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Sous l’écale Sarah Clerval DNSEP 2013, option art

Sous l’écale - esam-c2.fr · dans cet « entre-temps », ... la concordance unitaire des qualités industrialisées. ... cloison temporaire supposant l’acte d’entrer ou sortir,

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Sous l’écale

Sarah ClervalDNSEP 2013, option art

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SouS l’écale

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la matière et Son approche

Résurgence et contactLa forme existe dans le geste

la matière articulée

L’expérience dans la duréeLe hasard et l’inattendu comme condition d’une poïétique

Un retour

ce qui reSte au regard

Ce qui a lieuCe qui n’aura pas lieu

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Peser les mots, les manipuler, les semer. L’écriture de ce texte fit l’épreuve des mots : « le langage comporte aussi un danger : une formulation est toujours exclusion, limitation et isolation. » confie herman de vries 1. Un mot écrit est objet qui prend place, crée une forme, limite et parfois achève. Finalement j’y écrivis trois parties très tissées sans hiérarchie mais de temporalités différentes et que, grâce au temps offert à l’écriture, je suis venue nourrir goutte par goutte, formant des sillages plus qu’un flux unique, traçant des rigoles plutôt que gravant des mots pour exprimer des pensées qui n’étaient alors que balbutiées.Divers fils ont été tendus et ce sont parfois les mêmes que l’on retrouve d’un bout à l’autre de ce texte. Approcher, articuler, font partie de ma démarche plastique mais sont cette fois les titres de mes premiers jets.

L’oeil et la main seront souvent cités, car concentrée sur les matières j’ai compris ce qu’avance G. Bachelard, “la vue les nomme, mais la main les connaît.”2 Connaître et comprendre ce que sont les choses qui parent le commun: une explo-ration par la perception haptique, par les sens, par l’expérience... Pourtant un fard poudre le pourtour de matières qui s’effacent au regard lassé et à une main plus que délassée. Dans une production matérielle de masse, comment passer d’un pluriel à un singulier? Que trouver et discerner dans un brouillard aveuglant d’images, une réception souvent poussée à l’excès, lorsque le mouvement palpébral ne trouve plus le repos?

Seront joints certains noms dont les propos touchent et pénètrent mêmement la pulpe et la peau. Non pas ceux qui animent car les choses ont déjà cette vigueur que l’on pourrait penser figée, mais ceux qui échevellent et fouillent la nature des choses sans la nécessité du trouver, ceux qui accompagnent cette nature dans ses manières.

1 Entretien de herman de vries avec Natacha Pugnet «le lion n’est pas le roi des animaux», in herman de vries, Lyon : Fage éditions, 2009, p.187. 2 Bachelard Gaston, L’eau et les rêves : essai sur l ’imagination de la matière, Paris : J. Corti, 1942, p.2.

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la matière et Son approche

Résurgence et contact

La matière est présente, urbi et orbi, dans l’espace et le temps, aux racines de toutes les choses. C’est par le corps que je la perçois, que je peux atteindre les objets, et que de la sorte se joue la possibilité de les modifier : les défaire, les transformer, les endurer.

«Nous réalisons que quand nous touchons une chose, celle-ci ne peut prétendre à l’être que parce que les sensations de résistance développent la représentation d’un corps solide»3.

Un heurt entre la main et le monde, un tâtonnement qui nous permet la compréhen-sion de ce qui est. Les outils, fabriqués, industriels, exsudés au cours de l’évolution, éloignent tout un chacun de cette réalité palpable et atteignable par les sens. Puis l’outil se détache du muscle et du cerveau, d’abord par la force de l’eau et du vent, ensuite par celle des chiffres, corrigeant l’imperfection de l’activité manuelle pour tra-vailler avec d’avantage de rendement. La transformation d’énergie en mouvement est souvent perçue comme organique, animale. La locomotive par exemple était ressentie comme une monture, « cheval de feu » ou « coursier à vapeur ». Dans les pensées se mêlent le mécanisme et l’animisme et l’homme devient accessoire de la machine jusqu’à ses mains. Dans Le métier à tisser de Van Gogh (1884), apparaît campée la sil-houette du tisserand, moins vivant que sa machine, que Van Gogh nomme lui-même singe noir ou gnome, seulement présent pour faire «claquer la machine».4 Outre les pratiques, les matériaux se trouvent modifiés, ils s’informent. Le silence des choses s’est mué et la matière s’englue dans un bavardage, assimilée par un environ-nement réifié et régulé, enferrée dans un milieu construit fait d’objets au contact sou-vent lisse. La matière, parfois impalpable, imperceptible, incommensurable encore, est d’autres fois simplement dominée par l’ordinaire, couleur muraille et vulgaire.

3 Fiedler Konrad,Sur l ’origine de l ’activité artistique, p.57.4 Günter Metken, «De l’Homme-machine à la machine homme » in Les machines célibataires = Junggesellenmas-chinen, Venise : Alfieri, 1975, p50.

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La couleur, la forme, l’odeur en sont des qualités secondes (ou attributs) qui existent parce qu’elles peuvent être perçues. Je devine un «espace d’échange» avec la matière, en ce que ces qualités ne sont pas uniquement intrinsèques. Épicure, dans sa lettre à Hérodote, appelle simulacres des enveloppes d’atomes qui émaneraient de la surface des objets, se mouvant en restant fidèle à la position de l’objet, se propageant jusqu’à nous et dessinant sa copie conforme. Je me demande s’il existe une forme qui nous rende, en temps qu’auteurs et récepteurs, les matériaux expressifs. Aux prémices de mon travail se trouve cette attention portée à la reconnaissance de ce qui m’entoure, et aux possibles qui se cachent derrière ces artefacts. S’approcher au plus près de la matière, gratter l’enveloppe d’apparat que revêt le quotidien, en craquer la croûte lisse, l’éprouver.

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En 1925, à l’exposition des arts décoratifs, Le Corbusier expose des objets à réaction poétique : des fragments d’éléments naturels, des bouts de pierre, des fos-siles, des morceaux de bois, épiphragmes et faluns, « de ces choses martyrisées par les éléments, ramassées au bord de l’eau, du lac, de la mer, et qui expriment des lois physiques, l’usure, l’érosion, l‘éclatement etc. et qui non seulement ont des qualités plastiques éminentes mais aussi un extraordinaire potentiel poétique. »5

Notre environnement est formé par le temps, les phénomènes physiques, et est mo-delé par une certaine histoire. Une tâche d’encre empreinte sur une table existe certes dans le présent, mais en y regardant de plus près ne fourmille-t-elle pas d’informa-tions? Ne s’agite-t-elle pas encore sous le nombre de mains, coudes, venus s’y frot-ter, n’est-elle pas liée à l’existence de la table qui l’accueille, la fabrication des stylos, l’histoire de l’écriture? Formée par des actions successives, elle en devient une matière informée. Michel De Certeau, entend l’épaisseur du quotidien comme composé de strates, un empilement de couches, qui demeurent là. Cette réflexion apparaît dans le travail de Jason Dodge. Celui-ci souligne qu’on «ne sait généralement pas ce que sont les choses en les regardant. On ne sait pas non plus où elles ont été, ce qu’elles contiennent ou qui les a touchées – tout comme on ignore qui a le cœur brisé, qui porte une arme, quelle quantité d’électricité circule, qui portait ça, à quel pays les habitants sont connectés par cette parabole.»6 L’objet est rendu individuel par sa tra-versée du temps et de l’espace, et dégage un « potentiel poétique ».

