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Survivre et écrire

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Page 1: Survivre et écrire

Survivre et �ecrire

A propos du roman « allo-autobiographique » de HertaM€uller – La bascule du souffle

Alina Crihan�a, Universit�e « Dun�area de Jos » de Galat�i Roumanie

En exploitant un th�eme tabou pendant la dictature communiste –la d�eportation des Allemands, d�es 1945, dans les camps sovi�etiques– La bascule du souffle est une d�emonstration po�etique d’une forcerare. Conc�u comme un livre �ecrit « �a deux mains », en collabora-tion avec le po�ete Oskar Pastior, dont l’exp�erience concentration-naire inspire l’histoire du protagoniste, le roman porte lesempreintes stylistiques des deux auteurs, bien que, suite �a la mortdu po�ete, le projet initial n’ait pas pu etre finalis�e. Critiqu�e pour lapr�etendue ill�egitimit�e de la reconstitution – �a la premi�ere personne– d’une histoire qui n’aurait pas affaire �a l’exp�erience personnellede la romanci�ere, tout comme pour son style « artificiel », jug�einad�equat au sujet trait�e, le roman superpose deux fictions identi-taires, en ayant un enjeu cathartique par rapport �a l’exp�eriencetraumatique de Herta M€uller (fille d’une ancienne d�eport�ee) et unautre �ethique, en tant qu’hommage rendu �a Pastior et �a toutes lesvictimes de l’enfer concentrationnaire. Construit comme une fic-tion « allo-autobiographique », dans l’absence, donc, de l’appro-priation (impossible) du « pacte autobiographique », le romangarantit l’authenticit�e de l’�evocation justement par la « pr�esentifi-cation » po�ematique d’une exp�erience « indicible », doubl�ee decelle de l’�ecriture en tant que modalit�e de survivance1.

Mots-cl�es: litt�erature concentrationnaire, fiction identitaire, r�ecit de survivance,�ecriture r�eparatrice, structures po�ematiques.

Seule la litt�erature permet de faire ressortir un individu de l’Histoire. Elle acc�ede�a sa v�erit�e par l’invention, l’imagine �a travers le langage.

— Herta M€uller �a Lothar Schr€oder2 ]

I. Introduction

D�es sa parution en Allemagne, en 2009, La bascule du souffle (Atem-

schaukel) suscita une vive pol�emique li�ee �a la « l�egitimit�e » de la d�emarche

Orbis Litterarum 69:4 313–337, 2014© 2014 John Wiley & Sons Ltd

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romanesque de Herta M€uller, future laur�eate du Prix Nobel de litt�era-

ture : « Certains critiques cri�erent au chef-d’œuvre; d’autres lui re-

proch�erent son absence de l�egitimit�e sur son sujet et, surtout, son

�ecriture trop imag�ee » (Liger 2010). Un exemple c�el�ebre de ce positionnement

pol�emique nous est livr�e par l’article publi�e par Iris Radisch dans Die

Zeit3 , o�u l’on s’attache �a d�enoncer l’inauthenticit�e de ce roman « par-

fum�e », qui fournirait un t�emoignage « de seconde main », �ecrit dans unstyle po�etique rappelant l’expressionisme lyrique, incompatible avec les

r�ealit�es hypostasi�ees. Avec Atemschaukel, croit l’auteure de l’article,

« Das Zeitalter der Gulag-Literatur, die uns den Atem verschl€agt, hat

sein nat€urliches Ende gefunden und l€asst sich mit solchen Harfenkl€angen

und Engelsges€angen im Secondhand-Betrieb nicht mehr zur€uckholen »(Radisch 2009). Compar�e aux r�ecits concentrationnaires de Primo L�evi

ou Imre Kert�esz (sur les horreurs d’Auschwitz) et d’Andre€ı Siniavski,

V. Grossmann et V. Chalamov (sur le Goulag), le livre de Herta M€uller

serait « artificiel », non seulement en raison de son inad�equation stylis-

tique au sujet trait�e, mais aussi en ce qui est de sa formule narrative

homodi�eg�etique, jug�ee ill�egitime dans la mesure o�u elle ne servait pas �a

l’�evocation d’une exp�erience personnelle. En laissant de cot�e l’ill�egitimit�e

d’une telle critique fond�ee sur l’ignorance du pacte romanesque annonc�e

par les indices archi- et p�eri-textuels du livre (la couverture et la post-

face)4 , il nous semble que La bascule du souffle ne contredit d’aucune

fac�on, les principes sur lesquels repose la litt�erature sur l’exp�erience con-

centrationnaire. Comme l’observe Michael Braun, dans une �etude

r�ecente, int�eress�ee �a la « fiction de la m�emoire » construite par Herta

M€uller �a partir des t�emoignages des autres,

Atemschaukel ist kein Dokumentarroman, kein historischer Roman, keineAutobiographie und kein Werk kollektiver Autorschaft, sondern ein Roman,der den €asthetischen Umgang mit der Erinnerung an Deportation undLagererfahrung thematisiert. Herta M€uller hat diese Geschichte nicht selbst er-lebt, aber aufgrund intensiver Zeitzeugengespr€ache sozusagen nacherinnert.Der Ich-Erz€ahler des Romans €ubersetzt das Schweigen der Anderen und dasm€undliche Reden des Freundes in eine Sprache des „fremden Blicks”. Insofernist ihre postmemoriale Heterofiktion nach eigenen Worten weniger „Fiktionim Inhalt”, vielmehr „Erfindung im Ausdruck”5 […]. (Braun 2011, 48–49)

La construction de La bascule du souffle comme une narration �a la

premi�ere personne du singulier y sert de pivot pour l’authentification du

314 Alina Crihan�a

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monde repr�esent�e, tout aussi que le langage po�etique, dans un roman

o�u la voix et la perspective narratives sont attribu�ees �a un po�ete (l’alter

ego fictionnel du po�ete oulipien Oskar Pastior)6 . D’un autre cot�e, son

« ambigu€ıt�e » g�en�erique, tout comme sa « texture po�ematique » (Cris-

tea-Enache 2010) ne sont pas �a meme de fournir des crit�eres ni de

l’�evaluation �ethique7 ni de la validation (ou l’invalidation) esth�etique8 ,

et ne peuvent l’etre, certes, pour son authenticit�e en tant que « r�ecit de

survivance » ayant « une fonction testimoniale et des r�esonances identi-

taires li�ees �a l’�epreuve de la perte » (K�egle et al. 2007, 9). Meme s’il

n’est pas fond�e sur un « pacte autobiographique »9 (Lejeune 1996, 26),

le roman de Herta M€uller s’inscrit incontestablement dans la cat�egorie

de ces r�ecits qui

font appel au travail de la m�emoire afin de reconstruire, en s’appuyant surl’exp�erience du temps, ce qui a �et�e perdu, d�epos�e sous forme de traces dans le lan-gage. Ils cherchent �a �edifier des passerelles entre le pr�esent et un pass�e plus oumoins lointain. Ils s’enracinent dans le v�ecu exp�erientiel ou sensoriel d’un sujetr�ecitant, puisent leurs mat�eriaux dans le legs des morts. (K�egle et al. 2007, 9)

« Le fruit d’un reve bris�e » (R�erolle 2011, 44), ce livre terrible et en meme

temps inond�e de la po�esie �etrange qui surgit des mots hant�es par les « om-

bres stigmatis�ees » caract�erisant l’ensemble de l’�ecriture de Herta M€uller

n’est moins, en raison de sa structure po�ematique, un t�emoignage authen-

tique qui permet de reconnaıtre �a la m�emoire sa dimension de « matrice de

l’histoire » (Ricœur 2000, 106). Certes, l’�evocation du camp accomplie dans

La bascule du souffle ressemble �a un vaste po�eme en prose (ou bien, �a un col-

lage10 de po�emes), o�u la po�esie jaillit des mots qui font s’incarner l’indicible

dans le sens qu’ils « pr�esentifient » ces r�ealit�es atroces que la mort aurait

vou�ees au silence et aux atrocit�es qu’on ne croyait pas pouvoir exprimer.

C’est que « la po�esie a affaire �a l’apparitionmalgr�e les apparences. […]Refai-

sant place (‘ou vide’), elle �ecarte ou ‘absente’, pour une autre ‘pr�esence’ »-(Deguy 1998, 2).

Et c’est tout premi�erement cette po�esie – la seule capable �a pr�eserver « la

force du non-oubli r�efugi�e dans l’affliction qu’Eschyle d�eclare ‘insatiable

de maux’ » (Ricœur 2000, 651) – cette po�esie qui se nourrit de la chair res-

suscit�ee des choses et des etres enterr�ees sous le poids de l’histoire « avec

une grande hache » qui donne au roman de Herta M€uller sa configuration

particuli�ere, tout en le situant dans le paradigme de la survivance. Elle

Survivre et �ecrire 315

Page 4: Survivre et écrire

donne �a voir, par le biais des symboles, une « �epiphanie » de l’enfer, qui

renforce, aussi paradoxal que cela puisse paraıtre, la dimension testimo-

niale du roman. L’�ecriture concentrationnaire de Herta M€uller reconfirme

donc le fait que « la transmission du symbolique s’av�ere […] au cœur de la

d�emarche testimoniale du paradigme de la survivance discursive, puisqu’il

s’agit par l�a de surmonter d�esesp�er�ement l’exp�erience de l’indicible »(K�egle et al. 2007, 9).

