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Survival les nouvelles 50-51 de la sibérie au sarawak les peuples indigènes en asie 6 www.survival-international.org pour les peuples indigènes Eté 2003

Survival les nouvelles 50-51

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Survivalles nouvelles

50-51

de la sibérie au sarawak les peuples indigènes en asie

6 €www.survival-international.org

pour les peuplesindigènes

Eté 2003

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Introduct ion 5

qui sont les peuples d ’asie?

Î les Andaman, Inde 11

un paradis en sursis

Papouasie, Indonésie 17

une brutale invasion

Sarawak, Malaisie 23

les gardiens de la forê t

Chi t tagong Hil l Tracts, Bangladesh 27

génocide dans les hi l ls t racts

Sibér ie, Russie 31

‘peti ts peuples ’ du nord

De la Sibérie au SarawakLes peuples indigènes en Asie

SOMMAIRE

Les Nouvelles de Survival n° 50-51

Abonnement : 13 €; soutien : 24 €

Responsable : J.-P. Razon

Rédaction, traduction : C. Cheret,

D. Dauzier, P.-A. Gendre, S. Ginel,

J.-P. Razon

Imprimerie : Corlet, Condé-sur-Noireau

ISSN : 1154-1210 CP : 72585

Dépôt légal : 2ème trimestre 2003

© Survival International (France) 2003

pour la version française

© Survival International 2002

Ce numéro spécial est la traduction de

‘Siberia to Sarawak. Tribal peoples of

Asia’ (ISBN 0-946592-21-7) publié par

Survival International (éditeurs : Sophie

Grig et Caroline Pearce)

Photo couverture : pêcheurs jarawa,

îles Andaman, Inde. © Salome/Survival

Survival Royaume-Uni6 Charterhouse Buildings

London EC1M 7ET

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F 020 7687 8701

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www.survival-international.org

Numéro spécial desNouvel les deSurvival

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Les peuples indigènes, en Asie comme dansle reste du monde, constituent généralementdes minorités en marge des populations domi-nantes. Ils parlent leur propre langue et sontpour la plupart autosuffisants. Leur économieest étroitement liée à la terre à laquelle ils sontintimement attachés. Leur culture est diffé-rente de celles des populations majoritairesdes pays où ils vivent, elle est héritée de leursancêtres et adaptée à leur situation actuelle.Bien souvent, ils occupent leur territoire depuisdes milliers d'années. Au-delà de ces obser-vations, il est difficile de trouver d'autres traitscommuns aux peuples indigènes d'Asie. Ilscomprennent une grande diversité de com-munautés, menant des modes de vie très dif-férents dans des milieux naturels extrêmementvariés. On compte parmi eux des éleveurs enSibérie arctique, des cultivateurs dans les mon-tagnes accidentées de Thaïlande et duBangladesh ou dans les forêts de Malaisie et dePapouasie, enfin des chasseurs-cueilleurs à tra-vers tout le continent, des terres glacées deSibérie jusqu'aux îles tropicales Andaman. Leurniveau de contact avec le monde extérieur esttrès variable : les peuples autochtones duSarawak, à Bornéo, ont par exemple mainte-nu des contacts continus depuis la colonisa-tion datant du XIXe siècle. En revanche, lesSentinele des îles Andaman n'ont aucuncontact amical en dehors de leur groupe. Danscertains endroits, comme en Papouasie, ledegré de contact peut considérablement varierà l'intérieur même du pays. Dans la plupartdes régions d'Asie, les peuples indigènes repré-sentent de petites minorités ; en Nouvelle-Guinée cependant, la totalité de la populationest autochtone, mis à part les colons qui sesont installés dans la partie occidentale de l'île,la Papouasie, à la suite de son occupation parl’Indonésie.

Violence

Oppression et marginalisation, tel est le vécuque partagent les peuples indigènes d'Asie.Ils endurent souvent une violence frontale :les pires atrocités recensées contre des peuplesautochtones au cours des dernières annéesont eu lieu en Asie. Le génocide continu per-pétré à l’encontre des communautés indigènesde Papouasie – où les forces armées indoné-siennes se rendent constamment coupablesde viols, tueries et tortures de villageois inno-cents – représente aujourd'hui la pire oppres-sion vécue par ces peuples à l'échelleinternationale. Contraintes aux travaux forcésen Birmanie, ces communautés redoutentconstamment les massacres perpétrés par l'ar-mée. Au Bangladesh, les Jumma ont dû résis-ter pendant près de 30 ans à une menacecontinue de génocide. La signature récented'un accord avec le gouvernement laisse entre-voir aujourd'hui l'espoir d'une issue favorable.

Les peuples indigènes d'Asie, parmi les plusisolés au monde, ont souvent été victimes deguerres qui ne les concernaient pas. Un grandnombre d'entre eux auraient succombé auxbombardements et à l'occupation des îlesAndaman par les Japonais entre 1942 et 1945.À l'heure actuelle, les conflits armés sont res-ponsables d'un nombre considérable de vic-times dans les communautés autochtones de

I N T R O D U C T I O N

Qui sont les peuples d’Asie?

‘NOUS NE POUVONS ATTENDRE. NOUS NE POUVONS ATTENDRE QUE SOIT TOTALEMENT DÉTRUITE LA TERRE DE NOS ANCÊTRES,QUE MEURE NOTRE CULTURE QUI EST SI PROFONDÉMENT ENRACINÉE DANS LA NATURE, UNE NATURE VIVANTE. NOUS NE POUVONS ATTENDRE PARCE QU’IL RESTE SI PEU D’ENTRE NOUS.’ Porte-parole udege, Sibérie 1998

Il existe encoreen Asie des tribusqui ne sont pas encontact avec lemonde extérieur.

Page de gauche :femme koryak,Kamchatka, Sibérie.© Paul Harris/Survival

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Chine, de Birmanie et de certaines partiesd'Indonésie ; ils l'ont été par le passé auVietnam, au Bangladesh et au Cambodge.

‘Développement’

S'ils échappent à de telles violences, cespeuples sont alors victimes du ‘développe-ment’ économique rapide de la région et de lamainmise des gouvernements et des multina-tionales sur leurs terres. Dans la plupart despays d'Asie où les droits territoriaux des peuplesautochtones sont reconnus, le gouvernementconserve le pouvoir d’outrepasser ces droitsau nom de l'‘intérêt économique’ national.Tous les projets, allant de la déforestation à laconstruction de barrages, peuvent trouver ainsiune justification, ce qui met en péril des mil-lions d'individus indigènes dont la terre est lacondition essentielle de leur survie. En Malaisie,par exemple, 10 000 personnes ont été expul-sées de leurs territoires pour la constructiond'un barrage hydroélectrique qui pourrait nejamais voir le jour. Aux Philippines, le tiers d’unterritoire, dont la majeure partie appartenait àdes peuples indigènes, a été octroyé à descompagnies minières. Pétrole en Sibérie, boisau Sarawak, ces projets de développementsont innombrables et dans chacun des cas lesdroits territoriaux des peuples indigènes sontimmanquablement bafoués au nom du déve-loppement économique, ce qui a des consé-quences dramatiques pour les communautés.

Intégration

Les gouvernements affirment souvent – parfoisde bonne foi – agir dans l'intérêt des peuplesconcernés. L'idée est largement répandue enAsie qu'il s'agit de populations ‘primitives’ et‘attardées’, à qui il faut imposer un autre modede vie, de force si cela s'avère nécessaire. Laspoliation de leur terre pour les besoins degros projets économiques, ou la violence queleur font subir les gouvernements trouventainsi une justification derrière laquelle se cachela volonté de les ‘assimiler’ et de les ‘intégrer’.Dans le cas des îles Andaman par exemple, lapopulation des Grands Andamanais a chutéde 5 000 à 41 individus en moins de 150 ans.Ceci est dû à des politiques désastreuses gui-dées par le paternalisme et la notion de ‘pro-grès’ qui promeut la sédentarisation etl'enseignement de l'agriculture au détriment dela chasse et de la cueillette. Survival œuvre

aujourd'hui pour s'assurer que ne soit pasréservé le même sort aux autres tribus des îles.

Dans la plupart des cas, les peuples indigènessont attaqués sur plusieurs fronts à la fois.Menacés de voir leur terre détruite par la plusgrande mine de cuivre et d'or au monde, lesAmungme et les Kamoro de Papouasie doi-vent également affronter les menaces de tor-ture et de mort proférées par les militairesindonésiens recrutés pour ‘protéger’ la mine.En Sibérie, la volonté du Soviet Suprême debâtir une société homogène conduisit à despolitiques d'assimilation – incluant notammentl’enlèvement à leurs familles d’enfants indi-gènes pour les placer dans des pensionnatsoù il leur était interdit de parler leur langue –qui engendrèrent un profond démantèlementculturel et social avec pour résultat une haus-se inquiétante des taux d'alcoolisme et de sui-cide. Au même moment, les industries d'Étatde gaz et de pétrole prenaient le contrôle desterres indigènes.

Résistance

Ces problèmes peuvent sembler insurmon-tables ; de nombreux peuples indigènes onttoutefois remporté des succès, ils sont, danscertains cas, parvenus à vaincre les difficultéset à résister aux menaces. Récemment, lesJarawa, un peuple isolé des îles Andaman enInde, ont vu leur situation évoluer considéra-blement. Ils étaient, d'une part, menacés par lapolitique de sédentarisation forcée du gou-vernement, qui aurait inévitablement eu pourconséquence leur extinction provoquée parles maladies, la dépression et le désespoir ;d'autre part, une route percée au cœur de leurterritoire apportait le danger quotidien de nou-velles maladies et de conflits associés auxcolons, braconniers et coupeurs de bois. Suiteà la campagne de Survival, la Cour suprêmeindienne a ordonné la fermeture de la route,l'expulsion des colons et de tout étranger auxterres indigènes ; enfin, elle a interdit touteexploitation forestière sur les îles. Il s’agit làde l’un des plus importants succès que Survivalait remporté dans son combat en faveur despeuples indigènes.

En 1997, les Jumma du Bangladesh, signèrentun traité de paix avec le gouvernement. Cetaccord reconnaissait pour la première fois leurterre comme ‘région de peuplement indigène’,

Les peuplesd'Asie ont surésister aux

menaces quegouvernements et compagniesfont peser surleurs terres et

leurs vies.

