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Table des matières L’ERREUR, LE DOL ET LA LÉSION QUALIFIÉE : ANALYSE ET COMPARAISONS par Madame Catherine GOUX, assistante aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur ....... 7 L’EXÉCUTION EN NATURE DES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES : QUELQUES DÉVELOPPEMENTS JURISPRUDENTIELS ET DOCTRINAUX RÉCENTS par Monsieur Patrick WÉRY, chargé de cours aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur et chargé de cours invité à l’Université catholique de Louvain ............................................................ 59 QUESTIONS CHOISIES EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE par Monsieur Bernard DUBUISSON, professeur à l’Université catholique de Louvain ......................................... 93 DU NEUF EN MATIÈRE DE CLAUSES PÉNALES ! par Monsieur Patrick WÉRY, chargé de cours aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur et chargé de cours invité à l’Université catholique de Louvain ................................................................................ 167 RÉSOLUTION JUDICIAIRE ET NON JUDICIAIRE DES CONTRATS POUR INEXÉ- CUTION par Madame Sophie STIJNS, avocat, hoofddocent à la Katholieke Universiteit Brussel, à la Katholieke Universiteit Leuven et chargée de cours invitée à l’Université catholique de Louvain .............................................. 193

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Table des matières

L’ERREUR, LE DOL ET LA LÉSION QUALIFIÉE : ANALYSE ET COMPARAISONS

par Madame Catherine GOUX,assistante aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur ....... 7

L’EXÉCUTION EN NATURE DES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES :QUELQUES DÉVELOPPEMENTS JURISPRUDENTIELS ET DOCTRINAUXRÉCENTS

par Monsieur Patrick WÉRY,chargé de cours aux Facultés universitaires Notre-Damede la Paix de Namur et chargé de cours invitéà l’Université catholique de Louvain ............................................................ 59

QUESTIONS CHOISIES EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

par Monsieur Bernard DUBUISSON,professeur à l’Université catholique de Louvain ......................................... 93

DU NEUF EN MATIÈRE DE CLAUSES PÉNALES !

par Monsieur Patrick WÉRY,chargé de cours aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paixde Namur et chargé de cours invité à l’Universitécatholique de Louvain ................................................................................ 167

RÉSOLUTION JUDICIAIRE ET NON JUDICIAIRE DES CONTRATS POUR INEXÉ-CUTION

par Madame Sophie STIJNS,avocat, hoofddocent à la Katholieke Universiteit Brussel,à la Katholieke Universiteit Leuven et chargée de coursinvitée à l’Université catholique de Louvain .............................................. 193

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L’ACTION PAULIENNE ET LA TIERCE COMPLICITÉ : POINTS DE CONTACT

par Mademoiselle Ilse BANMEYER,assistante aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur ... 239

L’EXTINCTION DES OBLIGATIONS : LA COMPENSATION

par Madame Marie-Claire ERNOTTE,avocat au barreau de Liège ......................................................................... 277

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Avant-propos

Nul n’ignore que la théorie générale des obligations couvre de vastes domai-nes. Elle étudie les sources des obligations : pour l’essentiel, le contrat, l’actejuridique unilatéral, la responsabilité extracontractuelle, les quasi-contrats et lathéorie de l’apparence. C’est elle également qui aborde le régime général del’obligation en tant que telle; sous cet intitulé, sont examinées des questionsaussi variées que la transmission des obligations, leurs modalités et leurs cau-ses d’extinction. Traditionnellement, la théorie générale des obligations s’atta-che enfin à l’étude du droit de la preuve.

Faut-il préciser que malgré leur intérêt, tous ces thèmes ne pourront être abor-dés dans le présent volume (1) ? Une sélection, nécessairement arbitraire,s’imposait.

Ce sont des sujets présentant un grand intérêt pour les praticiens qui ont étéretenus. Les auteurs ont accordé une attention toute particulière à la jurispru-dence et à la doctrine des années 80 et 90, tant du côté francophone quenéerlandophone.

Pour rappel, d’autres volumes de la collection de la C.U.P. ont déjà examinédes thèmes appartenant à la théorie générale des obligations. Citons ainsi :

– le droit de la responsabilité (volume X);

– la vente et la cession de créance (volume XV);

– la prescription (volume XXIII);

– le droit de la preuve (volume XIX).

P. Wéry

(1 ) Nous adressons nos chaleureux remerciements à Madame Nelly Somme-Marchal qui s’est chargée duformatage et de la mise en page des diverses contributions de ce volume.

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L'ERREUR, LE DOL ETLA LÉSION QUALIFIÉE :

ANALYSE ET COMPARAISONS

Catherine GOUX,assistante aux F.U.N.D.P. (Namur)

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

SOMMAIRE

INTRODUCTION .................................................................................... 13

SECTION I

DÉFINITIONS DE L’ERREUR, DU DOL ET DE LA LÉSION QUALIFIÉE 15

A. L’erreur et le dol .......................................................................................... 15

1. L’erreur ........................................................................................ 152. Le dol ............................................................................................ 16

B. La lésion qualifiée ..................................................................................... 16

3. Définition et problématique ................................................. 164. Admissibilité de la théorie .................................................... 175. Un vice de consentement ....................................................... 19

SECTION II

CONDITIONS D’APPLICATION DES DIFFÉRENTS VICES .................... 23

6. Introduction ............................................................................... 23

A. Analyse des conditions propres à chaque vice ................................. 23

1. L’erreur ................................................................................................. 23

7. Aperçu des conditions............................................................. 238. Une erreur .................................................................................. 239. L’erreur doit porter sur une qualité substantielle

de l’objet du contrat ................................................................ 2410. (Suite) Limites et exclusions ................................................... 2511. L’erreur doit être commune .................................................. 2712. Le caractère excusable de l’erreur ...................................... 28

2. Le dol ..................................................................................................... 31

13. Aperçu des conditions............................................................. 31

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

14. Des moyens dolosifs ................................................................ 3215. Le dol doit émaner de l’autre partie contractante ........ 3416. Le caractère déterminant du dol ........................................ 3417. L’absence de faute de la victime .......................................... 35

3. La lésion qualifiée ............................................................................ 38

18. Éléments constitutifs ............................................................... 3819. Un déséquilibre manifeste .................................................... 3820. Une situation d’infériorité .................................................... 3821. L’abus ........................................................................................... 3922. Le lien de causalité entre l’abus et la lésion ................... 4023. L’absence de faute de la personne lésée ............................ 40

B. Comparaisons entre les conditions d’applicationdes différents vices ..................................................................................... 42

24. Points de comparaison ........................................................... 42

1. Questions communes aux trois vices ......................................... 42

25. Le caractère déterminant du vicesur le consentement ................................................................ 42

26. L’absence de faute de la victime .......................................... 4327. Le comportement du cocontractant ................................... 44

2. Champs d’application des différents vices :points de convergence et de divergence ..................................... 45

28. L’erreur et le dol ........................................................................ 4529. Le dol et la lésion qualifiée ................................................... 4630. L’erreur et la lésion qualifiée ............................................... 48

SECTION III

EFFETS, SANCTIONS ET RÉPARATIONS DE L’ERREUR, DU DOLET DE LA LÉSION QUALIFIÉE ............................................................... 49

31. Introduction ............................................................................... 49

A. L’erreur et le dol .......................................................................................... 49

32. L'erreur ........................................................................................ 4933. Le dol ............................................................................................ 49

B. La lésion qualifiée ..................................................................................... 50

34. Exposé du problème ................................................................ 5035. La théorie de la cause illicite ............................................... 50

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

36. La responsabilité aquilienne et la culpain contrahendo ......................................................................... 51

37. L’abus de droit ........................................................................... 5338. La nécessité de légiférer ......................................................... 54

C. La responsabilité aquilienne et les vices de consentement .......... 55

39. Rôle de la responsabilité aquilienne en présenced’un vice de consentement ................................................... 55

40. La responsabilité aquilienne et les situationsexclues des vices de consentement ..................................... 55

41. Synthèse ....................................................................................... 56

CONCLUSIONS ......................................................................................57

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Introduction

Dans la section du Code civil qui est consacrée au consentement, comme con-dition de validité des conventions, l’article 1109 annonce trois vices : l’erreur,la violence et le dol. L’article 1118 mentionne également l’existence de la lé-sion simple, dans certains cas exceptionnels.

De ces quatre vices, cette étude ne retient que l’erreur et le dol, mais elles’attache également à la lésion qualifiée. Elle couvre, sans prétendre être ex-haustive, la période comprise entre 1985 et 1997 (1), durant laquelle la doc-trine et la jurisprudence publiées sur ces thèmes ont été abondantes.

Après avoir cherché à définir et à qualifier ces trois vices (section I), on procé-dera à l’analyse de leurs conditions d’application et à leur comparaison (sec-tion II). En effet, si l’erreur, le dol et la lésion qualifiée constituent des thèmesclassiques, leurs relations n’ont pas fait l’objet de nombreuses études; il nousparaît donc utile de nous y attarder. Enfin, une dernière section sera consacréeaux conséquences des actions introduites sur la base de l’erreur, du dol et de lalésion qualifiée, ainsi qu’au rôle de la responsabilité aquilienne dans la théoriedes vices de consentement.

(1) Elle se base sur les décisions ayant fait l’objet d’une publication et qui ont été rendues entre 1985 et1997. Pour l’année 1998, elle ne prend en considération que les décisions publiées durant le premiersemestre.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Section IDéfinitions de l’erreur,

du dol et de la lésion qualifiée

A. L’erreur et le dol

1. L’erreur. — L’erreur est un vice de consentement reconnu par le Codecivil (articles 1109 et 1110). Elle consiste en « une représentation fausse ouinexacte de la réalité. Elle implique un défaut de concordance entre la vo-lonté réelle et la volonté déclarée » (2). Cette erreur, vice de la volonté, doitêtre distinguée de l’erreur-obstacle (obstacle à la rencontre des volontés) (3).L’erreur-obstacle est celle qui est à ce point importante que les consentementsdes parties ne se sont pas rencontrés, ce qui est le cas lorsque les parties sesont trompées sur la nature du contrat ou sur l’identité de l’objet de la conven-tion (4). Elle se situe à un autre niveau que les vices de la volonté (5). On peuttrouver un exemple d’erreur sur l’identité de l’objet dans un jugement dutribunal civil de Charleroi du 26 octobre 1995, décision dans laquelle le de-mandeur avait cru acheter une maison d’habitation avec ses dépendances (gran-ges, garages, entrepôts, jardin) alors que les défendeurs n’entendaient vendreque la maison (6).

(2) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 1962, no 37 (c’estl’auteur qui souligne). Dans le même sens, voy. C. PARMENTIER, « La volonté des parties », Les obligationscontractuelles, Bruxelles, Éditions du Jeune Barreau, 1984, p. 56; Trib. trav. Bruxelles, 3 sept. 1990,J.T.T., 1991, p. 13 et s. Cette définition ne vise que le terme erreur; elle ne comprend pas l’ensembledes éléments requis pour que l’erreur puisse entraîner l’annulation du contrat sur la base de l’article1110 du Code civil. Sur ces conditions, voy. infra, nos 7 à 12.

(3) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992), verbintenissen»,T.P.R., 1994, p. 325-326, no 109 et p. 329, no 113; J. GHESTIN, Traité de droit civil. Les obligations. Lecontrat: formation, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 1988, p. 405, no 373.

(4) C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 56. Certains auteurs voient dans l’erreur sur la cause une troisièmecatégorie d’erreur-obstacle : « on répare un dommage dont on se croit responsable à la suite d’unincendie alors qu’il apparaît ultérieurement qu’on n’a pas commis de faute » (voy. C. JASSOGNE et alii,Traité pratique de droit commercial, t. I, Bruxelles, Story-Scientia, 1990, p. 169; C. PARMENTIER, op. cit.,1984, p. 56). La pertinence de cette qualification a cependant été remise en question (voy. R. KRUITHOF,H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 327, no 111).

(5) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 171 et s., no 109, p. 325.(6) Civ. Charleroi, 26 oct. 1995, J.T., 1996, p. 343 et s.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

2. Le dol. — Le dol est une notion mixte. C’est une tromperie, ce qui consti-tue une faute susceptible d’entraîner la responsabilité aquilienne de son auteur;il est aussi à l’origine d’un vice de consentement reconnu par le Code civil(articles 1109 et 1116) (7).

Il est souvent défini comme « l’emploi de moyens répréhensibles par unepersonne qui veut (8) en tromper une autre et la décider à accomplir, sousl’influence de l’erreur créée dans son esprit, un acte juridique préjudiciabledont le profit ira à l’auteur de ce dol ou à un tiers » (9).

Cette définition ne rend cependant pas compte du caractère déterminant dudol, requis pour qu’il puisse conduire à l’annulation du contrat, car elle nementionne que l’intention de son auteur sans faire référence à l’effet de soncomportement sur l’autre partie. D’autre part, le sens du terme préjudiciableest ambigu : il semble signifier que la victime du dol doit établir que l’actejuridique lui a causé un dommage. Or, selon nous, ce n’est pas une conditionnécessaire pour annuler un contrat sur la base de l’article 1116 du Code ci-vil (10).

On pourrait dès lors définir le dol comme suit : l’emploi de moyens répré-hensibles par une personne, avec pour but et pour effet d’en tromper uneautre et de la décider à accomplir un acte juridique, sous l’influence de l’er-reur ainsi créée dans son esprit.

B. La lésion qualifiée

3. Définition et problématique. — La lésion est le préjudice issu, dès la for-mation du contrat (11) d’un déséquilibre entre les prestations réciproques.On la dit qualifiée lorsque la disproportion est manifeste (12) et trouve sa sourcedans l’exploitation de l’infériorité d’une des parties par son cocontractant (13).

(7) J. MATTHIJS, « Des effets de la négligence ou de l’imprudence de la victime du dol », note sous Cass., 23septembre 1977, R.C.J.B., 1980, p. 57; J. DECLERCK-GOLDFRACHT, « Le dol dans la conclusion des conven-tions. L’article 1116 du Code civil et les correctifs apportés aux conditions de cette disposition», notesous Cass., 6 mai 1971, R.C.J.B., 1972, p. 244 et s., p. 256, no 8.

(8) C’est nous qui soulignons.(9) J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 255, no 7; Comm. Liège, 21 mars 1985, R.D.C., 1986, p.

166 et s.; Civ. Tournai, 3 février 1987, J.L.M.B., 1987, p. 590 et s.; Mons, 29 mars 1988, Pas., 1988, II, p.170 et s.; Civ. Bruxelles, 29 juin 1995, Res jur. imm., 1995, p. 171 et s.

(10) Cfr infra, no 13 et s.(11) La lésion qualifiée se distingue de l’imprévision, dans laquelle la disproportion entre les prestations est

postérieure à la formation du contrat (C. JASSOGNE et alii, op. cit., t. I, 1990, p. 174).(12) Cfr infra, no 19.(13) A. DE BERSAQUES, « La lésion qualifiée et sa sanction», note sous Comm. Bruxelles, 20 févr. 1970, R.C.J.B.,

1977, p. 12, no 3 et p. 13, no 5; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 85 et 87.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Ainsi, le juge de paix de Soignies a-t-il déclaré, dans un jugement du 17 mai1989, qu’il y avait une lésion qualifiée au détriment du défendeur sur la basedes considérations suivantes. La fourniture et le placement de volets en P.V.C.avaient fait l’objet d’une convention pour un prix correspondant au triple decelui qui était proposé par d’autres entrepreneurs. En outre, « le défendeurétait incapable, au moment où il a signé le contrat, d’apprécier la valeurréelle des fournitures et travaux qui lui étaient proposés et ce n’est qu’enabusant de l’inexpérience et de l’ignorance du défendeur que le contratlitigieux a pu être conclu » (14).

L’article 1907ter du Code civil sanctionne un cas de lésion qualifiée (15). Tou-tefois, contrairement à l’erreur et au dol, on ne trouve pas, dans le Code civil,de disposition consacrant cette théorie de manière générale. Il importe, dèslors, de se demander d’abord si cette théorie peut être admise en droit belge etensuite, dans l’affirmative, de chercher si elle peut être rattachée à la théoriedes vices de consentement.

4. Admissibilité de la théorie. — Aux termes de l’article 1118 du Code civil,« La lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l’égardde certaines personnes, ainsi qu’il sera expliqué en la même section ». Cettedisposition a été invoquée à l’encontre de la théorie de la lésion qualifiée, carelle n’admet la lésion que dans les cas expressément prévus par le législa-teur (16).

On peut cependant objecter que l’article 1118 ne vise que la lésion simple paropposition à la lésion qualifiée, qui requiert non seulement un déséquilibreentre les prestations réciproques mais en outre que ce déséquilibre, manifeste,trouve son origine dans l’exploitation par l’une des parties de l’infériorité deson partenaire (17).

(14) J.P. Soignies, 17 mai 1989, J.J.P., 1991, p. 42.(15) L’article 1907ter du Code civil a été introduit par l’arrêté royal du 18 mars 1935 relatif à l’usure (M.B., 20

mars).(16) A. DE BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 12, no 4; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op.

cit., T.P.R., 1994, p. 390, no 148.(17) A. DE BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 13, no 5; E. DIRIX, « La réductibilité du salaire du mandataire:

survivance d’une tradition», note sous Cass., 6 mars 1980, R.C.J.B., 1982, p. 537, no 14.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

À l’heure actuelle, la théorie de la lésion qualifiée est d’ailleurs largement ad-mise, tant par la doctrine que par la jurisprudence des juridictions de fond (18).En 1993, la Cour de cassation y a fait, pour la première fois, explicitementréférence. L’arrêt était relatif à la vente d’un immeuble pour la somme de3 500 000 FB alors que sa valeur était estimée à un montant de 6 000 000 à6 500 000 FB. Les vendeurs prétendaient réunir les conditions nécessaires àl’application de la lésion qualifiée, argument qui n’a pas été admis par la courd’appel. Ils ont alors introduit un pourvoi en cassation qui a été rejeté pourdéfaut d’intérêt, notamment sur la base du motif que « la cour d’appel a ainsiconstaté que les seules conditions qu’elle estimait nécessaires pour qu’il yait lésion qualifiée n’étaient pas réalisées » (19). La Cour de cassation estainsi restée extrêmement prudente (20). Pour J.-F. Romain toutefois, « nonobs-tant la prudence de la Cour de cassation et presque malgré elle, cet arrêtconstitue un moment significatif dans l’évolution jurisprudentielle de lalésion qualifiée en droit belge, et pourrait être à l’origine, également par lescommentaires doctrinaux qu’il devrait susciter, d’un regain de cette théo-rie » (21).

Cette affaire appelle quelques observations. Il s’agissait d’un vendeur d’im-meuble qui s’estimait lésé par le contrat. Or, cette situation correspond à unedes hypothèses où la lésion fait l’objet d’une action spécifique dans le Codecivil, strictement réglementée (art. 1674 et s. C. civ.). Le vendeur doit établirqu’il a subi une lésion de plus de sept douzièmes dans le prix de vente del’immeuble (art. 1674), condition qui n’était pas remplie en l’occurrence. Peut-on admettre dans une telle hypothèse, où un vendeur d’immeuble, qui s’es-

(18) Voy., en doctrine, M. COIPEL, « Théorie générale des contrats », livre 29, Guide juridique de l’entreprise,Diegem, Kluwer, 1996, no 470; A. DE BERSAQUES, « L’oeuvre prétorienne de la jurisprudence en matièrede lésion», Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, II, Paris, Sirey, 1963, p. 487 et s.; A. DE BERSAQUES, op.cit., R.C.J.B., 1977, p. 10 et s.; W. DE BONDT, De leer der gekwalificeerde benadeling, Anvers, Kluwer,1985; D. DELI, « De leer van de gekwalificeerde benadeling en de verhouding tot de imprevisieleer »,note sous Anvers, 21 janvier 1986, R.W., 1986-1987, p. 1494 et s.; P.-H. DELVAUX, « Contrats d’adhésion etclauses abusives en droit belge », La protection de la partie la plus faible dans les rapports contractuels,Paris, L.G.D.J., 1996, nos 19 et 20; E. DIRIX, op. cit., R.C.J.B., 1982, p. 537, no 14 et s. et références citéesnote 62; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 394 et s, nos 149 et150; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 87 et s.; J.-F. ROMAIN, « Regain de la lésion qualifiée en droit desobligations, J.T., 1993, p. 749 et s.; S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence(1985-1995) - Les obligations : les sources », J.T., 1996, p. 689 et s., no 65; W. VAN GERVEN, « Variaties ophet thema misbruik », R.W., 1979-1980, col. 2485 et s.; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence(1974 à 1982) - Les obligations », R.C.J.B., 1986, p. 33 et s, no 24; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, « La réparationdu dommage dans la négociation et la formation des contrats », Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 74, no 42.En jurisprudence, voy. Anvers, 21 janv. 1986, R.W., 1986-1987, p. 1488; Liège, 11 juin 1986, R.R.D.,1986, p. 240 et s.; J.P. Anvers, 5 nov. 1986, R.W., 1987-1988, p. 1446; Trib. trav. Bruxelles, 5 sept. 1988,J.T.T., 1988, p. 445; Trib. trav. Bruxelles, 26 sept. 1988, Chron. D.S., 1989, p. 58; J.P. Soignies, 17 mai1989, J.J.P., 1991, p. 42; Civ. Mons, 21 nov. 1990, J.J.P., 1991, p. 45; Comm. Bruges, 7 janv. 1994, A.J.T.,1994-1995, p. 143; Civ. Bruxelles, 17 mars 1995, R.G.D.C., 1995, p. 507; Liège, 17 oct. 1996, J.T., 1997,p. 569.

(19) Cass., 29 avril 1993, J.T., 1994, p. 294.(20) Voy. J.-F. ROMAIN, op. cit., J.T., 1993, p. 749, no 1 et p. 756, no 7.(21) Id., ibid., p. 749, no 1.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

time lésé par le prix de la vente, ne remplit pas les conditions fixées par leCode civil, que ce vendeur puisse faire appel à la théorie de la lésion quali-fiée (22) ? Si l’on considère cette dernière comme un vice de consentement (23)applicable de manière générale à toutes les conventions, il faut répondre demanière affirmative. Une question importante se pose cependant : ne faudrait-il pas réexaminer les différentes dispositions relatives à la lésion simple (parexemple, en matière de partage, les articles 887 et 1079 C. civ.) en tenant comptede la théorie de la lésion qualifiée, pour étudier les aménagements éventuelsqu’elles devraient subir, voire pour remettre en question leur utilité ?

Pour terminer, il convient d’ajouter que, comme l’énonce A. De Bersaques, lalésion qualifiée pourrait être considérée comme un principe général de droit.L’auteur relève ainsi qu’une série de dispositions légales impératives « ont pourbut de protéger les parties tenues pour économiquement faibles – ouvriers,employés, fermiers, locataires commerciaux, emprunteurs, acheteurs à tem-pérament, représentants de commerce – contre le risque de se voir dicterdes clauses léonines par un partenaire plus puissant » (24). Il induit de cesdispositions le principe général de droit que « nul dans un contrat ne peutexploiter l’infériorité de son partenaire pour en obtenir des engagementshors de toute proportion avec les siens propres » (25).

5. Un vice de consentement. — Pour certains auteurs, la lésion se ratta-cherait aux vices de consentement parce qu’elle ne se serait pas produite sansune erreur, un dol ou une violence (26). Ainsi, pour H. De Page, la lésion est,dans notre droit, un vice présumé de consentement : « Du seul fait d’une dis-proportion grave, dans un contrat, la loi infère que l’un des cocontractantsa exercé, à la faveur des circonstances, une pression trop forte sur l’autrecocontractant ». La lésion qualifiée « n’est pas le vice de consentement net,clair, certain; mais elle en approche, et c’est la raison pour laquelle la loiprésume cette altération mineure du consentement (...) » (27).

Cette conception a été critiquée par W. De Bondt (28). Pour lui, le fondementde la théorie de la lésion qualifiée diffère de celui des vices de consentement.

(22) J.-F. ROMAIN relève que « Les vendeurs de l’immeuble concerné ont en outre adroitement déplacé ledébat devant la Cour d’appel, de la lésion énorme, dont la preuve des conditions était difficile àrapporter, à la lésion qualifiée » ( J.-F. ROMAIN, op. cit., J.T., 1993, p. 753, no 5).

(23) Sur l’application à la lésion qualifiée de la qualification de vice de consentement, cfr infra, no 5.(24) A. DE BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 18, no 12.(25) Id. ibid., no 12; voy. aussi A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 492-

493, no 6; J.-F. ROMAIN, op. cit., J.T., 1993, p. 756, no 6.(26) C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 55-56 et p. 85 à 87; H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 68.(27) H. DE PAGE, op. cit., t. V, 1975, no 157, e.(28) W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 252 et s.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

La théorie des vices de la volonté est basée sur le fait qu’on n’est lié contractuel-lement que parce qu’on l’a voulu. On doit alors admettre que lorsque la vo-lonté est défectueuse, suite à une représentation erronée de la réalité due àune erreur ou à un dol, il faille revoir les engagements contractuels. La théoriede la lésion qualifiée remet en question le principe de la force obligatoire descontrats non pas à cause de la victime, mais à cause d’une faute dans le chef del’auteur de l’abus.

L’auteur donne cependant les arguments qui permettent de contester la perti-nence de ses affirmations (29). Il admet en effet que si le dol et la violencetrouvent leur place dans la théorie des vices de la volonté, c’est en considérantleurs conséquences, alors que si on considère leur cause, ils prennent placedans la théorie de la culpa in contrahendo . Et il relève, d’autre part, que dansla théorie de la lésion qualifiée, la faute de l’auteur de l’abus peut aussi porteratteinte à la volonté de la victime.

Néanmoins, W. De Bondt estime qu’on ne peut donner le même fondementaux deux théories, d’abord parce que les vices de la volonté sont énuméréslimitativement par la loi, ensuite parce que leurs conditions d’application dif-fèrent sensiblement. Il relève ainsi que la lésion n’est pas une condition d’ap-plication des vices de consentement, même si la plupart du temps elle estprésente. Le premier de ses deux arguments est basé sur l’article 1109 duCode civil, avec un renvoi notamment à H. De Page (30). Or, H. De Page qualifiela lésion qualifiée de vice de consentement (31) et, d’autre part, l’article 1109ne mentionne pas la lésion simple alors qu’elle est mentionnée dans la mêmesection, intitulée « du consentement », que l’erreur, le dol et la violence. Quantau second argument, il ne peut, selon nous, être accepté car tous les vicesdisposent de conditions qui leur sont propres et se distinguent sensiblementdes conditions relatives aux autres vices, qu’il s’agisse de la lésion qualifiée oudes vices réglementés de manière générale par le législateur (32).

Peut-on en déduire que la lésion qualifiée constitue un vice de consentement ?

Le consentement, pour être exempt de vice, doit être donné librement et enconnaissance de cause (33). Est-ce concevable lorsqu’on est victime d’une lé-sion qualifiée, autrement dit lorsqu’on se trouve dans une situation d’infério-rité dont abuse un cocontractant pour obtenir, en sa faveur, un contrat mani-festement déséquilibré ?

(29) Voy. également les critiques de L. CORNELIS, « W. DE BONDT, De leer der gekwalificeerde benadeling »,R.W., 1988-1989, p. 1383, selon lequel l’infériorité de la victime a pour conséquence qu’elle n’a puexprimer librement sa volonté mais a dû s’associer à celle du plus fort.

(30) W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 253, note 3.(31) Cf. supra, dans ce même numéro.(32) Cfr infra, chap. II, section 1, nos 7 et s.(33) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 34; J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 357.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Deux hypothèses peuvent se présenter. Soit la victime d’une lésion qualifiée aaccepté la situation sans en être consciente : dans ce cas, son consentementn’a pas été donné en connaissance de cause, il y a dans son esprit une repré-sentation fausse de la réalité, une erreur. Soit la victime est consciente de sasituation d’infériorité et de l’abus qui en est fait par son cocontractant, maiselle n’a pas les moyens de s’y opposer : son consentement n’a pas été donnélibrement mais de manière forcée, il est donc atteint d’un vice.

La personne qui subit une lésion qualifiée est ainsi victime d’un vice de con-sentement.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Section IIConditions d’application

des différents vices

6. Introduction. — L’erreur, le dol et la lésion qualifiée répondent chacun àdes conditions d’application qui leur sont propres (A). Il est intéressant d’exa-miner certaines de ces conditions à travers les différents vices et de relever,entre ceux-ci, un certain nombre de points communs et de différences (B).

A. Analyse des conditions propres à chaque vice

1. L’erreur

7. Aperçu des conditions. — L’article 1110, alinéa 1, du Code civil déclareque l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle portesur la substance même de la chose qui en est l’objet. On peut en déduire que,pour obtenir la nullité du contrat sur cette base, il faut établir la présenced’une erreur et il est requis que celle-ci porte sur une qualité substantielle del’objet du contrat. L’erreur doit en outre être commune aux différentes partiescontractantes. Enfin, suivant une partie importante de la doctrine et de la juris-prudence, l’erreur ne conduit à l’annulation du contrat que si elle est excusa-ble.

8. Une erreur. (34) — Il peut s’agir d’une erreur de fait ou d’une erreur dedroit (35). Cette dernière est cependant exclue en matière d’aveu (art. 1356 C.civ.) et de transaction (art. 2052 C. civ.) (36).

(34) Sur la signification de ce terme, cf. supra, n°1.(35) M. COIPEL, « L’erreur de droit inexcusable », note sous Cass., 10 avril 1975, R.C.J.B., 1978, p. 198 et s.,

no 3.(36) P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence (1968 à 1973) - Les obligations », R.C.J.B., 1975, p. 423 et

s., no 8.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

9. L’erreur doit porter sur une qualité substantielle de l’objet du con-trat. — Pour que l’erreur ait un caractère substantiel, il faut qu’elle porte surun élément qui a déterminé principalement la partie à contracter, de telle sorteque le contrat n’aurait pas été conclu en l’absence de cet élément (37).

Le qualificatif substantiel ne doit pas être compris dans un sens objectif maisplutôt dans un sens subjectif, psychologique : l’intention des parties doit tou-jours être examinée in concreto (38).

Ainsi, la cour d’appel de Mons, dans un arrêt du 31 mars 1987 (39), a-t-elledéclaré fondée la demande en annulation d’une convention portant sur destravaux de sablage et de rejointoyage à effectuer à la façade d’un immeuble.Les appelants invoquaient une erreur sur une qualité substantielle, à savoirqu’ils avaient cru, à tort, pouvoir bénéficier d’une prime à la réhabilitation.Objectivement, l’obtention de cette prime n’est pas une qualité substantiellepour ce type de convention. Mais la cour a constaté que l’erreur des appelantsavait été, en l’espèce, déterminante, que la possibilité d’obtenir cette primeavait pour eux un caractère substantiel. Et pour apprécier ce caractère, le juges’est référé à l’attitude adoptée par les appelants, à l’importance qu’ils atta-chaient à l’obtention de cette prime et à leur situation de jeune couple endébut de carrière professionnelle. Dans un arrêt du 11 décembre 1989, la courd’appel de Liège a jugé que la qualité de terrain à bâtir d’une parcelle était,pour les acheteurs, d’une telle importance qu’elle présentait le caractère subs-tantiel requis pour obtenir l’annulation du contrat sur la base de l’erreur (40).

Cette qualité, substantielle pour la partie qui s’est trompée, doit être relative àl’objet de la convention ou aux éléments essentiels de celle-ci (41).

(37) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 39; E. DIRIX et A. VAN OEVELEN, « Kroniek van het verbintenissenrecht(1985-1992) », R.W., 1992-1993, p. 1209 et s., no 19; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 33 et s,no 13, où l’auteur précise que cette définition résulte de deux arrêts de la Cour de cassation des 31octobre 1966 et 3 mars 1967 (Pas., 1967, I, p. 294 et 811). Cette définition a été reprise par la jurispru-dence dans les décisions suivantes: Bruxelles, 25 nov. 1982, J.T., 1983, p. 396 et s.; Civ. Neufchâteau, 30janvier 1985, Rev. not. belge, 1986, p. 583 et s.; Mons, 31 mars 1987, J.L.M.B., 1987, p. 770 et s.; Mons,28 févr. 1989, Pas., 1989, II, p. 221 et s.; Comm. Bruxelles, 23 juin 1994, Entr. et dr., 1994, p. 329 et s.(« celle qui porte sur une condition dont il est certain que les parties ont voulu faire dépendre leurengagement »); Bruxelles, 5 déc. 1994, R.G.A.R., 1996, no 12676; Cass., 27 oct. 1995, J.T., 1996, p. 61 ets.; Bruxelles, 21 nov. 1996, J.T., 1997, p. 180 et s.

(38) R. KRUITHOF, « Overzicht van rechtspraak (1974-1980). Verbintenissen», T.P.R., 1983, p. 548, no 43.(39) Mons, 31 mars 1987, J.L.M.B., 1987, p. 710.(40) Liège, 11 déc. 1989, Act. dr., 1991, p. 210.(41) Trib. trav. Bruxelles, 3 sept. 1990, J.T.T., 1991, p. 13 et s., et références citées p. 15, décision dans

laquelle l’erreur invoquée n’était pas relative à l’objet ou aux éléments essentiels de la convention et aété rejetée par le tribunal, notamment pour ce motif.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

10. (Suite.) Limites et exclusions. — L’alinéa 2 de l’article 1110 prévoitque l’erreur n’est pas une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur lapersonne avec laquelle on a l’intention de contracter, à moins que la considé-ration de cette personne ne soit la cause principale de la convention. L’erreursur la personne est ainsi admise dans les contrats intuitu personae, dans les-quels la considération de la personne du cocontractant constitue, par défini-tion, l’élément déterminant de la conclusion du contrat (42).

L’erreur concernant une personne peut porter sur son identité physique, surson identité civile, sur ses qualités physiques, intellectuelles, morales ou mêmejuridiques (43). Dans son arrêt du 5 décembre 1994, la cour d’appel de Bruxel-les relève que l’erreur a porté sur des éléments tels que la prétendue qualitéde tuteur d’un mineur et la prétendue qualité d’avocat important et fortuné (44).

Deux types d’erreurs ont été exclues du champ d’application de l’article 1110du Code civil, à savoir l’erreur sur le prix ou la valeur ainsi que l’erreur sur lesmotifs.

L’erreur sur le prix ou sur la valeur de l’objet du contrat n’est pas acceptée,pour le motif qu’il ne s’agit pas d’une qualité substantielle (45). On invoqueégalement le fait que si l’on admettait ce type d’erreur, tout contrat qui pré-sente une lésion pourrait être annulé, ce qui serait contraire à l’article 1118 duCode civil (46).

L’erreur sur les motifs est, elle aussi, en principe exclue du champ d’applicationde l’article 1110 du Code civil (47).

Les justifications avancées à ce titre sont que ce type d’erreur ne présente pasde lien intrinsèque avec le contrat (48) ou qu’il ne porte pas sur l’objet ducontrat (49).

(42) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 40 et t. II, 3e éd., 1964, no 460bis; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE

TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 333, no 114. Pour J. GHESTIN, l’erreur sur la personne ne requiert pasnécessairement l’existence d’un contrat intuitu personae. Pour lui, l’influence déterminante sur leconsentement de l’identité ou d’une qualité de l’autre partie est une question de pur fait et il faut segarder de se référer à des catégories abstraites (J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 412; contra H. DE PAGE, op.cit., t. I, 1962, no 40).

(43) J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 410.(44) Bruxelles, 5 déc. 1994, R.G.A.R., 1996, no 12676.(45) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 59, no 13; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN,

op. cit., T.P.R., 1994, p. 332, no 114; Anvers, 27 avril 1993, R.W., 1994-1995, p. 1194 et s.: « een vergissingomtrent de waarde van de verkochte zaak is immers geen essentiële maar een bijkomende dwaling ».

(46) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994,p. 332, no 114; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 61.

(47) J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 274, no 26; H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 41; J.GHESTIN, op. cit., 1988, no 386; Liège, 10 mars 1992, J.L.M.B., 1993, p. 1085 et s.

(48) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 41.(49) J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 386.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Cependant, on trouve aussi l’opinion selon laquelle une erreur portant sur desmotifs essentiels peut entraîner l’annulation du contrat, sur la base de l’article1110 (50). La jurisprudence a justifié son raisonnement tantôt en qualifiantl’erreur sur les motifs d’erreur sur la cause, tantôt en la rattachant « plus oumoins arbitrairement à une erreur substantielle à la faveur d’une défini-tion particulièrement extensive de la substance » (51). Dans son arrêt du 25octobre 1995, la Cour de cassation rejette un pourvoi introduit contre un arrêtde la cour d’appel de Bruxelles qui avait déclaré fondée une demande en an-nulation pour erreur substantielle d’un contrat portant sur l’achat d’un maté-riel de développement de photographies. L’acheteur invoquait que son con-sentement avait été déterminé par les résultats annoncés dans une étude derentabilité réalisée par le vendeur, concernant l’estimation des ventes prévisi-bles de films. La Cour de cassation reprend la motivation de la cour d’appel eténonce que les résultats annoncés dans l’étude de rentabilité ont déterminé prin-cipalement l’acheteur à contracter et que ce mobile devait être connu du ven-deur (52). Le matériel avait été acheté parce qu’il était présenté comme renta-ble dans cette étude : la rentabilité du matériel était à la fois la raison pourlaquelle l’acheteur s’était engagé et le but qu’il poursuivait en l’achetant (53).La Cour de cassation a ainsi qualifié d’erreur substantielle une erreur portantsur les motifs du contrat.

Que penser de cette affirmation ? Il s’agit d’une interprétation extensive del’article 1110 du Code civil, car les motifs ne font pas partie de l’objet ducontrat. Elle pourrait être condamnée au nom de la sécurité juridique. Depuis1804 toutefois, la notion de substance de l’article 1110 a évolué dans le sensd’un élargissement, contrebalancé par « la mise en évidence de deux condi-tions qui ne figurent pas dans l’article 1110 (...) » à savoir l’exigence quel’erreur soit commune aux deux parties et celle qu’elle soit excusable (54).L’équilibre à préserver en matière d’erreur entre la sécurité juridique et laprotection de l’intégrité du consentement (55) ne paraît pas mis en péril auregard de l’ensemble de ces conditions (56). On peut donc admettre l’erreur

(50) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 333, no 114; C. PARMENTIER, op.cit., 1984, p. 61; P. VAN OMMESLAGHE, « Observations sur la théorie de la cause dans la jurisprudence etdans la doctrine moderne », note sous Cass., 13 nov. 1969, R.C.J.B., 1970, p. 353 et s., nos 17 et 18.

(51) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1970, p. 353-354, no 17. Sur la complexité de la question de l’erreursur la cause, voy. R. KRUITHOF, op. cit., T.P.R., 1983, p. 547-548, no 42 et R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE

LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 333, no 114.(52) Cass., 27 oct. 1995, J.T., 1996, p. 61.(53) Suivant P. VAN OMMESLAGHE, les « motifs peuvent être le but poursuivi » ou « les raisons pour lesquelles la

partie s’engage » (P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1970, p. 355, no 18).(54) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390. Sur le caractère inexcusable de l’erreur et les controverses portant sur

son incidence quant à la possibilité d’appliquer l’article 1110 du Code civil, cfr infra, no 12.(55) Voy. L. HERVE, « Du caractère inexcusable de l’erreur commise par l’acheteur d’un terrain à bâtir », note

sous Liège, 11 déc. 1989, Act. dr., 1991, p. 220, no 15.(56) Voy. M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390. Quant au caractère commun de l’erreur sur les motifs essentiels, cfr

infra, no 11.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

sur des motifs essentiels parmi les erreurs déterminantes au sens de l’article1110.

Enfin, l’annulation du chef d’erreur sera également exclue lorsque le co-contractant a pris en charge les risques d’erreurs. « Cette situation se ren-contre traditionnellement dans les ventes publiques d’oeuvres d’art, en rai-son des usages, souvent confirmés par les conditions générales de la vente.L’amateur doit examiner l’objet avant la vente et il assume les risquesd’erreur, même s’il se contente des certificats produits ou des descriptionsdonnées par le vendeur » (57).

11. L’erreur doit être commune. — Cette expression est ambiguë : poursatisfaire à cette condition, il n’est pas nécessaire que les deux contractantsaient versé dans l’erreur. Autrement dit, l’erreur ne doit pas être partagée parles deux parties (58).

Cette condition signifie que la qualité substantielle doit être entrée dans lechamp contractuel (59). À cette fin, il est requis ou bien que cette qualité soitconsidérée comme substantielle par la généralité des personnes (60), ou bienqu’elle soit considérée comme telle par l’une des parties à la connaissance del’autre (61,) ou enfin que le cocontractant de l’errans ait dû connaître ce ca-ractère déterminant (62).

Quant à l’erreur sur des motifs essentiels, P. Van Ommeslaghe semble plus exi-geant pour admettre son caractère commun. Il impose, en effet, une accepta-tion de la part du cocontractant de l’errans. Il exprime cette condition de lamanière suivante : « la seule connaissance du mobile poursuivi par l’unedes parties n’est pas suffisante, en soi, à cet effet; il faut que le caractèredéterminant de ce mobile et son efficacité juridique soient connus ou nepuissent être ignorés par l’autre partie et aient été acceptés (63), fût-cetacitement, comme éléments du contrat » (64).

(57) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 62-63, no 15. J. GHESTIN précise que ce résultat peut êtreatteint par l’insertion d’une clause de non-garantie, « expression d’un doute quant à l’existence d’unetelle qualité » (J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 405; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 66).

(58) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 65; H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 43.(59) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; voy. aussi H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 43.(60) C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 65; Trib. trav. Bruxelles, 3 sept. 1990, J.T.T., 1991, p. 13 et s.(61) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1970, p. 356, no 18; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 66. Voy. aussi P.

VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 58, no 13 :« les deux parties doivent être informées ducaractère déterminant des caractéristiques de la chose sur lesquelles l’erreur a porté ».

(62) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1970, p. 356, no 18; Cass., 27 oct.1995, J.T., 1996, p. 61 et s.; Bruxelles, 21 nov. 1996, J.T., 1997, p. 180 et s.

(63) C’est nous qui soulignons.(64) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1970, p. 355 à 357, no 18; voy. aussi R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY,

B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 333, no 114; Bruxelles, 21 nov. 1996, J.T., 1997, p. 180 et s. .

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

12. Le caractère excusable de l’erreur. — La question de savoir si le carac-tère excusable de l’erreur est une condition d’admissibilité de ce vice est con-troversée (65).

La thèse suivant laquelle seule l’erreur excusable peut entraîner l’annulationdu contrat sur la base de l’article 1110 du Code civil est largement suivie par lajurisprudence (66). Dans son arrêt du 28 juin 1996, la Cour de cassation dé-clare qu’il n’est pas nécessaire de « constater que l’erreur alléguée était decelles qu’aurait commises toute personne de la même profession, normale-ment diligente, placée dans les mêmes circonstances et que le comporte-ment de celui qui invoque l’erreur n’était pas fautif; qu’il suffit que (...) ladéclaration du juge que n’était pas inexcusable l’erreur de celui qui l’invo-que, revienne à dire que cette erreur était de celles que commet un hommeraisonnable » (67); cette décision, même si elle ne l’affirme pas explicitement,semble, elle aussi, exiger que l’erreur soit excusable pour admettre l’applica-tion de l’article 1110. Cette conception est défendue par une partie de la doc-trine (68).

Certains considèrent cependant qu’il ne s’agit pas d’une condition d’ad-missibilité du vice, mais que l’erreur inexcusable constitue une faute aquiliennequi peut être sanctionnée, sur la base de l’article 1382 du Code civil, par lerefus d’annuler le contrat (69), à titre de réparation en nature (70). Une troi-sième opinion soutient que le fait que l’erreur inexcusable n’entraîne pas lanullité de l’acte constitue « une application du principe général de l’abus dedroit » (71).

L’une de ces thèses mérite-t-elle la préférence ?

(65) Voy. R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 335, no 116.(66) Cass., 6 janvier 1944, Pas., 1944, I, p. 133; Pol. Hasselt, 17 mai 1989, J.J.P., 1991, p. 367 et s.; Liège, 25

janvier 1991, R.R.D., 1991, p. 421 et s. (il s’agit en l’espèce d’une erreur-obstacle, également soumise aucaractère d’excusabilité de l’erreur); Anvers, 22 avril 1991, R.W., 1994-1995, p. 405 et s.; Gand, 9 juin1995, A.J.T., 1995-96, p. 319 et 320; Anvers, 27 juin 1995, R.W., 1996-1997, p. 1241 et s. (cette dernièredécision, tout en se référant à l’arrêt de la Cour de Cassation du 6 janvier 1944, précise cependant quel’erreur inexcusable est une faute dont l’auteur doit répondre); J.P. Westerlo, 28 avril 1995, R.W., 1997-1998, p. 828.

(67) Cass., 28 juin 1996, J.L.M.B., 1997, p. 12 et s.(68) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 46, B (s’il admet qu’on puisse sanction-

ner l’erreur inexcusable sur la base des règles de la responsabilité aquilienne, il estime néanmoins qu’ils’agit d’une voie indirecte et préfère la conception selon laquelle le caractère excusable de l’erreur estune condition d’existence du vice); L. HERVE, op. cit., Act. dr., 1991, p. 219 et s., nos 14 et s.

(69) E. DAVIO, « Obligation de renseignement et vices du consentement », note sous J.P. Wervik, 8 févr. 1994,J.J.P., 1994, p. 271-272, no 14 et références citées.

(70) Voy. P. WÉRY, « L’exécution forcée en nature des obligations contractuelles non pécuniaires. Une relec-ture des articles 1142 à 1144 du Code civil », Liège, coll. Scient. Fac. Dr. Liège, Kluwer, 1993, p. 143-144,no 108.

(71) L. CORNELIS, Principes du droit belge de la responsabilité extra-contractuelle, vol. I, Bruxelles, Bruylant,1991, p. 122-123; voy. R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 336,no 116.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Au préalable, comment définir la notion d’erreur inexcusable ? Pour certainsauteurs, néanmoins favorables à la thèse suivant laquelle l’excusabilité de l’er-reur est requise pour l’application de l’article 1110 du Code civil, l’erreur inex-cusable constitue une faute, une culpa in contrahendo (72). La Cour de cassa-tion définit quant à elle l’erreur inexcusable comme celle que ne commet pasun homme raisonnable (73). Et dans son arrêt précité du 28 juin 1996, elleénonce que la constatation que l’erreur n’est pas inexcusable ne suppose pascelle que l’erreur n’est pas fautive, mais qu’il suffit que l’erreur soit de cellesque commet un homme raisonnable (74). L’erreur inexcusable ne doit doncpas, suivant la Cour, être définie par rapport à la faute mais par rapport aucomportement d’un homme raisonnable.

En ce qui concerne ses conséquences, le caractère inexcusable de l’erreurdoit, selon nous, entraîner le refus d’annuler le contrat sur la base de l’article1110.

Premièrement, cette solution est conforme à la tradition (75).

Ensuite, la théorie de l’erreur est construite sur la base de la recherche d’unéquilibre entre deux objectifs : la protection de l’intégrité du consentementde l’errans d’une part et la sauvegarde de la sécurité juridique, en faveur deson cocontractant et des tiers, d’autre part (76). En principe, cette théorie ad-met que la sécurité juridique soit sacrifiée au profit de l’errans, même si l’er-reur, contrairement aux autres vices de consentement, ne suppose pas que lecocontractant du demandeur en annulation soit en faute. Mais si l’errans s’esttrompé d’une manière inexcusable, l’équilibre que la théorie de l’erreur cher-che à établir est rompu. La sécurité juridique du cocontractant de l’errans,comme celle des tiers, ne peut céder face à la protection de l’intégrité duconsentement d’une personne qu’on ne peut excuser de s’être trompée (77).

Enfin, la condition que l’erreur présente un caractère substantiel fait l’objetd’une interprétation très large par la jurisprudence, à laquelle l’exigence quel’erreur présente un caractère excusable vient apporter un juste contre-poids (78).

Sur la base de quels critères le caractère excusable ou inexcusable de l’erreurest-il apprécié ?

(72) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 46, B; L. HERVE, op. cit., Act. dr., 1991, p. 221, no 18; C. JASSOGNE,« Réflexions à propos de l’erreur », R.G.D.C., 1994, p. 107-108.

(73) Voy. C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 62 et références citées; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr.Lg., 1980, p. 57-58, no 29 et références citées note 151.

(74) Cass., 28 juin 1996, J.L.M.B., 1997, p. 12 et s., cf. supra, même numéro.(75) Voy. Cass., 6 janvier 1944, Pas., 1944, I, p. 133 et H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 46, B.(76) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; L. HERVE, op. cit., Act. dr., 1991, p. 220, no 15.(77) Voy. M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; L. HERVE, op. cit., Act. dr., 1991, p. 220, no 15; voy. aussi P. VAN

OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 60, no 14.(78) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

La jurisprudence et la doctrine sont partagées entre une appréciation inconcreto et une appréciation in abstracto (79). L’utilisation de cette dernièresemble être une conséquence logique de la thèse suivant laquelle l’erreur inex-cusable n’empêcherait pas l’application de l’article 1110 mais serait une fauteaquilienne. Il ne semble cependant pas que ses défenseurs se rattachent né-cessairement à cette thèse (80).

Pour une partie de la doctrine, le juge doit apprécier l’erreur inexcusable en sedemandant si elle aurait été commise par un homme raisonnable placé dansles mêmes circonstances objectives mais aussi subjectives, c’est-à-dire en pre-nant en compte les caractéristiques personnelles à l’errans (81). Elle est sui-vie par certaines décisions de jurisprudence. Dans un arrêt du 25 janvier 1991,la cour d’appel de Liège énonce, après avoir rappelé ce principe, « que le pre-mier juge s’est montré trop sévère dans l’appréciation du caractère inexcu-sable de l’erreur commise par les deux appelants, personnes jeunes, inexpé-rimentées et peu familiarisées à la complexité d’une procédure de ventepublique d’un immeuble » et déclare « que leur erreur est, dans les circons-tances de l’espèce, excusable » (82). La cour d’appel d’Anvers, dans un arrêt du27 avril 1993, relève quant à elle que l’erreur invoquée par l’appelante concer-nant sa connaissance du droit des successions est inexcusable d’autant plusque cette personne provenait d’une famille de commerçants et qu’elle étaitmariée à un juriste (83).

Selon d’autres décisions, qui peuvent se recommander de plusieurs auteurs, lecaractère inexcusable de l’erreur doit être apprécié par rapport au bon pèrede famille abstrait mais en tenant compte de ses caractéristiques générales(profession, âge, connaissances que l’on peut normalement en attendre) (84).

(79) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; E. DIRIX et A. VAN OEVELEN, op. cit., R.W., 1992-1993, p. 1216, no 20.(80) Voy. P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 60-61, no 14, qui, après avoir rappelé le principe suivi

par la Cour de cassation, à savoir que l’erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement,détermine ses critères d’appréciation. Et selon lui, la parenté entre la théorie de l’erreur inexcusable etla culpa in contrahendo justifie l’application de critères identiques, à savoir la référence au bon pèrede famille abstrait, mais en tenant compte de ses caractéristiques générales; voy. L. HERVE, op. cit., Act.dr., 1991, p. 221, no 18, selon lequel la condition que l’erreur soit excusable (pour obtenir l’annulationdu contrat sur base de l’article 1110) permet d’éviter le détour que constitue le recours à la culpa incontrahendo, mais il est pour lui logique d’apprécier le caractère excusable de l’erreur suivant desparamètres identiques.

(81) M. COIPEL, « L’erreur de droit inexcusable », note sous Cass., 10 avril 1975, R.C.J.B., 1978, p. 213-214,no 12; M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390; L. CORNELIS, op. cit., 1991, no 67; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 66.

(82) Liège, 25 janvier 1991, R.R.D., 1991, p. 421 et s.(83) Anvers, 27 avril 1993, R.W., 1994-1995, p. 1194 et s.(84) E. DIRIX et A. VAN OEVELEN, op. cit., R.W., 1992-1993, p. 1216, no 20, selon lesquels, entre 1985 et 1992,

années couvertes par leur chronique, la jurisprudence a donné la préférence à une appréciation inabstracto, ce qu’ils approuvent; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 60 et s., no 14; Mons, 29déc. 1987, Pas., 1988, II, p. 83 et s.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Toutefois, la concrétisation de l’appréciation de la faute aquilienne réduit for-tement l’intérêt pratique de cette distinction (85). Le modèle de référenceabstrait qui doit servir de critère dans l’application de l’article 1382 du Codecivil « interdit de prendre en compte les caractéristiques et les qualités per-sonnelles de l’auteur du dommage en vue d’apprécier son comportement.L’appréciation de la faute ne peut donc, en principe, être influencée ni parl’âge, ni par le sexe, ni par l’inexpérience du défendeur en responsabilité »(86). Or, tout en se référant à une appréciation in abstracto, la jurisprudencetient souvent compte des caractéristiques personnelles à ce dernier, commeson âge, son expérience, son degré d’information, son statut social, ... (87).

Pour apprécier le caractère inexcusable de l’erreur, on tient également comptede l’obligation de s’informer de la partie qui s’est trompée et de l’obligationd’information de l’autre partie. L’abstention fautive de se renseigner dans lechef de l’errans est un critère d’inexcusabilité de l’erreur (88). Par ailleurs, ence qui concerne le cocontractant de l’errans, la jurisprudence retient le lienentre le manquement à ses obligations de renseignement et l’excusabilité del’erreur de l’autre partie et estime qu’« une erreur est excusable si elle est laconséquence d’une faute du cocontractant » (89).

2. Le dol

13. Aperçu des conditions. — Le dol est une cause de nullité de la conven-tion lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’ilest évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté (ar-ticle 1116 C. civ.). Ce vice de consentement requiert donc l’utilisation de moyensdolosifs, dans le chef d’une des parties contractantes; il nécessite aussi que cesmoyens aient déterminé le consentement de l’autre partie au contrat. Il con-viendra également de se demander si l’absence de faute de la victime fait par-tie des conditions nécessaires pour obtenir l’annulation du contrat sur cettebase.

(85) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 337, no 116.(86) L. CORNELIS, op. cit., 1991, no 21, p. 39-40. L’auteur précise que cette règle subit une exception qui

impose de tenir compte de la profession du défendeur en responsabilité.(87) L. HERVE, op. cit., Act. dr., 1991, p. 221, no 17; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit.,

T.P.R., 1994, p. 336-337, no 116; C. JASSOGNE, op. cit., R.G.D.C., 1994, p. 109.(88) M. COIPEL, op. cit., R.C.J.B., 1978, p. 217, no 17; voy. aussi R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE

TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 338, no 116; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 63.(89) E. DAVIO, op. cit., J.J.P., 1994, p. 272, n°15 et références citées; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE

TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 338-339, no 116.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

14. Des moyens dolosifs. — Le dol comporte un élément matériel et unélément intentionnel (90).

L’élément psychologique nécessaire en matière de dol est la volonté de trom-per (91); il s’agit d’induire volontairement l’autre partie en erreur en vue d’ob-tenir, sous l’influence de cette erreur, son consentement (92). Cet élément estindispensable. La faute lourde ne suffit pas : le dol suppose une faute inten-tionnelle (93).

L’élément matériel est entendu dans un sens large : il comprend les manœuvres,les mensonges et les réticences (94).

Les manœuvres sont toute espèce d’agissements tendant à créer une fausseapparence (95), par exemple la manipulation d’un compteur kilométrique (96).Le mensonge est l’affirmation de faits inexacts (97). Il faut tenir compte, dansl’appréciation du caractère répréhensible des moyens utilisés, des circonstan-ces de l’espèce: dans une décision du 29 juin 1995, le tribunal de premièreinstance de Bruxelles a ainsi pris en considération, pour reconnaître l’exis-tence de manœuvres, le fait qu’il s’agissait d’une femme de 76 ans venant deperdre son mari (98).

La réticence est plus difficile à caractériser. Il s’agit de l’omission de parler enprésence d’une obligation de le faire (99). Mais quand est-on face à une obliga-tion de parler dont la violation, si elle est intentionnelle, est constitutive dedol ? La question est controversée (100).

Pour une partie de la doctrine et de la jurisprudence, une telle obligation existeen ce qui concerne les informations qui ont un caractère substantiel pourl’autre partie, celles dont dépend son engagement (101). Cette opinion a ce-

(90) C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 71; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R.,1994, p. 344, no 120; Cass., 23 septembre 1977, R.C.J.B., 1980, p. 32; Comm. Liège, 21 mars 1985, R.D.C.,1986, p. 166 et s.

(91) Bruxelles, 20 mai 1987, R.D.C., 1988, p. 37.(92) C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 76; Civ. Bruxelles, 2 févr. 1993, R.G.D.C., 1994, p. 416 et s.(93) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 350, no 124; J. GHESTIN, op. cit.,

1988, no 426; Comm. Liège, 21 mars 1985, R.D.C., 1986, p. 166 et s.; Civ. Bruxelles, 29 juin 1995, Res jur.imm., 1995, p. 171 et s.

(94) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 50.(95) J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 428; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 72.(96) Mons, 18 mars 1986, R.R.D., 1987, p. 127 et s.(97) J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 267, no 18.(98) Civ. Bruxelles, 29 juin 1995, Res jur. imm., 1995, p. 171 et s.(99) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 69-70, no 19.(100) J. P. MASSON, « Les fourberies silencieuses », note sous Cass., 8 juin 1978, R.C.J.B., 1979, p. 538 à 541,

no 14; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 69-70, no 19.(101) C. trav. Anvers, 20 nov. 1991, Chr. D.S., 1992, p. 123 et s.; P. COLLE, « De invloed van de onzorgvuldigheid

van het slachtoffer op de sanctionering van het bedrog en de informatieplicht tussen contractanten»,note sous Comm. Mons, 17 sept. 1987, D.C.C.R., 1990-1991, p. 524; Cass., 8 juin 1978, R.C.J.B., 1979,p. 525 et s.; Comm. Liège, 21 mars 1985, R.D.C., 1986, p. 166 et s.; voy. aussi J.P. HERVE, 15 mai 1990,J.J.P., 1990, p. 421 et s., cependant moins exigeant ou moins précis (« le silence sur une circonstanceque le cocontractant aurait intérêt à connaître »).

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

pendant été contestée. Dans le litige qui a donné lieu à l’arrêt du 17 décembre1993 de la cour d’appel de Mons, les appelants prétendaient avoir été trompéssur le prix de vente d’un immeuble situé en Espagne et stipulé en pesetas,notamment parce que les intimés ne leur avaient pas communiqué le prix enfrancs français et ne les avaient pas renseignés sur le taux de change de lapeseta par rapport à leur monnaie nationale. La cour a répondu que l’obliga-tion de divulguer une information, dont l’omission constitue une réticencedolosive, « ne saurait résulter du seul fait qu’une partie aurait négligé dedonner une information de nature à dissuader l’autre partie de contrac-ter » et qu’il n’était pas démontré « que les vendeurs avaient l’obligation derenseigner les acheteurs au sujet du taux de change de la monnaie danslaquelle le prix était stipulé par rapport à la monnaie nationale desditsacheteurs ». Elle a déclaré l’appel non fondé (102).

Un certain nombre de décisions et d’auteurs estiment qu’il y a réticence dolosivelorsque son responsable avait l’obligation de parler en raison de la loi, desusages, de sa situation professionnelle, de sa position particulière ou des cir-constances (103).

Enfin, il existe une thèse, minoritaire, selon laquelle il existe non pas seule-ment les obligations spéciales de renseignement énoncées ci-dessus mais uneobligation générale de renseignement, en fonction de laquelle il faudrait ap-précier la présence d’une réticence dolosive : « l’obligation générale de ren-seignement peut être définie comme le devoir d’indiquer à son cocontractanttout ce qui peut normalement être pris en considération par une personneraisonnable pour décider si elle va conclure le contrat et, dans l’affirmative,à quelles conditions » (104). Cette exigence nous paraît aller trop loin, mêmes’il est vrai que la différence entre obligation générale et obligations spécialesde renseignement n’est pas aussi importante qu’on pourrait le croire à pre-mière vue. L’obligation spéciale de renseignement résultant des circonstancespeut, en effet, être très générale (105).

(102) Mons, 17 déc. 1993, Rev. not. belge, 1994, p. 346 et s. Voy. aussi P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B.,1986, p. 70, no 19.

(103) Bruxelles, 20 mai 1987, R.D.C., 1988, p. 37; Comm. Mons, 17 sept. 1987, D.C.C.R., 1990-1991, p. 518 ets.; Comm. Charleroi, 12 nov. 1987, R.R.D., 1988, p. 384 et s.; Mons, 6 févr. 1990, Rev. not. belge, 1990,p. 561 (en raison de sa situation professionnelle); Mons, 28 sept. 1989, J.L.M.B., 1990, p. 221 et s. ( « laréticence dolosive suppose l’omission volontaire de l’existence de faits ou de situations que l’on devaitdire »; il y a obligation de parler soit parce qu’on connaissait les faits, soit parce qu’il y a une obligationde communiquer ce renseignement en vertu de la loi, des usages ou des circonstances propres à lacause); H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 50; voy. aussi la chronique de R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE

LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 345, no 121.(104) J. P. Masson, op. cit., R.C.J.B., 1979, p. 538 à 541, nos 14-15; voy. aussi la référence à cette thèse dans la

chronique de R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 345, no 121.(105) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 346, no 121.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

15. Le dol doit émaner de l’autre partie contractante. — La jurisprudenceapprécie cette condition de façon stricte (106). On y assimile toutefois le dolcommis par le représentant du cocontractant (107) et on admet le dol d’untiers quand il est complice du cocontractant; enfin, pour les actes unilatéraux,peu importe de qui le dol émane (108).

16. Le caractère déterminant du dol. — Il faut un lien de cause à effetentre les manoeuvres et l’accord (109). Son appréciation se fait in concreto : lejuge recherchera si la tromperie a été pour la victime subjectivement détermi-nante (110). Il doit tenir compte des caractéristiques personnelles de celle-ci,telles que sa naïveté, son inexpérience, ses compétences particulières (111).

A défaut de ce caractère déterminant, il ne pourra s’agir que de dol incident.Celui-ci ne peut conduire qu’à une condamnation à des dommages et intérêts,et non à l’annulation du contrat (112).

Il a néanmoins été soutenu que le dol incident pouvait également conduire àl’annulation par le biais de la réparation en nature du dommage causé par lafaute extracontractuelle de l’auteur du dol (113). Toutefois, la réparation inté-grale du dommage causé par une faute aquilienne impose « de remettre lapartie préjudiciée dans la situation qui aurait été la sienne si la faute, etdonc le dommage causé, n’avaient pas existé » (114). « La nullité ne se justi-fiera dès lors que dans la mesure où la faute a déterminé la conclusiond’un contrat, qui, sans cette faute, n’aurait pas été conclu » (115) ce qui doitconduire à exclure la nullité pour dol incident, « par définition non détermi-nant du consentement » (116). On ne peut donc admettre cette opinion.

(106) C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 71 et 76.(107) E. DIRIX et A. VAN OEVELEN, op. cit., R.W., 1992-1993, p. 1218, no 21.(108) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 52; J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 347; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY,

B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 352-353, no 127.(109) Voy. par exemple Comm. Bruxelles, 23 juin 1994, Entr. et dr., 1994, p. 329 et s.(110) J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 268, no 20 et p. 273, no 24.(111) C. PARMENTIER, op. cit. ,1984, p. 71 et 77; J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 421; Civ. Tournai, 3 février 1987,

J.L.M.B., 1987, p. 590 et s.; Bruxelles, 20 mai 1987, R.D.C., 1988, p. 37.(112) Mons, 18 mars 1986, R.R.D., 1987, p. 127 et s.; Mons, 29 mars 1988, Pas., 1988, II, p. 170 et s.; P. Colle,

op. cit., D.C.C.R., 1990-1991, p. 523 et s.; H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 51; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F.DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 351, no 126. La distinction entre le dol principal et le dolincident est toutefois critiquée, à tort selon nous, voy. J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 440; voy. aussi lachronique de R.KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 351, no 126.

(113) Voy. la chronique de R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 351,no 126; voy. aussi la référence citée par B. De Coninck, « Les sanctions des manquements précontractuelsà la lumière de quelques législations récentes en droit des contrats », R.G.D.C., 1998, p. 199, note 18.

(114) B. DE CONINCK, op. cit., R.G.D.C., 1998, p. 200.(115) Id. ibid..(116) Id. ibid., note 24.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

17. L’absence de faute de la victime. — S’agit-il d’une condition nécessairepour obtenir l’annulation du contrat sur la base de l’article 1116 du Codecivil ? Certains tribunaux et quelques auteurs l’affirment (117).

Cette thèse est cependant condamnée par la Cour de cassation, suivie par unepart importante des juridictions de fond et de la doctrine. Lorsque le dol viciele consentement et l’a déterminé, la faute de la victime ne peut diminuer l’at-teinte portée à ce consentement, elle ne peut détruire le lien de causalité en-tre le dol et la conclusion du contrat (118) (119).

Il a toutefois été ajouté que la négligence de la victime du dol peut néanmoinsêtre prise en considération dans l’application de l’article 1382 du Code civillorsque le dol n’est qu’incident ou quand la nullité du chef de dol principals’accompagne d’une demande de dommages et intérêts. Dans ce cas, il fau-drait, suivant cette opinion, tenir compte de la faute de la victime dans le cal-cul de leur montant : celle-ci devrait supporter la part du dommage qui ré-sulte de sa propre faute (120).

En 1980 cependant, la Cour de cassation a clairement affirmé le contraire, enmatière de dol principal : « lorsque le dol a déterminé le consentement, lapartie qui a commis le dol ne peut invoquer l’imprudence ou la négligencede son cocontractant »; « ladite imprudence ou négligence ne saurait dis-penser l’auteur du dol d’en réparer entièrement les conséquences domma-geables, subies par la victime » (121). Elle s’est ainsi explicitement écartéedes règles du partage des responsabilités (122).

(117) L. CORNELIS, « Le dol dans la formation du contrat », note sous Cass., 2 mai 1974, R.C.J.B., 1976, p. 48,no 17; J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 275-276, no 29, qui ne partage cependant pascette opinion; J.P. Torhout, 4 mars 1986, T. Not., 1986, p. 124 et s.; Civ. Hasselt, 3 octobre 1989,R.G.D.C., 1990, p. 367 et s.; Mons, 1er oct. 1991, J.T., 1992, p. 480 et s.; Civ. Dendermonde, 5 janv. 1994,R.W., 1993-1994, p. 1059 et s.; Liège, 28 juin 1994, J.L.M.B., 1995, p. 398 et s.

(118) Cass., 23 septembre 1977, R.C.J.B, 1980, p. 32; Cass., 29 mai 1980, Pas., 1980, I, p. 1190 et s.; M. COIPEL,op. cit., 1996, no 400; P. COLLE, op. cit., D.C.C.R., 1990-1991, p. 523 et s.; W. DE BONDT, « De invloed vande nalatigheid van de bedrogene op de vordering tot nietigverklaring en/of op de vordering totschadeloosstelling », T.P.R., 1986, p. 1183 et s.; J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 276,no 29. Voy. aussi les références citées par E. DIRIX et A. VAN OEVELEN, op. cit., R.W., 1992-1993, p. 1217,no 21; Ch. JASSOGNE, « Observations sur le dol du professionnel », note sous Cass., 21 avril 1988, R.D.C.,1991, p. 203 et s.; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 331, no 114,selon lesquels le caractère excusable de l’erreur ne doit pas être pris en considération si les tribunauxconstatent la présence d’un dol et p. 350-351, no 125; J. P. MASSON, op. cit., R.C.J.B., 1979, p. 542, no 16;Comm. Liège, 21 mars 1985, R.D.C., 1986, p. 166 et s.; Civ. Tournai, 3 février 1987, J.L.M.B., 1987, p. 590et s.; Comm. Liège, 24 janv. 1991, J.T., 1991, p. 526 et s.; Mons, 10 févr. 1992, J.T., 1992, p. 777 et s.; Civ.Bruxelles, 2 févr. 1993, R.G.D.C., 1994, p. 416 et s.; Gand, 3 sept. 1993, R.W., 1994-1995, p. 1268 et s.;C. trav. Liège, 25 mars 1996, J.T.T., 1997, p. 155 et s.

(119) Pour un examen et une réfutation des critiques formulées à l’encontre de l’arrêt du 23 septembre 1977de la Cour de cassation, voy. W. DE BONDT, op. cit., T.P.R., 1986, p. 1183 et s.

(120) P. Colle, op. cit., D.C.C.R., 1990-1991, p. 526; J. MATTHIJS, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 45-46, no 7 et p. 52-53, no 10; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 59, no 30. Voy. aussi E. DIRIX, op. cit.,R.C.J.B., 1982, p. 541, no 16.

(121) Cass., 29 mai 1980, Pas., 1980, I, p. 1190 et s.(122) P. COLLE, op. cit., D.C.C.R., 1990-1991, p. 527.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Nous pensons, à l’instar de la Cour de cassation, que l’absence de faute de lavictime ne doit pas faire partie des conditions requises afin de pouvoir annulerun contrat sur la base du dol. D’abord, cette condition n’est pas prévue parl’article 1116 du Code civil. Ensuite, le dol est une faute intentionnelle quimérite d’être sanctionnée (123) et la faute non intentionnelle qu’a pu com-mettre sa victime ne nous paraît pas présenter une gravité suffisante pour yfaire obstacle. Enfin, l’importance de l’atteinte portée par le dol au consente-ment de sa victime à la conclusion du contrat est telle que la solution la plusadéquate pour y mettre fin nous paraît être l’annulation de l’acte, que la vic-time ait ou non commis une faute.

Par contre, nous ne partageons pas l’opinion de la Cour selon laquelle, dans lecalcul des dommages et intérêts à charge de l’auteur du dol, il ne faudrait pastenir compte de la faute de la victime. Il ne s’agit plus, ici, de se prononcer surla présence d’un vice de consentement susceptible d’entraîner l’annulationdu contrat. La question concerne la responsabilité civile de l’auteur d’une fauteaquilienne, à caractère intentionnel, et l’étendue de la réparation qui doit êtremise à sa charge en présence d’une imprudence ou d’une négligence de lavictime de cette faute.

En principe, « la faute de la victime qui présente un lien de cause à effet avecle dommage dont la réparation est demandée entraîne un partage des res-ponsabilités, c’est-à-dire que le responsable qui a commis une faute ayantcontribué à occasionner un dommage à la victime n’a pas l’obligation deréparer intégralement le dommage, mais seulement une partie de celui-ci » (124).

Toutefois, certains défendent la thèse selon laquelle, lorsque la victime n’acommis qu’une imprudence ou une négligence alors que son adversaire estl’auteur d’une faute intentionnelle, cette dernière absorbe la faute non inten-tionnelle (125). Suivant cette opinion, l’auteur du dol ne peut donc se préva-loir de l’imprudence ou de la négligence de sa victime pour obtenir une ré-duction de la réparation mise à sa charge. C’est en ce sens qu’a statué la Courde cassation dans l’arrêt précité du 29 mai 1980 (126). Les justifications avan-cées sont la recherche d’une solution équitable et de la véritable cause du

(123) Voy. J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 363 et infra, conclusions.(124) L. CORNELIS, op. cit., 1991, p. 183, no 99 et références citées. Voy. aussi R. O. Dalcq, Traité de la respon-

sabilité civile, t. II, Bruxelles, Larcier, 1962, no 2685; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg.,1980, p. 57, no 29. Voy. toutefois J.-L. FAGNART, « Chronique de jurisprudence (1968-1975)- La respon-sabilité civile », J.T., 1976, p. 582, no 25, selon lequel « Le droit comme l’équité veulent que l’on neretienne la faute de la victime que si celle-ci a volontairement provoqué le dommage ».

(125) J.-L. FAGNART et M. DENEVE, « Chronique de jurisprudence (1976-1984)- La responsabilité civile », J.T.,1985, p. 468, no 31, C. Voy. aussi R. O. DALCQ, op. cit., t. I, 2e éd., 1967, n°269 et t. II, 1962, no 2686 à2689, qui mentionne l’existence de cette thèse et la commente; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann.Fac. Dr. Lg., 1980, p. 59, no 30, note 156, qui signale également l’existence de cette opinion.

(126) Cass., 29 mai 1980, Pas., 1980, I, p. 1190 et s.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

dommage : « Il peut paraître inéquitable que celui qui a agi méchamment,c’est-à-dire avec l’intention de causer le dommage, puisse se dégager mêmepartiellement de son obligation de réparer celui-ci, en invoquant une im-prudence ou une négligence de la victime » (127). « Il est nécessaire de seplacer sur le terrain de la causalité. On s’aperçoit alors que la faute inten-tionnelle du défendeur est la seule cause véritable du dommage. Sans doute,le dommage ne se serait-il pas réalisé sans la faute de la victime : mais envoulant le dommage, le défendeur a fait de cette faute son instrument; c’estgrâce à elle qu’il a pu atteindre son but » (128).

Cette thèse peut faire l’objet de plusieurs critiques. Tout d’abord, la faute de lavictime est une cause nécessaire du dommage : suivant la théorie de l’équiva-lence des conditions, à laquelle notre Cour de cassation se déclare attachée (129)il y a dès lors deux causes et non une cause véritable et une cause insigni-fiante (130). Ensuite, elle peut conduire à des solutions contraires à l’équité.Imaginons l’hypothèse d’un dommage identique subi par deux victimes, lapremière n’ayant commis aucune faute alors que la seconde aurait agi parnégligence ou imprudence. Est-il équitable qu’elles obtiennent toutes les deuxla même réparation ? Enfin, cette solution risque d’encourager la passivité et lemanque de précautions. Il nous paraît préférable de suivre une voie visant àresponsabiliser les individus (131).

En conclusion, l’application de l’article 1116 du Code civil ne requiert pas,selon nous, l’absence de faute de la victime du dol. Toutefois, nous estimonsque la faute de la victime doit intervenir dans l’évaluation de la réparation duepar l’auteur du vice (132).

(127) R. O. DALCQ, op. cit., t. II, 1962, no 2687.(128) Id. ibid., no 2687 et références citées.(129) Voy. R. O. DALCQ et G. SCHAMPS, « Examen de jurisprudence (1987 à 1993)- La responsabilité délictuelle

et quasi délictuelle », R.C.J.B., 1995, p. 696, no 126. Ces auteurs relèvent cependant que « même si laCour de cassation reste, dans les termes, fermement attachée à ce principe, certains fléchissements ouadaptations sont parfois observés ».

(130) R. O. DALCQ énonce que cette thèse, contraire à la théorie de l’équivalence des conditions, ne pourraittrouver confirmation que sur la base de la théorie de la causalité adéquate ou de la cause la plusefficiente (R. O. DALCQ, op. cit., t. II, 1962, no 2689).

(131) Contra J.-L. FAGNART, op. cit., J.T., 1976, p. 582, no 25. L’auteur, dans une subdivision consacrée auxeffets de la faute de la victime dans le droit de la responsabilité civile, pose la question suivante :« Comment la menace d’une sous-indemnisation, en cas de survenance d’un accident que la victime neprévoit pas, peut-elle exercer une influence sur son comportement et empêcher une faute involontaire? ».

(132) Sur les critères appliqués pour partager les responsabilités, cfr R. O. DALCQ et G. SCHAMPS, op. cit.,R.C.J.B., 1995, p. 700, no 130.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

3. La lésion qualifiée

18. Éléments constitutifs. — Même si elle n’est pas définie par le législateur,il est admis, par la doctrine et la jurisprudence, qu’elle requiert un déséquili-bre manifeste qui trouve sa cause dans l’abus de la situation d’infériorité d’unepartie au contrat par l’autre partie (133).

On examinera également le rôle d’une éventuelle faute de la victime de lalésion.

19. Un déséquilibre manifeste. — Pour qu’on puisse parler de lésion quali-fiée, il faut plus qu’un simple dommage (134). Elle requiert un déséquilibrecertain entre les prestations (135), un déséquilibre flagrant 136), grave et dé-pourvu de toute justification (137).

20. Une situation d’infériorité. — Quelles sont les circonstances consti-tutives de cet état ?

Pour W. De Bondt (138), il ne faut pas adopter une énumération limitative descirconstances constitutives d’infériorité, car les exemples de systèmes juridi-ques ayant suivi cette voie montrent que les autres circonstances seront toutde même sanctionnées, soit en élargissant à l’excès les concepts admis, soit surd’autres bases. Il énumère lui-même une série de circonstances constitutivesd’infériorité, qu’il regroupe en cinq catégories : les circonstances personnelles,les rapports particuliers entre deux parties, les circonstances socio-économi-ques, l’état d’urgence et le fait d’avoir une position juridiquement faible (139).

(133) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 394, no 149; P.-H. DELVAUX, op.cit., La protection de la partie la plus faible dans les rapports contractuels, 1996, p. 83, no 20.

(134) Contra W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 141 et p. 173-174, selon lequel lorsque l’abus et l’infériorité sontparticulièrement aigus, le juge pourrait se contenter d’un simple dommage, au lieu d’exiger une lésion;dans le même sens, voy. D. DELI, op. cit., R.W., 1986-1987, p. 1497. Cette conception n’a pas étéapprouvée sans réserves par D.-M. PHILIPPE; selon lui, le déséquilibre des prestations constituerait unélément essentiel de la lésion; il se demande si ce n’est pas donner à la lésion qualifiée une acceptiontrop large. Pour lui, le simple dommage ne suffit pas (D.-M. PHILIPPE, J.T. (Chronique judiciaire), 1988,p. 346-347).

(135) C. PARMENTIER, op. cit. 1984, p. 88; Trib. trav. Bruxelles, 5 sept. 1988, J.T.T., 1988, p. 445 et s.; Civ. Mons,21 nov. 1990, J.J.P., 1991, p. 45 et s.; Liège, 17 oct. 1996, J.T., 1997, p. 569.

(136) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 470.(137) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 516, no 32; id., op. cit., R.C.J.B.,

1977, p. 36, no 31; H. DE PAGE, Le problème de la lésion dans les contrats, Bruxelles, Office de publicité,1946, p. 78, 82 et 113; E. DIRIX, op. cit., R.C.J.B., 1982, p. 537, nos 15 et 17; Civ. Bruxelles, 17 mars 1995,R.G.D.C., 1995, p. 507 et s.

(138) W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 86 et s.(139) Id. ibid., p. 102 et 103.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

L. Cornelis estime cependant qu’il ne faut pas attribuer de conséquences juri-diques à cette distinction car les différentes situations ont un point commun:l’infériorité de fait d’un sujet de droit due aux caractéristiques de sa personneou à toutes sortes de circonstances de fait (140).

Le juge devra notamment avoir égard à la situation économique de la vic-time (141), comme l’a fait le tribunal civil de Bruxelles, le 17 mars 1995. L’ac-tion était intentée contre la R.T.T. qui exigeait, pour le raccordement de l’ins-tallation d’un cabinet d’avocats au réseau téléphonique, la conclusion d’uncontrat d’entretien avec l’installateur. Pour admettre l’existence d’une situa-tion d’infériorité nécessaire à la lésion qualifiée, le tribunal a relevé que ledemandeur n’avait aucune liberté de choix de son cocontractant, la R.T.T., etque sa marge de négociation des conditions proposées par la défenderesseétait nulle (142).

Le juge doit également prendre en considération le développement intellectuelet le degré d’instruction de la victime (143). Ainsi, la cour d’appel de Liège adécidé que se trouvaient dans un état d’infériorité deux personnes, âgées àl’époque de 17 et 18 ans, qui n’avaient travaillé qu’en tant qu’ouvriers ou ap-prentis et qui ont accepté « l’offre d’une association à parts égales dans uneentreprise dont le patron leur laissait entrevoir son retrait deux ans plustard », « l’analyse des prestations réciproques des parties laissant (...) appa-raître une disproportion flagrante » (144).

Il peut aussi tenir compte d’un état émotionnel perturbé lors de la conclusiondu contrat, par exemple le fait qu’à ce moment la victime était enceinte etvenait d’être abandonnée par son époux (145).

21. L’abus. — Comment caractériser l’abus, par une partie, de la situationd’infériorité de l’autre partie ? Faut-il un abus actif avec l’intention de profiterde l’infériorité du cocontractant ou peut-on se contenter d’un comportementpassif et de la simple connaissance de l’état d’infériorité (146) ?

Si l’on se réfère au sens usuel du terme abus, celui-ci requiert un usage mau-vais, excessif ou injuste (147), mais cet usage ne doit pas nécessairement résul-

(140) L. CORNELIS, op. cit., R.W., 1988-1989, p. 1381.(141) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 516, no 32.(142) Civ. Bruxelles, 17 mars 1995, R.G.D.C., 1995, p. 507 et s.(143) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 516, no 32.(144) Liège, 17 oct. 1996, J.T., 1997, p. 569.(145) J.P. Anvers, 5 nov. 1986, R.W., 1987-1988, p. 1446 et s.(146) L’existence de ces deux tendances est signalée dans la thèse de W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 104-105

et par D. DELI, op. cit., R.W., 1986-1987, p. 1496.(147) Définition du dictionnaire Petit Robert, éd. 1984.

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ter d’un comportement actif, pas plus qu’il n’exige un élément intentionnel. Ilnous semble, dès lors, que la lésion qualifiée ne suppose que la connaissancede l’état d’infériorité ainsi qu’un usage abusif de cette situation, par un com-portement actif ou passif (148).

22. Le lien de causalité entre l’abus et la lésion. — La lésion doit trouversa cause dans l’abus, par une partie, de la situation d’infériorité de l’autre.

Certains exigent, à titre de condition supplémentaire, qu’il soit « établi que lecontrat n’aurait pas été conclu en l’absence des agissements du cocontractant,ou tout au moins, qu’il aurait été conclu à des conditions moins onéreu-ses » (149). Cette dernière condition est toutefois jugée inutile par d’autresauteurs (150), auxquels nous nous rallions. En effet, la condition qu’il existe unlien de causalité entre l’abus et la lésion signifie qu’il faut établir qu’en l’ab-sence d’abus, il n’y aurait pas eu de lésion, soit parce que le contrat n’auraitpas été conclu, soit parce qu’il l’aurait été à des conditions moins défavorablespour la victime, ce qui répond à l’exigence posée ci-dessus.

23. L’absence de faute de la personne lésée. — Comme en matière d’er-reur et de dol, il n’y a pas d’unanimité sur le point de savoir si l’absence defaute de la personne lésée constitue une condition d’existence du vice (151).

A. De Bersaques subordonne l’application de la théorie de la lésion qualifiée àla condition que la disproportion « ne soit pas due à la légèreté inexcusablede la partie lésée » (152). Il ajoute que lorsque la partie lésée n’a pas commis

(148) Voy. H. DE PAGE, op. cit., 1946, p. 77-78: « Il suffit que consciemment, l’autre partie ait accepté de traiter,alors qu’elle savait qu’en raison des circonstances (gêne, légèreté, inexpérience du cocontractant), lecontrat devait être, dans une proportion choquante, défavorable à celui qui le souscrivait. », et p. 111;E. DIRIX, op. cit., R.C.J.B., 1982, p. 538, no 15, note 53 : »une intention nuisible dans le chef du contrac-tant n’est pas exigée. Le simple fait d’avoir contracté consciemment, c’est-à-dire en connaissance de lasituation difficile de l’autre partie et d’en avoir profité, suffit à caractériser « l’exploitation» d’autrui »;Trib. trav. Bruxelles, 26 sept. 1988, Chron. D.S., 1989, p. 58-59; Liège, 17 oct. 1996, J.T., 1997, p. 569.Voy. aussi J.-F. ROMAIN, op. cit., J.T., 1993, p. 754-755. Pour M. DE BONDT (W. DE BONDT, op. cit., 1985)également, un comportement actif n’est pas nécessaire. Par contre, si la connaissance de l’état d’infério-rité est nécessaire, elle n’est toutefois pas suffisante (p. 104 et s.). Pour qu’il y ait abus, selon lui, il faututiliser sa position de force pour obtenir un avantage contractuel d’une manière dont, manifestement,un homme raisonnable, placé dans les mêmes circonstances concrètes, n’aurait pas fait usage (p. 115).Le terme « manifestement » vise à cantonner le juge dans un contrôle marginal, l’équité ne pouvant enprincipe modifier le droit écrit, en l’espèce le principe de l’autonomie de la volonté, sous peine deporter atteinte à la sécurité juridique (p. 121-122).

(149) E. DIRIX, op. cit., R.C.J.B., 1982, p. 538, no 15; dans le même sens, voy. C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 88;Civ. Mons, 21 nov. 1990, J.J.P., 1991, p. 45.

(150) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 394-395, no 149; P.-H. DELVAUX,op. cit., 1996, no 20 et note 40, selon lequel « cette troisième condition n’est qu’une explicitation duprincipe de causalité entre l’abus et la lésion».

(151) Cf. supra, nos 12 et 17.(152) Id., ibid., p. 36, no 31.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

de légèreté inexcusable, mais que les deux parties ont néanmoins commis unefaute, le juge pourra décider de n’accorder qu’une réparation partielle à lavictime de la lésion qualifiée (153).

Pour W. De Bondt, une faute non intentionnelle doit être absorbée par unefaute intentionnelle. Et selon lui, en matière de lésion qualifiée, une seule situa-tion se présente dans la pratique : celle où la faute de l’auteur de l’abus estintentionnelle alors que celle de sa victime ne l’est pas (154). Il relève quedifférents auteurs admettent que, dans cette situation, l’équité impose de faireexception au principe du partage des responsabilités, qui, lui-même, serait basésur l’équité (155). Il fait valoir un second argument, tiré de l’arrêt de la Cour decassation du 23 septembre 1977 : l’imprudence ou même la négligence gros-sière et inexcusable du cocontractant ne peuvent être invoquées par l’auteurdu dol; elles ne peuvent avoir pour conséquence que le dol soit excusé et qu’ilne puisse donner lieu à l’annulation du contrat et à des dommages et inté-rêts (156). En outre, rappelons que la Cour de cassation a précisé que la fautede la victime du dol ne peut non plus entraîner de réduction du montant desdommages et intérêts (157).

Le point de vue de W. De Bondt a été critiqué par L. Cornelis, car il est pour luicontraire à la théorie de l’équivalence des conditions (158).

En ce qui concerne les dommages et intérêts accordés à la victime d’une lé-sion qualifiée, nous sommes d’avis que, lorsque cette partie a commis, elleaussi, une faute, leur montant peut être réduit sur la base des règles de la res-ponsabilité aquilienne. Nous n’adhérons pas, en effet, à la thèse suivant la-quelle une faute intentionnelle absorbe une faute non intentionnelle, pour lesmotifs indiqués précédemment (159).

Toutefois, l’absence de faute de la personne lésée ne constitue pas, selon nous,une condition d’existence de la lésion qualifiée. La lésion qualifiée se caracté-rise, d’une part, par une disproportion manifeste entre les prestations et, d’autrepart, par l’origine de cette disproportion : l’abus par une partie de la situationd’infériorité de l’autre partie (160). Cet abus ne requiert pas nécessairement lapreuve d’un élément intentionnel mais il suppose la connaissance de l’étatd’infériorité (161). Or, la gravité de ce comportement et de ses conséquences,

(153) Id., ibid.(154) W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 185.(155) Id. ibid., p. 188.(156) Id. ibid., p. 190.(157) Cass., 29 mai 1980, Pas., 1980, I, p. 1190 et s., cf. supra, no 17.(158) L. CORNELIS, op. cit., R.W., 1988-1989, p. 1383.(159) Cf. supra, no 17.(160) Cf. supra, no 3.(161) Cf. supra, no 21.

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à savoir l’importance de l’atteinte portée au consentement de l’autre partie etle préjudice qu’elle subit, est telle qu’elle ne peut être effacée par la présenceéventuelle d’une négligence ou d’une imprudence de la victime de la lésion.

B. Comparaisons entre les conditions d’application des diffé-rents vices

24. Points de comparaison. — Trois questions seront analysées à traversl’erreur, le dol et la lésion qualifiée : la nécessité que le vice ait déterminé leconsentement au contrat, les conséquences d’une faute de la victime du vicesur ses possibilités d’obtenir l’annulation du contrat et le comportement re-quis de la part de son cocontractant (1). Ensuite, on examinera les champsd’application respectifs et les intersections que l’on peut observer entre l’er-reur et le dol, entre le dol et la lésion qualifiée et, enfin, entre l’erreur et lalésion qualifiée (2).

1. Questions communes aux trois vices

25. Le caractère déterminant du vice sur le consentement. — Peut-onconsidérer qu’en matière d’erreur, de dol et de lésion qualifiée, il est nécessaire,pour pouvoir obtenir l’annulation du contrat, que le vice ait déterminé le con-sentement de celui qui l’a subi de telle sorte qu’en l’absence de ce vice, il n’yaurait pas eu de contrat ?

L’erreur, pour entraîner la nullité du contrat, doit porter sur une qualité subs-tantielle, autrement dit, sur un élément qui a déterminé le consentement del’errans au contrat (162). La même solution est applicable au dol. Il faut queles manoeuvres soient la cause de l’accord, qu’on puisse affirmer qu’en l’ab-sence de celles-ci, le contrat n’aurait pas été conclu. Sinon, le contrat ne pourraêtre annulé; en cas de dol incident, en d’autres termes lorsqu’en l’absence demanoeuvres, le contrat aurait été conclu mais à d’autres conditions, la victimen’a droit qu’à des dommages et intérêts (163).

En matière de lésion qualifiée, la réponse est plus nuancée.

Le vice de consentement sanctionné par cette théorie n’est pas clairementidentifié mais il est déduit de l’abus d’une situation d’infériorité (164). Or, pourréunir les conditions de la lésion qualifiée, on peut établir non seulement qu’en

(162) Cf. supra, no 9.(163) La distinction entre dol principal et dol incident ne fait cependant pas l’unanimité, tout comme certains

soutiennent, à tort selon nous, que le dol incident peut conduire à l’annulation du contrat par le biaisdes règles de la responsabilité aquilienne, cf. supra, no 16 et note 112.

(164) Cf. supra, no 5.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

l’absence de cet abus, le contrat n’aurait pas été conclu mais aussi qu’il auraitété conclu à des conditions moins onéreuses pour la victime (165).

Contrairement au dol principal et à l’erreur substantielle, la lésion qualifiée nerequiert donc pas nécessairement que le vice ait déterminé le consentement àla conclusion du contrat dans son ensemble, mais seulement qu’il soit la causedu contrat tel qu’il a été conclu, autrement dit de la lésion.

26. L’absence de faute de la victime. — Tant en matière d’erreur que pourle dol et la lésion qualifiée, la question de savoir si le caractère non fautif ducomportement de la victime est une condition d’existence du vice de consen-tement considéré est controversée (166).

On serait tenté, a priori, de dégager une solution unique dans les trois hypo-thèses, qui rétablirait la cohérence sans méconnaître les conditions prévuespar le Code civil. L’article 1382 du Code civil serait ainsi retenu pour sanction-ner la faute de la victime d’une erreur, d’un dol ou d’une lésion qualifiée, sansque l’absence d’une telle faute ne fasse partie des conditions d’application del’un de ces trois vices. Cette exigence n’est d’ailleurs prévue ni par l’article1110, ni par l’article 1116 du Code civil. L’article 1382 permettrait d’octroyerdes dommages et intérêts au cocontractant de la victime du vice ou de réduirele montant fixé à sa charge. En matière d’erreur inexcusable, il justifieraitégalement le refus d’annuler le contrat, à titre de réparation en nature du pré-judice subi par le cocontractant de l’errans (167).

Cette solution, qui n’intègre pas l’absence de faute de la victime dans les con-ditions d’existence du vice, nous paraît certes adéquate en matière de dol, oùelle correspond d’ailleurs à la thèse suivie par la Cour de cassation et par unepart importante des juridictions de fond et de la doctrine (168). Elle nous pa-raît également convenir en matière de lésion qualifiée. Dans ces deux hypo-thèses, la gravité du comportement de l’auteur du vice et son incidence sur laconclusion du contrat nous paraissent suffire pour entraîner son annulation,ou éventuellement, en matière de lésion qualifiée, la réduction de la prestationexcessive (169), sans qu’il faille s’interroger sur l’éventuel caractère fautif d’undes comportements de la victime.

Une telle solution ne nous semble, par contre, pas adaptée en matière d’erreur.

(165) Sur le lien de causalité requis entre l’abus et la lésion et la controverse quant à l’existence d’unecondition supplémentaire, superflue à notre avis, cf. supra, no 22 et références citées.

(166) Cf. supra, nos 12, 17 et 23.(167) L. CORNELIS, op. cit., R.C.J.B., 1976, p. 47, no 15; P. WÉRY, op. cit., 1993, p. 143-144, no 108; cf. supra, no 12.(168) Cf. supra, no 17.(169) Sur les sanctions de la lésion qualifiée et les différents fondements attribués à la théorie, cfr infra, nos

34 à 38.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Rappelons tout d’abord que la Cour de cassation ne définit pas l’erreur inex-cusable comme une erreur fautive mais comme celle que n’aurait pas com-mise un homme raisonnable (170).

Cette erreur inexcusable doit, selon nous, exclure la possibilité d’obtenir l’an-nulation du contrat sur la base de l’article 1110 du Code civil, pour les motifsindiqués précédemment (171) et spécialement pour la raison suivante. Dansl’équilibre à trouver dans ce domaine entre la protection de l’intégrité du con-sentement de l’errans et celle de la sécurité juridique, la volonté réelle d’unepersonne qui s’est trompée d’une manière inexcusable ne peut être préservéeau mépris de la sécurité d’un cocontractant en principe non fautif et de lasécurité des tiers.

27. Le comportement du cocontractant. — Quelle est l’attitude requisede la part du cocontractant de la victime du vice pour que celle-ci puisseobtenir l’annulation du contrat ?

On peut examiner le comportement du cocontractant au niveau matériel, enprenant en considération ses actes ou ses abstentions, et au niveau psychologi-que, en s’attachant à la présence d’un élément intentionnel ou à la connais-sance que le cocontractant avait ou devait avoir de certains éléments constitu-tifs du vice considéré.

En matière d’erreur, on pourrait croire, à première vue, que l’attitude ducocontractant ne doit pas être prise en considération pour apprécier l’exis-tence du vice. Ce qui est vrai d’un point de vue matériel. Toutefois, il est exigéque l’erreur soit commune, ce qui implique un élément psychologique dans lechef du cocontractant. Il est requis qu’il ait, au moins, dû connaître le caractèresubstantiel de la qualité sur laquelle l’autre partie s’est trompée (172).

Le dol requiert quant à lui un élément psychologique et un élément matérieldans le chef de son auteur. Il faut, tout d’abord, la volonté, l’intention de trom-per. Quant à l’élément matériel du dol, il est compris de manière large : uncomportement actif n’est pas nécessaire; la réticence peut, à certaines condi-tions, être constitutive de dol (173).

La lésion qualifiée nécessite que son auteur ait abusé de la situation d’inférioritéde l’autre partie. Cet abus ne suppose, selon nous, que la simple connaissancede l’état d’infériorité, sans que soient requis ni un élément intentionnel, ni uncomportement actif dans le chef de l’auteur de la lésion (174).

(170) Cf. supra, no 12.(171) Cf. supra, no 12.(172) Cf. supra, no 11.(173) Cf. supra, no 14.(174) Cf. supra, no 21.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Les conditions d’existence de l’erreur sont donc les moins exigeantes quantau comportement que doit avoir eu le cocontractant : le simple fait d’avoir dûconnaître le caractère substantiel de l’élément sur lequel l’autre partie s’esttrompée suffit. Les conditions requises en matière de dol à cet égard sont lesplus strictes : même si un comportement passif peut suffire, son auteur doitavoir agi intentionnellement. Entre les deux, se situe la lésion qualifiée, pourlaquelle on peut se contenter d’un usage passif de l’infériorité de l’autre partieet de la simple connaissance de cet état.

2. Champs d’application des différents vices : points deconvergence et de divergence

28. L’erreur et le dol. — Suivant la définition du dol (175), son but est deprovoquer une erreur (176) et, pour qu’il soit admis comme cause de nullitédu contrat par l’article 1116 du Code civil, son effet doit être de produire uneerreur (177); le dol est une erreur provoquée par une faute intentionnelle (178).

