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Sur le fil ? Le trafic et l’insécurité à la frontière tuniso-libyenne Moncef Kartas 17 Document de travail du Small Arms Survey/Projet d’Évaluation de la Sécurité en Afrique du Nord, avec la col- laboration du Département d’État des États-Unis et des ministères des Affaires étrangères des Pays-Bas, de la Norvège et du Danemark.

Sur le fil ? Le trafic et l'insécurité à la frontière tuniso-libyenne

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  • Sur le fil?Le trafic et linscurit la frontire tuniso-libyenne

    Moncef Kartas

    17

    Document de travail du Small Arms Survey/Projet dvaluation de la Scurit en Afrique du Nord, avec la col-

    laboration du Dpartement dtat des tats-Unis et des ministres des Affaires trangres des Pays-Bas, de la

    Norvge et du Danemark.

    http://www.smallarmssurvey.org/sana/home.htmlhttp://www.state.gov/t/pm/wra/http://www.government.nl/ministries/bzhttp://www.regjeringen.no/en/dep/ud.html?id=833http://um.dk/enhttp://www.smallarmssurvey.orghttp://www.smallarmssurvey.org/sana/home.htmlhttp://www.state.gov/t/pm/wra/http://www.eda.admin.ch/eda/en/home.html/http://um.dk/enhttp://www.government.nl/ministries/bzhttp://www.regjeringen.no/en/dep/ud.html?id=833

  • 2 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 3

    Copyright

    Publi en Suisse par le Small Arms Survey Small Arms Survey, Institut de hautes tudes internationales et du dve-loppement, Genve, 2013

    Date de la premire publication: dcembre 2013 Date de publication en franais : juillet 2014

    Tous droits rservs. Aucune partie de la prsente publication ne peut tre reproduite, stocke sur un systme de recherche documentaire ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans le consentement pralable crit du Small Arms Survey ou autrement que de la manire expressment autorise par la loi ou selon les conditions fixes avec lorga-nisme titulaire des droits de reprographie. Pour toute question relative la reproduction dans des cas de figure autres que ceux numrs ci-dessus, prire de sadresser au Responsable de la Publication du Small Arms Survey, ladresse ci-dessous.

    Small Arms SurveyInstitut de hautes tudes internationales et du dveloppement 47 Avenue Blanc, 1202 Genve, Suisse

    Rvision: Tania InowlockiTraduction : Marie-Laure Frioux ([email protected]) Relecture : Aurlie Cailleaud

    Cartographie: Jillian Luff, de MAPgrafixComposition en Optima et Palatino: Frank Benno Junghanns, Berlin

    Imprim en France par GPS

    ISBN 978-2-9700897-4-2

    mailto:MFrioux%40aol.com?subject=http://www.mapgrafix.comhttp://www.raumfisch.de/sign

  • 2 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 3

    propos du Small Arms Survey

    Le Small Arms Survey est un projet de recherche indpendant men au sein de lInstitut de hautes tudes internationales et du dveloppement de Genve, en Suisse. Cr en 1999, le projet bnficie du soutien du ministre des Affaires trangres de la Suisse et des gouvernements de plusieurs pays: lAllemagne, lAustralie, la Belgique, le Canada, le Danemark, les tats-Unis, la Finlande, la Norvge, la Nouvelle-Zlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Sude. Le Small Arms Survey tient remercier les gouvernements fran-ais et espagnol pour leur soutien pass ainsi que plusieurs agences, pro-grammes et instituts de lONU pour leur soutien financier au fil des ans.

    Les objectifs du Small Arms Survey sont les suivants: tre la principale source dinformations publiques sur tous les sujets relatifs aux armes lgres et la violence arme; jouer le rle dun centre de documentation pour les gouvernements, les dcideurs politiques, les chercheurs et les acteurs engags dans ce domaine; observer les initiatives nationales et internationales (gou-vernementales et non gouvernementales) relatives aux armes lgres ; soutenir les efforts visant attnuer les effets de la prolifration et du mauvais emploi des armes lgres ; et servir de forum pour lchange dinformations et la diffusion des meilleures pratiques. Le Small Arms Survey soutient galement les initiatives de recueil dinformations et de recherche sur le terrain, tout particulirement dans les pays et rgions concerns par le problme des armes lgres.

    Le projet est men par une quipe internationale dexperts dans les domaines de la scurit, de la science politique, du droit, de lconomie, du dveloppement, de la sociologie et de la criminologie. Lquipe travaille en collaboration avec un rseau de chercheurs, dinstitutions partenaires, dorga-nisations non gouvernementales et de gouvernements dans plus de 50pays.

    Small Arms Survey Institut de hautes tudes internationales et du dveloppement 47 Avenue Blanc, 1202 Genve, Suisse

    t +41 22 908 5777 e [email protected] f +41 22 732 2738 w www.smallarmssurvey.org

    mailto:sas%40smallarmssurvey.org?subject=www.smallarmssurvey.org

  • 4 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 5

    propos de lvaluation de la Scurit en Afrique du Nord

    Lvaluation de la Scurit en Afrique du Nord est un projet pluriannuel du Small Arms Survey qui soutient les acteurs engags dans la cration dun environnement plus sr en Afrique du Nord et dans la rgion du Sahel-Sahara. Il prpare, en temps opportun et en se fondant sur des donnes pro-bantes, des tudes et analyses sur la disponibilit et la circulation des armes lgres, la dynamique des groupes arms mergents et linscurit lie. Le projet sintresse tout particulirement aux effets locaux et transnationaux des soulvements et conflits arms rcents de la rgion sur la scurit com-munautaire.

    Le ministre des Affaires trangres des Pays-Bas est la principale source de financement de lvaluation de la Scurit en Afrique du Nord. Le projet bnficie galement du soutien continu des ministres des Affaires tran-gres du Danemark, de la Norvge et de la Suisse. En outre, il a t aupa-ravant subventionn par les ministres des Affaires trangres allemand et amricain.

  • 4 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 5

    Sommaire

    Liste des cartes, encadrs et tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6Liste des abrviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 propos de lauteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

    I. Lvolution de la rgion frontalire tuniso-libyenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

    Lhistoire et lvolution de la Jeffara . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

    La monte conomique et politique des groupes de trafiquants . . . . . 17

    II. Les problmes de scurit en Tunisie et le conflit arm libyen . . . . . . . . . 19

    La position du gouvernement tunisien sur la rvolution libyenne . . . 19

    Les effets immdiats des rvolutions sur le trafic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

    Les rfugis libyens en Tunisie et la ligne de ravitaillement sur le front occidental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

    Linscurit, linfiltration et la circulation darmes feu . . . . . . . . . . . . . 23

    III. Les perspectives de scurit en Tunisie suite au conflit arm libyen . . . 26

    La frontire tuniso-libyenne dans les incidents arms majeurs . . . . . . 27

    L'inscurit et les luttes politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

    Les extrmistes violents et linscurit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

    La demande d'armes lgres et de petit calibre en Tunisie . . . . . . . . . . 36

    La physionomie du trafic darmes et la frontire tuniso-libyenne . . . 40

    Conclusion: les perspectives de la Tunisie dans un contexte marqu par la fracture sociale et linscurit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

    Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

    Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

  • 6 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 7

    Liste des cartes, encadrs et tableaux

    Cartes1 La Jeffara et les tribus locales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

    2 Itinraires emprunts par les trafiquants darmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

    Encadrs1 Quelques lments de mthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

    2 La Jeffara dans lhistoire des relations tuniso-libyennes: principaux vnements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

    3 Les caches de Mdenine et de Mnihla . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

    Tableaux 1 Armes dorigine libyenne saisies par les forces de scurit

    tunisiennes et principaux incidents avec utilisation darmes feu . . . 28

    2 Structure du trafic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

    3 Armes dcouvertes dans la cache de Mnihla . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

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    Liste des abrviations

    AQMI Al-Qada au Maghreb islamique

    CLPR Comits locaux de protection de la rvolution

    CNT Conseil national de transition

    HCR Haut Commissariat des Nations unies pour les rfugis

    RPG Grenade propulse par roquette (lance-roquettes)

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    propos de lauteur

    Chercheur lInstitut de hautes tudes internationales et du dveloppement de Genve, Moncef Kartas assure la coordination du projet dvaluation de la Scurit en Afrique du Nord du Small Arms Survey.

    Il est titulaire dun doctorat en relations internationales de lInstitut de hautes tudes internationales et du dveloppement de Genve et dun master en sciences politiques, en philosophie et en droit international de luniversit de Munich.

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    Remerciements

    Mener des recherches sur le terrain en Tunisie et en Libye sur les questions de la scurit constitue une tche particulirement difficile et parfois insatis-faisante. Aprs des dcennies dautoritarisme fond sur lillusion collective de services de scurit et de renseignements omniprsents et omnipotents, les populations et les institutions se mfient de ceux qui posent des ques-tions. En outre, dans la rgion frontalire entre la Tunisie et la Libye, les rseaux tribaux qui contrlent le commerce informel et la contrebande pen-sent devoir leur prosprit conomique au respect dun code du silence profondment ancr, que labondance des rumeurs et la dsinformation ne font que renforcer. En mme temps, les habitants de cette rgion se distin-guent par leur hospitalit et leur gentillesse.

    Lauteur tient remercier toutes les personnes qui lont aid au cours de ses voyages dans la rgion frontalire entre la Tunisie et la Libye. Toutes resteront anonymes. Il sagit de membres dorganisations de la socit civile, dassociations uvrant pour le dveloppement local, de syndicats locaux, de maires et dautres responsables locaux, de militants politiques, de journa-listes, de gens ordinaires venus en aide aux rfugis du conflit arm libyen et de quelques commerants et ngociants pratiquant le commerce informel voire, peut-tre, la contrebande. Il tient galement remercier les agents des forces de scurit et des douanes qui ont accept de le rencontrer sous cou-vert danonymat. Nombre dentre eux ont jug cette tude digne dintrt, ce dont il leur est particulirement reconnaissant.

    Lauteur adresse ses remerciements particuliers Rafa Tabib, Hassen Boubakri et Michal Ayari pour leurs discussions clairantes. Il tient ga-lement remercier Nicolas Florquin pour sa confiance en dpit de longues priodes de silence, Matt Johnson pour ses corrections trs pertinentes, Imne Ajala pour sa minutieuse vrification des faits et Tania Inowlocki pour la rvision du texte, ainsi quAlessandra Allen et Martin Field pour avoir rendu cette publication possible. Lauteur est seul responsable des erreurs qui pourraient subsister dans cette publication.

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    Introduction

    La Tunisie, la Libye et une grande partie du monde arabe traversent actuel-lement des bouleversements politiques et sociaux gnralement connus sous le nom de printemps arabe. ce jour, limmense vague de changement qui a commenc dans la ville tunisienne de Sidi Bouzid le 17 dcembre 2010 a mis fin aux 23 annes de dictature de lancien prsident Zine el-Abidine Ben Ali et entran la chute de son homologue, le dictateur Mouammar Kadhafi en Libye, tout en dclenchant galement une srie de conflits et de transfor-mations gouvernementales dans toute la rgion. Les rvolutions tunisienne et libyenne nont pas seulement chang le paysage politique des deux pays; elles ont galement eu des rpercussions sur les liens et rseaux informels qui caractrisent depuis longtemps la rgion transfrontalire commune aux deux nations: la Jeffara. En effet, la rvolution de chaque pays a eu, et conti-nuera probablement avoir, un impact profond sur lautre.