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ce qui leur a permis d'obtenir un certaincontrôle sur l'administration et la situation dela région. C'est là une avancée significative,même s'il est toujours difficile de rendre effec-tive une telle décision. Un porte-parole jummaa déclaré à Survival : ‘Cet accord est pour nousune étape positive… Nous sommes très recon-naissants à Survival et à la communauté inter-nationale d’avoir exercé une pression sur legouvernement du Bangladesh sans laquelle ilne se serait jamais assis à la table des négo-ciations’. Certaines campagnes de Survival ontégalement conduit à des succès en Indonésie,en Papouasie et en Sibérie où les terres indi-gènes ont été préservées des incursionsd'étrangers et sauvées de la destruction qu'au-rait engendrée leur exploitation pour le papier,le bois ou le pétrole qu’elles recèlent.

Peuples premiers

Les similitudes au sein du monde indigène nese limitent pas aux problèmes et aux luttes.En Asie comme ailleurs, les peuples autoch-tones partagent un attachement profond àleur territoire. C'est en général la perte et ladestruction de celui-ci qui est à l'origine desterribles difficultés qu'ils rencontrent. Souvent,ils y vivent depuis des milliers, voire des dizainesde milliers d'années. C'est pourquoi on dit

qu'ils sont les ‘indigènes’ de cette région : cequi signifie qu'ils ont été les premiers à occu-per ce territoire, bien avant que ne s'y installentd'autres peuples et d'autres tribus. L’usage duterme ‘indigène’ est pourtant controversé enAsie.

En Amérique ou en Australie, il est facile dedéfinir qui est indigène : ce sont ceux qui peu-plaient exclusivement ces terres jusqu'à l’arri-vée des colons, il y a seulement quelquessiècles ; ils se distinguent nettement des nou-veaux arrivants. Les peuples indigènes contem-porains sont les descendants de ceux qui ontsurvécu aux massacres, aux maladies et à l'op-pression, conséquences de la colonisation.Mais l'Asie a connu pendant près de 100 000ans des vagues successives de migrations, desorte que de nombreuses populations peuventvivre dans la même région depuis des milliersd'années, sans en être les ‘premiers’ habitants.Certains États prétendent ainsi ne pas compterde population indigène, tandis que d'autresestiment que l’ensemble de leur populationest indigène. Ces opinions controversées sonten majeure partie contestées par ceux qui sesentent une plus concrète légitimité à se reven-diquer indigènes. Selon des estimations desources indépendantes, l'Asie abriterait unepopulation indigène égale à un peu moins de

Jeune fille itel’men,Kamchatka, Sibérie.© Paul Harris/Survival

'Aucun État

asiatique ne

devrait perpétuer

l'existence de

groupes dont

l’anachronisme

humain ne

fascinera plus

que les

anthropologues

du XXIe siècle.' Commission pourune nouvelle Asie,1995

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la moitié de la population indigène mondia-le, soit 150 millions d'individus dont nombred’entre eux ont conservé un mode de vie ‘tra-ditionnel’.

Les Negrito de Malaisie, d'Inde, de Thaïlande,des Philippines et des îles Andaman sont lespeuples d'Asie qui correspondent le plus à cecritère : il se distinguent de la société domi-nante par leur mode de vie et leur relation par-ticulière à leur territoire. Des études récentessuggèrent que leurs ancêtres seraient arrivésd'Afrique il y a quelque 60 000 ans au cours demigrations vers l'Australie et la Nouvelle-Guinée, ce qui en fait de loin les tout premiershabitants de leur terre. Leur physionomie estdistincte de celles des peuples asiatiques qui lesentourent ; plus petits et de couleur plus fon-cée, les Negrito ont des cheveux noirs crépus.Certaines communautés negrito sont aujour-d'hui les plus isolées de la planète.

L'Inde considère officiellement l’ensemble desa population comme ‘indigène’, mais ellereconnaît néanmoins que certains groupesqu’elle appelle ‘scheduled tribes’ sont plus par-ticulièrement ‘tribaux’. Ces peuples sont pro-bablement les descendants des peuplesoriginels de la région. Quant aux ancêtres de lagrande majorité des Indiens d'aujourd'hui, engénéral de peau plus claire et de taille plusgrande, ils seraient arrivés par vagues migra-toires du nord-est, il y a des milliers d'années,repoussant les tribus qu'ils rencontraient dansles régions qui ne les intéressaient pas, et déci-mant probablement de nombreuses autres.Ceux qu'on nomme aujourd'hui ‘Intouchables’ou Dalits, pourraient bien être les descendantsde tribus qui furent de cette façon dépossé-dées de leur terre et de tout ce qui constituaitleur culture d’origine, excepté le mépris qu’ilssuscitaient.

Certains peuples indigènes d'Asie ne sont pro-bablement pas ‘indigènes’ au sens de premiershabitants. Aux Philippines, par exemple, lesNegrito ont par la suite été rejoints par desindividus d'origine malaise, qui composentdésormais la majeure partie de la population.Aujourd'hui, la culture philippine dominante estle produit de quatre siècles de colonisationeuropéenne. Certains Malais, pourtant, sontrestés à l'écart de cette société d'influencecoloniale, conservant une organisation socia-le et une culture spécifiques. Au même titreque les quelques communautés negrito quisurvivent encore, ces peuples sont considéréscomme indigènes, davantage pour leur modede vie que pour leur antériorité dans la région.D'autres peuples, tels par exemple ceux descollines de Birmanie et de Thaïlande quivenaient du nord et ont, dans certains cas,migré au cours des siècles récents, ne sont pasconsidérés comme les habitants originels desterres qu’ils occupent actuellement, mais ontmanifestement un mode de vie ‘indigène’.

Notre objectif

Ce document n'a pas l'ambition de présenterles peuples indigènes d'Asie de manièreexhaustive. Nous avons privilégié des peuplesdont les modes de vie sont très différents – ycompris parmi les plus isolés et ceux dont lasituation est la plus préoccupante – afin dedonner un aperçu des différences et des simi-litudes de modes de vie et d’expériences qui serencontrent chez les peuples indigènes d’Asie.

Des terres glacées de la toundra sibérienne,jusqu'aux forêts tropicales du Sarawak, lespeuples indigènes d'Asie refusent de baisserles bras devant la violence militaire, la des-truction de leur terre et les tentatives visant àles anéantir en tant que peuples. Au contraire,ils conservent des modes de vie originaux quileur permettent de vivre durablement dansleur milieu naturel. Ce document a pour ambi-tion de leur rendre hommage en donnant lapossibilité au lecteur d’agir en faveur de cespeuples – de les aider à protéger leurs vies,leurs terres et leurs mode de vie, et leur per-mettre de rester maîtres de toute décisionaffectant leur avenir.

Page de droite : Asmatde Papouasie. Les Asmat

vivent dans les BassesTerres de Papouasie.

Parmi les peuples indigènes du monde

entier, les Papous sontceux qui actuellement

subissent la pire oppression.

© JeanneHerbert/Survival

‘ILS VOULAIENT QUE JE LA FERME. MAIS J’AI CRIÉ ENCORE

PLUS FORT!... JE NE SAIS NI LIRE NI ÉCRIRE MAIS JE SAIS

CE QUI EST VRAI. JE NE CRAINS PERSONNE. JE ME SENS

INVINCIBLE.’ Mama Yospha Alomang, femme amungme, 2001

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Les peuples et leurs îles

Les îles Andaman sont situées à plus de 1 000kilomètres des côtes orientales de l’Inde, dansle golfe du Bengale. Elles comprennent plusde 500 îles, dont 27 seulement sont habitées.Quatre tribus y vivent : les Grands Andamanais,les Onge, les Jarawa et les Sentinele.

Selon la terminologie employée par les eth-nologues, ces quatre tribus sont des ‘négri-tos’; de récentes études ont révélé que leursparents les plus proches étaient Africains. Ilsont probablement quitté l’Afrique il y a desmilliers d’années, peut-être 60 000 ans avantnotre ère. Les langues de ces tribus n’étantpas intelligibles entre elles, on peut penser queces peuples ont vécu séparés les uns des autresaprès leur arrivée sur les îles. Il y a par contre denombreuses similarités dans le mode de viedes Jarawa et des Sentinele, deux commu-nautés qui n’ont presque pas eu de contactsavec le monde extérieur. Nous savons seule-ment que ce sont des chasseurs-cueilleursnomades, chassant les porcs sauvages et lesvarans (lézards-moniteurs), pêchant à l’arc et àla flèche, récoltant des racines, des baies etdu miel dans la forêt.

L’histoire de ces peuples est chargée de vio-lence vis-à-vis du monde extérieur mais éga-lement inter-communautaire. Les plus ancienstextes les concernant contiennent des des-criptions aussi fantasques qu’épouvantables :Marco Polo, par exemple, fait le récit d’indi-vidus ‘dont la tête, comme les dents et lesyeux, sont semblables à ceux des chiens’.

En 1858, les Anglais fondèrent une coloniepénitentiaire sur les îles Andaman. Depuis, lespeuples autochtones ont été l’objet d’attaquesincessantes de la part des Anglais tout d’abord,puis des colons indiens. Après cette périodede colonisation, la population indigène quis’élevait à près de 8 000 personnes, ne comp-te plus aujourd’hui que 400 à 800 individus,écrasés par une population majoritaire de350 000 habitants. Les îles sont à présent unterritoire de l’Union Indienne, administré direc-tement par le gouvernement de New Delhi.

Si les dernières forêts humides des îlesAndaman sont occupées par des communau-tés indigènes, cela n’a rien de fortuit : sansleur forêt, les tribus andamanaises ne peuventsurvivre. Et réciproquement, la forêt pluvialeaurait probablement déjà été abattue si ellen’était peuplée par ces communautés.

Les Andamanais

À l’arrivée des Anglais il y a 150 ans, les GrandsAndamanais représentaient une populationde 5 000 personnes, il ne sont plus aujour-d’hui que 41. Les Andamanais se montrèrenttrès hostiles aux colons anglais qui abattaientles arbres, volaient leur terre et tuaient leurgibier. Face aux réactions violentes des tribus,les Anglais réagirent encore plus violemment etmassacrèrent des centaines d’autochtones.Après plusieurs années, les colons cessèrentles combats pour utiliser d’autres méthodestout aussi meurtrières. Dans la capitale PortBlair, ils établirent un ‘Refuge des Andamanais’où les autochtones faits prisonniers, étaient

I L E S A N D A M A N, I N D E

Un paradis en sursis

À l’exception des

membres de la

tribu, personne ne

parle la langue des

Jarawa – de sorte

que nul ne peut

réellement

présumer du

message qu’ils

veulent adresser au

monde extérieur.

Une fois que nous

serons à même de

communiquer avec

eux, espérons qu’il

ne sera pas trop

tard, que nous

n’assisterons pas à

la fin d’un peuple

qui a perdu sa terre

et son mode de vie

traditionnel.