5 Charbonnier Georges, Le monologue du peintre entretien avec Le Corbusier, Paris : Ed. de La Villette, 2002 p.203.6 http://www.latriennale.org/fr/artistes/jason-dodge.

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Émane de ces choses une aura, « une trame singulière d’espace et de temps », un espacement œuvré, «la trace du travail humain oublié dans la chose», ce que définit G.Didi Huberman dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, citant W. Benjamin; une singularité dont la défiance vis-à-vis de la ressemblance et la monotonie fait place à la différence et au détail. Ce que nous avons si près sous nos mains, nos pieds ou nos yeux nous renvoient à d’autres niveaux de temporalité. Le panneau qui in-dique la direction d’une ville apporte un sens, ouvre une appréhension, on comprend qu’il est directement relié à un ailleurs, un pont jeté vers cet autre espace : l’aura est l’expression dans la chose présente de cet ailleurs. Cette pensée est à l’oeuvre dans Les mains négatives de Marguerite Duras, court-métrage datant de 1979. Un Paris au levé du matin. Les déchets, telluriques, jonchent le sol : le visible d’un trajet qui semble quotidien. Pourtant dans ce bleu encore obscur qui ne signifie ni le jour, ni la nuit, dans cet « entre-temps », Marguerite Duras nous fait voir une grotte magdalénienne à ciel ouvert, la pierre, le granit, ou le goudron, un déplacement de milliers d’années.

Camouflé par les formes standards et calibrées, conforme à la mesure, celle de l’homme, le matériau est artefact lisible, « objet offert de bout en bout au parcours d’un œil immobile »7. La connaissance a priori, les prénotions, précèdent et rendent possible l’apparition de l’objet : nous le voyons tel qu’il est pour nous, trouvant son expression dans la faculté de l’appréhension automatique, accentuée par la tendance à l’uniformité, la concordance unitaire des qualités industrialisées. L’objet perçu se construit en nous comme une opinion formulée, une représentation qui peut être faussée tant qu’elle n’est pas confirmée par l’exercice des sens. Un phénomène est la cause d’un autre lorsque l’expérience de la succession des deux phénomènes a fait naître l’habitude de les lier, le premier entraîne l’attente du second, la recherche de l’un en l’autre.

«Il n’est pas d’ailleurs, jusqu’au monde de l’action répétée, c’est-à-dire, pour le nommer commodément, de l’habitude, qui ne montre ces deux faces contrastées, selon que l’habitus est un carcan étroit ou le secret d’une virtuosité, qu’il s’attriste au ressassement ou improvise prodigieusement »8.

La familiarité des matériaux, les habitudes dans l’appréhension, projettent en nous un concept lié à l’objet : ainsi une coquille d’oeuf sera réminiscence de lieux, la cuisine, la ferme ; d’objets, une mouillette, un coquetier, et puis en elle-même, épiphragme calcaire, cloison temporaire supposant l’acte d’entrer ou sortir, une vie enfermée sécu-risante, fragile; une enveloppe, surface de contact. Pour Bergson toute perception est

7 De Certeau Michel, Arts de faire, p.292. 8 Guérin Michel, Philosophie du geste, p.23.

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déjà mémoire, en ce que nous ne percevons pratiquement que le passé, le « présent pur étant l’insaisissable progrès du passé rongeant l’avenir »9.Néanmoins j’éprouve plus d’aise à penser que nous devons recourir à notre pouvoir d’oubli pour découvrir : les habitudes émoussent notre sensibilité, rendent nos gestes spontanés et machinaux, s’inscrivant entre mémoire et projet, le faire et la nécessité.Le langage peut lui aussi être une forme d’appropriation du perceptible. Plutôt une forme qu’un moyen, le dessin que le crayon. Il est pour nous une nécessité de trans-former en mots et en concepts la profusion de nos intuitions. Notre connaissance est enchaînée aux mots qui nous permettent de traduire la réalité perçue par les sens, mais renvoyant à des concepts et non à une chose en particulier, on envisage alors d’emblée ce que nous voyons comme les exemplaires de différents ensembles. Opé-ration de synthèse. Une phrase de Serge Gaubert m’avait parue juste dans la Préface aux Poètes français des XIXe et XXe siècles : « Quand le langage s’use, c’est notre sensibilité qui devient moins fine, et le monde moins accessible »

S’égare celui qui, face au monde si riche de ce qui existe, adopte un point de vue unique par lequel il le juge et le régule. Ce monde-là est construit : l’automatisme, aussi commode qu’imprécis, permet de s’y mouvoir sans y penser, sans heurt, un confort sécurisant et finalement aliénant. Mais faits de matière, perceptibles par les sens, atteignables par le corps, ces objets dont émane une aura, de multiples réso-nances, sont souvenances: résurgences qui les orientent dans une perspective propre, un devenir sensible…

La forme existe dans le geste

La matière et la forme semblent complémentaires plus qu’antinomique, la première est déterminable, la seconde déterminante. Dans l’usage, la forme a une fonction, sa structure se crée dans l’adaptation à une fin. Si j’envisage la matière à partir d’une forme, spéculation d’une topologie des éléments, je la fige, circonscrite, lui confère des limites. Elle se drape dans l’habit d’une projection intérieure. Elle est la conclusion de la chose. La matière elle-même n’est pourtant pas passive. Tentative de poursuite d’intonations oscillantes. Une réflexion d’Henri Bergson à propos de la forme me semble importante à citer :

9 Bergson Henri, Matière et mémoire, p.167.

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« Nous concentrons une période de cette évolution en une vue stable que nous appelons une forme, et, quand le changement est devenu assez considérable pour vaincre l’heureuse inertie de notre per-ception, nous disons que le corps a changé de forme. Mais, en réalité, le corps change de forme à tout instant. Ou plutôt il n’y a pas de forme, puisque la forme est de l’immobile et que la réalité est mouvement. »10

Le geste comme mouvement qui accompagne.