Toutefois, dans le dol, l’accent est mis sur le procédé et l’intention alors quel’erreur souligne le résultat (179).

Les champs d’application respectifs de l’erreur et du dol, en tant que vices deconsentement sanctionnés respectivement par l’article 1110 et par l’article1116 du Code civil, ne coïncident pas nécessairement.

Comme l’erreur visée par l’article 1110 du Code civil, l’erreur résultant d’undol doit porter sur une qualité substantielle (180). En effet, le dol, la tromperiedoivent avoir déterminé le consentement de leur victime pour conduire à l’an-nulation du contrat (181). Or l’effet de cette tromperie est une erreur (182); sicette tromperie est jugée déterminante, cela signifie donc que l’erreur l’estaussi.

L’erreur résultant d’un dol est cependant admise plus largement que l’erreursimple (183). Elle peut porter sur la valeur de l’objet du contrat, sur les motifs

(175) Cf. supra, no 2.(176) P. COLLE, op. cit., D.C.C.R., 1990-1991, p. 526; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 86.(177) Civ. Bruxelles, 2 févr. 1993, R.G.D.C., 1994, p. 416 et s. Pour un exemple, voy. Mons, 6 juin 1986, J.T.,

1987, p. 344.(178) J. GHESTIN, op. cit, 1988, no 419; Mons, 29 mars 1988, Pas., 1988, II, p. 170 et s.; Civ. Bruxelles, 2 févr.

1993, R.G.D.C., 1994, p. 416 et s.(179) J. P. MASSON, op. cit., R.C.J.B., 1979, p. 531, no 4.(180) Pour que l’erreur porte sur une qualité substantielle, il faut qu’elle porte sur un élément qui a déterminé

le consentement, cf. supra, no 9.(181) Cf. supra, no 16.(182) Cf. supra, dans ce même numéro; voy. aussi la définition de la tromperie du dictionnaire Petit Robert,

éd. 1986: il s’agit « du fait de tromper », qui est défini comme l’action de « faire tomber dans l’erreur »,ce qui vise non seulement le comportement mais aussi son résultat.

(183) M. COIPEL, op. cit., 1996, no 400; J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 274-275, no 27.

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qui ont amené à le conclure (184); elle ne doit pas être considérée commecommune aux deux contractants (185) et, suivant une partie importante de lajurisprudence et de la doctrine à laquelle nous nous rallions, elle ne doit pasêtre excusable (186).

Par ailleurs, certaines erreurs résultant d’un dol ne peuvent être sanctionnéessur la base de l’article 1116 du Code civil mais bien sur celle de l’article 1110.Ce sera le cas si une erreur sur une qualité substantielle est provoquée par undol mais que ce dol émane d’un tiers, en l’absence de complicité ducocontractant (187).

Ainsi, certaines situations relèvent exclusivement de l’article 1110 ou de l’arti-cle 1116 du Code civil. Dans d’autres hypothèses, par contre, le demandeurdispose d’un choix entre la théorie de l’erreur et celle du dol, les deux pou-vant conduire à l’annulation du contrat. Si la preuve du dol et de ses deuxcomposantes (188) est difficile à apporter, la théorie de l’erreur lui permettrad’obtenir l’annulation du contrat. Dans le cas contraire, et s’il souhaite obtenirdes dommages et intérêts en plus de l’annulation, la théorie du dol lui permet-tra de ne plus avoir à prouver la faute du cocontractant, puisque le dol est unefaute (189). S’il agit par contre sur la base de la théorie de l’erreur et réclameen outre des dommages et intérêts, les trois conditions de l’article 1382 duCode civil devront être établies en plus des conditions d’admissibilité de l’er-reur.

29. Le dol et la lésion qualifiée. — Le dol requiert l’emploi de moyens frau-duleux; la lésion qualifiée, quant à elle, suppose un abus de l’état d’inférioritédu cocontractant. Or, dans certaines hypothèses, les moyens frauduleux cons-titutifs de dol consistent en un abus de l’état d’infériorité de la victime (190);le dol peut ainsi résulter du fait de profiter du plus grand âge et de l’affaiblisse-

(184) J. GHESTIN, op. cit, 1988, no 419. L’erreur sur des motifs essentiels est toutefois admise par une partie dela doctrine et de la jurisprudence, à juste titre selon nous, cf. supra, no 10.

(185) Cf. supra, nos 11 et 16.(186) Cf. supra, nos 17 et 26.(187) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 52, p. 70.(188) Le dol suppose un élément matériel et un élément intentionnel, cf. supra, no 14.(189) L. CORNELIS, op. cit., R.C.J.B., 1976, p. 46, no 15; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg., 1980,

p. 53, no 28. Cf. supra, no 14.(190) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p.350, no 123, in fine et p. 395,

no 149; Mons, 6 juin 1986, J.T., 1987, p. 344.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

ment de son cocontractant (191), de l’exploitation de sa faiblesse, notammentintellectuelle (192).

Comment, dès lors, délimiter leurs champs d’application respectifs ?

Le dol nécessite un élément intentionnel qui n’est pas requis, selon nous, enmatière de lésion qualifiée, où l’on se contente de la simple connaissance del’état d’infériorité dans lequel se trouve l’autre partie (193). Ensuite, pour en-traîner l’annulation du contrat, le dol doit avoir déterminé le consentement del’autre partie de telle sorte qu’en l’absence de dol, le contrat n’aurait pas étéconclu (194). En ce qui concerne la lésion qualifiée par contre, nous estimonsque si l’abus doit avoir causé la lésion, en d’autres termes, le contrat tel qu’il aété conclu, il ne doit pas nécessairement être la cause déterminante de la con-clusion du contrat, autrement dit l’élément sans lequel il n’y aurait pas eu decontrat (195). Des conventions qui réunissent les conditions nécessaires pourêtre annulées sur la base de la lésion qualifiée ne sont donc pas nécessaire-ment annulables du chef de dol.

À l’inverse, certains contrats qui peuvent être annulés pour dol ne remplissentpas les conditions de la lésion qualifiée. Celle-ci suppose, tout d’abord, unesituation d’infériorité de la victime du vice qui n’est pas requise en matière dedol et l’exploitation de cet état par l’autre partie, condition qui ne l’est, enconséquence, pas non plus (196). D’autre part, la lésion qualifiée implique l’exis-tence d’une disproportion manifeste entre les prestations, alors que le dol,pour conduire à l’annulation du contrat, ne demande pas qu’on prenne enconsidération ses effets sur l’équilibre de l’acte juridique (197).

Comme on en trouve entre l’erreur et le dol, il existe entre le dol et la lésionqualifiée des intersections. Toutefois, leurs champs d’application respectifs nese recouvrent pas : dans une série d’hypothèses, chaque vice s’applique à l’ex-clusion de l’autre.

(191) J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 262, no 15; E. DIRIX et A. VAN OEVELEN, op. cit., R.W.,1992-1993, p. 1217, no 21; Cass., 5 oct. 1967, Pas., 1968, I, p. 161 et s.; Bruxelles, 17 février 1989, J.T.,1989, p. 291.

(192) Civ. Liège, 14 janv. 1986, J.L., 1986, p. 109; Civ. Neufchâteau, 30 janvier 1985, Rev. not. belge, 1986, p.583 et s., décision dans laquelle une partie poursuivait l’annulation du contrat sur la base du dol, enfaisant valoir que son cocontractant avait abusé de la faiblesse intellectuelle résultant de son grand âge,ce qui, selon le tribunal, peut constituer un dol; il a cependant déclaré que le dol n’était pas établi enl’espèce; Bruxelles, 17 févr. 1989, J.T., 1989, p. 291 et s. ; Civ. Bruxelles, 29 juin 1995, Res jur. imm.,1995, p. 171 et s.(âge avancé et veuvage récent).

(193) Cf. supra, no 27.(194) Cf. supra, no 16.(195) Cf. supra, nos 22 et 25.(196) Cf. supra, no 13 et s. et nos 20-21.(197) Cf. supra, no 13 et s. et no 19; voy. également M. COIPEL, op. cit., 1996, no 470.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

30. L’erreur et la lésion qualifiée. — Il est possible, théoriquement, qu’uncontrat puisse être annulé sur la base d’une erreur sur une qualité substan-tielle et qu’il remplisse en même temps les conditions d’application de la théoriede la lésion qualifiée. L’abus d’une situation d’infériorité à l’origine d’un con-trat manifestement déséquilibré peut, effectivement, avoir créé dans le chef desa victime une erreur sur une qualité substantielle, susceptible d’entraîner l’an-nulation du contrat sur la base de l’article 1110 du Code civil. Toutefois, lalésion qualifiée ne suppose pas qu’on établisse une erreur, et l’erreur visée parl’article 1110 du Code civil ne requiert ni la présence d’une lésion, ni l’infério-rité de l’errans et son exploitation par l’autre partie.

Leurs champs d’application respectifs sont ainsi clairement distincts (198).

(198) Voy. sur ce point H. DE PAGE, op. cit., 1946, p. 53.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Section IIIEffets, sanctions et réparations de l’erreur,

du dol et de la lésion qualifiée

31. Introduction. — Que pourra obtenir en justice la victime d’un vice deconsentement ? Il convient d’envisager cette question successivement à pro-pos de l’erreur, du dol (A) et de la lésion qualifiée (B). On examinera ensuite lerôle des règles relatives à la responsabilité aquilienne dans la matière des vicesde consentement (C).

A. L’erreur et le dol

32. L’erreur. — Un contrat entaché d’une erreur qui répond aux conditionsde l’article 1110 du Code civil pourra être annulé. Il s’agit d’une nullité rela-tive (199), applicable à l’ensemble de la convention (200).

Lorsque l’erreur a été causée par une faute précontractuelle de l’autre partieet qu’il existe un dommage que la nullité du contrat ne suffit pas à réparer,l’errans a droit à des dommages et intérêts, sur la base de l’article 1382 duCode civil (201).

33. Le dol. — Notion mixte (202), le dol, en tant que source d’un vice deconsentement, peut conduire à la nullité, relative, du contrat s’il a déterminé leconsentement de sa victime; en tant que tromperie, il permet d’imposer à sonauteur des dommages et intérêts sur la base des règles de la responsabilitéaquilienne. Les deux sanctions peuvent se cumuler, mais la victime peut secontenter d’une action en annulation ou d’une demande de dommages et in-térêts (203).

(199) Voy. les articles 1110, 1117 et 1304 du Code civil.(200) En matière d’erreur, « notre droit ne connaît pas une telle notion de nullité partielle déterminée ex

aequo et bono par le juge » (Bruxelles, 18 juin 1986, R.W., 1986-1987, col. 2306 et s.).(201) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 340-341, no 118.(202) Cf. supra, no 2.(203) J. DECLERCK-GOLDFRACHT, op. cit., R.C.J.B., 1972, p. 258, no 11; H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 54; R.

KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 353, no 129; J. MATTHIJS, op. cit.,R.C.J.B., 1980, p. 51, no 10; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 81; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac.Dr. Lg., 1980, p. 72, no 40.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Le dol incident, quant à lui, n’entraîne pas la nullité mais seulement des dom-mages et intérêts (204).

B. La lésion qualifiée

34. Exposé du problème. — En l’absence de texte légal, on peut s’inter-roger sur la sanction de la lésion qualifiée. S’agit-il d’une action en rescision,comme pour la lésion simple, ou d’une action en annulation, et dans ce cas est-ce une nullité absolue ou relative ? S’agit-il d’une action en réparation ? Laréponse suppose que l’on s’attache préalablement au fondement attribué à lathéorie, sur lequel un accord ne semble pas prêt d’être réalisé (205).

La lésion qualifiée a été justifiée par trois théories différentes : la cause illicite,la responsabilité aquilienne et, plus précisément, la culpa in contrahendo et,enfin, l’abus de droit. Il convient d’envisager successivement ces trois fonde-ments et leurs conséquences en ce qui concerne la sanction de la lésion qua-lifiée.

35. La théorie de la cause illicite. — Une partie de la doctrine et de lajurisprudence a trouvé dans cette théorie le fondement de la lésion qualifiée.Basée sur les articles 1131 et 1133 du Code civil, elle conduit à frapper lecontrat d’une nullité absolue.

Suivant cette thèse, la lésion qualifiée blesserait les bonnes moeurs, qui exi-gent qu’on ne fasse pas une bonne affaire en profitant de la situation désavan-tageuse d’autrui (206) .

A. De Bersaques relève que « la doctrine actuelle (207) reconnaît que, pourexaminer la licéité de l’obligation née d’un contrat synallagmatique, il nesuffit pas de rechercher quel a été le but immédiat de celui qui l’a souscrite,but qui se trouve dans la prestation stipulée à son profit. Il faut, en outre,contrôler le but médiat, la fin qu’il entend réaliser au moyen et par-delàcette prestation » (208). L’auteur précise que différentes décisions, anciennes,ont ainsi estimé « que la poursuite d’un bénéfice usuraire en exploitant l’in-

(204) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, no 17; Civ. Bruxelles, 2 févr. 1993, R.G.D.C., 1994, p. 416 ets. Cette opinion, à laquelle nous adhérons, ne fait cependant pas l’unanimité, cfr supra, no 16.

(205) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1975, no 17; W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 181; S. STIJNS, D. VAN

GERVEN et P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence (1985-1995) - Les obligations : les sources », J.T., 1996,p. 713, no 65.

(206) Voy. les références citées par A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p.504, no 19; voy. également M. COIPEL, op. cit., 1996, no 470, qui parle de nullité pour illicéité basée surl’article 6 du Code civil; J.P. Anvers, 5 nov. 1986, R.W., 1987-1988, p. 1446 et s.

(207) Les mélanges, dont fait partie la contribution d’A. DE BERSAQUES citée ci-dessus, ont été édités en 1963.(208) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 499, no 12.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

fériorité du cocontractant constitue pareil dessein immoral et entraîne donc,aux termes des articles 1131 et 1133 du Code civil, la nullité de l’obligationsouscrite par l’auteur de la lésion qualifiée. L’engagement réciproque de lavictime de cette lésion se trouvant ainsi privé de contrepartie, partant decause, vient également à s’éteindre, entraînant la disparition du contratlui-même » (209).

Cette théorie a cependant été critiquée.

D’abord pour le motif qu’il est inexact de dire que la cause de l’obligation estimmorale (210). Le fait de poursuivre la réalisation d’un bénéfice particulière-ment élevé n’est pas nécessairement contraire aux bonnes moeurs. La lésionne blesse la morale que lorsqu’elle s’accompagne de l’exploitation de l’état debesoin ou d’infériorité d’autrui. Ce qui est immoral n’est donc pas le butpoursuivi : ce sont les moyens utilisés pour y parvenir (211).

Ensuite parce qu’une partie de la doctrine exige que chaque partie ait connu,dès la formation du contrat, le but illicite pour que le contrat soit annulé pourcause immorale. En ce qui concerne la lésion qualifiée, cette condition n’estpas remplie dans un certain nombre de cas (212).

Enfin, parce que la sanction, la nullité du contrat, n’est pas une solutionsatisfaisante : la victime peut avoir intérêt à conserver la prestation moyen-nant la réduction de ses propres engagements (213). De plus, il s’agit d’unenullité absolue; or, les raisons qui dictent la nullité pour dol ou pour violencesont les mêmes que celles qui dictent la nullité pour lésion qualifiée : il s’agitdu souci de protéger des personnes qui ne peuvent efficacement se défendre.Ce sont donc des intérêts privés qui sont protégés et non l’intérêt général (214).

36. La responsabilité aquilienne et la culpa in contrahendo. — La théo-rie de la lésion qualifiée est également justifiée, par une partie de la jurispru-

(209) Id. ibid..(210) P.-H. DELVAUX, op. cit., 1996, no 20 : « on voit mal, en effet, en quoi l’ordre public ou les bonnes moeurs

seraient impliqués dans le comportement que peuvent avoir l’une à l’égard de l’autre des parties à uncontrat, sauf violation de la loi pénale ».

(211) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 500-501, nos 13-14 (toutefois, MrDE BERSAQUES se demande s’il ne serait pas arbitraire d’apprécier la licéité de la fin poursuivie par uncocontractant sans avoir égard aux moyens mis en oeuvre pour l’atteindre); A. DE BERSAQUES, op. cit.,R.C.J.B., 1977, p. 25, no 17; voy. également en ce sens Anvers, 21 janvier 1986, R.W., 1986-1987, p. 1488et s.

(212) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 501-502, no 15; A. DE BERSAQUES,op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 24, no 16; W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 152.

(213) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 502, no 16; P.-H. DELVAUX, op.cit., 1996, no 20; dans le même sens, voy. également W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 146 et s.; P. VAN

OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, no 24; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 74,no 41.

(214) A. DE BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 25-26, no 18; W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 147.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

dence (215) et de la doctrine (216), sur la base de l’article 1382 du Code civilet de la culpa in contrahendo (217). Leur raisonnement est le suivant.

« Il y a faute, acte illicite, délit à profiter de la situation embarrassée ou del’inexpérience du cocontractant, à exploiter cette situation »; « il suffit queconsciemment l’autre partie ait accepté de traiter alors qu’elle savait qu’enraison des circonstances (gêne, légèreté, inexpérience du cocontractant), lecontrat devait être, dans une proportion choquante, défavorable à celui quile souscrivait » (218).

La lésion qualifiée constitue, d’autre part, un fait dommageable car elle impli-que une disproportion flagrante entre les engagements (219).

Enfin, le lien de causalité entre la faute et le dommage correspond à l’exigenceque la lésion trouve sa cause dans l’abus de la situation d’infériorité de savictime (220).

Cette thèse permet d’échapper aux critiques formulées à l’encontre de la théo-rie de la cause illicite.

Tout d’abord, parce que ce n’est pas la poursuite d’un gain considérable quiest jugée illicite mais l’emploi de moyens répréhensibles pour l’atteindre.Deuxièmement, car il n’est pas ici nécessaire que la victime ait connu le butillicite. Enfin, parce que les règles de la responsabilité aquilienne permettront

(215) Anvers, 21 janvier 1986, R.W., 1986-1987, col. 1488 et s. (il s’agirait du premier arrêt publié en ce sens,cfr D. Deli, op. cit., R.W., 1986-1987, col. 1495-1496); Trib. trav. Bruxelles, 26 sept. 1988, Chron. D.S.,1989, p. 58-59; Comm. Bruges, 7 janv. 1994, A.J.T., 1994-1995, p. 143 et s.; Civ. Bruxelles, 17 mars 1995,R.G.D.C., 1995, p. 507 et s.

(216) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 503 et s., no 17 et s.; A. DE

BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 27 et s., nos 21 et s.; B. CATTOIR, « De dading na schadegeval en hetrecht van het slachtoffer op bijkomende schadevergoeding », note sous Anvers, 7 février 1995, A.J.T.,1995, p. 329; P.-H. DELVAUX, op. cit., 1996, no 20; E. DIRIX, op. cit., R.C.J.B., 1982, p. 539, no 15; J.-F. ROMAIN,op. cit., J.T., 1993, p. 752; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 74, no 41. Pour unecritique du recours à la responsabilité aquilienne pour sanctionner la lésion qualifiée, cf. W. DE BONDT,op. cit., 1985, p. 154 et s.; voy. aussi p. 251. Ces critiques sont étroitement liées à la conceptionparticulière à Mr DE BONDT de la lésion qualifiée; nous nous contenterons donc d’y renvoyer les lecteursspécialement intéressés par cette question; voy. également infra, no 37.

(217) La culpa in contrahendo vise toute faute commise au cours des pourparlers. Les pourparlers quant àeux « désignent à la fois les conférences des personnes qui s’abouchent pour traiter quelque affaire etla période d’approches qui précède la conclusion d’un contrat ou la rupture des négociations » (M.FORGES, « Principes applicables à la rupture et à l’aménagement conventionnel des pourparlers en droitbelge », Ann. Dr., 1995, p. 439, no 1 et p. 445, no 21).

(218) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 505, no 20 et références citées,notes 82 et 84.

(219) A. DE BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 10 et s., no 22; J.-F. ROMAIN, op. cit., J.T., 1993, p.753, no 4.(220) Cf. supra, no 22. Voy. aussi J.-F. ROMAIN, op. cit., J.T., 1993, p. 752, no 4.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

au juge de réduire la prestation excessive et de supprimer ainsi la lésion sanstoucher au contrat (221).

37. L’abus de droit. — On trouve enfin la thèse suivant laquelle la lésionqualifiée constituerait un abus du droit de contracter librement (222), dont lefondement se trouve dans l’article 1382 du Code civil (223). La sanction d’unabus de droit est la réduction du droit à son usage normal ou la réparation dudommage que l’abus a causé (224).

Dans sa thèse consacrée à la théorie de la lésion qualifiée, W. De Bondt justifiece fondement par la concordance entre les conditions d’application de la théo-rie de la lésion qualifiée et celles de l’abus de droit (225).

Il relève d’abord que le contrôle par rapport à l’article 1382 du Code civil est,dans les deux cas, un contrôle limité : la lésion qualifiée exige un abus mani-feste, celui de la liberté de contracter, de déterminer librement le contenu ducontrat (226), comme en matière d’abus de droit qui ne requiert qu’un con-trôle marginal, qu’un abus manifeste. Ensuite, il déclare que, dans les deuxthéories, il existe des liens entre leurs différentes conditions d’application : plusimportante est la lésion, plus vite le juge conclura à l’existence d’un abus,comme en matière d’abus de droit où la faute pourra résulter de la comparai-son entre l’importance du dommage subi et l’intérêt négligeable qu’en retirele titulaire du droit. Il énonce enfin que la seule intention de nuire peut cons-tituer un abus de droit, sans qu’on accorde d’intérêt à l’importance du dom-mage. Et il affirme qu’en ce qui concerne la lésion qualifiée, en cas d’infério-rité et d’abus marqués, la lésion n’est pas une condition indispensable s’il existe

(221) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 512-513, no 28; A. DE BERSAQUES,op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 27, no 21 et p. 31 à 33, no 27; W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 181 : si l’on se basesur l’article 1382 du Code civil, le juge peut soit annuler tout le contrat, soit diminuer la prestation dela personne lésée, ce qui prend le plus souvent la forme d’une annulation totale ou partielle d’une oude plusieurs stipulations du contrat ; E. DIRIX, op. cit., R.C.J.B., 1982, p. 539, no 15; W. VAN GERVEN,« Variaties op het thema misbruik », R.W., 1979-1980, col. 2486; Civ. Bruxelles, 17 mars 1995, R.G.D.C.,1995, p. 507 et s.

(222) Voy. la référence à cette thèse in A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963,p. 508-509, no 23; W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 158 et s.

(223) A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, 1963, p. 512, no 27.(224) Cass., 16 déc. 1982, Pas., 1983, I, p. 472; Cass., 11 juin 1992, Pas., 1992, I, p. 898.(225) W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 172 et s.(226) Il explique l’abus de la liberté de contracter de la manière suivante. Le principe de l’autonomie de la

volonté a deux aspects: la liberté de contracter ou non et le fait que les parties déterminent librementle contenu de leur contrat. En ce qui concerne ce second aspect, si la possibilité existe que deux partiesdéterminent en commun le contenu de leur contrat, cette situation est cependant peu vraisemblable enpratique. Les parties sont dans une situation différente, inégale. Les circonstances d’infériorité quicaractérisent la lésion qualifiée mettent l’autre partie dans une position de force qui lui permet de fixerunilatéralement le contenu de son contrat. Ces circonstances sont la cause du fait que la liberté decontracter est susceptible d’abus (W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 177-178).

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

un préjudice (227). Il en déduit que les rapports entre la faute et son résultatqui caractérisent la lésion qualifiée se retrouvent aussi en matière d’abus dedroit.

Cette thèse a fait l’objet de critiques. L. Cornelis a ainsi fait remarquer que lalésion qualifiée n’a pas de rapport particulier avec l’exercice d’un droit (228).L’abus de droit suppose qu’on fasse usage d’un droit subjectif. Or, lorsqu’onabuse de l’infériorité d’autrui, on ne fait pas usage du droit subjectif de con-tracter mais on intervient dans la situation juridique d’une autre personne (229).La lésion qualifiée ne doit donc pas être appréciée en fonction de l’abus dedroit mais bien suivant les règles des articles 1382 et 1383 du Code civil (230).

38. La nécessité de légiférer. — Certains auteurs souhaitent une interventiondu législateur (231). Celle-ci aurait, en effet, l’avantage de mettre fin aux con-troverses et de renforcer la sécurité juridique. D’autre part, même si la respon-sabilité aquilienne nous paraît actuellement la théorie la mieux adaptée à lalésion qualifiée, les trois fondements invoqués ne constituent que des cons-tructions destinées à des hypothèses plus générales et qui sont utilisées à dé-faut d’une base légale spécifiquement conçue pour ce vice de consentement.Il conviendrait en outre de reconsidérer les dispositions relatives à la lésionsimple pour les harmoniser avec la théorie de la lésion qualifiée (232).

(227) W. DE BONDT, op. cit., 1985, p. 141, 173 et 174.(228) L. CORNELIS, op. cit., 1991, no 67.(229) L. CORNELIS, op. cit., R.W., 1988-1989, p. 1382.(230) L. CORNELIS, op. cit., 1991, no 67; dans le même sens, cfr J.-F. ROMAIN, op. cit., J.T., 1993, p. 756, et note 62.(231) Voy. H. DE PAGE, op. cit., 1946, p. 107-108, qui propose d’introduire dans le Code civil un article

1133bis, dont il rédige le premier paragraphe comme suit: « Sans préjudice aux cas où, en vertu duprésent Code ou des lois particulières, la lésion est admise comme cause de nullité ou de rescisiond’une convention, le juge peut réduire ou modifier l’équivalence des prestations telle qu’elle a étéconvenue entre parties, ou même annuler le contrat, lorsque celui-ci consacre une disproportion anor-male entre les prestations corrélatives, ou une prestation excessive au profit de l’une des parties, et quecelle d’entre elles qui a stipulé de pareils avantages a : profité de l’état de besoin de l’autre partie, oude l’état de nécessité qui obligeait celle-ci à contracter, ou de son ignorance ou de son inexpérience,dues à sa condition sociale; ou spéculé, par des clauses insidieuses, sur son inattention ou sa légèreté;ou, s’il s’agit d’un prêt à intérêt, abusé des faiblesses ou des passions de l’emprunteur ». Voy. aussi A. DE

BERSAQUES, op. cit., R.C.J.B., 1977, p. 36, no 32 et références citées notes 140 à 142, où l’on peut lire uneproposition d’article 1118bis du Code civil: « lorsque les engagements d’une partie sont hors de propor-tion avec ceux de son cocontractant, et que cette disproportion résulte de l’abus des besoins, desfaiblesses, des passions ou de l’inexpérience de ce cocontractant, le juge peut, en usant de ce pouvoiravec une grande réserve, réduire les obligations de la partie lésée »; D. DELI, op. cit., R.W., 1986-1987,col. 1498.

(232) Cf. supra, no 4.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

C. La responsabilité aquilienne et les vices de consentement

39. Rôle de la responsabilité aquilienne en présence d’un vice de con-sentement. — Le recours à l’article 1382 du Code civil est fréquent en ma-tière de vices de consentement.

En ce qui concerne la lésion qualifiée tout d’abord, la thèse suivant laquelle lathéorie se fonde sur l’article 1382 trouve un large appui dans la jurisprudenceet dans la doctrine et nous semble, actuellement, la mieux adaptée aux parti-cularités de ce vice (233) .

Les règles de la responsabilité aquilienne permettent ensuite à la victime d’uneerreur de réclamer des dommages et intérêts à son cocontractant, lorsque l’an-nulation du contrat ne suffit pas à réparer son préjudice. Elle doit alors, évi-demment, établir une faute de l’autre partie, son dommage et un lien de causa-lité (234).

La faute que constitue le dol permet également à sa victime d’engager la res-ponsabilité aquilienne de son auteur, en complément ou indépendammentd’une action en annulation (235).

L’article 1382 permet enfin, selon nous, de sanctionner la faute de la victimed’un dol ou d’une lésion qualifiée, par l’octroi de dommages et intérêts à soncocontractant ou par une réduction du montant fixé à la charge de ce der-nier (236).

40. La responsabilité aquilienne et les situations exclues des vices deconsentement. — Tout en étant parfois fort proches d’un vice de consen-tement, et spécialement du dol, une série de comportements fautifs n’en réu-nissent cependant pas toutes les conditions d’application. L’article 1382 duCode civil permet alors d’en réparer les conséquences dommageables, le plussouvent par l’octroi de dommages et intérêts. Il existe aussi différents modesde réparation en nature (237). Voici quelques illustrations de ces situa-tions (238).

(233) Cf. supra, section 2, nos 34 et s.(234) J. GHESTIN, op. cit., 1988, nos 393-394; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 69; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit.,

Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 54, no 28. Cf. supra, no 32.(235) R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 353, no 129; J. MATTHIJS, op. cit.,

R.C.J.B., 1980, p. 51, no 10; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 67, no 17; Liège, 12 janvier1990, J.L.M.B., 1990, p. 1269 et s.; Comm. Liège, 24 janv. 1991, J.T., 1991, p. 526; C.T. Liège, 25 mars1996, J.T.T., 1997, p. 155 et s.; cf. supra, no 33.

(236) Sur les controverses soulevées par la question de la faute de la victime d’un dol ou d’une lésionqualifiée, cf. supra, nos 17, 23 et 26.

(237) Sur les modes de réparation du dommage lorsque la responsabilité précontractuelle d’une partie estengagée sans annulation du contrat, voy. M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 77et s., nos 43 et s.

(238) Voy. aussi M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 71 à 74, nos 40 et 41.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Lorsque le dol d’un des contractants n’a pas déterminé le consentement del’autre partie au contrat, il ne peut conduire à son annulation; on parle alors dedol incident (239). Celui-ci n’en est pas moins sanctionné sur la base de l’arti-cle 1382 du Code civil (240).

Un silence non intentionnel portant sur des éléments importants, commis avantla conclusion du contrat, ne peut être assimilé à une réticence, constitutived’un dol. Il en est de même d’une imprudence commise dans les mêmes cir-constances. Ici aussi, l’article 1382 permet de sanctionner ces comporte-ments (241).

Lorsqu’un cocontractant qui a été victime de manoeuvres dolosives a découvertla fraude avant la conclusion du contrat, il n’y a pas de dol, à défaut de carac-tère déterminant. Si la victime des manœuvres a néanmoins subi un préjudice,celui-ci pourra être réparé sur la base des règles de la responsabilité aqui-lienne : « si la réticence a amené le cocontractant à faire des recherchesonéreuses qu’une simple déclaration honnête de l’auteur de la réticenceaurait permis d’éviter, des dommages et intérêts seront dus sur base dudroit commun de la responsabilité civile » (242).

L’article 1382 permet également d’accorder, à charge de l’auteur du dol, desdommages et intérêts à des tiers à qui l’annulation du contrat aurait causé unpréjudice (243).

Enfin, si le dol d’un tiers ne peut, en l’absence de complicité de sa part, conduireà l’annulation du contrat (244), il s’agit cependant d’une faute aquilienne (245).

41. Synthèse. — L’article 1382 du Code civil occupe une place importantedans la matière des vices de consentement, que ce soit en complément desarticles 1110 et 1116 du Code civil, comme fondement de la théorie de lalésion qualifiée ou pour permettre de réparer les conséquences de comporte-ments fautifs proches d’un vice de consentement mais situés en dehors de sonchamp d’application.

(239) Cette thèse ne fait cependant pas l’unanimité, cf. supra, no 16 et note no 112.(240) P. Colle, op. cit., D.C.C.R., 1990-1991, p. 525; A. DE BERSAQUES, op. cit., Mélanges en l’honneur de Jean

Dabin, 1963, p. 508, no 22; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, op. cit., Ann. Fac. Dr. Lg., 1980, p. 71 à 73, no 41;Bruxelles, 25 nov. 1982, J.T., 1983, p. 396 et s.; Mons, 18 mars 1986, R.R.D., 1987, p. 127 et s.; Liège, 30oct. 1990, J.T., 1991, p. 129; Civ. Bruxelles, 29 juin 1995, Res jur. imm., 1995, p. 171 et s.

(241) J. P. MASSON, op. cit. R.C.J.B., 1979, p. 538, no 13; C. PARMENTIER, op. cit., 1984, p. 81; cf. supra, no 14.(242) J. P. MASSON, op. cit. R.C.J.B., 1979, p. 541, no 16.(243) J. MATTHIJS, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 47, no 7.(244) Cf. supra, no 15.(245) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, no 52.

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L'erreur, le dol et la lésion qualifiée

Conclusions

Les trois vices de consentement que sont l’erreur, le dol et la lésion qualifiéesont chacun dirigés par des principes qui leur sont propres et qui conduisentà des conditions d’application et à des sanctions caractéristiques.

Le fondement de la théorie de l’erreur vient d’un compromis entre la protec-tion de la sécurité juridique et celle de l’intégrité du consentement (246). Lathéorie du dol vise, en outre, à sanctionner la déloyauté de son auteur (247), cequi explique la thèse selon laquelle la faute de la victime du dol ne peut faireobstacle à une action en annulation du contrat (248). Enfin, la théorie de lalésion qualifiée vise, elle aussi, la recherche d’un équilibre entre l’autonomiede la volonté et la sécurité juridique, mais elle est également inspirée par desconsidérations d’équité (249). D’une part, elle a pour fonction de supprimerun déséquilibre manifeste entre les prestations d’un contrat. D’autre part,l’équité justifie qu’en matière de sanctions, on ne puisse se contenter de laseule nullité totale du contrat, mais qu’il faille rechercher des solutions plusconformes à l’intérêt de la victime (250).

Nonobstant les spécificités de chacun de ces vices, il peut arriver que certainscontrats réunissent, simultanément, l’ensemble des conditions d’applicationde plusieurs d’entre eux (251).

Dans d’autres hypothèses, un contrat est en apparence atteint d’un vice, maisl’une des conditions de ce dernier fait défaut ou est l’objet d’une controversequi rend le résultat du litige aléatoire. Il est alors utile d’envisager, d’une part, laprésence éventuelle d’un autre vice et, d’autre part, la possibilité de faire usagedes règles concernant la responsabilité aquilienne.

Ainsi, lorsqu’une erreur porte sur la valeur de l’objet du contrat, l’applicationde l’article 1110 sera refusée. S’il s’agit d’une erreur sur les motifs (252) ou

(246) Cf. supra, nos 12 et 26; L. HERVE, op. cit., Act.dr., 1991, p. 220, no 15; M. COIPEL, op. cit., 1996, no 390.(247) J. GHESTIN, op. cit., 1988, no 363.(248) Cette thèse ne fait cependant pas l’unanimité, cf. supra, no 17.(249) D. DELI, op. cit., R.W., 1986-1987, p. 1494.(250) Cf. supra, nos 35 et 36.(251) Cf. supra, nos 28 à 30.(252) L’erreur sur les motifs est parfois admise par la jurisprudence, cf. supra, no 10.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

d’une erreur inexcusable (253), l’annulation sera susceptible d’être refusée,suivant la position adoptée dans le débat doctrinal par la juridiction saisie. Parcontre, ces considérations ne font pas obstacle à l’annulation du contrat duchef de dol (254). Et lorsqu’un des éléments du dol fait défaut, il est parfoispossible d’agir sur la base de la lésion qualifiée et, à l’inverse, si toutes lesconditions d’application de la théorie de la lésion qualifiée ne sont pas réu-nies, l’article 1116 du Code civil peut, dans certains cas, être applicable (255).

Enfin, nous avons vu que l’article 1382 du Code civil permettait de sanctionnercertains comportements proches d’un vice de consentement mais qui n’enréunissaient pas toutes les conditions d’application (256).

Malgré le régime spécifique attaché respectivement à l’erreur, au dol et à lalésion qualifiée, il n’est dès lors pas inutile d’envisager ces trois vices simulta-nément et de manière comparative.

(253) Sur les controverses concernant l’incidence du caractère inexcusable de l’erreur, cf. supra, no 12.(254) Sous réserve de l’opinion de certaines juridictions concernant l’incidence du caractère inexcusable de

la faute de la victime du dol, cf. supra, nos 17 et 28. Néanmoins, si l’incidence de la faute de la victimedu dol sur les possibilités d’annuler le contrat est controversée, elle est déniée par la Cour de cassationet par une part importante des juridictions de fond, voy. les développements des nos 17, 26 et 28.

(255) Cf. supra, no 29.(256) Cf. supra, no 40.

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L'EXÉCUTION EN NATURE DESOBLIGATIONS CONTRACTUELLES :

QUELQUES DÉVELOPPEMENTSJURISPRUDENTIELS ETDOCTRINAUX RÉCENTS

Patrick WÉRY,chargé de cours aux F.U.N.D.P. (Namur)

et chargé de cours invité à l'U.C.L.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE................................................................. 63

1. Introduction et limites du rapport ..................................... 63

SECTION I

LE PRINCIPE DE L’EXÉCUTION EN NATURE DES OBLIGATIONSCONTRACTUELLES ................................................................................65

2. La primauté de l’exécution en nature surles autres remèdes de l’inexécution ................................... 65

3. Les exceptions à la primauté de l’exécutionen nature .................................................................................... 66

4. L’interdiction du cumul ......................................................... 675. L’exécution en nature : un devoir pour le créancier .... 676. (suite) Le créancier peut-il réclamer directement

et exclusivement des dommages et intérêts ? ................ 69

SECTION II

L’EXÉCUTION EN NATURE ET LA RÉPARATION EN NATURE :DEUX NOTIONS DISTINCTES ............................................................... 71

7. Notion de réparation en nature ......................................... 718. Intérêts de la distinction ........................................................ 72

SECTION III

LA CONDAMNATION DU DÉBITEUR À S’EXÉCUTER EN NATURE ...... 75

9. L’article 1142 du Code civil .................................................. 7510. La compétence du juge des référés ..................................... 78

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

SECTION IV

L’EXÉCUTION FORCÉE EN NATURE OU LES VOIES D’EXÉCUTIONDE LA CONDAMNATION ....................................................................... 79

11. Présentation du problème ..................................................... 7912. L’exécution forcée en nature ................................................ 8013. La contrainte par substitution ............................................ 8114. (suite) Le remplacement judiciaire ...................................... 82

SECTION V

LES DÉROGATIONS À L’EXIGENCE DE L’AUTORISATION JUDICIAIREPRÉALABLE PRÉVUE PAR LES ARTICLES 1143 ET 1144...................... 87

15. Le principe .................................................................................. 8716. Les clauses de remplacement ............................................... 8717. La faculté de remplacement unilatéral ............................ 8818. (suite) Conditions du remplacement unilatéral .............. 8919. Le devoir pour le créancier de se remplacer ................... 91

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Introduction générale

1. Introduction et limites du rapport. — À l’évidence, l’exécution en na-ture des obligations contractuelles jouit d’une grande faveur, dans la pratiqueet la jurisprudence récentes. Les causes de ce succès sont multiples : citonsnotamment l’avènement de l’astreinte, avec la loi du 31 janvier 1980, l’essor dela juridiction des référés, les clauses contractuelles organisant des mesuresd’office ou encore la faculté de remplacement unilatéral. À ce titre, l’exécu-tion en nature des obligations contractuelles méritait assurément de faire l’ob-jet d’un examen particulier dans le cadre de ce séminaire consacré à la théoriegénérale des obligations.

Deux autres raisons nous ont incité à retenir ce thème.

Tout d’abord, l’idée est encore trop souvent répandue, en pratique mais aussichez certains auteurs, que l’inexécution des obligations contractuelles de faireet de ne pas faire ne peut, en principe, être sanctionnée que par des domma-ges et intérêts.

Ensuite, la consultation de la doctrine et de la jurisprudence laisse transparaîtreun évident malaise sur le plan terminologique. On tient ainsi pour synonymesdes notions qui désignent pourtant des réalités différentes : c’est notammentle cas des concepts d’exécution forcée, de réparation en nature et d’exécutionen nature.

Fidèle à l’esprit des recyclages de la C.U.P., nous nous contenterons, dans leslignes qui suivent, de mettre en évidence les traits essentiels de la jurispru-dence récente (1). Nous nous permettrons, pour le reste, de renvoyer le lec-

(1) Nous examinerons, avant tout, la jurisprudence des années 80 et 90.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

teur aux diverses études que nous avons déjà consacrées à ce thème (2).

Cinq questions ont été retenues dans le cadre de ce séminaire :

- le principe de la précellence de l’exécution en nature (section I);

- la distinction entre l’exécution en nature et la réparation en nature du dom-mage (section II);

- la condamnation du débiteur à s’exécuter en nature (section III);

- l’exécution forcée en nature de l’obligation, c’est-à-dire les voies d’exécu-tion de la condamnation ad ipsam rem (section IV);

- les exceptions au principe de l’autorisation judiciaire préalable des articles1143 et 1144 du Code civil (section V).

(2) P. WÉRY, L’exécution forcée en nature des obligations contractuelles non pécuniaires. Une relecture desarticles 1142 à 1144 du Code civil, préface I. MOREAU-MARGRÈVE, Kluwer éditions juridiques Belgique,1993, 421 pages; « Les dépens du remplacement judiciaire », note sous Civ. Liège (ch. saisies), 25 août1993 et 25 octobre 1993, Act. droit, 1994, p. 693 et s.; « Une forme d’exécution en nature trop peuconnue : le remplacement judiciaire », note sous Civ. Neufchâteau, 26 oct. 1994, R.R.D., 1995, p. 60 ets.; « L’article 1727 du Code civil et le droit, pour le débiteur, de s’exécuter en nature », note sous J.P.Seneffe, 25 sept. 1990, J.J.P., 1995, p. 147 et s.; « Les voies d’exécution des condamnations non pécu-niaires. Essai de systématisation du droit belge», Act. droit, 1995, p. 825 et s . ; « L’article 1142 du Codecivil et les condamnations à l’exécution en nature, en matière d’obligations contractuelles de faire et dene pas faire », R.R.D., 1996, p. 211 et s.; « Le principe de l’exécution en nature et son application àl’article 1144 du Code civil », note sous Cass., 14 avril 1994, Act. droit, 1996, p. 31 et s.; « La réparationen nature en matière contractuelle », note sous Civ. Liège (réf.), 6 juin 1995, Droit de l’informatique etdes télécoms, 1996, p. 49 et s.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Section ILe principe de l’exécution en nature

des obligations contractuelles

2. La primauté de l’exécution en nature sur les autres remèdes del’inexécution. — Dans un arrêt du 14 avril 1994, la Cour de cassation rap-pelle que « l’exécution en nature constitue le mode normal d’exécution for-cée tant des obligations de faire que de celles de ne pas faire » (3). Cet arrêt,qui est conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour (4), doit être ap-prouvé sans la moindre hésitation. D’une part, l’exécution en nature est unhommage rendu au principe de la convention-loi; d’autre part, c’est la seulemanière pour l’obligation de se réaliser pleinement et donc de tenir en échecla défaillance du débiteur.

Pour évident qu’il puisse paraître, le rappel de ce principe n’est cependant pasinutile.

Une idée nouvelle tend, en effet, à se développer sous la plume de certainsauteurs français (5) : la thèse de l’équivalence des remèdes, qui a d’ailleurstrouvé un écho en Belgique, avec un article de D. Tallon, paru dans les colon-nes du Journal des Tribunaux, en 1985 (6). Selon les tenants de cette opi-nion, l’exécution en nature ne jouit d’aucune priorité sur l’exécution par équi-valent, sous la forme de dommages et intérêts; il appartient au juge du fond,usant, en cette matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation, de choisir lasanction qui est la plus appropriée aux faits de la cause. Comme l’attestent lesréférences jurisprudentielles qui sont citées en renfort de cette idée (7), unetelle thèse procède, en réalité, d’une confusion entre l’exécution en nature des

(3) Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, p. 370, J.L.M.B., 1995, p. 1240, obs. J.-F. JEUNEHOMME, R.W., 1995-1996,p. 532, Act. droit, 1996, p. 23, note P. WÉRY.

(4) Voy. not. Cass., 30 janvier 1965, Pas., 1965, I, p. 538.(5) Voy. not. A. SÉRIAUX, Droit des obligations, 1ère éd., Paris, P.U.F., 1992, p. 231.(6) D. TALLON, « Dommages et intérêts et exécution en nature. Quelques observations comparatives entre

la Common Law et le droit français », J.T., 1985, p. 602.(7) Cass. fr. (com.), 18 mars 1969, D.S., 1969, p. 665, note R. RODIÈRE, cité par D. TALLON. Voy. aussi cet

extrait de l’ouvrage déjà cité d’A. SÉRIAUX, p. 231 : « ...le choix entre l’exécution en nature et l’exécutionpar équivalent ne dépend ni de la volonté du créancier, ni de celle du débiteur, mais seulement del’autorité du juge : de sa sagesse. La Cour de cassation décide clairement que les juges dufond “déterminent souverainement les mesures de nature à réparer le dommage subi” ».

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

obligations contractuelles et la problématique des modes de réparation dupréjudice, pour le choix desquels, en jurisprudence française, le juge du fondjouit bien d’un pouvoir souverain (voy. infra n°8).

L’exécution par équivalent constitue donc, en droit belge, une sanction desecond rang par rapport à l’exécution en nature de l’obligation contractuelle (8).C’est pourquoi le débiteur ne peut tenir en échec la demande d’exécution ennature, en offrant au créancier des dommages et intérêts en lieu et place decelle-ci : le juge doit, si le créancier l’a réclamée, ordonner l’exécution en na-ture (9). Et, même si la convention contient une clause pénale, le créancierconserve le droit d’obtenir cette exécution (10).

Pour le même motif, le débiteur ne pourrait faire échouer l’action en exé-cution en nature, en demandant au tribunal de prononcer la résolution ducontrat synallagmatique dont il n’a pas accompli une des obligations (11).

3. Les exceptions à la primauté de l’exécution en nature. — Cette placede choix que le droit belge réserve à l’exécution en nature n’est toutefois pasun principe absolu.

Ainsi le créancier ne peut-il obtenir l’exécution directe de l’obligation, lors-qu’elle est devenue impossible à réaliser. C’est l’évidence même, que rappel-lent, d’ailleurs, plusieurs décisions récentes (12).

Plus intéressante à relever est la percée qu’a effectuée le correctif de l’abus dedroit en ce domaine : le créancier perd le droit d’obtenir l’exécution en na-ture de sa créance, s’il exerce son droit d’une manière qui excède manifeste-ment le comportement qu’aurait adopté un bon père de famille normalement

(8) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, 3e éd., t. 3, Bruxelles, Bruylant, 1967, p. 122 et s.; P.VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence. Les obligations (1974-1982) », R.C.J.B., 1986, p. 193 et s.;P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 219 et s.; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. de LY et B. DE

TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992). Verbintenissen », T.P.R., 1994, p. 637 et s.; A. VAN

OEVELEN, « Actuele jurisprudentiële en legislatieve ontwikkelingen inzake de sancties bij niet-nakomingvan contractuele verbintenissen », R. W., 1994-1995, p. 797 et s.; A. DELVAUX, « Questions actuelles dudroit de la construction » in Droit de la construction, Formation permanente C.U.P., 1996, p. 137 et s.;M. COIPEL, « Théorie générale des contrats », livre 30, volume 2, in Guide juridique de l’entreprise (enabrégé, G.U.J.E.), Kluwer éditions juridiques Belgique, 1996, pp. 33-34.

(9) Cass., 23 décembre 1977, Pas., 1978, I, p. 437, R.W., 1978-1979, col. 362, note A. VAN OEVELEN; Anvers,4 octobre 1984, R. D. C., 1985, p. 324; Civ. Bruxelles, 7 mai 1993, J.L.M.B., 1994, p. 357; Comm. Hasselt,24 mars 1993, Limb. Rechtsl., 1994, p. 39.

(10) Anvers, 4 octobre 1984, R.D.C., 1985, p. 324; Bruxelles, 22 mai 1986, R.D.C., 1988, p. 192, note C. S.(11) Cass., 5 septembre 1980, Pas., 1981, I, p. 17, R. W., 1980-1981, col. 1323, concl. av. gén. BALLET.(12) Voy. tout spécialement l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 1994, déjà cité (note 3). Sur les

différentes hypothèses d’impossibilité, voy. notre ouvrage L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 230 ets.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

diligent et prudent (13). Le droit à l’exécution en nature n’est donc plus àranger parmi les droits discrétionnaires. Un tel abus de droit, qui constitue unmanquement au principe de l’exécution de bonne foi des conventions consa-cré par l’article 1134, alinéa 3, du Code civil, est sanctionné par la réduction dudroit à son exercice normal ou par la réparation du dommage que l’abus acausé (14). Usant de son pouvoir modérateur, le juge pourra écarter la de-mande d’exécution en nature et, par exemple, y substituer une autre sanction,telle qu’une condamnation du débiteur à payer des dommages et intérêts ou larésolution de la convention synallagmatique aux torts du débiteur (15).

4. L’interdiction du cumul. — Par son arrêt du 15 octobre 1982 (16), laCour de cassation rappelle que le créancier d’une obligation contractuelle nepeut postuler tout à la fois la condamnation du débiteur à l’exécution en na-ture et sa condamnation au paiement de dommages et intérêts compensatoires;ceux-ci tiennent, en effet, lieu d’exécution par équivalent de l’obligationinexécutée. Il y a, en revanche, place pour un cumul de l’exécution en natureet des dommages et intérêts moratoires.

Bien que l’on soutienne souvent le contraire, il est, par ailleurs, interdit aucréancier de demander tout à la fois la résolution d’un contrat synallagmatiqueet le bénéfice du remplacement judiciaire que prévoient les articles 1143 et1144 du Code civil (17). Ce dernier constitue, en effet, un mode d’exécution(forcée) en nature de l’obligation contractuelle (voy. infra n°14).

5. L’exécution en nature : un devoir pour le créancier. — Selon la doc-trine et la jurisprudence belges, l’exécution en nature constitue également undroit pour le débiteur et, corrélativement, un devoir pour le créancier (18).

(13) Parmi de nombreuses études consacrées à la question, voy. not. S. STIJNS et H. VUYE, « Tendances etréflexions en matière d’abus de droit en droit des biens », in Eigendom. Propriété, Die Keure. LaCharte, 1996, p. 96 et s.; S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence. Les obliga-tions (1985-1995) », J.T., 1996, pp. 704 à 708 avec les réf. citées.

(14) Cass., 16 décembre 1982, Pas., 1982, I, p. 472; Cass., 18 février 1988, Pas., 1988, I, p. 728, R. W., 1988-1989, 1226, note, R.D.C., 1988, p. 696, note E. DIRIX.

(15) Cass., 16 janvier 1986, Pas., 1986, I, p. 602, note, J.T., 1986, p. 404, R.C.J.B., 1991, p. 4, note M. FONTAINE,R.W., 1987-1988, p. 1470, note A. VAN OEVELEN. Dans cet important arrêt, la Cour déclare qu’« il neressort ni des articles 1134 et 1184 du Code civil ni de la notion d’abus de droit que la partie à uncontrat synallagmatique, victime de l’inexécution par l’autre partie de ses obligations, ne puisse abuserde la faculté d’opter entre l’exécution forcée et la résolution de la convention ».

(16) Pas., 1983, I, p. 223, R.W., 1984-1985, col. 686.(17) P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence. Les obligations (1968-1973) », R.C.J.B., 1975, pp. 605-

606; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 204; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp.262 et 263; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. De LY et B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 637; M. COIPEL,op. cit., livre 30, volume 2, G.U.J.E., 1996, p. 30.

(18) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 197; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 243avec les réf.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Un arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 1995 fait une application implicitede cette idée dans le domaine de la vente, à propos de la garantie d’éviction (19).En l’espèce, l’acheteur d’un motorhome s’était vu signifier, le 12 mars 1991,une saisie-revendication; un jugement résolvant un contrat de vente antérieurlui fut signifié le 6 mai 1991. L’acheteur adressa ensuite, le 17 mai 1991, copiede la saisie-revendication à son vendeur et invoqua la garantie d’éviction pourlui réclamer des dommages et intérêts. Dans son arrêt du 26 octobre 1993, lacour d’appel de Liège rejeta ce recours, en se fondant sur le raisonnementsuivant : « la garantie du vendeur est une obligation de faire qu’il lui appar-tient, en premier lieu, d’exécuter en nature; (...) ce n’est que dans la mesureoù l’éviction est consommée parce que le vendeur n’a pu réussir à l’éviter,que cette obligation de garantie se résout en dommages-intérêts; (...) certesl’acquéreur menacé d’éviction n’est pas obligé d’appeler son vendeur engarantie mais s’il s’en abstient, il ne pourra victorieusement faire valoirson droit à garantie à l’égard du vendeur si celui-ci établit qu’il existait desmoyens suffisants pour faire rejeter la demande ». La Cour suprême rejeta lepourvoi formé contre cette décision, en relevant que l’article 1640 du Codecivil « implique que l’acquéreur doit réagir aux procédures intentées par letiers pour reprendre le bien litigieux ». Suivant en cela l’enseignement de H.De Page (20), il est permis de voir une conséquence du principe de l’exécu-tion en nature, dans la sanction que prévoit l’article 1640 : si l’acheteur évincéne peut réclamer des dommages et intérêts à titre d’exécution par équivalentde l’obligation de garantie contre l’éviction, c’est parce qu’il a privé le ven-deur de la possibilité d’exécuter en nature cette obligation, en l’empêchant deprendre utilement fait et cause en sa faveur.

Puisque tel est le fondement de l’article 1640, nous ne voyons pas, soit dit enpassant, d’objection à ce que ce texte soit appliqué par voie d’analogie auxrapports entre bailleur et preneur (21).

Par ailleurs, un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles rappelle opportunémentque le débiteur conserve la possibilité de s’exécuter en nature, nonobstant laprésence d’une clause pénale dans la convention (22).

(19) Pas., 1995, I, p. 676, notes.(20) H. DE PAGE, Traité, t. 4, 1972, p. 182.(21) Voy. sur ce point P. WÉRY, « L’article 1727 du Code civil et le droit, pour le débiteur, de s’exécuter en

nature », note sous J. P. Seneffe, 25 septembre 1990, J.J.P., 1995, p. 150, avec la note 17 où l’on trouvedes références à AUBRY et RAU, H. DE PAGE, TOULLIER, TROPLONG et LAURENT.

(22) Bruxelles, 12 décembre 1991, J.T., 1992, p. 203, motifs. En ce sens aussi, P. VAN OMMESLAGHE, « Examen »,R.C.J.B., 1986, p. 197.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

6. (suite). Le créancier peut-il réclamer directement et exclusivementdes dommages et intérêts ? — S’il est certain, le principe de l’exécution ennature ne doit toutefois pas être entendu de manière trop rigoureuse.

Selon certains auteurs, la primauté de l’exécution en nature sur l’exécutionpar équivalent interdirait au créancier de conclure directement et exclusivementau paiement de dommages et intérêts (23). Le créancier devrait postuler, àtitre principal, l’exécution en nature de l’obligation contractuelle, et, à titresubsidiaire seulement, pour le cas où le débiteur ne se serait pas exécuté dansun certain délai, l’allocation de dommages et intérêts. Cette thèse ne nousparaît pas devoir être suivie. Il va, tout d’abord, de soi que ce schéma doit êtreécarté, lorsque le créancier sait, d’ores et déjà, que l’exécution en nature estimpossible à réaliser ou qu’elle n’offre plus d’utilité pour lui (24). Ensuite, lecréancier doit pouvoir, s’il craint que sa demande en exécution en nature soittaxée d’abus de droit, opter, d’entrée de jeu, pour l’action en dommages etintérêts. Enfin, à supposer même que l’exécution en nature ne se heurte àaucune de ces objections, nous pensons qu’une option doit être ouverte aucréancier entre les deux modes d’exécution de l’obligation; les articles 1228,1585 ou encore 1617 du Code civil sont autant d’applications particulières dece principe.

Ce droit d’option qui est reconnu au créancier n’est cependant pas absolu.

Il est limité par le droit que le débiteur conserve, de son côté, de s’exécuter ennature : même à la barre, il doit pouvoir venir à résipiscence, en offrant detenir ses engagements. En vertu de la primauté de l’exécution directe, le jugetiendra compte de cette offre et, pour autant que de besoin, condamnera ledébiteur à la réaliser. Telle est, à notre avis, la véritable portée du principe del’exécution en nature pour le débiteur (25). Le principe de la priorité de l’exé-cution en nature n’intéressant pas l’ordre public (26), le juge ne pourrait doncrejeter, d’office, une demande en paiement de dommages et intérêts au seulmotif que le créancier ne postule pas à titre principal l’exécution en nature.

Cela dit, pour être prise en considération, l’offre du débiteur doit répondre àcertaines conditions (27). Le tribunal écartera la proposition du débiteur, s’ils’avère que l’exécution en nature est devenue impossible à réaliser ou qu’ellen’est plus satisfactoire pour le créancier. Ainsi en va-t-il, lorsque le maître del’ouvrage a perdu, pour des raisons valables, toute confiance dans les compé-

(23) Voy. not. F. LAURENT, Principes de droit civil, t. 16, 1875, p. 262; G. BELTJENS, Encyclopédie du droit civilbelge, t. 3, livre 3, 1905, p. 519, n°1.

(24) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 244-245.(25) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 246 à 248.(26) Cass., 13 mars 1975, Pas., 1975, I, p. 708.(27) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 244-245.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

tences de l’entrepreneur (28) ou encore lorsqu’en raison de son retard, l’exé-cution offerte par le débiteur ne revêt plus d’utilité pour son cocontractant (29).

Un intéressant jugement du tribunal de première instance de Neufchâteau du26 octobre 1994 fait application d’une idée à laquelle l’on devrait, sans doute,songer plus souvent en pratique. Tout en retenant l’offre de l’entrepreneur etde son sous-traitant d’effectuer certains travaux dans l’immeuble du maître del’ouvrage, le tribunal commet, d’office, un expert, qu’il charge notamment de« suivre la correcte exécution des travaux (...) et de prévenir ou de traiter aumieux le contentieux relatif à celle-ci » (30).

(28) Liège, 22 février 1988, J.L.M.B., 1988, p. 1276, spéc. p. 1281, obs. R. de BRIEY; Liège, 15 juin 1995, A.J.T.,1995-1996, p. 161, note B. WYLLEMAN.

(29) Cass., 30 septembre 1983, Pas., 1984, I, p. 95.(30) Civ. Neufchâteau, 26 octobre 1994, R.R.D., 1995, p. 56, note P. WÉRY. Sur cette question, voy. F.

GLANSDORFF et A. BOUCHÉ, « Le rôle de l’expert dans la réparation en nature », Entr. et dr., 1986 et s.; G. deLEVAL, « L’instruction sans obstructions » in La preuve (colloque organisé les 12 et 13 mars 1987 à l’U.C.L.),pp. 33 et 34; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 355-356.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Section IIL’exécution en nature et la réparation

en nature : deux notions distinctes

7. Notion de réparation en nature. — Plusieurs arrêts de cours d’appelvoient dans la réparation en nature une expression synonyme de l’exécutionen nature de l’obligation contractuelle (31). Ce faisant, cette jurisprudence seconforme à la doctrine traditionnelle.

Comme nous avons tenté de le démontrer en nous appuyant sur plusieursétudes françaises (32), ces deux locutions doivent, en réalité, être soigneusementdistinguées.

Tout comme la réparation pécuniaire, c’est-à-dire les dommages et intérêts, laréparation en nature est un effet de la responsabilité contractuelle : elle con-fère au créancier un équivalent non pécuniaire de l’avantage que le créan-cier aurait obtenu au titre de l’exécution en nature.

Pour basculer du domaine de l’exécution en nature de l’obligation contrac-tuelle à celui de la réparation en nature du dommage contractuel, il faut sup-poser que le créancier ne peut obtenir l’exécution en nature de l’obligationcontractuelle, en raison, soit d’une impossibilité, soit d’un abus de droit (33).Le créancier subit de ce fait une perte, un préjudice, dont il cherche à obtenirl’indemnisation.

Bien qu’elle soit largement répandue en doctrine et en jurisprudence, l’ex-pression « réparation par équivalent » nous paraît, dès lors, devoir être aban-donnée. On l’emploie souvent pour désigner les dommages et intérêts et pourl’opposer à la réparation en nature. Une telle locution est, en réalité, redon-dante, puisque la réparation en nature est, au même titre que la réparation

(31) Mons, 19 décembre 1984, R.D.C., 1985, p. 693, note G.L. BALLON; Bruxelles, 20 janvier 1987, J.L.M.B.,1987, p. 865; Liège, 14 février 1991, R.R.D., 1992, p.416.

(32) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 135 à 193; P. WÉRY, « La réparation en nature en matièrecontractuelle », note sous Civ. Liège (réf.), 6 juin 1995, Droit de l’informatique et des télécoms, 1996, pp.49 à 52. Pour la France, voy. surtout l’ouvrage de M.-E. ROUJOU de BOUBÉE, Essai sur la notion deréparation, Paris, L.G.D.J., 1974.

(33) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 150 et 151. Voy. aussi S. STIJNS, De gerechtelijke en debuitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, Maklu, Anvers/Apeldoorn, 1994, pp. 330-331.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

pécuniaire, un simple équivalent de ce qu’eût procuré l’exécution en na-ture (34).

Au titre de la réparation en nature, on admettra, par exemple, la condamnationdu débiteur d’un corps certain (commodataire; dépositaire régulier; créanciergagiste; locataire; etc.) qui n’est pas en mesure de le restituer, à fournir un bienéquivalent (35). On retiendra également la condamnation d’un architecte quin’a pas bien conçu les plans, à faire reconstruire à ses frais le bâtiment défec-tueux (36). On a, par ailleurs, vu le tribunal civil de Liège, statuant en référé,intimer à Belgacom l’obligation d’ajouter un avis rectificatif sur les factures detéléphone de certains de ses abonnés, afin de réparer le préjudice causé parl’oubli du nom d’un abonné dans l’annuaire téléphonique (37). Quant au jugede paix de Jumet, il a imposé à un bailleur de mettre gratuitement à la disposi-tion de son locataire un immeuble qui soit en bon état de location, pendant letemps des réparations destinées à remettre l’immeuble en bon état locatif (38).Pour clore cette énumération qui n’est nullement limitative, signalons que lestribunaux prévoient, en guise de réparation en nature, le maintien de la garan-tie de l’assureur pour le sinistre déclaré par son client, s’il s’avère que la clausede suspension de la garantie a été mise en oeuvre de manière déloyale (39).

8. Intérêts de la distinction. — La distinction entre l’exécution en nature etla réparation en nature n’est donc pas une simple vue de l’esprit. Ces deuxconcepts correspondent bien à deux réalités différentes, même s’il est vraiqu’elles peuvent parfois être fort proches.

(34) Le jugement du tribunal du travail de Bruxelles du 9 février 1996 (Chron. dr. soc., 1996, p. 440, note)illustre à merveille le malaise terminologique qui enveloppe la notion de réparation. En l’espèce, untravailleur salarié réclamait le paiement de sa rémunération et du pécule de vacances de départ, majorédes intérêts moratoires. Il s’agissait tout simplement là d’une demande d’exécution en nature d’o-bligations de sommes sur laquelle venait se greffer une demande d’intérêts pour le préjudice consécutifau retard de paiement. Les plaideurs et le tribunal ont préféré situer la discussion sur le terrain de laréparation en nature et de la réparation par équivalent. De là cet attendu obscur que l’on peut lire dansla décision : « La confusion entre ‘réparation en nature’ et ‘réparation par équivalent’ quant aux obliga-tions qui se bornent à un paiement de sommes d’argent tient vraisemblablement à ce que, lorsque ladistinction entre les deux modes de réparation est appliquée à des obligations de donner ou de faire,le paiement ne peut être que la réparation, par équivalent, du dommage né du défaut de donner ou defaire ce à quoi le débiteur s’est engagé; tandis qu’appliquée à des obligations de payer, le paiement estl’objet même de l’obligation, de sorte qu’il serait sans doute plus correct en ce cas de parler d’uneréparation par exécution de l’obligation même, plutôt que d’une réparation « en nature » ».

(35) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 156 à 159.(36) Cass. fr. (civ.), 28 février 1969, Bull. civ., 1969, III, p. 139, n° 182; P. RIGAUX, L’architecte. Le droit de la

profession, Bruxelles, Larcier, 1975, p. 386, n° 487; M.-A. et Ph. FLAMME, Le contrat d’entreprise (10 ansde jurisprudence 1966 à 1975), Bruxelles, Larcier, 1976, p. 54, n° 122; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op.cit., 1993, pp. 155 et 156.

(37) Civ. Liège (réf.), 6 juin 1995, Droit de l’informatique et des télécoms, 1996, p.47, note P. WÉRY, J.L.M.B.,1995, p.1034.

(38) J.P. Jumet, 11 septembre 1995, R.R.D., 1995, p. 458.(39) Mons, 17 novembre 1992, J.L.M.B., 1994, p. 203; Mons, 8 février 1996, R.R.D., 1996, p. 290.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Au-delà de cette différence d’essence, on observe d’autres différences, quiportent sur leurs régimes juridiques respectifs (40).

En doctrine et en jurisprudence françaises, on estime ainsi que le juge du fondchoisit souverainement le mode de réparation du dommage : il n’y a aucunepriorité à accorder à la réparation en nature sur les dommages et intérêts (41).Lorsque le litige se meut, par contre, sur le plan de l’exécution en nature, onreconnaît généralement à celle-ci la primauté. Nous n’insisterons guère surcette première différence de régime, puisqu’elle est ignorée par la jurispru-dence belge : la réparation en nature y est considérée comme un droit pour lecréancier (42), tout comme d’ailleurs pour le débiteur (43), en sorte que, sousce rapport, elle doit être traitée de la même manière que l’exécution en naturedes obligations contractuelles (44).

Sur le plan des conditions de fond auxquelles obéissent l’exécution et la répa-ration en nature, il y a, en revanche, grand intérêt à les distinguer.

Étant un effet de la responsabilité contractuelle, la réparation en nature estsubordonnée à la preuve par le créancier de son préjudice et, si le débiteurassume une obligation de moyen, à la preuve d’une faute dans son chef et d’unlien causal entre celle-ci et le dommage. Le tribunal doit, en outre, s’assurer del’existence d’une équivalence quantitative et qualitative entre le résultatqu’aurait procuré au créancier l’exécution en nature de l’obligation contrac-tuelle et l’avantage qu’il retirera de la réparation en nature (45); pour ne pren-dre qu’un exemple, il serait évidemment inconcevable que le tribunal con-damne le dépositaire d’un meuble perdu par sa faute, à venir entretenir lejardin de son cocontractant en guise de réparation en nature !

C’est à de toutes autres conditions que répond la demande d’exécution ennature. Il suffit au créancier de démontrer que l’obligation dont il exige lerespect fait bien partie du contenu obligationnel du contrat. L’article 1315,alinéa 1, du Code civil est on ne peut plus clair sur ce point: « Celui qui ré-clame l’exécution d’une obligation, doit la prouver ». Ce texte suppose seu-lement que le créancier rapporte la preuve de l’engagement de soncocontractant.

(40) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 161 et s.(41) Voy. not. M.-E. ROUJOU de BOUBÉE, op. cit., 1974, p. 159 et s. Pour une présentation de la doctrine

française, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 164 à 166.(42) J.P. Jumet, 11 septembre 1995, R.R.D., 1995, p. 458.(43) Comm. Liège, 10 mars 1993, R.D.C., 1994, p. 462.(44) C’est-à-dire sous réserve des cas où la réparation en nature réclamée par le créancier est impossible ou

abusive.(45) A ce propos, voy. not. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 153 à 155.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Ainsi point n’est-il besoin pour lui de démontrer qu’il a subi ou qu’il pourraitsubir un préjudice (46). Plusieurs arrêts de la Cour de cassation française l’af-firment nettement : « l’action tendant à l’exécution d’une obligation con-tractuelle n’est pas subordonnée à l’existence d’un trouble ou d’un préju-dice personnel » (47). Un intéressant jugement du tribunal de commerce deBruxelles du 31 août 1987 le rappelle judicieusement à propos d’une demandeen restitution de biens mobiliers (48).

Le créancier n’a même pas, selon nous, à rapporter la preuve d’une faute deson débiteur; l’imputabilité de l’inexécution n’est pas une condition du suc-cès de l’action en exécution en nature (49). Prenons le cas d’un acheteur quine paie pas le prix des marchandises qu’il a acquises. Il suffit, à l’évidence, auvendeur de faire la preuve de la convention de vente et du montant du prix devente qui avait été convenu. Cela fait, l’acheteur se verra condamné à l’exécu-tion en nature, sauf, pour lui, à rapporter, comme l’y autorise l’alinéa 2 de l’ar-ticle 1315 du Code civil, la preuve de l’extinction de son obligation, par exem-ple un paiement, ou à invoquer un autre moyen de défense (par exemple,l’exception d’inexécution). On peut citer aussi le cas du maître de l’ouvragequi assigne l’entrepreneur qui n’a pas effectué les travaux promis; pour voirson action couronnée de succès, on lui demandera sans plus de prouver queces travaux sont bien prévus par la convention, et qu’ils demeurent possiblesà réaliser. On voit par ces deux exemples qu’il n’est nullement besoin de faireintervenir la notion de faute pour que l’exécution en nature soit ordonnée : lapreuve de l’engagement du débiteur suffit (50).

Il ne nous est pas possible de nous attarder davantage, dans le cadre de cerecyclage, sur la réparation en nature du dommage contractuel. Si elle paraîtpromise à un bel avenir, d’importantes questions se posent toutefois à sonpropos. La moindre d’entre elles n’est pas celle de savoir si ce mode de répa-ration a bien une base légale ou s’il n’est pas avant tout une création jurispru-dentielle. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur intéressé par ce pro-blème aux développements qui figurent dans notre thèse sur la question (51).

(46) G. VINEY, Les obligations. La responsabilité : effets, Traité de droit civil sous la direction de J. GHESTIN,Paris, L.G.D.J., 1988, p. 65; W. VAN GERVEN, Verbintenissenrecht, t. 1, 1992, p. 107; P. WÉRY, L’exécutionforcée..., op. cit., 1993, pp. 163 et 164.

(47) Cass. fr. civ., 21 juin 1978, Bull. civ., 1978, III, p. 201. Voy. aussi Cass. fr. civ., 26 novembre 1980, Bull.civ., 1980, III, p. 246.

(48) J.L.M.B., 1988, p. 961.(49) B. STARCK, Droit civil. Obligations, Paris, Litec, 1972, p. 612; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993,

pp. 162 et 163.(50) Ce principe doit parfois être nuancé : P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 163.(51) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 172 et s.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Section IIILa condamnation du débiteur

à s’exécuter en nature

9. L’article 1142 du Code civil. — Quand le débiteur d’une obligation con-tractuelle peut-il être condamné à s’exécuter en nature ?

La réponse à cette question est loin d’être claire en doctrine.

a) Certains continuent à enseigner, plus spécialement en doctrine française (52),qu’une telle condamnation n’est possible que pour les obligations de dare. Àl’appui de cette opinion, on invoque l’adage « Nemo potest praecise cogi adfactum » et l’article 1142 du Code civil, aux termes duquel « Toute obligationde faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexé-cution de la part du débiteur ». Cette thèse a été adoptée par un arrêt de lacour d’appel d’Anvers du 4 mai 1992, qui, pour ces motifs, refuse de condam-ner un entrepreneur à effectuer des travaux pourtant promis (53).

D’autres auteurs admettent, par contre, la condamnation du débiteur à s’exé-cuter en nature, même si son obligation consiste en un facere ou en une abs-tention. Ils excluent toutefois une telle injonction, lorsque cette obligationest « personnelle » au débiteur, en ce sens que le débiteur est le seul à pou-voir fournir au créancier le résultat promis; il en va notamment ainsi des obli-gations intuitu personae (54). Cette restriction trouverait, une fois encore,son fondement dans l’article 1142 du Code civil et dans l’adage « Nemo potestpraecise cogi ad factum » : une condamnation du débiteur à exécuter en na-ture pareille obligation serait une atteinte intolérable à l’intégrité physique dudébiteur, puisqu’en cas de désobéissance de sa part, il faudrait faire appel à laforce publique pour vaincre son refus.

b) Aucune de ces thèses ne nous paraît fondée sur le plan des principes.

Il faut, au contraire, reconnaître, de manière très large, au créancier le droitd’obtenir la condamnation de son cocontractant à exécuter en nature l’obliga-tion contractuelle. Il est sans importance que cette obligation consiste en une

(52) Voy. not. J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Droit civil. Les obligations, vol. 1, Paris, A. Colin, 6° éd., 1994, p. 28.(53) Turnh. Rechtsl., 1992, p. 116. Voy. aussi Civ. Turnhout, 21 janvier 1988, Turnh. Rechtsl., 1992, p. 115.(54) J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, Les obligations, Paris, P.U.F., 1994, 18e éd., p. 580.

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prestation de dare, de facere ou encore en une abstention. Peu importe égale-ment que l’obligation du débiteur lui soit ou non personnelle (55) (56).

Pour comprendre cette idée fondamentale, il est nécessaire d’avoir à l’espritune distinction qui, si elle est familière aux processualistes, est encore peuconnue des civilistes : nous voulons parler de la distinction entre la condam-nation du débiteur et les suites à donner à l’inexécution de cette condam-nation, au nombre desquelles figure l’exécution forcée en nature. Le con-cept d’exécution forcée en nature doit, pensons-nous, s’entendre dans un sensétroit : il désigne les voies d’exécution, qui permettent de traduire dans lesfaits, contre le gré du débiteur condamné, ce que le juge a décidé (57). Unechose est, en d’autres termes, de condamner l’emprunteur à rembourser lecapital prêté, d’enjoindre à un locataire de quitter les lieux — c’est la condam-nation du débiteur à l’exécution en nature — ; autre chose est, en cas de déso-béissance à ces ordres, de procéder aux mesures d’exécution forcée que sontles saisies-exécutions sur les biens de l’emprunteur et l’expulsion manu mili-tari du locataire qui se maintient sans droit dans l’immeuble — c’est l’exécu-tion forcée en nature.

L’adage « Nemo potest... » prohibe l’usage de la violence physique directe surla personne du débiteur. Il n’y a aucune controverse sur ce point en doc-trine (58). Or il n’y a évidemment aucune violence de ce type dans le simplefait pour le juge de rappeler le débiteur à ses devoirs, en le condamnant às’exécuter en nature. Ce n’est qu’au stade des voies d’exécution à mettre enoeuvre en cas de désobéissance à cette injonction qu’intervient l’adage, parl’interdiction qu’il prévoit d’employer la force publique pour contraindre ledébiteur à s’exécuter en personne (59).

On nous objectera peut-être les termes de l’article 1142 du Code civil. Nousappuyant sur une étude historique de ce texte, nous sommes toutefois arrivé àla conclusion que le législateur n’a certainement pas voulu, par là, consacrer leprincipe des condamnations exclusivement pécuniaires pour les obligations

(55) Pour la démonstration de cette idée, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p.89 et s.; P. WÉRY,« L’article 1142 du Code civil et les condamnations à l’exécution en nature, en matière d’obligationscontractuelles de faire et de ne pas faire », R.R.D., 1996, p. 211 et s. En ce sens aussi, voy. M. COIPEL, op.cit., livre 30, volume 2, G.U.J.E., 1996, p. 34.

(56) C’est, en effet, le propre de toute obligation civile de devoir être exécutée en nature. Par contre, lesdevoirs juridiques particuliers que constituent les « incombances » ne peuvent, en raison de leur naturemême, se prêter à une telle condamnation à l’exécution en nature (sur cette notion dont il existemaintes applications en droit belge mais qui est encore peu connue, voy. M. FONTAINE, « Obliegenheit,incombance? », in Liber amicorum Hubert Claassens. Verzekering : theorie en praktijk. Assurance :théorie et pratique, CRIS, Maklu, Academia, Bruylant, 1998, p. 151 et s).

(57) En ce sens, voy. F. RIGAUX, Précis de droit international privé, Bruxelles, Larcier, 1968, p. 63, n° 51.(58) H. DE PAGE, Traité, t. 3, 1967, pp. 124 à 127; S. STIJNS, op. cit., 1994, p. 334. Pour une étude historique

de cet adage, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 29 à 82.(59) En ce sens aussi, voy. M. COIPEL, op. cit., livre 30, volume 2, G.U.J.E., 1996, p. 34.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

contractuelles de faire et de ne pas faire. Sa portée est tout autre. Pour rédigercette disposition, les rédacteurs du Code civil se sont, comme pour tant d’autresde ses articles, inspirés du traité des obligations de Pothier. Éclairé à la lumièredes écrits de ce jurisconsulte (60), l’article 1142 doit se lire comme suit : ledébiteur est condamné à exécuter en nature son obligation contractuelle defaire ou de ne pas faire dans un certain délai, passé lequel délai le débiteur sera,en cas d’inexécution de sa part, tenu de payer des dommages et intérêts.Comme on peut le constater, dans cette présentation des choses, les domma-ges et intérêts dont traite l’article 1142 sont seulement accordés à titre subsi-diaire, c’est-à-dire dans l’éventualité où la condamnation à l’exécution en na-ture ne serait pas obéie (61). Il ressort de cette relecture de la loi que cettedisposition, au même titre d’ailleurs que les articles 1228 ou 1184, alinéa 2,n’est pas incompatible avec la reconnaissance du droit pour le créancier d’ob-tenir, même pour les obligations de faire et de ne pas faire, une condamnationà l’exécution en nature.

c) Si l’on excepte l’une ou l’autre décision dissidente, on constate que nosconclusions sont d’ailleurs parfaitement conformes à la pratique des cours ettribunaux. La jurisprudence, du moins en Belgique, n’éprouve aucune réti-cence à admettre de telles condamnations portant sur des prestations nonpécuniaires; c’est même une pratique très ancienne dont on trouvait déjà main-tes applications au siècle dernier (62).

Il en va même ainsi pour l’inexécution des obligations purement personnelles,dont seul le débiteur peut assurer l’exécution en nature. Ainsi la Cour decassation admet-elle, dans son arrêt du 26 juin 1980, la condamnation des pou-voirs publics à réparer en nature le dommage causé en matière aquilienne,bien qu’aucune voie d’exécution ne puisse être admise contre eux (63); ainsiencore admet-elle, dans son arrêt du 21 janvier 1901, que le débiteur d’unepromesse unilatérale d’hypothèque puisse être condamné à se présenter chezun notaire en vue de la passation de l’acte constitutif d’hypothèque, bien qu’ellerejette toute possibilité d’exécution forcée en nature, plus spécialement sousla forme du jugement tenant lieu d’acte (64).

(60) POTHIER, « Traité des obligations », in Oeuvres de R.-J. Pothier, contenant les traités du droit français,édité par Dupin aîné, Bruxelles, Amsterdam, 1830, t. 1, n° 146.

(61) Cons., dans cette perspective, les quelques décisions suivantes : Liège, 14 février 1991, R.R.D., 1992, p.416; Civ. Liège, 6 janvier 1987, J.L.M.B., 1987, p. 881.

(62) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 211 et s.(63) Pas., 1980, I, p. 1341, précédé des concl. VELU, R.C.J.B., 1983, p. 173, note F. DELPÉRÉE. Le raisonnement

est évidemment transposable à l’exécution en nature des obligations contractuelles qu’assument lespouvoirs publics. Il faut toutefois réserver à présent l’application de l’article 1412 bis du Code judi-ciaire.

(64) Pas., 1901, I, p. 113.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

La mise en évidence de ce pouvoir d’injonction généralisé est particulièrementimportante depuis l’avènement de l’astreinte en droit belge; ces condamna-tions non pécuniaires trouvent en elle un puissant incitant qui est de nature àpousser le débiteur à s’exécuter .

10. La compétence du juge des référés. — Ce pouvoir d’injonction estd’autant plus important à souligner que les juges des référés n’hésitent plus,lorsqu’il y a urgence, à intervenir dans le contentieux de l’exécution des con-trats, en ordonnant au débiteur de s’exécuter en nature (65). Dans son impor-tant arrêt du 9 septembre 1982, la Cour de cassation leur a ouvert la voie, endéclarant que « la défense faite par l’article 1039 du Code judiciaire, auxordonnances sur référé de porter préjudice au fond, n’interdit pas au juged’examiner les droits des parties, sous réserve de ne point ordonner desmesures qui porteraient à celles-ci un préjudice définitif et irréparable » (66).

Cette intervention du juge des référés est d’un grand intérêt pratique; commel’observe judicieusement P. Van Ommeslaghe, elle permet à la justice d’agir « àchaud et en temps utile » et « contribue à affermir encore le principe del’exécution en nature en empêchant qu’une partie puisse se faire justice àelle-même par la suspension pure et simple de l’exécution de ses obliga-tions, sans droit et en spéculant à la fois sur les lenteurs de la justice et surla relative modicité des condamnations à des dommages-intérêts dans lapratique judiciaire de nos pays » (67).

Le juge des référés ne peut toutefois prendre de telles mesures d’anticipationque si le droit du créancier est évident ou du moins n’est pas sérieusementcontestable.

L’examen de la jurisprudence révèle combien ces injonctions sont nombreuseset diverses en pratique. Les ordonnances du juge des référés imposent aussibien des obligations de dare que des prestations de faire ou des abstentions.Nous renvoyons sur ce point à la contribution de L. du Castillon, parue dans levolume 25 de la C.U.P. (68), où l’auteur cite quelques décisions récentes.

(65) Voy. not. X. DIEUX, « La formation, l’exécution et la dissolution des contrats devant le juge des référés »,note sous Civ. Liège, réf., 2 février 1984, R.C.J.B., 1987, p. 250 et s.; G. de LEVAL, « Le référé en droitjudiciaire privé », Act. droit, 1992, p. 855 et s.; A. VAN OEVELEN, op. cit., R. W., 1994-1995, pp. 797-798; S.STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, p. 722, avec les réf.

(66) J.T., 1982, p. 727.(67) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 199.(68) « Aspects actuels du référé en matière contractuelle » in Les procédures en référé, septembre 1998, pp.

47 et 48, où l’auteur envisage l’hypothèse où « l’intervention du juge des référés est sollicitée pourobtenir l’exécution forcée d’obligations contractuelles ». Il aurait été plus correct de parler de l’« exécutionen nature » de ces obligations, car, comme l’observait déjà H. DE PAGE (Traité, t.3, 1967, p.129 et 130),l’exécution forcée s’oppose à l’exécution volontaire, et l’exécution en nature, à l’exécution par équiva-lent (voy. aussi sur cette question P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 10 et 11).

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Section IVL’exécution forcée en nature ou

les voies d’exécution de la condamnation

11. Présentation du problème. — Il convient, au préalable, d’insister sur lefait qu’avec l’examen de cette question, nous abordons un ordre d’idées trèsdifférent, tant sur le plan conceptuel que sur le plan chronologique, du pro-blème de la condamnation du débiteur.

L’entrepreneur a été condamné à achever les travaux qu’il avait interrompuset, malgré cette injonction, rien ne se fait. Le locataire dont le bail est arrivé àéchéance a été condamné par le juge de paix à déguerpir et, nonobstant cetordre, il demeure dans les lieux. Le débiteur d’une promesse unilatérale devente a été condamné par le juge à se rendre chez tel notaire en vue de lapassation de l’acte authentique de vente, et pourtant, il ne se présente pas aujour indiqué. On pourrait encore multiplier les exemples; ces quelques illus-trations suffisent toutefois à faire prendre conscience de ce que nous noussituons à présent en aval de la décision judiciaire.

Que peut faire le créancier ?

Les solutions que lui offre le droit belge sont, à vrai dire, variées.

Il peut, tout d’abord, comme l’y autorise l’article 1142, réclamer, à titre subsi-diaire, une condamnation à des dommages et intérêts. Ceux-ci consistent soitdans le paiement d’une somme globale (il s’agit de dommages et intérêts com-pensatoires), soit dans le versement de dommages et intérêts de tant par unitéde retard (il s’agit alors de dommages et intérêts moratoires) (69). Un intéres-sant jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 16 juillet 1982 or-donne ainsi, sur le pied de l’article 1143 du Code civil, la fermeture d’unestation-essence qui avait été ouverte au mépris d’une convention et ajoutequ’« à défaut de ce faire dans les 15 jours de la signification du présent juge-ment, la défenderesse devra payer une indemnité de deux mille cinq centsfrancs par jour de retard » (70). Ces dommages et intérêts ne peuvent évidem-ment être qu’indemnitaires (71).

(69) P. WÉRY, op. cit., R.R.D., 1996, p. 211 et s.(70) R.D.C., 1983, p. 458.(71) Cass., 24 janvier 1924, Pas., 1924, I, p. 151, concl. P. G. Vicomte TERLINDEN.

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Depuis la loi du 31 janvier 1980, le créancier préférera, le plus souvent, opterpour une autre solution : il sollicitera du juge le prononcé d’une astreinte, dontle montant élevé permettra souvent de venir à bout des résistances du débi-teur condamné. Nous renvoyons sur ce point aux diverses études que la doc-trine a consacrées à ce moyen de pression, et plus spécialement aux importan-tes études du professeur I. Moreau-Margrève (72).

Il y a place aussi pour l’exécution forcée en nature, au sens étroit dans lequelnous entendons cette expression (voy. supra n° 9, b).

12. L’exécution forcée en nature. — Nous ne nous attarderons pas ici surles saisies-exécutions, qui réalisent l’exécution forcée des condamnations pé-cuniaires. Seule nous retiendra l’exécution des condamnations ayant pourobjet une prestation non pécuniaire. Deux grands principes gouvernent, se-lon nous, cette matière.

Le premier : il est interdit d’user de contrainte physique directe sur la per-sonne du débiteur condamné pour donner satisfaction au créancier. L’adage« Nemo potest praecise cogi ad factum » et, de manière plus générale, le prin-cipe général de droit que la Cour de cassation a dégagé dans son arrêt du 7mars 1975 (73) répugnent à l’emploi d’un tel procédé. Le législateur peuttoutefois y déroger; c’est ce qu’il fait en admettant l’expulsion manu militarides occupants d’immeuble sans droit (74).

Le second : puisque l’exécution forcée en nature ne peut, en règle, prendre lestraits d’une exécution manu militari, le créancier ne pourra obtenir satisfac-tion qu’en se passant de l’activité de son débiteur. À cette fin, il recourt à ceque nous avons appelé la contrainte par substitution c’est-à-dire à une exécutionqui implique la substitution à la prestation du débiteur de celle d’autrui (75).

A notre avis, c’est à la lumière de ces deux principes qu’il convient d’aborderla problématique de l’exécution forcée en nature des obligations contractuel-les non pécuniaires, et non pas, comme on le fait encore souvent, en se fon-dant sur l’objet de l’obligation du débiteur, en opposant les obligations dedare à celles de facere et de non facere (76).

(72) I. MOREAU-MARGRÈVE, « L’astreinte », Ann. droit Liège, 1982, p. 1 et s.; Dix ans d’application de l’astreinte(ouvrage collectif), Bruxelles, Créadif, 1991; J. VAN COMPERNOLLE, « L’astreinte », Rép. not., t. 13, livre 4,titre 6, 1992.

(73) Pas., 1975, I, p. 692, note E.K.(74) Voy. par exemple Civ. Liège, réf., 24 novembre 1994, Act. droit, 1996, p. 44. A ce propos, voy. P. WÉRY,

op. cit., Act. droit, 1995, pp. 831-832.(75) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 122 et s.; P. WÉRY, op. cit., Act. droit, 1995, p. 832 et s.; M.

COIPEL, op. cit., livre 30, volume 2, G.U.J.E., 1996, p. 43.(76) Sur cette idée, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 99 et s.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

13. La contrainte par substitution. — Les techniques de substitution queconnaît le droit positif belge sont au nombre de trois : la remise manu mili-tari d’un corps certain mobilier, le jugement tenant lieu d’acte du débiteur etle remplacement judiciaire. Elles connaissent toutes la même limite : quelleque soit la forme qu’elle emprunte, la contrainte par substitution est impossi-ble à mettre en oeuvre lorsqu’elle se heurte au caractère personnel de l’obliga-tion en souffrance. Dans ce contexte, une obligation est dite personnelle lors-que seul le débiteur est en mesure de donner au créancier une satisfactionconforme à l’objet de l’obligation. En d’autres termes, la prestation qui estimposée au débiteur n’est pas fongible, interchangeable avec celle d’autrui (77).

La première voie d’exécution se réalise, en Belgique, par la mise en oeuvre dela saisie-revendication, qui pourtant est une saisie conservatoire (78) : un huis-sier de justice se chargera d’emporter le meuble, avec, s’il échet, le secours dela force publique.

Quant au jugement tenant lieu d’acte du débiteur, il a été admis par la Cour decassation, dans plusieurs arrêts, notamment celui du 8 juin 1849 (79) et celuidu 5 janvier 1968. Dans cette dernière décision, la Cour déclare : « ...l’article1142 du Code civil (...) n’exclut pas que l’exécution en nature de l’obliga-tion soit demandée au juge et ordonnée par celui-ci lorsqu’elle est encorepossible; (...) toutefois, aucune contrainte ne peut être exercée sur la per-sonne du débiteur en vue de lui imposer cette exécution en nature; (...),s’agissant en l’espèce d’une obligation de faire qui a pour seul objet l’appro-bation d’un plan, le juge pouvait suppléer au défaut d’approbation et dé-clarer que sa décision tiendra lieu d’approbation » (80).

Cette deuxième voie d’exécution est fréquemment employée en pratique (81).

Dans certains cas, elle permet au tribunal de conférer au créancier l’ins-trumentum du contrat qui lui faisait défaut. On en trouve une applicationclassique dans l’arrêt de la cour d’appel de Mons du 24 juin 1981 : la cour yenjoint au propriétaire d’un immeuble, de se présenter en l’étude d’un notaireen vue de la passation de l’acte de cession dans un certain délai, tout en ajou-tant qu’à défaut pour lui de ce faire, sa décision tiendra lieu d’acte authentiqueen vue de la transcription à la conservation des hypothèques (82). Le juge-ment tenant lieu d’acte poursuit parfois une finalité plus ambitieuse, commele prouve l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 1968 précité; il permet

(77) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 341 et s.; P. WÉRY, op. cit., Act. droit, 1995, p. 839 et s.(78) G. de LEVAL, La saisie-arrêt, Fac. dr. Écon. et soc. Liège, 1976, p. 23, note 2.(79) Cass., 8 juin 1849, Pas., 1850, I, p. 81.(80) Cass., 5 janvier 1968, Pas., 1968, I, p. 567.(81) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, pp. 194-195.(82) Mons, 24 juin 1981, Pas., 1981, II, p. 125.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

alors au juge d’émettre un acte de volonté en lieu et place du débiteur récalci-trant (83).

14. (suite). Le remplacement judiciaire. — C’est la troisième forme de con-trainte par substitution. Le remplacement judiciaire est consacré, pour lesobligations contractuelles de faire et de ne pas faire, par les articles 1143 et1144 du Code civil. Le juge condamne le débiteur à exécuter en nature sonobligation (terminer des travaux, détruire un mur, etc.), tout en ajoutant que,passé un certain délai, le créancier sera autorisé, en cas d’inexécution de cetordre, à effectuer lui-même ou à faire effectuer par autrui cette prestation auxdépens de son débiteur, avec, s’il échet, l’aide de la force publique.

Nous nous contenterons d’épingler les points qui nous paraissent les plusimportants en pratique, en renvoyant, pour le reste, le lecteur à notre dissertationdoctorale (84).

a) Dans son arrêt du 6 mars 1919, la Cour de cassation a vu, à juste titre, dansl’article 1144 l’application d’un principe général du droit des obligations(85).

Il est donc permis de recourir à cette voie d’exécution pour assurer l’exé-cution forcée en nature des obligations de dare portant sur des choses fongi-bles qui n’ont pas encore été individualisées (86); pour cette raison, les tribu-naux peuvent aussi recourir à ce procédé pour mettre à exécution des con-damnations non pécuniaires en matière extracontractuelle (87).

Cet arrêt se prononce également sur la qualification à donner au remplacementjudiciaire; à juste titre, la Cour y voit non pas « une condamnation à des dom-mages-intérêts, mais seulement l’exécution de l’obligation librement sous-crite par le (débiteur) ». C’est donc bien l’exécution en nature de l’obligationcontractuelle qu’obtient le créancier, même si elle est le fait d’un tiers voire ducréancier lui-même. Il est, partant, inexact de voir dans le remplacement judi-ciaire un pis-aller, un succédané de l’exécution par le débiteur lui-même (88).Par ailleurs, puisque le remplacement est un mode d’exécution en nature, il

(83) Le recours à cette technique est cependant impossible, rappelons-le, lorsque l’obligation en souffranceest personnelle au débiteur. C’est notamment les cas des promesses de contrat solennel, telle lapromesse d’hypothèque (voy. supra n°9, c).

(84) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 255 à 362.(85) Pas., 1919, I, p. 80.(86) Cass. , 6 mars 1919, Pas., 1919, I, p. 80. Sur cette possibilité, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit.,

1993, pp. 111 à 113.(87) Voy. notre étude « Condamnations non pécuniaires, réparation en nature et remplacement judiciaire en

matière extracontractuelle », obs. sous Liège, 8 juin 1993, J.T., 1995, p. 429 et s.(88) Sur ce point, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p.99 et s.; S. STIJNS, op. cit., 1994, p. 344

et s.; A. VAN OEVELEN, op. cit., R. W., 1994-1995, p. 798.

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est inutile et même illogique pour le créancier de postuler, au préalable, larésolution du contrat (voy. supra n° 4).

b) Un important arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 1994 (89) confirmel’enseignement qui se dégageait déjà de l’arrêt précité du 6 mars 1919.

Le remplacement judiciaire constitue un droit pour le créancier qui la réclame.Les articles 1143 et 1144 ne sont donc pas d’application facultative pour lejuge du fond qui est saisi de la demande d’autorisation (90). Cette jurispru-dence doit être approuvée, car elle est en parfaite conformité avec le principede la primauté de l’exécution en nature.

S’il refuse l’autorisation fondée sur l’un de ces textes, le juge du fond doit, dèslors, s’en expliquer en se référant nécessairement à l’une des exceptions queconnaît le principe de l’exécution en nature : il ne pourra écarter cette autori-sation que si le créancier abuse de son droit en formulant une telle demandeou si le remplacement est impossible à réaliser parce que « l’obligation impli-que un fait personnel du débiteur » (91).

c) La mise en oeuvre de l’autorisation judiciaire peut engendrer un conten-tieux après-dire-droit.

Aussi les juges devraient-ils songer plus souvent à désigner un technicien poursuivre le correct déroulement des opérations de remplacement et rendrecompte au tribunal des difficultés d’exécution qu’elles auront suscitées (92).

En pratique, c’est, souvent, le montant des dépens qui fait l’objet de discussionsde la part du débiteur. Le recouvrement de ces frais peut s’effectuer sur labase de la décision qui a conféré au créancier l’autorisation de remplacement :il suffit que le tribunal précise que les dépens seront recouvrables sur simpleprésentation au débiteur des factures (93).

Encore faut-il, ainsi que le souligne très justement le juge des saisies de Liège,que du titre exécutoire résulte bien une créance certaine, exigible et liquide (94).Tel n’est pas le cas, s’il apparaît que le créancier n’a pas mis en oeuvre l’auto-

(89) Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, p. 370, J.L.M.B., 1995, p. 1240, obs. J.-F. JEUNEHOMME, R.W., 1995-1996,p. 532, Act. droit, 1996, p. 23, note P. WÉRY.

(90) Le contraire était souvent enseigné précédemment : H. DE PAGE, Traité, t. 3, 1967, p.127, note 1; P. VAN

OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, p. 687; Cass., 2 juillet 1874, Pas., 1874, I, p. 244, concl. MESDACH

de ter KIELE.(91) Pour reprendre les termes de Cass., 6 mars 1919, Pas., 1919, I, p. 80. Dans le même sens, cons. Cass.,

12 septembre 1958, Pas., 1959, I, p. 45. Voy. aussi A. VAN OEVELEN, op. cit., R. W., 1994-1995, p. 798.(92) Sur ce point, voy. F. GLANSDORFF et A. BOUCHÉ, « Le rôle de l’expert dans la réparation en nature », Entr.

et dr., 1986 et s.; G. de LEVAL, « L’instruction sans obstructions » in La preuve (colloque organisé les 12 et13 mars 1987 à l’U.C.L.), pp. 33 et 34; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 355-356.

