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Le pouvoir d’innover des coopératives Textes choisis de l’appel international d’articles scientifiques L’ENTREPRISE COOPÉRATIVE INNOVANTE ET LE RÔLE DU RÉSEAUTAGE : LE CAS DE COPAG AU MAROC Khadija ASKOUR 1 et Youssef SADIK 2

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Le pouvoir d’innover des coopératives Textes choisis de l’appel international d’articles scientifiques

L’ENTREPRISE COOPÉRATIVE INNOVANTE ET LE RÔLE DU RÉSEAUTAGE : LE CAS DE COPAG AU MAROC

Khadija ASKOUR1 et Youssef SADIK2

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Résumé L’observation de certaines filières économiques au Maroc révèle la présence de configurations territoriales spécifiques, qui peuvent s’inscrire dans le paradigme marshallien des districts industriels ou des systèmes productifs locaux à la française. Ces configurations naissent d’une histoire productive différente selon les territoires et sont réparties au niveau de plusieurs villes et filières au Maroc. Celles-ci font, dans certains cas, figure d’une coopérative ou d’un groupement de coopératives intégrées, produisant un produit ou un ensemble de produits communs. Certaines coopératives comme la Copag ou même Targanine, encore embryonnaires par rapport au large spectre des coopératives indépendantes, optent pour l’innovation comme moyen de compétitivité. L’observation de ces solidarités réussies dans le territoire, notamment dans celui de Soussi au Maroc, nous incite à interroger la raison pour laquelle la tendance à l’innovation pour les coopératives n’est pas aussi généralisée au niveau des coopératives productives sur le plan national.

Abstract The observation of certain economic sectors in Morocco reveals the presence of specific territorial configurations, which can fit into the Marshallian paradigm concerning the industrial districts (or SPL in French). These configurations were born from different productive histories depending on their territories and are spread across several cities and sectors in Morocco. They are, in some cases, thought of as a cooperative or a group of integrated cooperatives producing a product or a set of common products. Some cooperatives, such as Copag or even Targanine, which is still embryonic compared to the wide range of independent cooperatives, opt for innovation as a means of competitiveness. Observing these successful territorial collaborations, notably in Soussi territory in Morocco, encouraged us to reflect on why the trend of innovation for cooperatives is not as widespread in productive cooperatives nationwide.

Resumen La observación de ciertas cadenas de valor económico de Marruecos revela la presencia de configuraciones territoriales específicas, que pueden inscribirse en el paradigma de Marshall acerca de los distritos industriales o SPL (Sistemas Productivos Locales). Estas configuraciones han nacido de una diferente historia productiva según los territorios y se distribuyen a través de varias ciudades y sectores en Marruecos. Estas configuraciones, en algunos casos, se presentan como una cooperativa o un grupo de cooperativas integradas que producen un producto o un conjunto de productos comunes. Algunas cooperativas como Copag o incluso Targanine, todavía embrionarias en comparación con la amplia gama de las cooperativas independientes, opta por la innovación como medio de competitividad. La observación de estas iniciativas de solidaridad exitosas en el territorio, especialmente Soussi en Marruecos, nos hace preguntarnos por qué la tendencia a la innovación para las cooperativas no está tan extendida en cooperativas de producción a nivel nacional.

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Introduction3

Depuis plus d’une vingtaine d’années, on assiste à un bouleversement des pratiques d’entreprises au profit d’une dynamique de réseautage localisé d’entreprises. Ces réseaux permettent souvent le renforcement des activités d’innovation par les rapports et les liens que les entreprises parviennent à établir et à entretenir entre elles grâce à leur proximité. On entend ici par innovation « la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures » (OCDE, 2005 : 54).

Cette dynamique s’observe au Maroc à travers les groupements de coopératives comme COPAG qui se situe dans la région du Souss Massa Draâ (DAT, 2004). Notre réflexion propose ainsi de voir de quelle manière le réseautage est mobilisé de sorte à rendre l’entreprise plus performante en termes d’innovation.

