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607 Résumé Depuis plusieurs dizaines d’années se succèdent les conférences internationales et les plans d’actions pour diminuer la mortalité maternelle dans le monde. Pourtant ce fléau mondial continue de tuer entre 365 000 et 600 000 femmes enceintes par an. La gratuité des soins pour les femmes enceintes, qui semblait une solution intéressante pour réduire la mortalité maternelle, reste malheureusement inefficace. Les délais de prise en charge sont toujours trop importants. Le manque de formation des professionnels de santé est un frein majeur à une prise en charge obstétricale optimale et efficace permettant de diminuer la mortalité maternelle. La carence en offre de soins spécialisés au Burundi est majeure. Le taux de mortalité maternelle burundais est 100 fois supérieur aux taux européens. Plus de 80 % de la mortalité maternelle est « évitable » par une prise en charge obstétricale « normale » sans retard. Le Burundi par sa politique de santé publique dispose cependant d’atouts considérables : gratuité des soins, hôpitaux de district dotés d’un bloc opératoire Groupe hospitalier de l’Institut catholique lillois - Faculté libre de médecine - 59000 Lille Correspondance : [email protected] Stratégie de réduction de la mortalité maternelle dans l’est du Burundi par un modèle de réseau régional de soins maternels autour de l’hôpital Rema R. MATIS (Lille)

Stratégie de réduction de la mortalité maternelle dans … la santé maternelle et infantile pour l’est du Burundi par la formation des professionnels médicaux, paramédicaux,

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Résumé

Depuis plusieurs dizaines d’années se succèdent les conférences internationales et lesplans d’actions pour diminuer la mortalité maternelle dans le monde. Pourtant ce fléaumondial continue de tuer entre 365 000 et 600 000 femmes enceintes par an. Lagratuité des soins pour les femmes enceintes, qui semblait une solution intéressante pourréduire la mortalité maternelle, reste malheureusement inefficace. Les délais de prise encharge sont toujours trop importants.

Le manque de formation des professionnels de santé est un frein majeur à une priseen charge obstétricale optimale et efficace permettant de diminuer la mortalité maternelle.

La carence en offre de soins spécialisés au Burundi est majeure. Le taux demortalité maternelle burundais est 100 fois supérieur aux taux européens. Plus de 80 %de la mortalité maternelle est « évitable » par une prise en charge obstétricale « normale »sans retard. Le Burundi par sa politique de santé publique dispose cependant d’atoutsconsidérables : gratuité des soins, hôpitaux de district dotés d’un bloc opératoire

Groupe hospitalier de l’Institut catholique lillois - Faculté libre de médecine - 59000 Lille

Correspondance : [email protected]

Stratégie de réduction de lamortalité maternelle dans l’est duBurundi par un modèle de réseaurégional de soins maternels autour

de l’hôpital Rema

R. MATIS(Lille)

fonctionnel, ambulances pouvant transporter les patientes vers les hôpitaux, registres desactes de soins permettant l’évaluation et pour la région est, l’hôpital Rema performantouvert en 2008, qui a pour vocation à devenir l’hôpital de référence de l’est du Burundi.

L’objectif est de faire de l’hôpital Rema l’hôpital de référence de l’est du Burundiavec une maternité « sans mortalité maternelle évitable » et un centre chirurgical detraitement des complications de l’accouchement (fistules et prolapsus).

Les étapes du projet : faire de l’hôpital Rema l’hôpital régional de référence pourla santé maternelle et infantile pour l’est du Burundi par la formation des professionnelsmédicaux, paramédicaux, administratifs et techniques de l’hôpital Rema aux soinsobstétricaux d’excellence, sous forme de compagnonnage ; création d’un réseau de soinsmaternels et infantiles comprenant 7 hôpitaux de district et 66 centres de santé pour larégion est du Burundi, centré sur l’hôpital Rema, par la formation des professionnels desanté du réseau à la prise en charge de l’accouchement, à la prévention de la mortalitématernelle par le traitement actif des complications et le transfert vers l’hôpital deréférence Rema ; création d’un centre de formation et de traitement médico-chirurgicaldes fistules, prolapsus et incontinences à l’hôpital Rema pour la région est du Burundipar la formation des professionnels médicaux, paramédicaux de l’hôpital Rema aux soinsde chirurgie gynécologique d’excellence.

L’évaluation de ce modèle de prise en charge se fera sur l’évolution du taux demortalité maternelle et sur le nombre de transferts pour sauvegarde maternelle, et decomplications périnatales (taux de césariennes, de naissances vivantes, de mortalitépérinatale, de fistules obstétricales, etc.).

Mots clés : mortalité maternelle, formation médicale, pays en développement

Déclaration publique d’intérêtJe soussigné, Richard Matis, déclare ne pas avoir d’intérêt direct

ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industrielou commercial en relation avec le sujet présenté.

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INTRODUCTION

En 2012 la maternité est encore, pour de nombreuses femmesvivant dans les pays pauvres, source de complications redoutablesconduisant au décès maternel ou à des séquelles handicapantes.Chaque année près d’un demi-million de femmes meurent descomplications de la grossesse ou de l’accouchement.

« Chaque minute dans le monde aujourd’hui, 380 femmes débutent unegrossesse et pour 190 d’entre elles cette grossesse est non désirée ou non planifiée ;110 femmes vivent une grossesse compliquée ; 40 femmes subissent unavortement dans de mauvaises conditions de sécurité, et une femme décède d’unecomplication liée à sa grossesse ou à son accouchement » (De Bernis CNGOF2005). L. De Bernis. Med Trop 2003;63:391-399.

Depuis plusieurs dizaines d’années se succèdent les conférencesinternationales et les plans d’actions pour diminuer la mortalitématernelle dans le monde. Pourtant ce fléau mondial continue de tuerentre 365 000 et 600 000 femmes par an. Qu’ils s’appellent « SafeMotherhood Initiative » (1987 Nairobi), « Maternité sans risque »(Colombo 1997), « Save the mother » (FIGO 2000), « Objectif dumillénaire n° 5 » (OMS 2000-2010) ; qu’ils soient commandités par lesNations Unies, l’Organisation mondiale de la santé, les sociétéssavantes de médecine, les ONG internationales, tous ces plans d’actionne parviennent pas à réduire significativement le taux de mortalitématernelle.