(93) G. de LEVAL, « Aspects actuels du droit des saisies », J.T., 1980, p. 632, n° 33; G. de LEVAL, Traité dessaisies. Règles générales, Fac. dr. Liège, 1988, pp. 428-429; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993,p. 357.

(94) Civ. Liège (j. sais.), 25 août 1993 et 25 octobre 1993, Act. droit, 1994, p. 689, note P. WÉRY « Les dépensdu remplacement judiciaire ».

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

risation de remplacement « avec prudence et de bonne foi » (95). Le créan-cier ne pourrait ainsi exposer des frais démesurés ou inutiles; il ne pourrait pasdavantage faire assumer au débiteur le coût de prestations qui sont étrangèresà son obligation ; la bonne foi lui impose aussi de procéder au remplacementdans un délai raisonnable et de choisir avec soin la personne qui agira en lieuet place de son cocontractant (96).

d) Même si l’on n’y songe guère en pratique, le créancier peut parfaitementréclamer, en même temps que l’autorisation de remplacement, une provisionpour financer les opérations de remplacement. Une telle formule évite aucréancier de devoir avancer les frais du remplacement (97).

e) Par ailleurs, on ne peut qu’approuver le professeur I. Moreau-Margrève, lors-qu’elle conseille aux praticiens de réclamer, dans leurs conclusions, tout à lafois l’application de l’astreinte et celle du remplacement (98). La décision ygagnera en effectivité. Le juge condamnera ainsi le débiteur à exécuter telleou telle prestation dans un délai déterminé, sous peine d’une astreinte, et ajou-tera que, passé ce délai, si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté, le créan-cier pourra faire mettre à exécution le jugement aux frais de son débiteur.

f) Les rédacteurs du Code civil ont conçu le remplacement judiciaire commeun mode d’exécution forcée en nature de l’obligation. Ils avaient donc à l’es-prit l’hypothèse d’un débiteur qui pouvait encore utilement s’exécuter et quirefusait d’obtempérer à l’ordre du juge (99).

Il existe cependant des cas où le créancier sait, au moment même où il assigneson débiteur, que celui-ci ne pourra plus s’exécuter utilement (100). Le con-damner à s’exécuter personnellement n’a alors aucun sens. Faut-il en tirerpour conséquence que le créancier perd toute possibilité de s’adresser à autrui,aux frais et dépens de son cocontractant ?

Une telle solution serait assurément fâcheuse sur le plan pratique. C’est pour-quoi le remplacement judiciaire doit pouvoir, en de telles situations, être ac-cordé à titre principal, sans que le débiteur soit préalablement condamné às’exécuter en personne (101).

(95) Pour reprendre l’expression de A. DURANTON, Cours de droit français suivant le Code civil, 3e éd., t. 6,Bruxelles et Mons, p. 376.

(96) Sur tout ceci, voy. notre ouvrage L’exécution forcée..., 1993, pp. 360 et 361 avec les réf.(97) Sur ce point, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 358-359.(98) I. MOREAU-MARGRÈVE, op. cit., Ann. droit Liège, 1982, pp.69 et 70. Voy. aussi J. VAN COMPERNOLLE, op. cit.,

1992, p. 50, n° 62.(99) Sur ce point, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 103 et s. En ce sens aussi A. DELVAUX,

op. cit., Formation permanente C.U.P., 1996, p. 143; M. COIPEL, op. cit., livre 30, volume 2, G.U.J.E., 1996,p. 35.

(100) L’incompétence du débiteur est manifeste; le débiteur est d’une mauvaise foi flagrante; etc. (P. VAN

OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, p. 605; M. COIPEL, op. cit., G.U.J.E., 1996, p. 36, n° 310).(101) Sur ce point, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 248 à 251; M. COIPEL, op. cit., livre 30,

volume 2, G.U.J.E., 1996, p. 36.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Le débiteur ne peut toutefois être évincé trop facilement de l’exécution ducontrat. S’il offre au créancier, même en justice, de s’exécuter en nature, etque cette offre soit jugée satisfactoire pour le créancier, le tribunal devra luilaisser cette possibilité (102), quitte à ajouter qu’à défaut d’exécution dans uncertain délai, le créancier pourra alors le remplacer à ses frais.

(102) Civ. Neufchâteau, 26 octobre 1994, R.R.D., 1995, p. 56, note P. WÉRY.

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Section VLes dérogations à l’exigence de

l’autorisation judiciaire préalableprévue par les articles 1143 et 1144

15. Le principe. — Lorsque le créancier souhaite « se remplacer », il doit,comme le portent les articles 1143 et 1144 du Code civil, solliciter, au préala-ble, une autorisation de justice. S’il néglige cette formalité, les frais qu’il aexposés pour pallier la défaillance de son débiteur demeureront à sacharge (103). Le créancier ne pourrait même pas agir sur la base de l’enrichis-sement sans cause puisque c’est par sa propre faute que le créancier s’estprivé du droit au remboursement des dépens de l’article 1144 (104). Il y aplus grave : en privant son cocontractant de la possibilité d’accomplir ses en-gagements, le créancier commet une faute contractuelle qui engagera sa res-ponsabilité contractuelle et qui, le cas échéant, pourra même justifier une ré-solution de la convention à ses torts.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Il souffre, en effet, dans l’état actuel denotre droit, trois types de dérogations.

16. Les clauses de remplacement. — On s’accorde à dire que les articles1143 et 1144 n’intéressent pas l’ordre public et que ce ne sont pas davantagedes dispositions impératives (105). Les clauses contraires sont, dès lors, lici-tes.

Les parties peuvent décider de priver le créancier du bénéfice de ces disposi-tions (106).

Elles peuvent aussi — c’est, d’ailleurs l’hypothèse la plus fréquente en prati-que — dispenser le créancier de requérir une autorisation judiciaire préalable.Les clauses de remplacement qui organisent des mesures d’exécution d’office

(103) Voy. not. Civ. Bruxelles, 5 avril 1988, Entr. droit, 1989, p. 227; J. P. Gand, 29 juin 1992, J.J.P., 1993, p.119; J. P. Harelbeke (sans date), Computerrecht, 1996, p. 23.

(104) Liège, 23 janvier 1980, J.L., 1982, p. 1.(105) Sur ce point, voy. P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1986, p. 210; P. WÉRY, L’exécution forcée...,

op. cit., 1993, p. 282 et s., avec les réf. et les nuances à apporter à cette idée; M. COIPEL, op. cit., livre 30,volume 3, G.U.J.E., 1996, p.29.

(106) Sur ce point, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 286.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

trouvent surtout leur terrain d’élection dans les contrats d’entreprise et desous-traitance. Rien ne s’oppose évidemment à ce que de telles clauses soientétendues à d’autres conventions; on peut, d’ailleurs, recommander aux rédac-teurs de contrats d’y songer plus souvent. Ces clauses de remplacement nedoivent pas être confondues avec le pacte commissoire exprès, qui dispensele créancier de l’autorisation judiciaire préalable pour résoudre la conventionaux torts de son débiteur (107).

On trouvera, dans notre ouvrage consacré à l’exécution forcée en nature desobligations contractuelles non pécuniaires, une série de réflexions sur cethème (108).

17. La faculté de remplacement unilatéral. — L’idée est, à présent, bienimplantée, en doctrine belge, que le créancier peut, dans certaines circonstan-ces, faire l’économie du recours judiciaire préalable en « se remplaçant unila-téralement », en l’absence même de toute clause de remplacement (109).

Cette voie de justice privée a reçu la caution d’une importante jurisprudence (110).Dans un arrêt du 6 décembre 1985, la cour d’appel de Liège déclare ainsi : « iléchet de reconnaître le droit au créancier de « faire l’économie du recourspréalable au juge » que ce soit pour appliquer l’article 1184 ou l’article1144 du code civil, et ce du moment essentiellement que la bonne foi ducocontractant n’ait pas été surprise » (111). Un excellent arrêt de la mêmecour, du 24 juin 1991, abonde en ce sens : « il y a lieu d’admettre qu’en cas demanquement grave du cocontractant et lorsque les circonstances comman-dent une solution rapide, qui ne permet pas d’attendre l’issue d’un procès,le créancier puisse, à ses risques et périls, se dispenser d’un recours préala-ble à justice et s’adresser à un tiers pour qu’il soit procédé au parachève-ment de l’exécution » (112). Bien d’autres décisions pourraient encore êtrecitées en ce sens. Il est cependant à noter que la Cour de cassation n’a, à notreconnaissance, pas encore eu à se prononcer sur la question, de sorte qu’uneincertitude plane encore sur la licéité de ce procédé.

(107) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 290-291; M. COIPEL, op. cit., livre 30, volume 2, G.U.J.E.,1996, p. 31.

(108) L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 281 à 293. Voy. aussi A. DELVAUX, op. cit., Formation permanenteC.U.P., 1996, p. 144; M. COIPEL, op. cit., livre 30, volume 3, G.U.J.E., 1996, pp. 29 à 31.

(109) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1975, p. 606 et s.; P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 205et s.; M. FONTAINE, op. cit., R.C.J.B., 1991, p. 31 et s.; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p.293 ets.; S. STIJNS, op. cit., 1994, p. 574 et s.; A. VAN OEVELEN, op. cit., R. W., 1994-1995, pp. 798-799; M. COIPEL,op. cit., livre 30, volume 2, G.U.J.E., 1996, pp. 30 et 31; S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique »,J.T., 1996, p. 723.

(110) Voy. les réf. citées dans P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 296 et s(111) R.R.D., 1987, p. 11, note M. BOURMANNE.(112) J.T., 1991, p. 698 (en ce qui concerne l’exigence d’un manquement grave, voy. toutefois infra même

numéro).

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

C’est, tout d’abord, dans le contrat de vente commerciale que le remplace-ment unilatéral a vu le jour. L’acheteur peut ainsi se procurer les marchandisespromises auprès d’un autre fournisseur, la différence de prix étant mise à chargedu vendeur défaillant (113). On fonde cette solution sur un usage commer-cial.

Depuis quelques décennies, la faculté de remplacement unilatéral a gagné lecontrat d’entreprise, où elle joue au profit du maître de l’ouvrage (114). Parextension, cette faculté est également reconnue dans le contrat de sous-traitance,où l’entrepreneur principal peut faire effectuer les prestations en souffranceaux dépens de son sous-traitant. On invoque également l’existence d’un usageen ce domaine (115).

Si, comme nous le pensons, le fondement de la faculté de remplacement unila-téral gît dans le pouvoir dérogatoire de l’urgence, il n’y a aucune raison pé-remptoire de s’opposer à son extension aux autres conventions. Nous son-geons notamment au contrat de bail : s’il y a urgence, le locataire doit pouvoireffectuer, aux frais de son bailleur, des réparations qui incombent à ce der-nier (116).

18. (suite). Conditions du remplacement unilatéral. — La doctrine et lajurisprudence ont veillé à encadrer cette voie de justice privée. Il ne peut, eneffet, être question d’abandonner le débiteur, fût-il défaillant, à la merci de soncocontractant (117).

S’il ne veut pas être désavoué par la suite par un tribunal, le créancier doitdonc être attentif aux conditions du remplacement unilatéral.

Quelles sont ces conditions ?

(113) Voy. not. J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial, t. 3, 1981, pp. 537 et 538; M. FONTAINE,op. cit., R.C.J.B., 1991, pp. 32 et 33; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 296 et s. Ons’interroge toutefois sur le point de savoir s’il s’agit là d’une dérogation à l’article 1144 ou à l’article 1184du Code civil (pour un examen de la question, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 298et 299).

(114) Voy. not. L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.-A. FORIERS, « Examen de jurisprudence (1976 à 1980). Les contratsspéciaux », R.C.J.B., 1986, pp. 334-335; Actualités du droit, Droit de la construction, vol. 1, 1991, pp.1199-1200; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 300 et s.; A. DELVAUX, op. cit., Formationpermanente C.U.P., 1996, pp. 139 à 142.

(115) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, p. 303 avec les réf. à la doctrine.(116) Sur ce point, voy. P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 319-320; L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.-

A. FORIERS, « Examen de jurisprudence. Les contrats spéciaux (1976 à 1980) », R.C.J.B., 1986, p. 284; L.SIMONT, J. DE GAVRE et P.-A. FORIERS, « Examen de jurisprudence. Les contrats spéciaux (1981 à 1991) »,R.C.J.B., 1996, p. 279.

(117) Sur ces conditions, voy. S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, p. 723 avec les réf.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Certaines sont de fond. D’autres sont de forme : elles visent à préserver lesdroits de la défense du débiteur et à rendre possible un éventuel contrôlejudiciaire a posteriori.

1) Il est, tout d’abord, certain que le créancier ne peut se remplacer unilatéra-lement en toutes circonstances. Seule, l’urgence peut légitimer une telle ini-tiative (118). Si elle fait défaut, le créancier doit prendre son mal en patienceet, conformément au prescrit des articles 1143 et 1144, réclamer au tribunalune autorisation de remplacement.

2) Avant de se remplacer, le créancier doit procéder à la constatation de l’étatdes lieux et du manquement du débiteur. Celle-ci, estime-t-on habituellement,doit être contradictoire ou judiciaire (119). Pour des raisons d’efficacité, ilfaut, à notre avis, admettre aussi l’établissement par toutes voies de droit, etnotamment par constat d’huissier, de ces défaillances (120); c’est ce qu’admetjustement une partie de la jurisprudence (121).

3) Le créancier doit mettre en demeure (122) son débiteur dans les plus brefsdélais, lui indiquer avec précision les manquements qu’il lui reproche et luilaisser un délai raisonnable pour y remédier personnellement. Certains ajou-tent que, dans la mise en demeure, le créancier doit avertir son cocontractantde sa volonté de le remplacer au terme du délai qu’il lui laisse (123), mais cetteprécision n’apparaît pas sous la plume de tous les auteurs.

4) Le remplacement doit intervenir sans retard, à l’expiration de ce laps detemps (124).

5) Enfin, le créancier doit veiller à se remplacer de bonne foi. Il doit choisir lesubstitut de son débiteur avec soin et se garder de lui faire réaliser des presta-tions qui sont étrangères à l’obligation en souffrance.

Sous réserve de l’une ou l’autre nuance, on observe un large consensus endoctrine et en jurisprudence belges sur ces diverses conditions d’applicationdu mécanisme. C’est, d’ailleurs, sur les mêmes exigences qu’est bâtie, en droitbelge, la résolution unilatérale des contrats synallagmatiques.

(118) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 314-317.(119) Voy. not. P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., R.C.J.B., 1986, p. 207; Liège, 24 juin 1991, J.T., 1991, p. 698; Comm.

Charleroi, 15 décembre 1993, J.L.M.B., 1995, p. 306, note B. LOUVEAUX.(120) Voy. not. M. FONTAINE, op. cit., R.C.J.B., 1991, pp. 33-34; P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993,

p. 306.(121) Liège, 6 décembre 1985, R.R.D., 1987, p. 11, note M. BOURMANNE; Civ. Liège, 8 septembre 1982, J.L.,

1983, p. 59; Civ. Mons, 26 mai 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1537.(122) Sauf, bien sûr, si l’exécution en nature par le débiteur n’est plus satisfactoire pour le créancier.(123) M. FONTAINE, op. cit., R.C.J.B., 1991, p. 40.(124) Certains auteurs précisent que le débiteur doit être informé de son remplacement, afin qu’il n’expose

pas des frais inutiles pour s’exécuter personnellement (L. SIMONT, J. De GAVRE et P.-A. FORIERS, op. cit.,R.C.J.B., 1986, p. 335; Comm. Charleroi, 15 décembre 1993, J.L.M.B., 1995, p. 306, note B. LOUVEAUX).

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L'exécution en nature des obligations contractuelles

Sur la suggestion de la doctrine dominante, la jurisprudence ajoute à cette listedéjà longue une exigence de fond qui nous paraît plus discutable. Par identitéde motifs avec la résolution unilatérale, elle subordonne la licéité du remplace-ment unilatéral à la preuve d’une faute grave du débiteur (125). Il ne faut, ànotre avis, pas pousser le parallélisme entre les deux mécanismes aussi loin.La faculté de remplacement est l’application anticipée, sans intervention dujuge, des articles 1143 et 1144 : elle vise seulement à procurer au créancierl’exécution en nature de l’obligation et non pas à résoudre la convention. Lagravité du manquement du débiteur est, dès lors, sans importance en cettematière (126).

19. Le devoir pour le créancier de se remplacer. — La faculté de rempla-cement unilatéral peut se muer parfois en un devoir (127) pour le créancier.

Ce paradoxe s’explique par les interférences d’une autre idée qui tend à sedévelopper : le devoir qui pèse sur la victime d’un dommage de limiter celui-ci. La bonne foi commande, en effet, à la victime d’une inexécution de ne pasdemeurer les bras croisés et donc de prendre les mesures raisonnables en vuede restreindre son préjudice (128).

Une de ces mesures peut précisément consister dans le recours au remplace-ment unilatéral (129). La sanction de ce devoir se traduit par une réductiondes dommages et intérêts à concurrence du préjudice qu’il aurait pu éviter, s’ilavait paré au plus pressé.

(125) Voy. not. Liège, 24 juin 1991, J.T., 1991, p. 698; Comm. Charleroi, 15 décembre 1993, J.L.M.B., 1995, p.306, note B. LOUVEAUX.

(126) P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 321-322; A. VAN OEVELEN, op. cit., R. W., 1994-1995, p.798, note 61; S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, p. 723; M. COIPEL, op. cit., livre30, volume 2, G.U.J.E., 1996, p. 31.

(127) Une « incombance » pour reprendre le terme de M. FONTAINE, dans son excellente étude déjà citée (note56).

(128) Pour une étude de cette question, voy. E. DIRIX, « De schadebeperkingsplicht van de benadeelde », notesous Civ. Hasselt, 26.2.1979, R.W., 1979-1980, col. 2921 et s., spéc. col. 2929; R. KRUITHOF, « L’obligationde la partie lésée de restreindre le dommage », note sous Cass., 22 mars 1985, R.C.J.B., 1989, p. 12 et s.;P. WÉRY, L’exécution forcée..., op. cit., 1993, pp. 317 et 318; S. STIJNS, op. cit., 1994, p.609 et s.

(129) Liège, 22 février 1988, J.L.M.B., 1988, p. 1276, spéc. p. 1281, obs. R. de BRIEY.

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QUESTIONS CHOISIES EN DROITDE LA RESPONSABILITÉ

CONTRACTUELLE

Bernard DUBUISSON,professeur à l'U.C.L.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

SOMMAIRE

INTRODUCTION .................................................................................... 97

SECTION I

RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DU FAIT PERSONNEL ............... 99

A. Caractéristiques de la responsabilité contractuelle ........................ 99

B. Éléments constitutifs de la responsabilité ...................................... 102

1. La faute ............................................................................................. 102

a) Les obligations de moyens et de résultat ....................... 1031° Sources et intérêt de la distinction ......................... 1032° Portée de la distinction .............................................. 1043° Critères de la distinction ............................................ 1074° Application de la distinction selon l’objet

de l’obligation ................................................................ 114b) Les obligations de sécurité ................................................. 122

2. Le lien de causalité et le dommage .......................................... 127

a) Le dommage indirect ........................................................... 127b) Le dommage imprévisible .................................................. 129

SECTION II

LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DU FAIT D’AUTRUI ........... 135

A. Le principe et le fondement de la responsabilité .......................... 135

B. Les conditions de la responsabilité ................................................... 140

1. L’engagement du débiteur principal à l’égardde son cocontractant .................................................................... 140

2. Introduction volontaire d’un tiers dans l’exécutiondu contrat ......................................................................................... 141

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

3. Le créancier ne doit pas avoir déchargé le débiteurprincipal de sa responsabilité .................................................... 143

4. L’agent d’exécution s’engage à l’égard du débiteurprincipal à exécuter tout ou partie des prestationsdues par celui-ci à son cocontractant ..................................... 145

5. Le fait de l’agent d’exécution entraîne l’inexécutiond’une obligation découlant du contrat principal ............... 147

6. La licéité de la substitution ........................................................ 148

C. Le régime de la responsabilité ............................................................ 149

1. La faute du débiteur principal .................................................. 149

2. La faute de l’agent d’exécution ................................................. 153

SECTION III

LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DU FAIT DES CHOSES ....... 159

A. La responsabilité du fait des choses livrées .................................... 160

B. La responsabilité du fait des choses utilisées dans le cadrede l’exécution du contrat ..................................................................... 162

CONCLUSION ......................................................................................165

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Introduction

1. — À en juger par le volume de jurisprudence qu’elle suscite, la matière dela responsabilité contractuelle est tellement vaste qu’il serait impossible, dansle cadre limité de cette étude, d’en donner une image complète. Une tendancepropre à cette matière retiendra particulièrement l’attention. La plupart deschroniqueurs constatent en effet un rapprochement de plus en plus marquéentre les règles de la responsabilité contractuelle et aquilienne, tant sous l’an-gle des conditions d’engagement de la responsabilité que de ses effets (1).

C’est souvent au prix d’un gonflement artificiel des obligations qui sont cen-sées découler du contrat, que celui-ci s’est vu progressivement attribuer unefonction de protection d’intérêts extra-contractuels. Outre l’avantage écono-mique recherché par les parties, le contrat garantirait aussi la sécurité des per-sonnes et des biens, au risque d’empiéter sur le domaine de la responsabilitéaquilienne.

Il est frappant de constater qu’en France, deux traités récents de responsabilitécivile regroupent en un seul volume les règles de la responsabilité contrac-tuelle et extra-contractuelle (2). S’il est vrai que certaines fonctions peuventleur être communes, il faut néanmoins s’interroger sur l’opportunité d’un telregroupement. L’on ne pourrait admettre qu’une simple convergence puisseminer, voire absorber, le droit de l’inexécution contractuelle en lui ôtant toutespécificité. Il existe en effet un noyau dur de l’inexécution contractuelle que laresponsabilité aquilienne ne pourra jamais s’approprier. La Cour de cassationa d’ailleurs rappelé que « l’examen de la demande sur la base de la responsa-bilité contractuelle ne conduit pas nécessairement à la même décision quel’application des règles relatives à la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle » (3). Même si l’affirmation relève de l’évidence, il faut rappeler que

(1) S. STIJNS, D. VAN GERVEN, P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence, Les obligations : les sources », J.T., 1996,723, n° 101 ; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence, 1974-1982, Les obligations », R.C.J.B.,1986, p. 211, n° 103 à 108 ; du même auteur, « Examen de jurisprudence, Les obligations », R.C.J.B.,1975, p. 514, n° 53 ; R. KRUITHOF, H. BOCKEN, F. DE LY, B. DE TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak :1981-1992, Verbintenissenrecht », T.P.R., 1994, 171.

(2) G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil, Les conditions dela responsabilité, sous la dir. de J. GHESTIN,2e éd., Paris, L.G.D.J., 1998 ; Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, Paris, Dalloz, 1996.

(3) Cass., 13 novembre 1989, Pas., 1990, I, 298 ; J.T.T., 1990, 371, obs. ; R.W., 1990-1991, 234.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

la responsabilité du cocontractant naît de l’inexécution d’un engagement qu’ila pris, alors que la responsabilité aquilienne prend sa source dans la violationd’un devoir qui s’impose à tous.

2. — L’intrusion dans le régime de la défaillance contractuelle de schémasempruntés plus ou moins consciemment à la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle se marque essentiellement dans la présentation des faits généra-teurs de la responsabilité.

Comme en matière aquilienne, la responsabilité du fait personnel suppose l’exis-tence d’une faute, d’un lien de causalité et d’un dommage. Sous cet angle, ladistinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens ainsique l’apparition, plus timide en Belgique qu’en France, des obligations de sé-curité contribuent à renforcer la convergence (Section I).

La responsabilité contractuelle qu’un débiteur peut encourir pour le fait despersonnes qu’il s’associe ou qu’il se substitue dans l’exécution du contrat con-duit naturellement à un rapprochement avec les responsabilités du fait d’autruique le Code civil organise aux articles 1384, al. 2 à 5 (Section II).

Le principe général de responsabilité du fait des choses que l’on a sous sagarde conduit, par attraction, à s’interroger sur l’existence d’une responsabilitédu fait des choses livrées ou mises en œuvre par l’un des cocontractants envue d’exécuter ses obligations contractuelles (Section III).

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Section IResponsabilité contractuelle

du fait personnel

3. — Le rapprochement entre la responsabilité contractuelle et la responsabilitéextra-contractuelle conduit à attribuer à la première la même fonction de ré-paration que la seconde (A). Puisque la responsabilité délictuelle du fait per-sonnel suppose un préjudice, une faute et un lien causal, la responsabilité con-tractuelle reposera nécessairement sur les mêmes éléments (B).

A. Caractéristiques de la responsabilité contractuelle

4. — Selon la thèse traditionnelle qui s’est progressivement imposée en Francesous l’influence de Planiol (4) et en Belgique sous l’influence de De Page (5),la responsabilité contractuelle a, comme la responsabilité aquilienne, une fonc-tion de réparation d’un dommage. Sa spécificité provient uniquement du faitque le dommage résulte de l’inexécution d’une obligation découlant d’un con-trat.

Pour qu’une responsabilité contractuelle puisse être invoquée, il faut plus pré-cisément qu’il existe un contrat valablement conclu entre le créancier et ledébiteur et que l’obligation dont le créancier invoque l’inexécution soit néede ce contrat. Mais l’inexécution doit elle-même résulter d’un manquementimputable au débiteur, qui sera apprécié en fonction du contenu et de la por-tée de l’obligation inexécutée.

Dans un tel système, l’inexécution du contrat constitue le fait générateur d’uneobligation nouvelle, celle qu’a le débiteur de réparer toutes les conséquencesdommageables de l’inexécution. Le contrat étant lui-même fondé sur la pro-messe d’un certain comportement du débiteur, sous l’angle de ses élémentsconstitutifs, la faute contractuelle ne se distingue pas fondamentalement de lafaute aquilienne.

(4) PLANIOL, Traité élémentaire, 3e éd., 1905, t. II, n° 863 et ss. Pour un résumé de la pensée de Planiol surce point, voy. Ph. REMY, « La responsabilité contractuelle : histoire d’un faux concept », R.T.D.Civ., 1997,p. 332, n° 12.

(5) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Liv. III, Les obligations, Bruxelles, Bruylant,1964, n° 583 et sv.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

5. — Plusieurs auteurs ont récemment contesté cette présentation qui contri-bue à occulter l’essence de la responsabilité contractuelle et qui, selon eux,n’est pas fidèle à l’intention des rédacteurs du Code civil (6).

Selon la thèse classique, inspirée de Domat, la responsabilité contractuellen’aurait pas pour fonction principale de réparer les dommages injustementcausés, mais plutôt de procurer au créancier l’équivalent de l’avantage qu’ilattendait du contrat (7). L’action contractuelle en dommages et intérêts ten-drait essentiellement à procurer au créancier l’équivalent de ce profit escompté,c’est-à-dire rien de moins ni rien de plus qu’un substitut de l’exécution. Com-prise ainsi, l’action en réparation ne serait donc que le prolongement de l’exé-cution de l’obligation préexistante née du contrat.

Fort de ce retour aux sources, l’inexécution du contrat ne constitue plus le faitgénérateur d’une obligation nouvelle, puisque c’est le contrat qui est lui-mêmela cause de la dette de réparation. La faute s’identifie en principe à l’inexécu-tion, sauf à démontrer la cause étrangère exonératoire. L’article 1147 du Codecivil, selon lequel « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement dedommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit àraison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas quel’inexécution provienne d’une cause étrangère qui ne peut lui être impu-tée … », trouverait là sa véritable signification.

Cette présentation permet de ramener le contrat à sa figure originelle : la pro-messe d’un avantage déterminé, plutôt que la promesse d’un certain compor-tement du débiteur

Le droit de l’inexécution contractuelle étant déchargé de sa fonction de répa-ration des dommages, les actions par lesquelles le débiteur entendrait obtenirréparation d’un dommage autre que celui qui résulterait de la privation del’avantage attendu du contrat ne seraient pas de vraies actions contractuelles.Les vraies actions contractuelles auraient uniquement pour fonction d’obtenirdu débiteur le paiement forcé des obligations qui expriment les utilités atten-dues du contrat par l’une ou l’autre des parties, sous la forme éventuellementd’une réparation par équivalent.

(6) En France, Ph. REMY, « La « responsabilité contractuelle » : histoire d’un faux concept », R.T.D.Civ., 1997,pp. 324-355 ; D. TALLON, « L’inexécution du contrat : pour une autre présentation », R.T.D.Civ., 1994,pp. 223-238. En Belgique, comp. L. CORNELIS, « Le sort imprévisible du dommage prévisible », R.C.J.B.,1990, p. 86.

(7) Œuvres de DOMAT, éd. J. Remy, Paris, 1835, Les lois civiles dans leur ordre naturel, p. 1 (des engage-ments), L. 1 (des engagements volontaires et mutuels par les conventions), t. 1 (des conventions engénéral), S. III, p. 134 et s. Pour une analyse de la pensée de Domat, voy. Ph. REMY, op. cit., p. 330, n° 8et ss.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

La distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité quasi-délictuelle ne retrouverait son véritable sens, d’après ces auteurs, qu’à condi-tion de recouvrir cette différence entre le paiement forcé et la réparation (8).

6. — En ce qu’elle permet de souligner la spécificité de l’action contractuelledans le respect de l’intention initiale des rédacteurs du Code civil et de l’ensei-gnement de Domat, la thèse classique n’est sans doute pas dénuée d’intérêt.On peut craindre cependant qu’elle ne suffise pas à renverser une tendancedéjà bien affirmée en doctrine et en jurisprudence.

Sur le fondement du principe de l’autonomie de la volonté, les parties sontlibres d’aménager leurs relations comme elles l’entendent et d’insérer dans lecontrat les obligations qu’elles souhaitent, même si celles-ci ne contribuentpas directement à la fonction d’échange du contrat. Rien n’empêche non plusles juges de dégager du contrat, sur le fondement de l’article 1135 du Codecivil et de la fonction complétive de la bonne foi, des obligations que les par-ties n’avaient pas explicitement envisagées, tenant soit à la sécurité des per-sonnes soit à la sécurité des biens. Le Code civil, lui-même, lorsqu’il organise lagarantie légale des vices cachés, lie d’ailleurs la débition des dommages etintérêts à la mauvaise foi du vendeur, sans faire de distinction claire suivant lanature des dommages subis (art. 1645 C. civ.).

Plutôt que de revenir au principe du non-cumul, la Cour de cassation belge a,semble-t-il, emprunté une voie médiane : sans nier formellement le caractèrecontractuel de l’obligation de sécurité, elle a choisi d’ouvrir largement la pos-sibilité pour les parties d’opter pour l’un ou l’autre régime dès lors que l’inexé-cution d’une obligation contractuelle constitue un manquement à un devoirgénéral de prudence qui s’impose à tous et se solde par un dommage qui n’estpas purement contractuel (sur l’obligation de sécurité, voy. infra) (9).

Dans un important arrêt du 26 octobre 1990, la Cour de cassation déclare eneffet que « le dommage causé par un fait légalement punissable ne peut êtreconsidéré comme un dommage de nature exclusivement contractuelle parle seul motif qu’il a été causé ensuite de la mauvaise exécution de l’obliga-tion contractuelle de veiller à la sécurité de la victime » (10). La solution a lemérite de supprimer les disparités de traitement entre les victimes d’une at-teinte à l’intégrité physique, selon qu’elles sont ou non dans les liens d’un

(8) D. TALLON, op. cit., R.T.D.Civ., 1994, p. 226, n° 11 et ss. ; Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 336, n°15 et p. 355, n° 47.

(9) Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, 3976 ; R.C.J.B., 1976, p. 20 et la note R.O. DALCQ, et F. GLANDSDORFF ;R.G.A.R., 1974, n° 9317, note J.-L. FAGNART ; R.W., 1973-1974, col. 1597 et note J. HERBOTS, J.T., 1975,p. 505, note J. VAN RYN.

(10) Cass., 26 octobre 1990, R.C.J.B., 1992, p. 497, note R.O. DALCQ ; Pas., 1991, I, 216.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

contrat, sans pour autant attribuer un domaine d’application exclusif aux deuxordres de la responsabilité.

B. Éléments constitutifs de la responsabilité

7. — À tort ou à raison, l’alignement de la responsabilité civile contractuellesur la responsabilité aquilienne implique que chacune repose sur des élémentsconstitutifs identiques, c’est-à-dire la faute (1.), le lien causal et le dommage(2.).

1. La faute

8. — D’un point de vue théorique, la faute contractuelle se définit par rapportaux obligations contractuelles dont les parties déterminent en principe libre-ment le contenu et la portée, sous réseve de l’ordre public, des bonnes mœurset des lois impératives. Elle se distingue en cela de la faute quasi-délictuelle quiconsiste dans le manquement à un devoir général de prudence apprécié parrapport au comportement du bon père de famille replacé dans les mêmescirconstances concrètes.

À la différence du débiteur contractuel, l’auteur d’une faute quasi-délictuelle,faut-il le rappeler, n’a pris aucun engagement déterminé à l’égard de la victime.L’obligation contractuelle ne s’identifie donc pas en principe aux normes gé-nérales de prudence et l’on ne saurait déduire automatiquement de l’existenced’une faute contractuelle, l’existence d’une faute aquilienne au sens des arti-cles 1382 et 1383 du Code civil (11).

Il se peut cependant qu’un même manquement constitue à la fois une fautequasi-délictuelle et une faute contractuelle. Il est certain, à cet égard, que ladécouverte, de plus en plus fréquente, d’obligations implicites de sécurité dansles contrats contribue à obscurcir la distinction théoriquement claire entre lesdeux ordres de responsabilité, en même temps qu’elle accroît les occasions decumul.

9. — L’apparente unité de la responsabilité civile est due, on l’a dit, à l’influencede Planiol en France, dont la thèse a été relayée en Belgique par De Page, pourqui la responsabilité contractuelle est de nature essentiellement subjective etdépend toujours d’une faute imputable au débiteur (12).

(11) L. CORNELIS, « Le sort imprévisible du dommage prévisible », R.C.J.B., 1990, p. 104, n° 25.(12) Tous deux précités adde H. DE PAGE, Traité, t. II, n° 586 et 588.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Avec le temps, la théorie de la gradation des fautes qui avait cours en matièrecontractuelle s’est estompée et il est désormais permis d’affirmer que le débi-teur contractuel est, comme en matière quasi-délictuelle, tenu de sa faute lé-gère ou la plus légère considérée in abstracto par rapport au critère du bonpère de famille (13). Dans les deux cas, si l’auteur de la faute est un profession-nel, on rapportera son comportement à celui d’un professionnel normalementprudent et diligent replacé dans les mêmes circonstances.

Comme en matière quasi-délictuelle, la faute contractuelle peut être présumée,lorsque le débiteur est tenu par une obligation de résultat. La distinction, deve-nue classique, entre les obligations de moyens et de résultat conforte ainsil’idée que la faute contractuelle est avant tout une faute de comportement (a).

L’apparition des obligations accessoires de sécurité, conçues comme une suiteque l’équité donne à l’obligation d’après sa nature au sens de l’article 1135 duCode civil, conduit, quant à elle, à transformer en une obligation contractuelle,le devoir général de ne pas nuire à autrui (b).

a) Les obligations de moyens et de résultat

1° Sources et intérêt de la distinction

10. — Chacun sait que la distinction, désormais bien implantée en doctrine eten jurisprudence, entre les obligations de moyens et les obligations de résultatprovient d’une tentative de conciliation entre le prescrit apparemment con-tradictoire des articles 1137 et 1147 du Code civil.

Alors que l’article 1147, en précisant que le débiteur ne peut se libérer que parla preuve d’une cause étrangère, paraît donner une directive générale quant àla façon de définir le contenu de l’obligation contractuelle, l’article 1137 prendle contre-pied et fait dépendre la responsabilité du débiteur de la preuve d’unefaute.

L’explication de cette contradiction a été proposée par Demogue, dans letome V de son traité des obligations (14). D’après lui, l’article 1137, qui im-pose au débiteur d’apporter à l’exécution de son obligation « les soins d’unbon père de famille », concernerait uniquement les obligations dites de« moyens », c’est-à-dire celles par lesquelles le débiteur s’engage à faire toutediligence en vue de satisfaire le créancier, tandis que l’article 1147 viserait « lesobligations de résultat », c’est-à-dire celles qui imposent au débiteur l’obten-tion d’un résultat déterminé.

(13) Voy. P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1986, p. 215, n° 104.(14) DEMOGUE, Traité des obligations en général, 1925, t. V, n° 1237.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

11. — La distinction a des répercussions importantes sous l’angle de la chargede la preuve. Alors que le créancier d’une obligation de moyens doit, en vued’engager la responsabilité du débiteur, démontrer que celui-ci n’a pas apportéà l’affaire tous les soins qu’on pouvait attendre d’un bon père de famille, lecréancier d’une obligation de résultat pourra se contenter d’établir qu’un en-gagement précis et déterminé avait été pris par le débiteur et que le résultatpromis n’a pas été obtenu. Le débiteur est dès lors présumé responsable, laprésomption portant à la fois sur la faute et sur le lien causal. Pour écartercette responsabilité, il devra démontrer que l’inexécution trouve sa sourcedans une cause étrangère qui ne lui est pas imputable.

Alors que le créancier d’une obligation de moyens supporte les cas douteuxdans lesquels il n’est pas possible de rapporter la preuve d’une faute débiteur,avec l’obligation de résultat, c’est l’inverse : le débiteur reste responsable si lacause de l’inexécution reste indéterminée et s’il ne parvient pas à démontrerl’absence de faute. Lorsque l’obligation est de résultat, il est vrai que la fautes’identifie à l’inexécution, mais il n’en reste pas moins que celle-ci doit tou-jours être prouvée. Ce n’est pas toujours facile, car le créancier est alors con-traint d’établir un fait négatif (par exemple, la marchandise n’est pas arrivée àbon port) (15).

L’explication proposée par Demogue a eu le succès que l’on connaît, dépassantsans doute l’objectif que l’éminent auteur s’était fixé. Il est intéressant d’obser-ver en effet que Demogue souhaitait avant tout démontrer la relative unité desresponsabilités contractuelle et délictuelle, sans avoir pour autant l’intentiond’en faire une summa divisio des obligations (16).

À partir du moment où l’inexécution d’une obligation de moyens repose sur lafaute prouvée et l’inexécution d’une obligation de résultat sur la faute présu-mée, le parallèle avec la responsabilité quasi-délictuelle s’imposait de lui-même (17). La thèse de Demogue participait donc du même effort que celuide Planiol.

2° Portée de la distinction

12. — L’opposition entre les obligations de moyens et de résultat repose surla constatation légitime que les obligations contractuelles n’ont pas toutes lamême étendue ni la même intensité. Tel est son principal intérêt. L’erreur se-rait de croire que cette summa divisio pourrait permettre un classement ri-goureux de toutes les obligations contractuelles (18).

(15) D. TALLON, op. cit., R.T.D.Civ., 1994, p. 231, n° 23.(16 ) Voy. A cet égard G. VINEY, Traité, p. 442, n° 524.(17) Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 342, n° 25.(18) Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 342, n° 26 et 27.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Au fond, l’inexécution contractuelle implique essentiellement une comparaisonde ce qui a été fait ou pas fait avec ce qui a été promis. Il faut toujours etexclusivement se demander ce qui était « in obligatione ». Cette observationne suffit sans doute pas à rejeter la distinction entre obligations de moyens etde résultat, car aussi peu rigoureuse qu’elle soit, celle-ci fournit quand même àl’interprète des repères utiles pour déterminer, en l’absence de dispositionlégale ou conventionnelle, la véritable portée de l’engagement pris (19).

Une lecture attentive du Code civil indique d’ailleurs que les obligations demoyens, comme les obligations de résultat, sont susceptibles de degrés. Aprèsavoir confirmé que l’obligation de veiller à la conservation d’une chose sou-met celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d’un bon père de fa-mille, l’article 1137 ne prévoit-il pas que « cette obligation est plus ou moinsétendue relativement à certains contrats, dont les effets, à cet égard, sontexpliqués sous les titres qui les concernent » ? On sait que le mandataire ou ledépositaire salarié sont tenus à des obligations plus strictes que le mandataireou le dépositaire bénévole (art. 1927, 1928 et 1992, al. 2 C. civ.).

L’article 1882 relatif au prêt à usage fournit un exemple d’obligation de moyensrenforcée, puisqu’il rend l’emprunteur responsable de la perte de la chosesurvenue par cas fortuit chaque fois qu’il aurait pu éviter cette perte en expo-sant sa propre chose au risque qui a entraîné la destruction de celle qui luiétait prêtée.

13. — Les obligations de résultat sont, elles aussi, d’intensité variable. Toutdépend de la rigueur de la preuve contraire. Il est permis de considérer quel’obligation de résultat est allégée lorsque le débiteur peut s’exonérer en éta-blissant qu’il n’a pas commis de faute. L’article 1732 du Code civil, qui prévoitque le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sajouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute, en offreun exemple. Le régime de responsabilité qui pèse sur le débiteur s’apparentealors à une présomption de faute, dont il devrait pouvoir se libérer par unecause de justification ou une cause étrangère exonératoire. Il n’est toutefoispas indispensable que le locataire prouve que les dommages sont dus à un casde force majeure (20).

S’il est tenu, par contre, par une stricte obligation de résultat, le débiteur nepourra en principe s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère, rem-plissant les conditions de la force majeure (sauf en ce qui concerne la faute dela victime), ce qui l’obligera à identifier la cause du dommage, soit de façon

(19) Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 343, n° 28 ; D. TALLON, op. cit., R.T.D.Civ., 1994, p. 231, n° 23.(20 ) Cass., 29 novembre 1984, R.C.J.B., 1987, 213, note F. GLANSDORFF ; Pas., 1985, I, 399.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

positive, soit de manière inductive, en établissant que ce dommage ne peuttrouver sa source que dans un événement qui ne lui est pas imputable (21).

L’obligation de résultat peut enfin être conventionnellement aggravée si ledébiteur accepte de prendre en charge expressément le cas fortuit ou le faitdes tiers (autres qu’un agent d’exécution). L’article 1825 du Code civil en donneun exemple en matière de bail à cheptel : « La perte, même totale et par casfortuit, est en entier pour le fermier, s’il n’y a convention contraire ». Cer-tains auteurs préfèrent parler dans ce cas d’une obligation de garantie. Il fauttoutefois se garder d’une confusion avec les garanties légales (garantie légaledes vices cachés due par le vendeur, garantie décennale des entrepreneurs etarchitectes) qui s’apparentent en principe à des obligations de résultat (voy.infra).

14. — Cette gradation des obligations de résultat n’est bien entendu pertinenteque si l’on admet de faire une nette différence entre la preuve de l’absence defaute et la preuve de la force majeure. On sait que cette distinction a été miseà mal par le professeur Tunc pour qui les deux concepts sont identiques (22).Pour la Cour de cassation belge, la force majeure résulte d’un obstacle insur-montable rendant absolument impossible l’exécution de l’obligation, survenude manière telle que toute faute de celui qui s’en prévaut soit exclue. Elle nepeut se déduire que d’un événement indépendant de la volonté humaine qu’onn’a pu ni prévoir ni conjurer (23).

Il faut probablement considérer que la force majeure doit, elle-même, êtremesurée en fonction du contenu et de l’intensité de l’obligation assumée parle débiteur (24). Bien qu’il ne s’agisse probablement que d’une différence dedegré dans l’intensité de la preuve contraire, il convient, selon nous, de distin-guer par ordre de difficulté, la preuve d’une conduite diligente, la preuve del’absence de faute (25) et la preuve d’une cause étrangère exonératoire (26).

(21) Cass., 5 janvier 1995, Bull. Cass., 1995, 17 ; R.W., 1995-1996, 155.(22) A. TUNC, R.T.D.Civ., 1945, p. 235 ; il semble cependant que d’après cet auteur, la preuve d’une conduite

diligente n’équivaut pas en pratique à l’absence de faute.(23) Cass., 12 juin 1947, Pas., 1947, I, 264 ; Cass., 15 février 1951, Pas., 1951, I, 388 ; Cass., 9 décembre 1976,

Pas., 1977, I, 408.(24) Sur cette question voy. R. KRUITHOF, « Schuld, risico, imprevisie en overmacht bij de niet nakoming van

contractuele verbintenissen. Een rechtsvergelijkende benadering », in Hommages à René Dekkers, Bruxel-les, Bruylant, 1982, p. 283.

(25 ) En cas de vol du véhicule dans les locaux d’un garagiste, il incombe à ce dernier de rapporter la preuved’une cause étrangère exonératoire, et non pas seulement la preuve générale de l’absence de faute :Bruxelles, 23 février 1990, R.G.A.R., 1992, n° 11903, note R. BOGAERT ; Liège, 17 novembre 1992, J.L.M.B.,1993, p. 823.

(26) Voy. cass., 14 février 1991, R.W., 1991-1992, 845 : lorsqu’il ressort des faits que les dégradations causéesau véhicule mis en dépôt sont dues au vol dont il a été l’objet dans le garage du dépositaire etqu’aucune faute, en relation causale avec le vol, ne peut être reprochée à ce dernier, le juge peutrégulièrement en déduire que les dégradations sont dues à une cause étrangère.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Celle-ci nécessite en effet d’identifier la cause de l’inexécution ou, à tout lemoins, de démontrer que le dommage est certainement dû à une cause étran-gère qui n’est pas imputable au débiteur.

Ceci étant, il est permis d’affirmer que la plupart des obligations contractuel-les, en tout cas celles qui forment le cœur du contrat, sont des obligations derésultat, tant il est vrai que ce que recherche habituellement le créancier, c’estobtenir le résultat, l’avantage économique attendu du contrat (27). La plupartdu temps, la faute du débiteur contractuel consistera à n’avoir pas exécuté cequ’il avait promis, alors qu’il n’en était pas empêché par force majeure.

3° Critères de la distinction

15. — Il n’est pas facile de proposer une liste exhaustive de critères permettantde distinguer les obligations de moyens et les obligations de résultat. Cettedifficulté tient à la fois à la grande diversité des obligations contractuelles, aulaconisme de la motivation de certaines décisions des juges du fond et auxconsidérations d’équité qui font souvent pencher la balance en faveur de lavictime.

Tout au plus peut-on proposer une méthodologie et quelques principes desolution. L’appartenance d’une obligation à l’une ou l’autre des catégories dé-pend fondamentalement de l’attribution de la charge des risques de l’inexécu-tion, dans le respect de la volonté des parties ou, à défaut, de ce que l’on peutraisonnablement exiger du débiteur, compte tenu des attentes légitimes ducréancier.

— La volonté des parties

16. — Le choix entre l’obligation de résultat et l’obligation de moyens dé-pend en premier lieu de la volonté des parties. En l’absence de dispositionsimpératives ou d’ordre public, c’est à elles qu’il appartient de déterminer lecontenu et la portée des obligations qu’elles acceptent d’assumer (28). L’attri-bution des risques de l’inexécution a pu faire l’objet d’une clause expressedont il est permis de déduire une promesse de résultat. Il suffira de s’y référer.Elle peut également se déduire de telle clause déterminant expressément lecaractère de l’obligation ou de telle autre prévoyant que le débiteur est tenud’une simple obligation de diligence, voire d’une clause limitative de respon-sabilité visant à transformer une obligation de résultat en une obligation demoyens (29). Ces clauses sont en principe valables dans la limite des principes

(27) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1501.(28 ) Cass., 3 mai 1984, Pas., 1984, I, 1081 ; Entr. et Dr., 1985, 132, concl. Proc. gén. E. Kring et obs. ; R.W.,

1984-1985, 1987 ; Cass., 18 mai 1990, Pas., 1990, I, 1068. Voy. également Mons, 11 décembre 1991,R.R.D., 1992, p. 211, note B. ROLAND.

(29) Comm. Bruxelles, 11 mars 1992, J.T., 1993, 206.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

qui régissent la validité des clauses limitatives ou exonératoires de responsabi-lité.

En l’absence de disposition conventionnelle expresse, il conviendra de recher-cher la volonté présumée des parties. La Cour de cassation n’exerce aucuncontrôle sur cette question qui relève de l’appréciation souveraine des jugesdu fond (30). Il est permis de le regretter. On sait ce que comporte de facticeet d’artificiel l’opération qui consiste à se demander ce que les parties auraientdécidé si elles avaient envisagé de régler expressément la question litigieuse.Le juge du fond se laisse alors guider par des critères plus ou moins objectifsfrappés du coin du bon sens et qui témoignent moins du souci de faire préva-loir la volonté des parties que d’un souci d’équité et de bonne foi. La questionest en effet de savoir ce qu’on peut raisonnablement exiger du débiteur lors-qu’il s’engage à telle ou telle prestation ou, ce qui revient au même, ce que lecréancier pouvait légitimement attendre de lui au moment de la conclusiondu contrat (31).

Bien sûr, il est possible d’admettre que le résultat de cette interrogation corres-pond nécessairement à la volonté présumée des parties, mais, il conviendraitalors de s’assurer que le risque de l’inexécution est entré, au moins implicite-ment, dans le champ contractuel et qu’il a été attribué, de commun accord, àl’une des parties. Ceci est rarement fait (32). En tout état de cause, le critère dela volonté des parties paraît bien insuffisant lorsqu’il s’agit de qualifier desobligations nouvelles que le juge déduit du contrat au titre de la fonction com-plétive de la bonne foi.

De façon plus réaliste, il faut reconnaître que la distinction entre les obligationsde moyens et de résultat permet aux juges d’imposer aux parties des normesobjectives de comportement et de mettre ainsi en œuvre une véritable politi-que de réparation et de prévention des dommages. Il est d’ailleurs souventdifficile de distinguer dans leur motivation, ce qui relève de l’analyse objectiveet ce qui relève du « désirable ».

— La qualité des parties

17. — Pour répartir les obligations contractuelles selon leur intensité, Demoguelui-même se fondait sur l’opposition entre les professions libérales et les mé-tiers. « Le professionnel qui a une profession libérale, c’est-à-dire exigeantune indulgence dans l’exécution comme le médecin, l’avocat, n’a à sa charge

(30) Cass., 7 février 1992, Pas., 1992, I, 503.(31) Voy. à cet égard G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 514 ; voy. également la thèse de X. DIEUX, Le

respect dû aux anticipations légitimes d’autrui, L.G.D.J./Bruylant, 1995.(32) Voy. P. JOURDAIN, « L’obligation de sécurité (à propos de quelques arrêts récents) », Gaz. Pal., 25 septem-

bre 1993 (2e sem.), p. 1174.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

qu’une obligation de moyens. Le métier, qui va depuis le manœuvre jus-qu’au plus haut degré, jusqu’à l’architecte, comporte d’ordinaire une obli-gation de résultat, car le résultat peut être atteint presque sûrement avec latechnique appropriée » (33).

Ce critère est bien entendu insuffisant au regard de l’éventail des activitéséconomiques. On peut lui reprocher de faire prévaloir une vision bourgeoisede la société conduisant à privilégier, de façon inexpliquée, les professionslibérales par rapport aux techniciens. Plus fondamentalement encore, cetteproposition reflète une certaine confiance aveugle dans l’efficacité des scien-ces et des techniques. Or, l’utilisation des techniques n’est pas toujours dé-pourvue d’aléas. La seule question pertinente est dès lors de savoir qui a ac-cepté de prendre ces aléas en charge.

— Le critère de l’aléa et le rôle de la victime

18. — En l’absence de clause conventionnelle précise, le critère le plus fré-quemment employé pour départager les obligations de moyens et de résultatconsiste à vérifier le caractère plus ou moins aléatoire de la prestation promisepar le débiteur. Si le résultat paraît à ce point aléatoire que l’on ne peut raison-nablement attendre du débiteur qu’il obtienne ce résultat, l’obligation seragénéralement tenue pour une obligation de moyens (34).

L’illustration la plus nette de cette catégorie d’obligations est l’obligation desoins du médecin. Celui-ci ne pouvant raisonnablement être tenu de guérir lemalade, son obligation consiste, selon les termes du fameux arrêt Mercier, « àlui prodiguer des soins attentifs et consciencieux et, sous réserve de circons-tances exceptionnelles, conformes aux données actuelles de la science » (35).Non seulement, l’on ne peut exiger plus de lui, mais on peut raisonnablementconsidérer que le malade accepte ou doit accepter la part d’aléa que com-porte la prestation médicale.

Ceci n’empêche que la jurisprudence impose, de temps à autres, une obliga-tion de résultat au médecin lorsqu’il s’agit, par exemple, d’accomplir un acte

(33) DEMOGUE, op. cit., n° 1237.(34) Voy. P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1986, p. 215, n° 105 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998,

n° 541 ; Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, n° 1531 et ss. ; P. JOURDAIN, op. cit., Gaz.Pal., 1993, II, 1174.

(35) Cass. Fr., 20 mai 1936, Dall., 1936, 88. En jurisprudence belge, voy. entre autres, Bruxelles, 3 février1989, R.G.A.R., 1991, n° 11817 ; J.P. Liège, 22 novembre 1991, J.J.P., 1992, p. 18 ; l’obligation de soinsqui pèse sur l’établissement hospitalier est elle-même une obligation de moyens : Civ. Bruxelles, 12octobre 1990, R.G.D.C., 1991, p. 408 ; R.G.A.R., 1992, n° 11996 ; Civ. Charleroi, 20 février 1990, R.G.A.R.,1992, n° 12074.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

technique réputé simple où l’aléa est à ce point réduit que le patient a pulégitimement penser qu’il était à l’abri de tout danger sérieux (36).

De même, l’obligation de conseil et d’assistance qui repose sur l’avocat est enprincipe une obligation de moyens, car il ne peut raisonnablement promettreà son client le gain du procès (37). L’obligation d’accomplir les actes de procé-dure dans les formes et les délais requis est par contre généralement considé-rée comme une obligation de résultat en sorte que si l’avocat a laissé s’écoulerce délai, il est automatiquement présumé en faute (38).

Le même raisonnement peut être tenu à propos du notaire (39), du courtier (40),

(36) En ce qui concerne les analyses sanguines, un arrêt de la cour d’appel de Toulouse de 1959, considéraitdéjà qu’elles étaient dépourvues d’aléa (Toulouse, 14 décembre 1959, J.C.P., 1960, II, 11402, note R.SAVATIER, R.T.D.Civ., 1960, p. 298, note H & L MAZEAUD). « La détermination du groupe et du facteurrhésus s’effectue à coup sûr quand il y est correctement procédé, de sorte que l’acte médical se réduitalors à une recherche d’ordre technique, obéissant à des règles strictes et invariables, qui doiventnécessairement aboutir à une exacte solution ». Il faut se garder toutefois des généralisations hâtives etexaminer chaque fois objectivement la marge d’erreur tolérable en l’état de la science.La jurisprudence est parfois discordante lorsqu’il s’agit d’analyser le risque résiduel en cas de stérilisa-tion. Certains tribunaux considèrent que même si l’infécondité ne peut être garantie à 100 % aprèsl’intervention, celle-ci doit avoir pour résultat une infécondité définitive. Il suffit que le résultat es-compté puisse être atteint par une utilisation normale de moyens raisonnables (Civ. Anvers, 17 janvier1980, Bull. Ass., 1981, p. 183 ; Civ. Anvers, 26 février 1992, R.G.D.C., 1992, p. 1101 ; Civ. Malines, 9 juin1992, Rev. dr. santé, 1996-1997, p. 374). D’autres estiment qu’en cas de stérilisation, il subsiste un légerrisque de recanalisation spontanée qui exclut l’existence d’une obligation de résultat (Civ. Hasselt, 23octobre 1989, R.G.D.C., 1990, p. 372 ; Pas., 1990, III, 50 ; Anvers, 15 juin 1994, Rev. dr. santé, 1996-1997, p. 358, note J. TERHEERDT).En cas d’interruption volontaire de grossesse, le médecin est généralement tenu d’une obligation demoyens, en raison des incertitudes qui entourent l’opération (TGI Evreux, 21 décembre 1979, Dall.,1981, p. 185, note J. PENNEAU). Le tribunal civil de Courtrai considère par contre que l’exécution d’unavortement légal demandé après 6 semaines de grossesse est une obligation de résultat pour le mé-decin : Civ. Courtrai, 1er février 1994, R.W., 1995-1996, 57, note.L’interprétation d’une radiographie a aussi été tenue pour une obligation de résultat, dans un cas où ils’agissait de déceler un cancer du poumon : Anvers, 27 octobre 1992, Turnh. Rechtsl., 1993, p. 47, note.Sur tout ceci, voy. J.-L. FAGNART, « Aspects nouveaux de la responsabilité médicale », Centre des Facultésuniversitaires catholiques pour le recyclage en droit, 1996, 66 pp.

(37) Civ. Bruxelles, 6 février 1991, J.T., 1991, p. 661 ; Bull. Ass., 1991, p. 703, obs. P. Y. BOVY ; R.G.D.C.,1991, p. 756.

(38) Mons, 6 mai 1996, J.L.M.B., 1997, 437, note BUYLE ; Mons, 16 janvier 1997, J.L.M.B., 1997, 443 ; contramais dans le cas particulier du non-respect d’un délai conventionnel prévu par un contrat d’assuranceet sanctionné par la déchéance : Gand, 29 janvier 1993, R.W., 1993-1994, p. 23, note ; Bull. Ass., 1994,p. 424, note VEECKMANS.

(39) Le devoir de conseil et d’investigation du notaire est une obligation de moyens (Civ. Turnhout, 19février 1979, Tijd. Not., 1979, 247). En revanche, l’obligation de mentionner le titre de propriété desvendeurs (non de vérifier la réalité de ce titre) est une obligation de résultat (Civ. Charleroi, 9 mars1995, R.G.E.N., 1997, p. 456 ; Rev. Not. b., 1997, p. 617), de même que l’engagement de délivrerendéans les 2 mois un état hypothécaire confirmant que l’inscription occupera le premier rang (Anvers,11 mars 1992, Rev. Not. b., 1993, p. 39, note).

(40) L’engagement pris par le courtier de trouver une assurance pour un client est une obligation de moyens(Comm. Anvers, 26 janvier 1995, Bull. Ass., 1996, p. 147), mais l’engagement d’étendre la couvertureaux meubles meublant est une obligation de résultat (Liège, 20 octobre 1992, J.L.M.B., 1993, p. 423).

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

de l’expert comptable (41), du gestionnaire de fortune (42), du curateur (43),de l’agent immobilier (44) ou de l’agence matrimoniale (45).

On voit ainsi qu’un même contrat peut comporter plusieurs obligations dontcertaines sont de résultat et d’autres de moyens. On penche généralementpour la première solution lorsque le résultat peut être atteint par une utilisa-tion normale des moyens.

19. — Si la prestation promise est sous la pleine et entière maîtrise du débi-teur, celui-ci sera en principe tenu au résultat. Cette qualification n’impliquepas nécessairement que la prestation soit dépourvue de tout aléa. Il suffit qu’elleprésente une probabilité suffisamment importante de réussite, pour que lecréancier puisse légitimement s’attendre à l’obtention du résultat. Si c’est lecas, il n’a donc pas pu accepter de supporter le risque de l’inexécution. Ondira même que ce risque doit pouvoir être légitimement ignoré par le public.

L’on retrouve ici le principe du respect des attentes légitimes du public quipermet au juge de déterminer la mesure du raisonnable, en l’absence d’uneexpression claire de volonté.

Le critère de l’aléa ou de l’acceptation des risques se prête cependant à denombreuses interprétations. Dans le cas des obligations de sécurité, par exem-ple, certains considèrent que le créancier n’accepte jamais le risque qu’uneatteinte soit portée à son intégrité physique, en sorte que l’obligation de sécu-rité devrait toujours être considérée comme une obligation de résultat (46).On note alors un glissement, d’une analyse objective de l’aléa inhérent à laprestation vers une appréciation subjective de l’attente de la victime, guidée

(41) Civ. Gand, 13 septembre 1996, T.G.R., 1996, 178.(42) Le gestionnaire de fortune est tenu, quant à sa gestion, d’une obligation de moyens, sauf dans la

mesure où il a garanti l’issue de sa mission. Sent. arb. Bruxelles, 29 mars 1996, R.D.C., 1996, 1078, noteJ.-P. BUYLE et X. THUNIS ; Comm. Bruxelles, 2 février 1995, R.D.C., 1996, p. 1072, note note J.-P. BUYLE etX. THUNIS.

(43) Le curateur assume une obligation de moyens quant à sa gestion : Civ. Liège, 23 juin 1992, J.L.M.B.,1993, p. 1106.

(44) L’obligation de trouver un acquéreur est une obligation de moyens : Anvers, 8 février 1977, Entr. et Dr.,1978, p. 194, note PELEGRIN.

(45) L’obligation pour l’agence de mettre le client en contact avec d’autres personnes est de moyens, dèslors qu’elle recherche des profils psychologiques et professionnels concordants. Civ. Liège, 9 janvier1995, J.L.M.B., 1996, p. 522 ; contra Civ. Bruxelles, 14 avril 1995, J.L.M.B., 1996, p. 524 : l’agences’oblige à présenter à ses clients un nombre raisonnable de candidats correspondant à leurs aspirations.Cette obligation est de résultat.

(46) Voy. Y. LAMBERT-FAIVRE, « Fondement et régime de l’obligation de sécurité », Dall., 1994, Chron., pp. 81-85.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

par une politique de protection de son intégrité physique. Ce n’est pas tant lasécurité attendue par la victime qui doit servir de critère, que l’attributionraisonnée du risque lié à la prestation.

20. — L’analyse du caractère aléatoire de la prestation se double souvent d’unexamen du rôle plus ou moins actif joué par le créancier dans l’exécution ducontrat. Si celui-ci dispose d’une liberté d’action importante lors de l’accom-plissement des prestations, l’obligation sera de moyens. Si par contre, le créan-cier ne dispose d’aucune autonomie, s’il a un rôle purement passif, s’il n’ad’autre choix que de s’abandonner presque complètement entre les mains dudébiteur, son obligation sera de résultat (47).

La justification est claire : la participation active du créancier dans l’exécutionfait naître un aléa non maîtrisable par le débiteur, puisque le but visé ne dé-pend plus seulement de son attitude. Il appartient alors au juge d’apprécier enfait l’autonomie plus ou moins grande dont disposait la victime durant la pé-riode d’exécution du contrat.

Ce critère a été utilisé en Belgique pour caractériser l’obligation de l’exploitantd’un car wash (48), d’un parc d’attraction (49) ou d’un manège forain (50).Sans faire preuve d’une très grande constance, la jurisprudence française y arecours également pour caractériser l’obligation de l’exploitant d’un télé-

(47) P. JOURDAIN, op. cit., Gaz. Pal., 1993, 1174 ; Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996,n° 1540 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 592.

(48) Lorsque l’exploitant du car-wash possède la maîtrise exclusive du véhicule pendant le déroulement del’opération, l’obligation qui pèse sur lui de restituer le véhicule sans dégradation à la sortie des instal-lations est une obligation de résultat. Voy. Bruxelles, 5 novembre 1982, Bull. Ass., 1983, 187, obs. ;Bruxelles, 23 janvier 1990, R.G.A.R., 1992, n° 11903, obs. R. BOGAERT, qui évoque une triple obligationde résultat à charge de l’exploitant : effectuer le lavage, conserver la chose et la remettre à son proprié-taire ; on préfère la décision plus raisonnable de la cour d’appel de Bruxelles (7 mars 1996, R.G.A.R.,1997, n° 12871) qui estime que « si un garagiste n’a qu’une obligation de moyens quant au lavage de lavoiture dont la propreté dépend de plusieurs facteurs, en revanche, il contracte une obligation derésultat quant à la sécurité de ses installations dès lors qu’il prend en charge un véhicule dont leconducteur doit rester passif ».À noter cependant que la charge de la preuve préalable de l’identité ou de l’état du véhicule aumoment du dépôt repose sur l’automobiliste : Bruxelles, 23 janvier 1990, R.G.A.R., 1992, n° 11903, noteR. BOGAERT.

(49) Civ. Nivelles, 22 mars 1993, R.G.D.C., 1993, p. 488. L’exploitant d’une attraction dont la clientèle n’a pasla maîtrise du fonctionnement assume une obligation de sécurité de résultat pendant tout son déroule-ment.

(50) Mons, 30 novembre 1987, R.R.D., 1988, p. 157.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

siège (51), d’un remonte-pente (52), d’un parc de jeux pour enfants (53) oud’un toboggan aquatique (54).

Là encore, l’appréciation n’est pas toujours très rigoureuse, le choix entre lesdeux obligations traduisant souvent une volonté de protéger la victime, mêmelorsque celle-ci n’est pas privée de toute initiative.

— Autres critères

21. — Parmi les critères qui permettent de déterminer l’appartenance d’uneobligation contractuelle à la catégorie des obligations de moyens ou de résul-tat, il semble que l’aptitude respective des parties contractantes pour rappor-ter la preuve de l’inexécution pourrait aussi jouer un rôle.

Récemment, la Cour de cassation française a considéré par deux fois qu’ilappartenait au débiteur de l’obligation d’information de démontrer qu’il avaitcorrectement informé son cocontractant. Elle a consacré cette solution pourle médecin (55) et pour l’avocat (56). On remarquera toutefois que dans cha-cune des hypothèses, la Cour a statué sur le fondement de l’article 1315 C. civ.,sans constater expressément que l’obligation d’information devait être tenuepour une obligation de résultat.

On reconnaît également une tendance des tribunaux à retenir l’existence d’uneobligation de résultat lorsque la faute est à ce point grossière qu’elle ne faitaucun doute. Il en va ainsi par exemple de la responsabilité de l’hôpital en casd’interversion de patient ou de la responsabilité du médecin qui se trompe surle membre à soigner ou qui a oublié une compresse ou tout autre objet indési-rable dans le corps du malade (57). La défaillance est si manifeste qu’elle faitprésumer la faute du débiteur (58). Dans ce cas, la distinction entre l’obliga-

(51) Cass. fr. civ. (1e Ch.), 1er mars 1986, Bull. cass., I, n° 65. L’exploitant n’est tenu que d’une simpleobligation de moyens pendant les opérations d’embarquement et de débarquement au cours desquelsle skieur a un rôle actif.

(52) En matière de remontées mécaniques, la jurisprudence a beaucoup fluctué. Par un arrêt du 4 novembre1992, la Cour de cassation en est revenue à l’obligation de moyens, vu la participation active de l’usager(Cass. fr. civ. (1e Ch.), 4 novembre 1992, Bull. cass., I, n° 277 ; Dall., 1994, Jur., p. 45, note Ph. BRUN ;R.T.D.Civ., 1993, p. 364, obs. P. JOURDAIN.

(53 ) Cass. civ. fr., 18 février 1986, R.T.D.Civ., 1986, p. 770, obs. J. HUET.(54 ) Cass. fr. civ. (1e Ch.), 28 octobre 1991, Bull. cass., I, n° 289 ; R.T.D.Civ., 1993, 397, obs. P. JOURDAIN.(55) Cass. fr. civ., 25 février 1997, R.G.A.R., 1997, n° 12858. « Celui qui est légalement ou contractuellement

tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obliga-tion ».

(56) Cass. fr. civ., 29 avril 1997, R.G.A.R., 1997, n° 12855 : en plaçant sur l’avocat la charge de la preuve dece qu’il s’était acquitté de son devoir de conseil, alors que l’avocat est tenu d’une obligation particulièred’information et de conseil vis-à-vis de son client et qu’il lui importe de prouver qu’il a exécuté cetteobligation, la cour d’appel n’a fait qu’appliquer l’article 1315 du Code civil.

(57) Anvers, 29 juin 1992, Vlaams tijd. voor gezondheidrecht, 1994-1995, p. 20, note D. FRERIK ; Civ. Bruxel-les, 17 novembre 1995, R.G.A.R., 1997, n° 12751.

(58) Sur le rapprochement entre l’adage res ipsa loquitur et l’obligation de résultat, voy. T. VANSWEEVELT, Laresponsabilité civile du médecin, Maklu/Bruylant, 1996, p. 114, n° 162 et suiv.

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tion de moyens et de résultat ne présente que peu d’intérêt pratique puisqueles faits parleront le plus souvent d’eux-mêmes, l’inexécution n’étant pas sim-plement défectueuse mais totale (59).

4° Application de la distinction selon l’objet de l’obligation

22. — Bien que l’appartenance d’une obligation à l’une ou l’autre catégoriedépende en premier lieu de la volonté des parties ou de la loi, il est permis detenter une classification des obligations selon leur objet en s’inspirant descritères objectifs dégagés ci-dessus.

— Obligations de délivrance, de restitution, de conservation

23. — Les obligations de délivrance et de restitution sont généralement quali-fiées d’obligations de résultat, car elles ne sont pas susceptibles de plus ou demoins. L’obligation de livrer un corps certain est le complément matériel del’obligation de donner, et il est normal de considérer que le créancier n’a enprincipe pas accepté de supporter le moindre aléa concernant l’exécution dela prestation (60). L’obligation pour le vendeur de délivrer une chose conformeest donc de résultat (61), comme celle de livrer la chose dans le délai fixé (62).La solution n’est pas choquante car, lorsqu’il s’agit de l’avantage économiqueimmédiatement attendu du contrat, le créancier peut en principe légitime-ment s’attendre à l’obtention du résultat (63).

De façon curieuse en revanche, l’obligation de restituer une chose empruntéeou déposée est souvent présentée comme une obligation de résultat, par op-position à l’obligation qu’aurait le même emprunteur ou le même dépositairede conserver la chose qui, elle, serait de moyens (art. 1880 et 1927 C. civ.) (64).

(59) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1522, qui voient dans ces hypothèsesun tempérament au régime juridique de l’obligation de moyens.

(60) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1502.(61) Bruxelles, 22 septembre 1988, J.T., 1989, p. 333 ; Pas., 1989, II, 38, note J.S. Voy. aussi Comm. Bruxel-

les, 18 février 1980, R.G.A.R., 1981, n° 10274 : l’obligation de livraison d’un système informatique est derésultat, tandis que l’obligation de réaliser les performances promises ne constitue qu’une obligation demoyens.

(62) Civ. Namur, 5 octobre 1989, J.L.M.B., 1989, p. 1495 ; si cette obligation est de résultat, elle n’est plusqu’une obligation de moyens, lorsque le délai est approximatif.

(63) On s’explique ainsi que l’obligation de l’entrepreneur de construire une maison clé sur porte puisseêtre considérée comme une obligation de résultat (Comm. Verviers, 13 octobre 1986, J.L.M.B., 1987, p.382 ; Bruxelles, 26 octobre 1990, J.L.M.B., 1992, 364, obs. P.-H.) ; de même que l’obligation du portefort (J.P. Anvers, 7 novembre 1984, R.W., 1986-1987, 2323 ; R.G.E.N., 1988, p. 414).

(64) Voy. pour une nette distinction entre l’obligation de restitution et l’obligation qui incombe au déposi-taire salarié : Gand, 2 novembre 1994, A.J.T., 1994-1995, p. 367, note B. CATOIR ; Civ. Louvain, 6 juin1994, Pas., 1994, III, 6 ; R.G.D.C., 1995, p. 413 ; Comm. Hasselt, 20 novembre 1996, Limb. Rechts, 1997,113 qui précise toutefois à juste titre que le dépositaire doit prouver que les détériorations sont impu-tables à la force majeure, car l’obligation de résultat vaut en effet aussi bien en cas de perte totale qu’encas de détérioration. L’obligation de l’emprunteur de restituer la chose prêtée est bien entendu uneobligation de résultat : Mons, 23 avril 1992, Pas., 1993, II, 184.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

L’obligation de conservation impose en effet traditionnellement au débiteurde se conformer à une conduite diligente appréciée par référence au bonuspater familias.

La dissociation qui est ainsi effectuée entre l’obligation de restitution et l’obli-gation de conservation paraît bien artificielle. L’autonomie de l’une par rap-port à l’autre a été légitimement critiquée pour la simple raison qu’il n’estpossible de restituer que ce qui a été conservé (65).

Certes, l’on pourrait soutenir que l’obligation de restitution concernerait laremise matérielle de la chose en fin de contrat, dans l’état où elle se trouve à cemoment, alors que l’obligation de conservation consisterait à remettre la choseen bon état, mais la distinction est très théorique. En pratique, il paraît difficilede distinguer la simple dégradation d’une chose qui ne se trouve plus dansl’état où elle a été remise, d’une restitution partielle et donc nécessairementdéfectueuse : celui qui manque à son obligation de conservation manque dumême coup à son obligation de restitution (66).

On remarquera d’ailleurs que la plupart des textes du Code civil qui concer-nent directement ou indirectement une obligation de restitution (art. 1245 et1302 C. civ., art. 1884 pour le prêt à usage, 1933 pour le dépôt, 1732 pour lelouage de choses et 1789 pour le contrat d’entreprise) font tous référence à lafaute, celle qui consiste à ne pas avoir veillé correctement à la conservation dela chose.

24. — On a proposé de résoudre cette apparente contradiction en considérantque le débiteur qui ne restitue pas ou qui ne restitue que partiellement lachose est présumé en faute pour n’avoir pas fourni un résultat (la remise de lachose), tout en l’autorisant à s’exonérer s’il parvient à démontrer qu’il n’acommis aucune faute dans la conservation (67). Telle est la solution qui sem-ble ressortir de la jurisprudence belge en ce qui concerne l’obligation de res-titution du garagiste auquel on a confié un véhicule pour entretien ou répara-

(65) Voy. M. VAN QUICKENBORNE, « Réflexions sur le dommage purement contractuel », R.C.J.B., 1988, p. 353,n° 15 ; M.-L. MORANÇAIS-DEMEESTER, « La responsabilité des personnes obligées à restitution », R.T.D.civ.,1993, p. 758, n° 307.

(66) M.-L. MORANÇAIS-DEMEESTER, « La responsabilité des personnes obligées à restitution », p. 782, n° 50.(67) M.-L. MORANÇAIS-DEMEESTER, « La responsabilité des personnes obligées à restitution », R.T.D.Civ., 1993,

pp. 757-787.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

tion (68), l’obligation du teinturier auquel on a remis des vêtements ou d’autresobjets pour nettoyage (69), l’obligation du restaurateur ou de tout exploitantqui met à disposition de ses clients un vestiaire (70), ainsi que celle du photo-graphe auquel on a remis des films à développer (71). Bien entendu, le vol del’objet confié ne constitue pas en soi un cas de force majeure, sauf au débiteurà démontrer que ce vol est survenu sans sa faute (72). Si l’origine de la perteou de la détérioration reste inconnue (incendie, explosion …), l’absence defaute n’est pas pour autant démontrée. Le débiteur en supportera la charge.Dans ces conditions, l’absence de faute ne se distingue plus guère de la causeétrangère exonératoire.

En Belgique, le fait que le débiteur puisse s’exonérer en démontrant qu’il n’apas commis de faute n’est pas inconciliable avec l’obligation de résultat. Laresponsabilité contractuelle étant en règle une responsabilité subjective, il s’agi-rait même du régime général. Dans un souci de précision, on parlera dès lorsd’une obligation de résultat atténuée.

(68 ) Liège, 1er avril 1994, J.L.M.B., 1995, p. 603, note Bruxelles, 24 mai 1993, Dr. circ., 1993, p. 293 ; R.G.A.R.,1995, n° 12531 ; Liège, 4 juin 1993, J.L.M.B., 1995, p. 265, obs. P. HENRY, R.R.D., 1993, p. 399 ; Bruxelles,27 novembre 1989, Dr. circ., 1990, p. 316 ; Liège, 26 mai 1986, Jur. Liège, 1986, p. 540 ; Bruxelles, 13mars 1990, R.G.A.R., 1991, n° 11843 et 1993, n° 12081 ; Civ. Nivelles, 12 février 1991, R.G.D.C., 1992,p. 442 ; Comm. Bruxelles, 30 avril 1991, J.T., 1991, p. 723 ; Comm. Bruxelles, 18 décembre 1991,R.G.A.R., 1994, n° 12347 ; certaines décisions précisent à juste titre que le garagiste, chargé d’effectuerun entretien ou des réparations au véhicule de son client, n’assume, quant à la bonne exécution de cetentretien ou de ces réparations, qu’une obligation de moyens : Mons, 14 septembre 1995, R.G.A.R.,1997, n° 12734 ; pour une interprétation plus nuancée, selon laquelle, en cas de doute, la conventiondoit s’interpréter en faveur du garagiste : Civ. Bruxelles, 13 avril 1995, R.G.A.R., 1997, n° 12715.Tenu de l’obligaiton de restituer le véhicule qui lui a été confié, le garagiste ne peut dès lors seprévaloir du vol comme une cause étarngère libératoire, s’il n’a pas pris toutes les précautions néces-saires pour se prémunir contre ce risque : voy. Liège, 4 juin 1993, R.R.D., 1993, p. 395 ; J.L.M.B., 1995,p. 265 ; Liège, 17 novembre 1992, R.R.D., 1993, p. 249 ; Bruxelles, 13 mars 1990, R.G.A.R., 1993, n° 12081 ;Gand, 2 novembre 1994, A.J.T., 1994-1995, p. 367, note B. CATOIR ; Civ. Louvain, 6 juin 1994, Pas., 1994,III, 6 ; Liège, 1er avril 1994, J.L.M.B., 1995, p. 603, note.

(69) L’obligation pour le teinturier professionnel de restituer, sans la moindre détérioration un tapis à net-toyer est de résultat : Bruxelles, 9 mai 1990, R.G.A.R., 1992, n° 11926, obs. F.G.

(70) Voy. dans le cas d’un restaurateur, Liège, 17 novembre 1989, R.G.D.C., 1991, p. 256, note L. HOSTE etR.G.A.R., 1992, n° 11979, note L. HOSTE ; Civ. Liège, 9 octobre 1980, Jur. Liège, 1980, 333 ; l’organisateurd’une fête privée est, lui aussi, tenu au résultat quant à la restitution des vêtements : Gand, 27 mars1986, R.W., 1986-1987, 1151, note ; l’obligation pour la clinique de restituer les objets qui lui ont étéremis par la victime d’un accident ou un patient lors d’un examen médical est de résultat : Anvers, 17décembre 1990, R.G.A.R., 1993, n° 12236 ; J.P. Leuven, 27 décembre 1994, Rev. Dr. santé, 1995-1996,p. 67.

(71) J.P. Bruxelles, 2 mai 1989, J.J.P., 1989, p. 214 ; Civ. Louvain, 28 juin 1994, D.C.C.R., 1994-1995, 249 noteG. DEBERSAQUES ; Bruxelles, 9 octobre 1991, D.C.C.R., 1992-1993, p. 139, note R. DE WIT. Le photogra-phe supporte le risque de l’inexécution s’il ne peut invoquer aucune aucune étrangère exonératoire,même si aucune faute ne peut être établie dans son chef. Jugé également que le photographe quis’engage à réaliser un reportage vidéo asume aussi une obligation de résultat ; la circonstance que l’undes condensateurs de la caméra a fondu ne constitue pas un cas de force majeure : Civ. Furnes, 21novembre 1996, A.J.T., 1996-1997, p. 495, note PASCARIELLO.

(72) Outre les réf. citées ci-dessus à propos du garagiste, voy. en cas de vol d’un bien loué, Bruxelles, 2 juin1992, J.L.M.B., 1994, p. 354, note.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

La solution proposée devrait prévaloir, en l’absence de disposition légale im-pérative ou de convention contraire, pour toutes les obligations de restitutionindépendamment de la qualification du contrat en cause.

Ainsi, s’agissant d’un contrat de stationnement, il importe peu que l’opérationsoit qualifiée de location ou de dépôt salarié. Pourvu que l’on constate qu’il ya bien eu remise d’une chose, corps certain, qui a été préalablement confiéeau débiteur et qui en a reçu la pleine maîtrise, la responsabilité devrait êtredéterminée conformément au régime de l’obligation de restitution (73).

Par contre, le contrat de coffre fort par lequel un banquier met à la dispositionde son client un coffre destiné à recevoir des objets de valeur n’est pas néces-sairement soumis au même régime, car le client n’a pas exactement remis lachose déposée dans le coffre, entre les mains du banquier. Un contrat de cof-fre-fort implique l’obligation pour la banque de garder et de conserver soi-gneusement les coffres et leur contenu. Ce devoir n’impliquerait pas pourautant une obligation de résultat dans une mesure telle que la banque garanti-rait aux locataires que le contenu du coffre restera intact (74). Rien n’empê-che toutefois de considérer, sur la base d’un raisonnement différent, que l’obli-gation de surveillance, ici assumée par le banquier, est particulièrement stricteet doit donc être considérée comme une obligation de résultat. C’est la solu-tion retenue en France (75).

— Obligations d’entretien, de réparation, de surveillance, de vigilance

25. — À défaut de clause contraire, les obligations d’entretien ou de réparation,de surveillance ou de vigilance, sont généralement considérées, en jurispru-dence belge, comme des obligations de moyens.

À un degré supérieur de généralité, il est permis de penser que la plupart desobligations de faire relatives à une prestation de service à effectuer ou à untravail à fournir sont en principe des obligations de moyens (76). Il faut toute-fois se garder des généralisations hâtives. En l’absence de disposition légale, ilconvient en effet de se référer à la volonté des parties ainsi qu’au caractèreplus ou moins aléatoire du résultat escompté. Il est vrai que la jurisprudencene fait pas toujours preuve d’une grande rigueur dans cette analyse, s’agissantdes entreprises de construction.

Jugé par exemple que l’entrepreneur spécialisé qui a en mains tous les aspectsde la conception et de la réalisation et qui s’engage à poser un parquet dans un

(73) Voy. Liège, 12 avril 1995, R.G.A.R., 1997, n° 12737, qui analyse le contrat comme un dépôt salarié. « Laprésence d’un préposé à l’entrée du parking et la clôture de celui-ci, sont de nature à faire légitimementcroire aux utilisateurs que le parking est bien surveillé et gardé ».

(74) Comm. Louvain, 16 mai 1995, D.A.O.R., 1994-1995, 97, note BALLON.(75) M.-L. MORANÇAIS-DEMEESTER, op. cit., p. 785, n° 55.(76) En ce sens, Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1495.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

bâtiment nouveau, suivant une technique totalement maîtrisée, est tenu aurésultat (77). Le contrat portant sur le traitement des murs contre l’humiditéascensionnelle comporte une obligation de résultat (78). Il en va ainsi égale-ment de l’obligation de l’entrepreneur général d’isoler parfaitement l’immeu-ble (79), comme de celle du sous-traitant de rendre un toit étanche (80). Parcontre, sans qu’on aperçoive clairement les raisons de cette différence, l’obli-gation de l’entrepreneur de réaliser des travaux d’assèchement (81) ainsi quel’obligation du fournisseur de serrures de haute sécurité ont été tenues pourdes obligations de moyens (82).

L’obligation d’installer un système d’alarme se déclenchant effectivement lorsde l’intrusion d’un voleur est considérée en France comme une obligation derésultat. On ne pourrait en effet admettre que le créancier a accepté de sup-porter le moindre aléa dans l’obtention du résultat. La technique mise en œu-vre par l’entrepreneur doit permettre d’atteindre le but légitimement attendupar le créancier (83). En Belgique, la cour d’appel d’Anvers a considéré aucontraire qu’un tel contrat ne faisait naître qu’une obligation de moyens (84).

Le garagiste assume, nous l’avons dit, une obligation de résultat quant à larestitution de ce véhicule, mais une obligation de moyens quant à la répara-tion du véhicule confié (85). De même, le teinturier assume une obligation derésultat quant à la restitution du vêtement dans l’état où il a été reçu, mais uneobligation de moyens quant au nettoyage de ce vêtement (86).

26. — Les obligations qui consistent dans la surveillance d’autrui sont trèsgénéralement considérées comme des obligations de moyens. Il en va ainsi del’obligation de vigilance mise à charge des moniteurs d’un club de vacancesou des chefs scouts pendant un dropping nocturne (87). La solution s’expli-que sans doute par le rôle actif que les bénéficiaires de ces activités conser-vent dans l’accomplissement de la prestation. Cette intervention enlève audébiteur la pleine maîtrise de l’exécution du contrat.

(77) Comm. Charleroi, 29 septembre 1992, J.L.M.B., 1993, p. 1316.(78) Comm. Bruxelles, 6 décembre 1993, Entr. et Dr., 1994, p. 71.(79) Gand, 17 octobre 1986, Entr. et Dr., 1986, p. 215.(80) Comm. Bruxelles, 26 avril 1991, Entr. et Dr., 1992, p. 157.(81) Comm. Gand, 28 septembre 1992, Entr. et Dr., 1993, p. 143.(82) Bruxelles, 13 mai 1992, R.G.A.R., 1993, n° 12185, obs. J.-L. FAGNART.(83) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, n° 1498 et les réf. citées.(84) Anvers, 24 avril 1990, Bull. Ass., 1990, p. 467, note E. DENOËL.(85) Les décisions suivantes opèrent clairement la distinction : Mons, 14 septembre 1995, R.G.A.R., 1997, n°

12734 ; Civ. Bruxelles, 13 avril 1995, R.G.A.R., 1997, n° 12715. Le dépanneur est, lui aussi, tenu d’uneobligation de moyens quant à la bonne exécution de la réparation : Civ. Louvain, 4 novembre 1987,R.G.D.C., 1988, p. 493. L’âge du véhicule et son kilométrage accroît bien entendu l’aléa inhérent àl’exécution de cette obligation.

(86) J.P. Gand, 15 avril 1991, J.J.P., 1992, 139.(87) En ce sens, Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1496.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

De même, la personne qui fait profession de garder des enfants en bas âgeassume contractuellement une obligation de soins et de surveillance à l’égarddes parents qui, à défaut de disposition légale ou conventionnelle en sens con-traire, est constitutive d’une obligation de moyens (88). Il lui appartient defaire toute diligence afin de pouvoir remettre l’enfant à ses parents en bonnesanté et indemne, à l’expiration du terme fixé (89).

L’obligation de surveillance qui incombe à une institution psychiatrique est demoyens, car les méthodes actuelles de traitement des malades mentaux sontincompatibles avec des mesures de surveillance trop strictes (90). Il en va demême de l’obligation de surveillance qui incombe aux membres du personneldes établissements hospitaliers (91) et de celle qui pèse sur une société desurveillance et de sécurité (92).

— Obligations d’information de renseignement ou de conseil

27. — Les obligations d’information se sont multipliées parallèlement au ren-forcement des exigences de bonne foi dans la formation et l’exécution ducontrat. Le débiteur d’une telle obligation doit en principe prévenir son parte-naire des risques et avantages de la mesure ou de l’acte envisagé. N’ayant pas àprendre parti, ni à diriger son partenaire, il peut se contenter de l’éclairer enlui fournissant toutes les informations nécessaires afin que son choix puisseêtre effectué en connaissance de cause (93).

L’obligation de conseil est plus exigeante : elle contraint le débiteur à accomplircertaines recherches, à faire des démarches, voire à procéder à des études envue d’indiquer à son client la voie qui lui paraît la meilleure (94). Comme il aété judicieusement observé, « le conseil correspond à la mise en relation durenseignement brut avec l’objectif poursuivi par le créancier de l’obligationd’information » (95). En pratique, il n’est pas toujours aisé de distinguer l’obli-

(88) Civ. Liège, 12 mars 1979, R.G.A.R., 1980, n° 10.223 ; Bruxelles, 12 décembre 1995, R.G.A.R., 1998,n° 12912.

(89) Sur cette question, voy. A. CATHELINEAU, « La responsabilité des assistantes maternelles : apparence etréalité », Resp. civ. et ass., avril 1998, chron., n° 8.

(90) Civ. Hasselt, 7 avril 1986, R.W., 1986-1987, 1757, note T. VANSWEEVELT ; Civ. Tongres, 2 septembre 1991,Limb. Rechtsl., 1993, p. 217 ; J.P. eeklo, 12 janvier 1995, T.G.R., 1995, 171.

(91) Liège, 23 septembre 1988, J.T., 1989, p. 217 ; Civ. Namur, 29 février 1988, R.R.D., 1988, p. 270.(92) Bruxelles, 10 novembre 1988, J.T., 1989, p. 77 ; comp. Civ. Bruxelles, 8 mars 1993, J.T., 1993, p. 761 :

l’obligation qui s’impose aux communes et à la STIB de veiller à la sécurité dans les stations de métron’est pas de résultat, mais de moyens.

(93) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1563-1566 ; G. VINEY et P. JOURDAIN,Traité, n° 502 et ss.

(94) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1572.(95) M. FABRE-MAGNAN, De l’obligation d’information dans les contrats, Essai d’une théorie, Paris, L.G.D.J.,

1992, n° 471.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

gation de conseil de l’obligation de renseignement, car leur contenu varie enfonction des circonstances (96).

Le classement de ces obligations dans l’une des catégories envisagées ici at-teste à tout le moins de l’insuffisance ou de l’ambiguïté des critères gé-néralement acceptés pour distinguer les obligations de moyens et de résultat.

Comme l’efficacité du conseil échappe au pouvoir du donneur de conseil, onserait tenté d’y voir une obligation de moyens. Le contenu de l’obligation derenseignement peut en effet varier en fonction de la personne à laquelle il estdestiné, selon qu’elle exerce ou non une activité professionnelle. L’interven-tion du cocontractant dans la définition de l’information qui lui est nécessairejustifie, elle aussi, la qualification d’obligation de moyens (97).

D’un autre côté, l’on pourrait faire valoir que fournir un conseil ou une infor-mation est une prestation parfaitement déterminée, en sorte que l’obligationdevrait être de résultat. L’aptitude à la preuve plus importante pour le débiteurque pour le créancier ferait également pencher la balance dans le sens decette qualification.

Il semble difficile de proposer une solution de principe. L’intensité de cesobligations varie en fonction de leur caractère principal ou accessoire, du typed’information à fournir et de la participation du cocontractant au conseil ou àl’information qui doit être donnée.

Une préférence devrait néanmoins être donnée pour l’obligation de moyens (98).L’affirmation selon laquelle l’obligation d’informer serait une prestation pré-cise et déterminée n’a de pertinence qu’en l’absence d’information, c’est-à-dire en cas d’inexécution totale. Or, l’information ne doit pas seulement êtrefournie, elle doit aussi être claire, loyale et intelligible pour son destinataire, cequi fait renaître l’aléa. L’on ne peut isoler artificiellement ces deux aspects del’obligation.

28. — La situation du médecin au regard de l’obligation d’information mériteune attention particulière. On sait que le médecin doit en principe informer lepatient afin d’obtenir son consentement libre et éclairé au traitement ou àl’opération envisagée.

(96) G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 502.(97) Civ. Bruxelles, 27 mai 1991, Dr. inform., 1992, 61, note E. MONTERO : en raison de l’aléa et de la

nécessaire participation active du client, les obligations principales qui découlent d’un contrat deconseil en informatique ne peuvent têtre que de moyens.

(98) Voy. les réf. Citées ci-dessus concernant l’avocat, le notaire, le courtier, le gestionnaire de fortune et lecurateur. Adde dans le cas d’un secrétariat social donnant des conseils en matière de législation sociale,dans le sens d’une obligation de moyens : Bruxelles, 1er juin 1979, Pas., 1979, II, 120 ; J.T., 1979, p. 299.L’obligation de la banque lorsqu’elle fournit des renseignements commerciaux est aussi de moyens. Labanque doit vérifier les informations qu’elle donne ou sur lesquelles elle se fonde : Anvers, 2 mai 1995,R.W., 1996-1997, 302 ; Comm. Bruxelles, 3 mai 1996, R.D.C., 1996, p. 1107, note J.-P. BUYLE et X. THUNIS.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Selon une partie de la doctrine et de la jurispruence, l’obligation d’obtenir leconsentement du patient serait une obligation de résultat, car elle ne souffri-rait aucun aléa (99) Il appartiendrait donc au médecin de démontrer qu’il aobtenu l’accord de son patient, tout en supportant le risque que cette preuvene soit pas rapportée. On ajoute que l’obligation d’information pourrait, quantà elle, être considérée comme une obligation de moyens, en raison sans doutede l’indétermination relative du contenu de l’obligation.

La solution ne convainc guère. D’une part, la dissociation entre l’obligationd’obtenir le consentement et l’obligation d’information est aussi factice quecelle qui consiste à distinguer l’obligation de restitution et l’obligation de con-servation. Il est clair en effet que l’obtention du consentement est directementliée à la qualité et à la clarté de l’information donnée, celle-ci étant elle-mêmetributaire de la nature de l’opération envisagée et de la capacité d’entende-ment de la victime. On remarquera en outre que le contenu même de l’obliga-tion d’information reste discuté. Certains considèrent en effet qu’elle ne s’étendqu’aux risques normaux et prévisibles (100).

Plus fondamentalement encore, il n’est pas certain que la distinction entreobligation de résultat et obligation de moyens soit parfaitement appropriéepour qualifier une prestation préalable à la formation du contrat et qui estdonc étrangère à son exécution. N’est-ce pas faire de la culpa in contrahendo,traditionnellement fondée sur l’article 1382 du Code civil, une faute présu-mée ? En outre, à supposer que la qualification d’obligation de résultat soitlégitime, on peut douter qu’elle suffise à justifier les conséquences qu’on endéduit sous l’angle de la charge de la preuve. Même dans cette hypothèse, ilappartiendrait en principe au créancier (le patient) de prouver que le résultat(le consentement) n’a pas été obtenu (101).

On sait cependant que la Cour de cassation française a décidé, par un arrêt du25 février 1997, qu’il incombe au médecin, comme à tous ceux qui sont léga-lement ou contractuellement tenus d’une obligation particulière d’informa-tion de rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation (102). À notreconnaissance, la Cour de cassation belge ne s’est pas encore prononcée sur laquestion, mais certaines juridictions de fond ont suivi la même voie, sans affir-

(99) I. CORBISIER, « Pouvoirs et transparence de la relation thérapeutique », R.G.A.R., 1990, n° 11682 ; M. DEL

CARRIL, « Le consentement du malade dans le cadre du contrat médical », R.G.A.R., 1966, n° 7677 ; P.ARNOU, « De stafrechterlijke immuniteit van de medicus Grondslag en grenzen », Jur. Falc., 1979-1980,p. 432.

(100) Sur l’ensemble de la question, voy. T. VANSWEEVELT, « La responsabilité civile du médecin et de l’hôpital »,Maklu/Bruylant, 1996, p. 207, n° 322 et suiv., qui préfère la notion de « risques significatifs ».

(101) Voy. en ce sens T. VANSWEEVELT, op. cit., p. 223, n° 346.(102) Cass. fr. civ. (1ère ch.), 25 février 1997, Bull. civ., I, n° 75 ; R.T.D.Civ., 1997, p. 434, obs. P. JOURDAIN. Cette

décision a été rendue sur le fondement de l’article 1315 du Code civil relatif au fardeau de la preuve,sans aucune référence à la distinction des obligations selon leur intensité.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

mer pour autant que l’obligation est de résultat (103). C’est sans doute l’apti-tude à la preuve qui justifie la solution.

b) Les obligations de sécurité

29. — L’obligation de sécurité inscrit clairement le contrat dans une fonctionde réparation des dommages injustement causés à autrui (104). Elle est signifi-cative de la tendance actuelle de la jurisprudence à déduire du contrat desobligations accessoires et implicites, quitte à l’affubler ainsi d’une fonction quine lui revient pas naturellement (105). Nous ne parlons pas ici des contratsdont l’objet principal concerne l’intégrité physique du cocontractant (contratde soins), mais de ceux qui accessoirement obligent le débiteur à ne pas por-ter injustement atteinte à la personne d’autrui, voire aux biens qui lui appar-tiennent.