L’innovation dans les sciences sociales Nombreuses sont les théories qui ont été proposées pour mieux appréhender la réalité de l’innovation et du changement technique, mais en n’intégrant pas toujours les mêmes préoccupations scientifiques. Le processus innovant fait l’objet de discordes entre les approches en sciences de gestion, en sociologie, en économie et en géographie dans leur façon d’aborder la question (Corneloup, 2008). Ainsi, si les économistes ont exclu pendant longtemps les questions d’innovation technique de leur champ de préoccupation, les sociologues, quant à eux, se soucient de la diffusion et des conséquences des innovations techniques sans pour autant considérer la technique comme objet d’étude (Chambad, 1995).

Nous ne nous focaliserons tout de même, dans cette partie, que sur l’apport de quelques théoriciens ayant participé au développement de ce concept. Il faut remonter à la fin du XIXe siècle, avec l’économiste Joseph Shumpeter, pour la première définition de l’innovation. Il propose une réelle intégration du progrès technique dans les problématiques économiques.

L’innovation comme résultat économique Schumpeter fut l’économiste qui a pu révolutionner la science économique à travers son analyse du rôle de l’entrepreneur; on distingue de ce fait un avant et un après Shumpeter. Il propose respectivement les trois approches différentes de l’innovation dans les ouvrages suivants : Théorie de l’évolution économique (1911/1935), Business cycles (1939), Capitalisme, socialisme et démocratie (1942). En ce qui concerne notre recherche, c’est dans le premier manuscrit (Shumpeter, 1911/1935) qu’il évoque l’origine du changement économique et du progrès technique à travers la figure de l’entrepreneur. Les décisions et actes économiques de ce personnage hors du commun ne sont pas neutres; au contraire, ils bouleverseront le marché et les situations de monopole. Shumpeter (1911/1935) définit ainsi l’innovation comme la réalisation de nouvelles combinaisons en proposant cinq situations : la fabrication d’un bien nouveau, l’introduction d’une méthode de production nouvelle, l’ouverture d’un débouché nouveau, la conquête d’une source nouvelle de matières premières ou de produits semi-ouvrés et la réalisation d’une nouvelle organisation.

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L’entrepreneur shumpeterien détient des atouts majeurs, en l’occurrence sa capacité à prendre des risques et un esprit créatif. Il n’est néanmoins nullement guidé par une motivation financière; ce sont des raisons combatives ou d’estime de soi qui le motivent. Nous sommes en fait dans un paradoxe et dans une situation de l’entre deux : c’est-à-dire que souvent les motivations personnelles n’ont pas un effet direct et positif sur les motivations de l’entreprise. L’entrepreneur cherchera la réalisation de certains objectifs comme la reconnaissance ou la conquête de la notoriété, tandis que l’entreprise tente souvent de réaliser des marges bénéficiaires ou une meilleure productivité.

L’entrepreneur crée ainsi des innovations qui sont le résultat de phénomènes, placées entre le progrès technique et le marché sous le modèle de la boîte noire. Mais si la contribution théorique de Shumpeter fut inévitablement une des plus reconnues et citées, il n’en demeure pas moins qu’elle soulève certaines interrogations par rapport à l’activité de création et l’origine des innovations qui demeurent inexpliquées. Les économistes ont souvent été critiqués pour ce manque d’intérêt quant au phénomène en amont du processus d’innovation, et de l’innovation en elle-même. Leurs recherches se focalisent entre autres sur le rôle de l’offre technique et de la demande sociale sur l’innovation, mais manquent souvent de crédibilité.

L’innovation comme processus

Par la suite, dans son troisième manuscrit, Shumpeter (1942) réalise que le changement technique ne peut être l’œuvre d’une seule personne, à savoir l’entrepreneur. L’innovation est plutôt le résultat d’un travail collectif sous la forme d’interactions au sein d’un département spécialisé d’une firme, ce qui incite un double changement, d’une part, que les firmes disposent d’une fonction créatrice et, d’autre part, que l’invention est endogène à l’innovation (Chouteau et Viévard, 2007).