Page de gauche :Jarawa, îles Andaman.© Salome/Survival

Page 12: Survival les nouvelles 50-51

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détenus. Ils y étaient bien traités et recevaientmême des présents. On les renvoyait dans laforêt avec l’espoir qu’ils feraient part du bontraitement qu’ils avaient reçu. Cette politiqueeut les résultats escomptés – mais le Refugedes Andamanais ne fut pas le havre de paixqu’on avait annoncé, il devint un véritableinstrument de génocide. Maladies et mauvaistraitements y régnaient ; des 150 enfants nésdans ce refuge, aucun ne survécut au-delà del’âge de deux ans. En 1901, il ne restait que625 Andamanais, soit seulement 12 % de lapopulation présente avant la colonisation. En1931, ils étaient 90. En 1970, les autoritésindiennes transférèrent la vingtaine d’indivi-dus restants sur l’îlot de Strait Island où ilsdépendent depuis entièrement du gouverne-ment pour leur nourriture, leur habillement etleur habitat.

Les Onge

Il ne reste aujourd’hui que 99 Onge ; la réser-ve qu’ils occupent sur la Petite Andaman,couvre moins du tiers du territoire qu’ils occu-paient originellement. Leur population a, elleaussi, tragiquement diminué de plus de 85 %au cours de ce dernier siècle. À l’instar desAndamanais, les Onge, autrefois indépendantset auto-suffisants, ont été contraints d’accep-ter une situation de dépendance vis-à-vis del’administration. Le gouvernement indien aétabli une plantation et a tenté de forcer lapopulation à y travailler pour obtenir nourritureet logement – ce qui aurait constitué uneforme de servage ou d’esclavage. Mais la majo-rité des Onge a refusé de travailler dans laplantation et le gouvernement a dû poursuivrela distribution de rations.

Page 13: Survival les nouvelles 50-51

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Les Onge s’auto-dénomment ‘En-iregale’, cequi signifie ‘homme parfait’. Les femmes ongecouvrent les hommes de terre glaise blanchelors de grandes occasions telles qu’un mariageou la célébration d’une chasse réussie; la tribupense que les peintures corporelles ont le pou-voir de chasser la douleur et d’éloigner lesmoustiques. La chasse aux porcs est impor-tante dans la vie des Onge, son aspect pra-tique revêt également une significationculturelle et sociale. Pour que les rites d’initia-tion qui feront d’eux des hommes puissentavoir lieu, les garçons doivent capturer un porcmâle. Avec l’arrivée d’étrangers dans la région,le cheptel a diminué, ce qui rend impossiblele mariage d’un grand nombre de jeunes.

Bien qu’ils soient poursuivis par leur réputa-tion de ‘primitifs’ ayant grand besoin d’être

‘civilisés’, les Onge, comme les autres popu-lations andamanaises, maîtrisent parfaitementl’art de vivre dans leurs forêts tropicales. Ledépartement de la Pêche du gouvernementindien avait affecté un inspecteur et deuxpêcheurs chez les Onge pour leur enseignerles méthodes de pêche modernes. Lespêcheurs ne furent pas longs à reconnaîtreque c’étaient eux qui avaient beaucoup àapprendre des Onge sur la manière de pêcherdans leurs eaux.

Les Jarawa

‘Jarawa’ signifie ‘les étrangers’ ou ‘les autres’dans la langue des Andamanais. Il semble queles Jarawa eux-mêmes se nomment ‘Ya-eng-nga’. À la différence des Onge et des GrandsAndamanais, ils sont restés volontairement

Jarawa des îlesAndaman.

© Salome/Survival

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isolés des colons qui se sont installés sur leursîles au cours des 150 dernières années, fai-sant preuve d’une hostilité constante enversces envahisseurs qui empiétaient sur leurs terreset chassaient leur gibier. En 1974, le gouver-nement indien a établi un système mensuelde ‘groupes de contact’ avec des Jarawa –mais les autochtones n’ont jamais autorisé lesautorités à pénétrer dans leurs forêts ou à s’ap-procher d’eux par voie terrestre, et eux-mêmesse sont abstenus de toute visite.

Vers la fin de l’année 1998, pourtant, lesJarawa ont commencé à sortir de leurs forêtspour se rendre dans les villages sans arcs niflèches. De ce qu’il fut compris de leur langueencore mal connue, il apparut que la pressionexercée par les braconniers qui sévissent lelong des côtes a contraint les Jarawa à sedéplacer de plus en plus loin vers l’intérieur,ce qui les a conduits à la route principale etaux villages. Cette évolution les expose à degraves dangers. D’une part, ils ne possèdentaucune immunité contre des maladies aussibénignes pour nous que le rhume ou la grippe,mais qui peuvent se révéler mortelles pour eux.Une épidémie pourrait tout à fait anéantir latribu entière en l’espace de deux mois. D’autrepart, ils courent le risque de perdre leurs terres.Pour les autres peuples andamanais, telle fut laconséquence du premier contact amical établiavec des étrangers. C’est essentiellement laréputation belliqueuse des Jarawa qui, jusquelà, avait préservé leurs terres de la colonisa-tion. Aujourd’hui cette réputation s’efface, etde lourdes menaces pèsent sur leurs terres.

Les Sentinele

La population sentinele compte, à ce que l’onsait, entre 50 et 200 individus. Ils n’ont établiaucun contact amical avec le monde extérieur.Ils vivent sur leur propre île d’une superficiede 47 km2 et s’attaquent à quiconque s’enapproche. Le gouvernement indien a vaine-ment tenté, à plusieurs reprises, d’entrer encontact avec eux ; dernièrement pourtant,aucune nouvelle tentative n’a eu lieu. Survivalpense que cela doit continuer : le droit desSentinele à s’abstenir de tout contact – et leursouhait clairement exprimé qu’il en aille ainsi –doit être respecté.

L’avenir

La pression monte sans cesse pour que toutesces tribus soient assimilées à la société indien-ne dominante – surtout dans le cas des Jarawa

‘Moi, je suis civilisé, pas eux.’Un juriste indien prônant la sédentarisation forcée des Jarawa, 2001.

L’archipelandaman

compte prèsde 500 îleset s’étend

sur environ450 km delong pour

unemoyenne de

seulement24 km de

large.

Les Onge vivent à Little Andaman,quelque 50 km plus au sud.

Port Blair

SUD ANDAMAN

Jarawa

Grands Andamanais

Granderouteandamane

MOYEN ANDAMAN

NORD ANDAMAN

INDE

BIRMANIE

Golfe du Bengale

SRI LANKA

ÎLES

ANDAMAN

Sentinele

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qui ont établi quelques premiers contacts ami-caux. S’ils sont contraints de quitter leur terri-toire et de mener une existence sédentaire,les Jarawa se retrouveront dépendants del’administration ; pour autant bien sûr qu’ilssurvivent aux maladies et au découragement,le prix que payent régulièrement les popula-tions autochtones lors de tout processus forcéde sédentarisation. Il pourrait en aller de mêmepour les Sentinele. À l’heure actuelle, la cam-pagne de Survival en faveur des Jarawa a eudes répercussions considérables : la Haute Coura provisoirement interrompu les projets dugouvernement local visant à sédentariser deforce les Jarawa. La Cour Suprême, quant àelle, a ordonné la fermeture de la route quitraverse leur territoire et qui amenait colons,

coupeurs de bois, braconniers – et les maladiesdont ils étaient porteurs. Elle a également inter-dit l’abattage de tout arbre sur les îlesAndaman ainsi que le transfert hors de larégion de tous les colons établis sur les terresindigènes ou dans les forêts. C’est là l’une desplus grandes réussites de toute l’histoire deSurvival. Il faut pourtant que la campagne sepoursuive jusqu’à ce que ces décisions soientpleinement exécutées et que l’ordre provisoi-re de cesser les projets de colonisation devien-ne permanent. Les droits des peuplesandamanais doivent être reconnus et garantis– ils doivent pouvoir décider eux-mêmes deleur propre mode de vie et de leur avenir ; ilsdoivent obtenir la propriété exclusive et lecontrôle de leurs terres et de leurs forêts.

Rencontre avec desfemmes jarawa, îles Andaman. © Salome/Survival

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‘IL NE ME RESTE PLUS QUE LE NOM “AMUNGME”. LES MONTAGNES, LES RIVIÈRES, LES

FORÊTS, TOUT AUJOURD’HUI APPARTIENT À FREEPORT ET AU GOUVERNEMENT. IL NE ME

RESTE RIEN.’ Aîné amungme, 1995

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Les peuples et l’îleLa Papouasie occidentale – anciennementnommée Irian Jaya par les Indonésiens – formela moitié occidentale de l’île de NouvelleGuinée; l’autre partie est occupée par l’Étatindépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée.L’île est la troisième du monde par sa superfi-cie et présente une extraordinaire diversitéculturelle et linguistique : ne comprenant que0,01 % de la population mondiale, elle abritepourtant 15 % des langues parlées sur laplanète.

La Papouasie elle-même compte environ 2,2millions d’habitants appartenant à 312 tribusdifférentes, dont certaines ne comptent pasplus de quatre individus. Avant un recense-ment effectué en 2000, seules 250 tribusétaient connues et il est probable que de nom-breuses encore demeurent sans contact avec lemonde extérieur. Tous les peuples indigènesde Papouasie sont des Mélanésiens dont lesorigines ethniques culturelles et linguistiquessont distinctes des Indonésiens, d’originemalaise, qui les gouvernent depuis Djakarta, à4 800 km de là. Ils ne se sentent absolumentpas Asiatiques.

On peut divisier en deux zones distinctes laPapouasie et ses habitants : les Hautes Terres etles Basses Terres. La cordillère centrale abrite lestribus des Hautes Terres, qui sont parfoisconnues sous le nom de Kotekas, d’après lesgourdes creuses que les hommes portent surleur pénis. Ces tribus élèvent des porcs domes-tiques et cultivent la patate douce; elles com-prennent les Amungme, sur la terre desquelsa été édifiée la gigantesque mine de Grasberg,

et les Dani de la vallée de Baliem. Les peuplesdes Basses Terres, tels les Asmat et les Kamoro,vivent dans les régions côtières marécageuseset paludéennes qui abritent un gibier abon-dant et des végétaux sauvages (sagoutiers).