Le geste signe une inscription dans un milieu, le modèle et y délaisse sa trace ; épi-graphe du geste sur l’objet, l’espace devient scène de la multiplicité des actions. Accré-tion de traces à l’intérieur de matériaux devenus fossiles ou palimpsestes.Le geste est un comportement très personnel mais sa dimension quotidienne lui confère un caractère commun. On peut facilement s’imaginer que dans un même temps mille personnes réalisent le même geste. Le sens des gestes est ainsi compris, empathique, et ressaisi comme intention partagée. Je parle d’un geste familier, rudi-mentaire.Frédéric Froebel (1782-1852), pédagogue allemand, portait son attention sur la pré-hension et le poids des choses : le toucher, le sens pour ainsi dire le plus matériel, est un des premiers qui s’éveille; l’enfant ne se rend pas compte de ce qu’il voit, mais bien de ce qu’il fait. Froebel donne alors dès le commencement à l’enfant, des corps solides, des formes à manier, du sable mouillé à mouler, du papier à plier...«Le besoin si manifeste du jeune enfant de se servir de ses mains, de palper tout ce qui est à sa portée, est un des moyens les plus efficaces dont use la nature pour donner les premiers éléments de la compréhension, et pour développer les sens.»11 C’est une expérience, jeux de main appelés don, qu’il met en place dans les Jardins d’enfant 12: découverte progressive de ses facultés et de ses possibles horizons. La main apprend. Avant le savoir-faire c’est le savoir, la connaissance d’un tout qui est palpable : la main

10 Bergson Henri, L’évolution créatrice, p.327. 11 Jacobs J.-F., Manuel pratique des jardins d’enfants de Frédéric Froebel : à l ’usage des institutrices et des mères de famille (1859), p.16.12 Un apprentissage qui a sans doute inspiré les méthodes d’enseignement de Johannes Itten au cours de sa carrière professorale au Bauhaus au début des années 1920 : « L’objectif était la formation de personnalités à part entière. » Dans l’ouvrage Bauhaus de Jeannine Fiedler, des précisions sont apportées concernant cette formation : étaient mis à égalité la transmission d’un enseignement et ce que l’on ne peut apprendre que par soi-même. Les expériences étaient souvent tournées vers une approche des matériaux (bois, verre, textiles...), qui ne visait pas seulement à connaître mais à vivre le caractère de ces matériaux et à le transposer. Un exemple d’intitulé est fourni dans cet ouvrage: J.Itten demande à ses élèves de dessiner un citron. Après que chacun l’ait dessiné selon son aspect extérieur, il coupe le fruit et leur demande s’ils ont représenté l’essence même du citron, au delà de sa forme et sa couleur.

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«a permis (à l’homme) certains contacts avec l’univers que ne lui assuraient pas ses autres organes et les autres parties de son corps. Dressée dans le vent, épanouie et séparée comme une ramure, elle l’excitait à la capture des fluides. Elle multipliait les surfaces délicatement sensibles à la connaissance de l’air, à la connaissance des eaux. »13 Ramener la main à l’air libre: je la vois souvent distraite, épargnant l’étoffe dans l’in-différence et le neutre de l’habitude. Dévitalisée, les yeux allant jusqu’à dicter les sensations tactiles : le lisse, le tiède, l’humide, le dur sont autant de qualités traduites pensons-nous, par la vue, alors que l’œil n’est aucunement un organe capable de re-transmettre l’une ou l’autre de ces informations. La peau est une surface de contact, l’intermédiaire entre l’extérieur et l’intérieur. Par le contact, la distance entre l’objet et soi est réduite à l’infinitésimale.La main marque l’extérieur autant qu’elle est marquée.La main prend, et ce qui est saisi devient l’extension, membre nouveau et éphémère à l’allure bizarre. Cette chose saisie devient utile en outil, ou bien malléable sous les affres de la force manuelle: attraper, déchirer, déchiqueter, creuser, frotter, gratter…La main encore, éveille l’unique par l’impossibilité d’une maîtrise totale des évènements. Reproduire est alors produire sans cesse du nouveau.

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Mon geste est simple et parfois archaïque.

La collecteDans le commerce chaque objet est soumis à un gabarit bien précis, le reste est dé-chet. Ce sont ces restes que ramassent les «glaneurs» rencontrés par Agnès Varda14. Lorsque «la machine patine», ils se baissent pour ramasser . Le geste est modeste. C’est aussi pour Agnès Varda l’expérience de glaner des gestes et des souvenirs. Elle interroge Louis Pons pour qui ces restes signifient «un tas de possible» Ramasser est construire une première expérience, être attiré par les qualités d’un objet, le com-prendre sensiblement.

13 Focillon Henri, Vie des formes : suivi de Éloge de la main, p.107. 14 Varda Agnès, Les glaneurs et la glaneuse, 2002.

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Amasser, ramasser, le plus souvent ce qui est à terre, c’est aussi s’entourer petit à pe-tit en ramenant à soi des éléments choisis. Posséder un même mais pour toutes ses différences, particularités ou nuances. Cette démarche réclame d’être attentif, tendre l’esprit vers un objet en faisant abstraction de l’ensemble, en portant un regard inves-tigateur. Chercher, en allant au hasard dans l’attente de trouver, souvent marchant ou errant. Ou bien chercher en sachant d’avance où trouver. Une distance est parcourue.Fouler un espace est aussi ce geste d’exploration et d’appréhension d’un environne-ment. Les éléments suivants sont extraits d’un journal de bord personnel enrichi par l’expé-rience d’une marche qui dura trois semaines:

« -Jour 5.  D’importantes fumerolles lèchent le sol. Le terrain est beige et rose, presque rouge, comme une chair brûlée. Mes pieds s’y enfoncent et mes pas sont lourds. J’y prélève une croûte jaune et chaude.-Jour 10. Mon pied s’enfonce dans un sol mou, je tente de monter alors directement sur le glacier mais mes pieds glissent: il ne s’agit pas de roche couverte de glace, mais d’une glace épaisse que recouvre une fine pellicule noire. J’entends des craquements sourds: des blocs de glace se détachent pour rejoindre les autres à la surface du lac.-Jour 11. Toujours plus près, un trou ovoïdal, cette fois vraiment profond, semble mener au fond d’un gosier. Je me rends compte que sous mes pieds et la couche de cailloux, je foule déjà le glacier. D’une sorte de grotte de glace s’échappe à flot une eau qui tourbillonne et s’engouffre par deux endroits à l’intérieur du sol: une chute dans un vide qu’on ne peut voir. Plus haut l’eau resurgit sans doute sous le joug de la pression. Elle a creusé des sillons qui serpentent dans le paysage noir et lugubre. »

L’empreinteLes empreintes sont surprenantes, décrites par G. Didi-Huberman comme des « choses parties au loin mais qui demeurent, devant nous, proches de nous, à nous faire signe de leur absence »15 Elles entremêlent les temps. La place vide de la main ou de l’outil, l’attente sage de contenir. Par une pression on dépose une invisible présence, celle d’un présent révolu, un souvenir extrêmement fin. On peut jauger l’origine du geste, une marque sous seing.La matière est substrat, accueillante, destinée à recevoir l’impression du geste. Le creux semble couver l’infime distance qui reste lorsqu’un objet rentre en contact avec un autre. La forme, elle, n’est jamais rigoureusement pré-visible, et ce qui devient visible frôle l’image. Le contact engendre une trace et la trace devient tracé.

15 Didi-Huberman Georges, La ressemblance par contact : archéologie, anachronisme et modernité de l ’empreinte, p.47.

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Avant de décomposer ou construire je ramène à moi la matière, la ramasse et l’amasse, l’accompagne par le geste : elle qui se meut, capable d’agitations et qui se complaît à une évolution. Sa manière d’être, sensible aux contingences, pas du tout paresseuse, l’éloigne d’un cycle sans cesse répété dans lequel une succession d’instants ferme-raient la chaîne. Au contraire je l’imagine se modifiant, travaillant à tout moment. Créer est alors faire et laisser faire.