    Dans ce contexte, le prsent rapport sintresse la faon dont le conflit arm libyen et ses rpercussions ont affect la scurit en Tunisie, notam-ment du fait de la circulation darmes feu et des infiltrations de groupes arms. Comme il est difficile de comprendre la circulation des armes lgres et de petit calibre libyennes en Tunisie sans examiner de plus prs les struc-tures tribales derrire le commerce informel et les rseaux de trafiquants dans la rgion frontalire, nous tenterons dvaluer limpact de la rvolution libyenne sur ces structures dans la Jeffara.

    Les principales conclusions du prsent document de travail sont les sui-vantes:

    En dpit de laffaiblissement de lappareil scuritaire tunisien et des effets continus du conflit arm libyen, lutilisation darmes feu en rapport avec la criminalit et la violence politique est reste relativement faible en Tuni-sie. Mme compte tenu des assassinats rcents de deux minents hommes politiques de gauche et des affrontements arms rguliers entre les extr-mistes violents, les militaires et les forces de scurit la frontire tuniso-algrienne, lutilisation des armes feu reste lexception plutt que la rgle.

    En Tunisie, le trafic d'armes feu existe actuellement sous la forme dune contrebande petite chelle. Des oprations de contrebande plus impor-

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    tantes ont toutefois t dcouvertes: elles sont lies aux rseaux d'extr-mistes violents bass en Algrie comme Al-Qada au Maghreb isla-mique qui ont infiltr le pays.

    Depuis les annes 1980, les cartels tribaux contrlent le commerce informel et le trafic darmes dans la Jeffara. Leur mainmise continue repose sur leur position stratgique, sur des accords informels avec le gouvernement et

    Encadr1Quelques lments de mthodologieLeprsentrapportestlefruitderecherchesdocumentairesetdeterrain.Pourlesre-cherchesdocumentaires,lesinformationsdisponiblessurlecommerceinformeletlacontrebandedanslaJeffaraonttpassesenrevue,ycomprislescomptes-rendusdesmdiassurlesvnementssurvenusaprsledclenchementdestroublespolitiquesenLibye.Lesrecherchessurleterrainonttaxessurlesprincipalesvillesetleslieuxstratgiquesdelargionfrontaliretuniso-libyenne,notammentlaJeffaraet,enparticu-lier,lesdeuxpointsdepassagefrontaliersofficielsdeRasJedirdanslenordetdeDhibaplusausud,danslemassifduNefoussa.TroislongsvoyagesdansleSudtunisienonttentreprisen2012:lafindumoisdemai,aumilieudumoisdejuinetaumilieudumoisdejuillet.LesvillesdeBenGuerdane,MdenineetTataouinetaientprincipale-mentcibles.DesvisitespluscourtesontgalementeulieudanslesvillesfrontaliresdeDhiba,RasJediretRemada.LesrecherchesonttcompltesparunesriedentretiensTripoli,enLibye,enfvrier,maietjuin2013.

    Plusieursapprochesonttadoptespourlesrecherchessurleterrain:

    DansleSudtunisien,lauteuraconduit35entretiensconfidentielsetconversationsnarrativesavecdesmembresdelasocitcivile,lesComitslocauxdeprotectiondelarvolution(CLPR),desresponsableslocauxetdespersonnespratiquantlecom-merceinformel(entantquerevendeursoutrafiquants).

    12autresdiscussionsconfidentiellesetinformellesonttmenesavecdesdouaniers,desgarde-frontiresetdesagentsdescurit.

    Lesrumeursetlesreportagesdelapressesurlacriminalitetlinscuritonttvri-fissurplacedanslargiondeSousseetdeSfaxainsiquedansleSudtunisien,afindvaluerlampleurdelusagedesarmesfeuetvrifierlexistencedetmoinsdecetusage.1

    TunisetSousse,lauteuraconduit32entretiensconfidentielsavecdesspcialistes,desexperts,desjournalistesetdesmilitantsdelasocitcivile,ainsiquavecdesrepr-sentantsdesdeuxprincipauxsyndicatsdesforcesdescurit.Septdespersonnesinterviewes,quitaienttoutesmembresdesforcesdescurit,ontacceptdeprendrepartdesentretiensdesuivirguliers.

    LauteuratentdobtenirdesdonnesutilesauprsduministredelIntrieurtunisiensavoir,parexemple,lenombre,letypeetlaqualitdesarmessaisiesdepuisledbutduconflitarmlibyen,lestechniquesdegestiondesstocksemployespourprotgerlesarmessaisiesetlapolitiqueofficielledegestiondesfrontiresdugouvernementtunisien.BienqueleministredelIntrieurnaitpasformellementrejetcesdemandes,lesdonnesnontpastfournies.

  • 12 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 13

    sur leur capacit rsister aux nouveaux concurrents venus de Libye (issus des tribus comme des milices).

    Les affrontements de la Jeffara propos des itinraires emprunts pour le trafic darmes et la reconfiguration des alliances tribales tuniso-libyennes sont un facteur dterminant de la plus ou moins grande intensit du trafic transfrontalier d'armes lgres et de petit calibre.

    En raison du nombre lev de rfugis libyens prsents en Tunisie y com-pris de nombreux anciens loyalistes de Kadhafi la Tunisie risque de se voir entrane dans les conflits tribaux persistants en Lybie.

    Le prsent rapport na pas pour but de proposer une valuation quantitative du nombre darmes lgres et de petit calibre en circulation et de leur dis-ponibilit. Il vise plutt valuer qualitativement les transformations de la dynamique du trafic dans la Jeffara depuis le dbut du conflit arm libyen. Il propose galement une lecture analytique des caractristiques du trafic reposant sur des donnes relevant du domaine public (cf. encadr 1). Il sin-tresse tout particulirement aux implications des flux de rfugis, tant du point de vue de la scurit en Tunisie que du rle stratgique du pays dans le conflit arm libyen. Afin dvaluer limportance gostratgique de la Jef-fara pendant et aprs le conflit arm, nous examinerons galement les liens entre le soutien offert aux rfugis libyens en Tunisie et les milices tribales du massif du Nefoussa (cf. Carte 1).

    Le prsent document est divis en trois grandes sections. La premire propose une prsentation gostratgique et historique succincte de la Jeffara et de lvolution du commerce informel et du trafic dans cette rgion. La deuxime traite de limpact du conflit arm libyen sur le commerce informel et le trafic dans la Jeffara. Enfin, la dernire section dcrit la dynamique de la circulation darmes en Tunisie suite au conflit arm libyen et analyse les groupes pour lesquels les armes lgres et de petit calibres reprsentent un enjeu.

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    I. Lvolution de la rgion frontalire tuniso-libyenne

    La Jeffara forme une zone triangulaire qui stend de Mareth (dans le nord-ouest) Somrane (dans le nord-est) et de la cte libyenne du golf Nahlut, dans le massif du Nefoussa (galement appel djebel Nefoussa) au sud. Elle couvre un territoire de plus de 15000km constitu principalement de plaines, bien que lune des zones montagneuses culmine plus de 750 mtres sur son flanc sud-est.

    Lhistoire et lconomie de la JeffaraLa Jeffara est reste une rgion indtermine et contrle par diffrents chefs jusquau XIe sicle, poque laquelle de grandes tribus envahirent la rgion et commencrent lui confrer un caractre territorial et sociocultu-rel (Martel, 1965a). Pendant les sicles qui suivirent, la rgion bnficia dun ordre indigne stable et calme. Au XVIe sicle, les confdrations tribales des Ouerghemma ( louest) et des Nouayel ( lest) finirent par dominer la Jeffara (Martel, 1965a ; 1965b). La stabilit cessa toutefois avec larrive des colons franais la fin du XIXe sicle et lmergence qui sensuivit de la Tunisie en tant qutat-nation moderne domin par les lites des rgions ctires.2

    La division arbitraire de la Jeffara entre les administrations coloniales fran-aise et italienne perturba davantage encore les systmes complexes que les tribus nomades, relativement protges de linfluence des sultans ottomans, avaient dvelopps pour assurer leur survie et la stabilit de la rgion (Tabib, 2011, pp. 2728).3

    La Jeffara tait donc une rgion stable dont lconomie, sans tre remar-quable, tait solide. Mais cause de sa division politique, la rgion a vu son conomie dcliner, et cette tendance a t exacerbe par des vnements externes, dont la Seconde Guerre mondiale et les tensions transfrontalires entre la Libye et la Tunisie (Abdelkebir, 2003). Dans les annes 1960, le dve-loppement du secteur ptrolier libyen commena changer les perspectives conomiques de la Jeffara. Les envois de fonds des migrants conomiques augmentrent et le commerce transfrontalier informel commena saccrotre

  • 14 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 15

    AnSkhouna

    I T A LI E

    Dhiba

    MashhadSalih

    Dhiba Wazen

    Jmail

    ElKef

    Feriana

    Redeyef

    Sfax

    Misrata

    du Cham

    biMassif

    AnSkhouna

    du Cham

    biMassif

    Golfe de Gabs le de Djerba

    Sicile

    M e r

    M d i t e r r a n e

    M e r

    M d i t e r r a n e

    Fernana

    Jendouba

    Rouhia

    ElKef

    Gafsa

    Friana

    Redeyef

    Mtlaoui

    SidiBouzidBirAliben

    Khalifa

    Kbili

    Massif du Nefoussa

    Siliana

    Ghadams

    ElKsar

    Tripoli

    Nahlut

    Dhiba

    Remada

    Tataouine

    Mdenine

    Gabs

    BenGuerdane

    Djerba(Houmt-Souk)

    Zouara

    Zarzis

    Ras Jedir

    Mashhad SalihTiji

    MashhadSalih

    Dhiba Wazen

    Matmata

    Mareth

    AbuKammash

    RigdalinJmail

    Wazen

    ZintanJeduTiji

    Sabratha

    Tunis

    Tripoli

    Kairouan

    Sousse

    Sfax

    Bizerte

    Kasserine

    Tataouine

    Mdenine

    Gabs

    Zouara

    Misrata

    N

    OUAYEL

    L I B Y E

    TUNISIE

    L I B Y ET U N I S I E

    I T A LI E

    ALGR

    I E

    OU

    DE

    RN

    A

    TO

    UA Z I N E

    R B AYA AD E S O U E R G H E M M A

    CO N F D R AT I O N

    T R I BA L E ZOUARA

    0 km 100

    0 km 50

    Carte1La Jeffara et les tribus locales

    ZOUARA

    TribusdelaJeffaraPostedecontrleRgiondelaJeffaraFrontireinternationaleCapitalenationaleVilleprincipaleAutrevilleouvillage

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    (Chandoul et Boubakri, 1991). Lorsque les tensions politiques entre Tripoli et Tunis entranrent un resserrement des contrles transfrontaliers (cf. encadr 2), la tribu des Touazine de Ben Guerdane, en Tunisie, ragit en dveloppant une gamme de services transfrontaliers au noir (Boubakri, 2001,

    Encadr2La Jeffara et lhistoire des relations tuniso-lybiennes : principaux vnements4

    1881 LaFranceimposeleTraitduBardoauBeydeTunis,tablissantainsileprotectoratfranais.

    1910 UntraitentrelegouvernementfranaisetledirigeantottomandelaTripolitainedlimitelafrontireentrelesdeuxterritoiresconstituantlaJeffara.LaconfdrationdesOuerghemmasallieaveclesNouayelpourluttercontreltablissementdelafrontire.