L’apport majeur de ce modèle est qu’il confère à l’innovation un caractère processuel. Cette approche, appelée « technological push », est fondée sur l’idée que l’innovation est obtenue grâce à la science et c’est cette dernière qui crée les besoins du marché. Dans cette perspective, la création de connaissances scientifiques nouvelles permet la réalisation de résultats économiques. Ainsi, on peut croire que selon cette approche linéaire recherche-développement-production-marché, l’investissement en R&D est déterminant pour la création des innovations. Ce modèle reste tout de même limité et en déphasage avec la réalité économique (Gonard et Louazel, 1997).

Schmookler (1966) propose, de son côté, l’opposé du modèle Schumpetérien. Selon lui, l’innovation est plutôt tirée par la demande et donc le marché « demand pull ». Le marché oriente et détermine dans ce cas les possibilités d’invention et de développement des innovations.

En somme, ces deux modèles dominèrent pendant longtemps la pensée théorique et présentent l’innovation comme résultat, mais furent vite remplacés par d’autres définitions qui l’assimilent beaucoup plus à un processus (Chouteau et Viévard, 2007).

Le rôle du réseautage comme déterminant de l’innovation Pour l’entreprise, l’innovation représente souvent une opportunité de performance plus importante. Selon la littérature, un certain nombre de déterminants sont nécessaires pour que la structure puisse bien innover, parmi lesquels le réseautage. L’appartenance à des réseaux augmenterait de manière significative la capacité à innover, et ce en donnant la possibilité d’accès à de nouvelles informations et ressources (Guihur, Julien et Trépanier, 2009).

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Le réseau : de quoi s’agit-il? Le concept de réseau représente un champ théorique vaste (Kossou et Paturel, 2012). Assens le définit comme un ensemble de nœuds sous forme de points d’interconnexion capables d’émettre ou de recevoir des communications, capables de participer aux échanges ou de structurer les flux de transport (Assens, 2003). Dans ce cadre, la performance du réseau est la jonction des quatre éléments suivants : les nœuds, les liens, les relations et les flux (Kossou et Paturel, 2012). Ces éléments redonnent au territoire toute son importance dans le maintien et le développement des réseaux, et ce à travers la notion de réseau de production localisé. Ce type de réseau existe dans pratiquement tous les pays; ceci dit, les districts industriels italiens constituent la référence principale (Piore et Sabel, 1984/1989). Le succès de cette forme d’organisation de la production a permis de proposer un paradigme autour duquel s’est constituée une communauté de chercheurs issue de plusieurs disciplines : économie, sociologie, géographie régionale, sciences politiques, gestion et histoire (Daumas, 2006).

La littérature propose tout de même plusieurs variétés de réseaux de production localisés, communément connus sous le nom de SPL (système productif local ou localisé). Becattini identifie, à titre d’exemples, le pôle industriel, le district industriel, un district marshallien et un district proche de l’expérience italienne de l’après-guerre (Becattini et Rullani, 1995). Courlet, pour sa part, identifie quatre types de SPL qui se différencient selon la force de leurs interactions et la logique de leur coordination : il s’agit du district industriel dont l’Italie offre le modèle classique, du district technologique, des grappes de PME en émergence et des systèmes de PME organisés autour de firmes pivots (Courlet, 2001).

Il est relativement difficile d’élaborer une liste exhaustive de toutes les propositions théoriques et empiriques de ce type de réseau. Les chercheurs utilisent en effet des méthodes empiriques et déductives différentes qui prêtent souvent à confusion (Grossetti, 2004). Cela étant, le dénominateur commun de ces différentes catégories de réseautage reste le concept de proximité.