Parmi les stratégies élaborées pour lutter contre la mortalitématernelle, la gratuité des soins pour les femmes enceintes semble unesolution intéressante. Elle est malheureusement inefficace sur les délaisde prise en charge toujours trop importants. Le manque de formationdes professionnels de santé reste un frein majeur pour une prise encharge obstétricale optimale et efficace.

Gynécologie sans frontières (GSF) lutte depuis des années contrela mortalité maternelle par la formation des professionnels de santé àla « sauvegarde maternelle ». Jusqu’à présent ces formations aux soinsobstétricaux d’urgence réunissent plusieurs dizaines de participants surdes périodes de 5 jours de cours. L’efficacité pédagogique d’un telmodèle demande à être évaluée. La plupart des acteurs de ce type deformation sont conscients de leur manque d’efficacité. En pratique lesacquisitions des professionnels sont minimes, voire nulles. Au BurundiGSF met en place un nouveau modèle de formation. L’effort initial estporté sur un hôpital en capacité de devenir le centre de référence d’unréseau de soins obstétricaux maternels. Secondairement les formations

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sont dispensées à toutes les structures sanitaires dépendant de ce réseau.Elles associent la pratique par compagnonnage et la théorie, s’adressantà l’ensemble des acteurs, médecins, infirmiers accoucheurs et agents desanté en charge de la femme enceinte et de l’accouchement. Il s’agitd’accompagner les professionnels de santé d’un territoire défini pour les« performer » aux soins obstétricaux d’excellence.

Les soins obstétricaux sont orientés vers la priorité, la sauvegardematernelle. La sauvegarde fœtale et néonatale sera envisagée si lasauvegarde maternelle est acquise.

Ces formations visent à organiser la prise en charge obstétricale« en réseau » autour d’un hôpital de référence, en renforçant lesmoyens de communication entre professionnels du réseau.

Cette stratégie est adaptée aux moyens humains et matérielsexistants, sans déséquilibrer la situation médico-économique. Enlaissant les actions appartenant aux politiques, constructions etmatériels lourds, GSF s’inscrit en complémentarité d’une politiquelocale d’amélioration de la santé maternelle. GSF, bras humanitaire dessociétés savantes de gynécologie-obstétrique (CNGOF (Collègenational des gynécologues et obstétriciens français), CNSF (Collègenational des sages-femmes)), possède une expertise reconnue deformation des professionnels de la santé des femmes dans les pays envoie de développement. Les actions de GSF sont portéesessentiellement sur l’amélioration des capacités et compétences desprofessionnels en place à l’aide des moyens existants. L’apport dematériels, qu’ils soient humains, techniques, sont voués à êtretemporaires. C’est par l’amélioration de l’existant que les actionshumanitaires peuvent être pérennes. Ce modèle de formation estactuellement testé dans la région est du Burundi, avec un projet de3 ans, centré sur l’hôpital Rema.

I. MORTALITÉ MATERNELLE - QUELQUES CHIFFRES

Définition : décès d’une femme entre le 1er jour de sa grossesse etla fin de la 6e semaine suivant l’accouchement.

En 2005, une femme mourait de complications liées à la grossesseou à l’accouchement toutes les minutes, soit 1 400 par jour (500 000/anet 10 millions en une génération). La quasi-totalité (99 %) vivent etmeurent dans les pays pauvres dits « en voie de développement ».Ainsi, la mortalité maternelle moyenne passe de 1/22 dans les pays

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pauvres à 1/7 300 dans les pays riches (1/7 au Niger contre 1/17 400en Suède).

Ces décès maternels entraînent chaque année plus d’un milliond’enfants orphelins de mère qui seront plus vulnérables. Les orphelinsde mère risquent 10 fois plus de mourir prématurément.

C’est en Afrique subsaharienne et en Asie que surviennent laquasi-totalité des décès maternels. On en compte moins de 5 % enAmérique du Sud et dans les pays développés. Le ratio de mortalitématernelle le plus élevé est celui de l’Afrique subsaharienne (920) suivipar l’Asie (330), l’Océanie (240), l’Amérique latine et les Caraïbes (190)puis les pays les plus riches (20).

Les pays les plus touchés sont l’Inde, qui compte un quart desdécès maternels dans le monde, avec 136 000 décès maternels par an.Après l’Inde, suivent le Nigeria (37 000), le Pakistan (26 000), l’Éthiopieet la République démocratique du Congo (24 000), la Tanzanie(21 000), l’Afghanistan (20 000), le Bangladesh (16 000), l’Angola, laChine, le Kenya (11 000 chacun), l’Indonésie et l’Ouganda (10 000chacun). Ces pays totalisent 70 % des décès maternels dans le monde.

En 2008, les 358 000 décès maternels sont toujours situés dans lesrégions où vivent les populations à faible revenu, et/ou dans les zonesrurales. Le taux de mortalité maternelle est alors de 290/100 000naissances dans les pays pauvres, et de 14/100 000 dans les pays riches.Il dépasse 1 000/100 000 naissances dans certains pays africains.

Dans la plupart des pays en développement, la première cause dedécès chez les adolescentes de moins de 15 ans est la mortalitématernelle. En 2008 les chiffres montrent les carences concernant lasanté des femmes :

— 75 millions de femmes vivent une grossesse non désirée ou nonplanifiée ;

— 20 millions de femmes risquent leur vie lors d’un avortementpratiqué dans de mauvaises conditions de sécurité ; 69 000 enmeurent ;

— 50 millions de femmes connaissent une complication de leurgrossesse ou de leur accouchement ;

— 4 millions souffrent de séquelles invalidantes relatives à leurgrossesse et/ou leur accouchement.

Au total, 300 millions de femmes dans le monde ont des maladiesou séquelles évitables dues à une grossesse ou un accouchement. Cesproblèmes incluent la stérilité, les prolapsus utérins et les fistules vésico-vaginales. Beaucoup de femmes survivantes mais handicapées par lesséquelles de leur accouchement sont exclues socialement. En Afriquesubsaharienne et en Asie, 2 millions de femmes environ vivent avec

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une fistule vésico-vaginale, le plus souvent marginalisées, dans une trèsgrande pauvreté.

