d’autrui. Tant l’auteur que le lecteur sont conscients
du privilège de la conscience de l’historicité (caractéristique de l’homme contemporain), qui
leur permet de trouver des réponses, reconstruire et imaginer des vies, des périodes, des
évènements à partir de leurs propres contextes pour les reconstruire, remplacer et
comprendre, non seulement le passé, mais aussi le présent.
Dans cet ordre d’idées, pour Bakhtine la conception du langage romanesque “se présente
comme une réalité pluristylistique113 et multilingue114 à l’intérieur de laquelle cohabitent des
éléments de natures très diverses: littéraires et non littéraires, oraux ou écrits115. Concernant
la pluristylistique, on trouve dans le roman une grande variété de voix sociales, organisées
artistiquement et connectées dialogiquement, constituant ainsi une particularité de la
stylistique du roman; alors que le plurilinguisme se rattache à la reconnaissance d’un monde
multiple et d’une société construite verbalement par le romancier pour matérialiser les
111 Ibidem. 112 Alexander Betancourt. Historia y nación, op. cit., p. 100. 113 Bakhtine dans son chapitre sur “la stylistique contemporaine et le roman” affirme aussi que le roman
globalement est “un phénomène multistylistique, discordant et polyphonique”. Voir chez Mikhaïl Bakhtine.
Problemas literarios y estéticos, op. cit., p. 86. 114 Le multilinguisme dans Mikhaïl Bakhtine “El hombre hablante en la novela”, Ibid., p. 168. 115 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit., p. 244.
53
discours des locuteurs. Par exemple, dans le discours du narrateur, on peut retrouver les traces
des “formes linguistiques d’une époque, des dialectes sociaux ou géographiques, des jargons,
des langages générationnels et du métier, ainsi que des langages d’autres œuvres
littéraires”116.
Les théories de Bakhtine distinguent aussi trois moments importants dans le discours
romanesque. Dans le premier, “le locuteur et sa parole sont l’objet de la représentation
verbale et de la représentation artistique”117. C’est possible de par l’inclusion d’énoncés
romanesques entendus comme segments discursifs par lesquels s’expriment les différentes
instances du discours, auquel participent l’auteur, le narrateur et le narrataire118.
En ce sens et en guise d’explication, cette étude fait partie de la translinguistique119, où il est
souligné que “chaque énoncé est plein d’échos et de reflets d’autres énoncés qui se rattachent
à la communication discursive”120. Sous cet angle, les énoncés représentent le monde
romanesque dans sa singularité, comme dans sa généralité, et sont, en outre, considérés
comme de possibles réponses ou réactions à d’autres énoncés. Ce qui entraîne que
l’expressivité d’un énoncé permet que les lecteurs identifient les attitudes des locuteurs face
à leur discours et à celui d’autrui; ainsi que les relations dialogiques qui s’instaurent entre les
locuteurs dans le discours.
Dans un second moment, “le locuteur du roman est un homme essentiellement social,
historiquement concret et déterminé, et sa parole correspond à un langage social”121. A cet
égard, dans le roman, le locuteur représente la société elle-même, ses conduites, actions,
positions idéologiques, entre autres, conformément à l’intentionnalité de l’auteur. Parfois, les
mots de l’auteur peuvent fusionner avec ceux des personnages.
116 Graciela Reyes. Op. cit., p. 117. 117 Mikhaïl Bakhtine. “El hombre hablante en la novela”, loc. cit., p.168. 118 Julia Kristeva. Le texte du roman, op. cit., p. 17. 119 Nous rappelons que dans l’original de l’œuvre de Bakhtine, ce terme correspond à la métalinguistique;
toutefois, le critique Todorov, dans sa traduction française, l’a changé en translinguistique. 120 Mikhaïl Bakhtine. Estética de la creación verbal, op. cit., p. 281. 121 Mikhaïl Bakhtine. “El hombre hablante en la novela”. Problemas literarios y estéticos, op. cit., p. 168.
54
C’est ainsi que l’écrivain/auteur se préoccupe “de ce qui aurait pu arriver, de ce qui pourrait
se passer”122 et, par là-même, il permet à ses lecteurs de découvrir de nouvelles visions,
perspectives, possibilités de conditions humaines connexes à l’exploration de l’histoire. Pour
la mener à bon terme, l’auteur doit réfléchir sur les compositions de ses énoncés et enquêter
aussi sur leurs possibles destinataires et perceptions. Conformément à ce qui vient d’être dit,
on considère que “tout mot littéraire perçoit, avec plus ou moins d’intensité, son destinataire,
lecteur, auditeur et critique, et reflète en soi leurs objections, évaluations, points de vue
anticipés, etc.”123 De la sorte, le mot de l’auteur perçoit le mot d’autrui pour donner des
réponses, l’absorber et le transformer. Ceci permet aux lecteurs de découvrir de nouveaux
aspects et impressions sur un objet particulier de l’histoire. Il importe de prendre en compte
comment le mot d’autrui influe notablement sur le discours de l’auteur et tous deux, l’auteur
et l’autre, fusionnent et se complémentent.
Enfin, le troisième moment, le locuteur du roman est toujours un idéologue et ses mots sont
un idéologème 124. Comme nous l’avons dit, il est nécessaire de souligner que dans le discours
romanesque, on trouve le discours du narrateur et le discours du personnage. Dans le premier,
le style sera distingué, minutieux et tiendra compte de règles littéraires spécifiques basées sur
une société et une époque; alors que dans le second moment, les personnages aborderont des
styles et des dialectes propres, connexes aux règles de reproduction linguistique et à leurs
rôles sociaux, politiques, économiques à l’intérieur du roman. Dans ce cas, l’idéologème
permettant au romancier qu’au lecteur d’avoir de nouvelles perspectives pour affronter et
réfléchir sur le texte et son langage.
En définitive, le discours romanesque permet à l’écrivain d’être autant acteur qu’auteur de
son propre texte, dans lequel les discours sont inachevés et montrent l’engagement social
assumé à l’égard des lecteurs au travers de l’exposé de témoins et la recréation de nombreuses
voix tant sociales qu’historiques. Dans l’exposé de ces voix, sont perçus des traits sociaux et
idéologiques des personnages qui traversent diverses périodes temporelles dans une
atmosphère sociale construite et interprétée, tant par l’auteur que par les lecteurs.
122 Leonardo Ordoñez Díaz. “Historia, literatura y narración”, loc. cit., p. 122. 123 Mikhaïl Bakhtine. Problemas de la poética de Dostoievski, op. cit., p. 274. 124 Mikhaïl Bakhtine. “El hombre hablante en la novela”, loc cit., p. 168.
55
I.2 Mémoire individuelle et collective
I.2.1 La mémoire à partir du roman et autres manifestations artistiques
La mémoire est un élément essentiel de ce qu’il est d’usage d’appeler
aujourd’hui “identité”, individuelle ou collective, dont la poursuite
est une des activités fondamentales des individus et des sociétés
contemporaines, dans la fièvre et l’angoisse.
Jacques Le Goff
Pour créer leurs produits narratifs, les romanciers ont recouru à des expériences temporelles,
aux imaginaires sociaux, à une infinité de mémoires, oublis et souvenirs afin d’évoquer les
questions et liens qui existent potentiellement dans le temps et dans l’espace. Dans ce
contexte, l’imagination inclut et comprend la mémoire pour refaire ou défaire les traces du
passé, récupérer ou recréer des images et amasser des souvenirs.
C’est ainsi que les romanciers se retrouvent avec une foule de mémoires privées et étrangères,
avec en plus une infinité de données sur divers épisodes historiques qui sont abordés,
transformés et interprétés, tant par les écrivains que par leurs lecteurs, pour composer et
recréer des mondes possibles. Grâce à la mémoire, les sujets interagissent avec les faits
historiques, c’est-à-dire avec les évènements présents, passés ou absents, ainsi qu’avec les
faits vécus, en propre ou par autrui, individuels ou collectifs.
La récupération du passé, dans la perspective du romancier, a été une nécessité et une
obsession pour les sociétés. Pour ce faire, les écrivains ont utilisé divers mécanismes de
compilation des données et de réinvention des sources pour intervenir et explorer des réalités
ou abstractions touchant divers contextes et intérêts. En ce sens, on recourt à la récupération
de la mémoire qui permet de replacer dans le présent ce qui est retenu du passé, de le
synthétiser et de le réactualiser. À cette fin, on utilise tous les registres individuels ou
collectifs imaginables qui rendent possible l’obtention d’informations sur le passé et
l’activation des souvenirs; et de même, la reconnaissance de ces derniers malgré la patine du
temps.
Comme nous l’avons mentionné, il exerce diverses typologies de mémoires qui sont traitées
56
consciemment ou inconsciemment, lors de la création du discours romanesque. Pour
rapprocher la mémoire du roman, nous allons faire allusion au concept générique de
mémoires. Ces mémoires sont remémorative, collective, individuelle et historique. Toutes
permettent d’aborder la brèche existante entre le temps, l’histoire et l’oubli.
Dans ce contexte, nous entendons ici par mémoire la capacité qu’ont les sujets de conserver
et d’aborder les informations sur le passé quand elles sont liées aux souvenirs, aux oublis et
aux expériences. À cet égard, Le Goff affirme :
La mémoire collective a constitué un fait historique important dans la lutte pour le pouvoir menée
par les forces sociales. S’approprier de la mémoire et de l’oubli est un des maximaux soucis des classes, des groupes, des individus qui ont enrayé et enraient les sociétés historiques. Les oublis,
les silences de l’histoire sont des révélations de ces mécanismes de manipulation de la mémoire
collective125.
C’est ainsi que Le Goff considère comme une nécessité humaine l’étude de la mémoire en
général, car elle fournit de précieuses informations pour aborder des problématiques de
diverses natures qui permettent de dépeindre l’être humain et l’histoire au travers du temps.
La mémoire, dans ce cas, permet aux sociétés de réviser leur passé et d’éclairer le présent,
même s’il est conflictuel. De ce point de vue, aborder le passé c’est aussi parler du présent,
vu leur similitude. Ces similitudes font référence aux identités, témoignages, discours,
évènements partagés avec d’autres sujets, existants ou créés, et qui, en règle générale,
génèrent un fort impact dans les sociétés contemporaines. Par exemple, prendre le passé en
considération, en particulier celui qui a été marqué par des souffrances et des injustices,
pourrait permettre aux nouvelles sociétés d’être plus vigilantes et ponctuelles dans leur
approche de situations pénibles. En d'autres termes, la reconstitution du passé consent aux
sociétés présentes et à venir le bénéfice de ces expériences vécues pour agir et réagir face à
des évènements conflictuels particuliers.
C’est ainsi que la mémoire est perçue comme la capacité de réunir et d’actualiser certaines
informations du passé, donnant lieu à divers types de spéculations sur certains évènements
historiques, politiques, sociaux, ainsi que sur les histoires vécues par des personnes issues de
125 Jacques Le Goff. “Mémoire”. L'ordre de la mémoire: le temps comme imaginaire. Barcelona: Éditions
Paidós Ibérica, S.A., 1982, p. 134.
57
la sphère publique ou privée. De même, romanciers et lecteurs cogitent sur ces difficultés
associées aux constructions sociales et à leurs milieux. Dans cet ordre d’idées, les faits
remémorés, sous forme collective, individuelle ou historique, assument différents rôles dans
les sociétés contemporaines, apportant de nouvelles révélations sur la construction de
l’histoire d’un pays. Toutes autorisent les interactions entre individus par le stockage, la
recherche et la récupération des informations, ainsi que par la reconnaissance d’expériences
et d’identités pour conférer un sens à la vie.
Or, une des difficultés de la récupération de la mémoire est sa manipulation consciente,
conformément à des fins et intérêts tant individuels que collectifs. Cette difficulté peut être
associée à la censure gouvernementale pour expliciter ou occulter des vérités, réactiver des
émotions tristes ou douloureuses; sans oublier les préoccupations et inquiétudes manifestées
par des artistes ou des penseurs. Dans certains cas, la mémoire en question peut réserver une
pléthore d’informations, alors que, dans d’autres, elle est lacunaire.
Paul Ricœur indique que “les défaillances de la mémoire se réfèrent à la nature des choses
absentes, dont nous nous rappelons lorsqu’elles nous manquent, et à l’antériorité, à la
distance temporelle, à la temporalité propre au souvenir”126. Dans cette perspective, la
mémoire peut être conçue comme un mécanisme de récupération du passé mettant en relief
tant des souvenirs individuels et collectifs que propres ou d’autrui, pour les reconstruire et
échanger des émotions, pratiques sociales, enrichir les histoires et reconstruire les identités.
En ce sens, dans la perspective de la littérature romanesque, on peut être d’accord pour
considérer que “les oublis et les silences de l’histoire sont révélateurs de ces mécanismes de
manipulation de la mémoire collective”127, qui sont reflétés par la mémoire historique,
entendue comme étant du ressort de l’histoire et qui, à son tour, la pousse à recréer des
évènements historiques, extérioriser et matérialiser des perceptions et des sentiments. Tant
les historiens que les romanciers et, entre autres, les chroniqueurs, recourent à la mémoire
historique pour, de ce fait, mettre en lumière et exposer une série de faits historiques à impact
126 Paul Ricœur. La lecture du temps passé: mémoire et oubli. Madrid: Éditions de l’Université Autonome de
Madrid, 1999, p. 30. 127 Jacques Le Goff. “Mémoire”. L'ordre de la mémoire: le temps comme imaginaire, op. cit., p. 134.
58
social. Dans ce contexte, les évènements narrés entrelacent divers liens sociaux et historiques
liés aux histoires officielles d’un pays, conformément aux intérêts et spécificités des
écrivains. Tous hiérarchisent les informations et les classent pour ainsi conquérir un passé
latent.
Pour confirmer ce qui précède, Todorov indique que “la récupération du passé est
indispensable ; ce qui ne signifie pas que le passé doive régir le présent, sinon, au contraire,
que ce dernier fera du passé l’usage qu’il préfèrera”128. C’est ainsi que dans le domaine du
roman, tant les écrivains que les lecteurs peuvent faire usage de diverses mémoires qui
fournissent une infinité de données pouvant être utilisées pour la création, la compréhension
et l’interprétation de nos écrits.
C’est à souligner que le thème de la mémoire et ses divers usages a toujours été présent dans
toutes les sociétés. Pour certains, parler de mémoire, se rappeler ou oublier, est sujet à des
connotations aussi positives que négatives qui, en règle générale, sont associées à des
épisodes douloureux ou notables. Sur les usages, Montoya précise que:
La memoria es una facultad y una facultad interna para ser más precisos. La rememoración es un arte, mejor dicho, una habilidad cuya destreza y técnica en el manejo se justifica en la utilidad
que produce; el artificio que allí se construye es un producto externo, un añadido que por su
eficacia puede incluso producir el peor daño a la memoria: hacer olvidar129.
La mémoire rend possible la reconstruction d’un passé que réclament les sociétés pour révéler
les souvenirs classés. Ces derniers sont ceux qui maintiennent une relation de continuité et
d’appartenance avec le passé et le présent pour la compréhension de réalités, la divulgation
d’évènements et d’incertitudes existants quant aux différents moments et périodes
historiques.
C’est dire que la mémoire peut être abordée à partir de différentes disciplines qui, reliées à
une infinité de sources, permettront de mettre en lumière un épisode déterminé, en sus du
privilège de pouvoir accéder à l’histoire à partir de multiples points de vue. Pour Montoya,
128 Tzvetan Todorov. Les abus de la mémoire. Barcelona: Éditions Paidós Ibérica, 2008, pp. 39-40. 129 José Jairo Montoya Gómez. Paroxismos de las identidades, amnesias de las memorias. Algunas pistas sobre
las alteridades. Bogotá: Éditions Universidad Nacional de Colombia, 2010, p. 17.
59
partager la mémoire avec un groupe particulier invite à construire et reconstruire le passé et
son legs, et permet l’édification d’une société. Enregistrer, stocker, évoquer des émotions,
perceptions, images et situations, permettent au sujet social, en tant qu’être analytique,
d’actualiser et de réélaborer les informations. En conséquence, “l’art de transmettre est l’art
de construire la (les) mémoire(s) de la (des) culture(s), les enregistrements de pratiques qui
portent en elles non pas la manifestation “spirituelle” d’un groupe, sinon la possibilité
d’accumuler pour per-durer”130. A partir de cette perspective, la mémoire est vue comme une
nécessité d’expliquer le passé et une reconnaissance par les individus eux-mêmes en tant que
parties prenantes de la société. Cette dernière offre de multiples approches, expériences
vécues, aspects occultes et oubliés, tous nécessaires pour la réactiver et la diffuser.
Le souvenir et la remémoration131, cette dernière entendue comme synthèse du passé, est du
passé réactualisé dans le présent. C’est ainsi que l’identité collective d’un pays fait partie tant
des épisodes historiques que des contextes politiques dans lesquels bon nombre
d’évènements sont imbriqués et transformés, afin de construire et de reconstruire de
nouveaux scénarios.
De son côté, Ricœur considère que “la mémoire collective se résume à l’ensemble des traces
laissées par les évènements qui ont affecté le cours de l’histoire des groupes impliqués qui
ont la capacité de mettre en scène ces souvenirs communs à l’occasion des fêtes, des rites et
des célébrations publiques”132. C’est ainsi que des romanciers, cinéastes, historiens,
journalistes, photographes, caricaturistes, musiciens, entre autres, ont exploré et abordé
divers moments ou périodes historiques qui ont été soigneusement sélectionnés pour refaire
le passé et affronter l’oubli.
Les artistes sélectionnent certains faits et en écartent d’autres pour donner ainsi une réponse
à leur intentionnalité. Parmi les thèmes récurrents pour eux, on trouve, entre autres, les
guerres, les conflits sociaux, le trafic de stupéfiants, les tueurs à gage, les rapts, le problème
des migrations, les gouvernements, les intérêts, les faits vécus et les idéologies dans les vies
130 Ibid., p. 30. 131 Ibid., p. 56. 132 Paul Ricœur. La lecture du temps passé: mémoire et oubli, op. cit., p. 19.
60
de différents personnages appartenant aux sphères publique et privée. Tous ces faits ont été
significatifs dans la construction de leurs produits artistiques.
Par conséquent, un des nombreux évènements abordés par les chercheurs et artistes est celui
de la Seconde Guerre Mondiale. Ce moment historique est retenu comme matériau
romanesque et filmique depuis des décennies, et il a permis aux écrivains et cinéastes de créer
de nouvelles formes narratives. Leurs discours prospectent, clarifient, occultent, mettent en
évidence ou comprennent ce passé qui n’est autre que la résurgence des mémoires des
sociétés.
Pour certaines sociétés et personnes, existe la nécessité d’oublier ou d’abolir cet évènement
qui a été le théâtre de tant de souffrances et de douleurs; qui a causé tant de pertes humaines
ou matérielles. Supprimer la douleur est conséquence des traces indélébiles qui ont marqué
l’humanité, et dont elle ne voudrait pas se souvenir. Pour d’autres sociétés, ces évènements
peuvent être vus comme des mémoires obligées, présentes et à venir, grâce auxquelles il est
possible de connaître ces histoires pour en tirer des expériences, définir les points communs
avec d’autres évènements, rechercher le bien-être collectif, se reconnaître les uns les autres
et commémorer les victimes du passé.
En conséquence, l’être humain est à la constante recherche de mécanismes alternatifs pour
retrouver le passé et récupérer les traces qui ont été supprimées, maquillées et transformées.
Après avoir compris les réalités passées, la mémoire permet que certains y trouvent du
soulagement et de la justice, en cas d’évènements douloureux, et que d’autres construisent et
reconstruisent identités, souvenirs propres et étrangers, ainsi que leur historicité et
interrelation face à la mémoire et à l’imagination.
A propos de ce qui précède, Todorov écrit ce qui suit:
Ce souci irrépressible du passé peut être interprété comme une preuve de santé d'un pays pacifique où rien, heureusement, ne se passe ou comme la nostalgie d'une époque qui n'existe
plus; toutefois, puisqu'à présent nous savons que ces appels à la mémoire ne possèdent en soi
aucune légitimité tant que ne sera pas précisée leur finalité, nous pouvons aussi nous interroger
sur les motivations spécifiques de tels militants.133
133 Tzvetan Todorov. Les abus de la mémoire, op. cit., pp. 87-88.
61
Par exemple, les souvenirs afférents aux camps de concentration restent actuels dans les
sociétés du fait de différents témoignages, œuvres, films, musées, commémorations,
émissions qui se sont chargés de les conserver pour mieux comprendre ces disputes et
évènements où prévalent le souvenir, l’injustice et l’exclusion.
D’autre part, pour Ricœur la mémoire est menacée par l’oubli des gens de différentes
situations à caractère social, politique et idéologique que génèrent les sociétés. Le philosophe
français propose d’aller à l’encontre de l’oubli pour différentes raisons. La première, à cause
de la nécessité d’évoquer et de reconstruire le passé qui subordonne “la constitution de
l’identité tant collective que personnelle”134, où les sociétés et leurs histoires, étrangères ou
privées, sont recrées à partir de narrations ou d’images. La seconde, du fait de la nécessité de
maintenir l’identité et le patrimoine “au fil du temps et même contre le temps et son pouvoir
destructeur”135. Pour ce faire, on doit récupérer ces vestiges qu’ont laissés nos ancêtres pour
perpétuer les racines de leurs identités. La troisième et dernière, “pour continuer à honorer
les victimes de la violence historique”136 et souligner ces évènements passés pour qu’ils
soient compris et interprétés. Conformément à ces raisons, l’oubli est un des majeurs soucis
des sociétés puisqu’il est révélateur de la manipulation des mémoires et de leurs
reconstructions. C’est ainsi que l’histoire d’un pays amplifie les mémoires, les modifie et
renouvelle, sans les détruire.
D’autre part, des pays comme les États-Unis et la Colombie ont recouru aux mémoires pour
commémorer différentes dates d’intérêt collectif. Pour ne mentionner que certaines d’entre
elles, on fera allusion au monument aux disparus, aux États-Unis, connu également sous le
nom de Memorial day137, et au 9 avril138, en Colombie. Ces deux évènements historiques
appartiennent à la mémoire historique et collective de ces deux pays et ont été abordés dans
134 Paul Ricœur. La lecture du temps passé: mémoire et oubli, op. cit., p. 40. 135 Ibidem. 136 Ibidem. 137 Memorial day, également appelé journée des disparus. Célébration nord-américaine à caractère fédéral
depuis 1971. La date commémorative tombe le dernier lundi de mai et rend hommage à tous les soldats
tombés pendant les combats. 138 Le 9 avril 1948, également appelé Bogotazo, est un des principaux évènements de l’histoire colombienne.
C’est le jour de l’assassinat du candidat présidentiel Jorge Eliecer Gaitan (1903-1948). Ce fait a débouché sur
d’autres violentes manifestations, désordres publics et de nombreux morts au centre de Bogotá.
62
différents récits pendant plusieurs dizaines d’années.
Selon Le Goff, parmi les manifestations importantes ou significatives de la mémoire
collective, on peut citer l’apparition de deux phénomènes aux XIXe et XXe siècles. “Le
premier est l’érection de monuments aux morts, au lendemain de la première guerre
mondiale”139, c’est-à-dire une fois achevée la guerre, en 1918. Cela a permis que les
personnes qui ont eu un rôle notable dans la société ne restent pas dans l’anonymat et qu’on
s’en rappelle au fil du temps et dans les générations futures, non seulement par l’évocation
de la mémoire, sinon pour ce même fait à l’origine de leur notoriété. “Le second est la
photographie qui a conféré une précision et une vérité visuelles jamais atteintes auparavant,
permettant de cette manière de conserver la mémoire du temps et l’évolution
chronologique”140. À ce propos, la photographie a des connotations qui dépassent l’album de
famille et le souvenir social. Photographier des personnes, des lieux, des évènements, est
comme préparer un legs dans lequel les images du passé évoquent et transmettent des
souvenirs dignes d’être conservés par un groupe social particulier.
Dans ce contexte, González Uribe commente :
En los agitados años cuarenta “Foto Sady” fue la primera empresa independiente de reportería
gráfica en Colombia, en la cual trabajaron varios profesionales de la época. En ese entonces los
reporteros gráficos se movían libremente y recogían su versión de los hechos. A diario captaba
lo que ocurría en Bogotá, así como en otras ciudades y países, y enviaba material a los medios.
Sus imágenes hacían parte de las crónicas y reportajes que se publicaban en la revista Cromos et
el periódico El Tiempo, principalmente, y a la vez colaboraba con otros medios como El
Espectador, El Liberal, las revistas Semana y Estampa, La Razón y El Siglo141.
Grâce à la photographie, Sady Gonzalez142 (1913-1979), précurseur aussi du
photojournalisme, a laissé un legs important et inestimable, tombé dans le patrimoine public,
139 Jacques Le Goff. Mémoire. L'ordre de la mémoire: le temps comme imaginaire, op. cit., p. 172. 140 Ibidem. 141 Guillermo González Uribe. “Una cámara registra el 9 de abril”. El saqueo de una ilusión. El 9 de abril: 50
años después. Bogotá: Corporación Revista Número, 2007, p. 17 142 Sady Gonzalez (1913-1979) grâce à son travail de photographe-portraitiste des rues et de la société, les
Colombiens ont pu connaître et se rappeler de quelques-uns des faits les plus marquants de l’histoire de leur
pays. González parvint à être un des photos-reporters les plus influents de son époque; ses photos étaient
publiées dans des revues et journaux prestigieux. Son legs, véritables icônes de certains moments de l’histoire
nationale, est actuellement tombé dans le patrimoine public et géré par la bibliothèque Luis Angel Arango de
Bogotá.
63
de témoignages graphiques sur divers évènements de l’époque à Bogotá. La capitale et ses
faits divers étaient sa principale source d’inspiration. Il a représenté les faits les plus notables
de la ville de Bogotá pendant plus de 40 ans, ce qui a permis aux Colombiens de connaître
certains évènements de leur histoire nationale. Par exemple, dans ses archives personnelles,
on trouve des traces de la néfaste journée du 9 avril 1948, date du “crime politique le plus
célèbre de l’histoire colombienne”143 à l’origine de violentes manifestations, désordres
publics et destructions. On connaît aussi cet évènement sous le nom de Bogotazo144, journée
pendant laquelle le peuple a pris la justice en mains.
Ce thème sur l’assassinat de Gaitán145 a été repris dans différents discours et, en particulier,
dans les romans. Les écrivains se plongent dans ces années tourmentées, marquées par les
injustices sociales, les luttes du peuple pour l’affirmation de ses droits, les magnicides sans
réponses qui sont réinterprétés sous différents angles. C’est ainsi que du narratif surgissent
de nouveaux regards sur les histoires officielles, le passé et ses relations avec le présent,
suscitant de nouveaux témoins qui spéculent sur la réalité des faits.
Dans cette perspective, Andrade assure que les romans écrits autour du phénomène du
Bogotazo sont à l’origine d’une série de romans où s’affirme la violence146, romans qui dans
leur majorité appartiennent à la littérature colombienne du XXe siècle. Il faut signaler que les
études réalisées sur le “roman de la violence” sont insuffisantes, car on trouve une infinité
143 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 13. 144 Le Bogotazo appelé également “9 avril” passe pour être un des premiers actes de violence majeure du XXe
siècle en Colombie. Juan Roa Sierra (1921-1948), assassin présumé du candidat présidentiel Jorge Eliécer
Gaitán, est lynché par les personnes présentes au magnicide; ce qui à son tour a déclenché des faits encore plus
graves lors desquels la capitale fut mise à sac après plusieurs jours de désordres. 145 Jorge Eliécer Gaitán (1903-1948), maire de Bogotá en 1936, candidat à la présidence pour la période 1946-1950, avocat et grand orateur. Connu pour sa célèbre phrase, Je ne suis pas un
homme, je suis le peuple. Antonio Caballero (1945), écrivain, chroniqueur et caricaturiste
colombien, pense que Gaitán a été la première voix du peuple dans le pays et elle continue d’être
considérée la seule, 50 ans après sa mort. En outre, il commente que le leader politique dans son travail comme avocat “ne défendait pas les monopoles ou les investisseurs étrangers, sinon les
assassins et les prostituées, et sa plaidoirie la plus célèbre face au Congrès fut contre le massacre
des ouvriers des bananeraies perpétré par le gouvernement conservateur pour défendre la United Fruit”. “El
hombre que inventó un pueblo”. loc. cit., pp. 71-72. 146 La novela de la violencia fait allusion à un sous-genre narratif utilisé pour se référer aux romans publiés de
1951 à 1972. Les thématiques qui y sont abordées portent sur diverses périodes de violence dans la société
colombienne, sur l’échec des idéaux politiques et la survie de vieilles tensions qui restent encore sans solution.
Les romans sont construits sur des dénonciations ou s’appuient sur la désarticulation de la matrice sociale. On
note une étroite relation dans la construction de l’identité nationale.
64
d’œuvres qui ont été peu commentées. L’intérêt d’Andrade pour la réalisation de son livre
La ciudad fragmentada: una lectura de las novelas del Bogotazo147, repose sur la nécessité
de récupérer la mémoire de cette ville-capitale; en d’autres termes, de récupérer ce passé qu’il
considère comme ayant été enseveli sous l’histoire de la littérature. Selon l’auteur:
Hoy, más de cincuenta años después del nueve de Abril, cuando con motivo del aniversario del
asesinato de Jorge Eliécer Gaitán ha resurgido el interés por discutir el significado y las implicaciones del Bogotazo, es aún más obvia la ausencia de estudios exhaustivos sobre las
novelas que intentan narrar estos hechos. Aparte de catálogos y clasificaciones, o de breves
descripciones temáticas, no existen hasta la fecha textos críticos sobre este grupo de novelas que
de alguna manera intentan explicar el enigma de lo sucedido aquella tarde en esa lejana Bogotá
de menos de seiscientos mil habitantes, y, lo que es más grave, el público desconoce incluso la
existencia de estos textos148.
Dans ce contexte, tous ces évènements historiques entrent dans la mémoire historique,
individuelle et collective d’un pays, sont tenus pour des dates importantes pour les sociétés
où ces commémorations sont rendues nécessaires. C’est ainsi que l’homme cherche divers
moyens de récupérer et de diffuser les mémoires qui s’entrelacent pour générer des souvenirs
communs. Ricœur estime “qu’on ne se rappelle pas seul, mais avec l’aide des souvenirs de
l’autre. En plus, nos souvenirs sont très souvent empruntés aux récits contés par un autre”149.
De même, les souvenirs propres sont liés aux souvenirs des autres qui, à leur tour, sont
consolidés par les commémorations que les sociétés font de l’histoire nationale.
Conformément à cela, les sociétés ont perçu la persistance et l’opiniâtreté de l’homme pour
conserver et se rappeler de ces faits du passé, sans qu’importe combien douloureux ils
peuvent être. En Colombie, par exemple, à partir d’autres activités artistiques comme la
caricature et la musique, les artistes ont recouru à la mémoire et à l’histoire de leur pays pour
entretenir, parodier, transmettre des informations, qu’elles soient réelles ou imaginaires. Les
produits de ces deux activités proviennent aussi d’autres discours. Comme paradigme, la
littérature romanesque où tous les discours sont fusionnés.
Pour l’élaboration et la composition du dessin satirique de presse comme de la musique,
147 María Mercedes Andrade. La ciudad fragmentada: una lectura de las novelas del Bogotazo. Cranston:
Ediciones, 2002. 148 Ibid., p. 4. 149 Paul Ricœur. La lecture du temps passé: mémoire et oubli, op. cit., p. 17.
65
artistes et compositeurs recourent à des expériences, témoignages, anecdotes sur leurs vies et
celle de leur pays. Así mismo, la novelística las ha integrado como parte de sus discursos
narrativos. De même, la littérature romanesque les a intégrés comme partie de ses discours
narratifs. Pour ce qui est des caricatures150, elles sont considérées comme des sources
historiques parce qu’elles enregistrent de manière créative des situations politiques, sociales
et idéologiques des sociétés. Selon Colmenares151, ces dernières correspondent à “une vision
particulière qui emporte une interprétation biaisée par l’humour, la malice ou le désir délibéré
de montrer le ridicule, ou de le créer, autour d’un évènement ou d’un personnage”152. Nous
insistons sur le fait que cette vision est arbitraire et n’entraîne pas de jugements de valeur ;
toutefois, les produits découlant de cette création peuvent être considérés comme de possibles
interprétations de différentes mémoires.
En parallèle, l’humour politique présenté dans les caricatures constitue un matériel d’analyse,
non seulement pour concevoir le présent, mais aussi pour élucider le passé. L’histoire d’un
pays et ses personnages ont été une source d’information pour la création des caricatures, en
particulier des caricatures politiques. Toutes semblent s’être développées “sur le modèle de
la commémoration, de l’anamnèse et de la mémorisation”153, dans lequel la recompilation de
mémoires, tant individuelles que collectives se réfère aux grands évènements et à leurs
transformations dans divers domaines, tout spécialement dans les domaines social et
politique.
Dans cette perspective, dans la caricature politique, la mémoire est recrée au travers de
personnages de l’histoire et de ses conflits. Des caricaturistes comme Ricardo Rendon154
150 La caricature a débuté au XVIIe siècle. Ce terme est issu de l’italien caricare qui signifie porter. Elle se
caractérise par “l’altération de la forme par l’accumulation de défauts, sans rien ôter de sa ressemblance”.
Beatriz González Aranda: “¿Qué es la caricatura? La caricatura en Colombia a partir de la independencia.
Bogotá: Bibliothèque Luis Angel Arango, 2010, p. 15. Ultérieurement, la caricature fut considérée comme un
genre de divertissement qui a eu une grande diffusion. 151 Germán Colmenares (1938-1990). Avocat, philosophe, chercheur et professeur. En compagnie d’historiens,
il a formulé de nouvelles méthodes pour le maniement de documents historiques; tenant compte des: actes notariés, testaments, comptes officiels et caricatures politiques qui ont constitué une rupture avec
l’historiographie traditionnelle. Sa préoccupation et son intérêt pour la recherche s’est centré sur l’étude de
l’histoire colombienne et de ses idéologies politiques. 152 Germán Colmenares. Ricardo Rendón. Una fuente para la historia de la opinión pública. Bogotá: Editores
Tercer Mundo, 1998, p. 9. 153 Jacques Le Goff. Mémoire. L'ordre de la mémoire: le temps comme imaginaire, op. cit., p. 178. 154 Ricardo Rendón (1894-1931). Caricaturiste politique colombien. Ses créations ont été publiées dans les
journaux El Tiempo et La República où il exposait sa position critique à l’égard du gouvernement, des agents
66
(1894-1931), Héctor Osuna155 (1936), Vladimir Flórez156, Vladdo (1963) ont approfondi
divers thèmes colombiens, par le seul recours à l’encre de chine et à leur imagination.
Sur cette base, Ronderos affirme que:
Todos ellos tienen en común el haberse metido con los temas más espinosos de la política criolla
y haber caricaturizado a los protagonistas del poder colombiano con nombre y apellido. Se han
burlado de todos los presidentes de la República, de políticos, empresarios, artistas y militares,
de los más temibles jefes del narcotráfico, la guerrilla y el paramilitarismo, de sus colegas
periodistas y, por supuesto, también de sí mismos157.
Grâce à ses créations, le pays peut accéder partiellement aux mémoires de l’histoire du XXe
siècle en Colombie où la caricature est vue comme le reflet des sociétés qui sont représentées
avec des traits d’humour. Par exemple, Rendón, dans un de ses dessins à contenu politique,
a représenté les injustices de l’État et ses victimes. Sur cette caricature, Ronderos affirme ce
qui suit: “Mais ce fut le massacre des bananeraies qui a démontré, dans toute sa cruauté, la
stupidité et la barbarie du gouvernement d’Abadia. Le général Cortés Vargas a donné l’ordre,
à Santa Marta, de tirer sur une multitude d’ouvriers pacifiques qui cherchait à améliorer ses
conditions de travail”158.
Quant aux caricatures politiques, elles contribuent à la révélation de certains épisodes
historiques qui sont représentés de manière artistique par leurs créateurs comme des vérités
intérieures. Elles façonnent des situations, scénarios, expériences vécues d’intérêt individuel
et collectif, conduisant à de nombreuses interprétations par leurs des destinataires. Dans ce
cas, l’extériorisation de l’inconscient du caricaturiste est mise au service de la société comme
publics et des pactes politiques de l’époque. Sa grande capacité inventive et d’abstraction de la société, lui a
permis d’être considéré comme un des personnages les plus célèbres du XXe siècle. 155 Héctor Osuna (1936) peintre et caricaturiste. Tenu pour un des meilleurs du pays au cours des dernières
décennies. Osuna a publié dans les journaux El Siglo et El Espectador; ses dessins portent sur la vie politique
nationale. Grâce à eux, les Colombiens peuvent reconstruire les évènements les plus importants de l’histoire
colombienne et de leurs administrations; ses créations aussi passent pour être la conscience critique de la vie nationale. 156 Vladimir Flórez (1963) caricaturiste, journaliste et illustrateur colombien. Connu sous le pseudonyme de
Vladdo, il est l’auteur de nombreux livres de caricature journalistique et politique. Â niveau national et
international, on connaît son célèbre personnage féminin d’Aleida qui critique de manière mordace certains
aspects de la vie de couple et du pays. Son livre Aleida X: 10 años lui a permis d’obtenir le meilleur roman
graphique, en 2009, lors de la cérémonie annuelle des Latino Book Awards. 157 María Teresa Ronderos. 5 en humor, op. cit., p. 9. 158 Ibid, p. 106.
67
un outil à finalités diverses; parmi elles, ridiculiser ou démasquer les puissants sans
qu’importent les conséquences de ces productions artistiques. Pour Bernini159, la caricature
“essaie de percevoir la similitude dans la déformité; elle s’approche ainsi davantage du
modèle que le simple portrait ou que la réalité elle-même”160. Par conséquent, il est patent
que le caricaturiste construit une réalité propre, produit de son inspiration et de son habileté,
pour identifier l’essence de l’objet ou du personnage caricaturé.
Image 1-Retour de la chasse
Cortes Vargas: Moi, j’en ai tué cent…!
Abadia: Ce n’est rien. J’en ai tué deux cents.
Source: Germán Colmenares. Ricardo Rendón. Una Fuente para la historia de la opinión pública, op. cit., p.
236.
Dans ces conditions, les caricaturistes disposent du pouvoir de s’immiscer dans les vies
159 Gian Lorenzo Bernini (1598-1680) Un des principaux représentants du style baroque européen pour ses
apports significatifs à la sculpture, à l’architecture, à la peinture et à la caricature. 160 Isabel Paraíso. “Teoría psicoanalítica de la caricatura”. Revue Monteagudo 3e époque nº 3, 1997, pp. 95-104.
68
publiques et privées qui, parfois, restent ignorées par d’autres disciplines. Considérés comme
la violence morale des gouvernements, puisqu’ils extériorisent par leurs dessins les inégalités
des sociétés et de l’opinion publique, les caricaturistes ont, de plus, la possibilité d’être directs
et incisifs lors de la transmission de leurs messages et dans l’ironie de leurs dessins,
contrairement au romancier, au poète ou au musicien dont les messages sont occultes et
ambivalents. Seuls l’art de l’image et celui de la caricature confèrent cette faculté.
Dans cette perspective, la mémoire est “un instrument et un regard jeté sur le pouvoir”161 et
elle permet d’avoir une meilleure compréhension des conflits ou évènements d’intérêt public.
La lutte pour la maîtrise du souvenir, de la reconnaissance, de sa manipulation et de son
contrôle est reliée aux histoires officielles. Ces dernières se manifestent comme témoignages,
sources historiques et critiques des situations données pendant un laps de temps déterminé.
Enfin, la musique aussi est représentative de l’identité et de la mémoire d’un pays. Elle est
en relation avec la politique, les classes sociales et les conflits sociaux, la race, les
expériences vécues, entre autres thématiques qui permettent à leurs auditeurs un parcours
transversal des sociétés. En Colombie, par exemple, dominent deux maîtres du Vallenato162:
Rafael Escalona163 (1927-2009) et Carlos Vives164 (1961).
Ces deux compositeurs ont contribué à la sensibilité musicale et poétique des Caraïbes
colombiennes. En outre, ils se sont inspirés de phénomènes historiques et culturels pour leurs
productions. C’est ainsi que l’on peut considérer que dans leurs productions artist iques, il y
a un intérêt soutenu pour la manifestation de la mémoire au travers de la musique, de
l’histoire du pays et de sa connexion avec la réalité sociale.
161 Jacques Le Goff. Mémoire. L'ordre de la mémoire: le temps comme imaginaire, op. cit., p. 181. 162 Le Vallenato est un genre musical originaire de la côte caraïbe colombienne. Ce genre a du succès au niveau
national et international. En 2013, le Conseil National du Patrimoine du Ministère de la Culture a déclaré le vallenato traditionnel patrimoine culturel de la nation. 163 Rafael Escalona (1927-2009). Compositeur, écrivain et attaché culturel de la Présidence de la République
de Colombie. Grâce à son travail musical, il est considéré comme un des plus grands compositeurs de musique
vallenato et précurseur des traditions du pays. 164 Carlos Vives (1961). Chanteur, acteur et compositeur de musique colombienne. Ambassadeur du vallenato.
Dans ses créations musicales, il fusionne d’autres genres musicaux comme la cumbia, le pop et le rock, ce qui
lui a permis d’être reconnu à niveau national et international ; il a été récompensé à plusieurs reprises par le
Prix Latin Grammy Award.
69
Les expressions musicales de ces deux compositeurs thématisent le quotidien du pays qui
rend loisible l’observation des relations existantes entre genres musicaux, compositions,
éléments narratifs et résultats esthétiques. En conséquence, Cruz165 suggère que l’œuvre
poétique et musicale de Rafael Escalona requiert des études pluridisciplinaires qui soulignent
l’identité culturelle, puisque diverses interprétations du contexte particulier de la chanson,
ses origines, thématiques, discours musicaux, sont des éléments qui pourraient être pris en
considération dans l’étude du vallenato vu comme patrimoine de la nation.
D’autre part, l’œuvre de Carlos Vives a rendu possible la récupération et l’adaptation de
vieilles chansons du folklore colombien, en incluant divers instruments et genres musicaux,
ce qui les a rendues plus attrayantes pour le grand public. La tierra del olvido166, par exemple,
“est avant tout une création collective, typique des langages de percussion afro”167. Ce
discours sur la Colombie révèle, tant le vidéo musical que ses paroles, un ensemble de
descriptions à la recherche des identités, des milieux, des diverses cultures et coutumes du
nord du pays. Dans sa proposition d’identité culturelle colombienne, Vives inspecte les
contenus des paroles et confère de l’importance à la conservation de la mémoire. À cet égard,
Sevilla et d’autres affirment :
La memoria puede ser considerada como un lugar de amarre de la tradición y la modernidad, y
esta conexión es fundamental para entender la particular mezcla de materiales musicales que
caracterizan la obra. La relación con el pasado y con la memoria es la que nos permite entender
cómo y por qué en la obra de Vives se mantienen algunas convenciones culturales que hacen posible la comunicación con audiencias que reconocen códigos del vallenato y las músicas del
Caribe colombiano168.
En conséquence, ces conventions sont modifiées et donnent naissance à de nouveaux genres
musicaux et à des codes sociaux par lesquels la mémoire est visualisée comme une
thématique qui relie le passé au présent, créant de l’identité. C’est possible grâce à son
165Antonio Cruz Cardenas. “Crítica social”. Homenaje Nacional de música popular 1998. Rafael Escalona. Ministère de la Culture, Bogotá: Panamericana Formas e Impresos, 1998, p. 83. 166 La tierra del olvido est le premier disque du chanteur-compositeur Carlos Vives et l’un des plus représentatifs
de l’auteur. En 2015, cette vidéo a été relancée. Y ont participé plusieurs artistes colombiens qui ont présenté
diverses destinations touristiques colombiennes. Voir la vidéo sur Youtube
https://www.youtube.com/watch?v=8jtXhadYIE 167 Manuel Sevilla et autres: “Aspectos narrativos en la música de Carlos Vives y la Provincia”. Travesías por
la tierra del olvido: modernidad y colombianidad en la música de Carlos Vives y La Provincia. Bogota: Éditions
Pontificia Universidad Javeriana, 2014, p. 232. 168 Manuel Sevilla et autres: “Los contenidos: como se caracteriza la colombianidad”, loc. cit., p. 250.
70
existence et aux héritages musicaux qui sont partagés pour projeter un avenir et construire
des idéologies.
Pour conclure, les formes de mémoire: remémorative, collective, individuelle et historique
font partie de l’imaginaire d’un pays où le temps est sans cesse réactualisé par de nouveaux
discours. Il faut souligner que les sociétés ont laissé des legs pour comprendre, interpréter et
révéler plusieurs épisodes qui restent présents dans l’idiosyncrasie des peuples. Toutefois, on
est parfois émigrant, étranger ou d’une autre région, dans des espaces propres où il s’avère
nécessaire de connaître le passé et de le socialiser dans divers milieux et discours. C’est dire
qu’il existe la préoccupation latente de combattre l’oubli et de savoir lire ces traces qui
relèvent d’identités sociales et culturelles.
C’est une approche qui rend nécessaire une meilleure connaissance de l’histoire du pays: ses
mémoires, ses traditions et ses dialogues historiques, pour ainsi poursuivre la construction
d’une identité nationale. Elle peut être cimentée au moyen de diverses ressources textuelles,
qu’elles soient narratives, sonores ou visuelles, pour retourner au passé, comprendre et
interpréter le présent.
71
I.3 Relations Transtextuelles
I.3.1 Typologies de la transtextualité
L’œuvre de chaque romancier renferme une vision implicite
de l’histoire du roman, une idée de ce qu’est le roman;
telle est l’idée du roman inhérente à mes romans,
à laquelle j’ai tenté de donner la parole.
Milan Kundera
La transtextualité est un terme défini et développé par Genette169. Le mot se trouve dans son
livre Palimpsestes dans lequel il l’expose comme la “transcendance textuelle du texte”170,
c’est-à-dire la corrélation existante entre le texte et d’autres textes et contextes. Sur ce point,
le théoricien considère qu’ “un écrivain prend appui sur une ou plusieurs œuvres antérieures
pour élaborer celle où s’investira sa pensée ou sa sensibilité d’artiste”171, et aussi les
éventuelles relations et liens existants entre les œuvres, les thèmes, les formes narratives, les
connaissances et expériences propres ou d’autrui par lesquelles s’extériorise la relation
intertextuelle qui plonge ses racines dans le prochain thème de cette recherche.
Dans cette perspective, la transtextualité consiste à englober plus totalement encore les
possibles relations de compréhension et d’interprétation que le spectateur se fait du monde,
ce qu’exprime l’œuvre d’art au travers de diverses perceptions et appréciations imbriquées
entre elles, qui unissent et désunissent les points de vue et poussent le spectateur à contempler
un espace humain, complexe et hétérogène.
Si l’on met en relation l’approche transtextuelle avec l’œuvre littéraire, cela permet au lecteur
d’identifier une multiplicité de relations proches et distantes, explicites et implicites,
présentes dans les textes et orientant les lecteurs vers la réception et la construction de sens
et de significations. C’est ainsi que le théoricien souligne qu’il “n’y a pas de textes sans
169 Gérard Genette (1930). Théoricien et critique de la littérature d’origine française. Un des créateurs de la
narratologie, ses domaines de recherche se centrent sur l’étude du texte, lui permettant d’approfondir le
phénomène de l’intertextualité qui correspond aux relations qui peuvent se nouer entre une œuvre et d’autres
textes littéraires et extralittéraires. 170 Gérard Genette. Palimpsestes. La littérature au second degré. Paris: Éditions du Seuil, 1982, p. 7. 171 Ibid., p. 448.
72
transcendance textuelle”172, ce qui conduit tant l’écrivain que le lecteur à prendre en
considération des aspects caractéristiques et des formes propres à la textualité.
Il convient de signaler que les écrivains, lors de l’élaboration de leurs produits narratifs,
élargissent suffisamment le plan transtextuel, car il leur confère le privilège d’énoncer tout
type de positions idéologiques, réelles ou fictionnelles, au travers du discours des
personnages qui, de manière fictionnalisée, représentent les expériences déterminées par
l’auteur. De cette manière, le lecteur, compte tenu de son contexte et de ses connaissances,
identifie et découvre la source à laquelle a puisé l’écrivain pour édifier son monde littéraire
et parvenir à l’horizon intertextuel, ainsi qu’à l’association discursive que son esprit
imaginatif lui permet de comprendre.
Sur cette base, Genette a proposé cinq types de possibles relations transtextuelles que contient
chaque texte dans lesquelles “les diverses formes de transtextualité sont à la fois des aspects
de toute textualité et, potentiellement et à des degrés divers, des catégories de textes”173. En
ce sens, la transtextualité appartient à tout texte puisque divers types de textes et de discours
peuvent être référés et inclus dans un texte par rapport à un autre ou à d’autres. C’est ainsi
que les possibles relations présentes dans les textes sont variées, puisque l’auteur les combine
et les interconnecte.
Les analogies transtextuelles selon la classification du théoricien sont les suivantes:
l’intertextualité, la paratextualité, la metatextualité, l’hypertextualité et l’architextualité.
Toutes permettent au lecteur de mettre un texte en relation avec un autre ou d’autres. Il en
découle de possibles associations dans différents domaines et arts, sous forme implicite ou
explicite.
La première relation intertextuelle “dans un ordre approximativement croissant d’abstraction,
d’implication et de globalité”174 que Genette propose, correspond à celle del’intertextualité.
Elle se réfère “d’une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux
ou plusieurs textes, c’est-à-dire, éidétiquement et le plus souvent, par la présence effective
172 Ibid., p. 15. 173 Ibidem. 174 Ibid., p. 8
73
d’un texte dans un autre”175. En d’autres termes, les perceptions des lecteurs de l’œuvre sont
multiples, il est possible d’y trouver des connexions avec des textes antérieurs, postérieurs et
contemporains, selon le bagage culturel de chacun, les recherches menées sur l’auteur, les
contextes et les intérêts personnels.
Ainsi que nous l’avons mentionné, le texte peut être conçu comme un ensemble de plusieurs
discours auquel recourt le créateur littéraire pour comprendre la société à laquelle il
appartient et d’autres idéologies, tissant des liens entre elles. À cet égard, Ricœur indique que
“le monde est l’ensemble de références ouvertes par les textes”176 où les faits narratifs sont
enrichis et recréés comme de nouveaux éléments, tant par les émetteurs que par les
récepteurs. Il est souligné que les deux protagonistes et leurs discours sont présents dans un
monde aux multiples significations, inclusions et exclusions, qui rénove ses produits
esthétiques.
Il convient de répéter que les discours revêtent un sens en fonction du bagage culturel de ces
acteurs qui notent, identifient, découvrent, sélectionnent et interprètent l’infinité de mondes
et de dimensions, soit pour acquérir de l’information, soit pour la compléter, trouver de
nouvelles significations, comprendre certaines réalités et communiquer avec d’autres au
travers de divers discours. Ces relations et associations sont possibles grâce aux liens qui
existent avec les textes qui décrivent le passé individuel et collectif des sujets et d’un pays,
ainsi que les expériences propres, d’autrui et les intérêts particuliers qui rendent possibles de
nouvelles approches de ces productions textuelles esthétiques. Par exemple, dans le discours
romancé, on peut noter plusieurs interprétations d’une même œuvre, dans laquelle auteur et
lecteur se nourrissent d’une multiplicité de textes, de contextes et d’impressions sur un thème
spécifique. Encore faut-il ajouter que les contextes présentés et interprétés sont conditionnés,
entre autres, par les aspects idéologiques, sociaux, politiques, religieux et économiques. La
seconde relation transtextuelle est la paratextualité. Genette la décrit de la manière la
suivante:
Le second type est constitué par la relation, généralement moins explicite et plus distante que,
dans l’ensemble formé par une œuvre littéraire, le texte proprement dit entretient avec ce que l’on
175 Ibidem. 176 Paul Ricœur. Du texte à l'action. Essais d'herméneutique. Buenos Aires: Prometeo libros, 2008, p. 62.
74
ne peut guère nommer que son paratexte: titre, sous-titre, intertitres; préfaces, postfaces,
avertissements, avant-propos, etc.; notes marginales, infrapaginales, terminales, épigraphes;
illustrations, prière d’insérer, bande, jaquette, et bien d’autres types de signaux accessoires,
autographes ou allographes, qui procurent au texte un entourage (variable) et parfois un
commentaire, officiel ou officieux, dont le lecteur le plus puriste et le moins porté à l’érudition
externe ne peut pas toujours disposer aussi facilement qu’il le voudrait et le prétend”177.
La paratextualité indiquée par Genette rend possible l’analyse des textes à partir d’une
relation moins évidente dans la réception d’une œuvre littéraire. L’ensemble de cette relation
paratextuelle permet au lecteur de recourir à d’autres types d’informations qui font partie de
la globalité d’une œuvre. Leur contenu peut être abordé à titre de stratégies culturelles et
textuelles, dans lequel on trouve des notes informatives connexes au texte, à l’auteur, aux
contextes, à l’édition et à la publicité.
Il faut souligner que la révision de ces éléments paratextuels permet au lecteur de créer de
nouvelles perspectives par rapport au texte; c’est-à-dire d’identifier les intentions et les
interprétations tant de l’auteur que des éditeurs et des préfaciers. Ce sont même des œuvres
étudiées à partir de différentes disciplines. Est à noter que ces éléments déterminent la
réception du texte, car ils mettent en contexte le lecteur par rapport à l’œuvre, à l’auteur, à
son projet d’écriture et à la publication; sans oublier qu’ils fournissent des données
supplémentaires pour la construction du sens du texte.
Ces informations permettent aux lecteurs de compléter avec d’autres référents leur
compréhension du texte du roman. Ces référents peuvent être modifiés ou omis par décision
de l’auteur ou des maisons d’édition, à leur convenance. C’est ainsi que le “paratexte est donc
pour nous ce par quoi un texte se fait libre et se propose comme tel à ses lecteurs et plus
généralement au public”178. Dans cette perspective, le paratexte en tant que forme de
compensation rend compte de la présence du texte et de sa réception.
Par conséquent, le paratexte remplit plusieurs fonctions textuelles et contextuelles d’où
émergent deux catégories: le péritexte et l’épitexte. La première fait allusion à “cette première
catégorie spatiale, certainement la plus typique. Autour du texte encore, mais à distance plus
177 Gérard Genette. Palimpsestes. La littérature au second degré, op. cit., p. 9. 178 Gérard Genette. Seuils. France: Éditions du Seuil, 1987, pp.7-8.
75
respectueuse (ou plus prudente), tous les messages qui se situent, au moins à l’origine, à
l’extérieur du livre”179. La seconde, l’épitexte public180 et l’épitexte privé181. Selon Genette,
“est épitexte tout élément paratextuel qui ne se trouve pas matériellement annexé au texte
dans le même volume, mais qui circule en quelque sorte à l’air libre, dans un espace physique
et social virtuellement illimité”182.
Ainsi donc, tous les deux, péritexte et épitexte, sont des caractéristiques fondamentales de
toute œuvre littéraire, qui convergent pour communiquer et faire connaître de possibles
intentions et interprétations de la part des auteurs comme de celle des maisons d’édition.
Toutefois, le paratexte est relié au texte, comme un discours auxiliaire au service du lecteur.
La troisième relation transtextuelle est la métatextualié suggérée par Genette. Pour lui, cette
catégorie “est la relation de “commentaire” qui unit un texte à un autre texte dont il parle,
sans nécessairement le citer (le convoquer), voire, à la limite, sans le nommer […] C’est par
excellence, la relation critique”183. Cette relation est associée à la critique que l’auteur partage
avec le lecteur que ce soit sur le texte, sur un genre littéraire en particulier ou sur la littérature
en général. Ceci est possible au travers d’énonciations sur certaines difficultés autour de
l’écriture de l’œuvre, autour d’objectifs, de réflexions, de techniques d’écriture, entre autres,
qui sont développés dans le texte.
179 Ibid., p. 11. 180 L’épitexte public s’adresse en général au public. Parmi les éléments, on trouve les suivants: “Les interviews
originales annexées aux éditions savantes posthumes, ou les innombrables extraits de correspondance ou de
journal intime cités dans leurs notices critiques”. Ibid., p. 346. Ce type d’épitexte permet aux lecteurs d’obtenir
des informations annexes sur le texte, au travers d’autres discours. Ces informations transitent librement par
des espaces physiques et virtuels. 181 L’épitexte privé est défini par le critique comme “la présence interposée, entre l’auteur et l’éventuel public,
d’un destinataire premier (un correspondant, un confident, l’auteur lui-même) qui n’est pas perçu comme un
simple médiateur ou relais fonctionnellement transparent, une “non-personne” médiatique, mais bien comme
un destinataire à part entière, à que l’auteur s’adresse pour lui-même, fût-ce avec l’arrière-pensée de prendre ultérieurement le public à témoin de cette interlocution”. Ibid., p. 374. Dans ce cas, l’auteur devient le
destinataire de sa propre œuvre. Le lecteur peut trouver dans le texte des messages, recommendations, propos
qui sont présentés par l’écrivain et lui sont aussi adressés. Genette a aussi divisé l’épitexte privé en deux grands
massifs: l’épitexte confidentiel, où l’auteur a pour destinataire un (ou plus rarement plusieurs) confident, soit
par message écrit (correspondance), soit par message oral (confidences, au sens ordinaire du terme), et l’épitexte
intime où l’auteur s’adresse à lui-même”. Ibid., p. 375. 182 Ibid., p. 346. 183 Ibid., p. 10.
76
À titre de complément de cette perspective, Camarero conçoit la métatextualité comme la
métalittérature qui correspond à:
Une littérature de la littérature dans laquelle le texte se réfère, additionnellement à d’autres
éléments, au même texte, une littérature qui se construit sur le processus même de l’écriture et
avec les matériaux de l’écriture elle-même, un ensemble de manœuvres métatextuelles qui sont
incorporées au texte comme un élément de plus du système de délégation programmée de l’œuvre
littéraire184.
C’est ainsi que le discours métatextuel admet les éventuelles réflexions de l’auteur sur sa
création littéraire au sein même d’un espace commun, le texte. Cette intervention de l’auteur,
création et réflexion littéraire, permet aux lecteurs de nouvelles interprétations autour du
processus de rédaction qui est remémoré et présenté pour sa construction dans l’imaginaire
des lecteurs.
La quatrième relation transtextuelle est l’hypertextualité. Le théoricien la définit de la
manière la suivante: “J’entends par là toute relation unissant un texte B (que j’appelerai
hypertexte185) à un texte antérieur A (que j’appelerai bien sûr hypotexte186) sur lequel il se
greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire”187. Il faut signaler que la création
d’un nouveau texte correspond à la représentation d’un autre ou d’autres. Son univers part
des possibles relations et associations avec un autre texte qui acquiert et génère de nouvelles
dimensions et perspectives significatives pour ses lecteurs. Ce nouveau texte répond à
diverses intentions puisque l’auteur reprend les parties structurelles d’un texte antérieur, soit
pour les critiquer ou les parodier, soit pour les transformer postérieurement. Tout cela permet
aux lecteurs d’obtenir et de promouvoir de nouvelles approches et représentations de diverses
réalités au travers de nouveaux discours qui partent de connaissances antérieures.
En conséquence, l’hypertextualité serait cette possible correspondance par laquelle un texte
est transformé et absorbé, générant un fait hypertextuel différent, determiné par une nouvelle
184 Jesus Camarero. Metaliteratura. Estructuras formales literarias. Barcelona: Anthropos Editorial, 2004, p.
10. 185 Selon Genette, Hypertexte se réfère à “tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation simple (nous
dirons désormais transformation tout court) ou par transformation indirecte: nous dirons imitation”. Gérard
Genette. Palimpsestes. La littérature au second degré, op. cit., p. 14. 186 Genette dénomine Hypotexte “le texte d’origine de tout discours possible, son “origine” et son milieu
d’instauration”. Ibid., p. 7. 187 Ibid., pp. 11-12.
77
production qui réorganise et inclut diverses informations. La translation communicative
conduit à la réalisation tant des intérêts propres de l’auteur que des connaissances compilées
à partir de nombreuses sources.
D’autre part, l’hypotexte, contrairement à l’hypertexte, fait référence à ce premier texte ou
au texte précédemment repris par l’auteur, en procédant à de multiples associations pour
générer un nouveau texte. Le résultat est un nouvel hypertexte dérivé du texte antérieur. Tous
deux sont facilement identifiables par les lecteurs en function de leur bagage culturel.
À propos de l’hypertexte et du travestissement comme un des genres officiels de
l’hypertextualité, Genette affirme:
Mais c’est qu’un même hypertexte peut à la fois, par exemple, transformer un hypotexte et en
imiter un autre: d’une certaine manière, le travestissement consiste à transformer un texte noble
en imitant pour ce faire le style d’un autre texte, plus diffus, qui est le discours vulgaire. On peut
même à la fois transformer et imiter le même texte188.
Ce que nous venons de dire confirme le fait que l’hypotexte peut être critiqué, parodié,
transformé et imité, à la fois, dans un même texte, à partir de diverses perspectives, selon le
critère de l’auteur. Cette relation est ambivalente puisque le texte peut se muer en une
dérision ou une critique d’une œuvre antérieure.
De même, le travestissement et le travestissement burlesque correspondent aux genres
hypertextuels officiels, comme nous l’avons mentionné ci-dessus; il en est d’autres aussi,
comme la parodie et le pastiche. Ces genres permettent d’envisager une réciprocité plus
socialisée entre le texte et le lecteur, grâce à une possible transposition et à une modification
stylistique d’une œuvre en fonction d’une autre. Cette condition de lecture implique
l’existence d’une œuvre antérieure.
En parallèle, le travestissement “consiste à transformer un texte noble en imitant pour ce faire
le style d’un autre texte, plus diffus, qui est le discours vulgaire. On peut même à la fois
188 Ibid., p. 39
78
transformer et imiter le même texte”189. Ainsi, le travestissement consiste en une mutation
stylistique d’un texte par laquelle l’auteur présente à ses lecteurs une nouvelle version d’un
thème et d’un contenu antérieurs.
Dans l’hypothèse de l’hypertextualité, Genette propose le travestissement burlesque qui
consistait à:
transcrire en style vulgaire un texte noble dont on conservait l’action et les personnages, avec
leurs noms et leurs qualités d’origine, la “disconvenance” ou discordance stylistique s’établissant
précisément entre la noblesse conservée des situations sociales (rois, princes, héros, etc.) et la
vulgarité du récit, des discours tenus et des détails thématiques mis en œuvre dans l’un et les
autres190.
Comme nous l’avons mentionné, l’hypertextualité oriente le lecteur et se réfère implicitement
et de manière allusive à l’existence et à l’évocation d’une œuvre. Son identification dépend
dans une large mesure de l’interprétation et des connaissances du lecteur qui peut repérer ces
bribes de toute œuvre antérieure; cette dernière s’entend aussi comme l’hypotexte d’une
œuvre.
Par conséquent, le travestissement burlesque est considéré comme la réécriture d’un nouveau
texte qui inclut certaines caractéristiques du texte antérieur. Parmi elles, on trouve le contenu
et le développement de l’histoire déjà élaborée dans un nouvel hypertexte. La nouveauté de
ce produit narratif serait alors le changement de style, de genre et sa nouvelle élocution; en
plus, il ne serait cantonné à aucune époque ou période en particulier.
D’autre part, la parodie selon la réflexion du théoricien français “consistait à appliquer, le
plus littéralement possible, un texte noble singulier à une action (réelle) vulgaire fort
différente de l’action d’origine, mais ayant cependant avec elle suffisamment d’analogie pour
que l’application fût possible”191. Dans cet ordre d’idées, parodier a, en général, pour objectif
d’amuser un public, de décrire un évènement ou une situation, en la ridiculisant pour
satisfaire les besoins et les expectatives des récepteurs.
189 Ibidem. 190 Ibid., pp. 157-158. 191 Ibid., p. 157.
79
Par le passé, la parodie correspondait à la transformation de la rhapsodie en comédie. La
première visait les fragments de poèmes épiques, récités, chantés ou déclamés. En vertu de
cela, l’habileté des parodistes leur permettait de greffer des thèmes ridicules sur des thèmes
empreints de sérieux.
De même, le pastiche est une technique qui a été abordée tant dans le domaine de la littérature
que dans d’autres arts. Il consiste à imiter des textes, des auteurs ou des styles et à les
combiner entre eux pour présenter une nouvelle création afin qu’elle paraisse originale par
rapport à la précédente. Genette a aussi mentionné ce terme pour se référer “à la critique en
action”192 qui vise l’imitation de style.
De même, cet auteur fait référence au pastiche satirique qui correspond à “une imitation
stylistique à fonction critique (“auteurs peu approuvés”) ou ridiculisante”. En conséquence,
cette imitation peut être faite de manière burlesque et grotesque, être pleine d’exagérations
et de fioritures stylistiques.
Il faut préciser que tant l’hypotexte que l’hypertexte font partie de l’hypertextualité, en tant
que modèles et techniques possibles, que ce soit pour imiter, transformer, transcrire ou
présenter une autre relation potentielle, unie et soumise à un autre texte. On dira, en général,
que l’hypotexte est immergé dans l’hypertexte, c’est-à-dire que l’hypotexte rend possible la
création d’un nouvel hypertexte, objet de sa transformation, mais qu’il reste présent dans le
nouveau texte.
Cette pratique de transformation hypertextuelle a été fréquente dans la composition des
discours romanesques. Grâce à elle, certains écrivains conçoivent leurs textes comme
inachevés ou devant être transformés; en d’autres termes, les versions originales sont la
source de secondes versions. Fort de cette approche, Genette considère que “le livre, il ne
faut pas seulement le lire, mais le récrire”193 et c’est ainsi que l’on peut estimer que la
littérature est en constante transformation, comme patrimoine collectif qui promeut
192 Ibid., p. 15 193 Ibid., p. 453
80
l’abolition de l’oubli pour créer de l’identité par rapport au contexte, recréer des faits de
diverses natures ou des situations particulières dans le développement d’une œuvre. En
conséquence, il convient de noter qu’une œuvre littéraire permet de recréer, de rappeler, de
spéculer sur diverses thématiques présentant un intérêt tant individuel que collectif.
En conséquence, les hypertextes récupèrent des vies humaines et privées, ainsi que des
épisodes historiques, politiques ou sociaux, entre autres aspects, pour générer de nouvelles
interprétations et connaître de nouveaux discours, en fonction des intentionnalités des
lecteurs et des écrivains. Par exemple, le lecteur peut se retrouver avec des personnages qui
ont circulé dans d’autres textes et discours, ou immergé dans des épisodes abordés à d’autres
époques et dans un cadre romanesque.
À cet égard, Eco mentionne ce qui suit:
…il arrive que certains personnages littéraires, pas tous, sortent du texte qui les a enfantés pour
migrer à une zone de l’univers qu’il nous est très difficile de délimiter. Les personnages narratifs migrent, quand ils sont chanceux, d’un texte à l’autre, et ceux qui ne migrent pas ne sont pas pour
autant distincts sur le plan ontologique de leurs frères les plus fortunés; ils n’ont simplement pas
eu de chance et nous ne nous sommes plus occupés d’eux194.
Nous devons ajouter à cet égard que tant les hypotextes que les hypertextes stimulent
l’écriture libre qui permet à l’auteur de scruter le passé, soit pour le modifier, soit pour
l’altérer par de nouvelles propositions narratives et interprétations portant sur des histoires
déjà existantes qui ont prévalu pendant une période illimitée. Ainsi, l’existence de textes
inachevés réunit plusieurs auteurs, discours et de multiples représentations.
Enfin, la cinquième relation transtextuelle est l’architextualité195 que l’on appelle aussi “la
littérarité de la littérature”196; elle se réfère à cette information qui permet de classer l’œuvre
194 Umberto Eco. Sobre literatura. Barcelona: Random House Mondadori, 2005, p. 16. 195 Architextualité ou architexte, “c’est-à-dire l’ensemble des catégories générales ou transcendantes – types de
discours, modèles d’énonciation, genres littéraires, etc. – dont relève chaque texte singulier”. Gérard Genette.
La Littérature au second degré, op. cit., p. 7. Le critique aborde aussi le terme d’architexte générique, ou plutôt
transgénérique; cette relation s’entend comme “une classe de textes qui englobe entièrement certains genres
canoniques comme le pastiche, la parodie, le travestissement, et qui en traverse d’autres – probablement tous
les autres: certaines épopées, certains romans, certaines tragédies ou comédies, certains poèmes lyriques, etc.”
Ibid., p. 15. 196 Ibid., p. 7.
81
selon son genre littéraire, ses caractéristiques textuelles et autres aspects importants. En ce
sens, la transtextualité se présente comme une relation silencieuse, car il n’est pas nécessaire
de discourir ou de préciser son genre, ses types de discours ou ses formes d’énonciation.
Cette information peut être perçue de manière implicite par le lecteur en fonction de ses
connaissances antérieures, des recherches sur l’époque de la création de l’œuvre et du
mouvement littéraire qui a présidé à son classement. Ceci permettra au lecteur d’en avoir une
image chronotypique. Il faut souligner que la connaissance de la composition des éléments
de toute œuvre littéraire et de ses caractéristiques permet d’approfondir des éléments propres
et spécifiques tels que le temps, l’espace et le genre littéraire.
Un autre aspect important que le lecteur doit prendre en compte pour parvenir à une
compréhension de lecture optimale, consiste à enquêter sur ces éléments biographiques qui
fournissent une information additionnelle sur la région, la ville, les intérêts propres de
l’auteur et les détails intimes de l’écriture de l’œuvre. Ceci amène le lecteur à avoir un plus
ample panorama et une contextualisation de la conception de l’œuvre, de son évolution et de
sa transformation.
Sous cet angle, nous réitérons que la réception d’une œuvre littéraire est changeante puisque
tous les publics qui les lisent et toutes les périodes de lecture sont hétérogènes. En ce sens, la
notion de genre est partiellement conflictuelle à cause de ses variables, tant stylistiques que
réceptives, qui sont fluctuantes en cours de lecture de toute œuvre littéraire. A cet égard,
Jauss affirme que:
La réception des œuvres est une appropriation active qui en modifie la valeur et le sens au cours
des générations, jusqu’au moment présent où nous nous trouvons, face à ces œuvres, dans notre horizon propre, en situation de lecteurs (ou d’historiens). Or, c’est toujours à partir de notre
présent que nous essayons de reconstruire les rapports de l’œuvre à ses destinataires successifs:
quoique la procédure herméneutique exige constamment que nous opérions la distinction entre
l’horizon actuel et celui de l’expérience esthétique révolue197.
Tout cela permet de souligner que la réception d’une œuvre littéraire est fonction du contexte
et de l’origine de sa création, ainsi que des moments de lecture et de relecture au cours
197 Hans Robert Jauss. Pour une esthétique de la réception. Paris: Éditions Gallimard, 1978, p. 17
82
desquels le texte est déchiffré, sans oublier l’importance du bagage culturel et de l’expérience
littéraire du lecteur. En ce sens, la subjectivité et la perception esthétique propres à chacun
des lecteurs lui permettent de reconnaître et d’interpréter toute œuvre d’art et d’identifier le
genre littéraire auquel elle appartient, ainsi que ses caractéristiques.
Todorov fait un ajout à l’idée antérieure lorsqu’il déclare que “ce ne sont pas les genres qui
ont disparu, mais les genres du passé; et ce n’est pas qu’ils aient disparu, mais plutôt qu’ils
ont été remplacés par d’autres”198. Il convient donc de souligner la transformation continue
des genres et leurs diverses intentionnalités. Ainsi, par exemple, pour les romanciers, les
genres fonctionnent comme des hypotextes d’écriture, qu’il est nécessaire de reprendre et de
transformer, en fonction des expectatives des lecteurs qui sont dépendants des idéologies et
des énoncés émanant des diverses situations discursives.
En conséquence et pour terminer, il apparaît que la relation définitive entre la théorie de la
transtextualité de Genette et la position critique de Todorov est bénéfique puisque cette
dernière approfondit la notion de genre, son origine et ses transformations. Le critique
bulgare assure que, dans la littérature, les genres littéraires et leur étude sont décrits à partir
de l’observation empririque et de l’analyse faite par les lecteurs et les auteurs. À leur tour,
les genres littéraires existent et fonctionnent comme “des modèles d’écriture”199 pour les
écrivains qui écrivent en fonction de ce qui existe déjà, alors que les lecteurs accèdent au
“système générique”200 sans la nécessité d’en avoir ou non conscience. Toutefois, pour sa
pleine jouissance littéraire et l’interprétation des textes, le lecteur a entière liberté de
compréhension, et ceci dépend de son bagage culturel et de sa capacité à nouer des relations
et des associations interprétatives.
En définitive, les diverses formes de transexualité correspondent à “tout ce qui les met en
relation manifeste ou secrète, avec d’autres textes”201. Tant les écrivains que les lecteurs
198 Tzvetan Todorov. Les genres du discours. Caracas: Monte Ávila Editores, 1991, p. 49. 199 Ibid., p. 53. 200 Ibidem. Le système générique ou genres littéraires correspond au classement donné aux textes à partir de
leurs caractéristiques et de leurs propriétés, tant littéraires que discursives, à partir de l’institution de la norme
qui établit cette codification. 201 Gérard Genette. Palimpsestes, op. cit., pp. 7-8.
83
identifient des relations entre les textes, telles que la présence d’autres textes dans le texte,
en plus de la reconnaissance de ces signes accessoires qu’on y trouve, soit pour leur sélection,
soit pour augmenter leur compréhension. Ces relations permettent aussi aux lecteurs et aux
auteurs de connaître et d’élaborer des critiques, des commentaires et des observations sur les
produits narratifs. Aussi est-il possible de noter la multiplicité des associations et des
transformations qui transcendent non seulement les textes, mais aussi d’autres domaines non
littéraires, comme les arts, le cinéma, la musique, la caricature et autres manifestations.
À titre de conclusion sur les catégories théoriques de la transtextualité, nous nous résumerons
en disant qu’elle autorise plusieurs perceptions du monde qui s’extériorisent au travers du
texte selon les intentionnalités et les connaissances, tant des lecteurs que des écrivains. De ce
point de vue, on considère que dans tout discours, spécialement dans le discours romanesque,
l’auteur a été le récepteur de multiples textes qu’il prendra en compte pour ses propres
productions. Dans ce processus de création, l’auteur fait référence à d’autres discours et
artifices narratifs qui sont inclus et présentés en fonction de ses connaissances et de sa
perspicacité. C’est ainsi que ses lecteurs parviennent à les identifier ou à les découvrir selon
leur bagage culturel et leurs expériences de signification et d’actualisation.
84
I.3.2 Le concept d’intertextualité et ses caractéristiques
Il y a plus à
faire à interpréter les interprétations qu’à interpréter les
choses, et plus de livres sur les livres que sur autre sujet: nous ne faisons
que nous entregloser.
Montaigne
Dans l’article antérieur, nous avons expliqué comment l’intertextualité correspond au
premier type de relation transtextuelle, selon Genette. Ce concept a été introduit initialement
par Kristeva dans le texte Le mot, le dialogue et le roman202 qui en a fait le référent de deux
des travaux réalisés par Bakhtine, quand les a abordés comme problèmes fondamentaux des
études structurelles du récit.
À propos de son texte sur Le mot, le dialogue et le roman, Kristeva note qu’il a été écrit en
référence aux œuvres: Problèmes dans la poésie de Dostoïevski et l’œuvre de François
Rabelais203. Les travaux de Bakhtine ont eu une influence notable sur les écrits de théoriciens
et de critiques littéraires, des années 30204 à ce jour. C’est ainsi que l’origine du terme
intertextualité apparaît chez Bakhtine sous le vocable de dialoguisme et de polyphonie
textuelle. De même, il dirige ses considérations théoriques vers la configuration de la
catégorie d’analyse narrative, dénommée polyphonie ou existence de pluralité de voix dans
le roman, véritable apparition de consciences autonomes et caractéristiques, qui font
irruption dans le tissu romanesque, en dialogant simultanément et profusément au sein de
l’univers fictif créé par l’auteur.
En plus, la vision du monde présentée par les romanciers s’inscrit dans une approche tant
artistique que stylistique dans laquelle les personnages interagissent sous forme dialoguée,
avec des voix et des consciences indépendantes, principale caractéristique de la polyphonie.