La proximité au cœur du réseau L’émergence des SPL implique le passage à une autre approche de l’espace. On passe de la conception de celui-ci comme étendue ou distance entre lieux se traduisant sur le plan économique par des coûts, à une conception de l’espace comme composante particulière du territoire. Dans ce cadre, quatre fondements conceptuels du territoire économique sont repérés : il s’agit des externalités, des économies d’agglomération, des ressources ou du patrimoine, et de la proximité. Le territoire est source d’externalités spatiales spécifiques, qui sont non transférables et qui lui confèrent une compétitivité particulière. Selon Marshall (1890/1906), les économies d’échelle proviennent d’effets externes dispensés par le milieu économique où les firmes se situent et dont leur proximité spatiale permet des relations particulières qui vont améliorer leur productivité. Le concept d’agglomération, quant à lui, fait l’objet d’un ensemble divers d’observations : il y a économies d’agglomération lorsque les bénéfices tirés par une entreprise, du fait d’être localisée à proximité d’autres firmes, augmentent avec le nombre de firmes localisées au même endroit.

En ce qui concerne la proximité, le recours à cette notion permet de dépasser l’élément de distance (coût de transport), et d’échapper à cette réduction de l’espace. Elle permet également de mettre en évidence les interactions entre l’individu et son territoire d’appartenance, et reposerait sur l’hypothèse indissociable de séparation des individus et des activités et en même temps de leur lien social

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(Bellet et Kirat, 1998). Nous évoquons ainsi la notion de proximité territoriale qui fait référence à un souci de minimisation des coûts de coordination (Quéré et Ravix, 1998).

Dans le cas de l’analyse des SPL, la proximité territoriale est la jonction de deux types de proximité : la proximité géographique et la proximité organisationnelle (Bellet, Colletis et Lung, 1993). La première proximité ne se limite pas à une proximité physique, dans la mesure où elle n’est pas donnée par les contraintes naturelles, mais construite socialement. Le deuxième type de proximité concerne les relations interindividuelles, notamment la dimension collective, à l’intérieur des organisations ou entre les organisations.

En somme, si l’analyse des SPL est centrée le plus souvent sur des groupements d’entreprises industrielles, il n’est pas impossible d’en évoquer l’existence sous la forme de réseaux de coopératives (Askour, 2009).

La coopérative, une institution avant tout ancestrale Au Maroc, le réseau de production localisé qui se rapproche le plus du SPL se présente sous la forme de coopérative. Celle-ci est un groupement de personnes physiques, qui conviennent de se réunir pour créer une entreprise chargée de fournir, pour leur satisfaction exclusive, le produit ou le service dont elles ont besoin.

La coopérative est une forme de réseautage de traditions anciennes très présentes dans la région du Souss Massa Draâ. Les pratiques de coopération au niveau de cette région ne datent pas d’hier; elles ont au contraire des racines profondes dans les traditions économiques, mais aussi sociales. Elles émanent principalement d’un ensemble d’institutions traditionnelles qui ont toujours eu un rôle crucial dans le maintien des équilibres sociopolitiques, économiques et autres.

Les coopératives peuvent être ainsi considérées comme une simple adaptation de ces institutions traditionnelles, dont les plus connues sont le tadâ et le ljmaât (ou l’anfalis). Ces systèmes de valeur présentent plusieurs caractéristiques que nous retrouvons au niveau des SPL. Il s’agit notamment du principe de la complémentarité et de la solidarité; dans ce cas, le système de touiza en est un exemple. Du point de vue social, la touiza est une pratique arabo-berbère qui consiste à une entraide entre plusieurs personnes. Par exemple pour la moisson, à la campagne, les agriculteurs se rassemblent et adoptent le principe qui consiste à moissonner le champ de chacun et à tour de rôle. Cette démarche est pratiquée également pour le battage et les labours.

