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Identité du bâtiment Programme : jardin public dit jardin de l’abbaye Département / Ville : Cher / Vierzon Commanditaire : la commune de Vierzon Architecte-statuaire : Eugène-Henry Karcher (1881-1964) Dates de construction : 1932-1935 Le contexte Soucieuse d’offrir à la ville un jardin public, la municipalité de Vierzon achète à cet effet, en 1922, une partie des dépendances de l’abbaye de Saint-Pierre située entre le bassin du canal de Berry et le cours de l’Yèvre. En 1927, un concours pour le projet d’un monu- ment aux morts de la guerre 14-18 est organisé par la ville en même temps qu’une souscription publique est lancée. Le site retenu dans un pre- mier temps se révèle trop onéreux et il est décidé d’élever ce monument dans le jardin public nou- vellement créé. Parmi les concurrents, Henry Karcher élabore un projet qui va au-delà du seul monument aux morts : il intègre un jardin pour l’accompagner et l’amplifier. En 1929, lauréat du concours, il écrit au maire de Vierzon Lucien Beaufrère, qu’il conçoit son monu- ment « comme une page d’histoire, l’Histoire de la guerre. Comme tel, ce monument marque une époque ; c’est l’Image de la Douleur Humaine et des plus nobles aspirations du cœur humain. Il est et sera toujours un enseignement d’actualité et en cela même de nature à concilier toutes les opinions » ( lettre du 3 octobre 1929). Après de nombreuses discussions avec la municipalité qui lui demande de modifier son projet pour des raisons d’écono- mie, celui-ci est achevé en 1932. Le monument aux morts est inauguré avec faste le 11 novembre 1933. L’architecte Eugène-Henry Karcher, né à Angers, exerce son activité presque exclusivement en Maine-et-Loire, tout à la fois comme sculpteur et comme architecte. Il séjourne à Vierzon pendant toute la durée du chantier, réalisant les sculptures et les bas-reliefs sur place, dans un atelier mis à sa disposition. Soucieux de marier l’art et le social, la municipalité et l’architecte firent appel à des chômeurs de Vierzon pour les terrassements et des entre- prises locales furent étroitement associées, en particulier la fabrique Denert et Balichon (Denbac) pour la production de carreaux de céramique. La masse de documents conservés pour ce projet laisse penser que ce monu- ment-jardin constitua son œuvre majeure. L’édifice : un monument-jardin En 1933, l’architecte érige le monument aux morts et la partie ouest du jardin. Les principes esthétiques retenus et mis à l’honneur lors de l’Expo- sition internationale de 1925 (symétrie, géométrie, formes épurées, uti- lisation de matériaux nouveaux) inscrivent l’ensemble dans le style « Art Déco ». Les figures de bases utilisées sont le rectangle et le demi-cercle. Le fer forgé, très en vogue à l’époque, est largement employé : garde corps à motifs simples, avec colombes en inclusion de pierre, ornements des pilas- tres. Patrimoine du XX e siècle en Région Centre CHER Square Lucien Beaufrère ou jardin de l’abbaye 1/3 Véronique de Montchalin service éducatif DRAC Centre, professeur missionné par le rectorat d’Orléans-Tours Square Beaufrère ou jardin de l’abbaye © CRMH-Centre, 2009 © CRMH-Centre, 2009 © B. Gautheron, CRMH-Centre, 1988 Figure de femme symbolisant la Berrichonne Le monument aux morts Vue d’ensemble du jardin : le monument aux morts, le bassin et l’exèdre ouest

Square Beaufrère ou jardin de l’abbaye - Portail … · de Poilus représentés à mi-corps. Seuls des casques rap-pellent qu’il s’agit de soldats. Plus bas, deux figures masculines

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Identité du bâtiment Programme : jardin public dit jardin de l’abbaye Département / Ville : Cher / Vierzon Commanditaire : la commune de VierzonArchitecte-statuaire : Eugène-Henry Karcher (1881-1964)Dates de construction : 1932-1935