Son authenticit�e puise ses sources justement dans cette po�esie et c’est tou-

jours par sa force que, dans La bascule du souffle, le « pessimisme historique

» avou�e par l’auteure (Hecht &Milcent 2010) est converti dans un plaidoyer

pour la r�esistance conc�ue, en derni�ere analyse, comme une r�esistance par

l’�ecriture en tant que gardienne de la m�emoire, venant se dresser contre

« l’anonymat de la mort concentrationnaire » (Jurgenson s. d.)11 . A partir

de l’exp�erience – et du t�emoignage – d’un autre, Herta M€uller r�eussit de

construire un livre qui, tout en transcendant l’histoire (y compris l’histoire

personnelle de l’auteure, en ancienne victime de l’enfer totalitaire) par sa

mise en �ecriture qui le fait glisser dans la parabole exemplaire, en r�ev�ele le

visage monstrueux et, en meme temps, « le degr�e z�ero de la condition

humaine » (Hecht &Milcent 2010)12 . Et cela �a travers plusieurs livres.

II. Du « r�ecit de survivance » �a l’�ecriture « allo-autobiographique »En essayant de circonscrire les particularit�es de la litt�erature concentration-

naire, tout en surmontant les difficult�es d’ordre esth�etique et m�ethodologi-

que impliqu�ees dans une telle d�emarche, Luba Jurgenson parvient �a �etablir,

dans un essai publi�e en 2003, une sorte de « chronologie » de la mise en �ecri-

ture de l’exp�erience des auteurs, en anciennes victimes de l’enfer des camps.

A partir de l’analyse de quelques œuvres repr�esentatives pour le genre

abord�e (�ecrites par A. Soljenitsyne, Primo L�evi, V. Chalamov parmi d’au-

tres), reposant, toutes, sur le « pacte autobiographique », l’auteure de l’essaisur l’« indicible » de l’exp�erience concentrationnaire construit un mod�ele

taxinomique �a trois strates, qui est �ameme de r�ev�eler la complexit�e des r�ecits

des camps, tout en facilitant leur interpr�etation :

Une s�erie 1, compos�ee de textes qui restituent la r�ealit�e des camps telle qu’elle a�et�e v�ecue par leur auteur. Ce sont des livres-images : leur premier objectif est dedonner �a voir. Ils s’interrogent sur le comment de l’univers concentrationnaire.Une s�erie 2, compos�ee de textes de r�eflexion : la r�ealit�e du camp devient un objet

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d’�etude, int�egr�e dans une probl�ematique plus vaste. Ce sont des livres-reconstitu-tions. Ils s’interrogent sur le pourquoi de l’univers concentrationnaire. […] Il nousfaut maintenant postuler l’existence d’une s�erie 0 qui constitue un ensemble quasivide : il s’agit de […] ce brouillon qui s’�elabore dans l’inconscient avant l’�ecritureet qui est ensuite extrait par la m�emoire �a l’�etat pratiquement achev�e. […] Ainsi, ilexiste un pr�e-texte �ecrit, oral, pens�e ou seulement pressenti sur lequel s’op�ere letravail de s�election qui rendra possible le « livre 1 ». (Jurgenson 2003, 14, 21–22)

La taxinomie �etablie par Luba Jurgenson, dont les niveaux ne sont pas

explor�es de la meme fac�on chez tous les auteurs concern�es, nous semble

relevante pour notre d�emarche dans la mesure o�u elle nous permet de

situer la « v�erit�e » de l’exp�erience « mise en intrigue »13 dans le r�ecit de

survivance construit par Herta M€uller aux confins de plusieurs livres et

par rapport �a des « identit�es narratives »14 distinctes, t�emoignant de la

multiplication des �ecrans fictionnels impliqu�es dans le processus de

reconstitution / reconstruction du pass�e.

Remarquons, une fois de plus, que La bascule du souffle (consid�er�e en

tant que « livre 2 ») �echappe aux contraintes du « pacte autobiographi-

que », comme l’atteste – �a part l’absence de l’identit�e des noms au ni-

veau des instances du texte – la courte postface sign�ee par l’auteure, qui

d�evoile, en outre, la gen�ese de son roman15 :

En 2001, j’ai commenc�e �a m’entretenir avec d’anciens d�eport�es de mon village, enprenant des notes. Sachant qu’Oskar Pastior avait lui aussi �et�e intern�e, je lui ai ditque j’aimerai �ecrire un livre sur ses ann�ees de camp, et il a accept�e de me confierses souvenirs. Nous nous rencontrions r�eguli�erement, et je notais ce qu’il me ra-contait. Tr�es vite, l’envie nous est venue d’�ecrire un livre ensemble. En 2006, Os-kar Pastior nous a brusquement quitt�es; j’avais alors quatre cahiers de notes,quelques chapitres �a l’�etat d’�ebauche. Sa mort m’a paralys�ee, d’autant que l’inti-mit�e des confidences ne faisait qu’aggraver cette perte. Au bout d’un an, j’aid�ecid�e d’abandonner le « nous » de la narration dans le roman, et de l’�ecrire seule.Mais sans les d�etails fournis par Oskar Pastior sur la vie quotidienne au camp, jen’y serais jamais parvenue. (M€uller 2010, 351)

Avec La bascule du souffle nous nous trouvons donc devant un texte qui

exploite le r�ecit de survivance d’une mani�ere « atypique », si l’on compare �a

la majorit�e des textes sur l’exp�erience concentrationnaire. Il s’y agit d’une

fiction qu’on pourrait appeler, sur les traces de B�eatrice Bloch, « allo-auto-

biographique » o�u

la subjectivit�e de l’auteur s’�ecrit par la travers�ee et le partage de la subjectivit�ede l’autre, �a qui on enseigne l’�ecriture ou dont on partage des moments de

Survivre et �ecrire 317

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vie. […] �Ecrire �a la place de l’autre (qui est mort) ou avec l’autre (au cours del’atelier d’�ecriture) : on voit que ces deux cat�egories de r�ecit entretiennent desrapports de ressemblance entre eux, les r�ecits de compagnonnage batissant lam�emoire de l’autre en meme temps que le sujet �ecrivain, les ateliers d’�ecriturefictionnalis�es fortifiant l’autre (le prisonnier) en meme temps que le moi (l’�ecri-vain). (Bloch 2004, 55, 56)

La bascule du souffle est fond�ee sur un « r�ecit de compagnonnage », quifrole le roman autobiographique, et par le truchement duquel l’auteure

rend hommage �a la m�emoire non seulement de celui qui avait inspir�e

l’histoire du narrateur-protagoniste dont elle s’attache �a reconstituer

l’exp�erience r�eelle (la source du « livre 0 », dont l’auteur serait le po�ete

d�eport�e), mais de tous ceux qui, ayant partag�e les memes horreurs indici-

bles, ne sont pas parvenus �a en d�evoiler. Parmi ces derniers se trouve la

m�ere de Herta M€uller, d�eport�ee elle-meme pour une p�eriode de cinq ans

(tout comme Oskar Pastior) dans un camp d’URSS., en vertu de la dou-

ble « coulpe » d’appartenir �a une ethnie d�emonis�ee et �a une classe d’an-

ciens « exploiteurs », et dont le silence marquera �a jamais l’existence de

l’�ecrivaine.16 Comme le montrait r�ecemment Bettina Bannasch, cette

exp�erience personnelle de l’auteure a �et�e invoqu�ee en tant qu’argument

pour une « l�egitimation ‘de second degr�e’ » de la mise en intrigue de

l’histoire d’un autre :

Precisely this ‘second degree’ legitimation has been claimed for Herta M€uller,too. It was emphasized that the author’s mother had been among the depor-tees. […] In this way, the accusation that the author had appropriated and‘exploited’ someone else’s story for the purposes of their own literary workwas defused by pointing to the fact that in this instance the people concernedwere mother and daughter. This legitimation strategy was powerfully rein-forced by the way it was presented in print and visual media: the Nobel Prize-winner was presented to the public gaze as a dark, melancholic, fragile andbroken figure. In the way it deals with the incorporation of biographical mate-rial and with the viewpoint of the male narrator that it adopts, however, thenovel works against this kind of legitimation strategy. It emphasizes insteadthe relationship in which it stands to the life of Oskar Pastior and, no lessimportantly, to the literary work of Oskar Pastior. (Bannasch 2011, 126)

Mais le livre de Herta M€uller est plus que l’�evocation, au nom d’une «juste m�emoire », d’une exp�erience exemplaire de la d�eportation : tout en

s’interrogeant sur le comment et le pourquoi du ph�enom�ene concentra-

tionnaire, il r�efl�echit sur le comment et le pourquoi de l’�ecriture qui en

fait survivre les traces. Il raconte deux histoires �a la fois – celle d’Oskar

318 Alina Crihan�a

Page 7: Survivre et écrire

Pastior, en porte-parole d’un « nous » concentrationnaire, et (par la mise

en abyme des « cahiers �a grands carreaux ») celle de la naissance de son

�ecriture du camp, mais aussi (implicitement) des trois livres qui gravitent

autour de son exp�erience. C’est un m�etar�ecit de survivance �edifi�e �a partir

d’une double perte inscrite dans les strates du texte et, en meme temps,

l’expression d’un double engagement : celui de Oskar Pastior envers les

siens et celui de Herta M€uller envers le po�ete disparu (dont l’histoire du

camp fait surgir en filigrane celle de la m�ere de la romanci�ere). En m�eta-

roman, La bascule du souffle exhibe, ou bien th�ematise, tout en occultant

le travail en « compagnonnage », l’�evolution possible (et plausible) de

l’�ecriture du camp, en l’« attribuant » �a l’avatar fictionnel des deux

auteurs – le narrateur-personnage L�eo Auberg.