HistoireLes Hollandais colonisèrent la Papouasie en1714 mais leur présence sur place fut toujoursinsignifiante. Quand ils cédèrent leur coloniedes Indes orientales à l’Indonésie lors de l’in-dépendance de celle-ci en 1950, ils n’y inclu-rent pas la Papouasie occidentale, qui n’avaitaucun lien géographique ou ethnique avec lereste de l’Indonésie, visant au contraire à lapréparer à sa propre indépendance. Les Papousse choisirent un nom (Papouasie), un drapeauet un système politique. Pourtant, lesIndonésiens exigèrent que les Hollandais leurcèdent la totalité de leur ancienne colonie –faute de quoi ils menaçaient de s’en emparerde force, avec l’appui de l’Union soviétique.En 1962, sous la pression des États-Unis quiredoutaient une alliance entre Indonésiens etSoviétiques, les Hollandais acceptèrent unaccord mis en place sous l’égide des Nations-Unies. Selon les termes de l’accord, celles-ciadministreraient la ‘Nouvelle-Guinée occiden-tale’ jusqu’à la tenue d’un référendum appe-lé ‘Acte de libre choix’. Dans ce référendum, lesPapous étaient censés choisir entre indépen-dance et rattachement à l’Indonésie.

En 1963, les Nations-Unies remirent le terri-toire à l’Indonésie qui le rebaptisa Irian Barat,ce qui signifie ‘terre chaude de l’ouest’, avantde le renommer Irian Jaya, soit ‘terre chaudevictorieuse’ en 1973; elle accepta finalement

PA P O U A S I E, I N D O N É S I E

Une brutale invasion

‘Vous pouvez me tuer, mecouper la tête si vous voulez,mais mon corps retournera surcette terre. Elleest nôtre.’Papou emprisonnéaprès un conflit territorial, vers 1980.

Page de gauche :femme asmat,Papouasie.© JeanneHerbert/Survival

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en 2002 de reconnaître le nom de Papouasie.En 1969, le vote sur ‘l’Acte de libre choix’ eutfinalement lieu. Les autochtones le désignentdepuis du nom d’‘Acte sans choix’, car seuls1025 Papous triés sur le volet furent autorisésà voter, certains littéralement avec le fusil surla tempe. C’est donc sans surprise qu’ils optè-rent unanimement pour le rattachement àl’Indonésie.

Le mécontentement populaire qui suivit l’an-nexion à l’Indonésie mena à la formation d’unmouvement indépendantiste armé, OrganisasiPapua Merdeka (OPM – Mouvement pour unePapouasie libre), toujours actif aujourd’hui. Il fitles gros titres de la presse internationale en1996 lorsqu’il prit en otages, pendant quatremois, un groupe de scientifiques européenset indonésiens. Deux Indonésiens furent tuéslors de la libération des otages par l’arméeindonésienne.

La politique de transmigrationLe programme de transmigration du gouver-nement indonésien vise à déplacer des mil-lions de gens depuis les îles densémentpeuplées du centre de l’archipel vers les îlesextérieures comme la Papouasie. Un tel pro-gramme présuppose l’existence de vastesespaces de terres inexploitées sur ces îles, alorsqu’en réalité elles sont occupées par despeuples indigènes qui en dépendent pour leursurvie. Ce programme a aussi un autre but,aussi sinistre que raciste : l’‘indonésianisation’des peuples autochtones. Des représentantsdu gouvernement ont parlé de ‘faire dispa-raître les Papous par métissage’. Le gouver-neur de Papouasie, quant à lui, a déclaré que‘[le métissage] donnera naissance à une nou-velle génération d’enfants sans cheveux frisés,ouvrant ainsi la voie à plus de beauté.’

Bien que la politique officielle de transmigrationse soit ralentie ces dernières années, les migra-tions spontanées demeurent un grave problè-me pour les peuples indigènes de Papouasie.L’arrivée par bateau, chaque semaine, de cen-taines de colons, marginalisent encore davan-tage les Papous dans leur propre pays.

Grasberg L’exploitation des ressources naturelles est l’undes problèmes majeurs auxquels sont confron-

tés les peuples de Papouasie. Située au centrede la partie méridionale des Hautes Terres, latristement célèbre mine de Grasberg est la plusgrande mine de cuivre et d’or au monde, géné-rant des profits de plus d’un million de dollarspar jour. La compagnie américaine FreeportMcMoRan en possède plus de 80% des parts;le gouvernement indonésien et la compagnieanglaise Rio Tinto y ont aussi des intérêts finan-ciers. La mine a eu un impact dévastateur nonseulement sur les Amungme des Hautes Terres,dont elle occupe une partie du territoire, maisaussi sur les Kamoro des Basses Terres qui souf-frent des effets causés par les déchets de lamine. Au cours des 35 dernières années, lesAmungme ont vu leur montagnes sacréesdétruites par la mine et n’ont pu qu’observer,impuissants, leurs proches se faire tuer par lessoldats indonésiens venus protéger le site.D’autre part, ce sont plus de 200 000 tonnesde déchets qui sont chaque jour déversés dansles cours d’eau des Kamoro. Ni les uns ni lesautres n’ont vu leurs droits reconnus ou béné-ficié de compensations adéquates.

Freeport est active dans la région depuis 1967.Depuis lors, nombre d’Amungme qui vivaientà proximité de la mine ont été déplacés versdes villages des Basses Terres, où ils souffrentde maladies telles que la malaria. Les terres etles forêts des Amungme sont aussi soumises àdes pressions exercées par les nouveaux arri-vants venus dans la région en quête de tra-vail. Les Kamoro, eux aussi, ont été déplacés enraison de la pollution faisant déborder leursrivières et tuant non seulement les poissons,mais détruisant aussi les sagoutiers qui sontleur première source de nourriture. Le projet deFreeport d’agrandir la mine, grâce aux 750millions de dollars de capital apportés par lacompagnie anglaise Rio Tinto, entraînera undésastre encore plus grand pour les Amungmeet les Kamoro.

La mine est présentée comme un ‘projet vital’par le gouvernement indonésien qui fournitdes soldats pour la protéger. En conséquen-ce, la zone entourant la mine est devenue l’unedes régions les plus militarisées d’Indonésie –entraînant de terribles violations des droits del’homme. Des habitants de la région ont décla-ré que le personnel de sécurité engagé direc-tement par Freeport a été mêlé aux assassinats,

‘Si vous leurdemandez s’ils

sont d’accordpour quitter la

région, bien sûrqu’ils le seront :parce qu’on leura mis un pistolet

sur la tempe.’ Un leader

amungme, à propos du

déplacement forcé deson peuple par la mine

de Freeport, 1997

Page de doite :chasseurs amungme,

Papouasie.© Jeanne

Herbert/Survival

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LES AMUNGME : UN PEUPLE DISTINCT

Les Amungme sont un peuple de la région centrale des Hautes Terres; dans leur langue, leterme Amung signifie ‘le peuple premier’ ou ‘le vrai peuple’. Comme les autres tribus dePapouasie, ils veulent être reconnus comme peuple distinct.

Hommes et femmes vivent dans des maisons séparées et les femmes avec leurs enfants.La réciprocité est l’un des quatre principes fondamentaux qui régissent la vie desAmungme. D’où l’immense colère ressentie face à l’attitude des compagnies minières quine manifestent aucune réciprocité envers eux. Les Amungme ont donné territoire, cuivre etor et n’ont quasiment rien reçu en échange. Selon les lois amungme, la terre ne peut êtrevendue, et tout propriétaire est en droit de jouir des bénéfices qu’elle rapporte – que cesoit des patates douces, du cuivre ou de l’or.

Il existe de nombreux tabous concernant ce qui peut être détruit ou non, toutes cespratiques fonctionnent comme un mode de conservation efficace de la forêt. Mais lescompagnies minières ont enfreint nombre de leurs tabous et saccagé une grande partie de leurs terres sacrées, notamment les sommets montagneux et les glaciers où lesAmungme pensent que réside l’esprit de leurs ancêtres.

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ARMÉE Meurtres, viols, massacres, torture ... l’histoire terrifiante de l’armée indonésienne recense les plushorribles violations des droits fondamentaux du peuple papou. De tous les crimes perpétrés à l’encontre des peuples indigènesdans le monde entier, à l’époque moderne, c’est le traitement reservé aux Papous par l’armée indonésienne qui se démarque pourl’étendue et l’atrocité de ses crimes.En 1977, les Indonésiens lancèrent une violente action militaire contre les peuples des Hautes Terres centrales; l’opération futbaptisée ‘Opération anéantissement’. L’armée de l’air bombarda certains villages et en occupa d’autres, tirant à l’aveuglettesur les populations. Des dirigeants indigènes, présumés sympathisants de l’OPM (mouvement de libération de la Papouasie)furent jetés dans le vide, ‘pour l’exemple’, depuis des hélicoptères survolant la vallée du Baliem. Les rivières se remplirent decadavres et presque toutes les familles des Hautes Terres perdirent au moins un membre, certaines d’entre elles furent totalementexterminées.

A présent, les militaires opèrent avec un peu plus de discrétion et l’armée a interdit à toute personne étrangère, y compris aux Papous,de s’approcher des régions où se déroulent ses opérations. Toute nouvelle information qui parvient de la région suggère pourtantque les violences restent terribles, même si elles n’ont plus l’ampleur de celles de la fin des années 1970. L’Église, ainsi que deséquipes de défense des droits de l’homme, ont découvert les preuves de meurtre, d’enlèvement et de torture de personnesinnocentes, en représailles d’une sympathie réelle ou non, pour le mouvement d’indépendance. Dans des zones où opère l’armée,on sait que des centaines de personnes sont mortes de faim ou de maladie, terrorisées par la présence des soldats, elles n’avaientpas osé sortir de leurs cachettes pour aller chasser ou recueillir de la nourriture. Des femmes et des fillettes âgées de trois ansà peine furent systématiquement victimes de viols, collectifs ou non.

Au cours d’un autre épisode, en juillet 1998, l’armée et la police indonésiennes ouvrirent le feu sur un groupe de manifestantsfavorables à l’indépendance, rassemblés pacifiquement autour du drapeau interdit de Papouasie sur l’île de Biak. Les survivantsfurent faits prisonniers. Des témoins occulaires qui parvinrent à s’enfuir ont par la suite rapporté que des gens furent embarquéssur des navires militaires et emmenés au large avant d’être exécutés par balle puis jetés à la mer, alors que des femmes étaientviolées puis mutilées sexuellement avant d’être, elles aussi, jetées par dessus bord. Le nombre exact de personnes tuées n’estpas connu à ce jour car beaucoup n’ont pas osé signaler les disparitions. Il est toutefois certain que huit personnes furent tuées,trois portées disparues – mais beaucoup craignent d’avoir à déclarer la disparition d’un proche. De plus, 32 corps, dont certainshorriblement mutilés et d’autres avec les mains encore attachées, furent rejetés sur les rivages de l’île peu après ces événements.D’autres, probablement, ne seront jamais découverts.

Au total, on peut estimer que 100 000 Papous ont été tués par les forces armées indonésiennes depuis 1963.

