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22 TRAJECTOIRE Printemps 09 teurs du marché observent un tassement de la demande, en particu- lier sur les marchés qui dépendent du prix des matières premières comme la Russie, l’Ukraine ou le Moyen-Orient. Mais il faut relativiser: nous avons connu deux années record, et peut-être que nous revien- drons aux résultats de 2007 cette année. A l’époque, on sabrait le champagne avec de tels chiffres! Quel sera le rythme de production de Hublot avec la nouvelle manufacture? Nous allons à terme verticaliser 60 à 70% de la production, c’est-à- dire que sur 30’000 montres produites, 20’000 seront faites chez nous, le reste des mouvements proviendra toujours des fournisseurs actuels. Pour donner une idée, en 2007, nous avions fabriqué 24’000 montres. Nous rêvons d’arriver, à moyen terme, à 35’000 mouvements par an, mais je ne pense pas qu’il faudrait aller au-delà de 40’000, même si la manufacture le permettrait techniquement! Il faut mainte- nir une certaine rareté dans notre gamme de prix… Ces prix vont-ils d’ailleurs augmenter? Nos modèles vont de 5’000 francs à 1 million, voire plus. Le segment 15’000-20’000 francs représente l’essentiel de nos ventes et nous voulons renforcer la gamme supérieure: les modèles qui vont de 25’000 à 50’000 francs. Cette montée en gamme se fera cependant sans perdre la base, c’est-à-dire que l’on trouvera toujours une Hublot à 5’000 francs. Souhaitez-vous développer les modèles féminins? Actuellement, ils représentent 35% des ventes, mais j’aimerais que cette proportion augmente car les femmes achètent plus souvent que les hommes! Mais elles apprécient moins les montres mécaniques… C’est ce que l’on dit, mais tout évolue: il y a quelques années, les femmes ne pilotaient pas d’Airbus et ne conduisaient pas de trolley- bus... Quand une montre est belle, une femme l’achète, même si elle est mécanique! Moi, je fonctionne comme ça pour les voitures, je regarde rarement le mo- teur quand j’en achète une, je fais confiance au constructeur. L’identité de Hublot se construit dans l’association de matériaux inédits. Allez- vous poursuivre dans cette voie même si de très nombreux fabricants jouent désormais aussi cette carte de la fusion? Ce n’est pas parce que beaucoup de musi- ciens se sont mis à la guitare électrique que Carlos Santana a arrêté de jouer: il reste un musicien exceptionnel qui fait découvrir de nouveaux sons avec son instrument. Nous n’allons pas changer d’identité parce que les autres nous suivent. Au contraire, car s’ils nous suivent, cela signifie que nous sommes leader et c’est une satisfaction! Du skieur Bode Miller à la chanteuse Alicia Keys, de nombreuses personnali- tés sont «membres de la famille Hublot», comme vous dites. Est-ce que cela signifie que vous leur offrez des montres? Nous ne donnons jamais de montres car per- sonne ne respecte ce qui est offert. Certaines personnalités nous choisissent, et nous en sommes ravis. Alicia Keys et Lionel Richie ont récemment acheté des montres Hublot dans notre boutique à Monaco. Cristiano Ronaldo en a acheté une aussi. Mais nous ne capitali- sons pas publicitairement là-dessus. Vous aviez pourtant lancé le concept, chez Omega, d’associer des marques à des célébrités… Oui, c’était nouveau à l’époque, mais aujour- d’hui tout le monde le fait, donc cela a quel- que peu perdu de son impact. Si vous voyez George Clooney porter une Omega, vous vous dites que c’est finalement normal puis- qu’il travaille pour eux! Par contre, si une célébrité porte spontanément une Hublot, sans être payée pour le faire, c’est beaucoup plus crédible. Par ailleurs, dans notre gamme de prix, nous nous adressons selon moi uni- quement à des célébrités: le grand chirur- gien, avocat ou architecte, ce sont des célé- brités à leur échelle. Cette catégorie de population ne se laisse pas facilement in- fluencer par des «people». Nous préférons nous associer à des projets technologiques ou des exploits qui véhiculent des émotions, comme FusionMan (qui a traversé la Manche avec une aile à réaction, ndlr) ou le team Luna Rossa de l’America’s Cup. Vos investissements en marketing ont-ils augmenté? Ils représentent environ 20% du chiffre d’af- faires. Quand les revenus étaient plus faibles, cette proportion était plus importante. Notre notoriété vient aussi des articles écrits sur nous dans les journaux, du bouche-à-oreille, du buzz sur internet, qui fonctionnent beau- coup mieux que la publicité selon moi. RENCONTRE HORLOGERIE Jean-Claude Biver Jean-Claude Biver Né en 1949 au Luxembourg, Jean-Claude Biver arrive en Suisse à l’âge de 10 ans avec sa famille. Diplômé de l’Université de Lausanne, il commence son parcours chez Audemars-Piguet en 1975, puis chez Omega, à Bienne, jusqu’en 1981. Il rachète ensuite, avec Jacques Piguet, la marque Blancpain alors endormie. Il table sur la haute horlogerie mécanique alors que toute l’industrie ne parle plus que du quartz. Pari gagnant, et la marque sera vendue en 1992 au groupe Swatch. Jean-Claude Biver reste à la tête de Blancpain jusqu’à fin 2003, puis rejoint Hublot en 2004. Il prend 20% du capital, qui reste en majo- rité dans les mains de son fondateur Carlo Crocco. Il tentera à plusieurs reprises de racheter les parts du fondateur mais sans suc- cès, l’entreprise ayant rapi- dement pris une valeur énorme. L’ensemble de l’entreprise est vendu à LVMH en 2008 pour un montant estimé à 500 millions de francs. Photo Jean-Claude Biver dans sa maison de la Tour-de-Peilz.