Quant �a l’�evolution de ce travail occult�e au niveau de l’intrigue pro-

prement dite (mais r�ev�el�e, par contre, dans le p�eritexte cit�e et, certes,

dans les �epitextes), nous pourrions en avancer quelques « hypoth�eses

herm�eneutiques »17 : « Le premier acte cr�eateur, l’acte qui rendra l’œuvre

possible, le premier acte esth�etique et litt�eraire […] qui consiste �a substi-

tuer le « livre 1 », dans sa forme, au livre non �ecrit, �a mimer un livre-res-

piration, un livre s�ecr�et�e par le r�eel lui-meme, bref, �a mimer la

simultan�eit�e de l’�ev�enement et de la parole (Jurgenson 2003, 25–26, nos

italiques) appartient aux deux auteurs : le po�ete disparu avant que le

roman ne soit fini et la romanci�ere – auteure du « livre 2 » dont l’au-

thenticit�e est renforc�ee justement par la formule homodi�eg�etique. A

l’�ecriture-lecture op�er�ee �a travers le r�ecit de compagnonnage, qu’on

pr�esume avoir compris un premier niveau d’interpr�etation (une

herm�eneutique du monde concentrationnaire doubl�ee de l’herm�eneutique

du soi consubstantielle �a toute d�emarche autobiographique) et de fiction-

nalisation, vient s’ajouter le travail fictionnel de la romanci�ere, y compris

la fiction identitaire de cette fille d’une ancienne d�eport�ee. Il en r�esulte

un r�ecit identitaire complexe, au niveau duquel les avatars de l’identit�e

narrative se multiplient non seulement en raison de la r�eduplication de

l’instance auctorielle, mais aussi, et tout premi�erement, grace �a l’�ecart18

temporel et affectif qui s’interpose entre l’exp�erience proprement dite et

sa mise en r�ecit. Compte tenu de l’ampleur du trauma identitaire subi

par l’ancienne victime du Goulag, il est bien �evident, une fois de plus,

que « celui qui �ecrit le livre [Oskar Pastior en co-auteur du « livre 1 »]n’est plus celui qui a v�ecu l’�ev�enement. […] Ce probl�eme d’identit�e est

Survivre et �ecrire 319

Page 8: Survivre et écrire

dit dans le texte, il fait partie de la grande v�erit�e de l’œuvre » (Jurgenson

2003, 26–27).

Dans La bascule du souffle, cette grande v�erit�e qui r�eclame, afin qu’elle

puisse etre d�evoil�ee, « un langage extreme », capable de « restituer un

�etat extreme » (Jurgenson 2003, 26), est filtr�ee par l’�ecriture d’un autre,

ce qui fait, probablement, que l’indicible soit converti plus ais�ement en

mati�ere de la po�esie. Tout en englobant la vision du po�ete disparu (et

partiellement son langage « bris�e », certes), l’�ecriture de Herta M€uller

rend possible cette « nouvelle simultan�eit�e, qui �a l’impossibilit�e de dire

sur le camp superpose la v�erit�e de l’œuvre » (p. 28). Cette derni�ere naıt

en deux �etapes : il s’y agit, tout premi�erement, de dire l’enfer de la per-

spective d’un autre – acte assum�e par le survivant (le « je en train de se

souvenir ») qui met en discours l’histoire du d�eport�e (le « je en train de

vivre l’exp�erience »)19 (p. 69) – et, puis, d’�ecrire l’enfer �a travers l’histoire

d’un autre (acte assum�e par Herta M€uller, en auteure du « livre 2 » et,

partiellement – comme le donne �a voir la postface, entre autres – du «livre 1 »).

C’est �a l’auteur du « livre 2 » en tant que « r�e�elaboration fictionnelle »(Schaeffer 1999, 324) du « livre 1 » – qui est toujours une « r�e�elaboration

» ayant comme objet le « livre 0 », comme le laissent entendre les com-

mentaires autor�eflexifs du narrateur concernant ses cahiers – que revient

la tache de « mimer » le « livre-respiration » au lieu du po�ete disparu. A ce

niveau, les fictions identitaires s’entremelent, le r�ecit permettant, par la

« travers�ee du trauma » (Ouellet 2007, 50), un double travail de r�eparation.

Par le truchement de la mise en œuvre romanesque de l’exp�erience du po�ete,

l’auteure – �a qui la fictionnalisation permet une « d�esidentification partielle

» (Schaeffer 1999, 324) – assume en meme temps une d�emarche �a vis�ee ca-

thartique, par rapport �a sa propre fiction identitaire, et une autre �a vis�ee �ethi-

que par rapport �a la m�emoire d’Oskar Pastior et de ses semblables disparus

dans les camps et / ou incapables d’en offrir le t�emoignage.

En mettant en fable une exp�erience des limites20 , perp�etu�ee, apr�es le

camp, dans une sorte de « ’sous-vie’, d’une ’sous-vivance’ » (K�egle et al.

2007, 41) que son h�eros ne parvient �a d�epasser que par le truchement de

l’�ecriture r�eparatrice d�edi�ee au « nous » concentrationnaire, le roman

po�etique de Herta M€uller transcende l’indicible par un « discours de

‘vivance’ » (Ouellet 2007, 50) selon un principe qui conf�ere �a l’�ecriture

une dimension ontologique. C’est un principe que le narrateur de La

320 Alina Crihan�a

Page 9: Survivre et écrire

bascule du souffle – l’auteur des « cahiers �a grands carreaux » dont l’his-

toire met « en abyme » la naissance du « livre 1 » – emprunte �a sa cr�ea-

trice qui avait avou�e quelque part : « J’ai du apprendre �a vivre en

�ecrivant et non vice-versa. Je voulais vivre �a la hauteur de mes reves,

c’est tout. L’�ecriture fut alors pour moi une mani�ere d’exprimer ce que

je ne pouvais pas vivre effectivement »21 . Il en va de meme pour son

personnage, un exil�e lui-meme, �a qui l’�ecriture devrait fournir, apr�es le

camp, un « espace de vivance, […] une mani�ere d’accommodement qui

[lui] permet[te] […] de retrouver sa place dans le monde des vivants, dont

il �etait menac�e d’etre exclu » (p. 50).

III. De l’indicible �a l’emprise des mots

Vers la fin du r�ecit o�u l’on met en intrigue son histoire de camp et celle

de son retour – cinq ans apr�es – dans le monde des « vivants », L�eopoldAuberg, le narrateur-protagoniste de La bascule du souffle, r�efl�echit �a son

�ecriture m�emorielle cens�ee offrir, d’une part, une s�epulture �a ceux qui

n’ont pas surv�ecu et que la « grande Histoire » a enterr�e sous le silence,

et, d’autre part, de fournir �a lui-meme un « chez soi », qu’il avait

irr�em�ediablement perdu, lui, le revenant de l’empire des morts sans noms

et de l’�eternelle famine. L�eo Auberg, qui est revenu dans son lieu d’ori-

gine accompagn�e par son double, l’Ange de la faim – son bourreau

int�erieur mais �egalement une sorte de « maıtre spirituel » dans l’enfer du

camp, tout comme, ensuite, dans l’enfer des autres, o�u il parvient �a se

sentir un �etranger (sinon un mort) –, retient cinq « r�ev�elations » essen-

tielles de ses ann�ees concentrationnaires. Il s’agit, plus pr�ecis�ement, de

cinq lec�ons de survivance :

1 pellet�ee = 1 gramme de pain.Le z�ero est l’indicible.L’�echange salvateur est un hote qui vient d’en face.Le nous du camp est un singulier.L’�etendue va en profondeur. (M€uller 2010, 310)