RACISMELes atrocités commises à l’encontre des Papous, sont dans leur quasi totalité motivées par un racisme profondément ancré à tousles niveaux de la société. Le racisme n’est pas seulement une offense faite au peuple papou, il est surtout utilisé pour justifierl’appropriation de leurs terres et la mort d’un nombre de personnes que l’on estime à près de 100 000. Le génocide continue.

Le postulat raciste qui suppose que les Papous sont des êtres ‘primitifs’, incapables de décider eux-mêmes de leur avenir, adans un premier temps conduit la communauté occidentale à autoriser la manipulation indonésienne du référendum sur laquestion de l’indépendance. Le résultat de cela n’est pas moins de 30 années d’oppression et de brutalités perpétrées parl’Indonésie.

‘Je ne peux pas m’imaginer les Etats-Unis, le Japon, la Hollande ou l’Australie mettre en danger leurs... relations avec l’Indonésiesur des questions de principe concernant un nombre relativement limité d’individus extrêmement primitifs’ Diplomate britannique, 1968

Le point de vue raciste qui voudrait voir ‘disparaître les Papous par métissage’ en installant en Papouasie des personnes, ‘pluscivilisées’, venues de l’extérieur, a conduit le gouvernement indonésien à mettre en place la désastreuse politique de transmigration.En plus de l’expulsion des Papous de leurs terres, elles risquent également de les rendre minoritaires dans leur propre pays.

‘[La transmigration] était problablement le seul moyen d’assimiler ces individus primitifs, attardés, datant encore de l’âge de pier-re, au développement indonésien.’ Mochtar Kusamaatmadja, ministre du gouvernement, Indonésie, 1985

La croyance raciste selon laquelle les Papous ne seraient guère plus que des animaux est utilisée par les soldats indonésiens pourjustifier leurs terrifiants actes de violence.

‘Nous ne pouvons rien faire. Tout le monde sait ce que fait l’armée. Ils nous tuent comme des bêtes. Si l’on proteste, d’autres personnesencore seront assassinées.’ Famille du jeune Weni Tabuni, assassiné, 1997

Cette conviction raciste de l’infériorité des Papous permet aux compagnies internationales d’ignorer leurs droits sur des terres qu’ilsoccupent depuis 40 000 ans.

‘Les étrangers ne nous considèrent pas comme des êtres humains mais comme des créatures dont la suite de l’évolution devraitenfin mener à l’étape d’humain. C’est pour cette raison que ces personnes, et plus particulièrement les compagnies et le gouver-nement indonésien, nous traitent comme des animaux, et usent de mesures brutales et cruelles.’ Tom Beanal, chef Amungme, 1999

‘En Papouasie occidentale, les massacres sont motivés par le racisme’ John Rumbiak, militant des droits de l’homme, 2001

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aux tortures et aux disparitions qui ont eu lieuautour de la mine.

Freeport poursuit par ailleurs ses prospectionssur presque tout l’ensemble de la cordillèrecentrale, au point que de nombreuses autrestribus craignent de perdre leurs terres et, avecelles, le mode de vie qu’elles ont toujoursmené. Les projets de déboisement, de plan-tations d’éléis (palmier à huile), de constructiond’une route à travers la région et d’édificationde centrales hydroélectriques sont autant demenaces supplémentaires pesant sur lesPapous.

L’avenirEn dépit des innombrables problèmes quiassaillent les peuples de Papouasie, l’espoir estencore là. Certains des plus sinistres projetsde ‘développement’ ont pu être stoppés grâceà l’action combinée de groupes d’oppositionmenée au niveau local et de campagnes inter-nationales. Survival a par exemple soutenu lesAuyu dans leur combat contre la constructiond’une usine de pâte à papier par la compa-gnie Scott Paper qui aurait eu un effet dévas-

tateur sur leur environnement et leur vie quo-tidienne : Scott Paper a renoncé à son projet.Par ailleurs, une campagne de plusieurs annéesmenée par Survival et d’autres organisations afinalement amené la Banque mondiale à inter-rompre le financement du programme detransmigration, ce qui a permis un ralentisse-ment du processus et une diminution dunombre de migrants s’installant en Papouasie.Les peuples autochtones de Papouasie s’or-ganisent afin de se dresser contre l’oppres-seur. Les représentants indigènes de la régionentière se sont réunis en 2000 pour former le‘Conseil présidentiel’ (Presidium Council). Ceconseil, associé à d’autres leaders politiques,exerce aujourd’hui une pression pour trouverdes solutions pacifiques aux problèmes de laPapouasie.

La voix des peuples indigènes de Papouasies’élève à l’unisson pour revendiquer de plusen plus fort leur accession à l’indépendanceet leur droit de décider eux-mêmes de leurpropre avenir et de vivre en paix sur leurs terres.

Petite fille dani. Sonpeuple a probablementsouffert plus qu’aucunautre durant l’’Opérationanéantissement’ menéepar l’armée indonésien-ne en 1977. © JeanneHerbert/Survival

La Nouvelle-Guinée ne comprend que0,01% de lapopulation mondiale, elleabrite pourtant15% des langues parlées sur la planète.

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‘LE GOUVERNEMENT PENSE QUE NOUS SOMMES DES ANIMAUX, COMME CEUX DE LA FORÊT.

NOUS NE SOMMES PAS DES BÊTES SAUVAGES. NOUS SOMMES DES PENAN. DES ÊTRES

HUMAINS. MOI, JE SAIS BIEN QUE JE SUIS UN HOMME.’ Un penan, 1997. © Payne/Survival

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Les peuples et l’îleLe Sarawak est situé sur la côte occidentale del’île de Bornéo, le plus grand des États de lafédération de Malaisie et l’un des plus riches enressources naturelles. Le Sarawak disposed’abondantes nappes de gaz naturel et depétrole, et une grande partie du sol est cou-verte d’une épaisse forêt humide. Cette forêtn’abrite pas moins de 200 000 autochtones.D’autres personnes d’origine indigène viventégalement en ville, de sorte qu’au total, lesautochtones forment presque 50 % des 2 mil-lions d’habitants du Sarawak. Mais ce sont lesMalais, derniers arrivés sur l’île de Bornéo, quidominent le système politique du Sarawak,tandis que le commerce et l’industrie sont auxmains de personnes d’origine chinoise.

Les peuples indigènes du Sarawak peuventêtre divisés en deux groupes : les tribus séden-taires qui occupent de longues maisons com-munautaires et pratiquent l’agriculture (dont lesIban, les Kenyah et les Kelabit, connus collec-tivement sous le nom de Dayak ou d’OrangUlu) et les Penan, peuple nomade ou ancien-nement nomade, qui vivent de la chasse et dela cueillette. La majeure partie des Penan estaujourd’hui semi-sédentarisée et pratique unpeu d’agriculture en plus de la chasse et de lacueillette, mais il reste environ 300 personnesqui mènent une existence exclusivement noma-de. La terre et ses ressources sont essentiellesà la survie des peuples indigènes du Sarawak,elles leur procurent non seulement leursmoyens d’existence mais sont également étroi-tement liées à leurs croyances religieuses et àleur conceptualisation du monde.

Les Dayak sédentaires vivent dans de longuesmaisons (longhouses) abritant chacune une

communauté villageoise entière. Chaque famil-le occupe une pièce séparée et toutes cespièces ouvrent sur un espace commun. Chaquecommunauté, établie dans une de ces longuesmaisons, partage une vaste zone de terre col-lective où elle pratique la chasse et la collectedes produits de la forêt. Ce territoire formeaussi une réserve pour les mises en culture àvenir. La propriété privée de la terre n’existepas dans la société dayak; celui qui cultive unlopin y obtient automatiquement des droits.

Les communautés sédentaires se déploient lelong des fleuves et de leurs affluents qui leurfournissent le poisson dont ils ont besoin. Cescours d’eau, qu’ils sillonnent en pirogues, repré-sentent également leur principal moyen decommunication. De nombreuses communau-tés pratiquent ce qu’on appelle une agricultu-re itinérante. Après avoir défriché un secteur deforêt, elles y plantent des espèces indigènes,puis, après deux ans, laissent la forêt reprendreses droits et vont défricher une nouvelle zone.Malgré toutes les critiques dont ce système apu faire l’objet, c’est la plupart du temps laseule méthode de culture viable sur les sols dela forêt tropicale.

Les Penan sont un peuple nomade, pourtant ungrand nombre d’entre eux est aujourd’hui par-tiellement sédentarisé. Leur territoire, traver-sé par un dédale de sentiers de chasse ou detroc, est défini par ses ruisseaux, rivières, rocherset montagnes qui tous portent des noms indi-gènes. À l’intérieur de ce territoire, personne nepossède aucun lopin individuellement, mêmesi certains arbres fruitiers ou bosquets desagoutiers peuvent avoir un propriétaire unique.La société penan est une société non violenteet égalitaire qui ne connaît pas de hiérarchie et

S A R AWA K, M A L A I S I E

Les gardiens de la forêt

‘En penan, on dit :

“comme un

poisson sorti de

l’eau”. C’est

exactement la

façon dont le

‘développement’

du gouvernement

nous affecte.

Nous n’en

retirons aucun

bénéfice, nous ne

pouvons même

plus bouger.

Nous ne pouvons

plus respirer.

Nous mourons.

Ce que nous

voulons c’est

notre forêt. Nous

ne réclamons pas

la forêt entière –

nous n’en voulons

qu’un peu, juste

assez pour

subvenir à nos

besoins.’Johnny Lalang, 2002

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Les conflits sont si rareschez les Penan que les

lieux où ils se produisirent sont

toujours présents dansleur mémoire même

après plusieurs décennies.

© Robin Hanbury-Tenison/Survival

Le partage va desoi dans la

société penan,leur langue neconnaît pas le

mot ‘merci’.

dans laquelle personne ne peut forcer qui-conque à faire quoi que ce soit. Les enfantssont des membres à part entière de la sociétéet même leurs parents ne peuvent lescontraindre à faire quelque chose. Au coursd’une conversation, jamais un Penan n’en inter-rompt un autre, et personne ne crie. Le partageva de soi dans la société penan, leur languene connaît pas le mot ‘merci’ et un chasseur nesaurait manger ne serait-ce qu’une bouchéede plus que ce qu’il donne aux autres, quelleque soit la taille de la proie.

Les Penan dépendent grandement du sagou-tier, un palmier sauvage à croissance rapide.Ils abattent les arbres et déchiquètent le boisdont ils extraient la moelle qui, une fois filtrée,leur procure l’amidon dont ils font leur farine.Nourriture de base des Penan, elle est com-plétée par le gibier et les fruits sauvages, cequi constitue un des régimes alimentaires lesplus équilibrés de la planète.