Josserand avait compris dès l’origine que la naissance des obligations contrac-tuelles de sécurité conduirait à un gonflement artificiel du contrat, à une mul-tiplication des conflits de frontières entre les deux ordres de responsabilité et,dans l’hypothèse d’une prohibition radicale du cumul, à un refoulement de laresponsabilité délictuelle. Elle traduit en réalité un simple transvasement dansle contrat d’une obligation de nature extra-contractuelle et constitue par con-séquent un faux enrichissement du contrat (106).

30. — On sait qu’en France, l’on a eu tout d’abord recours à l’obligation desécurité afin de permettre plus aisément la réparation des dommages subispar les voyageurs au cours de l’exécution du contrat de transport (107). Dèsl’origine, cette obligation a été considérée comme une obligation de résultat.Encore aujourd’hui, cette qualification peut être justifiée par le fait que le dé-placement des personnes et des choses dans de bonnes conditions est techni-quement réalisable et que le passager est donc légitimement en droit de s’at-tendre à ce que sa personne et ses biens soient menés à bon port (108). Le

(103) Civ. Courtrai, 3 janvier 1989, R.W., 1988-1989, 1171 , note ; Bruxelles, 7 avril 1992, R.G.A.R., 1994, n°12250 ; Liège, 30 avril 1998, inédit, RG n° 1996/RG/65 : la cour précise cependant, à juste titre à notreavis, que l’obligation de recueillir l’assentiment du malade ne découle pas du contrat, mais est imposéepar le respect de la personne humaine. « Le médecin qui est légalement et contractuellement tenu del’obligation d’informer puis d’obtenir le consentement libre et éclairé de son patient, a la charge deprouver l’exécution de cette obligation. » ; contra Anvers, 15 juin 1994, p. 358, note J. TERHEERDT.

(104) Voy. notamment Y. LAMBERT-FAIVRE, « Fondement et régime de l’obligation de sécurité », Dall., 1994,Chron., 81 ; P. JOURDAIN, « L’obligation de sécurité (à propos de quelques arrêts récents) », Gaz. Pal.,1993 (2e sem.), 1171.

(105) Ph. REMY, R.T.D.Civ., 1997, p. 336, n° 16.(106) JOSSERAND, L’essor moderne du concept contractuel, Rec. d’études sur les sources du droit en l’honneur de

F. Gény, t. II, p. 333 ; cité par Ph. REMY, op. cit., p. 338, n° 19.(107) Cass. fr. civ., 21 novembre 1911, S., 1912, I, 73, note LYON-CAEN ; D., 1913, I, 249, note SARRUT.(108) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1534.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

résultat étant généralement obtenu par une utilisation normale des moyens, letransporteur sera présumé responsable en cas d’inexécution. Telle était la solu-tion qui avait été retenue en Belgique dès l’adoption de la loi du 25 août 1891portant révision du titre du Code de commerce concernant les contrats detransport (109).

Il faut noter cependant que la création des obligations de sécurité répondaitalors à des considérations d’opportunité. Avant le développement remarqua-ble de la responsabilité du fait des choses, il s’agissait en effet de faire bénéfi-cier la victime du régime probatoire particulièrement favorable propre auxobligations de résultat, régime dont elle n’aurait pu profiter sur le terrain quasi-délictuel où la preuve de la faute était de mise (110).

Une fois reconnu en France, le principe général de responsabilité du fait deschoses dont on a la garde, la prohibition stricte du cumul des responsabilités aeu pour effet pervers d’interdire à la victime, créancière d’une obligation con-tractuelle de sécurité, d’invoquer le bénéfice de cette responsabilité de pleindroit (111).

C’est à partir de ce moment, qu’on note un certain reflux des obligations desécurité dans ce pays. Ce n’est pas que celles-ci disparaissent complètementdu paysage contractuel, mais lorsqu’elles existent, elles sont généralement te-nues pour des obligations de moyens. Par ailleurs, afin de retrouver le régimedélictuel, la jurisprudence a eu tendance à enfermer l’obligation de sécurité dansle cadre strict de l’exécution du contrat. On dira par exemple que l’obligation desécurité du transporteur, qui reste une obligation de résultat, n’existe qu’à par-tir du moment où le voyageur commence à monter dans le véhicule et jus-qu’au moment où il achève d’en descendre. L’accident qui surviendrait avantou après est soumis aux règles de la responsabilité civile quasi-délictuelle (112).

(109) Voy. en ce qui concerne le contrat de transport de personnes Bruxelles, 5 décembre 1979, R.W., 1980-1981, col. 392 ; J.P. Jumet, 3 janvier 1995, J.L.M.B., 1996, 196 ; voy. également en cas de chute d’unpassager ayant glissé dans un tramway sur un fruit écrasé : Anvers, 9 décembre 1987, R.G.D.C., 1990,p. 444, note R. DE WIT. Aucune faute ne pouvant être imputée au transporteur, la Cour admet le cumulavec l’article 1384, alinéa 1er C. civ. L’obligation de transport assumée par l’exploitant d’un serviced’ambulance est, elle aussi, de résultat : Anvers, 6 décembre 1977, R.W., 1977-1978, col. 1892, obs. Cequi vaut pour le transport de personnes vaut aussi pour le transport de marchandises : voy. Bruxelles,23 mai 1976, J.C.B., 1977, 542, en ce qui concerne la société des chemins de fer ; J.P. Liège, 20 février1987, J.L.M.B., 1987, p. 1549, obs., pour le déménageur de meubles ; Liège, 28 octobre 1994, J.L.M.B.,1996, p. 171, pour le commissionnaire de transport.

(110) Ph. REMY, op. cit., p. 337, n° 17.(111) Sur cette évolution, voy. notamment Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996,

n° 1505 ; P. JOURDAIN, « L’obligation de sécurité … », Gaz. Pal., 1993 (2e sem.), p. 1172.(112) Cass. fr. civ., 7 mars 1989, Bull. Cass., I, n° 18 ; Resp. civ. et ass., 1989, comm. N° 200, chr., n° 16 ;

R.T.D.Civ., 1989, 548, obs. P. JOURDAIN ; C. MASCALA, « Accidents de gare : le déraillement de l’obligationde sécurité », Dall., 1991, chron., 80.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

De même, on considérera que la responsabilité de l’exploitant d’un cabinetmédical est de nature extra-contractuelle, lorsque l’accident survient dans lehall d’accueil, car le contrat médical se limite à la consultation et aux soins (113).

Il n’en demeure pas moins que l’obligation contractuelle de sécurité ne pré-sente d’intérêt pour la victime que si elle est conçue comme une obligation derésultat et même comme une obligation de résultat renforcée, où la seule exo-nération admise résulte de la cause étrangère et non simplement de l’absencede faute (114).

31. — D’emblée, il faut constater que la jurisprudence belge a fait un usagenettement plus modéré de l’obligation de sécurité. C’est que la question neprésente pas le même intérêt en France qu’en Belgique, vu les règles différen-tes qui régissent le cumul (115). Quand elle est évoquée, la question ne seprésente pas tant sous l’angle de son autonomie par rapport au contrat quesous l’angle de son appartenance à la catégorie des obligations de moyens oude résultat (116). S’agissant de la violation d’une obligation de sécurité, lesdisparités de traitement entre les victimes ne sont pas particulièrement à crain-dre, puisque la Cour de cassation admet libéralement le cumul lorsque le faitdommageable est susceptible d’être qualifié pénalement (117). Qu’elle soit ounon dans les liens d’un contrat, la victime pourra choisir le régime qui luiparaît le plus favorable.

Du côté du contrat, il reste que la reconnaissance d’une obligation de résultatpermet au juge d’aggraver sensiblement la responsabilité du débiteur, spécia-lement lorsqu’il est un professionnel, au prix d’une motivation souvent for-melle. La jurisprudence belge paraît cependant soucieuse de ne pas créer dediscrimination dans le traitement des victimes d’un même dommage, selonqu’elles choisissent de fonder leur action sur le terrain contractuel ou extra-contractuel. C’est sans doute la raison pour laquelle la tendance majoritaire dela jurisprudence est de ranger les obligations de sécurité parmi les obligationsde moyens sans les exclure pour autant du champ contractuel.

(113) Cass. fr. civ., 10 janvier 1990, Resp. civ. et ass., 1990, comm., n° 112 ; R.T.D.Civ., 1990, p. 481, obs. P.JOURDAIN.

(114) P. JOURDAIN, op. cit., Gaz. Pal., 25 septembre 1993 (2e sem.), p. 1175 ; H. GROUTEL, « Obligations desécurité et responsabilité du fait des choses : enfin », Resp. civ. et ass., 1995, n° 4, Chron. 16.

(115) Voy. sur l’obligation de sécurité en droit belge et en droit français, G. SCHAMPS, La mise en danger : unconcept fondateur d’un principe général de responsabilité, Bruylant/L.G.D.J., 1998, n° 141 à 194.

(116) P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, p. 519, n° 54.(117) Cass., 26 octobre 1990, Pas., 1991, I, 216 ; R.C.J.B., 1992, p. 497, note R.O. DALCQ ; cette jurisprudence

est largement suivie par les juges du fond : Civ. Turnhout, 9 septembre 1994, Rev. dr. santé, 1996-1997,p. 200 ; Comm. Anvers, 22 juin 1992, Dr. eur. transp., 1994, p. 74.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Ont ainsi été qualifiées d’obligations de moyens, l’obligation de sécurité assu-mée par les grands magasins à l’égard de leurs clients (118), celle assumée parun salon de beauté qui exploite des bancs solaires (119), ou par un salon-lavoirqui met des machines à disposition des clients (120), de même que celle del’organisateur d’une colonie de vacances pour enfants (121) ou d’une compé-tition automobile de vitesse (122), ou encore du garagiste qui laisse approcherun client trop près du compresseur (123).

En revanche, l’obligation de sécurité qui repose sur l’exploitant d’un établissementforain (124), d’un parc d’attraction (125) ou d’un établissement thermal à l’égarddes pensionnaires qui fréquentent la piscine (126), ont été considérées commedes obligations de résultat. Il en a été de même pour l’exploitant d’un restau-rant en ce qui concerne l’obligation de ne servir que des produits sains etcomestibles (127), et pour une firme d’entretien d’ascenseurs (128).

32. — Indépendamment de l’intérêt que la victime peut trouver dans cettesolution, la qualification de l’obligation de sécurité comme obligation de résul-tat ne peut être automatique. Contrairement à Mme Lambert-Faivre, nous nepensons pas que l’obligation de sécurité soit par nature une obligation déter-minée, l’objet de l’obligation étant la sécurité due en tout état de cause (129).Ce raisonnement qui repose sur la conviction que la victime n’accepte jamaisle moindre aléa quand il s’agit de sa propre sécurité s’éloigne considérable-ment des critères traditionnels de l’obligation de résultat.

La solution ne peut en effet dépendre exclusivement d’une analyse des at-tentes particulières de la victime ni d’une politique du souhaitable. Encorefaut-il se demander si ces attentes sont légitimes et si elles sont entrées dans lechamp contractuel, en sorte que l’on peut présumer que le débiteur a accepté

(118) Civ. Liège, 8 janvier 1968, Jur. Liège, 1967-1968, p. 181.(119) Civ. Tournai, 27 juin 1986, J.L.M.B., 1987, p. 463, rapporté par R.O. DALCQ et G. SCHAMPS, « Examen »,

R.C.J.B., 1995, p. 596, qui estiment cependant qu’il y aurait une obligation de résultat à ne pas dépasserles doses prévues.

(120) Civ. Tournai, 30 octobre 1968, R.G.A.R., 1968, n° 8193.(121) Gand, 20 janvier 1972, R.W., 1972-1973, col. 1013.(122) Bruxelles, 6 décembre 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11825.(123) Civ. Hasselt, 13 novembre 1995, Bull. Ass., 1997, p. 317.(124) Mons, 30 novembre 1987, R.R.D., 1988, 157.(125) Civ. Nivelles, 22 mars 1993, R.G.D.C., 1993, p. 488 : une embarcation s’était bloquée inopinément sur

la rivière sauvage.(126) Civ. Bruxelles, 6 novembre 1990, R.G.A.R., 1993, n° 12140 : un pensionnaire avait glissé aux abords de

la piscine.(127) Comm. Bruxelles, 25 avril 1983, J.T., 1984, 313.(128) Gand, 8 mars 1983, R.W., 1985-1986, col. 321 ; Gand, 15 mai 1995, Entr. et Dr., 1996, p. 369, note L.

TEINTENIER.(129) Y. LAMBERT-FAIVRE, op. cit., Dall., 1994, chron., p. 84.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

de prendre les aléas en charge. C’est ce qui permet de justifier sans doute quel’exploitant d’un manège ou d’un parc d’attraction soit tenu à un résultat.

Par ailleurs, si l’on ne peut empêcher les tribunaux de « découvrir » des obliga-tions implicites de sécurité dans les contrats nommés ou innommés, il con-viendrait de restreindre leur domaine aux contrats dont l’exécution présenteun risque sérieux d’atteinte à la personne ou aux biens auxquels les tiers nesont pas normalement exposés. Comme le préconise Patrice Jourdain, un lienétroit doit exister entre les prestations promises et les risques d’atteinte à lasécurité du créancier (130).

Ce lien existe assurément dans l’hypothèse du contrat de transport. Il est beau-coup plus ténu lorsque l’accident survient dans les installations de l’exploi-tant, sans qu’il puisse être rattaché à l’exécution de l’une des prestations es-sentielles du contrat (chute sur un sol glissant, chute dans les escaliers, …).Dans ces hypothèses, les règles de la responsabilité extra-contractuelle devraientreprendre leur empire, ne fût-ce que pour permettre à la victime de bénéficierde la responsabilité de plein droit du gardien de la chose fondée sur l’arti-cle 1384, alinéa 1er du Code civil.

33. — En conclusion, il faut résister à la tentation de dégager des obligationsde sécurité implicites et accessoires des contrats de toute nature et d’en fairesystématiquement des obligations de résultat. Une telle solution risque d’in-troduire une discrimination injustifiable entre les victimes d’un même dom-mage, selon qu’elles sont ou non dans les liens d’un contrat. Elle ne peut êtreretenue que lorsque l’exécution des prestations essentielles du contrat ex-pose le débiteur à un risque particulier d’atteinte à sa personne ou à ses autresbiens.

Avec Philippe Remy, il faut se demander s’il n’est pas artificiel de faire entrerdans le contrat une obligation que l’une des parties n’a certainement pas en-tendu assumer et, plus encore, de transformer en une obligation contractuelle,le devoir général de ne pas nuire à la personne d’autrui (131). Une telle obliga-tion constitue en réalité, comme le constate Melle Viney « une norme géné-rale de comportement qui existe en dehors de tout contrat » (132), étrangèreaux avantages spécialement recherchés par les parties contractantes.

Sauf dans les cas où le contrat comporte des prestations essentielles dont l’exé-cution crée un risque particulier pour la personne créancier, certains auteurs

(130) P. JOURDAIN, op. cit., Gaz. Pal., 1993 (2e sem.), p. 1172 ; dans le même sens, G. VINEY et P. JOURDAIN,Traité, 1998, n° 501.

(131) Ph. REMY, R.T.D.civ., 1997, op. cit., p. 332, n° 12.(132) G. VINEY, Introduction à la responsabilité, 2e éd., n° 56 et ss.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

proposent de dépouiller le contrat de sa fonction de réparation en le débarras-sant de l’obligation de sécurité (133). Plutôt que de « décontractualiser » l’obli-gation de sécurité, la Cour de cassation belge préfère, semble-t-il, ouvrir large-ment l’option entre les deux ordres de responsabilité lorsque le manquementse solde par une atteinte à l’intégrité physique ou à des biens qui ne font pasl’objet du contrat (voy. infra).

2. Le lien de causalité et le dommage

34. — Le rapprochement entre la responsabilité contractuelle et extra-con-tractuelle, déjà noté ci-dessus sous l’angle de la faute, peut être observé égale-ment en ce qui concerne le lien causal et le dommage. Certes, la lecture desarticles 1150 et 1151 du Code civil laisse croire à une spécificité de la respon-sabilité contractuelle, mais ces dispositions ont progressivement perdu leursignification en droit belge, au prix d’une interprétation qui semble difficile-ment conciliable avec leur contenu. En réalité, cet effacement s’inscrit logi-quement dans la conception d’une responsabilité contractuelle dont la princi-pale fonction serait de réparer les dommages injustement causés à autrui.

Selon l’interprétation qui prévaut en droit belge, lorsqu’il affirme que les dom-mages et intérêts ne doivent comprendre à l’égard de la perte éprouvée par lecréancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate etdirecte de l’inexécution, l’article 1151 ne ferait que rappeler les conditionstraditionnelles permettant d’apprécier le lien de cause à effet entre la faute etle dommage en matière extra-contractuelle. Il ne faudrait pas y voir une limita-tion propre à la responsabilité contractuelle (a). Lorsqu’il indique que le débi-teur n’est en principe tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévusou qu’on a pu prévoir lors du contrat, l’article 1150 ne formulerait qu’unecondition d’imputabilité qui se retrouve également en matière extra-contrac-tuelle (b).

a) Le dommage indirect (art. 1151 C. civ.)

35. — Bien que la Cour de cassation ait tout d’abord refusé de voir dans l’arti-cle 1151 du Code civil, un principe général applicable aussi bien à la responsa-bilité aquilienne que contractuelle, elle est ensuite revenue sur cette posi-tion (134).

(133) Ph. REMY, op. cit., R.T.D.civ., 1997, p. 355, n° 47 ; P. JOURDAIN, op. cit., Gaz. Pal., 1993 (2e sem.), p. 1175 ;Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1560 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité,1998, n° 501.

(134) Cass., 3 mai 1861, Pas., 1861, I, 397 ; Cass., 13 juin 1932, Pas., 1932, I, 189 ; Cass., 3 janvier 1933, Pas.,1933, I, 81 ; Cass., 2 avril 1936, Pas., 1936, I, 209.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Tout en rappelant qu’en matière contractuelle « les dommages et intérêts dusau créancier ne doivent comprendre que ce qui est une suite immédiate etdirecte de l’inexécution », la Cour précise en effet dans un arrêt du 24 juin1977 qu’il faut entendre par là « une suite nécessaire de l’inexécution de laconvention » (135). Cette précision, qui ne se trouvait pas dans ses arrêts anté-rieurs du 3 mai 1957 (136) et du 17 octobre 1968 (137), a été rappelée dansun arrêt du 9 mai 1986 (138)

La plupart des commentateurs ont compris ces termes comme une référence,implicite mais certaine, aux critères utilisés en matière quasi-délictuelle pourcaractériser le lien de causalité entre la faute et le dommage, c’est-à-dire commeun renvoi à la théorie de l’équivalence des conditions (139). Le dommage subipar le créancier, victime de l’inexécution, sera réparable si le manquementimputable au débiteur est bien la condition sine qua non de ce dommage,c’est-à-dire si le dommage ne se serait pas produit, ou à tout le moins, ne seserait pas produit de la même façon, si la faute n’avait pas été commise.

Des dommages et intérêts du chef d’inexécution d’une obligation seront doncégalement dus pour un dommage indirect causé par l’inexécution du contrat,pour autant que celui-ci se trouve dans une relation de causalité nécessaireavec la faute commise par le débiteur (140).

Cette solution, très difficilement conciliable avec le libellé de l’article 1151 (141),a été approuvée au motif qu’il serait inconcevable d’avoir recours à deux con-ceptions différentes de la causalité selon que la faute est contractuelle ouaquilienne (142). L’affirmation n’est correcte que si l’on accepte de reconnaî-tre à la responsabilité contractuelle une fonction exclusive de réparation desdommages, commandée par l’existence d’une faute.

36. — M. Van Ryn fut l’un des premiers à soutenir en Belgique que le lien decausalité en matière contractuelle supposait la constatation d’une relation né-cessaire de causalité entre la faute et le dommage, en sorte que tous les dom-

(135) Cass., 24 juin 1977, Pas., 1977, I, 1087.(136) Cass., 3 mai 1957, Pas., 1957, I, 1050.(137) Cass., 17 octobre 1968, Pas., 1969, I, 181.(138) Cass., 9 mai 1986, Pas., 1986, I, 1100 ; R.D.C., 1987, 413.(139) P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1986, pp. 219-220, n° 107 ; S. STIJNS, D. VAN GERVEN, P. WERY,

« Chronique », J.T., 1996, p. 726, n° 107 ; L. CORNELIS, « Le sort imprévisible du dommage prévisible »,R.C.J.B., 1990, p. 91, n° 12, qui considère cependant que cette interprétation est inconciliable avec letexte.

(140) Cass., 14 octobre 1985, Pas., 1986, I, 155 ; R.C.J.B., 1988, 341 et la note M. VAN QUICKENBORNE, « Ré-flexions sur le dommage purement contractuel ». Voy. également Mons, 24 septembre 1996, J.T., 1997,p. 216.

(141) Voy. la critique de L. CORNELIS, « Le sort imprévisible du dommage prévisible », R.C.J.B., 1990, p. 93,n° 13.

(142) P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1986, p. 219, n° 107.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

mages présentant un tel lien avec le manquement devaient être considéréscomme directs et immédiats, conformément au prescrit de l’article 1151 duCode civil (143). Selon lui, le dommage indirect est celui qui, en réalité, serattache à d’autres causes que l’inexécution et qui ne présente donc pas delien causal avec celle-ci..

Cette conception, qui a été clairement adoptée par la Cour de cassation belge,ne correspond probablement pas à l’intention des auteurs du Code civil qui,eux-mêmes, se sont inspirés de l’enseignement de Pothier (144). L’explicationde Pothier reposait en effet sur une distinction nette entre le dommage intrin-sèque et le dommage extrinsèque. Seul le dommage intrinsèque, c’est-à-direcelui qui affecte la chose ou la prestation faisant l’objet de l’obligation, devaiten principe être réparé (145).

Sous l’angle de la causalité, les exemples célèbres proposés par Pothier dé-montrent que le lien de causalité en matière contractuelle n’était pas appa-renté à la condition sine qua non, mais concernait surtout l’éloignement dudommage par rapport à l’inexécution initiale, spécialement lorsque le préju-dice dont la réparation était demandée trouvait sa source dans une autre causeque l’inexécution proprement dite (insolvabilité ou intervention personnelledu créancier dans la survenance du dommage …).

Quoi qu’il en soit, la thèse admise en Belgique se situe clairement dans lecourant unitaire, consistant à aligner les conditions de la responsabilité con-tractuelle sur celles de la responsabilité extra-contractuelle, et à effacer pro-gressivement les frontières séparant les deux ordres de la responsabilité (146).Toute distinction entre le dommage intrinsèque et le dommage extrinsèqueayant disparu, la spécificité de la responsabilité contractuelle n’apparaît plusdès lors que dans les conditions du cumul des responsabilités, lorsque celui-ciest précisément interdit (voy. à cet égard infra).

b) Le dommage imprévisible (art. 1150 C. civ.)

37. — « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont étéprévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par sondol que l’obligation n’est point exécutée ». À première lecture, la règle énon-cée par l’article 1150 crée une entorse sérieuse au principe de la réparationintégrale des dommages. Celui-ci ne paraît retrouver son empire en matièrecontractuelle qu’en cas de dol.

(143) J. VAN RYN, Responsabilité aquilienne et contrats, Paris, Sirey, 1933, 66-72, n° 51-56.(144) POTHIER, Traité des obligations, t. 1er, Paris, Debure, t. II, 162-164, n° 167.(145) Pour plus de détails sur la conception de Pothier, voy. L. CORNELIS, op. cit., p. 95, n° 13 et ss.(146) Comp. L. CORNELIS, op. cit., R.C.J.B., 1990, p. 96, n° 16.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Le principe d’unité ou de convergence a cependant contribué, ici aussi, à res-treindre considérablement la portée du texte jusqu’à un alignement quasimentparfait avec les règles de la responsabilité aquilienne (147).

Il est admis en effet que sous la réserve, devenue purement formelle, des arti-cles 1150 et 1151 du Code civil, les dommages et intérêts dus au créanciersont, conformément à l’article 1149, égaux à la perte qu’il a faite et au gaindont il a été privé et qu’ils doivent permettre de replacer le patrimoine ducréancier dans la même situation que si la perte résultant de l’inexécutionn’avait pas eu lieu. Le principe est donc bien celui de la réparation intégrale etin concreto du dommage (148).

Pour être réparable, le dommage qui résulte de l’inexécution du contrat doiten outre répondre aux mêmes conditions que lorsque le dommage résulted’un acte illicite (149). Le dommage doit donc être certain, ce qui n’exclut pasla réparation de la perte d’une chance, pourvu que celle-ci soit certaine etéconomiquement évaluable (150). À partir du moment où le contrat peut avoirpour objet de protéger le créancier contre des atteintes à sa personne ou à sesbiens, celui-ci peut revendiquer la réparation d’un dommage moral (151).

Comme en matière extra-contractuelle, le juge doit se placer au moment où ilstatue pour évaluer le dommage (152). La perte de valeur liée à une déprécia-tion monétaire échappe au domaine de l’article 1150, car, conformément auxrègles générales de réparation des dommages, la victime a droit à l’équivalentmonétaire du dommage subi, au jour de sa réparation (153).

(147) Voy. en doctrine, L. CORNELIS, « Le sort imprévisible du dommage prévisible », R.C.J.B., 1990, pp. 81-105 ; D.M. PHILIPPE, « À propos du dommage indirect et imprévisible et des clauses s’y rapportant »,R.D.A.I./I.B.L.J., 1995, p. 171.

(148) Cass., 27 juin 1974, Pas., 1974, I, 1128 ; Cass., 6 février 1975, Pas., 1975, I, 581 ; Cass., 9 mai 1986, Pas.,1986, I, 1100 ; R.D.C., 1987, 413 ; R.W., 1986-1987, 2699 ; Cass., 5 mars 1993, Pas., 1993, I, 251 ; Cass.,15 avril 1996, J.L.M.B., 1996, p. 1696 ; Liège, 13 juillet 1990, J.L.M.B., 1991, p. 1046 ; Entr. et Dr., 1993,p. 58, note M. A. FLAMME ; Liège, 10 janvier 1995, J.T., 1995, p. 367 ; Civ. Namur, 8 décembre 1994, Pas.,1994, III, 45 ; en cas de dégâts causés à des cables souterrains, le dommage réel consiste dans la pertede productivité de matériel et de personnel et dans les frais extraordinaires pour récupérer le retard surd’autres lignes.

(149) Alors que la question reste largement discutée en matière aquilienne, le tribunal de commerce de Ganda accepté d’inclure dans le montant de l’indemnité les honoraires dus à l’avocat par le créancier victimede l’inexécution (Comm. Gand, 4 novembre 1995, T.G.R., 1996, 51).

(150) Cass., 14 juillet 1955, Pas., 1955, I, 1253 ; Liège, 28 mars 1991, J.L.M.B., 1992, 77 ; Gand, 29 janvier 1993,R.W., 1993-1994, p. 23, note ; Civ. Bruxelles, 7 décembre 1993, A.J.T., 1994-1995, note B. DE TEMMERMAN.

(151) Bruxelles, 4 décembre 1987, J.L.M.B., 1989, 394 ; C.T. Mons, 16 novembre 1992, J.T.T., 1993, 251 ; Civ.Charleroi, 30 janvier 1990, J.T., 1990, 388.

(152) Cass., 1er avril 1943, Pas., 1943, I, 122 ; Cass., 27 juin 1974, Pas., 1974, I, 1128.(153) D.M. PHILIPPE, op. cit., p. 182 qui cite l’arrêt de la Cour de cassation française du 16 février 1954, Dall.,

1954, 534, note Rodière.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

38. — Reste à effacer la note discordante que l’article 1150 paraît introduiredans cette belle harmonie. Pour ce faire, la Cour de cassation belge a très tôtatténué la portée de cette disposition, en décidant que c’est le caractère ou lanature même du dommage qui doit être prévisible et pas nécessairement sonmontant ou son ampleur (154).

D’autres arrêts ont confirmé par la suite ce principe. « Pour que le débiteurpuisse être condamné du chef d’inexécution à réparer le dommage qui étaitprévu ou qui était prévisible lors du contrat, il n’est pas requis que l’éten-due du dommage soit déjà prévue ou puisse être prévue » (155).

Cette interprétation n’est pas celle qui a été retenue en France où la prévisibilitédu préjudice doit également s’étendre à sa quotité. Un arrêt de la Cour su-prême rendu en 1924 affirme en effet que « l’article 1150 ne fait aucuneallusion à la prévision de la cause du dommage et que loin de mettre à lacharge du débiteur de bonne foi des dommages et intérêts dont la quotitédépasserait ses prévisions, il déclare explicitement que, hors le cas du dol, ledébiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus lors ducontrat » (156).

39. — La solution belge s’autorise des enseignements de MM. Van Ryn et deDe Page. Selon le premier, il importe peu que la quotité du dommage ait dé-passé les prévisions des parties, pourvu que la nature du dommage ait étéprévisible (157)

De Page, quant à lui, emprunte tout d’abord à Pothier la distinction entre ledommage intrinsèque et extrinsèque, mais s’en écarte néanmoins quand ilconsidère comme un dommage intrinsèque toute conséquence dommageablerésultant de la non-obtention de l’objet du contrat. Procédant à un renverse-ment de l’ordre des articles 1150 et 1151, l’éminent auteur soutient en effetqu’à la différence du dommage indirect qui se situe d’emblée en dehors de laréparation faute de lien causal, les dommages prévus ou imprévus supposentau contraire, tous deux, la relation causale (158).

Pothier établissait au contraire une identité entre les dommages prévisibles etles dommages intrinsèques, c’est-à-dire ceux que « le créancier, par l’inexécu-tion de l’obligation pourrait souffrir par rapport à la chose même qui en aété l’objet et non ceux que l’inexécution de l’obligation lui a occasionnés

(154) Cass., 23 février 1928, Pas., 1928, I, 85.(155) Cass., 11 avril 1986, Pas., 1986, I, 986 ; R.W., 1986-1987, 1963 ; R.C.J.B., 1990, p. 85, note L. CORNELIS ;

Cass., 23 octobre 1987, Pas., 1988, I, 212 ; R.W., 1987-1988, 949 ; Mons, 20 juin 1990, Jur. Anv., 1992,77 ; Mons, 29 juin 1993, J.L.M.B., 1994, 61, obs. M. Vandermersche.

(156) Cass. fr. civ., 7 juillet 1924, S., 1925, I, 321, note Lescot.(157) J. VAN RYN, Responsabilité aquilienne et contrats, Paris, Sirey, 1933, 58, n° 43.(158) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, Bruxelles, Bruylant, 1967, 144-145, n° 112.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

d’ailleurs dans ses autres biens » (159). Il entendait ainsi limiter le dommagecontractuel réparable à l’atteinte à la chose faisant l’objet de l’obligation con-tractuelle méconnue, sous réserve du dol du débiteur. C’était bien ainsi quel’entendaient les rédacteurs du Code civil.

40. — Alors que l’interprétation classique héritée de Pothier contribue à ren-forcer la spécificité de l’inexécution contractuelle, le créancier ne pouvantprétendre qu’aux dommages et intérêts représentant l’équivalent de ce qui luiaurait procuré l’exécution en nature, mais rien de plus, la seconde, celle quiprévaut en Belgique, contribue à réduire la portée de la dérogation que l’arti-cle 1150 apporte au principe de la réparation intégrale, par le biais d’un rap-prochement implicite avec le concept de prévisibilité du dommage qui a coursen matière aquilienne.

Or, la prévisibilité du dommage recouvre un sens bien particulier dans l’arti-cle 1150 qui ne se confond pas avec celui qu’on lui donne en dehors du con-trat. Cet article trouve en effet sa justification dans la volonté commune desparties et dans l’équilibre que le contrat permet de réaliser entre leurs intérêtsdivergents. Il repose sur l’idée que les cocontractants n’auraient pas acceptéde s’engager au-delà de ce qu’elles ont prévu ou pouvaient raisonnablementprévoir au moment de la conclusion du contrat (160). Le dommage prévisibleest donc, dans cette acception, celui qui a été envisagé implicitement ou expli-citement par les parties au moment de la conclusion, comme une conséquencepossible de l’inexécution. Les conséquences imprévisibles sont au contrairecelles qui ne sont pas entrées dans le champ contractuel (161).

L’article 1150 du Code civil, dans sa conception originelle, traduisait claire-ment une faveur pour le contrat puisque les seules conséquences pouvantêtre mises à charge du débiteur, étaient celles attachées aux risques qu’il avaitaccepté expressément ou tacitement de courir.

41. — On notera que dans cette conception classique, la prévisibilité reçoitun contenu objectif, en ce sens que la réparation est en principe limitée à lacompensation de la perte des avantages escomptés du contrat, c’est-à-dire lesavantages promis et non reçus (162). Elle renvoie à la nature même du dom-mage réparable et non à la causalité. Pothier ne se souciait guère des autresconséquences du manquement. Il est certain que pour lui, la sécurité des autresbiens du créancier ou de sa personne n’entrait pas dans le champ contractuel.

(159) POTHIER, Obligations, précité, n° 161.(160) Voy. L. CORNELIS, op. cit., R.C.J.B., 1990, p. 98, n° 19.(161) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, « Droit de la responsabilité », Dalloz, 1996, n° 350.(162) Ph. REMY, op. cit., R.T.D.civ., 1997, p. 351, n° 40.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

La conception qui prévaut en Belgique traduit au contraire un glissement versune appréciation subjective de la prévisibilité telle qu’elle prévaut en matièreaquilienne. Dans ce contexte, il s’agit de s’interroger sur la capacité qu’avaitl’auteur de l’acte illicite de prévoir la possibilité d’un dommage au momentmême où l’acte a été accompli, et non, pour les deux parties, d’anticiper surles conséquences possibles de l’inexécution d’une prestation découlant ducontrat.

En parlant de la prévisibilité de la cause du dommage, la Cour de cassationparaît au surplus introduire dans l’appréciation de la prévisibilité du dommagecontractuel une question qui relève de la causalité, puisqu’il faudrait se de-mander si les parties contractantes pouvaient prévoir l’intervention d’un évé-nement a priori étranger au fait des parties et qui a lui-même contribué audommage. Cette question relève davantage de la notion de dommage indirect.

42. — Quant à la réserve du dol, elle ne s’explique correctement que dans laconception objective du dommage prévisible. Le dol du débiteur ou de sonagent d’exécution ne modifie pas le principe de la responsabilité, mais alour-dit l’étendue de la réparation qui devra dès lors être intégrale (163). C’est là lasanction réservée au débiteur qui a commis un manquement alors qu’il étaitconscient ou devait être conscient que sa défaillance causerait un préjudiceau créancier.

Cette aggravation de la responsabilité se comprend beaucoup moins bien dansla perspective d’un alignement des responsabilités contractuelle et extra-con-tractuelle, puisque le principe qui prévaut en matière aquilienne est d’embléecelui de la réparation intégrale. On verra alors dans l’article 1150, une simpleinvitation adressée au juge en vue de modérer les dommages et intérêts lors-que le débiteur contractuel est de bonne foi. Si les deux ordres de la responsa-bilité reposent sur des paramètres communs, la différence de traitement entrecelui qui s’est volontairement obligé et celui qui a commis une faute aquiliennen’a plus de sens (164).

43. — En vidant l’article 1150 de sa substance, la solution belge conduit natu-rellement à un élargissement sensible du domaine de la responsabilité con-tractuelle et à une multiplication des hypothèses de concours. C’est précisé-ment dans la solution de ces problèmes de concours des responsabilités queréapparaît le noyau dur de la responsabilité contractuelle.

(163) Comm. Bruxelles, 9 janvier 1991, R.D.C., 1993, 601, note J.-F. Romain.(164) En ce sens, Ph. REMY, op. cit., p. 352, n° 42.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Pour que la victime puisse se placer sur le terrain quasi-délictuel, il faut eneffet, d’après la jurisprudence de la Cour de cassation, que la faute contrac-tuelle constitue un manquement au devoir général de prudence qui s’imposeà tous et que le dommage soit différent de celui qui résulte de l’inexécution ducontrat. Il est permis de penser que le dommage purement contractuel au sensde la jurisprudence de la Cour de cassation s’identifie au dommage intrinsè-que de Pothier et au dommage prévisible de l’article 1150, dans son acceptionobjective (165).

Le déplacement de perspective se justifie principalement par le souci de pro-tection des victimes qui a progressivement conduit à reconnaître au contratune fonction de protection des intérêts extra-contractuels, alors que les auteurset inspirateurs du Code civil étaient avant tout soucieux de protéger les prévi-sions des contractants.

(165) Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, 376.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Section IILa responsabilité contractuelle

du fait d’autrui

44. — L’apparition d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui enmatière contractuelle se situe dans la logique du rapprochement des condi-tions de la responsabilité contractuelle et extra-contractuelle. On sait que leCode civil énonce trois hypothèses dans lesquelles une personne peut êtretenue des dommages causés à un tiers par le fait d’un autre (art. 1384, al. 2 à 5C. civ.). Il est tentant dès lors de compléter le parallèle par la mise en placed’un régime général de responsabilité contractuelle du fait d’autrui.

Il est clair par ailleurs que dans une conception unitaire de la responsabilité, leprocédé d’imputation par le seul biais de la faute personnelle ne peut rendrecompte de la diversité des situations dommageables issues de l’inexécutiond’un contrat. Le mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui vient alorsbien à point pour expliquer l’obligation de réparation du débiteur, toutes lesfois que le dommage ne résulte pas de son fait personnel (166).

Cette présentation analogique de la responsabilité contractuelle pour autruiest cependant inexacte. En matière contractuelle, la responsabilité résulte eneffet de l’inexécution totale, partielle ou défectueuse d’une obligation décou-lant du contrat, c’est-à-dire de la violation d’un engagement déterminé, peuimporte que cette violation provienne du fait du débiteur lui-même, d’un auxi-liaire ou d’un substitut.

Le caractère fallacieux du concept apparaît lorsqu’on examine le fondement(A), les conditions (B) et le régime de cette responsabilité (C).

A. Le principe et le fondement de la responsabilité

45. — On sait qu’il n’existe aucune disposition énonçant, dans le Code civil,un principe général de responsabilité contractuelle du fait d’autrui. On entrouve quelques applications particulières aux articles 1245 du Code civil (obli-gation de livrer un corps certain), 1735 du Code civil (baux des biens im-meubles), 1797 du Code civil (entreprise de construction), 1952 et 1953 du

(166) Voy. la critique de Ph. REMY, R.T.D.Civ., 1997, p. 346, n° 32.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Code civil (dépôt hôtelier), 1994 du Code civil (substitution de mandataire)ainsi qu’à l’article 5 de la loi du 25 août 1891 sur le contrat de transport.

Encore faut-il remarquer que les régimes de responsabilités qui découlent desdispositions citées ne sont pas parfaitement homogènes (167). L’article 1735par exemple prévoit que « le preneur est tenu des dégradations et des pertesqui arrivent par le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locatai-res ». En vertu de cette disposition, le locataire principal est tenu de répondrenon seulement du fait des personnes qu’il s’est substituées, mais aussi du faitdes personnes de sa maison qui n’ont pas été chargées d’une tâche quelcon-que par le débiteur et qui n’entendent pas davantage exécuter l’obligation à saplace. Il s’agit simplement de personnes admises dans les lieux loués qui béné-ficient du contrat à l’intervention du bailleur.

Néanmoins, même en l’absence de règles particulières, la jurisprudence et ladoctrine belges consacrent largement le principe suivant lequel le débiteurqui s’entoure d’auxiliaires pour exécuter ses obligations contractuelles ou quise substitue un agent d’exécution dans le même but, répond de l’inexécutionimputable au fait des agents qu’il a ainsi introduit volontairement dans l’exé-cution de l’obligation, sans qu’il soit nécessaire de prouver une faute person-nelle dans son chef (168). Le contractant principal devra donc répondre del’inexécution comme si elle résultait de son propre fait, car l’acte de l’agent neconstitue pas pour lui un cas de force majeure.

La solution s’impose d’elle-même. On ne comprendrait pas que le débiteurpuisse se délier unilatéralement de ses obligations en se retranchant derrièrele fait qu’il a confié l’exécution à un tiers (169). Elle s’impose aussi d’un pointde vue pratique, car les hypothèses dans lesquelles le cocontractant fait appelà des préposés, auxiliaires ou substituts en vue d’exécuter des engagementsqu’il a pris personnellement sont très fréquentes (sous-traitance, sous-entre-prise, sous-location, sous-transport, …).

(167) G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 816.(168) En jurisprudence, Cass., 21 juin 1979, Pas., 1979, I, 1226 ; Cass., 5 octobre 1990, J.T., 1991, 128 ; Cass.,

5 novembre 1990, Pas., 1991, I, 115 ; Bruxelles, 20 janvier 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11794 ; Bruxelles, 27avril 1992, J.L.M.B., 1993, p. 410, note A. KOHL ; Mons, 29 juin 1993, J.L.M.B., 1994, p. 61, note M.VANDERMERSCH ; Bruxelles, 8 février 1995, Rev. Dr. santé, 1996-1997, p. 264, note R. HEYLEN ; Liège, 20 juin1996, J.L.M.B., 1997, p. 382. En doctrine, H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil, IV, n° 816, p. 212,n° 103 ; P.-H. DELVAUX, « La responsabilité contractuelle pour autrui et l’arrêt du 29 novembre 1984 de laCour de cassation », J.T., 1987, p. 417 ; X. DIEUX, « Les chaînes et groupes de contrats en droit belge »,dans Les obligations en droit français et en droit belge, Bruxelles-Paris, Bruylant-Dalloz, 1994, pp. 109-151 ; P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de services par autrui », dans Les contrats de service,Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 1994, pp. 237-279 ; C. PAUWELS, « Contractuele aansprakelijkheid voorhulppersonen of uitvoeringsagenten », Jur. Falc., 1995, pp. 107-121.

(169) G. VINEY, « Groupes de contrats et responsabilité du fait d’autrui », dans Les effets des contrats à l’égarddes tiers, L.G.D.J., 1992, p. 340.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

46. — À condition de considérer que la responsabilité contractuelle est tou-jours subjective et qu’elle passe nécessairement par l’imputation d’une fautepersonnelle, il est nécessaire d’imaginer un principe général en vue de justi-fier la responsabilité du débiteur principal pour un fait qui n’est pas le sien. Untel principe existe en droit allemand (170) et en droit suisse (171). Apparem-ment muet sur la question, le Code civil a, semble-t-il, choisi une autre voie,celle qui est exprimée par l’article 1147 : l’inexécution de l’obligation suffiten principe à engager la responsabilité du débiteur, a moins que celui-ci nerapporte la preuve d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée. Ledétour par la responsabilité contractuelle du fait d’autrui devient superflu, carcette disposition n’établit aucune distinction suivant que le débiteur exécutelui-même ou fait exécuter par un tiers (172).

L’inutilité du concept, comme procédé d’imputation de la responsabilité audébiteur principal, transparaît d’ailleurs dans les hésitations de la doctrine,lorsqu’elle cherche à fonder le principe de cette responsabilité en matièrecontractuelle.

C’est E. Becqué qui, le premier, a vu la difficulté. Il ne l’a cependant envisagéeque dans le contexte d’une réflexion générale centrée sur la force majeure etses conditions d’application (173). Estimant que l’événement invoqué par ledébiteur devait être extérieur au contractant, cet auteur a défendu l’idée quela force majeure ne pouvait être invoquée lorsque le débiteur a introduit vo-lontairement un tiers dans l’exécution de son obligation et que l’inexécutionprovient de la faute de ce tiers. Un fait provoqué par le débiteur lui-même nesaurait être en effet considéré comme lui étant étranger. L’explication est sansdoute un peu courte en ce qu’elle ne permet pas de définir précisément lesconditions de la responsabilité du débiteur principal. Elle est aussi insuffisantedès lors que la condition d’extériorité n’est pas, selon le droit belge, un élé-ment indispensable de la force majeure (174).

D’autres théories ont donc été proposées : P.-H. Delvaux a dernièrement re-mis à l’honneur la théorie de la représentation proposée par J. Dabin (175). Le

(170) § 278 BGB : « Le débiteur doit répondre de la faute de son représentant légal et de celle des personnesdont il se sert pour l’exécution de son engagement, dans la même mesure que s’il s’agissait de sa fautepersonnelle ». On notera cependant qu’en droit allemand, l’inexécution de l’obligation est traitée commeun cas de responsabilité pour faute.

(171) Art. 101 C. civ. suisse : « Celui qui, même d’une manière licite, confie à des auxiliaires tels que despersonnes vivant en ménage avec lui ou des employés le soint d’exécuter une obligation est responsa-ble envers l’autre partie du dommage qu’ils causent dans l’accomplissement de leur travail ».

(172) En ce sens, Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 347, n° 34.(173) E. BECQUÉ, « De la responsabilité du fait d’autrui en matière contractuelle », R.T.D.civ., 1914, p. 251.(174) Cass., 9 décembre 1976, Pas., 1977, I, 408.(175) J. DABIN, « De la validité des clauses d’exonération de la responsabilité en matière contractuelle cou-

vrant : 1° la faute lourde du débiteur ; 2° la faute lourde ou intentionnelle des préposés », note sousCass., 25 septembre 1959, R.C.J.B., 1960, pp. 10 à 30 ; P.-H. DELVAUX, « La responsabilité contractuellepour autrui et l’arrêt du 29 novembre 1984 de la Cour de cassation », J.T., 1987, p. 417.

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fait de l’agent d’exécution devrait être assimilé à celui du débiteur principal,car l’agent ne fait que le représenter dans l’exécution. Sous l’angle de la res-ponsabilité liée à l’inexécution d’une obligation découlant du contrat princi-pal, il devient transparent. La célèbre formule de la Cour de cassation, selonlaquelle l’agent d’exécution n’est pas un tiers au regard de l’exécution du con-trat, prendrait ici tout son sens (176).

Comme le reconnaît P.-H. Delvaux, la théorie de la représentation n’est cepen-dant pas tout à fait convaincante dans la mesure où elle nie le phénomènequ’elle prétend élucider. C’est pourtant précisément en cela qu’elle toucheselon nous à la vérité (177).

Il faut en effet se départir de l’idée qu’un principe général de responsabilitédu fait d’autrui est indispensable pour justifier l’imputabilité au débiteur d’unfait qui n’est pas le sien. Pour P.-H. Delvaux, ce détour s’imposerait parce quenotre système général de responsabilité reste fondé sur l’imputabilité subjec-tive d’un fait personnel (178). Une telle conception provient en réalité de l’in-trusion injustifiée des conditions de la responsabilité aquilienne dans le do-maine contractuel.

Le concept même de responsabilité contractuelle suffit à rendre compte de lasolution (179). Le débiteur principal reste en effet personnellement tenu àl’exécution intégrale des engagements qu’il a pris quand bien même il en auraitconfié l’exécution, en tout ou en partie, à un tiers. Il ne peut se libérer enprouvant que l’inexécution provient de l’acte, fût-il dolosif, d’un agent d’exé-cution.

47. — La soi-disante responsabilité contractuelle du fait d’autrui n’est doncrien d’autre qu’un cas de responsabilité personnelle du débiteur principal (180).L’inexécution de l’obligation découlant du contrat principal suffit, en prin-cipe, à constituer le débiteur en faute, à moins que celui-ci parvienne à rappor-ter la preuve d’une cause étrangère exonératoire.

(176) Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, 376.(177) P.-H. DELVAUX, op. cit., p. 418, n° 6 ; du même auteur, « Les groupes de contrats et la responsabilité

contractuelle du fait d’autrui », dans Les effets du contrat à l’égard des tiers, Paris, L.G.D.J., 1992, p. 363,n° 6.

(178) P.-H. DELVAUX, ibid.(179) En ce sens déjà, R.O. DALCQ, Traité de la responsabilité civile, Novelles, t. I, p. 128, n° 109 et 1034 ; X.

DIEUX, « Les chaînes et groupes de contrats en droit belge – pour un retour aux sources », dans Lesobligations en droit français et en droit belge, convergences et divergences, Paris, Bruxelles, Bruylant-Dalloz, 1994, pp. 124 ; P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de services par autrui », dans Lescontrats de service, Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 1994, pp. 247.

(180) Voy. D. TALLON, op. cit., R.T.D.Civ., 1994, p. 228, n° 17 ; Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 347,n° 34 ; . Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n 1598.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Ceci expliquerait le silence étonnant du Code civil quant à l’existence d’unprincipe général de responsabilité du fait d’autrui en matière contractuelle.Comme le souligne à juste titre Ph. Remy : « Responsabilité civile du faitd’autrui et du fait des choses sont des procédés d’imputation inutiles si l’ons’en tient à la doctrine classique : on n’est contractuellement responsable nidu fait d’autrui ni du fait des choses ; on doit des dommages et intérêtsparce qu’on est débiteur d’une obligation inexécutée ; c’est le contrat quifait le débiteur et il est indifférent que l’inexécution du contrat ait sa causedans le « fait d’autrui » ou dans le « fait d’une chose » dès lors que ces faitsne constituent pas pour le débiteur l’un des faits libératoires énoncés parles articles 1147 et 1148 du Code civil. C’est le sens commun : les moyensd’exécuter les promesses sont l’affaire de celui qui a promis » (181).

48. — Dans ces conditions, l’appel à une application analogique de l’ar-ticle 1384, alinéa 3 du Code civil pour définir le régime de la responsabilitécontractuelle du fait d’autrui est dépourvu de sens (182). Il existe une diffé-rence irréductible entre les deux hypothèses en ce que le commettant, renduresponsable des fautes commises par son préposé en vertu de l’article 1384,alinéa 3 du Code civil, n’a pris aucun engagement envers le tiers victime (183).

L’on ne pourrait davantage souscrire à une transposition pure et simple enmatière contractuelle, de la jurisprudence relative à l’abus de fonction du pré-posé (184). Lorsque l’abus de fonction consiste dans l’appropriation illicited’un objet qui devait être restitué ou dans le détournement de sommes d’ar-gent confiées au contractant principal, cet abus est lui-même constitutif del’inexécution du contrat. Le débiteur principal en doit compte, sauf à établir lacause étrangère exonératoire (185).

Une société de « gestion-conseil » a ainsi été déclarée responsable des détour-nements opérés par les personnes auxquelles elle avait, elle-même, confié l’ar-

(181) Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 346, n° 33.(182) Voy. en ce sens Mons, 29 juin 1993, J.L.M.B., 1994, p. 61, note M. VANDERMERSCH.(183) P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », op. cit., p. 248 ; X. DIEUX, « Les chaînes et

groupes de contrats … », op. cit., p. 127. Remarquons aussi que l’article 1384, alinéa 3, suppose unrapport de subordination entre le commettant et son préposé, alors que la responsabilité contractuelledu débiteur principal s’étend au fait de tous ses collaborateurs et substituts, même s’ils gissent enqualité d’indépendant.

(184) La question reste cependant discutée. Voy. Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996,n 1601 ; G. VINEY, « Groupes de contrats et responsabilité du fait d’autrui », op. cit., p. 357, n° 20 ; G.VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 824.

(185) En ce sens Ph. REMY, op. cit., R.T.D.Civ., 1997, p. 348, n° 36.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

gent de ses clients, sans égard au fait que ces personnes exerçaient leurs acti-vités à titre d’indépendant (186).

Lorsque l’abus de fonction consiste au contraire dans l’exécution d’une opéra-tion conclue dès le départ par l’agent d’exécution à son profit personnel, onpeut légitimement se demander s’il y a matière à engager la responsabilitécontractuelle du débiteur principal, celui-ci ne s’étant en rien déchargé detout ou partie des obligations qui lui incombaient en vertu du contrat princi-pal (187).

On notera d’ailleurs que la responsabilité des établissements de crédit pourles dommages causés par des agents peu scrupuleux a généralement été dé-battue sur la base de l’article 1384, alinéa 3 du Code civil (188).

B. Les conditions de la responsabilité

49. — Le paradoxe veut que l’analyse systématique des conditions de la res-ponsabilité du débiteur principal pour ses auxiliaires et substituts soit princi-palement le fait des auteurs qui défendent l’existence d’un principe généralde responsabilité du fait d’autrui en matière contractuelle, alors qu’aucune deces conditions ne nécessite pareil détour (189).

1. L’engagement du débiteur principal à l’égard de soncocontractant

50. — Tout d’abord, le débiteur doit s’être engagé personnellement à exécu-ter l’obligation pour laquelle il s’est fait aider ou remplacer par un agent d’exé-cution. Tel n’est pas le cas lorsqu’il n’a fait que promettre au créancier de luiprocurer les services d’autrui (190). Dans cette hypothèse, le débiteur princi-pal se contente de jouer le rôle d’intermédiaire et n’assume pas, sauf déroga-tion légale, les conséquences de l’inexécution imputable au fait personnel dutiers avec lequel son donneur d’ordre a contracté.

Dans chaque situation, il y a donc lieu de vérifier préalablement si le débiteurprincipal s’était personnellement chargé de la mission dont il a confié l’exécu-

(186) Comm. Bruxelles, 9 janvier 1991, R.D.C.B., 1993, p. 601, note J.-F. ROMAIN ; comp. Mons, 29 juin 1993,précité, pour des malversations commises dans le cadre d’une substitution dans les tâches matériellesde comptabilité et de gestion.

(187) L’article 17, alinéa 2, de la loi du 16 février 1994 sur le contrat de voyage rend par exemple l’organisa-teur de voyages responsable des actes et négligence de ses préposés et représentants, mais seulementlorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions.

(188) Cass., 26 octobre 1989, R.C.J.B., 1992, p. 216, et la note C. DALCQ, « Les limites de la responsabilité ducommettant pour abus de fonction de son préposé », Cass., 4 novembre 1993, J.T., 1994, p. 231 ; Cass.,11 mars 1994, J.T., 1994, p. 611, note C. DALCQ.

(189) G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 813-841.(190) G. VINEY, « Groupes de contrats … », op. cit., p. 346, n° 10 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 822.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

tion à autrui (sur la licéité de la substitution voy. infra) (191). Ainsi, le vendeurrépond-il en principe du préjudice causé à un client du fait d’un manquementà son obligation de renseignement sur le produit vendu, même si l’informationerronée a été délivrée par un préposé (192). En revanche, le vendeur qui, à lademande de l’acheteur, se borne à recommander une personne pour le place-ment de la moquette qu’il a livrée ne doit pas répondre de l’exécution défectueu-se de ce travail, mais uniquement de son fait personnel (culpa in eligendo) (193).Le fournisseur de main-d’œuvre ou l’entreprise de travail temporaire dont l’en-gagement consiste à proposer à ses clients un travailleur intérimaire n’assumeen principe pas la responsabilité de l’exécution défectueuse de la mission quia été confiée à ce dernier par l’emprunteur.

Le médecin qui s’assure de lui-même, sans l’intervention ni ratification de sonclient, le concours d’un confrère ou d’un assistant, est par contre considérécomme responsable des dommages causés par la faute de celui-ci, s’il avaitpromis d’exécuter le traitement ou l’opération de bout en bout (194).

Des dispositions légales spécifiques peuvent parfois étendre le cadre normalde la responsabilité du débiteur principal. L’article 1735 du Code civil rendpar exemple le locataire responsable des dégradations et des pertes causéespar des personnes qu’il a admises dans les lieux loués, alors qu’il ne les a paschargées d’exécuter à sa place.

L’article 17, alinéa 1er, de la loi du 16 février 1994 impose, de la même manière,aux agences de répondre de l’inexécution du contrat d’organisation de voya-ges, indépendamment du fait que ces obligations doivent être assumées parlui-même ou par d’autres prestataires de services (hôtelier, transporteur, …).

2. Introduction volontaire d’un tiers dans l’exécution ducontrat

51. — Le recours à l’agent d’exécution, auxiliaire, préposé ou substitut, doitêtre volontaire. Le débiteur principal ne pourrait être tenu personnellementresponsable de l’intervention d’un tiers qui fait obstacle volontairement oupar négligence à l’exécution correcte de ses engagements contractuels, que

(191) Voy. Anvers, 14 février 1995, J.P.A., 1995, p. 321 : la société de classification ne peut être considéréecomme un agent d’exécution du propriétaire du bateau qu’elle a classé, puisque cette société declassification n’est pas chargée de l’exécution de l’obligation contractuelle du batelier vis-à-vis desintéressés à la marchandise.

(192) Paris, 6 mai 1987, Dall., 1987, Inf. rap., p. 144.(193) L’exemple est inspiré d’un arrêt de la Cour de cassation française, Cass. fr. civ. (1ère), 19 décembre 1995,

Bull. civ., I, n° 485.(194) Sur l’hypothèse du remplacement, voy. T. VANSWEEVELT, « La responsabilité civile du médecin et de

l’hôpital », Maklu/Bruylant, 1996, n° 855 et suiv. ; sur l’hypothèse de la consultation d’un collègue,n° 879 et suiv. ; Civ. Turnhout, 12 septembre 1994, R.G.D.C., 1995, p. 249.

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l’intervention de ce tiers soit spontanée ou qu’elle ait lieu à l’instigation d’uneautre personne, voire du cocontractant lui-même (195).

En vertu de ce principe, le chirurgien qui assume la direction de l’opérationdoit en principe répondre des membres de son équipe, à moins que le choixde l’un ou l’autre d’entre eux ait été effectué par le patient lui-même ou ratifiépar lui (196).

L’entrepreneur principal n’est pas davantage responsable d’un entrepreneurdésigné directement par le maître de l’ouvrage pour exécuter une part dumarché. En pratique, les modalités d’intervention de ces co-traitants ne sontpas toujours claires. Il se peut en effet que le maître de l’ouvrage ait demandéà son entrepreneur principal de rechercher un ou plusieurs autres entrepre-neurs en vue d’exécuter une partie des travaux. Dans ce cas, l’entrepreneuragit comme un intermédiaire, voire comme un mandataire, s’il a le pouvoir desouscrire le contrat au nom et pour compte du maître de l’ouvrage, mais il nedoit pas en principe répondre du fait des tiers (197).

52. — Si le recours à un tiers pour l’exécution de tout ou partie des obli-gations découlant du contrat principal a été volontaire, le cadre juridique desrelations qui se nouent entre l’agent d’exécution et le débiteur principal estindifférent : l’agent d’exécution peut être subordonné ou indépendant. Onverra cependant que le mandataire ne peut être considéré comme un agentd’exécution (198), à la différence de l’organe d’une personne morale (199).

Certaines dispositions spécifiques particulières dérogent apparemment auprincipe ici énoncé. À propos du contrat d’hôtellerie, l’article 1952 du Codecivil prévoit par exemple que « les hôteliers sont responsables, comme dépo-sitaires, de toute détérioration, destruction ou soustraction des objets ap-portés à l’hôtel par le voyageur qui y descend et y prend logement ». Bienque limitée, cette responsabilité subsiste si l’inexécution est imputable à untiers qui s’est introduit subrepticement dans les lieux (200).

Il paraît toutefois normal que le débiteur principal, tenu d’une obligation derésultat, ne puisse se prévaloir à l’égard de la victime du fait d’un tiers si celui-

(195) P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », op. cit., p. 249 ; G. VINEY et P. JOURDAIN,Traité, 1998, n° 827.

(196) En doctrine, voy. T. VANSWEEVELT, « La responsabilité civile du médecin et de l’hôpital », Maklu/Bruylant,1996, n° 772 et suiv. En jurisprudence, voy. Bruxelles, 8 février 1995, Rev. Dr. santé, 1996-1997 p. 264,note R. HEYLEN (accouchement réalisé par le médecin de famille aidé par une sage-femme).

(197) Voy. à cet égard G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 828.(198) Anvers, 25 avril 1995, Dr. eur. transp., 1995, p. 503.(199) Cass., 7 novembre 1997, R.G.D.C., 1998, p. 153 ; contra Civ. Bruxelles, 27 janvier 1998, J.L.M.B., 1998,

p. 1089.(200) Comp. G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, p. 931, n° 832.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

ci ne remplit pas les conditions de la cause étrangère exonératoire. Ainsi, l’hô-telier doit logiquement répondre de la soustraction imputable à un voleur, carle vol ne suffit pas à établir la cause étrangère exonératoire. Ceci ne signifiepas qu’il soit tenu pour le fait du voleur. Il est tenu en raison de l’inexécutionde l’obligation qu’il a personnellement assumée. Le voleur n’est pas un agentd’exécution.

3. Le créancier ne doit pas avoir déchargé le débiteur princi-pal de sa responsabilité

53.— Conformément aux principes fondamentaux de la responsabilité con-tractuelle, le recours contre le fournisseur du bien ou du service ne se conçoitbien entendu que si celui-ci conserve sa qualité de cocontractant dans le con-trat principal. La cession des droits et obligations découlant du contrat, accom-pagnée de la décharge du cédant ferait évidemment obstacle à tout recourscontractuel fondé sur l’inexécution partielle, totale ou simplement défectueusede la prestation confiée au tiers. Cette troisième condition est, elle aussi, liée àla première, puisque la décharge implique que le débiteur ne ne soit pas per-sonnellement chargé de l’exécution complète de la mission.

La décharge peut être expresse ou tacite, mais elle doit alors être certaine. Ilsemble que l’agrément qui serait donné par le créancier à la substitution d’unagent d’exécution ne suffise pas (201). La distinction entre l’agrément quin’opère pas décharge du débiteur et la ratification qui fait naître une relationcontractuelle distincte avec l’agent est loin d’être toujours claire en pratique.Elle relève de l’interprétation de la volonté des parties. Il demeure néanmoinscertain que la désignation précise par le créancier lui-même, de l’agent d’exé-cution, emporte renonciation à invoquer la responsabilité personnelle de sondébiteur principal, pour faute de choix.

54. — L’article 1994 du Code civil qui traite de la substitution du mandatairerepose apparemment sur des principes différents. On sait que le mandatairerépond de celui qu’il s’est substitué dans la gestion lorsqu’il n’a pas reçu dumandant le pouvoir de substitution. Si le pouvoir de substitution lui a été ac-cordé mais sans désignation du sous-mandataire substitué, le mandataire nerépond que de sa faute de choix. Sauf convention contraire, il échappe à touteresponsabilité lorsque le mandant a désigné le sous-mandataire, sans qu’il y aitlieu de se demander si la substitution s’accompagne ou non d’une décharge.Cette spécificité des règles du mandat n’est pas gênante, car, comme on le

(201) P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », p. 238 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité,1998, n° 829.

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verra, le mandataire substitué n’est pas à proprement parler un agent d’exécu-tion. Les solutions prévues par l’article 1994 du Code civil s’expliquent par lemécanisme de la représentation. On ne saurait donc y voir l’application durégime de droit commun de la responsabilité contractuelle pour les faits del’agent d’exécution (202).

55. — Peut-on considérer que la décharge est implicite lorsque la haute tech-nicité de certaines des prestations demandées au débiteur principal requiertl’intervention d’un tiers spécialement qualifié ?

On pourrait le croire à la lecture de l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mars1978 (203). Dans cette affaire, un architecte avait eu recours, pour l’étude dela structure en béton d’un édifice, à un bureau spécialisé et sa responsabilitéétait mise en cause du fait d’une erreur supposée de ce bureau. Saisie d’unpourvoi contre l’arrêt qui avait exonéré l’architecte, la Cour estime que celui-ci n’engage sa responsabilité que si on peut lui reprocher une faute dans lechoix du bureau ou une faute dans le contrôle des calculs effectués par celui-ci, dans les limites de ses compétences. La Cour poursuit en relevant que « l’onpeut admettre eu égard à la haute technicité de certaines études relevant dela construction, que l’architecte peut, même implicitement, se décharger àl’égard du maître de l’ouvrage de sa responsabilité quant à certaines étudestechniques ».

À la différence de P.-H. Delvaux qui voit dans cet attendu l’indice que la Cour seplace en-dehors du champ de la responsabilité contractuelle pour autrui (204),nous estimons que l’arrêt confirme à tout le moins l’inutilité de ce mécanisme,en abordant le problème sous l’angle de la responsabilité personnelle de l’ar-chitecte et de la décharge implicite accordée par le maître de l’ouvrage.

La question se pose à peu près dans les mêmes termes en ce qui concerne laresponsabilité du chirurgien pour les erreurs commises par l’anesthésiste. Laspécialisation de l’anesthésiste et le caractère indispensable de son interven-tion pourrait laisser croire à une décharge implicite de responsabilité accor-dée par le patient au bénéfice du chirurgien (205). Celui-ci ne pourrait doncvoir sa responsabilité engagée qu’en raison d’une faute personnelle de choixou de contrôle. Chaque question doit cependant être examinée d’après les

(202) En ce sens, P. WÉRY, « L’huissier de justice et la substitution de mandataire », R.G.D.C., 1998, p. 319.(203) Cass., 3 mars 1978, Pas., 1978, I, 759 ; Entr. et Dr., 1981, 265 et les conclusions du Ministère public ;

R.C.J.B., 1982, p. 81 et la note de M. VANWIJCK-ALEXANDRE, « L’aménagement du rôle et de la responsabi-lité des architectes en raison de l’intervention croissante des spécialistes dans la construction ».

(204) P.-H. DELVAUX, op. cit., J.T., p. 419, n° 10.(205) Mons, 24 mars 1987, R.G.A.R., 1989, n° 11458 ; Anvers, 2 mai 1989, R.W., 1989-1990, p. 260, note NIJS.

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circonstances de l’espèce. Le principe selon lequel le chirurgien qui a acceptéune mission générale est responsable des membres de son équipe subsiste, àmoins qu’une relation contractuelle directe se soit nouée avec l’anesthésiste.Une telle relation ne peut se déduire d’une simple visite préopératoire, ni mêmede la connaissance qu’avait le patient de l’intervention de l’anesthésiste (206).

4. L’agent d’exécution s’engage à l’égard du débiteur princi-pal à exécuter tout ou partie des prestations dues parcelui-ci à son cocontractant

56. — Comme le précise P. Van Ommeslaghe, on ne peut parler d’agent d’exé-cution que si les services fournis par ces derniers portent sur des prestationsdues par le fournisseur principal.

L’agent d’exécution peut tout d’abord être un auxiliaire, c’est-à-dire une per-sonne qui collabore à l’exécution d’une obligation sous les ordres et sous lecontrôle du débiteur (préposé occasionnel ou salarié). L’agent d’exécutionpeut aussi être un substitut, c’est-à-dire quelqu’un qui exécute tout ou partiedes obligations du débiteur en ses lieux et place (sous-traitant, sous-entrepre-neur, sous-locataire …). La distinction n’a toutefois guère d’intérêt pratique.

Il est plus difficile de parler d’agent d’exécution lorsque l’obligation qui pèsesur celui-ci n’est qu’une condition matérielle de l’exécution du contrat par ledébiteur lui-même, sans que l’agent soit véritablement associé à l’accomplisse-ment de la prestation. Sauf clause contraire, le fournisseur en matériaux deconstruction par exemple ne peut être considéré comme un agent d’exécu-tion de l’entrepreneur principal (207). N’est pas non plus un agent d’exécu-tion, le fabricant étranger auprès duquel se fournit un concessionnaire belgepour satisfaire sa propre clientèle. Celui-ci peut par conséquent exciper d’unecause étrangère exonératoire, si le fabricant étranger décide subitement d’ar-rêter la fabrication des produits (208).

57. — Le mandataire n’est pas non plus un agent d’exécution. Même si onpeut relever une tendance de la jurisprudence à aligner la substitution dumandataire sur le régime de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui (209),

(206) Sur cette question voy. T. VANSWEEVELT, op. cit., n° 778 et suiv, n° 801 et suiv. ; R.O. DALCQ et G. SCHAMPS,« Responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle, Examen de jurisprudence (1987-1993) », R.C.J.B., 1995,p. 598, n° 55 qui relèvent qu’un nombre important de chirurgiens, en clientèle privée, n’acceptentd’opérer qu’avec un anesthésiste déterminé.

(207) Dans le même snes, P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », op. cit., p. 238 ; voy.cependant X. DIEUX, « Les chaînes et groupes de contrats … », op. cit., p. 135 qui s’appuie sur l’arrêt dela Cour de cassation du 3 décembre 1976, R.C.J.B., 1978, p. 423 et la note R.O. DALCQ.

(208) Bruxelles, 14 avril 1989, J.T., 1989, 356.(209) Mons, 16 janvier 1997, J.L.M.B., 1997, p. 443.

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et à considérer par conséquent que le mandataire répond, envers son man-dant, des fautes qui sont commises par son substitut, cette assimilation estincorrecte, car c’est au nom du mandant, et non en celui du mandataire initialque le mandataire substitué intervient auprès du tiers contractant (210). Quel-les que soient les modalités de la substitution, l’objet du contrat de mandat esttoujours d’exprimer la volonté du mandant et les effets des actes juridiquespassés par le mandataire substitué se produisent directement dans le chef decelui-ci.

Comme on l’a justement remarqué, le mandataire qui a reçu le pouvoir desubstitution ne fait qu’exécuter son mandat en se substituant un tiers, et celui-ci en acceptant cette mission devient le mandataire direct du mandant. Lemandataire intermédiaire n’a plus à répondre de l’exécution correcte de lamission, sauf dans les conditions prévues par l’article 1994. Même lorsque lemandataire n’a pas reçu le pouvoir de substitution, il est permis de considérerque l’adhésion au moins tacite du sous-mandataire au contrat de mandat impli-que que celui-ci devienne le cocontractant direct du mandant (211). Ni danscette hypothèse, ni dans les autres visées par l’article 1994, le mandataire subs-titué n’apparaît donc comme un agent d’exécution.

58. — Dans un arrêt récent rendu le 7 novembre 1997, la Cour de cassationconsidère par contre que l’organe peut être considéré comme l’agent d’exé-cution de la personne morale (212). Elle en déduit logiquement que la respon-sabilité personnelle de l’organe ne peut être engagée au plan quasi-délictuelque si les conditions restrictives du cumul des responsabilités tenant à la fauteet au dommage sont remplies.

Compte tenu de la généralité des termes employés, cette solution s’appliqueaussi bien aux organes des personnes morales de droit privé qu’aux organesdes personnes morales de droit public (213). Bien qu’elle bouleverse considé-rablement les conditions de mise en œuvre de la responsabilité personnellede l’organe, cette jurisprudence présente l’avantage d’écarter toute discrimi-

(210) Voy. P. WÉRY, « L’huissier de justice et la substitution de mandataire », R.G.D.C., 1998, p. 312 ; P. VAN

OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », op. cit., p. 251.(211) Voy. sur cette qustion P.-A. FORIERS, « Observations sur l’article 1994 du Code civil et l’action directe née

de la substitution », note sous Cass., 16 décembre 1977, R.C.J.B., 1982, p. 469 ; dans le même sens, P.-H. DELVAUX, « Les groupes de contrats … », op. cit., p. 371, n° 16.

(212) Cass., 7 novembre 1997, R.G.D.C., 1998, p. 153 et la note P. WÉRY, « Les rapports entre responsabilitéaquilienne et responsabilité contractuelle, à la lumière de la jurisprudence récente », R.G.D.C., 1998,p. 81. La cour censure la décision du juge du fond qui avait retenu la responsabilité aquilienne dugérant d’une S.P.R.L. envers le cocontractant de celle-ci, sans préciser que le dommage subi par lapartie contractante était différent de celui résultant de la mauvaise exécution de la convention. Pourune décision en sens contraire : civ. Bruxelles, 27 janvier 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1089.

(213) En ce sens, P. WÉRY, op. cit., p. 98, n° 16.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

nation entre les organes et les préposés lorsque l’inexécution d’un contratpassé entre la personne morale et un tiers est due à un fait qui leur est imputa-ble.

5. Le fait de l’agent d’exécution entraîne l’inexécution d’uneobligation découlant du contrat principal

59. — Cette condition est la suite logique de la précédente. Il n’y a matière àresponsabilité contractuelle du débiteur principal à l’égard de son cocontractantque si le manquement de l’agent entraîne l’inexécution définitive par ce débi-teur principal d’un engagement découlant du contrat de base (214). Confor-mément aux principes dégagés ci-dessus, seule importe, à vrai dire, l’inexécu-tion de l’obligation découlant du contrat principal.

Il n’est pas toujours facile de déterminer si l’acte dommageable accompli parl’agent d’exécution entre dans le cadre de la mission confiée au débiteur prin-cipal. La question se pose par exemple avec acuité lorsqu’on s’interroge sur laresponsabilité du médecin pour les erreurs commises par une infirmière pré-posée de l’hôpital. Il faut en effet chaque fois se demander si la faute commisepar cette infirmière constitue l’inexécution de l’obligation du médecin ou decelle de l’hôpital (215).

Il y a autant de difficultés à déterminer si le dommage résulte bien del’inexécution d’une obligation découlant du contrat. Dans une espèce qui adonné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 1983, un en-trepreneur chargé des travaux de soudure dans des locaux industriels s’étaitsubstitué un sous-traitant (216). Lors de l’exécution des travaux par un pré-posé de ce sous-traitant, une étincelle produite par l’arc à souder avait mis lefeu à des structures de bois avoisinantes. L’incendie détruisit une part impor-tante des locaux.

Vu « la transparence » de l’agent d’exécution, la question se posait nécessairementde la même manière pour l’entrepreneur principal et le sous-traitant : le dom-mage résultait-il de la violation d’une obligation découlant du contrat princi-pal ? L’hésitation était possible car les biens endommagés ne faisaient pas, stricto

(214) Voy. Anvers, 19 mars 1996, J.P.A., 1996, p. 135 : la responsabilité quasi-délictuelle de l’armement,propriétaire du navire et de l’arrimeur est engagée lorsque celui-ci charge, par erreur, des marchandisesà bord d’un navire auquel elles n’étaient pas destinées. L’arrimeur ne peut se prévaloir du fait qu’il étaitégalement chargé de l’arrimage du navire pour lequel le fret avait été effectivement engagé, car la fautereprochée n’a pas été commise dans l’exécution de ce contrat.

(215) Sur cette question, voy. T. VANSWEEVELT, op. cit., p. 446, n° 780 et suiv., et les réf. citées.(216) Cass., 20 octobre 1983, Pas., 1984, I, 182 ; comp. Liège, 20 juin 1996, J.L.M.B., 1997, p. 382 ; dans le cas

d’un incendie provoqué par deux sous-traitants, la Cour retient la responsabilité contractuelle de l’en-trepreneur sur le fondement de l’article 1797 C. civ. tout en admettant l’action quasi-délictuelle contreles sous-traitants au motif que le dommage dépasse largement le cadre de la mauvaise exécution ducontrat.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

sensu, l’objet du contrat. Il en aurait sans doute été autrement si les dommagesavaient touché le ou les biens sur lesquels les travaux de soudure devaient êtreeffectués.

Pourtant, dans cette affaire, la cour d’appel n’a pas mis en doute le principemême de la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur principal considé-rant sans doute que le contrat comportait une obligation de sécurité quantaux biens appartenant au bénéficiaire du service, mais a exonéré celui-ci entirant argument du fait que le dommage était imprévisible au sens de l’arti-cle 1150 du Code civil. La Cour de cassation, qui n’était saisie que de la ques-tion de la légalité de l’application de l’article 1150, a confirmé l’arrêt.

En raison du principe de symétrie qui régit la responsabilité du débiteur prin-cipal, nous pensons, avec P.-H. Delvaux, que la cour d’appel ne pouvait sans secontredire retenir d’un côté la responsabilité contractuelle de l’entrepreneurprincipal et de l’autre, la responsabilité extra-contractuelle du sous-traitant,sauf toutefois à considérer que les conditions du cumul étaient remplies enl’espèce (217). Il eût sans doute été possible dans cette affaire, de retenir laresponsabilité de l’entrepreneur principal sur le fondement de l’article 1384,al. 3 du Code civil.

6. La licéité de la substitution

60. — Le recours à un auxiliaire ou à un substitut est en principe autorisé, àmoins que le cocontractant ne s’y soit formellement opposé. La solution, quis’impose au regard des exigences économiques, trouve un fondement juridi-que dans l’article 1236 du Code civil. Celui-ci énonce que le paiement peutvalablement être effectué par un tiers même non intéressé, en l’acquit du débi-teur, sans que le consentement du créancier soit requis. Les articles du Codecivil qui sont cités à l’appui d’un principe général de responsabilité contrac-tuelle du fait d’autrui illustrent eux-mêmes cette possibilité (218).

On sait cependant que la règle énoncée par l’article 1236 du Code civil con-naît deux exceptions : le créancier peut refuser le paiement proposé par untiers, si l’obligation a un caractère intuitu personnae ou s’il a un intérêt légi-time à ce que le paiement soit effectué par le débiteur.

Le simple fait que le débiteur principal ait été choisi pour sa compétenceprofessionnelle ne rend pas le contrat intuitu personnae ni ne constitue uneraison légitime pour le créancier de refuser la substitution (219). L’obligationn’est marquée par l’intuitu personnae que si l’intervention personnelle dudébiteur est à ce point essentielle que l’obligation ne se concevrait pas sans

(217) P.-H. DELVAUX, op. cit., p. 420, n° 18.(218) P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », op. cit., pp. 241-242.(219) Voy. en ce qui concerne le contrat médical, T. VANSWEEVELT, op. cit., p. 441, n° 771.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

elle. Lorsque la personnalité du cocontractant ne constitue pas un élémentdéterminant de la convention, l’intervention d’un agent d’exécution doit êtreadmise pour autant, comme le note P. Van Ommeslaghe, que « cette interven-tion ne porte pas atteinte aux considérations générales, extérieures à l’ob-jet de la prestation, qui ont incité le créancier à faire choix de son cocontrac-tant » (220).

C. Le régime de la responsabilité

61. — Le régime de la responsabilité contractuelle du débiteur principal pourles faits de ses auxiliaires et substituts se déduit en droite ligne des principesqui viennent d’être énoncés : si l’inexécution est imputable à l’agent d’exécu-tion, le débiteur principal sera traité comme s’il avait agi lui-même. Il seraitvain de rechercher une analogie ou une source d’inspiration dans le régimejuridique propre à la responsabilité du commettant (1384, al. 3 C. civ.).

Deux questions peuvent se poser : le bénéficiaire de la prestation doit-il établirune faute dans le chef de son cocontractant et l’agent d’exécution doit-il lui-même commettre une faute dans l’exécution de ses engagements entraînantl’inexécution du contrat principal ?

1. La faute du débiteur principal

62. — À défaut de texte particulier instituant une responsabilité contractuelledu fait d’autrui, le Doyen Rodière a soutenu que le débiteur contractuel nedevait en règle répondre que de son fait personnel (221). Cette thèse est àprésent abandonnée. Il n’est pas requis que le débiteur ait lui-même commisun manquement consistant soit dans une faute de choix, de direction, de con-trôle ou de surveillance (222).

La doctrine et la jurisprudence majoritaire considèrent à juste titre que le con-tractant qui recourt à un agent d’exécution est tenu du fait de cet agent, commeil le serait de son fait propre (223). Le débiteur principal est en effet tenu aurespect strict de l’engagement qu’il a pris, peu importe à qui il a confié l’exé-cution de cet engagement. Lorsqu’il s’agit d’engager la responsabilité du débi-teur principal , le substitut et l’auxiliaire deviennent transparents, il n’est doncpas nécessaire de porter un jugement sur leur conduite (224).

(220) P. VAN OMMESLAGHE, ibid., citant L. AYNES, « La cession de contrats », 1984, p. 231 et ss.(221) R. RODIÈRE, « Y a-t-il une responsabilité contractuelle du fait d’autrui ? », Dall., 1952, Chron., p. 79.(222) Cass., 21 juin 1979, J.T., 1979, 675 ; Pas., 1979, I, 1226.(223) En jurisprudence, voy. en particulier, Comm. Bruxelles, 9 janvier 1991, R.D.C., 1993, p. 601, note J.F.

ROMAIN ; Mons, 29 juin 1993, J.L.M.B., 1994, p. 61, note M. VANDERMERSCH, et les réf. Citées ci-dessus.(224) En ce sens, P.-H. DELVAUX, op. cit., p. 420, n° 22 ; du même auteur, « Les groupes de contrats … », op. cit.,

p. 367, n° 10 ; P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », op. cit., p. 247 ; X. DIEUX,« Les chaînes et groupes de contrats … », op. cit., p. 126.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Le débiteur principal étant traité comme s’il avait agi lui-même pourra, en vuede s’exonérer de sa responsabilité, invoquer les mêmes motifs que ceux quiauraient permis d’écarter sa responsabilité personnelle. On sait par exempleque le dépositaire doit apporter dans la garde de la chose déposée les mêmessoins que ceux qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent. Sile dépositaire a laissé la chose à la garde d’un préposé, sa responsabilité serasubordonnée à la preuve que le préposé n’a pas apporté à la chose les soinsqu’il aurait dû lui-même prodiguer s’il avait assumé personnellement son obli-gation de garde.

Tout dépendra par conséquent de l’intensité de l’obligation inexécutée. Si cetteobligation est de moyens, la responsabilité du débiteur principal ne sera enga-gée que si le cocontractant démontre que l’agent n’a pas apporté à l’exécu-tion du contrat toute la diligence promise et le débiteur lui-même pourra selibérer en démontrant qu’aucune faute n’a été commise par son agent d’exé-cution. Si, au contraire, l’obligation est de résultat, la preuve de la faute estsuperflue, et le créancier pourra se contenter d’établir que le résultat promisn’a pas été obtenu (225). Le débiteur principal pourra, de son côté, opposer àson contractant la cause étrangère exonératoire qui a empêché son auxiliaireou son substitut d’exécuter l’obligation (226).

63. — Le débiteur principal peut-il invoquer une cause de justification propreà son agent d’exécution ? La question a été posée à la Cour de cassation dansune affaire où un sous-locataire en état de démence avait bouté le feu à l’im-meuble loué. Statuant sur le fondement de l’article 1735 du Code civil, la Courde cassation, se retranchant derrière une interprétation légaliste de cette dis-position, a retenu la responsabilité du débiteur contractuel pour le fait nonfautif de son substitut au motif que « le fait d’une personne que le preneurs’est de plein gré substituée dans le bénéfice du contrat ne constitue pas uncas de force majeure ni une cause étrangère libératoire de sa responsabi-lité » (227).

(225) Voy. Bruxelles, 27 avril 1992, J.L.M.B., 1993, p. 410, note A. KOHL. Lorsque pour accomplir sa mission,la poste a recours à des transporteurs privés ou publics, tel un transporteur aérien, ceux-ci sont desagents d’exécution. La Régie des postes est tenue d’une obligation de résultat. En cas de perte d’uncolis, sa responsabilité est engagée, même si cette perte survient à un moment où le courrier n’est plussous la garde de ses préposés, mais sous celle des préposés d’un de ses agents d’exécution. Ceux-cibénéficient, quant à eux, de l’immunité reconnue à tous les agents d’exécution. L’article 23 de la loi du26 décembre 1956 qui signifie que ceux qui prêtent leur concours à la poste bénéficient du mêmerégime d’irresponsabilité que la poste, n’implique pas une dérogation à cette règle.

(226) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 196, n° 1601 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité,1998, n° 831.

(227) Cass., 29 novembre 1984, J.T., 1987, p. 422 ; R.C.J.B., 1987, p. 222 et les observations de F. GLANSDORFF :« La responsabilité contractuelle des malades mentaux et des autres personnes atteintes d’un troublephysique ou mental ».

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

L’arrêt a généralement été critiqué au motif que la Cour aurait ainsi créé unnouveau cas de responsabilité objective. Sa décision aboutissait en outre à unesituation paradoxale puisque le locataire principal était tenu de répondre del’incendie volontaire causé par un sous-locataire en état de démence, alors quecelui-ci se trouvait exonéré de toute responsabilité à l’égard du locataire. Onen a conclu que la solution devait rester limitée à l’article 1735 du Code civilet ne pouvait pas être étendue aux autres cas de responsabilités du fait d’unagent d’exécution (228).

Si la deuxième objection nous paraît fondée en ce que la décision de la Courbrise le principe de symétrie qui préside à l’engagement de la responsabilitédu débiteur principal, la première est sujette à discussion. Il se peut en effetque la Cour ait considéré l’obligation du locataire principal comme une obli-gation de résultat renforcée, en sorte que seule la cause étrangère exonératoirelui permettait de s’exonérer de sa responsabilité, à l’exclusion d’un fait nonfautif. Dans une telle hypothèse, la question de l’imputabilité du manquementest indifférente, seule compte l’inexécution de l’engagement pris à l’égard ducocontractant. Il suffit que la prestation fournie par le substitut ou l’auxiliairene soit pas conforme à celle qui avait été promise pour que la responsabilitédu débiteur principal puisse être engagée, sans qu’il soit nécessaire de porterun jugement sur sa conduite personnelle. Un même raisonnement pourraîtêtre tenu dans le cadre de l’article 1797 du Code civil, qui fait, lui aussi, réfé-rence au fait des personnes employées (229).

Conformément au droit commun, on procédera toutefois à un partage de res-ponsabilités, si le dommage dont se plaint le créancier victime trouve sa causedans sa propre imprudence ou négligence, voire dans son obstruction. Mêmesi elle n’est ni imprévisible ni irrésistible pour le débiteur, la faute du créancierréduira à due proportion l’obligation de réparation dudit débiteur (230).

64. — Le principe de symétrie qui régit la responsabilité du débiteur princi-pal pour le fait de son agent d’exécution a d’autres conséquences importantes.Ainsi, les plafonnements légaux qui limiteraient l’étendue de la responsabilité

(228) P.-H. DELVAUX, op. cit., J.T., 1987, p. 422, n° 32 ; P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de ser-vice … », op. cit., p. 246.

(229) Voy. à cet égard l’arrêt de la Cour de cassation française du 10 octobre 1995, Bull. civ., I, n° 346, quiretient la responsabilité contractuelle de l’imprimeur pour la perte d’un stock de papier détruit dans unincendie provoqué volontairement par un préposé.

(230) Mons, 29 juin 1993, J.L.M.B., 1994, 61, obs. Vandermersch : lorsque le cocontractant s’est rendu comptequ’un agent d’exécution de son partenaire commettait des irrégularités comptables et qu’il n’en a pasaverti son partenaire, préférant négocier directement avec l’agent d’exécution, la faute ainsi commisejustifie un partage de responsabilités dans la mesure de l’aggravation du dommage ; voy. égalementMons, 7 janvier 1992, R.R.D., 1992, p. 53, où une faute est retenue à la charge du destinataire d’unelivraison de mazout qui n’avait pas surveillé les opérations de remplissage.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

du débiteur principal s’appliqueront de la même façon que l’inexécution trouvesa source dans son fait personnel ou dans le fait des personnes qu’il a introdui-tes dans l’exécution (231).

Les limitations qui se déduisent des articles 1150 et 1151, à les supposer réel-les, bénéficieront aussi au débiteur principal, quelles que soient les modalitésd’exécution du contrat (232).

Pour les mêmes raisons, les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilitéprévues dans le contrat principal pourront être opposées par le débiteur à soncocontractant même lorsque l’inexécution trouve sa source dans un fait del’agent d’exécution, et même si la clause en question est silencieuse à ce su-jet (233). Si la responsabilité qui fait l’objet de la clause est de celles qui peu-vent être limitées par les parties, on ne voit pas pourquoi il faudrait contesterla validité de ladite clause sous prétexte qu’elle engloberait le fait d’autrui.

Rien n’empêche non plus les parties de prévoir des clauses limitatives ouexonératoires dont la portée est limitée aux faits des auxiliaires et des substi-tuts, pour autant que de telles clauses eussent été admises si elles avaient viséle fait personnel du débiteur. Conformément au principe de symétrie, les limi-tes à la validité des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité cou-vrant le fait personnel se répercutent donc automatiquement sur la validitédes clauses couvrant le fait d’autrui insérées dans le contrat principal (234).

Ce raisonnement laisse planer un doute sur la validité des clauses par lesquellesle débiteur principal s’exonère de la faute intentionnelle de ses préposés ousubstituts (235). Pas plus qu’il ne pourrait s’exonérer de son dol personnel, ledébiteur principal ne devrait pouvoir valablement s’exonérer du dol de sespréposés. La Cour de cassation admet pourtant la validité de telles clauses (236).Cette solution paraît critiquable, car elle permet au contractant principal d’al-léger sa responsabilité en se substituant un tiers dans l’exécution du contrat,ce qui heurte les fondements de la responsabilité contractuelle.

(231) G. VINEY, « Groupes de contrats … », op. cit., p. 354, n° 18 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 836.(232) G. VINEY, ibid.(233) L’article 23 de la loi du 26 décembre 1956 prévoit par exemple que ceux qui prêtent leur concours à la

poste bénéficient du même régime d’irresponsabilité. Voy. Bruxelles, 27 avril 1992, J.L.M.B., 1993,p. 410, note A. KOHL.

(234) G. VINEY, « Groupes de contrats … », op. cit., p. 355, n° 19 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité, 1998, n° 838.(235) Dans le même sens, J. DABIN, op. cit., p. 28 et s. ; P.-H. DELVAUX, « Les groupes de contrats … », op. cit.,

p. 368, n° 11.(236) Cass., 21 septembre 1959, R.C.J.B., 1960, p. 5.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

2. La faute de l’agent d’exécution

65. — Lorsque le débiteur principal a recours à des auxiliaires ou des substi-tuts pour l’accomplissement de ses propres obligations, ceux-ci apparaissentcomme de simples instruments mis au service de l’exécution du contrat. Commeon vient de le voir, la responsabilité du débiteur principal se déduit de l’inexé-cution de l’engagement qu’il avait pris. Elle sera plus ou moins lourde selon lecontenu et la nature de cet engagement. Dans ce débat, la responsabilité per-sonnelle de l’agent d’exécution passe à l’arrière-plan.

S’il est condamné à réparation, le débiteur principal dispose bien entendud’un recours contre son agent d’exécution, mais ce recours trouve alors sonfondement, ses conditions et ses limites dans le contrat qui le liait à cetagent (237). La confusion entre la personnalité du débiteur principal et cellede son auxiliaire ou de son substitut ne joue que dans les rapports avec lecréancier victime de l’inexécution.

Tout autre est la question de savoir si le créancier peut exercer directement unrecours contre l’agent d’exécution. Nous ne pouvons pas examiner cette ques-tion dans le détail. L’on connaît les principes fondamentaux qui régissent lamatière depuis le fameux arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre1973 (238). Faute d’action directe ou de stipulation pour autrui, le créancierne peut engager la responsabilité contractuelle de l’agent d’exécution qui esttiers au contrat de base (239). La voie quasi-délictuelle ne lui sera ouverte quesi la faute imputée à l’agent d’exécution constitue la violation, non de l’obliga-tion contractuelle, mais d’une obligation qui s’impose à tous, et si cette faute acausé un autre dommage que celui résultant seulement de la mauvaise exécu-tion du contrat. Le préposé ou l’agent d’exécution n’est en effet pas un tiers auregard de l’exécution de ce contrat.

L’immunité ne couvre toutefois pas l’agent d’exécution pour les dommagescausés aux personnes étrangères au contrat de base, même si ces dommagessont survenus à l’occasion de l’exécution de ce contrat (240). L’agent ne peut

(237) P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des contrats de service … », op. cit., p. 248.(238) Pas., 1974, I, 376 ; les juges du fond ont généralement suivi cette jurisprudence. Voy. notamment Civ.

Mons, 26 mars 1985, R.G.A.R., 1987, n° 11201.(239) En jurisprudence, voy. Cass., 15 septembre 1977, Pas., 1978, I ; dans cet arrêt, la Cour consacre l’ab-

sence d’action contractuelle contre le préposé du gardien par la négligence duquel tout ou partie dugage a disparu ; Cass., 13 avril 1984, Pas., 1984, I, 1022 ; Bruxelles, 28 octobre 1987, J.T., 1988, 665, obs.F. Glansdorff ; J.L.M.B., 1988, 312, obs. P. Rigaux ; Bruxelles, 9 mai 1990, R.G.A.R., 1992, n° 11926, obs.F.G.

(240) Cass., 25 octobre 1990, R.G.A.R., 1992, n° 11990 ; R.C.J.B., 1992, p. 493 ; Mons, 11 juin 1993, J.T., 1993,p. 741 ; Mons, 2 novembre 1993, Entr. et Dr., 1994, p. 415, note ; Anvers, 7 avril 1997, R.W., 1997-1998,854.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

en outre invoquer son immunité que pour les fautes commises dans l’exécu-tion des obligations découlant du contrat principal (241).

66. — Cette jurisprudence, largement critiquée (242), s’inscrit pourtant logi-quement dans l’analyse proposée. Il suffit pour s’en convaincre de relire lesconclusions de l’Avocat général Mahaux : « Contrairement à ce qu’admet l’ar-rêt (de la cour d’appel), le préposé ou l’agent ne peut être considéré commeun tiers. Il constitue seulement l’instrument au moyen duquel le contrac-tant exécute le contrat et la faute qu’il commet dans l’exécution des obliga-tions du contractant qui le désigne, doit être considérée comme la faute ducontractant lui-même » (243).

À la différence de P.-H. Delvaux (244), on ne verra pas dans cette instrumen-talisation de l’agent d’exécution une application implicite de la théorie de lareprésentation chère à Dabin et Lagasse, mais simplement un signe de l’inuti-lité du concept de responsabilité du fait d’autrui dans le domaine contractuel :la responsabilité du débiteur principal se déduit de l’inexécution des obliga-tions qu’il a personnellement assumée.

Admettre libéralement l’action quasi-délictuelle dans un tel contexte condui-rait à un bouleversement radical des prévisions contractuelles des parties. Lecréancier pourrait en effet échapper ainsi, à peu de frais, au cadre convention-nel dans lequel elles ont entendu inscrire leurs relations (245).

67. — Deux solutions sont alors envisageables : soit l’on ouvre l’action con-tractuelle contre l’agent d’exécution en se fondant sur la théorie des groupesde contrats, comme l’a fait un temps, la première chambre civile de la Cour de

(241) Voy. Anvers, 7 avril 1997, Dr. eur. transp., 1997, p. 595 ; R.W., 1997-1998, 854 : l’agent d’exécution nepeut invoquer son immunité pour les dommages causés à une barge de poussage totalement étrangèreà l’objet et à la portée du contrat ; Anvers, 19 mars 1996, J.P.A., 1996, p. 135 : l’arrimeur engage saresponsabilité quasi-délictuelle lorsqu’il charge, par erreur, des marchandises à bord d’un navire auquelelles n’étaient pas destinées. Il ne peut faire état de ce qu’il était également chargé de l’arrimage à borddu navire pour lequel le fret n’avait pas été effectivement engagé.

(242) Voy. notamment J.-L. FAGNART, « La responsabilité de l’agent d’exécution », note sous Cass., 7 décembre1973, R.G.A.R., 1974, n° 9317 ; R.O. DALCQ et F. GLANSDORFF, « Responsabilité aquilienne et contrats »,note sous Cass., 7 décembre 1973, R.C.J.B., 1976, p. 20 ; A. LIMPENS-MEINERTZHAGEN, Observations sousCass., 7 décembre 1973, Entr. et Dr., 1975, p. 188 ; J. VAN RYN, « Responsabilité aquilienne et contrats »,J.T., 1975, p. 505 ; pour une opinion en sens contraire, J. HERBOTS, « Samenloop contractuele en delictueleaansprakelijkheid », T.P.R., 1980, p. 1055.

(243) Arr. Cass., 1974, p. 400.(244) P.-H. DELVAUX, op. cit., p. 419, n° 12.(245) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1603.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

cassation française (246). Dans ce cas, la responsabilité du destinataire ne pour-rait être mise en cause que dans les limites, d’abord des stipulations du contratqui l’unit à l’intermédiaire, et ensuite des stipulations du contrat qui lie l’inter-médiaire au destinataire ; soit on ferme la voie contractuelle, et l’on n’autorisel’action quasi-délictuelle que si les conditions du cumul sont remplies.

C’est la seconde solution qu’a choisie la Cour de cassation : le créancier nepeut agir sur une base extra-contractuelle contre l’agent d’exécution que si safaute consiste dans la violation de l’obligation générale de prudence qui s’im-pose à tous et si le dommage est différent de celui qui résulte de la mauvaiseexécution du contrat. Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassa-tion, ces deux conditions sont censées remplies lorsque la faute commise cons-titue en même temps une infraction pénale (247).