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la matière articulée

« Une goutte plus une goutte forment une plus grosse goutte, pas deux. » Tarkovski Andreï, Nostalghia, 1983 (Personnage du fou)

«(...) celui qui n’a pas regardé dans la blancheur de son papier une image troublée par le possible, et par le regret de tous les signes qui ne seront pas choisis – ni vu dans l’air limpide une bâtisse qui n’y est pas –, celui que n’ont pas hanté le vertige de l’éloignement d’un but, l’inquiétude des moyens, la prévision des lenteurs et des désespoirs, le calcul des phases progressives, le raisonnement projeté sur l’avenir, y désignant même ce qu’il ne faudra pas raisonner alors, celui-là ne connaîtra pas davantage, quel que soit d’ailleurs son savoir, la richesse et la ressource et l’étendue spirituelle qu’illumine le fait conscient de construire. » Valéry Paul, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, p79

L’expérience dans la durée

« Le présent n’est pas ce qui est mais ce qui se fait […] »Bergson Henri, op.cit., p.166

Du principe que le vinaigre dissout le calcaire. Un œuf, dans du vinaigre. Des bulles s’en détachent. Avant une heure une enveloppe brunâtre se décolle. Au bout de quarante-huit heures la coquille est dissoute, l’œuf semble avoir grossi, pellucide. Une semaine passe et l’œuf s’affaisse, la membrane coquillière qui était tendue s’as-souplit puis durcit, sculpture d’un drapé jaune. C’est une progression inattendue et lente d’une forme vers une « trans-formation ». Ce changement insinue une durée, ce n’est pas tant un instant qui remplace un instant, qu’une évolution, un mouvement constant jamais totalement constitué ou achevé. Un passage continu plutôt que dis-tinct ou définitif. Il est à se demander à partir de quel moment se détacher du simple constat de ce qui résulte d’un processus? Quelle différence y a-t-il entre l’expérience de la matière et la matière exposée?

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Le moment de déposition peut lui-même être le passage d’un ou différents états, un moment d’équilibre à l’intérieur d’un flux.Perpetuum mobile (2009-2010) de Nina Canell (artiste suédoise), est une œuvre qui se crée pendant sa monstration, le changement qui s’opère dans la matière représente la légitimité d’existence de la pièce dans laquelle le processus est dévoilé sans pudeur. D’une bassine s’échappe une bruine, à proximité de laquelle est posé, au sol, un sac de quarante kilogrammes de ciment. Celui-ci, semblant latent, se solidifie lentement au contact vaporeux de l’eau. Ce n’est pas par hasard que l’eau de la bassine est trans-formée par des vibrations acoustiques. Perpetuum mobile est considéré en musique comme un flux continu de notes, une continuité de la mélodie, ou bien comme une partie de la pièce répétée indéfiniment. Cette pièce fut montrée lors de l’exposition Under Destruction au Museum Tinguely. Il n’est pourtant pas tant question de des-truction ou déconstruction, voire disparition, que de transformation. On comprend l’énergie, on approche la physique, on s’imprègne du sensible. Le temps n’est alors pas ce qui, communément pensé, fait perdre, mais ce qui ouvre au-devant l’espace. Nous savons quelle direction prend l’évènement, quelle en sera la chute, mais ce que nous voyons c’est cet état de transformation, d’harmonie qui tend vers.

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En novembre 1963 près de l’archipel des Vestmann une fumée ombilicale s’est élevée et des humeurs de l’Atlantique a émergé une nouvelle île, Surtsey. Son nom lui vient de Surt: dans la mythologie scandinave il est le génie du feu dévastateur. Cette fois pourtant le feu est créateur. Sur la croûte dorsale de cette île à la forme d’un chabot, la vie se multiplie. Les espèces végétales et animales s’installent, la terre, elle, est rongée par l’érosion: les flots portent une branche sur laquelle navigue une araignée, et af-fouillent au passage ce nouveau territoire. L’étendue de l’île a déjà diminué de moitié. Double mouvement fascinant qui s’opère dans un même temps.

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Le passé est «l’avenir du présent». Adage qui m’a longtemps laissée perplexe et qui semble supposer le sens inverse du schème passé-présent-futur. Pourtant le devenir du présent est bien de compléter les moments évanouis du passé. Aussi bien chaque qualité, ou état, pris à part semble persister, immobile, en attendant qu’un autre la remplace. À quel jeu se consacre Torsione de Giovanni Anselmo, (1968)? Un cube de ciment dans lequel est emprisonné un morceau de cuir, la partie dépassant est

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arrêtée dans une torsion provoquée par un morceau de bois. Ce morceau ankylose le dispositif, maintenu par son contact avec le mur. Alors que la pièce de Nina Canell semblait nier le défini, le statique, dans cette pièce l’énergie contenue dans le geste reste accumulée, arrêtée dans la matière. L’instant est conservé dans une durée : alors qu’il aurait pu suggérer un simple moment de transition, celui-ci est en fait maintenu en équilibre. La force s’y manifeste, précaire. Germano Celant décrit cette sculpture comme ne contenant pas « une énergie débordante, mais plutôt une énergie arrêtée «à la limite» dans un instant d’équilibre, prête à une ultérieure transition.(...) Cet équilibre reste précaire, on peut le rompre, déchaînant ainsi la torsion, ou bien il peut se briser lorsque la nature se décompose.»16 La détérioration est latente, mais l’équilibre reste le même, concentré sur sa tâche au point d’en avoir outrepassé les attentes de l’éminemment périssable.

Le hasard et l’inattendu comme condition d’une poïétique

En amont, mon travail est porté par une intuition sensible plus que par la maîtrise déterminée d’un geste, d’une matière...L’habitude utile fait place à des réac-tions appropriées, attendues. L’indéterminé, le hasard et l’inattendu, se posent au contraire comme conditions d’une poïetique, conditions de l’acte de créer. Le sup-posé, le doute, mettent le travail à l’abri du mécanique, d’une forme systématique peut-être, clinamen échappant à la prévision et au temps programmé. Je tente de fouiller ce que j’ignore, décortiquer ce que je sais, pratiquer incidemment. De cette expérience découle un rythme, une progression dans la réalisation : des phénomènes organisés dans le temps se heurtent souvent à une résistance. Faire n’est pas produire sans coup férir, cela amène une stabilité formelle incertaine, une singularité à chaque geste. J’évoquais le clinamen, une pratique vivante dans laquelle le raté n’est pas un accident illégitime mais la nécessité donnée au singulier.