La colonisationEn 1839, James Brooke, un aventurier anglais,débarqua à Bornéo et y fonda son royaumepersonnel qu’il baptisa Sarawak. Il y établitune dynastie de ‘Rajahs blancs’ qui mit unterme à l’occupation japonaise durant laSeconde Guerre mondiale. En 1946, leSarawak revint à la couronne britannique, puisen 1963, fut inclus dans la fédération des États

de Malaisie. Aujourd’hui, le Sarawak fait tou-jours partie de la Malaisie.

Le gouvernement malaisien poursuit une poli-tique de sédentarisation des Penan nomades,persuadé que le nomadisme est un mode devie primitif, en opposition à une vie d’agricul-teur plus ‘développée’. Seuls quelque 300Penan n’ont pas été sédentarisés à ce jour etcertains vivent à présent dans de longues mai-sons construites par le gouvernement et nonplus dans les petits abris temporaires qu’ilsavaient l’habitude d’ériger. En réalité, ceuxparmi eux qui sont effectivement sédentaireset pratiquent une forme d’agriculture, dépen-dent encore de la chasse et de la cueillette. Ilsmanquent à la fois du savoir-faire et de l’en-thousiasme nécessaires pour que la culture dela terre à elle seule puisse fournir suffisam-ment de nourriture à leurs familles. Ils dépen-dent au contraire encore beaucoup dusagoutier, de la chasse et des autres produits dela forêt pour leur nourriture quotidienne.

Les problèmesDepuis les années 1970, les Penan et les Dayakse sont vu confisquer leurs terres pour faireplace au ‘développement’ : exploitation fores-tière et minière, tourisme, barrages et planta-tions d’éléis (palmiers à huile). Des milliers degens ont été déplacés et certains forcés de

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Chez les Penan, lesenfants accompagnentgénéralement lesadultes, quoiqu’ilsfassent, apprenant ainsien observant et imitantleurs gestes. On attenddes enfants qu’ils pratiquent le partage dela même façon que lesadultes.© Ben Gibson/Survival

s’installer dans les villes pour s’entasser dansdes taudis où une alimentation misérable, lemanque d’emplois et des conditions sanitairesdéplorables créent de terribles problèmes etplongent les habitants dans la misère la plusnoire. Des cultivateurs itinérants ont été chas-sés de leurs terres et le gouvernement a faitsavoir aux Penan nomades qu’ils n’auraientaucun droit sur leurs terres tant qu’ils neseraient pas sédentarisés. Le mode de vie despeuples indigènes et leur système équilibré dedroits et devoirs sont en train d’être détruitspar des systèmes juridiques imposés de l’ex-térieur et une propagande d’État affirmantl’infériorité culturelle des peuples indigènes.Ils peuvent être privés du peu de droits qu’ilsconservent encore sur leurs terres sur un simplecaprice du gouvernement.

Un projet actuel, celui du barrage de Bakun,inondera une zone aussi vaste que Singapouret a déjà conduit au déplacement de 10 000personnes qui n’ont reçu qu’une compensa-tion insuffisante et des logements misérables enéchange de leur habitat forestier.

La déforestationL’industrie du bois est celle qui a les effets lesplus dévastateurs aujourd’hui sur la vie despeuples du Sarawak. L’industrie du bois repré-sente la première source de devises pour legouvernement d’État, le plus grand marchéétant celui du Japon, et le contrôle de ce com-merce est au cœur de la politique du Sarawak.Le gouvernement malaisien affirme que l’abat-tage se fait dans le respect du développementdurable, mais la vérité est que les forêts duSarawak sont en train d’être détruites à un desrythmes les plus élevés au monde. En 1991,un rapport de la Banque mondiale estimaitque le taux d’exploitation y était quatre foisplus élevé que le taux de renouvellement.

Suite à ces activités, les rivières sont ensablées,la pollution tue les poissons et le gibier s’enfuitplus profondément dans les quelques raresforêts restantes. La malnutrition et les mala-dies d’origine hydrique qui en résultent ontcausé la mort de nombreuses personnes. Lespeuples indigènes se sont opposés avec touteleur énergie à cette destruction de leurs terres,qui menace leur auto-suffisance alimentaire.Après de nombreuses protestations auprès desgouvernements fédéral et central, ils se sonttrouvés contraints d’adopter des méthodes

plus directes. Depuis 1987, des hommes, desfemmes et des enfants établissent régulière-ment des barrages sur les routes d’abattage,parfois sur de longues périodes, et se sont, dece fait, retrouvés en conflit avec les compa-gnies concernées.

Gouvernement et compagnies ont réagi à cesprotestations pacifiques en modifiant la loi afinqu’un blocus routier soit considéré comme undélit. Des centaines d’autochtones ont alorsété harcelés, arrêtés et emprisonnés. Ceci n’apourtant pas empêché l’établissement de nou-veaux blocus routiers : les Penan et d’autrespeuples indigènes sont bien déterminés à nepas laisser détruire leurs dernières forêts.

L’avenir Aussi sombre que soit la situation actuelle auSarawak, certains signes encourageants sontapparus. Dans le passé, les multinationales dubois agissaient en toute impunité, y comprisdans les régions où les droits territoriaux despeuples autochtones avaient été officiellementreconnus. Les blocus routiers sont parvenus àrepousser les compagnies de ces terres et cer-tains procès ont été gagnés par les autoch-tones. En mai 2001, dans un jugement quidevrait faire date concernant un procès inten-té par des membres de la tribu des Iban, unjuge a finalement reconnu que des tribus tellesque les Iban sont bel et bien propriétaires deleurs terres et que les compagnies n’y ontaucun droit d’abattage, qu’elles aient ou nonobtenu un permis. Les peuples indigènes duSarawak espèrent aujourd’hui obtenir plus decontrôle sur leur territoire, aboutissement ducombat sans trêve qu’ils mènent pour luttercontre ces dépossessions.

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‘NOUS SOMMES AU BORD DE L’ANÉANTISSEMENT TOTAL.’ Upendra Lal Chakma, 1980

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Les peuples et la terreLes Jumma des collines de Chittagong(connues en anglais sous le nom de ChittagongHill Tracts, CHT) comprennent onze tribus dif-férentes pour un total d’environ 600 000 per-sonnes. Leur culture, leur religion, leurs langueset leur origine ethnique sont distinctes de cellesde la majorité bengali du Bangladesh. Ils sontles plus anciens habitants de ces collines. Lestribus les plus nombreuses sont les Chakma(350 000 personnes) et les Marma (140 000),toutes deux bouddhistes, suivies par les Tripura(60 000 personnes), qui sont hindouistes. Oncompte enfin près de 50 000 personnes deplus appartenant à d’autres tribus. Le tauxd’alphabétisation y est l’un des plus élevés duBangladesh, en partie à cause de l’importanceaccordée à l’écriture dans le bouddhisme.

Les collines de Chittagong, qui couvrent uneétendue de 13 200 km2, ont un relief vallon-né et accidenté. Les plaines propices à l’agri-culture intensive y sont rares, c’est pourquoiles autochtones y pratiquent une forme trèsdéveloppée d’agriculture itinérante, leur per-mettant de tirer le meilleur parti des pentesescarpées où ils vivent. Il leur faut pour celadéfricher le sol et brûler la végétation de sur-face avant de planter une grande variété d’es-pèces afin d’obtenir une nourriture diversifiéetout au long de l’année. À la fin d’un cycleannuel, la terre est laissée en jachère et lesgens se déplacent vers une autre zone. Onnomme localement cette pratique ‘la métho-de de culture Jhum’ – d’où le nom génériquede ‘Jumma’ qui désigne les peuples autoch-tones de la région. Ce système fonctionnedepuis des siècles et représente la seule métho-

de viable de culture dans cette région acci-dentée.

En 1947, la population des collines deChittagong était formée à 98 % de Jumma.Cette proportion s’élève aujourd’hui à 50 %seulement, et les Jumma risquent de devenirune minorité sur leur propre terre.

L’histoire Durant la domination coloniale britannique,les Jumma jouirent d’une autonomie relative.En 1860, les Anglais installèrent un commis-saire chargé de surveiller la région et recon-nurent à trois chefs indigènes le titre de rajahs,ou dirigeants. Puis, en 1900, une réglemen-tation spécifique aux Chittagong Hill Tractsaccordait formellement aux Jumma l’autono-mie interne et interdisait l’installation d’étran-gers sur leurs terres.

À la suite de l’indépendance et de la partitionde l’Inde, en 1947, les CHT, comme le restedu Bangladesh, devinrent pakistanaises ; lesJumma perdirent alors une grande part de leurautonomie. Le gouvernement pakistanais auto-risa les musulmans bengali à s’installer dansles collines et à choisir les meilleures terres –causant ainsi un vif mécontentement parmiles Jumma dont une grande partie s’exila enInde. Le statut particulier des CHT fut aboli en1964 bien que la réglementation de 1900 n’aitjamais été formellement abrogée.

Dans les années 1960, la situation des tribusjumma devint catastrophique. Cela commen-ça lorsque le gouvernement pakistanais

C H I T TA G O N G H I L L T R A C T S, B A N G L A D E S H

Génocide dans les Hill Tracts

Page de gauche : enfant chakma.© Mark McEvoy/Survival

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‘C’est uniquement grâce à vosefforts [de

Survival] quenous pouvons

aujourd’hui entrevoir un

espoir de survie.’

Porte-parole jumma, 1999.

Page de droite :Mère et enfant chakma.© Mark McEvoy/Survival

construisit au cœur des collines le barragehydroélectrique de Kaptai. 40 % des terresarables furent inondées et un tiers de la popu-lation dût s’exiler. Les peuples indigènes furentchassés vers les terres les plus improductives dela région et 40 000 d’entre eux trouvèrentrefuge dans l’État d’Arunchal Pradesh au nord-est de l’Inde, où beaucoup vivent encoreaujourd’hui sans aucun droit, et sans êtrereconnus comme citoyens ni par l’Inde ni parle Bangladesh.

Après l’indépendance du Bangladesh en 1971,la situation empira. Le nouveau gouvernementrefusa aux Jumma la restauration de leur sta-tut d’autonomie. Celui-ci, y voyant une mena-ce de sécession, lança de violents raids militairessur leurs communautés. Un nombre encoreplus élevé de personnes s’enfuit en Inde et lesterres confisquées furent octroyées à desBengalis qu’on transféra dans la région. La vio-lence envers les Jumma n’a jamais cessé depuislors.