202 Julia Kristeva. “Le mot, le dialogue et le roman”. Sémiotique 1. Madrid: Editorial Fundamentos, 1978, p.
187-225. 203 Mikhaïl Bakhtine. L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-âge et sous la
Renaissance. Paris: Éditions Gallimard, 1970. 204 Julia Kristeva. “Le mot, le dialogue et le roman”, loc. cit., pp. 187-225.
85
D’après Bakhtine, pour Dostoïevski205 “comprendre le monde signifiait penser tout son
contenu comme simultané et deviner les relations mutuelles des divers contenus en fonction
d’un seul moment206”, pensée très antithétique de la conception que Goethe applicait à la
compréhension de la nature. C’est-à-dire que, alors que Dostoïevski propose, dans la création
de ses romans, la coexistence de consciences simultanées qui analysent, critiquent et
s’opposent par les idées et les sentiments à la particularité d’un fait ou d’un évènement qui
les implique, Goethe suggère la participation de consciences individualisées à des faits
collectifs, mais avec des réactions divergentes sous forme séparée et traditionnelle, en
d’autres termes, non simultanées. En ce sens, la vision tant artist ique que stylistique du
romancier russe repose sur la coexistence et l’interaction de ses personnages dans un contexte
et un espace déterminés. Il faut signaler que ses personnages interagissent entre eux, avec
leurs doubles, leurs alter ego et, de même, avec leurs représentations caricaturesques.
Alors que la vision et la compréhension du monde de Goethe sont plus focalisées sur le temps,
les chronologies et le dénouement des actions, pour Dostoïevski, le monde est hétérogène,
multiface et simultané. Pour cette raison, pour le romancier russe, les contradictions
coexistantes entre ses personnages figurent une suite d’étapes en phase évolutive, dans
lesquelles les expériences passées et les actions présentes se répercutent de manière
significative sur l’avenir. Pour cet auteur, le temps et ses multiples relations sont essentielles
pour la construction de ses récits et font partie de sa conception du monde.
En accord avec Bakhtine, la conception littéraire de Dostoïevski mène à la construction d’un
dialogue polyphonique dans lequel tous les personnages instaurent des communications avec
d’autres, avec leur alter ego et leurs représentations artistiques. De même, ces relations
communicatives et interactives sont mouvantes puisqu’elles sont faites sous l’influence
205 Fédor Dostoïevski (1821-1881). Écrivain d’origine russe dont les écrits plongent leurs racines dans la
description de la conscience de ses personnages; c’est-à-dire la condition humaine vue depuis diverses
approches; en particulier, tout ce qui est connexe à la psyché des sujets. Dans ces conditions, le romancier a été
considéré comme un des principaux exposants du roman psychologique. Ce genre littéraire est aussi connu
comme réalisme psychologique, puisqu’il aborde des thèmes liés aux domaines caractéristiques de la
psychologie, de la philosophie et de la morale. Ses personnages sont caractéristiques car ils laissent entrevoir
leurs émotions, sentiments, pensées les plus intimes; ainsi que les justifications ou condamnations de leurs actes. 206 Mikhaïl Bakhtine. Problemas de la poética de Dostoïevski, op. cit., p. 48.
86
d’autrui exercée par d’autres personnages et auteurs. Sur ce point, Bakhtine indique ce qui
suit sur la narration de Dostoïevski:
Un phénomène aussi habituel chez Dostoïevski que l’apparition de personnages doubles,
s’explique aussi par cette même particularité. On peut affirmer, sans ambages, qu’à partir de
chaque contradiction dans un seul homme, Dostoïevski veut faire deux hommes pour dramatiser
cette contradiction et l’amplifier. Ce trait trouve aussi son expression externe dans la préférence
de Dostoïevski pour les scènes de masse, pour sa tendance à concentrer dans un seul lieu et au même moment, souvent à l’encontre de la vraisemblance pragmatique, la plus grande quantité de
personnes et de thèmes; c’est cela, à concentrer sur un seul instant la majeure hétérogénéité
qualitative possible207.
Comme c’est à supposer, chaque romancier élabore sa vision particulière du monde qui n’est
pas étrangère à la réalité vécue. Il nuance faits, idées ou perceptions, conformément à la
fonction des personnages dans le fait narratif et représente la réalité par niveaux qui se
rapprochent ou s’éloignent de la vérité, mais toujours en recréant le monde d’une manière
neuve et distincte. Par-là, il enrichit sa propre créativité et apporte sa contribution à la
littérature elle-même.
Il faut souligner que les romanciers sélectionnent les mots et les situations, dans lesquels
interagissent leurs personnages, qui sont significatifs et indépendants, non seulement des
autres personnages particuliers du roman en question, mais aussi de ceux d’autres romans.
En ce sens, tant les auteurs que les personnages externes au roman peuvent être idéalisés et
dialoguisés dans d’autres œuvres, permettant ainsi de nouveaux discours ou prononcés sur
un même fait ou évènement. Ces relations qui sont, en outre, dialogiques, car elles permettent
le débat et la controverse, sont possibles dans d’autres discours artistiques comme, entre
autres, les discours journalistique, cinématographique et musical.
Quant au discours littéraire, le romancier parvient à s’enraciner dans des thématiques et des
faits qui l’intéressent, permettant ainsi une grande concentration de personnages qui se
prononcent, réfléchissent et sont autant de voix et de regards hétérogènes.
En ce sens, Bakhtine, note ce qui suit:
207 Ibidem.
87
La conscience chez Dostoïevski n’est jamais autosuffisante, mais elle est liée intensément à une
autre. Chaque fait vécu, chaque pensée du héros est dialogué interieurement, nuancé de manière
polémique, fermée, ou, au contraire ouverte à l’influence d’autrui, et en tout cas ne se concentre
pas simplement sur son objet, mais s’oriente toujours vers l’autre homme208.
D’où le fait que le romancier a la tâche émérite de doter ses personnages de signification et
de fournir les éléments narratifs nécessaires pour qu’ils puissent se développer pleinement
dans le texte et soient indépendants de la pensée propre de leur auteur.
D’autre part, en ce qui concerne l’intertextualité, on peut dire que tant les personnages que
leurs discours non seulement peuvent transiter d’un texte à l’autre, mais encore partager des
consciences, expériences ou conceptions du monde. Selon le théoricien russe, ceci participe
d’une authentique polyphonie qui correspond à la multiplicité des voix existantes dans les
romans. Est souligné le fait que c’est l’auteur qui cherche les “mots provocateurs, incitatifs,
inquisiteurs, dialoguisants et les situations argumentatives correspondantes”209, pour la
réalisation de son discours; toutefois, dans ses énoncés aussi, il est possible de percevoir sa
position idéologique et ses intentionnalités. Nous voulons dire par là que la caractérisation
des personnages et de leurs discours peut surgir du contact qu’a l’écrivain avec son entourage,
avec la réalité, ainsi qu’avec l’idéalisation d’utopies et de modèles littéraires.
Par conséquent, les personnages qui ont transité par d’autres textes et discours possèdent une
grande transcendance sociale pour le public en général, car ils représentent une construction
potentielle et une mimésis d’actions et d’agissements pour les comportements propres de
l’être humain. Cette problématique a été abordée par Garrido Domínguez qui a déclaré ce qui
suit:
Le personnage mange, dort, parle, se met en colère ou rit, se prononce sur le temps qui lui est
échu en partage et, toutefois, les clés de sa compréhension ne résident pas dans la biologie, la
psychologie, ou l’idéologie, mais bien plutôt dans les conventions littéraires qui on fait de lui un
exemple tellement parfait de la réalité objective que le lecteur tend inévitablement à le situer dans le monde réel (même si ce n’est que mentalement)210.
208 Ibid., p. 53 209 Ibid., p. 64 210 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit., p. 68.
88
En conséquence, les personnages ont leur existence propre et peuvent ne pas adopter les
idéologies qui sont celles de leur auteur. Son intérêt se tourne vers une représentation
globalisante de ses personnages, leurs façons de voir le monde, de signifier leurs pensées,
d’élaborer leurs discours et vers l’interaction entre eux, ainsi que vers la relation avec les
autres.
Face à ce dessein, il est signalé que “l’auteur ne nous montre pas son discours (comme le
discours objectivé du personnage), mais il l’utilise à ses fins de l’intérieur, nous obligeant à
percevoir clairement la distance entre lui-même et cette expression d’autrui”211. Pour cela, il
a recours à diverses voix qui appartiennent à une multiplicité de rôles et classes sociales, et
qui donnent leurs appréciations de situations spécifiques recréées par l’auteur.
Dans cette optique, Bakhtine considère que:
Cette vraie qualité d’auteur peut aussi revêtir des formes très différentes, car une œuvre peut être
le produit d’un travail collectif, elle peut découler du travail successif d’une série de générations, etc., mais de toutes manières nous percevons dans son énoncé une volonté créatrice unique, une
position déterminée à laquelle on peut réagir de manière dialogique”212
Ainsi que nous l’avons indiqué, les relations dialogiques peuvent provenir d’autres discours
isolés et, à travers eux, l’auteur peut les citer pour exprimer ses propres convictions
idéologiques. Dans cette perspective, le sujet créateur d’un nouvel hypertexte extériorise son
mot littéraire213 qui s’entend comme le dialogue découlant d’un corpus littéraire à partir du
croisement de diverses écritures.
Paradoxalement, textes et contextes se fusionnent, donnant naissance à de nouveaux discours,
ainsi que “tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption
et transformation d’un autre texte”214. L’écriture, dans ce sens, correspond à une réécriture
dans laquelle l’auteur, grâce à son imaginaire et à l’articulation d’expériences, nous
communique sa perception du monde à partir de discours déjà cités. En ce sens, l’écriture
211 Mikhaïl Bakhtine. Problemas de la poética de Dostoïevski, op. cit., p. 266 212 Ibid., p. 257. 213 Julia Kristeva. “Le mot, le dialogue et le roman”, loc. op. cit., p. 188. 214 Ibid., p. 190.
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comme artifice narratif reprend d’autres discours, les cite, les réfute, les distorsionne, pour
les ajuster convenablement aux intentionnalités propres de l’auteur afin d’élaborer un
nouveau produit narratif.
Il est très important de souligner les diverses acceptions du terme “intertextualité” depuis sa
formulation et au fil de son évolution, selon une étude réalisée par Blanca Inés González et
Myriam Castillo215. Elles peuvent se résumer à trois:
1. L’intertextualité renvoie aux constructions culturelles extratextuelles. Elles sont
réélaborées à partir de la création et de la réception des textes.
En ce sens, le texte correspond à un réseau de références multiples dans lequel le lecteur peut
découvrir et faire ses analyses grâce aux associations réalisées à partir d’autres textes. C’est
ainsi que l’intertextualité, dans ce contexte, présuppose alors des énoncés potentiels qui sont
liés à d’autres produits narratifs, discours et techniques d’écritures telles que la citation, la
mention et l’allusion.
Par conséquent, le concept d’intertextualité renvoie à l’ensemble de contenus et discours
existant dans un texte. Ce résultat implique un réseau de significations, connu de même
comme intertexte qui selon les termes de Riffaterre se conçoit comme “la perception, par le
lecteur, de rapports entre une œuvre et d’autres qui l’ont précédée ou suivie”216. De cette
manière, cette référence intertextuelle dépend de plusieurs acteurs; de l’auteur qui est celui
qui sélectionne les textes et révèle les possibles connections entre eux. D’autre part, les
lecteurs qui sont ceux qui interprètent et donnent leur sens au texte, découvrent et
construisent, en outre, de possibles associations élaborées préalablement par l’auteur à partir
de perspectives propres. Il s’ensuit que le lecteur est un être actif qui doit faire usage de ses
215 L’étude réalisée par les professeurs Blanca Inés González et Myriam Castillo Perilla de la Universidad
Pedagógica Nacional correspond à un projet de théorie littéraire dirigé par 27 professeurs de cette université.
L’étude fait partie du second cahier de la Série Literatura y lectores: “Intertextualité dans Del amor y otros
demonios”, du département de langues. 216 Gérard Genette. Palimpsestes, op. cit., p. 8.
90
connaissances préalables empruntées au milieu socioculturel et tirer parti de sa compétence
encyclopédique pour obtenir diverses interprétations et associations intertextuelles.
2. Comme processus de signification qui s’instaure entre les textes.
En accord avec Zavala, tant l’auteur que le lecteur sont des créateurs de signification, du fait
des relations présentes et existantes qu’ils établissent entre les contextes et les discours. Dans
cet ordre d’idées, le critique chercheur affirme ce qui suit:
Toute étude intertextuelle est une étude d’interdiscursivité et- en particulier de la vie quotidienne-
tout processus intertextuel est aussi un processus d’inter (con) textualité. En d’autres termes,
étudier les relations entre textes et intertextes, c’est aussi étudier les relations entre différents
contextes de signification”217.
C’est à dire que ce processus de signification est possible à cause des associations faites par
les auteurs et les lecteurs sur divers éléments culturels et sociaux. Sur cette base, ils
découvrent d’autres approches et constructions narratives qui sont réalisées à partir de divers
textes et discours. En ce sens, le lecteur, lors de son processus de lecture, interprète et
dialogue avec l’auteur, avec les personnages; sans oublier qu’il identifie ses contextes et
thématiques. Vu sous cet angle, l’écrivain instaure l’intertextualité dans son œuvre, alors que
le lecteur la perçoit.
Par exemple, l’auteur lors du processus d’écriture et de signification instaure de possibles
relations à caractère dialogique et polyphonique par lesquelles il recrée et représente
stylistiquement ses idées et intentionnalités; par contre, le lecteur dans son processus de
lecture, confronte le texte avec d’autres déjà lus et le décodifie selon ses connaissances
encyclopédiques. En conséquence, c’est un processus intellectuel orienté vers un espace
textuel dans lequel on trouve une multiplicité de discours dont le lecteur doit retrouver
l’interprétation à l’intérieur de cet univers littéraire.
Nous suivons Bravo lorsqu’il dit que “le terme encyclopédie fait allusion à l’ensemble de
connaissances que possèdent l’écrivain et le lecteur. Dans le processus de lecto-écriture,
217 Lauro Zavala. “Intertextes et hypertextes. Éléments pour l’analyse de l’intertextualité”. Cahiers de littérature,
volume V, numéro 10. Juillet-décembre 1999. Département de littérature, Faculté des Sciences Sociales.
Pontificia Universidad Javeriana, p. 28.
91
l’auteur et le lecteur font une promenade inférentielle (d’enchaînement d’autres
connaissances, d’œuvres et de contextes en général), en se basant sur des expériences
culturelles”218. En sorte que les compétences inférentielles des deux, de l’auteur et du lecteur,
sont importantes et décisives dans le processus de lecto-écriture d’un texte. Nous soulignons
que les connaissances, souvenirs et intérêts appartiennent à l’ensemble des informations et à
l’encyclopédie qui ont été acquises ou suscitées par les deux parties par l’écriture et la lecture
de l’œuvre littéraire.
3. Correspondent à toutes les références, allusions et pistes de lecture trouvées dans les
textes.
Dans l’œuvre littéraire, l’auteur suppose un lecteur modèle219, capable de suivre à la trace,
d’identifier et de retrouver la présence d’autres textes et discours, ainsi que d’interpréter et
d’actualiser le texte grâce à l’ensemble de compétences linguistiques et à l’actualisation
constante de son encyclopédie. Pour mener à bien ce projet, l’auteur prévoit et sélectionne
des repères distinctifs qui permettent au lecteur d’avoir une information précise et
significative pour aborder et orienter sa lecture du texte.
En conséquence, pour être un lecteur modèle, Umberto Eco suggère qu’il a “le devoir de
retrouver le plus fidèlement possible les codes de l’émetteur”220. Cela suppose que la mission
du lecteur serait alors de découvrir la finalité du texte, les mondes présentés et caractérisés
par l’intentionnalité de l’auteur, ainsi que l’identification de vestiges et de références trouvés
et référencés pour être éventuellement interprétés. Par conséquent, le processus de lecture
renvoie à un dialogue intérieur et extérieur à l’œuvre, duquel surgit une pluralité de voix,
c’est-à-dire celles des écrivains, des narrateurs, des narrataires et même, l’interprétation et la
voix du lecteur en personne qui sont conditionnées par le contexte culturel actuel et antérieur.
Ces voix rendent possible que le lecteur se forge de nouvelles idées et associations sur le
produit narratif, en recourant aux informations données par l’auteur tout au long du texte.
218 Nubia Bravo Realpe. “Éléments fondamentaux d’intertextualité”. Revue de l’association d’anciens élèves
du séminaire Andrés Bello. Litterae. Numéro 6 d’août 1996, p. 79. 219 Umberto Eco (1979). Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la Coopération interprétative dans les textes
narratifs.Paris: Editions Grasset & Fasquelle, 1985, pp. 61-83. 220 Ibid., p. 78.
92
Ces dialogues, tant intérieurs qu’extérieurs, appréciés depuis le domaine du roman, renvoient
à un cumul et à une sélection de citations qui sont explorées, déformées et critiquées. Sous
cet angle, les textes et leurs discours sont produits pour signifier, et cela est possible en
recréant des mondes imaginaires dans lesquels se structurent divers énoncés au travers de la
citation. Reyes affirme que “le discours littéraire est qualitativement un discours cité; il est
montré et utilisé simultanément comme une automanifestation de l’articulation de
l’expérience humaine du monde”221.
Parallèlement, la représentation du monde exposée dans le texte fait partie des imaginaires
collectifs repris par les romanciers pour présenter leurs abstractions sur des réalités
potentielles vers lesquelles convergent plusieurs récits dans un même discours. En
conséquence, les discours cités suscitent de nouveaux contextes fictifs que, selon l’avis de
l’auteur, il est nécessaire de reconstruire, ce qui signifie que “la littérature est un discours sur
un discours et un discours imaginaire sur l’imaginé”222. Cette notion a pour conséquence que
le monde représenté dans le discours romanesque n’est pas réel, puisqu’il correspond à un
contexte imaginé. Toutefois, nous en soulignons la vraisemblance, car sont reprises les
expériences tant des auteurs que des lecteurs qui recourent à d’autres dimensions de la réalité,
comme entre autres, aux communications réelles, aux expériences propres ou d’autrui. On
comprend alors que les discours cités font partie de textes et de contextes autres que ceux
auxquels recourent les auteurs et les lecteurs pour les reconstruire.
Or, le texte littéraire diffère des autres textes; son abstraction et sa signification dépendent
des évènements décrits, des espaces référés, de l’époque de création de l’œuvre ou de celle
de sa lecture, de sa structure, de ses intentionnalités et de son contenu. Kristeva reprend la
conception bakhtinienne et définit le texte comme:
Un appareil translinguistique qui redistribue l’ordre de la langue, en mettant en relations un mot de communication qui vise à une information directe avec différents types d’énoncés antérieurs
ou synchroniques. Le texte est par conséquent une PRODUCTIVITÉ, ce qui signifie: (1) sa
relation avec la langue dans laquelle il se situe est redistributive (destructive-constructive) et donc
abordable au travers de catégories logiques et mathématiques, plus que purement linguistiques;
221 Graciela Reyes. Polifonía textual, op. cit., p. 14. 222 Ibid., p. 33.
93
(2) c’est une permutation de textes, une inter-textualité: dans l’espace d’un texte se croisent et se
neutralisent de multiples énoncés, empruntés à d’autres textes223.
Ce qui précède permet, dans une perspective intertextuelle, de souligner que le texte peut être
considéré comme un mécanisme contre le temps et l’oubli, puisqu’il permet à l’homme de
condenser des informations significatives et qui présentent un intérêt collectif pour les
sociétés en général. Il faut souligner comment le texte fait l’objet de multiples formes de
signification qui sont élaborées à partir des lecture, interprétation et permutation qui ont lieu
dans tout processus de lecto-écriture.
D’autre part, les transformations du texte et de ses énoncés sont possibles grâce à leurs
caractéristiques d’irréductibilité, ainsi qu’à leurs inclusions idéologiques, sociales et
historiques. On affirme alors que le texte est promu par une série de codes, d’idéologèmes
qui relèvent d’autres textes et discours. Dans ce tissu, on entend par idéologème cette
fonction intertextuelle que le lecteur peut trouver “matérialisée” dans les divers niveaux
structurels de chaque texte et qui l’accompagne tout au long de son développement, en lui
conférant ses coordonnées historiques et sociales”224.
En d’autres termes, l’idéologème d’un texte renvoie les lecteurs à la transformation de ses
énoncés, ainsi qu’aux éventuelles inclusions auxquelles recourt l’auteur pour recréer son
récit. C’est une allusion à l’inclusion dans le texte d’autres pratiques textuelles. De même,
l’idéologème vu comme un produit idéologique fait partie des réalités perçues et des
possibles lectures que feraient, tant les écrivains que leurs lecteurs, d’un fait de société, du
monde intérieur ou extérieur aux sujets; c’est-à-dire leur position et relations dans la société,
leur monde idéologique présentés dans le texte.
En conséquence, tant la lecture que l’écriture d’un texte sont régis par la conscience des sujets
qui dépendent de diverses idéologies sociales qui se structurent et se renforcent en fonction
de l’échange, de l’affrontement ou de l’approbation des systèmes idéologiques. C’est ainsi
que les personnes matérialisent des réalités, propres ou d’autrui, de manière idéologique, qui
223 Julia Kristeva. Le texte du roman, op. cit., p. 15. 224 Ibid., pp. 15-16.
94
sont extériorisées et perçues dans les textes. À cet égard, Osorio affirme que “la réalité pour
le sujet sera toujours une réalité perçue idéologiquement”225. Dans cette perspective, grâce à
la littérature, l’être humain peut accéder à divers mondes possibles au travers d’un ensemble
de perceptions, de lectures réalisées et d’options retenues par les auteurs compte tenu du
monde tel qu’ils le conçoivent sur le plan idéologique.
D’autre part, le terme intertextualité De Biasi226 précise que Kristeva conçoit le terme
d’intertextualité pour se référer à une “interaction textuelle qui se produit à l’intérieur d’un
seul texte227. Cette interaction permet l’inclusion d’un monde possible d’énoncés en
provenance d’autres textes ou d’autres discours. Ils sont assumés par l’auteur et transformés
dans l’hypertexte. Ainsi, dans le dialoguisme de Bakhtine, la notion d’intertextualité, telle
que la conçoit Kristeva, prend tout son sens dans le cadre de l’écriture pour se référer à la
communicabilité, à la subjectivité et à la réécriture, de telle sorte que l’auteur recourt à
certains éléments, à d’autres textes épars et diffuse, et les assemble en un tout cohérent et
fédérateur.
Immédiatement, critiques et théoriciens littéraires ont repris le concept d’intertextualité,
passant par diverses conceptions et étapes de redéfinition. Ce terme a été, en particulier,
adopté par Genette, dans sa théorie sur les relations transtextuelles. Pour le théoricien
français, l’intertextualité correspond à “une relation de coprésence entre deux et plusieurs
textes, c’est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans
un autre. Sous sa forme la plus explicite et la plus littérale, c’est la pratique traditionnelle de
la citation”228. Ainsi, cette relation est le résultat de ce que font certains auteurs-lecteurs pour
se référer et se reporter à diverses voix, images, interprétations et visions qui sont associées
et connectées à l’écriture d’un nouveau texte. En d’autres termes, les textes sont absorbés et
transformés, ce qui génère une nouvelle signification, d’autres interprétations sur de
225 Oscar W. Osorio. “Fundamentos de la sociocrítica”. Santiago de Cali: Universidad del Valle. Literatura,
cultura y sociedad, 2003. 226 Pierre-Marc de Biasi (1950). Critique littéraire d’origine française, expert en génétique des textes et
spécialiste de l’oeuvre de l’écrivain Gustave Flaubert. Ses études ont représenté un apport à diverses disciplines
comme la sculpture, la peinture et la photographie, entre autres. 227 Pierre Marc de Biasi. “Intertextualité (théorie de l’). Cf. Encyclopaedia Universalis (1989-2002). [en ligne],
consulté le 7 juillet 2016. URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/theorie-de-l-intertextualite/ 228 Gérard Genette. Palimpsestes, op. cit., p.8.
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nouveaux hypertextes, conduisant ainsi à une allonge textuelle, tant au niveau de la lecture
que de l’écriture.
Sur la base de cette forme première d’intertextualité, Graciela Reyes déclaré que “tout
discours fait partie d’une histoire de discours: tout discours est la continuation de discours
antérieurs, la citation explicite ou implicite de textes passés”229. Ce caractère citatif permet
la répétition et la reproduction de discours, d’énoncés, de faits parlés, soit pour manipuler,
informer, citer ou reciter un texte. Normalement, l’auteur oriente le lecteur vers la
construction de son texte, d’une nouvelle version qui peut être, entre autres, celle d’un
commentaire, d’un résumé ou d’un compte-rendu. Le narrateur en tant que sujet discursif et
l’auteur rendent cela possible en fournissant des pistes sur les sources du récit par le biais de
notes explicatives, commentaires, prologues, épilogues, etc., permettant ainsi au lecteur
d’être partie prenante active du processus de lecture.
À cet égard, Reyes spécifie que l’intentionnalité du narrateur dans le texte est notoire
puisqu’il “fait se souvenir le lecteur qui va le lire, qui l’a lu ou est en train de le lire, c’est du
déjà dit parce que tout texte l’est, doit l’être et c’est de cela dont il s’agit”230. Par conséquent,
le lecteur lors de son processus de lecture entre dans un jeu textuel dans lequel il lui est
possible de noter l’infinité de locuteurs et d’interlocuteurs antérieurs qui font partie d’autres
textes, d’énoncés, de situations communicatives déjà lues ou entendues. Dans la littérature,
et spécifiquement dans le domaine du roman, les citations littéraires sont une des principales
caractéristiques de toute écriture; on y trouve des références à d’autres textes, à d’autres voix.
Il vaut la peine de souligner que, dans la construction d’un texte, l’auteur passe par un
processus de croisement et de sélection de textes qui se retrouvent dans un nouveau récit,
quoique déformés.
Dans cette optique, Genette prend en considération d’autres relations intertextuelles “sous
une forme moins explicite et moins canonique”231, le plagiat, et dans un sens “encore moins
229 Graciela Reyes. Polifonía textual, op. cit., p. 42. 230 Ibid., p. 47 231 Gérard Genette. Palimpsestes, op. cit., p.8.
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explicite, mais encore littéral”232, l’allusion. Le premier s’entend comme “un emprunt non
déclaré, mais encore littéral”233, par lequel le romancier insère dans son texte des
transformations et des imitations de textes antérieurs; toutefois, il n’avertit pas ses lecteurs
de la nature de la relation intertextuelle. Ceci permet l’extension de son texte par laquelle le
lecteur assume un rôle dynamique pour découvrir par lui-même, conformément à sa
compétence lective, ces relations de plagiat.
La seconde fait aussi partie de cette relation intertextuelle comme “un énoncé dont la pleine
intelligence suppose la perception d’un rapport entre lui et un autre”234, c’est-à-dire que le
lecteur associe ces traces intertextuelles à d’autres énoncés au travers des intertextes. Il
convient de souligner que les relations données entre une œuvre et d’autres font partie des
perceptions existantes tant des auteurs que des lecteurs.
De même, Camarero souligne que “l’intertextualité est, surtout, un phénomène de réception,
puisque c’est le lecteur qui détecte ou reconstruit la relation intertextuelle et qui, en définitive,
est la dernière instance, là où se noue tout le jeu des relations intertextuelles, présentes
potentiellement dans le trésor accumulé au fil des siècles dans nos traditions littéraires et
culturelles”235. Il s’ensuit que le phénomène de l’intertextualité admet que les écrivains tout
comme les lecteurs réfléchissent sur les aspects transformationnels et les possibles
alternatives des textes que suppose cette relation intertextuelle. Pour mener ceci à bien,
encore faut-il souligner que ces relations intertextuelles sont dépendantes du patrimoine, de
la mémoire et de la réappropriation de lectures passées qui fournissent de nouvelles
informations tirées de textes antérieurs.
En conséquence, les références conservées par les lecteurs fournissent de nouvelles
approches, des réflexions sur la construction et l’interprétation d’une œuvre littéraire. Ceci
permet de créer de nouvelles significations et relations entre une œuvre et une autre, c’est
232 Ibidem. 233 Ibidem. 234 Ibidem. 235 Jesús Camarero. Intertextualidad. Redes de textos y literaturas transversales en dinámica intercultural.
Barcelona: Anthropos Editorial, 2008, p. 26.
97
dire que le lecteur, tirant parti de son bagage et de son intellect, peut effectuer un parcours
textuel. Au cours de ce processus de déconstruction, on note des idéologèmes, des dialogues
et des polyphonies présents dans les œuvres littéraires; ils partent d’expériences propres aux
lecteurs tirées d’autres textes et discours.
Il s’ensuit, de la part des lecteurs, que la compétence intertextuelle leur permet d’approfondir
et de signifier leur processus de lecture. Ceci est rendu possible par les traces d’intertextualité
trouvées dans les textes, qui sont perçues par les lecteurs et données par l’écrivain comme
autant de pistes de lecture pour élargir le savoir et connoter des significations. C’est ainsi
qu’à partir de textes fusionnés et de discours passés, la lecture et l’écriture postérieure d’un
nouveau texte seront conditionnées par les connaissances préalables et leurs perceptions.
Dans ce cas, l’intertextualité mène à une relation entre textes, auteurs et lecteurs présents et
passés qui sont interconnectés pour engendrer de nouveaux discours à partir du parcours
textuel accumulé. Ces textes et discours cohabitent et sont présentés aux lecteurs en parallèle,
leur permettant de nouvelles approches et de potentielles perspectives sur ces relations et
transformations. D’où une extension textuelle de l’œuvre.
Tel est le cas de l’écrivain Juan Gabriel Vásquez qui réfléchit sur le chef-d’œuvre de Gabriel
García Márquez.
Maintenant, pour prendre le contrepied, je me suis posé la question la suivante: y a-t-il une autre
manière de lire Cent ans de solitude? J’ai consacré un temps notable à cette activité: mal
interpréter le roman, en en faisant quelque chose de distinct de ce que nous avons lu pendant près
de quarante ans. La première chose que je devais faire était de me déprendre des idées reçues et,
parmi elles, de l’étiquette la plus pernicieuse: celle de réalisme magique236.
Sur cette position, le romancier propose la recherche d’autres réalités et techniques d’écriture
comme de lecture. Ceci est rendu possible par le rapprochement avec des discours antérieurs
et leur acceptation comme nouveaux discours, enrichis aussi bien par les auteurs que par les
lecteurs. C’est ainsi que lors de l’enquête, de l’exploration et de l’interprétation de réalités et
de contextes, se créent des relations de correspondance, en prise avec d’autres
236 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p. 32.
98
transformations potentielles. Ceci signifie que tout texte va au-delà de l’imitation, puisqu’on
y fait mention de plusieurs aspects additionnels, tels que la continuité de certaines données,
la chronologie de leurs évènements et la cohérence entre les deux textes.
Sur cette base, Camarero signale ce qui suit:
Il existe une mémoire de contexte qui aide à localiser le texte dans l’espace culturo-mémoristique
du lecteur, et il y a aussi une mémoire létristique qui indique au lecteur que ce texte avait déjà été lu auparavant. Ces deux types de mémoire sont le mécanisme utilisé par le lecteur pour
identifier l’intertexte quand n’existe aucune marque d’hétérogénéité, d’irrégularité, d’inclusion
d’un texte dans l’autre237.
Le lecteur comprend alors et assume sa position dans le texte. En d’autres termes, il détaille
la présence d’intertextes entendus comme des “échos secrets d’un monde de lectures”238,
grâce à son bagage culturel et à la récupération de sa mémoire. L’intertextualité entraîne alors
une interaction collective entre auteurs et lecteurs, des réécritures et des relectures à divers
niveaux, des périodes qui, volontairement ou involontairement, émergent du pacte de lecture.
De la sorte, les relations intertextuelles sont interprétées au fil du temps par de cultures, de
langues, présentes dans la reconstruction textuelle.
On saisit alors que l’intertextualité permet qu’auteurs comme lecteurs reconstruisent la
mémoire collective à partir de discours divers qui peuvent être détectés ou non et interprétés
lors de la lecture et de l’écriture postérieure d’une œuvre. Ce processus sera distinct pour
chaque auteur et lecteur puisque la sur codification opérée sur l’entrelacs intertextuel, non
seulement dépend de l’intertexte, mais encore des compétences propres à chaque lecteur.
À l’égard de la signification et de l’interprétation des textes, Ricœur note ce qui suit:
La sémantique profonde du texte n’est pas celle que l’auteur se proposait de dire, sinon celle dont
traite le texte, je veux dire de ses références non apparentes. Et la référence non apparente du
texte est le type de monde que révèle la sémantique profonde du texte. Pour cela, ce que nous
voulons comprendre n’est pas quelque chose d’occulte derrière le texte, sinon quelque chose
237 Jesús Camarero. Intertextualidad, op. cit., p. 43. 238 Prado Biezma, Castillo y Picazo. “La intertextualidad”. Autobiographies et modernité littéraire. Toledo:
Éditions de l’Université de Castille-la-Manche, 1994, p. 298.
99
d’exposé face à lui. Ce que l’on doit comprendre n’est pas la situation initiale du discours, sinon
qu’il tend vers un monde possible239.
A ce stade, les interprétations dans le domaine romanesque sont multiples et possibles,
puisqu’on y trouve un cumul d’énoncés et de productions verbales qui font partie du milieu
et de l’action de toute lecture. Comme nous l’avons mentionné, l’interaction avec les discours
renvoie les lecteurs à de nouvelle références qui sont présentées par les auteurs dans le corps
du texte. On note alors que leur découverte part de la rigueur, de la captation immédiate et
de l’identification de ces processus explicatifs donnés, dans lesquels les lecteurs assument la
révélation profonde de cet entrelacs intertextuel.
Il faut aussi noter que les relations intertextuelles représentent des influences littéraires que
reprend l’écrivain pour ses créations artistiques. Elles sont vues comme des dérivations et
des transformations de textes antérieurs qui, à leur tour, sont partis d’autres textes pour
construire des mondes possibles et apporter d’autres visions ou conceptions de certaines
réalités. Dans ces circonstances, “chaque texte porte en lui un potentiel d’intertextualité que
d’autres textes actualiseront ou matérialiseront par la réécriture, la traduction, etc”240. Par
conséquent, le nouveau texte ou hypertexte permet de référencer ou d’accéder au(x) texte(s)
antérieur(s). C’est ainsi que les textes référencés et les nouveaux font partie d’une trame
interprétative dont les lecteurs découvrent les trajectoires intertextuelles, les relations
interactives entre les discours, les énoncés et transformations esthétiques.
De même, afin d’accéder au passé, d’obtenir des réponses ou de s’approcher d’autres réalités,
auteurs comme lecteurs recourent au phénomène de l’intertextualité qui permet d’accéder à
des connexions passées, de découvrir la multiplicité des voix, des relations dialogiques, ainsi
que d’avoir accès à d’autres textes. En résumé, on peut affirmer que dans le domaine
romanesque, “les romans dialoguent avec le présent tout en faisant des conjectures et en
annonçant l’avenir, préparent d’autres lecteurs et une autre langue pour parler du passé et de
ses stigmates sur le corps social”241. Dans cette perspective, l’intertextualité est un élément
239 Paul Ricœur. Du texte à l'action. Essais d'herméneutique, op. cit., pp. 77-78. 240 Jesús Camarero. Intertextualidad, op. cit., p. 63 241 Oíga Aran Pampa. “Les chronotopies littéraires dans la conception de Bakhtine. Leur pertinence lors d’une
enquête sur la narration argentine contemporaine”. Dialoguisme, monologuisme et polyphonie. Thèmes du
séminaire 21, janvier-juin 2009, p. 138.
100
romanesque de toute œuvre littéraire, ainsi que de ses perceptions. Par exemple, pour l’auteur
et le lecteur, le texte extériorise et conserve des références et des traces de lectures provenant
d’autres textes. En conséquence, lors du processus de décodification du texte, le résultat de
la lecture sera interprété sous différents angles qui dans certains cas peuvent coïncider, mais
dans d’autres, diverger.
De la sorte, l’intertextualité n’est qu’une des nombreuses dimensions possibles qu’on peut
trouver dans le tissu textuel et dans ses relations présentes avec les énoncés; c’est dire qu’elle
est en grande mesure le résultat de ces interactions glanées dans un nouveau texte. En
définitive, ce seront les récepteurs qui confèreront son sens au texte, conformément à leurs
perceptions et mécanismes de lecture, en donnant un sens nouveau à des analogies déjà
existantes ou en recréant de nouvelles réalités qui interprèteront le monde dans ses aspects
sociaux, ses positions idéologiques ou ses problèmes de diverse nature, qui seront
transformés dans les textes et articulés dans les discours.
101
Partie II. L’écrivain et ses chimères
102
II.1 Position du romancier dans la sphère littéraire colombienne. Passage du “non
officiel” à “l’officiel”.
II.1.1 Du roman contemporain en Colombie et du récit chez Vásquez
Pues bien, a veces se me ocurre que los novelistas colombianos del siglo
pasado y, por supuesto, de este cambio de siglo, se han enfrentado a la
realidad política del país moviéndose entre los dos extremos sugeridos
por Stendhal: la grosería o el silencio.
Yo, como colombiano, como originario de una sociedad en perpetuo
movimiento, una sociedad inestable de la periferia cultural, y como dueño
de un estatus de inmigrante, que es inestable y precario por definición, no puedo compartir esas certidumbres. Pues bien, un escritor colombiano
sabe que sí es importante; pero lo difícil es saber qué implica eso, cómo
afecta su experiencia y su visión del mundo, y cómo trasmutar eso en
literatura.
Juan Gabriel Vásquez
Dans cette partie, nous approfondirons l’état actuel du roman contemporain en Colombie,
des années 70 à la première décennie du XXIe siècle. L’objectif consiste à réviser l’histoire
littéraire du roman en Colombie pendant cette période et à réfléchir sur ses tendances,
thématiques et caractéristiques propres, pour les relier au récit chez Juan Gabriel Vásquez,
considérant ses intérêts et perspectives en tant qu’écrivain.
Pour définir les spécificités du roman colombien d’alors, il est nécessaire d’opérer une
révision de l’histoire du pays puisque, des situations politiques, économiques et sociales,
entre autres, ont suscité de nouvelles thématiques et de nouveaux contenus pour la création
de romans. C’est-à-dire que les événements historiques et sociaux du pays ont ouvert de
nouvelles portes aux écrivains qui en ont profité pour les réécrire, dans une optique littéraire.
De même, ces contextes ont produit de nouvelles formes de lecture visant à l’interprétation
du traitement des thèmes et à la valorisation de la culture latino-américaine. Le récit de la
fin du XXe et du début du XXIe siècle se transforme en un mode particulier d’exploration
du côté humain et de perception des problèmes sociaux qui résultent de l’histoire du pays et
de l’Amérique latine en général.
103
La trame des romans analyse en profondeur l’individu en tant qu’être historique, avec une
nouvelle approche et de nouvelles perceptions de divers évènements, tant individuels que
collectifs, comme dans la vie, utilisée comme toile de fond de l’écriture fictionnelle.
En conséquence, le roman colombien du XXe siècle est forcément enfoui dans les
évènements historiques, généralement traditionnels, comme la vie rurale, les coutumes et
manières de penser des diverses zones géographiques nationales, mais il explore aussi par
des mots ces épisodes de violence qui ont marqué l’histoire du pays, comme le trafic de
stupéfiants et la guerre frontale déclarée aux groupes rebelles: FARC. EPL, ELN, entre
autres. Ce sont justement des décennies de violence et de guerre, depuis le début du XXe
siècle, qui ont été retenues par les romanciers pour recréer leurs œuvres, dans lesquelles des
personnages et des thématiques inachevées luttent entre eux pour s’extirper de la haine et de
la barbarie, induites par des siècles d’injustice et d’avarice, pour entrevoir à peine la concorde
et la paix tellement désirées.
Actuellement, la Colombie gère un accord de paix avec les FARC, occasion historique et
unique pour le pays, sous l’égide du Président de la République, Juan Manuel Santos242. Cet
accord est basé sur la construction d’un nouveau pays, sans guerres, sans inégalités sociales,
avec un gouvernement démocratique et juste, car le conflit armé interne a affecté la nation
pendant plus de cinq décennies, dont trois au cours du siècle passé, principalement à cause
242 Juan Manuel Santos (1951). C’est le 59e Président de la République de Colombie et le second à être réélu
pour la période 2014-2018. Il a fait des études de journalisme et d’économie. Il a eu aussi un long parcours dans
le domaine politique. Par exemple, il a exercé plusieurs postes administratifs pendant les gouvernements des
derniers présidents comme Ministre du Commerce Extérieur, Ministre des Finances et Ministre de la Défense.
En 2016, il a reçu le prix Nobel de la Paix pour son travail et sa contribution à toutes les phases des accords
mentionnés pour mettre fin à la guerre civile en Colombie.
104
des FARC243, groupe en marge de la loi244. L’alliance présente avec ce groupe cherche à
apporter des bénéfices à toute la population au niveau local, régional, national et international
pour la reconstruction et la consolidation d’une paix stable et permanente245. Ceci enclenche
un processus de transition de la part du gouvernement colombien, avec à l’appui une nouvelle
étape de réversion, de revendication et de dénonciations des Colombiens du passé, le désir
lancinant de reconnaissance du patrimoine culturel, ainsi que le besoin de prendre en
considération et d’interpréter les œuvres littéraires comme produit historique d’une société
en transformation.
243FARC est un sigle qui correspond aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie. Ses membres sont
considérés comme un groupe révolutionnaire en marge de la loi, à caractère militaire, fondé en 1964 par des
paysans en désaccord avec le gouvernement colombien, et leur terrain d’action est le domaine, politique, social
et économique. Ils se sont organisés comme une armée du peuple pour le peuple, à cause des carences et des
inégalités existantes, livrant des luttes sociales et idéologiques. Actuellement, ce groupe armé est démantelé par
l’accord qui contient trois points principaux:
a) Accord bilatéral et définitif sur “le cessez-le-feu et des hostilités et sur la remise des armes” passé entre
le gouvernement national et ce groupe armé.
b) Accord sur “Les garanties de sécurité et de lutte contre les organisations criminelles responsables
d’homicides et de massacres ou qui attentent contre les défenseurs des droits humains, des mouvements
sociaux ou politiques, incluant les organisations criminelles qui sont censées être les successeurs du
paramilitarisme et leurs réseaux d’appui, et la poursuite des conduites criminelles qui naissent de la
mise en œuvre des accords et de la construction de la paix”.
c) Finalement, l’accord sur “la restitution” aux victimes.
Tout cela a été possible grâce aux accords de paix commencés en 2012. Mais c’est en 2016 que les
négociateurs sont parvenus à un accord. Pour plus de précisions, l’accord est disponible en tapant le lien:
http://pazfarc-ep.org/comunicadosconjuntosfarcsantoscuba/item/3469-comunicado-conjunto-76-acuerdo-
sobre-cese-al-fuego-y-de-hostilidades-bilateral-y-definitivo-y-dejación-de-armas-garantias-de-seguridad-
y-refrendación.html (consulté le 7 juillet 2017). 244 L’État colombien compte plusieurs groupes en marge de la loi ou Groupes armés organisés (GAO),
dénommés de la sorte depuis 2016. Parmi les plus représentatifs, nous trouvons les suivants:
-La guérilla de l’ELN (Armée de Libération Nationale), est une organisation active depuis les années 60 et considérée comme un groupe terroriste dans plusieurs départements colombiens.
-L’Armée Populaire de Libération, connue par son sigle (EPL), est aussi un groupe guérillero colombien. Elle
a été démobilisée en 1991. Toutefois, un pourcentage très faible de ses membres reste actif. Ce fait a généré
une dérive de ses idéaux et une modification du nom de l’organisation pour former une nouvelle structure
criminelle basée sur le trafic de stupéfiants. Ils se font à présent appeler Los Pelusos.
-Le Clan du Golfe, appelé aussi Autodefensas Gaitanistas de Colombia est un des groupes narco-paramilitaires
les plus structurés et violents de la Colombie. Il compte un nombre significatif de sympathisants et est considéré
comme le second groupe narcoterroriste de Colombie.
En 2017, on espère que le gouvernement va reprendre les négociations avec ces composantes du conflit armé
interne et réactiver ses tentatives avortées avec les mouvements belligérants et bandes émergentes. Ceci, afin
d’en finir avec tellement d’années de violence et de douleur dans la société colombienne. 245 El Tiempo. “Cet accord nous donne l’occasion historique de construire un meilleur pays”. Premier plan.
Reportage de Yamid du 28 août 2016.
105
Quant à l’objet central de cette partie, le travail littéraire de l’écrivain de Bogotá Juan Gabriel
Vásquez (1973), on doit commencer par mentionner qu’il est avocat de profession, mais
écrivain de cœur. Après avoir terminé ses études à Bogotá, il voyage en France pour
s’installer à Paris, de 1996 à 1999. Sur place, il fait des études de troisième cycle à la
Sorbonne sur la littérature latino-américaine. Plus tard, il s’installera en Belgique, puis à
Barcelone où il résidera jusqu’en 2012. Actuellement, il habite Bogota (Colombie). Ces
séjours à l’étranger lui ont permis d’avoir un important bagage culturel, de condenser des
expériences, d’accéder à de multiples témoignages dont il a décanté les contenus et les a
intégrés intelligemment dans son œuvre littéraire. Cet auteur publie depuis les années 90,
avec des incursions dans différents genres littéraires comme le récit (contes et romans), le
journalisme, l’essai, la biographie et l’autofiction.
Dans l’évolution de son art narratif, on note qu’à ce jour (2017), il a sept romans à son actif.
Il a décidé, de son plein gré, de les diviser en romans non officiels et officiels. Les deux
premiers, Persona (1997) et Alina suplicante (1999) entrent dans la catégorie non officiels,
terme qu’il a lui-même créé pour se référer à ce qu’il voudrait abolir de son passé dans ses
publications, car il affirme qu’elles ont été réalisées et publiées à un moment de sa vie où il
n’avait pas encore atteint sa maturité en tant qu’écrivain. Lors de son entretien avec le
journaliste Geli, il a affirmé que: “Eran novelas de aprendizaje; quiero que nadie las recuerde.
Me gustaría que me dejaran olvidar esa parte de mi pasado. Me tomo ese derecho”246.
D’autre part, aux cinq derniers, sont ceux qu’il estime devoir être pris en compte comme
œuvres littéraires. Nous soulignons que tous ont en commun la reconstruction de l’histoire
officielle de la Colombie de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, surtout les années
quarante, soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Pour cela, il a recours à des histoires
personnelles, privées, collectives et imaginaires dans lesquelles l’auteur utilise pour sa
production littéraire des documents officiels tirés des archives nationales, des témoignages
246 Carles Geli. Entretien avec Juan Gabriel Vásquez. “La novela ha sido empujada a los márgenes de la
sociedad”. El País [en ligne]. 22 mars 2011. Disponible dans:
https://elpais.com/diario/2011/03/22/cultura/1300748404_850215.html (consulté le 28/07/2017).
106
de survivants, de personnes proches des victimes, une grande variété de discours narratifs,
entre autres.
Nous présentons ci-dessous un compte-rendu de sa typologie romanesque:
Los informantes (2004) reprend l’épisode de la participation de la Colombie à la seconde
guerre mondiale, peu documenté dans l’histoire nationale. Le roman correspond à une sorte
de métafiction qui décrit les secrets d’État qui sont révélés au cours de la fiction, en quête
de vérités et de possibles réponses sur la situation du pays pendant plusieurs décennies.
Surtout, dans les années 40 et 90. Ces arcanes sont révélées au travers de réseaux de
complicité, de trahisons et de repentirs, d’inscriptions sur des listes noires par les
gouvernements nord-américain et colombien, d’incarcération à perpétuité des coupables, des
deux nations, dans des oubliettes, sans jamais être jugés, et qui ont fini leurs vies condamnés
à l’ostracisme et à l’abandon. De même, l’auteur recrée le thème de ce roman, en récupérant
la mémoire, les témoignages et les éléments-clé de ceux qui ont été les protagonistes et les
personnages principaux de l’histoire du pays.
Historia Secreta de Costaguana (2007), aborde le contexte historique dans lequel a eu lieu
la première phase de la construction d’une des plus grandes œuvres d’ingénierie connues
actuellement: le Canal de Panama, construction interocéanique qui allait unir le Pacifique à
l’Atlantique, en Amérique centrale, au début de la première décennie du XXe siècle. Ce
chantier, sous la direction de Ferdinand de Lesseps, personnage historique, a duré de 1879 à
1889, confronté sans succès aux obstacles qui ont accompagné pendant plusieurs années la
construction du canal. L’intérêt de ce récit, est surtout l’inclusion de Joseph Conrad, accusé
d’un vol qui implique de multiples confessions, des violations des droits humains et des
pertes qui gravitent autour de faits officiels de la Colombie.
El ruido de las cosas al caer (2011) aborde le contexte colombien depuis les années 70,
époque retenue car c’est celle du début du trafic de stupéfiants. L’auteur insiste sur des
personnages qui ont été en relation avec le principal dirigeant du cartel de Medellín, Pablo
107
Emilio Escobar Gaviria247, ou qui ont été affectés par les divers actes terroristes qui ont
secoué le pays pendant plusieurs décennies, en particulier dans les années 80 et 90. L’auteur,
en tant qu’écrivain, par l’entremise de personnages comme Ricardo Laverde, pilote, et
Antonio Yammara, professeur universitaire, vise à récupérer la mémoire, ainsi que la capacité
d’oubli, constantes de tous ses récits «officiels». Cela motive la rédemption et l’examen
minutieux d’un passé tourmenté, l’apparition d’obsessions et la description de la terreur
vécue par les citadins lors de la recherche et de la possession du pouvoir, dans toutes ses
dimensions.
Aquí se hace alusión a cómo se derrumban las vidas de las personas, sus proyectos familiares y
todo en un país que se encuentra dominado por la droga en un mundo de terror. La novela
corresponde al tiempo en que el narcotráfico le declaró la guerra al Estado colombiano por la
búsqueda de poder y la dominación del país248.
En ce sens, dès le titre du roman, El ruido de las cosas al caer, il met en relief une connotation
antisociale, relative à la violation des lois, à l’absence de valeurs morales, à l’émergence de
craintes et de haines, dans une génération dominée par la terreur et la violence des mafias de
la drogue et par la commercialisation de substances toxiques. Dans chacun de ses six
chapitres, ses personnages principaux, Ricardo Laverde et Antonio Yammara, se voient
directement affectés par cette situation d’ordre social, dans laquelle le fait de se souvenir et
de scruter le passé est devenu une obsession, surtout pour ce dernier dans sa tentative de
réflexion sur les évènements notables qui se sont répercutés sur sa vie et son milieu social et
familial. En définitive, cette action douloureuse consistant à se souvenir et à convoquer dans
le présent la mémoire passée, est nécessaire pour dédommager de tellement de souffrances
et de malaise social.
247 Pablo Emilio Escobar Gaviria (1949-1993) est considéré comme un des plus grands barons de la drogue de Colombie. L’apogée de ce trafic illicite date des années 80 et 90. Elle a conduit à des disputes constantes avec
l’État avec des dénouements tragiques; entre autres, des actes terroristes inénarrables qui ont alors ravagé le
pays. Il a acquis l’Hacienda Nápoles sous le couvert d’une activité touristique, mais c’était en réalité le centre
opérationnel de toutes ses affaires clandestines. Ce scénario aussi concret qu’imaginaire, ainsi que des faits
vécus et des témoignages de différentes sources ont été repris dans El ruido de las cosas al caer. 248 Marisella Buitrago Ramírez (2015). “La antimemoria, lo antisocial y la contra-imagen en las dos últimas
novelas de Juan Gabriel Vásquez: El ruido de las cosas al caer (2011) et Las reputaciones (2013)”. Revista
Papeles, 6 (12)-7(13), pp. 72-77.
108
Las reputaciones (2013) l’auteur a montré son intérêt pour le monde de la caricature politique
afin d’accéder aux évènements quotidiens de manière humoristique, sarcastique et artistique.
Tel est le cas de Javier Mallarino, personnage principal de cette histoire et caricaturiste
politique le plus prestigieux du pays. Son travail artistique porte sur l’exposé de la vie
politique et sociale sous un autre angle, celui de la caricature. Elle est représentative de la
société colombienne en général et elle affiche un ton humoristique et, parfois, sarcastique.
En conséquence, pour certains citoyens, les caricaturistes de profession “se han metido con
los temas más espinosos de la politica criolla”249, déclenchant une kyrielle d’opinions et de
réactions distinctes. À propos de ce personnage, son habileté pour le dessin en avait fait un
critique social respectable qui dépeignait la vraie réalité de son pays.
Sus caricaturas políticas lo habían convertido en lo que era Rendón al comenzar la década de los
treinta: una autoridad moral para la mitad del país, el enemigo público número 1 para la otra
mitad, y para todos un hombre capaz de causar la revocación de una ley, trastornar el fallo de un
magistrado, tumbar a un alcalde o amenazar gravemente la estabilidad de un Ministerio, y eso
con las únicas armas de papel y la tinta china250.
Dans cette perspective, le caricaturiste représentait pour l’opinion publique un patrimoine
historique pour les thèmes liés à l’activité politique du pays, les actions de puissants
personnages, la représentation de la violence et les conflits sociaux, ainsi que pour les divers
acteurs agissant en fonction de leurs propres critères objectifs. Ceci engendrait des approches
hétérogènes en fonction du personnage caricaturé et de son contexte, qui étaient soumises à
de multiples interprétations, sans qu’importent les conséquences. En ce sens, les dessins de
Mallarino étaient associés à des évènements d’intérêt national tels l’exposé des propositions
et les actions d’un Maire ou d’autres représentants du pouvoir. En d’autres termes, ils
pouvaient “ être la conscience d’un pays”251, provoquant diverses réactions, comme celle de
la Ministre, lors de l’hommage adressé à Mallarino pour ses quarante ans d’activité
professionnelle:
Ser caricaturizado por Javier Mallarino es tener vida política. El político que desaparece de sus
dibujos deja de existir. Pasa a mejor vida. Yo he conocido a muchos que además me lo han dicho:
la vida después de Mallarino es mucho mejor252.
249 Maria Teresa Ronderos. 5 en Humor, op. cit., p.9. 250 Juan Gabriel Vásquez. Las reputaciones, op. cit., p. 16 251 Ibid., p. 50 252 Ibid., p. 38
109
Ainsi, ses interprétations peuvent passer pour positives ou négatives selon le personnage.
D’autre part, lors de l’élaboration des caricatures, le dessinateur réfléchit sur les traits
psychologiques et physiques de la personne à croquer, ainsi que sur les évènements, le
contexte général et ce qu’il désire représenter. Beaucoup de caricaturistes se sont servis de
cet outil pour illustrer l’opinion publique pendant des décennies et, parfois, se muent en
conscience politique de leur pays.
Finalement, dans La forma de las ruinas, (2015), son dernier roman publié à cette date,
l’auteur explore diverses formes narratives, incluant l’autobiographie, la chronique, le
journalisme, l’enquête policière, entre autres, pour ourdir deux des grands magnicides de
l’histoire de la Colombie: celui du militaire Rafael Uribe Uribe253 et du caudillo libéral Jorge
Eliécer Gaitán254. Autour de ces deux assassinats, JGV explore les craintes sociales causées
par la violence en Colombie et les souffrances de plusieurs générations de Colombiens, par
le biais de la compilation de vieilles obsessions, de questionnements historiques et leurs
éventuelles interactions.
Par exemple, Carlos Carballo, arrêté pour “haber intentado robar el traje de paño de un
político asesinado”255, partage ses obsessions pour la recherche d’éclaircissements et de
réponses sur un des nombreux épisodes ignorés de l’histoire colombienne. Ce vêtement qui
a appartenu au candidat présidentiel, Jorge Eliécer Gaitán, a été le dernier qu’il a porté, le
jour de son magnicide, en 1948. Il est alors souligné que Carballo était le prototype de
l’homme passionné par les coïncidences entre un passé historique et ses rapports avec les
253 Rafael Victor Zenon Uribe Uribe (1859-1914), militaire, politicien et porte-parole du parti libéral colombien.
Son assassinat est considéré comme le premier magnicide du XXe siècle. Les conspirations sur les faits et les
bourreaux ont été pour les écrivains un matériau romanesque; comme pour l’historienne Adelina Covo, les
écrivains Edgar Mora, Philip Potdevin, entre autres. En ce sens, diverses hypothèses sur sa mort ont été
formulées comme celles du complot politique ou à caractère religieux. 254 Jorge Eliécer Gaitán Ayala (1903-1948), candidat présidentiel du parti libéral colombien. Il a été assassiné
le 9 avril ce qui a enclenché la division historique du pays et diverses manifestations qui ont causé des
destructions dans plusieurs villes, des pertes humaines et beaucoup d’interrogations face au cours des
évènements. Cette période est plus connue sous le nom de El Bogotazo, synonyme de violentes protestations,
de répression et de barbarie. Du point de vue littéraire, cet épisode a donné naissance à de multiples histoires et
spéculations sur la magnitude des évènements, conspirations, témoignages, registres photographiques et
légendes. Elles ont accompagné les Colombiens pendant plusieurs générations. 255 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 13
110
théories de la conspiration. Toutes basées principalement sur les assassinats politiques les
plus célèbres de l’histoire qui ont tellement ému la Colombie.
Carballo quiere saber quién era el hombre elegante de la droguería Granada. Quiere saber quién
era el tipo que hizo asesinar a Juan Roa Sierra. ¿Por qué? Porque así podría compararlo con Jack
Ruby, me imagino yo, y ver entonces si tienen cosas en común. Lo que quiere en el fondo es
saber que pasó el 9 de abril, llegar al fondo del asunto. Y póngase a pensar Vásquez: ¿No es eso
lo que queremos todos? 256.
Ces obsessions ont conduit Carballo à commettre des actes insensés dans la recherche de la
vérité et à répondre à quelques-unes des questions qui se posent actuellement. En ce sens, le
passé historique, une fois de plus, fait partie des récits de JGV, puisque l’enquête et la
reconstruction des faits lui restituent son importance dans le présent. Il arrive même à l’altérer
et à faire revivre les traumatismes nationaux du passé. En d’autres termes, son œuvre
extériorise des connexions inattendues, des legs non désirés, des obsessions collectives, des
conséquences imprévues et des théories de la conspiration qui ont marqué des générations et
des moments spécifiques de l’histoire du pays.
De ce point de vue, La forma de las ruinas est un roman qui cherche à élucider les mystères
d’un passé qui a obsédé plusieurs personnages, tels Carlos Carballo, Marco Tulio Anzola et
Juan Gabriel Vásquez en personne.
En conséquence, tous sont présentés dans ce récit comme des enquêteurs de l’histoire de leur
pays, ainsi que de la vie secrète, privée, d’autres personnages fictionnalisés de l’histoire.
L’exploration autour des théories de la conspiration, la présentation de versions occultes de
l’histoire et la remémoration de faits traumatiques du passé conduisent à connaître en
profondeur, depuis le domaine de la fiction, quelques magnicides politiques: celui de Rafael
Uribe Uribe (1859-1914) et celui de Jorge Eliécer Gaitán (1903-1948), comme principales
énigmes ou détonateurs du roman; comme celles des assassins présumés de l’histoire
officielle, Juan Roa Sierra (1927-1948) et les menuisiers Leovigildo Galarza et Jesús
Carvajal.
256 Ibid., p. 112.
111
En perspective, le monde romanesque de Vásquez explore le contexte historique, source de
son récit où il est possible de retrouver les traces de la tradition urbaine orale, ainsi que la
culture, traditions, mythes et histoires qui l’accompagnent, débouchant sur des évènements
notables et des perceptions de l’histoire du pays, à une période déterminée. En conséquence,
dans ce domaine romanesque, l’auteur fait allusion à une conscience collective de la
Colombie, résultant de l’existence d’informations biaisées, relevant dans notre cas des
fantômes de l’histoire, c’est-à-dire de toutes ces versions occultes, demi-vérités et mensonges
d’un passé historique, comme les magnicides. Ces fantômes et ces informations lacunaires
revêtent leur importance dans la mesure où émergent de nouvelles versions, témoignages,
confessions et documents originaux inédits de nouveaux informateurs chez lesquels
cohabitent des réalités politiques, sociales et historiques comme des zones à explorer
éventuellement dans le domaine du roman. En conséquence, l’imagination de cet auteur
s’alimente de lectures personnelles, de son bagage culturel, de ses intérêts historiques ou
littéraires, de sa propre expérience, de celle d’autrui, comme de celle des personnes de son
âge et de leurs attitudes face à l’histoire du pays. Par conséquent, les mots de l’auteur sont
expressifs face à sa fiction:
La novela como si fuera una historia real no pertenece al campo del experimento posmodernista
ni del juego literario, sino que es una reflexión sobre la relación entre lo real y lo ficticio, sobre
todo una estética de la recepción que se pregunta come leemos, desde donde leemos, como se
modifican nuestra sensibilidad, nuestra información cultural y aun nuestra moralidad o, lo que
quizás no sea lo mismo, nuestra percepción moral de los hechos narrados a incorporar a la
experiencia lectora esa nueva y persuasiva ficción: que hemos leído una historia real257.
En ce sens, le roman colombien a eu un développement croissant qui a donné naissance à une
multitude de sujets, de styles variés et d’études littéraires qui invitent à lire, relire, classer et
reclasser les œuvres selon leur genre littéraire. Quelques-uns de ces courants littéraires
correspondent au réalisme de la violence, au réalisme magique, au réel merveilleux et au
nouveau roman historique. Ces nouvelles façons romanesques ont instauré d’autres
propositions esthétiques, représentations et visions du monde dans lesquelles sont inclus des
éléments historiques, des témoignages et Bogotá, par exemple, comme décor propice à la
narration, comme dans le cas de Vásquez.
257 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p. 168
112
Le roman colombien actuel mène donc à l’exploration d’identités régionales, de coutumes
familiales, de dénonciations sociales, de classifications psychologiques, entre autres, menant
à des rencontres différentes entre la fiction et la réalité, entre le fantastique et le quotidien.
Vu sous cet angle, des auteurs comme Juan Gabriel Vásquez (1973), Santiago Gamboa
(1965), Mario Mendoza (1964) insistent sur certains lieux emblématiques de la capitale dans
lesquels se développent leurs histoires; ils recréent notamment le centre historique de la ville
de Bogotá.
Comme nous l’avons signalé, les récits de Vásquez conduisent à entrecroiser des descriptions
de la ville et certaines activités propres des citadins, fournissant ainsi un grand nombre
d’histoires connexes au passé du pays. Comme un touriste fait un tour du lieu, les lecteurs
font un tour d’histoire colombienne, de son passé politique et social. En ce sens, la ville est
considérée par certains écrivains comme un espace possible où se déroulent des épisodes
transcendantaux des vies et relations de leurs personnages; il en est ainsi, par exemple, de la
construction du Canal Interocéanique, de la sécession de Panamá de la Colombie, des
Brigades de la paix si polémiques dans le pays. Aussi les lecteurs peuvent-ils reconstruire
une histoire idéalisée ou réaliste et, de ce fait, préciser son architecture, ses rues, ses
mémoires, ses conflits, ses gens, tout comme on se livre à une recherche spécifique, en
donnant des détails sur la géographie urbaine comme sur la géographie sociale.
C’est pourquoi, l’aspect régional peut se voir représenter dans Los Informantes (2004); On y
insiste sur les fêtes patriotiques, comme la commémoration de la fondation de la ville de
Bogotá survenue, en 1538, due à Gonzalo Jiménez de Quesada. C’est ainsi qu’au personnage
de Santoro (père), éminent professeur d’art oratoire, a été confiée la proclamation du discours
de cette célébration.
Gabriel Santoro fue el hombre que dictó, durante más de veinte años, el famoso Seminario de Oratoria de la Corte Suprema de Justicia, y también quien pronunció en 1988 el discurso de
conmemoración de los 450 años de Bogotá, ese texto legendario que llegó a ser comparado con
los mejores ejemplos de retórica colombiana, desde Bolívar a Gaitán258.
258 Juan Gabriel Vásquez. Los informantes, op. cit., p. 22
113
Il faut noter aussi les descriptions ébouriffantes de la ville et de ses alentours faites par
Gamboa dans Perder es una cuestión de método (1997). Une ville en proie à l’exacerbation
de la violence, et dans laquelle ses personnages tentent de déchiffrer les multiples énigmes
suscitées par plusieurs homicides.
El cadáver de un hombre aún no identificado fue encontrado ayer en la orilla sur de la represa del
Sisga luego de ser objeto de uno de los más crueles y ancestrales castigos jamás ideados por la
barbarie humana: el empalamiento259.
Il existe même un espace pour que le fantastique et le quotidien fusionnent, de telle manière
que naissent des récits surprenants par l’entremise de personnages comme Andrés, peintre
urbain qui, au travers de son art, sans le vouloir, fait des prophéties sur la configuration de la
mort, au travers de présences malignes. L’élément de malignité mis en scène chez les
personnages romanesques est récurrent dans Satanás (2002), roman de Mendoza, dans lequel
l’importance des prophéties introduit une ambiance sombre dans le récit, anticipant le
génocide auquel étaient prédestinées les vies de ses personnages.
Desciende con el pincel hasta la barbilla y, cuando está a punto de ingresar en la zona del cuello,
siente un corrientazo en el brazo y un estremecimiento general le hace temblar el cuerpo entero.
Además se asusta (jamás ha experimentado una sensación similar), pero no se contiene, se deja
arrastrar por ese remolino que obliga su mano a pintar círculos atroces en la carne lesionada del
retrato. ¿Qué es aquello que está pasando? No lo sabe, sólo permite que su mano invente toda
una tormenta en el cuello de la figura, un huracán embravecido que tiene como centro la nuez de
la garganta260.
En termes généraux, on peut affirmer que les écrivains colombiens de la seconde moitié du
XXe siècle à nos jours, comme William Ospina (1954), Oscar Godoy Barbosa (1961) et Juan
Esteban Constain (1979) ont spéculé sur les discours historiques, politiques, sociaux,
religieux et littéraires pour proposer de nouvelles versions romancées, liées à une conscience
historique et sociale du pays. JGV promeut notamment un mélange intertextuel sur lequel il
centre son intérêt et il se focalise sur la ville de Bogotá et son pays, à divers moments
historiques, comme la fin du XIXe siècle, lors desquels il insiste sur l’édification du futur, le
Canal de Panamá, dans Historia secreta de Costaguana (2007).
259 Santiago Gamboa Perder es cuestión de método. Bogotá: Penguin Random House Grupo Editorial, 2014,
p. 16. 260 Mario Mendoza Satanás. Bogotá: Editorial Planeta Colombiana, 2013, p. 24.
114
Dans ses romans, il récupère les années 40 et 90 qui s’opposent et se complètent, au travers
de la perspective de personnages contemporains ou non, comme dans Los informantes
(2004). Dans ce roman, Vásquez distingue la présence de sympathisants nazis, la
participation de la Colombie à la Seconde Guerre Mondiale et les migrations de familles
allemandes, exilées, venues en Colombie pour fuir le génocide juif.
De même, au cours de ces décennies, le romancier fonde son histoire fictionnelle sur la
décomposition politique, le ressentiment et la violence qui débouchent sur la confrontation
entre les partis gouvernementaux au XXe siècle, en Colombie, c’est-à-dire la lutte entre
libéraux et conservateurs. Ce conflit aurait eu pour résultat un cumul de guerres civiles, parmi
lesquelles le Bogotazo comme majeure expression de la violence colombienne représentée
dans La forma de las ruinas (2015).
D’autre part, dans El ruido de las cosas al caer (2011), l’auteur reconstruit les années 70, 80
et 90, périodes caractérisées par l’essor de la violence, de la persécution et de la terreur dû
aux cartels de la drogue, conséquence du trafic de stupéfiants dans la capitale.
Finalement, dans Las reputaciones (2013), il fait allusion aux années 30, pour les opposer
aux années récentes du XXIe siècle, soulignant l’importance de la caricature politique, de la
presse d’opinion, de l’image publique et de son emprise en Colombie, par l’entremise de
deux personnages: celui de Ricardo Rendón (1894-1931), fameux caricaturiste politique
colombien et Javier Mallarino, alter ego de Rendón dans le roman, qui partage avec lui la
profession de caricaturiste et est considéré comme “la conciencia crítica del país”261.
Dans cette perspective, le romancier élargit ses approches et domaines d’intervention sur le
thème de la violence qui a tellement secoué la capitale et Medellín, de la fin du XXe siècle à
nos jours. Cette toile de fond d’histoire et de violence intègre des moments très marqués et
nuancés d’une ville décadente et désolée où les citoyens cherchent des réponses et une
participation active à l’investigation sur ces moments du passé, sur ces visions du monde
imaginées et recrées par le domaine caractéristique de la fiction.
261 Juan Gabriel Vásquez. Las reputaciones, op. cit., p. 40
115
Cette vision de Bogotá comme une ville décadente, dépeinte dans El ruido de las cosas al
caer, s’extériorise par le récit d’évènements notables vécus par ses personnages qui tentent
d’exister, de survivre et de renaître dans un pays régi par la violence et la lutte contre la
drogue. De même, est soulignée la peur des générations nées à la fin du XXe siècle, face aux
attentats constants inspirés par le célèbre trafiquant de drogue d’Antioquia, Pablo Escobar,
qui fauchait partout des vies innocentes, montrant ainsi un panorama désolé et désespéré de
la société colombienne, en proie à la haine et à la violence.
Ces épisodes contrastent avec la vision des citoyens en conflit et en constante transformation,
du fait d’actions perpétrées par les différents cartels de la drogue, ce qui conduit à la création
de plusieurs fictions sur ce phénomène. Les intentions littéraires sont diverses, et certaines
d’entre elles explorent le conflit, misent sur la vie, apprennent à batailler contre les
souffrances ou essaient de les comprendre. C’est pourquoi des écrivains colombiens comme
Mario Mendoza 262, Laura Restrepo263, Héctor Abad Faciolince264, William Ospina265 et
Miguel Torres266, entre autres, ont trouvé dans le roman un univers possible pour creuser le
concept de la ville dont les spéculations, les visions du monde, la mimesis des réalités,
262 Mario Mendoza (1964) est un écrivain et journaliste de Bogotá. Pour élaborer son récit, il reprend et se
focalise sur sa ville natale à partir des multiples facettes d’accord et de désaccord découlant de la psyché et les
actions de ses personnages. En ce sens, on affirme que l’auteur creuse dans ces réalités sociales faites de conflits
propres et de problèmes du monde contemporain qui sont employés comme matériau de base de son inventivité.
C’est ainsi que l’univers narratif de cet auteur correspond dans une certaine mesure à une radiographie de la
capitale, à son chaos, à ses reconstructions, représentations et révélations. 263 Laura Restrepo (1960), écrivain, journaliste et activiste politique colombienne. En 1980, elle a participé au processus de négociation de paix et aux accords politiques et sociaux pour la rénovation sociale du pays. Les
dialogues de cette époque se sont noués avec le movimiento guerrillero 19 de abril, mieux connu par son sigle
M19; expérience unique qu’elle dépeint et présente dans son récit. Secrets de famille, introspection du passé de
la Colombie, problèmes sociaux, récupération de faits violents font partie du monde romanesque de cet auteur. 264 Héctor Abad Faciolince (1958), journaliste et écrivain colombien. Cet auteur fouille aussi dans le quotidien
et la complexité de la ville, dans ses représentations et symboles qu’il reconstruit à partir d’expériences propres
et possibles. Pour mettre à jour les contextes propres à la ville, il associe et relie son récit à d’autres arts et
travaux tels que le journalisme, la traduction et l’édition pour la création de la réalité nationale et des identités. 265 Willliam Ospina (1954), romancier et chroniqueur qui appartient à la génération postérieure au boom
littéraire. De même que d’autres écrivains colombiens, il a abandonné ses études de Droit pour se consacrer aux
Lettres. Il a fait des incursions dans plusieurs genres littéraires comme la poésie, l’essai, les chroniques d’opinion et le roman. On peut estimer que ses récits dénotent un intérêt profond et le besoin du pays d’histoire,
illustrent ses conquêtes, ses processus historiques et ses constructions autour de l’identité latino-américaine. 266 Miguel Torres est un dramaturge et écrivain réputé de Bogotá. Une partie de ses intérêts littéraires porte sur
les évènements relatifs à un des épisodes les plus douloureux et mystérieux de l’histoire de la ville de Bogota;
le néfaste 9 avril 1948. Il a déclenché la destruction de la ville suite à la révolte populaire mieux connue comme
le Bogotazo, suite au magnicide du dirigeant libéral et candidat à la présidence Jorge Eliécer Gaitán. Le
romancier raconte dans une trilogie cet évènement historique et spécule sur la chronologie et les conséquences
des faits.
116
renvoient à la construction d’expectatives, de désillusions, d’incertitudes et de certitudes sur
des lieux en constante transformation. Ce sont des auteurs dont la cosmovision rend possible
la recréation d’espaces, aussi bien propres qu’extérieurs, qui sont autant de carrefours
d’expériences quotidiennes qui permettent de tracer le profil de ces histoires journalières et
de ces traditions propres à un contexte particulier.
Parmi ces auteurs, par exemple, Restrepo explore, dans Delirio (2004), une ville socialement
lézardée dont les personnages sont les témoins directs de la conjoncture menaçante du
phénomène du trafic de stupéfiants. Ce roman décrit une ville violente et inhumaine qui vit
des apparences et se caractérise par la bêtise, les préjugés, la perversité et les anomalies
mentales que présentent certains personnages. Ses différents narrateurs renvoient à divers
conflits familiaux et sociaux qui convergent vers une société chaotique, produit de la
corruption et de la démence sociale.
Fort de cette approche, Monsiváis affirme ce qui suit, à partir de l’œuvre de Ángel Rama:
En el ámbito de intelectuales y escritores, la ciudad letrada es ya un sinónimo de la vida literaria
en las urbes, el espacio relativamente independiente en donde los escritores se han reunido, han
disentido, se han peleado, han creado revistas, se han enfrentado a los gobiernos, han pactado con
tiranos y caudillos, han buscado el mecenazgo, se han sobrevalorado y minusvalorado. Hoy la
ciudad letrada es la expresión que rige el examen del desarrollo histórico de la organización
involuntaria o voluntaria de un sector comparativamente privilegiado, en relación cercana o antagónica con el poder267.
Sur ce point, il faut noter comment dans le roman colombien sont créés des personnages
stéréotypés qui s’immiscent dans la condition humaine à partir de nouvelles représentations
emblématiques de l’homme colombien, où il est possible de distinguer des valeurs et des
anti-valeurs de son idiosyncrasie. Tel est le cas de María dans Satanás (2002), jeune femme,
humble, “vendedora de bebidas calientes”268 qui tente de survivre grâce à cette activité.
Toutefois, à cause de son ingénuité et de sa beauté naturelle, elle est constamment assiégée
par plusieurs hommes, clients ou non, qui formulent des propositions, pour la plupart,
indécentes. Maria est l’exemple de cette femme colombienne combattive qui essaie de s’en
267 Ángel Rama. La ciudad letrada. Chili: Tajamar Editores Ltda, 2004, p. 5. 268 Mario Mendoza. Satanás, op. cit., p. 12.
117
sortir, tant pour elle-même que pour sa famille; toutefois, des situations comme la violence,
le déplacement forcé, le manque d’options professionnelles et académiques empêchent que,
parfois, sa vie change, et elle se voit forcée d’explorer des territoires inconnus, au détriment
de son intégrité physique, afin de survivre et de se dépasser.
C’est le cas des paysans et des gens analphabètes qui arrivent de la campagne pour s’établir
dans les grandes villes, mais qui à cause de la précarité de leur éducation et de leur ingénuité
se voient contraints d’effectuer des tâches peu lucratives et d’accepter l’exploitation et l’abus
de ceux qui les embauchent. La littérature, plus encore que les autres arts, reflète l’injustice
sociale, le manque d’occasions et l’exclusion sociale des nouveaux venus. Elle montre
comment ces aspects dégradants et inhumains les amènent à abandonner leurs rêves, leurs
idéaux et à prendre des décisions erronées, comme tomber dans la dépendance de la drogue
ou dans la prostitution et la délinquance. C’est la toile de fond de María dans Satanás qui,
dans son effort pour s’en sortir et dans sa situation désespérée, rencontre des personnes peu
scrupuleuses qui profitent de sa condition pour lui offrir un autre travail, celui d’administrer
de la scopolamine, substance aussi désignée sous le terme de «burundanga» et pouvoir, ainsi,
voler des personnes très aisées.