    1951 IndpendancedelaLibye.

    1956 IndpendancedelaTunisie.Aprsquatreannesderbellionarmeetdetroubles,notammentdanslaJeffara,lesforcesarmesetdescurittunisiennesfermentlafrontireaveclaLibye.

    1974 LeprsidentHabibBourguibaetlecolonelMouammarKadhafisignentletraitdeDjerba,dontlobjectifestdaboutiruneunionpolitiqueetconomiquegraduelleentrelaTunisieetlaLibye.Bourguibachangedideetlunionchoue.

    1976 KadhafisoutientunetentativedekidnappingdupremierministretunisienHediNouira.Aprslchecduplan,legouvernementlibyenexpulseplusde18000travailleursmigrantstunisiens.

    1978, 1980 KadhaficommanditedeuxcoupsdtatcontreBourguibaquichoueronttouslesdeux.

    1987 Le7novembre,lePremierministretunisienZineel-AbidineBenAliorchestreuncoupdtatmdicalcontreBourguiba.Entantquenouveauprsident,ilmetfinlaquerelleavecKadhafi.

    1989 SignatureduntraittablissantlUnionduMaghrebarabe.LesfrontiresentrelaTunisieetlaLibyesontrouvertes.

    19922004 EmbargodelONUcontrelaLibye.

    2011 DesrvoltesenTunisiemarquentledbutduprintempsarabe,lequelentranelachutedeBenAlienTunisieetdeKadhafienLibye.

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    pp. 78; Chandoul et Boubakri, 1991, pp. 16062). En collaboration avec leurs allis libyens des tribus Nouayel, les trafiquants Touazine crrent des entre-prises de change, des systmes informels denvois de fonds et des rseaux de trafic dtres humains, attirant ainsi les travailleurs tunisiens vers les mar-chs du travail plus lucratifs de la Libye. En devenant dimportants acteurs du march parallle des devises, ou plutt des cambistes, certains trafi-quants Touazine ont jou le rle de financiers, apportant les capitaux qui ont permis dautres tribus de la Jeffara de dvelopper leurs propres entreprises de trafic (Boubakri, 2001, p.17 ; Boubakri et Mbarek, 2009, pp. 46 ; Tabib, 2011).

    Lavnement du trait tablissant lUnion du Maghreb arabe en 1989 entrana louverture de la frontire entre la Tunisie et la Libye. Trois ans plus tard, lONU imposa un embargo la Libye, ce qui eut pour effet inattendu de faire du trafic une des principales activits conomiques de la Jeffara tunisienne (Boubakri, 2001). Daprs les estimations, 10000Libyens et Tuni-siens traversaient la frontire Ras Jedir chaque jour en 2010. Un million de Tunisiens auraient bnfici directement ou non du commerce informel avec la Libye et la valeur annuelle de ces changes aurait dpass le milliard de dollars amricains en 2010 (H.M., 2011). Dans ce contexte, les rseaux de commerce informel et de trafic reposant sur les alliances tribales entre les Ouerghemma (y compris les Touazine) et les Nouayel stendirent rapide-ment (Boubakri, 2001; Boubakri et Mbarak, 2009; Tabib, 2011).

    Tout en prenant forme, les rseaux de contrebande se se sont structurs. Le duleb, rinterprtation moderne de lassociation commerciale tribale, se trouve au cur des cartels de contrebande dirigs par les cambistes Touazine; il constitue le moteur financier de la plupart des oprations de contrebande.5 Au sein dun duleb, les tayouts sont des personnes qui jouent un rle essentiel dans le trafic illgal. Originaires de la tribu des Ouderna principalement, ce sont des chauffeurs indpendants qui possdent un ou deux pick-ups Toyota.6 La domination des cambistes Touazine de Ben Guerdane repose principalement sur leurs ressources financires, ressources dont dpendent les trafiquants Ouderna et ceux dautres tribus. En outre, les grandes familles diriges par les cambistes contrlent les rseaux dinformateurs, dagents de scurit corrompus, de banquiers vreux, etc. autant daspects essentiels la russite de toute activit de contrebande grande chelle. Bien que les tayouts soient libres dagir seuls en dehors du duleb, le risque dtre arrt augmente considrablement en labsence du soutien du rseau. En effet, le pouvoir des rseaux de contrebande de la Jeffara est tel que lon pourrait dire

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    quils deviennent des cartels avec des intrts communs, qui contrlent les prix et tiennent la concurrence lcart.

    La monte conomique et politique des groupes de trafiquantsLes cambistes ont de toute vidence t les plus grands gagnants de lexpan-sion du trafic qui a suivi lembargo impos par lONU contre la Libye. Les cambistes ont non seulement soutenu et financ les cartels de contrebande, mais galement propos des services financiers globaux aux lites libyennes. En effet, le rgime de Kadhafi a, de faon informelle, reconnu leur rle en tant quintermdiaires principaux pour le parti au pouvoir et les lites mili-taires dsireux deffectuer certaines oprations: changer de largent, ouvrir des comptes en banque ltranger et faire lacquisition dactifs et dimmobi-lier ltranger (Tabib, 2011). Du ct tunisien, le rgime de Ben Ali a accept et mme encourag lmergence du cartel des cambistes Touazine dans le but de dynamiser la croissance conomique dans le Sud tunisien. Depuis le dbut des annes 1990, le montant colossal des envois de fonds et des inves-tissements dans lconomie locale provenant du commerce informel et du trafic illicite a compt pour une part considrable dans la croissance cono-mique rgionale annuelle (Boubakri et Mbarek, 2009, p. 17).

    Mais la tolrance du gouvernement tunisien pour la contrebande ne signifiait pas pour autant que lont ait donn carte blanche aux trafiquants. En fait, bien quinformel, laccord entre le rgime et les tribus impliques dans la contrebande et les services financiers tait soumis des rgles claires: le gouvernement avait interdit le trafic darmes et de stupfiants tout en demandant une aide dans la lutte contre les trafiquants darmes et de stupfiants venus dailleurs.

    En outre, dans le cadre de la politique de gestion des frontires du gou-vernement, les contrles douaniers et les patrouilles frontalires jouaient le rle de filtre-soupape. Le filtrage permettait notamment dempcher les non-Jeffariens de pratiquer le commerce informel et de rglementer la contrebande ainsi que la quantit et les types de marchandises entrant et sortant clandestinement.7 Pendant ce temps, les contrebandiers continuaient slectionner les itinraires et les vhicules les plus appropris pour le trans-fert des diffrents types de marchandises.8

    Au milieu de lanne 2010, les membres de la famille Trabelsi (la belle-famille du prsident Ben Ali) ont tent de rvoquer laccord tacite entre

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    la prsidence et les cambistes Touazine.9 Avant que le soulvement national qui marqua le dbut du printemps arabe en dcembre 2010 ne prenne de lampleur lintrieur de la Tunisie, la ville de Ben Guerdane avait dj t le thtre dune semaine dmeutes pendant le ramadan (Chourabi, 2010). Une des dispositions de laccord entre ladministration Ben Ali et les chefs tribaux de Ben Guerdane empchait les Trabelsi dinterfrer avec les activits des cambistes et leur zone exclusive autour de Ben Guerdane. Les Trabelsi ont fait pression pour que soit impos un droit dentre aux Tunisiens qui traversaient la frontire Ras Jedir.10 Malgr la prsence de forces armes et de scurit par milliers dans la rgion, les meutes daot 2010 ne se sont attnues que lorsque le prsident a personnellement ordonn labolition de ce droit dentre.11 Ces vnements qui, dune certaine faon, annonaient la rvolution tunisienne, ont mis en lumire la vulnrabilit des acteurs du trafic jeffarien. Les grandes familles de trafiquants de Ben Guerdane ont donc t des observateurs anxieux de la rvolution tunisienne..

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    II. Les problmes de scurit en Tunisie et le conflit arm libyen

    La position du gouvernement tunisien sur la rvolution libyenne Avec le recul, il apparat clairement que les rvolutions tunisienne et libyenne taient inextricablement lies. Avant sa destitution, le prsident Ben Ali entretenait des liens troits avec la Libye de Kadhafi.12 Pourtant, aprs sa chute, cest prcisment du rgime de Khadafi quest venue la menace contre-rvolutionnaire la plus importante, car la tentation tait forte pour ce dernier de tenter de perturber la rvolution tunisienne (Slate, 2011a). Les mouvements rvolutionnaires ont senti cette menace durant les premiers mois du gouvernement tunisien provisoire ; mais, une semaine seulement aprs le dbut du conflit arm en Libye, une nouvelle srie de manifestations a mis fin au gouvernement de transition de Mohamed Ghannouchi, lequel tait encore troitement li au Rassemblement dmocratique constitutionnel, parti de lancien rgime.

    Par contre, avec le nouveau gouvernement de transition dirig par Bji Cad Essebsi, il est clairement apparu que le changement politique en Tunisie tait une ralit. Kadhafi connu pour son impulsivit politique tait une source de proccupation majeure pour les nouveaux dirigeants tunisiens, qui craignaient les tentatives de dstabilisation de la part de son rgime aux prises avec des difficults croissantes (Jeune Afrique, 2011b). Sil choisissait de soutenir les rebelles libyens, le gouvernement risquait de se voir entran dans le conflit de son voisin ; sil soutenait le rgime libyen en place, il risquait lopprobre international et des troubles dans son propre pays. Pour finir, le gouvernement provisoire a donc opt pour la neutralit, officiellement du moins.

    Rester passif a t un exercice prilleux pour le gouvernement qui a d lutter pour protger ses frontires et ignorer les provocations des forces de Kadhafi (Jeune Afrique, 2011b).13 Dans la pratique, la position tunisienne a eu pour effet de faire de la rgion frontalire un sanctuaire pour les deux

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    parties en prsence dans le conflit libyen, bien que davantage pour les rvo-lutionnaires.14 Par exemple, le gouvernement nest pas intervenu lorsque le poste-frontire de Dhiba-Wazen est tomb entre les mains des rvolution-naires libyens du front occidental. Comme expliqu plus loin, les forces armes tunisiennes ont galement empch les units loyalistes de Kadhafi de poursuivre les rvolutionnaires sur le territoire tunisien, qui est ainsi devenu un sanctuaire crucial pour les rvolutionnaires.