Dans cet �etrange « pentalogue », dont les lois « vont au fond des choses

comme le silence qu’il y a entre elles, et se passent de t�emoins » (p. 310),

il y a beaucoup plus qu’un r�epertoire des th�emes obs�edants du livre �ecrit

par HertaM€uller. On y condense aussi les principes d’une v�eritable po�etique

Survivre et �ecrire 321

Page 10: Survivre et écrire

de son r�ecit de survivance, apte �a mettre en œuvre l’indicible – converti en

une po�esie du silence significatif qui se nourrit, paradoxalement, de la chair

des mots identifi�es aux choses – de l’exp�erience concentrationnaire. La

strat�egie de survivance de L�eo, qui consiste �a se construire un monde

alternatif, une surr�ealit�e superpos�ee �a celle du camp, o�u il pr�eserve son

humanit�e, est assum�ee comme strat�egie de l’�ecriture dans le livre de Herta

M€uller, qui s’�ecrit en « imitant » celui �ecrit par L�eo – un livre imaginaire,

d’abord, inscrit sur la peau du monde concentrationnaire int�erioris�e,

c’est-�a-dire sur son propre corps qui « est d�ej�a un texte, marqu�e par le camp

comme pourrait l’etre un livre » (Jurgenson s. d.). C’est justement le « livre 0» (ou bien, la fiction du « livre 0 »), qui « doit disparaıtre pour qu’�emerge

l’�ecrit », « ce point obscur par lequel le futur narrateur s’enracine dans

l’exp�erience de la mort collective » (Jurgenson s. d.). Face au n�eant qui

menace de s’emparer des etres et des choses, instaurant le r�egne du silence-

oubli dans ce monde des ombres sans « corps »22 , engren�ees dans un m�ecan-

isme infernal qui n’a besoin, pour fonctionner, que de leur chair �eph�em�ere,

la survivance devient possible par le truchement de cet « �echange salvateur »avec « les choses qui, sans etre vivantes, ne sont pas mortes », plac�ees, toutcomme les hommes, aux confins du ciel et de la terre, de l’esprit et de la

mati�ere :

Je voulais conclure un �echange salvateur entre mon corps et la ligne de l’hori-zon, en l’air, ainsi que les rues poussi�ereuses, sur terre. Je voulais emprunterleur p�erennit�e et exister sans mon corps pour revenir me glisser dedans unefois que le plus dur sera pass�e, et r�eapparaıtre en tenue ouat�ee. C�a n’avait rienavec la mort, c’�etait le contraire. (M€uller 2010, 293)

Mais les choses empruntent leur « chair » aux mots, ou bien ce sont les

mots qui s’y mat�erialisent, tout en permettant au jeune po�ete d�eport�e de

maintenir les liens avec son pass�e d’etre libre, converti, au camp, en un

« autre monde » rejet�e dans l’irr�ealit�e – un « film » qu’il « regarde �a

l’int�erieur de [s]a tete comme par la fente �eclair�ee d’une porte » (p. 254)

– dont l’inconsistance est d�enonc�ee par l’incessante martyrisation du

corps entraınant l’exil de soi, le glissement vers l’inhumanit�e de soi-

meme. Cette inhumanit�e – qui signifie plus que la perte de l’identit�e

d’avant le camp – est le n�eant, le point « z�ero » de l’etre mais, en meme

temps, paradoxalement, le degr�e z�ero de l’�ecriture de soi23 qui, tout en

ensevelissant l’irrepr�esentable, parvient �a r�ev�eler sa pr�esence :

322 Alina Crihan�a

Page 11: Survivre et écrire

Le z�ero est l’indicible. Le z�ero et moi sommes d’accord sur ce point : parlerde lui est impossible, on peut tout au plus tourner autour du pot. La gueuleb�eante du z�ero est capable de manger, mais ne sait pas parler. Le z�erot’enferme dans sa tendresse �etouffante. (p. 293)

En tournant autour du « z�ero », le discours du narrateur ne cesse de

tourner autour du soi-meme, tout en r�efl�echissant la po�etique du roman-

po�eme de Herta M€uller, �ecrit dans une langue « bris�ee », cens�ee pr�esenti-

fier le vide et la fragmentation identitaire. Confront�es au « z�ero », lesmots sont d�epourvus de leur fonction mim�etique : leur vis�ee testimo-

niale-�ethique ne s’accomplit que d’une mani�ere oblique, �a travers une «m�ediation symbolique » qui a affaire – pour le survivant – �a une « res-

tauration du lien avec les morts autant que de soi avec la vie sociale »(Mesnard s. d.) Comme l’observe Philippe Mesnard, �a propos des �Ecri-

tures d’apr�es Auschwitz :

ils signifient plus qu’ils ne disent et pour cela leur langue int�egre dans sonfonctionnement meme de multiples espaces vides, des d�etours et des marquesd’alt�eration qui correspondent �a autant de zones de non-savoir ou d’incerti-tudes – des lacunes plurielles. Ils ne pr�etendent pas �a la v�erit�e, mais �a une jus-tesse �ethique dont le pari est de renvoyer aux morts aussi bien qu’aux vivants.(Mesnard s. d.)

L’�epiphanie �a jamais incompl�ete, car occult�ee (selon la logique du

symbole24 ), de l’indicible se passe grace au transfert du soi-meme dans

les mots-objets, mais aussi dans les « mots de la faim », les « mots de

nourriture », les mots « pour […] �echapper » aux substances chimiques

empoisonnantes, et qui �etaient pour le d�eport�e « une n�ecessit�e substan-

tielle, une n�ecessit�e et une torture […] » (M€uller 2010, 184, 213). Ce

transfert de l’etre dans les mots charg�es d’une richesse po�etique inou€ıe

devient la cl�e de la survivance « �a l’�epoque de la peau sur les os »(p. 293) et ensuite – lors de sa mise en �ecriture – le moteur du r�ecit du

rescap�e. Le je qui se confesse sur le moi du pass�e – ce moi qui appartient

au camp tout comme le camp lui appartient25 – est un etre enseveli dans

les mots porteurs de l’indicible, donc du silence : « Je porte des bagages

qui ne font pas du bruit. Depuis bien longtemps, mon bagage de silence

est si profond que je ne pourrai jamais tout d�eballer. Quand je parle, je

ne fais que m’emballer dans un autre bagage de silence » (p. 12). La

hantise des objets du camp – le « bagage de nuit » qui « assaillit » le

survivant non seulement afin de « s’en prendre �a [s]a m�emoire », mais

Survivre et �ecrire 323

Page 12: Survivre et écrire

surtout afin de le « tracasser » (p. 39) et de le faire retourner incessam-

ment au « chez soi » infernal – est une hantise des mots :

Il y a des mots qui m’ont pour cible : on dirait qu’ils sont l�a pour me faireRETOMBER au camp, sauf ce mot-l�a. Il demeure inutile si c�a se produit. Lemot SOUVENIR n’est d’aucun secours, lui non plus. D�ET�ERIORATION etEXP�ERIENCE sont inutilisables pour le retour au camp. Si j’ai affaire �a cesmots bons de rien, c’est plus fort que moi, je me fais plus bete que je ne suis.Mais eux, �a chacune de nos rencontres, sont de plus en plus durs. (p.273–274)

Ce sont les mots po�etiques qui, contrairement �a ceux « bons de rien »,car inaptes de d�evoiler l’irrationnel concentrationnaire, donnent une

s�epulture au moi du camp, mais �egalement au nous (« un singulier » !)qui survit �a soi-meme dans le temps instaur�e par l’�ecriture apr�es avoir

�et�e expuls�e « hors du temps », hors de soi-meme, « hors du monde qui

en avait fini avec nous, si ce n’�etait l’inverse » (p. 54). Et ce sont tou-

jours ces mots qui sont �a meme de r�ev�eler ce qui pourrait sembler

inimaginable : « le bonheur au camp ». Ce bonheur d�ecouvert au travers

l’exp�erience des limites humaines laisse pressentir « le tout dernier bon-

heur », « le ras-le-bol du bonheur » qui « intervient quand on meurt ».De retour �a la maison – qui n’est plus sa maison, de fait, pour le rescap�e

trait�e par les proches comme s’il �etait un fantome venu hanter les

vivants, mais le lieu de l’« avachissement », une sorte d’antith�ese de

l’�energie incarn�ee, au camp, par la « bascule du souffle » –, L�eo, en

« disciple » de l’Ange de la faim, se laisse envahir par ce bonheur qui

vient combler son « vide » int�erieur, dans l’attente du « tout dernier »,qu’il d�ecrit �a la mani�ere de l’Eccl�esiaste : « […] il surviendra un jour ou

l’autre, et chaque convive attabl�e �a mes cot�es devra restituer le nid de sa

tete, la bascule de son souffle, la pompe de sa poitrine, la salle d’attente

de son ventre » (p. 291–292).

