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Cest par la seule considération des actions, sans aucun égard auc personnages qu’on doit déterminer de quelle espéce est un poéme dramatique (Epítre, p. La tragédie doit exciter de la pitié et de la crainte, et cela est de ses parties essentiell es, puisqu’il entre dans Sa définiton. Or, s’il est vrai que ce dernier sentiment [isto o temor] nc s’excite en nous par sa représentation que quand nous voyons soui frir nos semblables, et que leuis mfortunes nous en font appréhender de pareill es, n’est-il pas vrai aussi qu’il y pourrait étre excité plus fortement par la vue des malheurs arrivés aux personnes de notre condition, á qui nous ressemblons tout fait, que par l’image de ceux qui font trébucher de leurs tr6nes les plus grands monarques, avec qui nous n’avons aucun rapport qu’en tant que nous sommes susceptibles des passions qui les on jetés dans ce précipice; ce qui ne se rencontre pas toujours? (Epttre, p. 6o8).3 Nous avons pitié de ccux que nous voyons souffrir un inaiheur qu’ils ne méritent pas, et nous craignons qu’il ne nous en arrive un pareil, quand nous le voyons souff rir á nos semblables.1 Les infortunes des autres hommes y trouveraient place, s’iI leur en arrivait d’assez illustres et d’assez extraordinaires pour la m&iter et que l’histoire prit assez de soin d’eux pour nous les apprendre (Discours, p. 78).’ le spectateur peut concevoir avec facilité que si un rol, pour trop s’abandonner á l’ambition, l’amour, la haine, á la vengeance tombe dans un maiheur si grand qu’il lul fait pitié, i plus forte raison lui qui n’est qu’un homrne du cornmun doit tenir la bride á de telles passionS de peur qu’dlles nc l’abiment dans un pareil mal 1ieur (pp. 77-8). 8 Cette réponse de M. Corneille, au lieu de résoudre la dificulté, prouveroit plCitót que la définition d’Aristote est fausse. En effet, si tous les malheurs qu’on s’attire par ses passions donnoient de la crainte indifferemment á tout le monde, ceux des Princes et des Rois en donneroient au peuple, comme ceux des autres hommes et par consequent Aristote auroit eü tort de dire dans sa Rhetorique et icy Listo é, na Poética, capítulo 13], que la crainte nait de la misére de nos semblables. La véritable réponse se doit tirer de la doctrine méme d’Aristote, qui a déja faiL voir que le sujet de la Tragedie est d’abord une Cable universelle, qui regarde tous les hornmes en general; ce n’est ny Edipe, ny Atrée, ny Thyeste, c’est un homme ordinaire á qui on donne tel norn qu’on veut: mais pour rendre son action plus grande et plus croyab le, le poete luy donne un nom illustre qui soit connu: cependant quoyque cette fable soit rendue singuliére par limposition des noms, elle ne change pourtant pas de nature au fond, et demeure toújours generale; c’est toújours un honime ordinaire qui agit sous le nom d’un Prince ou d’un Roy. Ainsi Aristote a eü raison d’appeller ces Princes et ces Rois, ‘nous semblables’; car le Poéte n’a pas en veüe d’imiter les actions des Rois, mais les actions des hommes; c’est nous qu’il repres ente. ‘Mutato nomine de te fabula narratur’ (grifo de Szondi).9 Notre maxirne de faire aimer nos principaux acteurs n’était pas de l’usage de nos anciens, et ces républicains avaient une si forte haine des rois, qu’ils voyaient avec plaisir des crimes dans les plus innocents de leur race (Discours, p. 104))° Si la mire d’lphigénie se montrait un moment reine d’Argos et femme du général des Grecs, elle ne me paraitrait que la derniére des créatures. La véritable dignité, celle qui me frappe, qui me renverse, c’est le tableau de l’amour maternel dans toute sa vérité (cE. E., p. 91).12 J’y vis un tableau, e j’y entendis un discours queje n’ai point oubliés. Le mort était étendu sur un lit. Ses jambes nues pendaient hors du Jit. Sa fernrne échevelée était terre. Elle tenait les pieds de son man; et elle disiat en fondant en larmes, et ayee une action qui en arrachait á tout le monde : ‘Hélas! quand je t’envoyai ici, je nc pensais pas que ces picds te rncnaient á la mort Croyez-vous qu’une fernme d’un autre rang [urna princesa, urna rainhaj aurait été plus pathétique? Non. La inérne situation lui eitt inspiré le méme discours. Son árne eút été celle du moment; et ce qu’il faut que l’artiste trouve, c’est ce que tout le monde dirait en pareil cas; ce que personne n’entendra, sans le reconnaitre aussitót en soi. Les grands intéréts, les grandes passions. Voih la source des grands discours, des discours vrais... (ca. E, p. grifo de Szondi))3 La maitresse de Barnevelt entre échevelée dans la prison de son arnant. Les deux amis s’ernbrassent et tombent u terre. Phi1octte se roulait autrefois l’entrée de sa caverne. uy faisait entendre les cris inarticulés de la douleur. Ces cris formaient un vers peu nornbreux; mais les entrailles du spectateur en étaient déchi.jées. Avonsn ous pius de délicatesse et plus de génie que les Athéniens? [...] Quoi donc, pourr ait-il y avoir rien de trop véhément dans l’action d’une mére dont on irnmole la tille? Qu’elle coure sur la scéne comme une femme

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Cest par la seule considération des actions, sans aucun égard auc personnages qu’on doit déterminer de quelle espéce est un poéme dramatique (Epítre, p.