De même, un autre thème latent du conflit colombien consiste à élargir le contexte urbain ou
rural, à s’approprier des évènements de la vie nationale, ainsi qu’à recréer des expériences
individuelles ou collectives qui interviennent dans les décisions et les changements, au sein
d’un monde contemporain et hétérogène. Par exemple, chez JGV, l’univers narratif part de
faits précis de l’histoire colombienne, comme ceux survenus dans El ruido de las cosas al
caer (2011), dans lequel ses personnages, au travers de l’évocation du passé, revivent des
épisodes associés aux fantômes et aux traces laissées par le narcoterrorisme, car un des
personnages centraux du roman, Antonio Yamara, fait revivre des expériences traumatisantes
de son passé, ce qui lui permet d’entrer dans des zones inconnues, en recourant à la
réminiscence. C’est dire que le personnage se rappelle, actualise sa mémoire et, par là-même,
se situe dans un présent qu’il méconnaît, mais qui l’aide à survivre. Se présente alors la
récupération de la mémoire individuelle et collective par le biais de la correspondance de
personnes avec d’autres, de témoignages sur des faits vécus et de l’exposé de conséquences
118
qui, une fois relatées, peuvent même affecter le présent des personnages. De cette manière,
il est possible de percevoir un haut niveau de vraisemblance et le lien, autant moral
qu’émotionnel, dans les histoires et situations recréées. C’est le cas de personnages comme
Javier Mallarino et Samanta Leal dans Las Reputaciones (2013), puisqu’ils luttent pour
résoudre leurs conflits présents et tentent de rappeler les souvenirs de leur passé, espérant
donner du sens à leurs vies. Ces retrouvailles entre les deux personnages leur permettront de
réévaluer leurs actions passées et de trouver de possibles réponses, afin d’accéder à une vie
meilleure, exempte de remords, soit grâce aux actions réalisées soit du fait de leur éventuelle
vacuité. C’est ce qui mène à une valorisation des souvenirs qui acquièrent du dynamisme et
sont à l’origine de changements radicaux dans leurs vies.
On trouve un autre exemple présent dans la création de Los informantes (2004) où l’auteur
déclare:
Me interesaba la relación de la palabra escrita con la realidad. Me interesaba cómo un relato
publicado puede afectar la vida de la gente. En segundo lugar, me interesaba la manera en que la
realidad misma al ser contada sufre una modificación. También quería explorar ciertas nociones
de culpa que desarrollé yo mismo durante la escritura de la novela, porque la novela se aprovechó
deliberadamente de los testimonios de una serie de personas que no sabían que lo que dijesen iba a ser utilizado dentro de una novela. Evidentemente, mis instintos como persona me decían que
debía respetar esa intimidad y no contar lo que esas personas me confesaban. Pero mis instintos
como novelista son más fuertes y acabaron primando, por lo que terminé contando cosas que
nadie me ha autorizado a contar269.
Même si ses romans gravitent autour d’évènements publics de grande importance comme,
entre autres, la participation de la Colombie à la Seconde Guerre Mondiale, la construction
du Canal de Panamá, les origines du trafic de stupéfiants dans le pays et ses magnicides, le
romancier se livre aussi à une investigation dans les vies d’autrui et sur les secrets d’une
réalité parallèle par rapport à ce qui aurait pu être ou avoir été. En ce sens, on peut affirmer
que tous ses romans partent d’une spéculation qui renvoie à la découverte de possibles, à
l’enregistrement d’anecdotes, à la trame de petites histoires qui peuvent avoir de l’intérêt
pour un groupe déterminé.
269 Diego Salazar Spanyol Nyelv Klub [en ligne], s.f. Disponible sur:
http://spanyolnyelv.network.hu/blog/spanyol_nyelv_klub_hirei/kolumbiai-iroe-az-egyk-legrangoabb-spanyol-
irodalmi-dij-entrevista (consulté le 20 juillet 2017).
119
Dans Los informantes, roman dont l’origine est une conversation avec sa source directe, une
femme allemande d’origine juive qui ressemble au personnage construit de Sara Guterman,
immigrante allemande en Colombie, après la Seconde Guerre Mondiale. De même, ce
personnage a servi de source directe à un autre écrivain, Gabriel Santoro (fils) pour la
construction de ce qui allait être publié à l’intérieur du même roman: Una vida en el exilio.
Comme nous pouvons le noter, les spéculations romanesques surgissent de rencontres
inattendues, d’expériences réelles, de photos publiées et de vieilleries qui servent de base à
la construction du roman. Il est commun de mettre en évidence dans sa production littéraire
des thèmes comme la trahison, l’espionnage, les guerres civiles entre libéraux et
conservateurs, les conflits internes, les activités clandestines comme le trafic de drogue et les
incertitudes sur les magnicides du général Rafael Uribe Uribe et du candidat présidentiel
Jorge Eliécer Gaitán, entre autres. Ces thématiques amènent le romancier à enquêter et à
s’interner dans les faits proposés en faisant résoudre des énigmes aux personnages littéraires,
comme s’ils étaient des détectives.
Par conséquent, le romancier mêle divers discours romanesques, comme celui de Joseph
Conrad et de son chef-d’œuvre Nostromo, à d’autres expressions artistiques comme la
caricature, la photographie; il introduit des personnages provenant de récits et de réalités
préexistants, articule des données et thématiques de diverses origines comme les enquêtes
effectuées par les journalistes Silvia Galvis et Alberto Donadio dans Colombia Nazi (1986),
et par le jeune avocat Marco Tulio Anzola dans ¿Quiénes son? (1917); il interroge le présent,
rend constamment le passé problématique et évite l’oubli de ces faits historiques qui, selon
lui, sont importants pour la Colombie. C’est ainsi qu’il dépeint les incertitudes qui
accompagnent toute l’histoire officielle dans son abstraction et lors de sa reconstruction
ultérieure. Ses œuvres ont mis en lumière et retrouvé les traces de certains épisodes qui
proposent d’autres types de lecture critique et biaisée de l’histoire colombienne, s’écartant
de ce que l’on connaissait déjà comme realismo mágico et lo real maravilloso et qui figurait
depuis Los informantes (2004) jusqu’à son dernier roman publié à cette date, La forma de las
ruinas (2015).
120
À cet égard, JGV expose sa technique littéraire qui correspond à l’art de la distorsion dans la
lecture et l’écriture des romans:
Ahora, en cambio, me encontré haciéndome la siguiente pregunta: ¿Hay otra manera de leer Cien
años de soledad? Me encontré dedicando un cierto tiempo a ese empeño: malinterpretar la novela,
transformarla en algo distinto de lo que hemos leído durante casi cuarenta años270.
Cette proposition de lecture et d’écriture, projetée par JGV, suscite l’éloignement des savoirs
instaurés autour de l’œuvre littéraire, l’interprétation et l’altération de la réalité à partir de
regards hétérogènes, l’assimilation du quotidien comme une révélation privilégiée et
l’association de l’œuvre à d’autres genres et discours littéraires comme le journalisme, la
photographie, la caricature, l’historiographie et la poésie, pour ne nommer qu’eux.
Eu égard à la construction des romans, l’intérêt et l’attitude romanesque de l’écrivain sont à
rattacher à la liberté qu’a tout auteur d’altérer les dates officielles, de concevoir des scénarios,
de fournir et faire table rase des hasards et de proposer un nouveau modèle de roman qui
modifiera la vérité historique en recourant à l’art de la distorsion. Pour rendre plus
compréhensible la manière dont l’auteur dénature les évènements dans les romans, cette
aptitude consiste à créer des contextes distincts des contextes originaux dans lesquels il
explore la privacité des vies d’autrui, de ces vies qui ne sont pas exposées aux médias, c’est-
à-dire celles des personnes ordinaires.
Ce faisant, le romancier approfondit les versions nouvelles, distinctes de celles qui sont
connues dans les discours historiographiques, proposant ainsi une réélaboration des versions
officielles, à partir de l’autre regard des gens ordinaires. En ce sens, des vérités biaisées dans
le domaine littéraire servent de base à la construction de nouvelles interprétations,
éventuellement plus tolérantes vis-à-vis de l’histoire nationale et portant sur un même fait
historique. Par exemple, de nouvelles découvertes sur les auteurs matériels et intellectuels
des magnicides. Ceci permet aux lecteurs d’explorer des lieux inconnus, imparfaits,
imaginaires, à partir d’une réalité réélaborée qui enrichit les fictions, du fait de la divulgation
des secrets les plus intimes des personnages et des mensonges qui les sous-tendent, exposés
dans les nouveaux récits comme ceux de Vásquez.
270 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p.32.
121
Il convient alors de signaler que la réalité historique présentée par cet auteur est associée aux
espaces géographiques sélectionnés dans sa fiction, qui conservent un lien privilégié avec le
lieu réel des évènements nationaux. Ces derniers sont repris et recréés en tant que décor
principal où se déroulent les faits et transitent les personnages, en particulier dans la capitale;
de même, ils sont manipulés et transformés à partir de données historiques inscrites dans les
historiographies, documents officiels ou entretiens, entre autres. Ceci, afin de conter des
histoires crédibles et de proposer d’autres adaptations d’un évènement, qu’il présente un
intérêt collectif ou individuel.
Par exemple, dans toutes ses nouvelles, JGV part d’une recherche dont le principal objectif
est de se couler dans “lo humano como problema, como enigma, como misterio; lo humano
como zona ignota, inexplorada, desconocida”271. Pour ce faire, l’auteur a recours à
l’historiographie, à d’autres arts et discours, dans sa tentative de faire une exploration
consciente et une interprétation artificieuse du passé d’un pays au travers de la construction
esthétique de l’être, sous de multiples angles, à partir de l’histoire officielle, du politique, du
social, inscrit dans le champ fictionnel.
De cette manière, dans Los informantes, par l’entremise du narrateur qui s’appelle Gabriel
Santoro, l’auteur reconstruit un des sombres épisodes des activités de contre-espionnage
survenues en Colombie pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans les années 40. Il en va de
même de l’inscription sur les listes noires de citoyens colombiens et étrangers pour
sympathies présumées avec les pays de l’Axe272, à partir de la compilation de témoignages
271 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco. Bogotá: Penguin Random House Grupo Editorial,
2018, p.27. 272 Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les puissances de l’Axe sont intégrées principalement par
l’Allemagne, le Japon et l’Italie. Cette alliance militaire avait pour finalité le contrôle territorial pour empêcher
les activités subversives, le rétablissement des relations politiques, diplomatiques et économiques connexes à
la guerre. Pour ce motif, au milieu des années 40, ces pays ont signé le «pacte tripartite», qui consistait à unir
les efforts afin d’instaurer et de garantir le bien-être collectif et la recherche de la paix mondiale. En ce sens, la Colombie se trouvait en situation de neutralité, toutefois, après l’attaque japonaise de Pearl Harbour contre les
bases militaires, le gouvernement des États-Unis est entré en guerre et la Colombie, en raison de sa solidarité
régionale, s’est unie aux intérêts américains pour la défense continentale. La Colombie, tenante du pacifisme,
a rompu les relations diplomatiques avec les pays de l’Axe qui avaient menacé et attaqué un pays américain.
Les conséquences ont été néfastes puisque selon les recherches sur la politique extérieure colombienne, Mesa
Valencia assure que “romper relaciones con el Eje abarcaba lo diplomático, lo comercial y lo financiero, por
tanto, una de las cláusulas del acta final de la conferencia estipulaba que cada gobierno, de acuerdo con su
legislación interna, debía aplicar las medidas adicionales que sean necesarias para interrumpir, durante la actual
122
réels, de documents trouvés dans les archives nationales du département de Colombie et des
États-Unis, “estos documentos, aún los más secretos, pasan al dominio público generalmente
al cabo de treinta años”273. En sus de ce qui précède, l’auteur reprend et transforme cette
information en matériel littéraire, pour réinventer le passé du point de vue humain et des
incertitudes morales, au travers de la lecture et de l’écriture, domaines qui permettent
d’arriver à ces coins inexplorés de l’histoire du pays:
Y hay, sobre todo, cosas, cuya función principal es probatoria. De vez en cuando cojo uno de los
casetes y confirmo que siguen allí, que todavía contiene la voz de Sara Guterman. Cojo una
revista de 1985 y leo algún párrafo: “Con el ataque japonés de la base estadounidense de Pearl
Harbor, en diciembre de 1941, Colombia decidió por fin romper relaciones con los países del
Eje…” Cojo el discurso de diciembre del 41, con el que Santos rompió relaciones con el Eje: “Nosotros estamos con nuestros amigos, y estamos firmemente con ellos. Nosotros cumpliremos
el papel que nos corresponde en esta política de solidaridad continental y sin odio para nadie…”.
Cojo una carta de mi padre a Sara, una carta de Sara a mi padre, un discurso de Demóstenes: estas
son mis pruebas. Soy sucesor, soy ejecutor y soy también fiscal, pero antes he sido archivista, he
sido organizador. Mirando hacia atrás- y atrás, aclaremos, quiere decir tanto un par de años como
medio siglo –los hechos cobran forma, un cierto diseño: significan algo, algo que no
necesariamente viene dado. Para escribir sobre mi padre, me he visto obligado a leer ciertas cosas
que a pesar de su tutoría no había leído nunca…Esos libros son también pruebas perentorias, y
cada uno de ellos obra en mi expediente, con todas las anotaciones que haya hecho mi padre. El
problema es que interpretarlos no está a mi alcance274.
D’autre part, dans le domaine du roman surgissent divers courants qui entrent en vigueur,
mais qui se repoussent les uns par rapport aux autres. Tel sont les cas du realismo mágico275
emergencia continental, todo intercambio comercial y financiero, directo o indirecto, entre el hemisferio
occidental y las naciones signatarias del Pacto Tripartito y los territorios dominados por ellas. Con esta medida,
se garantizaba que dentro de las repúblicas no se efectuaran operaciones comerciales que pusieran en riesgo el
principio de seguridad”. Andrés Felipe Mesa Valencia. Notes sur la politique extérieure colombienne à partir de la participation nord-américaine à la seconde guerre mondiale. Anu.colomb.hist.soc.cult [en ligne], 2015,
vol. 42, nº 2 [cité 2018-01-22], pages 237-266. Disponible sur:
http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S012024562015000200010&Ing=en&nrm=iso>I
SSN 0120-2456 http://dx.doi.org/10.15446/achsc.v42n2.53336 Consulté le 22 janvier 2018. 273 Alberto Donadio et Silvia Galvis. Colombia Nazi, op. cit., p.9. 274 Juan Gabriel Vásquez. Los Informantes, op. cit., pp. 101-102 275 Le réalisme magique est un courant littéraire qui a connu son apogée au milieu du XXe siècle. Ce mouvement
se manifeste par l’exaltation et la présentation de l’irréel et de l’étrange comme quelque chose de quotidien, en
fonction de la perception du romancier sur la réalité elle-même. Parmi ses principales caractéristiques, se
distingue le personnage de l’écrivain qui perce les réalités à partir de la découverte du caractère mystérieux de
tout ce qui l’entoure. Ces réalités sont transformées en phénomènes hallucinatoires et en impressions que les sujets perçoivent de leur environnement. Lorenz, par exemple, cité par Bonnett, indique ce qui suit: “Entre la
realidad que podría llamarse la «realidad real» y la «realidad mágica» tal como la viven los hombres, existe una
tercera realidad que no es sólo producto de lo visible y palpable, no sólo alucinación y sueño, sino la resultante
de la fusión de las otras dos”. Piedad Bonnett. “Lo real maravilloso y el realismo mágico”. Arte del siglo XX.
Lo mágico y lo maravilloso en Alejo Carpentier y Wilfredo Lam. Bogotá: Universidad Nacional de Colombia,
2004, pp. 41-53.
Ce terme de realismo mágico a été signalé initialement en 1925 par l’historien et critique d’art Franz Roh (1890-
1965) pour se référer à des réalités altérées figurant sur des tableaux. À cet égard, Carpentier indique que “lo
123
et du real maravilloso276 comme points de référence du récit colombien. Dans ces esthétiques
littéraires, les écrivains colombiens centrent leur intérêt sur de grands évènements d’ordre
public et privé, recréant et explorant le passé sous divers angles.
Un clair exemple d’élaboration esthétique du réalisme magique consiste à éclairer une
situation donnée de transcendance nationale dont le discours historiographique existant
manque de clarté, pour qu’ainsi, à partir du domaine de la fiction, on puisse arriver à connaître
une autre vérité historique possible grâce à la vérité littéraire. Comme démonstration
tangible, reconnue par les lecteurs de García Márquez, on trouve la reconstruction de l’autre
passé possible qui remplace une réalité historique que le romancier dépure et transforme en
une situation fictive, mais vraisemblable, à laquelle le lecteur accède, facilement et librement;
totalement différente du contexte exposé par l’histoire officielle. Son travail littéraire a
consisté à remplacer les mémoires individuelles, qui sont privées, par des mémoires
collectives qui deviennent publiques, enrichies de détails et d’actions incontournables pour
les révéler sur le plan esthétique.
Ce n’est pas pour rien que les œuvres de Garcia Marquez sont considérées de grands
classiques de la littérature latino-américaine, en particulier Cien años de soledad. Vásquez
que él llamaba realismo mágico era sencillamente una pintura donde se combinan formas reales de una forma
no conforme a la realidad cotidiana”. Alejo Carpentier. La novela latinoamericana en vísperas de un nuevo
siglo y otros ensayos. México. Siglo veintiuno Editores, 1981, p. 129.
Plus tard, l’écrivain vénézuélien, Uslar Pietri (1906-2001) dans son essai sur Letras…a repris ce terme pour se
référer aux caractéristiques propres du récit latino-américain. Je cite Uslar: “Lo que vino a predominar…y a marcar su huella de una manera perdurable fue la consideración del hombre como misterio en medio de los
datos realistas. Una adivinación poética o una negación poética de la realidad. Lo que a falta de otra palabra
podría llamarse un realismo mágico”. Arturo Uslar Pietri. Letras y hombres de Venezuela. México: Fondo de
Cultura Económica, 1948, p. 162. 276 Il convient de signaler, en outre, que l’écrivain cubain Carpentier (1904-1980) dans le prologue de son roman
El reino de este mundo emploie un autre terme avec des caractéristiques similaires à l’antérieur: lo real
maravilloso. Pour certains critiques, ce concept a été durant quelques années synonyme de realismo mágico;
pour d’autres, le terme correspond à une catégorie littéraire dans laquelle est soulignée la particularité de la
stupéfaction, de l’insolite, et propose une rupture d’avec les canons littéraires fixés pour redécouvrir le sujet et
son essence latino-américaine; c’est-à-dire son histoire, ses traditions, croyances, idéologies présentes, entre
autres, dans le récit et la culture nationale. Ainsi, est donc souligné que pour l’auteur cubain lo real maravilloso est une caractéristique propre de l’extraordinaire qui cohabite sans problèmes avec une réalité ontologique.
Bonnett cite Charpentier: “Que lo real maravilloso es patrimonio de América…Nuestro continente es el único
esencialmente mestizo en el mundo moderno, y que nuestra cultura, al ser el resultado de una serie de
conjunciones diversas, históricas, sociales, étnicas, económicas, se convierte en un caudal de mitologías que el
escritor latinoamericano debería estar dispuesto a explorar”. Piedad Bonnett. Arte del siglo XX, op. cit., pp. 41-
53.
124
propose de ne pas circonscrire cette œuvre au “real maravilloso”277, mais de la lire comme
“roman historique”278, car elle concentre tout son attention sur “el arte de la distorsión”279.
En ciertas páginas de Cien años de soledad, García Márquez multiplica las dudas sobre un
episodio convulso de la historia colombiana: la masacre, en 1928, de un número indeterminado
de trabajadores de las plantaciones bananeras. La historia oficial sostuvo en algún momento que
las víctimas habían sido nueve; luego se aceptó, con cierta reticencia, que podían ser más de cien; en la novela, José Arcadio Segundo es testigo de que los muertos fueron tres mil. Se trata de una
distorsión deliberada de la historia, de una intromisión de narradores múltiples en los archivos
cerrados de las versiones sancionadas, y su objetivo es abrir una tronera en la tapia por donde la
novela puede mirar hacia otras verdades, huir hacia otros lugares que no están en ninguna parte,
decirnos algo que sólo la novela puede decir.280
En conséquence, Giraldo mentionne ce qui suit:
…con el regreso al pasado nacional, latinoamericano y occidental, se asume una actitud de
recapitulación en la cual se recrea un periodo histórico y se fabulan diversas realidades,
personajes y acontecimientos281.
À cet égard, il convient de dire que ces nouvelles révisions de l’histoire véhiculent des
réflexions et des investigations autour d’idéaux, d’utopies et de processus de diverse nature
qui définissent et caractérisent chaque période historique. Des techniques littéraires et des
usages de la langue émergent pour expérimenter et proposer de nouveaux modèles littéraires
et culturels, propres à fictionnaliser l’histoire.
Vásquez pour sa part, se submerge dans des faits réels pour spéculer sur l’inconnu et, ainsi,
enrichir et modifier les histoires officielles par son inventivité et ses expériences, non
seulement personnelles, mais aussi celles d’autrui dans le domaine de la fiction. De même, il
évoque constamment dans sa fiction une grande variété d’intertextes282 littéraux rénovés et
277 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p. 35. 278 Ibid., p. 36. 279 Ibid., p. 38 280 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 42. 281 Luz Mery Giraldo. Fin de siglo: narrativa colombiana. Lectura y críticas. Santiago de Cali: Centro Editorial
Javeriana CEJA, 1995, p. 12. 282 À propos du terme intertexte fourni par Genette, le théoricien mentionne l’ensemble de textes, de discours
existants et actuels sur l’œuvre, soit sous forme de citations, d’allusions ou de plagiat. L’auteur français le
définit ainsi: “L’intertexte, écrit-il par exemple, est la perception par le lecteur de rapports entre une œuvre et
d’autres qui l’ont précédée ou suivie”. Gérard Genette. Palimpsestes, op. cit., p.8. De même, Kristeva est entrée
dans la structure romanesque et ses multiples absorptions à l’intérieur du corpus littéraire, qui se présente
comme un ensemble de connexions textuelles en son sein. L’auteur affirme ce qui suit: “Le texte littéraire
s'insère dans l'ensemble des textes: c'est un écrit-réplique (fonction ou négation) d'un autre (des autres) texte(s)”.
Julia Kristeva. Sémiotique 1, op. cit., p. 235.
125
métamorphosés d’autres romanciers, tels Joseph Conrad283, Gabriel García Márquez284,
Rafael Humberto Moreno Durán285 et Miguel Torres286, de poètes comme José Asunción
Silva287, León de Greiff288 et Aurelio Arturo289, l’orateur Démosthène290 et des recherches
entreprises par l’avocat Marco Tulio Anzola291, à partir desquelles le romancier colombien
se permet d’ourdir de nouvelles narrations issues de la révélation et de la prise en compte
d’un passé latent. Ce passé est traité comme un produit narratif disponible pour être présenté
sous de multiples formes, selon les perceptions et les considérations de l’auteur.
283 Joseph Conrad (1857-1924). Écrivain polonais considéré comme un des plus célèbres de la littérature
anglaise, puisque tous ses récits ont été écrits dans cette langue. Dans la biographie faite par JGV en 2004,
intitulée Joseph Conrad. El hombre de ninguna parte, l’écrivain colombien a spéculé sur la vie de cet auteur,
sur ses voyages comme marin et sur sa fiction, allant jusqu’à adopter dans ses récits le personnage de Conrad
avec son nom propre; en plus de son œuvre célèbre Nostromo, publiée en 1904. En ce sens, dans Historia
secreta de Costaguana de JGV, il est possible de mettre en évidence cet intertexte. 284 Gabriel García Márquez (1927-2014). Écrivain colombien et prix Nobel de Littérature, en 1982. Ses
mémoires publiées dans Vivir para contarla 2002, ont été inclues dans le discours romanesque de JGV dans La
forma de las ruinas pour signaler son importance comme écrivain et la justesse de ses observations face à l’évènement historique, lors des évènements du 9 avril 1948. 285 Rafael Humberto Moreno Durán (1945-2005). Célèbre écrivain colombien du XXe siècle, plus connu
comme R.H. par ses amis et membres de sa famille. Dans le récit mentionné, il se souvient de son décès, de ses
causes et de sa proche relation avec l’autre romancier JGV. De même, JGV réfléchit sur le paratexte du roman
Juego de damas de Moreno Durán, publié en 1977 dans son dernier roman, La forma de las ruinas. 286 Miguel Torres. Est souligné l’intérêt de cet écrivain colombien qui a dédié une partie de sa production
littéraire à la réalisation de la trilogie sur El Bogotazo. Cette trilogie est composée de El crimen del siglo, 2006,
El incendio de abril, 2012, et de La invención del pasado, 2016. Dans La forma de las ruinas, JGV mentionne
l’importance de cet écrivain et de ses œuvres pour le pays. 287 José Asunción Silva (1865-1896). Poète colombien considéré comme l’un des plus représentatifs du
Modernismo. Son legs est conservé à la Maison de la Poésie Silva, située dans sa ville natale, Bogotá, qui a ouvert ses portes au public en 1986. Dans El ruido de las cosas al caer, JGV a recours à un jeu de mots et à des
accents par lesquels il fusionne son discours romanesque avec le “Nocturno” de Silva, publié dans le libro de
los versos. 288 Francisco de Asis Leon Bogislao de Greiff Häusler, prestigieux poète colombien du XXe siècle, plus connu
León de Greiff (1895-1976). Promoteur et fondateur de la revue littéraire Los Panidas de Medellín, en 1915, et
Los nuevos, en 1925. Dans ces deux revues, il a publié une partie de son œuvre poétique. D’autre part, dans la
Forma de las cosas, JGV cite un des poèmes de De Greiff intitulé “Ritornelo”. 289 Aurelio Arturo Martinez (1906-1974). Bien que son œuvre soit brève, il est considéré comme un des poètes
colombiens les plus prestigieux en son genre. Il a écrit un seul livre Morada al Sur, publié en 1963, dans lequel
il a compilé ses poèmes. JGV, dans son discours romanesque, inclut le poème “Ciudad de Sueño” de Aurelio
Arturo, caractérisé par sa sonorité et sa relation avec le titre du roman El ruido de las cosas al caer. 290 Démosthène (384 a. C-322 a.C). Fameux orateur athénien et écrivain de discours judiciaires. Sobre la corona
est un de ses meilleurs discours, proclamé en 330 av. J.C, et repris par Los informantes de JGV pour décrire
l’habileté rhétorique de son personnage Gabriel Santoro père. 291 Marco Tulio Anzola Samper. Avocat de la famille du général Rafael Uribe Uribe. Sa recherche sur le
magnicide a été consignée dans son livre ¿Quiénes son?, en 1917. Dans ce livre, il a condensé sa version
officielle des mobiles du crime et une étude sur le procès. Dans La forma de las ruinas, JGV reprend cette
recherche comme un texte de fiction qui continue de soulever des questions sur les faits véritables et qui analyse
les théories conspiratives ourdies autour de ce crime.
126
Dans les fictions en général, la construction de la condition humaine et des situations de
diverse nature font voir les romanciers comme des dieux tout puissants qui ont la faculté de
concevoir des mondes possibles. En conséquence, on s’attend à ce que les lecteurs deviennent
des adeptes de leurs récits, car chacun d’entre eux interprète de multiples manières, compte
tenu de son bagage culturel, de ses perceptions, expériences et intérêts littéraires. On souligne
aussi que les lectures d’une même œuvre, à différentes étapes de la vie, peuvent être
différentes, car les lecteurs ont aussi la capacité de réinventer leurs modes de lecture,
d’interroger et d’explorer les ressources et outils littéraires propres à chaque récit. Sur cette
dernier point, l’auteur affirme que “la lectura de ficción es una droga; el lector de ficciones,
un adicto”292. C’est pourquoi JGV se considère comme un grand lecteur de fictions, ce qui
lui a valu d’avoir de multiples référents pour la construction de ses récits et, en outre, de
réfléchir sur l’art de l’écriture. C’est ainsi que cet auteur, en particulier, réfléchit sur une
grande variété de techniques narratives et sur les méthodes qu’il emploie pour donner
naissance à des mondes possibles qui varient dans chacun de ses romans officiels. Par
exemple, la reconstruction de vies qui auraient pu exister, la prise en considération
d’expériences réelles pour les relier au récit, la découverte et l’exploration de lieux secrets
qui ne peuvent être imaginés et recréés dans ses récits qu’à partir du domaine de la fiction.
À ce sujet, Vásquez indique ce qui suit:
El escritor, decía Borges, crea sus propios precursores. Así es: el novelista, fiel a su vocación
parasitaria, toma de la vida los hechos que le sirven para hacer novelas, y toma de las novelas los
instrumentos que le sirvan para narrar esos hechos, consciente de que los logros de los
predecesores pertenecen al sucesor. Y al hacerlo establece una relación particular, una especie de
búsqueda de identidad que a veces pasa por el enfrentamiento con los padres literarios, y a veces
por su asesinato o premeditación y alevosía; pero siempre pasa por lo que Harold Bloom, en este
librito maravilloso y plagado de excesos que es The Anxiety of influence, llama act of misreading, lo cual puede traducirse como “malinterpretación” y también como “mala lectura”. El novelista
sucesor, el novelista que recibe la influencia de un libro importante como Cien años de soledad,
lleva a cabo una mala interpretación de la novela, una lectura revisionista que parte de una mentira
necesaria, o, por lo menos, necesaria para el novelista sucesor: el libro del padre es insuficiente,
defectuoso, incompleto. El novelista sucesor dice: mi obligación es corregirlo293.
Dans le cas du García Márquez a conçu de nouvelles versions de la mémoire historique en
abordant une des nombreuses énigmes de l’histoire colombienne. C’est ce que démontre,
292 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p. 19 293 Ibid., p. 19.
127
dans Cien años de soledad sa recréation esthétique du “masacre de las bananeras”294, fait
historique réel, survenu en décembre 1928 dans la zone bananière, proche du village
d’Aracataca, Magdalena, Colombie. Cet évènement allait rester inscrit de manière
inconditionnelle dans son roman le plus primé. L’auteur fictionnalise le nombre de morts et
fournit plus de détails que l’historiographie; de même, la vérité littéraire idéalisée dans cette
œuvre, a été acceptée par certains comme vérité historique. Face à cet évènement, Gabriel
García Márquez a déclaré ce qui suit:
Fue así como la cifra de muertos la mantuve en tres mil, para conservar las proporciones épicas
del drama, y la vida real terminó por hacerme justicia: hace poco, en uno de los aniversarios de
la tragedia, el orador de turno en el Senado pidió un minuto de silencia en memoria de los tres
mil mártires anónimos sacrificados por la fuerza pública295.
Une autre de ses caractéristiques narratives est l’invitation faite au lecteur de participer à la
construction des faits, car il y a des détails et des évènements qu’il laisse le soin à
l’imagination de reconstruire et d’interpréter. Comme nous l’avons mentionné, des
thématiques liées à la violence et à l’identité culturelle latino-américaine sont latentes
294 Le massacre des ouvriers, advenu le 6 décembre 1928, par des troupes de l’Armée colombienne, contre un
rassemblement de grévistes de la multinationale United Fruit Company, a été un des nombreux épisodes
douloureux qui ont été inscrits dans la mémoire collective de ses habitants pendant plusieurs générations. De
même, ces évènements ont été mis en valeur et repris dans différents domaines tels le littéraire, l’historiographie, la sociologie et même la caricature politique, entre autres, par des nationaux et des étrangers. Cet épisode
historique continue de présenter des interprétations diverses, et nous n’avons toujours pas de certitudes sur le
vrai déroulement des faits. On affirme généralement que cette grève des travailleurs trouve son origine dans
leur volonté de légaliser et d’améliorer leurs conditions de travail et salariales, conformément aux lois
colombiennes en vigueur à cette époque. En conséquence, les travailleurs organisèrent la manifestation pendant
plus d’un mois; d’où des répercussions politiques, économiques et sociales pour le pays, en particulier pour les
agriculteurs et les commerçants. Pour faire taire les manifestants et dissoudre le rassemblement de travailleurs,
a été délégué, comme chef civil et militaire de la zone bananière, le général Carlos Cortés Vargas. Selon les
recherches menées par Elías Caro, sa mission était de calmer les ouvriers; toutefois, il a perdu le contrôle de la
situation, et appliquant les ordres du gouverneur Nuñez Roca, il a pris des décisions erronées, engendrant un
spectacle macabre: “los cadáveres, los heridos, los familiares de la víctimas originaron unas imágenes desconsoladoras. En fin, una vergüenza total para los anales del Ejército colombiano”. Jorge Enrique Elías
Caro. “La masacre obrera de 1928 en la zona bananera del Magdalena-Colombia. Una historia inconclusa”.
Andes, Salta, v. 22, nº 1, juin 2011. Disponible sur
http://www.scielo.org.ar/scielo.php?script=sci_arttex&pid=S1668-80902011000100004.
Dans ces conditions, la responsabilité des funestes évènements est attribuée au général Cortés Vargas. Pour sa
part, le fameux caricaturiste, Ricardo Rendón (1894-1931) a consacré deux de ses dessins à ces évènements de
la grève des bananeraies, intitulés Regreso de cacería. 295 Gabriel García Márquez. Vivir para contarla, op. cit., p.73
128
puisque les romanciers fouillent dans les guerres entre libéraux296 et conservateurs297, comme
c’est le cas de la Colombie, où pendant plusieurs années du XXe siècle, les deux partis
politiques ont lutté pour le pouvoir et l’autorité, déclenchant la naissance des guérillas et
contribuant aux situations de désintégration sociale qui ont affecté le milieu politique et social
du pays.
D’autre part, chez Vásquez, les influences littéraires sont diverses, car des écrivains
nationaux et étrangers ont été ses modèles d’écriture: Cervantes, Shakespeare, Conrad,
Dostoievky, Faulkner, Vargas Llosa, García Márquez, Roth, Borges, Onetti, etc. Tous ont
permis à cet auteur de “enfrentarse a verdades monolíticas, introducir la discordia, sembrar
el desorden y romper con la monocromía”298, dans la création de sa fiction. Ces
caractéristiques lui ont permis de penser à une réalité colombienne non décrite qui part des
incertitudes et des insécurités, en essayant d’inclure de nouveaux outils narratifs et la
combinaison de genres. Tout ce parcours, affirme l’auteur, prend du temps et réclame des
soins; il faut donc un ou plusieurs romans pour atteindre la maturité comme romancier. Pour
ce motif, au niveau de son processus de formation, il considère que ses deux premiers romans,
Persona (1997) et Alina suplicante (1999) font partie de ce processus de formation par lequel
doit passer tout écrivain.
Considérant cette approche, nous soulignons que le récit, en général, peut modifier ou non la
vérité historique; ce qui est ingénieux de la part de l’écrivain est de se servir des données
historiques, de fournir le contexte, de créer et d’explorer des secrets pour révéler des vérités
fictionnalisées. En conséquence, l’écrivain réinvente l’histoire en y mêlant de nouveaux
récits, et il ouvre de nouvelles pistes de lecture enrichie et transformée. À cet égard, JGV
déclare que:
296 Le Parti libéral colombien se réfère à un parti politique fondé par l’idéologue José Ezequiel Rojas Ramirez (1803-1873) afin de lutter pour la liberté et l’égalité des citoyens. Pendant plus d’un siècle, ce parti a pris part
aux différents affrontements civils qu’a dû affronter l’État colombien. 297 Le Parti conservateur colombien est le second parti politique de la Nation. Il a été fondé par le 11e Président
de la République de Nouvelle-Grenade, Mariano Ospina Rodriguez (1805-1885), homme politique, avocat et
journaliste. Parmi ses principaux idéaux, figure celui de condamner toute activité allant à l’encontre de la loi et
des valeurs conservatrices. Les deux partis, le libéral et le conservateur se sont fortement implantés,
respectivement dans les années 1848 et 1849. 298 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p. 70.
129
En el episodio de la Masacre de las Bananeras, 100 años de soledad da cuerpo, tal vez
involuntariamente, a uno de los debates más recurrentes de las últimas décadas: la imposibilidad
de conocer la historia, o, más bien, la idea de que toda historia, puesto que no es contada, es
apenas una versión299.
C’est ainsi qu’il dévoile le passé pour le transformer en quelque chose de susceptible d’être
narré à partir d’une approche romanesque, donnant lieu à un nouveau prototype de roman qui
est lié à la capacité et au pouvoir de dénaturer l’histoire. Tel est le cas du massacre des
bananeraies vu ci-dessus, puisque n’existant aucune certitude au sujet du nombre de morts ni
aucun support dans les documents officiels du pays, il est permis de spéculer et de dénaturer
la vérité des faits historiques, les émotions et l’horreur des évènements, les témoins et les
victimes lésées, le décor, etc.
En ce sens, les romanciers de la génération postérieure à García Márquez ont dû réévaluer le
récit, en s’orientant vers un nouveau pari esthétique. Il convient d’ajouter que le roman a
observé de nombreux auteurs, lieux géographiques, cultures, races, célébrations, discours,
thématiques, formes d’expression et influences littéraires qui renvoient à un sentiment
d’appartenance, d’approche ou d’exploration de l’histoire pour découvrir l’inconnu, acquérir
et peaufiner les connaissances acquises ou confirmer les (in)certitudes autour des faits
présentés dans les différentes enceintes littéraires. C’est pourquoi les œuvres récentes
reflètent une nouvelle manière de sentir, une attitude sociale et une infinité d’interprétations
autour de réalités et d’expériences, tant individuelles que collectives.
Ce qui précède suscite l’inclusion et la contextualisation de différents éléments qui sont
expérimentés à partir d’un contexte tant historique, social et politique que littéraire. De cette
manière, les romans forment un legs exceptionnel qui renvoie à différents modèles narratifs
et approches du roman en général; de même, ils constituent une approche à la construction
d’images dans divers domaines et espaces de la Colombie ou d’autres pays.
D’une certaine manière, le récit colombien et latino-américain a produit de très bons romans
et des auteurs qui ont intéressé les critiques littéraires, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, à
diverses époques qui ont fourni une bonne diversité d’axes thématiques et de tendances
299 Ibid., p. 41.
130
littéraires rénovées par rapport à celles des auteurs des décennies antérieures. Au sein de ces
nouvelles générations d’écrivains, observées depuis la fin des années 70, leurs approches ont
consisté à explorer l’histoire officielle et la ville fragmentée comme des univers susceptibles
d’être précisés. Tels sont les cas de Juan Esteban Constain avec son roman El hombre que no
fue jueves (2014) et de Ricardo Silva Romero avec Historia oficial del amor (2016), pour ne
mentionner que quelques-uns des plus remarquables, qui s’occupent de dépeindre non
seulement les espaces géographiques, mais aussi les consciences, l’identité nationale, la
tradition urbaine orale et leurs atmosphères qui enrobent de multiples univers imprécis,
existant dans le domaine de la fiction.
Pour entrer dans les formes narratives existantes, un clair exemple est Gabriel García
Márquez, avec son chef-d’œuvre Cien años de soledad, qui a été considéré par Figueroa300
“una de las descripciones críticas más contundentes de la sociedad colombiana”301. Cette
œuvre littéraire fait partie des romans du boom302 et a été aussi inscrite dans le courant
littéraire du realismo mágico, selon les termes de Seymour Menton303. Il faut prévenir que le
realismo mágico est connu comme un mouvement littéraire entendu “como una
interpretación de la vida americana”304 ancré dans le quotidien et perçu comme
extraordinaire, ou dans l’inexistant, le fantastique et l’étrange comme quelque chose
300 José Antonio Figueroa est un anthropologue reconnu et un chercheur colombien passionné de littérature
latino-américaine et d’études culturelles latino-américaines. Ses travaux académiques ont tourné autour des
cultures indigènes, du Vallenato comme discours propre à la Colombie; ainsi que sur les imaginaires littéraires
et politiques des Caraïbes analysés à partir de textes émanant de personnages politiques, romanciers et sociologues ayant leurs racines sur le littoral caraïbe. 301 José Antonio Figueroa. “Gabriel García Márquez: Modernidad periférica y narrativa neocolonial”. Realismo
mágico, vallenato y violencia política en el Caribe colombiano. Bogotá: Instituto Colombiano de Antropología
e Historia, 2009, p. 27-37. 302 L’écrivain colombien Gabriel García Márquez (1927-2014) fait partie des principaux exposants du
phénomène littéraire du Boom latino-américain. Ce mouvement s’est épanoui entre 1960 et 1970. Il a proposé
de nouvelles formes d’utilisation du langage littéraire et a défié les camons et les modèles traditionnels du
roman. Dans ses propositions narratives, il a expérimenté le réalisme magique, le réel merveilleux et la critique
sociale face à diverses situations liées à l’identité nationale, aux évènements politiques, sociaux et révolutions
auxquels faisait face le pays à ces époques; ses exposants ont mêlé dans leurs écrits la fantaisie au réel et ont
introduit de nouveaux sens et usages par rapport au temps du roman, aux espaces urbains, ruraux, l’intérêt pour l’histoire et l’inclusion de néologismes. Dans ce groupe représentatif, on trouve aussi les écrivains latino-
américains Julio Cortázar (1914-1984), Carlos Fuentes (1928-2012) et Mario Vargas Llosa (1936). 303 Seymour Menton. “La novela colombiana: planetas y satélites”. Caminata por la narrativa latinoamericana.
México: Fondo de cultura económica, 2002, p. 475. 304 Fernando Ayala Poveda: Manual de literatura colombiana. Bogotá: Panamericana Editorial Ltda, 2002, p.
364.
131
d’ordinaire. En conséquence, cette attitude et réflexion face à la réalité ne sont autres qu’une
préoccupation stylistique alimentée par la superposition de différents plans temporels, par la
représentation du sensoriel et la vision onirique de situations et d’expériences réelles. Les
deux critiques, Figueroa et Menton, soulignent la correspondance du récit colombien des
dernières décennies avec une réécriture de l’histoire par laquelle différents auteurs ont
approfondi divers aspects, culturel, social, politique, idéologique, religieux et artistique du
contexte colombien, associés à d’autres espaces, en instaurant des relations intertextuelles et
dialogiques. Dans ce parcours littéraire, les romanciers recréent leurs réflexions à partir de
leurs interprétations et critiques, donnant naissance à de nouvelles projections et
actualisations du discours romanesque, selon les tendances et les époques de l’écriture et de
la lecture des œuvres. Ceci indique qu’indubitablement le roman et sa réception esthétique
sont liés aux projections des périodes actuelles dans lesquelles on trouve une grande variété
de thèmes et de ruptures par rapport aux canons antérieurs.
Il convient d’ajouter que dans les années 90, une série de romans liés à la violence est
réapparue, incorporant diverses connexions intertextuelles qui correspondaient à la situation
de l’époque et aux identités propres à la société et à la culture colombiennes. Tous construits
en fonction de divers évènements historiques présentaient des positions de différente nature,
selon l’intérêt du romancier et de son entourage. Ces intérêts étaient associés à l’idéalisation,
à la critique et à l’appréciation d’un phénomène quelconque dans un monde changeant,
marqué par des évènements significatifs et décisifs pour l’auteur et son entourage. Y
convergeaient des valeurs et des anti-valeurs soulignées pendant le déroulement des œuvres
et qui, en outre, exaltaient l’histoire officielle de la Colombie et de l’Amérique latine.
Dans ce contexte, ces écrivains recourent à des expériences extrêmes d’un pays dans le cadre
de leur écriture littéraire. Quelques romans, pour ne mentionner qu’eux, comme La Virgen
de los sicarios (1994) de Fernando Vallejo, Las muertes de fiesta (1995) d’Evelio Rosero,
Mambrú (1996) de Rafael Humberto Moreno Durán, Perder es cuestión de método (1997)
de Santiago Gamboa, La novia oscura (1999) de Laura Restrepo, centrent leur intérêt narratif
sur la littérature de la violence, narrant des évènements démesurés en fonction de diverses
132
approches: politique, économique, religieuse, ainsi que, du point de vue de la psychologie,
de la morale et de la violence physique que vivent les personnages du récit.
C’est dire que le genre littéraire narratif, largement développé par JGV, décrit par excellence
les excentricités de la société et les exacerbations des individus qui la composent, en en
faisant des muses idéales pour ses écrits et en recréant des styles classiques ou rénovés qui
donnent naissance à des classifications et à des typologies favorables à la théorie littéraire.
De même, différentes typologies narratives dynamisent le discours officiel de l’histoire, pour
s’immiscer dans un passé turbulent, du point de vue politique, social, religieux et
économique, entre autres. Tel est le cas du roman de la violence, du roman historique et du
nouveau roman historique. Ces catégorisations visent à reprendre des évènements sociaux
traumatisants pour un pays, afin de les présenter sous un nouveau jour, et de manière
pittoresque, comme de possibles versions basées sur la réalité. C’est le cas de JGV qui élabore
chacun de ces modèles dans ses romans et confère un style particulier à chacun.
Pour commencer, le roman de la violence, selon les critiques Bedoya et Escobar, intègre la
fiction dans des évènements historiographiques qui sont nuancés sous de multiples aspects:
sociologique, psychologique et politique. Ce type d’écriture conduit les auteurs à pousser
leurs ressources à l’extrême et à prendre conscience de l’histoire, de ses causes et
conséquences, qui sont toujours actuelless. Par exemple, des écrivains comme Daniel
Caicedo dans son roman Viento seco (1954), García Márquez dans La mala hora (1964) et
Manuel Mejía Vallejo dans El día señalado (1964). Tous ces romans portent sur des faits qui
gravitent autour de la violence, des déplacements forcés et des guerres auxquelles le pays a
dû faire face depuis diverses époques.
Dans cette perspective, on parvient à avoir diverses approches critiques sur plusieurs faits
sociaux qui ont poussé divers auteurs colombiens à explorer l’histoire comme thématique ou
question tournant autour de la violence. Le résultat attendu serait que le pays comprenne et
se comprenne pleinement au travers du roman, en conjonction avec d’autres contextes et
évènements qui se sont répercutés sur l’histoire. Parmi quelques-uns de ces faits sociaux
133
recréés dans ces histoires, on trouve Le massacre de Ceylan305 dans le Valle del Cauca et
l’incendie de la Maison libérale à Cali306 dans Viento seco, las consecuencias de los
pasquines307, dans La mala hora et la lutte entre guérilleros et soldats308, dans El día señalado
(1964).
A propos du roman sur la violence en Colombie, Bedoya et Escobar assurent ce qui suit:
305 Le massacre de Ceylan est un des nombreux génocides que la Colombie a connus. Ce dernier est survenu le
21 octobre 1949 dans le département du Valle del Cauca, au cours duquel 150 personnes ont été torturées et
assassinées, au milieu de scènes de terreur. On a parlé, à cette occasion, de violence officielle et privée due aux
divers affrontements entre partis libéral et conservateur. Cet épisode a été commis principalement à l’encontre
des libéraux, avec pour victimes des hommes, femmes et enfants de tout âge. L’armée nationale et les
chulavitas, connus aussi comme «los pájaros», figurent parmi les agresseurs directement impliqués. Selon
Caicedo, ce dernier terme se réfère à un “sujeto oriundo de una región de Colombia, tristemente famosa por su
oscurantismo y por su tendencia a imponerse fanáticamente mediante la violencia criminal. La dictadura empleó
sujetos de esta índole como policías o detectives con la consigna de eliminar sin piedad a sus adversarios
políticos”. Daniel Caicedo. Viento seco. Buenos Aires: Editorial Nuestra América, 1954, p. 46. 306 De violents évènements se sont aussi déroulés dans la maison libérale de Cali, le 22 octobre 1949, quand des
policiers en uniforme ont pénétré dans les lieux, déclenchant l’attaque. Face à cet épisode, Donadio affirme que “ en la casa Liberal nadie tenía armas”, et que toutefois ils sont entrés en tirant, laissant sur le terrain une
centaine de morts et de blessés. Alberto Donadio. ¿Orgía?, El Espectador, 15 septembre 2010. https:
//www.elespectador.com/opinion/orgia-columna-224552, consulté le 29/01/2018. 307 Cette pratique a entraîné dans le pays une grande quantité de morts, en particulier, dans différentes parties
de la capitale. Par exemple, depuis plusieurs années, ces pamphlets, tracts ou avertissements sont Los pasquines
est un terme péjoratif se référant aux personnes qui publiaient des écrits anonymes sous forme de moquerie ou
de satire contre une personne ou une association. Dans le roman La mala hora, par exemple, García Márquez
dénonce les conséquences du tract comme l’art de la conspiration. “El secretario no tenía deseos de seguir
conversando, extenuado por el hambre y la sofocación, pero no creyó que los pasquines fueran una tontería.
“Ya hubo el primer muerto”, dijo. “Si las cosas siguen así tendremos una mala época”. Y contó la historia de
un pueblo que fue liquidado en siete días por los pasquines. Sus habitantes terminaron matándose entre sí, los sobrevivientes desenterraron y se llevaron los huesos de sus muertos para estar seguros de no volver jamás”.
Gabriel García Márquez. La mala hora.1962, p. 28 Cette pratique a entraîné dans le pays une grande quantité
de morts, en particulier, dans différentes parties de la capitale. Par exemple, depuis plusieurs années, ces
pamphlets, tracts ou avertissements sont laissés sur des feuilles de papier “por una sombra sin rostro debajo de
una puerta, en los asientos de las busetas, en colegios o en los postes de la luz”, soit pour pratiquer l’extorsion
ou faire peur, entre autres, aux leaders, aux professeurs, à la communauté LGBTI ou aux délinquants. Parfois,
ces publications sont adressées au public en général et, dans d’autres cas, à une personne en particulier.
Rédaction Bogota. El Espectador. “La muerte en forma de pasquín”, 28 mars 2009.
https://www.elespectador.com/impreso/bogota/artículoimpreso131642-muerte-forma-de-pasquin.
Consulté le 29 janvier 2018. 308 La lutte entre guérilleros et soldats qui, en d’autres termes, correspond au conflit armé interne en Colombie, trouve ses origines dans la lutte entre libéraux et conservateurs dans les années 40 et 50. Cette situation existe
depuis plusieurs décennies et perdure entre l’État colombien et les différentes guérillas qui continuent d’opérer
à l’intérieur. Par exemple, des épisodes récents dans le pays indiquent que ces groupes en marge de la loi font
pression sur le gouvernement par des attaques subversives qui, malheureusement, font des victimes. Le cas le
plus récent est survenu le 27 janvier 2018 lorsque l’ELN (Armée de Libération Nationale) s’est attribué
l’attentat contre les forces policières. Luz Carime Hurtado González, El Espectador, “Atentado en Barranquilla:
todo apunta al ELN”. 28 janvier 2018. https://www.elespectador.com/noticias/judicial/atentado-en-
barranquilla-todo-apunta-al-eln-artículo-735931. Consulté le 29 janvier 2018.
134
La violencia física directa que tuvo lugar en el pasado reciente del pueblo, aflora en el hoy de la
narración y en la conciencia como recuerdo amargo, resentido y deseoso de venganza. No se
olvidan los muertos, el despojo de los bienes y la persecución política, sino que todo ello adquiere
presencia en la sicología de la gente309.
En ce sens, et reprenant le récit chez JGV, on note son intérêt pour les périodes troubles en
Colombie. Quelques-uns des faits abordés par cet auteur conjuguent le présent et le passé,
comme dans le cas de Los Informantes (2004) et recrée la Colombie des années 40 pendant
la Seconde Guerre Mondiale. Est dénoncée la publication de listes noires par les
gouvernements colombien et américain, ainsi que la détention postérieure de citoyens des
pays de l’Axe dans des camps d’internement310, donnant lieu à de nouvelles révélations et à
de nouveaux témoignages qui surgissent de la lecture de leurs œuvres.
De même, des histoires vécues, tant par des personnages historiques, des romanciers
nationaux et étrangers reconnus, que par le commun des mortels, sont recrées dans le cadre
de la fiction de JGV. Tel est le cas de personnages historiques, comme Simón Bolívar311,
Ferdinand de Lesseps312,, Manuel Sanclemente313, Rafael Nuñez314, Luis Carlos Galán315, et
309 Luís Iván Bedoya et Augusto Escobar. La novela de la violencia en Colombia. Medellín: Ediciones Hombre
Nuevo, 1980, p. 18. 310 Pour plus d’informations sur ce thème, veuillez consulter la recherche effectuée par les journalistes Silvia
Galvis et Alberto Donadio, dans leur livre Colombia Nazi. 1939-1945. 311 Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar Palacios Ponte y Blanco (1783-1830). D’origine
vénézuélienne, fondateur et Président de la République de Gran Colombia. Il est considéré comme une des
figures les plus influentes de l’histoire de l’Amérique et de l’histoire universelle pour ses idéologies et actions
en matière d’émancipation hispano-américaine. Carlos, Uribe Celis, “La República de Colombia del Libertador
Simón Bolivar”. Análisis. Revista colombiana de Humanidades, nº 83, 2013, pp. 321-344. Editorial Universidad
Santo Tomás. 312 Ferdinand de Lesseps (1805-1894). Homme d’affaires et diplomate français. Connu pour avoir dirigé deux
des plus grandes œuvres d’Ingénierie. La première, le Canal de Suez (1859-1869) et la seconde, la construction
du Canal de Panamá (1882-1889). Ce dernier chantier n’a pu être conclu, causant la banqueroute de tous les
investisseurs du grand projet interocéanique, connu comme un des plus grands scandales financiers de l’histoire.
“Centenario del canal de Panama, 1914-2014”, Urbano, vol. 17, nº 29, 2014, pp. 88-92. Éditions Universidad
del Bío Bío. 313 Manuel Antonio Sanclemente (1814-1902). Président octogénaire de la République pendant la période 1898-
1900. Pendant son mandat, a éclaté la Guerra de los mil días, en 1899, lors de laquelle le Parti libéral a déclaré
la guerre à l’État ce qui a causé sa chute. Rafael Rubiano Muñoz Guerra. “ Nación y derechos. A los 112 años
de la guerra de los Mil días (1899-1902)”. Vol. 10, nº 20, pages 175-192- Juillet-décembre 2011, Medellín,
Colombie. 314 Rafael Wenceslao Nuñez Moledo (1825-1894). Président de la République de Colombie sur trois périodes:
(1880-1882), (1884-1886) et (1886-1888) comme candidat conservateur. Il a aussi composé les paroles de
l’hymne national adopté en 1920. Pendant son gouvernement, ont débuté les travaux de construction du Canal
interocéanique et du chemin de fer. “ Son legs le plus important a été la conception de la Constitution de 1886”.
José Rafael Martinez Castro et Silvia Beatriz Gette Ponce. “ Rafael Wenceslao Núñez Moledo”, Justicia, vol
10, octobre 2008-Mars 2009, pp. 15-21. 315 Luis Carlos Galán Sarmiento (1943-1989). Candidat présidentiel du parti libéral, en 1989. Parmi les idéaux
du politicien colombien, celui de rénover le parti Libéral colombien au nom du “Nouveau Libéralisme”, parti
135
de romanciers comme Joseph Conrad, Santiago Pérez Triana, García Márquez, Rafael
Humberto Moreno Durán, Miguel Torres, entre autres, qui sont sont inclus dans ses romans
en fonction de divers domaines de la connaissance comme l’historiographie, la psychologie,
la politique et la littérature. Dans ces nouvelles créations littéraires, comme Los informantes
(2004), Historia secreta de Costaguana (2007), El ruido de las cosas al caer (2011), La
forma de las ruinas (2015), l’auteur JGV mêle ses idéaux, plusieurs conventions littéraires
et des activités quotidiennes, soit pour rehausser, soit pour avilir la transcendance sociale de
ces personnages dans un nouveau contexte créé et fictionnalisé en fonction de ses intérêts
esthétiques littéraires. En ce sens, les personnages historiques et les romanciers nationaux ou
étrangers empruntés à la réalité et représentés dans la fiction, sont la mimesis de la condition
du sujet dans une société changeante et imprécise; aussi les nouvelles figures réélaborées et
transformées par cet auteur peuvent-elles avoir un caractère positif ou négatif selon les
conflits internes et les caractéristiques de la situation, de l’époque et de la vision, en fonction
de la réalité que leur a concédé leur créateur.
Du fait de cette approche, dans les romans de Vásquez, les lecteurs peuvent approfondir
divers épisodes historiques qui ont infléchi le pays. Des évènements comme l’intervention
de la Colombie dans la Seconde Guerre Mondiale, la construction du Canal interocéanique,
les débuts du trafic de stupéfiants, la caricature politique, son influence et ses conséquences,
les magnicides qui ont fragmenté l’histoire de la Colombie, entre autres, ont aussi été abordés
par d’autres auteurs de récits pendant plusieurs décennies, comme c’est le cas de María
Cristina Restrepo dans son dernier roman publié Al otro lado del mar (2017) et de Rodrigo
Parra Sandoval avec Faraón Angola (2011).
À cet égard, JGV s’est aussi livré à plusieurs recherches pour éclairer certains magnicides de
l’histoire, comme celui du général Rafael Uribe Uribe, du chef libéral Jorge Eliécer Gaitán
politique indépendant. En 1989, la violence de l’époque et les intérêts particuliers de personnages de poids,
comme Carlos Castaño Gil, chef paramilitaire colombien, Pablo Escobar, leader historique du Cartel de
Medellin, Alberto Rafael Santofimio, ex-politicien, ont fait d’eux les auteurs intellectuels du magnicide de
1989. Galan est considéré comme “un colombiano excepcional quien consagró los mejores años de su existencia
a la reinvindicación de la política, habiéndose convertido en uno de los grandes líderes del siglo XX en
Colombia y América Latina”. Hernando Roa Suárez. “Luís Carlos Galán. El más importante político de su
generación”. Universitas, Bogotá (Colombie) nº 119: 27-34, juillet-décembre 2009.
136
ou du président John Fitzgerald Kennedy, ainsi qu’à des investigations sur les motifs de leurs
assassins pour commettre ces crimes. On y trouve des documents officiels sur Leovigildo
Galarza, Jesús Carvajal, Juan Roa Sierra et Lee Harvey Oswald qui ont été les piliers de la
construction de son dernier roman officiel La forma de las ruinas (2015). De même, le
romancier colombien Miguel Torres a creusé aussi le même thème: la révolte populaire
désignée sous le vocable «El Bogotazo», survenue le 09 avril 1948. La trilogie de Torres sur
cet évènement historique comprend les romans les suivants: Le crime du siècle (2006), El
incendio de abril (2012) et La invención del pasado (2016), dans lesquels il a consigné ses
impressions, recherches et spéculations sur cet évènement d’importance politique, sociale et
nationale.
Sur l’évènement historique «El Bogotazo», Loaiza Grisales indique ce qui suit:
Bogotá es una ciudad que llora. Sus construcciones están en ruinas y de sus escombros se escurren
lamentos fantasmagóricos, reflejos de todas estas almas que han desaparecido sin rastro en
revueltas históricas y en cruentas redadas oficiales. Es una ciudad que no se ha podido reponer a
la muerte de Jorge Eliécer Gaitán, que sigue suspendida en el tiempo. A pesar de que pasan las
décadas, el coletazo de ese 9 de abril de 1948 parece haberla dejada inmóvil, incapaz de curar sus
heridas. Es una Bogotá imaginada por el escritor y dramaturgo bogotano Miguel Torres que cierra
su trilogía sobre el Bogotazo con La invención del pasado, su novela más compleja, arriesgada y
extensa, que se acaba de lanzar316.
Dans ces conditions, de nombreux faits historiques, héros et anti-héros se sont transformés
en contextes et personnages rénovés pour réécrire le passé de manière fictionnalisée, où
s’articulent une pluralité de discours tels le journalistique, l’historiographique et le
romanesque, entre autres. Dans la proposition littéraire de Torres, on note un travail de
compilation de souvenirs des affronts réciproques entre libéraux et conservateurs, en les
prêtant à des gens ordinaires. Tel est le cas du personnage de Juan Roa Sierra, assassin
présumé du chef libéral, dont on ne sait pas grand chose, mais grâce au discours romanesque,
on est parvenu à spéculer sur l’histoire de sa vie et sur ses mobiles éventuels pour retrouver
le véritable assassin d’Eliecer Gaitán.
316 Yhonatan Loiza Grisales. “Las cicatrices del Bogotazo en la obra de Miguel Torres”. El Tiempo, 7 décembre
2016. Disponible sous: http://www.eltiempo.com/bogota/las-cicatrices-del-bogotazo-en-la-invención-del-
pasado-de-miguel-torres-42363. Consulté le 5 février 2018.
137
D’autre part, le roman historique317 dont l’écrivain écossais Walter Scott318 a été le
précurseur, au XIXe siècle. À ce sujet, Fernández Prieto affirme ce qui suit:
El éxito que tuvieron sus novelas en el resto de los países de Europa y la adopción por parte de
otros novelistas del modelo scottiano para crear nuevos textos de la serie fueron los factores que
terminaron de consolidar a la novela histórica como un género de rasgos formales, semánticos y
pragmáticos bien definidos319.
Ses récits contribuent à réinventer la culture écossaise et à dépeindre les spécificités du passé
historique national, avec manuscrits à l’appui et à l’aide de narrateurs témoins qui
approfondissent les coutumes et idéologies propres à cette époque. De la sorte, on peut noter
les singularités d’un passé grâce à l’exposé de la culture, des modes relationnels dans les
interactions sociales et, même, des pensées et agissements propres à l’époque.
Par exemple, dans le cas d’Ivanhoe (1820), roman historique qui conte les exploits de
Wilfredo de Ivanhoe, jeune et noble chevalier, et ceux d’autres personnages légendaires
comme Locksley, héros archétypique incarné par Robin des Bois, ou comme le roi Richard
cœur de lion; ce roman se déroule au sein de la noblesse où priment les injustices sociales et
les problèmes spécifiques de cet ordre, tant économiques que politiques, dans l’Angleterre
médiévale du XIIe siècle. En outre, Scott procède à “una recuperación nostálgica de dicha
época: su obra es capaz de mostrar las tendencias sociales y las fuerzas históricas de una
época a través de la vida de un héroe ficticio”320.
317 Selon Lukács, le roman historique trouve ses origines au début du XIXe siècle quand des faits d’intérêt politique et historique ont mené à l’abdication de Napoléon Bonaparte, suite à la défaite de Waterloo, en 1815.
En conséquence, des écrivains soucieux de la crise historique, comme Walter Scott se sont intéressés à cette
ambiance décrite pour approfondir de nouveaux traits esthétiques qui consistaient à remémorer des personnages
historiques, “la descripción de costumbres y de las circunstancias que rodean los acontecimientos, el carácter
dramático de la acción y, en estrecha relación con eso, el nuevo e importante papel del diálogo en la novela” .
Georg Lukács. La novela histórica. México: Ediciones Era, 1966, p.15. 318 Walter Scott (1771-1832), écrivain d’origine écossaise, fameux pour avoir fait des incursions et innové
le roman romantique et pionnier du roman historique moderne. Son legs fait partie des grands classiques de la
littérature universelle puisque ses œuvres “privilegian los ambientes históricos, especialmente medievales, y
resaltan el espíritu heroico y caballeresco de una época”. De même, d’autres artistes ont adapté ses œuvres à
d’autres contextes comme ceux de l’opéra et du cinéma. William Leonardo Perdomo Vanegas. El discurso literario y el discurso histórico en la novela histórica. Literatura y Lingüística, [on line], 2014, nº 30 (cité 2018-
02-06), pp. 10-15. Disponible sur: https://scielo.conicyt.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0716-
58112014000200002&Ing=esnrm=iso> 319 Celia Fernández Prieto. Historia y novela: poética de la novela histórica. Berriozar: Ediciones Universidad
de Navarra, 1988, p. 75. 320 Nancy Malaver Cruz. “Literatura, historia y memoria”. Hallazgos. Bogotá: Universidad Santo Tómas, année
10, nº 20, 2013, pp. 35-47
138
Ces romans historiques confèrent plus d’ampleur et actualisent des données historiques par
l’inventivité appliquée à des faits réels, et qui prennent en compte des périodes conflictuelles
et politiques de l’histoire officielle, en reconstruisant le passé dans une ambiance de fiction.
Ainsi, on trouve des histoires très humaines que le romancier se voit obligé de mettre en
scène, en en respectant l’esprit, les coutumes et les faits caractéristiques de l’époque, pour
parvenir à conférer à son histoire toute la vraisemblance requise. Pour construire sa fiction,
le romancier recourt donc au passé historique pour se documenter, à grand renfort de textes
vernaculaires, tels des journaux, lettres, quotidiens et témoignages, entre autres.
À l’appui de cette idée, Allison Peers, cité par Fernández Prieto, précise comment le roman
historique a les caractéristiques les suivantes:
Walter Scott ha impuesto una obligación muy dura a todos los que pretendan imitarle. Es
imposible ser novelista en su género sin llenar las condiciones siguientes: 1) Un profundo
conocimiento de la historia del periodo que describe. 2) Una veracidad indeclinable en cuanto a
los caracteres de los personajes históricos. 3) Igual escrupulosidad en la descripción de los usos,
costumbres, ideas, sentimientos, y hasta en las armaduras, trajes y estilo y giro de las cantigas.
Es necesario colocar al lector en medio de la sociedad que se pinta; es necesario que la vea, que la oiga, que la ame o la tema, como ella fue con todas sus virtudes y defectos. Los sucesos y
aventuras pueden ser fingidos, pero el espíritu de la época y sus formas exteriores deben
describirse con suma exactitud321.
D’une manière différente, JGV jette un regard biaisé sur la vie des personnages publics qu’il
explore, les dote de sentiments et de désirs, dans le cadre d’évènements sociaux du passé. Tel
est le cas de Historia secreta de Costaguana (2007), dans laquelle l’auteur se met dans la
peau de Ferdinand de Lesseps, diplomate et chef d’entreprise, pour reconstruire une partie de
l’histoire de la Colombie, en particulier celle de la construction du Canal de Panama par des
investisseurs d’origine française, au XIXe siècle.
C’est ainsi que ses récits illustrent des époques révolues de manière vraisemblable et
suscitent de nouvelles lectures fort importantes pour le pays, qui spéculent sur l’importance
du Canal interocéanique, symbole de progrès et de prospérité; de même que sur le manque
d’intérêt flagrant du gouvernement pour cette perte. Il est important d’expliquer comment
dans l’histoire de la Colombie, il n’y a pas d’obligation d’étayer les données sur les vies
321 Celia Fernández Prieto. Historia y novela: poética de la novela histórica, op. cit., p. 97.
139
privées révolues, d’où un singulier prétexte pour octroyer de nouvelles interprétations sur la
réalité des évènements survenus. En outre, ces évènements qui font partie de l’imaginaire
public du pays, consentent de nouvelles lectures et de nouvelles représentations scripturales,
intégrant différentes trouvailles sur des approches dissemblables des faits historiques dont
certains sont recréés par des auteurs étrangers.
Tel est le cas de Joseph Conrad322 qui, pour la construction de son roman Nostromo, publié
en 1904, l’a situé en Amérique du sud, enquêtant sur la politique et les évènements sociaux
qui ravageaient le pays à cette époque: la sécession de Panama de la Colombie, déclaré
république indépendante. Dans une nouvelle réédition du roman conradien, JGV a élaboré le
prologue et donné son appréciation sur l’œuvre:
Más vale que lo diga una vez por todas: Nostromo es, con distancia, la mejor novela sobre
Latinoamérica jamás escrita fuera de la lengua española. Es más: Nostromo, se me ocurre a veces,
es uno de los antecedentes más claros (y menos señalados) del boom latinoamericano. La historia
de la república ficticia de Costaguana, de sus guerras y de la célebre revolución por la cual pierde
una de sus provincias, de sus personajes que cubren con elegancia todo el espectro de los
comportamientos políticos – desde el idealismo ciego hasta el cinismo redomado, pasando por el
heroísmo egoísta-, está mucho más emparentada con La Casa verde o con ciertos episodios de
Cien años de soledad que toda la ficción latinoamericana de la primera mitad del siglo XX323
Grâce à cette œuvre, Nostromo, JGV a trouvé l’inspiration pour son roman, Historia secreta
de Costaguana, dans lequel il se livre à diverses spéculations sur l’histoire politique de la
Colombie au XXe siècle, la rapprochant de l’histoire de la vie, des voyages en haute mer et
des aspirations littéraires de l’écrivain polonais qui, croit-on, à un moment de son existence,
aurait foulé le sol colombien. JGV reprend ces possibles expériences vécues et le lieu fictif
appelé “Costaguana”, situé dans le pays sud-américain, pour donner du souffle à son œuvre
grâce à l’intertextualité qui lui permet de construire un nouveau récit, sur la base d’une œuvre
antérieure transformée.
322 Józef Teodor Konrad Korzeniowski (1857-1924), fameux romancier d’origine polonaise dont tous les récits
sont en langue anglaise. Sa production se caractérise par la consistance de ses personnages qu’il explore, en
grande mesure, du point de vue de l’éthique humaine et de la vie en haute mer. Son histoire vécue personnelle
et ses souvenirs sont exposés, tout particulièrement, dans sa fiction, puisque dès son plus jeune âge, il s’est
enrôlé comme marin; expérience qui lui a donné un bagage culturel enrichi par ses multiples voyages, aventures,
défis, passions, entre autres. 323 Juan Gabriel Vásquez. Prologue de Nostromo, op. cit., p. 9.
140
Quant au nouveau roman historique324, les récits de JGV entrent dans cette typologie, selon
les caractéristiques indiquées dans la proposition de Seymour Menton. Ce théoricien a
assumé la tâche d’identifier et de classer les romans historiques traditionnels en les séparant
des nouveaux romans historiques, en se fondant sur les traits distinctifs les suivants:
1. La représentation de l’histoire officielle au travers de l’imitation de la réalité dans
laquelle les évènements imprévisibles et extraordinaires sont rappelés à la mémoire
collective; pour être, en plus, remis en question.
2. La distorsion délibérée et volontaire de l’histoire officielle; ainsi que des documents
historiques qui autorisent les incertitudes, les exagérations et les anachronismes liés
aux évènements historiques. Est permise dans ces romans l’altération de la
chronologie établie.
3. Les romanciers de ce genre littéraire réorganisent et caractérisent les vies d’éminents
personnages historiques; ils se consacrent aussi au commun des mortels; à ceux qui
n’ont pas d’histoire.
4. La métafiction ou réflexion auto-consciente du romancier sur son processus
d’écriture, qu’il partage avec le lecteur.
5. L’intertextualité, comme une des typologies de la transtextualité, selon la théorie du
critique français Gérard Genette.
6. Finalement, l’inclusion de divers concepts, parmi lesquels le dialogique, le
carnavalesque, la parodie et l’hétéroglossie. Dans le dialogique, l’auteur conçoit deux
interprétations, ou plus, des divers évènements narrés et sur la vision du monde des
324 Le nouveau roman historique également appelé roman historique post-moderne par Fernández Prieto et
roman post-officiel par Grützmacher, correspond à un genre littéraire qui tire son origine, selon le critique
littéraire Menton, du roman El reino de este mundo de Alejo Carpentier, publié en 1949; toutefois, le point
culminant de ce nouveau roman se situe à la fin des années 70. Ce nouveau roman met en scène de grands
évènements historiques; c’est-à-dire, le passé de l’Amérique latine dans lequel des épisodes comme la
célébration du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique ou la Seconde Guerre Mondiale, entre
autres, ont été conçus généralement comme matière première ou artéfacts littéraires; de même, l’interprétation
et le traitement littéraire donnés aux faits ont de l’intérêt pour les romanciers qui approfondissent les caractéristiques propres de ce nouveau genre littéraire. Il est aussi théorisé par le critique nord-américain
Seymour Menton (1927-2014) dans son livre La nueva novela histórica de la América Latina 1979-1992. Nous
signalons que ce terme «Nueva novela histórica» a été introduit par lui qui, du fait de son intérêt pour la
littérature contemporaine hispano-américaine en général, a classé le nouveau roman historique en fonction de
six traits propres qui le caractérisent et l’a différencié du roman historique traditionnel. Pour cela, il a analysé
tous les romans historiques parus en Amérique latine, entre 1979 et 1992.
141
personnages qui l’intègrent. Le carnavalesque se réfère aux “exageraciones
humorísticas y el énfasis en las funciones del cuerpo desde el sexo hasta la
eliminación”325. La parodie perçue et transformée de tragédie en comédie pour égayer
un public et, ultérieurement, l’hétéroglossie entendue comme la diversité de discours
et de modes d’expression, caractéristique et propre aux personnages.
Ces six traits distinctifs du Nouvau Roman Historique, précise Menton, ne se trouvent pas
nécessairement tous dans chacun des romans analysés et catégorisés en vertu de cette théorie
littéraire et, de plus, les auteurs jettent sur leurs œuvres un regard critique, pouvant être
intéressés par le discours historique officiel. À cet égard, Grützmacher affirme ce qui suit:
Lo más sintomático resulta ser la actitud crítica de los escritores contemporáneos frente al
discurso de la “historiografía oficial”. Al parecer, uno de los móviles que con más frecuencia
llevan a los novelistas hispanoamericanos a concentrarse en los temas históricos es el deseo de
cuestionar y reescribir la versión estereotipada del pasado326.
D’autre part, Montoya confirme que:
La nueva novela histórica se caracteriza, en general, por ser carnavalesca, paródica y
heteroglósica, por dinamitar el discurso oficial de la historia a través de los anacronismos, por la
presencia de la intertextualidad o el palimpsesto, y por ficcionalizar las figuras históricas más
relevantes327.
À cet égard, on trouve chez les écrivains du Nouveau Roman Historique, le besoin de
reconstruire et de réécrire le passé à partir des sources historiques existantes, avec le zeste
d’inventivité propre à l’écrivain. De la sorte, les incertitudes du passé, l’approfondissement
de ces vies marginales, la vision arbitraire et consciente de faits appartenant à diverses
époques, se muent en une observation permanente du passé et de sa relation avec le présent
que l’écrivain ne manque pas d’observer. Par exemple, selon Menton et Montoya, dans cette
classification, on trouve des auteurs colombiens comme, par exemple, Gabriel García
Marquez avec El amor en los tiempos del cólera (1985), Próspero Morales Pradilla avec Los
325 Seymour Menton. La nueva novela histórica de la América Latina 1979-1992. Mexico: Fondo de Cultura
Económica, 1993, p. 44. 326 Lukasz Grutzmacher. Las trampas del concepto "la nueva novela histórica" y de la retórica de la historia
postoficial. Acta poét, Mexico, v. 27, n. 1, pp. 141-167, mai 2006. Disponible sur
<http://www.scielo.org.mx/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0185-
30822006000100008&lng=es&nrm=iso>. 327 Pablo Montoya. Novela histórica en Colombia, op. cit., p. 9.
142
pecados de Inés de Hinojosa (1986), Roberto Burgos Cantor avec La ceiba de la memoria
(2007), Orlando Mejía Rivera avec El enfermo de Abisinia (2008). William Ospina avec El
país de la canela (2008), qui continuent d’enrichir la production littéraire autour de la
chimère historique de la Nation.
Quant au récit chez JGV, circonscrit à cette catégorie de Nouveau Roman Historique, nous
soulignons que dans tous ses romans officiels, l’auteur met l’éclairage sur l’existence au
quotidien d’un passé latent qui revit au travers des passions, sentiments, préoccupations,
histoires vécues par les personnages qui ressemblent à celles du présent, en comparaison avec
celles du passé national. Par exemple, dans Historia secreta de Costaguana (2007), au travers
du personnage du narrateur, José Altamirano, le lecteur peut scruter un passé critique dans
lequel sont présents le conflit familial, la compréhension du contexte politique, social, de
nombreuses références intertextuelles qui conduisent à la construction de nouvelles
interprétations et à l’élucidation d’un passé de ce personnage qu’on tente de découvrir.