« Poss�ed�e » par les mots – « qui font de [s]oi ce qu’ils veulent » (M€uller

2010, 272), tout comme l’Ange de la faim – et hant�e par les ombres des

disparus – les siens – auxquels il construit « des petits cercueils »26 dans

la fabrique de caisses o�u il travaille apr�es le retour, L�eo porte le camp en

soi-meme, comme s’il �etait un « tr�esor » sur lequel il �etait �ecrit « JE NE

BOUGERAI PAS DE L�A » (p. 347). C’est dans cet �etat qu’il commence

�a �ecrire dans les « cahiers �a grands carreaux » : l’indicible, qui le rend

�etranger aux proches, « enferm�e » et �egalement « expuls�e » de son etre,

324 Alina Crihan�a

Page 13: Survivre et écrire

n’appartenant ni �a ses parents, ni �a soi-meme, est �a l’origine de son �ecri-

ture du silence, le « livre 1 » (« fictionnalis�e » dans le « livre 2 » de Herta

M€uller), o�u l’on tait les faits et les mots qui, tout en faisant explicite le

grand trauma, en auraient pu pr�ejudicier les significations profondes, en

d�eplac�ant l’accent de ce nous essentiel vers un je en proie du vide. En se

souvenant, par exemple, la grande �emotion du retour quand, en recevant

son « laissez-passer » du policier roumain dans la gare de Sighetu Mar-

matiei, il avait �eclat�e « en sanglots », le narrateur se voit obliger d’avouer

son incapacit�e de confier �a la page blanche, d’une mani�ere « r�ealiste »apte �a r�ev�eler les faits nus, la totalit�e de ses exp�eriences. Son effort de

reconstitution et d’interpr�etation ayant comme objet soi-meme en « etre

du camp » se heurte de la coupure entre les deux mondes – celui, « libre

», du pr�esent de l’�ecriture, et l’espace concentrationnaire, avec ses « lois »grotesques, appartenant au pass�e qui ne cesse de le hanter – qui se laisse

traduire comme une inad�equation entre « les mots et les choses ». Laphrase de la chanteuse Loni Mich qui, en observant ses larmes, avait chu-

chot�e �a l’avocat Paul Gast « T’as vu comme il pleure, c�a d�eborde en lui

», devient embl�ematique pour ces r�ealit�es indicibles que l’�ecriture passe

sous silence, dans l’absence d’un langage ad�equat :

J’ai souvent r�efl�echi �a cette phrase, puis je l’ai �ecrite sur une page blanche. Lelendemain, je l’ai ray�ee. Le surlendemain, je l’ai remise dessous, biff�ee, puisr�ecrite. Une fois la feuille remplie, je l’ai arrach�ee. C’est c�a, le souvenir. Aulieu de mentionner la phrase de ma grand-m�ere JE SAIS QUE TU REVIEN-DRAS, le mouchoir blanc de batiste et le bon lait, j’ai d�ecrit sur des pages,comme un triomphe, mon pain du jour et le pain des joues. Et mapers�ev�erance dans l’�echange salvateur avec la ligne d’horizon et les routespoussi�ereuses. Arriv�e �a l’ange de la faim, je m’exaltai comme s’il m’avait toutbonnement sauv�e, au lieu de me torturer. Pour cette raison, je rayai le motPR�EFACE pour �ecrire au-dessus POSTFACE. C’�etait un grand fiasco int�e-rieur d’etre d�esormais en libert�e, irr�evocablement seul, et le faux t�emoin demoi-meme. (p. 334)

C’est �a ce niveau, celui du m�eta-roman qui restitue la gen�ese du r�ecit de

survivance de L�eo et, certes, celle de La bascule du souffle, que se situe la

« v�erit�e » du livre : en auteur de sa vie dans le camp, le narrateur est

non seulement l’alter ego d’Oskar Pastior, mais aussi un double fiction-

nel de la romanci�ere, convaincue que :

Quand on �ecrit, on trouve des choses que le v�ecu ne connaissait pas encore.Et cela devient une v�erit�e, car l’�ecriture a ses propres lois, artificielles. Mais la

Survivre et �ecrire 325

Page 14: Survivre et écrire

vie se moque de l’�ecriture. On n’a pas besoin de vivre pour �ecrire. C’est unepantomime: on se construit une r�ealit�e et on en vient �a d�ecouvrir des chosesinattendues. Le paradoxe est que cette v�erit�e de fiction soit ce qui correspondle mieux �a la v�erit�e. C’est �etrange, mais beau. Et c’est ce qui permet de sup-porter d’�ecrire. (Hecht & Milcent 2010, nos italiques)

La r�eflexion sur les rapports entre la vie et l’�ecriture de cette vie, par le

truchement de laquelle l’on exhibe la po�etique du silence et de la perte,

am�ene L�eo �a d�ecouvrir, par-del�a son irr�em�ediable solitude, en « faux

t�emoin de [s]oi-meme », l’�ecart identitaire (entraınant la fictionnalisation

de soi) qui se situe au cœur de la litt�erature concentrationnaire. Ce dernier

devient, �a ce point, un th�eme �a r�efl�echir pour le « livre 2 », qui vient remplir

les trous du r�ecit de survivance originaire. L’�ecriture de L�eo (tout comme

celle de Herta M€uller) commence �a partir de l’absence de soi, assum�ee

explicitement par le narrateur : « Pour pouvoir raconter quelque chose, il

faut d’abord s’en dessaisir » (M€uller 2010, 318). C’est-�a-dire, pour L�eo,

retourner �a « l’etre concentrationnaire » – « un etre de m�emoire et de

souvenir, un corps-m�emoire » (Jurgenson 2003, 70) – habit�e par l’enfer.

IV. Entre l’enfer et l’« utopie »Lorsqu’il quitte, en 1945, le milieu familial, avec sa petite valise en peau

de porc – une caisse de phonographe – pleine d’objets qui n’�etaient pas,

pour la plupart, les siens, L�eo Auberg a l’air d’un utopiste : ce jeune

homme de 17 ans, qui a plac�e dans son bagage pauvre « un Faust reli�e

pleine toile, le Zarathoustra, un mince recueil de Weinheber, et l’antholo-

gie Huit si�ecles de po�esie »27 (M€uller 2010, 16), est, inconsciemment, le

prisonnier d’une utopie livresque, qui substitue au monde « sa recon-

struction illusionniste » (Wunenburger 1979, 125). Pour le jeune homme

qui cache un secret « terrible » (son homosexualit�e « vue » par les yeux

des proches et de l’�Etat), l’enfer c’est les autres, tandis que le camp c’est,

�a ce moment-l�a, l’espace inconnu de la libert�e :

Je voulais quitter ma petite ville, ce d�e �a coudre o�u toutes les pierres avaientdes yeux. Au lieu d’avoir peur, je dissimulais mon impatience tout en ayantmauvaise conscience, car cette liste qui faisait le d�esespoir de mes proches �etaitpour moi de l’ordre de l’acceptable. Ils craignaient qu’il ne m’arrive des his-toires �a l’�etranger. Moi, je voulais gagner un endroit o�u je serais inconnu. […]Je voulais quitter ma famille, fut-ce pour me retrouver au camp. (M€uller 2010,273–274, nos italiques)

326 Alina Crihan�a

Page 15: Survivre et écrire

Il essaie d’interpr�eter le camp, avant qu’il ne le connaisse, en lui appli-

quant une lecture « rationnelle ». Au moment o�u il quitte sa maison,

L�eo a, quand meme, la conscience de faire partie d’une histoire, ou bien

d’un espace-temps et d’une communaut�e : c’est pendant la guerre, en

janvier 1945, dans une petite ville de Transylvanie, parmi ses Saxons

enivr�es de leur propre utopie aryenne et incapables de voir au-del�a de

leur « ıle ». C’est de cette « ıle » (qui refl�ete, en miroir, l’ıle souabe de

Nitzkidorf – une v�eritable obsession des �ecrits personnels de Herta

M€uller28 ) qu’il veut s’enfuir, avant le d�epart, et qui le hantera, plus tard,

dans ses ann�ees de camp : dans le territoire des ombres �a « la peau sur

les os », ravag�ees par les maladies, les poux et la faim, l’ıle saxonne ga-

gnera, lors de l’« inversion du ‘moi’ » autour de laquelle « s’articule le

mat�eriau de l’exp�erience concentrationnaire » (Jurgenson 2003, 72), un

statut utopique model�e par le « mal du pays ».L’exp�erience du camp r�ev�ele en meme temps �a L�eo le visage inconnu de

son ancienne fiction « d�eculpabilisante » (Wunenburger 1979, 181) : l’en-

fer y bascule dans le r�eel, en cr�eant « un trou dans l’histoire », perc�ue« comme le d�ebut d’une histoire non humaine » (Jurgenson 2003, 146). Il

est partout dans le monde ext�erieur et en soi-meme … comme un autre, cet

autre « poss�ed�e » par l’Ange de la faim – une sorte d’euph�emisation du

mal int�erioris�e, �egalement corporel et spirituel, une transcendance

mat�erialis�ee, qui acquiert, par-del�a la r�ealit�e grotesque �a laquelle elle ren-

voie, une dimension tragique grace �a son ambivalence-meme et qui de-

vient, paradoxalement, une modalit�e de miner l’enfer. Le h�eros-narrateur

oppose �a la transcendance vide de l’histoire (une construction id�eologique

cens�ee l�egitimer, en derni�ere analyse, la r�ealit�e du camp – cet enfer tout-

�a-fait mat�eriel) sa propre transcendance : l’Ange de la faim est, dans ce

monde �a l’envers, l’�epiphanie de la survivance, intimement li�ee – comme

l’attestent les m�etaphores redondantes du livre (y compris le livre �ebauch�e

dans les cahiers �a grands carreaux) – �a la « bascule du souffle », le symbo-

le, lui-meme rendu « mat�eriel », de l’�energie vitale du d�etenu. Il est en

meme temps l’incarnation de la « loi » du camp, du « principe de causalit�e

» qui fait correspondre �a « une pellet�ee » « 1 gramme de pain », en trans-

formant l’individu dans un « outil » de la « pelle en cœur »29 (M€uller

2010, 97), et celle d’un « ’moi’ d�echu » (Jurgenson 2003, 72) que le d�etenu

s’efforce de maıtriser durant sa descente aux enfers, sur les traces, peut-

etre, de ses mod�eles livresques qu’il a symboliquement « d�evor�es »30 :