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Vos investissements en marketing ont-ils augmenté? Ils représentent environ 20% du chiffre d’af- faires. Quand les revenus étaient plus faibles, cette proportion était plus importante. Notre notoriété vient aussi des articles écrits sur nous dans les journaux, du bouche-à-oreille, du buzz sur internet, qui fonctionnent beau- coup mieux que la publicité selon moi. Photo 22 TRAJECTOIRE Printemps 09 Jean-Claude Biver Jean-Claude Biver dans sa maison de la Tour-de-Peilz.

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22 TRAJECTOIRE Printemps 09

teurs du marché observent un tassement de la demande, en particu-lier sur les marchés qui dépendent du prix des matières premièrescomme la Russie, l’Ukraine ou le Moyen-Orient. Mais il faut relativiser:nous avons connu deux années record, et peut-être que nous revien-drons aux résultats de 2007 cette année. A l’époque, on sabrait lechampagne avec de tels chiffres!

Quel sera le rythme de production de Hublot avec la nouvellemanufacture?Nous allons à terme verticaliser 60 à 70% de la production, c’est-à-dire que sur 30’000 montres produites, 20’000 seront faites cheznous, le reste des mouvements proviendra toujours des fournisseursactuels. Pour donner une idée, en 2007, nous avions fabriqué 24’000montres. Nous rêvons d’arriver, à moyen terme, à 35’000 mouvementspar an, mais je ne pense pas qu’il faudrait aller au-delà de 40’000,même si la manufacture le permettrait techniquement! Il faut mainte-nir une certaine rareté dans notre gamme de prix…

Ces prix vont-ils d’ailleurs augmenter?Nos modèles vont de 5’000 francs à 1 million, voire plus. Le segment15’000-20’000 francs représente l’essentiel de nos ventes et nousvoulons renforcer la gamme supérieure: les modèles qui vont de 25’000à 50’000 francs. Cette montée en gamme se fera cependant sansperdre la base, c’est-à-dire que l’on trouvera toujours une Hublot à5’000 francs.

Souhaitez-vous développer les modèles féminins?Actuellement, ils représentent 35% des ventes, mais j’aimerais quecette proportion augmente car les femmes achètent plus souvent queles hommes!