L’approche est parfaitement cohérente : l’admission de l’action en res-ponsabilité quasi-délictuelle ne suscite aucun bouleversement des prévisionsrespectives des parties, lorsque l’inexécution reprochée ne concerne pas lecœur du contrat et qu’elle se solde par un dommage différent de celui quirésulte de la privation des avantages qui en étaient attendus.

Il ne faut pas, à notre avis, interpréter trop restrictivement les termes utiliséspar la Cour lorsqu’elle affirme dans son arrêt du 7 décembre 1973, que la fauteimputée à l’agent d’exécution doit constituer la violation, non de l’obligationcontractuelle, mais d’une obligation qui s’impose à tous. L’action quasi-délictuelle n’est pas exclue par le simple fait que l’obligation violée pourraitêtre considérée comme une obligation contractuelle accessoire (248). Lamultiplication des obligations implicites de sécurité devrait, au contraire, con-duire à admettre l’action en responsabilité quasi-délictuelle, toutes les fois quele manquement contractuel se double d’une faute et d’un dommage détacha-bles de celui-ci, comme une atteinte à la sécurité des personnes ou des biens

(246) Cass. fr. civ. (1ère ch.), 21 juin 1988, Dall., 1989, Jur., 5, note C. LARROUMET ; J.C.P., 1988, II, 21125, noteP. JOURDAIN ; cette jurisprudence a été renversée par un arrêt de la même Cour, réunie en assembléeplénière, le 12 juillet 1991 (Dall., 1991, Jur., 519, note J. GHESTIN ; J.C.P., 1991, II, 21743, note G. VINEY).

(247) Cass., 26 octobre 1990, Pas., 1991, I, 216 ; R.C.J.B., 1992, 497, note R.O. Dalcq. Voy. également Civ.Turnhout, 9 septembre 1994, Rev. Dr. Santé, 1996-1997, p. 200 ; Comm. Anvers, 22 juin 1992, Dr. eur.transp., 1994, p. 74.

(248) Pour un exposé de la controverse, voy. P. WÉRY, « Les rapports entre responsabilité aquilienne etresponsabilité contractuelle, à la lumière de la jurisprudence récente », R.G.D.C., 1998, p. 95.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

qui ne font pas l’objet du contrat (249). Cette faute se distingue en effet claire-ment du simple retard d’exécution ou du caractère incomplet de la prestationou même de sa non-conformité, qui sont des dommages purement contrac-tuels (250).

L’arrêt de la Cour de cassation du 26 octobre 1990 comporte un attendu clairen ce sens : « Attendu que le dommage causé par un fait légalement punis-sable ne peut être considéré comme un dommage de nature exclusivementcontractuelle par le seul motif qu’il a été causé ensuite de la mauvaiseexécution de l’obligation contractuelle de veiller à la sécurité de la victime ».L’obligation de sécurité n’est donc pas soustraite au champ contractuel, commele préconisent plusieurs auteurs français, mais sa violation ouvre largement lavoie à l’action quasi-délictuelle (251).

68. — Contrairement à X. Dieux et de P. Van Ommeslaghe, nous ne pensonspas que l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 1990, rendu sur con-clusions conformes de Mme Liekendael, alors avocat général, puisse être inter-prété dans le sens de la suppression des contraintes qui assortissent la possibi-lité d’engager la responsabilité extra-contractuelle des agents d’exécution (252).

(249) Lorsque le contrat consiste dans des travaux à effectuer, il n’est pas toujours aisé de déterminer quelssont les biens qui font l’objet du contrat et quels sont ceux qui y restent étrangers. La jurisprudencemarque en effet une certaine hésitation lorsqu’il s’agit de déterminer quels biens ont été confiés àl’entrepreneur. L’action par laquelle la victime demande réparation des dommages causés à ces biensest-elle de nature contractuelle ou quasi-délictuelle ? Si elle est de nature contractuelle (au titre d’uneobligation de sécurité), le cumul est-il autorisé ?Voy. dans le sens de l’action contractuelle : Anvers, 13 avril 1994, R.W., 1995-1996, p. 397 (un entrepre-neur de travaux de décoration qui s’engage à placer du tapis-plain commet un manquement contrac-tuel si dans le placement de ce tapis, il endommage une canalisation d’eau) ; Anvers, 19 novembre1991, Dr. eur. transp., 1992, p. 127 (le déchargement dans une citerne terrestre fait partie de la livraison.En cas de dommage causé tant aux biens livrés qu’aux produits se trouvant déjà dans la citerne, l’actionen réparation du dommage est basé sur la convention CMR et pas sur l’article 1382 C. civ.) ; Bruxelles,20 janvier 1989, R.G.A.R., 1991, n° 11794 (l’entrepreneur est contractuellement responsable du sous-traitant qui a provoqué un incendie en travaillant au chalumeau une citerne à mazout sans neutralisersuffisamment les dépôts de mazout restant au fond des réservoirs.Certaines décisions admettent l’action quasi-délictuelle : voy. Liège, 20 juin 1996, J.L.M.B., 1997, p. 382,qui retient la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur principal sur le fondement de l’article 1797C. civ., mais admet néanmoins la responsabilité quasi-délictuelle des deux sous-traitants qui n’avaientpas pris les précautions suffisantes pour éviter un incendie, au motif que le dommage dépasse large-ment le cadre de la mauvaise exécution du contrat ; Mons, 4 novembre 1991, R.R.D., 1992, p. 56 :l’entrepreneur qui effectue des travaux à la gouttière n’est pas considéré comme gardien de celle-ci, nide l’immeuble, le propriétaire étant resté dans celui-ci pendant que se réalisaient les travaux.

(250) Voy. Bruxelles, 5 novembre 1993, R.D.C., 1994, p. 1077, note J.-P. BUYLE et X. THUNIS : le dommagecausé au donneur d’ordre en raison de l’exécution tardive ou erronnée de l’ordre à la suite d’une fautede la banque résulte exclusivement de la mauvaise exécution du contrat, et ne saurait engager laresponabilité quasi-délictuelle de la banque.

(251) Cass., 26 octobre 1990, précité.(252) X. DIEUX, « Les chaînes et les groupes de contrats », op. cit., p. 140 ; P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution des

contrats de service par autrui », op. cit., p. 273.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

L’espèce qui a donné lieu à cet arrêt était très particulière puisqu’il s’agissaitd’une action en responsabilité quasi-délictuelle engagée cette fois, par l’agentd’exécution contre le maître de l’ouvrage, au motif que celui-ci avait enlevéune certaine quantité de bois sur pieds sur les terrains destinés à recevoir lestravaux, en violation de la promesse qu’il avait faite à l’entrepreneur général,alors que l’entrepreneur général s’était lui-même engagé envers le sous-trai-tant à laisser à ce dernier le profit de la vente des arbres. La Cour de cassationsaisie du pourvoi approuve la cour d’appel d’avoir accueilli la demande dusous-traitant sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil : « Pourqu’il puisse être fait droit à la demande introduite par le sous-traitant, con-tre le maître de l’ouvrage sur la base des articles 1382 et 1383 du Codecivil, il suffit que les conditions prévues à ces articles soient remplies » (253).

L’application analogique de la jurisprudence relative à l’agent d’exécution nese justifiait pas ici, le maître de l’ouvrage n’étant précisément pas intervenucomme agent d’exécution de l’entrepreneur principal. Simplement, le sous-traitant était légitimement en droit de compter sur l’avantage qui lui avait étéréservé dans le contrat conclu avec l’entrepreneur. Ayant été privé du profitqu’il pouvait légitimement escompter par le fait du maître de l’ouvrage, tiers àce contrat, il était en droit d’obtenir la réparation du dommage consistant dans laperte de ce profit espéré sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil (254).

Cet arrêt ne peut donc être compris comme un revirement de la jurispru-dence de la Cour de cassation inaugurée en 1973. Un arrêt récent rendu le 7novembre 1997 confirme d’ailleurs l’attachement de la Cour à sa jurisprudencerelative à l’immunité de l’agent d’exécution (255). Les juridictions de fond ysont elles-mêmes restées fidèles jusqu’à aujourd’hui (256).

(253) Cass., 14 décembre 1990, Pas., 1991, I, 375 ; R.W., 1991-1992, p. 787.(254) Comp. Avec les propos de J. VAN RYN, rapportés par X. DIEUX, « Les chaînes et groupes de contrats … »,

op. cit., p. 143. Selon X. DIEUX cependant, l’attribution d’un fondement aquilien à l’action du créanciercontre les auxiliaires de son débiteur, n’a pas nécessairement pour conséquence que ce dernier nepuisse plus opposer à son adversaire des exceptions déduites de ses relations contractuelles avec ledébiteur intermédiaire (p. 147).

(255) Cass., 7 novembre 1997, R.G.D.C., 1998, p. 153 et les commentaires de P. WÉRY, dans la même revue,pp. 81-108.

(256) Mons, 16 janvier 1997, R.D.C., 1997, p. 694, note J.-L. FAGNART ; Anvers, 9 janvier 1995, Dr. eur. transp.,1995, p. 474 ; J.P.A., 1995, 115 ; Liège, 7 octobre 1993, R.R.D., 1994, p. 55 ; J.L.M.B., 1995, p. 296 ;Liège, 12 avril 1991, J.L.M.B., 1991, p. 835, note Th. BEGUIN ; Civ. Louvain, 9 avril 1996, J.P.A., 1996, 164 ;Civ. Malines, 19 avril 1994, R.G.D.C., 1995, p. 337 ; Civ. Dendermonde, 25 février 1993, R.W., 1993-1994, p. 1396.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Section IIILa responsabilité contractuelle

du fait des choses

69. — Comme le principe général de la responsabilité contractuelle du faitd’autrui, le principe de la responsabilité contractuelle du fait des choses vientcorriger l’étroitesse de la responsabilité pour faute, en ajoutant un nouveaufait générateur de responsabilité à la panoplie incomplète du Code civil. L’ap-parition de ce principe dans l’ordre contractuel s’autorise bien entendu d’uneanalogie avec l’article 1384, al. 1er du Code civil et semble spécialement utilepour les contractants victimes d’un dommage corporel.

Si l’on admet que la responsabilité contractuelle, dans sa conception restric-tive, fait uniquement naître l’obligation pour le débiteur de procurer au créan-cier l’équivalent de l’intérêt pécuniaire qu’il attendait du contrat, le principegénéral de responsabilité du fait des choses ne présente pas plus d’utilité nid’intérêt que celui de la responsabilité du fait d’autrui. Nul besoin d’inventerun principe de responsabilité nouveau, dès lors que ce n’est pas le fait de lachose qui constitue le fait générateur de la responsabilité, mais l’inexécutionde l’engagement du débiteur. Le fait que l’inexécution du contrat soit due àl’intervention de la chose fournie par le débiteur ou utilisée par lui ne sauraitdonc avoir d’incidence sur les conditions de sa responsabilité. Tout dépend dela nature et de l’intensité de l’obligation qui n’a pas été ou qui a été mal exécu-tée (257).

L’apparition de cette responsabilité nouvelle s’explique en réalité par la multi-plication inopportune des obligations de sécurité dans les contrats. Pour ob-server ce phénomène, il y a lieu de distinguer selon que la chose qui est àl’origine du dommage constitue l’objet même de la prestation (A) ou si elle aété simplement utilisée pour l’exécution du contrat (B).

(257) Ph. REMY, op. cit., R.T.D.civ., 1997, p. 349, n° 37 ; D. TALLON, op. cit., R.T.D.civ., 1994, p. 229.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

A. La responsabilité du fait des choses livrées

70. — Les contrats qui comportent la fourniture d’un objet sont nombreux(vente, bail, louage d’ouvrage …). On se limitera ici à la vente.

Lorsque la chose fournie n’apporte pas au créancier l’utilité attendue ou, pourutiliser des termes habituels, si elle ne répond pas à l’usage auquel l’acheteur,à la connaissance du vendeur, la destine, ceci constitue l’inexécution de l’obli-gation souscrite par le vendeur. Les remèdes offerts par la garantie légale desvices cachés ne se justifient en aucun cas par une prétendue responsabilitécontractuelle du fait des choses (258). Quel que soit le fondement de l’actiondu créancier, le dommage qui résulte du défaut ou de la perte d’utilité de lachose est un dommage purement contractuel (259).

Avec la multiplication des accidents causés par des produits défectueux, l’on aassisté cependant à un renforcement des obligations liées à la livraison d’unechose. En France, par exemple, un arrêt de la Cour de cassation française du 17janvier 1995, a dissocié l’obligation de sécurité de l’obligation de garantie : « levendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts de tout viceou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les per-sonnes ou les biens ; … il en est responsable tant à l’égard des tiers que deson acquéreur » (260).

La responsabilité du vendeur pour violation de l’obligation de sécurité estdonc dans un premier temps recherchée sur le terrain contractuel, puis éten-due au domaine extra-contractuel. Ce souci d’uniformisation est sans doutelégitime car on ne comprendrait pas que des victimes exposées aux mêmesrisques soient traitées différemment selon qu’elles sont ou non parties au con-trat de vente. On fait ainsi écho à la solution retenue par la directive euro-péenne sur les produits défectueux (261), récemment transposée en droit fran-çais (262).

Il est permis de voir dans la directive, comme dans la jurisprudence de la Courde cassation, la confirmation de ce que la protection des personnes et desbiens appartient naturellement à la responsabilité extra-contractuelle. Il aurait

(258) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, 1996, n° 1538.(259) Voy. J.P. Zele, 6 septembre 1989, J.J.P., 1991, p. 142 ; comp. dans le cas d’un bail, à propos de l’art. 1721

C. civ., J.P. Gand, 20 avril 1993, T.G.R., 1994, p. 5 : le fait pour un propriétaire d’avoir placé dans unecuisine une conduite d’eau en cuivre non isolée et encastrée entre le mur extérieur et un mur intérieurconstitue un vice caché au sens de cet article. La responsabilité quasi-délictuelle est exclue la faute etle dommage étant purement contractuels.

(260) Cass. fr. civ. (1ère Ch.), 17 janvier 1995, Dall., 1995, Jur., 350, note P. JOURDAIN ; R.T.D.civ., 1995, 631, obs.P. JOURDAIN ; J.C.P., 1995, I, 3853, n° 9, obs. VINEY.

(261) Directive du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, régle-mentaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défec-tueux, J.O.C.E., n° L210/29 du 7 août 1985.

(262) Loi n° 98-389 du 9 mai 1998, D., 1998, Lég., p. 194.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

été plus logique pour certains, de décontractualiser l’obligation de sécurité etde l’inscrire dans le domaine extra-contractuel, où la victime pourrait profiterde l’article 1384, al. 1er du Code civil (263).

71. — En Belgique, la jurisprudence n’a pas succombé à la tentation de déga-ger une obligation autonome de sécurité du contrat de vente. La réparationdes dommages causés aux autres biens que le bien défectueux ou aux person-nes reste coulée dans le moule de la garantie légale des vices cachés. La géné-ralité des termes employés par l’article 1645 du Code civil selon lequel, « si levendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution duprix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur »,permet sans doute de le justifier. On a toutefois l’impression que la protectionde la personne et des biens de l’acheteur entre ainsi artificiellement dans lechamp de la responsabilité contractuelle.

Au plan pratique, la différence entre les deux approches est minime, puisqu’auterme d’une assimilation entre le vendeur professionnel et le vendeur de mau-vaise foi, tout vendeur professionnel est tenu d’une obligation de compétencequi est de résultat (264). C’est dire que, dans le domaine contractuel, le ven-deur est tenu de livrer une chose exempte de vice, sauf pour lui à prouver lecaractère indécelable de ce vice ou son ignorance invincible (obligation derésultat atténuée) (265).

Ainsi, l’obligation du promoteur de livrer un immeuble conforme aux règlesde l’art et exempt de malfaçons est généralement considérée comme une obli-gation de résultat (266). Il en va de même du fournisseur d’un système infor-matique qui livre un logiciel affecté d’un virus (267).

Afin d’éviter une discrimination injustifiable entre les victimes, selon qu’ellessont parties ou non au contrat de vente, la jurisprudence belge n’a pas hésité,avant même l’adoption de la loi du 22 février 1991 sur la responsabilité du faitdes produits défectueux, à dégager de l’article 1382 du Code civil, une obliga-tion identique à l’égard des tiers. Cette jurisprudence tient pour une faute

(263) En ce sens, Ph. REMY, op. cit., R.T.D.civ., 1997, p. 350, n° 39 ; P. JOURDAIN, op. cit., Dall., 1995, Jur., 353.(264) Rappelons que dans l’hypothèse d’un prêt à usage, le prêteur n’est responsable pour les défauts de la

chose prêtée qui sont susceptibles de causer un préjudice que s’il connaissait ces vices et n’a pas avertil’emprunteur (art. 1891 C. civ.). Voy. en ce qui concerne la mise à disposition d’un téléviseur ayantimplosé : Civ. Louvain, 29 avril 1988, R.G.D.C., 1990, p. 428, note D. DELI.

(265) Cass., 4 mai 1939, Pas., 1939, I, 223 ; Cass., 13 novembre 1959, Pas., 1960, I, 313 ; Cass., 6 mai 1977,Pas., 1977, I, 907 qui semble limiter l’obligation de résultat au fabricant et au vendeur spécialisé ; Cass.,15 juin 1989, Pas., 1989, I, 1117 ; Cass., 7 décembre 1990, Pas., 1991, I, 346.

(266) Bruxelles, 8 avril 1992, J.L.M.B., 1992, p. 1290 ; Entr. et Dr., 1994, p. 54 ; Mons, 11 février 1992, J.L.M.B.,1994, p. 542.

(267) J.P. Ixelles, 21 janvier 1994, J.J.P., 1995, p. 153, note O. LESUISSE.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

extra-contractuelle, le simple fait de mettre en circulation un produit défec-tueux (268). Le raccourci est saisissant, d’autant que la reconnaissance d’uneobligation extra-contractuelle de résultat constitue à tout le moins une anoma-lie au regard du prescrit apparemment clair de l’article 1382 du Code civil.

Encore faut-il se demander si cet article s’oppose réellement à un renversementde la charge de la preuve au profit de la victime. Présumé responsable, l’auteurdu fait dommageable pourrait s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis defaute. La loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux permet derésoudre cette difficulté en offrant un cadre approprié à la réparation des at-teintes aux personnes et aux autres biens que le produit défectueux lui-même.

Quant à l’article 1384, al. 1er du Code civil, il ne présente guère d’intérêt pourl’acheteur, dès lors que le vendeur pourra rarement être considéré commegardien de la chose vicieuse.

B. La responsabilité du fait des choses utilisées dans le cadrede l’exécution du contrat

72. — Afin d’élargir la palette des faits générateurs de responsabilité sur lemodèle de la responsabilité extra-contractuelle, on est tenté d’affirmer que ledébiteur répond non seulement de sa faute mais du vice de la chose qu’ilemploie en vue de l’exécution du contrat, quand bien même ce vice ne résul-terait pas d’une faute de sa part.

Un arrêt de la Cour de cassation française du 17 janvier 1995 est souvent citécomme un premier pas vers la reconnaissance d’un principe de responsabilitécontractuelle du fait des choses. S’agissant de statuer sur la responsabilité d’unétablissement d’enseignement en raison d’un dommage causés à un élève parun cerceau qui s’était brisé, la Cour affirme que « contractuellement tenu d’as-surer la sécurité des élèves qui lui sont confiés, un établissement d’enseigne-ment est responsable des dommages qui leur sont causés, non seulementpar sa faute, mais encore par le fait des choses qu’il met en œuvre pourl’exécution de son obligation contractuelle » (269).

C’est une fois encore par la découverte d’une obligation accessoire de sécuritécontenue implicitement dans le contrat que l’on cherche à uniformiser le trai-tement des victimes. Encore faut-il pour que l’égalité soit atteinte, que l’obliga-tion ainsi déduite du contrat soit une obligation de résultat renforcée dont le

(268) Voy. T. BOURGOIGNIE, « La sécurité des consommateurs et l’introduction de la directive communautairedu 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux en droit belge », J.T., 1987, p.359 ; M. FALLON, Les accidents de la consommation et le droit, Bruxelles, Bruylant, 1982, p. 84.

(269) Cass. fr. civ. (1ère ch.), 17 janvier 1995, Dall., 1995, Jur., 350, note P. JOURDAIN ; R.T.D.civ., 1995, p. 631,obs. P. JOURDAIN ; J.C.P., 1995, I, 3853, n° 9, obs. G. VINEY.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

débiteur ne peut s’exonérer que par la cause étrangère exonératoire, sans quoila reconnaissance de cette obligation de sécurité aurait pour effet de placer lavictime cocontractante dans une position défavorable par rapport auxtiers (270). Ceux-ci pourraient, quant à eux, s’appuyer sur l’article 1384, al. 1er

du Code civil qui ne requiert pas, en France, l’existence d’un vice.

Même à cette condition, l’identité entre les deux régimes n’est pas parfaitepuisque le débiteur qui met en œuvre une chose dans le cadre de l’exécutiondu contrat est tenu en tant que cocontractant et non en tant que gardien. Parailleurs, une interprétation restrictive de l’arrêt conduit à n’imposer qu’uneobligation de moyens pour les choses qui ne sont pas « mises en œuvre » dansle cadre de l’exécution du contrat (271).

En vue d’atteindre l’objectif d’égalité de traitement, il aurait donc été plussimple et tout aussi efficace de retenir la responsabilité de l’école en sa qualitéde gardienne de la chose au sens de l’article 1384, al. 1er du Code civil (272).On aurait ainsi débarrassé le contrat de ces fausses obligations contractuellesque sont les obligations de sécurité.

Il semble d’ailleurs que depuis cet arrêt du 17 janvier 1995, la Cour de cassa-tion française n’ait pas confirmé sa jurisprudence alors que l’occasion lui en aété offerte. Elle a ainsi apprécié la responsabilité d’un club sportif à l’égardd’un adhérent qui s’était blessé dans l’exécution d’un exercice aux anneaux,sans faire allusion à la notion de « fait de la chose » (273).

On y voit le signe d’une hésitation entre deux options, la première consistantà renforcer l’obligation de sécurité et la seconde qui permettrait de laisser lechamp libre à la responsabilité aquilienne en décontractualisant l’obligationde sécurité (274).

73. — À notre connaissance, la Cour de cassation belge n’a pas à ce jour con-sacré l’existence d’un principe général de responsabilité contratuelle du faitdes choses utilisées pour l’exécution d’un contrat. Il est vrai que la questionprésente chez nous moins d’acuité dès lors que le cumul des actions contrac-tuelle et extra-contractuelle est largement admis lorsque le dommage consistedans une atteinte à la sécurité des biens et des personnes. L’obligation de sécu-rité ne fait en effet que refléter le devoir qu’a chacun de prendre les précau-

(270) H. GROUTEL, « Obligation de sécurité et responsabilité du fait des choses », Resp. civ. et ass., avril 1995, 2.(271) H. GROUTEL, ibid.(272) P. JOURDAIN, op. cit., Dall., 1995, Jur., p. 354 ; Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité,

1996, n° 1590.(273) Cass. fr. civ. (1ère Ch.), 21 novembre 1995, Bull. civ., I, n° 424 ; J.C.P., 1996, éd. O, IV, 92 ; également

Cass., 14 mars 1995, Bull. civ., I, n° 129.(274) G. VINEY, « Chronique », J.C.P., 1996, I, n° 3944.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

tions nécessaires pour éviter de causer des dommages aux biens de quicon-que ou de porter atteinte à l’intégrité physique de tout un chacun. La faute quirésulte de la violation de cette obligation n’est pas purement contractuelle,pas plus que le dommage qui s’ensuit.

Dans le domaine de la responsabilité civile médicale, on notera pourtant unetendance de la jurisprudence à admettre facilement la faute du médecin lors-qu’il utilise du matériel usé, vétuste, insuffisamment entretenu ou mal con-trôlé. Il est toutefois exceptionnel que cette obligation soit tenue pour uneobligation de résultat (275). Une partie de la doctrine plaide cependant enfaveur d’une obligation de sécurité dont le médecin ne pourrait s’exonérerqu’en établissant que le dommage est dû à une force étrangère imprévisible etirrésistible. L’utilisation du matériel médical ne présenterait en effet aucunrésultat aléatoire en soi (276).

On ne saurait y souscrire au vu des développements qui précèdent. Le fait quel’inexécution d’une obligation contractuelle résulte du fait d’une chose nedevrait avoir aucune incidence sur la responsabilité du débiteur. Ainsi, l’obliga-tion du médecin ne change pas de nature parce qu’il utilise des choses dansl’exercice de son art.

La solution inverse conduirait à aggraver artificiellement la responsabilité dumédecin, en tant que simple utilisateur d’un appareillage ou d’un instrumentmédical, alors même qu’il n’en serait pas le gardien au sens de l’article 1384,alinéa 1er du Code civil.

Une réserve pourrait toutefois être admise lorsque la prestation de soins s’ac-compagne de la fourniture (et non simplement de l’utilisation) d’une chose(pose d’une prothèse par un dentiste par exemple) (277). Dans ce cas, le den-tiste est tenu, à l’égal du vendeur professionnel, de délivrer une chose sansdéfaut. On sait que cette obligation est généralement considérée comme uneobligation de résultat.

(275) Bruxelles, 17 novembre 1989, J.L.M.B., 1990, p. 331 (usage d’un bistouri électrique mal isolé).(276) T. VANSWEEVELT, op. cit., p. 504, n° 910.(277) T. VANSWEEVELT, op. cit., p. 505, n° 911 ; l’auteur rapporte une seule décision belge en ce sens : J.P.

Jehay-Bodegnée, 17 janvier 1959, Jur. Liège, 1958-1959, 264.

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Questions choisies en droit de la responsabilité contractuelle

Conclusion

74. — On s’interroge de plus en plus à l’heure actuelle sur l’opportunité demaintenir la distinction entre la responsabilité contractuelle et aquilienne. Ilest vrai que le maintien ne se justifie guère si la responsabilité contractuelleremplit, comme la responsabilité aquilienne, une fonction exclusive de répara-tion des dommages injustement causés à autrui.

L’apparition des obligations de sécurité, souvent liée à des considérations d’op-portunité, a contribué sans aucun doute à effacer progressivement les frontiè-res séparant les deux ordres de la responsabilité et à attribuer au contrat unefonction qui ne lui revient pas naturellement. En réalité, l’obligation de sécu-rité ne fait que déplacer dans le champ contractuel le devoir général de ne pasnuire à autrui.

Il faut rappeler cependant que la faute délictuelle ou quasi-délictuelle dépendde la violation d’un devoir alors que l’inexécution contractuelle résulte de laviolation d’un engagement. Elle suppose uniquement que l’on compare ce quia été fait avec ce qui a été promis. La distinction entre les obligations de moyenset de résultat permet sans doute de systématiser cette comparaison, mais elledonne l’impression que la responsabilité contractuelle résulte toujours d’unefaute de comportement. Or, le simple fait que l’avantage économique attendudu contrat n’ait pas été procuré au créancier devrait, sous la réserve de lacause étrangère exonératoire, obliger le débiteur à lui fournir l’équivalent de laprestation non exécutée, conformément à l’article 1147 du Code civil.

L’effacement des articles 1150 et 1151 du Code civil s’inscrit aussi dans lalogique d’une assimilation progressive des conditions et des effets de la res-ponsabilité contractuelle et aquilienne. Dans sa conception initiale, le dom-mage prévisible recevait pourtant un contenu objectif : il s’agissait de limiterla réparation au dommage intrinsèque, c’est-à-dire à celui qui découle de laperte de l’objet du contrat. Il est frappant de constater que c’est dans le règle-ment des problèmes de cumul des responsabilités que réapparaît le noyau dur dela responsabilité contractuelle et qu’elle retrouve son irréductible spécificité.

L’apparition d’un principe général de responsabilité contractuelle du faitd’autrui et du fait des choses résulte aussi de cette volonté de transposer l’éven-tail des faits générateurs de responsabilité aquilienne dans le domaine con-

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

tractuel. En réalité, ce n’est pas le fait d’autrui ni le fait de la chose qui consti-tuent le fait générateur de la responsabilité, mais bien l’inexécution de l’enga-gement que le débiteur avait pris à l’égard de son cocontractant. Il importepeu à cet égard de savoir par quels moyens le débiteur a entendu exécuter sesobligations, seul compte l’inexécution des engagements qu’il avait pris per-sonnellement.

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DU NEUF EN MATIÈREDE CLAUSES PÉNALES !

Patrick WÉRY,chargé de cours aux F.U.N.D.P. (Namur)

et chargé de cours invité à l'U.C.L.

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Du neuf en matière de clauses pénales !

SOMMAIRE

INTRODUCTION ................................................................................. 171

1. Introduction ............................................................................ 1712. Historique du projet de loi 1373 ..................................... 1713. Le texte des articles 1153, alinéa 4, 1226, 1231 ......... 171

SECTION I

DROIT TRANSITOIRE ET CHAMP D’APPLICATION DE LA LOI ......... 175

4. Droit transitoire ..................................................................... 1755. La nouvelle législation est-elle impérative ou

intéresse-t-elle l’ordre public ? .......................................... 1756. Champ d’application ratione materiae de la loi ....... 176

SECTION II

DÉFINITION DE LA CLAUSE PÉNALE ................................................ 177

7. La situation antérieure au projet 1373 ........................ 1778. La fin d’une controverse doctrinale ................................ 178

SECTION III

LA RÉDUCTIBILITÉ DE LA CLAUSE PÉNALE ...................................... 181

9. Les hypothèses de réduction .............................................. 181

A. La réduction des clauses pénales excessives .................................. 182

10. La sanction : réduction et non plus annulation ........ 18211. Réduction d’office ou à la demande du débiteur ...... 18212. Prohibition des clauses contraires .................................. 18213. L’appréciation marginale du caractère excessif

de la clause pénale ............................................................... 18314. Dommage potentiel ou dommage réel ? ....................... 18315. Régimes particuliers ............................................................ 184

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES DISPOSITIONS

B. La réduction des intérêts moratoires conventionnels excessifs 185

16. L’article 1153, alinéa 4, nouveau .................................... 18517. L’innovation par rapport au droit antérieur .............. 18518. La référence au dommage subi ........................................ 185

C. La réduction de la clause pénale en cas d’exécution partielle 187

19. La portée de cette réduction .............................................. 18720. Interdiction des clauses contraires .................................. 188

CONCLUSIONS ....................................................................................191

21. Synthèse .................................................................................... 191

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Du neuf en matière de clauses pénales !

Introduction

1. Introduction. — Le 16 juillet 1998, la Chambre des représentants adop-tait, en assemblée plénière et à une très large majorité, le projet de loi modi-fiant le Code civil en ce qui concerne la clause pénale et les intérêts moratoi-res (1). Ce projet modifie les articles 1153, 1226 et 1231 du Code civil; par lamême occasion, il abroge l’article 1152, qui proclame l’irréductibilité des clau-ses pénales.

Le Sénat n’a pas cru devoir évoquer le projet dans le délai de soixante joursque lui laissait l’article 78 de la Constitution. Il reste donc à attendre la signa-ture royale et la publication au Moniteur. Selon nos renseignements pris auprèsdu cabinet du Ministre de la Justice, la future loi pourrait entrer en vigueurdans le courant du mois de décembre de cette année.

Lorsque nous avons établi le programme de ce recyclage, il n’entrait pas dansnos intentions de consacrer des développements particuliers à la clause pé-nale. De nombreuses études de qualité avaient, en effet, déjà examiné cetteclause sous ses différents aspects, et nous n’aurions pu mieux faire qu’y ren-voyer le lecteur. Le projet 1373 a toutefois eu raison de nos intentions ! Il est,en effet, difficile de passer sous silence cette réforme qui affecte le régimejuridique d’une clause si usuelle en pratique. Parant au plus pressé, nous pro-posons au lecteur ce premier commentaire, qui, on s’en doute, ne pourra épui-ser toutes les questions qui ne manqueront pas de se poser en la matière (2).Une conclusion s’imposera au terme de cette étude : la clause pénale risquebien de demeurer une institution en crise (3) !

2. Historique du projet de loi 1373. — A l’origine de ces articles qui vontrévolutionner le régime des clauses pénales en droit belge, l’on trouve la pro-

(1) Doc. parl., Ch. repr., 1373/6-97/98.(2) Un commentaire plus approfondi paraîtra dans la Revue générale de droit civil, en 1999, dès que la loi

sera entrée en vigueur. La présente étude date du 16 novembre 1998.(3) Pour reprendre l’expression que Mme I. MOREAU-MARGRÈVE employait déjà, dans son article sous Cass., 17

avril 1970, R.C.J.B., 1972, p. 459 et s.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES DISPOSITIONS

(4) Doc. parl., Ch. repr., 1373/1-97/98. Elle a été examinée par la commission chargée des problèmes dedroit commercial et économique (voy. le rapport fait par P. LANO, au nom de la commission chargée desproblèmes de droit commercial et économique, Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98).

(5) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 2.

position du député Luc Willems (4). Le texte de celle-ci a subi de profondesmodifications lors de sa discussion en commission de la Chambre; le députéWillems s’y est toutefois ralliée puisque c’est à l’unanimité que la commissiona adopté le texte qu’elle a transmis à l’assemblée plénière de la Chambre.

L’auteur de la proposition justifie son initiative en ces termes : « Les clausespénales sont importantes pour les échanges commerciaux. Pourtant, lesdispositions du Code civil relatives à ces clauses donnent lieu à des difficul-tés d’application, et ce depuis des années. La proposition de loi tend essen-tiellement à adapter ces dispositions aux besoins rencontrés dans la prati-que et, plus précisément, à permettre au juge de modérer les clauses deréparation pour inexécution d’une convention lorsque les montants stipu-lés sont trop élevés. Un règlement comparable est proposé pour les clausesexcessives de réparation pour retard dans l’exécution d’un engagement depayer une somme d’argent déterminée à titre d’intérêts moratoires » (5).

3. Le texte des articles 1153, alinéa 4, 1226, 1231. — En son article 3, leprojet 1373 remplace l’article 1226 du Code civil par la dispositionsuivante : « La clause pénale est celle par laquelle une personne s’engage àpayer, en cas d’inexécution de la convention, une compensation forfaitairepour le dommage éventuellement subi par suite de ladite inexécution ».

Le projet ne se contente pas de préciser la définition de la clause pénale. Ildétermine également les hypothèses dans lesquelles la clause est réductible.Elles sont au nombre de trois.

La première hypothèse figure dans l’alinéa 4 qui devra être ajouté à l’article1153 du Code civil : « Sous réserve de l’application de l’article 1907, le jugepeut, d’office ou à la demande du débiteur, réduire l’intérêt stipulé à titre dedommages-intérêts pour retard dans l’exécution si cet intérêt excède mani-festement le dommage subi à la suite de ce retard. En cas de révision, lejuge ne peut condamner le débiteur à payer un intérêt inférieur à l’intérêtlégal. Toute clause contraire aux dispositions du présent alinéa est réputéenon écrite ».

Les autres hypothèses de réduction sont inscrites dans la disposition qui rem-placera l’article 1231 du Code civil :

« §1er. Le juge peut, d’office ou à la demande du débiteur, réduire lapeine qui consiste dans le paiement d’une somme déterminée lors-

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Du neuf en matière de clauses pénales !

que cette somme excède manifestement le montant que les partiespouvaient fixer pour réparer le dommage résultant de l’inexécutionde la convention.

En cas de révision, le juge ne peut condamner le débiteur à payerune somme inférieure à celle qui aurait été due en l’absence de clausepénale.

§2. La peine peut être réduite par le juge lorsque l’obligation princi-pale a été exécutée en partie.

§3. Toute clause contraire aux dispositions du présent article est ré-putée non écrite ».

Dans la foulée, le législateur abroge l’article 1152, qui proclamait le principede l’intangibilité des clauses pénales.

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Du neuf en matière de clauses pénales !

Section IDroit transitoire et

champ d’application de la loi

4. Droit transitoire. — Le projet de loi ne prévoit aucune disposition dedroit transitoire. La question peut toutefois se résoudre assez aisément enl’espèce, par application des principes de droit commun.

La future loi n’aura pas d’effet rétroactif et donc ne pourra pas remettre encause les situations définitivement acquises sous la législation antérieure.

La future loi sera d’application immédiate. Dès son entrée en vigueur, ellegouvernera les clauses pénales qui naîtront postérieurement à celle-ci.

S’appliquera-t-elle également aux clauses pénales qui ont vu le jour avant cettedate ? Tout dépend du caractère de la nouvelle législation. Si celle-ci est sup-plétive de volonté, c’est la loi ancienne, qui était en vigueur au moment où lesparties se sont accordées sur la clause, qui demeure applicable : le respect dela stabilité des conventions commande une telle solution. En revanche, si la loinouvelle est impérative ou d’ordre public, elle s’appliquera de droit aux clau-ses qui ont été souscrites avant cette date (6). La question est facile à résou-dre, en l’espèce. L’article 1231, § 3, nouveau porte que « Toute clause con-traire aux dispositions du présent article est réputée non écrite ». C’est ceque prévoit également la finale de l’alinéa 4 que le législateur ajoute à l’article1153 du Code civil. Il est, dès lors, certain que la nouvelle loi, qui n’est passupplétive, s’appliquera également aux clauses qui sont antérieures à son en-trée en vigueur.

5. La nouvelle législation est-elle impérative ou intéresse-t-elle l’ordrepublic ? — La question risque d’être controversée. Elle est toutefois sans in-térêt pour résoudre le problème du droit transitoire, puisque, sous ce rapport,les dispositions impératives et d’ordre public doivent être traitées de la mêmefaçon.

(6) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 1, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 1962, pp. 341-342; W.VAN GERVEN, Beginselen van belgisch privaatrecht, Algemeen deel, E. Story-Scientia, 1987, p. 72.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES DISPOSITIONS

L’auteur de la proposition de loi optait pour la première qualification (7); unpassage du rapport de P. Lano confirme cette idée à propos du nouvel alinéade l’article 1153 (8). Le but du législateur est, en effet, de veiller aux intérêtsparticuliers du débiteur.

Les arguments ne manquent toutefois pas en faveur de la seconde analyse.

Comme on le sait, l’objectif du législateur est de combattre les clauses pénalesexcessives, au motif qu’elles sont des peines privées ; or, dans la jurisprudencede la Cour de cassation, celles-ci sont jugées contraires aux articles 6, 1131 et1133 du Code civil. Par ailleurs, le fait que le juge puisse réduire d’office lesclauses pénales excessives — possibilité que ne prévoyait pas le promoteurde la proposition de loi — constitue un indice qui plaide également en faveurdu caractère d’ordre public de ces dispositions.

6. Champ d’application ratione materiae de la loi. — Le champ d’appli-cation ratione materiae de la future loi ne doit pas être surestimé. Il est, eneffet, moins large que ce que laisse croire la lecture du prescrit légal.

Les travaux préparatoires insistent sur le fait que la réforme ne modifie en rienles législations particulières qui prévoient un autre régime de sanction pourles clauses pénales excessives (9). C’est ainsi que « Les dispositions proposéesne peuvent en aucun cas être préjudiciables au consommateur » (10). Ce-lui-ci continuera donc de bénéficier de la protection de l’article 32, 15° et 21°,de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur la protectionet l’information des consommateurs et de celle que prévoit l’article 90 de laloi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation (11).

On a souligné, lors des discussions parlementaires, que la réductibilité desclauses pénales excessives sera appelée à jouer principalement dans « les rela-tions contractuelles entre professionnels » (12) . Il faut évidemment y ajouterles clauses pénales qui figurent dans les rapports contractuels entre particu-liers.

(7) Doc. parl., Ch. repr., 1373/1-97/98, p. 6.(8) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 16.(9) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 7, 9 et 10.(10) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 7.(11) On a également cité, lors de la discussion en commission de la Chambre, la loi sur le crédit hypothé-

caire ou encore la loi sur l’assurance terrestre.(12) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 10. Voy. aussi Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 3 : « le

régime sera principalement applicable entre commerçants ».

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Du neuf en matière de clauses pénales !

Section II Définition de la clause pénale

7. La situation antérieure au projet 1373. — On connaît la controversequi, depuis longtemps, divise les auteurs sur l’essence même de la clause pé-nale (13).

Pour une partie de la doctrine, une telle clause ne peut poursuivre qu’unefonction indemnitaire : elle ne peut être qu’une évaluation, forfaitaire et préa-lable, par les parties contractantes du dommage potentiel, que le créancierencourra si le débiteur vient à faillir à ses obligations. Elle a pour but de cou-per court à toute discussion entre parties sur l’existence du dommage ainsique sur son évaluation. Cette analyse peut s’appuyer sur l’alinéa premier del’article 1229, aux termes duquel « La clause pénale est la compensation(14) des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de

l’obligation principale ».

D’autres auteurs estiment, en revanche, que la clause pénale peut égalementremplir une fonction coercitive et donc jouer le rôle d’une peine privée. Danscette perspective, rien n’interdirait aux parties de prévoir, pour la clause pé-nale, un montant qui soit supérieur au dommage potentiel. Les partisans decette analyse étayent leur opinion sur l’article 1226 du Code, aux termes du-quel « La clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer (15)l’exécution d’une convention, s’engage à quelque chose en cas d’inexécu-tion ».

Dès le début des années septante (16), la Cour de cassation a pris clairementposition sur cette question. À ses yeux, la clause pénale ne peut remplirqu’une fonction indemnitaire : elle ne peut être autre chose que la compensa-tion du préjudice potentiel. Si les parties ont prévu un montant énorme, sansrapport avec ce dommage, la stipulation contractuelle qui le prévoit ne peutêtre une clause pénale : il s’agit d’une peine privée que réprouve le droit belge,

(13) Pour un exposé de la controverse, avec des références à la doctrine et à la jurisprudence, voy. S. STIJNS,D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence. Les obligations (1985-1995) », J.T., 1996, pp.735-736.

(14) Nous soulignons.(15) Nous soulignons.(16) Voy. not. Cass., 17 avril 1970 déjà cité à la note 3 .

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES DISPOSITIONS

par application des articles 6, 1131 et 1133 du Code civil (17). Malgré lescritiques d’éminents auteurs, la Cour suprême ne s’est jamais départie de sajurisprudence (18).

8. La fin d’une controverse doctrinale. — Dans le nouvel article 1226, lelégislateur affirme, de la manière la plus nette qui soit, que la clause pénale nepeut remplir qu’une fonction indemnitaire. Aux termes de ce texte, « La clausepénale est celle par laquelle une personne s’engage à payer, en cas d’inexé-cution de la convention, une compensation forfaitaire pour le dom-mage éventuellement subi par suite de ladite inexécution » (19). Commeon le constate, le verbe « assurer », dont les partisans de la peine privée fai-saient grand cas, a ainsi été biffé de cet article : la clause pénale ne peut plusêtre qu’une compensation forfaitaire du dommage potentiel. On ne s’expli-que, dès lors, pas le maintien de l’alinéa premier de l’article 1229, qui feradésormais double emploi avec le nouvel article 1226.

Si la jurisprudence de la Cour de cassation reçoit désormais la caution ex-presse du législateur, il est piquant de relever que le député Willems poursui-vait, en réalité, un tout autre objectif, lorsqu’il a déposé sa proposition de loi!Les modifications qu’il souhaitait voir introduire dans le Code étaient de deuxordres : « D’une part, il y a lieu de préciser clairement dans la loi qu’uneclause pénale peut avoir une fonction coercitive et pas uniquement indem-nitaire. D’autre part, le juge se voit attribuer la possibilité de réprimerd’éventuels abus. À cet effet, il ne doit pas, de façon radicale, déclarer nullesles clauses illicites : il peut se contenter de les tempérer » (20). Il proposait,dès lors, la définition suivante : « La clause pénale est celle par laquelle unepersonne s’engage à quelque chose en cas d’inexécution de la convention,que les parties veuillent éviter toute contestation concernant l’existence etl’ampleur du dommage, qu’elles veuillent stipuler une peine afin d’assurerle respect de l’engagement, ou qu’elles poursuivent ces deux objectifs ». Iln’y avait donc pas d’objection, aux yeux de M. Willems, à ce que la clause

(17) Sur la question, voy. S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique de jurisprudence », J.T., 1996, pp.735-736.

(18) Voy. not. Cass., 3 février 1995, Bull. , 1995, p. 130.(19) C’est nous qui soulignons dans le texte. Sur le plan de la légistique, l’oeuvre du législateur n’est pas

irréprochable. L’expression du« dommage éventuellement subi » est incorrecte sur le plan grammatical;il eût mieux valu écrire « le dommage qui pourrait éventuellement se produire ».

(20) Doc. parl., Ch. repr., 1373/1-97/98, p. 4.

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Du neuf en matière de clauses pénales !

pénale pût remplir aussi une fonction coercitive (21). C’est à l’initiative dudéputé R. Landuyt, adversaire résolu du caractère pénal de la clause, que lacommission de la Chambre a répudié la fonction comminatoire de la clausepénale (22) . Le président de la commission a, en outre, fait observer, à justetitre, qu’il convenait, pour des raisons de cohérence du système, d’aligner ladéfinition de la clause pénale sur celle que donne incidemment l’article 28 dela loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire (23) ; cette dispositiondéfinit déjà les clauses pénales comme « visant à couvrir de façon forfaitaireles dommages potentiels subis par suite du non-respect de l’engagementprincipal ».

(21) Dans les développements de sa proposition de loi, M. WILLEMS précisait que la clause pénale peutconstituer « avec l’assentiment du débiteur, un moyen d’inciter ce dernier à respecter son engagementen attirant son attention sur les conséquences du non-respect de celui-ci dès le moment où il lesouscrit »(Doc. parl., Ch. repr., 1373/1-97/98, pp. 1 et 2). Nous n’apercevons pas l’intérêt qu’il y a àpréciser que le débiteur doit donner son assentiment : par essence, toute convention, toute clausecontractuelle, suppose l’assentiment, l’accord de chacune des parties!

(22) Voy. l’amendement n° 2, Doc. parl., Ch. repr., 1373/2-97/98.(23) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 15.

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Section IIILa réductibilité de la clause pénale

9. Les hypothèses de réduction. — La future loi contient, à bien y regarder,trois cas de figure.

Primo, la clause pénale excède manifestement le dommage potentiel : elleencourt la réduction prescrite par l’article 1231, §1er (A).

Secundo, la clause prévoit des intérêts moratoires conventionnels pour sanc-tionner le retard de paiement d’une obligation de somme. S’ils excèdent « ma-nifestement le dommage subi à la suite de ce retard », il y a lieu à réduction,conformément à l’alinéa 4 de l’article 1153 du Code civil (B).

Tertio, en présence d’une exécution partielle de l’obligation, le juge peut ré-duire le montant de la clause pénale, si celle-ci avait été prévue pour remédierà une défaillance totale du débiteur : telle est la portée de l’article 1231, §2, duCode civil (C).

Pour mémoire, signalons une quatrième cause de révision de la clause pénale,qui est admise par la jurisprudence, depuis une dizaine d’années : l’interdictionpour le créancier d’exercer, de manière abusive, le droit qu’il tire de la clausepénale (24). Cette hypothèse que ne mentionne pas le projet 1373 doit êtresoigneusement distinguée des trois précédentes. Elle suppose que le créan-cier invoque une clause pénale qui, en soi, est irréprochable — en ce sens queson montant n’est pas manifestement excessif (art. 1153, alinéa 4 et 1231, §1er,C. civ.) et qu’elle ne comporte aucune lacune quant à l’hypothèse de l’exécu-tion partielle (art. 1231, §2, C. civ.) — , mais le fait d’une manière qui, manifes-tement, dépasse l’exercice normal qu’en aurait fait un bon père de familleraisonnable. La sanction de cet abus se traduira par une réduction du droit ducréancier à son usage normal (25).

(24) Voy. notre étude « Abus de droit et clause pénale », sous Mons, 11 janvier 1995, R.R.D., 1996, p. 45 et s.,où l’on trouvera les références à la doctrine et à la jurisprudence.

(25) Cass., 18 février 1988, Pas., 1989, I, p. 728; Cass., 21 février 1992, J.L.M.B., 1992, p. 1458, obs. M.-E.STORME.

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A. La réduction des clauses pénales excessives

10. La sanction : réduction et non plus annulation. — Le projet de loiécarte la sanction radicale que la Cour suprême retenait, en présence d’uneclause qui ne poursuit pas un rôle purement indemnitaire. Ce n’est, en effet,plus l’annulation de la clause qui, à l’avenir, sera de mise en droit belge. L’arti-cle 1231, § 1, prévoit désormais la réduction de la clause pénale, « lorsque cettesomme excède manifestement le montant que les parties pouvaient fixerpour réparer le dommage résultant de l’inexécution de la convention »; « encas de révision, ajoute le texte, le juge ne peut toutefois condamner le débi-teur à payer une somme inférieure à celle qui aurait été due en l’absencede clause pénale ». En consacrant la réductibilité des clauses pénales excessi-ves, notre pays s’aligne ainsi sur la solution qu’admettent, déjà mais avec desvariantes, de nombreux États.

À la lecture du texte, il appert que le projet n’envisage la réductibilité de laclause pénale que dans le cas où elle porte sur une somme d’argent. Sansdoute, s’agit-il là de l’hypothèse la plus fréquente en pratique. On ne peutcependant exclure que la clause pénale porte sur autre chose; la doctrine l’atoujours admis. On devine le problème que soulève la rédaction du nouveautexte : les clauses pénales prévoyant autre chose que le paiement d’une sommed’argent qui viendraient à excéder manifestement le dommage potentiel tom-beront-elles sous le coup de l’article 1231, §1er, ou seront-elles sanctionnées,comme par le passé, par une annulation ? Les travaux préparatoires prouvent,à l’évidence, que cette question a échappé aux députés. Il nous semble que leprojet se contente de viser le id quod plerumque fit, sans chercher à exclurede son champ d’application les autres types de clauses pénales; reste à savoircomment, pratiquement, pourra se réaliser la réduction des clauses portantsur autre chose qu’une somme d’argent...

11. Réduction d’office ou à la demande du débiteur. — Le juge peut ré-duire, d’office, le montant de la clause pénale exorbitante. Une demande dudébiteur n’est pas nécessaire. Les commissaires ont été sensibles au fait quebeaucoup de jugements de condamnation sont, en pratique, prononcés pardéfaut du débiteur (26).

12. Prohibition des clauses contraires. — Il est à peine besoin de signalerque les parties ne peuvent écarter le pouvoir de révision judiciaire des clausesexcessives. L’article 1231,§ 3, le précise, du reste, explicitement.

(26) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 13.

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13. L’appréciation marginale du caractère excessif de la clause pé-nale. — L’article 1231,§1, subordonne la réduction de la « peine » (27) à laconstatation d’un excès « manifeste ».

Les tribunaux sont ainsi investis d’un pouvoir d’appréciation marginale (« demarginale toetsing ») (28). Ce critère était déjà préconisé par la résolution duConseil de l’Europe du 20 janvier 1978 et par la Convention Benelux du 26novembre 1978; le projet de loi du Ministre de la Justice J. Gol, de 1984, l’adop-tait aussi. À juste titre, les députés ont perçu la difficulté que les parties peu-vent éprouver à évaluer, ex ante, au moment de la conclusion du contrat, ledommage que la faute du débiteur peut faire encourir à son cocontractant.

Lorsqu’il apprécie le montant de la clause pénale, le juge est donc invité à fairepreuve de réserve, de circonspection : ce n’est que si le montant de la clauseest, à l’évidence, sans rapport avec celui qu’aurait fixé tout homme raisonna-ble et équitable placé dans les mêmes circonstances (29), que son montantdoit être modéré.

Pour se prononcer sur le caractère manifeste de l’excès, le juge peut tenircompte de la présence, dans le contrat, d’une clause d’intérêts moratoires con-ventionnels. On songe évidemment ici au sort à réserver aux clauses de majo-ration conventionnelle des dettes de somme. On peut ainsi lire dans les tra-vaux préparatoires : « Une clause pénale peut en effet perdre son admissibi-lité si, eu égard au montant de la clause de réparation du dommage résul-tant d’un retard d’exécution prévue dans le même contrat, il apparaît clai-rement que le montant conjoint des intérêts moratoires et de la clause pé-nale est manifestement disproportionné par rapport aux fonctions des deuxclauses, même si ces clauses considérées séparément sont acceptables. C’estainsi qu’en appréciant les intérêts moratoires stipulés, le juge pourra tenircompte de la clause pénale convenue » (30).

14. Dommage potentiel ou dommage réel ? — Pour apprécier le carac-tère de la clause pénale, le juge doit comparer son montant au dommage po-tentiel, et non au préjudice qui s’est effectivement réalisé : c’est au momentoù la clause pénale a été insérée dans la convention que le juge doit se placerpour remplir son office. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’expression « lemontant que les parties pouvaient fixer pour réparer le dommage résul-

(27) Le législateur aurait plutôt dû parler de « clause pénale ».(28) Les travaux préparatoires sont, sur ce point, formels (Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 3 et p.11).(29) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 14. Voy., sur le critère de l’appréciation marginale, l’étude de S.

STIJNS, « Abus, mais de quel(s) droit(s)? Réflexions sur l’exécution de bonne foi des contrats et l’abus dedroits contractuels », J.T., 1990, p. 41.

(30) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 9.

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tant de l’inexécution de la convention » (31). C’est, dès lors, bien maladroite-ment qu’en commission de la Chambre, certains parlementaires se sont réfé-rés au dommage effectif (32).

Tel est le principe. La détermination du dommage réel peut toutefois présen-ter un certain intérêt en pratique.

D’une part, l’enseignement qui se dégage de l’arrêt de la Cour de cassation du29 février 1996 conservera toute sa pertinence sous l’empire de la nouvelleloi : le juge peut prendre en considération « des éléments concernant le dom-mage réel aux fins d’apprécier le dommage éventuel visé par les parties lorsde la conclusion du contrat » (33).

D’autre part, l’article 1231, §1, 2e alinéa, précise qu’en aucun cas, le tribunal nepeut réduire la clause pénale à un montant inférieur aux dommages et intérêtsauxquels le créancier aurait eu droit en l’absence de cette clause. « Cette dis-position paraît justifiée étant donné qu’elle précise clairement que la modé-ration d’une clause pénale « exorbitante » ne peut avoir pour effet de priverle créancier de son droit d’obtenir les dommages-intérêts qui lui auraientété accordés s’il n’avait pas inséré de clause pénale dans le contrat » (34).Ce filet de sécurité s’inspire de la Convention Benelux et de la Résolution duConseil de l’Europe déjà citées.

15. Régimes particuliers. — La future loi se contente de modifier le droitcommun des clauses pénales. Elle n’abroge en rien les dispositions que l’ontrouve dans des législations particulières.

C’est ainsi que les clauses pénales exorbitantes qui sont inscrites dans le con-trat conclu entre un vendeur professionnel et un consommateur, au sens quela loi du 14 juillet 1991 donne à ces deux notions, demeurent sanctionnées parla nullité (art. 32, 21°, et art. 33). Elles ne peuvent être purgées de leur partiecoercitive.

La loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation prévoit, elle aussi, en sonarticle 90, un régime particulier : « Lorsque l’intérêt de retard convenu dé-passe le taux visé à l’article 28, il est de plein droit réduit à ce taux. Enoutre, si le juge estime que les pénalités ou les dommages-intérêts convenus

(31) Nous soulignons.(32) Voy. not. l’intervention du député J.-J. VISEUR : « En ce qui concerne les clauses pénales, l’intervenant

souligne que, dans le cadre de la révision, le juge doit tenir compte du dommage total subi par lecréancier, et donc tant de la perte subie que du manque à gagner » (Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98,p. 6).

(33) Bull., 1996, p. 221.(34) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 11.

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ou appliqués, notamment sous la forme de clause pénale, en cas d’inexécu-tion de la convention, sont excessifs ou injustifiés, il peut d’office les réduireou en relever entièrement le consommateur ».

B. La réduction des intérêts moratoires conventionnels exces-sifs

16. L’article 1153, alinéa 4, nouveau. — Le projet de loi entend aussi luttercontre les clauses qui prévoient des intérêts moratoires exorbitants. Le jugepourra désormais, d’office ou à l’initiative du débiteur, réduire « l’intérêt sti-pulé à titre de dommages-intérêts pour retard dans l’exécution si cet intérêtexcède manifestement le dommage subi à la suite de ce retard ». « Touteclause contraire aux dispositions du présent alinéa est réputée non écrite »,précise la finale de ce texte.

À notre avis, le législateur aurait pu faire l’économie de cette disposition, puis-que ces intérêts conventionnels ne sont rien d’autre qu’une clause pénale (35).En l’absence de cet alinéa 4, ils auraient été justiciables du contrôle judiciaireprescrit par l’article 1231 nouveau.

17. L’innovation par rapport au droit antérieur. — Sous l’empire de laprécédente législation, si le juge estimait l’intérêt excessif, il devait annuler laclause qui dissimulait, en réalité, une peine privée, pour contrariété aux arti-cles 6, 1131 et 1133 du Code civil. Le droit commun applicable en l’absencede clause pénale reprenait alors le dessus, de sorte que le retard de paiementétait sanctionné par l’intérêt légal de l’article 1153.

À l’avenir, la sanction sera différente. Aux prises avec une telle clause, le jugene pourra plus l’annuler : il réduira les intérêts conventionnels, étant entenduqu’en cas de révision, il lui est interdit de condamner le débiteur à payer unintérêt inférieur à l’intérêt légal. On constate que dans ce système, l’intérêtlégal fait office de taux plancher, le juge ayant le pouvoir de fixer un tauxsupérieur.

18. La référence au dommage subi. — Une incongruité apparaît à la lec-ture du nouveau texte : la réduction aura lieu si l’intérêt conventionnel ex-cède manifestement le dommage subi à la suite du retard.

(35) Ce qu’admettent, d’ailleurs, les travaux préparatoires (Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 3 : « clau-ses pénales particulières concernant les intérêts moratoires »).

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Cette référence au préjudice qui s’est effectivement réalisé ne laisse pas desurprendre. À maintes reprises, tant la doctrine que la jurisprudence ont eul’occasion de rappeler que le caractère indemnitaire ou, au contraire, coercitifd’une clause pénale doit s’apprécier par rapport au dommage éventuel que lecréancier était, dans l’esprit des parties contractantes, susceptible de subir dufait d’un retard de paiement (36).

Cette curieuse référence au dommage subi figurait déjà dans le texte de laproposition primitive du député Willems; aucun de ses collègues n’a formuléd’observations sur ce point bien précis.

Comment convient-il d’interpréter cette disposition ? La question est assuré-ment délicate.

On peut s’en tenir à une interprétation purement littérale de la loi, et donccomparer le forfait conventionnel au dommage que le créancier a réellementsubi. Le caractère excessif d’une clause pénale devra ainsi s’apprécier diffé-remment, selon qu’elle a pour objet des intérêts moratoires ou d’autres dom-mages et intérêts, que ceux-ci soient moratoires, compensatoires ou complé-mentaires à une résolution judiciaire. À l’appui de cette première interpréta-tion, on peut invoquer le précédent que constitue l’article 90 de la loi du 12juin 1991 relative au crédit à la consommation. Pour réduire le montant de laclause pénale, voire en relever entièrement le consommateur, il est admis quele juge peut se référer au préjudice effectivement subi. Comme l’observe, àbon escient, Ch. Biquet-Mathieu, « L’article 90, alinéa 2, déroge donc au ré-gime de droit commun des clauses pénales, en ce sens qu’une clause pénaleindemnitaire, c’est-à-dire une clause pénale dont le montant correspond aupréjudice prévisible lors de l’accord sur cette clause pénale, peut être réduitepar le juge qui estime que, nonobstant son caractère indemnitaire, le mon-tant de la clause pénale est excessif ou injustifié, eu égard au préjudiceeffectivement subi ou à des circonstances externes au contrat » (37).

On peut, au contraire, estimer que cette référence au dommage subi constitueune inelegantia iuris, qui ne peut refléter la volonté du législateur. La diffi-culté que nous soulevons a, en effet, échappé à l’attention des députés et duministre compétent. Il convient alors de continuer, comme par le passé, à s’en-quérir du préjudice potentiel pour déterminer le caractère indemnitaire deces intérêts moratoires. Cette interprétation, qui est certes plus audacieuse, anos faveurs. N’est-ce pas également ce raisonnement que la doctrine tientdepuis toujours, à propos de l’article 1229, alinéa 1er, qui dispose que « la clause

(36) Voy. encore récemment I. MOREAU-MARGRÈVE, Chr. BIQUET et A. GOSSELIN, « Grands arrêts récents en ma-tière d’obligations », Act. droit, 1997, pp. 44 et 45.

(37) Chr. BIQUET-MATHIEU, « Commentaire sommaire de la loi relative au crédit à la consommation », Act.droit, 1993, p. 100.

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pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souf-fre de l’inexécution de l’obligation principale » ? Le verbe « souffre » étantévidemment malheureux, les auteurs ont toujours été d’accord pour dire que« présumé souffrir, en vertu de la convention » (38) rend mieux compte del’essence de la clause pénale.

C. La réduction de la clause pénale en cas d’exécution par-tielle

19. La portée de cette réduction. — Le deuxième paragraphe de l’article1231 nouveau est la réplique parfaite de l’ancien article 1231, à une nuanceprès : le projet substitue au terme « modifié » le mot « réduite ».

Comment faut-il interpréter ce texte aux termes duquel « La peine peut êtreréduite par le juge lorsque l’obligation principale a été exécutée en partie ».

En l’absence d’indication contraire dans les travaux préparatoires, nous pen-sons que le législateur a reconduit tout simplement les solutions qui étaient envigueur sous l’empire de l’ancien article 1231. Le député Willems, qui estl’auteur de la proposition de loi, déclarait, au demeurant, que « L’article 1231,§ 2, proposé du Code civil reformule le texte actuel de cet article » (39).

La portée de cette disposition est très modeste (40). Tout comme naguère, cepouvoir de réduction est confiné dans des limites étroites : il ne peut jouerdans toutes les hypothèses où l’obligation a été exécutée en partie, mais seule-ment dans le cas particulier où la « peine » (41) n’a été prévue par les partiesque pour sanctionner l’inexécution totale de l’obligation. Confronté à cettelacune que comporte la clause pénale, le juge se voit investi du pouvoir d’adapterson montant, en fonction de cette inexécution partielle de l’obligation (42). G.Cornu expose parfaitement la portée qui doit être attribuée à cette dispo-sition : « L’article 1231 signifie seulement que, lorsque la peine a été prévuepour le cas d’inexécution totale, le juge peut, en cas d’inexécution partielle,n’accorder qu’une partie du forfait ‘calibré’ pour le pire et le réduire, enconsidération de ce qui a été fourni, par une sorte de règle de trois (...).Aucun pouvoir de réduction ne résulte de ce texte, lorsque le contrat a spé-

(38) C. DEMOLOMBE, Cours de code civil, t. 13, Bruxelles, 1873, p. 211.(39) Doc. parl., Ch. repr., 1373/1-97/98, p. 6. M. WILLEMS proposait la rédaction suivante : « La peine peut

être réduite par le juge lorsque l’obligation principale a été exécutée en partie, que cette obligationconcerne ou non le paiement d’une somme d’argent ». La finale de ce texte, dont on n’aperçoit pasl’intérêt pratique, a été abandonnée lors de la discussion en commission de la Chambre.

(40) Voy. P. WÉRY, « L’adaptation judiciaire de la clause pénale, en cas d’exécution partielle de l’obligation »,note sous Cass., 10 avril 1997, R.C.J.B., 1998, n°4, à paraître.

(41) On peut regretter que le législateur ait encore repris ce terme, alors que la clause pénale ne peut êtreune peine.

(42) Voy. les numéros 5 et suivants de notre note sous Cass., 10 avril 1997, à paraître à la R.C.J.B., 1998.

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cialement stipulé la peine pour le cas d’inexécution partielle (c’est-à-direici, en cas de défaillance dans le versement d’une seule indemnité) » (43).

20. Interdiction des clauses contraires. — Le paragraphe 3 de l’article 1231répute non écrite « toute clause contraire aux dispositions du présent article ».

La formulation absolue de ce texte ne dépasse-t-elle pas la volonté du législa-teur ? On peut le penser, car certaines clauses dérogatoires n’encourent aucungrief au regard de la ratio legis de cette disposition. Pour rappel, « La régle-mentation des clauses pénales doit (...) veiller à protéger la partie la plusfaible. La proposition de loi à l’examen assure cette protection en permet-tant au juge de modérer le montant de la clause pénale ou des intérêtsmoratoires, lorsque celui-ci est manifestement excessif » (44).

Deux cas de figure doivent être distingués.

Première hypothèse : les parties contractantes déclarent la clause irréducti-ble, en ce sens qu’elles dénient au juge le pouvoir d’adapter le montant qui aété prévu pour un cas d’inexécution totale de l’obligation, si, d’aventure, sur-vient une défaillance partielle du débiteur.

Seconde hypothèse : les parties ont fixé les bases de l’adaptation que la clausepénale devra subir, si le débiteur vient à s’acquitter partiellement de sa dette;ou, variante sur le même thème, la clause a été spécialement conçue pourremédier aux conséquences dommageables d’une exécution partielle (45). Cesclauses dérogent également à l’article 1231, puisque le tribunal n’a plus à in-tervenir en cas d’exécution partielle : grâce à la prévoyance des parties, laclause pénale ne comporte plus de lacune.

Si l’on comprend aisément pourquoi les clauses du premier type doivent êtreprohibées, on n’aperçoit, en revanche, pas la raison pour laquelle celles dusecond type doivent subir le même sort.

Une interprétation littérale de la loi aurait des conséquences insoupçonnéessur le plan pratique; elle remettrait, en effet, en cause la validité de quantité declauses pénales. Une telle interprétation aurait, au demeurant, quelque chosed’illogique et de choquant : elle reviendrait à reprocher aux parties contrac-tantes, qui ont envisagé les dommages et intérêts à devoir en cas d’inexécu-tion partielle, d’avoir fait acte de prévoyance ! Ce serait aller au-delà de l’ob-jectif du législateur qui entend seulement lutter contre les clauses pénales aumontant excessif.

(43) G. CORNU, « De l’énormité des peines stipulées en cas d’inexécution partielle du contrat de crédit-bail »,R.T.D.C., 1971, p. 169.

(44) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 6.(45) Voy. le numéro 26 de notre note sous Cass., 10 avril 1997, R.C.J.B., 1998, n°4, à paraître.

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En réalité, le législateur n’a pas aperçu cette difficulté d’interprétation quesuscite la rédaction trop générale de ce paragraphe 3; comme le prouve lalecture des travaux préparatoires, il a été préoccupé, avant tout, par la réduc-tion des clauses pénales qui prévoient un montant exorbitant, et ne s’est pourainsi dire pas intéressé à la problématique de l’inexécution partielle. Nousprônons, dès lors, une interprétation restrictive de l’article 1231, §3, qui limiteson champ d’application aux clauses appartenant au premier cas de figure.Faut-il préciser que les clauses du second type n’échapperont pas, pour lacause, à tout contrôle judiciaire ? Il va, en effet, de soi que ces clauses sontsusceptibles d’être modérées sur le pied de l’article 1231, §1, s’il apparaît aujuge que leur montant excède manifestement le dommage potentiel.

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Conclusions

21. Synthèse. — Adoptées à la va-vite, à la veille des vacances parlementaires,les dispositions du projet 1373 vont, à n’en pas douter, faire couler des flotsd’encre. N’en déplaise au législateur, elles ne mettront certainement pas « unterme à l’insécurité juridique régnant en matière de clauses pénales » (46) !Bien au contraire !

On peut synthétiser la portée de la future loi en quelques propositions.

Elle contient, tout d’abord, une confirmation : même si une partie de la doc-trine ne manquera pas de le regretter, le législateur rappelle que, par essence,la clause pénale est exclusivement indemnitaire (voy. supra no 8).

La nouvelle loi consacre, par ailleurs, une rupture radicale par rapport au droitantérieur : à l’avenir, les clauses pénales excessives seront réduites et non plusannulées (voy. supra nos 10 et s.). Le législateur n’innove, en revanche, pas,lorsqu’il prévoit la réduction des clauses pénales, en cas d’exécution partielle(voy. supra, no 19).

Si, sur ces différents aspects de la réforme, la volonté du législateur nous paraîtclairement exprimée, nous doutons, en revanche, que les termes du projetreflètent fidèlement cette volonté sur d’autres points. Ainsi la référence audommage subi à l’article 1153, alinéa 4, nouveau (voy. supra no 18) et la prohi-bition très générale que contient l’article 1231, §3 (voy. supra no 20) nousparaissent-elles être le fruit d’une inadvertance du législateur ; la consultationdes travaux préparatoires atteste que les parlementaires et le ministre compé-tent en cette matière n’ont mesuré ni la portée précise de ces termes ni sur-tout les conséquences qu’elles induiront en pratique. Nous avons proposéune interprétation restrictive de ces textes qui permettrait de conjurer cesdangers. Une loi de réparation serait évidemment la solution la mieux indi-quée sur le plan de la sécurité juridique. Le législateur pourrait, par la mêmeoccasion, apporter un certain nombre de corrections de style qui ont été sug-gérées dans ce commentaire (voy. supra no 8 (note 20), 19 (note 40)).

(46) Doc. parl., Ch. repr., 1373/4-97/98, p. 6.

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RÉSOLUTION JUDICIAIREET NON JUDICIAIRE

DES CONTRATSPOUR INEXÉCUTION

Sophie STIJNS,chargée de cours à la K.U. Leuven,

à la K.U. Brusselet chargée de cours invité à l'U.C.L.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

SOMMAIRE

INTRODUCTION .................................................................................. 197

SECTION I

LE DROIT D'OPTION DU CRÉANCIER ................................................ 199

1. Principes ................................................................................... 1992. L’abus de droit en tant que limite au droit d’option 2003. Le choix abusif : applications ............................................ 2024. Quelques règles de ‘bonne conduite’ dans l’exercice

de l’option ................................................................................ 2035. Autres aspects du droit d’option ...................................... 204

SECTION II

LE RÉGIME DE LA RÉSOLUTION POUR INEXÉCUTION FAUTIVE..... 207

A. Fondement et caractéristiques ........................................................... 207

6. Fondement et caractéristiques .......................................... 207

B. Le régime de la résolution judiciaire ............................................... 208

7. Champ d’application ........................................................... 2088. Conditions ............................................................................... 2099. Appréciation de la gravité suffisante du manquement

par le juge ................................................................................ 21010. Résolution aux torts réciproques des parties .............. 21111. Applications ............................................................................ 21212. Critère du manquement justifiant une résolution

du contrat ................................................................................ 214

C. Le régime de la résolution non judiciaire en vertu de circonstances exceptionnelles ...................................................... 216

13. Nécessité d’une intervention préalable du juge ? ....... 21614. Applications ............................................................................ 217

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

15. Compatibilité avec l’article 1184 du Code civil :évolution historique de cet article ................................... 218

15bis. Compatibilité avec l’article 1184 du Code civil :véritable portée de cet article ............................................ 222

16. Conditions d’application .................................................... 224

D. Le régime de la résolution non judiciaire en vertud’une clause résolutoire expresse ...................................................... 226

17. Gradations et qualification ............................................... 22618. Licéité des clauses résolutoires expresses ...................... 22719. Portée ........................................................................................ 22920. Mise en œuvre ........................................................................ 23021. Contrôle judiciaire ................................................................ 231

SECTION III

LES EFFETS DE LA RÉSOLUTION POUR INEXÉCUTION FAUTIVE .... 233

A. Principes et exceptions .......................................................................... 233

22. Principes ................................................................................... 23323. Exceptions ................................................................................ 234

B. Critiques et ébauche d’une solution................................................. 236

24. Critiques ................................................................................... 23625. Ébauche d’une solution ...................................................... 237

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Introduction*

Dans tout contrat synallagmatique, le créancier, victime d’une inexécution fau-tive de la part de son débiteur, possède le droit de faire résoudre ce contrat parle juge. Le droit à la résolution lui est accordé par l’article 1184 du Code civil,dont la rédaction est identique au texte du Code civil français. L’article estlibellé comme suit :

« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats sy-nallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point àson engagement.

Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie enverslaquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre àl’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander larésolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défen-deur un délai selon les circonstances ».

On remarque que cet article contient, en fait, deux sortes de dispositions dis-tinctes : d’une part, les dispositions concernant le droit à la résolution ducréancier victime d’une inexécution fautive dans un contrat synallagmatique(partie soulignée en italique), et, d’autre part, celles qui se rapportent au droitd’option du créancier entre l’exécution forcée ou la résolution du contratinexécuté.

Ces deux groupes de dispositions sont intimement liés, puisque la demandeen résolution d’un contrat s’identifie à l’exercice, par le créancier, de son droitd’option. Un véritable choix entre l’exécution et la résolution du contrat nes’offre, dès lors, au créancier, que lorsque les conditions de fond du droit à larésolution sont réunies. Autre conséquence de ce lien étroit entre le droitd’option et la résolution : l’appréciation, par le juge, de la bonne foi du créan-cier dans l’exercice de son droit à la résolution se confond avec et prend place

* Ce texte est en grande partie basé sur notre chronique de jurisprudence, co-rédigée avec P. WÉRY et D.VAN GERVEN (« Chronique de jurisprudence. Les obligations: les sources (1985-1995)» » J.T., 1996, (689-752), nos 138-157). La matière a cependant été mise à jour jusqu’à la fin octobre 1998.

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dans l’appréciation plus globale de la bonne foi du créancier dans l’exercicede son droit d’option.

Il est, dès lors, difficile de traiter de la résolution pour inexécution des con-trats, sans y associer étroitement l’étude des problèmes posés par le droit d’op-tion entre l’exécution du contrat et sa résolution.

Une première partie sera donc consacrée à ce droit du créancier de choisirentre la continuation du contrat inexécuté et sa disparition.

La deuxième partie de cette étude abordera la résolution pour inexécution.Trois régimes (fondements et conditions d’application) devront être distin-gués : le régime de la résolution judiciaire, celui de la résolution non judiciaireen vertu de circonstances exceptionnelles (ou la ‘résolution unilatérale’), etenfin, le régime de la résolution non judiciaire en vertu d’une convention en-tre parties ou « clause résolutoire expresse ».

Dans la troisième partie, les effets (communs aux trois régimes) de la résolutionpour inexécution seront soumis à une évaluation critique à la lumière de lajurisprudence récente de la Cour de cassation.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

Section ILe droit d'option du créancier

1. Principes. — Une jurisprudence constante déclare que, selon l’article 1184,al. 2, du Code civil, la partie à un contrat synallagmatique envers laquelle l’en-gagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution dela convention, ou d’en demander la résolution avec dommages-intérêts (1).

C’est donc exclusivement à la victime de l’inexécution fautive que revient lechoix des remèdes. Henri De Page écrit clairement que « le choix réservé aucréancier est absolu, et aucun texte de la loi ne vient, comme tel, le limiterou le conditionner » (2). La jurisprudence y veille également. Ainsi, la Cour decassation a-t-elle cassé une décision qui prononçait la résolution d’un bail pourinexécution fautive dans le chef des locataires (3), alors que les bailleurs récla-maient l’exécution du contrat. Elle a rappelé que l’option entre l’exécution dela convention et sa résolution revient à la partie victime de l’inexécution (4).

En règle générale, il n’appartient donc pas au juge, saisi d’une demande enexécution, de résoudre la convention (5). Le débiteur défaillant ne peut davan-tage se permettre d’imposer au créancier le paiement de dommages-intérêtscomme unique forme de remède à sa propre inexécution (6). Il lui est égale-

(1) Voy. par ex. : Cass., 13 déc. 1985, Pas., 1986, I, 488, note, J.T., 1987, 163, R.W., 1986-87, 933; Cass., 2fév. 1989, Pas., 1989, I, 589, R.W., 1989-90, 538, R.C.J.B., 1994, 361, note M. VANWIJCK-ALEXANDRE; Cass.,15 avril 1994, Pas., 1994, I, 373, R.W., 1995-96, 564, R. Cass., 1994, 230 et s., note S. STIJNS, « Hetkeuzerecht van de schuldeiser tussen de gedwongen uitvoering en de gerechtelijke ontbinding van deovereenkomst : mogelijkheden en moeilijkheden ».

(2) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1964, nos 884 et 885bis.Adde : concl. Av. gén. BALLET, R.W., 1980-81, 1325-1326; S. STIJNS, De gerechtelijke en de buitengerechtelijkeontbinding van overeenkomsten, Anvers, Maklu, 1994, (706 p.), nos 231-234.

(3) Nous employons délibérément le terme résolution, bien qu’il s’agisse ici d’un contrat à exécutionsuccessive, puisque la résolution pour inexécution fautive, qu’elle ait un effet rétroactif ou non, restequant à sa nature une sanction spécifique régie par l’article 1184 du Code civil. Elle ne devient pas, àla lumière de ses effets, une résiliation qui, quant à elle, n’est pas une sanction mais un acte juridiquepar consentement mutuel ou unilatéral (lorsque cela est permis par la loi ou la convention (article 1134,al. 2, C.civ.). Voy. à propos de cette distinction : H. DE PAGE, Traité, II, n° 759 et s.; S. STIJNS, o.c., 1994,n° 18-20, 353-356, 489 et 494; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence (1974-82). Les obliga-tions », R.C.J.B., 1988, (33), n° 147.

(4) Cass., 5 sept. 1980, R.W., 1980-81, 1323 et concl. conf. Av. gén. BALLET, Pas., 1981, I, 17, R.G.E.N., 1983,n° 22.864. Voy. également l’arrêt similaire : Cass., 22 mai 1981, Pas., 1981, I, 1267.

(5) Voy. par ex. J.P. Kontich, 1 déc. 1988, R.W., 1989-90, 59.(6) Comm. Hasselt, 24 mars 1993, Limb. Rechtsl., 1994, 39.

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ment interdit de demander la résolution sur base de ses propres fautes (7). Ledébiteur fautif n’a en somme qu’une possibilité, celle d’offrir l’exécution ennature de ses obligations (8)

On pourrait, dès lors, conclure que ni le juge, ni le débiteur ne peuvent dicterson choix au créancier, qui est « maître de son choix ».

2. L’abus de droit en tant que limite au droit d’option. — Un arrêt im-portant de la Cour de cassation du 16 janvier 1986 a cependant fait apparaîtreclairement que le droit d’option dont dispose le créancier de l’obligationinexécutée n’est ni absolu ni discrétionnaire (9) et que ce n’est que dans unpremier temps que le créancier est maître de son option. Une fois opéré, sonlibre choix est, en effet, soumis à l’appréciation et au contrôle du juge (10). Or,l’exercice par un créancier de son pouvoir d’option ne peut être abusif. C’estce qu’a décidé, à raison, la Cour de cassation dans l’arrêt précité. De l’analyseci-après de cet arrêt, on déduira également qu’on ne peut plus prétendre quele juge ne peut, en aucun cas, prononcer la résolution du contrat lorsque lecréancier opte pour son exécution.

Les faits du litige peuvent se résumer comme suit. Désirant mettre préma-turément (durant la 3ème année) fin à son bail de neuf ans, un locataire n’avaitpu obtenir le consentement de son bailleur à une résiliation amiable du bail.Aussi l’avait-il résilié unilatéralement et demandait-il au juge de valider cetterésiliation. Le tribunal de première instance de Verviers constata, en degréd’appel, le caractère fautif de la résiliation unilatérale et reconnu explicite-ment qu’en principe le choix de la sanction revient aux bailleurs, victimes decette inexécution. Mais, alors que ceux-ci exigeaient l’exécution du contratjusqu’à son terme, le tribunal prononça néanmoins la résolution du bail auxtorts du locataire, considérant que le fait pour les bailleurs de vouloir se préva-loir indéfiniment d’un bail purement fictif, apparaissait comme un abus dedroit. Le tribunal précisa que les bailleurs abusaient de leur droit d’option en« choisissant ainsi parmi deux solutions celle qui est la plus préjudiciablepour (le locataire), qui avait formulé des propositions raisonnables de ré-

(7) J.P. St. Nicolas, 19 avril 1993, R.W., 1993-94, 757; J.P. Neerpelt, 27 juin 1991, R.W., 1993-94, 756; J.P.Grivegnée, 12 déc. 1984, J.L.M.B., 1985, 344. Contra, mais à tort : J.P. Marche-en-Famenne, 30 nov.1993, J.L.M.B., 1994, 786.

(8) H. DE PAGE, Traité, II, n° 887; S. STIJNS, o.c, 1994, nos 274 et 240. En matière de vente, cependant, levendeur ne peut contraindre l’acheteur à accepter la réparation du vice caché : Comm. Hasselt, 7 janv.1997, R.D.C., 1998, 454, R.W., 1997-98, 955; Comm. Hasselt, 13 juin 1995, R.W., 1997-98, 1446.

(9) Cass., 16 janvier 1986, Pas., 1986, I, 602, note, J.T., 1986, 404, R.C.J.B., 1991, 4, note M. FONTAINE, R.W.,1987-88, 1470, note A. VAN OEVELEN, R.G.D.C., 1987, 130, R.R.D., 1986, 37.

(10) Voy. à cet égard : S. STIJNS, o.c., 1994, nos 231 et s. et 258 et s.

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siliation du bail, alors que l’avantage qu’ils en retirent est nettement dis-proportionné avec l’inconvénient qui en résulte pour le (locataire) » (11).

Dans leur pourvoi, les bailleurs invoquèrent que le choix en faveur de l’exécu-tion du bail ne pouvait constituer un abus de droit et ne pouvait provoquerune charge disproportionnée dans le chef du locataire, puisque le droit d’op-tion leur revenait en tant que créanciers lésés et qu’ils ne sollicitaient quel’exécution pure et simple de la convention.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi et répondit « qu’il ne ressort ni desarticles 1134 et 1184 du Code civil ni de la notion d’abus de droit que lapartie à un contrat synallagmatique, victime de l’inexécution par l’autrepartie de ses obligations, ne puisse abuser de la faculté d’opter entre l’exécu-tion forcée et la résolution de la convention ».

L’arrêt précise également que la faute de la partie en défaut d’exécuter sesobligations, ne prive pas celle-ci du droit d’invoquer l’abus de l’autre partiedans l’exercice de cette faculté (12).

Le juge du fond avait, dès lors, légalement modéré la demande des bailleursen exécution du bail et avait pu l’infléchir vers une résolution judiciaire ducontrat, sans méconnaître le droit d’option du créancier.

L’on reconnaît ici une application correcte de la bonne foi dans son effet limi-tatif et du pouvoir modérateur du juge lorsqu’il constate un abus de droit (13).Ce contrôle juridictionnel sur le choix effectué par le créancier, victime d’uneinexécution fautive, a largement été admis en doctrine (14) et en jurispru-dence (ci-après). Mais l’on rappelle qu'à raison, le libre choix du créancierreste toutefois la règle (15).

(11) Civ. Verviers, 16 janv. 1985, J.L.M.B., 1985, 349, R.R.D., 1985, 51, Res jur.imm., 1985, 269.(12) Rapp. également : Cass., 10 juin 1988, Pas., 1988, I, 1213.(13) Voy. à ce sujet : P.A. FORIERS, « Observations sur le thème de l’abus de droit en matière contractuelle »

(sous Cass., 30 janv. 1992), R.C.J.B., 1994, (189), nos 23 et s.; S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY,« Chronique de jurisprudence. Les obligations : les sources (1985-1995) », J.T., 1996, (689-752), nos 38-44; S. STIJNS, « Abus, mais de quel(s) droit(s) ? Réflexions sur l’exécution de bonne foi des contrats etl’abus de droits contractuels », J.T., 1990, 33-44.

(14) M. FONTAINE, « La mise en œuvre de la résolution des contrats synallagmatiques pour inexécution fau-tive » (sous Cass., 16 janv. 1986 et Mons, 21 juin 1983), R.C.J.B., 1991, (5), nos 10-11; P.A. FORIERS, o.c.,R.C.J.B., 1994, nos 23 et s.; J.-M. LETIER, « L’exécution de bonne foi des conventions en matière de bail »,J.J.P., 1990, 255-257; Y. MERCHIERS, « Examen de jurisprudence (1984-89). Bail de biens immobiliers »,J.J.P., 1990, (171), 192; A. VAN OEVELEN, « De goede trouw bij de keuze tussen de gerechtelijke ontbindingen de gedwongen uitvoering van een wederkerige overeenkomst », R.W., 1987-88, (1471), nos 4-5.

(15) L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.A. FORIERS, « Examen de jurisprudence (1976-1980). Les contrats spéciaux »,R.C.J.B., 1985, (445), n° 81; J.H. HERBOTS et C. PAUWELS, « Overzicht van rechtspraak (1982-1987). Bijzondereovereenkomsten », T.P.R., 1989, (1039), n° 169; S. STIJNS, o.c., 1994, nos 289-290.

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La sanction de l’abus revêt, en matière de droit d’option, un caractère spécifi-que puisque le juge peut carrément modifier le choix du créancier. La modé-ration de l’usage abusif du droit d’option ou du choix abusif équivaut, en effet,à imposer au créancier l’autre branche de son option. Ceci revient à lui accor-der le remède alternatif à l’inexécution, remède qu’il n’avait pas choisi. Dupoint de vue procédural, il nous semble que le juge ne peut modifier le choixdu créancier, sur la base de l’abus de droit, que lorsque le débiteur a invoquél’application de cette théorie comme moyen de défense. Autrement, le jugechangerait de sa propre initiative l’objet de la demande et violerait le principedispositif (art. 1138, 2° C. Jud.) (16).

3. Le choix abusif : applications. — Bien avant l’arrêt du 16 janvier 1986, lajurisprudence du fond avait déjà accepté l’application de l’abus de droit afinde contrôler l’usage que le créancier faisait de son droit d’option (17).

Se basant sur cet arrêt de principe, les décisions jurisprudentielles se sont,depuis lors, multipliées. Ainsi, en matière de bail —où les faits sont souventsimilaires aux circonstances qui ont donné lieu à l’arrêt du 16 janvier 1986, —les preneurs défaillants ont-ils fait appel à l’abus dans l’exercice de l’optionpour contrer les demandes en exécution formées par leur bailleur (18.) Defaçon tout à fait comparable, le juge de paix de Westerlo a estimé que, dans unbail à ferme, le preneur abuse de son droit d’option accordé par l’article 51 encas de vente faite en méconnaissance de son droit de préemption, parce qu’ilexigeait d’être subrogé à l’acquéreur alors qu’il avait quitté la ferme définitive-ment depuis plus d’un an, sans avoir eu l’intention d’y revenir (19). Le preneurdevait donc se contenter de l’autre branche de l’option, soit l’indemnité.

En matière d’assurances, le choix abusif est incriminé lorsque l’assureur ré-clame le paiement des primes échues et fait simultanément appel à son pou-voir conventionnel de suspendre sa garantie en raison du non-paiement par

(16) Voy. nos développements à ce sujet : S. STIJNS, o.c., 1994, nos 309-310 et 312-316. Comp. : Cass., 11 juin1992, R.W., 1993-94, 60, retenant la violation des droits de défense.

(17) Par ex. : Civ. Liège, 24 avril 1984, J.L.M.B., 1985, 125; Civ. Liège, 17 sept. 1984, J.L.M.B., 1985, 142; J.P.St.-Gilles-Bruxelles, 23 nov. 1981, J.J.P., 1982, 200; J.P. Andenne, 21 juin 1984, R.R.D., 1984, 275.

(18) Civ. Liège, 13 juin 1986, J.L.M.B., 1987, 874, note B.C.; Civ. Liège, 19 mai 1989, J.L.M.B., 1989, 1316; Civ.Liège, 23 janv. 1990, R.G.D.C., 1990, 484; J.P. Neerpelt, 27 juin 1991, R.W., 1993-94, 756; J.P. Anvers, 25nov. 1992, R.W., 1993-94, 784; J.P. Lokeren, 18 fév. 1994, T. Not., 1996, 28; J.P. Brasschaat, 22 nov., 1994,J.J.P., 1996, 74; J.P. Wolvertem, 30 mars 1995, R.W., 1996-97, 472, note R. VAN RANSBEECK.

(19) J.P. Westerlo, 14 juillet 1995, R.W., 1997-98, 1084. Le preneur peut exiger, en vertu de son droit d’op-tion, soit d’être subrogé à l’acquéreur, soit de recevoir du vendeur le versement d’une indemnitécorrespondant à 20% du prix de vente.

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l’assuré des primes (20). Ces décisions appliquent le raisonnement suivant (21):la clause de suspension déroge à la règle du non-cumul entre les deux bran-ches de l’option, puisqu’il est permis à l’assureur de cumuler les avantages desdeux branches, en réclamant, d’une part, le paiement des primes (et doncl’exécution), tout en se plaçant, d’autre part, par la suspension de sa garantie,dans la situation avantageuse de celui qui est libéré irréversiblement de sacontre-prestation (comme en cas de résolution). Ce pouvoir contractuel desuspension de l’assureur est certes licite, mais il doit, comme toute clause con-tractuelle attribuant un pouvoir de sanction à une partie, être exercé de façonloyale et sans abus de droit. La jurisprudence se permet, dès lors, d’apprécier sile choix, de l’assureur, pour cette sanction spécifique (maintien du contratavec suspension de sa garantie), plutôt que pour la résolution (judiciaire ounon judiciaire) de l’assurance, ne constitue pas un abus de droit (22). Remar-quons cependant que ce n’est ni la validité ni la portée de la clause de suspen-sion entre parties qui est mise en doute par ces décisions, mais la manière dontl’assureur exerce son droit d’option, à la lumière de la règle qui prohibe l’abusde droit (23).

4. Quelques règles de ‘bonne conduite’ dans l’exercice de l’option. —Ces décisions témoignent de l’apparition, en jurisprudence, de quelques rè-gles qui traduisent l’exigence de bonne foi dans le choix des sanctions.

Ainsi fait-on, lorsque le débiteur manque à ses obligations, peser sur le créan-cier, dans les contrats à durée déterminée et à prestations ou échéances suc-cessives — comme le paiement de loyers ou de primes d’assurance —, l’obli-gation de restreindre le dommage - découlant du fait que les sommes duesviennent à échoir avec régularité et s’accumulent -, soit en diligentant raison-nablement la demande en résolution judiciaire, soit en optant pour la résolu-tion plutôt que pour l’exécution chaque fois que l’exécution en nature estdevenue définitivement impossible (24).

(20) A ce sujet, voy. : M. FONTAINE, « La suspension de la garantie de l’assurance pour défaut de paiement desprimes », R.C.J.B., 1982, 297 et s.; H. DE RODE, « La bonne foi et l’assurance », in La bonne foi, Ed. duJeune Barreau de Liège, 1990, (155), p. 169-174; S. DUFRENE, « Limites de la théorie de l’exécution debonne foi et suspension de la garantie d’assurance pour non-paiement des primes », R.G.A.R., 1987, n°11.268.

(21) Elaboré, sous l’ancienne législation, par Civ. Liège, 24 avril 1984, J.L.M.B., 1985, 125.(22) En sens affirmatif : Civ. Liège, 24 avril 1984, précité; Civ. Liège, 1 oct. 1986, J.L.M.B., 1986, 695. N’est, à

notre avis, pas légalement justifié : J.P. Liège, 31 oct. 1989, J.L.M.B., 1990, 247. J.L. FAGNART (« Examende jurisprudence (1981-1990). Les assurances terrestres », R.C.J.B., 1991, (681), n° 36, p. 730) considèreque cette jurisprudence viole le principe de la convention-loi (comp. Liège, 29 juin 1993, J.L.M.B., 1994,587).

(23) Cette problématique est actuellement régie par les articles 14 à 17 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd’assurance terrestre. En cas de non paiement des primes, l’assureur peut suspendre sa garantie, aprèsune mise en demeure et un délai d’exécution. En outre, il ne peut réclamer que les primes afférentesà deux années consécutives.

(24) Par ex. Civ. Liège, 19 mai 1989 et Civ. Liège, 1er oct. 1986, précités.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

En vertu de son obligation de restreindre raisonnablement le dommage, lecréancier est également tenu d’accepter l’offre faite par le débiteur de résilier,prématurément et par consentement mutuel, le contrat (art. 1134, al. 2,C.civ.) (25).

Enfin, la jurisprudence retient comme moment de l’abus, celui où raison-nablement le créancier eût dû, soit déférer à la proposition de rupture pourparvenir à un accord acceptable, sauvegardant ses intérêts de façon optimale,soit opter pour la résolution judiciaire, qui reviendrait à une réparation inté-grale de son préjudice tout en étant la moins onéreuse possible pour le débi-teur (26).

Ces décisions sont, somme toute, exceptionnelles et la jurisprudence fait mon-tre de prudence. Elle refuse de modifier le choix initial du créancier lorsqueles faits constatés ne peuvent être qualifiés d’abus de droit d’option, spéciale-ment lorsque la preuve n’est pas apportée qu’il y a une disproportion entrel’intérêt du créancier et la charge corrélative pour le débiteur (27).

5. Autres aspects du droit d’option. — Le créancier ne peut cumuler lesavantages de l’exécution et de la résolution de l’intégralité du contrat. Il adonc l’obligation de choisir entre les deux branches de l’option (28).

Ce choix est, en principe, révocable et ne contient donc pas, à lui seul, unerenonciation à l’autre branche (29). La demande en exécution du contrat n’ex-clut donc pas que le créancier puisse solliciter, ultérieurement, la résolutionjudiciaire (30), ou puisse mettre en oeuvre la clause résolutoire expresse pré-vue au contrat (31).

(25) Par ex. : Civ. Liège, 17 sept. 1984; Civ. Liège, 13 juin 1986; Civ. Liège, 23 janv. 1990; J.P. Anvers, 25 nov.1992, tous précités.

(26) Civ. Liège, 23 janv. 1990, précité.(27) Par ex. : Liège, 18 juin 1990, J.L.M.B., 1991, 815 (assurance); Anvers, 4 oct. 1984, R.D.C., 1985, 324

(contrat de brasserie); Comm. Hasselt, 24 mars 1993, Limb. Rechtsl., 1994, 39; Civ. Mons, 4 mars 1988,J.T., 1989, 479 (bail); J.P. St. Nicolas, 19 avril 1993, R.W., 1993-94, 757 (bail)). Voy. pour une analyseplus poussée de la jurisprudence citée sous ce numéro : S. STIJNS, o.c., 1994, nos 293-298; B. HUBEAU et W.RAUWS, « De toepassing van de leer van het rechtsmisbruik in het huurrecht », 2ième partie, R.G.D.C.,1988, (31), n° 51 et s.

(28) Civ. Louvain, 15 mai 1991, R.G.D.C., 1993, 77; Civ. Liège, 24 avril 1984, J.L.M.B., 1985, 125; Civ. Liège,1 oct. 1986, J.L.M.B., 1986, 695; J.P. Gand, 17 janv. 1986, T.G.R., 1986, 31. H. DE PAGE, Traité, II, n°885bis; S. STIJNS, o.c., 1994, n° 262; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence (1968-1973). Lesobligations », R.C.J.B., 1975, (424), n° 65.

(29) Cass., 24 juin 1920, Pas., 1921, I, 24; Cass., 1 oct. 1934, Pas., 1934, I, 399. H. DE PAGE, Traité, II, n°885bis; S. STIJNS, o.c., 1994, n° 265-271; M. VANWIJCK-ALEXANDRE, « Les modalités de l’exercice de l’optionconférée par l’article 1184 du Code civil » (sous Cass., 2 fév. 1989), R.C.J.B., 1994, (364), nos 25-30. Mais,à tort, contra : Civ. Tournai, 22 oct. 1986, J.L.M.B., 1987, 1113.

(30) Liège, 27 mai 1986, J.L.M.B., 1987, 1017, note C. PARMENTIER; Liège, 22 fév. 1988, J.L.M.B., 1988, 1276,note, Res jur.imm., 1989, 27; Civ. Turnhout, 22 déc. 1986, R.G.D.C., 1987, 82.