Survivre et �ecrire 327

Page 16: Survivre et écrire

L’ange de la faim me presse les joues contre son menton. Il bouscule monsouffle. La bascule du souffle est en d�elire, et quel d�elire. […] �Epingl�e au ciel,mon cerveau fr�emit, n’ayant plus que ce point fixe. […] L’ange de la faim re-garde sa balance et dit :

Tu n’es pas encore assez l�eger, pourquoi ne pas lacher prise…Je r�eponds : tu me trompes avec ma chair. Elle est ton esclave. Mais je ne suispas ma chair. Je suis autre chose et je ne vais pas lacher prise. Autant oublierqui je suis; et ce que je suis, je ne te le dirai pas. Or c’est ce qui fausse ta ba-lance. (M€uller 2010, 98–99, nos italiques)

Le h�eros refuse donc de se laisser �ecraser par la n�ecessit�e qui r�egne dans

ce monde qui r�eserve �a l’individu, par le supreme abrutissement, une con-

dition sous-humaine : il lui oppose son imagination po�etique qui par-

vient, paradoxalement, �a en sublimer. Il en r�esulte cette « insupportable »po�esie de l’enfer fond�ee sur les mots-objets, les mots-etres, les mots-sensa-

tions… En po�ete, L�eo se d�etache de soi-meme, dans l’hypostase de

d�etenu, et vient habiter les mots. Il s’exile dans les mots : exclu de sa pro-

pre biographie31 (qui lui semble, dans le camp, celle d’un autre), il survit

�a soi-meme �a travers l’exil dans la parole po�etique. Un exil dans une uto-

pie de la parole, cens�ee « ordonner » le chaos concentrationnaire.

Mais, de retour �a son « ıle », L�eo est en proie d’une nouvelle « inver-

sion du ‘moi’ », au fur et �a mesure que ce monde-l�a transfigur�e, au

camp, dans son « film » int�erieur, regagne son aspect « infernal » : la

fracture instaur�ee dans le « chez soi » par l’exp�erience concentrationnaire

rend plus profonde la rupture entre soi-meme et les autres. Au « mal du

pays » qui avait « min�e » le jeune d�eport�e durant ses ann�ees de camp,

« n’ayant plus rien �a voir avec notre vrai foyer » (M€uller 2010, 274) –

comme l’atteste la constatation am�ere du narrateur – vient se substituer

une sorte de mal du camp. L’enfer du camp, qui acquiert l’apparence

d’un « vrai foyer », survit lui-meme, dans cette version euph�emis�ee, dans

les reves obs�edants du rescap�e :

Et soixante ans plus tard, je fais ce reve. Je suis d�eport�e pour la deuxi�eme, la troi-si�eme ou meme la septi�eme fois. Je pose ma caisse de phonographe pr�es de la fon-taine, et j’erre sur la place du rassemblement. L�a, pas de brigades, pas denatchalniki. Je n’ai pas du travail. Le monde et la nouvelle direction du campm’ont oubli�e. V�et�eran du camp, je fais valoir mon exp�erience. […] Je garde d’ail-leurs de ma premi�ere d�eportation un bout de charbon noir bleut�e, gros comme unscarab�ee, qui est plant�e dans mon tibia. Je montre l’endroit comme si c’�etait lam�edaille d’un h�eros. […] Je me sens d�elaiss�e. Personne ne veut de moi, ici, et jen’ai absolument pas le droit de partir. Dans quel camp ce reve a-t-il atterri… […]

328 Alina Crihan�a

Page 17: Survivre et écrire

Veut-il me d�eporter �a l’infini sans me donner du travail, meme dans le septi�emecamp. C’est vraiment blessant. Meme si ce reve me d�eporte pour la �eni�eme fois etque je me trouve dans je ne sais quel camp, je n’ai rien �a lui objecter. […] Qu’est-cequi me pousse �a un tel attachement. Pourquoi vouloir, la nuit, avoir droit �a mad�etresse. Pourquoi ne puis-je etre libre. Pourquoi forcer le camp �a m’appartenir.Le mal du pays. Comme si j’en avais besoin. (p. 280–281)

Le reve fait surgir une « identit�e meurtrie » (Jurgenson 2003, 72) qui rend

superflue la tentative renouvel�ee d’une interpr�etation rationnelle du monde,

cette fois-ci du monde « normal », o�u le survivant ne parvient pas �a trouver

sa place. Confront�e �a cette « r�esistance » que lui oppose le monde, le h�eros

de Herta M€uller r�einvente le camp �a son propre usage : apr�es avoir tent�e de

le « fixer » par l’�ecriture, il le pr�eserve dans ses « tr�esors » r�epertori�es �a la findu livre, dont « le plus dur est [s]a force du travail » :

Cette inversion du travail forc�e est un �echange salvateur. J’ai en moi un for-cen�e de la grace qui est un parent de l’ange de la faim. Il sait le moyen dedresser tous les autres tr�esors. Il me monte au cerveau, me pousse �a etreenvout�e par la contrainte, car j’ai peur d’etre libre. (p. 348, nos italiques)

Soixante ans apr�es sa d�eportation, le « vieux » L�eo m�ene sa vie dans un

camp int�erieur o�u, dans les rares moments de « libert�e », le forcen�e se

donne le plaisir de danser avec les objets, r�einvent�es eux-memes afin de

pouvoir etre appropri�es, sinon apprivois�es. La danse avec la th�ei�ere, le

sucrier, la boıte �a biscuits, le t�el�ephone, le r�eveil, le cendrier, les cl�es, un

bouton, un raisin sec poussi�ereux, sur les rythmes de « La Paloma toute

pliss�ee » qui avait appel�e tant de fois, dans ses ann�ees de camp,

l’irr�epressible mal du pays, est, �evidemment, une pantomime. Elle lui per-

met de supporter de vivre, tout comme la pantomime du monde r�einvent�e

�a travers l’�ecriture permet �a sa cr�eatrice de « supporter d’�ecrire ».

V. Pour conclure

Herta M€uller n’est pas une « partisane » de la « r�esistance par l’�ecriture »,non dans le sens donn�e �a ce syntagme dans les d�ebats suscit�es, dans son pays

d’origine, par les r�evisions culturelles post-totalitaires. Mais son �ecriture

est, sans aucun doute, hant�ee par le th�eme de la r�esistance. De fait, pour

l’�ecrivaine qui reconnaıt, quelque part dans Der K€onig verneigt sich und

t€otet, que les choses v�ecues qui disparaissent dans le temps (y compris dans

les oubliettes de l’Histoire) r�eapparaissent dans la litt�erature, cette derni�ere

Survivre et �ecrire 329

Page 18: Survivre et écrire

est une forme de r�esistance. C’est dans cette perspective qu’elle construit

tous ses livres et La bascule du souffle n’est pas une exception, d’autant plus

qu’il est d�edi�e �a la m�emoire d’un survivant du Goulag, d’un ami pr�ecieux et

d’un grand po�ete, « l’un des plus grands […] d’Europe », dont l’œuvre

« immense » (Hecht & Milcent 2010) est, par elle-meme, une preuve incon-

testable de la r�esistance. Fond�e sur un r�ecit de survivance cens�e restituer,

par-del�a l’histoire personnelle – rendue exemplaire – d’Oskar Pastior, les

horreurs li�ees �a la d�eportation des Allemands de Roumanie dans les camps

sovi�etiques apr�es la seconde guerre mondiale, le roman de Herta M€uller est

�egalement un livre sur la possibilit�e de survivre, tout en pr�eservant son

humanit�e, par le truchement de l’�ecriture en tant qu’antidote contre la

solitude, l’oubli et le silence. Un antidote contre la mort de l’humain �ecras�e

sous le poids de l’Histoire �a laquelle l’id�eologie l�egitimatrice du Goulag

avait attribu�ee une dimension transcendante.

Tout en inscrivant la perte – en tant qu’expression du n�eant (�egalement in-

dividuel et historique) – dans la po�esie du silence, l’�ecriture romanesque de

Herta M€uller parvient �a instaurer sa propre transcendance, refl�et�ee en

abyme par le travail « cosmogonique » de son protagoniste. Un po�ete (tout

comme son « prototype » r�eel), qui ne pouvait pas (re)voir son exp�erience

du camp autrement que par les yeux d’un po�ete. Une vision « r�ealiste » ou

«mim�etique » n’aurait donc pu que pr�ejudicier l’authenticit�e de son « livre-image », tout comme celle du livre o�u l’on fictionnalise son exp�erience. Mais

l’authenticit�e de la construction po�ematique du roman de Herta M€uller ne

r�eside pas seulement dans l’ad�equation de son style �a la voix et �a la perspec-

tive du narrateur–protagoniste dont l’histoire a �et�e inspir�ee par celle d’un

po�ete. Il nous semble que, dans La bascule du souffle, « la po�eticit�e viendraitpr�ecis�ement trouver sa place l�a o�u la litt�erarit�e signifie unmanque, elle serait

le mouvement du po�eme qui traverse les langues et les �ecarte pour y faire

entendre l’autre pr�esence du monde » (Mesnard s. d.). Non seulement la

po�esie n’y a rien affaire �a la repr�esentation �edulcor�ee (ou « parfum�ee »)d’une r�ealit�e terrifiante, mais, au contraire, elle s’av�ere la seule modalit�e apte

�a « configurer ce qui se soustrait » (Deguy 1998, 31). Le roman de Herta

M€uller n’est pas, de ce point de vue, si diff�erent des autres �ecritures sur l’uni-

vers concentrationnaire. En restant dans les cadres de l’excellente d�emon-

stration de Philippe Mesnard, il convient d’observer que l’�ecriture po�etique

de la survivance y repr�esente, en outre, l’expression la plus ad�equate de la

r�esistance, dans ce sens que,

330 Alina Crihan�a

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si toute marque stylistique est marque de la subjectivit�e, c’est la r�esistancememe du sujet �a son ali�enation qui, plus encore que dans le langage, s’exprimepar l’�ecart introduit dans le langage par une langue r�esistante, �ecart o�u le sujettrouve ainsi lieu d’etre par et dans son rapport au lecteur, mais aussi, selon lesauteurs (par exemple, Delbo, Levi), un lieu pour se mettre en rapport avec lesmorts. (Mesnard s. d.)