Mais elles apprécient moins les montres mécaniques…C’est ce que l’on dit, mais tout évolue: il y a quelques années, lesfemmes ne pilotaient pas d’Airbus et ne conduisaient pas de trolley-bus... Quand une montre est belle, une femme l’achète, même si elle

est mécanique! Moi, je fonctionne comme çapour les voitures, je regarde rarement le mo-teur quand j’en achète une, je fais confianceau constructeur.

L’identité de Hublot se construit dansl’association de matériaux inédits. Allez-vous poursuivre dans cette voie mêmesi de très nombreux fabricants jouentdésormais aussi cette carte de la fusion?Ce n’est pas parce que beaucoup de musi-ciens se sont mis à la guitare électrique queCarlos Santana a arrêté de jouer: il reste unmusicien exceptionnel qui fait découvrir denouveaux sons avec son instrument. Nousn’allons pas changer d’identité parce que lesautres nous suivent. Au contraire, car s’ilsnous suivent, cela signifie que nous sommesleader et c’est une satisfaction!

Du skieur Bode Miller à la chanteuseAlicia Keys, de nombreuses personnali-tés sont «membres de la famille Hublot»,comme vous dites. Est-ce que celasignifie que vous leur offrez des montres?Nous ne donnons jamais de montres car per-sonne ne respecte ce qui est offert. Certainespersonnalités nous choisissent, et nous ensommes ravis. Alicia Keys et Lionel Richie ontrécemment acheté des montres Hublot dansnotre boutique à Monaco. Cristiano Ronaldoen a acheté une aussi. Mais nous ne capitali-sons pas publicitairement là-dessus.

Vous aviez pourtant lancé le concept,chez Omega, d’associer des marquesà des célébrités…Oui, c’était nouveau à l’époque, mais aujour-d’hui tout le monde le fait, donc cela a quel-que peu perdu de son impact. Si vous voyezGeorge Clooney porter une Omega, vousvous dites que c’est finalement normal puis-qu’il travaille pour eux! Par contre, si unecélébrité porte spontanément une Hublot,sans être payée pour le faire, c’est beaucoupplus crédible. Par ailleurs, dans notre gammede prix, nous nous adressons selon moi uni-quement à des célébrités: le grand chirur-gien, avocat ou architecte, ce sont des célé-brités à leur échelle. Cette catégorie depopulation ne se laisse pas facilement in-fluencer par des «people». Nous préféronsnous associer à des projets technologiquesou des exploits qui véhiculent des émotions,comme FusionMan (qui a traversé la Mancheavec une aile à réaction, ndlr) ou le team LunaRossa de l’America’s Cup.

Vos investissements en marketingont-ils augmenté?Ils représentent environ 20% du chiffre d’af-faires. Quand les revenus étaient plus faibles,cette proportion était plus importante. Notrenotoriété vient aussi des articles écrits surnous dans les journaux, du bouche-à-oreille,du buzz sur internet, qui fonctionnent beau-coup mieux que la publicité selon moi.

RENCONTRE HORLOGERIEJean-Claude Biver

Jean-Claude Biver

Né en 1949 au Luxembourg,Jean-Claude Biver arrive enSuisse à l’âge de 10 ansavec sa famille. Diplôméde l’Université de Lausanne,il commence son parcourschez Audemars-Piguet en1975, puis chez Omega, àBienne, jusqu’en 1981.

Il rachète ensuite, avecJacques Piguet, la marqueBlancpain alors endormie. Iltable sur la haute horlogeriemécanique alors que toutel’industrie ne parle plus quedu quartz. Pari gagnant, etla marque sera vendue en1992 au groupe Swatch.

Jean-Claude Biver reste àla tête de Blancpain jusqu’àfin 2003, puis rejoint Hubloten 2004. Il prend 20% ducapital, qui reste en majo-rité dans les mains de sonfondateur Carlo Crocco. Iltentera à plusieurs reprisesde racheter les parts dufondateur mais sans suc-cès, l’entreprise ayant rapi-dement pris une valeurénorme. L’ensemble del’entreprise est vendu àLVMH en 2008 pour unmontant estimé à500 millions de francs.

PhotoJean-Claude Biver dans samaison de la Tour-de-Peilz.