L’artiste Katinka Bock choisit d’ignorer quelles traces de la version préliminaire se-ront encore visibles dans ce qu’elle donne à voir et c’est peut-être ce qui m’a attiré de prime abord dans son travail. Il oscille entre sculpture et installation, parfois la performance et s’inscrit dans la lignée des recherches menées par l’Arte Povera (Ger-mano Celant, théoricien de l’Arte Povera décrivait ce mouvement comme ne se

16 Giovanni Anselmo, Florence : Hopeful monster ; Lyon : Musée d’art contemporain, 1989, p.37.

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fondant « plus sur le caractère linéaire et statique des formes et des images mais sur leur torsion et sur leur distorsion, sur leur fragmentation et sur leur pluralité »17, une phrase qui sied, je trouve, au travail de cette artiste allemande). Lors de son exposition à De Vleshaal Middelburg elle crée une pièce faite de terre et d’équilibre, La balance. Ce sont deux vases reliés par des poulies réalisés à partir du même poids de terre mais de deux formes différentes. L’un avait une forme ouverte et l’autre était plutôt fermé. Au moment du vernissage, ils étaient au même niveau. Les deux vases sont remplis avec la même quantité d’eau. Puisque sur une petite surface l’eau s’évapore plus lente-ment que sur une grande, elle avait imaginé qu’au cours de l’exposition, l’un des deux vases se poserait sur la table. Sans savoir si cela allait se produire, ce n’était qu’une hypothèse. Cela s’est produit, à peu près au milieu de l’exposition, mais les deux vases auraient pu tout aussi bien tomber ou encore se casser. Est-ce un désintérêt pour le sort de l’oeuvre ? “Je trouve cela intéressant de voir comment parmi des strates qui étaient parallèles, certaines s’arrêtent et d’autres se poursuivent”18 dit-elle. Une dif-férence apparaît entre l’intention et la réalisation. L’artiste abandonne une part du travail aux pulsations agitant la nature, à ce qui échappe à sa volonté, à son esprit. Il faut vivre son questionnement, ce qui trouble, pour se créer une « réponse », éclair-cir son jugement: la question est ce vers quoi l’on tend, une asymptote qui implique décisions et choix et dont découle l’expérience. Choisir d’ignorer la finalité de l’ex-périence et émettre de simples hypothèses comme seule projection vers le devenir d’une pièce c’est peut-être ne pas fermer l’expérience, ne pas la couper dans son élan et ébranler un peu l’idée de succès. L’important n’est pas de trouver mais chercher, oublier le résolutoire et ne pas nécessairement être propriétaire d’une certitude. C’est alors une quête, une investigation heuristique.

Un retour

Le droit chemin (de Peter Fischli et David Weiss) est celui parcouru par un rat, né d’une racine, à la recherche de ses origines hypogées, et l’ours à qui il propose de le suivre dans cette quête. Celle-ci les mène à errer dans un paysage désert ; dans cette thébaïde, la matière, mater, est la source, la mère et de ce périple germent diverses réflexions et interrogations telles que « d’où viennent les choses ?». Une fable autour de la physis, la naissance et l’origine des choses.

17 Celant Germano, Arte povera, Villeurbanne : Art édition, 1989, p.15.18 Entretien avec Patrick Javault sur France Culture «Entre Deux» 2011.

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Dé-couvrir la matière. Épurer, abstraire, fragmenter, isoler ; rendre plus pur, plus correct et plus fin, repousser certains éléments. Il s’agit de «dé-couvrir» l’objet pour l’atteindre dans sa substance, dans une prétendue origine, une histoire parfois factice.

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Dé-couvrir d’une enveloppe, de la couche apparente et extérieure.

Surface:Lorsque l’on chauffe un corps pur tel que l’eau, sa température augmente tandis qu’à sa surface au contraire, la température chute. Les choses se compensent et tendent à se calmer. Il arrive néanmoins que le phénomène s’emballe et s’éloigne de son point d’équilibre. Il faut comprendre de ce phénomène qu’une énergie différente, locale, s’accumule en surface des choses.J’observai un groupe de personne qui, sautant d’une certaine hauteur avant de plonger dans la mer, préférèrent jeter avant eux une pierre, la précédent dans leur saut, cassant la surface pour pénétrer la matière.

Fouille et trou :Lorsque l’on plonge la main dans le matériau, ce qu’elle en retire « n’est autre qu’une forme présente où se sont agglutinés, inscrits, tous les temps du lieu singulier dont le matériau est fait, d’où il tire son « état naissant » »19.Creuser, c’est d’abord choisir un endroit parmi l’espace foulé, on s’arrête, puis on se penche au-dessus d’une peau encore lisse. On creuse sous le ventre, on s’y engouffre, on y met le bras puis la tête en allant vers l’obscurité. C’est froid, souvent humide, on s’y cogne, on s’y sent nu. Le temps est inversé, l’homme qui s’élève lorsqu’il creuse se retourne. Le sable ne tombe plus dans le sablier, il en remonte empaumé, la main consciencieuse comme grain qui mesure.Certains lieux sont fascinants. Je pense par exemple aux terrils, le long des veines de charbon. On y a creusé des fosses, des puits et par l’accumulation de résidus mi-nier remontés en surface, des collines se sont élevées. Stériles, composés de schistes et de charbons, ces lieux abandonnés sont les vestiges d’une époque, d’une histoire industrielle. Le charbon lui-même est fossile, anciennement végétal. Ces friches ne sont pourtant pas seulement la manifestation d’un passé: mon histoire personnelle me renvoie avec familiarité l’image des terrils comme souvenir passé, achevé, mais également comme point de départ. Les collines sombres ne sont pas glacées, sur leur

19 Didi Huberman Georges, Être crâne : lieu, contact, pensée, sculpture, Paris : Editions de Minuit, 2000, p.52.

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pente on ressent une chaleur qui vient du sol et certaines brûlent encore de l’intérieur. Leurs versants sont souvent couverts de fleurs, ou de bouleaux à l’écorce blanche.

Fouiller et creuser c’est également chercher. Avec effort et soin, chercher c’est se diriger vers mais avec volonté ; un sens, une essence, une origine. C’est le choix de ne pas s’arrêter au visible et le reproduire. Chercher à posséder ce qui s’offre à nos yeux, et dans ce cas l’activité de la main s’ajoute à celle de l’oeil pour avancer à tâtons.

Le temps creuse aussi : l’entropie dégrade une partie de l’énergie qui n’est pas récupérée lors de processus irréversible ; l’énergie est perdue, inutilisable, fugitive. Dispari-tion ou dé-liaison? Ce qui m’attire n’est pas tant la dégradation que le fait de pouvoir transformer en substances neuves et vivantes ces matériaux et résidus.

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« Toutes ces choses-là, dans les bois et les glèbes,échappent à la vue, et pourtant, quand les pluiesles ont comme pourris, ils accouchent de vers,et cela parce que les corps de la matière,ayant leur ordre ancien révolutionnépar une nouveauté, s’agencent comme il fautpour que soient engendrés des êtres animés. »20

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Exposé à l’air et à l’eau, le fer s’oxyde, se corrode, se colore - expérience physique facilement observable, notamment sur le portillon dont la peinture rouge écaillée ne suffit à justifier sa couleur rubigineuse. Mais plutôt que s’en défaire, on peut créer une rouille neuve, jouer de son épaisseur, ses méandres, la sustenter, la dessiner. Qu’est-ce que le reste alors? Est-ce la trace fixe d’un événement ou d’une expérience? L’en-gramme de la matière? La substance? Ce qui subsiste? Ou au contraire est-il précaire, transitoire? La limite avant le basculement vers le rien? La déperdition? L’éphémère? Le résultat d’une soustraction entre le geste et l’objet? Le rebut? Le débris ou la ruine?