Les infections puerpérales sont la cause d’environ 450 000 stéri-lités chaque année. Les grossesses ectopiques sont très sous-estimées carméconnues, les données étant limitées à celles fournies par des étudeshospitalières.

II. CAUSES DE LA MORTALITÉ MATERNELLE

C’est la carence en offre de soins de qualité pendant la grossesseet l’accouchement qui explique la plupart des décès maternels.L’absence de suivi prénatal, d’assistance médicalisée lors del’accouchement, de moyens humains, techniques et financiers rendl’accouchement à très haut risque de mortalité. Dans les pays où lesdroits de la femme sont les plus précaires comme en Afrique et en Asiedu Sud, la mortalité maternelle représente la cause la plus fréquente dedécès chez les femmes.

Les grossesses chez les femmes jeunes sont plus à risque de décèsmaternels : 5 fois plus pour les moins de 15 ans, et 2 fois plus pour les15-20 ans.

Les risques de décès augmentent avec chaque grossesse. Ainsidans les pays où le taux de fécondité est élevé, comme en Afrique, lesrisques se cumulent à chaque nouvelle grossesse, allant jusqu’au risquede décès maternel de 10 % au cours de la vie d’une femme. Desmillions de femmes pourraient être protégées simplement en planifiantla grossesse, en ayant accès et droit à la contraception. L’interruptionde grossesse dans des conditions dangereuses entraîne encore 68 000décès dans le monde.

Dans 80 % des cas la mortalité maternelle est due à 5 causesprincipales : hémorragie (25 %), infections (15 %), complications desavortements (13 %), éclampsies (12 %) et dystocies (8 %). Les 20 %restant sont indirectement liés à des pathologies préexistantes,aggravées par la grossesse ou augmentant les risques de complications,comme le paludisme, le sida, les hépatites, l’anémie ou les mutilationssexuelles. Quelle que soit la cause du décès maternel, plus de 70 % descas sont « évitables » par une prise en charge adaptée.

La connaissance des causes de décès et de leurs incidences estessentielle pour élaborer les stratégies de lutte contre la mortalitématernelle.

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III. QUELLES SOLUTIONS POUR ÉRADIQUER LAMORTALITÉ MATERNELLE

Pour lutter contre ce fléau mondial il est nécessaire d’agir à plusieursniveaux. Différentes orientations sont possibles, mais c’est surtout lacohésion entre les différents programmes qui va les rendre efficaces.

On peut schématiquement définir deux axes principaux pourdiminuer la mortalité maternelle :

— éviter les grossesses avec le contrôle des naissances,— et organiser les soins de la femme enceinte pendant la grossesse,

l’accouchement et en post-partum.

III.1. Éviter les grossesses - Contrôle et planification desnaissances

La diminution du nombre de grossesses et l’espacement desnaissances augmentent le taux de survie des mères comme de leursenfants. Pour éviter les décès maternels, il est primordial de prévenirles grossesses non désirées et/ou trop précoces. Toutes femmes, ycompris les adolescentes, devraient pouvoir :

— accéder au planning familial ;— recevoir des informations claires et loyales sur la contraception,

les risques infectieux, les risques de la grossesse, l’éducationsexuelle, la parentalité, l’élevage d’enfants en bas âge, etc. ;

— s’adresser à titre préventif ou curatif aux services d’orthogéniedans le cadre législatif et dans le respect de son intimité, sansrisquer de représailles.

Près de 215 millions de femmes souhaitent planifier une grossesseet n’ont pas la possibilité d’obtenir une contraception. La couverturedes besoins en planification familiale permettrait de diminuer de prèsd’un tiers le nombre des décès maternels.

C’est finalement le statut de la femme dans la société qu’il fautréformer, améliorer, ou créer. La santé des femmes est corrélée avec ledroit des femmes, en particulier le droit à l’éducation des fillettes, àl’instruction, à l’information, à circuler librement, à s’exprimer, àprendre des responsabilités politiques et sociétales, etc.

Lorsque ces droits sont bafoués par les mariages forcés des enfants,par les violences de tous types commises sur les femmes parce qu’ellessont femmes, le taux de mortalité et le taux de morbidité augmententen conséquence.

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Les hommes doivent être impliqués dans cette amélioration de lasanté et des droits des femmes. Changer les mentalités pour aller àl’encontre des dogmes, des croyances et des traditions, ne peut se fairequ’avec le soutien des tutelles communautaires qu’elles soientreligieuses, politiques ou autres.

III.2. Organiser les soins de la femme enceinte

Pour diminuer la mortalité due à la grossesse, il faut différencierles actions selon l’âge de la grossesse : jeune au 1er trimestre ouévolutive.

III.2.a Pour les grossesses jeunes des 1er et 2e trimestresC’est essentiellement la mauvaise gestion des grossesses non désirées

qui est la cause de mortalité, le plus souvent par infection. En évitant lesavortements clandestins, c’est-à-dire en acceptant l’avortement, denombreuses femmes seront sauvées.

III.2.b Pour les grossesses évoluant vers l’accouchementC’est essentiellement la mauvaise gestion de la grossesse, de

l’accouchement et du post-partum qui entraînent le décès maternel.Dans ce chapitre il existe plusieurs niveaux :

— l’accès aux soins,— la pratique et la qualité des soins.

III.2.b.i. L’accès aux soinsLa plupart des morts maternelles n’ont pas eu accès aux soins

ordinaires ou d’urgence par du personnel qualifié. Plusieurs élémentsempêchent les femmes de recevoir ou de solliciter des soins durant lagrossesse et l’accouchement, notamment la pauvreté, la distance, lemanque d’informations, l’inadéquation des services, les pratiquesculturelles.

L’accès des femmes enceintes aux soins obstétricaux doit êtrefavorisé en levant les barrières financières. Le réseau de communicationdoit être fonctionnel, avec téléphones, moyens de transport du domicileà la structure de soins, transmission entre les professionnels et entrepatients et professionnels. Cela considère toutes les étapes nécessairespour qu’une femme enceinte se retrouve dans un système de soins.