À ce sujet, Altamirano fils, propose un jeu de lecture par lequel il invite constamment le
lecteur et un juré à suivre de près l’expérience qu’a été la recherche de son père, et à son tour,
reconstruit une histoire dénaturée de l’isthme de Panama, dominée par les péripéties
narratives. Altamirano affirme ce qui suit: “Yo, que he venido huyendo de la Gran Historia,
retrocedo ahora un siglo entero para ir hasta el fondo de mi historia pequeña, e intentaré
investigar en las raíces de mi desgracia”328. Il semblerait qu’Altamirano suscite de l’intérêt
pour faire revivre l’histoire de sa vie et qu’il s’attache le lecteur par ses artifices scripturaux
en spécifiant les dates, les retours en arrière et les avancées de son récit, les anticipations et
la contextualisation des thèmes à traiter, des réflexions autour de la présentation des faits et
des personnes liées à l’histoire. Il en va de même de l’inclusion d’autres discours pour plus
de vraisemblance, avec la présentation de lettres, de chansons et de notes de presse, entre
autres. Par exemple, le narrateur écrit ce qui suit:
Aquí les hablaré de asesinatos inverosímiles y de ahorcamientos impredecibles, de elegantes
declaraciones de guerra, desaliñados acuerdos de paz, de incendios y de inundaciones y de barcos
intrigantes y trenes conspiradores, pero de alguna manera todo lo que les cuente a ustedes estará
328 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 16.
143
dirigido explicar y explicarme eslabón por eslabón, la cadena de sucesos que provocó el
encuentro al que mi vida estaba predestinada329.
La perception ci-dessous de Montoya sur ce roman, en particulier, dans sa recherche sur le
roman colombien contemporain, ne manque pas d’intérêt:
La continua intromisión del narrador es lo que caracteriza Historia secreta de Costaguana de
Juan Gabriel Vásquez. Creo que de todas las novelas colombianas, el caso de José Altamirano es
el más “exhibicionista”. Utilizo el adjetivo para recalcar su principal acepción: mostrar lo que
debe permanecer oculto330.
En ce sens, la construction des personnages, éminents ou communs, s’inscrit dans un contexte
historico-social lié à l’histoire officielle du pays. En vertu de cette approche, les personnages
transitent dans des lieux publics ou privés et fournissent au lecteur des références et des
informations biaisées sur les évènements sociaux et économiques qui ravagent la Colombie
et sont connexes à la «réalité panaméenne». Cette dernière est présentée sous la lentille
réfringente ou le regard déformé d’Altamirano, dans le Boletín del Canal Interoceánico.
Ultérieurement, la vérité des faits et le temps imparti à la construction donnent des résultats
dont ils ont été victimes et victimaires dans ce grand projet:
En Londres, The Economist hacía esta acusación absurda: “Si el Canal no avanza, y si los
franceses no se han percatado antes del monstruoso engaño de que han sido víctimas, es porque
Mr Lesseps y la compañía del Canal han invertido más dinero en comprar periodistas que
excavadoras, más en sobornos que en ingenieros”331.
De même, l’auteur suggère d’autres épisodes secrets de l’histoire officielle, dans une
perspective créative et de vraisemblance, par laquelle il détaille les vies privées de ses
personnages, insiste sur les conséquences passées et favorise l’éclosion de nouveaux
sentiments autour des évènements publics. Tel est le cas du narrateur Altamirano qui rend
visible l’histoire de sa vie et celle de sa famille en construction, au travers de chronologies
spécifiques “noviembre de 1903”332, et de faits historiques “firmaban el tratado Mallarino-
329 Ibid., p. 14. 330 Pablo Montoya. Novela histórica en Colombia 1988-2008, op. cit., p. 82. 331 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 168. 332 Voir la citation complète: “El cruce abortado, el que estuvo a punto de producirse pero no llegó a hacerlo,
ocurrió en 1876, en la provincia colombiana de Panamá; el otro cruce – el verdadero, el fatídico – ocurrió a
finales de noviembre de 1903”. Ibid., p. 15.
144
Bidlack”333, à la manière de García Márquez, quand le romancier cherche à imiter ou à
caractériser son récit, “este no es uno de esos libros donde los muertos hablan, ni las mujeres
hermosas suben al cielo, ni los curas se levantan del suelo al tomar un brebaje caliente”334.
Toutefois, des personnages comme Gabriel Santoro fils, dans Los informantes (2004),
trouvent des réponses à leurs questions, et il est probable que naissent davantage de questions
sur les lacunes d’un passé confus et un présent fragmenté d’où la nécessité de récupérer la
perte de la mémoire historique. Dans cet épisode de confrontation et d’indifférence entre père
et fils, voient le jour des secrets de famille qui devaient demeurer occultes; toutefois, de
nouveaux évènements exigent des confessions tardives dans lesquelles sont impliqués non
seulement les personnes affectées, mais aussi tout le pays qui a souffert des conséquences de
décisions erronées adoptées par l’élite. Il faut relever ce que dit Gabriel Santoro père, dans
Los informantes, quand il s’adresse indirectement à son fils, de même patronyme, à
l’occasion de son travail d’enseignant universitaire d’art oratoire:
Ninguno de ustedes ha sentido eso, ese poder terrible, el poder de acabar con alguien. Yo siempre
he querido saber lo que se siente. En eso época todos teníamos el poder, pero no todos sabíamos
que lo teníamos. Sólo algunos lo utilizaron. Fueron miles, por supuesto: miles de personas que acusaron, que delataron, que informaron. Pero estos miles de informantes eran apenas una parte,
una fracción mínima de la gente que habría podido informar si hubiera querido hacerlo335.
Apparemment, le professeur Santoro envoie à son fils des messages cryptés sur les listes
noires et l’invite subtilement à garder le silence, à oublier et à ne pas fouiller dans le passé,
afin d’occulter son erreur et sa trahison comme délateur; toutefois, la vérité des faits finira
par se savoir et le repentir l’envahira jusqu’à la fin de son existence. Ainsi, chez le récit, dans
333 El tratado Mallarino-Bidlack a consisté en un accord signé le 12 décembre 1846 entre la Nouvelle-Grenade,
la Colombie, Panama et le gouvernement américain pour renforcer les relations, politiques, sociales et
économiques autour des avantages du Canal. Le traité proposait la construction d’un chemin de fer qui unirait
les deux océans, l’Atlantique et le Pacifique, et, en outre, permettrait au gouvernement américain de transiter
librement sur l’isthme. Patricia Cardona Zuluaga, “Panamá: el istmo de la discordia. Documentos relativos a la
separación de Panamá y a la normalización de las relaciones entre Estados Unidos y Colombia”. Araucaria. Revista iberoamericana de Filosofía, Política y Humanidades, vol. 17, nº 33, 2015, pp. 281-305. Editorial
Universidad de Sevilla. Voyez la citation complète: “Y mientras esto sucedía, a pocas cuadras de la universidad
se llevaban a cabo otros procedimientos que no eran quirúrgicos pero cuyas consecuencias no eran menos
graves, pues en los sillones aterciopelados de un ministerio, se sentaban dos hombres con una pluma de ganso
y firmaban el tratado Mallarino-Bidlack”. Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p.
19. 334 Ibid., p. 24. 335 Juan Gabriel Vásquez. Los informantes, op. cit., p. 74.
145
la société actuelle, sont actualisés les contenus d’un passé rénové, de manière spéculative,
explicative et argumentée. Il est nécessaire de se référer, d’enquêter et de scruter
rétrospectivement le passé pour comprendre et affronter les mémoires latentes autour du
phénomène nazi en Colombie et leur assignation à résidence ultérieure sur le sol colombien.
Sur la construction et l’évolution de son inventivité, JGV déclare:
Así que por primera vez desde que empecé a publicar libros me encontré ocupándome, si bien
lateral y brevemente, de algunos de los temas que reciben la atención de esa gran némesis de los
escritores colombianos: Cien años de soledad. Y enseguida me encontré haciendo lo que nunca
había hecho: leyendo Cien años de soledad como novelista. En efecto, mis lecturas siempre
habían tenido la actitud desapegada y un poco irónica con que se escuchan pacientemente los cuentos de un abuelo: siempre la leí admirando su carácter incontrovertible de obra maestra, pero
consciente de que esa obra maestra no me servía para nada. Ahora, en cambio, me encontré
haciéndome la siguiente pregunta: ¿Hay otra manera de leer cien años de soledad? Me encontré
dedicando un cierto tiempo a ese empeño: malinterpretar la novela, transformarla en algo distinto
de lo que hemos leído durante casi cuarenta años336.
En conséquence, JGV essaie de rompre la tendance du réalisme magique pour se connecter
à la création et à la révélation d’une réalité quotidienne dans laquelle sont mises en lumière
et amplifiées positivement d’autres situations et faits vécus propres aux personnages. En ce
sens, le romancier propose de découvrir et d’exalter le côté humain des personnages et de
procéder à un autre type de lecture plus précis et historique des romans. Pour cela, l’auteur
propose d’autres interprétations possibles, à partir de plusieurs domaines liés à la caricature,
à la photo, à l’historiographie, au journalisme, où il met en évidence la nécessité de se
souvenir de l’histoire de la Colombie, de ses grands évènements, ainsi que de ceux qui sont
les plus emblématiques. Même phénomène, à partir de la compilation de témoignages,
d’anecdotes et d’entretiens, comme celui de Sara Guterman dans Los informantes,
immigrante d’origine allemande, qui arrivera au pays à un moment de malaise politique, à la
fin des années30.
Pour conclure, il convient d’affirmer comment, dans ses nouvelles, l’auteur propose la fusion
de deux vérités: la vérité historique et la vérité littéraire. Ainsi, JGV recourt constamment à
la reconstruction d’un passé latent et illusoire, dans lequel il enquête, fouille et qui affecte,
indubitablement, le lecteur pour ce qui est des différents domaines concernés par le roman,
336 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., pp. 31-32
146
ainsi que dans la manière de lui présenter des faits inconnus que le lecteur recueillera comme
des pions perdus aux échecs, pour finalement compléter son interprétation de la réalité
fictionnalisée par rapport à l’histoire de la Colombie.
En conséquence, les histoires officielles prennent de l’importance pour fournir des réponses
à un cumul d’interrogations existantes et inexistantes, mettre en doute les histoires officielles,
faire naître des inquiétudes, construire des identités, présenter de nouvelles informations sur
différents faits et leurs protagonistes, poser des questions, créer une conscience sur l’histoire
du pays et de l’Amérique latine. L’auteur donne l’exemple quand il réfléchit sur des faits
historiques existants, inspectant ce qui n’a pas été exploré et qui reste occulte, et répondant
au lecteur par son imagination et la dynamique de sa créativité.
147
II.1.2 La chimère dans le travail du romancier
Cualquiera sabe que la fantasía se inspira en la realidad, pero la ley de la
ficción exige que sólo se cuente una parte de la verdad. Aquella que dé sentido a la historia.
Kirmen Uribe
Pero todos necesitamos un país. Las páginas que siguen no son más que un
esfuerzo sincero por entender lo que somos: un escritor tiene el deber de ser parte de su tierra y de su época. Reinventar el país no puede ser
tarea de unos cuantos, pero la enormidad de escritor la labor casi exige milagros.
William Ospina
Les écrivains en général révèlent ces zones privées de l’être humain, vont dans ces territoires
inhospitaliers, tourmentés et privés, inabordables pour d’autres arts et genres, vertu que le
roman conçoit comme uniques et nécessaires. À cet égard, le roman permet à ses auteurs de
stimuler la curiosité qui les aide à découvrir des vérités distinctes et se créent de nouvelles
situations, ainsi que l’émergence de vies parallèles, de personnalités multiples, des lieux
éloignés, prévisibles et invraisemblables et d’ évènements d’intérêt personnel et social qui
sont des référents de diverse nature, que ce soit, entre autres, pour interroger, interpeller,
enquêter, confesser ou découvrir des éléments possibles qui suscitent des dialogues avec les
autres, et même avec soi-même.
Il semble qu’on pourrait assurer que le roman est un genre indispensable pour la société
puisqu’il apporte une source exclusive et privilégiée pour approfondir, étudier et comprendre
ces vies étrangères et privées, tant intérieurement qu’extérieurement, au travers du domaine
de la fiction. En ce sens, les actions réalisées, les idéologies exposées, les histoires de vie
distinctes de chacun des personnages créés, permettent aux lecteurs de transiter par
différentes époques qui leur servent de toile de fond.
Dans cette perspective, l’écriture et la lecture d’un roman impliquent discussions
interdisciplinaires et de nombreuses recherches, en fonction du thème, des personnages,
évènements, situations, périodes ou points de vue, entre autres, auxquelles participent de
nombreuses personnes selon leurs intérêts, leurs satisfactions personnelles, leurs obsessions
et domaines d’action. Il convient de signaler que ces deux actions, de lecture et d’écriture,
requièrent différents niveaux de référence selon la nature du texte, ainsi que l’observation
détaillée de milieux, dans et en dehors du texte, et la connaissance des fonctions du langage;
148
ce qui permettra la reconstruction et l’interprétation d’expériences propres d’une pensée
profilée et projetée.
Cela dit, pour ce qui est du domaine à proprement parler du romancier, son intérêt réside dans
l’exploration du monde intérieur de ses personnages, que ce soit pour résoudre des énigmes,
faire connaître certaines informations de notoriété publique ou privée, fixer des réalités,
ajouter d’autres perceptions à celles qui existent déjà, entre autres éventuelles considérations
qui conduisent à la recherche de nouvelles sensations, à des niveaux de conscience et à la
connaissance d’autres voix réelles ou imaginées.
À partir des conceptions de Bourneuf et Ouellet, “Le romancier se définit volontiers lui-
même comme un individu dans lequel habitent des personnages qui demandent à être projetés
dans le monde et impliqués dans une histoire.”337. Ainsi, dans son rôle de créateur de discours
romanesques, l’auteur a recours à l’objet narratif, vu comme l’outil qui lui permet de créer,
refaire et reproduire des mondes possibles par le biais de son imagination. Il est alors possible
de déduire comment l’art de la fiction conçoit des formes et des conceptions distinctes du
monde en général et de la vie, elle-même, dans laquelle auteur et lecteur sont reliés par le
pacte narratif, entendu comme les éventuelles relations d’interaction et de communication
existant entre l’auteur de l’œuvre et ses lecteurs, que ces derniers soient implicites ou
extérieurs à l’œuvre.
En conséquence, les fonctions de ces agents réels et fictifs permettent de mener à son terme
l’organisation du texte narratif en fonction de l’intérêt de l’auteur, de la création et de la
poursuite de dialogues structurés, des multiples perceptions des relations affectives, sociales,
morales et intellectuelles présentes dans les récits, ainsi que des idéologies et croyances sur
les agissements de chacun des personnages.
Corrélativement à l’idée antérieure, JGV indique que la fonction du roman est:
Esto es lo que hace toda novela valiosa: observar un mapa, el mapa de un territorio que nunca ha
sido explorado, y dirigirse a él para llenar esos espacios en blanco con los resultados de su
337 Roland Bourneuf et Réal Ouellet. L’univers du roman. Barcelona: Editorial Ariel, 1985, p. 234.
149
exploración. El mapa en blanco es el de la condición humana, este continente misterioso que la
novela ha ido descubriendo iluminando con cada una de sus conquistas, y nosotros, los lectores
de novelas, vamos a bordo de esa nave338.
En vertu de ce qu’affirme l’écrivain colombien, nous déduisons que les fictions réservent aux
lecteurs d’autres contextes, époques et personnages qu’il est seulement possible de concevoir
par l’acte de lecture et d’écriture. Lors de cette rencontre avec des réalités fictives, on
découvre des secrets inavouables, des émotions variées, des passions effrénées qui
permettent de mener à bien une exploration profonde de la condition humaine, d’éclairer des
épisodes et de se remémorer des histoires qui servent de point de départ à de nouvelles
révélations, sur les autres et sur soi-même.
Contrairement à ce que nous venons de dire, le rôle de l’écrivain consiste à fournir de
nouvelles versions par rapport à celles qui existent déjà en matière d’historiographie, d’autres
arts et discours qui permettent d’ observer des réalités variées et construire des versions
dénaturées et délibérées à partir d’archives classées, d’ éclaircissements avérés, de
témoignages inespérés, lors de récits pouvant aller plus loin que le récit officiel, et auxquels
n’ont accès ni les journalistes, ni les chroniqueurs, ni les historiens.
Il faut, en outre, mentionner que le romancier décode chacune des fonctions du langage et a
recours à diverses formes narratives, en fonction de sa capacité innovatrice et de son
inventivité, conformément à des règles artistiques, poétiques et grammaticales qu’il insère
dans l’élaboration du texte et ses interrelations avec d’autres textes et discours, c’est-à-dire
que, par-là, est confirmée l’actualisation fonctionnelle du langage. Par exemple, dans la
première théorie connue sur la création artistique, Poétique, d’Aristote, ce dernier réfléchit
sur les genres littéraires et approfondit trois notions liées à la construction du fait littéraire:
Poiesis, Mimesis et Katharsis.
La première, la Poiesis, fait allusion à l’auteur qui crée le fait littéraire. Selon Aristote, “el
artista concibe la obra, es asaltado, dice por un arrebato; y de ahí que el momento de su
concepción no sea apacible”339. En d’autres termes, on peut le rapprocher, Orhan Pamuk, qui
338 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 28 339 Aristote. Poética. Buenos Aires: Gradifco, 2007, p. 13
150
affirme l’importance de ce premier moment pour cerner la complexité de l’être humain, ses
caractéristiques, ses sensations du monde et ses mémoires qui servent de base à l’activité
conceptuelle et organisationnelle qui sous-tend l’élaboration de l’œuvre.
À partir de cette première notion aristotélicienne, on évalue l’idée de l’écriture conçue par
l’auteur, qui, ensorcelé par la découverte du monde et ses expériences imaginatives, exalte
son esprit en voulant spéculer, interpréter ou transformer une idée reçue, une histoire dont il
ne peut s’évader, et commence à la considérer comme un produit narratif, susceptible d’être
conté.
Par exemple, Pamuk révèle son processus de création d’histoires au travers de l’expérience
romanesque:
Mientras centraba toda mi atención en los detalles de la novela que tenía en las manos, para
amoldarme al mundo en el que estaba entrando, me esforzaba para visualizar las palabras en mi imaginación y para recrear mentalmente todo lo que se describía en el libro”340
À partir de cette première palpitation ou flambée intérieure qui anticipe une grande histoire
ou cette lutte ardue entre ses démons les plus persistants selon Vásquez341, le romancier
s’agrippe à son bagage culturel, aux conflits historiques et sociaux d’une époque, aux patrons
narratifs et à l’information spécifique pour se remémorer et abstraire le passé ou en identifier
les limites, ce qui lui permettra d’aller plus avant dans la construction de son récit.
La seconde idée d’Aristote, la mimesis, est l’exécution de la poiesis qui est “su reproducción
en el espacio propio del arte”342. À la différence de la notion antérieure, c’est l’élaboration
de l’œuvre, propice au processus d’imitation ou de représentation artistique de la réalité selon
340 Orhan Pamuk. El novelista ingenuo y el sentimental. Cota-Cundinamarca: Random House Mondadori, 2012,
p.14 341 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 120. 342 Aristote. Poética, op. cit., p. 14.
151
les lois, les règles et principes de probabilité343 de vraisemblance344 et d’autres sciences ou
savoirs associés à la linguistique.
La mimesis re-propose des faits de diverse nature sur les mondes possibles vus du point de
vue de la fiction, pour ce qui est, entre autres, de l’historique, du social, du politique et du
scientifique, par le biais de nouveaux contextes, histoires vécues, expériences de ce qui
pourrait s’être passé lors d’un évènement déterminé ou à un moment de la vie, à partir des
lois décrites antérieurement. Dans cette mesure, les précisions sur les sensations, sur les traits
personnels et collectifs, évènements, constructions historiques, ainsi que les exigences
littéraires dans l’art de la fiction, partent de différentes sources comme la lecture de textes,
l’intérêt pour la recherche, des expériences transcendantales, des conversations, perceptions
et témoignages qui suscitent chez l’écrivain la commodité et le besoin de composer son
roman.
À ce propos, Pamuk indique comment à ces moments initiaux de l’écriture romanesque, il
est nécessaire d’insister particulièrement sur les détails, pour ainsi transformer les mots en
paysages mentaux et parvenir à observer tant la réalité que les expériences quotidiennes, à
partir de différentes versions et d’approches divergentes des personnages qui peuplent le
roman.
En ce sens, Pamuk affirme ce qui suit:
343 Les lois de la probabilité font allusion aux besoins propres du romancier pour re-présenter les divers éléments
dans son récit de manière nouvelle, intéressante, dynamique, basés sur les effets qu’il désire pour compléter la
métamorphose des mots en images mentales et les descriptions en fragments détaillés d’information. De cette
manière, au travers du récit, les destinataires pourront refaire les histoires proposées, conformément aux
éléments narratifs présentés, tels qu’ils sont proposés et fournis par l’auteur. Dans cet ordre d’idées, les artifices
narratifs employés permettront aux lecteurs d’observer des personnages, contextes, pensées propres à la trame, pour attribuer du sens au travers de l’acte de lecture. 344 La vraisemblance ou effet de vérité part des artifices narratifs utilisés par le romancier pour traiter les
informations vraies ou fictives qui servent à la construction de son récit. C’est ainsi que la séquence des
évènements et la reconstruction des détails généraux, les coutumes d’une époque, les objets familiers, entre
autres éléments, permettent aux lecteurs de se sentir identifiés avec les personnages ou de comprendre leurs
situations ou histoires vécues sur la réalité élaborée et la nature des sujets. En ce sens, la vraisemblance compte
des représentations réelles fictionnalisées; c’est-à-dire la confrontation et la fusion ingénieuse du réel
historique et de la fiction imaginative.
152
…y que un nuevo mundo aparecía, palabra a palabra, frase a frase, ante mí. A medida que leía
página tras página, este nuevo mundo cristalizaba y se volvía más claro, como esos dibujos
invisibles que aparecen lentamente cuando se vierte un reactivo en ellos; y líneas, sombras,
hechos y protagonistas se iban definiendo345.
Dans cette perspective littéraire, le processus d’écriture fictionnelle rend compte de la
multiplicité des moments visualisés et postérieurement, transformés en mots comme de
véritables œuvres d’art. Le besoin de créer émerge de la combinaison d’un cumul de
situations, d’émotions, d’expériences vécues, de pensées et d’objets qui acquièrent toute leur
valeur lors de la construction et de l’affectation d’attributs à chacun des personnages, espaces
et scènes où se déroule le récit.
Finalement, la Katharsis ou Catarsis, entendue comme le dernier acte structurel du récit, fait
allusion “al producto o resultado de dicho proceso”346. Est à noter qu’à cette étape finale de
l’écriture, il faut tenir compte du lecteur qui va être le récepteur du récit et lui conférer de la
valeur, conformément aux détails visuels et à sa capacité de changer les mots en paysages
mentaux. En ce sens, le romancier construit ses personnages, que ce soient des héros ou des
anti-héros, qu’il dote d’expériences et de réflexions précieuses pour lui, en fonction de
thèmes et d’intérêts définis, qui relèvent proprement de son imagination et de sa créativité.
La création de nouveaux produits littéraires offre aux lecteurs un ensemble d’expériences
privées basées sur les observations propres à l’auteur, sur la vie et la complexité de l’être, par
l’entremise du personnage du narrateur qui est construit et, en même temps, aide à éclaircir
ou à donner corps au récit d’une manière significative, selon les intentions de l’auteur. Sous
cet angle, non seulement le romancier se centre sur la fiction générale et sur les détails de la
construction, mais encore valorise son œuvre.
En conséquence, l’auteur examine et définit sa composition, anticipe la lecture des autres en
construisant sa trame et essaie de prédire les effets de la lecture de l’œuvre car, parfois,
certains aspects techniques du roman et indications, tant de l’écriture que de la lecture, font
345 Orhan Pamuk. El novelista ingenuo y el sentimental, op. cit., p.14 346 Aristote. Poética, op. cit., p. 11.
153
irruption dans le récit comme autant de fragments d’information, orientant le lecteur vers la
conception, l’organisation, la présentation et la réception du récit.
Tel est le cas de plusieurs romanciers comme Vásquez et Cortázar qui ont eu recours au
paratexte pour contextualiser et donner plus de détails au lecteur sur sa création littéraire. Par
exemple, en indiquant leur capacité et la consultation d’archives pour la recherches de
référents pour leur récit “dans les quelques cinquante livres que j’ai lus pour écrire ce…”347,
ou en indiquant et en avertissant du caractère fictionnel de leur récit lié à d’éventuels
recoupages avec les faits présentés, “La forma de las ruinas es una obra de ficción. Los
personajes, incidentes, documentos y episodios de la realidad, presente o pasada, se usan aquí
de forma novelada y con las libertades propias de la imaginación literararia”348 ou en donnant
des indications sur la lecture du texte proprement dit, comme “Tablero de dirección”349 dans
Rayuela.
D’autre part, face à ce dernier axe structurel du récit, Pamuk indique que ce qui est créé fait
partie de ce que Philip Roth appelle “une créature indépendante”350, c’est-à-dire que la nature
du récit est conditionnée par l’écrivain; en son sein, “l’être humain est la meilleure invention
du roman”351. Comme nous le notons, découvrir le sujet à partir de multiples dimensions,
occultes, privées ou ambigües, conduit à se poser des questions sur d’autres possibles vécus,
ainsi que sur les réalités qui interpellent l’homme, sur les conséquences des actes humains et
le pouvoir généré par leur représentation sous toutes leurs facettes dans le domaine de la
fiction.
De même, affirme Vásquez, “esta ficción que nos inventa”352 permet que les romanciers
soient les personnages de leurs propres récits, explorent des zones sombres dans lesquelles
ils se submergent et s’affrontent “dialogiquement à l’horizon unifié”353, diversité de voies
347 Juan Gabriel Vásquez, Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 291. 348 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 551 349 Julio Cortázar. Rayuela. Madrid: Ediciones Catedra, 2012, p.111. 350 Philip Roth. El oficio: un escritor, sus colegas y sus obras. Barcelona: Editorial Seix Barral, 2003, p. 43. 351 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 120. 352 Ibid., p. 30. 353 Mikhaïl Bakhtine. Problemas de la poética de Dostoievski, op. cit., p. 32.
154
sociales. Ce nouveau travail créatif suscite un plan d’évaluation de la multiplicité des formes,
sur l’environnement de la représentation du monde et de la pensée. Pamuk exprime cette idée
de la manière la suivante:
Al cabo de un tiempo, el esfuerzo intenso y extenuante daba sus frutos y el amplio paisaje que yo
quería ver se abría delante de mí, como un inmenso continente que surgía refulgiendo con toda
su intensidad después de que se hubiera levantado la niebla354.
En conséquence, le roman en tant que résultat esthétique permet à ses lecteurs de visualiser
de nouveaux scénarios pour observer des vérités différentes des leurs, de nouvelles
connaissances et d’éventuelles récriminations portant sur des situations inexplorées dans
lesquelles la condition humaine s’illumine et devient protagoniste, que ce soit dans un monde
public, politique ou social. Par exemple, en particulier dans le récit de Vásquez, ses
personnages se centrent sur l’exploration de l’autre, sur ses convictions et aussi sur ses erreurs
ou infortunes. Tel est le cas du personnage du fils dans Los informantes, qui reconstruit
l’histoire vécue par son père, ses actions passées, qui s’inscrivent, en outre, dans l’histoire de
la Colombie.
Il faut mentionner que cette restauration du vécu est possible grâce à la compilation de
témoignages, de faits vécus, et à la source directe qui fournit plus de détails au lecteur. Il
faaut souligner que dans l’intervalle de cette recherche par le fils, émerge un père rénové,
repenti et postérieurement réhabilité. C’est ainsi que dans Los informantes, Gabriel Santoro
fils redécouvre un Gabriel Santoro père, différent de celui qu’il avait connu pendant toute sa
vie. Sa perception du légendaire professeur d’art oratoire à la Cour Suprême de Justice,
reconnu pour ses mérites professionnels, ressurgit devant son fils comme un être imparfait,
avec un passé clandestin qu’il voudrait bannir de son existence, mais dont le besoin de le
taire se voit frustré par la survenance de nouveaux évènements. Santoro père déclare:
No voy a dar detalles, no voy a ahondar en el asunto, porque no es esa mi intención. Llevo ya
varios años enseñando a hablar a la gente, y hoy quiero hablarles de lo que no se dice, de lo que
está más allá del relato, del recuento, de la referencia. Yo no puedo evitar que otros hablen si lo
creen útil o necesario. Por eso no hablaré contra los parásitos, esas criaturas que aprovechan para
sus propios fines la experiencia de quienes hemos preferido no hablar355.
354 Orhan Pamuk. El novelista ingenuo y el sentimental, op. cit., p.14. 355 Juan Gabriel Vásquez. Los informantes, op. cit., pp. 75-76
155
En règle générale, la relation de pouvoir et de grandeur des personnages de JVC, apporte
toujours une atmosphère d’obscurité intérieure où priment des intérêts variés mais qui,
pendant un laps de temps qui intervient tardivement dans leurs vies, font renaître des
sentiments de remords dans lesquels le souvenir du passé révèle de nouveaux agissements et
des transformations du sujet. Ainsi, la vie humaine est perçue par le romancier comme un
prodige fascinant et qui mérite une exploration, lors de laquelle il est loisible de s’immerger
dans ces zones inconnues, mystérieuses, irrationnelles et impénétrables, propices pour
détailler et recréer de nouvelles histoires basées sur des moments de sensibilité, des
obsessions, des expériences et des investigations. Ceci est possible grâce à l’art de l’écriture,
à l’usage précis des fonctions du langage et à l’inventivité de l’artiste pour créer des mondes
possibles dont la réalité, le vécu et les phénomènes sociaux sont extraits et dirigés vers de
nouveaux domaines de la fiction.
Dans la même veine, JGV révèle ses intérêts littéraires et la finalité de son écriture, dans sa
dernière compilation d’essais sur l’art du roman, intitulée Viajes con un mapa en blanco:
La novela que he perseguido desde el principio, o desde lo que yo llamo el principio, es la que
pone a prueba una visión de la realidad en que el hombre ha caído en desgracia por culpa de
fuerzas que no domina ni entiende, y que le llegan del mundo público o político. Lo que eran los
dioses o el destino para los griegos, para mi es la historia: la gigantesca e inefable maquinaria de
hechos, causalidades y casualidades, conspiraciones y accidentes, voluntades y oscuros azares
que dan forma a nuestras vidas, las limitan y las impulsan, y nos resultan incomprensibles,
impredecibles e incontrolables356.
Dans un certain sens, le récit est singulier par l’exploration de la vie intérieure de ses
personnages, par la morale connexe aux erreurs humaines relevant de l’histoire d’un pays,
caractéristiques présentes dans tous ces récits. En d’autres termes, la relation directe et
indirecte des histoires officielles et la création de sujets énigmatiques, mystérieux et
puissants, sont extraits par cet écrivain et transformés en nouveaux êtres repentis des actes
de leur passé, pour procéder à son travail d’artiste de caractérisation et de personnification
de la vie humaine, de zones non conventionnelles, d’obscurantisme, de solitude et d’intimité.
356 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 58.
156
Il convient de mentionner, en outre, les obsessions propres au romancier, qui sont associées
aux expériences d’autrui ou privées, les souvenirs individuels et collectifs, le caractère
insensé et incontrôlable des choses et les versions faussées qui rendent possibles la réflexion
et l’investigation sur certains moments essentiels de l’histoire de la Colombie du point de
vue social, historique et politique pour formuler des coutumes, des anecdotes, des
phénomènes sociaux et la réalité même, entre autres caractéristiques propres à la société.
Tout naturellement, pour la construction de ses fictions, JGV recourt à documents d’intérêt
public et à des sources diverses qui lui permettent de réfléchir et de proposer de nouvelles
interprétations des histoires officielles, à partir du legs de chroniqueurs, journalistes,
historiographes, photographes et écrivains, entre autres artistes. Par exemple, dans Historia
secreta de Costaguana, l’auteur est parti de sources imaginaires, employées aussi par le
romancier Joseph Conrad pour élaborer Nostromo, dont la construction repose
principalement sur un livre apocryphe et non publié, intitulé Historia de cincuenta años de
desgobierno, écrit par José Avellanos, personnage de fiction dans Nostromo, et alter ego de
Santiago Pérez357, écrivain et diplomate colombien. Ce dernier, spécule-t-on, fut la principale
source de Conrad dans la construction de son récit, informateur direct du conflit interne
découlant de l’évènement historique associé à la sécession du Canal de Panamá qui, selon la
lettre du roman, correspond à la fiction sur la révolution qui sépare la province de Sulaco de
Costaguana.
À cet égard, Joseph Conrad, dans le prologue de Nostromo relate ce qui suit:
Mi principal autoridad en lo que atañe a la historia de Costaguana es, naturalmente, mi venerado
y difunto amigo don José Avellanos, ministro de las Cortes de Inglaterra y España, etc., etc., en
su imparcial y elocuente Historia de cincuenta años de desgobierno. La obra no llegó a publicarse
–el lector pronto sabrá por qué –y soy por tanto la única persona en el mundo que ha tenido acceso a sus contenidos. He llegado a dominarlos tras no pocas horas de rigurosa reflexión, y confío en
que mi exactitud no se ponga en duda. En mi defensa y con el fin de disipar los temores de
eventuales lectores, me permito señalar que las escasas alusiones históricas que figuran en mi
357 Comme nous l’avons mentionné, Santiago Pérez Triana (1858) a été la source directe de l’écrivain polonais
Joseph Conrad pour la construction des affrontements politiques, sociaux et économiques qu’affrontait la
Colombie, et qui ont servi de base à ceux de la République de Costaguana dans Nostromo (1904). Perez Triana,
fils de l’ex-président libéral Santiago Pérez Manosalva, s’est prévalu de son expérience et de ses connaissances
de son pays, la Colombie, pour faire des recherches sur les évènements historiques, s’en servant comme matériel
de fiction.
157
novela no tienen por objeto alardear de mi incomparable erudición, sino que todas ellas guardan
una estrecha relación con la realidad; o bien arrojan algo de luz sobre la naturaleza de los hechos
que se relatan, o bien influyen directamente en la fortuna de las personas de las que hablo.358
En se basant sur cette révolution et sur les possibles interprétations et idées associées à
l’économie et à la politique colombienne, Santiago Pérez a fourni de précieuses informations
à son ami Joseph Conrad dont ce dernier a profité pour construire son roman Nostromo. En
ce sens, JGV est parti de différentes rencontres entre les deux écrivains, le Polonais Conrad
et le Colombien Perez Triana, pour créer Historia secreta de Costaguana. De même, il a
réaffirmé son intérêt pour les œuvres de l’écrivain polonais, les fausses références
mentionnées et autres sources directes afin d’élaborer sa propre fiction.
Par exemple, dans son premier livre de compilation d’essais, JGV réfléchit sur un des
éléments du paratexte trouvé dans Nostromo:
Pues el prólogo de Conrad más que revelar las pistas, trata de ocultarlas. José Avellanos es un
personaje de Nostromo, uno de los patriarcas más respetados de Costaguana; su libro, History of fifty years of Misrule, sólo existe dentro de la ficción359.
On peut admettre que l’existence du document apocryphe du personnage de Nostromo
correspond réellement à celui du Colombien exilé, Santiago Pérez Triana, et à son roman De
Bogotá al Atlántico, dont la nationalité et les connaissances sur les conflits sociaux et
politiques d’Amérique latine ont inspiré la représentation et la création de José Avellanos.
Ainsi, son amitié avec le diplomate et écrivain a-t-elle permis à Conrad de concevoir la
justification et la validité de son histoire sur le monde construit.
Par analogie, il convient de se demander si la République de Panama correspond à celle de
Sulaco, province de Costaguana dans Nostromo, qui partage la même destinée de sécession
et sa proclamation comme république indépendante, grâce à l’intervention des États-Unis. Il
en va de même de son intérêt commercial et financier, dû à la situation géographique et aux
rencontres culturelles, qui apporterait des bénéfices importants: à la première, Panama, “cuya
suerte dependía de la explotación de aquella riqueza que la hacía única: ser el punto más
angosto de América, y por lo tanto el más idóneo para la construcción de un canal
358 Joseph Conrad. Nota del autor. Los prólogos de Conrad y sus obras. Segovia: la Uña Rota, 2013, pp. 64-65. 359 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p.150.
158
interoceánico”360 et à la seconde, Sulaco “cuya suerte depende de la explotación de aquella
riqueza que la hace única: la mina de plata de San Tomé, explotada años atrás por un tal
Charles Gould, idealista inglés, con la ayuda de un tal Holroyd, empresario
norteamericano”361.
En outre, des coïncidences sont découvertes et présentées par JGV dans son essai “ Viaje a
Costaguana”, qui ratifie cette même source dans la biographie réalisée sur Joseph Conrad:
el hombre de ninguna parte. D’ailleurs, dans l’essai JGV accepte les infidélités de la
correspondance entre l’écrivain polonais et un autre ami romancier, Robert Cunninghame
Graham, auquel il déclare être troublé par l’écriture de Nostromo. Ce roman sur Conrad, dit-
il, le tourmente par son manque d’informations sur l’Amérique du Sud. JGV confirme aussi
que:
Conrad pretende indagar en el alma política de una civilización que no es la suya, de la cual lo
separan barreras geográficas, lingüísticas, idiosincrásicas. El esfuerzo, como es evidente, exige
grados de empatía y de conocimiento del alma humana que sólo están al alcance de los grandes
novelistas, pero en el caso de Conrad las limitaciones se multiplicaban, pues su contacto directo
con el terreno de la novela había sido demasiado breve, demasiado superficial y escueto”362.
Il convient de souligner que Conrad a recouru à des témoignages directs et à des sources
textuelles, puisqu’au moment d’écrire son histoire, les faits se déroulaient peu à peu; alors
que pour Vásquez, évidemment les sources directes n’étaient pas possibles, sinon qu’il devait
se reporter aux seules sources textuelles, comme le roman, le journalisme, l’historiographie
et les recherches, comme 1903 Adios Panamá. Colombia ante el destino manifiesto363.De
même, son imagination l’a amené à spéculer et à recréer dans Historia secreta de Costaguana
de possibles conversations entre Conrad et ses collègues romanciers sur la révolution de
Panama. Vásquez confirme dans cette citation son inspiration littéraire pour la création de
son roman: “Ignoro si Santiago Pérez Triana haya leído alguna vez Nostromo, pero imaginar
360 Ibid., p. 151. 361 Ibidem. 362 Ibid., p. 148. 363 Enrique Santos Molano. 1903. Adiós Panamá. Colombia ante el destino manifiesto. Bogotá: Villegas
Editores, 2004
159
sus reacciones fue suficiente para que me embarcara en la escritura de Historia secreta de
Costaguana”364.
C’est ainsi que, à la différence de Conrad, dans Historia secreta de Costaguana, JGV
“convierte al autor en personaje, a los personajes en autores y a los lectores en habitantes del
mundo ficticio”365. Dans cette optique, Joseph Conrad passe de romancier à personnage de
fiction. José Altamirano, auteur de ce récit, sera mandaté pour décrire son histoire vécue et
celle d’autrui, afin d’expliquer et de s’expliquer son existence et le destin auquel il était voué.
Postérieurement, les lecteurs entrevus dans la narration comme jurés et critiques de
l’information fournie par le narrateur, le seront aussi pour la construction de son récit:
Si, Lectores del jurado, en mi relato democrático, también las cosas tienen voz, y habrán de recibir
turno de palabra (Ah, las artimañas a que debe recurrir un pobre narrador para contar lo que no
sabe, para rellenar sus incertidumbres con algo interesante….)366.
Cet art, capable de traverser les frontières chronologiques, situationnelles, géographiques et
historiographiques, rend possible la création de liens secrets et autres, plus notoires, entre le
littéraire, les perceptions du monde et les conceptions du sujet. Par exemple, dans la
biographie de JGV sur Conrad, il affirme ce qui suit:
Una de las fuentes en que se apoyó para la creación de Costaguana –esto, en cambio no lo dice-
fue un curioso libro colombiano: De Bogotá al Atlántico. Su autor Santiago Pérez Triana, era hijo
del presidente Santiago Pérez, desterrado por el gobierno conservador de Miguel Antonio Caro.
Pérez Triana pasó varios años en Londres y conoció a Cunninghame Graham que prologó la
edición inglesa del libro: Down the Orinoco in a Canoe. Al parecer, Pérez Triana y Conrad se
conocieron (por intermedio de Graham, es de suponerse), y, sea, como fuere, el colombiano acabó incluido en la ficción come José Avellanos367.
Et, c’est ainsi que cet écrivain polonais, selon les dires de JGV, s’est prévalu de son amitié
avec le Colombien pour accéder à une perception privilégiée des faits qui s’abattaient sur le
pays à ce moment-là et qui, ensuite, seront recréés dans sa fiction de Nostromo. Dans le cas
de Historia secreta de Costaguana, l’histoire prend forme à partir de l’examen de documents
364 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 72. 365 Ibid., p. 41. 366 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 78. 367 Juan Gabriel Vásquez, Joseph Conrad. El hombre de ninguna parte, op. cit., pp. 67-68.
160
imprimés, manuscrits et autres références propres qui concernent l’époque détaillée et
l’évènement décrit autour du conflit politique, la sécession de Panamá de la Colombie.
Nous avons déjà signalé que JGV innove dans le genre du nouveau roman historique pour
transmuter et intégrer des systèmes culturels variés, des données historiques, à partir d’une
perspective dénaturée des faits et de nombreuses représentations intertextuelles dans
lesquelles il réfléchit sur l’histoire officielle de son pays. Selon Seymour Menton, l’auteur de
romans historiques remplit les conditions les suivantes:
Además de divertir a varias generaciones de lectores con sus episodios espeluznantes y la
rivalidad entre los protagonistas heroicos y angelicales y sus enemigos diabólicos, la finalidad de
la mayoría de estos novelistas fue contribuir a la creación de una conciencia nacional
familiarizando a sus lectores con los personajes y sucesos del pasado; y a respaldar la causa
política de los liberales contra los conservadores, quienes se identificaban con las instituciones
políticas, económicas y religiosas del periodo colonial368.
À partir de la réflexion de Menton sur le roman historique, la construction fictionnelle de ce
sous-genre requiert des connaissances spécifiques en matière d’historiographie, des
personnages fiables, des évènements, temps et espaces qui seront recréés à partir de la
consultation d’un matériel codé, de documents existants et de discours culturels. Ces derniers
sont associés aux costumes, aux traditions, aux idéologies et aux activités propres à un pays,
à une ville ou à une région, dans lesquels les lecteurs, au travers de leur bagage culturel et de
leurs connaissances historiques personnelles, peuvent inspecter, remonter et enjoliver le
passé historique.
Ceci, afin d’inventer, d’identifier, de revalider, d’occulter ou de décoder le passé historique
pour l’activer rétrospectivement au moment de la lecture du récit. Toutefois, au fil des ans et
de l’évocation de ces contextes culturels, assure Fernandez Prieto, “puede ocurrir que los
lectores ya no estén en condiciones de reconocer a estas entidades como pertenecientes a la
historiografía, y por tanto las entiendan como ficcionales, dejando sin activar su dimensión
histórica”369. Pour ce motif, on peut déduire que les nouvelles lectures conduisent à façonner
368 Seymour Menton. La nueva novela histórica de la América Latina, op. cit., p. 36. 369 Celia Fernández Prieto. Historia y novela, op. cit., p. 183.
161
des textes transformés dans lesquels les connaissances historiques des lecteurs contemporains
prennent, ou non, en considération les systèmes idéologiques de l’époque recréée.
Il faut souligner que, dans ce sous-genre, rien n’oblige l’écrivain à inclure dans son roman
des données fiables sur les personnages, des évènements historiques notables, ni à vénérer
les versions officielles, mais par contre est obligatoire la révision documentée de l’histoire
pour conférer de la vraisemblance à son produit narratif. En ce sens, dans ce processus de
création ou de composition littéraire, sont permises les altérations conscientes de l’histoire,
ainsi que “la libertad del novelista para inventar acciones o cualidades de las figuras
históricas”370. Pour cela, est mis en évidence chez quelques écrivains, comme dans le cas de
Vásquez qui fouille dans ces zones obscures, privées et intimes de personnages célèbres tout
comme dans celles de personnes ordinaires, dans le but de présenter une nouvelle version par
rapport à celle communément acceptée par la version historiographique officielle.
Tel est le cas de La forma de las ruinas, dans laquelle “el autor deja de ser autor para
convertirse en personaje”371, condensant alors tout ce qui attrait à l’histoire de sa vie, au passé
historique de son pays, à sa profession de romancier et journaliste, qui se voit transformé et
développé, dans son dernier roman, publié en 2015. Comme nous l’avons déjà mentionné,
JGV part de ses obsessions d’écriture, comme l’exploration de la condition humaine, la lutte
constante contre l’oubli de l’histoire du pays, la détermination d’une identité et la
reconnaissance de la notion d’Amérique latine, de ses évènements et de ses protagonistes,
qui au fil du temps sont abolis et oubliés par les communautés actuelles.
Par rapport à la position antérieure, JGV assure que la construction de sa dernière nouvelle
s’est basée sur ce qui suit: “El material de mi novela son los crímenes que han dado forma a
la historia colombiana; su tema, la posible manera en que nosotros, los hombres del presente
agobiado, heredamos los crímenes del pasado violento”372. En conséquence, il est absolument
nécessaire pour cet auteur, que dans ses romans en général, soient repris des épisodes de
l’histoire nationale pour ainsi rendre compréhensible sa (mé)connaissance de la réalité, le
370 Ibid., p. 186 371 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 34. 372 Ibid., p. 132
162
passé de son pays et ses évènements, en particulier ceux associés aux traumatismes
nationaux.
Pour cela, cet auteur déclare que le rôle de la littérature est fondamental pour toutes les
sociétés puisque “un mundo sin novelas es un mundo estancado, cuya visión de sí mismo se
estanca, cuya identidad se estanca”373. En ce sens, grâce au génie des fictions, on peut
concevoir dans les récits de nouvelles identités, un d’évènements, la révélation de mystères,
la remise en question de contextes, comme celui de se réfugier et/ou de se recréer comme
sujet actif, immergé dans une société mutante, violente et autonome. En même temps, il y a
habituellement des personnages qui se singularisent par leur pouvoir d’investigation et de
réflexion sur la faillibilité de l’histoire, de la mémoire publique, privée, entre autres aspects,
caractéristiques d’un monde en proie aux incertitudes.
En conclusion, nous soulignons qu’à partir du domaine de la fiction, la chimère du romancier
lui permet de recréer d’autres versions possibles de l’histoire officielle. Ces nouvelles
créations peuvent être basées sur la reconstruction d’un moment précis, l’élucidation d’une
situation sombre, la modélisation de souvenirs et la recherche du sens d’expériences et
d’actions réalisées par le passé, au travers de l’artifice romanesque.
De même, les nouveaux récits rapprochent, autant les lecteurs que les auteurs, de l’obtention
de réponses sur les nombreuses incertitudes qui accompagnent l’histoire de chaque pays à
cause de la présence de témoins, ou de plusieurs narrateurs, ou d’autres personnages
sélectionnés par l’auteur pour imiter, copier, imaginer ou découvrir les idiosyncrasies d’un
groupe en particulier, à un moment donné ou dans un contexte particulier. Il en va de même
des troubles sociaux qui découlent aussi de l’imaginaire, comme une mutation de
l’expérience réelle, humaine, au niveau de la compréhension et de la connaissance, capable
de traverser des frontières qui permettraient peut-être, une compensation intérieure et une
conscience plus lucide pour affronter de nouvelles réalités propres ou d’autrui.
373 Ibid., p. 87.
163
D’autre part, le récit en général offre un cumul d’obsessions et d’intérêts spécifiques des
romanciers qui définissent si le lecteur est partie prenante ou non des jeux d’écriture, ainsi
que de la lecture proposée. C’est le cas, par exemple, des récits de Vásquez qui recèlent
généralement un secret qui conditionne le passé d’un pays qui, grâce au récit, est
nécessairement dévoilé au présent. Cette ressource narrative employée par l’auteur permet
de réfléchir sur une réalité inédite, inexplorée, vue sous divers angles et milieux sociaux.
Grosso modo, nous concluons que la fiction est encouragée par des personnages marginaux,
venus de différents horizons géographiques, d’une pluralité de cultures et de territoires
sociaux, qui rendent possible la visualisation et l’identification des lecteurs avec le monde
idéalisé, anecdotique et distinctif. Tout cela invite à réfléchir sur un présent historique, dans
lequel on ne peut pas responsabiliser exclusivement une voix ou une perspective unique, mais
où se trouvent impliqués un ensemble de discours variés et de textes concrets qui rendent
possible l’écriture du récit.
164
II.2 Exploration d’autres genres littéraires
II.2.1 La trajectoire du romancier dans un autre domaine de l’écriture, le conte.
Pero ese día supe que la ficción es más peligrosa que la realidad. Que hay
que temerle más a la fantasía o a los sueños o a las pesadillas que a lo
que vemos y tocamos. Porque a diferencia de la realidad, la ficción sí es
necesaria para el hombre, un acto de fe…
Juan Esteban Constaín
D’autre part, le romancier JGV s’est essayé à des représentations littéraires narratives, telles
que le conte, la biographie, le journalisme et l’essai. Dans toutes ces figurations, l’auteur,
comme sujet d’une société violentée, a été vulnérable aux évènements rétrospectifs de la
Colombie, qui s’inscrit dans le cadre d’une histoire convulsionnée, à cause des magnicides,
de la corruption, d’un côté, et de l’autre conserve d’inestimables reliques nationales,
géographie et faune, auxquelles l’auteur a eu accès comme source de première main pour
recréer ses écrits.
Ce romancier a aussi eu recours à différents matériaux de communication, tels que: films et
documents audiovisuels, caricatures, partitions musicales, œuvres picturales, et autres
manifestations artistiques, dans le but d’approfondir différents moments de l’histoire
colombienne. En outre, l’auteur se permet de donner son point de vue sur différents thèmes
des affaires intérieures en utilisant différents formats d’expression et de communication.
Dans quelques-unes de ses activités scripturales, comme celle d’organiser des situations de
conflit à l’intérieur de la société et pénétrer dans la vie de l’être humain et ses
environnements, cet auteur présente de nouvelles versions, organisées selon son critère
autour de ses réflexions et expériences propres et privées. Celles-ci sont associées aux
différents évènements, qu’ils soient de l’ordre social, politique, économique, entre autres,
lesquels sont abordés à partir de différents domaines de l’expression littéraire, tels que le
conte et des articles dans des revues, journaux, livres nationaux et internationaux. En accord
avec ce qui précède, l’auteur, pour la construction de son conte, reprend différents discours
et thématiques déjà existants pour les fusionner avec l’essentiel de sa perception et de son
expérience, en documentant ainsi ses nouvelles fictions et en creusant, principalement, dans
165
l’aspect émotionnel. C’est-à-dire, dans les relations sociales spécifiques de l’expérience
humaine, permettant ainsi que se créé une expérience transformatrice dans le champ de la
fiction.
Pour Vásquez, le fait de pouvoir avoir recours au genre littéraire narratif, lui permet
d’explorer le monde du point de vue de sa propre optique, pour présenter ainsi une version
actualisée et associée à des thèmes qui l’intéressent, en particulier, ceux associés à la
Colombie; cependant, dans ses contes, l’auteur s’attache à aborder d’autres contextes
internationaux correspondant à ses séjours à l’étranger. À ce sujet, le romancier a été éloigné
de sa patrie, mais n’a jamais été désintéressé ou désinformé des divers évènements, agréables
ou désagréables, vécus jour après jour dans sa terre natale. Toutes ces expériences ont enrichi
son imagination et ont exacerbé sa mémoire en recréant le passé encore et encore, à partir de
différents angles et perspectives d’opinion. Pour cela, régulièrement, il a recours aux
différents moyens de communication existants, pour être informé des différentes situations
que vit son pays, malgré le fait de se trouver volontairement exilé.
En 2001, JGV a publié une collection de contes intitulée Los amantes de Todos los Santos,
où il raconte différentes histoires avec des thèmes variés sur des assassinats, condamnations,
infidélités, amours matériels et démesurés, tragédies, solitudes, regrets, relations avec le
temps, à travers un univers de fiction dans lequel on trouve de denses personnages, pleins de
mystères et curieux de la vie des autres. Ces histoires se passent dans des pays européens, où
a vécu le romancier, comme la France et la Belgique respectivement, dans lesquels il
représente en détail l’être humain depuis son intérieur, ses émotions, ses pensées, ainsi que
des informations détaillées sur les lieux fréquentés, les sons de l’environnement et ses
contextes historiques, politico-sociaux, de l’époque dont il fait référence.
En particulier, dans cette compilation, le romancier présente sept récits, quelques-uns d’eux
publiés précédemment dans des anthologies ou des revues nationales et internationales:
“El regreso” apareció en la Antología de cuentos Iberoamericanos de la Revista Lateral de
Barcelona y en la antología alemana Und träumten vom Lebem. Erzählungen aus Kolumbien. Un
capítulo de “El inquilino” apareció en la antología francesa Littératures de la Revista Caravelle
de Toulouse… “Lugares para esconderse” se publicó originalmente en la antología Cuentos
166
caníbales (Alfaguara, Bogotá, 2002) y “La soledad del mago”, en la antología amor global (Laia
Libros, Barcelona, 2002)374.
Dans “El regreso”, d’abord dans cette compilation où le contexte est rural, le romancier se
concentre sur les activités et les agissements mystérieux de la protagoniste, Madame
Michaud. En outre, il met en relief ses savantes capacités sur le contexte géographique, dans
lequel se déroule le récit. Pour Michaud, tout son monde tourne autour de l’espace, sa maison
aux Houx “terreno de unas tres hectáreas”375, héritée des membres de sa famille paternelle
les plus proches. On connaissait d’elle depuis toujours son amour profond pour la propriété
privée et ses environs, jusqu’au point de s’éloigner des siens et des autres, amis et
connaissances, pour “recorrer en soledad los recovecos de la casa”376. Il ne lui manquait pas
de la retrouver dans différents endroits, qu’elle connaissait à la perfection: l’énorme
édification, ses périmètres, ses objets, son organisation, ses secrets, y compris, elle pouvait
en faire le tour avec les yeux fermés, si elle le voulait ainsi. Elle passait par tous les endroits
comme la paume de sa main, toujours en solitaire, promenades que connaissaient sa mère et
la petite sœur, son cercle familial, facilement perceptible pour elles, que ce soit à cause de
l’aspect sous lequel elle arrivait ou pour les odeurs qu’elle diffusait en entrant.
Se sabía que había estado en los establos porque llegaba oliendo a heno y a estiércol; se sabía que había pasado la mañana en la arboleda porque sus vestidos llegaban rasgados por conos de pino
o estropeados sin remedio por la resina de los troncos377.
Les membres de sa famille n’ont pas toujours été habitués à ses attitudes d’isolement, “nunca
ha tratado con seres humanos”378. Ils ont consulté des spécialistes pour l’aider à sortir de sa
solitude et à essayer de la comprendre dans ses actions quotidiennes; cependant, ils ont
rapidement fini par l’accepter telle qu’elle était, et en mettant en relief des qualités sur ses
compétences territoriales et administratives, en particulier pendant des moments de guerre
ou de visites indésirables. Elle faisait toujours confiance à son intuition et c’était une femme
prévoyante, principalement en ce qui concerne ce qui a à voir avec la propriété:
374 Juan Gabriel Vásquez. Los amantes de Todos los Santos. Bogotá: Distribuidora y Editora Aguilar, Altea,
Taurus, Alfaguara, 2008, p. 215. 375 Juan Gabriel Vásquez. “El regreso”. Los amantes de Todos los Santos, Ibid., p. 13. 376 Ibíd., p. 14. 377 Ibíd., p. 15. 378 Ibíd., p. 16.
167
Empezó la guerra, y Mademoiselle Michaud ganó una súbita importancia en las funciones de Les
houx: durante los bombardeos nocturnos, cuando la corriente eléctrica de todo el país se cortaba
para que los aviadores no ubicaran sus blancos, ella era la única capaz de encontrar objetos
perdidos en la oscuridad, o de atravesar la propiedad de un extremo al otro si era preciso alimentar
a los caballos o dar un recado al mayordomo379.
À un moment donné de son existence et grâce à ses talents en espionnage, Madame Michaud
découvre de possibles menaces à l’encontre de sa propriété de la part de son futur gendre.
Elle se rend compte, comment dans peu de temps, il sera le nouvel intégrant de la famille et
celui qui réalisera des modifications à la maison, une fois marié à sa sœur. “… Jan usaba el
teléfono del tercer piso para hacer una llamada de negocios. Habló del momento en que la
mitad de todo esto le perteneciera; habló de la necesidad de poner tanta tierra inútil a
producir”.380 Michaud décide alors d’affronter la situation et de prendre des mesures
drastiques et irréversibles, qui changeront la vie de tous les intégrants de la famille.
Dans ce cas particulier, le stéréotype féminin évoqué par l’auteur, consiste en le fait de
protéger sa maison, sans qu’importent les conséquences que, pour elle et sa famille, apportent
ses actes. Dans cette déconstruction du mythe féminin, a lieu l’irrationnel, comme une force
révélatrice qui entraine de funestes résultats. “Regresó a casa después de la cena, y
ciegamente vació el contenido de su saquito, un polvo grueso y tosco, en el pousse-café del
pretendiente. Jan no sobrevivió a esa noche”381. Dans cette perspective, la femme n’a pas
peur d’exposer sa culpabilité d’assassinat et accepte avec tranquillité le fatal dénouement.
Pendant des années, Madame Michaud n’a eu aucune nouvelle de sa famille. Elle n’avait pas
non plus la notion du temps et continuait sans interagir avec les autres. Cependant, ses
activités, un tant soit peu étrange pour sa compagne de cellule, lui ont permis de survivre aux
jours d’enfermement carcéral. “Se pasaba los días enrollando y desenrollando un pliego de
papel sobre el piso de la celda”382. Sur ce parchemin, on trouvait l’illusion et la nostalgie de
son ancienne maison, vu que “sobre el reverso del calendario, había dibujado a lápiz el
croquis de Les houx con tantos detalles que su compañera exclamó, al ver el plano por
379 Ibíd., p. 15. 380 Ibíd., p. 17. 381 Ibidem. 382 Ibíd., p. 19.
168
primera vez, que conocía el lugar”.383 La perfection de ses coups de pinceaux lui avait permis
d’imaginer qu’elle était toujours dans son refuge, essayant de se cacher, comme elle avait
l’habitude de le faire des années auparavant, dans ses murs de ciment et de briques, lesquels
avaient changés pour ceux dessinés au crayon et soigneusement élaborés à la main, grâce à
sa capacité à mémoriser et à ses talents artistiques, en arrivant à idéaliser le lieu.
La représentation descriptive de la part des personnages féminins de ces images et actions
sont, non seulement, d’une réalité ou d’un environnement spécifique, sinon d’une âme et
conscience passionnées, obsessives, qui vont avoir des répercussions sur le développement
et le dénouement pour les autres personnages. Dans cette perspective, le personnage féminin
conçoit et réfléchit les espaces, recréés par l’imagination du conteur, mais qui spécule sur la
totalité de l’être humain, ses imperfections et idéalisations:
Non seulement nos souvenirs, mais aussi nos oublis, sont "hébergés". Notre inconscient est
"hébergé". Notre âme est une demeure. Et en nous souvenant des "maisons", des "chambres",
nous apprenons à "demeurer" en nous-mêmes. On voit à partir de maintenant que les images de
la maison marchent dans les deux sens: elles sont en nous comme nous sommes en elles384.
Dans cette description, prend de l’importance l’aspect esthétique, dans lequel l’existence de
l’être humain est régie par la présence des objets et leurs possessions. Tel est le casa de
Madame Michaud qui, pendant trente-neuf ans, a continué sa routine, jusqu’au jour de sa
sortie du pénitencier. Son lieu de destination, la propriété familiale, “y debía pensar que
abriría el portón y sería para ella como si ni un día hubiera pasado”385. Ce personnage
particulier, s’est détenu dans le temps, a congelé dans sa mémoire la maison et tout ce qui
existe en son intérieur et à ses alentours. Elle se refusait à penser aux possibles changements
naturels, nécessaires, dont pourrait être victime son lieu de résidence au fil des années. “Tuvo
que pensar en la posibilidad de haberse distraído en el camino, de que el chofer la hubiera
traído a una casa ajena. Miró a su alrededor. En su cara se leí la confusión Madame Michaud
se sentía desorientada”386.
383 Ibidem. 384 Gaston Bachelard. La poétique de l’espace. Paris: Presses Universitaires de France, 1957, p. 30. 385 Juan Gabriel Vásquez. “El regreso”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., p. 20. 386 Ibíd., p. 21.
169
Tout son univers tournait autour de la maison, et maintenant, une fois qu’elle pouvait y
retourner, elle se retrouvait avec quelque chose de différent, inconnu, à ce que pendant tant
d’années elle avait emmagasiné dans sa mémoire. De nouveaux sentiments sont apparus, vu
que ses espaces d’intimité à l’intérieur de la maison, ne coïncidaient pas avec ceux laissés
des années auparavant. De cela résulte, une maison humanisée, vue à travers les yeux de
Madame Michaud, et dans laquelle se racontent des histoires parallèles de ses habitants, leurs
bonheurs et malheurs, leurs trésors et déboires. Depuis son retour, sont nés à nouveau des
souvenirs du passé et apparaissent des sentiments, comme le désir d’un présent, dans la
recherche de récupérer l’espace arraché, inexistant.
Il est à souligner que la figure masculine est le protagoniste du genre romanesque de Vásquez;
cependant, dans les contes, le rôle principal masculin change pour le rôle principal féminin.
Ses personnages centraux dans ces récits, sont des femmes (in)visibles face aux stéréotypes
sociaux dominants d’époques de transition. Dans ce sens, sœurs, mères, nourrices, épouses,
amies et amantes conçues par Vásquez, sont des femmes, travailleuses, décidées, puissantes,
engagées, protectrices, mais il y en a aussi soumises, dominantes, infidèles, vengeresses et
obsessives.
Claire, par exemple, dans “Lugares para esconderse” st une femme qui passe par des
moments de contrariété dans différents domaines de sa vie, en particulier dans l’aspect
familial et son mariage. En ce qui concerne son époux, un acteur de théâtre, Claire se montre
compréhensive face à sa situation professionnelle et judiciaire, vu qu’il est sans emploi: “un
buen contrato para una película francesa acaba de ser cancelado por falta de dinero; su
primera mujer acababa de amenazarlo con un proceso legal si él no le cedía la mitad de su
casa de Zarventem”387. De même, en ce qui concerne les difficultés qu’a son époux avec sa
famille, Claire est sensible aussi, tolérante, et essaie d’apporter son soutien et sa compagnie
dans les moments difficiles, apparemment, ce fut un temps où la malchance les a
accompagnés: “En su familia han pasado cosas terribles, si tú supieras, es como si nada les
saliera bien”.388
387 Juan Gabriel Vásquez. “Lugares para esconderse”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., pp. 149-150. 388 Ibíd., p. 156.
170
Cependant, l’attitude de la part de son époux n’est pas réciproque. À savoir, les relations avec
son père n’avaient pas non plus été les meilleures, vu que pour Claire, “todo lo que ocurría
en su vida era un resultado de lo que su padre había estropeado, malvivido, dilapidado
(emociones, no dinero)”,389 alors que, pour le père, Claire était une de ses plus grandes
préoccupations, vu qu’il considérait que son mariage n’avait pas été le plus judicieux parce
que son époux ne la valorisait pas. Pour mettre en évidence son désaccord avec l’union, le
père, “Monsieur Gibert no conocía la casa de su hija. Una vez lo habían invitado, y él había
aducido alguna excusa poco imaginativa y más bien sosa”390.
Comme on peut l’apprécier, la figure paternelle est aussi une constante dans les
préoccupations narratives de Vásquez, qui approfondit les relations tumultueuses entre pères
et enfants. Dans ses contes, par exemple, on trouve les personnages de Gabriel Santoro père
et Gabriel Santoro fils, dans Los informantes, Miguel Altamirano père et Miguel Altamirano
fils, dans Historia secreta de Costaguana, postérieurement, Ricardo Laverde père et Maya
Laverde fille. Tous ceux-ci, présentent leurs histoires de vie dans lesquelles quelques-uns
découvrent que leurs pères ne sont pas ceux qu’ils disaient être, faisaient semblant d’être ou
croyaient être. À travers les récits, les lecteurs découvrent en même temps que les enfants les
secrets les plus intimes de leurs pères, lesquels amènent à la reconstruction d’autres histoires
parallèles de vie et d’évènements passés qui ont eu une grande transcendance pour le
développement économique et social du pays.
À travers des rencontres inespérées, furtives, aléatoires avec d’autres personnages dans le
champ de la fiction, les enfants peuvent se forger de nouvelles idées à partir d’autres
perceptions et ainsi, faire une reconstruction de leurs parents. Dans le cas de Los informantes,
Santoro fils peut reconstruire l’histoire de son père à travers l’expérience et les histoires de
vie racontées par Sara Guterman à la recherche de sources pour la réalisation de son livre
Una vida en el exilio. De même, au fur et à mesure du récit, surgissent de nouvelles
découvertes et divulgations inespérées sur l’histoire de vie de son père après qu’il soit mort,
ce qui encourage Guterman à rompre le silence et donne des réponses à plusieurs questions
389 Ibíd., p. 152. 390 Ibidem.
171
de la part du fils à partir de sa connaissance des faits. “Con esto todo cambia, me dijo Sara.
Porque hay cosas que prefiero contarte yo misma y no que las vayas leyendo por ahí”391.
D’autre part, il y a les pères qui n’ont pas eu l’opportunité de connaître leurs enfants ou de
partager une partie de leur vie initiale, que ce soit pour ignorance de leur paternité ou parce
que les conditions judiciaires ne le leur permettaient pas, Ceux-ci sont les cas d’Historia
secreta de Costaguana et El ruido de las cosas al caer. Dans le premier, José Altamirano a
grandi sans une figure paternelle, cependant, son désir est de le chercher et lui raconter son
existence : “Vine a Colón porque me dijeron que aquí encontraría a mi padre, el conocido
Miguel Altamirano”392. Dans le deuxième, Maya Laverde Fritts a été privée de la vérité sur
les motifs réels de l’absence de son père pendant très longtemps. “No se había muerto cuando
yo tenía cinco años Estaba vivo. Había estado preso y había salido”393.
Dans ces romans, l’absence du père, qu’elle soit par ignorance ou pour des raisons de force
majeure, ont eu des répercussions sur les enfants quand ils ont connu l’existence de leur
véritable père, de même que la vérité des faits quant à leur conception et la séparation pendant
tant d’années. Dans les deux cas, les mères ont eu une participation directe sur les faits,
Antonia de Narvaez, mère de José Altamirano et Elena Fritts, mère de Maya Fritts, ont menti
pendant de longues années sur l’identité du père, y compris, sur leur lit de mort. Ce qui
précède, peut-être en raison de différents facteurs, pour les protéger d’erreurs du passé et
d’un futur incertain. Altamirano et Laverde pères ont adopté des fonctions paternelles après
le moment, dans leur intention de récupérer des liens inexistants apparemment, mais après
un certain temps, sont survenus des changements significatifs dans leurs entourages. Parmi
eux, de nouveaux personnages et histoires de vie sont survenus, à partir des trouvailles liées
aux confessions réalisées.
Da la même manière, dans les contes comme, “En el café de la République” et “La soledad
del mago”, la figure paternelle prend de l’importance dans le mesure où il est important pour
le premier, de conserver les apparences et la stabilité émotionnelle du père, malgré que soient
391 Juan Gabriel Vásquez. Los informantes, op. cit., p. 122. 392 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 73. 393 Juan Gabriel Vásquez. El ruido de las cosas al caer, op. cit., p. 245.
172
nécessaires les mensonges ou d’avoir recours à d’autres pour y arriver. Pour le deuxième, la
présence du père dans des moments importants pour les enfants, comme dans le cas de Selma
qui “le hubiera gustado que su padre viviera aún para entregarla en matrimonio”.394 De
même, ledit lien paternel devient pertinent dans d’autres moments déterminés, dans lesquels
un enfant et la famille le requièrent.
Le protagoniste fils dans, “En el café de la République” avec Vivianne, son ex-épouse, ils se
réunissent pour rendre visite au père et ex-beau-père, un an après leur dernière visite, malgré
les rancœurs du fait de l’échec de leur relation de couple: “No tiene por qué haberse enterado
de lo nuestro. Así que ése es el favor que te pido”395. Vu que le père, des années auparavant,
avait aussi eu une rupture amoureuse avec sa compagne et peut-être que le fils souhaite éviter
une nouvelle souffrance en raison de la séparation ou éviter de donner des réponses sur leur
intimité, ignorer ses sarcasmes ou réclamations. Son père ignorait encore toutes les difficultés
émotionnelles et médicales par lesquelles passait son fils, en plus n’avait jamais existé une
bonne relation de communication entre les deux. “Era absurda porque él no sabía que mi
matrimonio se había acabado, ni tenía mi nuevo de teléfono ni se había enterado de mi
enfermedad indescifrable…”396. Alors que dans “La soledad del mago”, Selma ne se sentait
pas une petite fille chanceuse, vu que “su padre, muerto de cáncer de garganta antes de que
ella aprendiera a hablarle, había sido una ficción, una conjetura”397.
À partir de l’absence paternelle, elle ne voulait pas que sa première fille souffre les
conséquences de ladite perte. Son souhait était d’avoir une famille pour sa fille, celle qu’elle-
même, en tant que fille, n’a jamais eue, ainsi, cela impliquera pour elle de se priver de son
propre bonheur; c’est-à-dire, faire des sacrifices comme celui de ne plus se voir en cachette
avec son amant. Dans ce sens, Selma était disposée à renoncer à tout, y compris à son amant,
le magicien, mais ne pouvait pas renoncer au fait que sa fille grandisse sans la figure
394 Juan Gabriel Vásquez. “En el café de la République”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., p. 122. 395 Ibíd., p. 94. 396 Ibíd., p. 98. 397 Juan Gabriel Vásquez. “La soledad del mago”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., p. 122.
173
paternelle. Sa première fille aurait de la chance “porque tendría un padre vivo, porque no
crecería tan sola como ella había crecido”398.
Au sujet de ce qui précède, du point de vue de la psychologie, des experts indiquent:
Debe subrayarse que la función de la "familia" va más allá de garantizar la supervivencia y el
crecimiento físico del hijo, dado que es también la promotora principal de su desarrollo social y
afectivo, gracias a lo que el sujeto puede transformarse, desde el inicial individuo biológico que
es al nacer, en una individualidad biopsicosocial o persona. En ello resulta esencial el
establecimiento de relaciones de vinculación afectiva o de apego del niño con sus progenitores o
figuras que se encarguen de su cuidado399.
À cause de l’absence paternelle, des sentiments de solitude ont été présents chez Selma
pendant son existence; cependant, en apprenant la nouvelle de sa grossesse, de nouvelles
illusions sont arrivées dans sa vie. Elle pensait toujours au bien-être et à l’évolution du fœtus
comme “la conversión de una oruga en mariposa”400. Son corps n’était maintenant plus le
même, ses désirs non plus, ce qui l’a amenée à expérimenter des émotions nouvelles en
compagnie de son amant. Dans ses relations extra-matrimoniales, Selma avait l’habite de se
coucher sur le côté “como un feto, imitando quizás al que llevaba en ella”401. Dans ce sens,
la position de la mère simule la position du fœtus qui est prêt à naître, c’est-à-dire, une Selma
rénovée, revivifiée, aimée et protégée par la figure masculine, désirée depuis son enfance.
Cette femme transformée vivait avec fascination les changements inéluctables de son corps:
…solía levantarse en la mitad de la noche, cerrar la puerta del baño para que la luz blanca no
despertara a su marido, desnudarse frente al espejo y perderse en la contemplación de su cuerpo
y de los cambios en su cuerpo, porque detallar su vientre de perfil a través de los tres, cuatro,
cinco, seis meses, era como atender a las fases de una luna carnosa, una luna ombligona y
fantástica, sobre el cielo de baldosín aguamarina402.
Une autre des caractéristiques atypiques rencontrées dans ce genre, se trouve dans “Los
amantes de Todos los Santos” y en “El inquilino”. Vásquez réfléchit sur les relations de
398 Ibíd., p. 123. 399 Orellana Vallejo Reyes, Fernando Sánchez-Barranco Vallejo, Pablo Sánchez-Barranco Vallejo. “Separación
o divorcio: Trastornos psicológicos en los padres y los hijos”. Rev. Asoc. Esp. Neuropsiq. [Internet]. 2004
Décembre Mars 2018, (92): pp. 91-110. Disponible sur:
http://scielo.isciii.es/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0211-57352004000400006&lng=es. 400 Juan Gabriel Vásquez. “La soledad del mago”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., p. 124. 401 Ibíd., p. 130. 402 Ibíd., p. 123.
174
couple et la perturbation d’un tiers, situation qui affecte radicalement, amenant y compris à
des processus de (dé)construction, ruptures, séparations et empreintes indélébiles dans les
vies de ces personnages. Dans ce sens, l’infidélité accréditée comme “un fenómeno lleno de
significados que sintetizan la complejidad de la relación de pareja”403, est vue dans cette
collection de conte depuis différentes perspectives:
Dans “Los amantes de Todos los Santos”, Michelle et son époux faisaient face à des
problèmes de couple, vu que la carence de dialogue, les différences dans leurs idéaux et la
confrontation dans la relation de couple rendaient une possible réconciliation improbable:
“Había imaginado tantas veces el momento de la separación, que ya era capaz de variar los
detalles o los escenarios como si planeara una película”404. Dans ce sens, la relation en
arriverait bientôt à sa fin, vu qu’aucun des deux n’était disposé à céder pour récupérer ce qui
s’était perdu. Une nuit d’infortune à la chasse, activité prioritaire des habitants de Modave,
municipalité belge de la province de Liège, l’époux décide de sortir après une dispute avec
sa femme et va pour la première fois à la friterie de Saint-Roch. Là, il fait la connaissance
d’une étrange femme de laquelle il connaît seulement le prénom, elle l’invite avec une
certaine parcimonie à passer la nuit avec elle: “¿Le puedo pedir que pase la noche conmigo?
Sólo que se quede aquí, sin hacer nada, no estoy pidiendo nada más y no quiero nada más.
¿Puedo pedirle eso y usted va a respetarlo?”405 En ce qui concerne ladite proposition, les
premières suppositions réalisées par le possible amant se voient frustrées, après avoir fait
référence à son défunt époux avec nostalgie et innocence de la situation. Sa solitude était
imminente, de ce fait, elle a vu en son immolé, la solution à “un molde cuyo vacío era
doloroso”406. Ce vide était celui de son époux Graham, de qui elle conservait des
photographies, des éléments personnels, ainsi que la fixité de la tête, comme si elle voulait
immortaliser le passage du temps et son départ. En son compagnon nocturne de cette nuit-là,
Zoé a trouvé comme un confident, un ami à qui confesser ses souvenirs les plus intimes, en
rapport avec les activités propres d’un couple et, par-dessus tout, sa mélancolie: “Cuando me
403 José Antonio Garciandía Imaz y Jeannette Samper Alum. “Las infidelidades: aprendiendo desde dentro de
las conversaciones terapéuticas”. Rev. Colomb. Psiquiat., vol. 41, No. 3. Departamento de Psiquiatría Pontificia
Universidad Javeriana, 2012. Disponible sur: http://www.scielo.org.co/pdf/rcp/v41n3/v41n3a04.pdf 404 Juan Gabriel Vásquez. “Los amantes de Todos los Santos”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., p. 26. 405 Ibíd., p. 42. 406 Ibíd., p. 44.
175
siento muy sola, apago las luces. Hago como si este cuarto fuera el de la foto y yo fuera la de
la foto, y Graham estuviera por aquí dando vueltas.” 407
Postérieurement, dans “El inquilino”, des confessions inespérées génèrent des blessures et
ravivent des souvenirs d’un triangle amoureux. Les protagonistes, un mariage de longue date,
formé par Georges et Charlotte, et le vieil ami du couple, Xavier Moré, motivent à ce que ce
lien d’amitié soit amené à d’autres proximités. À nouveau, des sentiments de solitude
ressortent chez les personnages, en particulier chez ce dernier, qui a toujours su qu’il était
l’autre dans la relation: “Ella te escogió a ti. Ella se quedó contigo. Qué rencores iba a haber,
no seas hipócrita”408.
Malgré l’étroite amitié de plusieurs années, par moments surgissait une série de
commentaires de la part de Moré “siempre después de haber bebido demasiado vino”409,
contre l’ex-amante. Cependant, le couple était tolérant en raison de l’affection que chacun
des deux avaient pour lui et les activités de chasse qui les unissaient. Toutefois, les amants
avaient l’habileté de conserver les apparences de leur amour furtif, bien qu’en certaines
occasions apparaissaient des doutes et des reproches de la part de l’époux, lesquels étaient
bientôt dissipés.