20 Lucrèce, De la nature des choses, p.241-243.

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ce qui reSte au regard

«L’œuvre d’art n’est complète que si elle agit dans l’expérience de quelqu’un d’autre que celui qui l’a créée» Dewey John, L’art comme expérience, p.188

Ce qui a lieu

La nouvelle, en littérature, est construite autour d’un temps fort et implique des protagonistes peu nombreux. Son action est concentrée, intense. La brièveté de cette œuvre littéraire, le peu qu’elle dévoile m’attire, c’est la façon dont l’oeuvre nous échappe et la manière dont elle se dérobe. Elle n’est ni évidence, ni immédiateté et se dispense de spectacle ou récréation. L’existence de l’oeuvre se prolonge au-delà de la main de son auteur. Elle s’en libère, se détache, par la connaissance et l’observation, l’approche qu’une autre personne en fait. Qu’advient la signifiance de cette œuvre lorsque la forme, le geste, la durée, se manifestent à peine? La nature labile d’une pièce peut être pierre d’achoppement pour sa pérennité, mais ce peut être aussi la condition de sa présence rendue visible. Comment faire exister aux yeux d’un autre une pièce dont la trace de l’expérience est éphémère et dont les délimitations tendent vers le peu? Quelle expérience le ténu offre au regard ?

Découvrir et atteindreL’œuvre est orientée, ni chaos, ni infinité elle ne peut malgré tout être saisie par le spectateur d’un seul coup d’œil. Qui plus est, exposée et détachée de la seule présence de l’artiste elle n’est néanmoins pas isolée, et serait plutôt une rencontre dans un lieu et un temps donné.

« La production artistique commence par des images qui servent au culte. On peut supposer que l’exis-tence même de ces images a plus d’importance que le fait qu’elles sont vues. L’élan que l’homme figure sur les parois d’une grotte, à l’âge de pierre, est un instrument magique. Cette image est certes exposée aux regards de ses semblables, mais elle est destinée avant tout aux esprits.(…) certaines statues de

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dieux ne sont accessibles qu’au prêtre dans la cella, et certaines Vierges restent couvertes toute l’année, certaines sculptures de cathédrales gothiques sont invisibles si on les regarde du sol. » Walter Benjamin, L’oeuvre d’art à l ’heure de sa reproductibilité technique (p.26-28)

Je ne partage pas exactement la pensée de Walter Benjamin quant à la primauté d’existence de ces images sur le fait d’être vues : elles existent de façon situées, et pas seulement pour la pensée, même si c’est au monde des esprits, ces images s’adressent à et ont pour vocation d’être appréhendées par. Je pense à l’existence comme à une rencontre, je l’ai déjà évoquée,mais ce sur quoi je m’arrête c’est qu’au-delà de l’idée de rituel, d’image de culte dont parle Benjamin, celui-ci souligne le fait de pouvoir passer à côté sans voir, que l’accès n’est pas toujours direct et l’expression diffuse…Il s’agit de chercher, ou de s’arrêter : une œuvre ne captive pas nécessairement les sens, n’est pas forcément bruyante. Michael Fried dans son ouvrage La place du spectateur- Esthétique et origines de la peinture moderne, met quant à lui le doigt sur une peinture qui nie le spectateur et non pas une peinture qui se donne à voir et se montre. Les personnages peints qu’il évoque sont dans un état d’absorption, plongés dans une lecture, leurs pensées, le sommeil, ou la cécité. Criarde, l’oeuvre peut nous pénétrer, alerter nos sens, mais plus silencieuse c’est le spectateur qui la pénètre.

Différence et écartObserver «c’est, pour la plus grande part imaginer ce que l’on s’attend à voir» 21Il faut alors chercher ce qu’est la chose observée et non plus ce qu’on attend d’elle, car l’attention lorsqu’elle est stimulée et éveillée, amène à redécouvrir et à s’étonner. L’étonnement se trouve dans le déplacement, l’inhabituel, le désarroi. Après cet état d’étonnement et pour palier à une situation inhabituelle l’imaginaire et la réflexion entrent en jeu: lorsque la mémoire ne parvient pas à se rappeler dans sa totalité ou lorsque l’expérience qu’on a d’une chose est transformée, la pensée peut aller au-delà du simple constat de l’observation.Dewey souligne que dans une phrase « un accent mal placé perturbe la reconnais-sance »22 . Le déplacement se situe dans le rapport entre un signe et son sens, lorsque la continuité est brisée. Une pièce de Gordon Matta Clark touche subtilement à la perception d’un lieu engagée par un geste simple et la «différence» qui en découle. Celui-ci est invité en 1973 par l’artiste français Jean Dupuy à exposer dans son atelier. Il nettoie alors l’une des dix-huit vitres de l’atelier et rend cette surface transparente au regard: un vide, un silence. Window wash est une pièce qui existe par sa rupture

21 Valéry Paul, Degas Danse Dessin, p.21.22 Dewey John, L’art comme expérience, p.200.

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dans la continuité qu’offre à ce moment l’alignement des vitres sales, une poussière qui façonne l’espace. Enlever pour faire apparaître. La vitre est déjà ce seuil qui marque une limite transparente et mince entre l’intérieur et l’extérieur. Gordon Matta Clark la rend paradoxalement plus distincte et perméable au regard. La vue est plus intense - écart de perception par un geste minime. Cette pièce coudoie l’expérience de Fech-ner23, attachée aux plus petites différences perceptibles : celle-ci révèle qu’un poids a de 10g par la perception ne se distingue pas d’un poids b de 11g, de même que b ne se distingue pas de c de 12g. On distingue en revanche une différence entre a et c : alors a=b, b=c mais a n’égale pas c. La différence est la preuve, l’indice d’une évolution, d’un mouvement ou d’une action dont nous n’avons pas nécessairement été le spectateur.

Les notions de différences et d’écart frôlent ici celle du même. Dans la ligne serpen-tine de l’écriture, John Dewey évoquait le déplacement d’un accent. C’est par le biais du déplacement dans l’espace que j’aborde cette fois l’oeuvre qui suit. Daniel Gustav Cramer et Haris Epaminonda ont présenté en 2012, dans un bâtiment au bout de la Hauptbahnhof à Kassel, The end of summer. En son enceinte, nous y déambulions sur trois étages. Dans chaque pièce des éléments récurrents étaient organisés dans l’espace : une image légèrement dissimulée derrière un socle, un cadre, un collage. Des éléments qui semblaient être des vestiges d’un lieu, d’un moment peut-être… Mais ce n’étaient pas la même image, le même cadre ou le même collage et subtilement une pièce ne ressemblait pas à l’autre, jusqu’à atteindre la dernière salle dont la confi-guration ne permettait pas d’être explorée. Des pièces presque « miroirs », jumelles.Cette oeuvre m’évoque ce que Duchamp appelle écart, différence ou séparation entre, et qui pour être opératoire, doit être selon lui « inframince ». L’écart se traduit par la mesure de faibles épaisseurs, il imagine par exemple un transformateur destiné à utiliser les petites énergies gaspillées comme l’excès de pression sur un bouton élec-trique, l’exhalaison de la fumée de tabac, les soupirs ou se penche encore sur la chaleur d’un siège qui vient d’être quitté, les buées et les reflets. Certainement moins ténue que les propositions de Duchamp, The end of summer stimule néanmoins l’attention et la recherche par l’exposition d’une moindre différence. Marc Décimo en ces termes évoque le travail de Duchamp : « En faisant par exemple subir d’assez légères modi-fications à ce qui est, à la réalité même, ou, en attirant parfois l’attention sur le quasi imperceptible de la réalité, ce qu’il nomme « l’inframince », Duchamp offre à cette réalité la chance d’échapper à l’habitude, à ce qu’on ne regarde plus ou encore à ce qu’on ne regarde pas. »24

23 Expérience rapportée dans l’ouvrage de Davila Thierry, De l ’inframince : brève histoire de l ’imperceptible de Marcel Duchamp à nos jours, Paris : Regard, 2010.24 Decimo Marc, Marcel Duchamp mis à nu, Les presses du réel, 2004, p.70.