Déjà il faut que la femme et la fratrie de la femme enceinte soientéduquées, informées sur l’existence de structures de soins. Selon le degréd’isolement et d’ignorance de la communauté dans laquelle vit la fratrie,

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elle peut être confrontée à des barrières culturelles infranchissables.Certaines patientes n’accoucheront jamais en dehors de chez elle. Pourchanger les croyances, les mentalités et les dogmes, il faut passer parl’instruction, le savoir, la connaissance, l’éducation, l’information. Celane peut s’envisager que sur les moyen ou long termes, sur une ou deuxgénérations.

Toutefois il est possible d’accélérer la « prise de conscience » enapportant des « avantages directs » aux populations qui modifient leurshabitudes. C’est ainsi qu’en France, dans les années 70, les consultationsprénatales sont devenues « pseudo-obligatoires » en indemnisant lesfemmes qui acceptaient de se faire suivre. Tous les actes concernant lagrossesse doivent être gratuits pour la femme enceinte. Ces mesuressont du ressort des décisions politiques. Toutes les actions caritativesvenant de l’extérieur ne peuvent réussir à opérer de tels changementssans une volonté marquée du politique.

L’accessibilité aux soins est dépendante de la gratuité des soinsobstétricaux, de la valorisation des fratries qui se font suivre par lesystème de soins, et de l’éducation des populations.

Une fois convaincue de l’utilité d’être suivie pendant la grossesseet assistée durant l’accouchement, la patiente doit avoir les moyens dese déplacer vers la structure de soins.

Dans les pays pauvres le transport est un problème majeur. Il sous-entend tout d’abord un réseau routier adéquat, carrossable. Lesvéhicules adaptés au transport des femmes enceintes doivent êtreconfortables et rapides, proscrivant les deux roues, les charrettes etautres moyens de fortune. Les freins aux déplacements sont multiplesavec le principal d’entre eux : le coût du transport pour la fratrie. Cecoût va déterminer si oui ou non il est possible d’envisager le transportvers le centre de soins.

Les étapes pour aller du lieu de vie à la structure de soins la plusproche sont nombreuses et toutes représentent autant de freins. Toutesles actions des ONG seront inutiles tant que ces moyens de base n’ontpas été mis en place par la volonté politique.

Une fois parvenue dans la structure de soins, il existe encore desfrais dus aux soins ou à la logistique des accompagnants qui peuventruiner une famille pauvre.

Pour améliorer la santé maternelle, il convient d’identifier puis desurmonter les obstacles qui limitent l’accès aux services de santématernelle. Il est indispensable avant toute action de soutien que lepays adopte et mette en place une politique périnatale accessible auxfamilles pauvres, notamment par l’assurance sanitaire et/ou la gratuitédes soins.

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III.2.b.ii. Pratiques et qualité des soinsUne fois toutes les barrières franchies, la femme enceinte

atteignant enfin la structure sanitaire, il faut que celle-ci soit en mesurede prodiguer des soins de qualité.

On a coutume de dire que le taux élevé de mortalité est dû à troistypes de retard de prise en charge :

— le délai pour diagnostiquer la complication obstétricale,— le délai pour accéder aux soins,— et le délai pour traiter une complication obstétricale avec des

soins appropriés.En agissant sur ces 3 délais, on peut espérer réduire la mortalité

maternelle. Encore faut-il que le système de soins dans lequel évolue lafemme enceinte le permette.

À ce niveau, plusieurs éléments sont indispensables pour unebonne prise en charge. Elle nécessite :

— un plateau technique et le matériel médico-chirurgical suffisant pourpermettre la gestion de l’accouchement et des complications ;

— du personnel soignant qualifié suffisant en quantité, en dispo-nibilité et en qualité. Pour cela les professionnels doivent êtreformés pour assurer un suivi prénatal de qualité et effectuer desactes obstétricaux d’urgence. Ils doivent être compétents enmédecine préventive et savoir prescrire, administrer lesdifférents moyens de contraception. Les professionnels doiventêtre aptes à conduire une prise en charge rapide pour sauver lavie des femmes enceintes ;

— l’accès à la césarienne est un moyen de lutte contre la mortalitématernelle. En dessous de 5 % de césariennes il y a carence,avec une mortalité maternelle due à l’absence de césarienne.

La majeure partie des décès maternels est évitable dans lesstructures de soins. Les solutions médicales permettant de prévenir ouprendre en charge les complications sont bien connues. Ces solutionsmédicales nécessitent des moyens humains et techniques. Lesprofessionnels doivent être disponibles et compétents. L’organisationdes soins, la communication entre les personnes sont des facteursimportants de qualité de la prise en charge.

C’est principalement sur ces éléments que les organisationshumanitaires peuvent apporter une aide utile et pertinente. Encorefaut-il respecter quelques principes qui peuvent se résumer à « ne passe substituer mais accompagner ». C’est dans ce domaine queGynécologie sans frontières intervient avec son expertise, en tant quebras humanitaire des sociétés savantes : CNGOF et CNSF.

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L’amélioration de la santé maternelle est l’une des grandespriorités de l’OMS. Elle édite des recommandations cliniques, élaboredes supports de formation, et établit des protocoles de soins utilisant lestraitements efficaces les moins coûteux.

Améliorer la santé maternelle est l’un des huit objectifs dumillénaire pour le développement (OMD) adoptés par la communautéinternationale en 2000. Dans le cadre du cinquième objectif, les pays sesont engagés à réduire de trois quarts la mortalité maternelle entre 1990et 2015. La mortalité maternelle n’a diminué que de 1 % par an de 1990à 2005, au lieu des 5,5 % nécessaires à la réalisation de cet OMD.

L’Afrique du Nord, l’Amérique latine et les Caraïbes ainsi quel’Asie du Sud-Est ont réussi à faire baisser d’environ 1/3 leurs taux demortalité maternelle au cours de cette période, mais les progrèsenregistrés dans ces régions restent insuffisants pour atteindre l’objectifgénéral. En Afrique subsaharienne, qui est la région connaissant leniveau le plus élevé de mortalité maternelle, les progrès ont éténégligeables. L’objectif 5 des OMD visant à réduire des 3/4 le taux demortalité maternelle dans le monde entre 1990 et 2015 ne sera sansdoute pas atteint !

IV. PRINCIPAUX DOMAINES D’ACTION DE L’OMS

• Renforcer les systèmes de santé et promouvoir des interventionsaxées sur des politiques et stratégies efficaces, favorables aux plusdéfavorisés et peu coûteuses.