En réponse à ces assauts gouvernementaux,un parti politique vit le jour, le Jana SamhatiSamiti (JSS), dont l’aile militaire, le ShantiBahini, entreprit de mener campagne contre lestroupes du gouvernement. Les actions ‘anti-insurrectionnelles’ et les raids punitifs qui s’en-suivirent, condamnèrent plus de Jumma encoreà l’exil. En 1990, 57 000 d’entre eux environ,soit 10 % de la population, vivaient dans descamps en Inde et 30 000 environ se cachaientdans les forêts de la région des collines.

À partir de 1988, de nombreux Jumma furenttransférés dans des ‘villages regroupés’ afinde les isoler du Shanti Bahini. Les villagesétaient ‘gardés’ par l’armée et les déplace-ments des habitants constamment surveillés. Iln’est pas étonnant que nombre d’entre euxaient décrit ces villages comme des camps deconcentration.

Les colons bengaliLe flux de colons bengali vers les collines deChittagong a été planifié par le gouvernementdu Bangladesh dans le but d’assimiler et d’in-tégrer les Jumma à la culture bengali domi-nante, une orientation qui existait en faitofficieusement depuis la fin des années 1940

et qui devint officielle avec le lancement, en1979, du ‘Programme de Transfert dePopulation du Bangladesh’, soutenu par uneprésence militaire sans cesse accrue.Considérant les CHT comme des terres viergesoù il pouvait installer les Bengalis pauvres etsans terre, le gouvernement offrit argent, terres(appartenant aux Jumma) et rations de nour-riture pour encourager les paysans à s’y ins-taller. Entre 1977 et 1987, 300 000 Bengalisenviron furent ainsi transférés dans les collines.

Face aux protestations qui s’élevèrent alors, legouvernement promit de mettre fin à ces trans-ferts. De nombreux témoignages démontrentpourtant qu’un flot régulier d’hommes ben-gali continue de s’installer dans la région, laplupart clandestinement, y épousant desfemmes déjà installées. Et les nombreux colonsqui se sont fixés dans la région en ayant obte-nu les meilleures terres, reçoivent encoreaujourd’hui les rations gouvernementales quiavaient à l’origine joué le rôle de primes d’en-couragement.

Les atteintes aux droits de l’hommeEn raison de la fermeture de la région auxétrangers durant de nombreuses années, lesviolations des droits de l’homme qui ont eulieu en grand nombre dans les CHT, n’ontjamais été rendues publiques. En novembre1990, pourtant, un groupe indépendant d’ex-perts internationaux, la Commission des CHT,s’est rendue sur place à l’appel du gouverne-ment bangladeshi qui souhaitait ainsi répondreaux accusations portées contre lui. Ce fut unéchec pour le gouvernement car le groupedécouvrit des preuves accablantes de viola-tions des droits de l’homme.

Elle constata, entre autres, que des villagesétaient régulièrement brûlés, des gens torturéset tués, des femmes violées et des lieux deculte détruits. Elle releva plus de 600 cas cer-tifiés de graves violations des droits de l’hom-me pour l’année 1990 uniquement. Elle futégalement choquée de voir le nombre de sol-dats dans la région – un pour six autochtonesenviron – et l’état de terreur constante danslequel vivaient les Jumma.

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30

En avril 1992, Survival rapporta qu’environ1 200 indigènes avaient été brûlés dans leursmaisons en cette seule année par des militairesdans le ‘village regroupé’ de Logang. Ennovembre 1993, plus de 100 Jumma furenttués et près de 500 blessés lorsque l’armée etdes colons bengali s’attaquèrent de concert àune manifestation pacifique à Naniachar.

Suite entre autres à la pression exercée parSurvival, la situation s’améliora quelque peuaprès 1993, bien que les abus (y comprismeurtres, disparitions et viols commis par dessoldats) n’eussent pas cessé. Kalpana Chakma,23 ans, dirigeante de la Fédération des Femmesdes Collines (une organisation de femmesjumma) fut kidnappée chez elle par les forcesde sécurité en juin 1996; elle n’a toujours pasété retrouvée et l’enquête officielle n’a tou-jours pas publié ses conclusions.

L’avenir Les négociations entre le JSS et l’armée, enta-mées en 1992, ont abouti à un cessez-le-feuprolongé entre les militaires et le Shanti Bahini.Pourtant, au cours de cette période, de nom-breuses violations du cessez-le-feu ont été rap-

portées, et l’armée a maintenu une présenceimportante dans la région. En décembre 1997,les Jumma signèrent un accord de paix avecle gouvernement du Bangladesh. Cet accordprévoit la formation d’un conseil régional diri-gé par les Jumma en ce qui concerne l’admi-nistration de la région des CHT et donne auxcommunautés autochtones un certain contrô-le sur la terre. Bien que cet accord ne marquepas la fin du problème pour les Jumma, la plu-part y ont vu un progrès important. Un repré-sentant jumma déclara à Survival qu’ilconsidérait cet accord comme un ‘pas positif’et que le gouvernement du Bangladesh ‘neserait jamais venu à la table de négociation’sans la pression de Survival et de la commu-nauté internationale.

Mais le gouvernement n’a pas mis en pratiquenombre des promesses faites aux Jumma.L’armée maintient un fort contingent dans lesCHT et des colons sont, aujourd’hui encore,armés et soutenus par les militaires. Beaucoupdes Jumma qui reviennent des camps de réfu-giés, n’ont pas retrouvé leurs terres. Survivalne relâchera pas sa pression sur le gouverne-ment du Bangladesh.

Les Mru formentune des plus petitestribus des Chitatong

Hill Tracts. Ilsvivent au sommet

des collines etcomptent 22 000

personnes environ.Les hommes

portent un pagne etles femmes de

courtes jupes detissu. Hommes et

femmes portentleurs longs cheveux en

chignons relevéssur le sommet de la

tête. Lors degrandes

célébrations, ils yajoutent des

peignes ornés etdes fleurs, les

hommes se peignent les lèvres

en rouge et senoircissent les

dents avec de lasuie de fer. Les

maisons des Mrusont bâties surpilotis pour les

protéger des pluiesde mousson et des

inégalités du terrain. Les

comportementsracistes à leur

égard abondent,aussi bien dans les

collines qu’àl’extérieur; ils sont

par exemplerégulièrement

dépeints comme latribu la plus‘arriérée’ et

‘primitive’ qui soit.

Les Mru vivent dans des maisons en bambou, construites sur pilotis,généralement à l’écart des communautés jumma.

©Mark McEvoy/Survival

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Les peuples et leur terreCaractérisée par ses longs hivers terriblementfroids où les températures peuvent atteindre les-70° C, la Sibérie est la terre de 30 groupesautochtones distincts, dont la population vade moins de 200 habitants (pour les Orok) à34 000 (pour les Nenet) ; leur population tota-le s’élève à plus de 200 000 personnes. Il exis-te par ailleurs deux autres groupes autochtonesplus nombreux, les Sakha (anciennementYakoute) et les Komi, qui possèdent tous lesdeux leur propre république au sein de la fédé-ration de Russie. Les langues que parlent cespeuples appartiennent à des familles linguis-tiques très diverses : certaines ne sont appa-rentées à aucune autre langue, et aucuned’entre elles n’est apparentée au russe.

Les peuples indigènes de Russie vivent danstrois zones climatiques distinctes : la toundra(plaine arctique), la toundra arborée (oùquelques arbres de petite taille parviennent àpousser) et la taïga (forêt de conifères). Latoundra arborée et la taïga abritent égalementdes populations d’ours, d’élans, de renards etd’oiseaux. Les Udege de l’extrême sud-est dela Sibérie partagent leur territoire avec les ourset le tigre de Sibérie, un animal sacré poureux, aujourd’hui en voie d’extinction. Plus aunord, dans la toundra, le climat est si froid queles espèces capables de survivre y sont rares :parmi elles on compte les rennes, les renardsarctiques, quelques espèces d’oiseaux et depoissons, ainsi que le lichen. L’écosystème estsi fragile qu’il faut jusqu’à cinquante ans pourqu’un arbre atteigne la taille d’un homme. Les ‘petits peuples’ de la toundra sont des éle-veurs de rennes, ceux qui occupent la taïgaou le littoral vivent également de chasse et de

pêche. Les éleveurs de rennes sont nomades,suivant les animaux dans leurs cycles de migra-tions. Leurs habitations (appelées chum) sontfaites de peaux de rennes, ils les transportentd’un campement à l’autre. Les chasseurs viventdans des campements permanents ou semi-permanents : leurs maisons sont en bois, iso-lées au moyen de terre et de mousse. Ellessont généralement à demi enterrées pour assu-rer une chaleur maximale. Dans le passé, cespeuples se déplaçaient entre plusieurs villagesdifférents (jusqu’à cinq) situés dans diverseszones de chasse, mais aujourd’hui beaucoupd’entre eux restent au même endroit toute

‘Ô Dieux, libérezma terre du pétrole! Ô Dieux, remettez la terreentre mesmains!’ Yeremai Aipin, poète etécrivain Khanty, 1989

Renniculteurtchouktche, Kamchatka. © Paul Harris/Survival

S I B É R I E, R U S S I E

‘Petits peuples’ du nord

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32

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l’année. Seuls 10 % des autochtones mènentencore une vie nomade ou semi-nomade alorsqu’ils étaient encore 70 % il y a trente ans. Laplupart des autres sont installés dans des vil-lages de type soviétique, où près de la moitiéde la population pratique l’élevage, la pêche etla chasse.

L’histoire Dans les années 1930 et 1940, les ‘petitspeuples’ perdirent une grande partie de leursterres au profit des industries d’État. Les pâtu-rages réservés aux rennes ainsi que les zones depêche furent confisqués par les autorités sovié-tiques, les privant ainsi de leurs moyens desubsistance et perturbant gravement leur modede vie. Par ailleurs, l’industrialisation attira denombreux migrants en Sibérie, les peuplesautochtones devinrent alors des minorités surleurs propres terres. Les nouveaux venus rece-vaient des salaires supérieurs pour un travailégal et leur niveau de vie était bien plus élevé– une inégalité qui s’est perpétuée jusqu’à nosjours.

Entre 1950 et le milieu des années 1980, lesautorités de Moscou se sont efforcées de fairedisparaître toute différence ethnique, linguis-tique ou culturelle allant jusqu’à réduire à néantdes langues et des cultures. De nombreux cha-mans furent assassinés. Les enfants étaientenvoyés de force dans des écoles où l’ensei-gnement n’était pas dispensé dans leurspropres langues. On les punissait lorsqu’ils laparlaient. Ceci eut pour effet de créer ungouffre entre les générations ; il n’est pas rareaujourd’hui de rencontrer des aînés de cer-taines communautés qui ne parlent que leurpropre langue alors que les plus jeunes neconnaissent que le russe.