Le contexte Soucieuse d’offrir à la ville un jardin public, la municipalité de Vierzon achète à cet effet, en 1922, une partie des dépendances de l’abbaye de Saint-Pierre située entre le bassin du canal de Berry et le cours de l’Yèvre. En 1927, un concours pour le projet d’un monu-ment aux morts de la guerre 14-18 est organisé par la ville en même temps qu’une souscription publique est lancée. Le site retenu dans un pre-mier temps se révèle trop onéreux et il est décidé d’élever ce monument dans le jardin public nou-vellement créé. Parmi les concurrents, Henry Karcher élabore un projet qui va au-delà du seul monument aux morts : il intègre un jardin pour l’accompagner et l’amplifier. En 1929, lauréat du concours, il écrit au maire de Vierzon Lucien Beaufrère, qu’il conçoit son monu-ment « comme une page d’histoire, l’Histoire de la guerre. Comme tel, ce monument marque une époque ; c’est l’Image de la Douleur Humaine et des plus nobles aspirations du cœur humain. Il est et sera toujours un enseignement d’actualité et en cela même de nature à concilier toutes les opinions » ( lettre du 3 octobre 1929). Après de nombreuses discussions avec la municipalité qui lui demande de modifier son projet pour des raisons d’écono-mie, celui-ci est achevé en 1932. Le monument aux morts est inauguré avec faste le 11 novembre 1933.

L’architecteEugène-Henry Karcher, né à Angers, exerce son activité presque exclusivement en Maine-et-Loire, tout à la fois comme sculpteur et comme architecte. Il séjourne à Vierzon pendant toute la durée du chantier, réalisant les sculptures et les bas-reliefs sur place, dans un atelier mis à sa disposition. Soucieux de marier l’art et le social, la municipalité et l’architecte firent appel à des chômeurs de Vierzon pour les terrassements et des entre-prises locales furent étroitement associées, en particulier la fabrique Denert et Balichon (Denbac) pour la production de carreaux de céramique. La masse de documents conservés pour ce projet laisse penser que ce monu-ment-jardin constitua son œuvre majeure.

L’édifice : un monument-jardinEn 1933, l’architecte érige le monument aux morts et la partie ouest du jardin. Les principes esthétiques retenus et mis à l’honneur lors de l’Expo-sition internationale de 1925 (symétrie, géométrie, formes épurées, uti-lisation de matériaux nouveaux) inscrivent l’ensemble dans le style « Art Déco ». Les figures de bases utilisées sont le rectangle et le demi-cercle. Le fer forgé, très en vogue à l’époque, est largement employé : garde corps à motifs simples, avec colombes en inclusion de pierre, ornements des pilas-tres.

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Figure de femme symbolisant la Berrichonne

Le monument aux morts

Vue d’ensemble du jardin : le monument aux morts, le bassin et l’exèdre ouest

Le monument aux morts : un message de paix et d’espoir L’œuvre réalisée en pierre de Lavoux s’impose par ses dimensions, la rigueur de ses volumes et la puissance de sa symbolique. Elle se présente comme une sorte d’obélisque au sommet duquel trône une figure féminine berrichonne, incarnant la Vie selon Karcher. Elle surmonte une série de Poilus représentés à mi-corps. Seuls des casques rap-pellent qu’il s’agit de soldats. Plus bas, deux figures masculines accroupies se tiennent la main et symboli-sent la fraternité : « Les hommes ont compris qu’ils tou-chent au seuil de cette fraternité tant rêvée et sur leurs reins arqués ils refoulent la porte de bronze qui doit murer en son Temple de Gloire l’Epée Homicide » expli-que l’architecte. De chaque côté enfin, deux bas-re-liefs représentent l’un, le deuil des survivants (femmes, enfants et vieillards) et l’autre, le travail et l’harmonie familiale dans une figuration de tous les métiers s’exer-çant à Vierzon.Sur le côté servant aux commémorations sont gravés les noms de 364 soldats de Vierzon morts pendant la Première Guerre mondiale.

À l’arrière on trouve la représentation d’une mère tenant dans ses bras son fils mort sur le champ de bataille. Enfin une sculpture réalisée par Karcher, « L’homme pensant », est mise en place, à sa demande en 1962 pour évoquer la Deuxième Guerre mondiale. L’homme est représenté enchaîné mais la présence d’un rameau d’olivier au-dessus de sa tête apporte une note d’espoir. Dessous est gravé une citation de Victor Hugo :

Hommes que j’entrevois dans l’assourdissement des trompettes farouches Plus forts que des lions et plus vains que des mouches Pour le plaisir de qui vous exterminez-vous ?Vous n’avez qu’un seul droit : c’est de vous aimer tous

Au pied du monument aux morts, un bassin d’eau rec-tangulaire est bordé au nord et au sud par deux fontai-nes semi-circulaires couvertes de mosaïques. Derrière ces fontaines se trouvent des grilles en fer forgé avec des colombes en inclusion de grès et des torches styli-sées, symbolisant la paix.