    En dpit de la neutralit dclare de la Tunisie et des mesures quelle a prises pour contrler sa frontire, le rgime de Kadhafi a toujours considr son voisin tunisien comme une porte de sortie (Slate Afrique, 2011b). Cela tait particulirement vrai pour les environs de Ben Guerdane, o les cam-bistes Touazine restaient loyaux envers leurs allis libyens, les Nouayel, qui taient des loyalistes dvous de Kadhafi. En effet, tant que les troupes de Kadhafi contrlaient la frontire Ras Jedir, ils ont reu du ravitaillement en provenance de Ben Guerdane.15

    Les effets immdiats des rvolutions sur le traficImmdiatement aprs le dpart de Ben Ali, Ben Guerdane sest trouv confronte leffondrement soudain de son conomie informelle (H.M., 2011; Hali, 2011). Le nouveau gouvernement a compltement ferm les frontires Ras Jedir et Dhiba car il craignait les infiltrations contre-rvolutionnaires suite la dclaration de fidlit de Khadafi au prsident Ben Ali destitu.16 Les trafiquants de Ben Guerdane comprirent vite quel point leurs moyens dexistence taient vulnrables aux changements politiques soudains. La chute du rgime de Ben Ali menaait de compromettre laccord de longue date sur la zone exclusive dactivit. Du ct libyen, les flux tablis de longue date entre de personnes et sortie de marchandises se sont brus-quement trouvs inverss.

    Le conflit arm libyen a non seulement invers le courant dchanges la Libye a t contrainte dimporter du ptrole mais il a aussi cr une demande nouvelle pour des produits de base tels que les denres alimen-taires et les fournitures mdicales. Les stockistes de Ben Guerdane ont profit de leur nouvelle position de fournisseurs et dexportateurs pour augmenter les prix. Cette spculation a abouti, au milieu de lanne 2011, une pnurie de lait dont on a beaucoup parl. Le lait tait en effet export vers la Libye, o il tait vendu 5 7 fois plus cher quen Tunisie.17 La guerre a en effet cr des possibilits commerciales immenses, que beaucoup ont

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    cherch exploiter. Pendant le conflit libyen, les cartels de contrebande de Ben Guerdane traitaient principalement avec les grossistes libyens de Tripoli, mais aussi parfois avec ceux des villes ctires.

    Les cartels ont non seulement engrang des bnfices substantiels grce lexportation de marchandises vers la Libye, mais ils ont aussi profit des possibilits nouvelles offertes par larrive de rfugis libyens dans le pays. De nombreux rfugis avaient terriblement besoin dargent en arrivant en Tunisie, car ils navaient pas pu accder leurs comptes en banque en Libye avant de fuir. Bien souvent, ces rfugis vendirent ce quils ne pouvaient pas emporter avec eux et ils apportrent le produit de la vente avec eux afin de lchanger ou, dans le cas de lor ou dautres objets de valeur, de le vendre au meilleur prix possible, gnralement bien au-dessous de sa valeur relle. Les armes feu, particulirement les fusils de type AK-47 et les pistolets, faisaient partie des objets de valeur apports par certains rfugis libyens.18

    Si les rfugis libyens avaient presque tous besoin dargent liquide, leur situation conomique tait variable et refltait la plupart du temps les dif-frences rgionales. Alors que les rfugis des zones urbaines et ctires apportaient de lor et dautres objets prcieux, la majorit des rfugis entrant par le poste de contrle de Dhiba-Wazen (et venant du massif du Nefoussa) ntaient pas riches. Plutt que de lor, ils apportaient des trou-peaux de chvres et de moutons. Comme ils ntaient pas en mesure des les conserver, ils les ont vendu aux tribus Ouerghemma pour une bouche de pain. Certains Tunisiens ont peut-tre profit des marchs conclus avec les rfugis libyens pendant le conflit, mais ce nest pas le cas de la majorit de la population.

    Les rfugis libyens en Tunisie et la ligne de ravitaillement sur le front occidental Au dbut de lanne 2011, le gouvernement tunisien sest heurt aux cons-quences logistiques et politiques de lacceptation dun nombre considrable de rfugis venus de son voisin en conflit. Craignant larrive de flux illi-mits de rfugis, certains groupes de la socit civile locale notamment les Comits locaux de protection de la rvolution ont dcid dintervenir.19 Face laugmentation du nombre de rfugis, une srie dinitiatives de la socit civile sont progressivement venues sajouter aux premires actions des CLPR. Des groupes de jeunes Tunisiens, des militants et des intellec-tuels qui avaient particip la rvolution tunisienne ont cr des groupes

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    de solidarit pour soutenir les rvolutionnaires libyens. Ces groupes ont fait acheminer des marchandises dans la Jeffara pour les rfugis.

    Ces groupes ont collabor avec les CLPR pour mener bien de nom-breuses activits, mais les tensions couvaient entre eux ainsi quentre les groupes et la population locale. Le cas dun groupe de 24 ou 25salafistes autoproclams qui ont tent de fournir de laide et des abris Ras Jedir la fin de fvrier 2011 constitue peut-tre la meilleure illustration de ces tensions.20 Les rseaux salafistes avaient collect des fonds de solidarit dans les mosques de tout le pays, mais leur arrive la frontire sest solde par un conflit avec les jeunes bnvoles plus sculiers de Tunis, qui ont exig quils partent car ils naidaient quun petit sous-groupe de rfugis.21 Le CLPR sest rang du ct des salafistes et a commenc travailler avec eux pour hber-ger les rfugis libyens plus traditionnalistes dans des familles daccueil tunisiennes identifies par les salafistes. Bien que les salafistes soient partis de Ras Jedir quelques semaines seulement aprs leur arrive, ils avaient russi tisser des liens durables avec les rfugis libyens.

    La dimension politique de laide aux rfugis est devenue vidente trs tt dans le Sud tunisien. Connue pour ses liens troits avec le rgime de Kadhafi, Ben Guerdane adopta avec les rfugis une dynamique diffrente de celle de Tataouine, ville situe plus lintrieur du pays. Les rfugis proches du rgime de Kadhafi ne traversaient la frontire que dans la rgion de Ben Guerdane.22 Une minorit y est reste, mme si la plupart ont pour-suivi leur route vers les villes ctires, commencer par Gabs, puis Sfax et Sousse et enfin Tunis. Un nombre considrable de ces rfugis loyalistes rsident toujours en Tunisie. Bien que seulement 90 000 rfugis libyens soient immatriculs auprs des pouvoirs publics, plus de 450000 rsideraient actuellement en Tunisie de manire dfinitive, daprs les estimations.23 De tels chiffres laissent supposer quun grand nombre de rfugis restent favo-rables lancien rgime libyen.

    la diffrence de Ben Guerdane, point de passage de choix des loya-listes de Kadhafi, le gouvernorat de Tataouine, prs du point de passage de Dhiba-Wazen, attira des rfugis plus susceptibles dtre favorables aux rvolutionnaires. Les personnes qui traversaient la frontire dans cette rgion venaient principalement du massif du Nefoussa et taient originaires de tribus de langue berbre ou arabe (Ahsan, 2011 ; Magharebia, 2011a). Environ 500000 rfugis fuirent la Libye pour entrer dans le gouvernorat de Tataouine et plus de 200000y sjournrent dans des familles daccueil pendant la guerre.24 Les rfugis favorables la rvolution libyenne ou qui avaient jou un rle dans son droulement et qui avaient russi fuir

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    jusquau gouvernorat de Mdenine vitaient autant que possible de se rendre Ben Guerdane. Il convient galement de noter que la rpartition des rfu-gis dans le sud suivait globalement la structure dallgeance tribale. Dans lensemble, les loyalistes de Kadhafi ont pu compter sur le soutien de Ben Guerdane, tandis que les rvolutionnaires du front occidental ont utilis Dhiba, Mdenine, Remada et Tataouine comme des refuges et des bases de ravitaillement.25

    Linscurit, linfiltration et la circulation darmes feuTt dans le conflit libyen, les loyalistes de Kadhafi reconnurent limportance stratgique de la rgion frontalire de Dhiba-Wazen. En avril et mai 2011, plusieurs batailles ranges eurent lieu au point de passage de Wazen, les forces de Kadhafi ayant cherch couper cet important maillon de la chane de ravitaillement des rebelles.26 Pendant certains de ces affrontements, des tirs et des obus touchrent la ville de Dhiba et les autorits tunisiennes furent forces de fermer la frontire (Barrouhi, 2011a).

    Juin 2011 marqua un tournant dans le conflit: les rebelles libyens prirent le contrle du massif du Nefoussa et de la ville frontalire de Wazen. Pour la premire fois au cours du conflit, les rebelles purent maintenir une ligne de ravitaillement continue sur le front occidental, pour les livraisons darme-ment notamment. En effet, cest par le point de passage de Dhiba-Wazen que nombre des armes fournies par le gouvernement qatarien parvenaient aux rebelles libyens de louest du pays.27 En outre, bien que le gouvernement de Tunis ait dclar sa neutralit, les militaires tunisiens supervisaient en fait la livraison darmes qatariennes la frontire.28

    Malgr leurs efforts, le gouvernement et les acteurs de la socit civile impliqus dans laide aux rfugis et dans leur processus dimmatriculation ntaient pas en mesure de les empcher de faire entrer des armes lgres et de petit calibre en Tunisie.29 Chaque jour, les garde-frontires saisissaient plu-sieurs voitures avec des pistolets ou des fusils dassaut du type AK-47. tant donn le nombre de rfugis qui passaient la frontire dans cette rgion 2000 en moyenne, mais jusqu 4000 par jour et la nature informelle des contrles effectus la frontire, il est trs probable que des quantits impor-tantes darmes feu soient entres en Tunisie cette poque.30 Toutefois, il est galement probable que nombre des armes aient par la suite t rendues leurs propritaires en Libye. En rgle gnrale, les Libyens avaient tendance voyager arms et il est raisonnable de supposer que limportation initiale

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    et la rexportation rsultaient de cette tendance plutt que dune tentative de contrebande manifeste.

    Cela dit, le trafic darmes existait et existe encore, bien que lampleur exacte du problme soit difficile valuer. En Tunisie, les armes feu sont un sujet tabou et on ne les trouve donc pas sur le march. Ce tabou explique en partie la raret relative des incidents de violence arme dans le pays. En dehors des contrebandiers et des cartels susmentionns, peu dentits non-tatiques sont armes en Tunisie. Dans la Jeffara, le trafic et le commerce des armes feu se pratiquent dans des cercles ferms uniquement, labri des regards du public. En outre, la cohsion tribale est forte dans la Jeffara et a pour effet de limiter la capacit des pouvoirs publics de pntrer les rseaux de trafiquants. Il convient galement de noter que, tant donn la taille des rseaux de duleb et le fait que seuls quelques membres haut placs ont une solide connaissance de lampleur des activits des duleb, les ides reues sur le trafic reposent pour lessentiel sur des rumeurs, qui sont elles-mmes ali-mentes par dautres rumeurs.