La estrategia más evidente del adúltero era la de acudir a reuniones sociales en las que estaría
presente su amante. Así se daba la impresión de que no había nada que ocultar, y de que, por lo
tanto, nada ocurría en realidad410.
Ladite situation a généré chez les amants tout type d’émotions, telles que la fantaisie dans la
planification de nouveaux projets, des doutes par rapport à la relation clandestine, des
soubresauts face à une possible grossesse, la résurgence d’une nouvelle vie; cependant, la
femme a renoncé à cette nouvelle vie offerte en dehors de son foyer: “Charlotte no estaba
embarazada. No había escogido huir; no necesitaba una nueva vida”411. Ce qui précède a
entrainé une série de reproches et de lamentations, en particulier de la part de Moré, alors
407 Ibíd., p. 45. 408 Juan Gabriel Vásquez. “El inquilino”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., p. 64. 409 Ibidem. 410 Ibíd., p. 66. 411 Ibidem.
176
qu’elle, pour sa part, a essayé de récupérer la relation ratée avec son époux. Malgré sa
connaissance de l’existence de l’autre, son amour pardonnait tout. Postérieurement, un
évènement inespéré a amené le couple a de nouvelles révélations et introspections sur leurs
vies. Le suicide de Moré les perturbait, ils se sentaient consternés par le terrible évènement,
ils ne comprenaient pas le pourquoi de sa décision.
Par ailleurs, la remémoration de vieilles amourettes et de nouvelles confessions ont fait que
Georges, l’époux, a changé sa perception du passé, en exposant des détails dont il ne s’était
pas rendu compte avant. Bien que s’étaient déjà passées plusieurs décennies depuis
l’amourette de son épouse avec Moré, Georges savait qu’il serait présent dans leurs vies,
malgré son départ forcé, provoquant des contrariétés matrimoniales jusqu’à la fin de leurs
jours:
Fue aquí, dijo Charlotte, fue en nuestro cuarto de huéspedes, Xavier fue mi huésped durante un
par de horas, hice el amor con mi huésped y luego él se fue, antes de que tú llegaras de Liega,
porque se sabía incapaz de mirarte a los ojos esa tarde412.
C’est ainsi que la présence du suicide dans leurs vies les ont fait spéculer sur ses derniers
moments et les causes qui l’ont amené à prendre une telle décision. Dans ce sens, dans la
narration, “los muertos tienden a ser los inquilinos de los vivos, los que viven en el lugar de
los vivos”413, le passé se refuse à être oublié et les souvenirs prennent de l’importance. En
définitive, “siempre había existido un fantasma entre ellos”414.
D’autre part, les obsessions propres de cet auteur dans son genre romanesque deviennent
aussi valables dans ses contes. Celles-ci correspondent aux empreintes laissées par les morts,
lesquelles prennent de l’importance, pour approfondir comment ce nouvel état de l’être
humain perturbe, dans différents aspects contextuels de la vie des êtres vivants, que ce soit
dans les relations de couple, de famille, de connaissances, de manière inespérée, altérant, y
compris, des décisions du présent et du futur manifeste des personnages. Ce cas particulier
412 Ibíd., pp. 79-80. 413Marie-José Hanaï. “Los amantes de Todos los Santos: siete cuentos de soledad”. Juan Gabriel Vásquez. Une
archéologie du passé colombien récent. Rennes: Presses Universitaires de Rennes. Mondes Hispanophones 47,
2017, p. 96. 414Juan Gabriel Vásquez. “El inquilino”. Los amantes de Todos los Santos, op. cit., p. 88.
177
est approfondi dans “La vida en la isla de Grimsey”, dernier des récits de cette collection, ou
est signalée la nécessité d’indépendance des personnages, de même que l’abolition de l’oubli
face aux évènements du passé, en particulier, des souvenirs douloureux qui tourmentent vies
et illusions.
Les personnages de ce récit font face à la séparation et l’évasion de leurs entourages, pour se
réfugier ou s’abandonner à leur être solitaire. Dans le premier cas, Oliveira, héritiers de
chevaux, fuit de sa vie, en rejetant l’héritage et la position importante laissée par son défunt
père. Dans le deuxième, Agatha, vétérinaire de profession, essaie d’emprisonner et de se
remémorer des souvenirs sur les expériences de vie de sa fille décédée. Ladite rencontre
amène chacun des deux personnages à des luttes intérieures sur un destin réservé pour leurs
vies: “yo no vine a salvarla, Agatha”415.
Oliveira et Agatha ont une première rencontre inattendue, à une exposition de chevaux.
L’homme accepte une relation clandestine avec une inconnue “que había conocido unas
horas antes y con la que ahora buscaba una cama en donde hacer el amor”416. La femme, dans
ses moments expressifs, ses souhaits, sa fille adolescente, qui était morte deux ans
auparavant, dans des circonstances atroces: “-Eran veintiún cuerpos- dijo Agatha-. La
mayoría estaban acostados en el piso, ahí, pero no en el parquet sino en colchonetas”417. Alors
qu’Oliveira fait aussi connaître ses mémoires, ayant leurs origines, réciproquement, d’une
situation familiale, de confiance, de bien-être, pour socialiser des expériences et partager des
scénarios désolés.
Comme cela a déjà été mentionné, les expériences de vie associées à la mort pronostiquent
le dénouement inéluctable d’Agatha, personnage de ce récit. Il existe une relation entre elle
et l’épigraphe du poète nord-américain Henry Wadsworth Longfellow418: “she sleeps! My
415 Juan Gabriel Vásquez. “La vida en la isla de Grimsey”, loc. cit., p. 200. 416 Ibíd., p. 173. 417 Ibíd., p. 192. 418 Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882). Poète, essayiste et traducteur. Ses travaux littéraires ont joui
d’une grande popularité au sein du public. Sa poésie est basée sur ses perceptions et interprétations sur la culture
nationale et étrangère, les langues, la sociopolitique, la littérature, en particulier celle d’écrivains espagnols, tels
que, Cervantès Saavedra (1547-1616), Calderón de la Barca (1600-1681), Lope de Vega (1562-1635), entre
autres, qui ont été quelques-unes de ses principales références pour la construction de sa propre poésie. Par
178
lady sleeps!”419. Ladite phrase prédit la culmination des chagrins d’Agatha dans le conte, vu
que dans ses activités de vétérinaire elle a eu à faire à l’euthanasie de “una vieja yegua con
una pata rota”420. Ladite situation ou types d’activités la rendent triste, de sorte que, sa vie
même, pourrait bien s’identifier à cella de l’animal. Sa vie s’extériorisait désolée, anéantie
mais cette nuit-là, prédestinée, en compagnie d’Oliveira, l’avait fait affronter ses peurs, en
ressortant triomphante. Elle avait initié un voyage sans retour, vers un lieu inconnu, comme
celui si convoité de Grimsey, au nord de l’Islande, où le jour ne se termine jamais et où “nadie
tiene miedo, nadie siente el horror que es tener miedo de la oscuridad”421. En fin de comptes,
Agatha avait eu recours au suicide comme son unique salvation.
Comme il avait été souligné, Oliveira no a été son rédempteur et Agatha a continué à être
vulnérable. L’amant se rappelle de ses paroles et permet que les actions réalisées suivent
leurs cours, pour que sa compagne d’une nuit, en arrive à “donde siempre hacía sol y los
hombres no tenían pasado ni culpas, donde la vida no era una carga”422. On constate donc
que la douleur extérieure chez Agatha ne correspondait pas à la douleur intérieure, celle-ci
étant, au plus profond, impossible à guérir pour les médecins et les spécialistes. Son labeur
et sa mission ont consisté en la libérant vers sa liberté, en lui permettant sa sortie de secours
à travers un rêve induit, celle d’un suicide: “Por fin duerme, pensó Oliveira”423.
Dans cette perspective, Marie-José Hanaï a aussi approfondi l’art du conte de cet auteur et
assure ce qui suit:
ailleurs, son admiration pour le pays européen l’Espagne, les expériences de voyage et sa relation académique
avec les lettres espagnoles lui ont permis d’écrire The spanish student (1843). Au sujet de ce qui précède, Piñero
affirme que “Longfellow mentionne que la source principale de The Spanish Student est La gitanilla (1612) de
Miguel de Cervantès, mais il est aussi important de relever qu’il était également connaisseur des adaptations
successives qui avaient été faites de la nouvelle exemplaire de Cervantès au théâtre”. Eulalia Piñero. “The
spanish student et La Gitanilla: Du conventionnalisme à la rébellion”, Madrid: Université Autonome de Madrid, s.f., p. 4. Consulté sur:
https://ebuah.uah.es/dspace/bitstream/handle/10017/4903/The%20Spanish%20Student%20y%20la%20Gitanil
la.%20Del%20Convencionalismo%20a%20la%20Rebeld%C3%ADa.pdf?sequence=1 419 Juan Gabriel Vásquez. “La vida en la isla de Grimsey”, loc.cit.,p. 171. 420 Ibidem. 421 Ibíd., p. 188. 422 Ibíd., p. 209. 423 Ibidem.
179
La escritura de los cuentos que componen Los amantes de Todos los Santos supone un profundo
interés por indagar en las vivencias y los sentimientos de los individuos, en busca de la expresión
acertada de su desamparo ante el otro y su interrogación ante su propia existencia424.
Par conséquent, la littérature créative de Vásquez, contes et nouvelles, esquissent certaines
situations d’analyse ontologique, dans lesquelles ses personnages réfléchissent à leurs
actions, la morale, le passé et leurs mésaventures, mais pas précisément pour fournir une
solution425. Dans ce sens, les personnages s’explorent eux-mêmes et les autres, pour affronter
leurs propres démons à la recherche d’une libération intérieure. Comme Agatha, dans ses
activités de vétérinaire, dessine son dénouement, chez un de ses patients:
Entonces, la mujer hizo otro corte. Apareció el primer hilo de sangre; de inmediato, la fruta blanca
de los testículos se cubrió de rojo… Oliveira no la vio terminar. Se quedó arrodillado, de espaldas
al animal …”426.
Postérieurement, Agatha fera la même chose avec son corps, en traçant une incision profonde
à ses poignets, donnant ainsi origine à son fatal dénouement. Elle ne pouvait pas fuir son
destin, auquel elle était prédestinée, son compagnon Oliveira non plus, qui serait témoin et
accompagnateur de sa dernière journée:
Abrió la puerta del baño sin llamar, tal vez porque ya sabía. Desnuda, Agatha dormía en la
bañera427…Torpemente Oliveira se dio vuelta, apoyó la espalda en el borde de la bañera así se
quedó…”428.
Parallèlement, on apprécie comment les deux personnages ont continué avec leur condition
d’êtres solitaires jusqu’à trouver la libération: Agatha dans le suicide et Oliveira, en lui
permettant de faire ce pas. Dans le cas d’Agatha, qui affronte le deuil pour la mort de sa fille,
décide de faire un voyage sans retour à la recherche d’une vie parfaite, où “todo el tiempo
alumbra el sol”429, où “los hombres no tenían pasado ni culpas, donde la vida no era una
carga”430, lieu qui fait référence au titre du conte: “La vida en la isla de Grimsey”, situé au
424 Marie-José Hanaï. “Los amantes de Todos los Santos: siete cuentos de soledad”, loc. cit., p. 88. 425 Ibíd., p. 94. 426 Juan Gabriel Vásquez. “La vida en la isla de Grimsey”, loc. cit., p. 178. 427 Ibíd., p. 208. 428 Ibíd., p. 209. 429 Ibíd., p. 196. 430 Ibíd., p. 209.
180
Nord-Est de l’Europe, en Islande. Le lieu de destination signalé correspond à une métaphore
sur les caractéristiques du lieu désiré, où Agatha espère arriver pour fuir de sa vie, de sa
souffrance, des ses fantômes. Alors qu’Oliveira est le perturbateur dudit rêve, à travers une
communication anormale pendant sa traversée avec l’inconnue Agatha. D’une certaine
manière, il lui a permis d’en arriver à sa mission finale sur son départ, en ne voulant pas
intervenir dans sa décision radicale.
Quiso levantarse y sacar a Agatha de la casa y llevarla a un hospital. Quiso llamar por teléfono
y, mientras esperaba a los hombres que vendrían entre sirenas estridentes, aplicar sobre esos
huesos de niña un torniquete cuya técnica desconocía. Quiso moverse, hacer algo por la mujer
que estaba muriendo, cualquier cosa. Pero su cuerpo no obedeció431.
Comme on s’en est rendu compte, les contes en général, présentent une atmosphère tragique
et perturbatrice pour les vies occultes, étranges, privées, qui approfondissent particulièrement
les relations de couple, à l’occasion triangulaires, par l’absence ou l’abandon de l’autre, ainsi
que leurs expériences de vie, impressions et émotions pour ladite séparation, avec volonté ou
sans elle.
À ce sujet, Vervaeke affirme que, “esa obsesión por apropiarse de las costumbres, posesiones,
lugares y amores de los muertos se volverá típica de los narradores de Vásquez”432. C’est
ainsi que dans cette compilation de récits, Los amantes de Todos los Santos (2008), les
relatons familiales, en particulier celles de couple, s’attacheront à conserver des problèmes
de communication, infidélité, orgueil et la mort de l’être aimé. Aléatoirement, le propre
auteur combinera des expériences de fiction avec des expériences réelles, vécues à cause
d’une maladie sans diagnostic précis qui causera douleur et souffrance.
Comme donnée comparative, on soupçonne que la souffrance du personnage “En el café de
la République”, reflète les angoisses vécues par l’auteur à l’étranger, quand a commencé une
étrange inflammation dans son cou. Par conséquent, l’auteur décret les étapes et les séquelles
d’une maladie appelée “Tuberculose Ganglionnaire”433, laquelle s’est transformée en un mal-
431 Ibidem. 432 Jasper Vervaeke. “La obra y trayectoria tempranas de Juan Gabriel Vásquez. Pasavento: Revista de estudios
hispánicos. Vol. VI, No. 1 (invierno 2018), pp. 189-210. vista de Estudios Hispánicos 433 La Tuberculose ganglionnaire est une maladie de nature infectieuse qui s’attrape à travers l’air. Malgré son
existence depuis des temps lointains, elle est toujours difficile à traiter. “Le diagnostic dépend de l’isolement
181
être physique et psychologique qui a amené à ce qui suit: visites constantes chez le docteur,
regard délateurs et sans scrupules des personnes de son entourage, l’évolution de la maladie,
les stratagèmes utilisés pour occulter la déformation du cou; par ailleurs, la socialisation des
angoisses qu’affrontent tout patient et sa famille pendant ladite période de convalescence.
Toutes ces situations, décrites en détail et minutieusement dans le récit, amènent à réfléchir
sur la transposition effectuée par Vásquez, de sa propre condition de santé, au contexte
médical du personnage fictif.
À titre d’exemple, “En el café de la République”, ce personnage non seulement partage son
désarroi du fait de vivre à l’étranger comme l’auteur, Vásquez, mais aussi sa profession
d’écrivain. L’auteur se fond dans la fiction et se confond avec le personnage, de la même
manière qu’il le fait dans, La forma de las ruinas; ici sont narrées des situations similaires
entre le narrateur sans nom et le personnage-auteur de Juan Gabriel Vásquez dans la nouvelle.
Dans chacun des deux récits, les personnages exposent les préjugés sociaux de leur entourage
sur l’apparence et leurs effets sur les personnes, ainsi que leurs tourments du fait de se croire
près de la mort.
Certainement, dans ces récits, l’auteur se représente lui-même, en extériorisant quelques-
unes de ses expériences de vie, à travers l’invention de sa propre autobiographie, en faisant
part de ses angoisses et de son processus de récupération par rapport à sa maladie. Ladite
exposition peut être mise en évidence dans le conte “En el café de la République”:
Cinco semanas después de separarme de Vivianne, una noche en que leía un ensayo sin interés de Georges Perec, sentí una dureza debajo de la mandíbula. Al doblar el mentón hacia abajo,
como se hace con frecuencia cuando uno lee acostado, me pareció tener una canica de cristal
pegada a la piel. Pasé toda la noche doblando el cuello, bajando el mentón, moviendo la cabeza;
descubriendo, en fin, las posiciones en que la canica se hacía presente. Hasta ese momento, yo
nunca había enfermado: las enfermedades eran algo que le sucedía a los demás, eran anécdotas
ajenas o dificultades pasajeras434.
du micro-organisme, qui, dans certains cas, est difficile en raison du faible nombre de germes existant dans
l’échantillon prélevé”. José Abel García Acosta et Ariel Delgado Rodríguez. “Tuberculose ganglionnaire
comme forme de présentation de la tuberculose extra-pulmonaire”.Rev Ciencias Médicas, Pinar del Río, v. 19,
n. 6, déc. 2015. Disponible sur http://scielo.sld.cu/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S1561-
31942015000600023 434 Juan Gabriel Vásquez. “En el café de la République”, loc. cit., p. 96.
182
De même, dans La forma de las ruinas, une fois de plus, l’auteur évoque l’épisode mentionné
dans le conte; mais dans ce cas, l’écrivain se convertit en personnage; c’est-à-dire, il a baptisé
le narrateur avec son nom propre, Juan Gabriel Vásquez. De ce point de vue, l’écriture
autobiographique sur ledit épisode traumatisant de sa vie, a permis à l’auteur, de se
représenter soi-même et à la fois, d’être le propre narrateur de son récit. Dans ce sens, le sujet
actanciel construit dans le conte et le narrateur protagoniste dans la nouvelle, coïncide avec
quelques-unes des expériences de l’auteur réel dans chacune des deux narrations, dans la
situation signalée:
Una noche de 1996, pocas semanas después de haberme instalado en Paris, yo intentaba descifrar
un ensayo de Georges Perec cuando noté una presencia extraña debajo del maxilar izquierdo,
parecida a una canica por dentro de la piel. La canica se agrandó en los días siguientes, pero la
concentración en mi cambio de vida, en descifrar las reglas de la nueva ciudad y tratar de
encontrar mi lugar en ella, me impidió percatarme de los cambios. En cuestión de días, ya tenía
un ganglio tan inflamado que me deformaba la cara; la gente de la calle me miraba con lástima,
y una compañera de estudios dejó de saludarme por miedo a contagiarse de alguna enfermedad
ignota. Empezaron los exámenes una legión entera de médicos parisinos fue incapaz de realizar
un diagnóstico correcto; uno de ellos, de cuyo nombre no quiero acordarme, se atrevió a sugerir
la posibilidad de un cáncer linfático. Fue entonces cuando mi familia acudió a Benavides para
preguntarle si eso era posible435.
Selon l’interview de Carlos Tous, l’auteur a réalisé un séjour en Europe, particulièrement en
France et en Belgique; cela lui a permis l’acquisition d’expériences directes et de se mettre
en contact avec la géographie et les coutumes propres de l’endroit, fournissant à son
imagination un nouveau matériel littéraire pour sa production de contes. Par conséquent, une
grande partie de ceux-ci se sont déroulés dans ces scénarios et ses personnages partagent
beaucoup de sa biographie et des différentes relations avec ces endroits. À ce sujet, Vásquez
se prononce ainsi: “Me gusta sentirme extraño, sentir tensión con el lugar donde estoy. Me
resulta muy fértil, me estimula”436. Par ailleurs, des circonstances imprévues déjà
mentionnées et de nouvelles relations ont servi comme acteurs de ses récits. Tel est le cas du
médecin orthopédiste Leonardo Garavito, alter ego du Docteur Francisco Benavides, “uno
de los cirujanos más reputados del país”437, à qui est adressée la dédicace de la nouvelle, La
435 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 16. 436 Carlos Tous. “Escribir es abrirse paso a machetazos en la selva: charla con Juan Gabriel Vásquez”. Juan
Gabriel Vásquez. Une archéologie du passé colombien récent, op. cit., p. 341. 437 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 16.
183
forma de las ruinas: “A Leonardo Garavito, que me puso las ruinas en las manos”438.
Il est aussi spéculé que ce fut Garavito qui a diagnostiqué correctement la maladie de l’auteur
et a rendu possible, dans le champ de la fiction, de susciter l’écriture de sa dernière nouvelle
“officielle”. Vásquez, dans de nombreuses interviews, a affirmé que la nouvelle a eu la
première palpitation d’écriture en ayant dans ses mains des reliques historiques, comme la
vertèbre du caudillo libéral Jorge Eliécer Gaitán et une partie du crane du général Rafael
Uribe Uribe. Celles-ci furent permises par Garavito, fils du bactériologue et médecin légiste
José María Garavito qui, dans la fiction de Vásquez, est représenté sous le nom de Luis Angel
Benavides439.
Pour conclure, les contes de Vásquez peuvent refléter des réalités autour de la condition
humaine, vue depuis différentes dimensions et intérêts de l’écrivain. La solitude, la
séparation, la mort, comme thèmes centraux dans toutes les narrations, correspondent aux
uniques solutions trouvées par les personnages. Brillent les détails dans les descriptions, en
particulier, dans celles impitoyables, lesquels renvoient à la caractérisation de sujets
véhéments avec leur entourage et subjugués par eux-mêmes. Tous réfléchissent à partir d’une
perspective ontologique, ayant trait aux relations sociales, agissements et résultats associés à
leurs vies familiales, principalement.
438 Ibíd., p. 7. 439 Radio Nacional de Colombia. “Leonardo Garavito. Al Banquillo con Margarita Vidal”. 18 de diciembre de
2015. https://www.radionacional.co/podcasts/al-banquillo-con-margarita-vidal/leonardo-garavito-al-
banquillo-con-margarita-vidal
184
II. 3 L'histoire officielle romancée
II.3.1. La Colombie comme scénario dans la réinvention de nouvelles interprétations
La raison d’être du roman est de préserver constamment l’éclairage du
«monde de la vie»
et de nous protéger contre «l’oubli de l’être».
L’esprit du roman est celui de la continuité:
chaque œuvre est la réponse aux œuvres précédentes,
chaque œuvre contient toute l’expérience antérieure du roman.
Milan Kundera
Le thème suivant de ce travail traitera de l’importance de l’écrivain Juan Gabriel Vásquez
pour le dévoilement et la reconstruction de l'histoire de la Colombie moyennant son style
romanesque. En effet, par ce biais, il associe des discours divers, récrée des événements
d'intérêt national et réélabore des témoignages provenant de différentes sources, tout en
faisant connaître sa propre représentation de l'histoire officielle qui vient à être entretissée à
l'aide des récits des personnages, où goût et délectation font place à l'imagination créative de
l'auteur.
De même, nous approfondirons sur quelques éléments propres au paratexte, composant
caractéristique de la théorie de la transtextualité développée par Genette sur la base de la
relation existante entre les titres et les épigraphes. Ils sont désignés par l'auteur comme des
pistes de lecture pour la reconstruction et réinterprétation de l'histoire colombienne. Ces
éléments, titres et épigraphes, invitent le lecteur à explorer des discours différents, quelques-
uns d'ordre national, d'autres étrangers.
Tel est le cas de Los informantes où le romancier fait allusion au célèbre discours judiciaire,
Sur la couronne, de l'orateur athénien Démosthène, proclamé en l'an 330 a.C, en exaltant ses
compétences oratoires, rhétoriques et toute sa conduite simultanément à celles du personnage
Gabriel Santoro père. D'autre part, en Historia secreta de Costaguana, il emploie un genre
différent, en ayant recours aux épitres envoyées par Joseph Conrad à son grand ami écrivain,
Robert Cunninghame-Graham, et à des références à son roman Nostromo (1904) pour
signaler les difficultés propres de l'écriture de l'écrivain polonais et son rapport à l'hypo texte,
reflétés dans la construction de sa fiction. Dans El ruido de las cosas al caer, il fait appel à
185
la poésie du Aurelio Arturo en Ciudad del Sueño et à Antoine de Saint-Exupéry pour Le Petit
Prince comme anticipation de la trame abordée dans son œuvre. Postérieurement, dans Las
reputaciones il reprend l'écrivain et caricaturiste suisse Rodolphe Töpffer, auteur de Essai
sur la physiognomonie, œuvre de 1845, pour introduire les qualités du personnage Javier
Mallarino, caricaturiste reconnu dans la fiction de Vásquez. Finalement, dans l'épigraphe de
La forma de las ruinas, il recueille l'œuvre tragique, Jules César de Shakespeare pour prédire
les sinistres destins auxquels sont voués ses personnages, dont Jorge Eliécer Gaitan, John F.
Kennedy et Rafael Uribe Uribe. Tel qu’il en ressort, il s’agit d’œuvres controversées,
problématiques, donnant lieu à des interprétations diverses qui invite le lecteur à un monde
d'ambigüités et de nouvelles formes de connaissance.
Dans un premier temps et en guise de présentation, Juan Gabriel Vásquez établit la façon
dont son intérêt littéraire est dirigé vers l'exploration et l'enquête du passé et des incertitudes
qui accompagnent l'histoire d'un pays à la recherche de réponses. Or, faute de les avoir
trouvées, l'artiste ressent le devoir de les fabriquer au travers de sa narrative, d'explorer des
endroits inconnus et d'imaginer des mondes non racontés par l'histoire officielle. Il convient
d'ajouter que Vásquez s'immerge dans les consciences individuelles et collectives de ses
personnages représentés par le recours aux personnalités nationales ou étrangères, quelques-
unes ayant déjà décédé; toutes personnifiant des figures du pouvoir provenant de différents
domaines de la société colombienne.
A titre d'exemple, l'entrepreneur français Ferdinand de Lessepes (1805-1894) est personnifié
en Historia secreta de Costaguana, comme témoin direct des problèmes politiques, sociaux
et historiques du pays qui se sont présentés, notamment, des actions liées à la construction
du grand projet d'ingénierie, de Panama City, le canal interocéanique. De manière semblable,
la figure du chef libéral colombien Jorge Eliécer Gaitan, est représentée dans La forma de
las ruinas, à la façon d'un grand dirigeant politique de la société colombienne, assassiné
vilement et dont la mort a été l'origine de la révolte populaire qui a secoué le pays tout entier,
connue sous le nom du «Bogotazo».
186
C'est ainsi qu'au travers de la fiction, l'auteur cherche à recréer et revivre le passé, ses
conséquences et ses rapports avec le présent, d'après les deux grands événements déjà
mentionnés: l'investissement étranger, principalement français et nord-américain pour la
construction du Canal de Panama, dès la fin du XIX siècle y-compris l'indépendance
successive de la région au XX siècle, ainsi que les conséquences d'un pays à moitié dévasté
à cause de la nuit tragique du 9 avril 1948. En réaction à cela, Salamanca-Léon affirme ceci:
“Le magnicide de Gaitan démarre l'époque appelée «de la Violence», l'une des périodes les
plus sombres de l'histoire colombienne, qui laisse, derrière elle, des milliers de victimes et
de déplacés”440. Devant une telle situation, la société colombienne doit s'interroger sur la
nécessité de se rappeler ce qu'il en est de l'événement le plus important de l'histoire nationale,
afin de découvrir les zones déguisées de son propre intérieur, qui sont représentatives de
l'homme au cœur de ses enchevêtrements, dont la fiction est la seule voie de rapprochement.
À ce sujet, Pitol remarque, concernant la Costaguana, du Conrad la chose suivante:
Costaguana es una república en la que imperan la brutalidad y la corrupción política, en que la tragedia
y la farsa no son sino dos caras diferentes del mismo fenómeno. Costaguana es, nos guste o no, nuestro
mundo americano. El de ayer, el de hoy.441
Toutefois, les personnages sont conduits à la constatation des révélations, des faits inaperçus
qui servent à éclaircir ceux qui n'ont pas de solution et qui portent à de nouvelles versions en
lien avec les versions officielles de l'histoire, comme dans le cas de ces démons historiques,
qui, selon l'auteur, revêtent une actualité dans le fait littéraire. Par exemple en Historia
secreta de Costaguana, le personnage Jose Altamirano exige des comptes au romancier
polonais Joseph Conrad, sur sa fiction, pour le travestissement des faits historiques de son
pays:
“Usted”, dije, “me debe una explicación”.
“Yo no le debo nada”, dijo Conrad. “Salga inmediatamente. Llamaré a alguien, se lo advierto”.
Saqué de mi bolsillo el ejemplar del Weekly. “Esto es falso. Esto no es lo que le conté.”
“Esto, querido señor, es una novela.”
“No es mi historia. No es la historia de mi país.”
440 Néstor Salamanca-León. “Exilios, migraciones y otras deambulaciones en la novelística de Juan Gabriel
Vásquez. Juan Gabriel Vásquez”, loc. cit., p. 48. 441 Sergio Pitol. “Conrad en Costaguana”. Cuadernos hispanoamericanos, No. 265, 1971, 58-73, p. 64.
187
“Claro que no”, dijo Conrad. “Es la historia de mi país. Es la historia de Costaguana” 442
Dans cette mesure, l'auteur se soucie de souligner des vérités diverses du point de vue de la
manipulation et de la distorsion, où la perte de la mémoire, tantôt volontaire, tantôt
inconsciente, joue un rôle principal qui vient questionner, interpeller et découvrir les vies
privées d'autrui, depuis l'intérieur du sujet et de ses contextes, jusqu'à emmener le lecteur à
des herméneutiques biaisées par l'in-compréhension d'un monde inexploré et caché à toutes
les dimensions de l'être humain. Par ailleurs, l'auteur manifeste ce qui suit, à propos de sa
narrative:
Es el lugar de nuestros demonios, de nuestros secretos inconfesables de nuestras emociones
discordantes, ese lugar donde ocurren cosas que trastocan vidas aunque sean invisibles, ese lugar de nuestra irracionalidad y nuestras pasiones y los errores que cometemos por esas pasiones y esa
irracionalidad, ese lugar que no podríamos explorar ni comprender si no contáramos con esta
invención que lo ilumina y, al hacerlo nos revela quiénes somos: esa invención que nos inventa.443
En effet, les diverses voix qui accompagnent ses récits, proviennent de témoins, des
observateurs perpétuels, des protagonistes liés à l'histoire officielle du pays, laquelle, prends
une vitalité, se transformant en un processus de recherche qui renvoie à l'exploration de
nouvelles versions autour des possibles histoires sur le passé et ses conséquences vis-à-vis
du présent. Pour cela, le romancier fait appel à d'autres discours et aux arts, lui permettant de
reconstruire de nouveaux récits dans lesquels est spéculé ce qui aurait pu advenir dans la
réalité.
Un cas similaire est présenté dans la composition de Los informantes puisque le romancier a
mobilisé des discours divers, tels que ceux du journalisme, de l'historiographie et des
témoignages de personnes pour présenter l'histoire nationale et familiale, les causes et les
conséquences exportées par la Deuxième Guerre Mondiale en Colombie. De même, il a
approfondi dans les grands traumatismes sociaux, psychologiques et les destins des réfugiés
européens provenant des pays de l'Axe, spécialement d'Allemagne, qui sont arrivés dans
différentes régions du pays, fuyant le parti nazi. Pour ce faire, Vásquez, dans son rôle de
journaliste-chercheur, a creusé dans ces histoires, remémorant ainsi, une partie de l'histoire
442 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 285. 443 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., pp. 29-30.
188
nationale relative au fait historique. La narration apportée par Vásquez de l'histoire
personnelle du personnage Sara Guterman, juive immigrante, à l'écrivain journaliste Gabriel
Santoro fils, dans le roman Los informantes pour la création du livre fictif Una vida en el
exilio; en est l'illustration. Et pourtant, cette recherche a eu lieu lors de l'écriture réelle de son
œuvre, puisque le personnage Guterman, n'est autre que l'alter égo de la source principale de
sa propre fiction. Des données concernant l'espionnage et le contrespionnage, les inclusions
aux listes noires, le fidéicommis et les camps de concentration nazis dans le village de
Fusagasuga, Cundinamarca, font partie de sa recherche.
En ce sens, l'auteur soutien que “escribir novelas es el arte de convertir nuestros recuerdos
reales en recuerdos inventados; de reemplazar nuestra memoria privada, individual y
limitada, por la manera colectiva de recordar que tiene la novela”.444 En lien avec l'idée
précédente, il est possible de repérer dans le genre romanesque, des éléments esthétiques qui
sensibilisent et ouvrent l'évocation du passé au moyen de la réécriture des faits historiques,
ainsi que l'enquête de certaines réalités publiques et privées, et, finalement, la découverte de
réponses valides à plusieurs incertitudes de l'histoire, encore masquées, dans l'attente d'être
dévoilées. Particulièrement, la narrative de l'auteur rend possible la création et signification
des mondes possibles conduisant les lecteurs à des multiples interprétations et explications
émotionnelles ou rationnelles concernant la réalité exprimée; ce, grâce aux éléments
connaturels à l'expression artistique, sans lesquels son œuvre manquerait de continuité et les
textes ne pourraient pas être réécrits.
Dans cette perspective, l'auteur voit la nécessité de reconstruire les mémoires, soit
individuelles, soit collectives, concernant quelques faits historiques de la Colombie; des faits
présents au long de plusieurs décennies, tels que les années quarante, comme par exemple,
lorsque celui-ci approfondit la question de la participation du pays dans la Deuxième Guerre
Mondiale. Pareillement, il souligne les XIX et XX siècles comme représentatifs de la
construction du Canal de Panamá de la part du gouvernement français et son processus
successif de séparation en tant que république indépendante.
444 Juan Gabriel Vásquez. “Razones para leer novelas”. El Espectador, [en ligne], 6 février 2008. Disponible
sur: https://www.elespectador.com/opinion/razones-para-leer-novelas-columna-3990.
189
De même, l'auteur se plonge dans certaines recherches qui se remontent aux années soixante-
dix, période perceptible par la douleur et les idéaux individualistes autour des origines du
trafic de stupéfiants et de ses conséquences néfastes. L'évolution de la caricature politique,
perçue depuis les obsessions du passé et le besoin de l'évoquer pour résoudre certains sujets,
se transforme en regard rétrospectif qui répercute notablement sur le présent.
Finalement, dans son dernier roman La forma de las ruinas (2015), l'auteur approfondit sur
les événements du 9 avril 1948, date connue comme «El Bogotazo» puisque une révolte
populaire s'est produite, déterminant un avant et un après pour l'histoire de la Colombie,
surtout parce qu'elle a enlevé la précieuse vie du leader populaire, Jorge Eliécer Gaitan. De
la même façon, l'écrivain enquête et scrute le magnicide du sénateur libéral colombien Rafael
Uribe Uribe, survenu en 1914, en vue de créer une expérience fictive autour du personnage
et de l'événement.
A partir de cela, les thématiques abordées par cet auteur renvoient aux vécus et aux
explorations sur l'histoire de la Colombie, à l'intérieur de laquelle, le hasard, le destin, les
malheurs familiaux, et les conspirations, deviennent imprévisibles en même temps que
révélateurs. En ce sens, le romancier affirme: “Pues bien las novelas que persigo y prefiero,
las novelas que intento escribir, son las que buscan restablecer esa continuidad rota; en otras
palabras restaurar la condición histórica del hombre y resistir a la progresiva des-
historización de nuestra experiencia”445.
En d'autres mots, dans la narrative de Vásquez, des expériences de personnages publics et
privés, réels ou imaginaires, acquièrent actualité, ce qui permettra de réaliser des évaluations
esthétiques et herméneutiques de son œuvre littéraire. Par exemple, dans Los informantes,
Sara Guterman incarne les voix de tous les témoins qui conservent les phantasmes d'un passé
entouré de trahisons, de secrets intimes et d'État, de mémoires testimoniales associées aux
versions des victimes et de leurs familles, et de mémoires médiatiques, relatives aux mass
médias, lesquelles, sont toutes tirées de l'oubli et renouvelées dans le texte narratif.
445 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 199.
190
A ce sujet, Obiols, dans le cadre d'un entretien réalisé à Juan Gabriel Vásquez, remarque que
des gens, tant nationaux qu'étrangers, se sont sentis identifiés avec les personnages du roman,
en particulier, avec ceux qui sont confinés dans le pays, pour la rupture des relations
diplomatiques avec les nations de l'Axe, comme dans le cas des familles Guterman et
Deresser dans le roman. Par conséquent, l'auteur affirme, une fois son œuvre littéraire
conclue et publiée, qu'ont surgi de nouveaux dénonciateurs voulant raconter leur histoire à
eux:
Cuando estaba escribiendo tenía dificultades para encontrar testigos directos o indirectos. Ahora
me vienen a buscar descendientes de alemanes que se exiliaron en mi país para que escriba la
historia de sus parientes. Empieza a haber cierta ansiedad por hablar antes de morir.446
De même, dans son travail de journaliste en tant que chroniqueur de El Espectador, le
romancier a partagé avec ses lecteurs, les pénuries qu'il a dû endurer durant l'enquête et la
compilation de l'information et le processus d'écriture de ce qui deviendrait son roman Los
informantes:
He contado ya los problemas que tuve para escribir Los informantes, una novela que gira
alrededor de los inmigrantes alemanes en Colombia y su vida durante los años cuarenta. Salvo la
conversación que dio origen a la novela – tres días de charlas con una mujer extraordinaria de no
menos extraordinaria memoria-, investigar para esa novela fue un largo tormento: los testigos de
esos años, lo más interesantes, no querían recordarlos. Al final, acabé haciendo lo que pude con
los testimonios que logré recabar… sólo para toparme, una vez publicado el libro, con decenas
de personas que lo habían leído y se ofrecían a contarme la historia de su vida, “por si quiere
escribir la segunda parte”. La paradoja es cruel: lo que uno necesita para escribir un libro llega
después de que el libro se ha publicado. Es más: llega precisamente porque el libro se ha
publicado.447
Il est à noter, en outre, à quel point sa narrative suscite des équivalences lectrices entre
l'histoire et la littérature sensibilisant et évoquant le passé de façon considérable, humaine et
créative. Par conséquent, il est possible de déclarer que, dans tous ses romans, la créativité,
les expériences propres et étrangères, la sensibilité vis-à-vis du fait historique récréé et le
caractère esthétique proportionné par l'écrivain, engagent les lecteurs vers un savoir et une
446 Isabel Obiols. “Juan Gabriel Vásquez recrea en Los informantes la Colombia de los años cuarenta. El país.
14 octobre 2004. 447 Juan Gabriel Vásquez. “Crueldades del oficio”. El Espectador, [en ligne], 18 février 2010. Disponible sur:
https://www.elespectador.com/opinion/crueldades-del-oficio-columna-188629
191
transformation possible vis-à-vis de la compréhension intégrale du texte, ainsi qu'à ses
multiples interprétations et aux différentes réécritures de l'histoire colombienne.
En synthèse, le style romanesque de l'écrivain colombien est favorable à l'éclaircissement de
quelques épisodes historiques de la Colombie à travers la dualité manifestée entre la réalité
et la vraisemblance, depuis la fiction. C'est ainsi que, les conflits historiques, sociaux,
politiques, et économiques et leurs reconstructions via le fait littéraire -en plus des identités
taxatives des sujets, coutumes et croyances des décennies passées-, sont présents et latents
dans sa narrative. Pour cette raison, il devient possible d'approfondir celle-ci, en tant
qu'instrument d'exécution d'un travail d'allure analytique et interprétative, où l'écrivain est
lecteur et auteur en même temps, dans une symbiose de lecture et réécriture permanente.
Il faut mentionner également, de quelle façon les romanciers en général, présentent des
renseignements supplémentaires sur le texte, ce qui permet au lecteur d'en faire une lecture
globale. Parmi cette information communiquée, se trouvent les éléments suivants:
Titre, sous-titre, intertitres; préfaces, postfaces, avertissements, avant-propos, etc; notes
marginales, infrapaginales, terminales; épigraphes; illustrations; prière insérées, bande, jaquette,
et bien d'autre types de signaux accessoires, autographes ou allographes, qui procurent au texte,
un entourage (variable) et parfois un commentaire, officiel ou officieux, dont le lecteur le plus
puriste et le moins porté à l'érudition externe ne peut pas toujours disposer aussi facilement qu'il
le voudrait et le prétend.448
A travers eux, la signification de l'œuvre littéraire revêt un corps et une substantialité
permettant à l'auteur d'affermir les tissus symboliques et certains sens qui, de par leur
ambigüité et polyvalence, enrichissent les descriptions, intensifient les faits narratifs et
amplifient l'espace intertextuel de l'univers romanesque. En plus, les signaux accessoires
triés et profilés par l'écrivain, contribuent à orienter le lecteur vers la construction du sens,
de nouvelles interprétations et des réécritures au sujet du fait littéraire et des histoires
officiellement récréées. De la même façon, tout autre type d'indications générales, que ce soit
sur l'auteur, l'œuvre, l'éditeur, les dates de publication, les aperçus critiques de l'œuvre, les
448 Gérard Genette. Palimpsestes, op. cit., p. 9.
192
images ou l'index, entre autres, confluent à situer et provoquer une expectative chez le lecteur
sur tout ce qui a trait au produit littéraire.
À manière d'exemple, il est possible d'affirmer que Vásquez assure des pistes de lecture en
ce qui concerne son style romanesque, ses intérêts et ses inquiétudes littéraires aussi bien que
ses techniques, ses modèles d'écriture et ses réflexions employées pour ses fictions autour de
l'art du roman et du métier d'écrivain. Ces informations peuvent être repérées dans la
collection d'essais intitulés: El arte de la distorsión (2009) et Viaje con un mapa en blanco
(2018). Pour cet écrivain, “los ensayos de un autor de ficciones suelen ser con frecuencia los
lugares más reveladores, no sólo sobre las ficciones del autor, sino sobre el autor mismo” 449.
Dans un deuxième temps, se trouvent les titres, qui constituent l'un de plusieurs composants
du paratexte; un élément qui, -conformément à la théorie sur la Transtextualité de Genette-,
“est constitué par la relation que, -généralement moins explicite et plus distante que dans
l'ensemble formé par une œuvre littéraire-, le texte proprement dit, entretient avec ce que l'on
ne peut guère nommer que son paratexte”450. C'est-à-dire, que l'auteur fournit l'information
significative au lecteur pour lui communiquer et même anticiper d'autres possibles références
employées dans la construction du récit, afin de favoriser sa compréhension et interprétation
textuelle. Selon Genette, les titres accomplissent principalement trois fonctions à savoir:
“désignation, indication du contenu, séduction du public”451. La première: désignation,
correspond au nom imposé par le romancier à son œuvre littéraire d'un point de vue
thématique, prophétique, symbolique ou métaphorique. La deuxième: indication du contenu,
fait référence à une fonction descriptive dans laquelle est contextualisé le sujet à traiter par
le lecteur; et finalement: séduction du public, c'est l'élément qui parvient à encourager l'achat
et l'ultérieure lecture du roman chez des lecteurs potentiels.
En résumé, les titres qui accompagnent le texte, assurent son existence et rendent possible la
réception et ensuite la consommation de la part du lecteur, puisqu’ils sont normalement
449 Juan Gabriel Vásquez. “De eso se trata (el arte del ensayo)”. El Espectador, [en ligne], 21 mai 2009.
Disponible sur: https://www.elespectador.com/opinion/de-eso-se-trata-el-arte-del-ensayo-columna-141960. 450 Gérard Genette. Palimpsestes, op. cit., p. 9. 451 Gérard Genette. Seuils, op. cit., p. 80
193
accompagnés de manifestations iconiques, tel que les illustrations. Celles-ci sont
significatives pour la présentation et les thématiques abordées dans les romans, car elles font
partie d'un discours auxiliaire contenu dans le texte et conforme aux fins propres aussi bien
de l'auteur que de l'éditeur. Ce sont eux, les responsables du choix des éléments para textuels
tel que le titre. A cet égard, Genette réaffirme ceci: “un bon titre en dirait assez pour exciter
la curiosité, et assez peu pour ne pas la saturer ”452.
Dans cette mesure, la variété des titres existants peut faire place à diverses indications
préliminaires et contextualiser ainsi les lecteurs vis-à-vis de l'œuvre en général, en plus d'en
susciter une multiplicité de commentaires de la part du grand public, en fonction de leur
bagage culturel et de leurs intérêts. Par exemple, en ce qui concerne les titres choisis par
l'auteur colombien, on en retiendra trois à approfondir: Historia secreta de Costaguana
(2007); El ruido de las cosas al caer (2011) et finalement, La forma de las ruinas, son dernier
roman publié en 2015.
En Historia secreta de Costaguana, l'auteur récrée des faits historiques à partir de l'hypo
texte de Nostromo (1904) de Joseph Conrad, en y exposant une réalité voilée de l'histoire
officielle de la Colombie, à travers la figure et les expériences propres de Joseph Conrad qui
est représenté dans le récit, comme personnage littéraire, appelé de la même façon dans la
fiction de Vásquez.
Dans la biographie élaborée par Vásquez sur Joseph Conrad, nommée El hombre de ninguna
parte (2004), Vásquez assure que “Conrad, le romancier indirect par excellence, manipule
mémoire, autobiographie et simple fiction, pour mener jusqu'au bout ses intentions, tout en
modifiant la réalité au moment même où il la raconte de nouveau ”453. Dans cette perspective,
Vásquez construit le roman Historia secreta de Costaguana, en partant des spéculations
réalisées sur la vie non suffisamment étudiée de Conrad autour de ses voyages clandestins
dans le cadre de son métier de marin, “la contrebande d'armes pour les carlistes”454, ses vécus
et ses vagues souvenirs d’une expérience personnelle en Amérique Centrale dont il dit: “tous
452 Gérard Genette. Seuils, op. cit., p. 95. 453 Juan Gabriel Vásquez. Joseph Conrad. El hombre de ninguna parte, op. cit., p. 12. 454 Ibid., p. 24.
194
mes souvenirs sur l'Amérique Centrale semblent s'échapper”455, ainsi que son travail
d'écrivain concernant son œuvre la plus étendue et belliqueuse; “au milieu des crises de
goutte, arthrite, névralgie et fièvre, Conrad avait commencé à écrire Nostromo, qui, pour
beaucoup, a été son chef d'œuvre”456. Sous cet angle conradien sur la révolution panaméenne
en Colombie à la fin du XIX siècle et début du XX s., Vásquez crée sa propre fiction, en
partant de la prémisse suivante:
Las batallas de Costaguana, la república bananera avant-la lettre que Conrad inventó en
Nostromo, deben mucho a su percepción de los enfrentamientos políticos colombianos. Sulaco
debe mucho a Cartagena; don José Avellanos debe mucho a Santiago Pérez Triana, hijo de
Santiago Pérez, el liberal que había ocupado la presidencia de Colombia antes que Parra.457
Dans Historia secreta de Costaguana, le lecteur est invité à penser à la possibilité de se
trouver face à l'usurpation d'une histoire de la part de Joseph Conrad, qui est perçu, dans cette
œuvre, en tant que personnage littéraire et écrivain de Nostromo. Dans cette perspective, le
narrateur José Altamirano affirme que la fiction du personnage romancier Joseph Conrad, ne
correspond pas à sa version donnée des faits racontés sur l’histoire de sa vie et celle de son
pays, la Colombie. Averti d’un tel affront, c'est-à-dire, du fait de ne pas exister comme tel
dans la fiction de Conrad, José Altamirano décide, alors, de raconter, non seulement son
histoire, mais aussi celle de son père, Miguel Altamirano, journaliste déloyal chargé
d’informer sur l’évolution de la construction du Canal de Panama. De cette façon, la nouvelle
histoire racontée par Altamirano, fils, comporte la présentation de nouvelles versions
concernant l'histoire officielle, à partir du dévoilement et construction de la figure de son
père, qui lui était méconnue. Ainsi, est construit non seulement le passé du père mais aussi
celui de son contexte historique, social et politique, tel que le narrateur l'indique:
…lo que representaba en las crónicas de mi padre era más una distorsión, una versión –otra vez
la condenada palabrita- de la realidad panameña. Y esa versión, me fui dando cuenta conforme
leía, sólo tocaba la verdad objetiva en ciertos puntos selectos, como un barco mercante sólo se
interesa por cientos puertos. En sus escritos, mi padre no temía ni por un instante alterar lo ya
sabido o lo que todo el mundo recordaba. Por una buena razón, además: en Panamá, que al fin y
al cabo era un Estado colombiano, casi nadie sabía; y, sobre todo, nadie recordaba. Hoy puedo
decirlo: aquél fue mi primer contacto con la noción, que tantas veces se haría presente en mi vida
455Juan Gabriel Vásquez. “Viaje a Costaguana”, loc. cit., p. 148. 456Juan Gabriel Vásquez. Joseph Conrad. El hombre de ninguna parte, op. cit., p. 65. 457Ibid., p. 25.
195
futura, de que la realidad es frágil enemigo para el poder de la pluma, de que cualquiera puede
fundar una utopía con sólo armarse de buena retórica.458
Dans cette optique, la voix narrative propose au lecteur une version inédite devant être
remémorée selon son critère et ainsi, faire aboutir sa vengeance littéraire face à l’envol du
romancier polonais. Dans ce nouveau récit, se manifeste l'expression permanente de son sens
d'appartenance et de loyauté envers la patrie, la famille et le geste expiatoire que le narrateur,
José Altamirano, ressent comme propre, l'obligeant à réfléchir sur le passé, l'histoire du pays
et la mémoire, là où il devient l'objet direct de cette souffrance, du déracinement et de
l'injustice vécue par son entourage. Cela lui trace un chemin de désillusion et de scepticisme
moral.
Puis, à propos du Nostromo, Vásquez affirme ceci:
Conrad me habla de mi país. Conrad me habla de mi continente, de mi historia convulsa. Mi
relación con el capitán Korzeniowski es un antes de la lectura de Nostromo y otra después.
Nostromo: una novela que cambia según los lectores, pero que para mí es y será siempre un
Roman à clef sobre los traumas nacionales de Colombia.459
De la même manière, il est nécessaire de remarquer que Nostromo repose sur les conflits
sociopolitiques de la Colombie, comme de possibles échanges entre la fiction et l'histoire
officielle colombienne. A l'intérieur du roman, la création d'une république nommée
Costaguana et son détachement de la province de Sulaco, font référence à la province de
Panama dans la période de son indépendance vis-à-vis de la Colombie, survenue en 1903
grâce à la prétendue collaboration et intervention du gouvernement américain. De même, la
mine d'argent de Nostromo, à la place du Canal de Panamá, a été le scénario lié aux
événements réels recréés par l'écrivain polonais à partir des épisodes de l'histoire nationale.
Costaguana se transforme en un endroit mythique, imaginé par Conrad et repris par Vásquez
dans Historia secreta de Costaguana, où des événements sont interprétés, des souvenirs
transformés en fiction, des mémoires substituées et des destins forgés pour comprendre et
connaître d'autres versions possibles de l'histoire. Par ailleurs, ce champ suscite de multiples
458Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 105. 459 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 141.
196
interrogations à partir d'un jeu littéraire proposé par le narrateur sur la base de la distorsion
et de la parodie, afin d'intégrer les lecteurs dans les référents présentés et nouer ainsi le
complot entre narrateur et lecteur.
Par exemple, la figure du narrateur, José Altamirano, communique constamment à ses
lecteurs son contrôle sur le récit ainsi que les vicissitudes que celui-ci contient. Sa façon de
fournir l'information entraîne le lecteur à accepter ses conditions esthétiques littéraires. À ce
propos, dans le roman en question Historia secreta de Costaguana, le narrateur Altamirano
soulève:
Mientras en Colombia se conmemora la victoria de los ejércitos independentistas sobre las
fuerzas del Imperio Español, aquí, en este suelo de este otro Imperio, ha sido enterrado para siempre el hombre que me robo
Pero no.
Todavía no.
Todavía es pronto.
Es pronto para explicar las formas y las calidades de este robo; es pronto para explicar cuál fue
la mercancía robada, qué motivos tuvo el ladrón qué daños sufrió la víctima. Ya oigo las
preguntas que resuenan en la platea: ¿qué pueden tener en común un novelista famoso y un pobre
colombiano anónimo y desterrado? lectores: tengan paciencia. No quieran saberlo todo desde el
principio no investiguen, no pregunten, que este narrador, como un buen padre de familia, irá
proveyendo lo necesario a medida que avance el relato… En otras palabras: déjenlo todo en mis
manos. Yo decidiré cuándo y cómo cuento lo que quiero contar, cuándo oculto, cuándo revelo, cuándo me pierdo en los recovecos de mi memoria por el mero placer de hacerlo.460
Comme il peut être apprécié dans la citation apportée comme exemple, dans le titre de
Historia secreta de Costaguana est établi un jeu de fiction où le lecteur est impliqué dans
une histoire secrète concernant la République du Costaguana, étant donné que le passé, ses
discours autour des événements sociopolitiques et des personnages historiques, se présentent
tous en fonction de l'intromission du narrateur. C'est lui qui fournit aux lecteurs, l'information
qui aurait dû demeurer cachée, promouvant ainsi le mystère et l'ambigüité thématique.
Dans le cas de El ruido de las cosas al caer, le titre détient une épaisseur métaphorique et
une connotation antisociale, fruit de la relation de la Colombie avec les mafias du trafic de
drogue, pour qui l'ombre de Pablo Escobar revient bouleverser de nouvelles vies. Ici, le texte
460 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 14.
197
fait allusion à la façon dont s'écoule la vie des gens, leurs propos familiaux et à tout ce qui se
trouve subjugué au trafic illégal de drogue et à l'atomisation de la justice. En conséquence,
le monde décrit, s'y couvre d'une horreur capable de transformer les destins et stimuler des
conduites qui vont entraîner des conséquences nocives.
Tout comme dans Historia secreta de Costaguana, dans El ruido de las cosas al caaer, est
privilégié le personnage mystérieux, dont le passé caché est prétentieusement voué à l'oubli.
C'est le cas de Ricardo Laverde, qui a dû payer les conséquences de ses actions et assimiler
les séquelles traumatiques de faits divers, parmi lesquels, la perte de son noyau familial, la
purgation d'une peine à l'étranger et l'asservissement de la peur. En ce sens, son besoin de
survie dans un pays contrôlé par le crime, ressemble au fait de ne plus vouloir rappeler ou
accueillir des souvenirs d'un passé tourmenté; cependant, des sentiments de vulnérabilité,
résignation à la violence, des héritages générationnels, la catharsis d'un passé inconfortable
et le surgissement de nouvelles craintes ressortent chez Laverde, comme partie du tissu social
du roman, dans lequel, les bouleversements sociaux de l'époque se trouvent attachés au
présent. Ainsi, ce personnage aperçoit dans ces commémorations, la possibilité d'un nouveau
commencement et tente donc, de se racheter pour entreprendre un nouveau chapitre de sa vie,
entouré par ses êtres chers:
Elena va a venir y yo voy a tratar de recuperar lo que había antes. Elena era el amor de mi vida.
Y nos separamos, no queríamos separarnos, pero nos separamos. La vida nos separó, la vida hace
esas cosas. Yo la cagué. La cagué y nos separamos. Pero lo que importa no es cagarla, Yammara,
óigame bien, lo que importa no es cagarla, sino saber remediar la cagada. Aunque haya pasado el tiempo, los años que sean, nunca es tarde para remendar lo que uno ha roto. Y eso es lo que voy
a hacer. Elena viene ahora y eso es lo que voy hacer, ningún error puede durar para siempre. Todo
esto fue hace mucho tiempo, muchísimo tiempo.461
De ce fait, les relations distantes et inhabituelles mais définitives pour le déroulement de la
trame de El ruido de las cosas al caer, notamment celle de Ricardo Laverde et son épouse
Elena Fritts et celle d'Antonio Yammara et la fille unique de Laverde, Maya Fritts,
déchaîneront un processus de récupération et réactivation de la mémoire à partir des
évènements présents qui vont les pousser à se renseigner sur le passé et à en ressentir les
conséquences imprévisibles. C'est ainsi que les rencontres inattendues et leurs propres
461 Juan Gabriel Vásquez. El ruido de las cosas al caer, op. cit., p. 31.
198
obsessions, vont leur apporter des séquelles qui impliqueront le déclenchement et la
réparation des souvenirs afin de trouver des réponses au sujet du monde qu'ils ont été destinés
à vivre.
Par exemple, dans le cas particulier de Yammara, le personnage réfléchit sur sa relation
distancte avec Laverde; pourtant, son meurtre se transforme pour Yammara en une obsession
et un besoin soudain de vouloir approfondir les détails de la vie de son ami, ses secrets, ses
moments les plus intimes; ce, en vue de lui donner une identité et pouvoir ainsi établir les
mobiles du néfaste incident qui l'a aussi touché à cause de sa proximité vis-à-vis de la victime
au moment des faits. Cela permettra à Yammara, l'introspection de l'affaire pour la
reconstruction et la mise en valeur de sa vie elle-même, malgré l'attentat:
No sé de qué nos sirva recordar, qué beneficios nos trae o qué posibles castigos, ni de qué manera
puede cambiar lo vivido cuando lo recordamos, pero recordar bien a Ricardo Laverde se ha
convertido para mí en un asunto de urgencia. He leído en alguna parte que un hombre debe contar
la historia de su vida a los cuarenta años, y ese plazo perentorio se me viene encima: en el
momento en que escribo estas líneas, apenas unas cuantas semanas me separan de ese aniversario
ominoso. La historia de su vida. No, yo no contaré mi vida sino apenas unos cuantos días que
ocurrieron hace mucho, y lo haré además con plena conciencia de que esta historia, como se
advierte en los cuentos infantiles ya ha sucedido antes y volverá a suceder.462
À cet égard, les histoires racontées par Antonio Yammara font partie d'un tas d'expériences
propres et étrangères basées sur des faits survenus en Colombie durant les années 90, quand
le pays a été secoué par un déferlement de terreur à cause de divers cartels du trafic de drogue.
Parmi eux, se trouvait celui de Medellín, commandé par Pablo Escobar, un trafiquant de
drogues cruel et impitoyable qui a pratiquement mis à genoux le gouvernement de l'époque.
Ses violentes errances furent prises comme des nouvelles informatives de premier ordre, dû
à l'immense pouvoir économique et social qui corrompait toutes les instances
gouvernementales au point d'arriver à déstabiliser l'État de Droit et la société démocratique
qui peinait à laisser de côté la peur et l'amertume, responsables de la douleur et la souffrance
nationales.
Ce panorama, colossalement violent et agressif pour la société colombienne, est celui qui est
décrit par Vásquez dans son roman El ruido de las cosas al caer. Là, l'auteur cherche à
462 Ibid., p. 15.
199
dépeindre le poids des mémoires collectives, à une époque de transformation sociale et des
bouleversements politiques, d'angoisses et craintes particulières qui ont affaibli l'équilibre du
colombien de la rue et ont provoqué le désir de tourner les pages obscures et confuses de ce
triste moment de l'histoire nationale. La représentation romanesque de cet écrivain permet,
donc, de percevoir le pays transformé, désireux de progresser et de laisser de côté l'ignominie
du trafic de drogue et sa guerre féroce contre l'État. En outre, elle reconstruit des événements
détaillés, survenus à cette période néfaste, à l'aide de témoignages de première main et grâce
à son travail de recherche et d'écriture.
Un autre exemple se trouve dans La forma de las ruinas où l'auteur acquière une certaine
notoriété en devenant un personnage de sa propre fiction, en même temps qu'il choisit de
créer la figure du narrateur qui partage son nom, sa vie et sa profession d'écrivain. Le
personnage Vásquez, fait des recherches sur les vies passées ayant un rapport direct à des
moments divers des histoires officielles telles que les nombreuses protestations populaires
survenues lors de la révolte populaire mieux connue comme «El Bogotazo» en 1948 ainsi
que les détails et les précisions des magnicides de Kennedy en 1953, celui du général Rafael
Uribe Uribe en 1914 et d'autres meurtres sélectifs, dont ceux qui ont été dirigés par le
trafiquant de drogues Pablo Escobar dans les années 80 et 90; des renseignements tous relatifs
à la vie politique, sociale et morale de la Colombie.
À propos de son dernier roman publié, La forma de las ruinas, l'auteur soutient: “El material
de mi novela son los crímenes que han dado forma a la historia colombiana; su tema, la
posible manera en que nosotros, los hombres del presente agobiado, heredamos los crímenes
del pasado violento”463. Voilà comment le titre de ce roman prend du sens à partir de
l'anamnèse de l'histoire, laquelle, est transformée et bouleversée durant plusieurs décennies
en raison des magnicides de quelques leaders politiques: celui du général Rafael Uribe Uribe,
celui du chef politique Jorge Eliécer Gaitán et celui du président nord-américain J. F.
Kennedy, principalement. De la même manière, dans le récit, surgissent des réflexions
intenses et implacables forgées par les personnages conformément aux mémoires, soit
publiques, soit privées, à l'égard des événements tragiques qui engendrent diverses
463 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 132.
200
fluctuations frappant les colombiens et la population de l'Amérique du Nord; des fluctuations
autour des mystères et les multiples conséquences d'un passé latent qui suscite de nouvelles
versions et des découvertes au sujet de la faillibilité des faits. Comme résultat, le roman La
forma de las ruinas, est centré sur la recherche des phantasmes de l'histoire et ses secrets, à
travers des versions des témoins directs ou indirects qui, au sein des théories de la
conspiration, deviennent pertinentes pour aborder le passé et apporter une réponse aux
versions inachevées.
Dans un troisième temps, il faut dire que l'épigraphe –en tant que l'un des éléments para
textuels le plus récurrent dans la narrative de l'auteur-, “c'est une fonction de commentaire,
parfois décisif, donc, d'éclaircissement, et par là, de justification non du texte, mais du
titre”464. En effet, le théoricien français exprime que “épigrapher est toujours un geste muet
dont l'interprétation reste à la charge du lecteur”465. Il convient de signaler, alors, que les
épigraphes, comme composants d'une œuvre littéraire, correspondent aussi au choix de
l'auteur comme partie d'un jeu littéraire qui invite le lecteur à connaître d'autres vérités non
encore racontées, mais qui sont associées à d'autres textes existants. Ceci, provoque chez le
lecteur un effet immédiat sur la lecture, qui sera connectée à d'autres textes s'auto-procurant
une continuité et une réécriture, et en augmentant, de la sorte, l'émotion et l'impact du lecteur
sur ce qu'il lit.
Pour en donner un exemple, aux épigraphes de Los informantes, le romancier reprend le
discours judiciaire le plus admiré de Démosthène, exposé dans Sur la couronne, où il informe
le lecteur sur l'axe thématique de son roman. Ce discours-ci est le plus représentatif du
politicien et orateur athénien, raison pour laquelle, Vásquez l'a introduit à l'intérieur de son
œuvre en l‘associant à l'un des personnages avec qui il partage certains de ses sentiments
concernant le personnage grec. Voici les épigraphes citées dans son roman Los informantes:
Nunca te purificarás tú de las acciones por ti mismo allí realizadas; no hablarás tanto como para
eso.
¿Quién quiere hablar? ¿Quién quiere hacer acusaciones respecto de los acontecimientos pasados?
¿Quién quiere garantizar el porvenir?
464 Gérard Genette. Seuils, op. cit., p. 159. 465 Ibidem.
201
Demóstenes, Sobre la corona
(Vásquez, Los informantes11)
Il devient possible, alors, de percevoir comment dans Los informantes, à travers la figure de
Gabriel Santoro père, sont représentées certaines actions réalisées dans le passé et ensuite
comment le personnage feint une nouvelle vie pour occulter ou effacer les innombrables
événements répercutant dans le présent, ainsi que chercher les indulgences de ses plus
proches pour justifier ses actes. Pour ce faire, il recourt à la distorsion des faits passés afin
de parvenir à protéger sa position sociale ainsi que celle de sa famille en cachant des
informations privées les concernant. De ce fait, Santoro décide prendre des mesures rapides
pour empêcher d'être dénudé et de devoir ainsi révéler la vérité cachée depuis tant d'années.
Son intention est de demeurer dans la clandestinité, évitant à tout prix le dévoilement d'un
passé obscur et sans trace, connu auparavant seulement de quelques-uns mais déjà révolu
pour eux.
Vu sous cet angle, les deux figures publiques, celle du Santoro, père et celle de Démosthène,
orateur athénien, se sont servis et de leurs compétences oratoires et de leurs rôles comme
personnages publics et puissants, pour se défendre des accusations portant sur leurs activités
politiques passées. Puis, dans le but de dissimuler la vérité des faits, dans le cas du père, ou
de faire valoir sa défense contre Esquines466, dans le cas de l'orateur, surgissent de nouvelles
enquêtes et des discours qui mettent en valeur une image rénovée de leurs activités et de leurs
gestes justifiant les faits précédents.
Par ailleurs, dans Histoire secrète du Costaguana, l'auteur, dans son épigraphe, fait participer
le lecteur à propos de l'hypotexte de son œuvre intitulée Nostromo de Joseph Conrad qui
partage avec son collègue contemporain Cunninghame-Graham, les incidents et les
difficultés concernant l'écriture de son œuvre.
466 Esquines (389 a. C - 314 a. C) fut un homme politique et orateur athénien, connu par sa rivalité envers
Démosthène (384 a C. - 322 a C). Dans l'un de ses discours, Esquines a accusé d'illégalité Ctésiphon, également
orateur de la Grèce Antique, devant le tribunal des héliastes, anciens magistrats, pour avoir proposé un décret
sur la remise d'une couronne d'or à Démosthène en raison de "sa vertu et son intégrité" et "les services qu'il
n'a pas cessé de rendre au peuple au moyen de ses discours et de ses actes". Demóstenes, Sobre la corona.
Madrid: Aguilar, S.A., p. 10. Le fait précédent a éveillé l'un des discours les plus acclamés de Démosthène,
intitulé Sur la couronne, par lequel il s'est défendu des accusations de son opposant, jusqu'à en occasionner
finalement la défaite.
202
Quiero hablarte de la obra que me ocupa actualmente. Apenas si me atrevo a confesar mi osadía,
pero la he ubicado en América del Sur, en una República que he llamado Costaguana.
Joseph Conrad Carta a Robert Cunninghame-Graham
(Juan Gabriel Vásquez, Historia secreta de Costaguana, 9)
D'après l'écrivain colombien, pour Conrad, l'écriture du roman Nostromo “l'aurait enfoncé
dans un véritable enfer personnel, en poussant sa santé à des limites jusqu'alors
insoupçonnées et en exigeant de son talent imaginatif des choses que nulle autre de ses
fictions précédentes aurait pu lui exiger ”467. Néanmoins, en bouche de l'auteur, le résultat en
a été extraordinaire. Il faut anticiper tout de même, l'hypotexte et les sources utilisées par
Vásquez dans la construction d'un monde fictif où ont été mélangées des biographies et
d'autres sources mobilisées par l'écrivain polonais. Par ailleurs, la figure du romancier
étranger en tant que personnage de son nouveau récit y est impliquée et convertie en fiction.
A la lumière des considérations précédentes, Vásquez affirme que “Nostromo es, con
distancia, la mejor novela sobre Latinoamérica jamás escrita fuera de la lengua española. Es
más: Nostromo, se me ocurre a veces, es uno de los antecedentes más claros (y menos
señalados) del boom latinoamericano”468. C'est là où l'intérêt de Vásquez pour la figure et la
vie du marin, commence et le romancier Conrad, ressort, dans la mesure où il s'en sert pour
récréer une autre histoire dramatique de la Colombie, celle l'indépendance de la province de
Panama.
Enfin, dans La forma de las ruinas, l'auteur fait mention de l'œuvre tragique de Shakespeare
intitulée Jules César comme une possible réinterprétation des innombrables lectures
contemporaines que présente ce grand classique de la littérature universelle. Il convient juste
de remarquer que le titre du roman surgit de la lecture et de l'interprétation fournies par
l'écrivain sur l'œuvre du dramaturge anglais. De même, il en choisi la phrase: “ Eres las ruinas
del hombre más noble… ” pour son épigraphe.
467 Juan Gabriel Vásquez. “Viaje a Costaguana”, loc. cit., p. 145. 468 Ibid., p. 147.
203
Un tel choix permet aux lecteurs de trouver de nouvelles références et des liens vis-à-vis des
thématiques exposées par l'écrivain anglais du XVI siècle et abordés de nouveau au XXI
siècle. En ce sens, Vásquez reprend le sujet proposé par l'écrivain anglais et le met en rapport
avec l'histoire du pays à partir des diverses incertitudes trouvées dans les histoires officielles.
Il faut souligner que les deux écrivains traitent le sujet des conspirations de l'histoire et de
leurs dissimulations possibles.
Cela étant, il faut remarquer que dans les narratives en général, sont analysés et interprétés
d'autres textes à la lumière des signaux envoyés par l'écrivain, lesquels, sont attachés à des
référents tant historiques et culturels, que sociaux et politiques, entre autres, et sont tous
établis par l'auteur, dans un contexte prédéterminé, selon ses propres perspectives face aux
événements récrées. Par ce biais, le rôle du lecteur revêt une importance pour la participation
dans la reconstruction des faits apportés par l'écrivain, d'une manière dynamique, interactive
et interdisciplinaire.
C'est ainsi que, finalement, auteurs et lecteurs extériorisent des perceptions variées en lien
avec les textes, qui, à leur tour, sont associés et rapportés à d'autres en fonction des acquis
culturels. Il convient aussi de mettre en valeur les références employées par les écrivains dans
le choix du en vue de décrire d'autres textes ainsi que les œuvres littéraires qui les ont
précédées ou succédées.
204
II.3.2. Du roman autobiographique à l’autofiction dans la description de la Colombie
La forma de las ruinas es una obra de ficción. Los personajes, incidentes,
documentos y episodios de la realidad, presente o pasada, se usan aquí de
forma novelada y con las libertades propias de la imaginación literaria.
El lector que quiera encontrar en este libro coincidencias con la vida real
lo hará bajo su propia responsabilidad
Juan Gabriel Vásquez
Cette partie de la recherche consiste à analyser, en particulier La forma de las ruinas, roman
autofictionnel dans lequel s’articulent les éléments autobiographiques, historiques et
romanesques. Par cette approche, nous prétendons réfléchir sur le personnage de l’écrivain
colombien, en général, qui explore et enquête de manière réitérée sur l’histoire de son pays,
la Colombie, pour fouiller dans le passé et proposer de nouvelles interprétations connexes
aux histoires officielles.
De même, sera précisé le terme d’autofiction à partir de la définition donnée par Vincent
Colonna, dont l’explication est la suivante:
Une autofiction est une œuvre littéraire par laquelle un écrivain s’invente une personnalité et une
existence, tout en conservant son identité réelle (son véritable nom). Bien qu’intuitive, celle-ci
permet de dessiner les concours d’une vaste classe, d’un riche ensemble de textes; une contrée
littéraire semble émerger des limbes de la lecture469.
Selon cette idée, l’autofiction peut simuler un récit autobiographique dans lequel l’auteur
utilise son identité et les faits qu’il a vécus pour récupérer des mémoires, comme l’affective,
la sensorielle et l’iconique et, par leur entremise, reconstruire la mémoire sociale. Ce type
d’écriture personnelle est assez réitératif dans le genre narratif, spécialement dans la
typologie des autoréférentiels. Dans ce cadre, l’auteur révèle et occulte une partie de son
identité afin d’élaborer un second Moi qui reconstruira sa vie, son milieu, ses pratiques et sa
routine, en lui permettant d’interpréter sa réalité historique vécue. Parmi les plus connus, on
trouve les autobiographies, les journaux, les mémoires, les épîtres, les journaux de bord et
les poèmes autobiographiques. En plus, on prendra en considération d’autres possibilités
d’autofiction, comme celles qu’on peut trouver et étudier dans d’autres domaines artistiques:
469 Vincent Colonna. L’autofiction, essai sur la fictionnalisation de soi en littérature. Linguistique. École des
Hautes Études en Sciences sociales (EHESS), 1989. Français, p. 30
205
la photographie, le cinéma, la musique, la sculpture, les caricatures et les autoportraits. Dans
leur cas, l’auteur absorbe ses propres histoires, goûts et obsessions, sa propre image et ses
intérêts pour les présenter de manière artistique, en dépassant la simple expression d’une idée
ou d’un sentiment, afin de pénétrer dans un domaine plus profond et transcendantal de l’esprit
humain.
C’est le cas des récits de Vásquez mus par le besoin de remuer le passé et de chercher à
obtenir des réponses face à ces incertitudes collectives toujours en vigueur dans le présent,
ainsi que face à certaines obsessions, conspirations, craintes, réflexions et révélations autour
d’épisodes nationaux, considérés par l’auteur comme l’origine de plusieurs décennies de
violence, toujours actuelle en Colombie. L’auteur admet qu’au travers du récit en général,
tant les écrivains que les lecteurs peuvent explorer le monde, l’exalter, le réinterpréter et le
transformer, ainsi que débattre sur des vérités, trouver des explications, rétablir la mémoire
et mieux comprendre la réalité sociale. Tout cela est possible grâce à la recherche et aux
associations faites à partir de témoignages des communautés, de l’exploration et de
l’interprétation des documents officiels et non officiels, ainsi que de la socialisation
d’expériences propres ou d’autrui, individuelles ou collectives, publiques ou privées.
Pour mieux illustrer ce propos, on apprécie comment la trame présentée dans le récit, objet
de cette étude, partage avec d’autres arts et discours, un ton confessionnel, autobiographique,
investigateur, historique, policier et référentiel pour percer les mystères du passé afférents à
un pays qui ne parvient jamais à se connaître ou à se découvrir. Par exemple, dans le récit
autobiographique Vivir para contarla, Gabriel García Márquez raconte son expérience des
évènements du fameux 9 avril 1948. De même, Sady Gonzalez, précurseur du journalisme
photo, a légué aux Colombiens son grand témoignage graphique sur un des épisodes les plus
connus, le “Bogotazo”. Il faut, en outre, mentionner l’avocat Marco Tulio Anzola et sa
recherche privée intitulée ¿Quiénes son? portant sur la mort du général Rafael Uribe Uribe
survenue dans la capitale.
De cette manière, les histoires narrées incitent leurs lecteurs à trouver des similitudes entre
certains épisodes de l’histoire colombienne, tels des magnicides, des conspirat ions et
206
tragédies non encore résolues, mais qui demeurent latentes dans le devenir historique du pays,
en modulant le présent par leurs legs et leurs néfastes dénouements. Par conséquent, le
romancier étudie et pénètre dans les émotions et les vies de son Moi et de la collectivité, pour
aborder et spéculer sur divers évènements du passé, non résolus, mais, toutefois, voilés de
mystère et d’incertitude. À cet égard, le personnage-romancier Juan Gabriel Vásquez déclare
ce qui suit:
Así fue como comenzamos a hablar del 9 de abril. Me llamó la atención que Benavides no se
refiriera al Bogotazo, el mote470 grandilocuente que los colombianos le pusimos hace mucho
tiempo a aquel día legendario. No: Benavides daba siempre la fecha, y a veces completa con su
año, como si se tratara del nombre y apellido de alguien que merece respeto, o como si utilizar el
mote fuera un comportamiento de intolerable familiaridad: después de todo, uno no se permitía confiancitas con los hechos venerables de nuestro pasado471.
En conséquence, le récit de Vásquez est, dans un certain sens, une manière de récupérer et
de percer à jour les silences imposés par l’histoire, en proposant de nouvelles versions et
interprétations des nombreuses lézardes que le pays a connues et dont l’auteur s’empare pour
fictionnaliser le fait historique ou pour le recréer. C’est ainsi que dans ce roman qui est aussi
son dernier roman, La forma de las ruinas (2015), l’écrivain se présente comme le
protagoniste de sa propre fiction, partage et convertit son autobiographie en une œuvre
davantage de son cru. Son personnage est considéré comme un enquêteur et un explorateur
de ces vies étrangères et, indirectement, de sa propre vie, qui sont exposées en combinant de
grands genres narratifs, comme le sont le roman et l’autobiographie. Leur résultat, dans cette
reproduction littéraire s’inscrit dans le domaine de ce qu’on appelle “autofiction”.
Selon Agusti Farré, est à l’origine de ce terme le théoricien et romancier français Serge
Dubrovsky qui “escribió una obra en la que se combinaba la narrativa de ficción con la
autobiografía y en la que el nombre del autor y del personaje principal eran el mismo”472.
Dans cette optique, le récit autofictionnel renvoie aux aspects personnel, intime et
sentimental de l’auteur chez qui fusionnent les frontières entre réel et imaginaire, favorisant
des fuites qui sont source de nouvelles fictions. Cette confrontation dans laquelle l’auteur
470 Pour la DRAE, le mot «mote» se réfère au surnom, sobriquet ou alias, donné à une personne pour une qualité,
condition référentielle ou un épisode historique. 471 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p.23 472 Anna Agusti Farré. “Autobiografía y autoficción”. Revista de la Sociedad Española de Estudios Literarios
de Cultura Popular, nº 6, 2006. Disponible sur: https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=23775.