La tragédie doit exciter de la pitié et de la crainte, et cela est de ses parties essentiell es, puisqu’il entre dans Sa définiton. Or, s’il est vrai que ce dernier sentiment [isto o temor] nc s’excite en nous par sa représentation que quand nous voyons soui frir nos semblables, et que leuis mfortunes nous en font appréhender de pareill es, n’est-il pas vrai aussi qu’il y pourrait étre excité plus fortement par la vue des malheurs arrivés aux personnes de notre condition, á qui nous ressemblons tout fait, que par l’image de ceux qui font trébucher de leurs tr6nes les plus grands monarques, avec qui nous n’avons aucun rapport qu’en tant que nous sommes susceptibles des passions qui les on jetés dans ce précipice; ce qui ne se rencontre pas toujours? (Epttre, p. 6o8).3

Nous avons pitié de ccux que nous voyons souffrir un inaiheur qu’ils ne méritent pas, et nous craignons qu’il ne nous en arrive un pareil, quand nous le voyons souff rir á nos semblables.1

Les infortunes des autres hommes y trouveraient place, s’iI leur en arrivait d’assez illustres et d’assez extraordinaires pour la m&iter et que l’histoire prit assez de soin d’eux pour nous les apprendre (Discours, p. 78).’

le spectateur peut concevoir avec facilité que si un rol, pour trop s’abandonner á l’ambition, l’amour, la haine, á la vengeance tombe dans un maiheur si grand qu’il lul fait pitié, i plus forte raison lui qui n’est qu’un homrne du cornmun doit tenir la bride á de telles passionS de peur qu’dlles nc l’abiment dans un pareil mal 1ieur (pp. 77-8). 8

Cette réponse de M. Corneille, au lieu de résoudre la dificulté, prouveroit plCitót que la définition d’Aristote est fausse. En effet, si tous les malheurs qu’on s’attire par ses passions donnoient de la crainte indifferemment á tout le monde, ceux des Princes et des Rois en donneroient au peuple, comme ceux des autres hommes et par consequent Aristote auroit eü tort de dire dans sa Rhetorique et icy Listo é, na Poética, capítulo 13], que la crainte nait de la misére de nos semblables. La véritable réponse se doit tirer de la doctrine méme d’Aristote, qui a déja faiL voir que le sujet de la Tragedie est d’abord une Cable universelle, qui regarde tous les hornmes en general; ce n’est ny Edipe, ny Atrée, ny Thyeste, c’est un homme ordinaire á qui on donne tel norn qu’on veut: mais pour rendre son action plus grande et plus croyab le, le poete luy donne un nom illustre qui soit connu: cependant quoyque cette fable soit rendue singuliére par limposition des noms, elle ne change pourtant pas de nature au fond, et demeure toújours generale; c’est toújours un honime ordinaire qui agit sous le nom d’un Prince ou d’un Roy. Ainsi Aristote a eü raison d’appeller ces Princes et ces Rois, ‘nous semblables’; car le Poéte n’a pas en veüe d’imiter les actions des Rois, mais les actions des hommes; c’est nous qu’il repres ente. ‘Mutato nomine de te fabula narratur’ (grifo de Szondi).9

Notre maxirne de faire aimer nos principaux acteurs n’était pas de l’usage de nos anciens, et ces républicains avaient une si forte haine des rois, qu’ils voyaient avec plaisir des crimes dans les plus innocents de leur race (Discours, p. 104))°

Si la mire d’lphigénie se montrait un moment reine d’Argos et femme du général des Grecs, elle ne me paraitrait que la derniére des créatures. La véritable dignité, celle qui me frappe, qui me renverse, c’est le tableau de l’amour maternel dans toute sa vérité (cE. E., p. 91).12

J’y vis un tableau, e j’y entendis un discours queje n’ai point oubliés. Le mort était étendu sur un lit. Ses jambes nues pendaient hors du Jit. Sa fernrne échevelée était terre. Elle tenait les pieds de son man; et elle disiat en fondant en larmes, et ayee une action qui en arrachait á tout le monde : ‘Hélas! quand je t’envoyai ici, je nc pensais pas que ces picds te rncnaient á la mort Croyez-vous qu’une fernme d’un autre rang [urna princesa, urna rainhaj aurait été plus pathétique? Non. La inérne situation lui eitt inspiré le méme discours. Son árne eút été celle du moment; et ce qu’il faut que l’artiste trouve, c’est ce que tout le monde dirait en pareil cas; ce que personne n’entendra, sans le reconnaitre aussitót en soi. Les grands intéréts, les grandes passions. Voih la source des grands discours, des discours vrais... (ca. E, p. grifo de Szondi))3

La maitresse de Barnevelt entre échevelée dans la prison de son arnant. Les deux amis s’ernbrassent et tombent u terre. Phi1octte se roulait autrefois l’entrée de sa caverne. uy faisait entendre les cris inarticulés de la douleur. Ces cris formaient un vers peu nornbreux; mais les entrailles du spectateur en étaient déchi.jées. Avonsn ous pius de délicatesse et plus de génie que les Athéniens? [...] Quoi donc, pourr ait-il y avoir rien de trop véhément dans l’action d’une mére dont on irnmole la tille? Qu’elle coure sur la scéne comme une femme furieuse ou

troublée; quIIe retnplisse de cris son palais; que le désordre ait passé jusque dans ses vétements, ces choses conviennent u son désespoir (ca. E.,pp.9o-91).’4