    Dans le domaine de la contrebande, la plupart des armes qui sont entres en Tunisie pendant le conflit libyen ont t achemines par les membres des troupes loyalistes de Khadafi qui ont quitt la Lybie pour assurer la scurit de leur famille. Ils avaient la fois accs des armes et besoin dargent, soit pour aider leur famille en Tunisie, soit pour financer le voyage vers un troi-sime pays. Ce ntait un secret pour personne dans la Jeffara que les rseaux de contrebande, Ben Guerdane surtout, en ont tir parti et ont accumul des stocks considrables.31 Ben Guerdane, tout le monde sait que ces stocks existent. Si la police cherche minimiser leur ampleur et leur utilisation potentielle, elle affirme savoir o ils se trouvent. Au cours dentretiens confi-dentiels, des officiers de police ont dit avoir lintention de semparer de ces stocks de marchandises de contrebande lors de saisies de grande envergure, plutt quau cours de raids cibls.32

    Les armes feu sont entres en Tunisie par dautres voies galement. Les combattants religieux tunisiens, qui soutenaient certaines milices rvolu-tionnaires en Libye, taient une source dapprovisionnement secondaire en armes de petit calibre. La guerre reprsentant une activit commerciale pour ces hommes, leurs armes risquaient plus dtre utilises des fins profes-sionnelles que darriver sur les marchs informels ou souterrains.33 Il est galement arriv que les oprations militaires en Libye dbordent de lautre ct de la frontire. Comme indiqu plus haut, des obus sont tombs sur la ville de Dhiba pendant le conflit. En outre, les milices loyalistes de Kadhafi

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    ont pourchass les milices rvolutionnaires de lautre ct de la frontire plusieurs reprises (Ghaith, 2011). Lors dune incursion dont lobjectif reste inconnu les combattants ont parcouru plus de 200 km lintrieur de la Tunisie (Chivers et Sayare, 2011). En rponse la plupart de ces incursions, les militaires tunisiens sont intervenus et ont dsarm les deux groupes; les armes ont t restitues aux autorits libyennes Ras Jedir, mais sans leurs munitions.34

    Aprs la rvolution libyenne, le sentiment dinscurit des Tunisiens sest renforc, principalement en raison de lmergence de petits groupes de terro-ristes dinspiration religieuse. Plusieurs incidents ont confirm ces craintes. En mai 2011, deux Libyens apparemment lis Al-Qada au Maghreb isla-mique (AQMI) ont t arrts Tataouine, dans la Jeffara. Les deux jeunes hommes avaient sur eux des explosifs improviss (AFP, 2011a). Trois jours plus tard, la Garde nationale a arrt un autre commando de deux hommes dAQMI qui se cachait dans les montagnes de Nekrif (Barrouhi, 2011b). Des bergers locaux avaient inform les forces de scurit de la prsence de ces hommes. Probablement suite linterrogatoire des deux hommes, les forces de scurit ont lanc des recherches plus au nord, Rouhia, et ont dcou-vert une autre cellule AQMI, l encore avec laide de la population locale (Barrouhi, 2011b ; Dahmani, 2011). Le groupe arm a rsist larrestation et ouvert le feu avec des fusils dassaut, tuant ainsi deux officiers des forces armes (Gulf News, 2012). Plus tard, les forces de scurit ont dcouvert un certain nombre dAK-47 avec des munitions et plusieurs grenades main (Dahmani, 2011).

    Dans un contexte pourtant dfavorable de troubles politiques incessants depuis les soulvements de 2010 et 2011, la Tunisie a connu moins dinfiltra-tions que dautres pays de la rgion transsaharienne dans lesquels AQMI a pu trouver refuge et tablir des camps durant ces dix dernires annes. La menace est toutefois relle et prsente dans lesprit de nombreux Tunisiens, comme ces incidents le montrent.

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    III. Les perspectives de scurit en Tunisie suite au conflit arm libyen

    La chute de Kadhafi a non seulement mis fin une dictature fermement enracine et marqu le dbut dune re dinstabilit et de possibilits dans un des pays les plus riches de la rgion, mais elle a galement eu et conti-nue avoir des rpercussions chez ses voisins plus pauvres. Parmi les plus importantes, citons linvasion du Nord-Mali par le Mouvement national de libration de lAzawad et le groupe islamiste Ansar Dine, mene avec des armes de lancien arsenal de Kadhafi (Nossiter, 2012 ; Conflict Armament Research et le Small Arms Survey, 2013).

    Mme si la chute de Kadhafi a eu des consquences immdiates moins dramatiques pour la Tunisie, le pays reste politiquement instable et la lutte pour reconstruire les institutions gouvernementales aprs des dcennies de dictature ont laiss le pays expos et vulnrable dautres chocs manant de la Libye. La trs grande quantit darmes lgres et de petit calibre et dartillerie lourde en Libye, la faiblesse relative du gouvernement central libyen (surtout face aux brigades et milices toujours rpandues), la rsurgence des conflits tribaux touffs depuis longtemps et la situation conomique tendue constituent des facteurs susceptibles daffecter la scurit, lconomie et la stabilit politique de la Tunisie.

    Dans les sections qui suivent, nous analyserons les effets actuels de la chute du rgime de Kadhafi et de son gouvernement sur la Tunisie portant spcifiquement notre attention sur les armes de petit calibre, le trafic et les infiltrations de groupes extrmistes arms. La premire section retrace lvo-lution des incidents arms en Tunisie et le long de la frontire. Dans la sec-tion suivante, nous rflchirons lcart entre linscurit relle et perue en Tunisie dans le contexte des luttes politiques qui y svissent actuellement. La troisime section est consacre au rle des extrmistes violents dans le trafic et lutilisation des armes feu. La quatrime section examine la demande darmes lgres et de petit calibre en Tunisie dans ce contexte. Enfin, nous terminerons en esquissant un schma global du trafic darmes la frontire tuniso-libyenne.

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    La frontire tuniso-libyenne dans les incidents arms majeursDepuis la proclamation de son indpendance en 1956, la Tunisie est demeu-re un pays pour lessentiel dpourvu de violence arme. Aprs la rvolu-tion libyenne, toutefois, les mdias ont de plus en plus souvent voqu des incidents lis la violence arme et au trafic darmes, notamment au cours des derniers mois de 2011 (cf. Tableau 1). La dtrioration rapide de la scu-rit Ras Jedir a t particulirement inquitante. Ds la fin du conflit arm, les tensions cet important poste-frontire se sont intensifies. Une milice libyenne contrlant les douanes a saisi la voiture de jeunes contrebandiers de Ben Guerdane. En reprsailles, leurs clans ont bloqu la route de Ras Jedir en y organisant des manifestations. Pour ouvrir nouveau la route, la milice libyenne a franchi la frontire par la force dans plusieurs camions, en mena-ant les douaniers tunisiens avec des armes feu (Ghanmi, 2011).

    Des milices de Zouara auraient particip lattaque de Ras Jedir. On pense aussi quelles taient lorigine dune srie dincursions dans le terri-toire tunisien, qui ont amen les autorits tunisiennes fermer plusieurs fois la frontire (Ghanmi, 2011; Radio Jawhara FM Tunisie, 2011). Des problmes similaires se sont poss au point de passage de Dhiba, o les milices berbres allies aux milices de Zouara ont forc la frontire avec plusieurs vhicules (Magharebia, 2011c). Peu de temps aprs, un groupe arm libyen a kidnapp quatre garde-frontires, qui ont t librs rapidement ( Tunisia Live, 2011; Lconomiste Maghrbin, 2012). Ces incidents, conjugus aux affrontements entre trafiquants rivaux de Dhiba et de Remada, ont abouti un conflit entre tribus affilies. Depuis janvier 2012, linstabilit de la scurit a entran la fermeture frquente de la frontire, de plusieurs heures plusieurs jours (News24, 2011a-c). Dans la Jeffara, le long de la frontire, les incidents provo-qus par les milices et les trafiquants libyens sont devenus le lot quotidien.35

    Les affrontements de Dhiba ont galement rvl lampleur de la puis-sance de feu la disposition des rseaux de trafiquants bass en Tunisie. Cette plus grande disponibilit a concid avec une augmentation de leur utilisation pour rgler les diffrends entre rivaux. Par exemple, en avril 2012, des affrontements arms entre la tribu des Touazine et ses rivaux Rbayaa ont clat, visiblement suite la nomination controverse dun imam radical dans une mosque importante de Ben Guerdane.36 Les pouvoirs publics ayant refus dintervenir, le litige a t rgl grce lintervention des anciens des

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    Tableau1 Armes dorigine libyenne saisies par les forces de scurit tunisiennes et principaux incidents avec utilisation darmes feu*

    Date/priode Lieu Contexte Source

    11mai2011 UnhteldeTataouine,prsdelafrontireaveclaLibye

    Deuxmembreslibyensdunecelluleterroristealgrienne(pr-tendumentAQMI)sontarrts.

    Armes saisies :desexplosifs.

    Barrouhi(2011a;2011b)

    1415mai2011 MontagnesdeNekrif,prsdeRemada,46kmdupointdepas-sagedeDhiba-Wazen,danslegouvernoratdeTataouine

    UnAlgrienetunLibyendelacelluleterroristedcouverteTataouine(cf.11mai)sontarrts.

    Armes saisies :3AK-47,desmunitions,1chargeur,1grenademainetduTNT.

    AFP(2011a);Barrouhi(2011b);Kapitalis(2011b);Magharebia(2011b)

    18mai2011 Rouhia,danslecentredelaTunisie,danslegouvernoratdeSiliana(envi-ron150kmdeTuniset390kmdeRasJedir)

    Neufpersonnes(denationalitstunisienne,algrienneetlibyenne)reprsentantlenoyaudelacel-luleterroristedcouverteTataouine(cf.11mai)saffrontentaveclesforcesarmesetdescuritunpostedecontrleprsdeRouhia.Lchangedecoupsdefeufaitquatrevictimes:deuxofficiersetdeuxterroristes.DeuxdentreeuxsontdesmembresconnusdAQMI,WalidSaadaouietNabilSaadaoui,arrtsen2006entantquechefsdungroupeterroristedcouvertcetteanne-lSoliman.

    Armes saisies :plusde10AK-47modifies,desmunitions,desgrenadesmain,deschargeursetduTNT.

    Bahri(2011);Dahmani(2011);entretiendelauteuravecunmembreduneunitanti-terroristetunisienne,lieunondvoil,juin2012

    Juin2011 Mtlaoui,danslebassinminierdeGafsa(environ360kmausud-ouestdeTunis)

    Unconflittribalclateetpersistependantunesemaine.Aumoins12personnessonttueset150sontblesses.Plusieursmeurentdeblessuresparballes,soi-disanttirespardesfusilsdechasse,bienquilsagisseplusvraisem-blablementdepistolets.

    BabnetTunisia(2011);Jebnoun(2011);LeCorbusier(2011);MosaqueFM(2011)

  • 28 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 29

    Date/priode Lieu Contexte Source

    1820aot2011

    DanslargiondeDouz

    Desmiliceslibyennesfontuneincursionavecaumoinscinqpick-ups4x4chargsdefusils.

    Le Point (2011)

    22septembre2011

    LaMarsaetTunis

    DeshommesdansuneVolks-wagenPassatproposentdesfusilsdassautetdespistoletsvendre.Ilsparviennentsenfuiravantlarrivedelapolice.

    Mzioudet(2011);Rouissi(2011)

    4octobre2011 1)BenGuerdane

    2)Belkhir,prsdelafrontirealgrienne,danslegouvernoratdeGafsa

    1)UnTunisienetunLibyendte-nantdesarmesfeudanslecoffredeleurvoituresontarrts;

    2)SeptLibyenssontarrtsdansuntaxideMdenine,avecdesAK-47.