207
réel et le narrateur-personnage sont et ne sont pas la même personne signifie selon Alberca
que “el autor de autoficciones no se conforma sólo con contar la vida que ha vivido, sino en
imaginar una de las muchas vidas posibles que le podría haber tocado en suerte vivir”473.
Autrement dit, les écrivains de ce genre spéculent sur leurs histoires ou faits vécus, sur leurs
expériences, sentiments et témoignages, les fusionnant grâce à leur inventivité pour recréer
ce qui aurait pu être ou ce qui pourrait avoir eu lieu. Simultanément, ces possibilités
d’imaginer une série de faits, de personnages, d’histoires vécues, entre autres, permettent aux
écrivains de recréer des vies différentes et parallèles aux leurs.
Dans l’exemple qui suit, fusionnent l’auteur réel, Vásquez en personne, et Juan Gabriel
Vásquez, le personnage, pour narrer certaines réflexions sur une des photos les plus célèbres,
après la mort du caudillo libéral:
Entre todos está Gaitán, a quien alguien le alza un poco la cabeza –la posición no es natural- de
manera que resulte bien visible en la foto, pues la foto fue tomada para eso, para dar testimonio
de la muerte del caudillo, cuando para mí su logro era mucho mayor, pues lo que se veía en la
cara de Gaitán era, como dice un verso que me gusta, el llano anonimato del dolor. No sé cuántas
veces había visto esa imagen antes, pero allí, en la habitación de la clínica, junto a mi esposa
acostada, me pareció ver por primera vez a la niña que está detrás de Gaitán, la parece encargada
de sostenerle la cabeza al muerto. Le mostré a M la foto y ella dijo que no, que era el hombre de
gafas quien se la estaba sosteniendo, porque la niña tenía la mano cerrada y en un ángulo
imposible y en todo caso inútil para sostener nada. Me hubiera gustado creer que tenía razón,
pero no pude: veía la mano de la niña, la veía sosteniendo la cabeza de Gaitán que parecía flotar sobre la sábana blanca, y eso me inquietaba474.
La photo mentionnée dans la fiction a été prise par le fameux reporter colombien Sady
González (1913-1979) qui, avec sa lentille, a enregistré non seulement les moments les plus
transcendantaux de la vie des Colombiens, mais encore a laissé comme legs une somme de
reportages graphiques d’intérêt national; collection inestimable de témoignages, en
particulier sur les troubles années 40. Ces photos qui renvoient à des images du Bogotazo
ont été publiées dans des journaux et revues nationales et internationales, et c’est à partir de
ce matériau que les personnes ont généralement pu se remémorer l’inoubliable 9 avril. Le
journaliste González Uribe a sa propre version de la photo en question:
473 Manuel Alberca. El pacto ambiguo. De la novela autobiográfica a la autoficción. Madrid: Editorial
Biblioteca Nueva, 2007, p. 33. 474 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 46
208
Gaitán se encontraba malherido, con él estaba su amigo Pedro Eliseo Cruz, junto con otros
médicos, bregando a salvarle la vida. Y la gente vociferaba. Todavía no comenzaba el
levantamiento ni los saqueos. Como a la media hora bajaron y contaron que había muerto. Una
foto de Sady muy famosa es la que muestra a Pedro Eliseo Cruz sosteniendo la cabeza de Gaitán.
Luego vino el desorden general475.
Source: Photo provenant de la phonothèque numérique des archives de Bogotá. Fonds photographique de Sady
González. Registre No. 256. https://fototecabogota.org/2015/11/02/cadaver-de-jorge-eliecer-gaitan-en-la-
clinica-central/
Alors que dans la fiction, personnage et romancier privilégient le discours épistolaire, dans
La forma de las ruinas, Vásquez personnage reçoit une carte postale du docteur Benavides
qui inclut la photo du “Cadáver de Gaitán en la clínica central”476, également prise par le
photographe Sady González. De ce point de vue, le discours photographique est présent, au
travers du discours épistolaire, pour inviter le romancier fictionnalisé à évoquer et à spéculer
475 Guillermo González Uribe. “Una cámara registra el 9 de abril”. El saqueo de una ilusión. El 9 de abril:50
años después. Fotografías de Sady González. Colombie: Revista Número Ediciones, 1997, p. 19. 476 Ibid., pp. 82-83.
209
à son gré sur l’atmosphère politique et sociale de milliers de personnes qui ont vécu cet
évènement historique. De cette manière, l’image est le prétexte qui rend possible une
rencontre inattendue qui servira de point de départ à l’écrivain pour compiler des sources
primaires et secondaires avec son écriture métalittéraire. Ci-dessous, la citation au revers de
la carte postale envoyée par le docteur Benavides dans le domaine de la fiction:
Estimado paciente:
Mañana domingo hago una comida en mi casa. Muy petit comité, se lo digo en francés para hacerme el culto. Lo espero a las 8 con muchas ganas de hablar de cosas que ya no le interesan
a nadie. Yo sé que usted está ocupado con asuntos más importantes, pero le juro que voy a tratar
de que valga la pena. Aunque sea a punta de whisky.
Un abrazo
FB477
De même, des évènements et histoires de vie narrés lors de ces rencontres appartiennent à un
passé tourmenté ; toutefois, dans les souvenirs de l’auteur, ils ont survécu, ont été récupérés,
se sont transformés ou ont été remplacés par d’autres, pour se dissimuler ou se révéler au
lecteur lors de la réception et de l’interprétation de son œuvre. Par conséquent, ce genre
d’autofiction propose alors à ses lecteurs “un nuevo modo de reflexión crítica”478,
conformément à leur bagage et connaissances de données biographiques qui renvoient à la
spéculation, à l’association et à la comparaison entre la vie de l’auteur et celle de son
personnage, en tant que créateurs de fictions.
Dans la même veine qu’Alberca, “las autoficciones tienen como fundamento la identidad
visible o reconocible del autor, narrador y personaje del relato”479. En ce sens, l’auteur
véritable se transforme en personnage de fiction pour présenter une invention vraisemblable
qui rend évidente la nécessité de s’interroger sur lui-même, de partager des histoires de vie,
de révéler et remémorer des évènements propres à un pays et de les associer à sa biographie
d’écrivain de fictions, à la fois père de famille et citoyen, qui a vécu des jours légendaires
dignes d’être narrés. Cette approche met en évidence un besoin de l’auteur d’enquêter et
d’approfondir son identité et sa responsabilité sociale d’écrivain et, en outre, d’apporter des
477 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p.47 478 José Amícola. “Autoficción, una polémica literaria vista desde los márgenes (Borges, Gombrowicz, Copi,
Aira)”. Olivar, 9 (12), 2008, p. 191-207. Récupéré le 13 octobre 2016 sur
http://scielo.org.ar/scielo.php?script=sci_arttex&pid=S1852-44782008000200012&Ing=es&tlng=es 479 Manuel Alberca. El pacto ambiguo, op. cit., p.31.
210
réponses à ses obsessions qui sont partie intégrante de son matériel de travail, lors de
l’élaboration de ses produits narratifs.
D’autre part, dans son récit, l’intéressent l’enquête publique et privée, l’exploration du passé
et la recherche d’explications sur les réalités qui ont influé sur divers domaines, comme le
social, le politique, l’économique et l’idéologique. Ainsi, par exemple, l’écriture de La forma
de las ruinas, affirme Vásquez, est née d’une expérience personnelle, qu’il considère comme
le détonateur de l’écriture de son dernier roman:
El día en que tuve en mis manos los huesos de dos de los muertos más celebres que han marcado
la historia de Colombia: Jorge Eliécer Gaitán et Rafael Uribe Uribe. Las novelas nacen de estas
vivencias que a lo largo de muchos años pasan de ser meras curiosidades a ser algo más, a
convertirse por alguna razón que yo nunca sé identificar muy bien, en obsesiones o en demonios,
como dice Vargas Llosa, y ahí no me queda más remedios que escribirlas480.
Comme nous l’avons mentionné, ses narrations tendent à perpétuer le passé, à spéculer et à
relater aussi ce qui aurait pu se passer au travers de la fusion de plusieurs discours comme
l’autobiographique, l’historique et le romanesque. Sur ce point, l’auteur a déclaré que
l’histoire est le contexte idéal pour enquêter sur ces épisodes qui restent obscurs. Pour ce
motif, nous pouvons déduire que l’auteur voit l’histoire comme un lieu clandestin où il est
nécessaire de recourir à des expériences, aussi bien propres qu’étrangères, pour raconter ses
histoires. C’est ainsi que son roman est parti de ces histoires qui n’avaient pas été racontées,
vérifiées ou qui demeurent un mystère du fait de l’absence de témoins, de preuves ou
d’informations.
Pour la création de son personnage-narrateur, qui porte le même nom que l’auteur réel de La
forma de las ruinas, le romancier assure qu’il ne pouvait pas créer un narrateur fictif, car
cette histoire exigeait la présence d’un personnage avec ses caractéristiques propres comme
écrivain, comme Colombien et comme témoin direct et indirect de ces épisodes qui ont servi
de cadre et divisé l’histoire du pays. Ce choix technique a été, en partie, dû à la vraisemblance
que cela apporterait à son récit et aussi consécutif à l’exposé de ses propres expériences et
connaissances qui lui permettraient de poursuivre son enquête et d’y associer de nouvelles
480 Marisella Buitrago Ramírez. “Entrevista a Juan Gabriel Vásquez. Escribir novelas es de alguna manera
enfrentarse al relato de los otros”. Les Ateliers du SAL8 (2016): 197-209
211
découvertes portant sur ses préoccupations et obsessions relatives à certains épisodes violents
survenus dans le pays. Nous soulignons que l'auteur ne voulait pas se camoufler ou recourir
à des masques dans son récit.
Dans une entrevue, Vásquez commente que cette decisión “se convirtió también en parte de
algo más grande. Empezó a afectar incluso los temas de la novela, empezó a sugerir
temas”481. Ceci a conduit l’auteur à réviser et à reconstruire à nouveau le passé qui, comme
l’assure le romancier, peut modifier et affecter les actions du présent. En ce sens, le passé qui
renvoie à une histoire et le passé proprement dit fusionnent et, à partir de là, surgissent de
nouvelles interprétations et perspectives qui servent de matériau à la construction du roman.
Par exemple, dans les histoires officielles de la Colombie, Julián Uribe Uribe a confié à
l’avocat Marco Tulio Anzola la tâche de poursuivre l’enquête sur le magnicide de son frère,
le général Rafael Uribe Uribe. César Carballo, personnage obsédé par l’histoire de son pays,
a fait de même avec le personnage-écrivain Juan Gabriel Vásquez. Il l’a prié d’écrire un livre
qui restituerait la figure de son père mort lors des évènements du 9 avril de triste mémoire.
Nous citons Vásquez ci-dessous:
No, Carballo no quería que yo escribiera un Quiénes son? Para el crimen de Gaitán, quería que
yo hiciera un mausoleo de palabras para que en él habitara su padre, y quería también que las
últimas dos horas de su padre quedaran documentadas tal como él las entendía, porque así su
padre no sólo tendría un lugar en el mundo, sino que habría jugado un papel en la historia482.
Toutefois, tant l’auteur que le narrateur partagent la caractéristique d’être des connaisseurs
d’histoires privées et d’autrui, qui se mêlent aussi à celles de tout un pays qui cherche des
réponses et des explications à ces incertitudes qui accompagnent l’histoire d’une nation. C’est
dire que le narrateur-personnage reconstruit sa vie au travers de connexions et de
rétrospections sur sa réalité historique afin de reconstruire son passé pour mieux le
comprendre et lui donner du sens. Sa constante évocation de mémoires, y compris de la
sienne, donne aux lecteurs une impression de fidélité et de vraisemblance dans la narration
et la présentation des faits. Parallèlement, pour ce qui est de l’auteur réel, sa présentation des
481 Ibid., pp. 197-209 482 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 541.
212
faits exige la confrontation de deux mondes: celui de la fiction qu’il crée et du monde réel
qui prennent vie par le pacte de lecture.
Par conséquent, l’auteur réel se transforme, en tout ou partie, en un personnage romanesque,
emprunte des déguisements et tire profit du récit pour relater ses propres expériences et ses
témoignages. Dans cette mesure, l’auteur présente sa fiction à partir de ses propres besoins,
tel celui de s’interroger lui-même, de concrétiser ses expériences vécues, ainsi que celles de
sa famille et de son pays. Il importe de souligner que, lors de son processus d´écriture,
l’auteur enquête et approfondit son identité, la société, ainsi que son travail de romancier, ce
qui lui permet de réfléchir sur ses divers rôles, ceux de sujet, de citoyen et d’écrivain.
De même, l’auteur, en tant que connaisseur d’histoires diverses, transmet et partage avec ses
lecteurs de nouvelles interprétations de l’histoire officielle, qui s’imbriquent dans d’autres
histoires dans lesquelles les lecteurs s’identifient aux personnages, aux situations, à leurs
contextes et à d’autres discours qu’ils croyaient connaître. D’une certaine manière, toute cette
fusion d’histoires et de discours appartient à tout un pays en quête permanente de réponses
ou qui, tout simplement, ne les a jamais obtenues.
En général, l’auteur creuse ces lacunes qui correspondent à des épisodes historiques non
résolus, à des évènements qui perpétuent les doutes et qui sont peu clairs ou exempts de
certitudes. C’est ainsi que le discours romanesque et l’association d’autres personnes comme
le photographe ou le journaliste permettent, tant à l’auteur qu’au lecteur, de trouver des
réponses et de procéder à la reconstruction d’un passé latent en constante transformation,
conformément aux nouvelles découvertes et aux multiples interprétations.
Pour donner un exemple de ce qui précède, la mémoire tant individuelle que collective,
permet non seulement à l’auteur, mais aussi au lecteur, d’associer divers épisodes, pour
fournir des réponses et spéculer sur quelques-unes des incertitudes qui accompagnent toute
l’histoire d’un pays. Par contraste, le journaliste Agustí Farré mentionne que “el mismo lector
siente la necesidad de encontrar en la novela afinidades inexistentes entre protagonista y autor
213
o cree ver realidades y hechos fidedignos que no son tales, sino pura ficción”483. À cet égard,
on pourrait penser que l’auteur prête son identité au personnage en ce qui concerne son milieu
familial et social, ses faits vécus et activités littéraires, ainsi que certains lieux qui revêtent
un sens pour les lecteurs dans divers domaines. Il est licite de penser que cela correspond à
une même personne, à une seule voix, celle de l’auteur, qui partagerait ses confessions, ou
bien lorsqu’auteur et personnage se fondraient en un seul être.
Pour conclure, l’auteur réel se transforme, en tout ou partie, en un personnage romanesque,
il adopte des déguisements et tire profit du récit pour représenter ses expériences et
témoignages réels. Dans cette mesure, révéler une fiction vraisemblable implique une
reconnaissance de soi-même, de son histoire et de son pays pour approfondir sa propre
identité d’écrivain, de connaisseur de multiples histoires, mais en même temps d’histoires
qui appartiennent et renvoient à celles de tout un pays qui cherche des réponses, soit parce
qu’il ne les a jamais obtenues, soit parce qu’il ne les a jamais connues.
En conséquence, nous soulignons que c’est dans le cadre littéraire que ressurgissent ces
nouvelles histoires qui, pour certains, étaient déjà tombées dans l’oubli et, dont d’autres, en
particulier les nouvelles générations, ignoraient les référents. Dans ces conditions, on peut
affirmer que les interprétations actuelles dépassent les limites de la réalité et des histoires
officielles, pour se placer dans un nouveau contexte fictionnel dans lequel on confirme que
l’auteur étudié recourt à l’autofiction biographique, typologie narrative qui a connu un essor
dans la littérature contemporaine. C’est dire que les données fournies par le romancier dans
l’autofiction sont comparables, entre autres, à celles de son récit, de ses entretiens et de ses
intérêts littéraires. De même, d'autres expressions artistiques telles que la photographie, la
peinture, le cinéma, pour ne nommer qu'elles, conçoivent, à partir de cette vision littéraire,
un monde d'infinies possibilités thématiques et de modifications des histoires officielles, eu
égard à d'autres posssibilités et spéculations, conformément au bagage culturel de son
créateur, à ses expériences vécues, intérêts personnels et documents trouvés pour la
(re)construction de ses propositions artistiques.
483 Anna Agustí Farré, “Autobiografía y autoficción”, loc. cit.,. Disponible sur:
https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=237759
214
Partie III. Accès aux axiomes de l’histoire
215
III.1 Le narrateur et son récit
III.1.1 L’art de la spéculation et la distorsion de l’histoire
El poeta puede contar o cantar las cosas, no como fueron, sino como
debían ser, y el historiador las ha de escribir, no como debían ser, sino
como fueron, sin añadir ni quitar a la verdad cosa alguna.
Juan Gabriel Vásquez
Juan Gabriel Vásquez a trouvé dans l’histoire de la Colombie un terrain fertile pour
développer sa créativité littéraire. Pour lui, les grands évènements historiques de son pays
donnent la possibilité de créer des personnages qui s’enfoncent dans l’inconnu et spéculent
sur l’histoire elle-même, reprenant des thèmes du passé et enquêtant sur leurs possibles
conséquences, modifications et omissions. En ce sens, il propose, à partir d’une assise
littéraire, de prendre position contre l’oubli pour présenter de nouvelles interprétations sur
les faits abordés, au travers des actions, difficultés et réussites des personnages.
D’où la nécessité d’approfondir deux concepts, proposés par l’écrivain comme des clés
d’écriture et de lecture de ses œuvres: la spéculation et la distorsion. Pour les préciser, nous
avons eu recours à la définition proposée par le dictionnaire de l’Académie Royale de la
Langue espagnole, dans sa version actualisée en 2017:
● Spéculer: regarder quelque chose avec attention pour l’identifier et l’examiner. Méditer,
réfléchir et théoriser des hypothèses envisageables sur un évènement notable484.
● Dénaturer: action consistant à présenter et interpréter des faits, intentions, etc., en les
déformant de manière intentionnelle485.
En conséquence, Vásquez dans ses collections d’essais El arte de la distorsión (y otros
ensayos) 2009 et Viajes con un mapa en blanco (2018) place le lecteur dans le contexte de
sa propre réflexion autour de l’art du roman, en présentant ses idées sur ce que sont pour lui
la lecture et l’écriture, véritable exploration inachevée de ces zones occultes et privées de la
484 Dictionnaire de l’Académie Royale de la langue espagnole [en ligne], version actualisée 2017. Disponible
sur: http://dle.rae.es/?id=GXXJSWnlGXb03kR (consulté le 28 avril 2018). 485 Ibid., disponible sur: http://dle.rae.es/?id=Dz06u9L (consulté le 28 avril 2018).
216
condition humaine, soit en révélant des certitudes ou des incertitudes autour d’un fait ou d’un
évènement à caractère national.
Compte tenu de cette approche, ses romans en général conduisent à la compréhension
d’autres vérités possibles, grâce à la récurrence d’interprétations élaborées à partir de
discours variés, comme, entre autres, le journalistique, l’historique, le caricatural, le
photographique, afin de fournir des réponses possibles à tant d’énigmes toujours présentes
dans l’histoire de chaque pays. Ils conduisent aussi à raisonner sur la condition humaine et,
ainsi, découvrir les mondes éventuels et inachevés, à partir de réalités fictionnalisées. Par
exemple, l’auteur sur lequel porte cette étude affirme ce qui suit sur l’architecture de son
œuvre, Historia secreta de Costaguana:
Costaguana como recordarán algunos, es el país sudamericano y ficticio donde ocurre la acción de
Nostromo, una de las grandes novelas de Joseph Conrad. Mi novela parte de una especulación: la
posibilidad, sugerida en muchos lugares, de que Conrad hubiera pisado tierra colombiana a la edad de
diecinueve años, y que mucho después hubiera escrito Nostromo basándose, en buena medida, en la
historia política colombiana del siglo XIX486.
Ce second roman sur son pays est alors une nouvelle proposition littéraire qui englobe
plusieurs regards sur l’histoire officielle liée à la construction du Canal de Panama et à sa
sécession du territoire colombien, en 1903. Elle s’appuie sur les réflexions d’autres discours
romancés et interprétations de Joseph Conrad. C’est ainsi que, à partir de Nostromo (1904),
l’écrivain colombien s’est aussi prévalu des événements politiques, idéologiques,
économiques et sociaux colombiens du moment, pour introduire la république fictive du
Costaguana, située en Amérique du sud, comme un nouvel hypertexte487, pour distorsionner
vérités, spéculer sur les histoires officielles et établir de nouvelles relations littéraires avec
les évènements, les personnages littéraires, les personnalités publiques et leurs biographies.
Comme nous le remarquons, cette nouvelle république a été reprise par des écrivains, comme
c’est le cas de Vásquez, et des cinéastes, comme Ridley Scott, pour la réécrire, générant de
486 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op.cit, p.31. 487 Conformément à la théorie de Gérard Genette sur l’hypertextualité, il définit l’hypertexte comme « toute
relation unissant un texte B (que j’appellerai Hypertexte) à un texte antérieur A (que j’appellerai, bien sûr,
Hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire». De cette manière, le roman
de Juan Gabriel Vásquez, Historia secreta de Costaguana, est l’hypertexte, alors que Nostromo de Joseph
Conrad est l’hypotexte.
217
nouvelles interprétations à partir d’un processus de réflexion sur le texte de base, Nostromo,
et la combinaison d’expériences propres ou privées, ainsi que la consultation de biographies
et l’exploration de la réalité-fiction des évènements. En conséquence, ces nouvelles versions
et adaptations reconstruisent des scènes de la vie de l’auteur polonais, ses expériences en
haute mer et ses faiblesses, ainsi que la construction de son univers littéraire.
Pour commencer, Nostromo part d’une anecdote surprise lorsqu’il bourlinguait. Le récit
portait sur un personnage qui avait volé un chargement d’argent pendant une révolution;
vingt-sept ans plus tard, l’écrivain polonais a retrouvé la même histoire déjà publiée. Cela l’a
incité à écrire son célèbre roman dans lequel le conflit politique principal correspondait à
celui d’une révolution artificieuse qui sépara la province de Sulaco d’une république appelée
Costaguana, tout ceci basé sur les évènements de la révolution panaméenne qui se déroula en
Colombie, en 1903. À propos de cette anecdote, l’auteur polonais nous fait savoir ce qui suit:
De la identidad del personaje no me cabe la menor duda, porque difícilmente pueden darse dos hazañas
de tan singular índole en la misma parte del mundo, y ambas relacionadas con una revolución
sudamericana. El tipo había logrado robar una gabarra cargada de lingotes de plata, abusando, según
parece, de la confianza depositada en él por sus amos, que debían de ser muy poco perspicaces a la
hora de conocer el carácter de sus empleados. En la historia del marinero se le describe como un pillo
redomado, fullero, estúpidamente feroz, retraído, de ruin aspecto y enteramente indigno del
ascendiente que la ocasión de perpetrar aquel robo le había procurado488.
Il convient de souligner que l’écrivain polonais n’avait aucun intérêt particulier pour écrire
sur cet évènement et que, cependant, il a repris l’idée du vol, tout en imaginant un voleur
distinct de l’autre. C’est à ce moment-là qu’il a conçu pour la première fois un pays
imaginaire appelé Costaguana qui allait devenir la province de Sulaco. Vásquez, attiré par la
vie de marin de l’écrivain et par ses histoires, a, des années plus tard, écrit la biographie de
Joseph Conrad, El hombre de ninguna parte (2004), tout en proclamant son admiration pour
ses récits et, spécialement, pour Nostromo. C’est d’autant plus vrai que Vásquez l’a aussi
perçu comme un antécédent et un hypotexte que n’avait pas très bien remarqué la génération
du Boom latino-américain, phénomène littéraire des années 60 et 70.
488 Joseph Conrad, Nostromo, op. cit., p. 29
218
Comme nous l’avons indiqué, le créateur de Nostromo était d’origine polonaise. Il a écrit
tous ses récits en langue anglaise, sa troisième langue, après le français. Vásquez, dans sa
biographie de l’auteur, expose quelques-unes des difficultés de Conrad, parmi lesquelles son
manque de maîtrise de la langue et sa connaissance limitée de l’Amérique latine. Cela le
conduisit à demander de l’aide à ses amis écrivains et à ses connaissances. Parmi les
romanciers: Ford Madox, Galsworthy, Cunninghame Graham et Santiago Pérez qui
fournirent à Conrad des informations précises pour élaborer la situation politique,
économique et sociale de son histoire. Toutefois, dans le prologue de Nostromo, Conrad
décide de désorienter le lecteur par une de ses sources; plutôt que de révéler des pistes, il
tente de les occulter:
La principal autoridad a la que he acudido para la historia de Costaguana es, por supuesto, mi venerado
amigo, el difunto don José Avellanos, representante acreditado de dicha república ante los gobiernos
de Inglaterra y España, etc., etc., en su imparcial y elocuente Historia de cincuenta años de
desgobierno. Esta obra no se ha publicado nunca- el lector llegará a saber el motivo- y, en realidad,
soy la única persona del mundo al tanto de su contenido489.
Nous devons vous prévenir ici que Don José Avellanos est un personnage de fiction dans
l’univers littéraire de Conrad, représenté dans son roman Nostromo comme un des patriarches
les plus respectés du Costaguana: “poeta, hombre cultivado, que había representado a su país
en varias cortes europeas (y sufrido humillaciones indecibles como preso político”490.
Conformément à la description et aux anecdotes du personnage du roman, Avellanos alter
ego de Santiago Pérez Triana, est un fin connaisseur de l’histoire colombienne; il a donc
fourni de précieuses informations à Conrad tandis que ce dernier écrivait son roman.
Élément à ajouter à l’histoire officielle de la Colombie, Pérez Triana est le fils de l’ex-
président colombien Santiago Pérez Manosalva qui, lors de son mandat, a contribué à la
construction des Chemins de Fer du Nord, plus connu comme le Train de la Savane, qui
assurait un service de transport ferroviaire. Triana, aux côtés de son père, a acquis des notions
sur le processus de construction des voies ferrées; plus tard, ces connaissances seront
exploitées et fictionnalisées dans l’œuvre de Conrad.
489 Joseph Conrad, Nostromo, op. cit., p. 24. 490 Ibid., p. 77
219
À partir de ces référents, la critique de la réalité sociale, le monde politique existant à la fin
du XIXe et au début du XXe siècle, les caractéristiques propres à un pays latino-américain,
à ses guerres et révolutions, font partie de cette république fictive qu’a repris Vásquez pour
donner naissance à une nouvelle version des faits liée aux problématiques nationales du pays.
Il est intéressant de noter comment l’auteur colombien reprend le personnage du romancier
polonais pour spéculer et déformer son passé apparenté à l’histoire de l’Amérique latine. De
cette manière, il est possible d’accéder à de nouvelles versions et interprétations littéraires
qui récupèrent la mémoire historique liée à des évènements politiques, historiques, sociaux
et économiques du pays. À cet égard, le romancier affirme ce qui suit:
Conrad me habla de mi país. Conrad me habla de mi continente, de mi historia convulsa. Mi relación
con el capitán Korzeniowski es una antes de la lectura de Nostromo y otra después. Nostromo: una
novela que cambia según los lectores, pero que para mí es y será siempre un roman à clef sobre los
traumas nacionales de Colombia491.
Il convient de souligner que dans Historia secreta de Costaguana est repris le thème du vol,
mais dans cette adaptation, le vol a été commis par l’écrivain polonais, personnage de cette
histoire. Ainsi, à partir de témoignages, de récits du narrateur et dénonciateur José
Altamirano, il rend manifeste l’usurpation d’une histoire qu’il veut partager; il assure avoir
plusieurs éclaircissements sur la vie de l’étranger, “el hombre de otra parte” 492 qui était
récemment décédé. Son intention est celle de confesser et de se confesser devant les lecteurs
et sa fille Éloïse, puisque la fiction présentée par le romancier polonais ne correspond pas à
sa version; c’est-à-dire qu’ “Altamirano lee la versión escrita por Conrad, en ella está su vida
y la de su tierra, pero esta tierra ha cambiado de nombre y él ha sido eliminado de la
historia”493.
Cette confession peut être considérée comme une vengeance personnelle à l’égard du
romancier étranger, face à la version présentée dans Nostromo. Il considère qu’il existe une
distorsion dans la version du personnage littéraire, José Altamirano, par rapport aux
491 Juan Gabriel Vásquez, Viajes con un mapa en blanco, op. cit, p. 141. 492 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p.22 493 Julio Zárate. “Biografía y ficción de Conrad en la obra de Juan Gabriel Vásquez”, loc. cit., p. 134.
220
faits présentés sur son pays, la Colombie. De même, il y voit l’occasion unique de relater son
histoire et celle de sa famille conformément à ses règles et subterfuges narratifs qui, parfois,
peuvent ou non, provoquer diverses réactions parmi les lecteurs. Dans HSC, Altamirano
contextualise le personnage du romancier polonais:
Digámoslo de una vez: El hombre ha muerto. No, no es suficiente. Seré más preciso: ha muerto el
novelista (así, con mayúscula). Ya saben ustedes a quien me refiero. ¿No? Bien, lo intentaré de nuevo:
ha muerto el Gran Novelista de la lengua inglesa. Ha muerto el Gran Novelista de la lengua inglesa,
polaco de nacimiento y marinero antes que escritor, que pasó de suicida fracasado a clásico vivo, de
vulgar contrabandista de armas a Joya de la Corona Británica. Señoras, señores: ha muerto Joseph
Conrad. Recibo la noticia con familiaridad, como se recibe a un viejo amigo. Y entonces me doy
cuenta, no sin cierta tristeza, de que me he pasado la vida esperándola494.
En un sens, le narrateur est un homme qui partage des traits psychologiques avec Don
Quichotte de la Manche, car tous deux sont un peu fous. Dans ses déclarations et révélations,
il assure avoir été la source principale d’information du romancier polonais, Joseph Conrad,
pour recréer son roman Nostromo. Altamirano, le narrateur, dans Historia secreta de
Costaguana, raconte au juré, à nous les lecteurs et à sa fille unique Éloïse, l’histoire de sa vie
qui a suivi un cours parallèle à celle de la Colombie, à cette époque de guerre civile, de la
construction du canal interocéanique et de sa perte ultérieure due à la sécession de Panama
de la Colombie.
De la sorte, le roman se construit sur les rencontres fortuites entre le narrateur et le romancier
Joseph Conrad, sur la description de leurs vies privées qui mènent à l’exploration de divers
discours tant politiques que journalistiques qui rendent possible la contextualisation du fait
historique dans la fiction. Pour Semilla Durán, “Historia secreta de Costaguana est, sans
doute, la meilleure illustration qui soit de cette liberté de dénaturer l’histoire tout en lui
rendant les vérités dont d’autres discours, aussi infidèles mais davantage compromis, l’ont
dépossédée”495. En vertu de cela, les stratégies discursives exposées par le narrateur pour
dénoncer l’usurpation ou le plagiat, invitent le lecteur complice et témoin à participer à sa
rédemption comme romancier. Dans ce cas, la nécessité d’une nouvelle version explicative
494 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p.13 495 María Angélica Semilla Durán, “Le récit cannibale: Historia secreta de Costaguana de Juan Gabriel
Vásquez”, loc. cit., p. 150.
221
et corrigée par le narrateur Altamirano dans Historia secreta de Costaguana, autour de
l’histoire fournie par feu Joseph Conrad, qu’il estimait, l’avait éliminé de sa fiction dans
Nostromo.
Il s’ensuit que Historia secreta de Costaguana est l’hypertexte de Nostromo, édifiée à partir
de témoignages, de discours et de la nécessité du narrateur de donner sa version sur sa vie et
celle de sa famille. C’est ainsi qu’au travers du discours épistolaire et d’autres discours, tels
que l’historiographique et le journalistique, Altamirano reconstruit le personnage de sa mère,
Antonia de Narváez, et de son père, Miguel Altamirano; ainsi que sa vie elle-même et celle
de son pays, à partir de l’écriture et de la lecture de son nouveau récit. Dans cette même
perspective, Semilla Durán spécifie ce qui suit:
Le même mécanisme s’enclenche par rapport à la lecture: José Altamirano lit Nostromo pour se lire et
il ne s’y retrouve pas; il écrit alors la version qu’il considère plus proche de la vérité et qui a été
occultée; et en nous offrant ce deuxième récit, il nous renvoie, nous narrataires à une nouvelle lecture
de Nostromo, qui ne sera plus semblable à la première496.
Il faut souligner que parmi les caractéristiques propres du nouveau récit, on observe l’art de
la spéculation et de la distorsion, en particulier de l’histoire officielle du pays. Y sont
divulgués les détails de certains des évènements qui ont entraîné la perte du canal
interocéanique, ainsi que sa construction et les difficultés de ce grand projet d’ingénierie
ouvert sur le monde. Par exemple, Altamirano, le narrateur, se remémore la perte d’un
nombre significatif de victimes lors de la construction d’une ligne ferroviaire pour unir les
deux océans, l’Atlantique et le Pacifique. On estime que, lors de sa construction, sont morts
des milliers de manœuvres venus chercher fortune de divers horizons, mais les maladies
tropicales aidant, beaucoup d’entre eux n’allaient jamais réaliser leurs rêves. Dans ce cas, on
spécule et on dénature l’histoire en se référant aux activités illicites sur la destination des
cadavres. Beaucoup furent envoyés dans des barils de glace aux écoles de médecine pour les
pratiques étudiantes. Vásquez reprend ces histoires et donne la parole aux morts, en
fournissant des pistes au lecteur sur la situation réelle des constructions:
496 Ibid., p. 153
222
Yo, dice el chino de piel ya casi azul y olor ya casi insoportable, yo que en vida he construido el
Ferrocarril de Panamá, muerto, ayudaré a financiarlo, igual que los otros nueve mil novecientos
noventa y ocho obreros muertos, chinos, negros e irlandeses, que ahora mismo visitan las universidades
y los hospitales del mundo497.
L’auteur, par le truchement de ces voix narratives, permet au lecteur de connaître une autre
réalité de l’histoire. Est dénoncé le trafic de cadavres, affaire qui s’est avérée fort lucrative
pour ceux qui disposaient des contacts pour les éliminer et les commercialiser. Il est spéculé
sur leurs morts, sur leurs sentiments, leurs expériences, leurs histoires pleines de tragédies
personnelles, en recourant aux vois narratives des morts, ressource également employée par
Rulfo dans son roman Pedro Páramo.
D’autre part, Pérez Triana qui allait être Président de la Colombie, personnage fictionnalisé
dans le roman HSC, a été protagoniste des grands scandales de l’histoire officielle
colombienne, connu sous le nom de “Petit Panama”. Cet épisode qui a eu lieu entre 1892 et
1893 a impliqué des personnalités liées à la construction du Canal, dont les stéréotypes
apparaissent aussi dans le roman de Vásquez. Nous soulignons que Pérez Triana a participé
aux négociations pour convaincre les gens de continuer à investir dans le Canal et, ainsi,
stopper la faillite de la compagnie française. Cette affaire a abouti à l’arrestation de Ferdinand
de Lesseps, entrepreneur français chargé de mener à bien cette œuvre d’ingénierie
ambitieuse. Dans le roman, Vásquez recrée ce même épisode pour récupérer certaines
versions laissées de côté, et peut-être contradictoires, de cet évènement. Ainsi, au travers du
discours romanesque, il est possible de percevoir des versions rénovées, soit pour éclaircir,
manipuler ou imposer de nouvelles interprétations et hypothèses, au moyen de la narration
d’histoires plus privées et secrètes. Nous citons Vásquez:
En Londres, el Economist hacía esta acusación absurda: “Si el Canal no avanza, y si los franceses no
se han percatado antes del monstruoso engaño de que han sido víctimas, es porque Mr. Lesseps y la
Compañía del Canal han invertido más dinero en comprar periodistas que excavadoras, más en
sobornos que en ingenieros498.
La présence de Lesseps dans le roman permet à l’auteur de partir d’évènements propres à
l’histoire nationale, qu’il replace dans la fiction à partir de la dénonciation de nouvelles
497 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., pp. 26-27 498 Ibid., p. 168
223
révélations et des éclaircissements apportés à des histoires vécues, présentes dans le récit.
Par exemple, le romancier spécule sur la vie de l’entrepreneur français, sur son séjour en
Colombie et sur les discours pour mener à son terme le projet Salgar-Wyse, signé en 1978.
Il consistait en une autorisation accordée au gouvernement français, conduit par l’Ingénieur
Lucien Napoléon Bonaparte Wyse (1845-1909), pour explorer et déterminer la concession
de l’itinéraire de construction du canal interocéanique de Panamá, en territoire colombien,
puisque “l’ouverture du Canal de Panamá donnera un essor considérable à cette ville, qui
partagera avec Nantes le profit de la nouvelle voie commerciale”499. En conséquence, le
romancier reprend quelques-unes des périodes importantes de la vie de Lesseps, connexe à
la réalisation du grand projet d’Ingénierie, ressuscitant des aspects historiques de sa carrière
et de son engagement pour collecter les fonds servant à la réalisation de l’œuvre.
C’est ainsi qu’on peut considérer que Vásquez, à partir de sa recherche sur cet évènement
historique et la lecture de l’hypotexte Nostromo, crée une nouvelle fiction, dénaturée dès sa
conception, autour des débuts de la construction du Canal interocéanique, qui lui permet de
détailler la description de la main-d’œuvre qualifiée, les conditions de travail des ouvriers,
les rebellions politiques des deux gouvernements, colombien et français, entre autres aspects
correspondant aux intérêts littéraires de l’auteur. Pour procéder à l’écriture biaisée de
l’évènement, le créateur a recours au témoignage présenté par le narrateur, José Altamirano,
qui assure avoir du pouvoir sur le récit, “aquí les hablaré de asesinatos inverosímiles y de
ahorcamientos impredecibles, de elegantes declaraciones de guerra y desaliñados acuerdos
de paz, de incendios y de inundaciones y de barcos intrigantes y trenes conspiradores…”500,
et qui, à son tour, a recours à d’autres genres et discours narratifs, journalistiques et
épistolaires pour aller dans les détails de la réalité panaméenne. En ce sens, il est possible de
connaître le fait historique selon les divers points de vue et rôles des personnages. Parmi eux,
figurent des personnalités nationales et étrangères, des journalistes et des romanciers, des
ingénieurs et investisseurs qui éclairent l’existence de ces versions et reconstructions de
l’évènement, de la cartographie du lieu et autres perceptions propres aux personnages.
499 Discours de M. Ramón Goenaga. Consul de Colombie. “Retour de M. Ferdinand de Lesseps ”. Saint-Nazaire.
Imprimerie Fronteau. Rue de l’hôtel de Ville, 1886. 500 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p.14
224
Il convient de signaler que le narrrateur, Altamirano, informe les lecteurs et sa fille Éloïse de
la transcendance de son récit et de sa non-appartenance au réalisme magique, pour fournir
des pistes de lecture intertextuelles comme celle de Pedro Páramo et de Cien años de
soledad: “Tranquilízate, querida Eloísa: éste no es uno de esos libros donde los muertos
hablan, ni las mujeres hermosas suben al cielo, ni los curas se levantan del suelo al tomar un
brebaje caliente”501. De même, les particularités de l’intromission et de l’indiscrétion de la
part du narrateur, font du texte un jeu discursif qui favorise sa proposition artistique
d’apporter des distorsions à l’histoire pour recréer le passé de manière vraisemblable et
ingénieuse. C’est ainsi que s’établit entre le narrateur, le lecteur, le juré et sa fille Éloïse, un
pacte de lecture conforme à ses convenances, qui narre des histoires privées ancrées dans
l’histoire d’un pays en déliquescence. Dans cette approche, les faits sont rotatoires car ils
sont fournis au fur et à mesure qu’avance ou recule le récit, pour ainsi expliquer et
comprendre leur vie, celle de leur famille et, en conséquence, celle d’un pays en construction.
A ce sujet, Montoya affirme que “si el lector acepta estas reglas, y si quiere saber qué pasa
en la novela, es menester aceptarlas, su lectura estará afincada en lo que podría llamarse una
experiencia de la historia distorsionada por la literatura”502. Par conséquent, ce narrateur doté
d’un grand nombre de références historiques, à partir de son témoignage permet aux lecteurs
d’accéder à son bagage intellectuel et fictif pour recréer le discours à leur gré et présenter des
détails de l’époque des débuts des travaux d’ingénierie du Canal de Panamá. Selon les mots
du romancier, “la idea de que toda historia es ficción ha permitido a la ficción ganar una
libertad inédita: la libertad de distorsionar la historia”503.
Pour expliquer ce qui précède, le personnage d’Altamirano signale ouvertement une série
d’artifices narratifs par lesquels il invite constamment les lecteurs à être parties prenantes de
son récit. De même, il leur demande “de la patience” pour la lecture, la compréhension et la
rémission de ses actes dans la suite de son récit:
501 Ibid., p.24 502 Pablo Montoya. Novela histórica en Colombia 1988-2008. Entre la pompa y el fracaso, op. cit., pp. 82-83. 503 Juan Gabriel Vásquez. “El arte de la distorsión (y otros ensayos)”, op. cit., p. 41
225
Lectores: tengan paciencia. No quieran saberlo todo desde el principio, no investiguen, no pregunten,
que este narrador, como un buen padre de familia, irá proveyendo lo necesario a medida que avance
el relato…En otras palabras; déjenlo todo en mis manos. Yo decidiré cuándo y cómo cuento lo que
quiero contar, cuándo oculto, cuándo revelo, cuándo me pierdo en los recovecos de mi memoria por
el mero placer de hacerlo504.
Il s’ensuit que bien souvent le narrateur manifeste sa liberté pour conter l’histoire,
conformément à ses préoccupations et à ses besoins. Il a la conviction et la connaissance de
faits d’intérêt public et donne des informations sur son style narratif. De même, il avertit le
lecteur de la patience qu’il doit avoir pour aborder son témoignage, sans hâte et avec calme.
On considère qu’il est un bon père de famille et que ses enfants, les lecteurs, et Éloïse, sont
conditionnés par la version de cette histoire. Le narrateur croit avoir le droit de présenter et
d’omettre des informations, et il exprime le désir de vouloir les dénaturer et manipuler à sa
convenance.
Une autre ressource employée par Vásquez dans Historia secreta de Costaguana est le roman
dans le roman, construction narrative utilisée aussi par Cortazar dans son récit “Continuidad
de los parques”505. Vásquez procède à la mise en abyme, en spéculant sur l’élaboration de
l’histoire de Nostromo, sur ses sources, l’écriture et la publication de cette histoire. Le
personnage d’Altamirano se rend chez Conrad, l’écrivain, ce dernier étant aussi un
personnage dans l’histoire, et l’informe de sa grande omission, car il n’a pas été inclus dans
son roman. Il prétend que le romancier polonais l’a éliminé de sa propre vie dans la fiction
de Nostromo. En ce sens, Altamirano lui communique son désarroi et lui dit que l’histoire
publiée dans l’exemplaire du Weekly est incompatible avec l’histoire de sa vie. “Era cierto.
En la República de Costaguana, José Altamirano no existía”506. À partir de ce moment-là,
Altamirano a sentí qu’ils avaient trahi sa confiance, car une bonne partie de Nostromo,
affirme le narrateur, correspond à ce qu’il avait conté au romancier polonais.
Toutefois, ce dernier n’avait pas fait mention de son existence, il avait omis de reconnaître
son personnage dans la fiction. En outre, il faut signaler, selon les dires d’Altamirano, qu’il
504 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p.14 505 Julio Cortázar. “Continuidad de los parques”. Cuentos completos/1. Final del juego. Bogotá: Distribuidora
y Editora Aguilar, Altea, Taurus, Alfaguara, SA, 2008, pp. 391-392. 506 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p.286
226
est la source principale de ce récit, mais le romancier polonais n’a pas hésité à ignorer son
identité, comme apporteur de matériel inédit pour sa création littéraire.
Nous citons Altamirano:
«Usted», dije, «me debe una explicación”.
Saqué de mi bolsillo el ejemplar del Weekly. “Esto es falso. Esto no es lo que le conté”.
“Esto, querido señor, es una novela”.
“No, es mi historia. No, es la historia de mi país”.
“Claro que no”, dijo Conrad. “Es la historia de mi país. Es la historia de Costaguana507.
Ainsi, divers écrivains ont créé des mondes possibles, des pays, villes, villages qui n’existent
que dans la fiction et qui ont été choisis pour recréer leurs histoires. Tels sont les cas de
Costaguana de Conrad, de Macondo de García Márquez, de Comala de Rulfo, du País de
las maravillas de Carroll, de Narnia de Lewis, de Mordor de Tolkien, pour ne citer qu’eux.
Dans cette optique, le terme de Nostromo, par exemple, a aussi été utilisé pour se référer à
d’autres domaines et lieux, comme dans le cas du discours cinématographique. Ce terme a
été repris par le directeur et producteur de cinéma britannique, Ridley Scott, pour y situer ses
films de science-fiction sur les aliens et autres voyages intergalactiques. À signaler, le film
de terreur, Alien, el octavo pasajero, sorti en 1979, dont le navire spatial s’appelait
“Nostromo”, nom emprunté à l’œuvre homonyme, du fait de l’admiration du cinéaste pour
le romancier polonais. De même, le cinéaste, en se basant sur le récit de Conrad, a produit
aussi Los duelistas, sorti en 1977 et primé, cette année-là, au festival de Cannes. Dans ce
contexte, d’autres auteurs, comme Gabriel García Márquez, dans El amor en los tiempos del
cólera, ont fait allusion à la vie de Joseph Conrad pour recréer un épisode, pas totalement
transparent, de sa vie de marin. On y a spéculé sur son éventuelle participation au trafic
d’armes illégal; cet épisode est référencé dans La Justicia, journal du soir dans le roman de
García Márquez qui exposait les secrets des familles fortunées sans qu’importe le statut des
victimes et les dommages causés par la publication de l’information. Une de ces révélations
a atteint le père de Fermina Daza, Lorenzo Daza, tous deux membres des familles les plus
respectables et prestigieuses de la province, causant des dommages irréparables dans la vie
des personnages:
507 Ibid., p. 285
227
Contaba que durante una de las tantas guerras civiles del siglo anterior, Lorenzo Daza había sido
intermediario entre el gobierno del presidente liberal Aquileo Parra y un tal Josep K. Korzeniowski,
polaco de origen, que estuvo demorado aquí varios meses en la tripulación del mercante Saint Antoine,
de bandera francesa, tratando de definir un confuso negocio de armas. Korzeniowski que más tarde se
haría celebre en el mundo con el nombre de Joseph Conrad hizo contacto no se sabía cómo con Lorenzo
Daza, quien le compró el cargamento de armas por cuenta del gobierno, con sus credenciales y sus
recibos en regla, y pagado en oro de ley. Según la versión del periódico, Lorenzo Daza dio por
desaparecidas las armas en un asalto improbable, y las volvió a vender por el doble de su precio real a
los conservadores en guerra contra el gobierno508.
En résumé, l’art de la spéculation et de la distorsion du romancier dans Historia secreta de
Costaguana a conduit le narrateur Altamirano à révéler d’autres réalités possibles, tant
officielles que non officielles, de l’histoire colombienne. De même, les pactes de lecture
existant dans la fiction engendrent de nouvelles perceptions chez le lecteur, en fonction de
son bagage littéraire, historique et politique. Ceci a conduit les lecteurs, en général, à lire
différemment le roman, ainsi que le déclare l’écrivain dans sa proposition de lecture, dans El
arte de la distorsión. Ceci, afin d’enrichir, d’altérer et/ou de transformer les histoires
fictionnelles au travers d’expériences propres ou d’expériences d’autrui, puisque la
revalidation du discours historiographique par la littérature a permis des spéculations et,
ainsi, d’agencer de nouveaux récits qui ont contribué à éclairer divers épisodes historiques
inconnus ou non encore résolus.
508 Gabriel García Márquez. El amor en los tiempos del cólera. Bogotá: Grupo Editorial Norma, 2012, p. 376.
228
III.1.2 La condition humaine face à la mimesis de la réalité dans la fiction
El hombre se ha transformado a sí mismo en un bien común de consumo,
y siente su vida como un capital que debe ser invertido provechosamente;
si lo logra, habrá “triunfado” y su vida tendrá sentido; de lo contrario
será un “fracasado”. Su “valor” reside en el precio que puede obtener
por sus servicios, no en sus cualidades de amor y razón ni en su
capacidad artística. De allí que el sentimiento que tiene de su propio valor dependa de factores externos y que sentirse un triunfador esté sujeto
al juicio de otros.
Erich Fromm
Ce chapitre souligne la manière dont Juan Gabriel Vásquez se penche sur certains
évènements traumatiques, individuels et collectifs de l’histoire de la Colombie. Il suit
également le déroulement de vies privées et publiques afin d’atteindre des espaces
inaccessibles à d’autres formes d’expressions. Il montre ainsi son intérêt littéraire en
enregistrant des mémoires intimes et imparfaites qui ressurgissent dans son œuvre pour
aborder le présent depuis un passé ancré dans la violence, le narcotrafic, les souvenirs
d’enfance et les aspects dynamisants des situations évoquées au cours de ses récits.
De cette façon, son exploration constante de l’écriture le pousse à aborder diverses techniques
littéraires pour révéler son jugement sur l’histoire colombienne, mais aussi sur les
transformations de l’homme tout au long de celle-ci, ses projections, ses sentiments et ses
actions sociales ayant eu une incidence sur la construction de l’histoire. Le réseau de
complicités, la récupération et l’exaltation des mémoires intimes, affectives, sensorielles et
psychologiques, ainsi que les manifestations de trahison et de réparation conduisent à de
nouveaux témoignages des personnages étendant, de par le fait, l’univers littéraire de la
violence colombienne à travers le temps et, plus particulièrement, dans les années1970 qui
ont vu naitre l’auteur. Appuyant cette idée, Juan Gabriel Vásquez déclare:
La novela que he perseguido desde el principio, o desde lo que yo llamo el principio, es la que
pone aprueba una visión del realidad en que el hombre ha caído en desgracia por culpa de fuerzas
que no domina ni entiende, y que le llegan del mundo público o político. Lo que eran los dioses
o el destino para los griegos, para mí es la historia: la gigantesca e inefable maquinaria de hechos,
causalidades y casualidades, conspiraciones y accidentes, voluntades y oscuros azares que dan
forma a nuestras vidas, las limitan y las impulsan, y nos resultan incomprensibles, impredecibles
e incontrolables509.
509 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 58.
229
De cette perspective, Vásquez explore “lo humano como problema, como enigma, como
misterio; lo humano como zona ignota, inexplorada, desconocida”510 et approfondit ces
expériences basées sur des témoignages et relatives à un passé collectif, pour la construction
de ces récits. De cette façon, il leur donne vie à partir de l’intimité de ses personnages en
imitant la condition humaine et les situations qui déterminent leur façon d’agir au fil de la
narration. Une telle représentation mimétique permet aux lecteurs de reconstruire les vies et
les environnements possibles grâce à des traits et des destins similaires comme le sont, par
exemple, les expériences vécues par les victimes et les bourreaux lors de la guerre liée au
narcotrafic en Colombie dans les années 90. Ainsi, la construction de la vie, en se basant sur
la violence, renvoie à un examen minutieux du devenir humain dans l’histoire du pays avec
toutes les incidences que cela implique: des secrets, des illusions, des souffrances et des
adversités.
Sur cette base, l’idée du Erich Fromm confirme le réseau symbolique construit par Vásquez
pour utiliser comme une équivalence la condition humaine afin de représenter la vie fictive
de ses personnages littéraires. En effet, ceux-ci sont constamment à la recherche de réponses
sur le sens de la vie et son évolution pour apprendre et appréhender plus facilement les défis
se présentant à eux. Le penseur souligne que pour parvenir à la condition d’individu
socialement accepté, ce dernier doit se développer pleinement selon ses capacités ;
cependant, il est parfois décrit comme un sujet qui ne se connait pas complètement et, par
conséquent, nécessite apprendre à se reconnaitre lui-même et à différencier autrui:
No hay duda de que el deseo de conocer a nuestros semejantes y a nosotros mismos corresponde
a una profunda necesidad del ser humano. El hombre vive dentro de un contexto social. Necesita
estar relacionado con sus semejantes, pues de lo contrario enloquecería. El hombre está dotado
de razón e imaginación. Su semejante y él mismo constituyen un problema cuya solución no
puede dejar de buscar, un secreto cuyo descubrimiento debe intentar.511
En ce sens, grâce à son inventivité et à sa capacité d’utiliser le langage, l’homme peut établir
et faire face à une infinité de situations communicatives afin d’associer divers contextes dans
lesquels il se voit immerger. Cela l’oblige à reconnaitre et à répondre aux possibles
510 Ibid., p. 27. 511 Erich Fromm. La condición humana actual y otros temas de la vida contemporánea. Barcelona: Ediciones
Paidós Ibérica, 1981, p. 120.
230
interactions existantes au cours de l’acte de communication. Il peut ainsi se voir représenter
dans d’autres personnes en fonction de ses activités, préoccupations, peurs, expériences,
intérêts ou idéaux de la même façon dont le lecteur peut s’identifier dans certains personnages
selon sa perception et ses nécessités. Cela conduit à diverses interprétations sur des
évènements qui tirent parfois leur origine d’un héritage historique qui tente d’être
compréhensible et remémoré par le lecteur pour venir ainsi s’ajouter au plaisir littéraire.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le lecteur peut s’identifier avec les histoires lues, ce
qui, en utilisant les termes de Ricœur, se nomme une identité narrative512. Cette identité est
obtenue à partir de lecture des textes avec lesquels des liens sont établis, qu’ils soient d’ordre
social, idéologique, religieux, politique ou artistique, entre autres. Cette connexion se forge
peu à peu au fil de la lecture lorsqu’apparaissent les activités mimétiques exposées dans les
récits. Il doit être souligné que l’identité narrative est changeante, selon les relations
d’association établies par l’auteur avec d’autres œuvres, donnant ainsi lieu à d’autres
interprétations et estimations du monde narré. Comme l’exprime le philosophe français:
Il consiste dans la relation d’événements réels ou imaginaires; dans la culture écrite, ce récit est
identique au texte narratif. Cet énoncé narratif, à son tour, a une double relation. D’une part,
l’énoncé a rapport à l’objet du récit, à savoir les événements racontés, qu’ils soient fictifs ou réels:
c’est ce qu’on appelle ordinairement l’histoire “racontée”; en un sens voisin, on peut appeler
diégétique l’univers dans lequel l’histoire advient513 .
Par conséquent, parler d’identité amène, selon Ricœur, à aborder la trame des récits et de ses
personnages plongés dans la recherche d’eux-mêmes par le biais de la lecture. C’est de là
que les personnages sont reconfigurés au fil du récit par l’auteur grâce à des caractéristiques
humaines et leurs comportements réinterprétés par le lecteur. Dans cette mesure, nous
pouvons affirmer que l’héritage narratif de Juan Gabriel Vásquez redéfinit la société
colombienne, son histoire politique et sociale, mais aussi les contextes où se déroulent son
512 “L'identité narrative fait tenir ensemble les deux bouts de la chaîne: la permanence dans le temps du caractère
et le maintien de soi. Mais parce qu'elle permet plusieurs récits ainsi que leur restructuration permanente, elle
n'est donc jamais parfaitement définitive, et de ce fait, elle permet d'enrichir la compréhension ordinaire de la
personne désormais conçue comme un personnage qui lutte narrativement contre l'éparpillement de ses propres
expériences vécues”. Paul Ricœur. Temps et récit. La configuration dans le récit de fiction. Paris: Éditions du
Seuil, 1984. 513 Ibid., p. 152.
231
œuvre littéraire, fin du XXème et début XIXème siècle et, plus spécialement, lors des
décennies 40, 70 et 90. Cette exaltation de l’écriture fictionnelle de l’auteur est mise en
lumière par le besoin constant d’aborder les évènements historiques afin de les reconstruire,
de comprendre et d’accéder à la mimesis de réalités, au monde des perceptions, aux
représentations des sujets depuis diverses perspectives: selon le rôle assigné, les contextes
des différentes situations et les discours fictionnels où évoluent les personnages. Pour Juan
Gabriel Vásquez, cet héritage est associé à la capacité de modeler des moments magiques,
lors desquels l’auteur et le lecteur “logran habitar la piel de un personaje que le resulta
lejano ”514. Tous deux deviennent intimes avec le personnage, créant ainsi une profonde
sympathie pour sa vie, ses expériences, ses contextes, ses conflits et son utilisation de la
langue.
En partant de ce point de vue, il devient possible de soutenir l’idée qui assimile l’homme à
un être changeant, mimétique et harmonisé avec la doctrine du scepticisme515, étant donné la
capacité humaine à douter de tout et de tous, car la vérité absolue est inaccessible et
incompréhensible pour l’humanité. Ainsi, l’auteur se convertit en un grand observateur qui,
à partir des lacunes historiques, imagine des environnements, des identités et des réalités
inexistantes pour les doter de sens et de signification. Conformément à cette perspective,
diverses disciplines humanistes, telles que la psychologie, la philosophie, la linguistique ainsi
que d’autres, étudient la fiction en l’abordant de distincts angles interprétatifs.
L’antérieur confirme l’expérience de l’écrivain de romans, Garrido Dominguez, qui assure
que le discours romanesque, “hay que tratar de leerlo, no como novela, sino como si fuera un
relato de hechos reales ”516. Cela est dû au contexte des narrations tirées des expériences
propres et étrangères de l’auteur, ainsi que des relations intertextuelles avec d’autres œuvres
littéraires ou non, mais qui captées au cœur du texte, déterminent l’interprétation et la
514 Juan Gabriel Vásquez. “Escribir en la oscuridad”. El Espectador, [en ligne], 6 octobre 2011. Disponible sur:
https://www.elespectador.com/opinion/escribir-en-la-oscuridad-columna-304046 (consulté le 30 avril 2018). 515 Selon la DRAE, le terme scepticisme fait référence à la suspicion ou au doute face à la véracité de certains
faits ou évènements, une pensée qui correspond aussi à la doctrine suivie par divers philosophes qui affirment
que “la verdad no existe, o que, si existe, el hombre es incapaz de conocerla”. Diccionario de la Real Academia
de la Lengua Española, [en ligne], version actualisée en 2017. Disponible sur: http://dle.rae.es/?id=GDlmBBp
(consulté le 30 avril 2018). 516 Antonio Garrido Domínguez. Narración y ficción, op. cit., p. 11.
232
compréhension du lecteur. Sur ce thème, Aristóteles, dans la Poética, théorise trois concepts
importants autour de la construction des récits pour la conception et la reconstruction de la
réalisation artistique et littéraire: La poiesis, la mímesis et la catarsis.
Dans cette œuvre, Aristóteles signale que “el primero se refiere al momento de concepción
del hecho poético, el segundo concierne a su elaboración, mientras que la catarsis se refiere
al producto o resultado de dicho proceso”517. Nous pouvons alors percevoir que ces concepts
correspondent aux étapes ou aux moments traversés par tout écrivain lors de la construction
d’un récit. Ainsi, l’art d’imiter est assimilé à la représentation des objets, des contextes et des
personnes dont la place ou l’existence ont joué un rôle dans un temps et un espace déterminé
en faisant appel aux lois de probabilité, de plausibilité et de réfraction. L’auteur affirme, par
exemple, que pour la construction de sa narration, il est nécessaire de:
Observar un mapa, el mapa de un territorio que nunca ha sido explorado, y dirigirse a él para
llenar esos espacios en blanco con los resultados de su exploración. El mapa en blanco es el de la
condición humana, ese continente misterioso que la novela ha ido descubriendo, iluminando, con
cada una de sus conquistas, y nosotros, los lectores de novelas, vamos a bordo de esa nave518.
Cette citation permet de noter que l’écrivain fait généralement appel au concept de mimesis
planté par Aristóteles. Ici, l’auteur réfléchit sur l’esthétique littéraire et les arts imitatifs,
lesquels permettent d’afficher et d’exalter des comportements spécifiques depuis la
complexité même de l’être humain, de ses habitudes, croyances, valeurs et idéologies ainsi
que des possibles déviances du comportement humain telles que l’immoralité, l’envie, les
apparences, le mensonge et les intérêts individualistes.
En effet, dans Las reputaciones, les personnages mettent en évidence “las complejas
relaciones entre el poder y los medios de comunicación”519, mais aussi, la fragilité de la
mémoire afin d’appréhender le passé face au présent. Ainsi, dans l’ambiance romanesque, ce
ne sont pas seulement les préoccupations, les peurs, les expériences et les sentiments propres
à la condition humaine qui sont proposés au lecteur, sinon l’amplification de possibles
517 Aristote. Poética. Buenos Aires: Grafifco, 2007 518 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., 21. 519 Voir http://m.elcolombiano.com/colombiano_juan_gabriel_Vásquez_gana_el_premio_rae-PFEC_313693
(consulté le 2 mai 2018)
233
réalités, lesquelles sont sublimées sous le prisme de l’écrivain. À titre d’exemple, ces réalités
étaient ancrées aux sentiments de vulnérabilité de Mallarino, qui se trouvait à un moment
décisif de sa vie où il évaluait ses actions et ses réussites, mais aussi ses échecs survenus au
cours de ces quarante ans comme caricaturiste ; toutefois, “la erosión de su memoria reflejada
en la memoria de la ciudad,”520 le conduisit à douter des observations et même du vécu. Dans
son être, de nouveaux sentiments émergèrent et remirent en question ses souvenirs lorsqu’une
amie d’enfance de sa fille ainée, Samanta Leal, lui rendit visite:
Le pedía urgentemente que recordara a esa niña y su visita a la casa de la montaña en julio de
1982, y no sólo eso, sino que le pedía también recordar las circunstancias de esa visita ya remota,
los nombres y las señas particulares de quienes estaban presentes esa tarde, todo lo que Mallarino
vio y escuchó pero también (si era posible) lo que los demás vieron y escucharon521.
Cette réflexion sur la reconstruction de ses souvenirs l’obligea à se remémorer un incident
survenu vingt-huit ans auparavant et à en déduire les raisons qui l’avaient poussé à le
réprimer. Concomitamment, il découvrit un passé transformé, entouré de mystères et
d’incertitudes. Cette situation lui permit d’en conclure que le passé, loin d’être statique, est
modifiable ; des regrets sur son travail de caricaturiste surgirent alors pour être considéré
comme un artiste par la société, “la conciencia crítica del país”522, ce qui le conduisit à
prendre des décisions non préméditées:
Por medio de la presente (así se dice, ¿no es verdad?, para que quede formal y bonito, a mí me
gustan las cosas bien presentadas) quiero notificar a usted mi renuncia incondicional (es un poco
dramático, ya sé, pero así es, qué le vamos a hacer) al periódico que usted, con tan buena fortuna,
ha dirigido durante los últimos años (menos de los que llevo yo pintando monos, todo hay que
decirlo). Tomo la decisión después de largas e intensa consultas con mi almohada y con otras
autoridades, y me apresuro a subrayar que mi decisión, además de incondicional, es irrevocable, inapelable y todas esas palabras tan largas. Así que ni se gaste, hermano, que no saca nada con
insistir523.
À ce sujet, Vásquez indique que la construction de ces romans prend sa source de
spéculations, de possibilités, de mauvaises interprétations et de transformations de faits déjà
connus ou lus, mais aussi de l’inconnu dans la contemplation de la vie humaine. En ce sens,
520 Juan Gabriel Vásquez. Las reputaciones, op. cit., 15. 521 Ibid., p. 57 522 Ibid., p. 40 523 Ibid., p. 138.
234
l’auteur affirme: “nuestra historia común está incompleta; y la verdadera historia, si es que
eso puede existir, ha sido reemplazada por las varias formas de la malversación y la mentira
con que los poderes han sembrado lo que hoy es nuestro presente”524. Ainsi, l’écrivain se
compromet à concevoir des histoires qui mènent à l’exploration de la vie humaine et tout ce
qui l’entoure pour, finalement, extraire de ces lieux mystérieux, lugubres et impénétrables,
la luminosité et le développement de la trame en s’appuyant sur diverses perspectives en
accord avec l’intérêt et les motivations de l’auteur. Ce concept serait associé aux premiers
instants de l’élaboration de l’œuvre selon Aristóteles.
Le second temps correspondrait à la compilation de l’information requise pour la
construction du récit et le développement de la trame. L’auteur considère que ce moment
constitue un processus difficile et donc que “el pacto de la ficción (por el cual los lectores
deciden creer en lo que leerán, incluso a sabiendas de que todo es una gran fabricación) es la
cosa más rara que existe”525. Certes, l’écriture d’une œuvre littéraire requiert une certaine
habileté de la part de l’auteur pour octroyer du sens aux fonctions du langage dans le récit et
donner vie aux personnages, aux environnements et aux phénomènes sociaux à travers la
fiction par le biais des mots. En effet, il est indispensable que l’écrivain se focalise sur les
activités et les expériences humaines, leurs transformations et leurs mystères pour réussir à
transcender le domaine littéraire. Pour la construction du personnage Mallarino, dans Las
reputaciones, Vásquez fait donc appel aux références établies des profils de cinq des
humoristes et caricaturistes politiques de Colombie, consignées dans la recherche réalisée
par Ronderos, 5 en humor. Corollairement, il témoigne que le roman “es el fruto de largas y
desprevenidas conversaciones con Vladdo y El Roto, un tipo conocido en las páginas de
opinión de la prensa española”526.
À propos des profils de ces figures publiques, Ronderos fournit l’explication suivante:
Todos ellos tienen en común el haberse metido con los temas más espinosos de la política criolla
524 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 85. 525 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p. 16. 526 Voir: Lucy Libreros. “Ser columnista me ha dejado bastantes enemigos”: Juan Gabriel Vásquez. El país, [en
ligne], 24 janvier 2014. Disponible sur: http://www.elpais.com.co/entretenimiento/cultura/ser-columnista-me-
ha-dejado-bastantes-enemigos-juan-gabriel-Vásquez.html (consulté le 3 mai 2018).
235
y haber caricaturizado a los protagonistas del poder colombiano con nombre y apellido. Se han
burlado de todos los presidentes de la República, de políticos, empresarios, artistas y militares,
de los más temibles jefes del narcotráfico, la guerrilla y el paramilitarismo, de sus colegas
periodistas y, por supuesto, también de sí mismos.527
Enfin, la réception de l’œuvre offre de nombreuses perspectives de la part des possibles
lecteurs selon leurs intérêts, leurs expériences et leurs besoins. Elle peut correspondre à une
imitation ou une transformation littéraire intentionnelle de l’auteur pouvant participer à la
construction et la reconstruction de réalités historiques. Pour que la réception soit complète,
les lecteurs doivent reconnaitre le contexte et l’interpréter en fonction de leur système de
valeurs et d’expérience esthétiques. À ce sujet, Jauss indique:
Or étudier l’expérience esthétique, selon Jauss, c’est chercher à reconnaître les types de
participation et d’identification requis para les œuvres littéraires : on retrouve ainsi la psychologie
contemporaine sur l’un des territoires où elle se donne droit de regard, mais tout aussi bien, l’on
retrouve la Poétique aristotélicienne, et l’un des problèmes majeurs qu’elle traitée et dont les psychologues se sont souvenus: la catharsis528.
Comme nous l’avons mentionné, le troisième moment met en évidence les objectifs proposés
par le romancier quant à la construction de son récit à travers la réception esthétique de
l’œuvre par les lecteurs. En ce sens, selon Iser, “la literatura es una experiencia y, aún más,
una experiencia no discontinua respecto de otras experiencias”529. Il est donc considéré que
la réalisation littéraire facilite au public le fait de posséder et de bénéficier d’expériences
subjectives, esthétiques et quotidiennes grâce à la singularité des narrations choisies lors de
la lecture.
Par conséquent, la réunion de ces trois moments dans l’élaboration des récits, la poiesis, la
mímesis et la catarsis, requiert un processus dynamique de la part de l’écrivain afin de recréer
des réalités passées, présentes et futures, ce qui suppose une connaissance spécifique des
sujets pour les représenter ainsi dans le domaine du possible et des contextes où ils se
tiennent. En ce sens, l’auteur ne conçoit pas seulement les évènements, sinon les identités
des personnages sur lesquels il base sa réflexion en offrant de nouvelles perspectives et
significations liées à la complexité de l’être humain, sa psychologie et ses histoires, aussi
527 Maria Teresa Ronderos. 5 en humor, op. cit., p.9. 528 Hans-Robert Jauss. Pour une esthétique de la réception, op. cit., p.21. 529 Wolfgang Iser. El acto de leer. Teoría del efecto estético, op. cit., p.72.
236
bien privées qu’officielles.
De cette manière, la conception pour la reconstruction de vies humaines et de leurs contextes
permet de mettre en lumière les nécessités de l’existence, les activités quotidiennes et les
diverses formes de communication et d’interaction existantes. Cela conduit les lecteurs à
profiter d’autres représentations, telles que la caricature d’un évènement, d’un personnage
ou d’un lieu en particulier. Ce point de vue pousse Juan Gabriel Vásquez à affirmer que
“leemos para dejar nuestra atención y nuestra conciencia en manos de alguien que las llevará
a buenos lugares, leemos para ser poseídos por la particular manera de conocer el mundo que
es una ficción literaria”530.
Face à ces affirmations, il devient nécessaire de souligner que la fiction s’avère être une
narration privilégiée inachevée au sein de laquelle sont perceptibles les consciences, la
jouissance des plaisirs corporels, les nécessités de la vie terrienne et la complexité présente
au cœur des diverses relations possibles qui sont abordées dans d’autres domaines tels que la
psychologie, la sociologie et la linguistique. À ce propos, du point de vue de la psychologie,
Fromm assure que “el carácter del hombre ha sido moldeado por las exigencias del mundo
que él creó con sus propias manos”531. Nous pouvons alors percevoir la profonde nécessité
de l’être humain de vouloir explorer les mystères de la condition humaine comme le sens de
la vie, les tristesses, la mort et les peurs, parmi d’autres. Ce besoin est donc étudié par
différentes disciplines telles que la littérature où convergent des thèmes et des intérêts divers
comme l’immortalité, la recherche d’autres dimensions et l’exploration de la vie dans le futur,
des sujets qui renvoient à la création de mondes possibles du point de vue de la fiction.
Dans le cas de l’univers narratif de Juan Gabriel Vásquez, des éléments récurrents se
démarquent dans la représentation de la condition humaine à travers des personnalités
diverses auxquelles sont associés des traits physiques et moraux en ce qui concerne l’art et
le métier de caricaturiste. Il en ressort des changements transcendantaux du sujet, lesquels
sont apparentés à l’évolution et la reconstruction de l’histoire du pays. Suivant cet ordre
530 Juan Gabriel Vásquez. El arte de la distorsión, op. cit., p. 23. 531 Erich Fromm. La condición humana actual, op. cit., p.10.
237
d’idées, ces caractéristiques aussi bien physiques que morales font allusion aux mémoires
liées aux histoires que vivent les personnages et leurs relations de pouvoir au sein de la
société.
C’est le cas de Javier Mallarino dans Las reputaciones, qui parvient, comme dessinateur
satirique, à extérioriser dans la physionomie de ses esquisses le dessin de profils politiques.
Ses interprétations d’évènements de la vie nationale ou intime des personnes caricaturées
deviennent alors ces images indispensables pour la société. Parmi ces personnalités se
trouvent notamment des présidents, des membres du congrès et des ministres ainsi que des
individus lambda découverts dans les informations. L’une d’elles s’avère être le congressiste
conservateur, Adolfo Cuellar, que Mallarino avait représenté à plusieurs occasions:
Al que había dibujado más de una vez en los últimos años y con cierta frecuencia de unos meses
para acá, al punto de conocer ya de memoria sus orejas grandes, las pecas infantiles de su cara y
la línea estricta de su pelo engominado. Su reputación lo había convertido en blanco de varios
ataques por parte de la prensa liberal532.
Ainsi, Mallarino était considéré dans la fiction comme “la conciencia de un país”533, car ses
impressions exagérées sur le personnage et/ou l’évènement attribuaient une réputation
positive ou négative en fonction des actions et des conduites observées. C’est ainsi que le
caricaturiste peut être considéré comme le témoin direct des évènements nationaux et
internationaux et il ne craint donc pas la censure lors de la présentation de ses esquisses et
les conséquences ou les représailles qu’elles peuvent engendrer. Pour illustrer l’antérieur, le
narrateur précise le point suivant concernant le personnage, Javier Mallarino:
Sus caricaturas políticas lo habían convertido en lo que era Rendón al comenzar la década de los
treinta: una autoridad moral para la mitad del país, el enemigo público número uno para la otra
mitad, y para todos un hombre capaz de causar la revocación de una ley, trastornar el fallo de un
magistrado, tumbar a un alcalde o amenazar gravemente la estabilidad de un ministerio, y eso
con las únicas armas del papel y la tinta china534.
C’est pour cela que la représentation de la condition humaine, dans ces univers fictionnels,
suscite des sentiments de vulnérabilité pour les victimes et les tortionnaires comme dans le
532 Juan Gabriel Vásquez. Las reputaciones, op. cit., p.68 533 Ibid., p. 50. 534Ibid., p. 16.
238
cas du congressiste Adolfo Cuéllar et du caricaturiste Mallarino. Le premier s’évertue à dire
au second que les dessins le caractérisant ne correspondent pas à la réputation qu’il s’attribue
lui-même face aux médias. Lors de leur seule rencontre, la victime s’est permis la remarque
suivante: “Mire, Javier, empezó a decir, yo lo quería conocer a usted, quería que nos
encontráramos, porque me parece que usted tiene una imagen, cómo decirlo, equivocada. De
mí, claro. Una imagen equivocada de mí”535. Mallarino mit à profit la condition de victime
du politicien pour le rabaisser un peu plus:
Pues bien, ahora resultaba que Cuéllar no había venido a exigir la suspensión inmediata de esos
dibujos agresivos, sino a humillarse todavía más ante su agresor. Es un adulto, pensaba Mallarino,
es un hombre adulto y lo he humillado, tiene esposa y tiene hijos y lo he ridiculizado, y el hombre
adulto no se defiende, el padre de familia no responde con golpes parejos, sino que se humilla
más todavía, todavía más busca el ridículo. Mallarino se desubrió sintiendo una emoción confusa
que iba más allá del mero desprecio, algo que no era irritación ni molestia sino que se parecía
peligrosamente al odio, y se alarmó al sentirla536.
Pour cette raison, nous pouvons affirmer que, dans son œuvre narrative, Juan Gabriel
Vásquez s’attarde particulièrement sur certains hommes socialement puissants ; toutefois, ces
derniers sont parfois déstabilisés aussi bien émotionnellement que moralement. Ainsi, au
cours du récit, les personnages Cuellar et Mallarino, seuls ou avec d’autres, se livrent à
l’évaluation de leur propre vie et de leurs actions comme si des forces divines ou des mondes
parallèles les conduisaient à prendre de bonnes ou de mauvaises décisions.
C’est le cas du personnage Mallarino qui, après plusieurs décennies de labeur comme
caricaturiste, doute d’un évènement passé ayant transformé la vie de famille d’un
congressiste conservateur reconnu, Adolfo Cuéllar qu’il accuse de pédophilie. En
conséquence, la caricature ébauchée sur cet évènement pousse cet homme au suicide. En ce
sens, selon Benmiloud, “La caricature est alors une arme mortelle: avec elle, le couperet
tombe, et la tête du condamné va passer de main en main (à travers la circulation des
journaux), et rouler jusqu’à tomber dans la sciure”537. Il devient donc important de souligner
que, comme êtres sociaux, la recherche d’acceptation d’un groupe particulier pousse parfois
535Ibid., p.71. 536Ibid., p.72. 537 Karim Benmiloud. “Portraits du caricaturiste dans Las reputaciones de Juan Gabriel Vásquez”, loc. cit.,
p.276.
239
à prendre des décisions erronées qui amènent, non seulement, à se blesser soi-même, mais
aussi ses proches.
De là provient la nécessité de reconstruire les faits passés ainsi que d’autres épisodes ayant
transcendé la vie de personnages comme celle de Samanta Leal, qui fut prétendument la
victime pour ce cas précis. Le but de cette étape est de connaitre la vérité sur les évènements
afin de procurer le repos à son esprit. Par conséquent, grâce à ces témoignages réels, Juan
Gabriel Vásquez extériorise et explore ces réalités fragmentées qui exposent de nouvelles
perceptions sur la vulnérabilité de la condition humaine, de ses conflits et de ses expériences
associés à la société dans son ensemble.