La coopérative est inscrite ainsi dans une culture ancestrale de solidarité. L’ensemble des institutions ont permis à la population de la région de Souss Massa Draâ de garder cette pratique de coopération et de partenariat et de développer l’esprit coopératif.

Les coopératives n’ont pas toutes le même statut. Elles se distinguent par le type d’activités exercées et le niveau d’implication dans une filière économique déterminée. Parmi ces coopératives, certaines exercent plusieurs activités en même temps, à savoir toute la chaîne de valeur – collecte, approvisionnement, production, commercialisation (coopérative laitière). Mais il y a aussi celles qui intègrent le processus de production dans leur chaîne de valeur et qui font leur propre commercialisation, ou se contentent des activités de collecte et de commercialisation (coopératives fruits et légumes).

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Les coopératives, institutions porteuses d’innovation, cas de COPAG Le secteur laitier de la région du Souss Massa Draâ est fortement connu grâce aux produits Jaouda de la coopérative COPAG, située à Taroudannt. Elle représente l’une des industries les plus complètes de la filière laitière et maintient ce positionnement grâce à une organisation particulière en réseau que nous assimilons à un « SPL à la marocaine » (Askour, 2009). Sa performance se manifeste aussi bien en termes de production qu’en termes de chiffre d’affaires réalisé.

Cette coopérative intègre l’ensemble du processus de production, qui passe par l’achat des génisses pleines de race pour le compte des adhérents, l’équipement en matériel d’élevage, l’encadrement technique, l’approvisionnement en aliments de bétail ainsi que la collecte, le traitement, la transformation et la commercialisation du lait et de ses dérivés.

Affirmant une forte volonté d’entreprenariat et d’évolution, COPAG a démarré ses activités dans le conditionnement des agrumes et des primeurs. Cette coopérative comprend actuellement un complexe d’industries de transformation constitué d’unités de traitement et de production du lait et de ses dérivés, de fabrication et d’approvisionnement en aliments pour le bétail.

L’évolution des activités de COPAG a un rôle primordial dans le développement socioéconomique grâce au nombre d’emplois industriels dépendant directement ou indirectement de cette structure. Celle-ci emploie au total 2 500 personnes. La production de la coopérative est assurée à travers un réseau dense d’une centaine d’éleveurs et d’une soixantaine de coopératives, soit au total plus de 7 500 adhérents.

COPAG réunit deux catégories d’adhérents, des structures de production bien organisées sous la forme de coopératives et des petits producteurs individuels. La taille des coopératives varie entre 30 membres pour les plus petites et 700 pour les plus grandes.

Dès son démarrage, les succès obtenus par COPAG lui ont permis d’élargir ses activités. Ainsi, a été créée en 1993 une unité de transformation du lait avec une capacité de 500 000 litres/jour, ce qui a permis l’emploi total de 2 100 personnes dans la province de Taroudannt (COPAG, 2003).

La production de lait par les adhérents est collectée au niveau de 40 centres de collecte de lait équipés de bacs de réfrigération permettant de contrôler la qualité initiale du lait. Chaque coopérative adhérente dispose de son centre de collecte de lait. L’organisation de la collecte se fait par des véhicules appartenant aux coopératives, ou loués à des particuliers. Quant au ramassage au niveau des différents centres de collecte de lait ou de la laiterie, il se fait grâce à des camions citernes de COPAG. La distribution du lait et des produits laitiers se fait grâce à des camions semi-remorques qui desservent les différents dépôts au Maroc (Casablanca, Rabat, les régions du Sud et du Centre). Des petits camions assurent les livraisons urbaines.

Le lait collecté est transformé au niveau de l’unité de transformation, créée en 1993. L’unité a connu deux extensions en 1996 et 1999, avec un investissement total de 140 000 000 dirhams. La station d’agrumes et primeurs, créée en 1996, assure une capacité de 40 000 tonnes et garantit l’emploi à 280 personnes. Il a été créé, durant cette même année, Prim’Atlas, pour assurer le suivi commercial à l’étranger.