(31) Civ. Nivelles, 13 déc. 1988, J.L.M.B., 1990, 1242, note E. HERINNE, Rev.not.b., 1991, 403.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

Il est fait exception à cette règle lorsque les parties en ont décidé autrementou lorsque le créancier a fait un choix définitif et non équivoque qui ne peutêtre interprété que comme une renonciation certaine à l’autre branche del’option (32). L’on sait que la renonciation est de stricte interprétation. Ne re-noncent pas à l’exécution par équivalent du bail ni à une demande en résolu-tion, les bailleurs qui ont reloué le bien à d’autres locataires (33). Par contre,une fois la résolution unilatérale en vertu d’une clause résolutoire expressemise en oeuvre de façon certaine et définitive (sans réserve aucune), il n’est,par exemple, plus possible de réclamer l’exécution de la convention (34). Eneffet, le contrat est résolu une fois que la décision du créancier est extérioriséesans réserve et est portée à la connaissance du débiteur. Cet acte juridiqueunilatéral devient irrévocable dès que le débiteur en a pris (ou a raisonnable-ment pu en prendre) connaissance (35).

(32) S. STIJNS, o.c., 1994, n° 269-271.(33) Cass., 2 fév. 1989, Pas., 1989, I, 589, R.W., 1989-90, 538, R.C.J.B., 1994, 361, note M. VANWIJCK-ALEXANDRE.(34) Civ. Nivelles, 13 déc. 1988, J.L.M.B., 1990, 1242, note E. HERINNE, Rev.not.b., 1991, 403. Voy.

également : Anvers, 23 juin 1997, e, 1997-98, 446.(35) S. STIJNS, o.c., 1994, n° 363. Comp. : P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence (1974-1982). Les

obligations », R.C.J.B., 1986, (33), n° 137. Voy. également infra, nos 19-20 .

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Résolution judiciaire et non judiciaire

Section IILe régime de la résolutionpour inexécution fautive

A. Fondement et caractéristiques

6. Fondement et caractéristiques. — La résolution est un des modes dedissolution des contrats (36), libérant le créancier du lien contractuel. Le termedissolution est pris ici au sens large, telle que le comprend H. De Page (37). Ceconcept regroupe toutes les causes de dissolution du contrat : nullité, résolu-tion pour inexécution fautive et en vertu d’une condition résolutoire de droitcommun, résiliation (unilatérale ou par mutuus dissensus), révocation, resci-sion, théorie des risques et, depuis peu, la caducité.

En même temps, la résolution pour inexécution constitue une sanction pourle débiteur fautif.

L’essence de la résolution pour inexécution tient donc en deux mots: « libéra-tion » et « sanction » (38).

Il est quasi unanimement admis en doctrine belge que, tout comme l’excep-tion d’inexécution et la théorie des risques, la résolution trouve son fonde-ment dans l’interdépendance des obligations réciproques et connexes quidécoulent de tout contrat synallagmatique (39). Une idée de ‘justice commuta-tive’ sous-tend ces trois institutions. Dans les contrats synallagmatiques, l’onconsidère que le créancier ne peut rester tenu de son obligation lorsqu’il ap-paraît que son cocontractant n’exécutera pas son obligation connexe : « Danscette sorte de contrats, la combinaison voulue par les parties est telle que lesobligations réciproques se servent mutuellement de base, de raison d’être(...). Si l’une disparaît, l’autre perd toute justification » (40).

(36) Voy. S. STIJNS, o.c., 1994, nos 13-14. Certaines causes de dissolution d’un contrat sont également unecause d’extinction d’une obligation.

(37) Traité, II, n° 752 et s.(38) S. STIJNS, o.c., 1994, n° 3-8, 89-95.(39) Voy. les réf. citées par S. STIJNS, o.c., 1994, nos 91 et 98.(40) H. DE PAGE, Traité, II, n° 875 et 836. Sur la notion de contrat ‘synallagmatique’ et de connexité, voy.

récemment : V. LARRIBAU-TERNEYRE, Le domaine de l’action résolutoire : recherches sur le contrat synal-lagmatique (thèse Pau), 1988, 27 et s.; M. VAN QUICKENBORNE, « Réflexions sur la connexité objective,justifiant la compensation après faillite » (sous Cass., 25 mai 1989), R.C.J.B., 1992, (348), n° 7.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

La possibilité de libération du créancier est la conséquence logique de cetteinterdépendance. Cette option se présente donc comme alternative au remèdede droit commun qu’est l’exécution forcée (en nature ou, subsidiairement, paréquivalent) (41).

Ce fondement n’explique cependant pas pourquoi la résolution pour inexécu-tion est, en principe, judiciaire. C’est son caractère de sanction qui fournitl’explication : l’application de la résolution-sanction civile doit être nécessaire-ment contrôlée par le juge. Le caractère de sanction justifie, en fait, le méca-nisme tout entier de la résolution : l’intervention du juge, l’exigence d’uneinexécution fautive et d’une mise en demeure, la possibilité pour le créancierlésé d’obtenir des dommages-intérêts complémentaires. L’article 1184 du Codecivil impose un contrôle préalable par le juge; mais s’agissant d’une disposi-tion supplétive de volonté, il est permis aux parties d’y déroger. Dans ce cas, lecontrôle judiciaire s’effectuera, si nécessaire, a posteriori.

Actuellement, on peut distinguer trois régimes de résolution pour inexécutionfautive: 1° le régime légal ou la résolution judiciaire de droit commun (art.1184 C.civ.), 2° le régime conventionnel ou la résolution non judiciaire envertu d’une clause résolutoire expresse ou « pacte commissoire exprès » et,enfin, 3° le régime d’exception ou la résolution non judiciaire, en dehors d’uneclause résolutoire expresse, justifiée uniquement par des circonstances spéci-fiques.

B. Le régime de la résolution judiciaire

7. Champ d’application. — Le droit de résolution est le corollaire de toutcontrat synallagmatique (art. 1184, al. 1, C.civ.), qu’il soit nommé ou in-nommé (42).

Cependant, quelques divergences persistent. Nous nous limitons à mention-ner celles qui sont réapparues durant les quinze dernières années (43).

(41) H. DE PAGE, Traité, II, nos 451, 874 et 885, III, nos 67-69; S. STIJNS, o.c., 1994, nos 229-230 et s.(42) Par ex. application au contrat innommé entre une école de l’enseignement libre et les parents d’un

élève : Civ. Anvers, 22 oct. 1992, R.W., 1992-93, 541, note E. DIRIX; Civ. Namur (réf.), 20 mars 1987,J.Procès, 1987, n° 105, 26, note J.-M. DERMAGNE (réformé sur un autre point par : Liège, 23 avril 1987,J.Procès, 1987, n° 109, 31); Civ. Namur (réf.), 7 mars 1986, J.Procès, 1986, n° 83, 30, note J.-M. DERMAGNE.

(43) Pour l’ensemble des controverses, voy. : S. STIJNS, o.c., 1994, nos 97-104.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

C’est le cas pour l’emphytéose, où une doctrine ancienne est opposée à lajurisprudence et à une partie de la doctrine récente qui reconnaissent le droitde résolution de ce contrat synallagmatique en cas d’inexécution (44).

C’est également le cas pour le prêt à intérêt, où quelques décisions rappellentla controverse quant à savoir si ce contrat peut être résolu pour inexécutiondans le chef de l’emprunteur (45).

Par contre, à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1977 (46),l’incertitude concernant le droit de résolution d’une transaction a disparu dela jurisprudence qui résout les transactions lorsqu’une partie manque à sesengagements transactionnels (47).

8. Conditions. — Trois conditions sont, en principe, requises pour fonder ledroit à la résolution: 1° l’existence d’un contrat synallagmatique, 2° l’inexécu-tion fautive d’une obligation découlant de ce contrat, et 3° une mise en de-meure préalable du débiteur défaillant.

1° l’existence d’un contrat synallagmatique : le droit de résolution supposeque le contrat existait au moment de l’inexécution fautive sur laquelle estfondée la demande en résolution judiciaire, ou, au moins, que son maintien ousa dissolution fasse précisément l’objet d’une contestation entre parties con-tractantes (48).

La circonstance qu’au moment du jugement qui doit décider de la demandeen résolution, la convention n’existe plus, n’est donc pas déterminante (49).

Une partie qui résilie valablement son contrat ne peut plus, après coup, endemander la résolution pour une inexécution fautive dont elle avait connais-sance au moment de la résiliation (50).

(44) Bruxelles, 19 fév. 1986, Rev.not.b., 1986, 536 et note approbative de D. STERCKX, « L’emphytéos e et lacondition résolutoire tacite »; M. LAMBERT, « Emphytéos e et condition résolutoire tacite », Rev.not.b.,1988, 314; J. HANSENNE, « Examen de jurisprudence : les biens (1982-88) », R.C.J.B., 1990, (285), n° 114;A. VAN OEVELEN, « Actuele ontwikkelingen inzake het recht van erfpacht en het recht van opstal », in Hetzakenrecht : absoluut niet een rustig bezit, XVIIIe Pos tuniversitaire cyclus Willy Delva 1991-92, An-vers, Kluwer, 1992, (321), n° 13. Nuancés : J. KOKELENBERG, T. VAN SINAY et H. VUYE, « Overzicht vanrechtspraak : zakenrecht (1980-88) », T.P.R., 1989, (1689), n° 114 et (1989-94), T.P.R., 1995, (503), n° 99.

(45) En sens négatif, parce que ce contrat est jugé unilatéral : Bruxelles, 12 nov. 1990, J.T., 1991, 145; Civ.Turnhout, 23 juin 1989, Turnh.Rechtsl., 1990, 66; Civ. Bruxelles, 11 mai 1998, J.L.M.B., 1998, 1444.

(46) Pas., 1977, I, 836, note.(47) Comm. Bruxelles, 8 avril 1990, R.D.C., 1991, 551; Tr.trav. Bruxelles, 20 juin 1988, J.T.T., 1988, 428.(48) S. STIJNS, o.c., 1994, no 112.(49) Voy. Cass., 25 fév. 1991, Pas., 1991, I, 616 avec concl. conf. Av. gén. J.-F. LECLERCQ, J.T., 1991, 455, J.J.P.,

1992, 163, R.W., 1993-94, 569; Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, 370, R.W., 1995-96, 532, J.L.M.B., 1995,1240; C.trav. Bruxelles, 17 janv. 1992, J.T.T., 1993, 149.

(50) Civ. Tongres 20 oct. 1989, Entr. et dr., 1990, 364; Civ. Tournai, 7 janv. 1987, J.L.M.B., 1987, 395, R.G.D.C.,1988, 184.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Par contre, une convention sous condition suspensive existe et peut être réso-lue pour inexécution fautive (51).

2° l’inexécution fautive d’une obligation découlant de ce contrat : tout man-quement aux obligations contractuelles ne justifie pas nécessairement la réso-lution de la convention (52). Il ne suffit donc pas que le juge constate l’exis-tence d’un manquement d’une partie à ses obligations contractuelles (53). Pourjustifier la résolution du contrat il faut que le juge constate que le manque-ment est suffisamment grave. L’appréciation de la gravité suffisante de la fautepar le juge, fait l’objet du numéro suivant.

3° la mise en demeure préalable du débiteur défaillant : en ce qui concernela nécessité d’une mise en demeure préalable à la demande en résolution,c’est le droit commun qui trouve application (54).

En règle générale, une mise en demeure est un préalable nécessaire à touterésolution judiciaire (55). La jurisprudence du fond le rappelle avec régula-rité (56). Cette règle a une importance limitée en pratique puisqu’une assigna-tion en résolution du contrat vaut mise en demeure (57). De plus, l’on acceptede multiples exceptions à la règle (58).

(pour la mise en demeure lors d’une résolution non judiciaire, voy. infra nos 19,20 et 21).

9. Appréciation de la gravité suffisante du manquement par le juge. —La Cour de cassation impose au juge, saisi d’une demande en résolution, l’obli-gation de rechercher si le prétendu manquement est suffisamment grave pourjustifier la résolution réclamée (59).

(51) Cass., 15 mai 1986, Pas., 1986, I, 1123, J.T., 1987, 4, R.C.J.B., 1990, 108, note P. GERARD; Mons, 12 nov.1991, D.C.C.R., 1992, 58, note I. DEMUYNCK.

(52) Cass., 9 juin 1961, Pas., 1962, I, 1104, note; Cass., 9 sept. 1965, Pas., 1966, I, 47.(53) Cass., 23 déc. 1988, Pas., 1989, I, 463.(54) H. DE PAGE, Traité, II, n° 891; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 64; S. STIJNS, D. VAN

GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, n° 86.(55) Cass., 17 oct. 1957, Pas., 1958, I, 143, note; Cass., 2 mai 1964, Pas., 1964, I, 934, J.T., 1964, 634, R.W.,

1964-65, 873 (concernant une clause résolutoire expresse sans dispense de mise en demeure).(56) Liège, 16 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, 1396; Bruxelles, 10 nov. 1988, J.T., 1989, 92; Civ. Bruxelles, 7

juin 1988, R.W., 1988-89, 1378; Civ. Bruxelles, 20 juillet 1989, J.L.M.B., 1990, 368; Comm. Bruxelles, 4oct. 1991, Entr. et dr., 1994, 67; Comm. Hasselt, 5 nov. 1990, Limb.Rechtsl., 1991, 102; J.P. Brasschaat, 12fév. 1988, T.Not., 1988, 173.

(57) Cass., 24 avril 1980, Pas., 1980, I, 1050, note, J.T., 1980, 577, R.W. 1981-82, 549; Mons, 10 avril 1989,Rev.not.b., 1989, 539, note; Trib.trav. Bruxelles, 3 fév. 1988, R.R.D., 1988, 323.

(58) A ce sujet, voy. S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, n° 90.(59) Cass., 9 juin 1961, Pas., 1962, I, 1104, note; Cass., 28 mai 1965, Pas., 1965, I, 1051, note; Cass., 9 sept.

1965, Pas., 1966, I, 47; Cass., 12 nov. 1976, Pas., 1977, I, 291; Cass., 13 mars 1981, R.W., 1982-83, 1049,note, J.J.P., 1983, 104; Cass., 31 janv. 1991, Pas., 1991, I, 520. Voy. en matière de bail à ferme (art.29) : Cass., 11 oct. 1991, Pas., 1992, I, 116; Cass., 23 déc. 1988, Pas., 1989, I, 463; Cass., 5 mars 1982,Pas., 1982, I, 800.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

Généralement, la doctrine partage ce point de vue (60), tout comme la juris-prudence du fond qui reflète assez fidèlement ces principes et soupèse lagravité de la sanction et la gravité des manquements reprochés (61).

L’examen de la gravité du manquement relève de l’appréciation souveraine dujuge du fond, mais l’on sait que la Cour de cassation exerce tout de même uncontrôle (très) marginal sur la légalité des déductions en droit, basées sur lesconstatations souveraines en fait (62).

La doctrine et la jurisprudence préconisent régulièrement que le juge doitapprécier l’opportunité de la résolution (63), alors que le législateur a vouludonner au créancier lésé un droit à la résolution.

Il serait plus précis de distinguer deux pouvoirs dans le chef du juge : d’unepart, le pouvoir légal d’octroyer un délai de grâce (art. 1184, al. 3, C.civ.) et,d’autre part, le pouvoir d’apprécier la gravité du manquement, pouvoir modé-rateur d’origine prétorienne (à ce sujet, voy. infra, n° 15). En vertu de ce dou-ble pouvoir d’appréciation et de son obligation d’adapter la sanction à la gra-vité du manquement, le juge dispose d’un large éventail de sanctions : il peuttout simplement refuser la résolution, il peut la refuser et la remplacer par uneexécution par équivalent (64); il peut l’octroyer avec ou sans dommages-inté-rêts (65), ou encore, l’accorder après un délai de grâce resté sans résultat (66).

10. Résolution aux torts réciproques des parties. — La jurisprudenceadmet, tout comme en droit français (67), que la résolution puisse être pro-noncée aux torts réciproques des parties contractantes (68). La circonstance

(60) Voy. les réf. chez : S. STIJNS, o.c., 1994, n° 155.(61) Par ex. : Bruxelles, 6 fév. 1985, J.T., 1985, 390; Civ. Liège, 12 mars 1985, J.L.M.B., 1985, 353; Comm.

Charleroi, 28 juin 1985, J.T., 1986, 11; Civ. Tournai, 22 oct. 1986, J.L.M.B., 1987, 1113; Civ. Louvain, 21nov. 1986, R.G.D.C., 1987, 81; Comm. Hasselt, 18 déc. 1986, Limb. Rechtsl., 1987, 99; Civ. Bruges, 18mars 1987, R.W., 1987-88, 1414; Civ. Malines, 4 janv. 1988, Pas., 1988, III, 46; Trib.trav. Bruxelles, 20juin 1988, J.T.T., 1988, 428; J.P. Uccle, 22 août 1988, J.T., 1989, 184; Civ. Ipres, 4 mai 1990, R.G.D.C.,1991, 289; Civ. Louvain, 15 mai 1991, R.G.D.C., 1993, 77; Trib.trav. Bruxelles, 4 sept. 1992, J.T.T., 1994,15.

(62) Voy. par ex. : Cass., 31 janv. 1991, précité; Cass., 10 fév. 1983, Pas., 1983, I, 661. S. STIJNS, o.c., 1994, n°158.

(63) Par ex. : J.P. Uccle, 22 août 1988, , J.T., 1989, 184.(64) Civ. Liège, 19 janv. 1989, Pas., 1989, III, 73, J.L.M.B., 1989, 642; Comm. Charleroi, 28 juin 1985, J.T.,

1986, 11; J.P. St. Nicolas, 8 janv. 1986, R.W., 1986-87, 1099, note A. VAN OEVELEN.(65) Mons, 10 avril 1989, Rev.not.b., 1989, 539.(66) A ce sujet, voy. les décisions précitées : Civ. Liège, 12 mars 1985; Civ. Tournai, 22 oct. 1986; Civ.

Malines, 4 janv. 1988; Civ. Louvain, 15 mai 1991.(67) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 207-210.(68) Cass., 9 mai 1986, Pas., 1986, I, 1100, R.D.C., 1987, 413, note D. DEVOS , J.T., 1987, 126, R.W., 1986-87,

2699; Cass., 7 nov. 1988, Pas., 1989, I, 243; Cass., 5 mars 1993, Pas., 1993, I, 251; Cass., 15 juin 1995,Pas., 1995, I, 633, R.W., 1995-96, 706; Cass., 9 avril 1996, Pas., 1996, I, 341; Cass., 15 avril 1996, Pas.,1996, I, 342, J.L.M.B., 1996, 1696, R.W., 1997-98, 947. Voy. déjà : Cass., 6 mars 1986, Pas., 1986, I, 849,R.C.J.B., 1990, 559, note J. HERBOTS; Cass., 31 janv. 1946, Pas., 1946, I, 49; Cass., 12 nov. 1976, Pas., 1977,I, 291. Comp. : Cass., 19 mars 1992, Pas., 1992, I, 655.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

que les deux parties à un contrat synallagmatique n’ont pas exécuté leursobligations ne supprime ni leur responsabilité contractuelle, ni le devoir qu’el-les ont chacune d’indemniser l’autre partie, en proportion avec leur part deresponsabilité, pour le dommage qui est une suite directe et immédiate deleurs manquements (69).

La jurisprudence et la doctrine précisent toutefois qu’il est nécessaire qu’il yait des manquements suffisamment graves et imputables aux deux parties etque chacune demande la résolution (70). De plus, les manquements doiventêtre concomitants (sinon l’exception d’inexécution jouera), mais la jurispru-dence semble se satisfaire d’une concomitance entendue raisonnablement (71).

11. Applications. — En matière de vente, la non-livraison d’un cabriolet dansun délai raisonnable durant les mois d’été, justifie la résolution (72). Il en va demême lorsque le vendeur de chassis n’exécute pas ses obligations pendantplus d’un an et demi alors qu’il est en possession, depuis près de deux ans, dela totalité du prix (73). Dans une vente immobilière, le refus de l’acheteur depasser l’acte authentique, et ce contrairement aux stipulations du compromis,justifie normalement la résolution de la vente (74). La vente immobilière estrésolue aux torts des vendeurs lorsqu’à la date convenue pour passer l’acteauthentique, l’immeuble vendu n’est pas libre d’occupation, alors que l’ache-teur avait clairement stipulé cette condition essentielle de la vente dans lecompromis (75).

Est jugé suffisamment grave dans un contrat de bail, le fait de changer unilaté-ralement la destination des lieux loués, en usant du bien, loué à usage privé, àdes fins professionnelles (76). Ne revêt pas une gravité suffisante, le fait que lebailleur n’exécute pas avec diligence les réparations locatives (eau dans lescaves) (77). Par contre, le bail commercial doit être résolu aux torts du bailleurlorsqu’il accepte le déploiement d’activité de « masseuses » dans l’immeuble

(69) Ibidem.(70) Sent. Arb., 15 janv. 1985, J.T., 1985, 254, Entr. et dr., 1986, 231; Civ. Bruxelles, 18 janv. 1985, R.D.C.,

1986, 145. P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1986, n° 130; D. DEVOS , « La résolution d’un contrataux torts réciproques des parties et l’indemnisation des préjudices respectifs » (sous Cass., 9 mai 1986),R.D.C., 1987, 405, n° 4; B. LOUVEAUX, « Accès à la profession et dissolution des contrats d’entreprise »(sous Comm. Mons, 12 avril 1989), D.C.C.R., 1989-90, (150), point D.

(71) Sent. Arb., 15 janv. 1985, J.T., 1985, 254, Entr. et dr., 1986, 231.(72) Civ. Turnhout, 27 avril 1992, Turnh. Rechtsl., 1992, 119.(73) Mons, 23 nov. 1994, J.T., 1995, 320.(74) Mons, 10 avril 1989, Rev.not.b., 1989, 539.(75) Bruxelles, 21 fév. 1989, J.T., 1990, 239.(76) J.P. Uccle, 22 août 1988, J.T., 1989, 184.(77) J.P. St. Nicolas, 8 janv. 1986, R.W., 1986-87, 1099. Voy. J. HERBOTS et C. PAUWELS, « Overzicht », T.P.R.,

1989, n° 120; J.H. HERBOTS, D. CLARYSSE et J. WERCKX, « Overzicht van rechtspraak. Bijzondereovereenkomsten (1977-1982) », T.P.R. 1985, (767), n° 288.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

et que cette activité engendre un trouble anormal de la jouissance locative decolocataires (78). La résolution est également mise à charge du bailleur quimanque à son obligation de procurer la jouissance paisible du bien loué parceque sa destination convenue ne peut être réalisée (salle de gymnastique et defitness) (79).

En matière de bail à ferme, la résolution est justifiée lorsque le preneur mécon-naît l’obligation de garnir la ferme de suffisamment d’animaux et d’outils (80)ainsi que pour mauvais entretien des terres, lorsque même pendant l’exper-tise, aucun effort n’a été fait pour améliorer l’état des terres (81); la cession dubail ou la sous-location du bien loué, sans l’accord écrit du bailleur lorsque ceconsentement est légalement exigé, justifie la résolution du bail par le juge (82).En cette matière, le juge a l’obligation d’apprécier la gravité du manquementen fonction de l’existence d’un dommage dans le chef du bailleur (83). Or,dans le cas jugé à Malines, le dommage n’était pas prouvé, puisque le pèren’avait sous-loué qu’une partie des terres à son fils sans accord préalable dubailleur, et qu’il aurait pu lui sous-louer le tout sans que ce consentement fûtnécessaire.

Un contrat d’assistance technique, visant la réduction rapide des frais d’éner-gie, peut être résolu lorsque le juge constate l’inaction totale du conseillertechnique pendant les premiers mois après la signature du contrat, le manqued’une étude sérieuse et le fait d’avoir formulé de vagues hypothèses au lieu derecommandations sérieuses (84).

Un contrat avec une entreprise spécialisée en informatique peut être résolulorsque le logiciel fourni n’est pas, contrairement à l’accord entre parties, adaptésur mesure aux besoins concrets de l’utilisateur. Le fait que le logiciel fonc-tionne convenablement est sans pertinence (85). La résolution de la vente dematériel informatique est justifiée lorsque la non-livraison d’un accessoire aune influence substantielle sur la possibilité d’utilisation efficace et complètede l’ensemble de l’équipement vendu (86); elle est également justifiée lors-

(78) J.P. Saint-Gilles, 9 mars 1995, J.J.P., 1996, 81.(79) Civ. Bruxelles, 15 sept. 1995, J.J.P., 1998, 5.(80) J.P. Roeselare, 16 déc. 1994, J.J.P., 1998, 341.(81) J.P. Beauraing, 28 nov. 1995, Rev.not.b., 1996, 64.(82) Civ. Malines, 4 janv. 1988, Pas., 1988, III, 46.(83) Cass., 5 mars 1982, Pas., 1982, I, 800; Cass., 23 déc. 1988, Pas., 1989, I, 463; Cass., 11 oct. 1991, Pas.,

1992, I, 116; Civ. Louvain, 21 nov. 1986, R.G.D.C., 1987, 81; Civ. Malines, 4 janv. 1988, Pas., 1988, III,46.

(84) Bruxelles, 10 nov. 1988, J.T., 1989, 92. Rappr. : Comm. Courtrai, 15 janv. 1970, R.W., 1969-70, 1487 et,en matière de contrat informatique : Bruxelles, 10 avril 1986, Dr.inform., 1986, 232, note Y. POULLET.

(85) Anvers, 7 juin 1988, R.D.C., 1989, 614. Rappr. : Trib. Bruxelles, 2 mai 1988, R.R.D., 1989, 507, note B.LEJEUNE.

(86) Comm. Bruxelles, 29 janv. 1988, R.D.C., 1989, 281, Dr.inform., 1988/4, 67). Voy. pour d’autresexemples : J.-P. BUYLE, L. LANOYE, Y. POULLET et V. WILLEMS, « Chronique de jurisprudence : L’informatique(1987-1994) », J.T., 1996, (205), n° 26.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

qu’il est incontestable que la version définitive du logiciel n’a pas été livréedans les délais prévus (87).

Bien que l’organisateur n’ait pu offrir aux voyageurs ni le repos, ni la sécuritéà cause de travaux effectués au village de vacance et à leur bungalow pendantleur séjour, les voyageurs n’ont pas obtenu la résolution du contrat de voyageparce que le transport aller-retour et le logement pendant les nuits ont eu lieudans des conditions plus ou moins normales (88). Par contre, dans un cas toutà fait similaire, la résolution est prononcée (89).

La résolution est parfois refusée pour des raisons qui se rapprochent de la‘rechtsverwerking’. Ainsi le contrat d’entreprise (fourniture et pose d’une cui-sine équipée) n’est-il pas résolu malgré sa mauvaise exécution, lorsque le maî-tre de l’ouvrage a utilisé la cuisine pendant 15 ans (90). Dans d’autres cas, lademande en résolution est tellement tardive qu’elle fait apparaître que lesmanquements ne sont pas suffisamment graves pour justifier la sanction (91).

12. Critère du manquement justifiant une résolution du contrat. — Dela diversité des décisions en matière de résolution, l’on peut aisément déduirela nécessité croissante, en pratique, de disposer d’un critère permettant dedéterminer la gravité suffisante d’un manquement contractuel (92). Doit-onprendre en compte l’importance du manquement, ou la nature de l’obligationviolée, ou encore, la volonté des parties ou du créancier ? Doit-on combinertous ces critères ?

Ailleurs nous avons proposé le critère de l’utilité économique que le créan-cier peut encore retirer de la poursuite de l’exécution du contrat (93): l’im-portance d’un manquement est mesurée par rapport à l’utilité économiqueque le créancier attendait du contrat et qu’il peut encore en attendre aprèsl’inexécution par le débiteur. Ainsi, un manquement qui prive le créancier detout intérêt économique, est-il suffisamment grave pour justifier la résolution.

C’est, tout compte fait, le critère de la proportionnalité qui s’applique : l’inté-rêt que le créancier a au maintien du contrat et celui qu’il a à sa résolution, est

(87) Civ. Bruxelles, 30 juin 1995, Dr. Inform., 1995/3, 38.(88) Civ. Liège, 19 janv. 1989, Pas., 1989, III, 73, J.L.M.B., 1989, 642.(89) Civ. Gand, 2 mars 1988, R.G.D.C., 1989, 503.(90) Civ. Bruxelles, 17 fév. 1994, Entr. et dr., 1995, 76.(91) Bruxelles, 20 janv. 1987, J.L.M.B., 1987, 865; J.P. St. Kwintens-Lennik, 25 janv. 1988, R.W., 1989-90, 161.(92) M. VANDERMERSCH, « La gravité du manquement, condition de la résolution pour inexécution

fautive : approche comparative », Ann. Dr. Louvain, 1993, 557 et s.(93) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 180-185.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

mis en balance avec le préjudice subi par le débiteur défaillant en cas de réso-lution (94).

Il est intéressant de souligner que ce critère de l’utilité économique rejoint surun point important le critère de la « contravention essentielle », critère inspirédu « fundamental breach » anglo-saxon et adopté par la Convention de Viennesur les contrats de vente internationale de marchandises (95).

Selon l’article 25 de la Convention, une contravention est essentielle lorsqu’ellecause à l’autre partie un préjudice tel qu’elle la prive substantiellement de ceque celle-ci était en droit d’attendre du contrat, à moins que la partie endéfaut n’ait pas prévu un tel résultat et qu’une personne raisonnable de mêmequalité placée dans la même situation ne l’aurait pas prévus non plus (noussoulignons). Cette définition met l’accent, tout comme le critère de l’utilitééconomique, sur la situation du créancier lésé et sur l’importance du préju-dice causé par le manquement. En effet, le préjudice (la privation) doit êtresubstantiel, ce qui doit s’apprécier à la lumière des attentes raisonnables (ouobjectives) du créancier lésé. Le cadre de référence ne se base pas sur la vo-lonté des parties mais sur ce que le créancier était en droit d’attendre ducontrat (96).

L’application de ce critère exige, dès lors, également que les attentes raisonna-bles du créancier soient mises en balance avec l’utilité économique de la ventepour le créancier après que le manquement a eu lieu. Ce n’est que lorsque lemanquement prive le contrat de son but ou de son utilité économique pour lecréancier qu’il est un manquement essentiel, justifiant la résolution (97).

Une partie de la doctrine belge récente approuve cette approche du manque-ment suffisamment grave (ou essentiel) qui justifie la résolution du contrat (98).

(94) En ce sens également : P.A. FORIERS, o.c., R.C.J.B., 1994, n° 23, p. 221-222. Rappr. X. DIEUX, Le respect dûaux anticipations légitimes d’autrui. Essai sur la genèse d’un principe général de droit (thèse U.L.B.),Bruxelles, Bruylant, 1995. n° 58.

(95) Approuvée par Loi du 4 septembre 1996 (M.B. 1er juillet 1997). Pour la doctrine belge récente à cesujet, voy. : M. FALLON et D. PHILIPPE, « La Convention de Vienne sur les contrats de vente internationalede marchandises », J.T., 1998, 17-37; H. VAN HOUTTE, « Het Weens Koopverdrag in het Belgisch recht »,R.D.C., 1998, 344-354; H. VAN HOUTTE, J. ERAUW et P. WAUTELET, Het Weens koopverdrag, Anvers, Intersentia,1997, 376p.

(96) S. STIJNS et R. VAN RANSBEECK, « De rechtsmiddelen (algemeen) », in Het Weens Koopverdrag, H. VAN

HOUTTE, J. ERAUW et P. WAUTELET (eds.), Anvers, Intersentia, 1997, (191), n° 6.3-6.10. Adde : M. FALLON etD. PHILIPPE, o.c., J.T., 1998, n° 71.

(97) S. STIJNS et R. VAN RANSBEECK, o.c. in Het Weens Koopverdrag, Anvers, 1997, n° 6.11.(98) S. STIJNS, o.c., 1994, n° 180-182; S. STIJNS et R. VAN RANSBEECK, o.c., in Het Weens Koopverdrag, 1997, n°

6.11; X. DIEUX, o.c., Bruxelles, 1995, n° 58; P.A. FORIERS, o.c., R.C.J.B., 1994, n° 23. D. PHILIPPE opte, parcontre, pour une combinaison des critères classiques (nature de l’obligation violée, gravité du manque-ment et pos sibilité d’exécution en nature). Nous craignons que ce choix ne nous avance guère puis-qu’il n’apporte pas la clarté requise pour la sécurité juridique des parties au contrat. De plus, nous nepartageons pas l’opinion de cet auteur selon laquelle « le texte legal belge » (?) mettrait l’accent sur lagravité du manquement et non sur la perte de valeur de la prestation pour le cocontractant (« L’inexé-cution des obligations », in Le nouveau droit de la vente internationale, Colloque du 21 novembre 1997à l’U.C.L., p. 6). Ni l’article 1184 C. civ., ni l’article 1641 et s. C.civ. ne permettent une telle allégation.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

C. Le régime de la résolution non judiciaire en vertu de cir-constances exceptionnelles

13. Nécessité d’une intervention préalable du juge ? — L’intervention dujuge dans la résolution d’une convention est nécessaire pour lui permettre decontrôler l’application d’une sanction. Mais doit-elle nécessairement être préa-lable à la résolution ? Les deux pouvoirs du juge, celui d’octroyer un délai etcelui, plus large, de modérer la sanction (voy. supra, n° 9), ne peuvent-ils s’exer-cer a posteriori ? En d’autres termes, peut-on, — en dehors d’une clause réso-lutoire expresse et en dehors des exceptions expressément prévues par laloi (99)—, faire l’économie du recours préalable au juge et reconnaître aucréancier le pouvoir de déclarer unilatéralement que le contrat est résolu ?

Dans ce cas, le créancier décide, à ses risques, de la résolution. Sa responsabi-lité sera engagée si, après coup, il apparaît que la résolution n’était pas justi-fiée. Le juge conserve son pouvoir de contrôle mais son intervention dans larésolution du contrat n’est plus qu’éventuelle et a posteriori. Il perd donc sonpouvoir d’accorder des délais, mais garde son pouvoir modérateur (100).

À la suite de P. Van Ommeslaghe (101) et à l’exemple de l’évolution en droitsfrançais et hollandais (102), la doctrine belge est, de nos jours, unanime à ad-mettre cette possibilité, non seulement dans les contrats de vente commer-ciale et d’entreprise, mais de façon générale dans tous les contrats synallagma-tiques (103).

(99) Par ex. : article 1657 du Code civil, la rupture pour motif grave en droit du travail, l’article 2 de loi du27 juillet 1961 concernant la résiliation des concessions de vente exclusives à durée indéterminée.

(100) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 494-510.(101) « Examen », R.C.J.B., 1975, nos 65 et 65bis.(102) Voy. S. STIJNS, o.c., 1994, nos 410 et s. et 419 et s.(103) Voy. pour les quinze dernières années : Actualités du droit, Droit de la construction (vol. 1), 1991,

1198-1200 et (vol. 2), 1992, 403-404; M. BOURMANNE, note sous Liège, 6 déc. 1985, R.R.D., 1987, 14-25;Th. DELAHAYE, Résiliation et résolution unilatérales en droit commercial belge, Bruxelles, Bruylant, 1984,nos 212-245; A. DELVAUX et D. DESSARD, Le contrat d’entreprise de construction, t. IX, Livre VII, in Rép.Not.,1991, n° 201; L. DEMEYERE, « Rechtshandelingen ter beëindiging van overeenkomsten », in La fin ducontrat, Bruxelles, C.J.B., 1993, (11), nos 33-34; X. DIEUX, « La formation, l’exécution et la dissolution descontrats devant le juge des référés » (sous Civ. (réf.), Liège, 4 fév. 1984), R.C.J.B. 1987, (245), 262; E.DIRIX, « De eenzijdige ontbinding van overeenkomsten » (sous Gand, 29 avril 1988), R.W., 1990-91, 710;E. DIRIX et A. VAN OEVELEN, « Kroniek van het verbintenissenrecht (1985-1992) », R.W., 1992-93, (1209),n° 64; Ph. FLAMME et M.-A. FLAMME, Le contrat d’entreprise. Quinze ans de jurisprudence (1975-1990),Bruxelles, Larcier, 1991, nos 56, 112, 239 et 241; M. FONTAINE, « La mise en oeuvre de la résolution descontrats synallagmatiques pour inexécution fautive », R.C.J.B., 1991, (33), nos 27, 28, 36-41; J.H. HERBOTS

et C. PAUWELS, « Overzicht van rechtspraak (1982-87). Bijzondere overeenkomsten », T.P.R., 1989, (1039),nos 411 et 413; R. KRUITHOF, « Overzicht van rechtspraak (1974-1980). Verbintenissenrecht », T.P.R., 1983,(495), n° 134; D. PHILIPPE, « Le droit des contrats : perspectives », DAOR, 1993/26, 107; S. STIJNS, o.c.,1994, nos 386-512; A. VAN OEVELEN, « Actuele jurisprudentiële en legislatieve ontwikkelingen inzake desancties bij niet-nakoming van contractuele verbintenissen », R.W., 1994-1995, (793), n° 58; P. VAN

OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B. 1986, nos 97-100 et 130; P. WÉRY, L’exécution forcée en nature desobligations contractuelles non pécuniaires. Une relecture des articles 1142 à 1144 du Code civil, Bruxelles,Kluwer éd. Jurid. Belgique, 1993, nos 219 et s. et 225 et s.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

Elle esquive toutefois la question de son fondement juridique (104).

La jurisprudence du fond s’est déjà exprimée en faveur de la résolution unila-térale ou non judiciaire, en dehors de toute clause résolutoire expresse (105),sans pour autant s’attarder à son fondement ou à sa compatibilité avec l’article1184 du Code civil.

Après avoir décrit les applications les plus marquantes, nous nous attacheronsà la question de la compatibilité de ce nouveau régime de la résolution avec lerégime légal de le résolution judiciaire.

14. Applications. — Quatre cours d’appel se sont prononcées récemmentet de manière explicite en faveur de la résolution par déclaration unilatéraledu créancier. Ces arrêts ont fortement marqué la jurisprudence en cette ma-tière.

— Par un arrêt du 21 juin 1983, la cour d’appel de Mons confirme la validité dela résolution unilatérale décidée par une clinique vis-à-vis d’un de ses méde-cins, en raison de ses manquements graves causant un danger réel pour lasanté de ses patients: « rien ne peut empêcher une partie, consciemmentdécidée à s’exposer au risque de devoir payer des dommages et intérêts sielle est désapprouvée ultérieurement par le tribunal, de mettre un termeimmédiat à une convention, en raison de la gravité des griefs qu’elle a àfaire, qui peuvent l’amener à considérer qu’il est absolument impossiblede poursuivre d’une façon quelconque les relations contractuelles ».La cour d’appel considère encore plus loin: « compte tenu de l’urgence et dela gravité de la situation, une partie peut estimer que la rupture immé-diate est la seule initiative censée qu’elle puisse prendre » (106).

— Dans un contrat d’entretien d’ascenseurs, le client avait été obligé de faireappel à un tiers suite à une quarantaine de pannes aux ascenseurs de deuximmeubles de treize étages habités par des personnes âgées. Bien qu’il s’agisse

(104) S. STIJNS, o.c., 1994, n° 386, 390, 465 et 485; P. WÉRY, o.c., n° 227.(105) Anvers, 30 mars 1993, Turnh. Rechtsl., 1993, 53, note; Mons, 11 déc. 1991, R.R.D., 1992, 211, note

ROLAND; Liège, 1er oct. 1991, Entr. et dr., 1993, 302, note FLAMME; Liège, 24 juillet 1991, J.T., 1991, 698;Gand, 29 avril 1988, R.W., 1990-91, 705, note E. DIRIX; Liège, 6 déc. 1985, R.R.D., 1987, 11, note M.BOURMANNE; Mons, 19 déc. 1984, R.D.C., 1985, 693, note L. BALLON; Mons, 21 juin 1983, Pas., 1983, I, 125,note, R.C.J.B., 1991, 8, note M. FONTAINE; Bruxelles, 2 juin 1976, a quo dans Cass., 19 avril 1979, Entr. etdr., 1981, 123, note DE BOCK; Civ. Bruxelles, 10 juin 1997, J.T., 1998, 8, note M. FONTAINE; Civ. Nivelles,13 fév. 1995, J.L.M.B., 1996, 425; Comm. Gand, 26 sept. 1991, T.G.R., 1991, 158; Comm. Courtrai, 18janv. 1983, J.J.P., 1983, (294), 299; Comm. Bruxelles (réf.), 17 déc. 1981, J.T., 1982, 761; Comm. Bruxel-les, 22 mai 1979, J.T., 1981, 10. Traitant plutôt d’un remplacement unilatéral : Liège, 27 mai 1986,J.L.M.B., 1987, 1017, note C. PARMENTIER. (sur la distinction entre la résolution non judiciaire et le rempla-cement unilatéral, voy. S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, n° 100).

(106) Mons, 21 juin 1983, Pas., 1983, II, 125 (nous soulignons), note, R.C.J.B., 1991, 8, note M. FONTAINE.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

ici d’une cas de remplacement unilatéral, la cour d’appel de Liège s’exprimeen termes tout à fait généraux sur la réception en droit belge tant de la résolu-tion unilatérale que du remplacement non judiciaire (107): « Qu’il échet dereconnaître le droit du créancier de ‘faire l’économie du recours préalableau juge’ que ce soit pour appliquer l’article 1184 ou l’article 1144 du codecivil, et ce du moment essentiellement que la bonne foi du cocontractantn’ait pas été surprise; que l’urgence requise ainsi que l’incompétence fla-grante de la firme existent bien en l’espèce et justifient la résiliation, ‘aposteriori’ par le juge... » (108) Dans ce cas, le maître de l’ouvrage sollicitait,en effet, la résolution du contrat après s’être remplacé (109).

— La résolution non judiciaire d’une concession de vente est acceptée par lacour d’appel de Gand (110), sur la base de l’article 1184 du Code civil (enexcluant l’application de l’article 2 de la loi du 27 juillet 1961 sur les conces-sions de vente exclusives). La cour avait constaté des manquements graves duconcessionnaire (changement de forme de sa société en vue de sa vente à unesociété concurrente, sans prévenir le concédant) et la perte de la confiancenécessaire pour la poursuite de la relation contractuelle (111).

— Dans une décision récente, la cour d’appel d’Anvers considère que « larésolution sur base de l’article 1184 du Code civil n’intervient, en principe,pas de manière automatique mais seulement à l’intervention obligatoire etpréalable du juge. L’article 1184, par. 3, du Code civil n’interdit pas que lecontrôle judiciaire intervienne a posteriori en cas d’urgence ou de mau-vaise foi dans le chef de l’autre partie » (traduction) (112).

15. Compatibilité avec l’article 1184 du Code civil : évolution histori-que de cet article. — Rappelons que la question est celle de savoir si on peutchanger le contrôle judiciaire obligatoire et préalable (art. 1184 C.civ.) en uncontrôle judiciaire éventuel et a posteriori sans trahir la nature de l’interven-tion du juge dans la résolution. La réponse réside dans l’analyse détaillée durôle du juge dans la résolution judiciaire et de la nature et la portée de sonpouvoir de contrôle. Nous avons constaté à ce propos qu’il faut distinguerdeux pôles dans le pouvoir de contrôle des cours et tribunaux :

(107) Voy. au sujet du remplacement judiciaire et unilatéral (art. 1143-1144 C.civ.) : P. WÉRY, o.c., 1993, 100-103 et 295 et s.; S. STIJNS, o.c., 1994, nos 345 et s. et 437-439; S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY,« Chronique », J.T., 1996, nos 97-100.

(108) Liège, 6 déc. 1985, R.R.D., 1987, 11, note M. BOURMANNE.(109) Pour un exemple similaire, voy. Civ. Mons, 26 mai 1987, J.L.M.B., 1987, 1537.(110) Gand, 29 avril 1988, R.W., 1990-91, 705, note E. DIRIX. Le pourvoi en cassation fut rejeté : Cass., 9 fév.

1990, arrêt dont il sera question dans la partie consacrée aux effets de la résolution.(111) Pour plus de détails, voy. S. STIJNS, o.c., 1994, n° 455.(112) Anvers, 30 mars 1993, Turnh. Rechtsl., 1993, 53, note.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

* d’une part, le pouvoir inscrit dans la loi d’octroyer un délai de grâce (art.1184, al. 3, C. civ.), pouvoir qui ne préjudicie en rien le choix du créancier pourune résolution du contrat, le juge n’appréciant pas l’opportunité de la résolu-tion, mais uniquement l’opportunité d’un délai de grâce ;

* d’autre part, le pouvoir d’apprécier la gravité du manquement et donc d’ap-précier l’opportunité de la résolution. Nous avons vu que, de façon constante,la Cour de cassation impose au juge, saisi d’une demande en résolution, l’obli-gation de rechercher si le manquement allégué est suffisamment grave pourjustifier la résolution réclamée. En vertu de son obligation d’adapter la sanc-tion à la gravité du manquement, le juge dispose donc d’un pouvoir modéra-teur lui permettant de choisir dans un large éventail de sanctions : il peut toutsimplement refuser la résolution, il peut la refuser et la remplacer par uneexécution par équivalent, il peut l’octroyer avec ou sans dommages-intérêts,ou encore, l’octroyer après un délai de grâce resté sans résultat. Il peut doncmodifier le choix du créancier et lui accorder l’option contraire.

Mais force est de constater que ce deuxième pouvoir n’est pas inscrit à l’arti-cle 1184 du Code civil, il est le fruit d’une prise de pouvoir des juges durant ladeuxième moitié du siècle dernier.

Actuellement, on est donc confronté au paradoxe suivant : d’une part, un pou-voir légal limité à l’octroi d’un délai de grâce (art. 1184, al. 3, C. civ.) et, d’autrepart, un pouvoir d’origine prétorienne, un pouvoir souverain d’apprécier lagravité du manquement et adapter la sanction à la gravité du manquement.

Or, de nos jours, l’on veut éviter l’intervention préalable du juge. Pour quellesraisons ? A première vue, ce sont les lenteurs inhérentes aux procédures judi-ciaires qui créent des problèmes graves. Mais la faiblesse fondamentale dusystème de la résolution judiciaire réside dans le pouvoir modérateur du juge,pouvoir presque souverain qui lui permet d’apprécier la gravité suffisante dumanquement et de choisir, dans un large éventail, la sanction la plus adaptée(voy. supra, n° 9). L’exercice de ce pouvoir est, en effet, pour les parties lacause d’une incertitude sur le sort du contrat, incertitude qui dure jusqu’aumoment où le juge se prononce (113).

Ce pouvoir modérateur n’est pas inscrit à l’article 1184 du Code civil.

Historiquement, il résulte d’une jurisprudence amorcée durant la deuxièmemoitié du siècle dernier (114). Cette jurisprudence a littéralement greffé le

(113) En ce sens : Th. DELAHAYE, Résiliation et résolution unilatérales en droit commercial belge, Bruxelles,Bruylant, 1984, nos 212 et 218; M. FONTAINE, o.c., R.C.J.B., 1991, n° 27 i.f.; S. STIJNS, o.c., 1994, n° 387; R.VANDEPUTTE, De overeenkomst - haar ontstaan, haar uitvoering en verdwijning, haar bewijs, Bruxelles,Larcier, 1977, 271; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 65, p. 605; J. VAN RYN et J. HEENEN,Principes de droit commercial, III, Bruxelles, Bruylant, 1981, n° 684; M. Van Ruymbeke, « Et si larésolution n’était plus judiciaire... », R.G.A.R. 1978, n° 9850/3 verso.

(114) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 130-146.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

large pouvoir d’appréciation d’origine jurisprudentielle sur le pouvoir légal ettrès limité contenu dans l’article 1184, al. 3 du Code civil, ce qui a eu pourconséquence que l’on considère, dans la foulée, que ce large contrôle de lasanction doit également avoir lieu préalablement à la résolution, tout commele pouvoir légal d’accorder un délai de grâce.

Nous avons cependant démontré dans notre thèse de doctorat que seul lepouvoir d’accorder un délai de grâce exige une intervention préalable du jugeet que le deuxième pouvoir, le contrôle de l’opportunité, pouvait sans plusintervenir a posteriori.

Primo, une recherche historique démontre que l’article 1184, al. 3 du Codecivil a été conçu afin de reconnaître au juge un seul pouvoir — celui d’accor-der un délai de grâce — et que c’est pour cette unique raison que son inter-vention doit nécessairement précéder la résolution. Les juristes de la premièremoitié du siècle passé trouvaient cette intervention du juge déjà en soi exorbi-tante (115). Le premier arrêt de la Cour de cassation française date de 1843 etinterdit aux juges du fond de refuser une résolution au créancier lorsque lemanquement est minime. L’arrêt interdit aux juges de remplacer la résolutionpar des dommages-intérêts (116). Le pouvoir d’accorder un dernier délai audébiteur était donc l’unique cadre d’intervention du juge et la seule raisonpour laquelle son intervention devait être préalable.

Secundo, notre siècle a oublié la portée très limitée de l’intervention dujuge (117). De nos jours, il est admis que le juge décide d’accorder ou de nepas accorder la résolution. Sa mission de contrôle a en effet dépassé les limi-tes du pouvoir d’accorder un délai, et est devenu un pouvoir d’appréciationde l’opportunité de la résolution qui lui permet de choisir librement la sanc-tion qu’il imposera au débiteur et au créancier. La doctrine, dont De Page,fait même valoir, qu’en matière de résolution, le juge est « ministre d’équité » etqu’il décide de la résolution « en équité ». Mais cette qualification de « ministred’équité » est-elle juridiquement exacte ?

Que fait le juge en fin de compte ? Dans les ouvrages plus récents, l’on ap-prend qu’il évite les abus : il évite qu’une sanction trop lourde, la résolution,n’intervienne alors que le manquement reproché est léger. Il recherche lesdisproportions entre la sanction et le manquement. Si c’est le cas, il devramodérer la sanction et il remplacera la résolution demandée par des domma-

(115) On trouve les traces de cette thèse chez POTHIER et dans la génèse de l’article 1184 (on peut se référeraux travaux préparatoires ainsi qu’aux rapports de BIGOT-PRÉAMENEU et FAVART). Les premiers commenta-teurs du Code Civil, TOULLIER, DURANTON, TROPLONG, ARNTZ et MOURLON interprètent l’art. 1184 C. civ. d’unemanière restrictive. Voy. S. STIJNS, o.c., 1994, nos 121-123.

(116) Cass.fr., 12 avril 1843, S., 1843.1.281, D., 1843.2.8. Voy. S. STIJNS, o.c., 1994, n° 124.(117) Pour le détail de cette évolution et l’analyse du pouvoir du juge, voy. S. STIJNS, o.c., 1994, nos 129-159.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

ges-intérêts compensatoires. Ce genre de contrôle est qualifié, de nos jours, de« pouvoir modérateur » du juge.

C’est donc à raison que la doctrine récente souligne qu’il s’agit tout simple-ment d’une application de la théorie de l’abus de droit. Ce « pouvoir modéra-teur » est identique à celui qu’exerce le juge lorsqu’il constate qu’un créancierabuse de son droit. En effet, lorsque le créancier abuse de son droit à la résolu-tion, on la lui refuse et on ne lui accorde qu’un pis-aller, des dommages etintérêts.

Or, ce pouvoir modérateur trouve son fondement dans l’article 1134, al. 3 duCode civil ou dans la règle que les conventions s’exécutent de bonne foi, etnon dans l’article 1184 du Code civil.

Voilà l’incohérence dénoncée: notre doctrine et notre jurisprudence veulent àtout prix rattacher ce contrôle de l’abus à l’article 1184, al. 3 du Code civil, etle faire intervenir préalablement à la résolution. Or, seul le pouvoir d’accorderou non un dernier délai est, lors de la résolution, un pouvoir d’équité où l’ap-préciation du juge est discrétionnaire. Laurent, qui était pourtant un défenseurd’un large pouvoir pour le juge, avertit le juriste que ce pouvoir d’appréciationde l’opportunité de la résolution ne se trouve pas inscrit à l’article 1184 duCode civil : « Ce pouvoir discrétionnaire que la Cour reconnaît aux tribu-naux n’est pas consacré par l’article 1184, que la Cour invoque. L’article1184 donne seulement au juge le droit d’accorder un délai au défendeur, ilne dit pas que le juge peut ou non prononcer la résolution, suivant la gra-vité des infractions » (118). Lorsque cet éminent auteur écrit que le juge est« ministre d’équité » il s’exprime uniquement sur ce pouvoir prévu explicite-ment par la loi.

Le pouvoir de modérer la sanction en fonction de la gravité des manquementsest, par contre, une simple application de la théorie de l’abus de droit (119). Lejuge qui qualifie un comportement comme abusif applique une notion dedroit et est soumis au contrôle de la Cour de cassation. Son pouvoir n’est pasdiscrétionnaire, mais la légalité de sa décision est contrôlée en cassation.

En Belgique, les meilleurs auteurs acceptent que le pouvoir de juger de l’op-portunité de la résolution n’est, en fin de compte, qu’un pouvoir de contrôlerles abus de sanction (120). P. Van Ommeslaghe écrit en ce sens: « Ce pouvoird’appréciation procède de la même idée que la condition de bonne foi re-

(118) F. LAURENT, Principes, t. 25, n° 362, analysé dans S. STIJNS, o.c., 1994, nos 139-146, en particulier n° 143.(119) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 145-146, 150-154, 159, 183, 202.(120) P.-A. FORIERS, o.c., R.C.J.B., 1994, n° 23, p. 220; L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.-A. FORIERS, « Examen », R.C.J.B.,

1985, n° 81, p. 296; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 65bis, p. 606 et n° 66, p. 611.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

quise en matière d’exception d’inexécution. Il s’agit de tempérer de façonraisonnable l’application de la sanction » (121).

Il n’y a qu’un pas pour arriver à une première conclusion : puisque les deuxpouvoirs (celui d’octroyer un délai et celui de modérer la sanction) se distin-guent clairement et ont un fondement légal différent, il n’y a pas de raisond’exiger que le contrôle de l’abus de résolution ou le contrôle de la gravitésuffisante de la sanction intervienne préalablement à la résolution.

15bis. Compatibilité avec l’article 1184 du Code civil : véritable portéede cet article. — À notre avis, l’évolution actuelle vers la reconnaissance decette forme de résolution non judiciaire est tout à fait compatible avec le texteet l’esprit de l’article 1184 du Code civil (122). Elle pourrait même être fondéesur une interprétation a contrario du troisième alinéa de cet article, dans lamesure où on le redécouvre dans sa véritable portée :

* si l’intervention judiciaire est préalable, c’est seulement pour permettre aujuge d’exercer son pouvoir, légalement octroyé, d’accorder un dernier délai(tel était l’esprit de l’art. 1184 à son origine (123). A contrario, on peut doncen déduire que lorsqu’un délai est devenu inutile ou impossible, l’interventiondu juge ne doit plus être nécessairement préalable à la résolution.

* l’autre pouvoir du juge, — le « pouvoir modérateur » en vertu duquel il ap-précie la gravité suffisante des manquements en rapport avec la gravité de lasanction —, est une simple application de la théorie de l’abus de droit (124).On devrait, dès lors, le fonder sur l’article 1134, al. 3, du Code civil au lieu de lerattacher, de façon artificielle, à l’article 1184 du Code civil.

Or, le contrôle de l’abus dans l’exercice d’un droit ou d’un pouvoir s’exercerarement au préalable. En cas d’exercice par le créancier de son droit de réso-lution, un contrôle modérateur pourra, sans en trahir la nature, s’effectuer aposteriori. Force est, en effet, de constater que la doctrine et la jurisprudenceadmettent cette intervention ultérieure du juge en validant les clauses résolu-toires expresses. Le juge peut, en certains cas, tempérer a posteriori le recours

(121) P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 66.(122) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 391-397, 463-464, 485-486. Voy. aussi : M. BOURMANNE, note sous Liège, 6 déc.

1985, R.R.D., 1987, (14), 15; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 65bis, p. 610-611 etR.C.J.B., 1986, n° 130.

(123) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 119-128.(124) Dans ce sens, explicitement : P.A. FORIERS, o.c., R.C.J.B., 1994, n° 23, p. 220; L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.A.

FORIERS, « Examen », R.C.J.B., 1985, n° 81, p. 296; S. STIJNS, o.c., 1994, nos 145-146, 150-154, 159, 183, 202;P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 65bis, p. 606 et n° 66, p. 611.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

du créancier à la clause, afin d’éviter une disproportion manifeste entre lemanquement reproché et la sanction imposée par le créancier (125).

La licéité des clauses résolutoires expresses en droit belge et français et lapossibilité pour les parties contractantes d’exclure le pouvoir du juge d’accor-der un dernier délai au débiteur, éclairent, à notre avis, l’essence du rôle dujuge lors de la résolution : son rôle essentiel se trouve nécessairement dansl’élément de continuité entre le régime judiciaire et non-judiciaire de la résolu-tion. Cet élément de continuité est précisément son pouvoir modérateur de lasanction. Ce n’est donc nullement son intervention préalable qui est essen-tielle à la résolution, mais son pouvoir de contrôler à un certain moment lasanction, que ce soit préalablement ou a posteriori (126).

Jacques Ghestin en est également convaincu : « ...il est sans doute préférabled’admettre que le caractère judiciaire de la résolution n’est pas de sonessence, puisqu’il peut être écarté par une clause résolutoire expresse » (127).Dix ans plus tard il écrit sans hésitation dans son Traité: « Le caractère judi-ciaire de la résolution n’est pas de son essence » (128).

À notre avis, l’essence dans l’intervention du juge est l’exercice de son pou-voir modérateur, qu’il intervienne préalablement à la résolution ou a postériori :ce qui importe c’est qu’il ait la possibilité, à un moment donné, de contrôler lasanction appliquée.

Ceci nous amène à notre deuxième conclusion : puisque le contrôle de l’abusde droit peut se faire avec la même efficacité avant ou après la résolution,l’intervention a posteriori du juge n’en est pas appauvrie, à condition toute-fois que son pouvoir d’accorder un dernier délai soit, dans les circonstancesdonnées, devenu sans objet ou inutile.

Cette condition est le critère pour savoir si la résolution peut se faire de façonunilatérale : le créancier dans un contrat synallagmatique peut résoudre unila-téralement ce contrat chaque fois que le juge aurait immédiatement décidé derésoudre judiciairement le contrat parce qu’un dernier délai aurait été inutileou était devenu impossible.

La conclusion générale qui s’impose, dès lors, est que le contrôle a posterioridevrait être accepté dans tous les cas où, même en l’absence d’une clause

(125) Un manquement est bénin lorsqu’il laisse subsister dans le chef du créancier l’intérêt économique qu’ilpouvait légitimement attendre du contrat (voy. supra, n° 12). Ce pouvoir modérateur basé sur l’abus dedroit s’identifie logiquement au pouvoir de contrôle dont dispose le juge quant à l’usage abusif par lecréancier de son droit d’option (voy. supra, n° 2 et s.).

(126) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 391-397, 463, 486, 497-498. En ce sens également : J. GHESTIN, Traité de droit civil,Les obligations. Les effets du contrat, par J. GHESTIN et M. Billiau, Paris, L.G.D.J., 1992, n° 432.

(127) J. GHESTIN, note sous Cass.fr. 15 fév. 1973, D. 1973, (474), 476 (nous soulignons).(128) J GHESTIN, Les effets, nr. 432. Voy. aussi : J. GHESTIN, Conformité et garanties dans la vente (produits

mobiliers), Paris, L.G.D.J., 1983, n° 188, p. 164.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

résolutoire expresse, l’exercice du pouvoir d’accorder un délai est devenusans objet parce que l’exécution de la convention est désormais impossibleou inutile.

Cette analyse permet de cerner de plus près la résolution de l’article 1184 duCode civil : ce n’est nullement l’intervention préalable du juge qui est essen-tielle à la résolution, mais son pouvoir de contrôler à un certain moment lasanction, que ce soit préalablement ou a posteriori (129).

16. Conditions d’application. — La plupart des auteurs énumèrent plusieursconditions de fond à la résolution unilatérale d’une convention : le débiteurdoit avoir commis des fautes graves, flagrantes ou faire preuve d’incompé-tence ou de mauvaise foi évidentes ; il doit avoir été mis dûment en demeureavec l’octroi d’un dernier délai pour s’exécuter ; enfin, des circonstances ex-ceptionnelles, telles que l’urgence, l’obligation de restreindre le dommage, laperte de confiance ou de tout espoir ou de toute possibilité d’exécution utile,doivent venir caractériser l’inexécution et justifier la décision de résoudreunilatéralement le contrat (130).

Ces conditions manquent de clarté : on ne mentionne pas la nécessité d’unenotification de la décision au débiteur, indépendamment de la nécessité d’unemise en demeure ; on ne définit ni l’urgence ni la crise de confiance et on nesait si l’urgence doit être accompagnée d’une des autres circonstances excep-tionnelles. De plus, on ne retrouve pas aisément ces conditions dans la juris-prudence qui accepte la résolution non judiciaire. Ainsi, la présence de l’ur-gence ne semble-t-elle pas être décisive pour la régularité de la résolution nonjudiciaire (131).

Résumant ces opinions, nous proposons de systématiser les conditions de fond,propres à la résolution non judiciaire, comme suit :

(1) Le débiteur défaillant doit être responsable de manquements contractuelssuffisamment graves pour justifier une résolution judiciaire. C’est donc un cri-tère identique qui détermine le degré de gravité, que la résolution soit judi-ciaire ou non.

(2) Le pouvoir légal et nécessairement préalable du juge d’accorder un der-nier délai doit avoir perdu son sens ou tout objet, ce qui peut, notamment,

(129) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 391-397, 463, 486, 497-498. En ce sens également : J. GHESTIN, Les effets, Paris,L.G.D.J., 1992, n° 432.

(130) M. BOURMANNE, o.c., R.R.D., 1987, 14 et s.; Th. DELAHAYE, o.c., nos 233-242; E. DIRIX et A. VAN OEVELEN,« Kroniek », R.W., 1992-93, n° 64; M. FONTAINE, o.c., R.C.J.B., 1991, nos 32 et 44; P. VAN OMMESLAGHE,« Examen », R.C.J.B., 1975, n° 65bis, p. 609 et R.C.J.B., 1986, nos 99-100.

(131) Voy. par ex. : Gand, 29 avril 1988 ; Comm. Gand, 26 sept. 1991; Comm. Bruxelles (réf.), 17 déc. 1981;Comm. Bruxelles, 22 mai 1979, toutes décisions précitées supra, n° 13.

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être le cas en situation d’urgence ou en vertu de l’obligation de prendre lesmesures raisonnables afin de restreindre le dommage ou, encore, lorsque laconfiance nécessaire entre parties au contrat a disparu ou, enfin, lorsque l’exé-cution du contrat est devenue impossible.

(3) Le créancier doit adresser à son débiteur une notification (dans la mise endemeure ou par acte séparé) par laquelle il lui communique clairement et sansambiguïté sa décision (acte juridique unilatéral réceptice) de résoudre le con-trat et dans laquelle il précise le motif de la résolution non judiciaire, c.à.d. le(ou les) manquement(s) reproché(s).

En principe, toute résolution unilatérale doit être précédée d’une mise en de-meure du débiteur d’exécuter ses obligations, si c’est encore possible, dans undernier délai raisonnable. Les exceptions de droit commun valent toutefoisautant en cas de résolution non judiciaire (132).

Rappelons également que, comme c’est le cas pour toutes les sanctions con-tractuelles, les exigences de la bonne foi dans l’exécution des contrats doiventrégir l’application par le créancier de cette résolution unilatérale (133). Le créan-cier tiendra donc compte des intérêts légitimes de son débiteur et de ses droitsde défense (par. ex. en cas d’expertise). Il prendra les mesures nécessaires etraisonnables en vue de permettre a posteriori un contrôle éventuel dujuge (134).

Il est impossible, dans ce recyclage, de rendre compte de toutes les nuances encette matière. Soulignons cependant que le champ d’application de cette réso-lution unilatérale est limité aux contrats où le législateur n’est pas intervenude façon impérative, soit pour interdire les clauses résolutoires expresses afinde s’assurer de l’intervention préalable du juge dans le cadre de son pouvoird’accorder un délai, soit pour régler de façon limitative la fin du contrat en casd’inexécution (135). De plus, nous ne voyons la résolution non judiciaire quecomme une alternative à la résolution judiciaire que nous ne voulons en aucuncas abroger. Il ne s’agit que d’une option supplémentaire pour le créancier,tout comme en droit néerlandais.

(132) Par ex. : Gand, 29 avril 1988, R.W., 1990-91, 705, note E. DIRIX.(133) S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, nos 35.d) et 44.(134) Voy. S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, n° 100. Pour une analyse et une

justification détaillée de ces conditions, voy. S. STIJNS, o.c., 1994, nos 457-512. En ce sens également : A.VAN OEVELEN, o.c., R.W., 1994-95, n° 58.

(135) Voy. Sur ce point controversé : S. STIJNS,.o.c , 1994, n° 512. Pour une application de la résolution nonjudiciaire dans le cadre d’un bail, voy. Civ. Bruxelles, 10 juin 1997, J.T., 1998, 8, note M. FONTAINE.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

D. Le régime de la résolution non judiciaire en vertu d’uneclause résolutoire expresse

17. Gradations et qualification. — En insérant dans leur contrat une clauserésolutoire expresse, les parties entendent surtout déroger au caractère judi-ciaire que l’article 1184 du Code civil impose, de façon supplétive, à la résolu-tion pour inexécution. Une telle clause supprime l’intervention préalable dujuge et donne au créancier, victime de l’inexécution fautive de son débiteur, lepouvoir de résoudre le contrat par sa seule volonté. De cette façon, le créan-cier exclut l’incertitude liée à l’appréciation préalable, par le juge, de la gravitésuffisante du manquement et de l’opportunité de la sanction (136).

Bien qu’il existe différentes gradations dans ces clauses (137), l’effet générale-ment escompté de ce type de clause n’est atteint que lorsqu’il est clairementénoncé qu’en cas d’inexécution fautive (ou dans certains cas d’inexécutionfautive), le contrat pourra être résolu par le créancier sans l’intervention préa-lable du juge. Certaines clauses ajoutent que la résolution aura lieu sans miseen demeure préalable.

N’atteint pas ce but et n’est donc pas une clause résolutoire expresse quidonne lieu à une résolution non judiciaire, la clause qui confirme qu’en casd’inexécution fautive, le créancier a la possibilité de faire résoudre le con-trat (138). Selon les termes de cette clause, l’intervention préalable du jugereste indispensable. Elle n’est utile que dans les contrats non synallagmatiques,auxquels l’article 1184 du Code civil et le droit à la résolution ne s’appliquentpas.

Bien qu’elle s’inspire à tort de la condition résolutoire de droit commun (139),notre jurisprudence consacre surtout l’expression suivant laquelle le contratsera résolu « de plein droit » (140). Mais la clause résolutoire expresse n’estpas soumise à des termes sacramentels. Il suffit que la volonté des parties d’ac-corder à la partie victime d’une inexécution le pouvoir de résolution motuproprio soit claire.

Est tout à fait valable la formule selon laquelle le vendeur aura le pouvoir « deréputer la vente nulle et non avenue » en cas de retard dans la passation de

(136) Comm. Bruxelles, 22 nov. 1985, R.D.C., 1987, 120. Voy. également supra, nos 15 et 15bis.(137) Voy. R. HAYOIT de TERMICOURT, note sous Cass., 31 mai 1956, Pas., 1956, I, 1051.(138) Bruxelles, 19 fév. 1986, Rev.not.b., 1986, 536, note D. STERCKX (et après cassation : Liège, 9 mars 1990,

Rev.not.b., 1990, 491). Voy. Cass., 28 mai 1964, Pas., 1964, I, 1017, J.T. 1964, 633.(139) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 329 et 340.(140) Mons, 28 fév. 1979, Pas., 1979, I, 68, Rev.not.b., 1980, 546; Civ. Marche-en-Famenne, 7 nov. 1985,

R.G.E.N., 1986, 154, note A.C.; Comm. Mons, 5 fév. 1990, J.T., 1990, 473, R.R.D., 1990, 225, note L.D.,DAOR, 1990/15, 75. M. FONTAINE, o.c., R.C.J.B., 1991, n° 51. Voy. infra, nos 19-20).

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Résolution judiciaire et non judiciaire

l’acte notarié dû à l’acheteur (141) ou l’expression selon laquelle le créancierpeut « se départir » ou « se considérer comme dégagé de tout engagement » encas d’inexécution (142). L’expression que la concession sera « sans valeur » encas d’inexécution est, par contre, retenue à tort comme clause résolutoire,puisqu’elle ne contient pas les éléments constitutifs d’une telle clause (143).

18. Licéité des clauses résolutoires expresses. — En principe, ces clausessont licites en droit belge (144).

Dans certains cas où une partie plus faible mérite d’être protégée, le législa-teur a toutefois voulu s’assurer de l’intervention préalable du juge et donc deson appréciation modératrice (145). C’est le cas dans les baux à loyer (art.1762bis C.civ.) et à ferme (art. 29, al. 3 loi du 4 nov. 1969 et du 7 nov. 1988). Ilest intéressant de noter que la Cour de cassation estime que l’article 1762bisne distingue pas selon que la clause résolutoire est stipulée au détriment del’une ou de l’autre des parties au bail. Une clause résolutoire expresse en fa-veur du preneur est donc également « réputée non écrite » (146).

La nouvelle loi sur le crédit à la consommation reprend l’ancien principe del’illicéité des clauses résolutoires expresses, en prévoyant, cependant, des con-ditions restrictives pour leur admission exceptionnelle (art. 29) (147). Lors-que les dispositions légales concernant la mise en demeure n’ont pas été sui-vies, la clause de résolution est inapplicable (148).

(141) Liège, 24 avril 1989, J.L.M.B., 1990, 470, Rev.not.b., 1990, 169. Comp. : Mons, 17 janv. 1994, R.R.D.,1994, 196; Bruxelles, 24 fév. 1989, J.L.M.B., 1990, 616.

(142) Civ. Nivelles, 13 déc. 1988, J.L.M.B., 1990, 1242, note E. HERINNE, Rev.not.b., 1991, 403.(143) Comm. Bruxelles, 22 nov. 1985, R.D.C., 1987, 120.(144) Article 1656 du Code civil; Cass., 19 avril 1979, Pas., 1979, I, 981, R.C.J.B., 1981, 26, note R. Butzler et

M. COLPAERT, R.D.C., 1980, 440, note Maussion; Bruxelles, 24 sept. 1986, J.T., 1989, 185, R.W., 1987-88,1436; Liège, 24 avril 1989, cité au n° précédent; R. BUTZLER et M. COLPAERT, « La licéité de la clauserésolutoire expresse dans le contrat de concession exclusive », R.C.J.B., 1981, (26), nos 5 et 10; H. DE

PAGE, Traité, II, nos 882 et 894; P.H. DELVAUX, « Les clauses résolutoires expresses et les clauses aména-geant l’exception d’inexécution », in La rédaction des conditions générales contractuelles, U.C.L., Cen-tre de droit des obligations, Story-Scientia, 1985, 87-110; P. COPPENS et F. t’KINT, « La clause résolutoire etla clause de réserve de propriété », R.R.D., 1979, (887), 888; M. FONTAINE, o.c., R.C.J.B., 1991, n° 47; J.BORRICAND, « La clause résolutoire expresse dans les contrats », R.T.D.Civ., 1957, 433 et s.; M. STORCK, v°Dérogations à la résolution judiciaire : les clauses résolutoires, Art. 1184, Fasc. 2, Jur.-Cl. Civ., 1988, n°12 et s.; J. GHESTIN, Les effets, n° 434 et s.

(145) Civ. Liège, 12 mars 1985, J.L.M.B., 1985, 353; J.P. Uccle, 22 août 1988, J.T., 1989, 184.(146) Cass., 24 mars 1994, Pas., 1994, I, 304, J.L.M.B., 1994, 765.(147) Pour des exemples de clause résolutoire expresse et de leur application, voy. : Civ. Gand, 6 fév. 1998,

R.W., 1998-99, 160; Civ. Bruxelles, 9 décembre 1997, R.D.C., 1998, 542, note F. Nichels; Civ. Tournai, 24oct. 1995, J.J.P., 1997, 354; J.P. Westerlo, 7 mars 1997, R.W., 1997-98, 1375; J.P. Gand, 23 oct. 1995,.J J.P.,1997, 364.

(148) J.P. Gand, 13 déc. 1993, J.J.P., 1996, 113; J.P. Namur, 22 oct. 1996, J.J.P., 1997, 401.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Dans d’autres hypothèses, le législateur organise impérativement certains modesde dissolution (149) d’un contrat, sans pour autant exclure l’application dudroit commun de l’article 1184. La question se pose si les clauses résolutoiresexpresses y restent d’application. Dans la mesure où elle déroge au mécanismeprotecteur et aux intérêts protégés, la clause résolutoire expresse ne peut êtrelicite (150). En matière de concessions de vente exclusives, la Cour de cassa-tion est, à juste titre, d’avis que la loi du 27 juillet 1961 n’exclut pas le droitcommun de la résolution ni les clauses résolutoires expresses. Cette loi nerègle que la résiliation sans indication de motifs. Elle n’affecte pas le régimecommun de l’inexécution (151) (ni le droit commun concernant la résolutionrésultant de la réalisation d’une condition résolutoire (152)). La jurisprudencepartage cette opinion (153). Il faut, en effet, différencier le régime de la résilia-tion ad nutum des concessions à durée indéterminée du régime de la résolu-tion pour cause d’inexécution des obligations découlant d’une concession àdurée déterminée ou indéterminée. L’arrêt de 1979 manque cependant denuance en omettant de préciser que la loi sur les concessions exclusives pré-voit explicitement (art. 2) une dérogation au droit commun de l’article 1184en acceptant une résolution unilatérale (sans préavis ni indemnités) en cas demanquement grave (voy. supra, n° 13) (154).

À notre avis, la nouvelle loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commercen’interdit pas les clauses résolutoires expresses.

En effet, l’article 32, 9° de cette loi s’oppose à toute clause qui permette auvendeur de mettre fin unilatéralement au contrat, sans dédommagement pourle consommateur. Or, cet article contient une réserve explicite pour le régimede droit commun de l’article 1184 du Code civil, qui reste d’application. Uneclause résolutoire n’est donc pas contraire à cette disposition qui vise la rup-ture unilatérale du contrat sans qu’il soit fait état d’un manquement dans lechef de l’acheteur. L’article 32, 19° de la même loi interdit également les clau-

(149) Dans le sens défini supra, au n° 6.(150) C’est le cas, par exemple, dans un contrat de travail, pour les clauses qui énumèrent les motifs graves

justifiant une rupture sans préavis : M. FONTAINE, o.c., R.C.J.B., 1991, n° 49; P. VAN OMMESLAGHE, « Exa-men », R.C.J.B., 1986, n° 134.

(151) Cass., 19 avril 1979, Pas., 1979, I, 981, R.C.J.B., 1981, 26, note R. BUTZLEr et M. COLPAERT, R.D.C., 1980,440, note Maussion.

(152) Cass. 30 juin 1995, Pas., 1995, I, 724, R.W., 1995-96, 829.(153) Liège, 4 fév. 1992, J.L.M.B., 1993, 1082, note P. KILESTE; Gand, 29 avril 1988, R.W., 1990-91, 705, note E.

DIRIX; Bruxelles, 24 sept. 1986, J.T., 1989, 185, R.W., 1987-88, 1436, note; Comm. Bruxelles, 22 nov.1985, R.D.C., 1987, 120; Comm. Neufchâteau, 10 déc. 1985, R.D.C., 1987, 123. A propos des clausesrésolutoires et des conditions résolutoires, voy. Bruxelles, 3 déc. 1992, J.T., 1994, 599, R.W., 1992-93,1342. Pour des exemples de clauses résolutoires expresses en matière de concessions de vente exclu-sives, voy. : J.-P. FIERENS et A. MOTTET-HAUGAARD, « Chronique de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961relative à la résiliation des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (1987-1996) », J.T.,1998, (105), nos 27-29.

(154) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 332 et 406 et s.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

ses par lesquelles le consommateur renonce à tout moyen de recours contrele vendeur en cas de conflit. À nouveau, la clause résolutoire expresse ne peutêtre visée par la loi puisque sa mise en oeuvre, sa licéité, sa validité et soninterprétation restent soumises à un contrôle possible de la part du juge, mêmes’il intervient a posteriori (155).

19. Portée. — La jurisprudence a eu l’occasion de souligner le caractère pro-pre de la clause résolutoire expresse (ou pacte commissoire), qui se distinguede la condition résolutoire (156). Deux arrêts mettent les différences en exer-gue (157). Sanctionnant l’inexécution, la clause résolutoire expresse se réfèrenécessairement à une situation de défaillance du débiteur. Par contre, l’inexé-cution du contrat ne peut être l’objet d’une condition résolutoire, qui dépendd’un événement futur et incertain, étranger à l’inexécution. De plus, la clauserésolutoire expresse n’opère pas, de plein droit, dès le moment où il y a unedéfaillance du débiteur ; au contraire, le créancier victime de l’inexécution, a lechoix entre la résolution (judiciaire ou non judiciaire) du contrat et son exécu-tion et ce n’est que par l’expression de sa volonté envers son débiteur qu’ilpourra résoudre le contrat (158).

Confrontée à ce problème de distinction, la cour d’appel de Liège analyse laclause, stipulant qu’en cas de faillite la résiliation du bail commercial aura lieude plein droit, comme une condition résolutoire et non comme un pactecommissoire, cette clause excluant toute notion d’inexécution de la conven-tion et ayant un caractère ‘automatique’ pour sa prise d’effet (159). Dans soncommentaire, à raison critique, de cette décision, M.-Cl. Ernotte souligne qued’un point de vue objectif, on ne peut pas établir de corrélation certaine etnécessaire entre la faillite et l’inexécution du contrat, mais qu’en pratique ilreste toutefois à déterminer si les parties adoptent ce raisonnement lorsqu’el-les décident d’insérer la faillite dans leur champ contractuel et si elles n’ontpas envisagé l’idée de sanction pour le défaut de paiement (160). Elle propose

(155) E. DIRIX, « De bezwarende bedingen in de HPW », R.W. 1991-92, p. 568, nos 19 et 29; S. STIJNS, o.c., 1994,n° 383; A. VAN OEVELEN, o.c., R.W., 1994-95, n° 60.

(156) Confondent à tort ces deux notions : Liège, 4 déc. 1990, R.R.D., 1991, 424, note J.L. LEDOUX, J.L.M.B.,1991, 1131; Civ. Liège, 28 sept. 1989, J.L.M.B., 1990, 371; Comm. Bruxelles, 10 août 1989, R.D.C., 1990,708, note P. KILESTE.

(157) Liège, 24 sept. 1986, Ann.Dr.Liège, 1988, 168, note M.-Cl. ERNOTTE et Bruxelles, 3 déc. 1992, J.T., 1994,599, R.W., 1992-93, 1342.

(158) J.L. LEDOUX, note sous Liège, 4 déc. 1990, R.R.D., 1991, 429; M.-Cl. ERNOTTE, « Nature de la clauserésolutoire expresse en cas de faillite : condition résolutoire ou pacte commissoire exprès? », Ann.Dr.Liège,1988, 176 et s.; P. KILESTE, « Quelques réflexions sur la licéité des conditions résolutoires expresses enmatière de concession de vente exclusive à durée indéterminée », R.D.C., 1990, (717), n° 3; S. STIJNS,o.c., 1994, nos 9 et 329.

(159) Liège, 24 sept. 1986, Ann. dr. Lg., 1988, 168, note M.-Cl. ERNOTTE.(160) M.-Cl. ERNOTTE, o.c., Ann. dr. Lg., 1988, 177.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

donc la recherche par le juge de la volonté réelle des parties lors de la stipula-tion d’une telle clause, puisque « la doctrine semble davantage envisagercette clause dans l’optique d’une résolution-sanction plutôt que dans celled’une simple condition résolutoire alors que d’un point de vue théorique,la faillite peut répondre aux caractéristiques de cette dernière » (161). Lors-qu’il est clair que la clause a été insérée au contrat par crainte légitime d’inexé-cution et afin de se prémunir, par la dissolution anticipative, contre les désa-gréments d’une procédure en résolution judiciaire, on peut conclure que laclause résolutoire en cas de faillite est une modalité particulière de pactecommissoire exprès.

20. Mise en œuvre. — Un arrêt de la Cour de cassation rappelle, à bon es-cient, la règle suivante : lorsque les parties adoptent, dans un acte de vented’immeuble, la clause selon laquelle la vente sera résolue « de plein droit » encas de non-paiement du prix lors de la passation de l’acte authentique, la miseen demeure reste néanmoins de rigueur et le simple fait de l’expiration dudélai prévu pour la passation de l’acte notarié, n’entraîne pas la résolution dela vente (162).

Mais, à supposer même que la clause stipule que le contrat sera résolu « deplein droit et sans mise en demeure », elle ne pourra sortir ses effets que lors-que le créancier aura manifesté son intention de s’en prévaloir par une notifi-cation à son débiteur (163). La notification de ce choix à l’intéressé s’imposepuisque la résolution unilatérale est un acte unilatéral réceptice (164). La fa-culté de résoudre unilatéralement la convention est, en effet, une possibilitéqui s’ajoute aux autres sanctions de l’inexécution. À raison, la jurisprudencerappelle que l’option du créancier reste acquise, tant que le créancier n’a pasfait appel à la clause résolutoire expresse (165).

Le créancier qui opterait pour la résolution n’est pas tenu de faire appel à laclause résolutoire expresse ; il peut préférer la résolution judiciaire (166).

(161) M.-Cl. ERNOTTE, o.c., Ann. dr. Lg., 1988, 177-178.(162) Cass., 24 mars 1995, Pas., 1995, I, 358, R.G.D.C., 1997, 98, note K. CREYF, T. Not., 1996, 140, R. Cass.,

1995, 267 et note S. STIJNS, « De noodzaak van een ingebrekestelling voor de uitwerking van eenuitdrukkelijk ontbindend beding : twijfels omtrent art. 1656 B.W. »; R. HAYOIT de TERMICOURT, note sousCass., 31 mai 1956, Pas., 1956, I, 1051.

(163) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 349-350.(164) J. MARTIN de la MOUTTE, L’acte juridique unilatéral, Paris, Sirey, 1951, nos 179 et 181.(165) Bruxelles, 3 janv. 1990, J.T., 1990, 471; Civ. Nivelles, 13 déc. 1988, J.L.M.B., 1990, 1242, note E. HERINNE,

Rev.not.b., 1991, 403. Voy. l’arrêt de principe : Cass., 31 mai 1956, Pas., 1956, I, 1051, note R.H., J.T.,1956, 697, R.C.J.B., 1956, 241, note KLUYSKENS, R.W., 1956-57, 1837, R.D.C., 1957, 120, Rev.Prat.Not.,1957, 54, note J.B., Rev.Banque, 1957, 217, note P. DE BEUS. Adde : S. STIJNS, o.c., 1994, nos 361-365.

(166) Liège, 23 oct. 1986, Rev.not.b., 1988, 212; Civ. Bruxelles, 18 nov. 1988, Rev.not.b., 1989, 250.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

Le créancier doit nécessairement exprimer son choix pour la mise en oeuvrede la résolution unilatérale (167). Il est donc correct de décider que la résolu-tion sera seulement acquise lorsque le débiteur en aura pris ou en aura raison-nablement pu prendre connaissance (168).

21. Contrôle judiciaire. — La résolution en elle-même reste inchangée : ils’agit toujours d’une sanction de l’inexécution qui opère avec effet rétroactifet qui libère le créancier (169). En revanche, l’intervention du juge se muepuisqu’elle devient éventuelle et a lieu a posteriori.

D’après une doctrine et une jurisprudence constantes, le juge n’apprécie plusque la régularité « formelle » de la mise en œuvre de la clause. La jurisprudencerésume correctement cette idée en affirmant que le juge se borne à vérifier lalicéité et la validité de la clause, la réunion de ses conditions d’application etqu’il examine, parfois, ses effets (170). C’est à juste titre que la cour d’appel deBruxelles constate qu’il n’a pu y avoir résolution du contrat de vente, parceque le vendeur avait invoqué la clause résolutoire expresse en dehors de sesconditions d’application (171). Le créancier est, en effet, sans pouvoir déci-sionnel lorsqu’il se trouve en dehors des conditions qui lui accordent le pou-voir de résolution (172). Il est également possible d’accorder uniquement desdommages et intérêts au débiteur lorsqu’il établit que la résolution a été déci-dée par son créancier en dehors des conditions d’application de la clauserésolutoire expresse, mais qu’il ne réclame pas la remise en place du lien con-tractuel. Ainsi, le tribunal civil de Bruxelles a-t-il condamné un organisme dis-pensateur de crédit au paiement de la somme de cent mille francs à titre dedommages et intérêts et condamné chaque partie à la moitié des dépens, parceque le créditeur avait dénoncé le crédit sans mise en demeure préalable enfaisant appel à une clause contractuelle qui ne pouvait s’appliquer — l’orga-nisme dispensateur de crédit n’ayant pas dûment constaté le manquementcontractuel précis, exigé pour autoriser la banque à dénoncer le crédit sur

(167) Cass., 31 mai 1956, , Pas., 1956, I, 1051, note R.H., J.T., 1956, 697, R.C.J.B., 1956, 241, note KLUYSKENS,R.W., 1956-57, 1837, R.D.C., 1957, 120, Rev.Prat.Not., 1957, 54, note J.B., Rev.Banque, 1957, 217, noteP. DE BEUS. C’est donc à tort que le Président du Tribunal de Commerce de Termone décide que la miseen œuvre d’une clause résolutoire expresse ne nécessite pas de notification : Prés. Comm. Termonde,7 janv. 1997, R.D.C., 1998, 256.

(168) Anvers, 20 déc. 1994, T. Not., 1996, 179; Bruxelles, 11 fév. 1985, R.D.C., 1985, 650, note C. PARMENTIER.(169) Civ. Marche-en-Famenne, 7 nov. 1985, R.G.E.N., 1986, 154, note A.C.(170) Voy. Liège, 24 avril 1989, J.L.M.B., 1990, 470, Rev.not.b., 1990, 169; Comm. Bruxelles, 22 nov. 1985,

R.D.C., 1987, 120; J. GHESTIN, Les effets, nos 441-442. Par ex. rejet pour absence de manquements : Liège,6 déc. 1985, R.R.D., 1987, 11, note M. BOURMANNE.

(171) Bruxelles, 24 fév. 1989, J.L.M.B., 1990, 616.(172) S. STIJNS, o.c., 1994, n° 371-372. Voy. par ex. : J.P. Gand, 13 déc. 1993, J.J.P., 1996, 113 (en matière de

crédit à la consommation).

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

l’heure — et parce que le dépassement de crédit reproché était peu importantet était exceptionnel dans le chef des débiteurs (173).

La doctrine enseigne qu’avec une clause résolutoire expresse, le juge perddonc tant la faculté d’accorder un délai de grâce que le pouvoir modéra-teur (174) qui lui permet d’apprécier la gravité du manquement reproché etl’opportunité de la sanction (en ce sens qu’il ne juge que de la réalité desmanquements et non de leur gravité) (175).

Cependant, nous ne voyons pas pourquoi le juge ne conserverait pas, a poste-riori, un pouvoir modérateur fondé sur l’article 1134, al. 3 du Code civil.

En effet, la résolution unilatérale est une ‘décision de partie’ (partijbeslissing),de sorte que le caractère équitable et raisonnable de la résolution doit pouvoirêtre apprécié a posteriori par le juge sur la base de la théorie de l’abus dedroit (176) (177). Cette opinion est déjà défendue, de façon convaincante, endroit français (« le juge de la bonne foi contractuelle retrouve ainsi, dans lamodération de la clause résolutoire, un pouvoir d’appréciation morale quine diffère guère au fond, de celui qu’il exerce dans l’application de l’article1184 ») (178). S’il est vrai que certains auteurs belges s’orientent vers un con-trôle marginal a posteriori de la mise en oeuvre des clauses résolutoires ex-presses (179), force est de constater que notre jurisprudence n’en fait querarement application. Les décisions précitées du tribunal civil de Bruxelles du6 mars 1997 et du tribunal civil de Gand du 6 février 1998 (180) étant l’excep-tion qui confirme la règle.

(173) Civ. Bruxelles, 6 mars 1997, J.L.M.B., 1998, 602.(174) Liège, 24 avril 1989, J.L.M.B., 1990, 470, Rev.not.b., 1990, 169.(175) Liège, 4 fév. 1992, J.L.M.B., 1993, 1082, note P. KILESTE; Civ. Marche-en-Famenne, 22 oct. 1987, R.G.D.C.,

1988, 490; Comm. Bruxelles, 22 nov. 1985, précité; Civ. Marche-en-Famenne, 7 nov. 1985, R.G.E.N.,1986, 154, note A.C.

(176) S. STIJNS, o.c., 1994, nos 326, 352 et 373-379.(177) En référé, le président peut suspendre une résolution non judiciaire qui aurait été décidée par le

créancier de façon manifestement irrégulière ou abusive (Bruxelles, 2 fév. 1988, R.D.C., 1990, 671, noteP. KILESTE). Voy. à propos de la controverse récente concernant le pouvoir du juge des référés deremettre en vigueur un contrat résilié unilatéralement ou résolu pour exécution fautive : S. STIJNS, « Debeëindiging van de kredietovereenkomst : macht en onmacht van de (kort geding) rechter », R.D.C.,1996, 100-168.

(178) P. REMY, « Vente à rente viagère : la clause résolutoire doit être invoquée de bonne foi par le vendeur »,R.T.D.Civ., 1988, n° 1, p. 148. Voy. B. BOCCARA, note sous Cass.fr., 16 déc. 1987, J.C.P., 1989.II.21184; J.GHESTIN, Les effets, n° 446; J. MESTRE, « Le juge et les conditions de la résolution », R.T.D.Civ., 1987, 314;F..OSMAN, « Le pouvoir modérateur du juge dans la mise en oeuvre de la clause résolutoire de pleindroit », Defr., 1993, (65), n° 13-21; Y. PICOD, « La clause résolutoire et la règle morale », J.C.P., 1990.I.3447;Y. PICOD, note sous Cass.fr., 8 avril 1987, J.C.P., 1988.2.21037.

(179) Voy. E. DIRIX, « De bezwarende bedingen in de HPW », R.W., 1991-92, n° 29, p. 571; R. KRUITHOF,« Contractuele aansprakelijkheidsregelingen », T.P.R., 1984, (233), nos 46 et 50; R. VANDEPUTTE, Deovereenkomst, 276. Comp. : P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1986, 87. Contra : P. COPPENS et F.t’KINT, « Examen de jurisprudence (1984-90). Les faillites, les concordats et les privilèges », R.C.J.B.,1991, n° 111, p. 520.

(180) Civ. Gand, 6 fév. 1998, R.W., 1998-99, 160.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

Section IIILes effets de la résolutionpour inexécution fautive

A. Principes et exceptions

22. Principes. — Qu’elle soit judiciaire ou non judiciaire, la résolution opère,en principe, avec rétroactivité (ex tunc). Cette sanction remet donc les partiesdans la même situation que celle dans laquelle elles se seraient trouvées sielles n’avaient pas contracté (181). Le contrat résolu ne peut donc plus servirde fondement aux droits ou aux obligations des parties (182).

La remise des choses en leur pristin état engendre pour les parties des obliga-tions réciproques de restitution (183). C’est dans cette restitution que l’onretrouve l’un des avantages de la résolution pour le créancier lésé, puisqu’ilpeut reprendre chez son débiteur les biens livrés (184). Ce n’est que lorsquela restitution est impossible à réaliser en nature qu’elle s’effectue en équiva-lent (185). Un jugement confirme que les règles de l’enrichissement sans causes’appliquent dès lors que la restitution d’une prestation s’avère impossible

(181) Cass., 24 mars 1972, Pas., 1972, I, 693, note, R.W., 1971-72, 2023; Cass., 13 déc. 1985, Pas., I, 1986, 488,note, J.T., 1987, 163, R.W., 1986-87, 933; Cass., 25 fév. 1991, Pas., 1991, I, 616 et concl. conf. Av. gén. J.F.LECLERCQ, J.T., 1991, 455, J.J.P., 1991, 163; Cass. 6 juin 1996, Pas., 1996, I, 549, n., R.W., 1997-98, 1049;Sent. Arb., 15 janv. 1985, J.T., 1985, 252, Entr. et dr., 1986, 231; Mons, 11 déc. 1991, R.R.D., 1992, 211,note B. ROLAND; C.trav. Bruxelles, 17 janv. 1992, J.T.T., 1993, 149.

(182) Viole, dès lors, l’article 1184 du Code civil, le juge qui déclare un contrat d’entreprise résolu aux tortsdes deux parties et, statuant sur le solde des factures, décide que les parties sont tenues de respecter lecontrat en entier et, en conséquence, de payer le prix convenu, par les motifs que « la résolution ou larupture du contrat n’opère qu’à partir de l’introduction de la procédure » : Cass., 6 juin 1996, Pas., 1996,I, 594, n., R.W., 1997-98, 1049.

(183) Lesquelles, souvent, ont un caractère synallagmatique, ce qui permet de leur appliquer l’exceptiond’inexécution : Cass., 12 sept. 1986, Pas., 1987, I, 41; Sent. Arb., 15 janv. 1985, J.T., 1985, 252, Entr. etdr., 1986, 231. H. DE PAGE, Traité, II, nos 815 et 819-820; S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WÉRY, « Chronique »,J.T., 1996, n° 159.

(184) En cas de faillite du débiteur, la demande en résolution judiciaire doit être introduite avant la déclara-tion de faillite. Voy. Bruxelles, 28 fév. 1986, J.L.M.B., 1987, 142; Comm. Hasselt, 18 déc. 1986, Limb.Rechtsl., 1987, 99; Bruxelles, 2 fév. 1977, J.T., 1977, 267, R.D.C., 1978, 111; Liège, 22 mars 1978, J.L.M.B.,1977-78, 249. P. COPPENS et F. t’KINT, « Examen », R.C.J.B., 1991, p. 518, n° 111. Adde : S. STIJNS, D. VAN

GERVEN et P. WÉRY, « Chronique », J.T., 1996, n° 153, pour la résolution non judiciaire.(185) Cass., 24 mars 1972, Pas., 1972, I, 693, note, R.W., 1971-72, 2023; H. DE PAGE, Traité, II, n° 818; R.

KRUITHOF, « Overzicht », T.P.R., 1983, n° 135.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

mais que le créancier de cette prestation partielle ou défectueuse en a tout demême retiré un avantage (186).

23. Exceptions. — Traditionnellement, il est fait exception à la règle de larétroactivité pour la résolution des contrats comportant une exécution suc-cessive (ou continue) : cette résolution n’opère que pour l’avenir (ex nunc), àcondition toutefois que les prestations effectuées en exécution de la conven-tion ne soient pas susceptibles d’être restituées (187). Les auteurs font égale-ment valoir qu’il y a équivalence entre les prestations et les contre-prestationsfournies, ce qui rend inutiles les restitutions réciproques (188).

Mais à quel moment la résolution prend-elle effet ? Est-ce à partir del’inexécution fautive, de la prononciation par le juge de la résolution, ou de ladate de l’acte qui introduit l’instance en résolution ? La jurisprudence favorisela dernière solution et estime que les effets de la résolution remontent à ladate de l’introduction de la demande en justice (189). Un arrêt du 8 octobre1987 confirme cette jurisprudence en considérant « que si la résolution ju-diciaire d’un contrat à prestations successives ne remonte en règle,quant à ses effets, qu’à la demande en justice, la victime de la résilia-tion abusive ayant entraîné la résolution judiciaire conserve le droit d’ob-tenir la réparation intégrale de son préjudice » (nous soulignons) (190).

P. Van Ommeslaghe a cependant critiqué cette solution dans les termes sui-vants : « on peut s’interroger sur l’exactitude de cette règle, dans la mesureoù l’exécution du contrat aurait été poursuivie pendant le cours de la pro-cédure ainsi que cela se présente souvent. La « restitution de jouissance »

(186) Comm. Mons, 12 avril 1988, D.C.C.R., 1989-90, 150, note B. LOUVEAUX. Voy. également : P. VAN OMMESLAGHE,« Examen », R.C.J.B., 1975, n° 73.