En faisant « basculer » l’enfer de l’Histoire dans le pr�esent de la lecture (ce

pr�esent qui s’av�ere encore incapable �a r�egler ses comptes avec un pass�e

obs�edant), La bascule du souffle nous livre non seulement une lec�on sur

l’indestructibilit�e de l’homme et de l’artiste confront�e au « chaos » qui forceses limites, mais aussi la r�ev�elation de l’infranchissable force de litt�erature,

en gardienne de la m�emoire, de contrecarrer toute tentative d’attenter �a nos

« tr�esors » les plus intimes. Ne fut-ce que par une « inversion » qui mute « leciel en bas, la terre en haut ».

NOTES

1. Cet article a �et�e r�ealis�e dans le cadre du projet « La valorisation des identit�es cul-turelles dans les processus globaux », cofinanc�e par l’Union Europ�eenne (le FondSocial Europ�een) et le Gouvernement de Roumanie �a travers le ProgrammeOp�erationnel Sectoriel pour le D�eveloppement des Ressources Humaines 2007–2013, contrat de financement no. POSDRU/89/1.5/S/59758.

2. Voir Schr€oder 2009.3. Radisch 2009. L’article est sous-titr�e « Gulag-Romane lassen sich nicht aus zwei-

ter Hand schreiben. Herta M€ullers Buch ist parf€umiert und kulissenhaft ».4. Cf. Braun 2011, 42:

Entscheidend f€ur die literarische Erinnerung sind also die Signale der Fiktion:der Gattungsname und andere Paratexte, die Erz€ahlerfunktion und die Literari-sierung der Sprache. Diese Signale besiegeln die Glaubhaftigkeit der Geschichtedurch einen fiktionalen Pakt zwischen Autor und Leser. […] Neben der Gat-tungszuordnung zum Roman enth€alt Atemschaukel ein weiteres bedeutendes Fik-tionssignal. Das knapp anderthalbseitige Nachwort erl€autert den historischenKontext des Romans und die autobiographischen Umst€ande seiner Entstehung.

5 . L’auteur emprunte les mots de Herta M€uller, dont il cite Immer derselbe Schneeund immer derselbe Onkel (M€unchen: Hanser, 2011, p. 202).

6 . Rappelons avec Jean-Marie Schaeffer, que, « dans la plupart de ses formes, la fic-tion n’imite pas la r�ealit�e, mais nos modes de repr�esentation de la r�ealit�e »(Schaeffer s. d.).

7 . Cela ne veut pas dire que le roman serait d�epourvu d’une dimension �ethique. Sil’on croit �a Bettina Bannasch, « la perspective int�erieure » y est l�egitim�ee juste-ment par ce penchant �ethique :

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Whatmakes the adoption of a first-person perspective inAtemschaukel remarkable,however, is the fact that the biographical material in question is that of someoneelse. It brings with it the adoption of a fundamentally new perspective towards theethical interest in a ‘state of emergency’, and for this reason I should like to rein-force here the distinction I drew earlier betweenM€uller’s way of looking at the mat-ter and Giorgio Agamben’s. Agamben begins his reflections on the homo sacerwitha discussion of Carl Schmitt’s definition of a ‘state of emergency’ (in German moreliterally a ‘state of exception’: Ausnahmezustand). According to Schmitt, ‘sovereignis he who decides on the state of exception.’ What Herta M€uller does in her literarywork sets up an opposition to the political and juridical discussion that Agambendevelops in response to Schmitt in Homo sacer. She departs from the external per-spective that Schmitt and Agamben adopt in developing their argument from thepoint of view of a sovereign power that determines the ‘state of emergency’, and sheadopts the internal perspective of the person who experiences the emergency situa-tion and who subsequently has to live with this experience. This person is allowed tospeak as the ‘I’ in the text. This shift of perspective on the ‘state of emergency’ is, Ibelieve, one of themain achievements of the novelAtemschaukel. (Bannasch 2011, 134)

Cf. Giorgio Agamben, Homo sacer: Sovereign Power and Bare Life, trans. D.Heller-Roazen (Stanford, Calif. : Stanford University Press, 1998).

8. De ce dernier point de vue, il conviendrait de rappeler la critique qu’apporte au romanWolfgang Beutin dans le chapitre d�edi�e �a HertaM€uller de son livre paru en 2012, inti-tul�e Preisgekr€onte: Zw€olf Autoren und Autorinnen von Paul Heyse bis Herta M€uller.Ausgew€ahlte Werke, sprachkritisch untersucht. Situ�ee dans la perspective d’une« Sprachkritik », partiellement tributaire �a la « Stilkritik », la d�emarche de W. Beutins’int�eresse �a « l’art de l’�ecriture », en d’autres mots, �a la valeur esth�etique du romanconc�ue du point de vue de sa dimension stylistique. A notre avis, une telle analyse duroman devrait prendre en compte, dans une perspective comparatiste, les diff�erents ef-fets stylistiques engendr�es par les traductions (en roumain, franc�ais et anglais). D’au-tre part, il y faudrait tenir compte aussi du « poids » obsessif du roumain et aussi dudialecte allemand sp�ecifique �a l’espace d’origine, que l’auteure ne cesse de comparer,en particulier dans ses essais, �a l’allemand « litt�eraire ». En ce qui est des versions rou-maine et franc�aise d’Atemschaukel, sur lesquelles se fonde notre propre d�emarche, ilnous semble que, sous l’aspect de cette dimension stylistique, la po�esie cruelle et�etrange du monde concentrationnaire est non seulement pourvue d’une incontestablevaleur esth�etique, mais aussi parfaitement ad�equate au th�eme et �a la perspective quir�egit la (re)construction fictionnelle de cet univers des « d�eposs�ed�es ».

9. Dans les termes de Philippe Lejeune, « le pacte autobiographique » implique« l’affirmation dans le texte » de « l’identit�e du nom (auteur–narrateur–person-nage) » (Lejeune 1996, 26).

10. Omnipr�esente dans l’œuvre de Herta M€uller, en tant que « textual metaphor fortrauma » (Marven 2007, 123 ; « m�etaphore textuelle du trauma »), la technique ducollage refl�ete, par-del�a la fragmentation identitaire de l’auteure et de son person-nage, un effort de r�esister �a toute totalisation rappelant l’id�eologie l�egitimatrice dumonde totalitaire / concentrationnaire. Dans les termes de Thomas Cooper, « thecollages can be read as expressions ofM€uller’s resistance to any unifying total vision,including national communism and ethnic nationalism » (Cooper 2009, 491; « les

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collages peuvent etre lus en tant qu’expressions de la r�esistance de M€uller contretoute vision totalisante unificatrice, y compris celle du national-communisme et dunationalisme ethnique » [notre trad.]).

11. On a cit�e l’analyse que fait Luba Jurgenson de son propre livre, lors de l’entre-tien avec Alexandre Prstojevic, publi�e sur Vox Poetica (Prstojevic s. d.).

12. Voir Hecht & Milcent 2010. L’expression cit�ee renvoie au style po�etique d’OskarPastior qui « avait l’habitude de dire que sa langue avait �et�e bris�ee au goulag.Avec ses po�emes, on atteint le degr�e z�ero de la condition humaine ». Voir aussiSteinecke 2011, 14–32.

13. Dans les termes de Paul Ricœur, « la mise en intrigue est l’op�eration qui tire d’unesimple succession une configuration. » Et encore : « La configuration de l’intrigueimpose �a la suite ind�efinie des incidents le sens du point final […]. Point final commecelui d’o�u l’histoire peut etre vue comme une totalit�e » (Ricœur 1983, 127, 131).

14. Selon Paul Ricœur, « la personne, comprise comme personnage de r�ecit, n’estpas une entit�e distincte de ses ‘exp�eriences’. Bien au contraire : elle partage ler�egime de l’identit�e du personnage, qu’on peut appeler son identit�e narrative, enconstruisant celle de l’histoire racont�ee. C’est l’identit�e de l’histoire qui faitl’identit�e du personnage » (Ricœur 1990, 175).