• Suivre et évaluer la charge de morbidité pour les mères et lesnouveau-nés, ainsi que son impact sur les sociétés et leurdéveloppement socio-économique.

• Forger des partenariats efficaces pour tirer le meilleur parti dupeu de ressources disponibles et éviter le plus possible les répétitionsinutiles d’activités pour améliorer la santé de la mère et du nouveau-né.

• Plaider pour investir dans la santé de la mère et du nouveau-néen soulignant les bienfaits sociaux et économiques et en insistant sur lefait que la lutte contre la mortalité maternelle entre dans le cadre desdroits de l’homme et de l’éthique.

• Coordonner la recherche et ses applications à grande échelle quimettent l’accent sur l’amélioration de la santé maternelle pendant lagrossesse, l’accouchement et après la naissance de l’enfant.

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V. STRATÉGIE GÉNÉRALE D’ACTION DE GSF

GSF s’interdit de faire de la substitution avec des médecins expatriésqui viendraient faire des missions de soins au risque de discréditer lesprofessionnels locaux et déstabiliser dangereusement l’équilibre sociétal.Les professionnels de santé du pays participent à ce phénomène en semettant en retrait pour laisser l’expatrié faire à sa place. Sous prétexteque les expatriés bénéficient de plus de connaissances (ce qui n’est pastoujours le cas) et de moyens, la population à soigner préfère s’orientervers eux, aux dépens des professionnels locaux.

Ne sachant pas combien de temps vont rester les expatriés, il est« urgent » de venir les consulter au moins pour une visite de routine.

GSF ne souhaite plus intervenir sur ce mode inefficace et délétèrepour la population et pour les professionnels locaux.

Proposer la gratuité totale des soins le temps des missions commele font de nombreuses ONG est délétère. L’offre en santé génère lademande. Le temps de la mission, tous les protagonistes vont trouverintérêt à ce type de mission.

— L’ONG va pouvoir ainsi « faire du chiffre » en multipliant lesactes de soins. Cela lui permettra de l’inscrire dans son rapportd’activité utile pour démarcher les bailleurs de fonds et satisfaireles donateurs.

— Pour la population cible, ce sera un confort qui va, semble-t-il,améliorer l’accès aux soins, puisque gratuits, entraînant parfoisune surconsommation de soins en prévision de l’avenir incertain.

— Les professionnels de santé employés par l’ONG vont voir leursalaire augmenter de façon disproportionnée vis-à-vis de leursconfrères moins chanceux. Les professionnels de santé nonintégrés dans les ONG verront de facto leur activité diminuer. Ilen résulte une baisse de leurs ressources économiques, associéeà une perte de reconnaissance de la population, de leur statutsocial et sociétal.

La gratuité totale des soins imposée par une ONG pervertit toutle système de santé de la région, déstabilise l’équilibre sociétal sanitairependant toute la durée de la mission. C’est hélas bien pire une fois lamission achevée. Même si toutes les structures immobilières et tout lematériel sont laissés sur place et confiés aux autorités sanitaires, ledépart des expatriés, leur mission accomplie et leur rapport d’activitébien rempli, sera vécu douloureusement par tous les protagonistes.

— Pour les expatriés la fin d’une mission est triste, comme toutefin. Cette amertume sera brève, quelques jours, tout au plus.

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— Pour la population cible, c’est une véritable catastrophe humani-taire ! Retour à l’état initial ? Voire pire que l’état antérieur. Deshabitudes se sont installées, des traitements ne pourront plus êtreadministrés, les professionnels « compétents » auront disparu, lesconsultations, les actes aussi. Cette carence sera subie comme unétat de désolation, après l’abondance temporaire de la gratuité.

— Pour les professionnels de santé, certains auront des difficultés àretrouver leur statut, le mal étant fait. D’autres partiront vers denouvelles ONG pour y trouver à nouveau ces avantageséphémères. Les structures immobilières et matérielles, faute desoutien financier, vont irrémédiablement évoluer vers ladétérioration et l’abandon.

Ce mode opératoire humanitaire est très répandu et les exemplessont hélas si nombreux que maintenant les ONG essayent de brisercette mauvaise image en intégrant la formation des professionnelslocaux durant leur mission. C’est souvent un vœu pieu, inscrit dans le« proposal » pour rassurer les bailleurs sur la pérennité de l’action aprèsla fin de la mission. Mais la plupart des ONG dites d’urgence n’ont pasla culture du développement à moyen terme, et ne savent pas faire dela formation adaptée.

Les formations obstétricales des professionnels de santé sont pourla plupart inefficaces. Ces missions de formation développementsatisfont pourtant tous les protagonistes.

— Pour les ONG ce sont des missions peu coûteuses en termes delogistique, de durée, de dépenses. Elles sont valorisantes entermes d’image, par ce souci de pérennité.

— Pour les expatriés elles sont un peu moins attractives. Pourdonner des cours, faire de la formation, il indispensable etnécessaire de se sentir « compétent » sur le sujet, d’être capablede parler en public et d’expliquer clairement un cours. Il fautajouter à ces qualités pédagogiques de base la capacité às’adapter à l’auditoire qui sera toujours très franchement différentde ceux rencontrés en France. Le niveau de connaissance est trèsvariable au sein du groupe, la compréhension de la langue estfluctuante. Comme l’auditoire est complexe, il ne sert à rien dese présenter armé de « PowerPoints » préparés depuis la Francepour donner un cours « standard ». Il faut commencer parconnaître les étudiants, leur niveau de connaissance, decompréhension et préparer le cours du lendemain selon lesdifficultés rencontrées la veille. C’est finalement beaucoup plus

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fatigant pour l’expatrié de faire « de la formation » que de faire« du soin » en se substituant. C’est surtout beaucoup moinsgratifiant, pour l’égo, l’entourage, et les médias !

— Pour les professionnels de santé c’est l’occasion de recevoir unsalaire supérieur en assistant à des formations, grâce aux perdiem.