    1)Kapitalis(2011a);Mzioudet(2011);2)Nidhal(2011)

    Depuisdcembre2011

    RasJedir Aprsplusieursincursionsdemiliceslibyennes,leColonelMohamedJarafa,desdouaneslibyennes,rvleunaccordaveclesmiliceszouariprvoyantunreplisurplusieurskilomtresder-rirelafrontire.Ilsensuitdestensionsentretrafiquantsrivauxdesctstunisienetlibyen.

    AlertNet(2011);Dermech(2012);Deshmukh(2011);Ghanmi(2011);Magharebia(2011c);MohamedetGhanmi(2011);RadioJawharaFMTunisie(2011);TAP(2012c);Wafa(2012b);Youssef(2012ac);Zargoun(2011)

    13dcembre2011

    DhibaetRemada

    Desaffrontementsarmsontlieuentredesclansproposdesitinrairesdecontrebande.

    Ghribi(2011);Tuniscope(2011)

    1erfvrier2012 BirAlibenKhelifa,villeducentredelaTunisie,danslegouvernoratdeSfax

    UngroupededjihadistestunisiensfaisantpasserdesarmesenTuni-sieestinterpell.Deschangesdecoupsdefeusensuivent,faisantplusieursmortsdechaquect.

    Armes saisies :plusde32AK-47et2500cartouches;moinsde10pistolets.

    Shirayanagi(2012);TAP(2012a);entretiendelauteuravecdesagentsdescurit,Tunis,mai2012

  • 30 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 31

    Date/priode Lieu Contexte Source

    Fvrier2012 Tunisie Aucoursduneconfrencedepresse,unporte-paroleprsiden-tielconfirmequelesforcesdescurittunisiennesontdcouvertdenombreusescachesdarmesetconfisquleurcontenudepuisledbutduconflitlibyen;peudedtailssontfournis.

    Armes saisies parlesgarde-fron-tires:156fusilsdassaut,59pis-tolets,plusde500cartouches.

    A.D.(2012);ShemsNews(2012a);Zribi(2012)

    24fvrier2012 MontagnesentreMatmataetMareth(environ420kmausuddeTunis),danslegouvernoratdeGabs

    Aprsavoirreudesrenseigne-mentsdunberger,lesforcesdescuritarrtenttroisTunisiensquifontpasserclandestinementdesarmesfeudepuislaLibyeenuti-lisantdesmulespourletransport.

    Armes saisies :moinsde10AK-47etdesmunitions.

    Hafez(2012);RadioJawharaFMTunisie(2012)

    29avril2012 BenGuerdane AffrontementsviolentsentredeuxtribusdeBenGuerdane(lesTouazineetlesRbayaa);unenfantestblessparuncoupdepistolet.

    Algrie1(2012);BabnetTunisia(2012);Maatoug(2012);Tunis Tribune(2012);entretiensdelauteuravecdesrsidentsdeBenGuerdane,mai2012

    20juin2012 AnSkhouna,puitssitudansledsertprsdelafrontirelibyenne,mi-cheminentreRemadaetGhadams

    Larmedelairtunisiennedtruittroispick-upsToyotaLandCruiserdanslesoueds(litsderiviresasschs)quitraversentleSaharatunisienoriental.

    Armes saisies :3pick-upschargsdefusilsdassautetdemunitions,ycompris:2mitraillettes,2lance-roquettes(RPG);desmissiles;desGPSetdumatrielradio.

    BBC(2012);Chennoufi(2013);Euronews(2012);Magid(2012);Reuters(2012b)

    8dcembre2012

    Fernana,danslegouvernoratdElKef(environ180kmlouestdeTunis)

    Unpick-uptransportedesarmesfeuetdesexplosifs.

    L.M.(2012a)

  • 30 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 31

    Date/priode Lieu Contexte Source

    17janvier2013 Mdenine Lesforcesdescuritarrtentunhommesouponndappartenirunrseaucriminel.Suitesoninterrogatoire,lesforcesdescuritdcouvrentunecachedarmes.

    Armes saisies :desminesanti-char,desgrenadesmain,desamorcesdegrenademain,duTNT,desdtonateurs,desmchespourexplosifs,desRPG(ycomprisdeslanceurs,desprojectilesetdeschargespropul-sives),deschargeursdetypeAK,deslunettesdeprotectionetdesmunitions(plusde1000car-touchesde9mm;plusde1000cartouchesde7,62x54).

    BabnetTunisia(2013);B.L.(2013);Chennoufi(2013);Ghanmi(2013a);La Presse de Tunisie(2013)

    20fvrier2013 Mnihla,danslegouvernoratdAriana(fau-bourgdugrandTunis)

    SuiteauvolparunecellulearmedunevoituredunesocitdlectricittunisiennequipedunsystmedelocalisationparGPS,lesagentsdescuritsuiventlevhicule,dcouvrentunecachedarmes,etarrtentplusieurssuspects.

    Armes saisies :cf.encadr3.

    Mag14(2013)

    4aot2013 20kmdeBenGuerdane,gouvernoratdeMdenine

    LaGardenationalearrteunpick-upaprsavoirreudesrenseignementsdelapartdersidentslocaux.

    Armes saisies :10fusilsdassautdutypeAK-47;20grenadesmain;5roquettesRPG;2mitraillettesdutypePSK;plusde1000pistoletsparalysants,desmunitions,desjumellesdevisionnocturne.

    MosaqueFM(2013);Weslaty(2013)

    Remarques: * les fusils de chasse et les carabines ne sont pas inclus dans ce tableau. Les vnements ont t r-pertoris jusquau 5 aot 2013. Labsence de mention des armes saisies signifie que les informations ntaient pas disponibles.

  • 32 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 33

    tribus . Si ces affrontements illustrent lusage croissant des armes feu par les cartels de contrebande, on peut galement estimer quils mettent en lumire la reconfiguration naissante des tribus Ouerghemma et des rseaux de tra-fiquants en gnral, comme nous le verrons ci-dessous.

    Linscurit et les luttes politiquesLinscurit le long de la frontire tuniso-libyenne rsulte de la faiblesse des gouvernements de Tunis et de Tripoli, et non dun conflit entre eux. Le Conseil national de transition (CNT) en Libye et le gouvernement tunisien changent rgulirement des informations et ont discut dun ventail de mesures pour renforcer la scurit le long de leur frontire commune.

    En Libye, le CNT na que peu ou pas de contrle sur les milices de Jadu, Zintan ou Zouara, et encore moins sur les milices loyalistes de Kadhafi des Nouayel. En outre, tout de suite aprs la rvolution, le CNT a fait appel des milices tribales berbres du massif du Nefoussa et de Zouara pour patrouillerdans la rgion frontalire.37 Les milices tribales en place ont rsist aux tentatives du CNT visant raffirmer son autorit. La domination de ces tribus berbres a, son tour, contrari les Nouayel des plaines, lest de la frontire, car ils craignent que leurs itinraires de contrebande traditionnels vers la Tunisie leur soient refuss. Comme Khadafi jouait auparavant un rle darbitre dans ces litiges tribaux, son absence na fait que les aggraver.

    Du ct tunisien de la frontire, la chute de la dictature de Ben Ali et de son tat-parti a dvoil la fragilit des structures gouvernementales, notam-ment celle des services de scurit et des structures de lintrieur des terres et du sud du pays, des zones dans lesquelles les structures tribales prdominent (ICG, 2012). Lappareil de scurit tant vant de lancien rgime sest avr construit sur lapparence, la rumeur et la peur; ses effectifs rels ne reprsen-taient peut-tre quun tiers des estimations prcdentes 47000 hommes au lieu de 150000 et ses comptences avaient t largement surestimes (ICG, 2012, p. 9). Pour leur part, les membres des services de scurit ont indiqu avoir servi de boucs missaires pour tous les maux de lancien rgime.38

    En particulier, les syndicats reprsentant les forces de scurit affirment que, comme le nouveau gouvernement navait ni remplac ni confirm la validit de la loi numro 4 de 1969 qui rgit lemploi de mesures coercitives et darmes feu par le personnel de scurit , les mesures prises au cours de leurs missions taient dpourvues de fondement lgal clair. Ainsi, une trentaine dofficiers de police ont t inculps pour ce que le syndicat dcrit comme des applications de routine de la loi.39 Cette incertitude ne constitue quun aspect des tensions entre les membres du gouvernement domin par

  • 32 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 33

    le parti Ennahda (beaucoup dentre eux taient autrefois des cibles des ser-vices de scurit) et les membres des services de scurit, qui craignent que leur ancien rle ne les empche davoir une place dans le nouvel ordre social et politique.

    En raison de ces tensions, les forces de scurit se sont montres peu disposes intervenir nergiquement contre les barrages routiers, les ras-semblements illgaux et les manifestations violentes, ainsi que contre les petits dlinquants. La criminalit est largement perue comme ayant nette-ment augment. En fait la criminalit augmente rgulirement depuis une dizaine dannes et a commenc le faire avant la chute de Ben Ali bien quaucune statistique fiable nexiste.40En interdisant la presse dvoquer les crimes perptrs au quotidien, la machine censurer du rgime a maintenu la population dans lignorance propos de ces tendances. En revanche, et le contraste est saisissant, depuis que la presse est libre, les journaux et les sites Web regorgent de toutes sortes de comptes-rendus sur la criminalit, dont bon nombre sont mal documents et fonds sur gure plus que des rumeurs. Par consquent, le sentiment de scurit peru par le Tunisien moyen ne reflte pas ncessairement le niveau de scurit objectif du pays.

    En labsence de donnes prcises sur la criminalit, il est impossible de savoir avec certitude si elle a augment aprs la chute de Ben Ali. Ce que lon sait, cest que les forces de scurit ont battu en retraite immdiatement aprs. En outre, en janvier 2012, le prsident Moncef Marzouki a publi un dcret rduisant les peines de prison infliges sous lancien rgime, ce qui a abouti la libration denviron 9 000 dtenus (Hassassi, 2013 ; Espace Manager, 2012a). Ces deux vnements conjugus ont trs probablement eu pour effet daugmenter la criminalit ; moins de quatre mois aprs la libration des dtenus, 6 000 dentre eux avaient rcidiv et avaient nouveau t arrts par les services de scurit.41 Paralllement, lopposition politique, les mdias, les associations professionnelles (notamment les syndicats des services de scurit) et les militants libraux de la socit civile ont amplifi le problme de linscurit en Tunisie.