Ainsi, au fil de la narration, l’auteur décrit des personnages psychologiquement semblables
ou dont la pensée, les actions et les comportements représentent, de manière intentionnelle,
des individus publics de la société colombienne. C’est le cas de Javier Mallarino dans Las
reputaciones qui est considéré comme l’alter ego de Ricardo Rendón (1894-1931). Ses
habilités pour enregistrer iconographiquement les évènements d’intérêt national et
international et dresser le portrait de personnalités conduisent à la mímesis de la réalité d’un
pays fragmenté qui cherche à dénoncer les irrégularités ou à exposer publiquement ses
représentants politiquement ou socialement.
Pour conclure, il est important de souligner que la construction de ces versions esthétiques
permet de partager des perceptions et de décrire des émotions avec lesquelles les lecteurs
peuvent s’identifier. À cette fin, l’auteur fait constamment appel à la reconstruction de la
mémoire qui, manifeste dans la représentation des personnages, facilite au lecteur l’accès à
la connaissance de sa diversité et de sa signification sociale.
240
III.2 L’auteur face à l’histoire et à la mémoire historique
III.2.1 Les personnages de l’auteur et du lecteur dans l’œuvre littéraire
La conciencia del autor es conciencia de la conciencia, es decir, es
conciencia que abarca al personaje y a su propio mundo de conciencia,
que comprende y concluye la conciencia del personaje por medio de
momentos que por principio se extraponen (transgreden) a la conciencia
misma; de ser inmanentes, tales momentos convertirían en falsa la
conciencia del personaje.
Mijaíl Bajtín
Dès à présent, nous allons nous tourner vers l’analyse des personnages de l’auteur et du
lecteur dans l’oeuvre de JGV. Elle a enregistré des variations quant à sa dénomination par
divers théoriciens comme Bakhtine (1895), Booth (1921), Iser (1926), Genette (1930), Eco
(1932), Fish (1938), Todorov (1939), Reyes (1944) et Garrido (1950). Il est donc nécessaire
d’approfondir ces concepts qui permettront une approche de la représentation et de la
participation de l’auteur au texte, au travers des constructions réalisées qui renvoient à des
pistes de lecture ou à des représentations de l’auteur à l’intérieur de l’œuvre, déterminant
ainsi l’herméneutique du texte et la participation du lecteur en tant qu’objet actif de
l’interprétation. En ce sens, sont revalidées les compétences de lecture, les connaissances
afférentes à l’époque mentionnée dans l’œuvre, les contextes historiques et biographiques,
ainsi que les connaissances culturelles du lecteur.
De cette manière, cette section reprend deux catégories théoriques liées au récit: auteur et
lecteur. La première renvoie aux dénominations d’auteur implicite selon Booth, Reyes et
Garrido qui s’opposent principalement à l’auteur réel. La seconde est liée aux étiquettes de
lecteur cultivé et idéal selon Iser, de lecteur modèle selon Éco et de lecteur informé pour
Fish, qui divergent de celle d’auteur réel. Ces deux catégories, celle d’auteur implicite et de
lecteur cultivé constituent le thème central de la présente section qui analyse la présence de
l’auteur et du lecteur dans le discours romanesque de l’auteur concerné, c’est-à-dire sa
représentation au travers du récit.
241
En première instance, Booth538 a forgé le terme d’auteur implicite dans son livre A Rhetoric
of Irony, dans lequel il a approfondi l’usage de la rhétorique dans le récit et les conventions
existantes entre auteur et lecteur à l’intérieur du récit. À propos de cette relation, l’auteur
considère ce qui suit: “It is true that the author I am interested in is only the creative person
responsible for the choices that made the work- what I have elsewhere called the “implied
author” who is found in the work itself”539. C’est dire que l’auteur implicite correspond au
personnage idéalisé de l’auteur, ainsi qu’à son travail artistique ou esthétique, surtout
caractérisé par le dessin et la composition romanesque.
Dans le sillage de Booth, l’auteur implicite est compris comme la voix et l’image insérées
dans le roman, à partir desquelles on peut retrouver l’auteur réel, car il partage sa biographie,
ou part de cette biographie, pour conférer une forme valable sur le plan esthétique au matériel
sélectionné pour la création de son activité esthétique. De même, cette voix et cette image
peuvent arriver à être indépendantes de celles de l’auteur, toutefois, c’est finalement l’auteur
réel qui les construit et les représente.
Sur la figure de l’auteur implicite, le théoricien affirme ce qui suit:
The implied author of each novel is someone with whose beliefs on all subjects I must largely agree if I am to enjoy his work. Of course, the same distinction must be made between myself as
reader and the often very different self who goes about paying bills, reparing leaky faucets and
falling in generosity and wisdom. It is only as I read that I become the self whose beliefs must
coincide with the author’s540.
538 Wayne Booth (1921-2005). Critique littéraire et théoricien américain intéressé par l’art de la rhétorique et
de la persuasion. Son travail le plus achevé est The Rhetoric of fiction publié en 1961 et considéré son apport le
plus significatif. Dans cette œuvre, il propose d’aborder le récit à partir de la rhétorique; de même, on lui attribue
la création du terme auteur implicite. Cette notion a aussi été reprise par d’autres théoriciens et critiques
littéraires, comme Reyes et Garrido. 539 La citation est extraite du texte le suivant: Wayne C. Booth. A Rhetoric of Irony. Chicago: The University Chicago Press, 1974, p. 11. Nous signalons que la traduction est réalisée par la chercheuse. “En la certeza en
que el autor del cual estoy interesado es la única persona creadora y responsable de las elecciones realizadas en
el trabajo literario- lo que en otra parte he llamado “autor implícito” y quien se encuentra en este apartado”. 540 La traduction est effectuée par le chercheur: “El autor implícito de cada novela es alguien, en cuyas creencias,
debo estar de acuerdo si voy a disfrutar su trabajo. Desde luego, la misma distinción debe hacerse entre sí mismo
como lector y en el que a menudo, muy diferente de sí mismo, va sobre el pago de cuentas, repara grifos
agujereados y fallas en generosidad y sabiduría. Esto es solamente como yo, lector, comienzo a poseer creencias
y éstas deben coincidir con las del autor”. Wayne Booth. The Rhetoric of fiction, op. cit., pp. 137-138.
242
Dans cette perspective littéraire, il est souligné une fois de plus que la notion d’auteur
implicite correspond à cette voix et à cette image qu’il a créées de lui-même, c’est-à-dire de
son autre Moi (auteur). Cette voix et cette image contextualisée et idéalisée peuvent
s’exprimer par la figure du narrateur et, à partir de là, le lecteur intervient avec ses jugements
de valeur et ses connaissances sur le romancier telles qu’elles résultent de son jugement.
De même, il est probable que certains romanciers se découvrent ou s’inventent eux-mêmes
dans leurs œuvres et partagent avec leurs personnages des expériences directes comme le
nom, la profession et certaines activités. Au cours de ces processus littéraires, émerge leur
aptitude à associer la linguistique à l’esthétique, le fictionnel à l’histoire et à ces événements
nationaux qui articulent des faits vécus, à titre personnel ou par autrui, avec la construction
d’un matériau artistique et réflexif découlant des jugements, évaluations et intérêts de
l’auteur réel.
Dans le cas de l’écriture littéraire de Vásquez dans son essai Viajes con un mapa en blanco,
l’auteur relate ce qui suit:
Cuando Javier Cercas escribió la maravillosa Soldados de Salamina y cobró notoriedad
inesperada por el uso de un narrador llamado Javier Cercas, que vive la vida de Javier Cercas,
investiga en la vida de un hombre que le es ajeno y al hacerlo investiga en la vida política y moral
de su país, España, los críticos o los lectores hubieran podido recordar Historia de Mayta, esta
novela en que un narrador que para todos los efectos es Mario Vargas Llosa vive la vida de Mario
Vargas Llosa e investiga en la vida de un hombre que le es ajeno y al hacerlo investiga en la vida
política y moral de su país, Perú541.
C’est un clair exemple de comment les romanciers construisent leurs récits à partir de
reconstructions historiques de leur pays, où ils définissent une époque et certains évènements,
en ignorant les frontières et en confondant le lecteur par la vraisemblance de leurs histoires
officielles et la fiction. On parvient à cette caractérisation au travers de la narration
matérialisée par des mémoires, témoignages, recherches ou incertitudes sur un passé qui
implique directement ou indirectement l’auteur réel. Sur ces prémisses, Booth déclare aussi
que “all good novelists know all about their characters all that they need to know”542. Il
541 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p.111. 542 La traduction est faite par l’investigatrice: “Todo buen novelista conoce todo acerca de sus personajes y todo
lo que ellos necesitan saber”. Wayne Booth. The Rhetoric of fiction, op. cit., p.255.
243
s’ensuit que c’est l’écrivain qui définit pour les sujets discursifs les gestes, les coutumes, la
vision de réalités basées sur des intérêts, croyances et valeurs qui les transfèrent à de
nouveaux contextes et significations articulés sur le plan esthétique. En ce sens, “ el autor
deja de ser autor para convertirse en personaje”543 et se voir transformé, ou peut-être se
trouver, se (re)construire lui-même dans le domaine de la fiction. Ceci conduit à découvrir
les actions humaines au travers de la construction de personnages dotés d’une infinité de
caractéristiques qui permettent d’interroger, de remettre en cause, d’exposer et de présenter
un cumul d’expériences, aussi bien propres que d’autrui, qui sont évaluées à l’intérieur de
l’objet littéraire à proprement parler.
D’autre part, Reyes considère que l’auteur implicite est défini à partir de deux perspectives:
“en cuanto voz citada y en cuanto figura del autor”544 En ce sens, la présence de l’auteur
implicite dans l’œuvre littéraire y participe directement grâce à l’usage des fonctions du
langage, à la construction de formes de pensée, aux techniques stylistiques, à la
préoccupation sur le destin des personnages et aux expériences fictives utilisées dans le texte.
Face à ce postulat, la critique littéraire déclare ce qui suit:
La coherencia de una obra depende, en última instancia, de la nitidez del autor implícito, de la
convicción con que sus normas organicen y ejecuten, del poder con que las imágenes nos obliguen
a actos de conocimiento o reconocimiento, nos ofrezcan revelaciones o nos sugieran lo
indecible545.
Par conséquent, nous confirmons que l’auteur implicite est une voix et une image de l’auteur
réel qui se construit lui-même et est capable de défigurer ses expériences pour les transformer
en objets littéraires, en présentant un produit vigoureux, hybride et malléable sur la conduite
humaine, la perception de la réalité, son entourage et ses faits sociaux et historiques,
conformément à ses intérêts et besoins littéraires, lors de la création d’objets esthétiques.
Le résultat est l’œuvre artistique, entendue comme “matériel organisé”546, destinée à être
interprétée par les lecteurs à partir de leurs connaissances propres sur le personnage de
543 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 34. 544 Graciela Reyes. Polifonía textual, op. cit., p. 103. 545 Ibid., p. 104 546 Mikhaïl Bakhtine, Problemas literarios y estéticos, op. cit. p. 20.
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l’écrivain, ses techniques narratives, les choix linguistiques opérés, sans oublier le passage
d’une œuvre à une autre lors duquel estomper le personnage de l’auteur réel acquiert un sens
à l’intérieur du récit, et il appartient alors au lecteur de lui conférer un sens ou un autre.
Dans cette optique, Reyes reprend la pensée de Booth et ratifie que l’auteur implicite est un
personnage idéalisé et construit par le lecteur à partir de l’auteur réel et de son objet
esthétique:
El autor implícito es el autor tal como se muestra, se construye, o se denuncia en su obra, pero es
también, más estricta y menos dramáticamente, el conjunto de normas sobre las cuales está
construida la obra, el “conjunto de elecciones”-de temas, de técnicas, de puntos de vista- que
hacen de la obra lo que es: en este sentido, el autor implícito es coexistente con cada fragmento
de su obra, con cada palabra, con cada destino ficticio, y con todo el sistema de ideas que da
coherencia al conjunto de entidades o individuos ficticios547.
Comme le note cet auteur, l’auteur implicite fournit l’information requise pour que le lecteur
re(construise) des significations au travers de possibles inférences et abstractions qu’il opère
à partir de l’objet littéraire. À cet égard, ces représentations fragmentent ou créent des liens
avec les lecteurs en soulignant et en indiquant la véracité des faits présentés artistiquement
sur sa vision du monde.
De même, Garrido a approfondi le concept de Booth et de Reyes. Il opère une distinction
entre l’auteur implicite, l’auteur réel et le narrateur:
Según su definidor, el autor implícito es la imagen que el autor real proyecta de sí mismo dentro
del texto. Se trata, pues, de una realidad intratextual- aunque no siempre explícitamente
representada- elaborada por el lector a través del proceso de lectura, que puede entrar en abierta
contradicción con el narrador548.
Comme nous l’avons indiqué, l’image de lui-même (celle de l’auteur) conduit à faire
participer le lecteur au déchiffrage de la position adoptée, c’est-à-dire du monde créé qui
véhicule une vision globale et omnisciente et à en faire un possible alter ego549 dans le roman,
547 Graciela Reyes. Polifonía textual, op. cit., p. 104. Citation de Reyes tirée du livre A Rhetoric of Irony de
Wayne Booth. 548 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit., pp. 115-116. 549 Alter ego est un terme créé à l’origine dans le cadre de la psychologie pour désigner une personne qui a ou
mène une double vie. Actuellement, il se réfère aussi au domaine de la littérature pour viser l’autre Moi de
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qui peut être objet d’analyse et d’appréciations artistiques, morales, politiques ou de toute
autre nature. Ainsi, l’image ou la voix citée de l’auteur dans l’œuvre représente sa vision
subjective du monde (re)créé qui ne peut être comparée avec la vision particulière des
personnages de ses récits. Cette approche aidant, Bakhtine assure que “el punto de vista del
autor no puede encontrarse con el del personaje en un mismo plano, en un mismo nivel”550.
En ce sens, les points de vue de l’auteur implicite entrent en contradiction avec ceux du
narrateur et avec ceux de l’auteur réel de l’œuvre, puisqu’il n’existe pas de dialogue équitable
entre eux. On ne peut indiquer que les dialogues créés par l’auteur réel dans lesquels
s’animent les personnages et leur entourage, donnant lieu à un enchevêtrement de discours
divers qui peuvent ou non coïncider avec ceux de l’auteur implicite ou de l’auteur réel.
Dans le cas du narrateur, Garrido le présente comme un “elemento regulador de la
narración”551, versé dans tous les éléments de la construction du récit. C’est lui qui fait
connaître les éléments descriptifs de la narration et limite les détails et révélations au lecteur
des pensées des personnages. En outre, il expose les évènements narratifs comme la voix
déléguée et interprétative d’un témoin oculaire, protagoniste et observateur des faits
présentés qui ne correspondent ou ne sont pas nécessairement conformes aux idéaux et
réflexions de l’auteur réel.
À cet égard, on considère que “todo relato es, por definición, obra de un autor, que se
responsabiliza de él en la cubierta y, en ciertos casos, se atreve a traspasar sus umbrales,
estampando su rúbrica en el prólogo o el epílogo, entre otras posibilidades”552. Pour ce faire,
l’auteur a recours à un narrateur, entendu comme la voix chargée de raconter l’histoire, ainsi
que comme celle du personnage principal de tout récit. Ce dernier est le connaisseur et le
guide de l’histoire à proprement parler, à laquelle il se réfère; sa connaissance et sa
présentation des faits partent de la vision indiquée par l’auteur qui lui permet d’adopter
l’auteur dans le récit, ainsi que les similitudes psychologiques, de langage et comportement du personnage avec
d’autres, d’un roman à l’autre. 550 Mikhaïl M. Bajtín. Problemas de la poética de Dostoievski, op. cit., p. 105. 551 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit., p. 106 552 Ibid, p. 111
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diverses perspectives à partir de nombreuses approches et intentionnalités. À cet égard, le
romancier peut s’auto-représenter, partager des expériences directes, indirectes et des
informations sur la vision du monde de son entourage, inclure des discours, la présentation
d’idéologies tant personnelles qu’étrangères, en passant par le personnage et l’expression du
narrateur.
En ce sens, dans les récits de JGV, en particulier dans son dernier roman, La forma de las
ruinas (2015), l’auteur s’autofictionnalise au travers d’un personnage qui conserve son nom
et qui partage son autobiographie. Face à ce postulat, l’auteur commente sur les origines et
les techniques d’écriture dans la construction de l’œuvre:
Al principio, fue una decisión técnica porque la novela nace de una vivencia directa muy fuerte,
del día a día como ya lo he dicho varias veces. El día en que un médico que conocí por casualidad,
me puso en las manos una vértebra de Jorge Eliécer Gaitán y un cráneo de Rafael Uribe Uribe
que estaban en sus manos, en su propiedad y que él había heredado en circunstancias extrañas
que yo traté de contar en la novela. Ese momento fue el detonante de la novela; a partir de ese momento, yo supe que tenía una novela entre las manos. Ese detonante fue una vivencia tan
directa y a mí me quedó inmediatamente claro, por simple intuición de novelista, que no podía
inventar un narrador ficticio para contar eso; que si inventaba a un Gabriel Santoro o a un José
Altamirano o a un Antonio Yamara, el incidente iba a perder potencia, iba a perder si se quiere
hasta verosimilitud. En cambio, si contaba la novela como una especie de falsa crónica o de falsa
autobiografía desde el punto de vista de un escritor llamado Juan Gabriel Vásquez, la realidad
del hecho ganaba inmensamente en potencia. Esa fue la decisión técnica que tomé, pero luego,
esto se convirtió también parte de algo más grande. Empezó a afectar incluso los temas de la
novela, empezó a sugerir temas porque en ese momento, me di cuenta, a pesar de que
evidentemente ya había pensado en eso muchas veces con anterioridad, me di cuenta de que esos
días en que yo me iba para la casa de un médico, al que apenas conocía para sostener en mis manos los restos de los muertos célebres de mi país, esos días eran los mismos días en que mis
hijas gemelas, estaban naciendo en un parto complicado lleno de dificultades y con mucha
anticipación553.
Il convient, toutefois, de noter que dans l’œuvre la figure de l’auteur réel est quasi
omniprésente, que ce soit pour présenter ou informer sur son récit, à partir d’autres
caractéristiques et fonctions propres au texte, dans lequel l’auteur, entre autres personnages
comme l’éditeur, les romanciers ou journalistes font acte de présence dans le récit pour
fournir au lecteur des indications annexes selon le dessein et les intentions esthétiques
recherchées. En ce sens, nous ferons allusion au paratexte, terme inventé par Genette pour se
référer à ces signes accessoires et à ces discours auxiliaires qui accompagnent le texte. Selon
16 Marisella Buitrago Ramírez “Entrevista a Juan Gabriel Vásquez. Escribir novelas es de alguna manera
enfrentarse al relato de otros”. Les Ateliers du SAL, numéro 8 (2016): 197-209.
247
le théoricien français:
Le paratexte, lui, est en quelque sorte un instrument d’adaptation: d’où ces modifications
constantes de la «présentation» du texte (c’est-à-dire de son mode de présence au monde), du
vivant de l’auteur par ses propres soins, puis à la charge, bien ou mal assumée, de ses éditeurs posthumes554.
Parmi les aspects fonctionnels du paratexte, nous trouvons des éléments comme les titres,
dédicaces, préfaces, illustrations de l’auteur, avertissements, commentaires d’auteur, parmi
d’autres, qui renvoient à une pluralité d’indications annexes de la part de l’auteur réel ou
éditeur, ce qui leur permet de découvrir une information spécifique sur l’auteur et son activité
esthétique en traversant le seuil du texte. De cette manière, dans les jaquettes latérales de la
couverture des livres de JGV, sont présentés des signes importants sur l’auteur et sa
production littéraire. Le lecteur peut y trouver des informations additionnelles sur la maison
d’éditions, les prix qui ont récompensé l’œuvre, le synopsis du livre, ainsi que la biographie
de l’auteur. D’autre part, il peut aussi accéder à des commentaires de journalistes et de
romanciers internationaux qui ont lu son œuvre, comme par exemple Mario Vargas Llosa,
Juan Marsé, Enrique Vila-Matas ou John Banville, pour ne citer qu’eux.
Il s’ensuit que le résultat de la construction textuelle peut être interprété par le lecteur au
travers de la lecture elle-même de l’œuvre artistique, en sus des connaissances préalables
qu’il aurait de l’auteur réel, ses tendances littéraires et contextes qui, parfois, peuvent
coïncider ou non avec le récit qu’il fait de lui-même. En ce sens, le terme d’auteur réel, selon
Garrido, “se aplica a una persona física en virtud de la actividad que desarrolla”555 c’est-à-
dire à quelqu’un qui livre un savoir et maîtrise l’art de l’écriture. Ici, le terme auteur, avec
un nom propre, est le créateur d’un objet littéraire et est celui qui possède la maîtrise et la
connaissance des personnages, discours, intérêts, idéologies, temps, etc. En définitive, c’est
lui qui décide et recrée les circonstances dans lesquelles est conçu son texte littéraire, ainsi
que le monde à son entour.
Par conséquent, l’auteur réel se manifeste dans l’œuvre par le discours des personnages, et
554 Gérard Genette. Seuils, op. cit., p.411 555 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit.,p.111.
248
la conscience de l’auteur peut s’exprimer par l’entremise du narrateur ou d’un personnage
qui acquiert une conscience de lui. De ce point de vue, il convient de souligner comment les
personnages et leurs discours sont créés par l’auteur réel, pouvant assumer des attitudes
dialogiques par rapport à diverses postures idéologiques, sociales, économiques, religieuses,
ainsi que l’existence de révélations et de solutions d’énigmes présentes dans le texte et qui
peuvent ou non coïncider avec la propre posture du romancier.
En ce sens, les narrateurs-personnages de JGV s’extériorisent par le discours littéraire par
lequel ils approfondissent l’histoire de la Colombie. Tel est le cas dans Los informantes où
Gabriel Santoro fils publie Una vida en el exilio, livre fictif dans la fiction de Vásquez et
“Posdata de 1995”556. Par cette approche, García Díaz indique que “el autor ficticio de las
dos novelas y la posdata que integran la novela real, es el escritor de todos los textos
contenidos en la novela de Gabriel Vásquez”557. Ainsi, le corpus textuel de Los informantes
est composé de différents discours et postures; parmi eux, un reportage avec un titre de
documentaire pour la télévision- Una vida en exilio558, des anecdotes sur l’art oratoire et la
rhétorique de Démosthène et de Gaitán559, le témoignage de Sara Guterman560, émigrante
juive-allemande, ainsi que les commentaires et notices de Gabriel Santoro père, qui ont été
consignés dans l’exercice réflexif de la métafiction, Una vida en el exilio. Cette dernière
présente “la historia de una traición”561, dans laquelle la vie de Guterman, celle de sa famille,
ainsi que celle des réfugiés des pays de l’Axe en Colombie, ont été lésées pendant la Seconde
Guerre Mondiale:
Se trata de las listas de Nacionales Bloqueados, tristemente célebres entre los historiadores, tristemente olvidadas entre el gran público. Durante la Segunda Guerra Mundial, las también
llamadas Listas Negras del Departamento de Estado de los Estados Unidos tuvieron como objeto
bloquear los fondos del Eje en Latinoamérica. Pero en todas partes, no sólo en Colombia, el
sistema se prestó para abusos, y en más de un caso pagaron justos por pecadores. Hoy les
presentamos la historia de uno de esos abusos562.
556 Juan Gabriel Vásquez. “Posdata de 1995”, Los informantes, op. cit., pp. 279-360. 557 Teresa García Díaz. “Corporeidad discursiva: Los informantes de Juan Gabriel Vásquez”, loc.cit., p. 112. 558 Juan Gabriel Vásquez. Los informantes, op. cit., p.14 559 Ibidem 560 Ibidem, p. 28 561 Ibid, p. 207 562 Ibidem
249
Dans ces conditions, l’auteur réel acquiert de l’importance car il tient compte de ce que ses
personnages s’émancipent des discours existants dans l’œuvre; c’est-à-dire qu’au travers de
ses créations artistiques et de ses voix, on peut mettre en évidence une pluralité de pensées,
d’opinions, de préjugés et d’interactions qui renvoient à la conception d’autres consciences.
En définitive, c’est l’écrivain qui a le dernier mot dans le récit dans lequel le discours du
héros, par exemple, n’est pas le même ou est dissemblable de celui de l’anti-héros; ils sont
contraires, ne sont ni semblables, ni similaires.
En ce sens, le discours de l’auteur réel contraste avec les multiples discours présents dans le
récit, au sein duquel il peut coïncider ou non avec la pensée et les expériences propres du
romancier. C’est ainsi que chaque personnage, héros, anti-héros ou personnage secondaire,
s’exprime différemment; l’art de l’auteur réel consiste alors à se camoufler derrière le
discours de ses personnages, sans être détecté ou afficher par trop sa présence.
De même pour Bakhtine, il est possible de repérer une pluralité d’agents discursifs, cités par
l’auteur réel, permettant aux lecteurs de spéculer sur les caractéristiques propres du
romancier, ses expériences vécues et les contextes propres à ses œuvres littéraires, au travers
des dialogues existants, des monologues et des voix présentes dans le récit. Toutefois, il n’est
pas possible de comparer les obsessions de l’auteur avec celles des personnages, avec les
expériences et mémoires présentées comme celles du romancier, car dans la fiction se créent
des univers, des mondes autonomes, à partir de la réalité et de ses phénomènes sociaux, que
le romancier interprète et recrée pour leur donner forme grâce aux propriétés du langage.
Pour ce théoricien:
La participación en la vivencia del autor no es la participación en su vida interior (su alegría,
sufrimiento, deseos y aspiraciones) en el sentido en que nosotros vivenciamos al héroe, sino que es la participación en su enfoque activo y creador del objeto representado, es decir, ya llega a ser
participación en la creación, pero este enfoque creador vivenciado viene a ser precisamente la
actitud estética que es la que ha de ser explicada, y esta actitud, por supuesto, no puede ser
explicada como une vivencia participada; pero de ahí se sigue que de una manera semejante
tampoco puede ser interpretada la contemplación563.
Toutefois, dans les œuvres de JGV, les expériences vécues par l’auteur et son autobiographie,
563 Mikhaïl Bakhtine. Estética de la creación verbal, op. cit., p. 64
250
se voient partiellement comparées aux expériences vécues par ses personnages, en tant que
référents littéraires pour la construction de sa fiction. En sorte que cela permet au romancier
d’aborder d’autres possibles réalités, de “descubrir zonas ocultas de lo humano”564,
d’enquêter et de s’interroger sur la complexité et l’aspect inconnu du sujet, sur ses émotions,
démons et secrets, entre autres. De ce point de vue, Gras indique:
Cada autor va escribiéndose a sí mismo, desgranando la propia poética y dibujando su propio
contorno, su propio autorretrato, destacándose entre esa multitud, esa particular tradición, esa genealogía literaria en la que se reconoce íntimamente o a esa familia a la que desea pertenecer565.
Tout cela semble confirmer que cette vision artistique de la part du romancier, liée à la
construction de personnages, de discours et de voix citées dans le texte, dépend de sa capacité
d’abstraction sur des contextes spécifiques et de son bagage culturel. Il faut, en plus,
mentionner les références consultées par le créateur lors de la construction de son récit, qui
peuvent être nombreuses et tirées de sources plurales, ainsi que son discernement des diverses
consciences et réalités qui concourent à la construction de ses personnages, qui lui permettent
de caractériser des époques, d’approfondir la stylistique du langage et de mimer des discours
possibles, entre autres aspects propres au récit. Lorsque le narrateur apporte des dates, des
détails sur l’espace, les coutumes ou la manière de s’habiller ou d’agir des personnages, il
procède au mimétisme des discours qui, sinon, ne serait pas possible.
Face à ce postulat, Bakhtine souligne de même que:
En esta relación hay que subrayar al carácter productivo del concepto del autor y el de su reacción
total frente a su personaje: el autor no es portador de una vivencia anímica, y su reacción no es
un sentimiento pasivo o una percepción; el autor es la única energía formativa que no se da en
una conciencia psicológicamente concebida, sino un producto cultural significante y estable, y su reacción aparece en la estructura de una visión activa del personaje como totalidad determinada
por la reacción misma, en la estructura de su representación, en el ritmo de su manifestación, en
su estructura entonacional y en la selección de los momentos de sentido566.
De telle sorte que les voix et images suscitées à partir de la voix déléguée, c’est-à-dire celle
du narrateur, des personnages ou de l’auteur implicite, selon la terminologie de Booth, Reyes
564 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op. cit., p. 21. 565 Dunia Gras. “El mismo, el otro: espejos autoriales y redes literarias transatlánticas en Juan Gabriel Vásquez”,
loc. cit., p. 293. 566 Mikhaïl Bakhtine. Estética de la creación verbal, op. cit., p. 16
251
et Garrido, sont présentées en fonction de plusieurs approches qui peuvent contredire ou non
celle de l’auteur. En ce sens, dans le domaine romanesque, on trouve plusieurs discours dans
lesquels les sujets discursifs sont vivifiés par l’acte de lecture d’une œuvre littéraire qui
matérialise des consciences, des discours et qui souligne que c’est l’écrivain qui les construit
par l’entremise des sujets d’énonciation, dont le narrateur.
D’autres théoriciens comme Genette (1930) et Todorov (1939) conviennent que “no es
posible la enunciación sin un sujeto enunciador y, por tanto, un relato sin narrador”567; son
importance découle en grande mesure de ses multiples fonctions dans le récit. Parmi elles, le
narrateur est la voix qui rapproche le lecteur des pensées, sentiments, idéologies et intérêts
des personnages, alors que l’auteur décide quand dissimuler ou révéler des informations sur
ses personnages, ainsi que certaines situations, jugements de valeur, présentation de discours
ou changements d’ordre chronologique, entre autres.
Dans le cas des narrateurs dans les œuvres de JGV, nous prendrons comme référence Historia
secreta de Costaguana qui est la plus «exhibitionniste», selon les dires de Montoya. Il nous
indique que “la continua intromisión del narrador”568 est ce qui caractérise le roman. Par
conséquent, José Altamirano qui est le narrateur impénitent, fait constamment des
déclarations et interpelle le destin qui lui est échu en partage, mentionnant, en outre, sa
relation avec le romancier Conrad. Il l’accuse de l’avoir éliminé de la fiction de Nostromo;
en conséquence, la seule manière qui lui semble possible de répondre à cette offense et de
consommer sa vengeance est de relater sa propre histoire, “se pone a escribir su versión de
los hechos supuestamente tergiversados por Conrad en Nostromo”569, qui suit de près
l’histoire de son pays:
Lectores: tengan paciencia. No quieran saberlo todo desde el principio, no investiguen, no
pregunten, que este narrador, como un buen padre de familia, irá proveyendo lo necesario a
medida que avance el relato… En otras palabras: déjenlo todo en mis manos. Yo decidiré cuándo
y cómo cuento lo que quiero contar, cuándo oculto, cuándo revelo, cuándo me pierdo en los
recovecos de mi memoria por el mero placer de hacerlo. Aquí les hablaré de asesinatos
inverosímiles y de ahorcamientos impredecibles, de elegantes declaraciones de guerra y
567 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op, cit., p. 110. 568 Pablo Montoya. Novela histórica en Colombia, op, cit., p.82 569 Jasper Vervaeke. “Los caminos secretos a Costaguana: Juan Gabriel Vásquez y la influencia conradiana”,
loc. cit., p. 136.
252
desaliñados acuerdos de paz, de incendios y de inundaciones y de barcos intrigantes y trenes
conspiradores; pero de alguna manera todo lo que les cuente a ustedes estará dirigido a explicar
y explicarme, eslabón por eslabón, la cadena de sucesos que provocó el encuentro al que mi vida
estaba predestinada570.
Cette citation permet de souligner que les lecteurs peuvent entrevoir dans le récit une possible
interprétation d’un monde spécifique, chargé de pensées, de sentiments, de facettes et
d’actions racontées par les voix narratives dans le cadre d’évènements politiques ou privés,
au cours desquels le romancier devra prendre en compte les codes de vraisemblance du récit
pour concevoir des vies, des faits, révéler des secrets, enregistrer des aveux ou récupérer des
mémoires tant individuelles que collectives dans le domaine littéraire. On doit ajouter que
son travail est décisif puisque c’est lui qui prend les décisions et adopte les nombreuses
perspectives pour situer tant les personnages que les situations interactives où se déroulent
des contextes, lieux ou évènements, pour ainsi les décrire à partir d’une représentation
personnelle.
Comme nous l’avons mentionné, l’auteur réel est perçu comme un démiurge qui rend
possible l’existence des personnages dans le récit, qui tentent de vivre leurs propres
existences comme des créations imaginées, présentes dans de nouvelles activités esthétiques
et aussi dans chacun des discours proposés. En revanche, l’auteur implicite renvoie et invite
les lecteurs à sentir de la sympathie pour l’auteur et leur permet de mieux comprendre les
stratégies narratives, de se connecter aux idéologies présentes et d’assimiler l’image que
l’auteur réel a créé de lui-même dans le récit, arrivant même à l’idéaliser. Ainsi, cette
conception de l’auteur implicite permet que le lecteur réel imagine et spécule sur l’auteur et
son travail littéraire, donnant ainsi naissance à une nouvelle version de l’auteur réel. Nous
soulignons que ce dernier peut se camoufler dans les discours des personnages et partager
avec eux un cumul d’expériences et de faits vécus.
Tel est le cas de La forma de las ruinas dans lequel JGV-l’auteur partage sa biographie et ses
expériences directes avec Juan Gabriel Vásquez-le narrateur, pour pouvoir écrire avec sa
propre voix sur les fantômes de l’histoire de son passé et ses démons les plus perdurables. En
effet, l’auteur considère qu’il a recouru à une décision technique pour conter cette histoire,
33 Juan Gabriel Vásquez, Historia secreta de Costaguana, op. cit, p. 14
253
tout particulièrement. La véracité des faits réels, exposés dans le roman, était si personnelle
qu’inventer un masque pour les décrire et les détailler n’avait aucun sens. En conséquence,
le romancier assure qu’il a décidé d’expérimenter l’autofiction dans laquelle “el autor deja
de ser autor para convertirse en personaje”571. En ce sens, le narrateur appelé Juan Gabriel
Vásquez vit la vie du romancier, écrit les mêmes romans et s’intéresse aux mêmes thèmes,
qu’il creuse et il enquête sur la vie politique et morale de son pays, la Colombie:
No sé cuándo comencé a darme cuenta de que el pasado de mi país me resultaba incomprensible
y oscuro, un verdadero terreno de tinieblas, ni puedo recordar el momento preciso en que todo
aquello que yo había creído tan confiable y predecible - el lugar donde crecí, cuya lengua hablo
y cuyas costumbres conozco, el lugar cuyo pasado me enseñaron en el colegio y en la universidad,
cuyo presente me he acostumbrado a interpretar y fingir que comprendo- se empezó a convertir en un lugar de sombras del cual saltaban criaturas horribles no bien nos descuidábamos. Con el
tiempo he pensado que es ésta la verdadera razón por la que los escritores escriben sobre los
lugares de su infancia y adolescencia y aun de su temprana juventud: no se escribe sobre lo que
se conoce y comprende, y mucho menos se escribe porque se conoce y comprende, sino
justamente porque se da cuenta uno de que todo su conocimiento y su comprensión eran falsos,
un espejismo, una ilusión, de modo que sus libros no son, no podrán nunca ser, más que
elaboradas muestras de desorientación: extensas y multiformes declaraciones de perplejidad.
Todo esto que yo creía tan claro, piensa uno entonces, resulta ahora lleno de dobleces y de
intenciones ocultas, como un amigo que nos traiciona. Ante esa revelación, que siempre es
molesta y muchas veces francamente dolorosa, el escritor responde de la única forma en que sabe
hacerlo: con un libro572.
En guise de conclusion de cette première catégorie associée à l’auteur, nous avons mis en
évidence que l’auteur réel, de manière consciente, a recours à son bagage culturel et à son
autoconscience pour recréer des personnages, des situations communicatives et les doter de
caractéristiques propres de lui-même ou de personnes connues et imaginées. Il est important
de montrer comment l’auteur confère des caractéristiques préconçues de manière autonome,
consciente et libre, avec leurs réalités et leurs représentations. C’est dire que le personnage,
même s’il ressemble à l’auteur, sera toujours son alter ego, fiction ou invention construite, et
jamais auteur réel. En ce sens, l’autoconscience qu’acquiert le personnage est le fruit de la
création de l’auteur, de sa volonté et de sa disposition, mais quand le personnage arrive à se
déprendre de l’auteur, il atteint l’auto-conscience. C’est alors que son caractère et son
autonomie de choix deviennent indépendants de la volonté de l’auteur.
Sur la seconde catégorie théorique, analysée dans cette section, nous trouvons différentes
571 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op.cit., p. 34. 572 Juan Gabriel Vásquez. La forma de las ruinas, op. cit., p. 481.
254
notions sur le lecteur et sa représentation dans le récit; parmi elles, le lecteur cultivé et idéal,
le lecteur modèle et le lecteur informé, selon les catégories présentées par Iser, Eco et Fish.
Dans la perspective de cette relation entre lecteur et roman, surnage la position d’Iser573 qui
indique que le texte requiert des lectores cultivados e ideales574 qui rendent compte de la
reconstruction d’une époque et qui confèrent au texte tout son sens. Est caractéristique la
manière dont ce lecteur mentionné fait référence aux constructions imaginaires de l’auteur
réel qui donnent lieu aux conditions nécessaires et aux compétences que doit avoir tout
lecteur pour actualiser les textes par l’acte de lecture. Dans cette mesure, les structures liées
à la réception et aux effets du texte permettent au récepteur d’interagir pour ensuite l’amener
à de multiples interprétations et à de possibles réactions ou changements au niveau de son
processus de lecture et d’acquisition de sens. Conformément à la pensée de ce théoricien, on
considère que le lecteur en général doit avoir une série de compétences qui lui permettront
d’interpréter des expériences, de procéder à des inférences, de refaire des descriptions et de
rénover ses connaissances encyclopédiques, grâce aux informations fournies par l’écrivain,
par l’entremise de son narrateur.
De même, Iser affirme que “un lector ideal debería poseer el mismo código del autor. El autor
por regla general modifica en sus textos los códigos vigentes, el lector ideal debería disponer
de las mismas intenciones que regulan tal proceder”575. Par conséquent, le lecteur mentionné
correspond à cette construction fictionnelle réalisée par l’auteur réel, premier lecteur de son
propre récit, ce grâce à quoi il est en capacité de redéfinir quelques-uns de ses discours,
d’organiser le texte, de remettre en question ses abstractions, de développer des compétences
diverses et de spéculer sur de possibles réactions intervenues pendant l’acte de lecture.
À l’identique, JVG a indiqué qu’il relit parfois ses textes, ressent le besoin d’effectuer
quelques changements ou de prendre des décisions radicales. Toutefois, cette prétention a été
palpable dans ses deux premiers romans, Persona (1997) et Alina suplicante (1999). Tous
573 Wolfgang Iser (1926-2007). Théoricien allemand qui a creusé la théorie de l’acte de lecture. Cette théorie
décrit la relation et l’interaction entre le lecteur, le texte, l’auteur et les possibles actes interprétatifs. L’auteur
conçoit aussi le développement du texte au travers du dialogue existant entre les différents éléments et
participants au processus de lecture, ainsi que l’apport du lecteur à la construction du sens. 574 Wolfgang Iser. El acto de leer. Teoría del efecto estético. Madrid: Taurus Ediciones, 1987, p. 55-70. 575 Wolfgang Iser. El acto de leer, op. cit., p. 57
255
deux ont été écrits au cours d’une période de formation et d’apprentissage sur l’art du roman;
pour ce motif, assure l’auteur, il les a éliminés de sa biographie. À cet égard, le romancier
indique ce qui suit:
Aprendí con las dos primeras novelas que es muy doloroso publicar un libro que uno siente
después defectuoso o que siente la necesidad de modificarlo. Pero esas más que modificadas, las
he eliminado de mi biografía y a partir de ahí, no siento la necesidad de modificarlas. A partir de
Los amantes de Todos los Santos y luego Los informantes que es la primera novela oficial, no
siento la necesidad de modificarlas más allá del hecho inevitable de que un escritor es incapaz de
dejar el texto quieto. Yo abro cualquiera de mis novelas y empieza inmediatamente a corregir una
coma, un adverbio, lo que sea, pero eso es parte de la naturaleza de un texto vivo; más bien, la
gran arquitectura de las novelas, sus temas y el tratamiento de sus temas no necesitan ninguna modificación576.
Par ailleurs, en ce qui concerne le rôle du lecteur et son processus de déchiffrage du code,
Eco fait allusion à un lecteur modèle qui diffère du lecteur réel puisque ce dernier est celui
qui lit le texte et accepte le pacte de lecture existant entre un auteur et son objet littéraire. À
cet égard, Eco assure que “un texto se emite para que alguien lo actualice; incluso cuando no
se espera (o no se desea) que ese alguien exista concreta y empíricamente”577. Selo Eco, le
lecteur modèle décode, interprète et actualise le texte à partir de ses compétences
linguistiques dans le récit. Cette notion de lecteur modèle correspond à un “conjunto de
condiciones de felicidad, establecidas textualmente, que deben satisfacerse para que el
contenido potencial de un texto quede plenamente actualizado”578. Dans cette perspective,
les textes ont besoin de ces lecteurs pour établir des paramètres d’interprétation, de
signification et d’actualisation des contenus. Ce lecteur est en capacité et ressent le besoin
d’actualiser ce qui est référencé, d’inférer et d’identifier les référents fournis dans le texte.
Ceci est possible de par la socialisation d’expériences préalables, personnelles ou d’autrui,
qui sont extériorisées, partagées et reliées à d’autres textes, autant par le romancier que par
ses lecteurs, pendant l’acte de lecture.
Afin que s’opère ce processus interprétatif et d’actualisation des contenus, le lecteur modèle
doit rénover son encyclopédie personnelle, c’est-à-dire se défaire de multiples inférences
rencontrées dans le texte qui sont associées au rôle de lecteur ou à son idéalisation par l’auteur
576 Marisella Buitrago Ramirez. “Entrevista a Juan Gabriel Vásquez”, op. cit., p. 197-209. 577 Umberto Eco. Lector in fabula. Le röle du lecteur. Paris: Éditions Grasset & Fasquelle, 1985, p. 77 578 Ibid. p. 89.
256
comme stratégie textuelle pour son récit. Dans ce schéma, les lecteurs modèles sont ces
lecteurs idéalisés par l’auteur et qui ont différents rôles; parmi eux, celui d’être curieux quant
au devenir de l’histoire, d’être instruits sur la motivation pour découvrir des vérités
différentes des leurs ou de se consacrer à l’exploration et à la compréhension de l’invention
indiquée.
Par opposition, les lecteurs réels font usage de leurs stratégies de lecture pour décoder des
messages, générer des significations et contribuer, à partir de leurs perceptions, à
l’actualisation textuelle. Les textes nécessitent donc des lecteurs actifs qui conçoivent de
nouvelles significations et interprétations, conformément à la vraisemblance de leurs
hypothèses et aux spéculations sur l’information fournie par l’auteur. Dans cette mesure, les
lecteurs réels perçoivent et infèrent de possibles relations avec leur milieu, revivent et se
remémorent des expériences, propres ou d’autrui, identifient des idéologies, découvrent des
intérêts, des obsessions et des visions, individuelles ou collectives des sujets discursifs; en
outre, ils véhiculent de nouvelles informations avec d’autres discours et manières de
reconstruire globalement le texte. Tout ceci conduit les agents qui participent à la
construction et à la reconstruction du sens du texte à déterminer de multiples significations
et inférences.
Il faut encore signaler qu’en matière de compréhension du texte, Eco indique que “interpretar
significa reconocer una enciclopedia de emisión más restringida y genérica que la
destinación”579. C’est ainsi que le lecteur réel se voit dans la nécessité de se référer non
seulement au contexte de l’œuvre, mais aussi à l’auteur, puisque cette connaissance va lui
permettre de prendre en compte d’autres aspects des énonciations, de déchiffrer des codes,
de contextualiser et recréer des situations qui seront abordées conformément à son bagage
culturel. Ce que nous avons écrit jusqu’alors suppose que pour que soit mené à son terme le
processus de lecture, il est nécessaire que les énoncés exposés soient décodés, interprétés et
actualisés conformément à son encyclopédie personnelle et à ses expériences, tant littéraires
que d’autre nature. Lors de cette phase de rénovation, est nécessaire un large cumul
d’aptitudes de lecture pour identifier les propriétés du contexte et parvenir à sa
579 Ibid, p. 91
257
compréhension globale.
Ce théoricien italien affirme que les lecteurs réels “deben actualizar su enciclopedia”580, de
même que “requieren de un trabajo de inferencia”581. Les textes sont alors vivifiés dans la
mesure où les lecteurs les reconstruisent grâce à leurs compétences linguistiques, ce qui
amène le lecteur à décoder des messages, générant ainsi de multiples interprétations.
Parallèlement, désembrouiller un texte équivaut à retenir une encyclopédie plus restreinte et
à caractériser diverses inférences au niveau pragmatique, culturel, idéologique et politique,
entre autres.
De même, JGV assure que “un lector entiende que un libro es a veces el único testigo de
nuestros tiempos perdidos, y la relectura es la única manera de volver a visitarlos”582.
Toutefois, pour l’auteur, les romans qu’il poursuit sont ceux qui scrutent la nature humaine,
avec ses expériences et ses souffrances. Ceci, afin de chercher un effet de reconnaissance
pour la construction ou la découverte d’identités, où le lecteur pourra interroger et
s’interroger, en plus de s’identifier avec les personnages et leurs contextes. En définitive,
l’auteur adresse son texte à un lecteur qui, par l’acte de lecture, rétablit la continuité de la
fiction et régénère la condition historique du sujet pour illuminer certains épisodes du passé
qui ont des répercussions sur le présent. En conséquence, le lecteur idéal pour Vásquez serait
celui qui parviendrait à abolir l’indifférence historique ou l’oubli volontaire ou imposé,
ennemi de la mémoire. Selon les termes de l’auteur, ses goûts littéraires privilégient:
Una novela que no nos hurta el problema moral de la memoria, sino que lo convierte en asunto y preocupación y tema; una novela que no sólo reconstruye el pasado, sino que piensa en él con la
riqueza de recursos que el género, en su larga vida caníbal, ha sabido acumular. Estas ficciones
memoriosas pueden muy bien ser la mejor manera que tenemos de recuperar la historicidad
perdida, de volver a sabernos parte de un proceso, en otras palabras, son el mejor puente que
nosotros, los individuos, podemos tender hasta el pasado583.
Finalement, pour le théoricien Fish, la réflexion sur le rôle du lecteur dans le texte l’amène à
prendre en considération ce qui suit:
580 Ibid, p. 75 581 Ibid, p. 76 582 Juan Gabriel Vásquez. Viajes con un mapa en blanco, op.cit., p. 17 583 Ibid., p. 204
258
My reader is a construct, an ideal or idealized reader; somewhat like Wardhaugh’s «mature
reader» or Milton’s «fit» reader or to use a term of my own, the reader is the informed reader.
The informed reader is someone who:
1) Is a competent speaker of the language out of which the text is built up?
2) Is in full possession of “semantic knowledge that a mature…listener brings to his task of
comprehension”. This includes the knowledge (that is, the experience, both as a producer and
comprehender) of lexical sets collocation probabilities, idioms, professional and other dialects,
etc.
3) Has literary competence584.
Par conséquent, les lecteurs informés585 sont les lecteurs compétents, critiques et qui se
posent des questions sur les lectures qu’ils font, car ils sont capables de les relier et de les
interconnecter. Ces réflexions sont disponibles dans leur répertoire et bagage culturel, ce qui
leur permet d’accéder à de multiples référents et de les actualiser. Fish, dans sa proposition
littéraire, expose aussi l’herméneutique littéraire rapportée à l’action de raisonner pour
expliquer et approfondir le rôle du lecteur. À partir de cette perspective, pour la
compréhension et la construction du sens d’un texte, le sujet lecteur doit faire usage de son
répertoire transcontextuel586, et, en plus, surmonter toutes les adversités d’origine
linguistique survenues lors du processus de lecture.
Vu sous un autre angle, le lecteur réel peut sentir de l’affinité et trouver certaines similitudes
ou caractéristiques propres de son être au travers de la voix et des voix narratives, des
personnages, de leurs contextes et expériences vécues. En ce sens, et selon la vision de
Barthes, le rôle du récit consiste à:
…el de llevar la realidad a un punto y abstraer de la multiplicidad de los tiempos vividos y
superpuestos, un acto verbal puro, liberado de las raíces existenciales de la experiencia y
orientado hacia una relación lógica con otras acciones, otros procesos”587
584Traduction effectuée par l’investigatrice: Mi lector es un concepto, un lector ideal o idealizado; algo como el
“lector maduro” de Wardhaugh o el “lector apto” de Milton o para usar un término en mis propias palabras, el
lector es el lector informado. El lector informado es alguien quien:
1.) ¿Es un hablante competente de la lengua fuera de la cual el texto es construido?
2.) Está en posesión completa “de conocimiento semántico que un oyente maduro trae a su tarea de
comprensión”. Eso incluye el conocimiento (es decir la experiencia, tanto como un productor como
alguien que comprende) de probabilidades de colocación de juegos léxicos, idiomas, profesional y
otros dialectos, etc.
3.) Tiene la competencia literaria. Stanley Eugene Fish. “Literature in the Reader: Affective Stylistics”.
New Literary History, 1970, p. 145. 585 Wolfgang Iser. El acto de leer, op. cit., p. 60. 586 Le terme transcontextuel se réfère à la capacité du lecteur pour établir diverses connexions entre plusieurs
corpus d’études associés à un contexte particulier. 587 Roland Barthes. Le degré zéro de l'écriture. México: Editorial Siglo, 1973, p. 36.
259
Nous soulignons que pour que les lecteurs réels et suscités puissent connaître les évènements
et les discours des personnages, le personnage du narrateur est nécessaire et que, sans lui,
l’existence de l’histoire serait impossible. Toutefois, Genette considère que “la imagen del
autor construida por el lector (competente) es más fiel que la idea que dicho autor se hacía
de sí mismo”588. Il s’ensuit que grâce au lecteur suscité par le romancier, les lecteurs réels
peuvent accéder à l’image décryptée d’un auteur réel, ainsi qu’à sa propre duplicité.
Dans cette seconde catégorie, on peut conclure que pour mener à bien le décryptage global
d’un texte, la conception d’un lecteur idéal, configurée par le romancier, correspond à une
hybridation de lecteurs qui requièrent également un processus d’actualisation et de
réélaboration du texte par l’acte de lecture. Pour mener à terme ce processus de lecture,
l’expérience esthétique prend toute son importance puisqu’il s’avère nécessaire de la part des
lecteurs, tant réels que fictifs, de réélaborer des jugements de valeur et des critères subjectifs
pour interpréter l’œuvre artistique. De même, ils doivent prendre en compte les
caractéristiques linguistiques propres, comme la connaissance du code d’écriture de l’œuvre,
la compréhension de notions sémantiques, l’éclairage de l’époque de conception de l’œuvre
et le développement de la compétence littéraire.
En guise de réflexion, on considère aussi qu’est impossible un récit sans narrateur; en d’autres
termes, on ne peut concevoir une histoire en l’absence d’un énonciateur puisque ce dernier,
personnage-narrateur, permet à l’auteur réel, par l’entremise de la voix narrative d’avoir une
participation par l’entremise de l’auteur implicite et de concevoir un lecteur dans le récit. Ces
actes de présence de la part de l’auteur réel et ses conceptions au travers du narrateur, auteur
implicite, et la citation de voix narratives, rendent possible qu’il opine, évalue et refuse
certains évènements ou faits de l’histoire narrée, les pensées et comportements propres des
personnages. Ceci étant, “el autor es una pieza indesligable del texto”589, car le lecteur peut
y percevoir et associer certaines caractéristiques spécifiques du narrateur-auteur au cours des
divers récits.
588 Gérard Genette. Nuevo discurso del relato, op. cit., p. 99. 589 Antonio Garrido Domínguez. El texto narrativo, op. cit., p. 115.
260
Dans cet ordre d’idées, sont équivalents les termes: lecteur cultivé et idéal, lecteur modèle et
lecteur informé; par contre, ne le sont pas les termes auteur implicite et narrateur, car c’est
l’auteur réel qui, au travers de divers personnages, recourt à un grand nombre de masques
matérialisés par les personnages pour préserver la vraisemblance des histoires et informer les
lecteurs réels des actions, idéologies et évènements dans lesquels se voient immergés les
personnages. C’est ainsi que le narrateur est considéré dans le récit comme un des
personnages les plus importants de toute la narration; sa vision et ses perspectives, tant de la
vie des acteurs que de l’histoire elle-même, sont présentées en fonction de son rôle
d’historien, de protagoniste ou de témoin. De même, le narrateur, associé par mégarde à
l’auteur implicite, procède comme un élément narratif qui contrôle et présente l’histoire.
En définitive, tous ces théoriciens concordent sur le fait que l’auteur implicite ne fait pas
partie du texte, mais concourt à ces possibles reconstructions mentales d’un personnage qui
interprète les idées objectivées. On assure aussi que les lecteurs réels ne peuvent distinguer
avec certitude la voix de l’auteur réel, car c’est ce dernier qui, au travers de ses personnages,
utilise sa compétence discursive pour s’exprimer et se manifester, que ce soit ouvertement
ou par l’entremise de masques qui ont été créés et manipulés en fonction de ses propres
intérêts.
C’est ainsi que dans le contexte narratif, la découverte de ces constructions mentales dépend
du lecteur et de son bagage culturel lié à sa connaissance des récits de l’auteur, à ses
expériences vécues, aux idéologies, au mouvement littéraire auquel il appartient, à la
trajectoire littéraire et autres éléments qui pourraient contribuer à la construction de sens et
de significations apportés par la lecture de l’intégralité du texte.
Comme nous l’avons mentionné, il faut un lecteur sagace pour parvenir à extraire le sens du
texte et de ces constructions imaginaires sur l’histoire et son contexte, pour faciliter la
compréhension globale du texte, puisque sont générées de nouvelles interprétations et de
possibles spéculations sur l’œuvre elle-même et sur l’auteur réel. Tout ceci semble confirmer
que l’auteur réel d’une œuvre, durant le processus de création, détermine le rôle d’un lecteur
cultivé et idéal, d’un lecteur modèle et d’un lecteur informé, car il est connaisseur du code
261
comme de ses intentions. Pour ce motif, on affirme que les romanciers sont les lecteurs
initiaux de leurs propres récits et ils y participent par les discours de leurs personnages, alors
que l’auteur implicite est une entité fictive dont les lecteurs qui connaissent les récits de
l’auteur peuvent percevoir la présence. Cette présence peut être subtile, difficile à découvrir
et peut se réfugier ou se camoufler derrière le discours des personnages. Dans cette optique,
nous soulignons qu’il est possible de découvrir dans les discours romanesques certains signes
et indices sur la présence du romancier; car il se représente ingénieusement au travers du
discours par les voix de ses personnages et leurs constructions; en outre, compte tenu de
l’implication de l’auteur dans le discours romanesque, émerge la voix énonciatrice qui
n’appartient pas à l’autoconscience que l’auteur réel lui a insufflé.
262
III.3 La représentation du passé
III.3.1 Les liens entre la littérature et d’autres discours dans la reconstruction de l’histoire
de la Colombie
El lecho del Canal cobija los sueños de miles de trabajadores de diversas
latitudes que ofrendaron sus vidas para construirlo.
Juan David Morgan
Ce paragraphe s’intéresse au personnage historique Ferdinand de Lesseps590, de nationalité
française, et aux colombiens José et Miguel Altamirano, deux personnages fictifs de
Vásquez, présents dans le roman, Historia secreta de Costaguana. L’auteur y aborde
l’histoire de la Colombie depuis diverses perspectives géographiques et différents
personnages et évènements historiques. Il évoque notamment, par exemple, Ferdinand de
Lesseps, qui, à la fin du XIXème siècle, persuada son pays de lancer la construction du canal
de Panamá et du tramway afin de fournir des moyens de transport, commerciaux et publics
au Panamá et à la Colombie. Cependant, sa noble intention consistant à apporter la modernité
à l’isthme panaméen n’obtint pas les résultats espérés tel que le laissait présager le succès
rencontré par son équipe d’ingénieurs et lui-même lors de la construction du canal de Suez.
Il souhaitait reproduire ce projet au Panamá, mais sa grande idée connut un échec
irrémédiable.
Dans ce même livre, il fait appel aux Altamirano, des personnages fictifs qui, à travers leurs
écrits journalistiques et romanesques, partagent avec leurs lecteurs les vestiges basés sur
l’histoire officielle, pour laisser apparaitre de nouveaux récits sur leur vie par le biais des
avancées et des régressions du développement économique et social du pays. Toutefois,
l’intromission de José Altamirano, fils illégitime de Miguel Altamirano et narrateur dans le
cas présent, recrée la situation panaméenne de l’époque en présentant sa propre version et
celle d’autres acteurs sur les faits politiques, sociaux, personnels et familiaux qui le
590 Ferdinand de Lesseps (1805-1894) diplomate et entrepreneur français. Au cours du XIXème siècle, il se
démarqua pour sa participation à la construction de deux grandes œuvres d’ingénierie: Le canal de Suez (1859-
1869) et la première partie du canal de Panamá (1879-1889). Ce dernier projet ne lui apporta pas le succès
espéré et les honneurs que lui avait amenés sa première œuvre; bien au contraire, elle signa la fin de sa carrière
comme entrepreneur, investisseur et directeur. Cette situation engendra l’un des plus grands scandales
financiers de l’histoire colombienne et française.
263
préoccupent. Par conséquent, son récit correspond à une introspection sur son passé et ses
parents afin de s’expliquer et de se confesser sur son existence, ses actions et l’histoire de
son pays face au jury, perçu comme la projection d’un tribunal imaginaire, et à sa fille Eloísa
auxquels se dirige sa narration.
D’un autre côté, Vásquez y souligne aussi la représentation de l’ingénieur français et de son
idée créative. Selon lui, bien que cette dernière n’ait pas abouti en raison du relief accidenté
du terrain au Panamá et les conditions de salubrité et de protection loin d’être optimales pour
son équipe d’ingénieurs et de travailleurs, Lesseps reste une figure méritant d’être
revendiquée par la société au fil de l’histoire. En effet, son infortune comme ingénieur n’est
pas due à un manque d’expertise professionnelle, sinon à la méconnaissance complète de la
géographie panaméenne, mais aussi à l’incompréhension des groupes sociaux installés sur la
zone, incapables de lui offrir le soutien ou la collaboration nécessaire à son projet. Le
romancier colombien exhorte ses lecteurs à réclamer la reconnaissance méritée par Ferdinand
de Lesseps qui, à cause de l’échec d’un projet, fut condamné par l’histoire officielle à
l’ostracisme, à la culpabilité et donc, à l’oubli.
Il en est de même pour la figure de Miguel Altamirano, journaliste de profession et
personnage romanesque, soumis à la volonté de Juan Gabriel qui souligne sa participation à
la couverture de l’actualité de deux grandes entreprises d’ingénierie civile: la construction du
chemin de fer du Panamá et le lancement du projet du canal de Panamá. Le père Altamirano
écrivait dans le journal officiel, Panama Star, le détail des avancées et des inconvénients du
développement de ces projets, ce qui lui valait l’antipathie de certains lecteurs et membres
du gouvernement panaméen. Pour appuyer la véracité de ses reportages ou attirer l’attention
du public, Altamirano faisait appel à la réfraction591, un phénomène persistant dans la
591 Selon le Diccionario de la Real Academia de la Lengua, le terme réfraction fait référence à la “propiedad que tienen ciertos cristales de duplicar las imágenes de los objetos”. En ce sens, à titre de comparaison et/ou
d’allusion, ce concept a été repris du roman Historia secreta de Costaguana pour se référer à la liberté de
chaque romancier quant à l’exagération, la distorsion, le mensonge, la calomnie sur les faits qu’ils souhaitent
raconter. C’est ainsi que le romancier Juan Gabriel Vásquez crée, conçoit et modifie des réalités historiques
qu’il fait siennes pour les valider dans le domaine de la fiction. Par conséquent, la réfraction utilisée dans cette
œuvre de la part de Juan Gabriel Vásquez consiste à refléter les actions réelles de personnages historiques et de
romanciers reconnus pour les représenter avec leurs noms réels dans son roman. Un exemple concret nous est
apporté par la représentation de Ferdinand de Lesseps et de Joseph Conrad dans Historia secreta de Costaguana.
264
présentation d’une version dissonante des faits.
À ce sujet, Vásquez publie à travers Miguel Altamirano dans un journal local du canal:
Los conquistadores regresaron a Colón deshidratados, enfermos y deprimidos, y sobre todo
víctimas del más sonoro fracaso; pero dos días después aparecía en el diario la versión de Miguel
Altamirano:
ÉXITO ROTUNDO DE LA EXPEDICIÓN WYSE
Comienza el largo camino hacia el Canal592.
En ce sens, dans HSC593, les nouvelles élaborées par Altamirano font référence à tous les
détails concernant le lieu, le quotidien des conquérants, c’est à dire, les étrangers qui
émigrèrent en Colombie pour mener à bien les études du terrain et la mise en route des
travaux de construction du canal interocéanique. Parmi les figures les plus remarquables de
ses récits du point de vue de la réfraction se trouvent les ingénieurs et les entrepreneurs du
canal, mais aussi les investisseurs et les travailleurs de manière plus générale.
D’un autre côté, José Altamirano, le narrateur de ce roman, invite les lecteurs à connaitre son
histoire individuelle ainsi que celle de son pays, la Colombie, à travers une tentative pour
obtenir des réponses sur sa naissance et l’identité de son père, Miguel Altamirano, qu’il ne
connait pas. Le terme isthme sera alors lié à sa vie et à l’obsession visant à recréer et à
découvrir la figure paternelle de Miguel Altamirano et de tout évènement politique, social et
historique associé à son existence. Nous devons souligner que c’est José Altamirano, le
narrateur à la première personne, qui fournit les informations sur les histoires de vie présentes
à l’intérieur du roman. Il émet ensuite des hypothèses à leur sujet afin de combler certains
vides historiques en faisant appel à sa propre vie ou celle d’autres personnages, et pouvoir,
ainsi, trouver les réponses qui lui sont nécessaires. Cette recherche du père fut possible grâce
aux confessions tardives de sa mère, Antonia de Narváez, par le biais de cartes que
s’échangeaient ses parents à manière d’introspection.
Diccionario de la lengua española, version actualisée 2017. Disponible sur: http://dle.rae.es/?id=VegfT9E
(consulté le 10 mai 2018) 592 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p. 107. 593 Afin de simplifier l’analyse littéraire, nous utiliserons désormais l’abréviation HSC pour faire allusion au
roman étudié: Historia secreta de Costaguana.
265
De plus, José Altamirano fait appel à la lecture exhaustive d’articles écrits par son père et
parus dans le journal Panama Star pour son travail comme correspondant sur la construction
du canal afin de mener à bien l’élaboration de la figure paternelle et donc, de sa propre
histoire.
Suivant cet ordre d’idées, il est important de s’interroger: quelle est la relation
qu’entretiennent les Altamirano avec la personne du diplomate et entrepreneur français
Ferdinand de Lesseps? Pourquoi ce personnage et ceux fictionnels sont-ils importants pour
les histoires officielles de France et de Colombie ? Ces questions dévoilent la nécessité de
souligner leurs rôles dans le roman de Juan Gabriel Vásquez, car c’est lui qui, par la
remémoration de leurs histoires dans le champ de la fiction, revendique ces personnages sur
le plan officiel lors de la construction du chemin de fer et de la première phase du canal
panaméen.
Cette perspective pousse José Altamirano à mettre en avant le point de vue basé sur son père
et ses conceptions face au travail journalistique:
Compartan, lectores, mi asombro filial, esa cosa tan literaria. Pues allí, acostado en una hamaca
de San Jacinto y con un sherry-cobbler en la mano libre, me puse en la tarea de repasar los
artículos de mi padre, es decir, de averiguar quién era este Miguel Altamirano en cuya vida yo
acababa de irrumpir. ¿Y qué descubrí? [...] Descubrí que a lo largo de dos décadas mi padre había
producido, desde su escritorio de caoba -adornado solamente con una mano esquelética sobre un
pedestal de mármol -, un modelo a escala del Istmo. No, modelo no es la palabra, o quizás es la palabra aplicable a los primeros años de su labor periodística; pero a partir de un momento
impreciso (inútil, desde un punto de vista científico, intentar fecharlo), lo que se representaba en
las crónicas de mi padre era más una distorsión, una versión - otra vez la condenada palabrita -
de la realidad panameña. Y esa versión, me fui dando cuenta conforme leía, solo tocaba la verdad
objetiva en ciertos puntos selectos, como un barco mercante sólo se interesa por ciertos puertos.
En sus escritos, mi padre no temía ni por un instante alterar lo ya sabido o lo que todo el mundo
recordaba. Por una buena razón, además: en Panamá, que al fin y al cabo era un Estado
colombiano, casi nadie sabía; y, sobre todo, nadie recordaba. Hoy puedo decirlo: aquél fue mi
primer contacto con la noción, que tantas veces se haría presente en mi vida futura, de que la
realidad es frágil enemigo para el poder de la pluma, de que cualquiera puede fundar una utopía
con sólo armarse de buena retórica594.
De la même façon, le mettre en relation avec Ferdinand de Lesseps, diplomate et entrepreneur
originaire de Versailles, dont l’initiative détermina la construction du canal de Panamá,
conduit à dignifier son rôle dans ce projet. Bien qu’il n’ait pu mener ce dernier à son terme
594 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., pp.104-105.
266
en raison de diverses circonstances géographiques, sociales et économiques, il est juste de
lui en octroyer le mérite en tant que créateur et analyste principal malgré le terme géré par
les ingénieurs américains et anglais. C’est précisément le rôle historique de Lesseps que Juan
Gabriel Vásquez met en avant dans le roman en y ajoutant les Altamirano, deux Colombiens
qui partagèrent avec lui, directement et indirectement, les déboires de tout le processus.
Selon JGV par rapport à son expérience romanesque, il existe divers épisodes de l’histoire
colombienne pris en compte pour l’élaboration de ses récits et visibles à travers les relations
imprécises entre les évènements et son travail d’écriture. En ce sens, des discours historiques,
journalistiques et épistolaires, entre autres, sont présents tout au long d’HSC, pour la
reconstruction et la réécriture de l’histoire colombienne, mais aussi française. Certains
évènements historiques reconstruits par le romancier sont connectés aux fondations du grand
projet interocéanique et de la construction du chemin de fer panaméen survenus au cours de
la seconde moitié du XIXème siècle. De même, nous devons signaler que les participants aux
deux projets apportèrent de nombreuses techniques de construction et des connaissances
aussi bien en ingénierie qu’en architecture, médecine et culture, étant donné le progrès et
l’amélioration de la qualité de vie découlant de l’union interocéanique projetée. La vision de
l’équipe française pour la construction du canal et le développement du chemin de fer était
futuriste et bénéfique, non seulement pour la société locale, mais aussi pour l’établissement
d’étroites relations commerciales avec le monde entier.
Vásquez transpose ces évènements historiques à la fiction romanesque grâce aux discours
des personnages qui communiquent entre eux et débattent à propos du possible succès de la
construction du canal et de la manière dont l’équipe française dut faire face à l’échec de ce
projet. HSC s’avère être le roman qui dénonce ces évènements et crée une réalité fictive
autour des incidents réels provoqués par les premiers.
Ce roman se convertit également en un élément éthique dissonant pour mettre en lumière
l’appropriation illégale d’histoires et les mauvaises habitudes professionnelles. C’est le cas
de José Altamirano, qui, comme narrateur du roman, accuse Conrad de vol littéraire. Cette
affirmation tire son origine du fait d’avoir partagé l’histoire de sa vie aventurière avec Conrad
267
qui s’en servit comme matériel littéraire dans son roman, Nostromo. Toutefois,
postérieurement à la publication de l’œuvre en 1904, Altamirano ne considéra pas être
représenté dans celle-ci. Il décida donc de planifier sa vengeance littéraire en créant sa propre
version, présente dans HSC, à partir d’intérêts écrits, familiaux et sociaux.
Par ailleurs, le développement d’histoires tendancieuses est mis en avant comme le sont
celles narrées par José Altamirano dans HSC, lorsqu’il relate son histoire, celle de sa famille
et de son pays par lesquelles il explore d’autres réalités possibles basées sur l’histoire
officielle afin de revendiquer la reconstruction de son existence. Par conséquent, le romancier
fait appel à la construction de figures existantes telles que celles de Conrad et de Ferdinand
de Lesseps pour les convertir en personnages littéraires et octroyer, ainsi, au narrateur un
prétexte pour l’élaboration de l’œuvre.
José Altamirano, en tant que narrateur, est décidé à partager des expériences et des conflits
au fil de la narration en se posant comme victime de Conrad, pour ne pas l’avoir représenté
dans son roman, Nostromo. Il se propose donc de répondre au méfait en couchant sur papier,
dans HSC, sa propre version sur les faits. Pour atteindre son but, Vásquez utilise une
audacieuse technique de rédaction, consistant à mêler et à déformer des faits réels en y
ajoutant d’autres évènements inventés, qui ne pouvaient être prévus ou projetés par Conrad.
À cette fin, il crée José Altamirano pour que les lecteurs de HSC puissent lire une version
meilleure que celle publiée par Conrad, qui ne le représentait pas.
José Altamirano formalise sa réclamation face à l’écrivain polonais en lui exprimant ce qui
suit:
«Usted me ha eliminado de mi propia vida», dije. «Usted, Joseph Conrad me ha robado». Volví
a agitar el Weekly en el aire, y entonces lo dejé caer sobre el escritorio. «Aqui», dije en susurros,
con la espalda hacia el ladrón, «yo no existo». Era cierto. En la República de Costaguana, José Altamirano no existía. Allí vivía mi relato, el relato de mi vida y de mi tierra, pero la tierra era
otra, tenía otro nombre, y yo había sido eliminado de ella, borrado como un pecado inconfesable,
obliterado sin piedad como un testigo peligroso595.
Néanmoins, cette technique d’écriture basée sur la tergiversation et l’invention d’évènements
fut utilisée par Miguel Altamirano pour la rédaction des articles qu’il écrivait dans les
595 Ibid., p.286.
268
journaux panaméens. Comme journaliste, il rendait compte du succès de l’équipe française
dans la construction du canal de Panamá alors qu’elle affrontait plutôt l’effondrement du
projet et l’échec de son développement. En surévaluant la réussite de cette entreprise,
Altamirano écrivait de fausses publicités afin d’attirer de nouvelles transactions
commerciales pour le canal. Cette activité suivait son désir secret de déformer la vérité crue
et de créer un voile de mystère autour de l’œuvre, surement avec l’intention louable de
minimiser le délabrement observé dans le travail des Français.
Ces «bonnes» nouvelles générèrent la confiance des investisseurs et permirent d’occulter les
adversités causées par l’absence d’études de terrain géographique et de préventions
nécessaires pour éviter les morts accidentelles des travailleurs embauchés pour mener à bien
le projet. Malheureusement, la déroute des ingénieurs français devenait de plus en plus
évidente. Alors qu’ils mettaient leur énergie à dominer le terrain abrupt panaméen, ils
peinaient à canaliser l’indomptable fleuve Chagres, car, à l’époque, les techniques et la
machinerie s’avéraient impuissantes face à la méconnaissance du terrain, aux mauvaises
conditions climatiques et aux morts accidentelles d’innombrables ouvriers qui avançaient à
l’aveugle sur cette terre inhospitalière.
Il doit être souligné que Miguel Altamirano relatait toutes les informations liées au canal pour
le Panama Star, car “sa réputation comme écrivain incendiaire et avocat du progrès”596 lui
permettait d’être au courant de l’ensemble des activités, des avancées et des discordes au sein
de la Panama Railroad Company. Son travail consistait à “écrire sur la grande merveille que
représentait le chemin de fer et les bénéfices incommensurables qu’il avait générés et
continuerait d’apporter aussi bien aux investisseurs étrangers qu’aux habitants de la zone”597.
D’un autre côté, parmi les diverses confessions présentes dans les récits des Altamirano, les
lecteurs peuvent explorer d’autres détails absents des reportages journalistiques du
correspondant officiel du canal. Ces derniers dévoilaient d’autres réalités liées au progrès du
pays, dans lesquelles le père confessait au fils ses appréciations sur la grande œuvre: “Mon
596 Ibid., p. 64. 597 Ibidem.
269
père m’expliquait pourquoi un canal construit au niveau était meilleur, moins cher et moins
problématique qu’un construit avec des écluses, et comment toute personne disant le
contraire était simplement un ennemi du progrès”598. Cette perspective met en lumière des
relations familiales dysfonctionnelles entre les parents et les enfants, dans le cas des
Altamirano, et des représentations obtuses et conflictuelles, propres au tissu social, qui
surgissent parallèlement au contexte du roman: la construction du chemin de fer et du canal,
conjointement à la séparation du Panamá avec le gouvernement colombien et sa proclamation
comme république libre et indépendante.
Quant à la question historique, c’est à dire, la construction du canal de Panamá, elle fut
déléguée au gouvernement français à travers la figure de Ferdinand de Lesseps, qui avait
connu le succès avec le canal de Suez en unissant la partie septentrionale de la mer Rouge à
la mer Méditerranée. Ce qui représenterait son futur projet prévoyait la construction d’un
canal interocéanique en Amérique centrale pour unir les deux océans: L’Atlantique et le
Pacifique par l’isthme du Panamá. C’est la remémoration de ce fait historique qui fut utilisée
par l’écrivain colombien et convertie en artefact littéraire afin de faire connaitre les
circonstances humaines qui empêchèrent la réussite de l’entreprise de Lesseps. À cette fin, il
implique le lecteur pour comprendre et accepter un personnage réel et historique qui tentait
seulement d’atteindre la transcendance et l’amélioration de la qualité de vie des habitants,
résidant aux alentours du canal, et de la société en général qui tirerait profit des résultats
escomptés.
Plus précisément, Vásquez cherche à établir une vision appréciative et compréhensive du
personnage de Lesseps de la part du public auquel il s’adresse par les méandres de l’histoire
afin d’anoblir les actions du protagoniste et de montrer, ainsi, comment une série de décisions
assertives ou non, l’obligèrent à décliner définitivement le projet. Les idées de White
confirment cette détermination:
En este punto el lector no sólo ha seguido exitosamente el relato, sino que ha captado su esencia,
lo ha comprendido. La extrañeza original, el misterio, el exotismo de los acontecimientos,
desaparece, y éstos toman un aspecto familiar, no en cuanto a sus detalles, pero sí en sus funciones
598 Ibid., p.122.
270
como elementos de un tipo familiar de configuración. Se vuelven comprensibles al ser
subsumidos bajo las categorías de la estructura de trama en la cual son codificados como un relato
de un tipo particular. Son familiarizados, pero no solamente porque el lector tiene ahora más
información sobre los acontecimientos, sino también porque se le ha mostrado cómo los datos se
ajustan a un icono de un proceso comprensible terminado, una estructura de la trama con la que
está familiarizado en la medida en que forma parte de su propio legado cultural599.
C’est ainsi que le texte mêle les vies des personnages, leurs voyages imprévus, des mémoires,
aussi bien individuelles que collectives, avec les existences réelles de l’histoire. Nous
remarquons, par exemple, l’arrivée sur des terres inexplorées d’étrangers qui, selon l’idée
propre au narrateur, sembleraient se trouver à deux endroits différents en même temps.
Altamirano fils s’exprime avec ces termes:
En las oficinas de la Compañía del Ferrocarril -que algunos nativos llamaban por el nombre
inglés, lo que me dio la curiosa sensación de vivir en dos países al mismo tiempo, o de estar
cruzando una y otra vez una frontera invisible-, los norteamericanos me confundieron con un
comprador potencial de tiquetes y me enviaron, no sin diligencia, a la Oficina de los Tiquetes,
sacudiendo en dirección a la calle los puños de sus impecables camisas, y uno de ellos llegó
incluso a acomodarse el sombrero de fieltro para acompañarme al lugar. Aquel intercambio se dio completamente en inglés; fue sólo después de despedirme que me di cuenta de ello, con algo
más de sorpresa de la que el pudor me permite confesar.600
Ainsi, Vásquez permet au lecteur d’approcher des réalités existantes tirées d’un passé latent
qui est projeté au présent grâce à la fiction. Dans cette mesure, l’auteur trouve, dans la
remémoration de l’histoire de France et de Colombie, la phénoménologie de la mémoire ou
la façon dont se comporte le souvenir des évènements dans l’esprit du personnage et
comment ce dernier les explique ou leur donne du sens. Pour finir, l’auteur cherche à faire
voir l’histoire du point de vue des Colombiens, des Français et des Américains du nord afin
de permettre aux lecteurs de recréer les différents contextes et situations de l’époque et de
valoriser le rôle joué par chacun de leurs participants.