C’est à la même époque que de nombreux vil-lages autochtones furent rasés et leurs habi-tants contraints de s’installer dans de plusgrands villages gérés par le gouvernement.Les communautés de groupes différents furentmélangées dans l’espoir de transformer le paysen un État soviétique homogène. Ils furent pri-vés de leurs moyens de subsistance, tels lesnomades qui furent forcés d’émigrer dans desrégions qui ne convenaient ni à la chasse ni àla pâture. La prohibition de la chasse et de lapêche empêcha de nombreux peuples de sub-venir eux-mêmes à leurs besoins et les rendit

dépendants des subsides et des salaires ver-sés par l’État. La disparition de ce mode de vietraditionnel eut des conséquences terriblespour les peuples indigènes caractérisées pardes taux record de chômage, d’alcoolisme etde suicide, problèmes qui affectent encore lespeuples du nord aujourd’hui.

Avec la chute du communisme soviétique, lesinfrastructures qui avaient soutenu les grandesentreprises d’État s’effondrèrent en mêmetemps que les salaires et les subsides gouver-nementaux. De nombreuses personnes, enconséquence, sont retournées à leur vie d’éle-veurs ou de chasseurs pour pouvoir survivre.

Pollution et santé En Sibérie occidentale, la pollution d’origineindustrielle (pétrole et gaz) touche de vasteszones habitées par les peuples autochtones.D’immenses torchères brûlent le gaz excé-dentaire jour et nuit, et de grandes quantitésde pétrole s’infiltrent fréquemment dans lescours d’eau, tuant poissons et flore. Les forêtsont été abattues et les pâturages où paissaientles rennes dévastés par de lourds engins utili-sés dans l’industrie. Il faudra des dizaines d’an-nées pour que le fragile écosystème de latoundra se régénère.

Des sites sacrés, les zones de frai de la nationKhanty sur la rivière Sob par exemple, ont étédétruits. C’est avec effroi que les Khanty ont vule lit de leur rivière sacrée retourné pour enextraire du gravier. Aujourd’hui, les poissonsne peuvent plus s’y reproduire, les Khanty setrouvent ainsi privés de leurs moyens de sub-sistance et donc de mener leur mode de vie.Dans le sud-est de la Sibérie, les forêts desUdege sont menacées par des bûcherons, tan-dis que la terre des Evenks, des Even et desYukagir est contaminée par les radiations duesaux essais nucléaires manqués.

Cette pollution a eu des conséquences dévas-tatrices sur la santé des peuples autochtones deSibérie. Les cancers, dus aux radiations cau-sées par les essais nucléaires entrepris dans lesannées 1970, sont très nombreux. Les maladiesrespiratoires comme la tuberculose sont éga-lement fréquentes en raison, entre autres, desmauvaises conditions de vie. La mortalité infan-tile est deux fois plus élevée que la moyennenationale. L’exemple des Tchita Evenk est

‘Je ne veux riend’autre que materre. Rendez-moicette terre oùpeuvent paîtremes rennes, oùl’on peut chasseret pêcher.Rendez-moi cetteterre où mescerfs ne sont pasattaqués par deschiens égarés, oùmes pistes dechasse ne sontpas piétinées parles braconniers nidétruites par desvéhicules. Jeveux une terre oùma maison, monsanctuaire, matombe ne serontpas violés. Jeveux une terre oùl’on ne me dérobera pas mesvêtements oumes bottes enplein jour.Rendez-moi mapropre terre etpas celle d’unautre, ne serait-ce qu’un tout petitmorceau.’ Aîné khanty, 1989

Page de gauche :Enfants tchouktches,Tchoukotka.© Adam Fowler/Survival

Page 34: Survival les nouvelles 50-51

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alarmant : un enfant sur cinq souffre de tuber-culose, et la moitié de troubles neurologiques.De manière générale, le taux de natalité des‘petits peuples’ est en baisse et leur espérancede vie est de 18 ans inférieure à celle du restede la population russe.

Le droit à la terreLa question des droits territoriaux indigènesest particulièrement complexe en Russie caril n’existe quasiment pas de statut juridiquepour la propriété de la terre. Le Soviet Suprêmen’accordait aucune valeur à la terre ou à sesressources tant qu’elles n’étaient pas utilisées.La législation territoriale de 1968 mettait touteterre – y compris les terres indigènes – gratui-tement à la disposition des fermes collectiveset des entreprises. L’idée de dédommager lespeuples indigènes en contrepartie des dégâtscausés à leurs terres, par la pollution d’originepétrolière par exemple, ne fait que lentementson chemin, et le problème plus général desdroits de propriété sur les terres n’a même pasencore été abordé. Selon une loi de 1999, laplus grande partie des conflits concernant lespeuples autochtones doit être réglée au niveaurégional, ce qui signifie que la reconnaissancedes droits des peuples indigènes est à la mercide l’humeur de tel ou tel gouvernement local.

L’avenir En 1990, le premier congrès de l’Associationrusse des peuples indigènes du Nord (RAIPON)s’est déroulé à Moscou, avec pour but d’‘unirnos forces pour survivre’. Les peuples indi-gènes exigèrent un plus grand contrôle sur

leurs terres et leurs ressources, requête qui n’atoujours pas abouti. Les droits territoriaux despeuples indigènes ne sont toujours pas recon-nus, les entreprises ne les consultent jamaisde façon satisfaisante avant de s’emparer desressources de leurs terres, enfin, la Convention169 de l’OIT n’a toujours pas été ratifiée.

Toutefois, depuis la création de RAIPON, desprogrès ont été réalisés et d’importantesconcessions ont été accordées. Les compa-gnies forestières et pétrolières, et plus parti-culièrement les autorités soviétiques, ont étésensibles à la pression internationale. Les cam-pagnes de Survival ont, dans certains cas, rem-porté des succès : à la suite de l’une d’entreelles, l’exploitation forestière du territoire desUdege fut interrompue en 1992. En 1999,quelques mois seulement après l’envoi delettres au gouverneur de la région par nos sym-pathisants, un moratoire de cinq ans fut mis enplace sur l’exploitation du gaz et du pétrolechez les Yugan Khanty.

Comme pour les autres peuples indigènesd’Asie, la reconnaissance de leur droit à la pro-priété foncière est l’élément-clé qui permet-tra aux peuples de Sibérie d’exercer un contrôleefficace sur leurs terres et leurs vies. Si dansle monde entier, des personnes sensibles à leursituation sont disposées à agir en leur faveur,les peuples autochtones de Sibérie – et de toutle continent asiatique – auront une chance devoir un jour leurs droits territoriaux reconnus etde pouvoir ainsi envisager leur avenir avecsérénité.

Le territoire des peuples

indigènes deSibérie

représente près de 58% de la surface

totale de laRussie.

Saami

Nenets

Mansi

Khanty

Sel’kup

Kets

Evenks

Tofalars

Evenks

NegidalsUl’chi

Orochi Nivkhi

Evenks

NivkhiOroks

Sakha

Sakha

NanaisUdege

Entsy

Nganasans

Dolgans

Yupigyts

Evènes

Tchouktches

Itel’mens

Koryaks

Komi

PEUPLES DE SIBÉRIE

Moscou

St Petersbourg

Océan Arctique

Mer d’Okhotsk

Mer du Japon

Lac Baïkal

Page 35: Survival les nouvelles 50-51

L’HISTOIRE DE DEMITRI (Telle qu’elle a été rapportée à Survival, 2000)

‘Je suis né en 1963, là où se tient aujourd’hui la ville de Pokachi. Quand j’ai eu 11 ans,

une compagnie est venue chez nous pour prospecter le pétrole, puis elle a construit

la ville. Personne n’est venu nous parler ou nous demander notre avis. De nom-

breuses machines sont arrivées sur nos terres, des travailleurs aussi. Avant qu’ils s’ins-

tallent, un grand nombre de familles vivaient sur cette terre, et toutes élevaient des

rennes. Mais les ouvriers du pétrole ont mangé nos rennes. Nous n’avons reçu aucun

dédommagement pour nos rennes et notre terre. Ils ont aussi apporté de la vodka pour

l’échanger contre du poisson, de la viande ou de la fourrure. Avant cela, nous n’avions

de la vodka qu’une seule fois par an.

Mon père est mort et nous avons dû partir. D’autres familles nous ont accueillis – les

relations entre nous étaient alors bien meilleures – il y avait plus de terre à partager

et cette terre était belle. Nous vivions dans des chums (tentes en peau de rennes) et

parfois, en hiver, nous vivions dans des maisons de bois qui étaient plus chaudes.

J’ai dû quitter ma famille et ma communauté pour aller dans un pensionnat. Nous

devions tous y aller. Sur les 27 élèves de ma classe, seuls 6 ou 7 sont encore en vie

aujourd’hui. Au moins deux d’entre eux se sont pendus, et beaucoup d’autres sont

morts dans des incidents liés à l’alcool. Aujourd’hui, j’ai 37 ans.

Je vis sur une terre qui abonde de pétrole, et pourtant, je n’ai même pas d’essence

pour mon motoneige. On dit souvent de très belles choses sur la richesse de cette

région, mais en réalité les Khanty sont très pauvres. Les compagnies pétrolières

ne nous donnent rien, rien de positif. Elles affirment avoir apporté la civilisation aux

Khanty, l’énergie, etc. Mais si les ouvriers n’étaient pas là, nous pourrions nous pas-

ser de toute cette modernité.

C’est difficile de parler au directeur de la compagnie pétrolière dans son bureau,

ce doit être plus facile de rencontrer un roi que les employés des compagnies.’

Demitri Aipin, éleveur de rennes khanty

Page 36: Survival les nouvelles 50-51

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Survival International est une organisa-tion mondiale de soutien aux peuplesindigènes. Elle défend leur volonté dedécider de leur propre avenir et les aideà garantir leur vie, leurs terres et leursdroits fondamentaux.

ET ON PRÉTEND QU’ILS NE SONT PAS CIVILISÉS. Ce sont les Jarawa,

une tribu qui prospérait depuis des milliers d’années sur un minuscule archipel de

l’Océan indien. Aujourd’hui tout cela a changé. L’Inde, à qui appartiennent ces îles,

a mis en place un plan pilote pour sédentariser les Jarawa. Le type-même de

schéma qui s’est déjà révélé désastreux pour bien d’autres peuples. Selon les

experts, si le gouvernement ne revient pas sur sa décision, les Jarawa ‘plongeront

dans la mendicité, la servitude ou la prostitution’. Survival exhorte le

gouvernement indien à permettre aux Jarawa de décider eux-mêmes de leur

propre avenir. Le premier pas vers l’assurance qu’ils pourront continuer à vivre en

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