(187) Cass., 24 janv. 1980, Pas., 1980, I, 581; Cass., 31 janv. 1991, Pas., 1991, I, 520, R.W., 1991-92, 774, T.Not.,1991, 444; Cass., 25 fév. 1991, Pas., 1991, I, 616 et concl. conf. Av. gén. J.F. LECLERCQ, J.T., 1991, 455,J.J.P., 1991, 163. Voy. aussi : Bruxelles, 22 juin 1995, Res iur. Imm., 1996, 12; Mons, 11 déc. 1991, R.R.D.,1992, (211), 218; Civ. Bruxelles, 10 juin 1997, J.T. 1998, 8, note M. FONTAINE; Sent. Arb., 15 janv. 1985,J.T., 1985, 252, Entr. et dr., 1986, 231.

(188) H. DE PAGE, Traité, II, n° 826; A. VAN OEVELEN et E. DIRIX, « Kroniek van het verbintenissenrecht (1981-1984) », R.W., 1985-86, (81), n° 64; R. KRUITHOF, « Overzicht », T.P.R., 1983, n° 135; R. VANDEPUTTE, Deovereenkomst, 272; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 73.

(189) Cass., 24 janv. 1980 (impl.), Pas., 1980, I, 581; Cass., 29 mai 1980, Pas., 1980, I, 1199, avec concl.contraires Av. gén. R. DECLERCQ, R.W., 1980-81, 2627, T.Not., 1981, 242. Sur avis contraire du ministèrepublic, ce dernier arrêt casse le jugement qui avait laissé remonter les effets de la résolution d’un bailjusqu’à la date de l’inexécution du contrat. L’Avocat général avait, quant à lui, défendu que le seulcritère pour déroger à la rétroactivité, était l’impossibilité effective de restitution. Or, il n’est pas excluque cette situation remonte jusqu’à l’inexécution fautive. P. VAN OMMESLAGHE partage cette opinion(« Examen », R.C.J.B., 1986, n° 131). Nous verrons, plus loin dans ce numéro, que l’évolution jurispru-dentielle va dans ce sens.

(190) Cass., 8 oct. 1987, Pas., 1988, I, 154, R.W., 1987-88, 1505, R.C.J.B., 1990, 379, note M. FONTAINE, Rev.not.b.,1988, 249, note C. LEVEBVE. Adde : Civ. Neufchâteau, 26 oct. 1988, R.R.D., 1989, 20, R.G.E.N., 1990, 321.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

paraît tout aussi impossible après qu’avant la date de l’assignation ». Dansces cas, propose l’éminent auteur, la résolution devrait sortir ses effets au mo-ment du prononcé du jugement (191), sinon même au moment de l’exécutionde celui-ci (192).

Depuis lors, la Cour de cassation a été, semble-t-il, tentée d’affiner sa jurispru-dence.

D’une part, elle décide que le point de départ de la résolution n’est pas néces-sairement la date de l’introduction de la demande en justice, et qu’il peut êtrepostérieur à cette date. C’est ce qui découle de son arrêt du 28 juin 1990 (193):« Attendu que la résolution judiciaire d’un contrat à prestations successivesremonte en règle, quant à ses effets, à la demande en justice, à moins queles prestations effectuées en exécution de la convention après cettedemande ne soient pas susceptibles de restitution » (nous soulignons).Le tribunal du travail de Namur fait sienne cette règle pour la résolution d’uncontrat de travail qui s’est poursuivi pendant la procédure : la résolution nepeut se situer qu’au jour de la décision judiciaire (194).

D’autre part, il est permis, selon la Cour, de tempérer la non-rétroactivité de larésolution des contrats à prestations successives, en laissant rétroagir la résolu-tion chaque fois que le problème des restitutions ne se pose pas. Ainsi, larésolution peut-elle, quant à ses effets, remonter à un moment antérieur à lademande en justice et se situer au moment où les parties au contrat n’ont pluspoursuivi l’exécution du contrat et où, dès lors, il n’y a pas lieu à restitution.C’est ce que l’on peut déduire des considérations de l’arrêt de la Cour decassation du 31 janvier 1991 (195).

Le jugement attaqué avait choisi comme point de départ de la résolution, ladate de l’inexécution du bail. Cette fois-ci (et contrairement à l’arrêt du 29 mai1980 (précité), mais conformément aux conclusions de l’Av. gén. R. Declercq),la décision du juge du fond n’est pas censurée, la Cour de cassation estimantque la résolution du bail a pu être légalement prononcée à partir de cette date:« (le tribunal) en considérant que le demandeur a commis une faute enportant « atteinte à la jouissance paisible de sa locataire » et en constatantque la défenderesse « a vidé les lieux à la suite de la procédure d’expulsiondu 7 mai 1987 », a considéré, de manière implicite, qu’aucune prestation

(191) « Examen », R.C.J.B., 1975, n° 73. Adde : L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.A. FORIERS, « Examen », R.C.J.B., 1985,n° 80.

(192) « Examen », R.C.J.B., 1986, n° 132. En ce sens : C. trav. Bruxelles, 3 janv. 1989, J.T., 1989, 298.(193) Cass., 28 juin 1990, Pas., 1990, I, 1242.(194) Trib. trav. Namur, 28 nov. 1994, R.R.D., 1995, 102.(195) Cass., 31 janvier 1991, Pas., 1991, I, 520, R.W., 1991-92, 774, T.Not., 1991, 444.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

de nature à être restituée n’avait plus été effectuée dès ce moment (i.e. l’ex-pulsion fautive) et a pu dès lors prononcer la résolution à cette date ».

Certaines décisions de fond laissent rétroagir la résolution au jour del’inexécution fautive (196). Il nous semble que l’arrêt du 25 février 1991 vaégalement dans ce sens (197). Enfin, un arrêt du 14 avril 1994 est venu confir-mer cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation (198).

B. Critiques et ébauche d’une solution

24. Critiques. — Ces nuances, apportées par la jurisprudence récente de laCour de cassation, augmentent la complexité de cette matière. Elles prouventaussi à quel point les cours et les tribunaux, — dans l’obligation de déterminerle point de départ ex nunc de la résolution (non rétroactive) des contrats àprestations successives —, recherchent concrètement le moment auquel lesparties au contrat ont cessé d’exécuter leurs prestations de façon réciproqueet satisfaisante. En modulant de cette façon la (non-)rétroactivité de la résolu-tion, les juges du fond ont conscience du fait que la sanction et ses effets nepeuvent dépasser le but de la règle.

Mais il ressort également de ce qui précède que, pour déterminer la rétro-activité ou la non-rétroactivité de la résolution, la Cour de cassation se fondeexclusivement sur le critère de l’impossibilité de restitution (199).

La doctrine récente critique, à juste titre, ce critère puisque l’impossibilité derestitution ne fait pas obstacle à la rétroactivité, une restitution par équivalentétant toujours possible (200). De plus, le problème des prestations non resti-tuables n’est pas l’apanage des contrats successifs. Enfin, l’argument suivantlequel il y a eu, pendant une période d’exécution du contrat successif, une‘équivalence des prestations’ qui s’oppose à la rétroactivité de la résolutionpour cette période, est réfuté par C. Lefebve : il existe des contrats successifsdans lesquels une exécution partielle mais réciproque des prestations ne formepas un tout indépendant et satisfaisant, car ces prestations forment aux yeuxdes parties un tout indivisible avec l’exécution de la totalité du contrat sur

(196) C.trav. Bruxelles, 17 janv. 1992, J.T.T., 1993, 149; Mons, 11 déc. 1991, R.R.D., 1992, 218; Gand, 29 avril1988, R.W., 1990-91, 705, note E. DIRIX (où il s’agissait d’une résolution non judiciaire, voy. supra, n°14).

(197) Pas., 1991, I, 616 et concl. Av. gén. J.F. LECLERCQ, J.T., 1991, 455, J.J.P., 1991, 163. Rappr. : Cass., 9 fév.1990, Pas., 1990, I, 684, J.T., 1990, 630, R.W., 1990-91, 700, qui refuse la cassation de Gand, 29 avril1988, précité. Voy. l’analyse de ces arrêts par : S. STIJNS, o. c., 1994, nos 216-217.

(198) Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, 370, R.W., 1995-96, 532, J.L.M.B., 1995, 1240.(199) L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.A. FORIERS, « Examen », R.C.J.B., 1985, n° 80.(200) C. LEFEBVE, « Les effets de la résolution judiciaire des contrats successifs », Rev.not.b., 1988, (226), n° 6 et

s.; M. FONTAINE, « La rétroactivité de la résolution des contrats pour inexécution fautive » (sous Cass., 8oct. 1987), R.C.J.B., 1990, (379), nos 24 et 44; J. GHESTIN, Les effets, n° 501.

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Résolution judiciaire et non judiciaire

toute sa durée (201). Dans ce cas, la résolution devrait pouvoir rétroagir jus-qu’à la conclusion du contrat.

Dans son étude approfondie de la rétroactivité, M. Fontaine dénonce le défautde pertinence de la plupart des critères utilisés en cette matière (ex nuncversus ex tunc, prestations continues ou successives versus prestations ins-tantanées, prestations restituables et non restituables) (202).

25. Ébauche d’une solution. — Les auteurs qui ont analysé ce problème semontrent tous déçus par les critères et les catégories classiques adoptés enmatière de rétroactivité (203). Tous proposent une solution similaire qui s’ins-pire de la jurisprudence de la Cour de cassation française : elle prend en con-sidération, dans les contrats à exécution échelonnée, la divisibilité des presta-tions. Ainsi peut-on découvrir dans un arrêt de la Cour de cassation française,le critère suivant: « il résulte de ces textes (art. 1183 et 1184 du C.civ.) que,dans les contrats à exécution échelonnée, la résolution pour inexécutionpartielle atteint l’ensemble du contrat ou certaines de ses tranches seule-ment suivant que les parties ont voulu faire un marché indivisible, ou frac-tionné en une série de contrats » (204).

Lorsque les prestations stipulées sont indivisibles, la résolution d’un contrat àexécution successive devra nécessairement rétroagir et faire disparaître le con-trat ex tunc. Par contre, lorsque les prestations s’exécutent en tranches succes-sives, la résolution laissera intactes les tranches exécutées à la satisfaction desparties. Telle est la solution préconisée. M. Fontaine en déduit le critère sui-vant : « La résolution est rétroactive, elle est prononcée pour prendre effetdès la conclusion du contrat, chaque fois que le manquement affecte l’éco-nomie d’ensemble de la convention. La résolution est limitée, elle ne prendeffet qu’à la date où des manquements graves sont constatés, lorsque ceux-ci ne remettent pas en cause l’utilité réciproque de ce qui a été antérieure-ment presté à la satisfaction commune » (205).

(201) C. LEFEBVE, o.c., Rev.not.b., 1988, nos 6-12 et 14.(202) M. FONTAINE, « La rétroactivité... », R.C.J.B., 1990, nos 29-44. En sens identique : J. GHESTIN, « L’effet ré-

troactif de la résolution des contrats à exécution successive », in Mélanges Pierre Raynaud, 1985, (203),nos 7-8 et s. et 20 et s.

(203) Voy. les études, déjà citées, de M. FONTAINE, C. LEFEBVE et J. GHESTIN ainsi que : S. STIJNS, o. c., 1994, nos

219-221; M.E. STORME, « Het ingaan en de terugwerkende kracht van de ontbinding van wederkerigeovereenkomsten », R.G.D.C., 1991, (101), n° 13.

(204) Cass. fr., 3 nov. 1982, Bull.civ., I, n° 252, R.T.D.C., 1985, 166, note J. MESTRE, Defr., 1984, 1014, note J.-L. AUBERT, J.C.P., 1984.IV.10. Adde : Cass. fr., 13 janv. 1987, Bull.civ., II, n° 11, J.C.P., 1987.II.20.860, noteG. GOUBEAUX, R.T.D.C., 1987, 540, note J. MESTRE, D., 1987.I.R.18.

(205) M. FONTAINE, « La rétroactivité... », R.C.J.B., 1990, n° 48 et s.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Dans cette optique, il appartient donc au juge de déterminer la divisibilité desprestations et l’économie d’ensemble de la convention (autrement dit : l’équi-valence entre les prestations, ou leur équilibre). Ainsi, il pourra laisser rétroa-gir la résolution au moment où l’équilibre contractuel est venu à manquer enraison de l’inexécution fautive.

Le tribunal civil de Namur fait application de cette nouvelle approche dansson jugement du 26 mai 1997, rendu en matière de bail à ferme (206). Le tribu-nal constate que le preneur a cinq années de fermages arriérés depuis 1984 etconsidère:

« que le manquement du preneur à cette obligation essentielle, issue desrelations synallagmatiques, doit être sanctionné par la résolution du bailaux torts dudit preneur;

Attendu, en ce qui concerne la date de prise d’effet de la résolution, que si lebail est bien un contrat synallagmatique à prestations successives, encoreces prestations sont-elles aussi divisibles, en sorte que le manquement graveà y satisfaire doit être sanctionné chaque fois qu’il affecte — fût-ce ponc-tuellement — l’économie d’ensemble de la convention et ce, avec effet à ladate où le manquement grave constaté s’est produit, dans la mesure oùledit manquement ne remet pas en cause l’utilité réciproque de ce qui a étéantérieurement presté à la satisfaction des parties et où la résolution nedoit pas ou plus donner lieu à restitution de ce qui a été acquis (…); at-tendu ainsi qu’en l’espèce il y a lieu de constater que la résolution du baildoit être tenue pour acquise fin de l’année 1984 ».

Ce critère nous semble correct : puisque la réciprocité et la connexité desobligations sont le fondement du droit à la résolution (supra, n° 6), elles doi-vent également en être la mesure.

De plus, grâce à ce critère, le juge est en mesure d’adapter concrètement leseffets de la résolution après avoir apprécié l’impact de l’inexécution sur l’uti-lité économique que le créancier était en droit d’attendre du contrat successifpris dans sa totalité. Ce critère a, dès lors, également l’avantage de rejoindrelogiquement celui que nous avons proposé pour juger de la gravité suffisantede l’inexécution fautive (voy. supra, n° 12).

(206) Civ. Namur, 26 mai 1997, Rev. not. b., 1998, 540.

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L'ACTION PAULIENNE ETLA TIERCE COMPLICITÉ :

POINTS DE CONTACT

Ilse BANMEYER,assistante aux F.U.N.D.P. (Namur)

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L'action paulienne et la tierce complicité

SOMMAIRE

INTRODUCTION .................................................................................. 243

SECTION I

L’ACTION PAULIENNE ........................................................................ 245

A. Un créancier lésé..................................................................................... 245

1. Origine ...................................................................................... 2452. Un droit de créance .............................................................. 2463. Un appauvrissement ............................................................ 2484. Un préjudice ........................................................................... 249

B. La fraude du débiteur ........................................................................... 251

5. La fraude du débiteur (doctrine) .................................... 2526. Fraude du débiteur (jurisprudence) .............................. 252

C. Un tiers complice .................................................................................... 253

7. La mise en cause d’un tiers ............................................... 2538. La responsabilité aquilienne du tiers ............................ 2539. La faute du tiers (acte à titre onéreux) ......................... 25410. Exception (acte à titre gratuit) ......................................... 255

D. Les effets de l'action paulienne .......................................................... 255

11. Inopposabilité de l’acte frauduleux ................................ 25512. L’action paulienne : une application

de l’article 1382 du Code civil .......................................... 25613. Effet relatif de la décision d’inopposabilité .................. 25814. Effet de la décision d’inopposabilité entre parties

et vis-à-vis des tiers ............................................................... 259

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

SECTION III

LA TIERCE COMPLICITÉ ..................................................................... 261

A. Un créancier lésé .................................................................................... 261

15. Origine ...................................................................................... 26116. Un droit de créance. ............................................................. 26317. Un préjudice ........................................................................... 263

B. La faute du débiteur .............................................................................. 264

18. Une faute contractuelle ....................................................... 264

C. Un tiers complice .................................................................................... 265

19. La responsabilité aquilienne d’un tiers ......................... 26520. La faute du tiers .................................................................... 26521. Une faute commise en connaissance

de cause par le tiers .............................................................. 268

D. Les effets de l'action en tierce complicité ........................................ 270

22. L’action en tierce complicité : une applicationde l’article 1382 du Code civil .......................................... 270

23. Effet vis-à-vis du débiteur. ................................................... 272

CONCLUSION ......................................................................................273

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L'action paulienne et la tierce complicité

Introduction

Classiquement, l’action paulienne est présentée comme une exception à larègle de l’opposabilité des effets externes du contrat alors que la tierce com-plicité est plutôt envisagée comme une application de ce principe (1).

Envisager d’une telle manière ces deux mécanismes est insidieux car cetteprésentation, au lieu de mettre l’accent sur les spécificités respectives de cesactions, aboutit simplement à les éclairer sous un jour différent.

Si l’action paulienne a effectivement pour objectif premier d’obtenirl’inopposabilité d’une convention (2), l’action contre le tiers complice a, parcontre, pour origine la méconnaissance par un tiers des effets externes d’uncontrat.

L’action paulienne permet au créancier agissant d’obtenir l’inopposabilité del’acte juridique que son débiteur et un tiers ont posé en méconnaissant sondroit de gage général. Ainsi, il arrive fréquemment qu’un magistrat prononcel’inopposabilité à l’égard du créancier agissant, de l’acte de vente intervenuentre son débiteur (le vendeur) et un tiers (l’acquéreur), lorsque cette aliéna-tion rend plus complexe le recouvrement de sa créance (3).

L’action en tierce complicité existe au profit du créancier qui a subi un préju-dice suite aux relations juridiques établies entre son débiteur et un tiers enviolation des obligations contractuelles pesant déjà sur ce débiteur. Dans cecadre, la Cour de cassation a admis que le juge du fond condamne un tiers à unpacte de préférence, à restituer l’immeuble qu’il avait acquis du propriétaireen violation dudit pacte, afin de permettre aux bénéficiaires agissant d’exer-cer leur droit de préférence (4).

Ces précisions font apparaître deux actions qui, d’emblée, semblent avoir étéconçues dans le même moule : l’action paulienne (Section I) et l’action entierce complicité (Section II) sont toutes deux intentées par un créancier (A)

(1) Voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. I, 1962, Bruxelles, Bruylant, p. 186 et p. 188.(2) Ou d’un acte juridique unilatéral, tel un paiement.(3) Cass., 15 mai 1992, Pas., 1992, p. 813.(4) Cass., 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, p. 77, note J. DABIN.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

dont les intérêts ont été lésés suite à l’intervention conjointe de son débiteur(B) et d’un tiers complice (C). Dans les deux cas, le créancier assignera le tiersen justice afin d’obtenir du juge la sauvegarde de ses droits (D).

En parcourant ces quatre piliers communs, à la lumière de la jurisprudence etde la doctrine récentes, les deux institutions étudiées se révèleront, au-delà deleurs caractéristiques propres, extrêmement proches. Cette indéniable parentéa déjà été relevée par divers auteurs (5). Elle s’explique par un principe sous-jacent qui les gouverne toutes deux : tout tiers, qui envisage d’accomplir unacte juridique à l’égard d’une personne dont il connaît (ou est censé connaî-tre) la situation juridique vis-à-vis d’un créancier préexistant, voit sa libertéd’agir réduite sur le plan du droit à la mesure des restrictions qui s’imposent àcette personne par sa qualité de débiteur. Lorsqu’il traite avec un débiteur aumépris des obligations astreignant ce dernier, il commet une faute susceptibled’engager sa responsabilité aquilienne.

(5) H. ROLAND, L. BOYER, Obligations; 3. Régime général, Paris, Litec, p. 295, n°705; H. Swennen, « Desbewustdeelnemen aan andermans contractbreuk is fout » , R.W., 1978-1979, col. 1937 et s.; S. GINNOSSAR, Libertécontractuelle et respect des droits des tiers, Paris, R. PICHON et R. DURAND-AUZIAS, 1963; M. HUGUENEY, Laresponsabilité civile du tiers complice d’une obligation contractuelle, Dijon, 1910.

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L'action paulienne et la tierce complicité

Section IL’action paulienne

A. Un créancier lésé

1. Origine. — Le législateur, consacrant une institution héritée en droite li-gne du droit romain (la fraus creditorum), prévoit, dans l’article 1167 du Codecivil, que « Ils (les créanciers) peuvent aussi, en leur nom personnel, atta-quer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits » (6).

L’article 20 de la loi sur les faillites (7) énonce une règle similaire en déclarant« tous actes ou paiements faits en fraude des créanciers sont inopposables,quelle que soit la date à laquelle ils ont eu lieu » . Cet article remplace l’arti-cle 448 du Code de commerce qui disposait que « Tous actes ou payementsfaits en fraude des créanciers sont nuls, quelle que soit la date à laquelle ilsont eu lieu ».

Les effets et les conditions de l’action paulienne sont -sauf sur certains pointsque nous signalerons en temps voulu- quasi identiques que l’on agisse sur labase de l’article 1167 du Code civil ou sur la base de l’article 20 de la loi sur lesfaillites. Il était d’ailleurs déjà unanimement admis que l’action paulienne del’article 448 du Code de commerce n’était qu’une application particulière del’article 1167 du Code civil (8).

L’action dite « paulienne » a pour objectif d’assurer une certaine conservationdu patrimoine du débiteur, gage général de ses créanciers. En principe, cesderniers doivent suivre la foi de leur débiteur en ce qui concerne son patri-moine. Néanmoins, l’obligé peut être tenté de faire échapper ses biens à la

(6) En matière de partage, la loi restreint l’exercice de l’action paulienne, en raison de l’importance del’acte (1167 al. 2 et 882 du Code civil). L’action paulienne ne sera pas permise si les créanciers on étéprésents au moment du partage (de succession ou de communauté). Voy. pour un cas d’application :Civ. Turnhout, 19 février 1987, Turnh. Rechtsl., 1988, p. 185. L’article 788 du Code civil (renonciationfrauduleuse à une succession) constitue aussi une application particulière de l’action paulienne. Voy.pour un cas d’application : Civ. Neufchâteau, 7 février 1996, Rev. rég., 1996, p. 257; Civ. Leuven, 21janvier 1994, R.W., 1993-1994, p. 1434; Com. Anvers, 18 juin 1991, T. Not., 1991, p. 336.

(7) Loi sur les faillites du 8 août 1997, M.B., 28 octobre 1997, p. 28562.(8) Cass., 11 février 1993, R.W., 1993-1994, p. 124; Cass., 15 mars 1985, R.C.J.B., 1989, p. 315, note J.

MAHAUX; Cass. 9 juillet 1953, Pas., 1953, p. 909; Com. Liège, 29 avril 1997, T.R.V., 1998, p. 290, note S.LOOSVEVD.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

mainmise de ses créanciers. L’action paulienne, accordant à ceux-ci un recourscontre tout acte frauduleux de leur débiteur, tempère ainsi l’étendue de laliberté de disposition dont jouit, en principe, ce dernier (9).

2. Un droit de créance. — Pour intenter l’action paulienne, il faut donc avoirla qualité de créancier. Il importe peu qu’il soit chirographaire, hypothécaire,gagiste ou privilégié.

a) Une créance pécuniaire ou une dette de valeur

La créance invoquée par le demandeur porte nécessairement sur une sommed’argent puisque seuls les créanciers qui en sont titulaires sont qualifiés « àparticiper à la distribution par contribution au marc-le-franc ou à fairevaloir des causes légitimes de préférence » (10). Cette obligation de payer unesomme d’argent peut trouver sa source dans la loi (11) ou dans un contrat.(12)

Lorsqu’il s’agit d’une obligation originairement non pécuniaire, qu’elle con-siste en un dare, un facere ou un non facere, son créancier ne peut intenterune action paulienne tant que la prestation due et inexécutée n’est pas réso-lue en dommages et intérêts (dette de valeur). En effet, ce n’est que sous cetteforme que le créancier d’une obligation non pécuniaire pourra agir sur la basede la fraus pauliana (13).

L’article 1167 du Code civil ne profite donc qu’aux créanciers auxquels ledébiteur est redevable d’une somme d’argent au moment de l’intentement del’action paulienne.

b) Une créance antérieure à l’acte préjudiciable

La créance « de somme » dont il s’agit doit logiquement avoir une origineantérieure à l’acte préjudiciable. Le créancier qui a traité postérieurement àl’acte critiqué n’a pas pu compter sur la partie de l’actif du débiteur dont cetacte le prive et il n’y a donc théoriquement pas de place pour la fraude de cedernier (14). Lorsqu’il y a contestation, les règles d’opposabilité (règle de ladate certaine, transcription) trouveront donc à s’appliquer (15).

(9) B. STARCK, H. ROLAND, L. BOYER, op. cit., 1997, p. 289.(10) S. GINOSSAR, op. cit., 1963, p. 15 et s.(11) Une dette fiscale, par exemple.(12) Un contrat de prêt, par exemple.(13) S. GINNOSSAR, op. cit., 1963, p. 19.(14) J. MAHAUX, note sous Cass., 15 mars 1985, R.C.J.B., 1989, p. 319 .(15) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. III, Bruxelles, Bruylant, 1967, p. 237 et s.

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L'action paulienne et la tierce complicité

Au moment de l’acte incriminé, la créance « de somme » concernée ne doitpas forcément être exigible, ni liquide : il suffit que son principe même soit népour que la condition de l’antériorité soit respectée (16).

L’arrêt rendu par notre Cour de cassation, le 3 octobre 1985 (17) illustre claire-ment ce principe. Dans l’affaire en cause, le contrat initial liant le créancieragissant et son débiteur portait sur la mise en valeur de terrains. Par une nova-tion, cette obligation de faire du débiteur a été conventionnellement rempla-cée par l’obligation de payer une somme d’argent. L’acte préjudiciable (la ces-sion, par le débiteur, de nombreuses actions) était intervenu juste avant cettenovation. L’action paulienne a pu aboutir car « au moment de l’acte attaqué(…), la défenderesse (le créancier lésé) n’était pas future créancière et (…)au moment de l’accomplissement de l’acte, sa créance, sur la base de la-quelle elle attaquerait ledit acte, existait déjà en principe ». In casu, la condi-tion de l’antériorité de la créance a donc été considérée comme remplie.

Néanmoins, la jurisprudence n’hésite pas à faire exception à la règle de l’anté-riorité du titre du créancier lésé lorsque la fraude est dirigée contre des créan-ciers ultérieurs, dont la créance n’est pas née au moment de l’acte incriminé.La fraude peut effectivement avoir été organisée à l’effet de frustrer un créan-cier postérieur en soustrayant à son gage des biens qui normalement en auraientfait partie (18). Ainsi, par exemple, un époux ne peut librement décider demodifier son régime matrimonial lorsqu’il sait qu’une dette importante naîtraou pourrait se révéler dans son chef. Il ne peut s’arranger pour mener la procé-dure rapidement, avant la naissance ou la révélation de la créance, en sorteque le créancier se trouvera en présence d’un nouveau régime, par hypothèsemoins favorable (19).

Au moment de l’intentement de l’action paulienne, le créancier agissant doitdisposer d’une créance exigible ; ce qui exclut du bénéfice de l’action pau-lienne les créanciers conditionnels (20) et même les créanciers à terme (21).

De plus, l’action paulienne étant une mesure exécutoire et non conservatoire,le créancier devra, si le tiers assigné le requiert, obtenir du juge un titre exécu-

(16) Voy. notamment Cass., 19 mars 1998, R.D.C., 1998, p. 531, note C. VERBRUGGEN où l’action paulienne aété admise à l’encontre d’un acte d’appauvrissement accompli par une caution dont la garantie n’avaitpas encore été appelée.

(17) Cass., 3 octobre 1985, Pas., 1986, I, p. 100.(18) R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992), T.P.R.,

1994, p. 688, n° 363; Cass., 15 mars 1985, R.C.J.B., 1989, note J. MAHAUX, p. 319; Anvers, 15 février 1989,Pas., 1989, II, p. 209; Com. Liège, 13 octobre 1981, R.P.S., 1982, p. 50; Bruxelles, 6 décembre 1967, Pas.,1968, p. 114.

(19) Liège, 30 juin 1987, R.T.D.F., 1988, p. 168.(20) Notons toutefois que le créancier sous condition résolutoire, qui doit être traité comme une créancier

pur et simple, peut exercer l’action paulienne (H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 240, n°230)(21) S. STIJNS, D. VAN GERVEN, P. WÉRY, op. cit., J.T., 1996, p. 751.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

toire à l’encontre de son débiteur avant de pouvoir inquiéter le tiers sur labase de l’article 1167 du Code civil (22).

Notons que dans le cadre de la loi sur les faillites, l’action paulienne est réser-vée au seul curateur agissant dans l’intérêt de la masse (23).

3. Un appauvrissement. — L’acte incriminé par le créancier agissant est pardéfinition un acte juridique, tel q’une vente (24), une modification de régimematrimonial avec constitution d’une société d’acquêts composée du seul bienimmobilier du débiteur (25), une cession de droits indivis (26), ou même unpaiement (27). Sont exclus de l’action paulienne tous les faits juridiques, ycompris ceux qui ont pour effet de diminuer ou de modifier le patrimoine dudébiteur (28).

Tous les actes juridiques ne peuvent donner lieu à une action paulienne. Puis-que celle-ci a été conçue en vue de préserver le gage général de tout créancier,les tribunaux ont, dans un premier temps, exigé du créancier qu’il démontreque l’acte juridique dont il est question a causé ou aggravé l’insolvabilité deson débiteur, celle-ci étant comprise comme une insuffisance de l’actif parrapport au passif (29).

Ensuite, l’on a admis la fraude paulienne lorsqu’un acte juridique posé par ledébiteur a eu pour effet d’appauvrir son patrimoine sans requérir qu’il se soiteffectivement rendu insolvable (30).

Poursuivant le mouvement de sauvegarde des intérêts de tout créancier vic-time de la mauvaise foi de son débiteur, la doctrine et la jurisprudence con-temporaines ont élargi un peu plus le champ d’application de la « frauspauliana » puisqu’elles l’admettent lorsque le débiteur, sans s’être réellement

(22) H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 240; Cass. 3 octobre 1985, Rev. not. b., 1986, p. 308, note J. SACE; Cass.Fr., 4 novembre 1983, Rev. not. b., 1984, p. 309, note J. SACE; Bruxelles, 3 mars 1997, T. Not., 1997, p.454; Gand, 19 décembre 1995, T. Not., 1996, p. 229, note C. VAN HEUVERSWYN; Civ. Louvain, 23 septembre1988, Pas., 1989, III, p. 33; Bruxelles, 10 septembre 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1543. Contra S. STIJNS, D.VAN GERVEN, P. WÉRY, op. cit.., J.T., 1996, p. 751.

(23) Cass., 11 janvier 1988, Pas., 1987-1988, n°286, p. 596; Com. Hasselt, 9 juillet 1997, R.D.C., 1997, p. 632;Com. Dendermonde, 9 décembre 1993, T.B.H., 1997, p. 103 .

(24) Com. Liège, 29 avril 1997, T.R.V., 1998, p. 290.(25) Civ. Nivelles, 2 octobre 1997, J.T., 1997, p. 841.(26) Civ. Liège (J. saisies), 27 janvier 1997, Rev. not. b., 1997, p. 337.(27) Le paiement est en effet mentionné par l’article 20 de la Loi sur les faillites. Bien qu’il ne soit pas

expressément visé par l’article 1167 du Code civil, l’ensemble des auteurs l’intègrent dans le domained’application de l’action paulienne (voy. S. LOOSVELD, note sous Com. Liège, 29 avril 1997, T.R.V., 1998,p. 293 et les références citées.)

(28) H. ROLAND, L. BOYER, op. cit., 1997, p. 292 : « Les obligations qui en découlent sont exclusives de toute idéede fraude, puisqu’elles ne prennent pas leur source dans la volonté » ; S. GINNOSSAR, op. cit., 1963, p. 15.

(29) Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B., 1980, p. 115, note R. KRUITHOF.(30) Mons, 2 octobre 1985, Rev. not. b., 1986, p. 189, note J. SACE.

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L'action paulienne et la tierce complicité

appauvri, a modifié la consistance de son patrimoine en substituant à des bienssaisissables, des biens aisément dissimulables aux créanciers. La preuve d’unamoindrissement de l’actif du débiteur n’est plus requise (31).

Suite à cette évolution, l’acte juridique susceptible d’être aujourd’hui atteintpar l’action paulienne est donc un acte qui a appauvri le débiteur, en ce sensque ce dernier doit avoir, par cet acte, soustrait certains biens aux poursuitesconcrètes de ses créanciers, même si, d’un point de vue économique, il n’y apas lieu de constater une diminution du patrimoine du débiteur (32).

Notons que suivant une doctrine majoritaire (33), l’action paulienne n’estouverte que contre les actes par lesquels le débiteur « s’appauvrit » et nonpoint contre ceux par lesquels il refuse ou néglige de s’enrichir comme parexemple la renonciation à une donation qui lui est adressée. Ce qui est protégéest le patrimoine du débiteur tel qu’il existe et tel qu’il a pu être imaginé par lecréancier agissant. Rappelons toutefois que la renonciation à une successionconstitue un appauvrissement puisqu’elle fait sortir les biens du défunt dupatrimoine de l’héritier (34).

4. Un préjudice. — L’article 1167 du Code civil n’exige pas textuellementqu’un préjudice soit éprouvé par le créancier, mais seulement que le débiteurait posé un acte frauduleux. L’un et l’autre sont pourtant nécessairement liés.En effet, la condition du préjudice découle de la notion même de fraude : unacte conclu par le débiteur avec un tiers n’est frauduleux que s’il aboutit àfrustrer ses créanciers (35).

La simple démonstration de l’« appauvrissement » du patrimoine du débiteurne suffit pas pour que l’action paulienne aboutisse. Il faut en plus que l’acteincriminé ait causé un réel préjudice au créancier agissant (36).

(31) Civ. Liège (J. saisies), 27 janvier 1997, Rev. not. b., 1997, p. 338; R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE

TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992) » , T.P.R., 1994, p. 690, n°364.(32) Civ. Ypres, 13 juin 1995, R.G.D.C., 1997, p. 438.(33) H. ROLAND, L. BOYER, op. cit., 1997, p. 294; H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 229.(34) Mons, 2 octobre 1985, Rev. not. b., 1986, p. 189, note J. SACE; R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE

TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992), T.P.R., 1994, p. 690, n° 364; A. CLOQUET, Les Novelles- Droit commercial, IV - Les concordats et la faillite, Bruxelles, Larcier, 1985, n°283, p. 97; H. DE PAGE,op. cit., T. III, 1967, p. 229 .

(35) D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995, p. 321.(36) H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 241; Cass., 1 mai 1992, Pas., 1992, p. 813.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

a) Le préjudice : une condition de fond

En théorie, l’exigence d’un préjudice constitue une condition de fond de l’ac-tion paulienne et non une condition de recevabilité de cette dernière (37). Laconfusion semble néanmoins fort fréquente en pratique (38). Il est vrai quel’intérêt à agir dont se prévaut le créancier qui entame une procédure fondéesur l’article 1167 du Code civil dépend intimement du caractère préjudiciablede l’acte incriminé. L’action paulienne qui, nous allons le voir (39), a pour ob-jectif premier d’obtenir l’inopposabilité de l’acte incriminé, n’a de sens que sielle est dirigée à l’encontre d’un acte qui porte atteinte au demandeur. Puis-que l’action paulienne a pour vertu de s’attaquer à la source même du dom-mage causé au créancier agissant, il semble évident de considérer que ce créan-cier n’a d’intérêt à entamer cette procédure que s’il a subi un préjudice suite àl’acte incriminé.

Ainsi, peut-on lire, dans une décision rendue par le tribunal civil de Bruxel-les (40) qu’un créancier chirographaire n’a d’intérêt pour intenter une actionpaulienne à l’encontre de l’aliénation d’un immeuble hypothéqué que lorsqueles créances hypothécaires n’absorbent pas l’intégralité de la valeur de cetimmeuble. Sinon, l’action intentée par le créancier pourrait être déclarée irre-cevable, non pas pour cause d’absence de préjudice dans le chef du deman-deur, mais parce que cette action ne présenterait effectivement aucun intérêtpour lui : l’acte de vente mis en cause n’aurait, dans ce cas, pas aggravé l’étatd’insolvabilité du débiteur à son égard. Cet acte ne serait pas la cause du dom-mage invoqué (l’irrécupérabilité de sa créance) (41).

La cour d’appel de Liège, dans son arrêt rendu le 5 octobre 1993 (42), s’inscrittout à fait dans cette optique quand elle décide que la renonciation à un droitd’occupation ne peut pas être attaquée par l’action paulienne intentée par unC.P.A.S. puisque « le préjudice doit naître en raison directe de l’acte accom-pli ; or, ce n’est pas parce que l’acte querellé serait déclaré inopposable aucréancier qu’automatiquement celui-ci trouverait dans son gage généralles sommes représentatives de loyers (…) il semble se déduire de l’exposé

(37) S. LOOSVELD, note sous Com. Liège, 29 avril 1997, T.R.V., 1998, p. 294; H., L. et J. MAZEAUD, Leçons de droitcivil, t. II, 2ème éd., p. 856. Contra H. ROLAND, L. BOYER, op. cit., 1997, p. 292 (« L’exigence du préjudiceest une application de la règle générale : Pas d’intérêt, pas d’action »); D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995,p. 321.

(38) Com. Liège, 18 octobre 1995, T.B.H., 1996, p. 469, note R. PARIJS; Gand, 11 janvier 1980, R.W., 1980-1981, col. 1671.

(39) Voy. infra n°11.(40) Civ. Bruxelles, 3 mars 1997, T. Not., 1997, p. 454; H. ROLAND, L. BOYER, op. cit., 1997, p. 292.(41) Voy. également : Gand, 11 janvier 1980, R.W., 1980-1981, col. 1671; Civ. Hasselt, 24 juin 1975, Limburg

Rechts., 1976, p. 28. En France : Civ., 19 janvier 1910, D., 1911, 1, p. 36.(42) Liège, 5 octobre 1993, J.L.M.B., 1994, p. 1355.

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L'action paulienne et la tierce complicité

qui précède que (…) l’intimée n’aurait aucun intérêt à se voir déclarerinopposable l’acte querellé ; que cela étant, son action ne serait pas receva-ble » .

b) Appréciation du préjudice

Le préjudice est apprécié lors de l’intentement de l’action par comparaison dela situation à ce moment avec celle qui aurait existé si l’acte illicite n’avait pasété accompli (43).

L’existence d’un préjudice et partant d’un intérêt à agir existe lorsque l’acteincriminé ne permet plus au créancier, s’il était maintenu, d’exercer l’intégra-lité de ses droits, c’est-à-dire de récupérer la totalité de sa créance sans trop dedifficultés. Il faut donc regarder les possibilités pratiques pour le créancierd’obtenir un payement intégral (44). Une simple modification des élémentsdu patrimoine peut rendre plus difficiles les mesures d’exécution dont dis-pose le créancier et ainsi causer un préjudice.

L’action paulienne a, par exemple, été admise par le tribunal civil de Ver-viers (45), dans les circonstances suivantes. Monsieur X, débiteur, apporte uneétable et par la suite tous ses avoirs professionnels en universalité à une so-ciété. En contrepartie, il reçoit des actions nominatives qui ne sont cessiblesqu’entre associés. De plus, toute transmission entre vifs est soumise au droitde préemption des associés gérants étant entendu que la société est géréepour toute sa durée par Monsieur X. Ces éléments réduisent les possibilités deréalisation de ces parts sociales et rendent ainsi le droit d’action des créan-ciers fort hypothétique.

B. La fraude du débiteur

La simple existence du préjudice ne suffit pas pour donner lieu à l’action pau-lienne. En principe, le débiteur conserve sa pleine capacité civile et ses moyensjuridiques intacts : les créanciers suivent la foi de leur débiteur.

Il faut une circonstance aggravante pour que l’action paulienne puisse êtreintentée : le préjudice doit avoir été causé nécessairement par un acte fraudu-leux du débiteur.

(43) Civ. Bruxelles, 3 mars 1997, T. Not., 1997, p. 454.(44) Cass., 15 mai 1992, Pas., 1992, p. 813; J. VERSTAPPEN, « De pauliaanse vordering en de ontvangers van

directe belastingen en van de B.T.W. » , T. Not., 1996, p. 567.(45) Civ. Verviers, 25 avril 1995, R.G.D.C., 1995, p. 505. Voy. aussi Cass. Fr., 27 février 1973, Rev. not. b.,

1974, p. 157.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

5. La fraude du débiteur (doctrine). — Dans sa conception classique, l’ac-tion paulienne supposait, dans le chef du débiteur, un dol spécial : la volontéde léser les droits du créancier devait l’avoir guidé dans l’accomplissement del’acte incriminé (46). Si le débiteur bénéficie d’une liberté de disposition, c’està la condition de ne pas en user afin de nuire à ses créanciers et de soustrairesciemment ses biens à leur droit de gage général.

La doctrine contemporaine considère à présent qu’il y a fraude dans le chef dudébiteur dès qu’il a volontairement posé un acte, tout en se rendant compteque, par cette acte, ses créanciers seront préjudiciés (47). La présence d’uneintention de nuire, d’un dol spécial, n’est donc plus exigée (48).

6. Fraude du débiteur (jurisprudence). — Cette définition, dite objective(49), de la fraude paulienne, ne semble pas encore être appliquée comme tellepar nos magistrats. Il y a là une question fort intéressante que le cadre de cetteétude ne nous permet pas d’examiner de manière approfondie. Relevons tou-tefois, qu’en jurisprudence, tout le problème se situe au niveau de la charge dela preuve. À la suite de De Page (50) les magistrats prennent le plus souventcomme point de départ le critère de l’acte normal : l’acte incriminé peut-il sejustifier normalement (51) ?

Si l’acte est normal, il échappe à l’action paulienne sauf au créancier à démon-trer que le mobile déterminant a, en réalité, été la volonté du débiteur de luicauser un préjudice (52).

Par contre, lorsque l’acte est anormal -eu égard à sa nature, à ses conditions, aumoment où il est intervenu et vu les circonstances qui l’entourent (53)- le faitde prouver que le débiteur avait connaissance de ce caractère anormal et desconséquences préjudiciables qui en découlent suffit au créancier pour dé-

(46) Cass., 9 juillet 1953, Pas., 1953, p. 909; Liège, 30 juin 1989, J.L.M.B., 1990, p. 8; Gand, 19 avril 1950,R.C.J.B., 1951, p. 81, note J. LIMPENS et J. VAN RYN; A. CLOQUET, op. cit., 1985, n°284, p. 98; H. DE PAGE, op.cit., T. III, 1967, p. 225 .

(47) J. VERSTAPPEN, op. cit., T. Not., 1996, p. 568; R. KRUITHOF, note sous Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B., 1980, p.114; E. DE LUYCK, op. cit., Jura Falconis, 1978-1979, p. 627. Dans ce sens : Cass., 17 octobre 1991,J.L.M.B., 1991, p. 1370; Com. Liège, 29 avril 1997, T.R.V., 1998, p. 290, note S. LOOSVELD; Neufchâteau, 7février 1996, Rev. rég. dr., 1996, p. 257 .

(48) Mons (1ère ch.), 2 octobre 1985, Rev. not. b., 1986, note J. SACE; R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE

TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992), T.P.R., 1994, p. 691, n°185. Notons la positionnuancée de H. DE PAGE (op. cit., T. III, 1967, p. 243) qui considérait que la volonté de soustraire sesbiens à la mainmise de ses créanciers se confond avec la simple connaissance, par le débiteur, de sonétat d’insolvabilité.

(49) J. MAHAUX, op. cit., R.C.J.B., 1989, p. 320.(50) H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 142, n°235.(51) S. LOOSVELD, « Artikel 20 van de nieuwe faillissementswet » , note sous Com. Liège, 29 avril 1997, T.R.V.,

1998, p. 294, n°10; J. MAHAUX, op. cit., R.C.J.B., 1989, p. 321, n°7 et la jurisprudence citée; Mons, 2octobre 1985, Rev. not. b., 1986, p. 189, note J. SACE.

(52) Civ. Ypres, 13 juin 1995, R.G.D.C., 1997, p. 438.(53) H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 243, n°235.

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L'action paulienne et la tierce complicité

montrer la fraude (54). La charge de la preuve est alors renversée puisqu’ilappartient au débiteur de démontrer l’absence de toute pensée fraudu-leuse (55).

Notons que suivant une jurisprudence encore timide, il n’est même pas requisque le débiteur sache effectivement que l’opération incriminée porterait pré-judice à ses créanciers. Il suffit, qu’au regard du critère de bon père de famille,il ait dû avoir conscience du dommage que l’acte en question causerait (56).

C. Un tiers complice

7. La mise en cause d’un tiers. — L’action paulienne est dirigée contre untiers à la convention parce qu’assigner le débiteur n’aboutirait à aucun résultatpratique. En effet, la saisie des biens de ce dernier est par hypothèse difficile,soit parce qu’il est insolvable, soit parce qu’il s’est arrangé pour rendre com-plexe toute saisie-exécution.

Bien que cela ne soit pas requis, le débiteur sera néanmoins souvent mis à lacause puisqu’il faudra que le créancier prouve sa fraude (57). En aucun cas, ledébiteur ne peut être condamné sur la base de l’action paulienne (58).

Pour qu’il y ait action paulienne, il faut donc non seulement être en présenced’un préjudice pour le créancier et d’une fraude du débiteur, mais en plusapporter la preuve de la complicité fautive d’un tiers.

8. La responsabilité aquilienne du tiers. — En règle générale, si le tierssubit la sanction de l’article 1167, c’est parce qu’il a commis un acte illicite,une faute au regard de l’article 1382 du Code civil (59). L’institution de la frauscreditorum constitue ainsi une application particulière des règles de la res-ponsabilité civile (60).

En principe, toute personne est libre d’accomplir n’importe quel acte juridique.Mais il existe certaines bornes qu’il faut se garder de dépasser. Comme toute

(54) Civ. Liège (J. saisies), 27 janvier 1997, Rev. not. b., 1997, p. 337.(55) Liège, 15 octobre 1990, Rev. rég., 1991, p. 31 où il s’agissait d’une libéralité consentie par un débiteur au

bord de l’insolvabilité (acte de gestion anormal).(56) Liège, 6 février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 470; Com. Ostende, 9 janvier 1968, R.D.C., 1970, p. 371; Liège,

17 juin 1965, R.P.S., 1966, p. 42; W. VAN GERVEN, Verbintenissenrecht, Leuven, Acco, 1993-94, p. 153; R.KRUITHOF, « Overzicht van rechtspraak (1974-1980), Verbintenissen » , T.P.R., 1983, p. 691.

(57) J. VERSTAPPEN, op. cit., T. Not., 1996, p. 566; H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 226.(58) Liège, 5 octobre 1993, J.L.M.B., 1994, p. 1355.(59) H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 227.(60) Cass., 9 Janvier 1890, Pas., 1890, I, p. 59.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

liberté, la liberté de contracter (61) dont jouit le tiers connaît des limites. L’ac-tion paulienne permet ainsi de sanctionner la violation d’une de ces limites.

Si l’acte incriminé est à titre onéreux (62), le tiers doit avoir commis un délitpour pouvoir être assigné sur la base de l’action paulienne. Il doit avoir parti-cipé à la fraude du débiteur.

9. La faute du tiers (acte à titre onéreux). — La notion de faute du tierscomplice, telle qu’elle donne lieu à l’application de l’article 1167 du Codecivil, a fort évolué avec le temps.

Originairement, les tribunaux exigeaient la démonstration d’une véritable col-lusion entre le tiers et le débiteur. Il est vrai qu’en pratique, c’est dans une tellesituation que la faute du tiers transparaît de la manière la plus évidente (63).

Ainsi, lorsqu’une personne, se rendant compte des difficultés financières deson compagnon, a racheté sa part dans l’immeuble acquis en indivision, il nefait aucun doute qu’elle est complice de la fraude du débiteur (64).

Appuyée par la doctrine, la jurisprudence a assoupli les éléments constitutifsde faute dans le chef du tiers puisque l’on estime actuellement qu’il y a fautedès qu’il y a une participation, en connaissance de cause, à l’acte par lequel ledébiteur porte délibérément atteinte aux droits de ses créanciers, sans exi-gence de dol spécial, d’intention de nuire. Il suffit, pour qu’il y ait faute dansson chef, que le tiers ait agi en sachant que l’acte juridique auquel il participeporterait atteinte aux intérêts des créanciers de son cocontractant (65).

Notons au surplus qu’il n’est pas exigé que le tiers ait eu connaissance d’uneéventuelle insolvabilité contemporaine du débiteur, ni qu’il ait eu consciencedu caractère anormal de l’opération incriminée (66).

La complicité du tiers est ainsi objectivée (67). La seule déloyauté, sans cir-constance aggravante, et quel qu’en ait été le mobile, constitue d’emblée une

(61) Ou d’accomplir un acte juridique tel que la réception d’un paiement.(62) Pour l’acte à titre gratuit, voyez infra n°10.(63) Liège, 19 mars 1986, J.L.M.B., 1987, p. 145; Mons, 3 octobre 1985, Rev. not. b., 1986, p. 189, note J. SACE.(64) Civ. Liège (J. saisies), 27 janvier 1997, Rev. not. b., 1997, p. 345.(65) Cass., 26 octobre 1989, Pas., 1989-1990, p. 283, n°125; S. LOOSVELD, op. cit., 1998, p. 295; M. FONTAINE, op.

cit., 1992, p. 62; P. COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurisprudence (1984 à 1990). Les faillites, lesconcordats et les privilèges » , R.C.J.B., 1991, p. 529; J. SACE, note sous Mons, 2 octobre 1985, Rev. not.b., 1986, p. 201.

(66) H. GEINGER, C. VAN BUGGENHOUT et C. VAN HEUVERSWYN, « Overzicht van rechtspraak; Het faillissement enhet gerechtelijk akkord » , T.P.R., 1991, p. 1026.

(67) Liège, 25 avril 1988, J.L.M.B., 1988, p. 1312; Anvers, 16 décembre 1987, Rev. not. b., 1988, p. 366; Civ.Bruxelles, 10 septembre 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1543; Liège, 24 avril 1987, Rev. not. b., 1987, p. 671; Civ.Ypres, 10 avril 1985, Rev. not. b., 1987, p. 25.

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L'action paulienne et la tierce complicité

faute (68). Suivant une certaine tendance, est assimilée à la connaissance de lamanœuvre préjudiciable du tiers celle que le tiers aurait dû avoir au regard ducritère du bon père de famille (69).

En pratique, nous avons vu que le critère de l’anormalité de l’acte avait étéélaboré pour démontrer la fraude du débiteur. Il en est de même en ce quiconcerne la mauvaise foi du tiers complice (70).

10. Exception (acte à titre gratuit). — Si l’acte incriminé est à titre gratuit,la faute du tiers contractant n’est pas requise (71).

En réalité, il s’agit ici d’une exception aux conditions d’application de l’actionpaulienne qui résulte d’une mise en balance des intérêts du créancier avecceux du tiers.

Les premiers sont préférés aux seconds parce que le tiers, encore qu’innocent,ne lutte que pour conserver un gain (certat de lucro captando) et non pouréviter une perte (certat de damno vitando) (72). Le créancier doit donc uni-quement prouver le préjudice et la fraude du débiteur.

D. Les effets de l'action paulienne

11. Inopposabilité de l’acte frauduleux. — Les effets de l'action pauliennefont l'objet d'une controverse classique (73), action en révocation (74) ou ac-tion en restitution (75) ?

Aujourd’hui, l’ensemble des auteurs s’accordent pour dire que l’action pau-lienne a pour objectif d’obtenir l’inopposabilité de l’acte frauduleux à l’égard

(68) J. DABIN, note sous Cass., 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, p. 91.(69) Liège, 6 février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 470; Gand, 20 juin 1989, R.W., 1991-1992, p. 504; Com. Ostende,

9 janvier 1968, R.D.C., 1970, p. 371; Liège, 17 juin 1965, R.P.S., 1966, p. 42; W. VAN GERVEN,Verbintenissenrecht, Leuven, Acco, 1993-94, p. 153; R. KRUITHOF, « Overzicht van rechtspraak (1974-1980), Verbintenissen » , T.P.R., 1983, p. 691. Contra Cass., 26 octobre 1989, Pas., 1989-1990, p. 283;Cass., 15 mars 1985, R.W., 1985-1986, p. 2612; Com. Bruxelles, 29 octobre 1976, J.T., 1977, p. 59; J.MAHAUX, op. cit., R.C.J.B., 1989, p. 326-327 » ; E. DE LUYCK, op. cit., Jura. Falconis., 1978-1979, p. 636; H.DE PAGE, op. cit., t. III, 1967, n°236, p. 246; S. GINNOSSAR, op. cit., 1963, p. 15 : « La fraude suppose lamauvaise foi, c’est-à-dire la connaissance du préjudice causé aux créanciers : la bonne foi, qui n’ex-cuse pas la faute quasi-délictuelle, exclut radicalement la fraude paulienne.

(70) J. VERSTAPPEN, op. cit., T. Not., 1996, p. 569; R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, « Overzichtvan rechtspraak (1981-1992), T.P.R., 1994, p. 692. Contra J. MAHAUX, op. cit., R.C.J.B., 1989, p. 315 et s.

(71) Anvers, 16 décembre 1987, T. Not., 1988, p. 366; Bruxelles, 22 septembre 1986, R.B.H., 1989, p. 244;Liège, 29 mars 1984, J.L.M.B., 1984, p. 281.

(72) J. SACE, note sous Mons, 2 octobre 1985, Rev. not. b., 1986, p. 202 et les références; H. DE PAGE, op. cit,T. III, 1967, p. 226.

(73) LAURENT, t. XVI, n°487 et 488, cité par D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995, p. 325.(74) MARTY et RAYNAUD, t. II, n°715 et s., cité par D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995, p. 325; Cass., 21 avril 1978,

R.C.J.B., 1980, p. 115, note R. KRUITHOF.(75) A. CULOT, note sous Mons, 9 septembre 1991, Rec. gén. enr. not., 1992, p. 283.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

du seul créancier poursuivant (76). Elle n’a pas pour effet de mettre à néant,pour cause de nullité, un acte déterminé (77). Le législateur lui-même s’estrangé à cette analyse puisque dans l’article 20 de la récente loi sur les faillites,il utilise le terme « inopposable » en lieu et place du mot « nul » qu’il avaitemployé pour l’article 448 du Code de commerce.

C’est à ce niveau-ci que l’on peut considérer que l’action paulienne forme enquelque sorte une exception à l’opposabilité des actes juridiques.

12. L’action paulienne : une application de l’article 1382 du Code ci-vil. — Il a déjà été précisé que l’article 1167 du Code civil n’était en réalitéqu’une application de l’article 1382 du Code civil (78). Si le créancier met enœuvre l’action paulienne, c’est parce qu’il a subi un préjudice suite à la fautedu tiers qui a participé, en connaissance de cause, à l’acte frauduleux du débi-teur.

a) Rétablissement des droits du créancier

Conformément aux règles générales de la responsabilité aquilienne, la ré-paration qu’il obtiendra pourra être en nature en raison de la primauté que luia reconnue notre Cour de cassation (79). Cette notion de « réparation en na-ture » est actuellement comprise dans un sens fort large, englobant n’importequelle sanction répondant aux besoins de la victime. En effet, les tribunaux nese contentent plus d’accorder à la victime un simple équivalent non pécu-niaire du droit ou de l’intérêt lésé (réparation en nature au sens strict du terme)mais vont même jusqu’à agir sur la source du dommage en supprimant lasituation préjudiciable. Il y a, dans ce cas, plus qu’une simple réparation. Ils’agit de ce qu’un auteur appelle une mesure de rétablissement (80).

Aussi, lorsque c’est possible, les magistrats feront en sorte que la victime de lafraude paulienne, c’est-à-dire le créancier lésé, se retrouve exactement dans lamême situation que celle qu’il occupait avant l’acte préjudiciable. Pour luiassurer le rétablissement intégral de ses droits, les tribunaux empruntent la

(76) S. LOOSVELD, op. cit., T.R.V., 1998, p. 292 et les références citées.(77) C. MATRAY, note sous Liège, 25 novembre 1993, Rev. rég. dr., 1994, p. 540; Gand, 19 décembre 1995, T.

Not., 1996, p. 229, note C. VAN HEUVERSWYN.(78) Voy. l’excellent commentaire de K. VAN RAEMDONCK, note sous Civ. Malines, 5 février 1997, R.W., 1997-

1998, p. 983. Voy. aussi J. VERSTAPPEN, op. cit., T. Not., 1996, p. 566; E. DIRIX, « Bewarend beslag enkantmelding van de pauliaanse vordering » , note sous Anvers, 4 janvier 1993, R.W., 1993-1994, p. 200;E. DIRIX, « De vergoedende functie van de action pauliana » , note sous Cass., 15 mai 1992, R.W., 1992-1993, p. 333; H. DE PAGE, op. cit., t. III, 1967, p. 242 et s.; H. SINAY, « Action paulienne et responsabilitédélictuelle à la lumière de la jurisprudence récente » , R.T.D.C., 1948, p. 192.

(79) Civ. Ypres, 13 juin 1995, R.G.D.C., 1997, p. 438; D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995, p. 320.(80) P. WÉRY, « Condamnations non pécuniaires, réparation en nature et remplacement judiciaire en matière

extracontractuelle » , note sous Liège, 8 juin 1993., J.T., 1995, p. 431.

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L'action paulienne et la tierce complicité

voie de l’inopposabilité, considérée comme l’effet — autrefois original — detoute action paulienne (81). En déclarant l’acte incriminé inopposable au créan-cier agissant, le retour au statu quo ante est réalisé puisqu’il pourra se com-porter comme si l’acte attaqué n’existait pas. Cette décision aura pour effet derendre possible l’exercice du droit de gage établi par les articles 7 et 8 de la loihypothécaire.

Dans ce sens, la cour d’appel d’Anvers a décidé que l’action paulienne avaitlégalement pu aboutir à une décision d’inopposabilité, à l’égard de la banque(le créancier agissant), de la convention illicite (un contrat de bail d’une duréede neuf ans avec une option d’achat à la clef pour le locataire) de telle manièreque la banque pouvait considérer cette convention comme inexistante et, éven-tuellement, mettre en vente le bien concerné, libre de toute occupation (82).

Le litige se dénoue de façon tout aussi satisfaisante lorsque le tiers désintéresselui-même volontairement le créancier agissant qui, de ce fait, perd tout intérêtà poursuivre son action puisque le préjudice qui en est la raison consistaitdans le non paiement de ses créances (83).

b) Réparation par équivalent

Lorsque l’inopposabilité de l’acte frauduleux ne permet pas au créancier d’ob-tenir le rétablissement absolu de ses droits (84), il y a place pour une répara-tion par équivalent, sous la forme du paiement de dommages et intérêts.

La cour d’appel de Liège a, de manière exemplaire, déclaré que « Attendu quel’effet de l’action paulienne est de créer une inopposabilité de l’acte querelléau profit du seul créancier demandeur à l’action ; qu’ainsi, l’immeubleobjet de l’apport doit être considéré comme n’ayant pas existé pour la Ban-que Ippa qui pourra en faire la saisie et comme la valeur de ce bien necouvrira que pour partie la créance de la Banque Ippa, aucune réserve nes’impose ; qu’en ce qui concerne l’apport de la créance, on doit bien consta-ter que son inopposabilité n’étant en soi d’aucune utilité, il échet, l’actionpaulienne ayant un fondement quasi délictuel, de considérer dans ce casqu’il y aura lieu à réparation par équivalent, la S.A. Hermann-Meyer étant

(81) S. LOOSVELD, note sous Com. Liège, 29 avril 1997, T.R.V., 1998, p. 292. Notons que le créancier quienvisage d’intenter une action paulienne peut également sur cette base opérer une saisie-conservatoiresur le bien concerné : Antwerpen, 4 janvier 1993, R.W., 1993-1994, p. 199, note E. DIRIX; Gand, 22 juin1993, R.W., 1993-1994, p. 204. Mais lorsque l’action paulienne concerne un bien immobilier, il fautqu’elle fasse l’objet d’une inscription marginale au bureau des hypothèques, ce qui assure une protec-tion équivalente au créancier agissant et rend une saisie conservatoire superflue : Gand, 19 décembre1995, T .Not., 1996, p. 226 note C. VAN HEUVERSWYN.

(82) Anvers, 26 mai 1988, Turnh. Rechtsl., 1989, p. 179.(83) J. VERSTAPPEN, op. cit., T. N., 1996, p. 566; H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 241 .(84) Par exemple, lorsque l’immeuble frauduleusement aliéné a été détruit.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

obligée de verser une indemnité équivalant à la valeur de la créance (…)augmentée des intérêts aux taux légaux à partir de (…) la date de la cita-tion» (85).

c) L’action paulienne n’est pas une source de profits pour le créancier agis-sant

Il est important de souligner que puisque l’action paulienne a pour originel’article 1382 du Code civil, le créancier agissant ne peut, suite à l’inopposabilitéde l’acte incriminé, obtenir davantage que le montant du préjudice résultantde l’acte mis en cause. Il faut éviter que ce recours ne constitue une source deprofits pour le créancier agissant.

Ainsi, lorsque l’action paulienne aboutit, dans le cadre de la vente d’un bienimmeuble par le débiteur, à ce que cette vente soit inopposable au créancieragissant, le créancier peut considérer que le contrat de vente est non avenu etprocéder à l’exécution du bien vendu. Toutefois, comme l’action paulienne nepeut constituer une source de profits pour lui, si le bien immeuble était grevéd’hypothèques lors de la vente, le créancier chirographaire qui l’a intentée nepourra prétendre, lors de l’exécution, qu’à la différence entre le produit de lavente forcée et le montant de ces créances hypothécaires (86).

Puisque l’action paulienne tend uniquement à rétablir le créancier dans sesdroits, l’on peut imaginer que le tiers complice exige qu’il soit tenu comptedes contre-prestations qu’il a assumées et dont le créancier agissant a tiré pro-fit (87). Il faudra, par exemple, tenir compte du prix qu’il a payé au débiteur,mais seulement à concurrence de la partie de ce prix qui a profité au créan-cier agissant (88).

13. Effet relatif de la décision d’inopposabilité. — Envisager l’action pau-lienne comme une application de l’article 1382 du Code civil permet de mieuxcomprendre l’effet relatif de ce recours.

Le créancier agit en vertu d’un droit propre, pour son compte, « en son nompersonnel » (89) afin d’obtenir la réparation du préjudice qu’il a personnelle-ment subi. Par le biais de l’action paulienne, il ne défend que ses intérêts per-sonnels. Il est donc logique qu’il ne subisse pas la loi du concours puisqu’il n’ya aucune raison pour que le bénéfice de l’action rentre dans le patrimoine de

(85) Liège, 6 février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 469.(86) Cass., 15 mai 1992, R.C.J.B., 1995, p. 314, note D. DEVOS.(87) D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995, p. 335.(88) ROLAND, L. BOYER, op. cit., 1997, p. 305.(89) Code civil, art. 1167.(90) H. DE PAGE, op. cit., T. III, 1967, p. 227 et 254.

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L'action paulienne et la tierce complicité

son débiteur (90).

Les autres créanciers du débiteur, qui sont également préjudiciés par l’actefrauduleux, peuvent néanmoins se joindre aux poursuites du demandeur ini-tial à l’action paulienne, même en degré d’appel (91), afin de bénéficier euxaussi des effets de cette action.

En cas de faillite, l’effet de l’action paulienne profite à tous les créanciers de lamasse, y compris ceux dont la créance est postérieure à l’acte incriminé ; cequi semble cohérent puisque le curateur agit au nom et pour le compte de lamasse (92).

14. Effet de la décision d’inopposabilité entre parties et vis-à-vis destiers. — L’inopposabilité de l’acte juridique contesté ne porte pas préjudice àsa validité à l’égard des parties concernées : l’acte juridique, déclaré inopposa-ble au créancier agissant, reste valable à l’égard des parties à l’acte. Ce quisignifie par exemple que si le tiers est, suite à l’action paulienne, dépossédédu bien acquis du débiteur, il pourra réclamer à celui-ci une indemnité d’évic-tion.

Le maintien de la validité de l’acte entre parties implique aussi que, lorsquel’acte d’achat d’un immeuble est déclaré inopposable (93) à la suite d’uneaction paulienne ; l’acquéreur ne puisse réclamer auprès de l’Etat, sur la basede l’article 209, 2° du Code des droits d’enregistrement, les droits d’enregistre-ment qu’il a payés lors du transfert de propriété (94).

De plus, l’acte incriminé déclaré inopposable continue à produire tous seseffets à l’égard de tout autre tiers (95).

En effet, si l’effet de l’action paulienne ne s’étend pas aux autres créanciers dudébiteur, il ne risque pas non plus d’atteindre les créanciers du tiers complice.Ce qui aboutit parfois à certaines conséquences pratiques insoupçonnées.

Le tribunal civil de Bruxelles a notamment décidé que lorsqu’un prêteur debonne foi a obtenu de l’acquéreur (tiers complice) une hypothèque sur le

(91) D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995, p. 326; H. ROLAND, L. BOYER, op. cit., 1997, p. 307.(92) Cass., 11 janvier 1988, Pas., 1987-1988, n°286, p. 596.(93) Les juges utilisent encore souvent le terme « nullité » alors qu’il s’agit en réalité d’une inopposabilité.(94) Anvers, 17 janvier 1996, Rec. gén. enr. not., 1996, p. 257 en appel d’une décision rendue par le tribunal

de première instance d’Hasselt du 5 avril 1993 (même revue, 1996, p. 143.). Dans le même sens : Cass.,11 février 1993, Rec. gén. enr. not., 1993, p. 257, note A. CULOT. Contra Mons, 9 septembre 1991, J.T.,1992, p. 369.

(95) R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, op. cit., T.P.R., 1994, p. 693, n°369; C. MATRAY, notesous Liège, 25 novembre 1993, Rev. rég., 1994, p. 541.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

bien concerné par l’action paulienne, cette hypothèque subsistera à son profitmême si le litige aboutit à l’inopposabilité du contrat de vente (96). Donc, sil’action paulienne est intentée avec succès et si le créancier chirographaireagissant procède à la vente forcée de l’immeuble, le prix obtenu in fine servirad’abord à désintéresser le créancier hypothécaire de l’acquéreur puis le créan-cier chirographaire du vendeur.

(96) Bruxelles, 10 septembre 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1543. Contra D. DEVOS, op. cit., R.C.J.B., 1995, p. 327 :« le créancier poursuivant échappe à tout concours que ce soit avec les créanciers du débiteur (…) ouavec les créanciers du tiers, puisque le droit de propriété de celui-ci est déclaré inopposable au deman-deur à l’action paulienne » .

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L'action paulienne et la tierce complicité

Section IIILa tierce complicité

A. Un créancier lésé

15. Origine. — Lorsque les obligations ne portent pas sur une somme d’ar-gent, l’action paulienne n’est d’aucun secours pour le créancier abusé. D’aprèsla doctrine classique, celle-ci n’est conçue, nous l’avons vu, qu’au profit descréanciers auxquels le débiteur est redevable d’une somme d’argent.

Parfois, pourtant, l’impossibilité d’exécution en nature d’une obligation nonpécuniaire n’est pas due uniquement au comportement fautif du débiteur. Ilarrive, en effet, que cette inexécution soit consommée grâce à l’interventiond’un tiers.

Lorsqu’il s’agit d’une prestation non pécuniaire (donner, faire, ne pas faire), laloi laisse le tiers libre de conclure un contrat même s’il est incompatible aveccelui qui incombait déjà à son cocontractant. Le créancier peut alors, suivantle droit commun, intenter une action en responsabilité contractuelle à l’en-contre de son débiteur. Néanmoins le résultat de cette procédure ne satisferapas nécessairement le demandeur. En effet, à défaut de faire intervenir le tierscomplice, le créancier agissant obtiendra tout au plus une réparation en na-ture au sens strict du terme, c’est-à-dire un « pis-aller », un équivalent non pé-cuniaire du droit lésé (97). Il pourra aussi essayer d’obtenir une réparationpécuniaire, mais cette voie est a fortiori encore moins satisfaisante et surtout,le débiteur assigné peut, in fine, se révéler insolvable.

Afin d’assurer un certain respect des droits de tout créancier, la jurisprudenceest alors intervenue en ouvrant une voie supplémentaire au créancier lésé :l’action contre le tiers complice de la violation d’une obligation contrac-tuelle (98).

Ce nouveau recours a pris son envol avec l’arrêt rendu par la Cour de cassa-

(97) P. WÉRY, « Condamnations non pécuniaires, réparation en nature et remplacement judiciaire en matièreextracontractuelle » , note sous Liège, 8 juin 1993, J.T., 1995, p. 429 et s.

(98) S. GINNOSSAR, op. cit., 1963, p. 12.(99) Cass., 27 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 275.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

tion le 27 mai 1909 (99). Par cet arrêt, la Cour a consacré le principe de ladistinction entre les effets internes et les effets externes du contrat. Suivantcet arrêt, l’article 1165 du Code civil ne doit pas s’interpréter littéralement. Ilne porte que sur les effets internes du contrat, c’est-à-dire les droits et obliga-tions qui en découlent, personnels aux parties et donc ne pouvant profiter ninuire aux tiers (100). L’effet relatif des conventions a pour seule conséquenceque le créancier ne peut s’adresser qu’au débiteur en vue d’exiger l’exécutionde la prestation promise (101).

Par contre, les effets externes des contrats, plus particulièrement ses consé-quences juridiques externes (par exemple le transfert de propriété) et sa di-mension factuelle (la simple existence du contrat et ses éléments factuels (102)),sont opposables aux tiers (103).

A partir du moment où l’on admet que les conséquences externes d’une con-vention sont opposables à autrui, il faut logiquement décider que leur viola-tion, en connaissance de cause, par un tiers constitue une faute et donne nais-sance à un recours dans le chef de celui qui en subit les conséquences, c’est-à-dire le créancier lésé (104).

L’obligation, pour les tiers, de tenir compte d’une convention préexistanteprofite directement au créancier puisqu’il va pouvoir, sur cette base, assurer lerespect de sa créance.

Aussi, le tribunal de commerce de Bruxelles a-t-il fort justement déclaré qu’ « enconcluant la convention d’exclusivité, la brasserie demanderesse avait ac-quis un droit de créance contre son cocontractant, droit qui faisait partiede son patrimoine, et dont le respect s’imposait, à ce titre, aux tiers » (105).

Le contrat a pour effet externe de créer une situation révélant que B est en-gagé envers A. Le tiers n’est pas tenu lui-même des obligations de l’une oul’autre des parties, mais il doit respecter le lien qui unit B à A, c’est-à-dire évitertoute intrusion dommageable dans cette relation contractuelle préexistante

(100) H. DE PAGE, op. cit., t. I, 1962, p. 172.(101) L. VAN BUNNEN, « Effets à l’égard des tiers de quelques conventions conclues par autrui » , J.T., 1956, p.

247.(102) Par exemple la vente d’une voiture et le fait que cette voiture soit conduite par l’acquéreur et ses

proches.(103) I. PETERS, « Derden en kontrakten met « zakenrechtelijke » gevolgen betreffende schuldvorderingen en

andere onlichamelijke goederen » in Le contrat et les tiers - Les effets externes et la tierce complicité,Bruxelles, A.S.B.L. Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles-Palais de Justice, 1995, p. 58; H. DE PAGE,op. cit., t. I, 1962, p. 170, n°117.

(104) Soulignons ici l’idée originale de E. GULDIX (note sous Com. Bruges, 10 novembre 1988, Pratiques duCommerce, 1988, p. 163) qui considère que l’action en tierce complicité peut être intentée par lebénéficiaire du contrat violé, sans qu’il ne soit requis qu’il soit lui-même partie à ce contrat.

(105) Com. Bruxelles (cessation), 22 mars 1962, R.C.J.B., 1962, p. 339, note M. WAELBROECK.(106) M. FONTAINE, « Effets internes et effets externes » , in Les effets du contrat à l’égard des tiers - Comparai-

sons franco-belges, Paris, L.G.D.J., 1992, p. 60.

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L'action paulienne et la tierce complicité

sous peine de voir sa responsabilité aquilienne engagée (106). C’est donc bienà partir du moment où l’on a accueilli le principe de l’opposabilité de l’exis-tence du contrat aux tiers que la théorie de la tierce complicité a pu éclore (107).

16. Un droit de créance. — Le titulaire de l’action est donc créancier d’uneobligation non pécuniaire méconnue. L’origine de cette obligation est en prin-cipe contractuelle (108). Les domaines d’application de la tierce complicitésont en pratique fort nombreux : participation à la violation d’une obligationde non-concurrence (109), d’un contrat d’exclusivité (110), d’une clause deréserve de propriété (111), d’un droit de préférence (112), etc.

Comme pour l’action paulienne (n°2b), la victime de la violation doit apporterla preuve de l’existence d’une obligation contractuelle valable au moment oùle tiers intervient puisque celui-ci ne saurait contribuer à la violation d’uneobligation contractuelle inexistante (113).

Il n’y a, à l’inverse de ce qui existe pour l’action paulienne, aucune dérogationau principe de l’antériorité de la créance en la matière. Il ne semble pas requisque l’obligation violée ait acquis une date certaine au moment où l’acte préju-diciable a été posé (114).

Il est évident que le tiers ne doit pas tenir compte d’un contrat qui est nul (115).

17. Un préjudice. — Pour que l’action en tierce complicité, fondée, rappelons-le, sur le mécanisme de la responsabilité aquilienne, aboutisse, il faudra natu-rellement que le créancier agissant apporte la preuve du préjudice personnelqu’il a subi.

(107) Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 369, note Y. MERCHIERS; Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B., 1980, p. 101,note R. KRUITHOF; Cass., 10 décembre 1971, R.C.J.B., 1973, p. 299, note J.-P. MASSON.

(108) Voy. cependant M. E. STORME « De uitwendige rechtsgevolgen van verbintenissen uit overeenkomst enandere persoonlijke rechten :zgn. Derde-medeplichtigheid aan wanprestatie, pauliana en aanverwanteleerstukken » in Le contrat et les tiers, Les effets externes et la tierce complicité, Bruxelles, A.S.B.L.Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles - Palais de Justice, 1995, p. 122.

(109) Bruxelles, 4 décembre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 795.(110) Anvers, 16 décembre 1996, R.W., 1998, p. 1288.(111) Civ. Bruxelles, 19 décembre 1996, R.G.D.C., 1998, p. 71.(112) Cass. 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, note J. DABIN.(113) Civ. Nivelles, 13 février 1995, J.L.M.B., 1996, p. 425; R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN,,

« Overzicht van rechtspraak (1981-1992), R.C.J.B., 1994, p. 561, n° 257.(114) Y. MERCHIERS, note sous Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 376.(115) R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992), T.P.R.,

1994, p. 561, n°257.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Le préjudice ouvrant la voie de l’action contre le tiers complice est intimementlié à la responsabilité contractuelle du débiteur. En effet, il trouve sa sourcedans l’inexécution par le débiteur de ses obligations contractuelles (116).

Puisque l’action dont il est question est dirigée contre un tiers complice, ledemandeur devra également prouver le lien causalité entre sa complicité à laviolation de l’obligation contractuelle, d’une part, et la lésion du droit contrac-tuel d’où résulte son préjudice (117).

B. La faute du débiteur

18. Une faute contractuelle. — L’existence d’une faute contractuelle dansle chef du débiteur est donc un élément clé de la théorie de la tierce compli-cité. Si la preuve du manquement du débiteur n’est pas rapportée, il ne peut yavoir de complicité à la violation des droits contractuels d’autrui (118).

Aussi, n’y a-t-il pas de tierce complicité lorsque, au moment de l’interventiondu tiers, la convention qui aurait fait l’objet d’une violation, a pris fin de ma-nière tacite pour faire place à de nouvelles obligations (119).

Comme pour l’action paulienne (n°5), le débiteur doit avoir volontaire-ment (120) violé ses obligations, étant entendu qu’ici, il s’agit obligatoirementd’obligations contractuelles (121).

L’acte juridique incriminé est nécessairement une convention formée entre ledébiteur et le tiers complice, par laquelle l’obligé viole ses obligations contrac-tuelles. Autrement dit, pour qu’il y ait tierce complicité, il faut que le tiers con-tracte avec le débiteur, au mépris de la convention préalable qui le lie (122).

La notion de « complicité » du tiers implique forcément une participation àl’acte fautif d’un comparse : le débiteur (123). L’intervention dommageable

(116) J.-L. FAGNART, « La tierce complicité et les usages honnêtes en matière commerciale » , R.D.C.B., 1989, p.483; Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 359, note Y. MERCHIERS; Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B., 1980, p.115, note R. KRUITHOF.

(117) Cass, 30 janvier 1965, Pas., 1965, I, p. 538; Civ. Nivelles, 13 février 1995, J.L.M.B., 1996, p. 425.(118) R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992), T.P.R.,

1994, p. 559, n°257 et les références citées; Anvers, 24 mars 1986, R.W., 1986-1987, col. 801, note J. H.HERBOTS; A. VAN OEVELEN, E. DIRIX, op. cit., 1980-1981, col. 2445.

(119) Com. Charleroi, 24 septembre 1992, R.D.C.B., 1993, p. 283, note C. PARMENTIER; Liège, 13 mai 1991, J.T.,1992, p. 39.

(120) Tel ne sera pas le cas lorsque, suite à une grève, le débiteur n’a pu accomplir la prestation promise (M.WAELBROECK, op. cit., R.C.J.B., 1962, p. 343-344.

(121) R. KRUITHOF, op. cit., T.P.R., 1980, p. 564 et les références citées.(122) Voy. infra n°20c.(123) R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, « Overzicht van rechtspraak (1981-1992), T.P.R.,

1994, p. 564, n° 260.

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d’un tiers isolé ne pourra donner lieu à une action en tierce complicité, maissera peut-être l’occasion d’une autre action en responsabilité aquilienne con-formément aux règles de droit commun (124).

C. Un tiers complice

19. La responsabilité aquilienne d’un tiers. — L’action en tierce complicitéest logiquement dirigée à l’encontre d’un tiers puisque la jurisprudence a parce biais créé un recours supplémentaire au profit du créancier dont les inté-rêts contractuels ont été lésés. Ce recours est fondé sur la règle générale del’article 1382 du Code civil. En effet, la théorie de la tierce complicité n’est enréalité qu’une application particulière du principe de la responsabilitéaquilienne (125).

Lorsqu’un tiers ne tient pas compte des effets externes d’un contrat préexistant,il commet une faute qui va porter atteinte aux droits acquis par le créancierlésé. Comme l’écrivait si bien un auteur : « Toute personne, dont les valeurspatrimoniales, qu’elles soient constituées de droits absolus (droit de la pro-priété) ou relatifs (droits contractuels), ont été lésées par la faute d’autrui,dispose d’un droit d’action contre l’auteur du dommage.Pourtant, la responsabilité du tiers complice n’est pas objective. Il ne suffitpas qu’il y ait eu méconnaissance d’une convention pour que le dommagequi en découle puisse donner lieu à une action en responsabilitéaquilienne » (126). Il s’agit là d’une nuance au principe suivant lequel les ef-fets externes d’un contrat se produisent de plein droit, nuance qu’exige unsystème juridique tel que le nôtre où les sujets de droit exercent leur libertécontractuelle de manière concurrente et non de façon exclusive.

20. La faute du tiers. — Tout le problème réside dans la détermination deséléments constitutifs de la faute dans le chef du tiers, faute pouvant être quali-fiée de « tierce complicité » et justifiant la mise en cause de sa responsabilitéaquilienne (127).

Comme l’a très logiquement développé L. Simont, tout dépendra des cir-constances de fait. En effet, il n’existe pas de texte, légal ou réglementaire, quiimpose de manière générale aux tiers de s’abstenir de contracter avec une

(124) Mons, 9 juin 1993, Rev. rég. dr., 1994, p. 64.(125) R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 97; S. GINNOSSAR, op. cit.,

1963, p. 23; J. LIMPENS, J. VAN RYN, note sous Gand, 19 avril 1950, R.C.J.B., 1951, p. 88.(126) M. FONTAINE, op. cit., 1992, p. 61.(127) X. DIEUX, D. WILLERMAIN, Les contrats de distribution et les tiers, Bruxelles, Conférence du Jeune Barreau

de Bruxelles, 1995, p. 5; Liège, 14 décembre 1990, J.L.M.B., 1992, p. 292.

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personne, lorsque, ce faisant, celle-ci méconnaît un engagement pris par elleenvers autrui. La faute du tiers complice ne peut donc qu’être une faute decomportement, un manquement au devoir général de prudence dont l’appré-ciation en fait est abandonnée aux juges du fond (128).

La doctrine a néanmoins tenté de caractériser le comportement du tiers com-plice au travers des applications jurisprudentielles qui ont pu être faites de lathéorie de la tierce complicité.

Quand y a-t-il donc tierce complicité fautive dans le chef d’un tiers ?

La jurisprudence étant par définition évolutive, trois tendances successives sesont dessinées (129).

a) La thèse de la fraude qualifiée

Dans un premier temps, il y a eu la théorie de la fraude qualifiée qui prenaitappui sur l’arrêt rendu par notre Cour de cassation le 24 novembre 1932 (130)et selon laquelle la seule connaissance de la convention n’engagerait pas laresponsabilité du tiers qui a participé avec le débiteur à son inexécution. Ilfallait en outre et nécessairement que le tiers ait agi en vue d’aider celui-ci àvioler ses engagements pour que sa responsabilité puisse être retenue sur piedde l’article 1382 du Code civil (131). Cette thèse a eu pour conséquence d’alour-dir la charge de la preuve du créancier. Il était en effet difficile pour lui d’éta-blir les circonstances exactes dans lesquelles le tiers a conclu avec soncocontractant la convention qui est à l’origine de la violation (132).

De plus, en droit commun de la responsabilité aquilienne, l’intention de nuiren’est pas requise et toute faute, même la plus légère, suffit (133).

b) La thèse de la simple connaissance

Certains auteurs ont alors adopté une thèse radicalement différente en n’exi-geant, dans le chef du tiers complice, qu’une simple méconnaissance cons-ciente de la convention d’autrui. Il s’agit là de la thèse de la méconnaissanceconsciente. D’après cette tendance, il suffit que le créancier rapporte la preuve

(128) M. SIMONT, « Réflexions sur la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la responsabilité du tierscomplice à la violation d’une obligation contractuelle » , in Mélanges R. Pirson, Bruxelles, Bruylant,1986, p. 355. Notons la suggestion de X. DIEUX (X. DIEUX, D. WILLERMAIN Les contrats de distribution et lestiers, Bruxelles, Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, 1995, p. 6) qui, pour permettre à la Cour decassation d’exercer un contrôle plus approfondi des décisions soumises à sa censure, envisage deconsidérer qu’il y a là un principe général de droit, celui du respect dû aux anticipations légitimesd’autrui.

(129) Voy. notamment J. LIMPENS, J. VAN RYN, note sous Gand, 19 avril 1950, R.C.J.B., 1951, p. 88 et lesréférences citées.

(130) Cass., 24 novembre 1932, Pas., 1933, I, p. 19.(131) M. KRUITHOF, « La théorie de la tierce complicité en droit privé », R.C.J.B., 1980, p. 97.(132) M. WAELBROECK, note sous Com. Bruxelles (cessation), 22 mars 1962, R.C.J.B., 1962, p. 337.(133) M. WAELBROECK, op. cit., R.C.J.B., 1962, p. 339.

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de la connaissance par le tiers de l’atteinte aux droits contractuels d’autruipour que le tiers complice soit considéré comme responsable du dommagecausé (134). Cette thèse n’exige même pas que le tiers ait été en contact avecle débiteur de la convention violée (135). Il y a faute dès qu’il y a atteinteconsciente aux droits d’autrui, qu’ils résultent de la loi ou d’un contrat. Toutcomme le titulaire d’un droit réel, le créancier aurait ainsi le droit d’exiger lerespect de sa créance erga omnes (136).

Cette position est extrême car, vidant l’article 1165 du Code civil de toutesignification, elle impose aux tiers de s’abstenir de toute atteinte conscienteaux droits contractuels d’autrui, ce qui constitue une obligation juridique pureet simple. Il y a là clairement une méconnaissance de la liberté de concur-rence, de la liberté de commerce mais aussi de la liberté contractuelle et de lathéorie de l’autonomie de la volonté (137).

Admettre une telle thèse reviendrait en effet à considérer que, sous le prétextede préserver les intérêts contractuels des uns, la liberté contractuelle des autresserait totalement anéantie.

c) La thèse de la fraude simple

L’exercice de sa propre liberté ne doit pas être conditionné par la mise enœuvre de celle de son voisin. Il importe seulement de sanctionner toute intru-sion préjudiciable au sein du réseau contractuel tissé par autrui. C’est dans cesens que se dirige la tendance doctrinale et jurisprudentielle contemporaineen considérant qu’il n’y a faute aquilienne que lorsque le tiers s’associe sciem-ment à la violation, par le débiteur, du droit du créancier (138). Il faut un con-cours à l’acte juridique qui est à l’origine de la violation de l’obligation con-tractuelle. Cette thèse a été adoptée par la Cour de cassation dans son arrêtrendu en date du 22 avril 1983 (139).

Il n’y a pas de tierce complicité lorsqu’une personne exerce ses activités detelle manière qu’un contrat tiers en ressort moins fructueux pour une des

(134) J. LIMPENS, « De l’opposabilité des contrats à l’égard des tiers » , in Mélanges en l’honneur de P. Roubier,1961, p. 103-104.

(135) Bruxelles, 22 octobre 1947, Pas., 1948, II, p. 74; J. DABIN, note sous Cass., 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966,p. 91; G. BRICMONT et R. GYSSELS, Le contrat de concession de vente exclusive, Bruxelles, 1962, p. 80 et lesréférences citées.

(136) L. VAN BUNNEN, « Effets à l’égard des tiers de quelques conventions conclues par autrui » , J.T., 1956, p.245 et s.

(137) R. KRUITHOF, note sous Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B., 1980, p. 108.(138) R. KRUITHOF, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 109 et les références citées. Contra W. DE BONDT, De leer der

gekwalificeerde benadeling, Antwerpen, 1985, p. 217.(139) Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 359 et s., note Y. MERCHIERS; Trav. Liège, 2 mai 1996, Rev. rég.,

1996, p. 497; Liège, 16 décembre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 1515; Com. Anvers (référés), 15 décembre1977, J.C.B., 1978, p. 436.

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deux parties, sans s’en prendre au contrat lui-même (140). En effet, dans cecas, le tiers ne fait qu’user de sa liberté contractuelle, liberté qui, forcément, setrouve en concurrence avec celle des autres personnes juridiques. Ce n’estqu’à partir du moment où le tiers interfère avec la liberté contractuelle d’autruien contractant avec une personne à l’encontre des engagements pris par ellequ’il méconnaît le principe de l’opposabilité des effets externes du contrat enquestion.

Ainsi, même si le tiers connaissait l’existence d’un système fermé de distribution,il n’y a pas tierce-complicité dans son chef lorsqu’il achète d’un fournisseurqui s’approvisionne sur un marché parallèle « libre » (141).

Le tiers doit donc être complice de la faute contractuelle de son cocontractantétant entendu que cette complicité n’existe que si le tiers a prêté un concoursindispensable à la violation contractuelle du débiteur (142).

21. Une faute commise en connaissance de cause par le tiers. — Quelleque soit la tendance suivie, les magistrats ont toujours exigé, au minimum, quele tiers ait connu l’existence de la convention préalable. Il doit avoir été consciusfraudis.

Suivant la tendance actuellement partagée par la majorité des auteurs, il y afaute du tiers lorsqu’il participe en connaissance de cause à la violation con-tractuelle de son cocontractant (143). Il faut donc établir que le tiers compliceavait été préalablement informé de l’existence et de la consistance de l’enga-gement dont l’acte juridique conclu avec le débiteur entraînerait la viola-tion (144). Ceci parce que « nul ne peut soupçonner que celui avec qui iltraite ait pris quelque engagement précis, positif ou négatif, incompatibleavec la stipulation nouvelle qu’il s’agit de lui imposer » (145).

(140) M. FONTAINE, op. cit., 1992, p. 36; Cass., 9 novembre 1973, R.W., 1973-74, p. 1261, note STUYCK; Cass., 3novembre 1961, J.T., 1961, p. 737, cc av. gén. DUMON; Cass., 17 juin 1960, Pas., 1960, I, p. 1191.

(141) Com. Hasselt (référés), 5 février 1993, R.D.C., 1994, p. 643 . Voy. également Liège, 27 février 1957,R.C.J.B., 1958, p. 158, note L. SIMONT.

(142) R. KRUITHOF, F. DE LY, H. BOCKEN et B. DE TEMMERMAN, op. cit., R.C.J.B., 1983, p. 562 et les référencescitées.

(143) P. HAMER, N. VERHEYDEN-JEANMART, « Les tiers et les contrats constitutifs ou translatifs de droits réels, Bienscorporels » in Le contrat et les tiers, Les effets externes et la tierce complicité, Bruxelles, A.S.B.L. Confé-rence du Jeune Barreau de Bruxelles - Palais de Justice, 1995, p. 38; J.-L. FAGNART, « La tierce complicitéet les usages honnêtes en matière commerciale » , R.D.C., 1989, p. 482; Trav. Liège, 2 mai 1996; Rev.rég., 1996, p. 491; Liège, 13 mai 1991, J.T., 1992, p. 38; Bruxelles, 29 décembre 1987, Ing. Cons., 1988,p. 56.

(144) Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B., 1980, p. 115, note R. KRUITHOF; Anvers, 16 décembre 1996, R.W., 1997-1998, p. 1288; Mons, 11 janvier 1995, Rev. rég., 1996, p. 41, note P. WÉRY; Liège, 13 mai 1991, J.T., 1992,p. 38; Civ., 12 mars 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1065.

(145) S. GINNOSSAR, op. cit., 1963, p. 24.

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L'action paulienne et la tierce complicité

Comme l’analyse de la connaissance se fait d’après le standard du bon père defamille, il arrive souvent qu’un tiers effectivement inconscient de la violationcontractuelle à laquelle il participe soit qualifié de tiers complice. En effet, lesmagistrats vont comparer le comportement du défendeur avec celui del’homme raisonnablement avisé et prudent, replacé dans les mêmes circons-tances de fait. Si ce dernier ne pouvait qu’avoir eu connaissance de l’obliga-tion, alors le tiers qui ne l’a pas décelée devra répondre d’une négligence oud’une inadvertance impardonnable (146). Ne pas savoir ce que tout le mondesait est inadmissible (147).

Notons qu’il n’existe pas de principe exigeant du tiers qu’il vérifie ou contrôlesi l’autre partie ne viole pas, en contractant avec lui, des obligations contrac-tuelles antérieures (148). Tout dépend des circonstances de fait.

Tantôt les tribunaux présument que certaines relations juridiques sont de no-toriété publique dans les milieux professionnels où est né le litige. Ces pré-somptions sont des moyens de preuve abandonnés aux lumières et à la pru-dence du magistrat (149). Il est courant, par exemple, que des cafetiers soienttenus à des obligations d’approvisionnement exclusif envers des brasseries etse soient engagés à imposer ces obligations à tout successeur. En conséquence,il appartient à tout cessionnaire d’un fonds de commerce à usage de débit deboissons de s’enquérir, auprès du cédant, de l’existence de telles obliga-tions (150).

Tantôt les juges considèrent que les usages peuvent imposer un certain devoird’information dans le chef de professionnels (151). L’acheteur professionnelde véhicules d’occasion, notamment, ne peut se retrancher derrière l’affirma-tion de son vendeur suivant laquelle le véhicule vendu a fait l’objet d’un paie-ment intégral ayant rendu sans objet toute clause de réserve de propriété. Il al’obligation de s’en assurer personnellement et si il ne le fait pas, il commetune faute (152).

Si le tiers dispose d’un véritable « droit à l’inertie » (153), il est cependantnormal d’exiger que, lorsqu’il détient des informations indiquant qu’en con-

(146) Y. MERCHIERS, note sous Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 359 et s.(147) Liège, 17 décembre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 1518; R. KRUITHOF, note sous Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B.,

1980, p. 117 . (148) Liège, 9 mai 1995, Rev. rég., 1996, p. 72; Civ. Bruxelles, 7 juin 1988, R.W., 1988-1989, p. 1378.(149) S. GINNOSSAR, op. cit., 1962, p. 26.(150) Mons, 11 janvier 1995, Rev. rég. dr., 1996, p. 44.(151) Gand, 24 octobre 1996, T.G.R., 1997, p. 5; P. HAMER, N. VERHEYDEN-JEANMART, op. cit., 1995, p.36; M.

FONTAINE, op. cit., 1992, p. 61.(152) Civ. Bruxelles, 19 décembre 1996, R.G.D.C., 1998, p. 71. Voy. E. Dirix, A. VAN OEVELEN, op. cit., R.W.,

1992-1993, col. 1252, n°75 et les références citées. Comp. Liège, 14 décembre 1990, J.L.M.B., 1992, p.292, note P.H. où l’activité de vente de véhicules était accessoire dans le chef du tiers assigné.

(153) A. WEILL, La relativité des conventions en droit privé français, Paris, 1939, p. 438, n°253.

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tractant avec lui, son cocontractant violerait probablement un engagementantérieur à l’égard d’autrui, il se renseigne soit auprès du débiteur, soit auprèsdu créancier (154). L’ignorance n’est assurément pas en soi élisive de respon-sabilité (155).

Il faudra donc voir si, selon les circonstances, le tiers avait ou devait avoirconnaissance de l’engagement contractuel violé. L’homme avisé et prudentqui participe inconsciemment à l’acte juridique en cause ne commet pas defaute.

D. Les effets de l'action en tierce complicité

22. L’action en tierce complicité : une application de l’article 1382 duCode civil. — Une fois les conditions de la tierce complicité réunies, com-ment la sanctionner ? À l’instar de ce qui existe pour l’action paulienne (n°11et s.), les tribunaux cherchent, sous le couvert des principes généraux du droitcommun de la responsabilité aquilienne, à rétablir au maximum les droits ducréancier en s’attaquant à la source même du dommage (156).

a) Rétablissement des droits du créancier

Ainsi, lorsque c’est possible, l’acte incriminé sera « anéanti » (157) de manièreà replacer les parties dans leurs positions initiales comme s’il n’avait jamais étéaccompli (suppression de la situation illicite). « On en arrive ainsi toujours,sous réserve de dommages-intérêts supplémentaires en réparation du pré-judice que la faute, même effacée, aurait pu causer, à une restauration parsuppression a posteriori plutôt qu’à la réparation proprement dite d’undommage définitivement consommé » (158).

Poursuivant cet objectif, le tribunal de commerce de Namur (159) a valablementconstaté que « attendu que la tierce complicité des acquéreurs dans la vio-lation des droits des bénéficiaires du pacte de préférence est établie. At-tendu que la sanction de ce comportement fautif réside dans une répara-

(154) R. KRUITHOF, note sous Cass., 21 avril 1978, R.C.J.B., 1980, p. 117.(155) Com. Charleroi, 24 septembre 1992, R.D.C.B., 1993, p. 283, note C. PARMENTIER. Dans le même sens, voy.

Mons, 8 octobre 1992, J.L.M.B., 1992, p. 506; Bruxelles, 7 mai 1991, J.L.M.B., 1992, p. 294, obs. C.PARMENTIER; Anvers, 24 mars 1986, R.W., 1986-1987, col. 801, note J. H. HERBOTS; Liège, 3 mars 1981,J.C.B., 1982, p. 566 . La situation est toute différente lorsqu’il s’agit d’un particulier (Y. MERCHIERS,« Derde medeplichtigheid bij verkoop an een niet afbetaalde wagen » , note sous Anvers, 19 octobre1988, R.G.D.C., 1989, p. 473).

(156) J. DABIN, note sous Cass., 30 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, p. 80; Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p.383, note Y. MERCHIERS.

(157) L’unanimité des auteurs n’est pas encore acquise en ce qui concerne les effets de l’action en tiercecomplicité.

(158) J. DABIN, op. cit., R.C.J.B., 1966, p. 88.(159) Com. Namur, 22 février 1990, Rev. rég., 1990, p. 358.

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tion en nature (160) qui en l’espèce aboutit à l’annulation des cessionslitigieuses, en manière telle que les bénéficiaires du droit de préférence re-trouvent intactes leurs chances originaires et puissent obtenir l’adjudica-tion des actions à leur profit s’ils en manifestent la volonté ».