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ÉchelleIl y a quelque temps je désirais capter l’odeur dégagée par la gomme après l’avoir frottée. Une odeur familière bien qu’éphémère. La gomme est paradoxalement l’outil de la disparition : son dessein est l’effacement, elle-même se désagrège lors de son utilisation. Je me penchai alors sur l’enfleurage, reposant sur le pouvoir des corps gras à absorber naturellement les odeurs. Cette pratique consiste à étaler une couche de graisse inodore sur les parois d’un châssis en verre que l’on recouvre ensuite de la substance odorante. Au gré de cette expérience, j’opérai un déplacement auprès des matériaux : la matière grasse animale fit place à la vaseline, matière grasse inodore et dérivée du pétrole, les pétales à des grattures de gomme. L’utilité de l’objet est négli-gée, les formes prélevées du quotidien sont réduites parfois à leur essence, au trait, à un dessin...Je retiens dans mon travail, de menus fragments et porte chaque fois la chose à une essentielle singularité, le geste s’opère dans la retenue, l’épure et la réserve. L’objet devient structure maladroite, en équilibre, à la limite de la présence. Le juste assez pour que la chose existe. L’observateur a alors besoin d’une attention particu-lière pour le voir : c’est le regard attentionné de l’autre qui le fait devenir autre chose que minimum, qui lui permettra de changer d’échelle.

Montrer le moins, montrer peu, montrer le semblable ou l’analogue, dévoiler l’indice ou cacher une partie est peut-être ce qui marque un différend dans la définition d’ «exposer»: le décalage entre faire voir et laisser voir. Léger écart certainement, simple déplacement, mais qui suffit à rendre curieuse une matière familière, une habitude non-apathique.

Ce qui n’aura pas lieu

«En un mot, qu’il s’agisse d’un vide de matière ou d’un vide de conscience, la représentation du vide est toujours une représentation pleine, qui se résout à l’analyse en deux éléments positifs ; l’idée, distincte ou confuse, d’une substitution, et le sentiment, éprouvé ou imaginé, d’un désir ou d’un regret.» Bergson Henri, L’ évolution créatrice, p.306

L’absence d’une chose n’est possible que par la représentation plus ou moins explicite de la présence de quelque autre chose. Une abolition signifie d’abord subs-titution, et le vide et l’absence ne sont alors pas le rien, l’inanité, mais les porteurs de sens.

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Création et effacement.À la question «qu’ai-je devant mes yeux et que s’est-il passé?», il est plus ou moins difficile de répondre selon les œuvres. Une ambiguïté volontaire réside parfois dans le voir, compte tenu de ce qui a eu lieu. Michael Fried rapporte les propos de Diderot concernant le travail de Hubert Robert : «…et puisque vous vous êtes voué à la pein-ture des ruines, sachez que ce genre a sa poétique(…) Ne sentez-vous qu’il y a trop de figures ici, qu’il en faut effacer les trois quarts? » 25On pourrait se saisir de cette ré-flexion pour rappeler qu’un silence peut être évocateur autant qu’un vide peut consti-tuer le contenant d’états en puissance, d’évènements encore non formés. L’oeuvre présentée n’est pas tant la monstration d’un inachevé que d’une incomplétude déli-bérée : le rejet d’une insatiable satisfaction liée au déterminé, à la tendance naturelle à l’achèvement et la maîtrise. Les inclinations pour le jugement définitif, arrêté, tran-ché, sont autant d’attitudes qui engendrent à la fois une rapidité dans l’assimilation et l’épuisement de l’oeuvre. Un manque, une absence ou un effacement pourraient être assumés par l’artiste, plutôt que l’exhibe, l’assertion ou la démonstration.

Absence« Le jardin aux sentiers qui bifurquent est une énorme devinette ou parabole dont le thème est le temps; cette cause cachée lui interdit la mention de son nom. Omettre toujours un mot, avoir recours à des métaphores inadéquates et à des périphrases évidentes est peut-être la façon la plus démonstrative de l’indiquer. C’est la façon tortueuse que préféra l’oblique Ts’ui Pên dans chacun des méandres de son infatigable roman » 26

C’est également la façon choisie par certains artistes afin d’appréhender leurs oeuvres, une omission volontaire dans le rendu visible d’une pièce, une absence révélatrice

de leurs préoccupations plus qu’un rejet ou une négation. L’objet est comme l’indice d’une perte soutenue, une soustraction, qui tendrait vers un autre ou un ailleurs.

Samson  de Chris Burden (1985), est un appareillage par lequel passe chaque visiteur à son entrée dans la salle d’exposition, accroissant ainsi la pression exercée par deux madriers contre les murs du bâtiment et risquant à terme d’en faire s’écrouler les murs. Samson est un personnage biblique dont la force incroyable lui provenait de ses cheveux. Rasé, il fut capturé par les Philistins qui lui crevèrent les yeux. Ils décidèrent

25 Fried Michael, La place du spectateur : esthétique et origines de la peinture moderne, Paris : Gallimard, 1990, p.128.26 Borges Jorge Louis, Le jardin aux sentiers qui bifurquent, in Fictions, Paris : Gallimard, 1974, p. 102 (Stephen Albert en conversation avec Yu Tsun).

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de le sacrifier pour leur dieu, mais pendant sa détention ses cheveux repoussèrent et la force lui revint. En poussant sur les colonnes de l’édifice accueillant le spectacle, Sam-son tua les spectateurs venus assister à sa mort. La destruction de la galerie accueillant la pièce de Chris Burden est un acte auquel finalement aucun spectateur n’assistera, et dont la finalité n’est pas d’avoir lieu. La pièce agit plutôt comme une menace. Ce qui est offert à l’oeil, outre le dispositif, est cet espace blanc de la galerie, vide mais ouvert à un horizon de protension, à un événement différé. Le registre diffère mais l’expérience est similaire: Possibility of rose colores light (2004) de Jason Dodge, est constituée de soixante-dix lampes vides et d’ampoules roses po-sées au sol. Le titre nous fait part de la présence rendue potentielle par la quantité et la qualité du matériel, d’une lumière rose. Cette lumière rose ne fait pas pour autant acte de présence. Liminaire pourtant, le reflet des lampes sur le sol nous la laisse presque percevoir. Les titres, artefacts de réception, agissent pour Jean-Marc Poinsot comme contrat entre le spectateur et l’artiste: « Toute œuvre d’art, quelle qu’elle soit, parle toujours de quelque chose du monde réel ou imaginaire et cette chose n’est accessible au spectateur de l’oeuvre que dans la mesure où il existe un consensus mi-nimum (entre l’artiste et le spectateur) sur la chose et la manière dont elle est donnée à voir. »27. Au moyen de l’outil scripturaire, le point du vue du regardeur est projeté vers un ailleurs. Ces pièces ne se saisissent pas dans leur immédiateté scopique : un déplacement se crée dans ce qui paraît souvent figé. Je ne peux m’empêcher de reve-nir sur le travail de Duchamp, qui parfois de manière quasiment infantile, se saisit d’un objet, se l’approprie et le nomme. Il y a un écart entre ce qui est vu et ce qui est énoncé. Une part de son travail porte sur des choses qui ne sont pas ou ne sont plus ce qu’elles paraissent être. « Suis-je sûr de connaître ce qui est présentement sous mes yeux ? » 28, il s’agit de connaître et reconnaître, mais aussi de découvrir par ce qui n’est pas ou ce qui n’est plus, et dans le cas de Possibility of rose colores light ou Samson, ce qui sera peut-être.