C’est ainsi que dans le discours journalistique officiel dont il est question ici, une emphase
se crée dans le cadre de l’élaboration de ces avatars historiques concernant la construction du
chemin de fer et du canal panaméen de la part de Lesseps. À titre d’exemple, Sánchez
Montenegro se remémore son histoire en 1964:
El primero de enero de 1880 se hizo la inauguración oficial de las ceremonias espléndidas pero
599 Hayden White. El texto histórico como artefacto literario, op. cit., pp. 116-117. 600 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, Ibid., p.102.
271
sólo comenzaron los trabajos dos años después, que duraron más de siete perdidos y cebrados de
bancarrotas, escándalos criminales, compra de influencias, cárceles a ministros, periodistas,
damas de cierto rango, estafas, malversaciones, sobornos; y todo concluyó en prisiones de
algunos años, para Ferdinand de Lesseps, a quien se le perdonó la ignominia por su avanzada
edad, pero ya inconsciente, no recordaba nada y murió en ese triste estado en el año de 1894. Su
hijo Carlos sí sufrió la vergüenza de la prisión; y el nombre de la « Compagnie Universelle du
canal Interocéanique de Panamá » era la piedra de escándalo histórico, con el infamante nombre
de chequard o panamiste601.
Cependant, il reste nécessaire de noter que les inconvénients majeurs de la construction de
ce grand projet interocéanique géré par Lesseps et ses collaborateurs, furent associés à la
méconnaissance de multiples facteurs dont certaines maladies tropicales, telles que la fièvre
jaune et la malaria qui entrainèrent une perte innombrable en vies humaines. La situation
géographique des terrains inexplorés, impénétrables et inhospitaliers contribua aussi à
l’absence d’informations sur la zone. La main-d’œuvre qualifiée, la machinerie nécessaire,
la nécessité d’investisseurs et la carence de ressources économiques, la méfiance postérieure
face au projet furent, parmi d’autres, des motifs suffisants pour ne pas pouvoir réaliser le
projet. Lesseps ignorait tous ces obstacles et n’eut malheureusement pas le temps de les
prendre en compte. Son objectif désintéressé et solennel s’effondra devant la contingence de
circonstances néfastes.
À partir du discours épistolaire du roman étudié, l’existence d’une série de correspondances
et d’un journal est révélée et met en lumière des échanges entre Miguel Altamirano et sa
bienaimée, la très connue Antonia de Narváez, une femme mariée que Vásquez décrit comme
une “femme torero amatrice dans les courses de taureaux du Saint Patron, joueuse
occasionnelle et cynique par conviction”602. Tous deux vivaient un amour clandestin qui
donna jour à un fils illégitime, José Altamirano, le narrateur de cette histoire, qui assurait être
venu en fuyant la grande histoire, c’est-à-dire, des histoires officielles ; néanmoins, son
besoin de mener à bien sa réparation littéraire le renvoie à ce qui suit: “Je reviens maintenant
un siècle en arrière pour aller au fond de ma petite histoire et je tenterai d’explorer dans les
racines de ma disgrâce”603. De cette perspective, le fils Altamirano raconte aux lecteurs et à
601 Víctor Sánchez Montenegro. “Los canales de Ferdinand de Lesseps”. República de Colombia. Revista de las
fuerzas Armadas. Vol.9 No.26 (mai/juin) 1964, pp.413-416. 602 Juan Gabriel Vásquez. Historia secreta de Costaguana, op. cit., p.43 603 Ibid., p. 16.
272
Eloísa son histoire de vie et celle de son père qui, à travers sa correspondance avec sa mère,
expose différents détails du projet:
Hemos desembarcado ayer; hoy atravesaremos la llanura arenosa que nos separa de Salgar, donde
espera el vapor que nos llevará a destino. La visión del Gran Océano Atlántico, ruta de mi futuro,
me proporciona un muy bienvenido sosiego. […] Viaja conmigo un extranjero simpático,
ignorante de nuestra lengua pero bien dispuesto a aprenderla. Ha abierto su diario de viaje y me
ha enseñado recortes del Panama Star que versan, he creído leer, sobre los avances del ferrocarril.604
Comme s’il s’agissait d’un bon présage, il partage dans une carte datée du 29 janvier 1855:
“C’est enfin arrivé: le chemin de fer a été inauguré et j’ai eu comme privilège d’être le témoin
de cet immense pas vers le progrès”605. Dans cette mesure, les lecteurs trouvent, dans le récit,
diverses références chargées d’émotions sur le fonctionnement du projet, les cultures, les
habitudes, la vie des habitants et les chercheurs de richesses instantanées qui affluaient ici
pensant que l’aire représenterait le foyer du futur. Dans un premier temps perçu comme un
prix, il se convertit finalement en disgrâce.
Ce qui suit relate un passage de la carte que Miguel Altamirano adressa à Antonia de Narváez:
El clima es mortal. Llueve sin parar, las casas se inundan; los ríos se desbordan y la gente duerme
en las copas de los árboles; sobre los charcos de agua quieta flotan verdaderos enjambres de
zancudos que parecen langostas de la vieja Babilonia; hay que cuidar los vagones como si fueran
niños de brazos por miedo a que los devore la humedad. La peste reina en el Istmo, y los hombres se pasean enfermos por la ciudad, mendigando los unos el vaso de agua que les baje la fiebre,
arrastrándose los otros hasta las puertas del hospital, con la ilusión de que un milagro les salve la
vida606.
Afin d’illustrer l’antérieur, les discours présents dans le roman permettent à l’auteur, mais
aussi au lecteur d’associer et de connecter divers épisodes des histoires officielles pour
apporter une réponse ou spéculer sur leurs conflits, leurs versions et leurs témoignages.
Suivant cet ordre d’idées, Farré fait allusion au fait que “le lecteur même ressent la nécessité
de découvrir, dans le roman, des affinités inexistantes entre le protagoniste et l’auteur ou
pense voir des réalités et des faits fiables qui ne s’avère être que de la fiction”607. À ce sujet,
nous sommes amenés à penser que l’auteur, grâce à son habileté littéraire, parvient à doter
604 Ibid., p. 52. 605 Ibid., p. 53. 606 Ibid., p. 54. 607 Anna Agustí Farré, s.f., “La autoficción en la novela”. Autobiografía y autoficción. Disponible sur:
http://webs.ono.com/garoza/G6-Agusti.pdf (consulté le 9 mai 2018).
273
les personnages d’identités propres, d’un environnement familial et social ainsi que
d’existences et d’activités littéraires qui acquièrent du sens pour les lecteurs dans divers
scénarios. Cela conduit à croire que “chacune de ces voix qui apporte son histoire est en
même temps une voix d’auteur: chacune construit sa trame, aménage ses effets, module sa
représentation, invente un monde”608. En ce sens, chacun des personnages, dans HSC, narre
et décrit sa situation personnelle et sociale, sa version des faits, mais aussi celles d’autrui.
Ainsi, au fil de l’œuvre, la mère et le père de José Altamirano ont recours au discours
épistolaire, le père au discours journalistique et le fils à celui romanesque.
Pour conclure, les réflexions exposées sur les évènements historiques à travers la littérature
apportent une nouvelle vitalité aux histoires des deux pays, la France et la Colombie. En
effet, elles créent une ambiance régénératrice et libératrice, aussi bien pour les auteurs que
pour les lecteurs. Premièrement, révéler une fiction plausible implique une reconnaissance
de soi-même, de sa propre histoire et de celle de son pays afin d’aborder diverses identités et
de pouvoir les recréer selon leur intérêt et les scénarios au sein desquels ils évoluent. Dans
un second temps, la fiction fournit de nouveaux points de vue critiques sur un ensemble
d’évènements, d’inférences et de connexions intertextuelles qui rendent possibles la
conception de nouvelles réalités, en dépassant le seuil du possible et de l’imaginaire.
Par conséquent, la fusion et la reconstruction de personnages, aussi bien historiques
qu’imaginaires dans le domaine de la fiction, contribuent à la rédemption de la mémoire
historique afin d’évoquer des évènements passés et idéaliser les victimes et les tortionnaires
dans le développement global du pays. Ainsi, ces remémorations permettent de créer une
identité nationale et un sens de la collectivité pour toute une nation, grâce auxquelles la
société se transcende et parvient à mieux comprendre les évènements qui ont marqué le
devenir historique de la Colombie et des personnages ayant participé à leur réalisation en
octroyant de l’importance et de la culture par la construction littéraire et créative d’un auteur:
dans le cas présent, Vásquez.
608 María Angélica Semilla Durán. “Le récit cannibale: Historia secreta de Costaguana, de Juan Gabriel
Vásquez”, loc. cit., p.153.
274
Conclusions
Son las coordenadas vitales de un lector; y sólo un lector entiende que un
libro es a veces el único testigo de nuestros tiempos perdidos, y la
relectura es la única manera de volver a visitarlos.
Juan Gabriel Vásquez
Au cours de l’introduction de cette recherche, nous avons fait connaitre l’objectif de ce travail
qui consistait à réaliser une étude intertextuelle de la narration fictionnelle de l’écrivain
colombien Juan Gabriel Vásquez. Le but était d’identifier les caractéristiques historiques du
pays et en les associant à l’élaboration idéologique du passé, de la mémoire rétrospective et
de certaines obsessions vécues par des personnes réelles de la société colombienne. Nous
voulions aussi appréhender l’exil volontaire ou forcé ainsi que la flexibilité de l’histoire
lorsqu’il s’agit de se protéger face au pouvoir, à l’autorité et aux séquelles résultant du vécu
de situations posttraumatiques suite à des faits d’extrême violence, de question morale, d’une
existence d’apparences et d’autres évènements survenus dans la vie de ceux qui écrivirent
l’histoire nationale au cours du dernier siècle.
Des dates commémoratives de l’histoire nationale mettant en évidence les régressions ou les
avancées du pays, font de ces romans les plus représentatifs dans l’inconscient collectif des
Colombiens. Le début de l’époque de la violence, El Bogotazo, après la mort du chef libéral
Jorge Eliécer Gaitán, les listes noires et leurs tragiques conséquences pour confiner les
immigrants filonazis, les révélations de secrets du passé politique et social, relatifs à la
construction du canal, s’avèrent être les faits historiques les plus remarquables sur lesquels
s’appuie Vásquez pour recréer sa fiction.
Les romans traités comme objets d’étude correspondent aux cinq dernières œuvres publiées
jusqu’en 2018: Los informantes (2004), Historia secreta de Costaguana (2007) El ruido de
las cosas al caer (2011), Las reputaciones (2013) et La forma de las ruinas (2015). Ils sont
tous en relation avec l’histoire nationale et considérés comme d’une grande importance pour
la société en général, car ils abordent les traumatismes sociaux et la décomposition de la
capitale, en plus d’approfondir la trame psychologique de leurs personnages.
275
Les aspects généraux analysés dans la narration de l’auteur sont liés à la théorie de la
transtextualité développée par Genette et de l’intertextualité exposée par Kristeva y
Camarero. Ainsi, plusieurs théories sont reprises: Bakhtine afin d’aborder la polyphonie
textuelle ; Ricœur pour appréhender les formes narratives; et White, pour assimiler le texte
historique comme un artefact littéraire. Celles de Todorov, Sarlo, Garrido, parmi d’autres,
sont explorées pour approfondir l’histoire, la culture de la mémoire et ses reconstructions,
mais aussi la figure de l’auteur, du lecteur et du narrateur en partant de l’art de la spéculation
et de la distorsion ; des termes désignés et développés par le romancier pour la construction
de ces récits dans le champ de la fiction.
L’auteur met en relation les caractéristiques de l’histoire en s’appuyant sur une esthétique de
la réception, réflexive et privée de la société colombienne, en partageant avec elle, une
version plausible des évènements sociaux et de leurs préfigurations liées aux faits et aux
protagonistes historiques. En effet, l’écrivain étudie, dessine et présente un modèle humain,
dynamique et exigeant sur une série de rectifications, d’éclaircissements et de révélations de
souffrances pour les victimes et les tortionnaires. En ce sens, tous les personnages
romanesques de Vásquez ont besoin de vivre leurs deuils, passés et présents, et de déchiffrer
leurs énigmes, lesquelles deviennent publiques au fil de la narration.
Ainsi, à titre d’exemples, des personnages tels que Sara Guterman et Gabriel Deresser, dans
Los informantes, reflètent l’exil et les migrations réalisées par de nombreuses familles juives,
cultivées et riches pour la plupart, afin de s’installer en Colombie durant l’époque de guerres
et de persécutions religieuses. Elles cherchaient alors à échapper à la Seconde Guerre
Mondiale et à l’hostilité de leur gouvernement. D’une certaine manière, ces faits anciens,
mais gardés confidentiels par les élites politiques, passent, grâce à Vásquez, du domaine privé
au public tout en s’enrichissant du point de vue de l’auteur et de celle d’autres personnes sur
la Colombie nazie et l’espionnage allemand.
Plus encore que cette interrogation sur la construction du passé et de ses identités de nature
sociales et nationales, l’auteur propose une vision humaniste des relations existantes entre la
véritable histoire et sa représentation pour la rendre compréhensible et, ainsi, énoncer ses
préoccupations ontologiques concernant une humanité affligée et fragmentée. À cette fin, il
276
évoque, non seulement les évènements où fusionnent des données historiques et fictionnelles,
sinon des personnalités emblématiques du passé collectif renvoyant à différentes pratiques
de la mémoire et divers modèles mnémotechniques et narratifs. De cette façon, en relatant le
passé ancré à une situation présente, il lui offre une légitimité par le biais de l’histoire qui la
détermine.
C’est le cas d’Antonio Yammara dans El ruido de las cosas al caer, qui, en raison de son
obsession pour l’existence et la mort de son ami, Ricardo Laverde, dévoile des évènements
associés au narcotrafic, à ses acteurs et à ses conséquences. Ses recherches le conduisent à
connaitre et à exposer les détails d’une époque de violence, en l’occurrence celle des années
80 et 90, au cours desquelles le pays fut secoué par de nombreux attentats perpétrés par les
cartels de drogue dans leur guerre pour le contrôle et le pouvoir.
Par conséquent, d’une certaine façon, la narration de ce romancier complémente
artistiquement les incertitudes du passé et met en lumière l’inaccessibilité d’aspects tels que
la représentation fiable de la réalité latino-américaine, sans que l’auteur prétende leur
octroyer une authenticité historique. Bien au contraire, des faits historiques sont manipulés
et inventés, laissant apparaitre, par exemple, des analogies biographiques entre Juan Gabriel
Vásquez, le personnage, et Juan Gabriel Vásquez, le romancier, des dialogues intertextuels
entre l’auteur et les autres écrivains, tels que Joseph Conrad et des ressources esthétiques ;
l’art de la distorsion et de la réfraction, ainsi que des projections imaginaires comme celle du
grand tribunal de l’histoire.
Ainsi, par une sorte de mimesis, le romancier reconstruit la figure historique de Joseph
Conrad comme écrivain et marin dans Historia secreta de Costaguana, afin de modeler son
passé et présenter une version distincte et tergiversé de son histoire à l’égard de celles narrées
dans les biographies. Ceci est rendu possible dans la fiction de cet auteur qui, par le biais de
la création de narrateurs peu fiables, tels que José Altamirano, offre une version déformée,
pour remettre en question ou s’interroger sur la nécessité d’immortaliser et de corriger les
fantômes du passé qui les accablent.
Parmi les catégories d’analyse et d’interprétation utilisées au cours de cette recherche pour
aborder la narration de Vásquez, nous avons pris en compte les axes thématiques associés
aux évènements historiques importants survenus en Colombie entre le XIXème et XXème
277
siècle. Ce furent des moments réitératifs et des essais persistants, de la part l’auteur, dans
l’intention de donner forme et de chercher un sens à ses expériences, en se basant sur ses
connaissances, biographies, recherches et lectures liées à l’histoire officielle, essayant ainsi
de présenter une cosmovision de l’histoire colombienne à la lumière de la littérature. En ce
sens, l’auteur, par sa narration, cherche à présenter une réinterprétation de sa perspective
comme citoyen colombien, héritier de traumatismes historiques qui furent une constante des
lettres nationales. Ceci apparait comme le résultat de la violence politique vécue par
distinctes générations suite aux actions et processus de paix affrontés par le pays au cours
des dernières décennies, à cause des groupes armés hors-la-loi et de la lutte contre le
narcotrafic.
Par conséquent, l’auteur recrée, dans ces romans, divers évènements historiques et scénarios
d’intérêt collectif et culturel comme: la participation de la Colombie à la Seconde Guerre
Mondiale, la construction du canal de Panamá sous la tutelle du gouvernement français, les
séquelles du narcotrafic, la morale et ses conséquences, ainsi que les conspirations permettant
au romancier d’examiner deux des magnicides les plus connus de l’histoire nationale: celui
de Rafael Uribe Uribe (1859-1914) et celui de Jorge Eliécer Gaitán (1903-1948).
Par ailleurs, il surgit de cette élaboration la représentation de Bogotá émotive, examinée et
imaginée des XIXème et XXème siècles, qui apparait, dans les récits de cet auteur, comme
une ville cosmopolite grandissant incessamment et superposant une variété de bruits, de
mélanges idiomatiques et culturels. Ce sont des traits stylistiques de l’écrivain qui permettent
de mesurer l’impact des évènements nationaux. Cette ville décrite par Vásquez a été
reconstruite à partir des ruines issues de faits mémorables de l’histoire, des réminiscences de
leurs protagonistes et témoins, ainsi que de fragments irrationnels du passé basés sur la
souffrance qui occupent sa géographie. Ces derniers sont réactivés par la naturalité de leurs
visiteurs qui leur attribuent une variété de significations enrichissant ainsi les expériences
personnelles de l’auteur et du lecteur.
De cette perspective, il est nécessaire de souligner la qualité littéraire de l’écrivain, des
réflexions et des interprétations sur la réalité colombienne, comme les représentations
diverses construites du point de vue critique qu’il réalise à propos de sa lecture et de sa
rédaction. Ainsi, diverses sociétés sont recrées, dans ses romans, à partir d’une perspective
278
intime dotée d’un profond intérêt pour les émotions, la mémoire, les peurs de certaines
personnes tombées en disgrâce, les casualités et les hasards de la vie, les conspirations, le
poids du passé, les pouvoirs du scrutin, l’observation de phénomènes sociaux, les obsessions
des sujets, les mystères de la condition humaine et la lutte contre l’oubli.
De façon similaire, l’auteur fait le parallèle avec la société colombienne à travers le temps. Il
est notoire que les problèmes et les dysfonctionnements du passé continuent d’être présents
et latents, comme, par exemple, la lutte pour l’autorité et le pouvoir, la violence injustifiée et
incontrôlée et les grands traumatismes sociaux. La fonctionnalité du roman de Vásquez est
dirigée à questionner l’histoire et l’écriture dans le cadre de sa narration. De cette façon, il
espère remplir les vides existants de discours historiographiques au sein desquels la vie privée
de personnages est revitalisée, comme celles de Ferdinand de Lesseps dans Historia secreta
de Costaguana et de Ricardo Rendón à travers son alter ego, Javier Mallarino, dans Las
reputaciones afin d’accéder à un discernement plus complet permettant de transpercer les
limitations existantes d’autres histoires et discours. Par ailleurs, son univers romanesque
pousse à découvrir la polémique et l’humain de l’histoire officielle pour la représenter de
forme dynamique et, ainsi, proportionner de nouvelles expériences et comparer divers points
de vue sur les évènements passés, ce qui permet une reconnaissance de l’histoire démystifiée.
L’un des aspects de l’analyse de sa narration, l’intertextualité, met en évidence une nouvelle
esthétique qui peut être considérée comme importante pour l’être humain, en actualisant le
mimétique-réaliste dans la sélection et la création de scénarios, d’anecdotes et d’évènements
qui mettent en lumière les transformations des faits et de leurs contextes. De cette façon, les
histoires offertes par l’auteur sont basées sur des évènements aussi bien réels que fictifs et
des documents de diverses natures ; journalistiques, témoignages oraux, caricatures,
photographies. Ces matériaux sont présentés sous différentes perspectives afin de rendre
compte des certitudes et des doutes exposés selon l’intérêt de l’auteur. Suivant un chemin
semblable, les personnages de Vásquez et leur voix prennent vie à travers la lecture du texte,
permettant ainsi une transcendance esthétique où se recréent et se conçoivent des mondes
polyphoniques par le biais de la lecture comme l’évoque le théoricien Bakhtine. Cela
confirme que le romancier spécule et explore les représentations de mondes, de points de vue
existants dans le récit et de positions sociales, politiques et idéologiques. Le but recherché
279
est de recréer ses histoires et de représenter ses personnages en se basant sur sa propre
perception de la réalité.
D’un autre côté, Vásquez s’est lancé dans le journalisme. Pendant quasiment une décennie,
le Colombien a eu en charge la rédaction d’un éditorial dans El Espectador609 (2007-2014),
dans laquelle il dévoilait des pistes interprétatives concernant sa perception du contexte
national et des intérêts littéraires qui ont contribué à l’élaboration de sa narration. En ce sens,
l’auteur réfléchit sur ses œuvres et détermine l’évidence du dialogue avec les différences
sources auxquelles il a recours, dans ces romans, pour actualiser les divers évènements
survenus en Colombie. Par ailleurs, ses publications, El arte de la distorsión et Viajes con un
mapa en blanco mettent en avant ses réflexions sur l’art de la fiction et ses mémoires liées à
plusieurs de ses conférences nationales et internationales. D’après cette perspective, ses
essais lui permettent, ainsi qu’à ses lecteurs, d’appréhender un ensemble d’orientations sur
l’art de l’écriture et d’avoir accès à des thèmes rétrospectifs qui les invitent comme témoins
directs du processus de relecture. Par conséquent, la réécriture du passé, dans les travaux de
Vásquez, est défigurée, falsifiée ou perfectionnée. Ce processus de rédaction crée des espaces
de réflexion qui conditionnent l’imagination et les expériences historiques de l’auteur.
609 El Espectador est le journal colombien national le plus ancien. Le journaliste Fidel Cano Gutiérrez (1854-
1919) le fonda en 1887. De nature libérale, il s’intéressa, entre autres, aux thèmes politiques, narratifs et
d’opinions. Son œuvre laisse ressurgir l’idée suivante: “El Espectador trabajará en bien de la patria con criterio
liberal y en bien de los principios liberales con criterio patriótico”. Óscar Alarcón Núñez. “El periodista
Guillermo Cano”. El Espectador, [en ligne], 16 décembre 2014. Disponible sur:
https://www.elespectador.com/noticias/nacional/el-periodista-guillermo-cano-articulo-533559.
Il est donc important de souligner que ce journal, accompagné d’El tiempo, a une grande influence dans le pays
de par la nouveauté et la véracité des informations au niveau national et international.
280
Bibliographie
1. L’œuvre littéraire de Juan Gabriel Vásquez
1.1 Romans
Los informantes. Bogotá: Alfaguara, 2004.
Historia secreta de Costaguana. Bogotá: Alfaguara, 2007.
El ruido de las cosas al caer. Bogotá: Alfaguara, 2011.
Las reputaciones. Bogotá: Alfaguara, 2013.
La forma de las ruinas. Bogotá: Penguin Random House, 2015.
1.1.1 D’autres romans
Persona. Bogotá: Cooperativa Editorial Magisterio, 1997.
Alina suplicante. Bogotá: Grupo Editorial Norma, 1999.
1.2 Contes
Los amantes de Todos los Santos. Bogotá: Alfaguara, 2008.
1.3 Biographie
Joseph Conrad. El hombre de ninguna parte. Barcelona: Edigrabel, 2007.
1.4 Essais
El arte de la distorsión (y otros ensayos). Bogotá: Alfaguara, 2009.
Viajes con un mapa en blanco. Bogotá: Penguin Random House, 2018.
1.5 D’autres écrits
La venganza como prototipo legal alrededor de la Ilíada. Tesis. Bogotá: Universidad de
Nuestra señora del Rosario. Facultad de Jurisprudencia, 1996.
1.6 Oeuvre journalistique
1.6.1 Articles
281
“A manera de despedida”. El Espectador, [en ligne], 21 août 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/manera-de-despedida-columna-512030
“Los libros de Coetzee”. El Espectador, [en ligne], 14 août 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/los-libros-de-coetzee-columna-510695
“¿De qué paciencia estamos hablando?”. El Espectador, [en ligne], 07 août 2014. Disponible
sur: http://www.elespectador.com/opinion/de-paciencia-estamos-hablando-columna-509247
“Peligro: literatura sobre la vida”. El Espectador, [en ligne] 31 juillet 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/peligro-literatura-sobre-vida-columna-507959
“La Iglesia y el dolor”. El Espectador, [en ligne], 24 juillet 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/iglesia-y-el-dolor-columna-506543
“La nueva oposición”. El Espectador, [en ligne], 17 juillet 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/nueva-oposicion-columna-505061
“El derecho a reinventarse”. El Espectador, [en ligne], 10 juillet 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/el-derecho-reinventarse-columna-503714
“El dogma llega a las clínicas”. El Espectador, [en ligne], 03 juillet 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/el-dogma-llega-clinicas-columna-502232
“La tarea de los negociadores”. El Espectador, [en ligne], 26 juin 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/tarea-de-los-negociadores-columna-500932
“Una risa triste”. El Espectador, [en ligne], 19 juin 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/una-risa-triste-columna-499451
282
“Sobre la intolerancia”. El Espectador, [en ligne], 12 juin 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/sobre-intolerancia-columna-498010
“Con estos amigos”. El Espectador, [en ligne], 05 juin 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/estos-amigos-columna-496755
“Nuestra salud nacional”. El Espectador, [en ligne], 29 mai 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/nuestra-salud-nacional-columna-495461
“El veneno y las elecciones”. El Espectador, [en ligne], 22 mai 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/el-veneno-y-elecciones-columna-494021
“Otra vez el todo vale”. El Espectador, [en ligne], 15 mai 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/otra-vez-el-todo-vale-columna-492671
“Un capricho de lector”. El Espectador, [en ligne], 08 mai 2014. Disponible sur:
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“Rushdie, Garcia Márquez y otras cosas”. El Espectador, [en ligne], 01 mai 2014. Disponible
sur: http://www.elespectador.com/opinion/rushdie-garcia-marquez-y-otras-cosas-columna-
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“Leer con el teléfono apagado”. El Espectador, [en ligne], 24 avril 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/leer-el-telefono-apagado-columna-488745
“Las ficciones que nos cuentan”. El Espectador, [en ligne], 10 avril 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/ficciones-nos-cuentan-columna-486315
“Otra forma de ver la constituyente”. El Espectador, [en ligne], 03 avril 2014. Disponible
sur: http://www.elespectador.com/opinion/otra-forma-de-ver-constituyente-columna-
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“La soledad de Venezuela”. El Espectador, [en ligne], 27 mars 2014. Disponible sur:
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“La vieja pregunta”. El Espectador, [en ligne], 20 mars 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/vieja-pregunta-columna-482140
“El hombre que denunció su muerte”. El Espectador, [en ligne], 13 mars 2014. Disponible
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“¿A quién sirve el voto en blanco?”. El Espectador, [en ligne], 06 mars 2014. Disponible sur:
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“La buena televisión chavista”. El Espectador, [en ligne], 27 février 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/buena-television-chavista-columna-477784
“Respuesta a un embajador”. El Espectador, [en ligne], 20 février 2014. Disponible sur:
http://www.elespectador.com/opinion/respuesta-un-embajador-columna-476394
“Los poetas de la colonia Condesa”. El Espectador, [en ligne], 13 février 2014. Disponible
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“El caricaturista contra el rey”. El Espectador, [en ligne], 06 février 2014. Disponible sur:
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“En caso de duda, funde una iglesia”. El Espectador, [en ligne], 30 janvier 2014. Disponible
sur: http://www.elespectador.com/opinion/caso-de-duda-funde-una-iglesia-columna-
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“La realidad y el deseo”. El Espectador, [en ligne], 16 janvier 2014. Disponible sur:
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“¿En manos de quién estamos?”. El Espectador, [en ligne], 09 janvier 2014. Disponible sur:
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“Memorias del año que comienza”. El Espectador, [en ligne], 02 janvier 2014. Disponible
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“Esta babilonia nuestra”. El Espectador, [en ligne], 19 décembre 2013. Disponible sur:
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“Preguntas sin respuesta”. El Espectador, [en ligne], 12 décembre 2013. Disponible sur:
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“Paranoia”. El Espectador, [en ligne], 05 décembre 2013. Disponible sur:
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“Tantos homenajes”. El Espectador, [en ligne], 28 novembre 2013. Disponible sur:
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“Hacia el fundamentalismo”. El Espectador, [en ligne], 21 novembre 2013. Disponible sur:
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“Los defensores de la vida”. El Espectador, [en ligne], 06 juin 2013. Disponible sur:
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“¿Qué procura el procurador?”. El Espectador, [en ligne], 24 mai 2013. Disponible sur:
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“Carlos Fuentes a carcajadas”. El Espectador, [en ligne], 16 mai 2013. Disponible sur:
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Annexe I- Entretien avec Juan Gabriel Vásquez (2016)
“Los novelistas han sido muchas veces los
encargados de mantener una cierta resistencia
contra el olvido, de recordar lo que los
contadores oficiales de la historia, los
gobiernos, los estados, el poder quieren
olvidar. Escribir novelas es de alguna manera
enfrentarse al relato de los otros”610.
Por Marisella Buitrago Ramírez
Bogotá, 26 de junio de 2016
El escritor colombiano Juan Gabriel Vásquez nace en Bogotá en 1973. Desde su infancia se
interesó por la lectura de grandes obras clásicas de la literatura y de la historia, así como por
los fundamentos de la escritura creativa. Esta motivación lo ha llevado a publicar siete
novelas, desde 1997 hasta 2015, varias de ellas ganadoras de premios literarios. Entre sus
novelas oficiales y en orden de publicación se encuentran Los informantes (2004), Historia
secreta de Costaguana (2007), El ruido de las cosas al caer (2011), Las reputaciones (2013)
y La forma de las Ruinas (2015). Hoy por hoy, se reconoce como uno de los escritores más
prolíficos de las letras colombianas. Adicionalmente, publicó una biografía sobre el famoso
escritor polaco del siglo diecinueve Joseph Conrad, titulada Joseph Conrad: el hombre de
ninguna parte (2004). También ha sido columnista del periódico El Espectador, cuentista y
ensayista. Entre el 2008 y 2009 publicó una recopilación de cuentos y ensayos bajo los
títulos Los amantes de Todos los Santos y El arte de la distorsión, respectivamente. Vásquez
ha encontrado en la historia de Colombia un terreno aún por explorar desde el campo de la
novelística. Los grandes acontecimientos nacionales son, para el autor, un producto narrativo
capaz de simbolizar a personajes reales de la historia y reinventarlos en sus novelas, del
mismo modo que puede profundizar en contextos desconocidos para el núcleo social
colombiano y especular sobre la historia misma. El autor retoma temas del pasado e indaga
sobre sus posibles consecuencias, cambios y omisiones. Propone ir en contra del olvido y
sugiere una nueva versión sobre los hechos de la historia nacional representados a través de
las acciones, dificultades y logros alcanzados por sus personajes.
Actualmente, Vásquez está trabajando en su nueva novela, ambientada por las historias y
vivencias de un veterano que participó de la guerra en Corea. Dicho interés surgió a partir de
un informante que el escritor conoció y se interesó por su relato.
Vásquez reconoce ser un escritor con un estilo de vida bastante agitado para atender todas
las actividades e invitaciones que van surgiendo. Por ejemplo, durante este año 2016, fue
invitado especial en la Feria del Libro que se llevó a cabo en Bogotá, para dialogar con el
escritor francés Jean Rouaud y tratar de ofrecer al público asistente una evaluación
610 Foto: Juan Gabriel Vásquez en la Feria del Libro Corferias, Bogotá, Colombia, abril de 2016.
336
contextualizada de su producción literaria y fílmica. Además, participó como exponente en
tres conferencias tituladas: “Homenaje y lanzamiento de la novela póstuma de R.H. Moreno”,
“Instrucciones para leer El Quijote”, finalmente, “Inspirarse en Cervantes y Shakespeare”.
Sin embargo, a pesar de sus múltiples ocupaciones y de su tiempo dedicado a la escritura
creativa, me concedió un espacio para la realización de la presente entrevista.
MB: Buenas tardes, Juan Gabriel. Me gustaría empezar por la relación que usted
establece entre novela y periodismo. En el caso de aquellos novelistas que son también
periodistas y periodistas que escriben novelas, ¿qué piensa usted de esa relación?
JGV: Bueno, para mí la visión del mundo que tiene un periodista es realmente opuesta de la
que tiene un novelista. El género de la novela, tal y como yo la entiendo, parte de la duda, de
la incertidumbre, se escribe porque no se sabe, se escribe porque no se conoce y la novela es
una manera de investigar, es un aparato inquisidor que hace preguntas. Mientras tanto, el
periodismo de opinión, que es el que yo he practicado sobre todo, parte de la certidumbre,
parte de tener certezas. Uno está absolutamente seguro de algo, de una idea filosófica, que
generalmente tiene que ver con el modelo de sociedad que uno quiere o con un cierto punto
de vista moral sobre nuestro papel en la sociedad como individuos y entonces, uno trata de
hacer proselitismo, uno trata de convencer a los demás de que uno tiene la razón. De manera
que son dos maneras opuestas y si se quiere enfrentadas de estar en el mundo; una es la
manera de las preguntas, de las dudas, que es la novela y otra es la manera de las respuestas
y las certidumbres que es el periodismo.
MB: ¿De qué manera el periodismo ha influido en su novelística?
JGV: Pues yo creo que con relación a mi método de trabajo sobre todo, ya que he dicho que
mi trabajo como novelista no tiene creo yo, ninguna relación con mi trabajo como novelista.
Tengo que aclarar sin embargo, que la manera de comportarse del periodista, sí ha influido
en mi escritura de novelas. Todas mis novelas parten de una estrategia periodística en algún
momento; es decir que, a partir del momento en que una idea nace o más bien una escena, un
personaje, un conflicto, nacen en mi cabeza y se van a volver novelas, pueden pasar más o
menos meses; pero en algún momento siento la necesidad de salir al mundo y hacer
reportajes, entrevistas, ir a los lugares donde ocurre esa ficción en particular, dónde ocurrirá
esa ficción y hacer una especie de trabajo de campo.
Mis novelas siempre tienen un pie muy firme no solo en la realidad histórica, sino en la
realidad presente, en el sentido de involucrar testigos a los cuales entrevisto, con los cuales
converso, a los cuales observo, como caricaturistas en el caso de Las reputaciones o testigos
de la Segunda Guerra Mundial en Colombia. En el caso de Los informantes, nació
precisamente con una de esas personas, en una conversación con una de esas personas o en
el caso de La forma de las ruinas es algo más directo, que es un hombre, un médico que un
día me llama y me pone en las manos una vértebra de Jorge Eliécer Gaitán y una parte del
cráneo de Rafael Uribe Uribe. De esos momentos surgen mis novelas y las trato con una
cierta visión periodística en algún momento.
MB: A partir de sus facetas profesionales como periodista, traductor, ensayista y
estudios en derecho y literatura latinoamericana se evidencia a un escritor investigador,
que recurre a diversos géneros discursivos y literarios para la construcción de sus
337
relatos. ¿Podría contarme un poco más sobre dicha experiencia? ¿Qué recursos le han
aportado dichas actividades en su oficio como novelista?
JGV: Bueno, todas las maneras de relacionarse con el mundo a través del lenguaje, acaban
enriqueciendo el oficio del novelista. Este género de la novela es por naturaleza voraz,
caníbal, es capaz de devorarlo todo. Mi lado periodístico ya lo expliqué un poco, el lado
traductor ha sido también una parte fundamental de mi aprendizaje porque yo creo que la
traducción es la lectura perfecta, nadie lee tan bien como un traductor; y en ese sentido, un
escritor que haya traducido libros ha tenido acceso a una especie de aprendizaje muy
privilegiado.
Los estudios de derecho, pues yo nunca he sabido realmente bien qué me han dado, aparte
de ciertos temas, de ciertos escenarios y del contacto con el centro de Bogotá porque yo
estudié la carrera en el centro de Bogotá, rodeado de los hechos que después me
obsesionarían y que se convertirían en material de mis novelas. Los crímenes que ocurrieron
a los alrededores de mi universidad, el de Jorge Eliécer Gaitán, el de Rafael Uribe Uribe, el
suicido de Ricardo Rendón, etc.
Mis estudios de literatura latinoamericana en cambio, lo único que hicieron fue enseñarme o
más bien mostrarme la existencia de algunos autores a los que les he sacado mucho jugo
después. En la universidad descubrí a César Vallejo por ejemplo, Alfonso Reyes, pero aparte
de eso, nunca he creído que la manera académica de leer tal y como se enseña en las
universidades tenga demasiada pertinencia para un novelista.
MB: ¿Desde qué momento supo que iba a ser escritor? ¿Cómo ha experimentado esa
evolución?
JGV: Bueno, yo más bien no recuerdo un día en mi vida en que no me relacionara con el
mundo a través de la lectura y la escritura. Lo que sucede es que, una cosa era vivir en la
literatura, en los libros; y otra cosa era, tomar la decisión vital de dedicarme a eso. Si a eso,
se refiere esta pregunta, entonces lo tengo muy claro. Fue entre más o menos la navidad del
año 92 y el día de Reyes del año 93. Fue durante esas vacaciones, entre un semestre y otro
que me di cuenta de que la carrera de derecho que estaba estudiando, no me interesaba ya, y
lo único que me interesaba más bien era leer y escribir novelas o leer novelas y tratar de
aprender a escribirlas; entonces, a partir de ahí, comencé a tomar una serie de decisiones
hacia eso.
MB: ¿Podría hablarnos de cómo ha cambiado su manera de escribir novelas desde que
empezó Los informantes hasta el día de hoy?
JGV: No lo sé la verdad. Creo que se ha vuelto más exigente por un lado. Creo que La forma
de las ruinas que es mi novela más reciente, es también la más exigente, la más difícil, pero
sobre todo, lo que ha pasado, es que se ha afianzado una cierta poética. Con Los informantes
yo comenzaba a intuir qué tipo de escritor quería ser, qué tipos de novelas me interesaba
escribir, a qué tipo de familia literaria quería aspirar y en las siguientes novelas, no he hecho
más que afianzar esa idea. De una novela que explora, el lugar donde se encuentra lo público,
lo privado, que explora nuestra posición en ese mundo que llamamos el mundo de la historia,
de la política. Una novela que explora, una novela que hace preguntas, muchas veces
incómodas, una novela con los pies bien metidos en la realidad que cree en una especie de
338
compromiso con la realidad; no es un compromiso ideológico desde luego, las novelas no
son para eso, pero si es un compromiso con los grandes temas para tomar un atajo conceptual.
De manera que eso es lo que yo creo que ha sucedido.
MB: Haciendo una retrospección sobre su narrativa ¿Me podría decir que escritores
han influido en su novelística?
JGV: Bueno, la lista es muy larga. Yo creo que Cervantes y Shakespeare son los primeros y
esto me imagino que casi cualquier escritor sensato lo diría; pero es que para mí, realmente
fueron importantes, realmente me permitieron descubrir, afianzarme en una cierta idea de
mis novelas. Luego vienen las influencias reales, las influencias que moldearon no solo la
arquitectura de mis libros sino sus voces, sus estilos y ahí puedo hablar entre los muertos de
Conrad, que fue muy importante para mí, o Dostoievski o Faulkner y entre los vivos de
Vargas Llosa, Philip Roth, entre los recientemente muertos, García Márquez por supuesto,
Borges, Onetti, son muchísimos.
MB: Me gustaría indagar sobre las ideas iniciales para la escritura de sus novelas. En
reiteradas ocasiones ha afirmado que éstas parten de una especulación; ¿Cuáles serían
esas especulaciones?
JGV: Bueno, lo que sucede es que yo nunca he partido de una idea como tal. Mis novelas
parten de encuentros, personajes, tal vez escenas, hallazgos, de mi experiencia real. Por
ejemplo, Los informantes nacieron de una conversación que yo tuve con una mujer alemana
y judía a la que conocí en el 99. Allí arrancó la novela. El ruido de las cosas al caer arrancó
con la narración de la vida de un piloto que a principios de los años 70 hubiera llevado droga,
marihuana, a los Estados Unidos. Luego, esa historia se estancó y tuvo una especie de
renacimiento el día en que me encontré por puro azar, con una foto de un hipopótamo recién
escapado o escapado dos años antes del zoológico de Pablo Escobar y perseguido y cazado
por cazadores contratados para eso y soldados del ejército colombiano, etc. Esa imagen hizo
que la novela detonara. En Las reputaciones fue la imagen de un caricaturista político que de
un día normal del año 2010, ve pasar al fantasma, o cree ver pasar al fantasma de Ricardo
Rendón, caricaturista muerto en 1931. Así arranca la novela y la primera página de la novela
fue efectivamente la primera que escribí, eso no suele pasar a menudo. Y La forma de las
ruinas también nació de una experiencia directa, el día en que tuve en mis manos, los huesos
de dos de los muertos más célebres que han marcado la historia de Colombia; Jorge Eliécer
Gaitán y Rafael Uribe Uribe. Las novelas nacen de esas vivencias que a lo largo de muchos
años, pasan de ser meras curiosidades a ser algo más, a convertirse por alguna razón que yo
nunca sé identificar muy bien, en obsesiones o en demonios como dice Varga Llosa y ahí no
me queda más remedio que escribirlas. Y se ha dicho que partan de especulaciones es porque
yo simplemente me pregunto, qué hubiera pasado si esta mujer alemana judía conoce a un
personaje como mi Gabriel Santoro padre, o qué hubiera pasado si el piloto aquel, conoce al
piloto de El ruido de las cosas al caer, conoce a un narrador que se parece a mí, Antonio
Yammara, y muere abaleado en el centro bogotano y una de esas balas que le disparan desde
una moto, le pegan a mi narrador. Son especulaciones en ese sentido, en el sentido de lo que
hubiera podido pasar. Carlos Fuentes decía en Terra Nostra, una frase que para mí es una
339
especie de brújula en el trabajo del novelista. Ésta es que los relatos, no deberían contarnos
lo que pasó, sino también lo que hubiera podido pasar. Ese también es el trabajo, eso es sobre
todo el trabajo de la ficción.
MB: ¿Cómo logra usted establecer una relación tan significativa y novedosa del
discurso histórico y del discurso novelesco en todas sus novelas oficiales?
JGV: Me gusta lo de oficiales. Pues mira, eso es un elogio y no sé si uno deba aunque sea
por educación responder a los elogios; pero claro, me preguntas cómo logro establecer una
relación entre el discurso histórico y el discurso novelesco. Bueno, lo que sucede es que para
mí, la historia es un lugar oscuro, es un lugar misterioso. La única historia que me gusta es
la que no entiendo completamente, cuando me di cuenta de que a una hora y media de Bogotá
hubo en los años 40, un hotel de lujo expropiado para servir de prisión o de lugar de
confinamiento a los simpatizantes del nazismo y del fascismo; pues eso me cambió por
completo las ideas sobre mi propia vida, mi propia experiencia, la experiencia de mis padres,
la experiencia de mi país. Las novelas funcionan así, la historia para mí es un lugar oscuro
que merece ser investigado. Las novelas son sondas morales, que se mandan a esos lugares
con la esperanza de que vuelvan con algo de información; entonces en ese tratamiento del
pasado como conflicto, como problema, como bosque oscuro y misterioso, está la novela.
Novalis decía que las novelas salen de los defectos de la historia, las novelas salen de esos
lugares que la historia no pudo contar, no fue capaz de contar, no supo contar porque no tenía
las pruebas, porque no tenía los documentos, porque no tenía los testigos. Ese es el privilegio
de la ficción, que no necesita o que puede prescindir en algún momento de las verdades
fácticas para bucear con la verdad de la imaginación y de la creación literaria en esos mares
oscuros.
MB: ¿De qué modo se relacionan en su mundo novelístico los personajes, las vivencias,
las ideologías?
JGV: Bueno, esto si lo supiera contestar, me temo que las novelas no serían más que
ilustraciones de esto. Yo sigo creyendo que la novela es una criatura viva, que en alguna
medida, sabe más que el novelista, se es capaz de ir a lugares donde el novelista no había
previsto, y por eso, la dinámica que se maneja en una novela que está viva, las relaciones
entre los personajes, las vivencias y las ideologías siempre son impredecibles para el
novelista. Eso es exactamente por ejemplo, lo que pasó cuando Tolstói empezó a escribir
Anna karénina con el objetivo claro de condenar moralmente a una mujer adúltera y hacer
de ella un ejemplo; y acabó, porque la novela fue más inteligente, más generosa y más
abarcadora que él. Acabó haciendo una especie de gran monumento a la libertad y a la
autonomía de la mujer en un medio que la oprime, entonces, nunca sé, cómo se relacionan
en mi mundo novelístico estas cosas. La novela va creando esas relaciones, va inventando
esas relaciones y mi tarea es, proporcionar la arquitectura y las palabras para que eso tenga
el mejor y la mayor pertinencia posible por un lado, y por otro lado, una cierta belleza, una
cierta dignidad de forma.
MB: ¿Cómo realiza la construcción de sus personajes novelescos?
340
JGV: Me han preguntado mucho, sobre todo después de Los informantes e Historia secreta
de Costaguana por la relación entre los hijos y sus padres. Las dos novelas son
investigaciones de distintos modos, investigaciones por parte de un hijo en la vida de su
padre, la vida del padre tratada como secreto, tratada como misterio. Los tratamientos son
completamente distintos por supuesto, porque Historia secreta de Costaguana es una novela
de clave picaresca, y eso influye mucho en la figura de la búsqueda del padre, que es de una
tradición picaresca muy larga. Los personajes picarescos suelen ser huérfanos justamente. El
lazarillo de Tormes lo era, es la primera novela picaresca, pero en esa búsqueda del padre,
yo siempre he visto una metáfora de nuestra relación con la historia. El conflicto histórico es
básicamente un conflicto general entre dos generaciones. Los padres, les reprochan a sus
hijos lo que han hecho con el mundo que les heredaron, y los hijos, les reprochan a sus padres,
haberles heredado ese mundo destruido que ya no le sirve y aconsejaría que hay que
corregirlo desde el principio. Esto por supuesto es una simplificación; pero ese conflicto
histórico es lo que existe, casi que por antonomasia en la relación entre un padre y un hijo. Y
eso era lo me interesaba también en explorar en esas dos novelas, cuyo tema principal es un
asunto histórico.
Conrad en Historia secreta de Costaguana es un personaje especial. Fuera de la novela,
Conrad, es la inspiración y un libro suyo es el detonante de Historia secreta de Costaguana;
ese libro por supuesto es Nostromo. Dentro de la ficción, el novelista se tiene que cuidar
mucho de las hagiografías, los homenajes demasiado intensos. Para mí fue siempre claro que,
si yo quería que Historia secreta de Costaguana tuviera alguna vida autónoma como ficción
y mi narrador tuviera alguna credibilidad, el retrato de Conrad no podría ser tan favorable y
tan producto de la admiración que yo le tengo. Por tanto, la novela narrada, desde el punto
de vista de José Altamirano se dedica a destruir la figura de Conrad, a cuestionarlo
intensamente, a ridiculizarlo en muchos casos. La gran metáfora del centro de la historia de
Historia secreta de Costaguana es la pelea por un cierto relato. El narrador, Altamirano
siente que un escritor llamado Joseph Conrad le ha robado su historia y al robarle su historia,
él roba también su vida, puesto que nuestra vida es el derecho a escoger el relato que nos
define, entonces, alrededor de esa tensión crece el personaje de Conrad en Costaguana.
MB: ¿Por qué usted se ficcionaliza en su última obra? ¿Cuál es su intencionalidad?
JGV: Bueno, esa es una decisión meramente técnica en el principio, se convirtió después en
algo mucho más importante. Al principio, fue una decisión técnica porque la novela nace de
una vivencia directa muy fuerte, del día a día como ya lo he dicho varias veces. El día en que
un médico que conocí por casualidad, me puso en las manos una vértebra de Jorge Eliécer
Gaitán y un cráneo de Rafal Uribe Uribe que estaban en sus manos, en su propiedad y que él
había heredado en circunstancias extrañas que yo traté de contar en la novela. Ese momento
fue el detonante de la novela; a partir de ese momento, yo supe que tenía una novela entre las
manos. Ese detonante fue una vivencia tan directa y a mí me quedó inmediatamente claro,
por simple intuición de novelista, que no podía inventar un narrador ficticio para contar eso;
que si inventaba a un Gabriel Santoro o a un José Altamirano o a un Antonio Yammara, el
incidente iba a perder potencia, iba a perder si se quiere hasta verosimilitud. En cambio, si
contaba la novela como una especie de falsa crónica o de falsa autobiografía desde el punto
de vista de un escritor llamado Juan Gabriel Vásquez, la realidad del hecho ganaba
inmensamente en potencia. Esa fue la decisión técnica que tomé, pero luego, esto se convirtió
341
también parte de algo más grande. Empezó a afectar incluso los temas de la novela, empezó
a sugerir temas porque en ese momento, me di cuenta, a pesar de que evidentemente ya había
pensado en eso muchas veces con anterioridad, me di cuenta de que esos días en que yo me
iba para la casa de un médico, al que apenas conocía para sostener en mis manos los restos
de los muertos célebres de mi país, esos días eran los mismos días en que mis hijas gemelas,
estaban naciendo en un parto complicado lleno de dificultades y con mucha anticipación.
Fueron niñas muy prematuras que nacieron de seis meses y medio, de manera que yo llegaba
a la clínica a alzarlas en mis manos, a tenerlas conmigo unos minutos fuera de la incubadora
y estaba consciente de alguna manera, de la realidad incómoda que era que en esas manos
donde estaban las niñas recién nacidas, recién llegadas a este país tan raro que es Colombia,
habían estado pocas horas antes el cráneo de Rafael Uribe Uribe y la vértebra de Jorge Eliécer
Gaitán. Y eso, yo creo que a cualquier novelista, le hubiera sugerido la reflexión de cómo
heredarán estas niñas esos crímenes que yo he heredado, cómo se transmite la violencia de
nuestro pasado de generación en generación y cómo unas criaturas recién llegadas a este
país, van de alguna manera a sentir las consecuencias de una violencia pasada.
MB: ¿Por qué la historia de Colombia es el tema central en todas sus novelas oficiales?,
¿Dónde surgió dicha necesidad o sentimiento dominante?
JGV: Surgió de como decía antes, de la sensación de que esa historia está llena de secretos.
Yo escribo novelas sobre la historia porque no la entiendo, porque hay episodios de la historia
que me parecen oscuros, que me parecen llenos de preguntas, llenos de incertidumbres que
me interrogan y me interpelan constantemente y escribo para tratar de darles alguna
iluminación, algún sentido y para tratar de explorarlos con ese magnífico aparato; ese
magnífico vehículo de exploración que es la novela. La historia de Colombia es el tema
central de mis novelas porque es lo que ha sido capaz de sorprenderme. Yo creo que si
escribimos los novelistas sobre nuestros lugares, no es porque sean los lugares que
conocemos; es porque son los lugares que creíamos conocer y luego, un incidente, una
conversación casual, un descubrimiento, una sorpresa, un documento, una fotografía que
encontramos, nos demuestran que no los conocíamos tanto, que son capaces de sorprendernos
y de sacudirnos el piso. De esa sensación sorpresa surgen mis novelas.
MB: ¿Cómo debería ser abordada su narrativa? ¿Qué usted nos recomienda, a sus
lectores sobre esos tips o claves de lectura de su novelística?
JGV: No hay ninguna prescripción sobre esto. El lector es absolutamente libre de hacerlo
como le dé la gana.
MB: ¿Cuál cree usted que es la responsabilidad social y literaria de un novelista?
Yo no creo que haya una responsabilidad social del novelista. Yo siento que la tengo, siento
que la asumo, y siento que trato de dignificarla en mis libros, pero no creo que exista. Uno
no puede pertenecer a la tradición de Borges por ejemplo, y creer en algo como la
responsabilidad social del novelista. Y sin embargo, sí creo que parte de la responsabilidad
literaria de un novelista, es una responsabilidad moral que se vuelve una responsabilidad
social, la de usar la novela como un vehículo para descubrir nuevos lugares de la condición
342
humana; es decir, para ir a esos lugares a donde nadie había ido antes y decir algo sobre ellos.
Para revelarnos una parcela oculta de nuestra relación con el mundo, es también una
responsabilidad existencial y es, en ese sentido, que Milan Kundera en El arte de la novela
decía que la única moral de la novela es el conocimiento y que es inmoral una novela que no
contribuye con ese conocimiento, que no nos permite conocer un lugar nuevo de nuestra
condición humana. Esa es la responsabilidad de un novelista. Primero, ampliar el campo de
acción de la novela, llevar este aparato magnífico que hemos inventado para conocernos y
conocer lugares donde no había ido antes. Segundo, ampliar nuestro conocimiento sobre el
ser humano, sobre lo que es el ser humano, sobre por qué se comporta como se comporta y
en este sentido, las novelas son morales, son exploraciones, meditaciones con contenido
moral, no moralista; y esto es casi que no debería ser necesario aclararlo. No moralista sino
moral en el sentido en que es moral una novela de Tolstói, de Dostoievski, de Conrad, de
Faulkner, de Hemingway, de Vargas Llosa, de Bulgákov, del que sea.
MB: Me llama la atención el tratamiento que usted da a la memoria histórica en su
novelística. ¿Me puede hablar un poco más sobre este aspecto característico de su obra?
JGV: Sí, la memoria tiene contenido histórico en muchas de mis novelas pero a mí lo que me
importa no es el adjetivo sino el sustantivo. Mis novelas tienen una relación muy intensa con
la memoria, con el acto de recordar, entre otras razones porque me parece que son los lugares
donde a veces permanecen vivas las ideas, emociones, hechos, que si no se contara en la
ficción, pasarían al olvido o morirían y dejarían de hacer parte de nuestra experiencia. Los
novelistas han sido muchas veces los encargados de mantener una cierta resistencia contra el
olvido, de recordar lo que los contadores oficiales de la historia, los gobiernos, los estados,
el poder quieren olvidar. Escribir novelas es de alguna manera enfrentarse al relato de los
otros. Yo suelo decir que todos esas palabras que escribimos con mayúscula, el Estado, el
Gobierno, la Iglesia son grandes narradores y todos quieren siempre imponernos su versión
del pasado. El novelista es el que levanta la mano y dice las cosas no sucedieron así, o las
cosas sucedieron también de otro modo, o las cosas hubieran podido suceder de otro modo y
para hacer eso se para sobre la atalaya de la memoria, sobre el acto de recordar lo que otros
quieren olvidar o suprimir. Eso es lo que hace por ejemplo las novelas de Philip Roth, que
tanto me gustan, las novelas de Saul Bellow, por supuesto George Orwell, que escribió una
novela llamada 1984 donde famosamente hay un agujero en el que se van todos los
documentos que el régimen considera peligrosos e incómodos, y ese agujero se llama el
hueco de la memoria. Lo anterior, es muy ingenioso de parte del régimen totalitario de la
novela porque por supuesto, ese hueco no conduce más que al olvido.
MB: ¿Cómo mira sus obras retrospectivamente? ¿Siente la necesidad de modificar
alguna de sus novelas?
JGV: Bueno, aprendí con las dos primeras novelas que es muy doloroso publicar un libro que
uno siente después defectuoso o que siente la necesidad de modificarlo. Pero esas más que
modificadas, las he eliminado de mi biografía y a partir de ahí, no siento la necesidad de
modificarlas. A partir de Los amantes de Todos los Santos y luego Los informantes que es la
primera novela oficial, no siento la necesidad de modificarlas más allá del hecho inevitable
343
de que un escritor es incapaz de dejar el texto quieto. Yo abro cualquiera de mis novelas y
empiezo inmediatamente a corregir una coma, un adverbio, lo que sea, pero eso es parte de
la naturaleza de un texto vivo; más bien, la gran arquitectura de las novelas, sus temas y el
tratamiento de sus temas no necesitan ninguna modificación.
MB: De su novelística, ¿cuál considera usted es la más importante y por qué?
JGV: Bueno, en este momento no me cabe la menor duda de que mi novela más importante
es La forma de las ruinas. Es la más ambiciosa, es la más abarcadora en términos de los
temas que osadamente se proponen y además, se publica en un momento en que sus
preocupaciones deberían ser también las de todo un país. Alguien a quién quiero mucho, me
decía que ésta es la primera novela del postconflicto en el sentido de examinar muchas de las
tensiones, muchas de las violencias que han marcado los años de la guerra en Colombia. Y
es esa guerra precisamente, la que estamos tratando de solucionar con las negociaciones de
paz en la Habana. Entonces, aparte de que creo haber hecho mínimamente bien algunas cosas
en esa novela, creo que tiene una pertinencia para el momento en que se publica que yo no
había previsto y que me da mucho gusto observar.
MB: ¿Cuál es su impresión sobre la difusión de su novela en el extranjero?
JGV: No es fácil medir estas cosas, porque mis novelas se publican en 28 lenguas creo, no
sé bien. De esos espacios, yo solo puedo tener acceso a unos pocos. Desde luego, creo mucho
en la capacidad de la literatura para desbaratar clichés, para enfrentarse a lugares comunes y
dinamitarlos. Siempre recuerdo que cuando Philip Roth le dieron el premio Príncipe de
Asturias, y no pudo ir a recogerlo, mandó una grabación en la que explicaba que la visión
que se tiene de la vida norteamericana, de la vida en Estados Unidos, en Europa, es una visión
simplificada, maniquea; y que si sus novelas contribuyen a destruir algunos lugares comunes
o a demostrar la complejidad, las contradicciones, las sutilezas y las riquezas de la vida
norteamericana, pues ese es uno de los grandes papeles de la literatura. Yo creo que mis
novelas han modestamente tenido estos resultados en algunos lugares. El ruido de las cosas
al caer me consta por ejemplo, porque se me han acercado los lectores a decirlo; que es una
novela que ha transformado la idea que los lectores tienen del negocio de la droga en
Colombia, de la manera en cómo nos ha cambiado las vidas y transformado las conciencias,
el hecho de haber convivido con el narcoterrorismo, con la violencia impredecible de las
bombas, de los tiroteos. Solo esa mínima transformación de la visión que se tiene de
Colombia en el extranjero, que es como si la figura que es Colombia dejara de tener dos
dimensiones y pasara a tener tres para esos lectores, eso es una inmensa satisfacción para mí.
MB: Es inevitable preguntar esto: ¿Podría adelantarnos algo sobre su próxima novela,
proyectos, publicaciones?
JGV: Bueno, tengo dos otras obsesiones que andan por ahí flotando. Mis novelas tardan
muchísimo en llegar a la primera página. El ruido de las cosas al caer, tardó 10 años a partir
del primer documento que descubrí, hasta que la escribí. La forma de las ruinas tardó 7, de
manera que ahora sí, hay algunos fantasmas que andan por ahí flotando, que me han
acompañado en los últimos 7 u 8 años. Uno de ellos, es mi interés por las historias de un
344
veterano de la guerra de Corea que conocí hace algunos años, que me contó sus historias y
esas historias, creo están convirtiéndose en una novela futura. De eso es, de lo que podría
hablar ahora. Nada más, muchas gracias.
345
Annexe II- L’œuvre littéraire de Juan Gabriel Vásquez
346
Annexe III- Prix Littéraires
Son travail d’écrivain lui a permis d’être reconnu à niveau national et international, et d’être
considéré par la critique comme un des écrivains les plus importants de la littérature
colombienne de ces dernières années; la preuve en est les nombreux prix littéraires qui l’ont
récompensé:
Los informantes
-Nouvelle finaliste de l’Independant Foreign Fiction Prize au Royaume
Historia secreta de Costaguana
-Roman récompensé par le Prix Qwerty pour le meilleur livre de narration en espagnol
(Barcelone)
-Prix de la Fondation des Livres et des Lettres au meilleur livre de fiction. Bogotá: 2007.
El ruido de las cosas al caer
-Roman qui a gagné le Prix du Roman Alfaguara 2011
-Prix Roger Caillois 2012 en France
-Prix Gregor von Rezzori 2013 en Italie
-Prix littéraire international IMPAC de Dublin, 2014.
Las reputaciones
-Roman finaliste du 1er Prix biennal de roman Mario Vargas Llosa à Lima, Pérou
- XXe prix littéraire San Clemente (Espagne)
-En 2014, a gagné le prix de l’Académie royale espagnole (RAE)
-En 2016, ce roman a gagné le prix Carbet des Lycéens
-Prix octroyé par la Maison d’Amérique Latine au meilleur livre publié au Portugal.
-Le prix de la Real Academia Española (RAE).
La forma de las ruinas
-Roman retenu comme finaliste du second prix de la bibliothèque de narration colombienne,
université Eafit; demi- finaliste du 2e prix de la biennale du roman Mario Vargas Llosa à
Lima, Pérou, 2016.
347
Annexe IV- Index des auteurs et personnages
A
Agatha, 177, 178, 179, 180
Agustí Farré, Anna, 212, 213, 273, 332
Alarcón Núñez, Óscar, 280, 332
Altamirano José, 186
Altamirano Miguel, 170, 171, 194, 221,
262 -265, 268, 271, 272,
Álvarez Gardeazábal, Gustavo, 328
Andrade, María Mercedes. 63
Anzola Samper, Marco Tulio, 14, 110,
119,125, 205, 211, 332
Ardila, Clemencia, 318
Arendt, Hannah, 332
Aristote, 232, 234, 321
Aurelio Arturo, 125, 185
Avellanos José, 156, 157, 159, 194, 218,
B
Bachelard, Gaston, 168, 332
Bakhtine, Mikhaïl, 322, 326
Benavides Francisco, 182
Benavides Luis Ángel, 183
Benmiloud, Karim, 238, 318, 321
Blanco Juan Alberto, 20
Bobes Naves, Ma Del Carmen, 332
Bolívar Simón, 337
Bonaparte Wyse Lucien Napoleón, 137,
223
Bonnett, Piedad, 122, 123, 321, 322
Bourneuf, Roland, 148, 322
Buitrago, Marisella, 107, 210, 255, 319,
339
Burgos Cantor, Roberto, 10, 22, 33, 34,
142, 328
C
Caballero Antonio, 62, 327, 328, 332
Caballero Calderón, Eduardo, 328
Caicedo, Daniel, 132, 133, 328.
Camacho Guizado, Eduardo, 328
Camarero, Jesús, 17, 76, 96, 98, 99, 276,
326
Carballo Carlos, 109, 110, 211
Cardona Zuluaga, Patricia, 144, 333
Carpentier, Alejo, 122, 123, 140, 327,
328, 332, 333
Carroll Lewis, 226
Carvajal Jesús, 35, 110, 136, 329, 330
Castillo, Myriam, 89, 98, 322, 325
Cepeda Samudio, Álvaro, 329
Charlotte, 175, 176
Chartier, Roger.
Claire, 16, 169, 170, 337
Colmenares, Germán, 66, 333
Conde, Juan Alberto, 21
348
Conrad Joseph, 216 -221, 225-227, 263,
267, 277, 281, 320, 329, 333, 335, 339,
342, 344, 346,
Constaín, Juan Esteban, 113, 130
Cortés Vargas General, 66, 127
Cruz Cárdenas, Antonio, 68, 333
Cruz Pedro Eliseo, 208
Cuéllar Adolfo, 238
D
Daza Fermina, 227
Daza Lorenzo, 227
De Cervantes Saavedra Miguel, 178
De González, Blanca Inés, 80, 322
De Greiff León, 125
De Halicarnaso, Dionisio, 333
De Ivanhoe Wilfredo, 137
De Lesseps Ferdinand, 138, 185, 222,
223, 262, 263,265, 267, 269, 271, 279,
334
De Narváez Antonia, 171. 221. 264, 271,
272
De Saint-Exupéry Antoine, 185
Delaperriere, María, 24
Delgado Rodriguez, Ariel, 181, 334
Demóstenes, 122, 201, 333
Deresser Konrad, 190, 276
Dolezel, Lubomír, 323
Donadio Alberto, 13, 119, 122, 133, 134,
334
Dostoievski, Fiódor, 46, 48, 52, 153, 245,
322, 329, 342,346
Dubrovsky Serge, 206
E
Eagleton, Terry, 24, 323
Eco, Umberto, 91, 240,
Elías Caro, Jorge Enrique, 127, 333
Eloísa, 224, 263, 272
Escobar Gaviria Pablo Emilio, 13, 106,
107
Espinosa, Germán, 329
F
Faciolince, Héctor, 115, 320
Faulkner William, 128, 291, 342, 346
Fernández Prieto, Celia, 137, 138, 140,
160, 323
Figueroa, José Antonio, 130, 327
Fish, Stanley Eugene, 323
Fitzgerald Kennedy, John, 136
Franco, Jorge, 329
Fritts Elena, 171, 197
Fromm, Erich, 228, 229, 236, 334
G
Gadamer, Hans-Georg, 334
Gaitán Jorge Eliécer, 14, 60, 62, 109, 110,
115, 119, 135, 199,
349
Galán Luis Carlos, 134
Galarza Leovigildo, 110, 136
Galsworthy, 218
Galvis Silvia, 13, 119, 122, 134, 334
Gamboa, Santiago, 112, 113, 131, 329
Garavito José María, 183
Garavito Leonardo, 182, 183, 337
Garcia Acosta, José Abel, 334
García Márquez, Gabriel, 205, 226, 227,
327
Garciandía Imaz, José Antonio, 174, 334
Garrido Domínguez, Antonio, 231, 240,
244, 245, 247, 251, 259, 323
Geli, Carles, 105, 320
Genette, Gérard, 124, 140, 191, 192, 193,
200, 216, 247, 259, 323, 326, 350
Georges, 175, 176, 181, 182,
Gette Ponce, Silvia Beatriz, 134, 334
Gilbert, 170
Giraldo, Luz Mery, 124, 327
Giussepe D'amato, Antonino Vidal, 334
Godín Ojeda Clementina, 35
Godoy Barbosa, Óscar, 113, 330
Gómez Corena, Pedro, 330
Gómez-Gil, Orlando, 323
González, José Luis, 327
González Sady, 61, 205, 207-209, 336
Gould Charles, 158
Graham Robert-Cunninghme, 22, 158,
159, 184, 201, 202, 218
Graham, 23, 159, 174, 175
Grutzmacher, Lukasz, 141, 324, 334
Guterman Sara, 119, 122, 145, 170, 171,
188, 190, 248, 276
Guzmán Velasco, Alma Ximena, 318
H
Hanaï Marie-José, 178
Hempel, Carl, 335
Hillway Tyrus, 25, 26, 335
Holroyd, 24, 158
Houde, Caroline, 320
Hurtado de Mendoza Diego, 27
I
Iser, Wolfgang, 235, 254, 258, 324
J
Jan, 167
Jiménez de Quesada Gonzálo, 112
Jitrik, Noé. 324
Julio César, 331
K
Kayser, Wolfgang, 324
Kristeva, Julia, 16, 17, 49-51, 84, 88, 92-
94, 124, 125, 276, 324, 326
350
L
Larsson, Stieg, 26, 330
Laverde Fritts Maya, 171
Laverde Ricardo, 107, 170, 197, 198
Le Goff, Jacques, 54-56, 61, 64, 67, 335
Leal Samanta, 118, 233, 239
Libreros, Lucy, 10, 234, 335
Lince Campillo, Rosa María, 31, 335
Lodge, David, 324
Loiza Grisales, Yhonatan, 136, 335
Lukács, Georg, 137, 324
M
Madox Ford, 218
Malaver Cruz, Nancy, 137, 335
Malcolm, Deas, 335
Mallarino Javier, 108, 118, 237, 239
Martínez Castro, José Rafael, 334
Martínez, Matias, 324
Mejía Rivera, Orlando, 142, 331
Mejía Vallejo, Manuel, 132, 331
Melville Herman, 25, 26, 335
Mendoza, D.H. 27, 331
Mendoza, Mario, 112, 113, 116, 116
Menéndez Pidal Don Ramón, 27
Menton, Seymour, 31, 130, 131, 140,
141, 160, 325, 326, 335
Merlin H. Forster, 325
Michaud Madame, 166, 167, 168,169
Michelle, 174
Barthes, Roland, 322
Montoya Gómez, José Jairo, 57, 335
Montoya, Pablo, 143, 224
Morales Pradilla, Próspero, 142,331
Moré Xavier, 175, 176
Moreno-Durán Rafael Humberto, 330
Morgan, Juan David, 262, 330
Muñoz Guerra, Rafael Rubiano, 134, 336
N
Núñez Rafael, 134
O
Obiols, Isabel, 190, 320
Oliveira, 177, 178, 179, 180,
Ondaatje, Michael, 304, 330, 331
Ordoñez Díaz, Leonardo, 21, 39, 52, 336
Ortega, Julio, 325
Osorio Lizarazo, José Antonio, 330
Ospina, William, 10, 33, 113, 115, 142,
147
Oswald Lee Harvey, 136
Ouellet Réal, 148, 322
P
Pamuk Orhan, 149 -154, 336
351
Parra Aquileo, 227
Pavel, Thomas, 324
Perdomo Vanegas, William, 137, 336
Perec Georges, 181, 182
Pérez Sepúlveda, Yorgy Andrés, 336
Pérez Triana Santiago, 23, 158, 159,
Piñero, Eulalia, 178, 336
Pitol, Sergio, 186, 306, 336
Pizarro Gonzálo, 33
Poe Edgar Allan, 25
Pons, María Cristina, 325
Posada Carbó, Eduardo, 336
Pouliquen, Hélène, 327
Pozuelo Yvancos, José María, 39, 42, 325
Q
Quesada, Catalina, 112, 320
R
Rama, Ángel, 116
Ramírez Bonilla, Gerardo, 20, 21, 337
Ramírez Ocampo, Leydi Yoana, 318
Rendón Ricardo, 108, 237
Restrepo, Laura, 115, 116, 131, 135, 330
Reuel Tolkien John Ronald, 226
Reyes Palencia Miguel, 35
Reyes, Graciela, 40, 46, 51, 92, 95, 243,
244
Reyes, Miguel, 35
Ricoeur, Paul, 325, 337
Roa Sierra Juan, 62, 110, 136
Roderos, María Teresa, 337
Romera Castillo, José, 325
Roth, Philip, 331, 337, 342, 346, 347
Rulfo Juan, 222, 226, 331
S
Samper Alum Jeannette, 334
Sánchez, Luis Alberto, 325
Sanchez-Barranco Vallejo, Fernando, 338
Sanchez-Barranco Vallejo, Pablo, 338
Sanclemente Manuel, 103, 134
Santoro Gabriel, 112, 119, 121, 125, 144,
154, 170, 184, 188, 201, 246, 248, 342,
344
Santos Juan Manuel, 103
Sarlo, Beatriz, 17, 30, 276, 336
Scott Ridley, 217, 226
Selma, 172, 173
Shakespeare William, 14
Silva José Asunción, 125
Silva Romero, Ricardo, 130, 331
Stolz, Claire, 16, 337
T
Todorov, Tzvetan, 17, 25, 38, 39, 41, 51,
57, 59, 82, 240, 251, 276, 326, 337
Töpffer Rodolphe, 185
352
Torres, Miguel, 115, 125,135, 136, 325
Tous Carlos, 182
U
Uribe Uribe Rafael, 183, 185, 189, 199,
205, 211, 246, 278, 340, 341, 342, 345
Uribe, Kirmen, 147, 332
Uslar Pietri, Arturo, 123, 338
V
Vallejo Orellana, Reyes, 338
Van Dijk, Teun, 39, 44, 326
Vargas Llosa, Mario, 26, 33, 34, 44, 128,
130 210, 242, 247, 300, 320, 332, 342,
346, 349
Vásquez, Juan Gabriel, 1, 2, 4, 6, 7, 9, 10,
11, 14, 17, 18, 23, 24, 62, 97, 102, 105,
107, 108, 109, 110, 111, 112, 114, 120,
121, 122, 124, 126, 128, 139, 142, 143,
144, 145, 150, 153, 154, 155, 157, 159,
161, 166, 168, 169, 171-190, 192-197,
199, 202, 204, 206, 207, 209-211, 215,
216, 219-225, 228, 230-234, 236-239,
242, 243, 246, 248-253, 255, 257, 263-
266, 270, 271, 273, 275, 277, 281, 318-
321, 335, 338, 339, 344, 349, 350
Velasco Luis Alejandro, 35
Vervaeke, Jasper, 180, 251, 319, 321
Vives Carlos, 67, 68
Vivianne, 172, 181
W
Wadsworth Longfellow Henry, 177
White, Hayden, 17, 21, 269, 270, 276,
326
Wiener, Gabriela, 321
Wood, James, 326
Y
Yammara Antonio, 197, 198, 277, 342,
344
Z
Zoé, 174
353
Histoire et intertextextualité dans l’œuvre romanesque de Juan Gabriel Vásquez
Résumé
L’objet du présent travail doctoral porte sur la relation intertextuelle sous-jacente aux récits de l’écrivain
colombien, Juan Gabriel Vásquez, qui s’informe et enquête sur l’histoire de son pays pour remonter le
passé et, par-là, proposer de nouvelles lectures de l’histoire officielle, de ses incertitudes et de la révélation
de secrets sur quelques-uns des faits qui ont marqué les avancées et les reculs de la Colombie. En
conséquence, cette recherche étudie et analyse cette relation à partir de la transtextualité, catégorie
théorique exposée par Gérard Genette, afin de raisonner en profondeur sur les idéologies représentées
dans l’œuvre romanesque de cet auteur et sur l’affleurement de la mémoire historique, ainsi que sur
d’autres récits autour desquels émergent des expériences propres et d’autrui, et même des éléments
inattendus, susceptibles d’enclencher de nouvelles recherches. Juan Gabriel Vásquez ourdit ses romans à
partir d’un amalgame d’idéologies comme la politique, la violence, l’histoire officielle, le legs culturel et l’histoire littéraire de la Colombie, ce avec quoi il recrée un devenir significatif et identitaire de l’histoire
de la Colombie, contribuant ainsi à la construction scénique du pays, fragmentée et décomposée en
plusieurs périodes de développement par l’application de fausses idées de croissance et de pacification
qui n’ont jamais eu lieu. La recherche fournit un apport aux études littéraires de la Nation et sur l’écrivain
colombien qui, peu à peu, est reconnu dans le domaine littéraire international.
Mots-clés: récits de Vásquez; intertextualité, histoire officielle de la Colombie; mémoire historique;
représentations de l’histoire.
History and Intertextual study of the fictional work of Juan Gabriel Vásquez
Summary
The focus of this this doctoral work is to study the intertextual relationship, in the narrative of the
Colombian writer, Juan Gabriel Vásquez. In his narrative he explores and researches about the history of
his country in order to inquire on the past and with it. He proposes new readings in relation to the official
history, its uncertainties and the unveiling of secrets about some facts that defined the progress or
regression of Colombia. Therefore, this research studies and analyzes this relationship from the
transtextuality theory exposed by Gerard Genette to reflect deeply on the ideologies represented in the
novels of this author, and the appearance of historical memory. As well as other types of narratives in
which, own and others experiences appear, bringing unexpected elements to explore new studies. Juan
Gabriel Vásquez weaves his novels from a combination of ideologies as politics, violence, the official
history, and the cultural legacy, and the literary history of Colombia. He recreates meaningful events about Colombian history, supporting the scenic construction of the country, fragmented and separated into
several periods of its development by the application of false ideas of growth and pacification, which have
not occurred. The research contributes to the literary studies of the nation as well as to the Colombian
writer, who is recognized in the literary international area little by little.
Keywords: Vásquezienne Narrative; Intertextuality; Official History of Colombia; Historical Memory,
Historical reenactments.
SORBONNE UNIVERSITÉ
ÉCOLE DOCTORALE:
ED4: Civilisations, cultures, littératures et sociétés Maison de la Recherche, 28 rue Serpente, 75006 Paris, FRANCE
DISCIPLINE: Études Romanes /Espagnol