COPAG entreprend diverses innovations, notamment de produit. La gamme des produits fabriqués est

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diverse : lait pasteurisé, lait UHT, lait fermenté, yaourt ferme, yaourt à boire, leben, fromage, beurre. La commercialisation de ces produits laitiers se fait dans dix provinces du Maroc : Rabat Salé, Casablanca, Agadir, Taroudant, Tiznit, Guelmim, Tan Tan, Laâyoune, Ouarzazate et Marrakech. De même, le patrimoine de la coopérative est constitué de 4 000 ha d’agrumes et 1 100 ha de primeurs (sous serres et plein champ). Les principales variétés d’agrumes sont : clémentine, clémentine tardive nour, clémentine nule, navel, salustiana, washington sanguine, ortanique et maroc late. De même, les principales variétés de primeurs sont : les tomates, les pommes de terre, les poivrons, les haricots verts, les melons et les piments forts. De 1994 à 2003, on observe une nette évolution de la production des agrumes et des primeurs. Cette production est traitée dans trois stations de conditionnement, deux unités pour les agrumes d’une capacité de 80 000 t/an, et une unité pour les primeurs d’une capacité de 10 000 t/an.

Dans le cadre de sa stratégie d’intégration, la coopérative s’est dotée d’une unité d’entreposage frigorifique (créée en 1998) d’une capacité de 3 200 tonnes avec un régime mixte : froid et déverdissage. De même, la coopérative exporte environ 50 000 t/an d’agrumes et 8 000 t/an de primeurs. Cette production est commercialisée dans un certain nombre de pays (entre autres la Russie (pour la plus grande part), la Suède, l’Arabie Saoudite, l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Finlande, la France, la Hollande, la Norvège, la Pologne et le Portugal.

Cette évolution n’a pas concerné uniquement le secteur du lait et des agrumes, mais également le secteur plus en aval de l’élevage bovin.

COPAG, une « brillante » exception de réseautage au Maroc La production de la coopérative relève de deux catégories, une de provenance animale et l’autre de provenance végétale. Les troupeaux bovins sont constitués d’animaux de race Holstein et/ou Pie noire Holsteinisée. La taille des exploitations est très variable, allant de deux à 250 vaches. Les races sont originaires du Maroc, des États-Unis, de France, d’Allemagne et du Canada.

Pour alimenter les troupeaux de la coopérative, COPAG a créé spécialement une usine d’aliments pour le bétail en 1999. Cette unité a une capacité de 10 t/heure (48 000 t/an). Elle fabrique à moindre coût des aliments de haute valeur nutritive, et fournit des aliments pour les principales espèces animales (bovins, ovins, caprins, volailles). Les régimes alimentaires sont composés de l’ensilage de maïs, de luzerne (verte, foin ou déshydratée) et de paille comme ration de base complétée par des aliments composés et des concentrés classiques (pulpe de betterave, son de blé, orge).

L’importante tradition industrielle laitière a ainsi permis le développement de systèmes de relation entre différentes coopératives de la région. C’est à travers leurs complémentarités que ces structures ont réussi à affirmer l’attractivité du territoire et leur capacité à gérer leur propre développement, un développement endogène.

COPAG conçoit son développement futur dans une stratégie visant à améliorer son image de marque et de qualité auprès de sa clientèle. C’est dans ce cadre que la coopérative lança un certain nombre de projets, comme :

• L’introduction de nouvelles variétés de haute valeur commerciale par l’acquisition d’un matériel végétal indemne;

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• La mise en place d’un programme de la micro-irrigation, déjà assez généralisé en vue de l’économie de l’eau et de la rationalisation de la fertigation pour une meilleure productivité;

• La création d’une unité de production de jus d’orange d’une capacité de 6/7 t/heure, avec le séchage de la pulpe pour son incorporation dans l’aliment de bétail;

• Le développement de la commercialisation d’une bonne partie de ses produits frais (agrumes et primeurs), répondant aux attentes du consommateur marocain.