Ces formations présentent un écueil qui pervertit le sens desmissions de ce type. Pour assister à ces formations les professionnelsdemandent à être défrayés par ce qu’on appelle « le per diem ». EnFrance, suivre une formation professionnelle a pour but d’augmenterson niveau de compétence, d’ouvrir le champ de ses activités etfinalement d’en retirer quelques avantages professionnels.

Dans les pays pauvres toutes les missions humanitaires sontsynonymes de « subventions », y compris les missions de formation.

Le premier intérêt pour les professionnels des pays dits « en voiede développement » (mais pourtant toujours aussi pauvres), est degagner de l’argent. Il faut vivre ou survivre, subvenir à ses besoins et àceux de ses proches. L’humanitaire est une source de revenu pour tousles protagonistes que ce soient :

— les institutions qui distribuent les fonds aux ONG qui exécutentles missions,

— les autorités du pays et les intermédiaires administratifs quiautorisent et contrôlent les actions humanitaires dans leur pays.

Les professionnels de santé ont aussi droit à leur part d’avantagesfinanciers.

Le « per diem » est une somme d’argent donnée à chaqueparticipant aux formations pour rembourser les frais de transport, denourriture, de logement, et le manque à gagner par l’arrêt de leuractivité professionnelle le temps de la formation. Cette somme estnettement supérieure aux frais réels et au manque à gagner. Il y a donctout intérêt pour un professionnel à assister à une formation qui serasource d’un revenu supérieur. C’est la première motivation desprofessionnels des pays pauvres et c’est somme toute bien naturel.

De toute façon le budget de la mission de formation prend enconsidération, pour chaque participant, le coût des per diem, et le coûtdes matériels scolaires (stylos, cahiers) qui devront être fournis auxétudiants.

La deuxième motivation est l’acquisition d’un diplôme ou d’uncertificat à l’issue de la formation, ce document pouvant être utilisépour certifier l’acquisition de compétences et éventuellement justifierd’un salaire, par la suite.

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La motivation de « bien faire » son métier doit certainementexister mais en pratique elle n’apparaît pas comme prioritaire.

L’évaluation des acquisitions à la suite de ces formations,lorsqu’elle est faite, montre l’inefficacité de telles formations sur lapratique quotidienne.

Passer une semaine à expliquer les bonnes pratiques médicales nesuffit pas à changer les pratiques, fruits d’habitudes ancrées depuis deslustres.

Ces formations reçoivent un franc succès auprès des professionnels,grâce aux per diem. Souvent les ONG souhaitent former un grandnombre de professionnels pour rentabiliser les frais de mission(transport, etc.). Tout cela fait que ces formations rassemblent de (trop)nombreux professionnels et ne peuvent être que théoriques.

Et, dans les pays pauvres comme dans les pays dits développés, laformation théorique nécessaire n’est pas suffisante pour exercer uneprofession, surtout telle que l’obstétrique.

GSF agit en accompagnant et en respectant les contrainteséconomiques et politiques sans les modifier. De cette façon, les actionsinitiées pourront se poursuivre sans aide des professionnels venant dunord, mais avec des compétences acquises par la formation et lecompagnonnage.

VI. STRATÉGIE DE GSF VIS-À-VIS DE LA MORTALITÉMATERNELLE

Réduire significativement et durablement la mortalité maternellepar l’action d’une ONG seule est impossible. Il est indispensable quecertaines mesures, fruits d’une volonté marquée d’améliorer la santé etles droits de la femme, soient mises en place par les tutelles sanitairesdu pays. L’accès aux soins doit être acquis.

Cela comprend :— des moyens de communication facilités entre le lieu de vie des

femmes et les centres de santé ;— des axes routiers carrossables ;— des véhicules de transport adaptés aux femmes enceintes, dispo-

nibles, en état de marche et abordables pour les familles pauvres ;— des moyens de communication fonctionnels, téléphones,

radiotéléphones, téléphones satellites ;

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— la gratuité des soins maternels et/ou une assurance maladie ;— des infrastructures fonctionnelles avec un bloc opératoire, du

matériel chirurgical ; la logistique nécessaire au fonctionnementd’une salle d’opération ;

— l’approvisionnement régulier de consommables ;— des professionnels de santé rémunérés et stables.

Lorsque ces conditions sont réunies, GSF peut alors agir pourcontribuer à l’amélioration des soins maternels par la formation desprofessionnels locaux au sein des structures de soins existantes.

Ces formations visent à augmenter les compétences générales enobstétrique en insistant :

— sur la sauvegarde maternelle,— sur la nécessité de transférer sans tarder les patientes vers la

structure adéquate,— sur la notion d’urgence 24 h sur 24 et l’anticipation,— et sur la prise en charge en réseau autour d’un hôpital de

référence.

Le premier temps consiste à identifier au sein d’une région unestructure hospitalière susceptible de devenir hôpital de référence. Cethôpital doit disposer d’infrastructures fonctionnelles et de personnelsoignant en nombre suffisant. La formation est initialement dédiéeuniquement aux personnels de l’hôpital de référence. L’objectif est defaire de l’hôpital de référence un pôle d’excellence obstétricale avec lapossibilité de traiter efficacement et sans délai les complicationsmaternelles de la grossesse et de l’accouchement. Les professionnels dece centre de référence doivent être exemplaires et promouvoir les soinsmaternels en réseau. Il faut pour cela une aptitude :

— à organiser le réseau,— à communiquer avec les membres du réseau,— à transmettre le savoir-faire aux membres du réseau,— à évaluer l’activité du réseau.

Deuxièmement, pour lutter efficacement contre la mortalitématernelle avec des professionnels compétents, il est indispensable queceux-ci s’organisent en réseau de soins obstétricaux. En effet, il n’estpas possible pour l’instant de doter de plateaux chirurgicaux tous lescentres de santé. Aussi, il est nécessaire de former tous lesprofessionnels aux protocoles de transfert vers les niveaux de prise encharge adaptés à la gravité des pathologies survenant chez la femmeenceinte. Il faut initier la formation des professionnels du réseau après

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avoir identifié l’ensemble des structures adhérentes au réseau. Elle serarelayée par les professionnels de l’hôpital de référence. Ces formationsdoivent être pratiques en petits groupes de professionnels de moins de20 participants, exerçant dans les centres de santé et hôpitaux dedistrict. Elles doivent se tenir dans l’hôpital de référence en présencedes professionnels y travaillant. Une meilleure pénétration desmessages à faire passer est obtenue en mettant ensemble lesprofessionnels médicaux et paramédicaux des centres de soinspériphériques et de référence. Tous les acteurs du réseau entendentainsi le même message. En participant à la construction des protocolesde transfert les professionnels impliqués deviennent des promoteurs deces protocoles. On peut valoriser les médecins souvent réticents à l’idéed’être mêlés avec des paramédicaux, en leur donnant le rôle demoniteur, de porte-parole du groupe lors de la restitution des séancesde travaux pratiques. La communication entre professionnels du réseauest un facteur-clé de réussite du fonctionnement du réseau. Ce type deformation y contribue.