Antérieurement, la Cour de cassation (161) avait déjà admis que « l’arrêt (atta-qué) décide légalement que, les demandeurs s’étant rendu coupables d’unetierce complicité qui a été la cause d’un dommage subi par les défendeurs,la sanction de cette faute consiste en la réparation en nature à savoir l’an-nulation de la vente, l’immeuble retournant ainsi dans le patrimoine duvendeur ». In casu, le tiers complice avait acquis un bien en violation d’unpacte de préférence préalablement consenti par son cocontractant au créan-cier agissant.

Comme l’attestent ces deux décisions, l’annulation de la convention illiciteconclue par le débiteur et le tiers complice semble constituer le mode de« réparation » le plus satisfaisant pour le créancier préjudicié, étant entenduqu’il serait plus exact de parler ici de « mesure de rétablissement » (162).

Dans certains cas, le tribunal trouvera adéquat de prononcer un ordre de ces-sation à l’égard du tiers pour éviter qu’il poursuive, après le jugement, sonactivité illicite. Cet ordre de cessation pourra être assorti d’une astreinte pourchaque contravention (163).

b) Réparation par équivalent

A défaut de « mesure de rétablissement » possible ou satisfaisante, le tiers com-plice pourra être condamné à réparer — au sens strict du terme — le dom-mage causé au créancier. Cette réparation par équivalent, se réalisera le plussouvent sous la forme de dommages et intérêts (164).

Le dommage sera évalué en tenant compte de l’exécution normale du contratviolé. Il ne peut l’être par référence à un forfait contractuellement prévu par lecréancier et son débiteur, en appliquant une clause pénale par exemple (165).Il doit être fixé en fonction du dommage réel évalué le cas échéant ex aequoet bono en tenant compte notamment de la durée pendant laquelle les rela-tions juridiques illicites se sont poursuivies (166).

(160) En réalité, par cette « annulation » , le tribunal accorde au créancier bien plus qu’une simple mesure deréparation.

(161) Cass., 20 janvier 1965, R.C.J.B., 1966, p. 77, note J. DABIN.(162) P. WÉRY, « Les rapports entre responsabilité aquilienne et responsabilité contractuelle, à la lumière de la

jurisprudentielle récente », R.G.D.C., 1998, p. 108.(163) Anvers, 16 décembre 1996, R.W., 1997-1998, p. 1288; J. DABIN, op. cit., R.C.J.B., 1966, p. 89.(164) Liège, 17 décembre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 1515.(165) Liège, 13 avril 1977, Jur. Liège, 1977-1978, p. 75.(166) Trav. Liège, 2 mai 1996, Rev. rég., 1996, p. 491.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Le tribunal de commerce de Charleroi (167), constatant qu’un rétablissementdes droits du créancier n’est plus possible, a dès lors décidé que : « (…) comptetenu de la résiliation des contrats acquise avant que les véhicules ne soientrevendus par le défendeur, le dommage en relation causale avec la fauteaquilienne du défendeur serait égal au prix de la réalisation des véhiculesque la demanderesse aurait pu obtenir » . In casu, le défendeur (tiers com-plice) était un revendeur de voitures qui avait acheté des véhicules, objet d’uncontrat de location-financement, sans se faire produire par son vendeur lesfactures d’achat de ces véhicules.

23. Effet vis-à-vis du débiteur. — Il faut rappeler que la réparation du dom-mage peut être réclamée par le créancier lésé, aussi bien à son débiteur fautifqu’au tiers complice. Ils sont en effet tenus l’un et l’autre in solidum. La cir-constance que leurs obligations soient de nature différente n’empêche pasqu’ils puissent être chacun tenus de réparer l’intégralité du dommage (168).

Un arrêt de la cour du travail de Liège (169) est très explicite à cet égard. Incasu, suite à la violation d’une clause de non-concurrence, un employeur assi-gne son employé fautif en responsabilité contractuelle et le fournisseur de cedernier en tierce complicité. La cour du travail a fait droit à la demande contrel’employé fautif en le condamnant à payer une certaine somme d’argent. En cequi concerne le fournisseur (tiers complice), la cour a décidé que « le dom-mage dont la seconde intimée serait tenue solidairement (170) responsable(si la tierce complicité était démontrée) devrait être évalué ; qu’il ne peut, àson égard, l’être par référence à un forfait contractuellement prévu (…)mais qu’il devait être fixé en fonction du dommage réel évalué le cas échéantex aequo et bono en tenant compte notamment de la durée pendant la-quelle les relations contractuelles illicites se sont poursuivies (…) et égale-ment du fait que le montant du dommage ne peut dépasser celui auquel ledébiteur au principal a été lui-même condamné ».

(167) Com. Charleroi, 24 septembre 1992, R.D.C.B., 1993, p. 283, note C. PARMENTIER.(168) J.-L. FAGNART, « La tierce complicité et les usages honnêtes en matière commerciale », R.D.C.B., 1989, p.

483.(169) Trav. Liège, 2 mai 1996, Rev. rég. , 1996, p. 491.(170) Il s’agit plutôt d’une condamnation in solidum.

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L'action paulienne et la tierce complicité

Conclusion

Le tiers commet une faute qui engage sa responsabilité aquilienne lorsqu’il netient pas compte de la qualité de débiteur de son cocontractant et des restric-tions à la liberté d’agir que ses engagements préalables impliquent.

Pour l’action paulienne, ce principe fondamental est admis depuis fort long-temps. Si les créanciers suivent la foi de leur débiteur, l’article 1167 du Codecivil empêche, malgré tout, ce dernier de disposer librement de tous ses biens.La liberté juridique du débiteur d’une somme d’argent est ainsi partiellementréduite. Suivant la tendance doctrinale actuelle (supra n°5) , la limite à ne pasfranchir est la suivante : le débiteur ne peut modifier la composition de sonpatrimoine en posant un acte dont il sait (ou doit savoir, selon une certainetendance) qu’il causerait un préjudice à ses créanciers. Par ricochet, le tiers nepeut, pour sa part, participer à cet acte lorsqu’il connaît (ou doit connaître) lasituation de son cocontractant (supra n°9). S’il lui prête son concours malgrétout, il commet une faute, qui pourra donner lieu à l’action paulienne.

Antérieurement, cette action avait pour particularité de permettre au créan-cier qu’il obtienne du juge une forme de « réparation » particulièrement satis-faisante : l’inopposabilité de l’acte préjudiciable. Cette décision d’inopposabi-lité accorde bien plus qu’une simple réparation au créancier préjudicié puis-qu’elle lui permet de se comporter comme si l’acte préjudicié n’existait pas.

Avec l’évolution contemporaine du droit de la responsabilité civile qui vise àrétablir au mieux les droits de toute victime, notamment en s’attaquant à lasource même du dommage, l’on doit bien admettre que cette action fait doré-navant double emploi avec les articles 1382 et 1383 du Code civil.

En ce qui concerne l’action en tierce complicité, le principe semblait moinsévident : l’article 1165 du Code civil, suivant une première interprétation, in-terdisait qu’un tiers ne soit lié, de quelque manière que ce soit, par les contratsd’autrui. Le tiers pouvait donc contracter en toute liberté avec le débiteurd’une obligation non pécuniaire.

Ce n’est qu’à partir du moment où la distinction a été établie entre les effetsinternes des contrats (s’imposant uniquement aux parties) et les effets exter-nes des contrats (auxquels tout tiers doit le respect), que l’action contre letiers complice a pu être envisagée (supra n°15).

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Désormais, il y a faute aquilienne lorsque le tiers participe, en connaissance decause, à la faute contractuelle du débiteur (supra n°20 et 21). Le débiteur nepeut, sous peine d’engager sa responsabilité contractuelle, poser un acte quiva à l’encontre de ses engagements. Par la convention qu’il a préalablementconclue, il a temporairement « aliéné » une partie de sa liberté contractuelle.Le tiers qui désire contracter avec ce débiteur doit respecter cette diminutionde liberté, effet externe de la convention, qui atteint de facto et à due concur-rence sa propre liberté. S’il ne respecte pas cet effet externe et que cela causepréjudice au créancier intéressé, il engage sa responsabilité aquilienne confor-mément au droit commun.

La fraude paulienne et la tierce complicité constituent donc, au regard de ladoctrine et de la jurisprudence actuelles, deux applications particulières desrègles de la responsabilité aquilienne.

Si, à partir de cette base commune, ces deux actions présentent logiquementde nombreux points communs, il convient cependant de mettre à jour lesdifférences qui les séparent.

Le créancier titulaire du droit d’agir n’est pas le même dans les deux cas. Pourintenter une action paulienne, le demandeur doit disposer d’une créance desomme, peut importe son origine (légale ou contractuelle), à l’égard du débi-teur qui a fraudé ses droits avec la complicité du tiers (supra n°2a). Par contre,pour agir sur la base de la théorie de la tierce complicité, le créancier doit seprévaloir de la violation d’une obligation contractuelle non pécuniaire (dare,facere et non facere) que son débiteur s’est engagée à exécuter (supra n°15 et16).

Si la logique de ces mécanismes suppose que la créance dont se prévaut ledemandeur existe préalablement à l’acte incriminé, la jurisprudence relative àl’action paulienne fait exception à cette règle lorsque la fraude a été organiséeà l’effet de frustrer un créancier postérieur (supra n°2b).

L’acte préjudiciable donnant lieu aux deux actions examinées présente luiaussi des caractéristiques différentes. Dans le cadre de l’action paulienne, ils’agit d’un acte juridique (unilatéral ou bilatéral), réalisé par un tiers et le débi-teur, qui aboutit à un appauvrissement (compris dans un sens fort large) dupatrimoine de celui-ci (supra n°3). Pour la théorie de la tierce complicité, l’actejuridique incriminé est nécessairement un contrat accompli par un tiers et ledébiteur et par lequel ce dernier viole les engagements contractuels qu’il avaitpris à l’égard d’autrui (supra n°20c).

Le préjudice invoqué par le créancier agissant, consiste, dans l’action paulienne,à ce que l’acte incriminé a réduit ou a rendu plus complexes les possibilitéspratiques qu’il avait d’obtenir le payement de sa créance (supra n°4b). En cequi concerne l’action en tierce complicité, le préjudice du demandeur résul-

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L'action paulienne et la tierce complicité

tera de l’inexécution, par son débiteur, de ses obligations contractuelles (su-pra n°17).

L’action paulienne, comme l’action en tierce complicité, suppose l’existenced’une faute dans le chef du débiteur et du tiers assigné.

La faute du débiteur, dans l’action paulienne, consiste à avoir modifié la com-position de son patrimoine en sachant (ou en devant savoir) que cette modifi-cation porterait atteinte aux intérêts de ses créanciers (supra n°5). Dans lathéorie de la tierce complicité, le débiteur est en faute parce qu’il a violé sesobligations contractuelles (supra n°18).

En ce qui concerne la faute du tiers, les deux mécanismes supposent que letiers ait participé à l’acte mis en cause en ayant conscience (ou même endevant avoir conscience selon certains) du caractère illicite de cet acte (supran°9, 20 et 21). Néanmoins, lorsque l’acte en question est à titre gratuit, la juris-prudence admet que l’action paulienne aboutisse en dehors de toute faute dutiers (supra n°10). La seule fraude du débiteur suffit pour ouvrir la voie del’action paulienne.

L’action paulienne et l’action en tierce complicité sont deux mécanismes quimettent en œuvre les règles de la responsabilité civile. Elles tendent, nousl’avons vu, à accorder au créancier agissant, non pas une simple réparation,mais le rétablissement complet de ses droits.

Dans le cadre de l’action paulienne, les tribunaux, poursuivant cet objectif, onttendance à prononcer l’inopposabilité de l’acte incriminé (supra n°12a).

La mise en œuvre de la théorie de l’action en tierce complicité aboutit, quantà elle, à des décisions d’annulation de l’acte mis en cause, sans que les consé-quences de ce mode de rétablissement des droits du créancier n’ait fait l’objetd’un examen approfondi par la doctrine (supra n°22a). Parfois, le juge trou-vera plus adéquat d’ordonner la cessation de l’activité illicite et de prévoir uneastreinte en cas de méconnaissance de cet ordre (supra n°22a).

Lorsque le retour au statu quo ante n’est pas réalisable, ces deux actions fontalors l’objet d’une application plus classique des articles 1382 et 1383 du Codecivil en condamnant le tiers à une réparation par équivalent, le plus souventsous la forme de dommages et intérêts (supra n°12b et 22b).

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L'EXTINCTION DES OBLIGATIONS :LA COMPENSATION

Marie-Claire ERNOTTE,avocat au barreau de Liège

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l'extinction des obligations : la compensation

SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE............................................................... 281

1. Introduction ............................................................................ 281

SECTION I

CARACTÈRE ET CONDITIONS DE LA COMPENSATION LÉGALE ...... 283

A. Caractères .................................................................................................. 283

2. La compensation n’est pas d’ordre public .................... 2833. Compensation et prescription ........................................... 2854. La compensation ne suppose pas identité de cause

ou connexité entre les dettes réciproques ..................... 287

B. Conditions ................................................................................................. 287

5. Première condition : il faut qu’il y ait dettesréciproques entre deux personnes agissanten la même qualité .............................................................. 287

6. Deuxième condition: les dettes doivent être fongibles,c’est-à-dire porter sur des choses interchangeablesde même nature .................................................................... 289

7. Troisième condition :les dettes doivent être liquides .......................................... 289

8. Quatrième condition : les dettes doiventêtre exigibles ........................................................................... 291

SECTION II

CHAMP D’APPLICATION DE LA COMPENSATION ............................. 293

9. Exposé introductif ................................................................. 29310. Exceptions prévues par l’article 1293 du Code civil . 29311. Exception en matière de cession de créance ................ 295

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

12. Exception en matière d’impôts, de taxes etde cotisations de sécurité sociale dus à l’Etatou aux Pouvoirs publics ..................................................... 296

13. Exceptions tenant aux droits acquis des tiers(article 1298 du Code civil) .............................................. 297

14. Exception à l’exception : connexité entreles dettes réciproques ........................................................... 301

SECTION III

EXAMEN DES HYPOTHÈSES DE COMPENSATIONAPRÈS CONCOURS ..............................................................................303

15. Connexité et contrat synallagmatique .......................... 30316. Connexité et contrats distincts .......................................... 30317. Connexité et dettes de nature distincte .......................... 30618. L’associé d’une société ......................................................... 30619. Courtier d’assurance ............................................................ 30720. Compte courant, unicité et fusion de comptes ............ 308

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l'extinction des obligations : la compensation

Introduction générale

1. Introduction. — La compensation, qui emporte extinction de dettes réci-proques entre deux personnes débitrices l’une envers l’autre (1) est fréquem-ment invoquée dans la pratique, pour un double motif :

* elle simplifie le dénouement des relations entre personnes qui sont ainsicréancière et débitrice l’une à l’égard de l’autre puisqu’elle constitue undouble paiement abrégé et ne laisse subsister que le solde;

* elle présente incontestablement le caractère d’une garantie puisqu’elle per-met, dans les conditions que nous exposerons ci-après, à un créancierd’échapper à la loi du concours avec les autres créanciers de son débiteur,ce qui explique son attrait précisément dans le cas de la faillite du débiteur.

Le Code civil a organisé la compensation sur une base automatique : elle opèrede plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs (2). Encontrepartie, il a soumis sa mise en œuvre à des conditions précises.

(1) Article 1289 du Code civil.(2) Article 1290 du Code civil.

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l'extinction des obligations : la compensation

Section ICaractère et conditions

de la compensation légale

A. Caractères

2. La compensation n’est pas d’ordre public. — Si la compensation s’opèrede façon automatique, encore ce mode d’extinction n’est-il pas d’ordre public.En conséquence :

* Les parties doivent l’invoquer, le juge ne pouvant soulever ce moyen d’of-fice (3).

* Les parties peuvent renoncer à l’invoquer, que ce soit avant ou après queles conditions de la compensation soient réunies (4).

La renonciation peut être tacite pour autant qu’elle soit certaine.

La cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 28 mars 1988 (5) considère ainsiqu’en introduisant sa déclaration de créance au passif chirographaire de lasociété faillie, le créancier a « délibérément et expressément, par un acte nonéquivoque, renoncé à la compensation légalement autorisée ». L’admissionde cette créance est irrévocable (6).

Dans un arrêt du 18 mai 1994, la cour d’appel de Gand (7) considère que si lacompensation joue de plein doit même à l’insu des débiteurs, c’est à la condi-tion que « les parties n’adoptent pas ultérieurement un comportement in-conciliable avec la compensation ». Tel est le cas, selon la cour, lorsqu’il y apaiement par l’un des débiteurs de sa dette, même si ce dernier n’était pasconscient de la compensation. En l’espèce, le débiteur était redevable enversla société faillie d’une partie de sa souscription au capital non libéré, tandis

(3) Voir citation extraite d’un arrêt rendu par la cour d’appel de Liège le 28 mai 1969, telle que reprise parP. COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurisprudence (1991 à 1996) - les faillites, les concordats et lesprivilèges », R.C.J.B., 1997, p. 362, n° 67 : “le débiteur n’a qu’un mot à dire pour être libéré mais ce mot,il doit le prononcer. Nul ne peut le faire à sa place sauf la caution”.

(4) DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, tome III, n° 619.(5) Liège, 28 mars 1988, J.L.M.B., 1988, 1306 et note de C. PARMENTIER.(6) Cass. 13 juin 1985, R.C.J.B., 1987, p. 542 et s. et note de J.M. NELISSEN-GRADE, observations relatives à

l’irrévocabilité de l’admission de créance à la faillite.(7) Gand, 18 mai 1994, R.W., 1994-95, 1197 et note de E. DIRIX, « Afstand van de bevoegdheid tot

compensatie ».

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

que la société lui devait des montants supérieurs à titre d’arriérés de loyers. Àla demande des curateurs, le débiteur avait versé le montant de sa souscriptionet pour le surplus, produit au passif privilégié de la faillite, sa créance d’arrié-rés de loyers. Après une longue procédure, cette créance n’avait été admise,pour sa plus grande partie, qu’à titre chirographaire (8), ce qui l’avait déter-miné à invoquer la compensation.

La motivation retenue par la cour d’appel de Gand suscite des réserves en cesens qu’elle fait écho à la conception objective de la rechtsverwerking (9) au-delà des exigences de la renonciation.

* Il convient de rappeler la situation particulière de la caution telle qu’elle estprévue à l’article 1294, alinéa 1 du Code civil. Celle-ci peut se prévaloir de lacompensation intervenue (10).

Doctrine et jurisprudence en déduisent en outre que la caution peut invoquerla compensation quand le débiteur principal omet de le faire ou y a renoncé(11).

Ce principe a été mis en évidence par la cour d’appel de Mons (12).

Il s’agissait en l’espèce de deux personnes qui s’étaient portées cautions soli-daires (13) pour divers crédits consentis à une société, les actes d’ouverturedes crédits comportant une clause d’unicité des comptes. La banque n’avaittoutefois pas procédé à l’intégralité des transferts des soldes débiteurs et cré-diteurs, la société faillie, débitrice principale, s’étant, par l’intermédiaire ducurateur, opposée à pareille compensation.

La cour relève qu’ « il importe donc peu que l’intimée, créancière de la so-ciété faillie et bénéficiaire des cautionnements, ait éventuellement négligéd’opérer l’extinction de la dette par compensation, en acceptant de payerentre les mains du curateur une dette en sens contraire qui aurait pu êtrecompensée à due concurrence ».

(8) Selon l’article 1299 du Code civil, “celui qui a payé une dette qui était de droit éteinte par la compen-sation, ne peut plus, en exerçant la créance dont il n’a pas point opposé la compensation, se prévaloir,au préjudice des tiers, des privilèges ou hypothèques qui y étaient attachés, à moins qu’il n’ait eu unejuste cause d’ignorer la créance qui devait compenser sa dette”. Ainsi, celui qui renonce à la compen-sation ne peut plus invoquer, vis-à-vis des tiers, les sûretés qui assortissent la créance dont il entendobtenir paiement. Selon E. DIRIX, c’est sur cette base que le curateur a pu s’opposer au caractèreprivilégié de la créance réclamée à charge de la société faillie.

(9) Sur les derniers développements en matière de rechtsverwerking, voir I. MOREAU-MARGRÈVE et Ch. BI-QUET-MATHIEU, « Grands arrêts récents en matière d’obligations », Actualités du droit, 1997, p. 16 et s.

(10) Pour un commentaire de cet arrêt, voir E. DIRIX, « Afstand van de bevoegdheid tot compensatie », noteR.W., 1994-95, 1197 et s., H. GEINGER, Ch. VAN BUGGENHOUT et Ch. VAN HENVERSWYN, « Overzicht vanrechtspraak - het faillissement en het gerechtelijk akkoord (1990-1995) », T.P.R., 1996, p. 1009, n° 124.

(11) R.P.D.B., , v° cautionnement, complément V, n° 306.(12) Mons, 5 février 1991, J.L.M.B., 1991, 953.(13) Le fait que la caution solidaire ne lui enlève pas le bénéfice de l’article 1294 du Code civil : DE GAVRE et

FORIERS, « Examen de jurisprudence - Les contrats spéciaux », R.C.J.B., 1986, n° 251.

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l'extinction des obligations : la compensation

3. Compensation et prescription. — Deux importants arrêts rendus par laCour de cassation paraissent devoir être relevés en ce qui concerne le lien quiexiste entre la compensation et la prescription :

a) Le premier arrêt concerne l’effet qu’il y a lieu d’attribuer à l’exception decompensation légale : celle-ci peut-elle être considérée comme un acte interrup-tif de la prescription au sens de l’article 2244 du Code Civil ? (14)

En l’espèce, un prévenu avait invoqué verbalement, devant la juridiction ré-pressive, à l’encontre de la réclamation de dommages et intérêts dirigée con-tre lui, l’exception de compensation légale en raison de la créance qu’il pré-tendait détenir à l’égard de la victime.

Ce moyen avait été rejeté (15) et le prévenu avait donc introduit une actiondistincte en paiement. À l’exception de prescription invoquée par la partieadverse, il faisait valoir que le fait d’avoir invoqué verbalement la compensa-tion légale devant la juridiction répressive avait interrompu la prescription envertu de l’article 2244 du Code civil.

Après avoir obtenu gain de cause en instance, le prévenu avait été débouté parla cour du travail de Mons au motif que celui qui oppose la compensationlégale à une action en paiement dirigée contre lui ne forme pas une demandetendant à faire reconnaître en justice un droit menacé de prescription. Le créan-cier ne réclame pas ce qui lui est dû mais demande qu’il soit constaté qu’il adéjà payé ce qui lui est réclamé.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 octobre 1993 (16), rejette en termesclairs, le pourvoi. Après avoir rappelé le principe que la compensation légales’opère de plein droit par la seule force de la loi, elle constate de même que lacompensation légale apparaît comme un double paiement abrégé.

En conséquence, « la demande au juge de constater l’existence de la com-pensation légale ne porte que sur des paiements considérés comme opérésde plein droit antérieurement à cette demande; (...), tendant à faire consta-ter l’extinction de dettes réciproques, elle est une défense et non une de-mande qui constituerait la manifestation en justice de l’intention de ne pasperdre un droit en litige; (...) elle n’a pas le même effet que la citation enjustice pour interrompre la prescription ».

(14) Article 2244 du Code civil : “Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celuiqu’on veut empêcher de prescrire forment l’interruption civile”. Sur la portée de cette disposition, voirM. REGOUT-MASSON, « La prescription en droit civil », in La prescription, CUP, volume XXIII, avril 1998, p.51 et s.

(15) L’arrêt de la Cour de cassation ne permet pas de déterminer les motifs du rejet de l’exception decompensation.

(16) Cass. 25 octobre 1993, Pas., 1993, I, p. 857 et note J.F.L., I. MOREAU-MARGRÈVE, Ch. BIQUET-MATHIEU et A.GOSSELIN, « Grands arrêts récents en matière d’obligations », Actualités du droit 1997, p. 90-91, n° 33.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

b) Le deuxième arrêt apporte réponse à l’intéressante question suivante : laprescription de l’une des créances réciproques fait-elle obstacle, au momentoù le paiement de l’autre créance est réclamé, à ce que le débiteur de cettecréance invoque la compensation légale ?

En l’espèce, une personne réclamait le paiement d’une facture du 30 avril1993, tandis que ses débiteurs lui opposaient la compensation légale avec unecréance née dans leur chef de l’application d’une astreinte accordée par uneordonnance de référé et encourue les 18 et 19 juin 1993.

Tant en instance qu’en appel, la compensation avait été refusée au motif quelorsque les débiteurs ont pour la première fois, en réponse à la demande depaiement de la facture, invoqué la compensation, leurs créances d’astreinteétaient prescrites, plus de six mois s’étant écoulés depuis qu’elle avait étéencourue, sans qu’il y ait eu par ailleurs un acte interruptif de prescription. Or,si la compensation légale s’opère de plein droit, encore faut-il que les partiesl’invoquent pour qu’elle produise effet.

En termes nets, la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 avril 1997 (17) cen-sure cette argumentation :

« ... En vertu de l’article 1290 du Code civil, la compensation légale s’opèrede plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs, et lesdeux dettes s’éteignent réciproquement à l’instant où elles se trouvent à lafois, jusqu’à concurrence de leur quotité respective.

(...) Il s’ensuit que la prescription ne peut plus atteindre l’une des créancesentrées en compensation ».

A donc violé les dispositions l’arrêt qui considère que la compensation nepeut s’opérer au motif qu’au moment où celle-ci a été invoquée, la créanced’astreinte était prescrite.

L’enseignement de cet arrêt est important en ce qu’il consacre l’effet au-tomatique de la compensation légale entre dettes réciproques, de sorte que laprescription ultérieurement acquise de l’une des créances est sans portée.

Il ne peut toutefois pas en être déduit de façon certaine, par un raisonnementa contrario, que la prescription de l’une des créances au moment où naîtl’autre ferait nécessairement obstacle à la compensation (18).

(17) Cass. 24 avril 1997, R.D.C., 1997, p. 571 et note; J.L.M.B., 1997, p. 1120.(18) Voir note sous Cass. 24 avril 1997, R.D.C., 1997, p. 572.

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l'extinction des obligations : la compensation

4. La compensation ne suppose pas identité de cause ou connexitéentre les dettes réciproques. — Selon l’article 1293 du Code civil, la com-pensation a lieu, avant concours, « quelles que soient les causes de l’une oul’autre des dettes ». L’origine des dettes, leurs modalités (19), l’éventuelle con-nexité qui existe entre elles sont indifférentes.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 19 novembre 1987 (20) a rappelé ceprincipe et censuré un arrêt rendu par la cour d’appel de Mons qui avait re-fusé la compensation au seul motif que les dettes résultaient de contrats tota-lement indépendants.

B. Conditions

5. Première condition : il faut qu’il y ait dettes réciproques entre deuxpersonnes agissant en la même qualité. —

a) Le mécanisme de la compensation suppose qu’il y ait dettes réciproquesde sorte que deux personnes sont à la fois créancière et débitrice l’une à l’égardde l’autre.

C’est sous l’angle de ce principe que nous examinerons tout d’abord la portéede l’arrêt de la Cour de cassation du 28 février 1985 (21) rendu à propos de lafaillite d’un associé d’une association momentanée (22).

En l’espèce, la S.A. SOCOL et la S.A. C.E.I. avaient conclu une convention d’as-sociation momentanée en vue de la réalisation d’un viaduc et d’un pont, larépartition des bénéfices et des pertes étant fixées à 69 % pour SOCOL et 31 %pour C.E.I.

SOCOL est déclarée en faillite alors que le maître de l’ouvrage est encore rede-vable d’une somme de 51 millions de francs pour des travaux antérieurementréalisés.

C.E.I. accepte de poursuivre seule les travaux et paye, postérieurement à lafaillite, des montants dus par l’association momentanée à divers créanciers, envertu de la solidarité entre associés (23).

(19) assorties d’une sûreté ou non.(20) Cass., 19 novembre 1987, Pas., 1988, I, 335.(21) Cass. 28 février 1985, R.C.J.B., 1987, p. 571 et s. et note de A. MEINERTZHAGEN-LIMPENS, « Réflexions sur la

compensation, l’indivisibilité, la connexité et le privilège dans le cadre de la faillite d’un associé mo-mentané » J.T., 1986, p. 578 et s. et observations de F. T’KINT.

(22) Cette association est, en vertu de l’article 3 des lois coordonnées sur les sociétés, dépourvue de lapersonnalité juridique.

(23) Article 175 alinéa 2 L.C.S.C. : “les associés sont tenus solidairement envers les tiers avec qui ils onttraité”.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Le débat portait sur le sort à réserver à cette somme de 51 millions de francs.Selon le curateur, cette somme devait être répartie entre les deux associésdans la proportion prévue à la convention tandis que, selon C.E.I., il convenaitpréalablement de déduire les frais et charges qui pesaient sur l’associationavant sa dissolution.

La réponse à cette question dépendait de la portée et de l’opposabilité auxtiers d’une disposition de la convention d’association momentanée relative àla défaillance d’un associé et organisant un règlement interne (24).

Tant le premier juge que la cour d’appel de Bruxelles (25) avaient admis lepoint de vue de C.E.I. bien qu’en le fondant sur des moyens juridiques diffé-rents.

La Cour de cassation consacre le bien-fondé de cette appréciation, notammentau regard de la compensation :

« (...) La convention d’association momentanée (...) crée entre parties uncompte indivisible unique dans lequel entre, d’une part, les avances résul-tant des paiements du maître de l’ouvrage en fonction de l’avancement destravaux et, d’autre part, les dettes et charges nécessaires à la réalisation del’objet de l’entreprise.

(...) L’article 16 de ladite convention ne créait « pas de lien factice »

(...) La convention d’association momentanée ayant été passée sans fraudeentre la société faillie et un de ses créanciers, le lien étroit de connexitéexistant entre les créances et les dettes justifie que la compensation conven-tionnelle prévue au contrat s’opère entre elles, nonobstant la faillite de l’undes contractants, cette faillite ne mettant pas fin à l’interdépendance desobligations réciproques trouvant leur cause dans ce contrat ».

Ainsi que l’a mise en évidence la doctrine (26), la question de la compensationse présentait sous un jour particulier :

« Comme la société momentanée fonctionne sans personnalité juridiquepropre, on ne voyait pas les deux personnes réciproquement débitrices l’une

(24) Article 16 de la convention : “En cas de dissolution, faillite ou liquidation judiciaire de l’une des parties,l’autre partie aura la faculté de continuer les travaux en faisant liquider définitivement la situation de lapartie défaillante par un expert désigné par le président du tribunal de commerce de Bruxelles, à moinsqu’un règlement amiable ne soit intervenu entre parties. Pour établir la situation de la partie défaillanteou de ses ayants droit, l’expert aura à tenir compte notamment de l’avancement des travaux faits, desinstallations aménagées, des sommes versées pour la durée de l’entreprise et d’une équitable évalua-tion du bénéfice éventuel en fin de travaux et relatif aux travaux effectués jusqu’au moment de ladéfaillance”.

(25) Bruxelles, 10 novembre 1983, R.P.S., 1984, p. 33 et s. et note de P. COPPENS.(26) P. COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites, les concordats et les privilèges »,

R.C.J.B., 1991, p. 505-506, n° 100; A. MEINERTZHAGEN-LIMPENS, note, R.C.J.B., 1987, p. 590 et s.

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l'extinction des obligations : la compensation

envers l’autre : chaque associé avait une créance sur le maître de l’ouvrageet chacun d’eux avait des dettes envers des tiers, ceux-ci jouissant pour lesurplus de l’avantage de la solidarité ».

Selon la doctrine, ce n’est donc pas au regard de la compensation mais biend’autres mécanismes, tels que la reconnaissance d’une sorte de compte cou-rant, que la solution retenue par les juridictions du fond aurait dû être consa-crée (27).

Plus classique est la décision rendue le 9 septembre 1992 par le tribunal decommerce de Liège (28) qui refuse la compensation entre la dette de rem-boursement par l’assuré au courtier de primes d’assurances dont celui-ci avaitfait l’avance à la compagnie d’assurances et la créance d’indemnité que l’as-suré prétend avoir à l’égard de cette même compagnie d’assurances. Ainsi quele souligne J.L. Fagnart, la situation eût été différente si le courtier avait perçul’indemnité à charge de la reverser à l’assuré.

b) Dans un arrêt du 21 juin 1988 (29), la cour d’appel de Mons a rappelé qu’ilne suffit pas, pour que s’opère la compensation, que deux personnes soient àun titre quelconque ou en une qualité quelconque débitrices l’une enversl’autre. Il faut qu’elles soient toutes deux tenues en leur qualité personnelle.

Tel n’est pas le cas lorsque la mère d’un enfant réclame au père paiement de lacontribution aux frais d’éducation et d’entretien de l’enfant commun, telleque fixée pendant la procédure en divorce, tandis que le père oppose desmontants résultant de la prise en charge de frais vestimentaires pour l’enfant.Le créancier des sommes dues pour cette contribution est en effet l’enfant lui-même et non la mère qui en a la garde (30).

6. Deuxième condition: les dettes doivent être fongibles, c’est-à-direporter sur des choses interchangeables de même nature. —

7. Troisième condition : les dettes doivent être liquides. — Une dette estliquide lorsque son existence est certaine et que son montant est déterminé :

* Une contestation quant à l’existence de la créance fait obstacle à ce qu’ellesoit liquide. Ainsi que le rappelle la cour d’appel de Mons (31), il ne suffit pas

(27) Nous examinerons pour le surplus la portée de cet arrêt au regard de la compensation après concoursentre dettes connexes, voir ci-après n° 20.

(28) Tribunal de commerce de Liège, 9 septembre 1992, R.D.C., 1994, p. 362 et s. et note d’observations deJ.L. FAGNART.

(29) Mons, 21 juin 1988, Pas., 1988, II, 239.(30) R.P.D.B., v° aliments, complément III, n° 20.(31) Mons, 21 juin 1988, Pas., 1988, II, 239.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

qu’une créance soit contestée pour écarter la compensation : il faut que lacontestation se présente avec une apparence suffisante de fondement. Telleest l’appréciation retenue par la cour d’appel d’Anvers, dans un arrêt du 15janvier 1997 (32) à propos d’une créance qui se fondait sur un rapport d’ex-pertise mettant en cause la responsabilité de l’autre partie pour livraison dé-fectueuse, alors que l’action mue sur base de ce rapport était fortement con-testée sur le plan tant procédural que du fond.

C’est l’existence même de la dette qui est mise en cause par la cour d’appeld’Anvers dans un arrêt du 5 mai 1987 : à défaut de désordres actuels, la dettequi pourrait résulter de la responsabilité décennale qui pèse sur l’entrepre-neur est purement hypothétique et ne peut dès lors donner lieu à compensa-tion avec les montants dus à l’entrepreneur failli.

* Dans un arrêt du 11 avril 1986 (33), la Cour de cassation a rappelé que ladette n’est liquide que « lorsqu’elle peut être aisément et promptement liqui-dée ».

Ainsi, il a été jugé qu’une dette est liquide si sa quotité peut être déterminéeaisément par un calcul simple ne donnant lieu à aucune discussion et que teln’est pas le cas de l’indemnité compensatoire de préavis dans la mesure où laloi du 3 juillet 1978 laisse une marge non négligeable d’appréciation de ladurée du préavis (34).

Le tribunal de première instance de Tournai (35) a refusé la compensationentre la créance de rémunération d’un agent et la créance du commettantenvers ce dernier pour ce qui concernait la restitution des sommes reçues parl’agent des commerçants démarchés. Le motif avancé est le caractère incertainet surtout indéterminé de la créance de l’agent, dès lors qu’il n’existait pas deconvention écrite relative à sa rémunération et que les divergences entre par-ties étaient énormes.

Une telle décision est critiquable dans la mesure où, la détermination du mon-tant de la dette faisant l’objet de contestation, le juge pouvait fixer le montantminimum pour laquelle elle était certaine et partant liquide (36).

Le tribunal d’Ypres (37) a considéré que n’était pas liquide la créance que faitvaloir l’époux à l’égard de son ex-épouse pour avoir, en tant que codébiteur,payé le prêt hypothécaire.

(32) Anvers, 15 janvier 1997, R.D.C., 1997, p. 586 et note.(33) Cass. 11 avril 1986, Pas., 1986, I, 987.(34) Mons, 15 janvier 1986, J.L.M.B., 1987, 825 (sommaires).(35) Civil Tournai, 11 mars 1987, J.L.M.B., 1987, 893 et note de J.F. JEUNEHOMME.(36) Précisément, le commettant avait proposé, dans le cadre de pourparlers, un montant.(37) Civil Ieper, 3 septembre 1993, R.G.D.C., 1994, 153.

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l'extinction des obligations : la compensation

La dette n’est pas davantage liquide lorsque la fixation de son montant dépendd’une expertise (38).

8. Quatrième condition : les dettes doivent être exigibles. — Puisque lacompensation constitue un double paiement abrégé, il faut que les dettes soientexigibles.

Ne peuvent donc entrer en compensation les dettes à terme, sauf lorsqu’ils’agit d’un terme de grâce (39).

Ainsi que l’a mis en évidence la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 septem-bre 1983 (précédé des conclusions de Madame Liekendael, alors avocat géné-ral) (40), tel est aussi le cas de la dette sous condition suspensive.

L’espèce était la suivante : une personne détenait une créance d’un montantde 1 000 000 de francs à l’égard d’une société déclarée en faillite. Par ailleurs,elle était redevable à cette même société d’une somme de 500 000 francs en-suite d’un arrêt rendu postérieurement à la faillite et réformant la condamna-tion du premier juge. Elle avait en effet tenu à faire exécuter la décision dupremier juge assortie du bénéfice de l’exécution provisoire.

Ainsi que le souligne Madame Liekendael (41), il y a lieu de distinguer, en cequi concerne ce paiement indu de 500 000 francs, entre son existence et sonexigibilité : l’obligation de remboursement existait dès le paiement de la sommeen cause, mais sous condition suspensive de réformation du jugement par lacour d’appel ; elle ne devenait exigible qu’après l’accomplissement de la con-dition (soit en l’espèce postérieurement à la faillite).

Dans une espèce ultérieure, la Cour de cassation a .censuré une décision ren-due par le tribunal de première instance de Bruxelles qui avait refusé d’opérerla compensation entre une dette d’arriérés de loyers et d’indemnité de résilia-tion et la dette de restitution de la garantie locative (42). Cette décision dujuge d’appel réformait la décision du premier juge assortie du bénéfice del’exécution provisoire mais maintenait la résiliation ainsi que la condamnationà des montants d’arriérés supérieurs à la garantie locative de sorte que, danscette mesure, la condition était défaillie (43).

En dehors de ce cas particulier du paiement indu résultant d’une décisionexécutoire ensuite réformée, il est admis, en matière de paiement indu, que

(38) Cass. 11 avril 1986, Pas., 1986, I, 987.(39) Article 1292 du Code civil.(40) Cass. 15 septembre 1983, Pas., 1983, I, 42.(41) Conclusions précédant Cass. 15 septembre 1983, Pas., 1983, I, pp. 44 et 45.(42) Cass. 26 novembre 1992, Pas., 1992, I, 1306.(43) Voir note 1 sous Cass. 26 novembre 1992, Pas., 1992, I, 1306.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

l’obligation de répéter naît par le fait même et au moment du paiement. Ainsi,la cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 26 novembre 1985 (44), aprèsavoir rappelé ce principe, admit la compensation avant faillite entre la créancede la société faillie à l’encontre de son assureur du chef d’indemnités et lacréance de ce dernier représentant des indemnités indûment impayées (cequi n’était pas contesté).

(44) Bruxelles, 26 novembre 1985, J.T., 1986, p. 345.

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l'extinction des obligations : la compensation

Section IIChamp d’application de la compensation

9. Exposé introductif. — Lorsque les conditions ci-avant exposées sont réu-nies, la compensation produit effet sauf les exceptions prévues par la loi . C’està l’examen de ces exceptions que nous allons consacrer les développementsci-après.

10. Exceptions prévues par l’article 1293 du Code civil. — L’article 1293du Code civil prévoit trois hypothèses dans lesquelles le mécanisme de la com-pensation est exclu. Il s’agit de :

* la demande en restitution d’une chose dont le propriétaire a été injustementdépouillé;

* la demande en restitution d’un dépôt et du prêt à usage;

* la dette qui a pour cause des aliments déclarés insaisissables.

La jurisprudence a eu l’occasion de mettre en oeuvre, voire de préciser, laportée de ces deux dernières hypothèses.

a) La portée de l’exception relative au prêt à usage a été examinée par ladoctrine et la jurisprudence qui écartent celle-ci et dès lors admettent la com-pensation, lorsque le prêt en cause est un élément d’une convention-cadre quiimpose des obligations à chacune des parties.

Face à une jurisprudence ancienne (45), critiquée par la doctrine (46), le pré-sident du tribunal de commerce de Charleroi, dans une décision du 17 mars1995 (47), se fonde sur une analyse de l’ensemble des relations entre parties,pour conclure que le prêt en cause s’inscrivait en réalité dans le cadre d’uneconvention synallagmatique imposant des obligations réciproques aux par-

(45) Bruxelles, 7 décembre 1977, J.T., 1978, 330.(46) P. VAN OMMESLAGHE, « La sanction de l’inexécution du contrat, in les obligations contractuelles », R.C.J.B.,

1984, p. 219, n° 20; P. COPPENS, « Examen de jurisprudence - faillites et concordats », R.C.J.B., 1979,p.390, n° 63.

(47) Tribunal de commerce de Charleroi, 17 mars 1995, J.L.M.B., 1996, p. 117.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

ties, en dehors de tout souci de libéralité, élément essentiel du prêt à usage(48).

En l’espèce, une société fabriquait, depuis plusieurs années pour le compted’une autre société des flacons et des topettes destinées à devenir des accu-mulateurs à froid et ce sur la base de divers moules à elle remis par laditesociété dans le cadre de l’exécution du contrat.

Cette appréciation doit être approuvée puisque la remise des objets ne consti-tuait que l’une des obligations imposées à l’une des parties en vertu d’un con-trat synallagmatique, et non une convention à part entière à titre gratuit. Forceest de constater, pour le surplus, que les dettes réciproques n’étaient pas fongi-bles.

En ce qui concerne la notion de dépôt, la Cour de cassation, dans un arrêt du16 septembre 1993 (49), s’est déterminée quant à la nature du compte ban-caire à vue.

Le compte a vue n’est pas un dépôt au sens de l’article 1915 du Code civil, desorte que l’exception « ne s’applique pas au contrat de compte à vue ouvertauprès d’une banque ».

En conséquence, elle censure l’arrêt rendu par la cour d’appel qui avait refuséla compensation entre le crédit d’un compte bancaire de dépôt et la créancede dommages-intérêts que la banque pourrait avoir contre son client en raisond’une faute délictuelle ou quasi-délictuelle commise par ce dernier.

b) La compensation est prohibée lorsque la dette a pour cause des alimentsdéclarés insaisissables.

Ce principe a été rappelé, à propos d’une contribution alimentaire au profitd’un enfant, par la cour d’appel de Mons (50).

Nonobstant la formulation du Code civil, il est admis que cette prohibitions’étend à toute créance à laquelle la loi confère le caractère d’insaisissabilité(51).

Ainsi, en matière de rémunération des travailleurs, la loi du 12 avril 1965 (52)définit limitativement cinq catégories de sommes qui peuvent être retenuessur la rémunération.

(48) Selon l’article 1876 du Code civil, “ce prêt est essentiellement gratuit”.(49) Cass. 16 septembre 1993, Pas., 1993, 698, J.L.M.B., 1993, 1478.(50) Mons, 21 juin 1988, Pas., 1988, II, p. 239; voir également P. COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurispru-

dence - Les faillites, les concordats et les privilèges », R.C.J.B., 1991, p. 500, n° 97.(51) P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence - Les obligations », R.C.J.B., 1988, p. 137, n° 225.(52) Article 23 de la loi du 12 avril 1965 relative à la protection de la rémunération

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l'extinction des obligations : la compensation

En conséquence, le contrat de travail ou le règlement de travail ne peuventprévoir la compensation sur la rémunération d’autres sommes que celles yindiquées (53).

Dans une décision du 27 mars 1991, le tribunal du travail de Bruxelles (54)rappelle qu’en cas de compensation invoquée entre une créance de pécule devacances et une créance résultant de l’intervention du débiteur des péculesdans la charge d’intérêts d’un prêt hypothécaire, il n’y a pas lieu d’appliquerl’article 23 de la loi du 12 avril 1965 (eu égard à l’article 2 de ladite loi qui neconsidère pas comme rémunération le pécule de vacances), mais l’article 1410§ 1er, 6° du Code judiciaire qui rend applicable au pécule payé en vertu de lalégislation relative aux vacances annuelles, les limitations à la saisissabilité dessommes payées en exécution d’un contrat de travail fixées par l’article 1409.La compensation est donc possible à concurrence des montants ainsi fixés àl’article 1409 (55).

11. Exception en matière de cession de créance. — En cas de cession decréance, le débiteur cédé est-il admis à invoquer, à l’égard du cessionnaire,l’exception de compensation en raison d’une créance qu’il détient sur le cé-dant

La réponse à cette question a été modifiée par la loi du 6 juillet 1994 (56).

* Selon l’article 1295 ancien du Code civil, le débiteur cédé pouvait invo-quer la compensation légale pour autant que toutes les conditions en soientréunies antérieurement à la signification de la cession de créance. Toutefois,l’acceptation par le débiteur cédé de la cession le privait du bénéfice de l’ex-ception de compensation légale, même si les conditions de celle-ci se trou-vaient réunies avant ladite acceptation (57).

* Aux termes de longues discussions parlementaires (58), le législateur enest revenu, à propos de l’exception de compensation, au régime de droit com-mun de l’opposabilité des exceptions en cas de cession : pour autant que les

(53) V. VANNES, Le contrat de travail : aspects théoriques et pratiques, Bruylant 1996, p. 372; voir également,Contrats de travail, n° 166 du 14 octobre 1998, Ced. Samson, p. 12 et s.

(54) Tribunal du travail de Bruxelles, 27 mars 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1326(55) Voir également Anvers, 27 mars 1997, J.T.T., 1998, p. 10.(56) ayant pour objet de modifier la loi du 17 juin 1991 portant organisation du secteur public du crédit et

de la détention des participations du secteur public dans certaines sociétés financières de droit privéainsi que la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit.

(57) P. WÉRY, « Le nouveau régime de l’opposabilité de la cession de créance, in l’opposabilité de la cessionde créance aux tiers », La Charte 1995, p. 67, n° 98; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence - lesobligations », R.C.J.B., 1975, p. 661 et s., n° 93 bis.

(58) Pour un exposé détaillé de ce “cheminement laborieux”, voir P. WÉRY, « Le nouveau régime de l’oppo-sabilité de la cession de créance », op. cit., p. 69 et s., n° 101.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

conditions de la compensation soient réunies avant que la cession ne lui soitrendue opposable que ce soit par notification ou par reconnaissance (59), ledébiteur cédé peut toujours invoquer la compensation et ce, même après quela cession lui soit opposable (60).

En revanche, si les conditions de la compensation sont réunies postérieurementà l’opposabilité de la cession, le débiteur cédé ne peut faire valoir l’exceptionde compensation.

Ainsi que le met en évidence Monsieur le Professeur Van Ommeslaghe (61),dans ce dernier cas, aucune dérogation, telle qu’elle existe en matière d’excep-tion d’inexécution, pour les dettes réciproques issues de contrats synallagma-tiques ou entre lesquelles existerait une étroite connexité ne paraît pouvoirêtre retenue.

À ce nouveau régime, nous devons relever des exceptions prévues par des loisparticulières. Tel est le cas en matière de crédit à la consommation. L’article 27de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation prévoit en effetqu’en cas de cession de la créance résultant du contrat de crédit, « le consom-mateur conserve à l’égard du cessionnaire (...) les moyens de défense, en cecompris le recours à la compensation, qu’il peut opposer au prêteur ini-tial ». Dans ce cas particulier, il n’y a pas lieu de distinguer « suivant que lesexceptions sont nées antérieurement ou postérieurement à l’opposabilitéde la cession » (62). Cette disposition est impérative, sinon d’ordre public (63).

12. Exception en matière d’impôts, de taxes et de cotisations de sé-curité sociale dus à l’Etat ou aux Pouvoirs publics. — Sans entrer, austade du présent exposé, dans les controverses quant à l’étendue de l’in-

(59) Sur ces notions, P. WÉRY, « Le nouveau régime de l’opposabilité de la cession de créance », op. cit., p. 25et s.

(60) Sous réserve qu’il y ait renoncé, voir P. WÉRY, « Le nouveau régime de l’opposabilité de la cession decréance », op. cit., p. 72, n° 102, note 1.

(61) P. VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances », J.T., 1995,p. 535, n° 16.

(62) P. VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances », J.T., 1995,p. 539, n° 31. Voir également M. DAMBRE, « Contract vele verhoudingen en driepartijen-verhouding », inLa nouvelle loi sur le crédit à la consommation, pp. 96-97, n° 43.

(63) Ch. BIQUET-MATHIEU, « Commentaire sommaire de la loi relative au crédit à la consommation », Actualitésdu droit, 1993, p. 96, n° 73.

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terdiction de compensation à l’égard de l’Etat (64) (65), nous nous borneronsà mentionner la nouvelle loi du 1er août 1985 (66) laquelle permet la suspen-sion de l’exigibilité des créances de l’Etat au titre de l’impôt sur les revenus etde la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des créances de l’O.N.S.S. et del’I.N.A.S.T.I., lorsque le débiteur possède une créance certaine, exigible et li-bre de tout engagement à l’égard des tiers dont lui sont redevables, en raisonde travaux, de fournitures ou de services, l’Etat ou des organismes d’intérêtpublic .

13. Exceptions tenant aux droits acquis des tiers (article 1298 du Codecivil). —

13.1. Selon l’article 1298 du Code civil, la compensation ne peut nuire auxdroits acquis des tiers. Cette règle trouve application chaque fois qu’il y a unesituation de concours pour l’une des parties à l’opération de compensation.

En effet, si la compensation pouvait néanmoins produire effet dans cette hypo-thèse, le créancier payé par la compensation bénéficierait, en dehors de touttexte, d’un privilège, ce qui romprait la règle d’égalité entre créanciers.

La naissance d’un concours constitue dès lors un moment charnière important.

Quand existe-t-il un concours ?

(64) Voir P. VAN OMMESLAGHE, note de cours, Droit des obligations, tome III, p. 1072 et 1081, lequel distingueentre les créances de droit privé, lesquelles peuvent entrer en compensation lorsque la créance et ladette concernent un même département ministériel, et les créances relatives aux impôts, taxes etcotisations de sécurité sociale pour lesquelles la compensation est traditionnellement exclue dans lechef du particulier; voir également M-A. FLAMME, Droit administratif, tome I, Bruylant 1989, n° 12 : “Lacompensation à l’égard de l’État n’est traditionnellement pas plus admise que les voies d’exécutionforcée. Cette règle, dit-on, vaut non seulement en matière fiscale, ou lorsque les créances et les dettesd’un même particulier concernent divers départements ministériels, mais également lorsqu’un seul etmême département est en cause”.

(65) En matière d’impôts directs, l’article 166 § 1er de l’arrêté royal d’exécution du Code d’impôts sur lesrevenus 1992 prévoit que le régime de la compensation tel qu’il est organisé par le Code civil n’est pasapplicable à la matière des impôts directs. La légalité de cette disposition est contestée (voir Civ.Bruxelles, 26 janvier 1995, J.T., 1995, p. 369). Pour le surplus, le receveur est autorisé à “affecter, sansformalité, à l’apurement des précomptes impôts et taxes y assimilés, en principal, additionnel et ac-croissement, et des intérêts et frais dus par un redevable, toute somme à lui restituer ou à lui payer dansle cadre de l’application des dispositions légales en matière d’impôts sur les revenus et de taxes yassimilées ainsi que toute somme à lui restituer ou payer en vertu des règles de droit civil, relatives à larépétition de l’indu”. En ce qui concerne les controverses relatives à l’ancienne formulation, voir P.COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites, les concordats et les privilèges », R.C.J.B.,1991, p. 508, n° 102.

(66) Loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres, chapitre II, protection des personnescréancières et débitrices de certains pouvoirs publics et organismes d’intérêt public, articles 87 à 90, M.B., 6 août 1985 - arrêté royal du 11 octobre 1985 portant exécution du chapitre VI de la loi du 1er août1985 portant des mesures fiscales et autres, relatif à la protection des personnes créancières et débi-trices de certains pouvoirs publics et organismes d’intérêt public, M.B., 31 octobre 1985. Pour uncommentaire, voir Guide fiscal permanent, titre VII, recouvrement, section V, le paiement de l’impôt,n° 350 et s.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

La définition de cette notion pourtant essentielle est l’objet de controverses.

* Selon une doctrine majoritaire, le concours naît de « la rencontre due àl’initiative des créanciers ou à la volonté du législateur, de prétentions con-tradictoires des créanciers sur un ou plusieurs biens du débiteur dont celui-ci a perdu la libre disposition. L’insolvabilité du débiteur n’est pas détermi-nante ; par contre, la perte de la libre disposition du bien est caractéristiquedu concours » (67)

* Dans une seconde conception, le concours se définit « comme une situa-tion dans laquelle les droits de recours accessoires des créanciers acquiè-rent la vertu de s’opposer soit entre eux, soit à d’autres droits susceptibles deleur préjudicier » (68). Cela supposerait à la fois la réalisation d’un événementcristallisant les droits de recours des créanciers ainsi que l’insuffisance de bienspour satisfaire l’ensemble de ces derniers.

Parmi les événements susceptibles de produire ce résultat, ces auteurs relè-vent tout d’abord l’initiative des créanciers, saisissant des éléments détermi-nés du patrimoine de leur débiteur, l’intervention spécifique de la loi qui en-traîne cristallisation du droit de gage général des créanciers sur une masse debiens désormais stabilisée, telle que la faillite, et enfin le concours de pleindroit. Dans ce dernier cas, l’intervention de la loi n’est plus nécessaire « si ledébiteur ou les biens délaissés par lui se trouvaient déjà sous un statut telque les conditions indispensables à la cristallisation du droit de gage géné-ral des créanciers qui est à l’origine du concours fussent déjà réunies. Enpareil cas, le concours pourrait se produire « de plein droit », si, par ailleurs,l’insuffisance des biens mettait obstacle au règlement intégral des créan-ciers » (69). Tel serait le cas de la société en liquidation lorsque le passif dé-passe l’actif.

L’identification des hypothèques de concours a-t-elle fait l’objet de précisions,voire d’évolution récemment ?

Une réponse affirmative nous paraît devoir être avancée eu égard à l’adoptionde nouvelles lois dans des domaines divers.

(67) I. VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 397, n° 683; J. VINCENT, « Les privilèges ethypothèques », J.T., 1968, P. 757, n° 77. Voir également A. ZENNER, Dépistage, faillite et concordat,Larcier 1998, p. 66, n° 46-47; G. de LEVAL, Traité des saisies, Faculté de droit de Liège, 1988, p. 229 et s..;J. LINSMEAU, Le concours, les saisies multiples et leurs solutions, in les voies conservatoires et d’exécution-bilan et perspectives, Editions du jeune barreau 1982, p. 287 et s.; M. GRÉGOIRE, « Le concours et l’égalitédes créanciers », in Le droit des sûretés, Editions du jeune barreau, 1992, p. 7 et s..

(68) J. RENAULD et P. COPPENS, « La notion de concours entre créanciers, son application au régime des sociétésdissoutes et des successions acceptées sous bénéfice d’inventaire », note sous Cass. 31 janv. 1964,R.C.J.B., 1965, p. 105-106; voir également F. T’KINT, « Le concours des créanciers d’une société enliquidation », R.P.S., 1977, n° 5946, Sûretés, Larcier 1997, n° 84 et s.

(69) J. RENAULD et P. COPPENS, « La notion de concours entre créanciers, son application au régime des sociétésdissoutes et des successions acceptées sous bénéfice d’inventaire », R.C.J.B., 1965.

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l'extinction des obligations : la compensation

a) Une remise en question significative nous paraît tout d’abord être appor-tée par la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire

Sur base d’une interprétation combinée des articles 5 et 11 des anciennes loiscoordonnées sur le concordat judiciaire, jurisprudence (70) et doctrine (71)en avaient conclu que le concours naît dès le dépôt de la requête en concor-dat.

Pour rappel, l’article 5 prévoyait que le dépôt de la requête emportait de pleindroit sursis provisoire au profit du débiteur à tous actes ultérieurs d’exécu-tion, tandis que, en vertu de l’article 11, le débiteur ne pouvait, pendant laprocédure suivie pour l’obtention du concordat, aliéner, hypothéquer ou s’en-gager, sans l’autorisation du juge-délégué.

La loi nouvelle ne reprend plus cette impossibilité pour le débiteur de conti-nuer à gérer seul son patrimoine et n’attribue au dépôt de la requête qu’uneffet de moratoire limité tenant à l’interdiction de réalisation des biens meu-bles ou immeubles du débiteur suite à l’exercice d’une voie d’exécution (72).

Le créancier peut encore se faire délivrer des sûretés ou pratiquer des saisies(73).

Ce n’est qu’au jugement accordant le sursis provisoire que se trouve attachéun moratoire complet (interdiction des voies d’exécution et paralysie de l’ac-tion en revendication - interdiction des saisies (74)). En revanche, le débiteurn’est toujours pas, en principe, dessaisi de la gestion de l’entreprise (75). Letribunal peut décider que le débiteur ne peut accomplir des actes d’adminis-tration ou de disposition sans l’autorisation du commissaire au sursis (76),mais il s’agit là d’une simple faculté.

Soulignons par ailleurs que la définition même de la situation de concordat setrouve modifiée puisque, aux termes de la loi nouvelle, (77) le concordat peutêtre accordé au « débiteur s’il ne peut temporairement acquitter ses dettesou si la continuité de son entreprise est menacée par des difficultés pouvantconduire, à plus ou moins bref délai, à une cessation de paiement ».

(70) Cass. 27 mars 1952, Pas., 1952, I, p. 475 et conclusion de Mr le Procureur général HAYOIT de TERMICOURT.(71) P. COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurisprudence - les faillites et les concordats », R.C.J.B., 1984, p. 590,

n° 542; J. VINCENT, « Les privilèges et hypothèques », J. T., 1968, p. 757; FREDERICQ, Traité de droit com-mercial, tome VIII, n° 752.

(72) Article 13, alinéa 2 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire.(73) I. VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 77, n° 108.(74) Pour un exposé complet, I. VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 81 et s.(75) I. VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 57, n° 70.(76) Article 15 § 1er, 3ème alinéa de la loi du 17 juillet 1997 sur le concordat judiciaire.(77) Article 9 de la loi du 17 juillet 1997 sur le concordat judiciaire.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

Puisque le dépôt de la requête en concordat ne paralyse qu’incomplètementles poursuites individuelles, certains commentateurs de la loi nouvelle en con-cluent que le dépôt de la requête ne crée pas le concours : celui-ci ne naît quedu jugement octroyant le sursis provisoire (78).

Nous approuvons cette prise de position.

b) Parallèlement à la réforme de la faillite et du concordat, le législateur acherché à trouver remède à la situation du surendettement des personnesn’ayant pas la qualité de commerçant. Tel est l’objet de la loi du 5 juillet 1998relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à grédes biens immeubles saisis (79).

Cette loi s’applique à toute personne physique qui n’est pas en état, de ma-nière durable, de payer ses dettes exigibles ou à échoir, pour autant que celle-ci n’ait pas manifestement organisé son insolvabilité. Elle permet, par l’inter-médiaire d’un médiateur de dettes, la négociation d’un plan amiable avec lescréanciers et même, en cas de désaccord de ceux-ci, l’imposition par le juged’un règlement judiciaire.

De façon précise, la loi stipule que « .... la décision d’admissibilité fait naîtreune situation de concours entre les créanciers et a pour conséquence lasuspension du cours des intérêts et l’indisponibilité du patrimoine du re-quérant» (80).

La naissance du concours est même reportée au lendemain de l’établissementde l’avis de règlement collectif de dettes (81).

(78) P. CAVENAILE et P. RAMQUET, Le nouveau régime légal des faillites et concordats - premier commentaire,édition du Jeune Barreau de Liège, 1997, p. 65; M. TISON, « Depistage en gerechtelijk akkoord na de wetvan 17 juli 1997 », R.W., 1997-98, p. 421-422, n° 91; voir également, de façon implicite, A. ZENNER,Dépistage, faillites et concordats, Larcier 1998, p. 977, n° 1373 et s. : “Les droits des créanciers concor-dataires ordinaires sont, sous réserve du droit aux intérêts et charges des créances en cours, fixés aumoment du jugement d’ouverture de la procédure concordataire”.Tel semble d’ailleurs être le choix opéré par le Ministre en attribuant à la requête en concordat un effetmoratoire limité : il convient d’éviter “d’exposer les tierces parties à d’éventuelles nullités entre lemoment de la demande et l’octroi de la procédure de sursis” (Doc. parl., 631/13, p. 161 et 162). Bienplus, dans un commentaire, Monsieur Philippe HAMER (« Les nouvelles lois et leurs objectifs », in Lafaillite et le concordat en droit positif belge après la réforme de 1997, C.D.V.A., p. 38), expert auprès duMinistre de la Justice, a déclaré que : “la vocation résolument préventive du nouveau concordat aboutità cette conclusion logique que n’étant plus une procédure de liquidation collective, il ne réalise pasdavantage un concours et le principe absolu de l’égalité des créanciers doit céder le pas à des considé-rations plus pragmatiques”.

(79) M.B., 31 juillet 1998. Pour un commentaire de cette loi, voir G. de LEVAL, La loi du 5 juillet 1998 relativeau règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis,Collection scientifique de la Faculté de Droit de Liège, 1998.

(80) Article 1675/7 de la loi du 5 juillet 1998.(81) Article 1675/7 § 6 de la loi du 5 juillet 1998 : “Les effets de la décision d’admissibilité prennent cours le

premier jour qui suit l’établissement de l’avis de règlement collectif de dettes visé à l’article 1390quinquies”.

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l'extinction des obligations : la compensation

13.2. L’exception prévue par l’article 1298 du Code civil ne joue que pourautant que les conditions de la compensation légale ne se soient pas trouvéesréunies avant le jour du concours. Encore faut-il que la réunion de ces condi-tions ne résulte pas d’un artifice en vue d’échapper à la loi du concours.

Telle a été l’appréciation retenue par la cour d’appel de Bruxelles, dans unarrêt du 25 mai 1987 (82) : avant la déclaration de faillite, une société débitricede montants pour la livraison de diverses marchandises avait vendu à son créan-cier divers éléments d’actifs, à savoir du matériel d’exploitation, du mobilier etdifférentes matières premières. La cour a retenu la proximité de la date de ladéclaration de faillite, la quasi équivalence des montants ainsi que la connais-sance qu’avait le créancier de la situation de son débiteur pour conclure aucaractère fictif de cette compensation (83).

14. Exception à l’exception : connexité entre les dettes réciproques. —Nonobstant l’existence d’une situation de concours, la compensation demeurepossible lorsqu’il existe entre les deux dettes réciproques une étroite con-nexité, celle-ci étant comprise comme une donnée objective (84). L’apprécia-tion de cette connexité relève du pouvoir souverain du juge du fond (85).

Cette exception s’applique soit que les deux dettes étaient antérieures au con-cours mais que les conditions de la compensation n’ont été réalisées que pos-térieurement, soit que l’une des dettes est postérieure au concours.

Nous examinerons plus en détail dans la section suivante les hypothèses danslesquelles la jurisprudence a reconnu la compensation nonobstant l’existenced’un concours.

(82) Bruxelles, 25 mai 1987, J.L.M.B., 1987, p. 1265(83) Pour d’autres cas d’application, voir P. COPPENS et F. t’KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites, les

concordats et les privilèges », R.C.J.B., 1991, p. 503, n° 99(84) Cass. 7 décembre 1961, Pas., 1961, I, p. 440; M. VAN QUICKENBORNE, « Réflexions sur la connexité objec-

tive justifiant la compensation après faillite », note sous Cass. 25 mai 1989, R.C.J.B., 1992, p. 354 et s.(85) Cass. 2 septembre 1982, Pas., 1983, I, p. 3.

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l'extinction des obligations : la compensation

Section IIIExamen des hypothèses

de compensation après concours

15. Connexité et contrat synallagmatique. — Le domaine privilégié de laconnexité objective est celui des contrats synallagmatiques puisque « la réci-procité des obligations (...) est de la nature même de ces contrats (...) elle estimposée par la conception même que les parties se sont faites de leurs rap-ports » (86).

Le contrat d’entreprise offre à cet égard de nombreuses illustrations.

Ainsi, l’interdépendance a été retenue par la cour d’appel de Liège, dans unarrêt du 30 mai 1991 (87) entre les montants restant dus par le maître del’ouvrage du chef des travaux réalisés et l’indemnité de rupture dont il étaitcréancier à la suite du défaut de son cocontractant.

De même, la cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 9 octobre 1987 (88) aadmis la connexité entre la dette du Fonds des Routes à l’égard de la sociétéfaillie pour les travaux réalisés et la créance de ce Fonds résultant du fait que,en raison de la carence de la société faillie, il avait pris des mesures d’office etfait achever les travaux par un tiers. La cour a pour le surplus rejeté l’argumentselon lequel la créance du Fonds n’était pas liquide avant le concours puis-qu’au regard de l’exception de connexité, il est indifférent que les conditionsde la compensation ne soient réunies qu’après le concours.

La connexité entre le solde du prix dû par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneuret la créance de dommages et intérêts du maître de l’ouvrage résultant demanquements imputables à l’entrepreneur est classique.

16. Connexité et contrats distincts. — Malgré la pluralité de contrats, laconnexité peut encore être retenue lorsque ces contrats participent d’un ac-cord d’ensemble, d’une opération économique globale (89).

(86) DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, tome II, n° 836.(87) Liège, 30 mai 1991, Pas., 1991, II, p. 170.(88) Bruxelles, 9 octobre 1987, R.D.C., 1988,p. 470.(89) P. COPPENS et F. T'KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites, les concordats et les privilèges »,

R.C.J.B., 1991, p. 516, n° 109.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

— Dans la matière des contrats d’entreprise, la jurisprudence semble recon-naître assez facilement pareil lien de dépendance entre les contrats :

* Cette appréciation ne suscite pas d’observation lorsque la réalisation detravaux sur divers chantiers a été confiée selon un accord-cadre déterminantle prix et les conditions des marchés particuliers (90).

* A propos de trois contrats distincts portant sur la construction de pontsroutiers, la cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 30 janvier 1985 (91) pritsoin de relever, in concreto, les éléments qui établissaient le caractère uniquede cette opération : les divers chantiers furent entrepris en même temps etdonnèrent lieu à des comptes et à une correspondance qui, souvent, portaientsur l’ensemble des travaux.

* Plus critiquable est la décision rendue le 16 février 1993 par le tribunal decommerce de Charleroi (92) ; celui-ci admet la compensation entre le montanttotal des sommes dues par l’entrepreneur principal à son sous-traitant pour laréalisation de travaux de toiture sur cinq chantiers, et le montant total desdommages et intérêts pour malfaçons sur trois de ces chantiers, sans releverles éléments qui établissaient un rapport de dépendance entre ces différentschantiers.

— Le tribunal de commerce de Charleroi, dans une décision du 8 septembre1993 (93) n’a pas hésité à reconnaître l’existence d’une interdépendance en-tre le contrat de location d’un « business seat » souscrit par une société auprèsd’une association de football et l’exécution par cette même société de travauxde pose de plaques en vue du placement de panneaux publicitaires sur lestade de cette association.

Le tribunal de commerce commence par relever que l’on ne peut considérerque les deux contrats ne seraient que les deux faces d’une opération commer-ciale unique concourant à la réalisation d’une même finalité contractuelle, cesdeux conventions visant un objectif propre.

Toutefois, le tribunal poursuit en soulignant que chaque partie a contractéavec l’autre dans le but de bénéficier de la contrepartie qui devait résulterpour chacun de l’avantage concédé à l’autre. Enfin, le tribunal considère queles parties ont, par leur attitude (non réclamation de part et d’autre des mon-tants dus) établi une connexité entre leurs opérations commerciales sur labase d’une clause tacite d’indivisibilité.

(90) Trib. com. Liège, 21 mars 1990, J.L.M.B., 1990, p. 827.(91) Liège, 30 janvier 1985, J.L.M.B., 1985, p. 277.(92) Trib. com. Charleroi, 16 février 1993, J.L.M.B., 1995, p. 147 et note critique de J. CAEYMAEX.(93) Trib. com. Charleroi, 16 février 1993, J.L.M.B., 1995, p. 147 et note critique de J. CAEYMAEX.

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l'extinction des obligations : la compensation

Tout comme l’annotateur de cette décision, nous ne pouvons considérer queces circonstances étaient de nature à fonder la connexité.

— Plus rigoureuse est l’appréciation de la cour d’appel de Bruxelles, dans unarrêt du 30 avril 1987 (94) : il y a opérations juridiques distinctes entre lesprélèvements effectués par la gérante et la dette de la société à l’égard de labanque, même si celle-ci trouve en fait son origine dans un crédit de caisseque la gérante et son époux ont contracté personnellement auprès de la ban-que et dont elle a ensuite fait l’avance à la société. Si la volonté de la géranteavait été de faire entrer ces opérations dans un compte indivisible entre elle-même et la société, le montant du crédit accordé par la banque à la géranteaurait été porté au compte courant de celle-ci.

— Dans un intéressant arrêt du 6 juin 1994 (95), la Cour de cassation s’estprononcée au regard de la corrélation qui pouvait exister entre la dette dumaître de l’ouvrage relative à la réalisation de travaux et la créance de celui-cipour avoir dû verser à l’O.N.S.S. les montants de cotisations dus par son entre-preneur.

L’article 30 bis § 1er de la loi du 27 juin 1969 relative à la sécurité sociale destravailleurs rend en effet le maître de l’ouvrage qui a fait appel à un entrepre-neur non enregistré, solidairement responsable du paiement des cotisations,majorations et intérêts dus par cet entrepreneur à l’O.N.S.S., à concurrence de50 % du prix des travaux hors T.V.A.

L’arrêt attaqué avait considéré que la créance du maître de l’ouvrage trouvaitsa cause dans le contrat de sous-traitance, de sorte qu’il existait un lien deconnexité étroit entre cette créance et la dette résultant de l’exécution destravaux.

La Cour de cassation écarte cette appréciation et estime tout au contraire queles droits de l’O.N.S.S. auxquels le maître de l’ouvrage est subrogé par le verse-ment des cotisations qu’il a opéré, résultent de la relation de travail qui a existéentre la société faillie, employeur assujetti à la sécurité sociale et les travailleursqu’elle a occupés. Les droits sont « étrangers au contrat de sous-traitanceconclu » entre la société faillie et le maître de l’ouvrage. En conséquence, ellecasse l’arrêt attaqué.

De façon moins nette, la cour d’appel de Mons, dans un arrêt du 6 avril 1994(96) avait refusé la compensation, dans un cas identique, au motif que les coti-sations n’avaient pas nécessairement de rapport avec les travaux accomplispour compte du maître de l’ouvrage.

(94) Bruxelles, 30 avril 1987, R.D.C., 1989, p. 160.(95) Cass, 6 juin 1994, J.L.M.B., 1995, p. 248.(96) Mons, 6 avril 1994, R.D.C., 1995, p. 585.

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17. Connexité et dettes de nature distincte. — La connexité pouvait-elleêtre admise, sur le plan des principes, entre une créance de nature délictuelleet une dette de nature contractuelle ?

À cette question, la Cour de cassation, dans un important arrêt du 25 mai 1989(97) a répondu par l’affirmative : dès lors qu’il existe en fait un lien de con-nexité étroit entre la créance et la dette, il importe peu que celles-ci soient denature différente.

Les faits qui ont donné lieu à cet arrêt sont les suivants : l’administrateur-délé-gué de la S.A. PUBLIATOUR se livrait au mécanisme dit du « carrousel » : ilremettait à plusieurs organismes financiers un grand nombre de virementspostaux non provisionnés, acceptés par ces organismes sauf bonne fin. Le cré-dit ainsi obtenu permettait de provisionner le compte-chèques postal de so-ciété et d’honorer les virements émis les jours précédents. Cette pratique futpoursuivie grâce à la collaboration de membres du personnel de l’Office desChèques Postaux. À la faillite de la société, l’Office s’est retrouvé débiteur àl’égard de la société faillie en raison de la responsabilité pour faute de sespréposés (98) et créancier du chef des crédits. La corrélation entre ces dettesfut admise par la cour d’appel de Bruxelles (99).

18. L’associé d’une société. — À plusieurs reprises, la jurisprudence a eu àse prononcer sur la situation suivante : l’associé d’une société est débiteur àl’égard de la société pour ne pas avoir libéré entièrement le capital souscrit ouau contraire créancier à concurrence du remboursement de ses parts en casde retrait ou encore débiteur ou créditeur en vertu d’un « compte courant » ausein de ladite société. Par ailleurs, la société détient une créance ou une detteen vertu d’une opération distincte (livraison de biens, location, ...). Le lienpouvant exister entre l’associé et la société est apprécié de façon diverse :

a) Dans un jugement du 10 novembre 1986 (100), le tribunal de commercede Mons considère que le lien de connexité « fait totalement défaut » entre ladette de libération dont restait redevable un associé à l’égard d’une sociétécoopérative déclarée en faillite et la créance qu’il détenait à l’encontre decette dernière pour livraisons impayées. Selon le tribunal, ces créances résul-tent de deux opérations juridiques ne présentant pas le moindre rapport entreelles.

(97) Cass. 25 mai 1989, Pas., 1989, I, p. 1015; R.C.J.B., 1992, p. 348 et s. et note critique de M. VAN QUICKENBORNE,« Réflexions sur la connexité objective justifiant la compensation après faillite ».

(98) Article 1384, alinéa 3 du Code civil.(99) Bruxelles, 11 septembre 1987 et 21 juin 1988, R.D., 1989, p. 31 et s. et note de D. DEVOS.(100) Tribunal de Commerce de Mons, 10 novembre 1986, R.P.S., 1987, n° 6425, p. 81.

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l'extinction des obligations : la compensation

Messieurs les Professeurs P. Coppens et F. T’Kint relèvent toutefois que pourjustifier sa participation, ce fournisseur avait fait valoir qu’il avait voulu conso-lider la solvabilité de la société (101). Sur le plan des principes, nous devonsrelever que la question même de savoir si la libération de parts souscrites ennuméraire peut se réaliser par compensation est controversée eu égard auxrègles spécifiques du droit des sociétés qui régissent les apports (102).

b) L’appréciation retenue par le tribunal de commerce de Liège, dans un juge-ment du 16 janvier 1990 (103) est rigoureuse. En l’espèce, un coopérateurdéclaré en faillite faisait l’objet d’une exclusion de la société coopérative, parapplication des dispositions statutaires et était donc créancier à l’égard decelle-ci pour le remboursement de sa part. Il lui était par ailleurs redevable demontants en raison de la location d’emplacements.

La compensation fut refusée. Le tribunal n’a pris en considération ni le fait queles emplacements n’étaient concédés qu’à des coopérateurs, ni que l’exclu-sion et la résiliation de la concession avaient été concomitantes.

En revanche, dans un arrêt du 22 février 1996 (104), la cour d’appel de Liège aadmis la compensation dans le cas suivant : une société avait pour but et raisond’être l’achat de marchandises pour les besoins de ses membres auxquels ellelivrait, la participation à cette centrale d’achats supposant la souscription et lalibération d’un capital de 250 000 francs. L’un de ses membres ayant été dé-claré en faillite, celui-ci avait statutairement droit au remboursement de sa parttandis qu’il restait redevable à la société de montants facturés.

Selon la cour d’appel, la connexité dérive en l’espèce « des statuts qui ontpermis à la société faillie de participer, en échange d’une mise de fondsrécupérable selon certaines modalités, à un système de fournitures factu-rées au prix avantageux que seule une centrale est en mesure d’obtenir ».

19. Courtier d’assurance. — La jurisprudence a été confrontée, en matièrede courtage d’assurances, à une situation à laquelle elle a apporté des solu-tions en sens divers.

Le courtier d’assurances met en relation une clientèle avec des compagniesd’assurances en vue de leur permettre de conclure un contrat auquel il n’est

(101) P. COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites, les concordats et les privilèges »,R.C.J.B., 1991, p. 511, n° 105; voir également, pour une hypothèse de refus, Gand 25 septembre 1991,R.W., 1991-92, p. 614; R.P.S., 1992, p. 107 et note de F. T’KINT.

(102) Voir P. HAINAUT-HAMENDE, G. RAUCQ et A. BENOÎT-MOURY, Rép. not., tome I, « La constitution de la société »,n° 101.

(103) Trib. commerce de Liège, 16 janvier 1990, J.L.M.B., 1990, p. 1502.(104) Liège, 22 février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 873.

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pas partie (105). Il perçoit en contrepartie une commission calculée en unpourcentage de chaque prime payée par l’assuré.

Fréquemment, ce courtier a mandat de la compagnie d’assurances d’encaisserle montant des primes échues à charge de les lui rétrocéder.

Au moment de la faillite du courtier, celui-ci est redevable du montant desprimes encaissées mais non encore retransférées tandis qu’il est créancier demontants dus à titre de commission.

La coexistence du contrat de courtage et du mandat d’encaissement s’insère-t-elle dans un accord d’ensemble justifiant la compensation après faillite ?

La jurisprudence est partagée :

* Dans un arrêt du 8 mai 1985 (106), la cour d’appel de Liège refuse la com-pensation au motif que les relations entre parties ne constituent pas une con-vention portant sur un « compte courant » indivisible et que l’acceptation parles assureurs de chaque police fait naître dans le patrimoine du courtier « undroit à la commission distinct de ceux provenant d’autres contrats du genreet qui n’était point stipulé, dépendant de l’exécution correcte, par l’intermé-diaire, de son obligation de restituer aux assureurs le montant des primespar lui perçues » (107).

Cette conception restrictive est à juste titre critiquée par la doctrine (108).

* En sens contraire, dans un arrêt du 17 mai 1984 (109), la cour d’appeld’Anvers admit que la compagnie d’assurances puisse exercer un droit de ré-tention sur les commissions dues après la faillite, pour compenser sa proprecréance.

20. Compte courant, unicité et fusion de comptes. — Les parties peu-vent-elles conventionnellement créer entre des créances et dettes résultantd’opérations différentes une connexité purement contractuelle qui autoriseraitune compensation en cas de concours opposable aux tiers ?

Cette délicate question suscite des controverses tant en doctrine qu’en juris-prudence :

(105) H. COUSY, « Les intermédiaires d’assurances, in les intermédiaires commerciaux », Editions du JeuneBarreau 1990, p. 205 et s.

(106) Liège, 8 mai 1985, J.L., 1985, p. 418.(107) Voir également trib. commerce d’Ypres, 14 décembre 1992, R.D.C., 1994, p. 364 et note de Ph. COLLE.(108) P. COPPENS et F. T’KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites, les concordats et les privilèges »,

R.C.J.B., 1991, p. 513, n° 106; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence - Les obligations », R.C.J.B.,1988, p. 135, n° 223.

(109) Anvers, 17 mai 1984, Bull. ass., 1985, p. 471.

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l'extinction des obligations : la compensation

a) Selon la définition classique de Messieurs Van Ryn et Heenen, « le comptecourant est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennentque les créances et les dettes réciproques naissant de leurs opérations entre-ront dans un compte, afin d’en faire masse et d’en suspendre la liquidationjusqu’à la clôture du compte. La compensation générale effectuée à ce mo-ment fera apparaître une créance exigible à charge de l’une des parties etau profit de l’autre » (110).

Bien que la doctrine reste divisée quant au fondement et aux caractères pro-pres du compte courant (111), elle s’accorde à considérer que celui-ci est op-posable aux tiers en cas de concours (112), de sorte que, en cas de faillite,seul le solde du compte courant est exigible après que se soit opérée unecompensation générale entre les articles du compte (113).

La doctrine souligne parallèlement la spécificité du compte courant dont lemécanisme ne peut se réduire aux règles de la compensation (114).

Il n’entre pas dans le cadre de notre exposé de présenter un examen de lajurisprudence relative au compte courant. Nous soulignerons simplement quetrès souvent, les comptes d’associés, habituellement dénommés « comptescourants » ne constituent pas des comptes courants au sens juridique du terme(115).

b) Les débats de la jurisprudence et de la doctrine portent sur la pratiquebancaire des clauses d’unicité ou de fusion de comptes.

Avant d’examiner ceux-ci, encore convient-il de s’accorder sur une définitionde ces clauses, dès lors qu’une même expression peut, selon les auteurs, recou-vrir des réalités différentes.

(110) J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial, tome IV, 1988, n° 480.(111) Pour un exposé de la théorie dite classique, voir J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial,

tome IV, 1988, p. 352 et s., n° 480 et s.; pour la théorie dite des compensations continues, voir J.M.NELISSEN-GRADE, De rekening-courant, 1976; pour la théorie dite des compensations successives, voir R.PIRET, Le compte courant, 1931.

(112) F. T’KINT, Les sûretés, Larcier 1997, n° 169-170.(113) Cette dérogation à l’interdiction de compensation après faillite (article 1298 du Code civil et article 444

de la loi sur les faillites) trouve son fondement juridique dans le droit coutumier des pratiques ducommerce ou ... dans le fait que les remises individuelles représentent seulement des articles decompte puisque seul le solde présente un caractère juridique». Traduction de R. TAS, « Vennotenrekening,rekening-courant en compensatie », note sous Gand, 9 novembre 1994, T.R.V., 1995, p. 328.

(114) R. TAS, « Vennotenrekening, rekening-courant en compensatie », p. 327. Cet auteur souligne que, selonune doctrine majoritaire, les créances en compte courant ne doivent pas répondre aux exigenceslégales de l’article 1291 alinéa 1er du Code civil (exigibilité et liquidité) pour se compenser; voirégalement R. TAS, « Recente tendensen in de rechtspraak m.b.t. de rekening-courant, T.R.V., 1995, p.131 et s.

(115) R. TAS, « Vennotenrekening, rekening-courant en compensatie », T.R.V., 1995, p. 326 et s.; E. SMIT, Lescomptes d’associés, DAOR, 1995, n° 34.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

La définition retenue par Monsieur Winandy (116) et largement reçue est lasuivante :

« Unicité de compte, la convention par laquelle les parties conviennent queles différents comptes qui existeront entre elles ne forment que des subdivi-sions d’un seul et même compte courant.

Compensation de compte, la convention par laquelle les parties convien-nent que les soldes des différents comptes - juridiquement distincts - quiexisteront entre elles, pourront être compensés ».

b.1. Clause d’unicité de comptes

Par la clause d’unicité de comptes, les parties conviennent que les différentscomptes ne forment que des subdivisions d’un compte courant unique. Tel estle cas, par exemple, de la personne physique qui ouvre un compte « privé » etun compte « professionnel ».

Les auteurs s’accordent à reconnaître l’opposabilité aux tiers — et partantl’effet de compensation entre ces différentes rubriques — de cette clause d’uni-cité de comptes, pour autant que le fonctionnement de ces différentes subdi-visions, dans les faits, traduise bien la volonté des parties d’avoir un seul etmême compte (117).

En d’autres termes, ainsi que l’a mis en évidence Monsieur Winandy, la claused’unicité de compte crée une présomption qui peut être renversée par toutfait contraire. Selon cet auteur, tel est le cas lorsque l’un des comptes doit, envertu d’une disposition légale, conserver un statut juridique propre, commepar exemple les « comptes rubriqués » ouvert à un notaire selon l’arrêté royaldu 14 décembre 1935 relatif au contrôle de la comptabilité notariale, ou en-core lorsque le fonctionnement de chacun des comptes tel qu’il a été con-venu entre la banque et le client remet en cause cette unicité. Ainsi, le faitqu’une sûreté assortisse exclusivement le solde d’un compte fait obstacle à ceque ce compte ne puisse être qu’une subdivision d’un compte unique. Il enest de même si une date de clôture différente de celle fixée pour les autrescomptes, est prévue pour l’un des comptes. En revanche, la tenue de compteslibellés en monnaies différentes, la fixation de taux d’intérêts distincts parcomptes ainsi que la délivrance de carnets de chèques différents par comptesne remet pas en cause l’unicité prévue conventionnellement (118).

(116) Ch.-G. WINANDY, « Les comptes en banque et les intérêts », in La banque dans la vie quotidienne, éditiondu Jeune Barreau 1986, p. 43.

(117) Ch.-G. WINANDY, « Les comptes en banque et les intérêts », op. cit., p. 44, n° 37; M.-F. ANTOINE, note sousTribunal de Commerce de Namur, 6 novembre 1986, R.R.D., 1987, p. 292; M. GRÉGOIRE, note d’observa-tions sous Bruxelles, 3 février 1986, R.D.C., 1988, p. 711; J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droitcommercial, tome IV, 1988, p. 401, n° 524.

(118) Ch.-G WINANDY, « Les comptes en banque et les intérêts », op. cit., p. 45 et s.

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l'extinction des obligations : la compensation

b.2. Clause de fusion (ou compensation) de comptes

Lorsque les comptes demeurent juridiquement distincts, est-il admis que lelien de connexité entre dettes réciproques soit simplement juridique en cesens qu’il résulterait d’une clause contractuelle sans rechercher si, in concreto,ces dettes réciproques participent d’une opération économiquement unique ?

Cette question fait l’objet de vives controverses.

Plaide en faveur de l’efficacité de cette clause le principe de l’opposabilité auxtiers des effets externes des contrats ainsi que celui de l’autonomie contrac-tuelle tandis que s’y oppose la règle de l’égalité des créanciers.

* Les opposants (119) à la thèse de l’efficacité de cette clause s’appuient surun arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 octobre 1976 (120) en matière dedroit de rétention. La Cour de cassation avait confirmé la décision du juge dufond qui avait refusé de donner effet à une convention créatrice d’un liend’indivisibilité entre la rétention d’un bien et une créance, en constatant quel’indivisibilité n’existait pas dans les faits.

* En sens contraire, l’arrêt du 28 février 1985 rendu par la Cour de cassationà propos de la faillite d’un associé momentané retient l’attention (121).

Ainsi que nous l’avons examiné ci-avant, la convention d’association momen-tanée comportait une clause d’indivisibilité des comptes entre parties dont laCour de cassation a admis l’opposabilité à l’égard des tiers.

Une lecture attentive de la motivation de la Cour de cassation fait toutefoisapparaître que ce n’est pas la clause d’indivisibilité comme telle qui justifie lacompensation après faillite mais bien la nature même de l’association momen-tanée :

« ... la convention d’association momentanée ... a créé entre parties un compteindivisible unique dans lequel entre, d’une part, les avances résultant despaiements du maître de l’ouvrage en fonction de l’avancement des travauxet, d’autre part, les dettes et charges nécessaires à la réalisation de l’objet del’entreprise.

... L’arrêt énonce qu’en l’espèce, l’article 16 de ladite convention ne créait« pas de lien factice entre, d’une part, les créances de l’associé non failli àl’égard du maître de l’ouvrage et, d’autre part, les dettes qu’il pouvait avoircontractées à l’égard de son associé ou, encore, à l’égard d’autres tiers ; quece lien résultait de la nature même de l’association momentanée et des

(119) I. MOREAU-MARGRÈVE, « Évolution du droit et de la pratique en matière des sûretés, in les créanciers et ledroit de la faillite », C.D.V.A., 1983, p. 222; J.-M. NELISSEN-GRADE, De rekening-courant, n° 168 à 170.

(120) Cass. 7 octobre 1976, Pas., 1977, I, p. 154.(121) Cass., 28 février 1985, Pas., 1985, I, p. 795; R.C.J.B., 1987, p. 572, note.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

stipulations d’indivisibilité qui en résultaient » et « que la convention liti-gieuse n’avait par ailleurs aucun caractère frauduleux » ».

Ainsi que le soulignent certains auteurs (122), la question de savoir si la claused’indivisibilité des comptes à elle-seule aurait justifié la compensation aprèsfaillite n’a pas été examinée.

b.3. La jurisprudence

La jurisprudence récente relative à l’opposabilité des clauses d’unicité et defusion de compte est partagée.

— Plusieurs décisions se sont montrées favorables à la reconnaissance d’uneclause d’unicité de compte et de son opposabilité, sur base toutefois de consi-dérations différentes :

* Ainsi, le tribunal de commerce de Liège (123) relève que la clause du Règle-ment général des ouvertures de crédit d’une banque permettant à celle-ci defusionner à tout moment tous ou certains de ces comptes constituant un« compte courant unique », conclue avant le concours, sans fraude, est opposa-ble aux tiers.

Telle est également la motivation adoptée par la cour d’appel de Mons dans unarrêt du 23 mai 1990 (124).

* C’est non seulement hors le cas de fraude mais aussi lorsqu’il résulterait del’examen des faits que pour un compte particulier, les parties ont entendudéroger à une clause générale d’unicité de comptes en l’affectant à une desti-nation spéciale que le tribunal de commerce de Charleroi, dans une décisiondu 11 juin 1991 (125), accepte l’opposabilité de la clause d’unicité de compte.

* Dans un arrêt du 16 mars 1989 (126), la cour d’appel de Bruxelles, aprèsavoir constaté que les parties étaient convenues que les divers comptes n’étaientque les compartiments ou rubriques d’un compte courant unique, déclareque ce règlement d’opérations distinctes au sein d’un compte unique créeune relation de connexité justifiant la compensation des créances récipro-ques, opposable aux tiers. Elle souligne toutefois que cette opposabilité ne sejustifie que si la convention d’indivisibilité repose sur un fondement réel :« ... le juge doit écarter une unité qui ne serait qu’artificielle et aurait pour

(122) M. GRÉGOIRE, note d’observations, R.D.C., 1988, p. 712.(123) Tribunal de commerce de Liège, 31 janvier 1995, R.D.C., 1996, p. 1028; où il est relevé que cette

décision est frappée d’appel.(124) Mons, 23 mai 1990, J.L.M.B., 1990, p. 1285.(125) Tribunal de commerce de Charleroi, 11 juin 1991, publiée en sommaire à la J.L.M.B., 1993, p. 180.(126) Bruxelles, 16 mars 1989, J.L.M.B., 1989, p. 802 et observations.

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l'extinction des obligations : la compensation

but ou pour effet de porter atteinte aux droits des tiers; ... l’unicité des comp-tes doit être effective et n’être démentie ni par les règles de la tenue desdiverses rubriques, ni par le comportement des parties ». En l’espèce, la courconclut que l’unicité n’avait rien d’artificiel.

* Dans une décision du 4 février 1986 (127), le tribunal de commerce deNamur justifie l’effet d’une clause d’unicité de compte par l’existence d’uneconnexité qui tient au fait que les parties avaient placé les créances résultantde contrats distincts dans un rapport de dépendance réciproque. Pour la ban-que, l’octroi d’un nouveau crédit dépendait de la correcte exécution de ceuxqui le précédaient.

— Dans d’autres hypothèques, la jurisprudence a disqualifié la clause d’uni-cité de compte litigieuse en une clause de compensation, tout en acceptantl’opposabilité de cette dernière. Telle est l’appréciation retenue par le tribunalde commerce de Charleroi, dans une décision du 20 avril 1988 (128). En l’es-pèce, la clause du règlement général des opérations de vente prévoyait que :

« ... tous les comptes qui seront ouverts au même titulaire, quelles que soientleur nature et leur modalité propre, ne forment que des éléments d’un comptecourant unique et indivisible ... ».

Le tribunal de commerce de Charleroi se fonde toutefois sur la définition clas-sique du compte courant pour en conclure qu’il n’y a pas, en l’espèce, deconvention de compte courant mais bien une convention de compensation.Le tribunal admet l’opposabilité de cette convention dès lors qu’il y a bienconnexité : l’augmentation du crédit de caisse a été accordée moyennantl’octroi de garanties supplémentaires dont l’affectation en gage de sommesdéposées sur un autre compte. « Il y a donc un lien de connexité effectiveentre ce compte créditeur qui sert de garantie à un autre compte débiteur ... ».

— Dans un arrêt du 20 décembre 1988 (129), la cour d’appel de Mons qualifiede clause de compensation, la clause selon laquelle « la banque peut, en touttemps et même après faillite du client, compenser toutes créances, exigiblesou non, en francs belges ou en monnaies étrangères, qu’elle possède à charged’un client avec toutes créances exigibles ou non, en francs belges ou enmonnaies étrangères du dit client à son égard ».

La cour considère « que par cette clause, convenue avant faillite dans desconditions exclusives de toute fraude à l’égard des tiers, les parties ont crééconventionnellement entre leurs dettes réciproques résultant de contrats

(127) Tribunal de commerce de Namur, 4 février 1996, R.R.D., 1987, p. 287 et note de M.-F. ANTOINE.(128) Tribunal de commerce de Charleroi, 20 avril 1988, J.L.M.B., 1989, p. 416.(129) Mons, 20 décembre 1988, Rev. Banque, 1989, p. 487 et observations de DELIERNEUX.

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES OBLIGATIONS

distincts, un lien de connexité, d’interdépendance telle que leurs relationsd’affaires devaient être considérées in abstracto comme procédant d’uneopération économique unique ou, tout au moins, d’un compte indivisi-ble ».

Selon la cour, aucune loi n’interdit aux parties de placer leurs rapports réci-proques dans un rapport purement conventionnel de connexité. Cette clause,qui n’est pas constitutive de privilège, est licite et opposable aux tiers par leseul fait de son existence, hormis le cas où une intention de fraude serait éta-blie. En conséquence, la cour donne effet à cette clause de compensation.

— À l’opposé de cette décision particulièrement favorable, plusieurs décisionstémoignent de la réticence de la jurisprudence à consacrer l’opposabilité desclauses de compensation :

* Dans une décision du 21 décembre 1995 (130), le tribunal de commercede Namur qui parle improprement de clauses d’unicité à propos d’une clausede compensation de comptes, considère que cette clause n’est pas opposableaux tiers lorsqu’elle crée des liens factices entre des créances et des dettes etque la connexité ne résulte pas de la nature même des rapports qui se sontnoués sans fraude entre les parties. Selon le tribunal, la clause est, en l’espèce,inopposable en ce qu’elle prétend s’appliquer à des opérations qui ne présen-tent aucune connexité objective.

* Telle est également l’appréciation retenue par le tribunal de commerce deBruxelles dans une décision du 14 octobre 1987 (131), lequel considère quel’indivisibilité doit exister réellement dans les faits.

* C’est au regard tant de la notion d’unicité de compte que de celle de com-pensation de comptes que se posait, à la cour d’appel de Bruxelles, la questionde l’opposabilité d’une compensation opérée par la banque.

Dans son arrêt du 3 février 1986 (132), la cour écarte tout d’abord la qualifica-tion de clause d’unicité au motif que, en ouvrant des comptes dont le statut sedifférencie par les dates d’exigibilité des soldes, les parties ont implicitementmarquer leur désir d’assurer à chaque compte une individualité distincte.

Elle refuse ensuite de donner effet à la convention de fusion de comptes aumotif qu’il n’existe pas de connexité matérielle entre les créances réciproques.Cette position est particulièrement restrictive.

(130) Tribunal de commerce de Namur, 21 décembre 1995, J.L.M.B., 1996, p. 1225.(131) Tribunal de commerce de Bruxelles, 14 octobre 1987, R.D.C., 1988, p. 727 et note.(132) Bruxelles, 3 février 1986, R.D.C., 1988, p. 702 et observations de M. GRÉGOIRE.

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l'extinction des obligations : la compensation

b.4. Conclusion

Tant la doctrine que la jurisprudence sont, dans le domaine des clauses d’uni-cité et de compensation de comptes, en pleine évolution. Force est de consta-ter toutefois la position stricte des cours et tribunaux à propos des clauses decompensation.

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