La coopérative a mis en place une centrale d’achat et d’approvisionnement qui a pour rôle : l’approvisionnement des unités de la coopérative et des adhérents en matériaux, équipements, aliments, semences, produits phytosanitaires ou tout autre article dont ils pourraient avoir besoin. De même, l’amélioration quantitative et qualitative de la production se fait à travers des actions d’encadrement technique de ses adhérents, de formation, de sensibilisation, de vulgarisation et de conseils dans différents domaines (exemple : micro-irrigation, fertigation, utilisation raisonnée des pesticides, traçabilité, fourniture de plants et divers approvisionnements).

De même, l’encadrement des éleveurs de COPAG se fait par la Coopérative Souss d’Amélioration Génétique Bovine du Souss (coopérative de services ayant pour mission le développement de l’élevage bovin dans la zone du Souss Massa). Celle-ci a des liens organiques très étroits avec COPAG; 90 % des membres sont présents dans les deux coopératives. La coopérative s’appuie sur un personnel technique composé d’une quinzaine de personnes dont un cadre chargé de la gestion des coopératives, un ingénieur zootechnicien et 13 inséminateurs (le zootechnicien et les 11 inséminateurs sont des agents que l’ORMVA de la région de Souss Massa Draâ met à la disposition de COPAG).

Les objectifs de COPAG consistent à assurer elle-même, ou par l’intermédiaire de ses adhérents, le développement socioéconomique du milieu rural de la région du Souss, à offrir des produits agricoles d’origine animale et végétale qui peuvent satisfaire les attentes actuelles et futures des consommateurs et à améliorer le revenu de la COPAG et de ses adhérents à travers des actions conjuguées à tous les stades de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles (et leurs dérivés) à forte valeur ajoutée. Néanmoins, l’objectif principal de COPAG est d’adopter une stratégie qui consiste en l’intégration de tous les maillons des filières agricoles (production, transformation, commercialisation) et ce afin d’avoir le contrôle total de la chaîne de valeur laitière.

Les caractéristiques d’innovation technologique sont fortement présentes dans la coopérative. D’après le président de l’APBS de la province de Taroudannt, la coopérative COPAG serait un modèle d’intégration très intéressant à « reproduire » dans des filières similaires et dans les autres villes du Maroc. La réussite de COPAG, d’après lui, résiderait dans l’honnêteté du président de la coopérative, mais aussi dans le professionnalisme de ses membres. La confiance revêt ainsi un élément primordial dans la création et le maintien des systèmes de coopération locale très présents dans cette région.

La coopérative COPAG a réussi à s’imposer sur le marché des produits laitiers, avec comme produits leaders le yaourt brassé Cremy ainsi que le fromage frais Muscly, très prisés par les jeunes consommateurs. La compétitivité de COPAG est associée à sa capacité d’innovation et à une démarche commerciale progressive. Certains produits de la marque Jaouda ont bousculé les pratiques des industriels avec par exemple le yaourt à boire Mixy, qui introduit sur le marché l’emballage carton doté d’un bouchon.

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La coopérative adopte le travail en partenariat et la spécialisation dans les processus de production. Les coopérations entre producteurs permettent de produire mieux et à des coûts plus concurrentiels et permettent aussi d’innover. Dans la commune rurale de Sidi Dahmane, COPAG, en collaboration avec l’US Green Council, a réalisé sur une superficie de 25 hectares, à un coût global de 54 457 000 dirhams, l’unité pilote d’élevage de génisses et de veaux, qui permettra d’élever 2 000 têtes par an - avant de voir sa capacité portée à 11 500 têtes dans les sept ans à venir. L’objectif de ce projet est de permettre aux membres de la coopérative d’améliorer la production en élevant des génisses et des veaux de haute qualité génétique et de contribuer à l’approvisionnement du marché en viande à travers les méthodes d’engraissement.