    Afin dvaluer ltat de la scurit en Tunisie, lauteur du prsent rapport sest rendu dans plusieurs villages du gouvernorat de Sfax, dont les habitants staient plaints de niveaux levs de criminalit. Au cours de ces entretiens, les villageois ont dcrit des problmes qui dataient en fait davant la rvo-lution comme des problmes de scurit actuels. En outre, la plupart des incidents cits pour dmontrer linscurit dans la rgion reposaient sur des rumeurs non confirmes. Dautres visites organises pour la mme raison ont eu lieu dans les gouvernorats de Mdenine, Tataouine et Sousse, avec des rsultats similaires. Bien que les rsultats de ces enqutes ne puissent

  • 34 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 35

    pas tre jugs dfinitifs, il est manifeste que le sentiment dinscurit accrue trouve sa source dans trois ralits. Premirement, dans les petites villes et les villages du sud du pays, les autorits nont pas rouvert les postes de police qui avaient t attaqus et brls pendant les soulvements. Deuximement, la presse dsormais libre abreuve les Tunisiens de comptes-rendus inces-sants sur les barrages routiers, les manifestations violentes et la criminalit, mme en dehors de Tunis. Troisimement, sous lancien rgime, les forces de police taient perues comme omniprsentes et on les craignait. Aprs la rvolution, les forces de scurit ont non seulement disparu, mais elles ont galement perdu leur aura de pouvoir. Mme aux endroits o les forces de scurit font nouveau des rondes, leur prsence semble crer un sentiment de mfiance plutt que de scurit.

    Les preuves montrent que les crimes perptrs avec des armes lgres et de petit calibre ont le plus souvent lieu dans les quartiers dfavoriss de Tunis ou dautres centres urbains. Plusieurs banques ont galement fait lob-jet de vols main arme.42 Lorsque la violence clate, la population sempare gnralement de matraques, de barres de fer, voire de fusils de chasse, plutt que darmes dassaut ou de pistolets.43 Si les crimes main arme sont long-temps rests des incidents isols et si la circulation des armes feu reste rela-tivement limite en Tunisie, la violence arme augmente depuislassassinat de Mohamed Brahmi en juillet 2013, notamment cause des activits des extrmistes violents. Avant ce meurtre, lincident le plus frappant au cours duquel un pistolet avait t utilis tait lassassinat de Chokri Belad un homme de gauche populaire, membre de lopposition, tout comme Brahmi le 6fvrier 2013.

    Les extrmistes violents et linscuritImmdiatement aprs la rvolution tunisienne et au dbut du conflit libyen, les affrontements entre les extrmistes et le gouvernement tunisien se drou-laient dans leur grande majorit sans que des armes feu soient utilises (cf. Tableau 1). Les affrontements entre les islamistes radicaux et les forces de scurit Jendouba,44 Sidi Bouzid et Siliana45 ont fait des blesss et des cock-tails Molotov ont t utiliss pour mettre le feu aux postes de police, aux bars et aux htels, mais rien nindique que des civils utilisaient ou portaient des armes feu. De mme, aucune arme feu na t utilise lorsquune foule en colre dinspiration islamiste sest attaque lambassade amricaine en sep-tembre 2012. La tendance sest pourtant inverse Sidi Bouzid le 21 fvrier 2013, lorsquun change de coups de feu a clat entre les forces de scurit et

  • 34 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 35

    un groupe dextrmistes violents qui staient barricads dans une mosque (Middle East Online, 2013).

    Au dbut de lanne 2012, des groupes radicaux arms ont fait des incur-sions sur le territoire tunisien. En rponse, les forces de scurit y compris les militaires ont ratiss la rgion de la frontire tuniso-algrienne, o les incursions avaient t dtectes. Le nombre de petits incidents a augment tout au long de lanne 2012 et les affrontements arms ont commenc vers la fin de lanne. la fin de lanne 2012, les autorits tunisiennes ont appa-remment pris lavantage grce leur services de renseignement qui sont parvenus localiser une srie de cellules terroristes et de caches darmes (Mag14, 2013). Ces succs nont toutefois pas limin la menace et les affron-tements arms sont devenus rguliers. Dans les gouvernorats de Kasserine et dEl Kef, les services de scurit ont pay le prix fort lors daffrontements de mme nature, les oprations visant dmanteler des camps de terroristes dans le massif du Chambi (sur la frontire algrienne, ct de Kasserine) ayant fait beaucoup de blesss (Khilfi, 2013).

    La violence arme a atteint son point culminant le 29 juillet 2013, lorsque huit soldats ont t brutalement tus dans le massif du Chambi (Khilfi, 2013). Les tensions staient fortement amplifies lorsque lhomme politique de gauche Mohammed Brahmi avait t assassin le 25juillet, dans une situa-tion similaire celle qui avait cot la vie Chokri Belad en fvrier (Tunisia Times, 2013). Il sen est suivi une srie darrestations de membres de cellules terroristes, suite aux renseignements obtenus au cours des interrogatoires mens aprs larrestation dun suspect (Weslaty, 2013 ; MosaqueFM, 2013). Lopposition a fait part de ses doutes quant ces enqutes et a dduit des lments dont elle disposait que la srie soudaine darrestations tait en fait une tentative visant calmer la population et mettre en avant la capacit des services de scurit.

    Comme on peut sy attendre, la plupart des activits terroristes de grande envergure en Tunisie sont lies des groupes dextrmistes bass en Algrie, notamment AQMI.46 Il semble y avoir deux raisons cela. Premire ment, les groupes algriens possdent lexprience, les comptences et lesres sources ncessaires lacquisition darmes, leur transport et lorganisation des oprations. Deuximement, la population tunisienne est en gnral moins favorable aux buts et mthodes de ces groupes dextrmistes et moins tol-rante envers eux. Mme si des groupes lis aux Algriens taient actifs (ou tentaient de ltre) en Tunisie avant la rvolution, le pays ne constituait pas un terrain propice pour quoi que ce soit dautre que le recrutement.47 Ainsi, bien que lon dnombre des Tunisiens au sein de groupes dextrmistes tels

  • 36 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 37

    quAQMI, les vises de ces organisations et le soutien quelles reoivent sont principalement algriens ou transsahariens, et elles disposent de quelques bases dans lest et le sud de la Libye. Labsence de base tunisienne est ga-lement un lment important permettant de comprendre les caractristiques du trafic.

    La demande darmes lgres et de petit calibre en TunisieLes terroristes et les salafistes djihadistes autoproclams sont les groupes les plus susceptibles de rechercher des armes feu en Tunisie. Bien que ces groupes naient ce jour manifest que peu dintrt apparent pour lorga-nisation dattaques dans le pays, leur prsence est trs visible dans les quar-tiers dfavoriss des principaux centres urbains de la cte, dans lintrieur du pays et dans le sud. La Tunisie postrvolutionnaire est devenue, daprs de nombreux experts des mouvements islamiques, un espace public sr pour les organisations islamistes et les prdicateurs islamistes radicaux.

    Les extrmistes violents et les salafistes autodclars. Lorganisation de salafistes en milices armes et groupes terroristes fait lobjet de nom-breuses conjectures dans la population. Par exemple, daprs un article du journaliste franais bien connu Nicolas Beau, entre 10000 et 12000 hommes affilis au parti Ennahda au pouvoir ont t entrans dans des camps Khledia, Mdenine et Tataouine, bien que cette assertion ne repose sur rien de plus que la rumeur (Beau, 2012). Les mdias et le public nont pas fait la distinction entre le camp dune cellule terroriste et un camp dentrane-ment et emploient ces deux expressions indiffremment bien quaucun des camps dcouverts nait t destin lentranement de nouvelles recrues.48 En effet, tous les camps dcouverts se trouvaient proximit de frontires ou de villages, dans des lieux o lentranement lutilisation darmes feu ou dexplosifs aurait certainement attir lattention.

    Pour effectuer une analyse plus pousse des menaces potentielles, il est utile de faire la distinction entre les groupes qui sont catalogus ensemble sous le label de salafisme. Ils peuvent gnralement tre diviss en deux mouvances: les quitistes et les djihadistes (ICG, 2013). La majorit des salafistes de Tunisie appartiennent la mouvance quitiste et puisent leurs racines dans le salafisme non violent. Ces salafistes ont recours la prdication et laction sociale pour encourager la population devenir de bons musulmans.

    Les djihadistes se proccupent moins des individus et concentrent leurs efforts sur la transformation de ltat en une organisation politique domine

  • 36 SmallArmsSurvey Document de travail 17 Kartas Sur le fil ? 37

    par les principes religieux, comme un califat. Bien quils soutiennent ido-logiquement le combat arm (quital),49 ils considrent la Tunisie comme une arth el dawa (terre de prdication). Cest peut-tre la raison pour laquelle les mouvements djihadistes mondiaux ont ce jour manifest peu dintrt pour lorganisation dattaques terroristes ou dinsurrections armes en Tunisie. Au lieu de cela, la Tunisie peut tre considre comme un nouvel espace public partir duquel diffrents prdicateurs, penseurs et enseignants de la doctrine islamique diffusent leur message dans tout le Maghreb et le Sahel. Ainsi, les chefs des djihadistes occupent un espace social non rempli par ltat ou ses organes (ICG, 2013). Lhtrognit des salafistes djihadistes peut contribuer la confusion entre les salafistes quitistes, les djihadistes qui accordent la priorit la dawa et les djihadistes engags dans le combat arm.

    Sous Ben Ali, les forces de scurit tunisiennes dtenaient plus de 2000salafistes djihadistes connus en garde vue. Daprs les estimations, 350 dentre eux taient actifs dans des organisations terroristes et avaient reu un entranement militaire dans des camps en Afghanistan, en Algrie ou ailleurs.50 Aprs la chute de lancien rgime, nombre de ces hommes ont t librs et de nombreux autres sont rentrs dexil. partir daot 2012, les forces de scurit tunisiennes ont estim 500 le nombre djihadistes disposant dun entranement ou dune exprience militaire prsents sur le territoire tunisien. En comparaison avec les autres salafistes, ces djihadistes forms au combat sont des extrmistes violents lis des groupes comme AQMI en Algrie et en Libye, plutt qu des groupes de Tunisiens autoch-tones. Cela dit, ils sont beaucoup plus clairement lis aux activits de trafic darmes sur le territoire tunisien. Les cellules terroristes dcouvertes Bir Ali ben Khalifa, dans le massif du Chambi, et Rouhia sont indubitablement rattaches cette mouvance violente du salafisme et lon peut raisonnable-ment estimer quelles reprsentent une menace claire pour le gouvernement tunisien (cf. Tableau1).51

    Le gouvernement semble tonnamment confiant quant la prsence, aux activits et la menace apparente que reprsentent ces groupes en Tunisie; chaque agent de scurit interview dans le cadre de cette tude a insist sur le fait que tous ces groupes taient observs de prs, que les forces de scurit matrisaient la situation et quelles pouvaient arrter tous les membres des groupes salafistes djihadistes sur ordre du gouvernement. Certains agents de haut rang ont mme insinu que la situation actuelle permettait de mieux connatre les cellules et rseaux de terroristes, car beaucoup se sentaient assez libres de leurs mouvements et de leurs activits en Tunisie.

    part les salafistes djihadistes disposant dun entranement militaire, la plupart des adhrents cette mouvance salafiste sont des jeunes qui se sont

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    rallis des chefs et des prdicateurs salafistes charismatiques plus gs, dont bon nombre ont acquis une exprience hors de Tunisie. Ces jeunes sont pour la plupart issus des quartiers dfavoriss entourant les grandes villes ou de centres urbains plus petits. Lorganisation de ce type de groupes sala-fistes djihadistes semble relativement horizontale ou fonde sur les relations de rseau, contrairement aux groupes reposant sur des hirarchies verticales. En outre, une partie importante de ces groupes salafistes djihadistes est organise par danciens ou dactuels criminels, dont bon nombre ont pris les atours religieux du salafisme pour masquer leurs activits criminelles, bien que certains se distancient de leurs activits passes.