Une attention toute particulière des formateurs sera portée :— au respect des participants,— à la valorisation des réponses,— pour ne pas mettre en difficulté les participants,— ni leur faire subir de vexations.

Une charte déontologique pédagogique éditée par GSF doit êtrerespectée par les formateurs.

« Les activités de compagnonnage de GSF s’opèrent dans tous les domainesd’activité à la condition que les professionnels locaux l’autorisent et/ou ledemandent. Les membres de GSF ne doivent pas se considérer comme directeurs,experts, chefs de service, professeurs, maîtres de stage, ils sont invités, comme desamis, pour partager leurs expériences professionnelles, leurs connaissances, sanspréjuger d’une quelconque supériorité. Ils doivent avoir un comportementexemplaire et conciliant.

Quelle que soit la raison invoquée, il est inutile, déraisonnable et fortementdéconseillé de s’énerver, d’élever la voix, de réprimander un professionnel qui nedonnerait pas toute satisfaction. Il est interdit pour les membres de GSF dedonner des ordres autoritaires aux professionnels de santé, et ce quel que soit leurrang socioprofessionnel.

Si la façon de s’exprimer des professionnels vis-à-vis des patients ou vis-à-vis des autres personnels peut être choquante, les membres de GSF ne doiventpas en faire la remarque en public. Faire part de son étonnement avec tact lorsd’une conversation en tête à tête est possible, si les conditions s’y prêtent. Montrerl’exemple par une politesse à toute épreuve vis-à-vis de tous.

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Les activités d’évaluation et de formation doivent s’opérer avec tact etrespect des personnes, sans apparaître comme un évaluateur, un auditeur, unexaminateur, un censeur. Être partenaire, ami qui propose de l’aide. Évaluerl’état des connaissances théoriques et pratiques des professionnels pour discuteravec chacun des perspectives de formation selon leurs souhaits.

Partir des acquis des professionnels, puis suggérer des modifications commeétant une autre possibilité issue de sa propre expérience, et non pas comme lavérité absolue, ou une évidence. Tous les rapports humains doivent se faire àégalité.

La parole doit être lente et adaptée à la compréhension de l’interlocuteur.Il est nécessaire de marquer des pauses dans les conversations pour permettred’assimiler les informations. Il est recommandé de ne pas couper la parole pourapporter tout de suite une réponse.

Quelle que soit la surprise causée par une réflexion, une façon de faire, unesuggestion, ne jamais avoir l’air étonné, amusé, surpris, effaré, désespéré. Avoirla même pudeur que ses hôtes. Sourire amical, humour délicat, sont des marquesd’égalité qui sont les bienvenues. »

Un tel modèle de réseau de soins maternels ne peut exister sansl’implication forte des tutelles. Un catalogue d’actions diplomatiques estindispensable à la mise en œuvre d’un tel programme. Ces rencontresde GSF avec les tutelles ont pour but :

— de présenter le projet de réseau de soins maternels,— d’obtenir l’accord et le soutien effectif des tutelles sanitaires

locales (directeurs d’hôpitaux, direction de la santé régionale etnationale, titulaires universitaires de la chaire obstétricale).

VII. APPLICATION AU BURUNDI

Un des premiers facteurs de réduction de la mortalité maternelleest l’accès aux soins obstétricaux et à l’accouchement accompagné parun professionnel de santé compétent. La lutte contre le frein financierdoit être une des premières mesures à mettre en place. Celle-ci ne peutêtre prise que par les autorités politiques. Les ONG qui instaurentprovisoirement la gratuité des soins, le temps de leur mission, créentdes déséquilibres néfastes pour les populations. En agissant de la sorte,les ONG génèrent une offre de soins non pérenne qui, une fois lamission terminée, va laisser la population dans le désarroi et ensouffrance.

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Lorsque la gratuité des soins obstétricaux est acquise de façonpérenne par décision politique, il faut, pour que celle-ci soit efficace surla réduction de la mortalité maternelle, que les professionnelsdispensant les soins soient suffisamment formés afin de prodiguer dessoins adaptés et efficaces.

Les pathologies liées à la grossesse et à l’accouchementreprésentent une des causes principales de mortalité dans les hôpitaux,notamment par manque de professionnels capables de réaliser desinterventions chirurgicales et obstétricales d’urgence, optimales etefficaces.

Au Burundi, la gratuité des soins obstétricaux est en place depuis2006. Un vaste programme « Santé plus » a amélioré les conditionssanitaires avec pour chaque hôpital de district :

— un bloc opératoire neuf ;— du matériel chirurgical pour les actes de chirurgie d’urgence, y

compris la césarienne ;— une ambulance pour transporter les patients transférés depuis les

centres de santé périphériques ;— un système de radiotéléphonie pour communiquer avec les

centres de santé référant à l’hôpital de district ;— un recueil de l’activité de soins dont dépendent les budgets

alloués (système apparenté à la T2A).Ce système de réseau comporte 2 niveaux :— niveau 1 avec les centres de santé (dispensaires) qui dispensent

les soins primaires, la petite chirurgie, uniquement avec desinfirmiers ;

— niveau 2 avec les hôpitaux de district qui ont les moyensmatériels de faire de la chirurgie d’urgence, avec des infirmierset des médecins. Faute de compétence chirurgicale de la partdes médecins généralistes, l’activité chirurgicale est quasi nulle.Le taux de césarienne est d’après les registres très élevé, auxalentours de 20-25 % !