La réussite de la coopérative serait due à la maîtrise de la qualité du lait en mettant en œuvre des technologies de pointe pour une meilleure valorisation du potentiel qualité. Elle est due également à l’effort déployé en matière de recettes spécifiques des produits de la gamme.

En dépit du déficit pluviométrique et de la faiblesse des capitaux privés étrangers drainés par la région, le cas de COPAG montre la réussite d’une structure qui se développe par elle-même. Son succès est dû à sa présence sur l’ensemble de la chaîne de valeur et au développement de son réseau.

Conclusion En somme, la coopérative représente une structure de coopération formelle qui permet aux producteurs locaux de bénéficier d’avantages de deux ordres : d’une part, un savoir-faire technique plus efficace par rapport aux techniques de production individuelles souvent traditionnelles et, d’autre part, une meilleure compétitivité industrielle. Dans ce contexte, deux types de structures se distinguent : les coopératives proprement dites et les groupements de coopératives. Dans le dernier cas, les groupements permettent la maîtrise et le contrôle total d’une filière, en s’intégrant dans l’ensemble d’une chaîne de valeur déterminée. La coopérative laitière COPAG illustre des schémas exemplaires de réussite de coopération locale entre producteurs, sous la forme de groupement de coopératives. COPAG représente néanmoins une brillante exception, dans la mesure où elle intègre l’ensemble de la chaîne de valeur d’un ou de plusieurs produits, allant de l’élevage bovin jusqu’à la transformation et la commercialisation de la production finale. Sa structure en réseau favorise la R&D ainsi que l’innovation sur l’ensemble des activités de la filière.

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Notes 1 Enseignante chercheure, Institut Supérieur International de Tourisme de Tanger, Maroc. 2 Enseignant chercheur, Faculté des Sciences de l’Éducation, Université Mohammed V Rabat, Maroc. 3 Ce texte est inspiré de certains travaux de la co-auteure Khadija Askour, dont : Askour K. (2009). Les réseaux de coopération productive au Maroc : le cas de la filière agroalimentaire, Prix de thèse 2008, PUM, Rabat.

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Direction de l’appel à articles du Sommet international des coopératives 2014 Lou Hammond Ketilson, Center for the Study of Co-operatives, University of Saskatchewan Marie-Paule Robichaud Villettaz, Conseil québécois de la coopération et de la mutualité

Remerciements Une publication de cette taille nécessite beaucoup de travail et la collaboration de plusieurs personnes. Nous souhaitons remercier les auteurs pour leur contribution et leurs réponses rapides à nos demandes. Nous tenons à remercier les membres du Comité scientifique pour leurs conseils dans le processus d’évaluation, et leur aide dans l’identification des experts de contenus pour l’évaluation des propositions. L’aide de ces experts est inestimable pour la production d’un ouvrage de qualité. Nous remercions particulièrement Mirta Vuotto et Heather Acton pour leur grande collaboration avec les auteurs et les experts au cours du processus d’évaluation. Nous remercions aussi Ursula Acton, Stephanie Guico, Luc Gobeil et Marie-Hélène Leclerc pour leur excellent travail dans le processus de révision scientifique, de correction et d’édition.

Extrait de : Le pouvoir d’innover des coopératives Textes choisis de l’appel international d’articles scientifiques

ISBN : 978-2-9813483-2-6 Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Nationales du Québec, 2014 Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Nationales du Canada, 2014

©Sommet international des coopératives www.sommetinter.coop

Référence : Askour, K. et Sadik, Y. (2014). L’entreprise coopérative innovante et le rôle du réseautage : le cas de COPAG au Maroc . Dans L. Hammond Ketilson et M.-P. Robichaud Villettaz (sous la direction de), Le pouvoir d'innover des coopératives : textes choisis de l'appel international d'articles scientifiques (p. 881-893). Lévis : Sommet international des coopératives.

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