Un jardin théâtral Le jardin parfaitement structuré est tout entier tourné vers le monument : « il faut que le monument soit un couronnement rationnel du site et que l’aménage-ment du cadre qui en permette l’accès soit sévèrement conforme au caractère du point culminant qui doit être un centre d’attirance progressive pour le pèlerin ou le visiteur », écrit Karcher.Le jardin est composé à l’ouest de deux massifs de gazon entourés de plates bandes et d’une allée de tilleuls en bordure du canal. La partie centrale com-porte un massif semi-circulaire (plates bandes et gra-dins d’arbustes) et un parterre rectangulaire : elle est entourée par un hémicycle de piliers ornés de car-reaux de céramique et surmontés de lanterneaux en fer forgé, séparés par des bancs, d’où le visiteur peut admirer le monument. Des ifs et des buis taillés en volumes simples et rigoureux comme s’il s’agissait d’éléments construits, complètent l’ensemble.

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Square Lucien Beaufrère ou jardin de l’abbaye 2/3Véronique de Montchalin service éducatif DRAC Centre, professeur missionné par le rectorat d’Orléans-Tours

Détail : la fraternité Détail : Les Poilus

Bas-relief de gauche : les métiers vierzonnais

Le bassin

Détail d’une des fontaines

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Dans ce jardin architecturé aucune plante n’échappe à « la mise en forme ». Karcher avait déterminé de façon précise les couleurs des arbres et des arbustes qui étaient plantés.

Le square Beaufrère fut l’un des premiers jardins publics en France à bénéficier d’un éclairage électrique. La mise en scène de la lumière contribuait à magnifier l’esprit de commémoration du lieu et renforçait l’émotion en particulier avec l’éclairage de la porte du monument aux morts : un faisceau de lumière pouvait sortir de derrière la dalle et mettre en valeur, de façon dramatique, le glaive de la guerre.

Le kiosque-lavoir En 1933, la municipalité décide de compléter son pro-gramme par la construction d’un auditoriun et d’un lavoir, dont la réalisation est également confiée à Henry Karcher. Cette adjonction, dans le respect du style du monument aux morts, loin d’être contraire à l’esprit du lieu, incarne la Vie face aux désolations de la guerre et de la mort. « C’est la promesse infinie d’où une fois encore sortira le salut du monde par l’affection et le dévoue-ment. » L’ensemble est inauguré le 14 avril 1935.

On accède à l’auditorium construit en béton par deux grandes portes ornées de motifs en fer forgé, d’inclu-sions de grès et de céramiques bleues, représentant des danseuses stylisées.Ce véritable petit théâtre de plein air comporte une scène sous coupole au-dessus de laquelle sont figurés une lyre stylisée et un mascaron antique. Il possède aussi des coulisses, une loge de souffleur et une fosse d’orchestre.

À proximité de l’auditorium, le lavoir est précédé d’une porte à deux battants avec le même décor que pré-cédemment représentant des lavandières. La concep-tion du lavoir extrêmement moderne permettait aux femmes, par un judicieux dispositif de vannes et de grilles, de laver leur linge dans une eau toujours propre.

Jusqu’en 1950 l’auditorium a servi pour des concerts et des présentations de danses, exécutés avec le concours de sociétés locales.

Actualité Cet ensemble architectural remarquable, constitue une étonnante synthèse entre les espaces plantés et les éléments d’architecture. Unique en son genre, il est considéré comme un chef d’œuvre de l’Art Déco de l’entre-deux-guerres. Inscrit au titre des monuments historiques en 1988, il a été classé comme monument historique dans sa totalité en août 1996 et a bénéficié d’un important programme de restauration de 2000 à 2007.

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Sources : – Archives CRMH– Le jardin de l’abbaye à Vierzon, Joëlle Weill, ingénieur agronome, chargée de mission à la DRAE Centre, Le Journal de Sologne n°62 – octobre 1988

Square Lucien Beaufrère ou jardin de l’abbaye 3/3Véronique de Montchalin service éducatif DRAC Centre, professeur missionné par le rectorat d’Orléans-Tours

Grille en fer forgé avec les colombes entourant la flamme de la Paix

Le kiosque lavoir

Porte d’entrée du lavoir, les lavandières en inclusion de grès

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