Malgré tous ces progrès, la mortalité maternelle reste toujoursaussi élevée, autour de 800 à 1 000 pour 100 000 naissances. Le tauxde césarienne élevé (> 20 %) et la gratuité des soins n’ont pas permisde diminuer la mortalité maternelle. Cela est dû au fait que :

— de nombreuses femmes continuent d’accoucher seules àdomicile, probablement par un manque de moyen pour sedéplacer du lieu de vie au centre de soins de proximité ;

— les professionnels en charge de l’accouchement normal(infirmiers) ou compliqué (médecins) connaissent souvent la

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théorie, mais en pratique appliquent peu ou mal les traitementsobstétricaux salvateurs, et ce par défaut de réelle formationobstétricale pratique qui ne peut se concevoir que par lapratique par compagnonnage.

Dans la région est du Burundi existe un hôpital privéconventionné appartenant à l’association Maison Shalom, présidée parMaggy Barankitse : la femme aux 20 000 orphelins du Burundi, quirécemment a été nommée Docteur honoris causa de l’universitécatholique de Lille le 29 sept 2011 et a reçu pour son œuvre denombreux prix dont le dernier est celui de la fondation Jacques Chirac,le 24 novembre 2011 à Paris.

Cet hôpital appelé « Rema » est parmi les plus modernes, voire leplus moderne du Burundi. Il possède toute l’infrastructure nécessairepour une prise en charge médico-chirurgicale de qualité, pour yorganiser les sessions de formation des professionnels de santé etdevenir naturellement l’hôpital régional de référence en santématernelle capable d’être le point central des provinces de l’est. Lapremière étape est de faire de cet hôpital, récemment construit etouvert depuis 2008, l’hôpital de référence pour la santé maternellepour la région est du Burundi comprenant 7 hôpitaux de district et66 centres de santé primaires.

VII.1. Principales activités envisagées

VII.1.a. Former les professionnels de santé de l’hôpital de référenceà la « gynécologie-obstétrique d’excellence », c’est-à-dire :

• à la gestion active et sans retard des urgences obstétricales,• à l’accueil et à la gestion active des femmes enceintes référées

pour risque de mortalité maternelle.— Formation de 12 infirmiers de Rema aux soins obstétricaux : accueil

des transferts, gestion des urgences obstétricales, sauvegardematernelle, sauvegarde néonatale, dépistage, diagnostic et principesde traitement des fistules, de l’incontinence et des prolapsus.Formations pratiques sur mannequins et par compagnonnage.

— Formation des 6 médecins de Rema aux soins obstétricaux : accueildes transferts, gestion des urgences obstétricales, sauvegardematernelle, sauvegarde néonatale, chirurgie gynécologique desprolapsus et des fistules, chirurgie obstétricale (césarienne, chirurgiepérinéale, fistules). Formations pratiques sur mannequins et parcompagnonnage.

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VII.1.b. Former les professionnels de santé amenés à pratiquerl’obstétrique dans les centres de santé primaires et dans les hôpitauxde proximité référant vers l’hôpital de référence :

• à la notion d’urgence en obstétrique,• à la gestion active de l’accouchement et de ses complications,• aux protocoles de transfert vers l’hôpital de référence,• aux modalités de transfert sécurisé vers l’hôpital de référence

(sans retard).— Formation des professionnels de santé des 7 hôpitaux de district

et des 66 centres de santé qui en dépendent : Ruyigi, Kininyia,Butezi, Gisuru, Cankuzo, Murore, et Rutana, soit 23 médecinset 233 infirmiers. Formations sous forme de séminaires avecdémonstration sur mannequins, et cas cliniques.

VII.1.c. Installer une prise en charge en réseau de soins maternels etinfantiles

• Centripète selon la gravité de la pathologie :- des centres de santé vers l’hôpital de district,- des centres de santé vers l’hôpital de référence,- des hôpitaux de district vers l’hôpital de référence.

• Former les professionnels de l’hôpital de référence à devenir desformateurs :

- pour enseigner les bonnes pratiques,- aux étudiants futurs professionnels de santé,- aux professionnels de santé en exercice au sein du réseau.

VII.2. Résultats attendus / impacts

Indicateurs de suivi : amélioration de la mortalité maternelle— Nombre de cas transférés pour sauvegarde maternelle.— Fiche d’évaluation pour chaque transfert maternel.— Nombre d’accouchements annuels, de naissances vivantes.— Taux de césariennes.— Taux de mortalité maternelle selon les critères de l’OMS.— Évaluation de la surveillance du travail par un audit initial et un

an après la formation puis chaque année.— Évaluation des connaissances théoriques et pratiques des

médecins et des infirmiers par une évaluation « avant/après » laformation et à 1 an après la formation, puis chaque année.

— Colloque de réseau avec restitution des résultats et évolution desindicateurs de santé maternelle.

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CONCLUSION

Ce programme d’amélioration des compétences et de lutte contrela mortalité maternelle n’est possible qu’en s’intégrant dans unepolitique de santé maternelle menée par le pays. Ces conditionspréalables sont acquises au Burundi. Avec cette nouvelle approche desprogrammes de formation des professionnels, nous pouvons croireavoir une action plus efficace. Dans 3 ans, à la fin de ce programme,une évaluation de ce modèle de réseau sera présentée à tous les acteurset aux tutelles, au cours d’un colloque de restitution en présentant lestendances des différents taux de mortalité, de morbidité, de transfert,de césariennes, etc.

Si ce modèle est efficace il pourra être dupliqué sur d’autresrégions voire d’autres pays.

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Sources : bulletins, fiches d’information,dossiers de l’OMS, UNICEF, FNUAP (Fondsdes Nations unies pour la population).

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Van Lerberghe W, De Brouwere V - Impasseset succès : les conditions historiques du déclin dela mortalité maternelle. In « De Brouwere V,

Van Lerberghe W. Réduire les risques de lamaternité : stratégies et évidence scientifique.Studies in Health Services Organisation & Policy ».ITGPRESS ed, Antwerp 2001:7-35.

AbouZahr C, Wardlaw T - La mortalitématernelle à la fin d’une décennie : des signes deprogrès ? In Bulletin of the World HealthOrganization 2001;79(6):561-573.

Interventions recommandées par l’OMS pouraméliorer la santé de la mère et du nouveau-né -WHO/MPS/07.05.

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Bibliographie