    Ces salafistes djihadistes ont attir lattention du public grce des mani-festations violentes comme les meutes de Jendouba, de Sidi Bouzid et de Tunis, qui ont bnfici dune large couverture mdiatique. Les Tunisiens per-oivent ces groupes hybrides de criminels et de jeunes fauteurs de troubles comme faisant partie dAnsar al Sharia (les partisans de la sharia) en Tunisie, un mouvement salafiste djihadiste dirig par le cheikh Abou Iyadh, ancien militant salafiste djihadiste ayant des liens avec Al-Qada (Kapitalis, 2012c).52 Daprs les estimations, ces salafistes djihadistes non-militants seraient entre 8 000 et 14 000, selon les sources et les mthodes de catgorisation.53

    Il est important de comprendre que les groupes salafistes et djihadistes nont que peu de choses voir avec la conception de type institutionnelle dune organisation dote dune hirarchie rglemente et dune base de membres claire. Des groupes tels quAnsar al Sharia devraient plutt tre vus comme des rseaux tisss et convergeant autour de personnes et cellules cls. Ainsi, les allgeances multiples sont la rgle plutt que lexception.54 Un partisan dun mouvement salafiste quitiste peut tre actif dans un groupe djihadiste engag dans la prdication et, en mme temps, collaborer avec une cellule dextrmistes violents. En Tunisie, en dpit de leur identit fluide, la plupart des djihadistes croient que le chemin qui mne lIslam politique est celui de la non-violence.

    loppos des extrmistes violents, les partisans des salafistes djiha-distes nont pas utilis darmes feu au cours de leurs affrontements avec les services de scurit. Malgr leur participation certaines oprations trs mdiatises notamment les manifestations et lattaque contre lambassade amricaine un seul cas dutilisation darmes feu peut tre attribu ces groupes, celui de Sidi Bouzid (cf. Tableau 1). Au lieu des armes feu, ces groupes se servent de couteaux, de matraques, dpes, de carabines air comprim et darmes incendiaires improvises (cocktails Molotov) pendant leurs actions violentes. Bien quils naient pas la rputation davoir utilis des armes feu, certains de ces groupes seraient en train de constituer des caches

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    importantes darmes lgres et de petit calibre, notamment dans les quartiers dfavoriss de Tunis.55 Comme ils ont galement t associs la contrebande avec la Libye et lAlgrie (ferraille, drogue et alcool, notamment), il est assez probable que ces groupes possdent des armes lgres et de petit calibre.

    Si ces groupes ont effectivement des caches darmes, le fait quils naient jamais t observs en public avec des armes feu indique quils sont trs disciplins et en mesure de matriser les niveaux de violence et descalade.La plupart des experts en scurit consults dans le cadre de cette tude esti-ment que ces groupes parviennent garder leurs armes feu hors de vue jusqu ce que le bon moment arrive soit pour se dfendre en cas de des-cente des forces de scurit, soit pour organiser des attaques contre le public et les installations touristiques quand ils auront rassembl des effectifs suf-fisants. Le retour des combattants tunisiens de Syrie proccupe vivement ces experts.56 Le conflit syrien a en effet donn aux prdicateurs loccasion de recruter de jeunes Tunisiens, de les radicaliser et de les envoyer en Syrie par le biais de rseaux organiss.57 leur retour en Tunisie, ces djihadistes seraient non seulement entrans mais galement aguerris, contrairement aux autres salafistes. Qui plus est, ils auraient des liens avec les trafiquants darmes dAfrique du Nord et du Moyen-Orient.

    Le 27 aot, le gouvernement tunisien a officiellement class Ansar al Sharia parmi les organisations terroristes en raison de liens avrs avec les assassinats de Chokri Belad et Mohammed Brahmi et des relations quelle entretient avec les terroristes agissant dans le massif du Chambi. Cette prise de position du gouvernement permettra sans doute de confirmer ou dinfir-mer les craintes des experts susmentionns.

    Tribus et clans en litige. La demande darmes feu au sein des clans tribaux de la Jeffara, ainsi quau centre du pays et dans le bassin minier autour de la ville de Gafsa, semble moins prononce que chez les extrmistes violents et les salafistes autodclars. Au cours des affrontements tribaux de 2011 et 2012, les clans en guerre ont utilis des armes feu. Ces affrontements ont fait plusieurs morts et beaucoup de blesss.58

    Les civils sarment pour se protger. Daprs certains observateurs, la nature fragmentaire de lessentiel du trafic darmes actuel en Tunisie pourrait tre en partie due la demande darmes provenant de civils dsireux de sarmer en rponse au sentiment gnralis dinscurit. Selon certaines sources non confirmes, par exemple, les fermiers et dautres personnes vivant dans des endroits reculs o la prsence de la police est limite achtent des fusils dassaut pour remplacer leurs fusils de chasse.59 tant donn laugmentation

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    du nombre darmes en la possession des criminels et des groupes tribaux, la Tunisie court un grand risque daggravation relle de linscurit sur son territoire. Comme la not un membre des forces de scurit sous couvert de confidentialit: Les armes feu taient un tabou social en Tunisie. Les Tunisiens ne sont pas habitus [vivre] avec des armes feu. [Les choses] pourraient donc empirer trs facilement.60

    La physionomie du trafic darmes et la frontire tuniso-libyenneDans le paysage gostratgique rgional actuel, la Tunisie reprsente un march priphrique pour les armeslgres et de petit calibre. Les conflits proches, en Afrique sub-saharienne et dans tout le Moyen-Orient, ont aug-ment la demande dans les pays touchs, alors que la Tunisie est reste rela-tivement pacifique et stable. Si le march des armes en Tunisie est trs proba-blement rduit, le trafic darmes feu peut mettre en pril la scurit du pays. Les vnements de Soliman en 2006 et les affrontements entre des groupes dextrmistes et les forces de scurit sur le sol tunisien depuis le dbut de la rvolution libyenne montrent que mme un petit nombre darmes peut avoir un effet dstabilisant.61

    La fin du conflit arm libyen a eu un impact considrable sur le commerce informel et le trafic dans la Jeffara. La demande a augment des deux cts de la frontire, surtout pour les denres alimentaires de base, les commer-ants ayant cherch maximiser leurs bnfices (Business News, 2012b ; I.B., 2012b). Linstabilit des gouvernements des deux cts de la frontire a renforc lemprise des grands cartels de contrebande, lesquels ont profit du vide laiss par le retrait des services de scurit et ont us de ce pouvoir nou-vellement acquis pour protger leurs activits des concurrents plus petits.63 Pendant ce temps, de nouveaux marchs lucratifs (alcool, drogue, prostitu-tion, etc.) se dveloppent en Libye.64

    Comme on peut le voir dans le Tableau 2 et sur la Carte 2, on peut dis-tinguer diffrents aspects de la physionomie du trafic darmes propres ces quatre zones frontalires. Nous analyserons chacune delles plus en dtail dans le reste de cette section.

    La rgion frontalire de Ben Guerdane Les cartels de Ben Guerdane se trouvent confronts des incertitudes pr-occupantes. La fin du rgime de Kadhafi a isol les Nouayel, les principaux allis des Ouerghemma en Libye (Tabib, 2011; Boubakri, 2001). En Tunisie,

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    Tableau2 La physionomie du trafic

    Zone frontalire Physionomie du trafic

    Ben GuerdaneDeRasJedir,auxpiedsdumassifduNefoussa,lafrontiretuniso-libyenne

    LetraficestcontrlparlescambistesdeBenGuerdane,quidominentlecommerceinformel.

    Pendantleconflitarm:quandarriveunevaguedeloyalistes,lestrafiquantsachtentleursarmes.

    Aprsleconflit:oprationsdecontrebandeponctuellespetitechelle.

    Commercedefourmi.

    Dhiba-WazenDanslemassifduNefoussa,lafrontiretuniso-libyenne

    LestrafiquantsdeRemadaetdeDhibaencooprationaveclestrafiquantsdumassifduNefoussa(deNahlutprincipalement).

    Aprsleconflit:unevaguedelivraisonsenprovenancedeNahlut.

    Contrebandepetitechelle(chargementdunpick-up4x4aumaximum).

    Commercedefourmi.

    Sud du massif du NefoussaDupiedsuddumassifduNefoussaGhadams,lafrontireentrelaTunisie,laLibyeetlAlgrie

    OprationsdecontrebandeponctuellesmenespardesgroupesviolentscommeAQMIetalMuaqioonBiddam(Ceuxquisignentavecleursang).

    Ghadams-GhatlafrontireentrelaLibyeetlAlgrie

    Oprationsdecontrebandeponctuellesmenespardesgroupesviolents(alMuaqioonBiddam,parexemple)encollaborationavecdestribustouaregs.62

    Traficdarmesdeschellesvariesetdansdesquanti-tsvaries.

    Commercedefourmi(trocpratiquparlesTouaregs).

    des groupes rivaux saffrontent, comme ce fut le cas Ras Jedir et Dhiba, dans le cadre dune lutte entre rseaux de trafiquants pour affirmer leur suprmatie et sapproprier une partie du pouvoir autrefois dtenu par les services de scurit (Tabib, 2012; North Africa United, 2012; Reuters, 2012a). En mme temps, en Libye, les tribus de langue berbre et arabe du massif du Nefoussa ne se satisfont plus du rle dintermdiaire quelles ont jou jusque l et crent leurs propres rseaux avec leurs allis tribaux de la Jeffara (Tabib, 2012).65

    Du ct libyen, diffrents groupes contrlent des secteurs varis qui relient Ben Guerdane Tripoli, bien quil semble que les brigades de Zintan soient la force dominante dans la rgion. Le poste frontalier de Ras Jedir est contrl par un comit de scurit denviron 500hommes, essentiellement

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    Jmail

    ZintanJeduTiji

    Sabratha

    AbuKammash

    MatmataMareth

    Massif duNekrif

    Me r

    M d i t e r r a n e

    Golfe de Gabs

    AnSkhouna

    le deDjerba

    du C

    hambiMassif

    Tunis

    Tripoli

    Fernana

    Jendouba

    RouhiaKairouan

    ElKefSousse

    Bizerte

    Kasserine

    Gafsa

    Friana

    Redeyef

    Mtlaoui

    SidiBouzid

    SfaxBirAlibenKhalifa

    Nahlut

    Remada

    Tataouine

    Mdenine

    Gabs

    BenGuerdane

    Kbili

    Djerba

    Zouara

    M a s s i f d u N e f o us s a

    Zarzis

    Siliana

    Ghadames

    ElKsar

    Ras Jedir

    MashhadSalihTiji

    Dhiba Wazen

    I T A L I ESicile

    L I B Y E

    T U N I S I E

    ALGRIE

    Carte2 Itinraires emprunts par les trafiquants darmes

    Itinrairesempruntsparlestrafiquantsdarmes BenGuerdane

    DhibaWazen

    GhadamesGhat

    Suddumassif duNefoussa

    Commerceinformel

    Postedecontrle

    RgiondelaJeffara

    Frontireinternationale

    Capitalenationale

    Ville