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«TITYRE Tu dis que la Plante médite ?LUCRÈCEJe dis que si quelqu’un médite au monde, c’est la Plante.

27 Poinsot Jean-Marc, Quand l’oeuvre a lieu- L’art exposé et ses récits autorisés, Dijon : Presses du réel, 2008, p.14528 Decimo Marc, op.cit, p.30.

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TITYREMédite ?... Peut-être de ce mot le sens m’est-il obscur ? LUCRÈCENe t’en inquiète point. Le manque d’un seul mot fait mieux vivre une phrase : elle s’ouvre plus vaste et propose à l’esprit d’être un peu plus esprit pour combler la lacune.»29

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Dans ces pièces l’évènement est latent, le dénouement est un invité qui se fait désirer. La pièce est sous nos yeux mais en même temps hors de notre vue. Le présent est à la fois ce qui a été fait, ce que l’on voit et ce qu’on ne voit pas mais qui pourra ou pourrait être. Yu Tsun, le personnage de Jorge Luis Borges, parle de « l’infatigable roman » de Ts’ui Pên, mais infatigables aussi sont peut-être ces oeuvres «réservées» dont le sens ne s’épuise pas dans un rendu trop visible.

29 Valéry Paul, Dialogue de l ’arbre, p. 176.

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Faire profession de comprendre les choses. La tentation de l’appropriation sous-tend toutes les quêtes sans toutefois être assujettie à la maîtrise, à une attitude scienti-fique... Ce que je retiens d’une lecture des lettres d’Épicure, est qu’il suffit de présen-ter diverses interprétations qui nous permettent de rester en accord avec les sensa-tions. Prolongeons un peu ces propos: les sensations sont certainement faillibles, mais l’erreur peut s’envisager comme ouverture de possibles et l’obscur ou le manque non pas comme un vide mais une place à l’imagination comble et singulière de celui qui observe.

Guider et entretenir les impulsions et les remous de la nature.Est-ce qu’un langage peut opérer comme base commune aux expériences hétéro-gènes d’éléments différents? Aux habitudes, aux souvenirs et à l’exploration d’une matière, peut-être faut il ajouter son écoute. Ce sont les aveugles nous dit Diderot30, qui sont les moins éloignés de croire que la matière pense.Nous croyons connaître toutes les voix de l’eau qui bruit, mais alors que la glace et la chaleur semblent antinomiques, de la rencontre d’une glace épaisse et polie et du regard chaleureux du soleil, là où l’ombre d’un autre objet ce serait alitée, la terre brûlante s’embrase. Une matière est pleine et sa substance est vivace, chacune d’elle a son langage.

30 Diderot Denis, Lettre sur les aveugles à l ’usage de ceux qui voient, p.39

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Illustration de la table à calculer de Nicholas Saunderson (1683-1739).

31

Interprétation graphique d’une table tactile au Bauhaus de Dessau, 1928.

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Persuader Face (détail)boules et crème de bain, poudre de riz, fard à paupières, poudre de soleil, rouge à lèvreKarla Black, 2011.

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Illustration tirée du Manuel pratique des jardins d’enfants de Frédéric Froebel à l ’usage des institutrices et des mères de famille de J-F. Jacobs, 1859.

34

Marché et lavoir de Flandre (détail)huile sur toile Jan Bruegel L’Aîné et Joos De Momper, 1620.

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UntitledperformanceMarie Cool et Fabio Balducci, 2006.

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Mare à goriaux, Valenciennes.

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Mineralium (détail)sel, aimants terrestres et limailles de fer Navid Nuur, 2012.

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Sans titre (détail)matériaux variablesFernanda Gomes, 2012.

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Zirkelcrayon, métalKatinka Bock, 2009.

Sans titre (détail)matériaux variablesFernanda Gomes, 2012.

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Bibliographie

Bergson Henri, L’évolution créatrice (1907) Paris : F. Alcan, 1908.Bergson Henri, Matière et mémoire (1896), Paris : PUF, 1985.Condillac, Traité des sensations (1754), Paris : Fayard, 1984.De Certeau Michel, L’invention du quotidien, Arts de faire, Paris : Gallimard, 1990.Dewey John, L’art comme expérience (1934), Paris : Gallimard, 2010.Diderot Denis, Lettre sur les aveugles à l ’usage de ceux qui voient (1749), Paris : Flammarion, 2000.Didi-Huberman Geroges, La ressemblance par contact : archéologie, anachronisme et modernité de l ’empreinte, Paris : Minuit, 2008.Didi-Huberman Geroges, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris : Minuit, 1992.Eco Umberto, L’œuvre ouverte, Paris : Seuil, 1965.Épicure, Lettres, Paris : Nathan, 1998.Fiedler Konrad, Sur l ’origine de l ’activité artistique (1887), Rue d’Ulm, 2003.Focillon Henri, Vie des formes : suivi de Éloge de la main (1934), Paris : PUF, 1981.Guérin, Michel, Philosophie du geste (1995), Arles (Bouches-du-Rhône) : Actes Sud, 2011.Harman Graham, L’objet quadruple une métaphysique des choses après Heidegger, PUF, 2010.Leroi-Gourhan André, Le geste et la parole. Tome 2 , Paris : Albin Michel, 1964.Lucrèce, De la nature des choses, Le Livre de Poche, 2002.Valéry Paul, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895), Paris : Éd. de la Nouvelle Revue française, cop. 1919.Valéry Paul, Degas, Dance, Dessin (1938), Paris : Gallimard, 1998.Valéry Paul, Dialogue de l ’arbre (1943), Paris : Gallimard, 1951.Voltaire, Treizième lettre sur M.Locke, in Lettres philosophiques, (1734), Paris : Gallimard,1986.

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Filmographie

Carasco Raymonde, Gradiva, 1978.Duras Marguerite, Césarée, 1979. Duras Marguerite, Les mains négatives, 1979.Fischli Peter et Weiss David, Le droit chemin, 1983. Garrel Philippe, La cicatrice intérieure, 1972.Giraud Fabien et Siboni Raphaël, Sans titre, La Vallée Von Uexkull, 2009.Tarkovski Andreï, Solaris,1972.Varda Agnès, Les glaneurs et la glaneuse, 2000.

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Je souhaite particulièrement remercier Michèle Martel, ainsi que Thierry Weyd, Gyan Panchal et Thierry Topic, pour la maturation et la confection de cet écrit.

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