15. Cette gen�ese comprend « trois phases » qui expliquent la « litt�erarisation » de lam�emoire dans La bascule du souffle, comme le d�emontre Michael Braun, dansson �etude cit�ee ci-dessus, �a partir de la meme postface :

Die erste Phase des kollektiven Ged€achtnisses ist eine Phase des Schweigens undVerschweigens. […] Diese verborgene Familienerinnerung war der „Ausgangs-punkt“, um dem Geschehenen unter einer pers€onlichen Perspektive nachzufor-schen […]. […] Die zweite Phase des komunikativen Ged€achtnisses geht von einemprivilegierten prim€aren Zeitzeugnis aus. Der entscheindende Impuls war das re-gelm€aßige m€undliche Gespr€ach mit Oskar Pastior […] In der entscheidenden drit-ten Phase werden die kollektiven und kommunikativen Erinnerungen zu einem Teildes literarischen Ged€achtnisses. Aus den regelm€aßigen Treffenmit Pastior gingen vierhandschriftliche Notizb€ucher hervor, in denen Herta M€uller Skizzen zum Lager an-fertigte und die m€undlichen Erinnerungen des Freundes festhielt. (Braun 2011, 43–44)

16. Voir �a ce sujet la postface de La bascule du souffle et, en particulier, les confes-sions de Herta M€uller inclues dans ses volumes d’essais (auto)biographiques, no-tamment Der K€onig verneigt sich und t€otet (2003) et Immer derselbe Schnee undimmer derselbe Onkel (2011), mais aussi son roman autobiographique de 1994,Herztier.

17. Rappelons, en l’extrapolant, la th�eorie de Philippe Gasparini, qui croit que :

L’attribution �a un roman d’une dimension autobiographique [dans notre cas,« allo-autobiographique »] est […] le fruit d’une hypoth�ese herm�eneutique, ler�esultat d’un acte de lecture. Les �el�ements dont dispose le lecteur pour avancercette hypoth�ese ne se situent pas seulement dans le texte, mais aussi dans lep�eritexte, qui entoure le texte, et dans l’�epitexte, c’est-�a-dire les informationsglan�ees par ailleurs. (Gasparini 2004, 25–26)

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18. Cet �ecart est d’ailleurs inh�erent �a toute reconstitution d’un parcours personnel.Elisabeth W. Bruss, Philippe Lejeune, Jean Starobinski, Gis�ele Mathieu-Castellan-i, Georges Gusdorf, Thomas Clerc, Jean-Philippe Miraux, S�ebastien Hubier, pourne nommer que quelques-uns des th�eoriciens pr�eoccup�es par le d�edoublement du jesp�ecifique aux �ecritures du moi, ont tous remarqu�e cet « �ecart », �a la fois identi-taire et temporel, qui s�epare les instances du r�ecit (l’auteur r�eel, en tant qu’indi-vidu ayant une identit�e socio-historique /vs/ l’auteur implicite, d’une part, etl’auteur implicite /vs/ le narrateur /vs/ le personnage – en tant qu’instances tex-tuelles –, d’autre part) et sur lequel s’y fonde la « configuration » de l’histoire ra-cont�ee.

19. C’est la double perspective d’Oskar Pastior, en tant qu’auteur r�eel de l’histoireracont�ee – celle du « livre 1 » – transf�er�ee aux instances romanesques, le narra-teur et le personnage.

20. Voir �a ce sujet l’article de Luba Jurgenson, « La repr�esentation de la limite dansquelques r�ecits des camps » (Jurgenson s. d.).

21. Cette d�eclaration est cit�ee par Christine Rousseau (2009).22. En racontant l’exp�erience de la d�esinfection, qui fait partie du rituel du camp, le nar-

rateur d�ecrit la nudit�e des d�eport�es qui, ravag�es par la famine, les maladies et lespoux, apparaissent comme des etres sans corps – cette « d�epouille » appartenant« aux Russes » : «Une fois nus, avec nos silhouettes d�eform�ees et pel�ees, nous avionsl’air d’etre du b�etail de rebut. Personne n’avait honte. De quoi avoir honte, quand onn’a plus de corps » (M€uller 2010, 277, nos italiques).

23. Voir �a ce sujet l’excellente d�emonstration de Bettina Bannasch, qui d�eveloppe –dans l’�etude cit�ee ci-dessus –son analyse concernant la signification du « pointz�ero » �a partir de la th�eorie de Roland Barthes, tout en soulignant en quelle me-sure les �ecrits de Herta M€uller et d’Oskar Pastior en sont redevables :

For Barthes, the zero-point marks the centre from out of which this engagementwrites itself; it should not be understood so much as the zero-point of literature, butrather as that of narration. The gaping mouth of the zero, the memory of the experi-ence of hunger, is the ethical centre of the novelAtemschaukel […].

Et encore : « The zero-point for Barthes is not a zero-point in any chronologi-cal sense, nor does it relate to literature arriving at or departing from azero-point. Rather it refers to a different level of signication, that of �ecriture »(Bannasch 2011, 128–129). Cf. Ottmar Ette, Roland Barthes. Eine intellektuelleBiographie, Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1998, p. 62–64).

24. Cf. Durand 1964, 11–12 : « Le symbole est […] �epiphanie, c’est-�a-dire apparition,par et dans le signifiant, de l’indicible. »

25. « […] j’ai le camp, et il m’a. […] Quant �a L�eo Auberg, je peux m’en passer »(M€uller 2010, 166).

26. « J’avais en tete Mitzi la Sourde, Peter Schiel, Irma Pfeifer, Heidrun Gast et Co-rina Marcu, nus et sous terre. Pour le contremaıtre, je fabriquais des caisses �abeurres et �a aubergines ; �a mes yeux, c’�etaient des petits cercueils en sapin encorejeune » (M€uller 2010, 335, nos italiques).

27. Ce sont des livres qu’il ne parviendra jamais �a (re)lire au camp et qu’il va« d�evorer » sous forme de nourriture :

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Moyennant cinquante pages de papier �a cigarettes arrach�e �a mon Zarathoustra,j’avais une mesure de sel, et meme une de sucre si je donnais soixante-dix pages.Contre tout mon Faust reli�e en pleine toile, Peter Schiel m’a fabriqu�e un peigne �apoux en fer-blanc. Quant �a l’anthologie Huit si�ecles de po�esie, je l’ai d�evor�ee sousforme de polenta ou du saindoux, et le mince recueil de Weinheber, je l’ai trans-form�e en millet. La lecture ne rend pas d�elicat, mais discret. (M€uller 2010, 133)

Notons que l’association symbolique de l’�ecriture (de soi) et de la d�evoration estun th�eme redondant dans l’œuvre de Herta M€uller (voir, par exemple, Immer der-selbe Schnee und immer derselbe Onkel).

28. Voir �a ce sujet Bauer 1997, 263–275. Cf. White 2002, 171–187.29. « Je voudrais que la pelle en cœur soit mon outil, or elle r�egne en maıtre. L’outil,

c’est moi. Elle r�egne, je me soumets. […] Je lui suis redevable : pelleter pouravoir du pain m’empeche de penser �a la faim » (M€uller 2010, 97).

30. Voir la note 27.31. Rappelons en outre, avec Luba Jurgenson, que, dans l’�ecriture de l’exp�erience

concentrationnaire,

l’�eviction du biographique ne sert pas uniquement l’objectif de la cr�eation dupr�esent. Elle est �egalement l’expression d’une autre particularit�e du r�ecit sur lecamp : la place et l’�epaisseur du h�eros de ce r�ecit. Par le biographique, toutcomme par la description physique, le h�eros du r�ecit acquiert une existence au-tonome. (Jurgenson 2003, 53)

Or, l’un des rep�eres qui permettent au d�etenu de survivre dans l’enfer du camp,c’est la solidarit�e avec les siens (comme le laisse entendre l’�episode de « l’affairecriminelle du pain »), la conscience d’appartenir �a un nous, ce nous concentration-naire qui approfondit la rupture d’avec les biographies individuelles.

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Alina Crihan�a ([email protected]) est maıtre de conf�erences en litt�erature rou-maine et en th�eorie de la litt�erature �a l’Universit�e « Dun�area de Jos » de Galat�i(Roumanie). Elle a publi�e plus de 90 articles et 4 volumes, dont le plus r�ecent –L’�ecrivain roumain de l’apr�es-guerre et la « terreur de l’histoire ». Dilemmes et (re)constructions identitaires dans les r�ecits de vie (2013) – est le r�esultat d’une recherchepostdoctorale d�eroul�ee sous l’�egide de l’Acad�emie Roumaine. Parmi ses derniers arti-cles il faut rappeler « Les illusions culturelles du (post)communisme roumain :histoire, m�emoire et fictions identitaires » (Romanistische Zeitschrift f€ur Litera-turgeschichte, 2012), « Mythologies identitaires et ‘id�eologie (auto)biographique’ dansl’�ecriture m�emorielle du post-totalitarisme roumain » (Arcadia, 2013) et « La viecomme un ‘roman’ ou les m�emoires d’un exil�e ‘atypique’ : Virgil T�anase – Un, deux,trois, la mort ! » (Diasporas, histoire et soci�et�es, 2013).

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